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Le nombre d'or : beauté des mathématiques ou mathématiques de la beauté ?

Article · January 2009

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Jean Mawhin
Université Catholique de Louvain - UCLouvain
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Le nombre d’or :
beauté des mathématiques ou
mathématiques de la beauté ?∗
Jean Mawhin
Université catholique de Louvain
June 27, 2013

1 Introduction
Ceux qui ne fréquentent pas les mathématiques de près sont très étonnés d’en-
tendre les mathématiciens ou mathématiciennes parler d’un beau théorème ou
d’une démonstration élégante. Ils ont des difficultés à qualifier de la sorte des
notions qui leur ont inspiré trop souvent plus de dégoût que d’émoi esthétique.

Pourtant, les témoignages des plus grands mathématiciens sont éloquents :

Les mathématiciens accordent une grande importance à l’élégance de leurs


méthodes et de leurs résultats; ce n’est pas là du pur dilettantisme. [...] Ce
qui nous donne en effet dans une solution, dans une démonstration, le sen-
timent de l’élégance, c’est l’harmonie des diverses parties, leur symétrie,
leur heureux balancement; [...] c’est ce qui nous permet [...] d’en com-
prendre l’ensemble en même temps que les détails.

Henri Poincaré, 1908

Les formes créées par le mathématicien, comme celles créées par le peintre
ou le poète, doivent être belles; les idées, comme les couleurs ou les mots,
doivent s’agencer harmonieusement. La beauté est le premier critère :
il n’y a pas en ce monde de place permanente pour des mathématiques
laides.

Godefrey H. Hardy, 1950

Un tout récent ouvrage du célèbre physicien mathématicien d’origine belge


David Ruelle s’intitule L’étrange beauté des mathématiques, en prenant garde
∗ Losanges 6 (2009), 11-23

1
de l’expliquer. Cette beauté des mathématiques est difficile à définir de façon
précise; elle se ressent plus qu’elle ne s’explique.
Mais on a cherché également à définir mathématiquement la beauté dans des
domaines extérieurs aux mathématiques, comme l’architecture, la peinture, la
musique, la poésie, l’anatomie. Cela a conduit à des questions intéressantes tout
autant qu’à des dérives regrettables. Le candidat le plus célèbre pour mesurer
mathématiquement la beauté est sans conteste le nombre d’or, un irrationnel
dont nous allons raconter l’histoire.

2 Beautés irrationnelles
2.1 Les maths du format DIN (A3, A4, . . .)
Avant d’introduire le nombre d’or, montrons comment un irrationnel tout aussi
célèbre s’introduit naturellement dans un problème éminemment pratique : les
formats de papier DIN. Le principe de base de ce format de papier rectangulaire
est que, plié en deux le long du grand côté, il doit donner deux rectangles
(congruents bien sûr) semblables à celui de départ.
Soit R un rectangle de longueur L et de largeur l. On plie R en deux
parallèlement à sa largeur et on obtient deux rectangles égaux R′ . On veut que
R′ soit semblable à R. Comme l est la longueur de R′ et L2 sa largeur, il faut
donc que
L l
= ,
l L/2
2 √
c’est-à-dire que Ll = 2, soit Ll = 2 = 1, 414213562 . . ..
En pratique une feuile A4 mesure 297×210 mm, une feuille A5 210×148 mm,
une feuille A6 148 × 105 mm, . . . . Ainsi 297
210 = 1, 4142285714 . . ..
Les figures suivantes montrent comment construire géométriquement la lon-
gueur L d’un rectangle DIN à partir de sa largeur l.

2
2.2 Pythagore, son théorème et ses pythagoriciens
Cette construction se fonde sur le célèbre théorème de Pythagore reliant la
longueur c de l’hypothénuse d’un triangle rectangle aux longueurs a et b de
ses autres côtés :
c2 = a 2 + b 2 .
On ne sait pas si ce théorème est réellement dû à Pythagore, s’il en connaissait
seulement l’énoncé ou s’il en a donné une preuve. En voici une particulièrement
simple :

L’existence même de Pythagore, qui aurait vécu au VIe siècle avant Jésus-
Christ, serait né dans l’ı̂le grecque de Samos et serait mort à Crotone dans le
sud de l’Italie, n’est pas certaine.
Ce qui est certain est l’existence d’une école (ou d’une secte), les pythago-
riciens, se réclamant de son enseignement et de sa philosophie. Leur but était
d’expliquer le cosmos par des nombres entiers ou des rapports entre deux entiers
(nombres rationnels). Malheureusement, le théorème dit de Pythagore, dans sa
forme la plus simple contredit cette philosophie : le rapport de la diagonale d’un
carré à son côté ne peut pas s’écrire comme quotient de deux entiers. Quelque
trois cents ans plus tard, Euclide, dont nous reparlerons, en a donné une preuve
par l’absurde dont la beauté met tous les mathématiciens d’accord (à l’exception
des intuitionistes). Elle utilise le simple fait qu’un
√ entier est pair si et seulement
si son carré est pair. On suppose dont que 2 = m n , m étant premier avec n.
En conséquence, 2n2 = m2 , et m est pair, soit m = 2p pour un certain entier p.
Mais alors n2 = 2p2 , et n est pair, contredisant le fait que m et n sont premiers
entre eux.
Le signe de ralliement des pythagoriciens était le pentagramme ou pentacle,
c’est-à-dire le pentagone étoilé, version non convexe du pentagone régulier.

3
On pouvait donc espérer qu’ils l’avaient choisi parce que, contrairement au carré,
le rapport de sa diagonale à son côté était, lui, rationnel. On va voir qu’il n’en est
rien, en commençant par une digression liée à l’introduction d’un autre format
de papier que nous appellerons DOR.

2.3 Les maths du format DOR


Reprenons un rectangle R de longueur L et de largeur l et retirons cette fois de
R le carré de côté l. Quel doit être le rapport de L à l pour que le rectangle
restant R′ soit semblable à R ? Il faut donc que
L l
= ,
l L−l
c’est-à-dire que
L 1
= L
l l −1
ou encore
 2
L L
− − 1 = 0. (1)
l l
L
l doit être la racine positive de (1), c’est-à-dire

1+ 5
= 1, 618033989 . . . . (2)
2
Ce nombre est appelé aujourd’hui nombre d’or et noté τ ou Φ, ... en l’honneur
du sculpteur grec Phidias (?-431 av. JC). On verra plus loin √ pourquoi.
Un raisonnement analogue à celui fait plus haut pour 2 montre que Φ est
également irrationnel. Il vérifie l’équation du second degré

Φ2 − Φ − 1 = 0. (3)

Un rectangle dont le rapport de la longueur à la largeur est égal à Φ est appelé un


rectangle d’or. Incidemment, la relation (3) combinée au théorème de Pythagore
affirme encore que si les côtés d’un triangle rectangle forment une progression

4
√ √
géométrique 1, G, G de raison G pour un certain G > 1, alors G = Φ. Ce
résultat se trouve déjà dans une lettre de Johannes Kepler à son ancien
professeur Michael Mästlin datée de 1597. Un tel triangle s’appelle depuis
un triangle de Kepler.
Les figures suivantes fournissent la construction géométrique de la longueur
L d’un rectangle d’or à partir de sa largeur l.

2.4 Le best-seller des maths


La première apparition écrite de ce que nous appelons aujourd’hui le nombre
d’or se trouve dans les Éléments d’Euclide, mathématicien dont on sait peu
de chose si ce n’est qu’il vécut à Alexandrie au 3e siècle avant Jésus-Christ. Le
portrait suivant d’Euclide, comme tous les autres, est imaginaire.

Une construction géométrique de deux segments de rapport égal à Φ apparaı̂t


dans la Proposition 11 du Livre II des Éléments, qui propose de diviser une
ligne droite donnée de telle sorte que le rectangle contenu par le tout et un des

5
segments soit égal au carré du segment restant. Par ligne droite, il faut entendre
un segment de droite. Désignons sa longueur par L et par l la longueur du grand
segment dans la division demandée. L − l est alors la longueur du petit segment.
On veut avoir

L(L − l) = l2 (4)

c’est-à-dire  2  
L L
− − 1 = 0,
l l
L
et donc l = Φ. Comme (4) équivaut à

L l
= ,
l L−l
on voit que, dans cette construction, la longueur du segment donné est à celle du
grand morceau comme la longueur du grand morceau est à celle du petit. Pour
des raisons peu claires, Euclide nomme cette opération division du segment en
moyenne et extrême raison, ou plus brièvement section (Livre VI, Prop. 30).
Les figures suivantes donnent une construction géométrique de la division en
moyenne et extrême raison :

L’importance de cette construction pour Euclide est qu’elle constitue un


outil indispensable pour

6
• construire un triangle isocèle ayant chaque angle à la base double de l’angle
restant ou l’angle restant triple de chaque angle à la base (Livre IV, Propo-
sition 10). Ils apparaissent dans le pentagone régulier.

type A type B

• inscrire dans un cercle un pentagone régulier (Livre IV, Proposition 11)

• montrer que le côté c d’un pentagone régulier divise sa diagonale d en


moyenne et extrême raison (d/c = Φ)
• construire les deux derniers polyèdres réguliers (dodécaèdre et icosaèdre)
(Livre XIII, Prop. 1-5)

2.5 Pavages de Penrose


Nous avons mis en évidence plus haut deux triangles isocèles contenus dans un
pentagone régulier : les triangles de type A dont les angles ont pour mesures
respectives 36◦ , 72◦ , 72◦ et les triangles de type B dont les angles ont pour
mesures respectives 108◦ , 36◦ , 36◦ . On les appelle parfois triangles d’or car les
longueurs de leurs côtés sont respectivement proportionnelles à Φ−1 , Φ−1 , Φ−2
et à Φ−1 , Φ−1 , 1. En agençant deux de ces triangles de différentes manières ont
obtient les polygones représentés ci-dessous

7
Roger Penrose a montré en 1974 qu’on pouvait paver le plan avec des
losanges de type I et de type II, ainsi qu’avec des flèches et des cerfs-volants.

Penrose a également montré que ces pavages n’étaient pas périodiques, mais
presque périodiques, et que, sur des aires de plus en plus grandes, le rapport
entre le nombre de cerf-volants et le nombre de flèches, ou entre le nombre de
losanges de type II et de losanges de type I, tend vers Φ.

La version tri-dimensionnelle de ces pavages est indispensable à l’étude des


quasi-cristaux récemment découverts en physique. Il est intéressant de signaler
que des motifs impliquant des pentagones apparaissent déjà sur les murs de
l’Alhambra à Grenade.

2.6 Nombre d’or, origami et “trigonor”


Les techniques d’origami permettent de construire un rectangle d’or à partir
d’un carré. On procède comme suit :

8
La justification n’utilise qu’un peu de trigonométrie :

1
Dans la figure ci-dessus, il faut prouver que x = Φ. On a

1 α x
tan α = = 2, tan = = x.
1/2 2 1

On sait que
2 tan α2
tan α = .
1 − tan2 α2
Par conséquent
2x
2= ou x2 + x − 1 = 0,
1 − x2

−1+ 5
d’où l’on tire x = 2 , c’est-à-dire

1 2 1+ 5
= √ = .
x −1 + 5 2

9
2.7 L’algèbre “linéaire” de Φ
L’équation (3) peut encore s’écrire

1 = Φ2 − Φ

et permet d’exprimer Φ−1 comme fonction affine de Φ :


1
= Φ − 1 = 0, 618033989 . . . .
Φ
Elle donne également les puissances de Φ comme fonctions affines de Φ :

Φ2 =Φ+1
Φ3 = Φ(Φ + 1) = Φ2 + Φ = 2Φ + 1
Φ4 = Φ(2Φ + 1) = 2Φ2 + Φ = 3Φ + 2
Φ5 = Φ(3Φ + 2) = 3Φ2 + 2Φ = 5Φ + 3
Φ6 = Φ(5Φ + 3) = 5Φ2 + 3Φ = 8Φ + 5

D’une manière générale, si on suppose que

Φn = Fn Φ + Gn ,

alors

Φn+1 = Fn+1 Φ + Gn+1 = Φ(Fn Φ + Gn )


= Fn (Φ + 1) + Gn Φ = (Fn + Gn )Φ + Fn ,

ce qui fournit, par identification, les relations

Fn+1 = Fn + Gn , Gn+1 = Fn (n ≥ 1), F1 = 1, G1 = 0. (5)

On obtient ainsi le tablear suivant




 Fn Gn
n=1 1 0




n =2 1 1




n=3 2 1


 n=4 3 2
n=5 5 3




n=6 8 5




n=7 13 8

Les relations (5) entraı̂nent également

Fn+2 = Fn+1 + Fn (n ≥ 0), F1 = 1, F2 = 1, (6)

montrant que chaque terme de la suite des Fn s’obtient, à partir des deux
premiers 1 et 1, comme somme des deux précédents. Nous allons voir que cette
suite est apparue très tôt en mathématiques, dans un contexte différent, et
possède d’autres liens intéressants avec le nombre d’or.

10
3 Les suites de la vie
3.1 Les lapins : un business en or
En 1202, le mathématicien Leonardo da Pisa ou Fibonacci (1180-1250),

dont on peut voir la statue au Cimetière monumental de Pise, publie un im-


portant ouvrage d’arithmétique et d’algèbre intitulé Liber abaci. Un problème
proposé au chapitre 12, qui peut être considéré comme le premier modèle ma-
thématique en démographie, s’énonce comme suit : trouver le nombre de couples
de lapins engendrés en une année, si on suppose qu’un couple
1. engendre un autre couple par mois
2. n’engendre qu’à partir du second mois suivant sa naissance.
Un calcul immédiat fondé sur les deux règles précédentes fournit les premiers
résultats suivants :
• mois 1 : 1 couple
• mois 2 : 1 couple
• mois 3 : 1 couple + 1 couple = 2 couples
• mois 4 : 2 couples + 1 couple = 3 couples
• mois 5 : 3 couples + 2 couples = 5 couples.
D’une manière générale, à un mois donné, le nombre de couples vaut le nombre
de couples du mois précédent augmenté du nombre de nouveaux couples, qui
est égal, en vertu des règles 1 et 2 ci-dessus, au nombre des couples deux mois
avant. Dès lors, si Fn désigne le nombre de couples au ne mois, on a

Fn = Fn−1 + Fn−2 (n ≥ 3), F1 = F2 = 1 (7)

qui n’est rien d’autre que la suite (6). Ses premiers termes sont donnés explicite-
ment par

1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89, 144, 233, 377, . . . ,

et on l’appelle la suite de Fibonacci.

11
3.2 Phyllotaxie
Le modèle de Fibonacci est fondé sur des hypothèses simplificatrices assez éloi-
gnées du mode de reproduction réel des lapins : ils sont éternels et infatigables.
Mais des termes de la suite de Fibonacci se présentent dans l’observation de
phénomènes du monde vivant. Dans une pomme de pin

on constate que les écailles s’alignent sur 8 spirales orientées à droite et 13


spirales orientées à gauche. Il est est de même pour les éléments formant le
coeur d’une marguerite.
De telles spirales apparaissent dans de nombreux végétaux et les botanistes
les ont baptisées parastiches. L’observation montre, dans 92% des cas, deux
familles contenant un nombre de spirales égal à deux termes consécutifs de la
suite de Fibonacci. Cette partie de la botanique, qui s’occupe également de la
disposition des feuilles le long d’une tige, s’appelle la phyllotaxie, du grec phyllos
signifiant feuille, et taxis signifiant arrangement.

Une tentative d’explication de ce phénomène est donnée par des lois énoncées
par le botaniste allemand Wilhelm Hofmeister en 1868, et précisées par les
physiciens français Stéphane Douady et Yves Couder en 1991 :
1. dans un bourgeon, les unités botaniques (primordias) se forment une par
une dans l’endroit le moins peuplé autour d’un méristème circulaire
2. les primordias s’éloignent radialement du centre lorsqu’ils croissent.

Afin de montrer que ces phénomènes n’ont pas une origine biologique, Doua-
dy et Couder ont procédé à l’expérience suivante. Des gouttes d’un ferro-fluide

12
sont utilisées pour simuler les primordias. Elles tombent avec une périodicité
réglable au centre d’une coupelle retournée en teflon, soumise au champ ma-
gnétique vertical créé par des électro-aimants entourant la coupelle. Les dipôles
magnétiques formés par les gouttes sont dirigés radialement vers l’extérieur du
disque avec une vitesse V par le gradient du champ magnétique crée par les
électro-aimants. Les gouttes tombent finalement dans un réservoir situé à la
périphérie, pour éviter une accumulation. Les figures qui suivent sont extraites
des Physical Review Letters, 68 (1992), p.2098 et 2099.

Selon les valeurs des paramètres du dispositif, les gouttes de disposent en


ligne droite, sur une spirale, ou sur deux familles de spirales constituées, par
exemple, de 5 et 8 spirales.

4 Faire de l’or avec des 1


4.1 Une troublante convergence
Revenons à la suite de Fibonacci (7) et calculons les quotient de deux élements
successifs. On trouve
F2 1
F1 = 1 = 1
F3 2
F2 = 1 = 2
F4 3
F3 = 2 = 1, 5
F5 5
F4 = 3 = 1, 666 . . .
F6 8
F5 = 5 = 1, 6
F7 13
F6 = 8 = 1, 625
F8 21
F7 = 13 = 1, 615384615 . . .
F9 34
F8 = 21 = 1, 619047619 . . .
F10 55
F9 = 34 = 1, 617647059 . . .

Il semble donc que ces quotients se rapprochent indéfiniment de Φ, un résultat


annoncé dans une annotation à une copie de l’édition de 1504 des Éléments

13
d’Euclide par Luca Pacioli, dont nous reparlerons, dans une lettre de 1606
de Kepler, et dans une publication posthume d’Albert Girard (1634), avant
d’être précisé par Robert Simson en 1753.
On a, en vertu de (7),

Fn+1 Fn−1 1
=1+ =1+ Fn
(n = 2, . . .)
Fn Fn Fn−1

Fn+1
ou encore, en posant wn = Fn ,

1
wn = 1 + (n = 2, 3, . . .), w1 = 1. (8)
wn−1

En conséquence, wn−1 ≥ 1 ⇒ wn ≥ 1 et donc wn ≥ 1 pour tout n ≥ 1. D’autre


part, si (wn )n≥1 converge, disons vers w, on a nécessairement, en passant à la
limite dans (8),
1
w =1+ ,
w
c’est-à-dire
w2 = w + 1,
et donc w = Φ. Enfin, Φ est bien la limite de (wn )n≥1 , puisque, pour tout n ≥ 1

1 1 |Φ − wn−1 |
|wn − Φ| = − =
wn−1 Φ wn−1 Φ
|wn−1 − Φ| |wn−2 − Φ| |w1 − Φ|
≤ ≤ 2
≤ ... ≤
Φ Φ Φn−1
1
= ,
Φn
et que le dernier terme tend vers 0 si n → ∞.

4.2 Des fractions en abı̂me


Les relations (8) entraı̂nent également
1 1 1
wn = 1 + =1+ 1 =1+ 1 = ...,
wn−1 1 + wn−2 1 + 1+ 1
wn−3

ce qui permet d’écrire Φ sous forme de la fraction continue


1
Φ=1+ 1 .
1+ 1
1+ 1+...

Les fractions continues, trop peu étudiées aujourd’hui au niveau élémentaire,


sont des limites de quotients au même titre que les séries sont des limites de

14
sommes dont le nombre de termes augmente indéfiniment. Si a ∈ R, et [a]
désigne la partie entière de a, on peut écrire
1 1 1
a = [a] + = [a] + 1 = [a] + 1 = ....
a1 [a1 ] + a2 [a1 ] + [a2 ]+ a1
3

On s’arrête si l’un des aj est entier, ce qui arrive si et seulement si a est rationnel.
Sinon on continue indéfiniment et on écrit
1
a = [a] + 1 , (9)
[a1 ] + [a2 ]+ [a 1
3 ]+...

ou, plus simplement mais de manière moins suggestive

a = [[a], [a1 ], [a2 ], [a3 ], . . .].

On associe ainsi à tout réel a une unique suite d’entiers [a], [a1 ], [a2 ], [a3 ], . . . ,
finie si et seulement si a est rationnel. C’est le développement de a en fraction
continue. On peut démontrer que chaque rationnel
1
An := [a] + 1
[a1 ] + [a2 ]+ 1
[a3 ]+...+ 1
[an ]

constitue la meilleure approximation rationnelle de a par rapport aux fractions


rationnelles de dénominateur égal ou plus petit, et que Φ est l’irrationnel qui
se laisse approcher le plus mal par des rationnels. On peut donc le qualififier
d’irrationnel le plus
√ irrascible.
Pour écrire 2 en fraction continue, il suffit de noter qu’il est défini par
l’équation √ √
( 2 − 1)( 2 + 1) = 1,
qui donne
√ 1 1 1
2−1 = √ = √ =
2+1 2 + ( 2 − 1) 2+ √1
2+( 2−1)
1
= 1 ...,
2+ 2+ 2+(√12−1)

et dès lors
√ 1
2=1+ 1 .
2+ 2+ 1
2+ 1
2+...

En conséquence,
√ √
2 = [1, 2, 2, 2, . . .], 2 + 1 = [2, 2, 2, 2, . . .].

15
Φ est l’unique réel dont le développement en fraction continue s’écrit unique-
ment avec des 1. On peut l’écrire autrement rien qu’avec des 1 en notant que
l’équation (3) donne également
√ √
q
Φ = 1+Φ = 1+ 1+Φ
s r

q
= . . . = 1 + 1 + 1 + 1 + . . ..

4.3 Trouver Fn à partir de Φ


Jusqu’à présent, nous avons obtenu Φ à partir de la suite de Fibonacci (Fn ).
Nous allons voir que, réciproquement en quelque sorte, la connaissance de Φ
permet de calculer le ne terme Fn de la suite de Fibonacci sans connaı̂tre les
précédents. C’est un petit exercice d’algèbre linéaire. Essayons de trouver Fn
sous la forme Fn = an pour un certain réel a. On doit avoir, en vertu de (7),
an = an−1 + an−2 ,
c’est-à-dire
a2 = a + 1.
Les racines de cette équation sont
1
a1 = Φ, a2 = − = (−Φ)−1 ,
Φ
mais Φ1 = Φ 6= 1, (−Φ)−1 6= 1, et aucune d’entre elles ne vérifie la condition
F1 = 1. Par la linéarité de la relation (7), il est facile de voir que, quels que
soient les réels A et B,
Fn = AΦn + B(−Φ)−n
vérifie la relation (7). En écrivant que F1 = F2 = 1, on obtient le système
linéaire en (A, B)
AΦ − BΦ−1 = 1, AΦ2 + BΦ−2 = 1,
qui détermine A et B et donne
1 
Fn = √ Φn − (−Φ)−n

(n ≥ 1),
5
une formule attribuée à Jacques Binet (1843), mais qui est peut-être plus
ancienne.

5 Usages irrationnels d’un nombre irrationnel


5.1 Un moine voyageur et exalté
Luca Pacioli ou Luca di Borgo (1445-1514 ?) est un frère mineur qui a
enseigné les mathématiques à Venise, Zara, Pérouse, Naples, Milan, Florence,
Rome.

16
A côté d’autres ouvrages, il a publié en 1509 la Divina Proportione, essentielle-
ment consacrée à Φ, qu’il baptise divine proportion.

L’ouvrage est illustré par un de ses amis qui s’appelle Léonardo da Vinci !
Si le sujet du livre est sérieux, son style est pour le moins dithyrambique.
Pacioli divise son ouvrage en treize effets : considérable, essentiel, singulier,
ineffable, admirable, inexprimable, inestimable, excessif, des plus excellents,
incomparable, des plus distingués, au lieu de parler de chapitres. Par exemple,
le septième effet expose la propriété du décagone régulier de côté 1 d’être inscrit
à un cercle de rayon Φ; le neuvième effet prouve que deux diagonales sécantes
d’un pentagone régulier se divisent en moyenne et extrême raison; le douzième
effet décrit la construction de l’icosaèdre à partir de la division en moyenne et
extrême raison. On ne s’écarte guère d’Euclide, si ce n’est par le style.

5.2 La “théorlogie” de Pacioli


Une autre différence par rapport à Euclide est une audacieuce interprétation
théologique de la divine proportion, qui explique sans doute le nom que lui a
donné Pacioli. Il écrit en effet que la divine proportion est

très suave, subtile et admirable, unique comme Dieu, irrationnelle à l’i-


mage de l’incompréhensibilité de Dieu, et qu’elle régit – comme la Sainte
Trinité – une relation entre trois termes et, comme Dieu, reste semblable
à elle-même.

Pacioli a même une justification biblique du nombre de ses effets puisque

17
pour notre salut, la liste des effets doit se terminer, car ils étaient treize
à table à la dernière cène.

On peut donc attribuer à Pacioli les premiers développements du nombre d’or


étrangers aux mathématiques.
On notera que le livre Divine Proportion traite aussi d’architecture (à la
Vitruve) et de peinture (à la Piero della Francesca), mais que cette
partie ne fait aucune référence à la divine proportion, ce qui peut surprendre, à
la lumière de ce qui va suivre. Il n’y a non plus aucune mention d’un possible
lien entre la divine proportion et la suite de Fibonacci, introduite trois cents
ans auparavant par son concitoyen.

5.3 L’or d’Outre-Rhin


Il faut attendre plus de trois cents ans après Pacioli pour voir renaı̂tre, en
Allemagne principalement, un intérêt pour le nombre d’or et approfondier ses
liens avec l’art, la biologie et la psychologie. Au milieu du XIXe siècle paraı̂t (en
allemand et avec un titre digne de la précision d’Outre-Rhin) l’ouvrage intitulé
Un exposé d’une théorie nouvelle des proportions du corps humain, fondée sur
une loi morphologique fondamentale inédite qui sous-tend la nature et l’art, ainsi
qu’une description comparative complète des systèmes précédents, du professeur
de philosophie Adolf Zeising. On y lit ce qui suit :

“Loi esthétique des proportions” ou, brièvement, “loi des proportions”:


[...] [les deux parties du segment] seront appelées la plus grande et la plus
petite, ou la majeure et la mineure. Par suite du rôle que la majeure joue
dans la proportion, au tout d’une part et à la mineur de l’autre, la majeure
sera appelée “le terme milieu” ou la “médiane”. Les mathématiciens ap-
pellent la proportion dont nous parlons “division en extrême et moyenne
raison” ou la section d’or.

C’est en Allemagne que l’esthétique se développe comme discipline distincte et il


n’est pas étonnant qu’une analyse semblable, mais plus brève, avait été publiée
un an plus tôt par Friedrich Röber. Par ailleurs, le terme section d’or se
trouve déjà dans une édition de 1835 du traité Die reine elementar-Mathematik
de Martin Ohm.
Tout cela est développé, en 1884, dans la publication posthume Der Gold-
ene Schnitt (La section d’or) de Zeising, qui traque la présence de Φ dans le
corps humain, la structure de nombreux animaux ou plantes, les harmonies des
meilleurs accords musicaux, les proportions des chefs d’oeuvres en architecture,
peinture et sculpture.
Zeising relate aussi les expériences de 1876 du psychologe Gustav Fech-
ner, selon lesquelles le rectangle d’or serait le plus esthétique des rectangles.
Ces expériences ont été refaites en 1992 par George Markowsky, et leur
résultat contesté.

18
5.4 Un peu d’“orchitecture”
Parmi les nombreuses affirmations liant le nombre d’or à l’architecture, on trouve
que, dans la pyramide de Kheops, le rapport de la hauteur à la demi-base serait
égal à Φ,

tandis que dans le Parthénon, on aurait les relations (voir figure ci-dessus)

|DC|/|DE| = |GF |/|GI| = Φ.

C’est l’origine du rapprochement entre Phidias et le nombre d’or matérialisé


par la notation Φ. La vérification de ces affirmations est évidemment difficile, car
les mesures des quantités qui interviennent sont souvent périlleuses et toujours
approximatives, et, comme nous l’avons vu, il est difficile de distinguer, aux
approximations faites, Φ de 8/5, 13/8 ou 21/13 !
On ignore si les liens entre ces monuments antiques, ainsi qu’entre les cathé-
drales médiévales, et la section d’or ont été voulues ou non par leurs architectes
pour des raisons esthétiques ou autres, mais, plus récemment, des bâtiments ont
été construits intentionnellement en utilisant le nombre d’or. Il en est ainsi de
l’Hôtel Le Brun, 49, rue Cardinal Lemoine, à Paris Ve , qui date de 1701.

Mais, surtout, le nombre d’or a inspiré les constructions et la philosophie


du grand architecte français Le Corbusier. Par exemple, dans son plan de
maison

19
il impose que (voir figure)
|AE|/|AC| = |CE|/|DE| = |BD|/|BC| = |BC|/|BF | = Φ,
tandis que dans son célèbre Modulor de 1947,

on observe que
226/140, 183/113, 140/86, 113/70, 70/43, 43/27 ≃ Φ.

5.5 De l’or en peinture ?


Selon nos auteurs allemands du XIXe siècle et leurs disciples, les peintres ne
seraient pas en reste dans l’usage intentionnel du nombre d’or pour composer
leurs tableaux, de Botticelli à Seurat, en passant par Leonardo da Vinci,
Poussin, Monet, Cézanne,....

De nouveau, on doit reconnaı̂tre un certain arbitraire, et même un arbitraire


certain, dans la prise des mesures et leur précision, et ces peintres n’ont laissé
aucun document quant à la nature inconsciente ou intentionnelle de la présence
éventuelle du nombre d’or dans leur oeuvre. Une analyse magistrale est faite
dans l’ouvrage de Marguerite Neveux mentionné dans la bibliographie. Elle
conclut avec pertinence :
Ainsi, de quelque côté que l’on se tourne, le nombre d’or pourrait être
défini comme le fantasme d’une création parfaite, fantasme permanent,
tenace, qui se retrouve sous toutes sortes de formes et procure l’illusion
d’être possesseur des secrets de la création.

20
Mais, comme en architecture, on rencontre des peintres intentionnellement
“Phiphiles”, comme Dali dans sa Demi-tasse géante volante, avec annexe in-
explicable de cinq mètres de longueur datant de la première moitié des années
1930,

ou, plus récemment, le peintre belge Van, qui s’inspire clairement de l’approximation
8/5.

5.6 La face noire du nombre d’or


La tradition pythagoricienne, et en particulier son mysticisme du nombre, a été
transmise et enrichie au cours des siècles par les compagnons maçoniques, les
rose-croix, les alchimistes, les kaballistes, et bien d’autres sociétés secrètes. Elle
fut exaltée dans les années 1930 par le prince, ingénieur et diplomate roumain
Matila Ghyka (1881-1965),

à qui l’on doit l’introduction du terme nombre d’or pour Φ. Il a écrit une
série d’ouvrages à succès intitulés L’esthétique des proportions dans la nature
et dans les arts (1927), Le nombre d’or : rites et rythmes pythagoriciens dans
le développement de la civilisation occidentale (1931), The geometry of art and
life (1946), Philosophie et mystique du nombre (1952), plusieurs fois réédités,
qui ont joué un grand rôle dans la diffusion du nombre d’or en dehors des mi-
lieux mathématiques. Ces livres sont très documentés, mais contiennent de
nombreuses affirmations scientifiquement ou historiquement discutables.
On ne s’étonnera pas que Φ soit également présent dans le recent best-seller
Da Vinci Code !

21
Mais l’anthologie des délires dorés est probablement le petit ouvrage Le nom-
bre d’or à la portée de tous, publié en 1946 par Dom Neroman (un pseudonyme
de l’ingénieur Maurice Rougie !), malheureusement réédité en 1995. On y
trouve de séduisantes mais fausses égalités reliant Φ à ces célèbres confrères π
et e, par exemple
6 2
Φ = π,
5
ce qui n’est vrai que jusqu’à la troisième décimale, et
6 1
(8Φ + 3) = e + ,
31 e
ce qui n’est vrai que jusqu’à la deuxième décimale. Entre parenthèses, les rela-
tions suivantes entre π et Φ
π Φ Φ
cos = ou π = 5 arccos
5 2 2
et entre π et la suite de Fibonacci
s
6 log(F1 · F2 · . . . · Fn )
π = lim
n→∞ log ppcm {F1 , F2 , . . . , Fn }
sont, elles, exactes, mais ne sont pas dans Neroman. La deuxième formule,
due à Matiyasevitch (1983), est trop récente, et probablement trop savante,
pour y figurer.
On trouve aussi aussi chez Neroman des affirmations surprenantes, comme
:
Le nombre d’or est à la fois irrationnel et entier, [...] un peu comme une
corde est muette ou sonore selon qu’elle est immobile ou animée d’un
mouvement vibratoire
ou encore
s’il existe une race dont le nombril est trop bas pour la grande majorité
des individus, cette race n’a pas encore atteint l’âge de sa maturité.
Cette dernière phrase, teintée de racisme primaire, est liée à une affirmation
prétendant que le canon de la beauté du corps humain impose un rapport entre
la taille T et l’altitude H du nombril égal au nombre d’or ! Des statistiques ont
été faites, avec les résultats suivants. En mesurant 207 étudiants de Münster,
on a trouvé
T /H Φ
filles 1, 615 1, 618
garçons 1, 618 1, 618
tous 1, 618 1, 618
tandis qu’en mesurant 252 étudiants étudiants de Calcutta, on a obtenu :
T /H Φ
tous 1, 615 1, 618
Voilà de quoi occuper un week-end pluvieux en famille ou entre amis !

22
6 Conclusions
Pour conclure, le nombre d’or joue un rôle important dans diverses parties des
mathématiques (géométrie, théorie des nombres, logique, algèbre, analyse, frac-
tals, systèmes dynamiques, équations aux dérivées partielles...), et nous sommes
loin de les avoir analysées toutes. Il fournit de nombreux et excellents exemples
de belles mathématiques.
Le nombre d’or joue également un rôle fondamental dans la modélisation des
phénomènes d’évolution en temps discret apparaissant dans la nature, le modèle
le plus simple étant la suite de Fibonacci.
Si les élucubrations numérologiques, philosophiques, esthétiques ou occultes
fondées sur le nombre d’or lui apportent une incontestable conotation humaine,
elles sont souvent à prendre cum grano salis.
Enfin, si la beauté reste difficile à définir mathématiquement, la beauté des
mathématiques, tout aussi difficile à définir, n’a pas cessé et ne cessera pas de
motiver les mathématiciens et les amoureux des mathématiques.

7 Quelques références en or
• M. Cleyet-Michaud, Le nombre d’or, Que sais-je ?, PUF, 1978
• S. Douady, Y. Couder, La physique des spirales végétales, La Recherche
vol. 24, No. 250, janvier 1993, 26-35
• H. Guillemot, Les spirales aspirées par le nombre d’or, Science & Vie
No. 920, mai 1994, 48-55
• M. Livio, The Golden Ratio, Broadway Books, 2003
• G. Markowsky, Misconceptions about the Golden Ratio, College Math-
ematical Journal vol. 23 (1992), 2-19

• J. Mawhin, Au carrefour des mathématiques, de la nature, de l’art et de


l’ésotérisme : le nombre d’or, Revue des Questions Scientifiques vol. 169
(1998), 145-178
• M. Neveu, H.E. Huntley, Le nombre d’or, Points Sciences, Seuil, 1995
• H. Walser, The Golden Section, Math. Association of America, 2001

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