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«Avec le cas Gérard Miller, la gauche morale découvre la différence entre la parole et les actes» 06.03.

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«Avec le cas Gérard Miller, la gauche morale
découvre la différence entre la parole et les
actes»
Par Pierre-Thomas Eckert
Publié il y a 3 heures

Pierre-Thomas Eckert. Fabien Clairefond

TRIBUNE - Après les révélations ciblant le psychanalyste, une


partie de la gauche s’est étonnée de voir un homme tenant des
discours féministes accusé de viol, oubliant au passage que
comportements violents et discours sont deux choses
parfaitement distinctes, analyse Pierre-Thomas Eckert, doctorant
en philosophie.

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Pierre-Thomas Eckert est doctorant en philosophie morale à l’Université


européenne de Rome.

« Si même les alliés s’avèrent être des agresseurs potentiels, sur qui
s’appuyer ? On ne peut compter sur aucun homme. » Ce cri du cœur de
Sandrine Rousseau dans les colonnes du magazine Elle intervenait en
réaction à la gravité des accusations qui pèsent actuellement sur Gérard
Miller. Interrogée sur le plateau de « C à vous », Clémentine Autain admettait
partager ce sentiment d’indignation, et appelait à une réponse forte : « Ce
qu’on attend, c’est un discours politique. » En effet, le viol, pour la gauche
morale, est une mise en lumière de « notre propre rapport au pouvoir ».
Seule une politisation du phénomène peut créer un environnement sûr pour
les femmes.

Analyser cette séquence en termes de « discours », de « politisation » et de


« pouvoir », comme le font Autain et Rousseau, est une grave erreur. Voyons
pourquoi.

Pour Autain et Rousseau, l’action est la manifestation ou l’actualisation du


discours. Le discours a une forte dimension performative : si je tiens des
propos « problématiques », je suis une personne « problématique ». Il peut y
avoir un peu de latence entre le discours et l’acte, mais l’acte sera toujours
attendu au tournant : d’où le « continuum de violence » entre blagues
sexistes et viols ou la « pente glissante » entre discours anti-immigration et
nazisme. Si votre discours est moins féministe que celui de Gérard Miller,
alors c’est non seulement que vous vous faites une représentation des
femmes très « problématique », mais c’est surtout que vous êtes
potentiellement au seuil du passage à l’acte.

Le problème de cette thèse est tout simplement qu’elle est fausse. Comme le
rappelle la grande philosophe G. E. M. Anscombe, l’intention (de faire le bien
ou le mal) n’est pas un discours tenu par l’agent : c’est un élément immanent
à l’action elle-même. Et l’action est elle-même la manifestation du caractère

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d’une personne, c’est-à-dire l’exercice (ou non) des vertus de caractère. On


peut donc dire d’une personne qu’elle se comporte bien ou mal en faisant
abstraction de ses discours et de ses représentations : ce qui importe, c’est
le fait de manifester les vertus, c’est-à-dire les dispositions stables à
exécuter la bonne action au bon moment grâce à la mobilisation adéquate
des émotions. Le caractère et les vertus ne sont pas des concepts
performatifs, et c’est d’ailleurs assez intuitif : crier à tue-tête « je suis
courageux » n’a jamais eu d’effet notable sur la bonne conduite face au
danger.

On voit bien que la gauche morale n'est


pas vraiment le camp de la morale: c'est
surtout le camp d'une vision morale
périmée.

C’est aussi ce que confirment nombre de recherches empiriques en


psychologie morale : le caractère et les vertus sont un bien meilleur
indicateur de la moralité d’un agent que les discours et les règles auxquels il
prétend ou croit adhérer. Le souci est que le concept de vertu est
inaccessible à la gauche morale à cause du subjectivisme relativiste qui y est
dominant. Dans ce paradigme, il est impossible de qualifier une émotion
d’inappropriée ou de faire appel à des standards impersonnels de bonne
conduite. En effet, les interactions entre individus et groupes ne sont régies
que par des rapports de pouvoir diversement calibrés : toute prétention à une
moralité objective n’est qu’une imposition de pouvoir. En appeler aux vertus,
c’est imposer son pouvoir.

Ce qui est comique, c’est que le concept de vertu désigne exactement


l’inverse. En effet, la vertu est un pouvoir (virtus)… mais sur soi-même. La
problématique morale fondamentale n’est donc pas tant la juste distribution
de pouvoir entre individus et groupes rivaux que l’exercice du pouvoir des
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êtres humains sur eux-mêmes, et la façon dont les sociétés s’y prennent
pour les y inciter. Dans toutes les sociétés, une minorité stable d’hommes
violent parce qu’ils n’arrivent pas à retenir leurs pulsions sexuelles dans des
situations où l’inhibition morale est basse et le stimulus physique élevé. Le
pouvoir ne corrompt pas en tant que tel : il sert plutôt de moyen à la minorité
d’hommes déjà vicieux, qui n’ont aucun pouvoir sur leurs pulsions.

Le viol est donc un problème concret de caractère défectueux et non une


volonté abstraite d’anéantir l’autre. Les faits qui sont reprochés à Gérard
Miller respectent parfaitement la règle : il privilégierait les jeunes femmes de
moins de 23 ans, dans des contextes où l’inhibition morale était très faible,
sans pour autant élaborer de stratégie d’accroissement de son « pouvoir ».
Le pouvoir (prestige, aisance orale, hypnose, etc.) servirait de moyen au
sexe, et pas l’inverse.

Pour répondre politiquement à de tels cas, trois types de solutions sont


envisageables : 1) élever l’inhibition morale des hommes ; 2) réduire les
situations où les femmes se trouvent à portée des prédateurs ; ou 3) éliminer
le potentiel de nuisance des individus violents. Une solution cohérente
jouerait sur les trois tableaux. Mais, pour un tenant de la gauche morale, ces
solutions sont toutes inacceptables. Élever l’inhibition morale est
inacceptable pour les raisons évoquées plus haut : mais à partir de quels
standards critiquer l’agresseur présumé quand il « fait son marché » sous
nos yeux ?

Quoi qu’en dise Clémentine Autain,


l’affaire Gérard Miller n’interroge pas
vraiment notre « rapport au pouvoir » ou
nos « représentations » : elle interroge
plutôt le caractère vicié des hommes
moralisateurs, la faillite théorique de la
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gauche morale pour en rendre compte et


l’inadéquation de notre réponse pénale.

La deuxième solution préconiserait une forme de ségrégation sexuelle de


l’espace public (trottoirs 100 % féminins ?) ou un retour à une prudence
réactionnaire : ne pas rentrer seule le soir, etc. Inacceptable dans les deux
cas.

Reste alors la répression pénale ; mais le féminisme radical ne réclame-t-il


pas l’abolition des prisons ? La prison ne résout rien, il faut s’attaquer aux
racines sociales du sexisme : les « discours » et les « représentations ».

On tourne en rond. On voit bien que la gauche morale n’est pas vraiment le
camp de la morale : c’est surtout le camp d’une vision morale périmée. Quoi
qu’en dise Clémentine Autain, l’affaire Gérard Miller n’interroge pas vraiment
notre « rapport au pouvoir » ou nos « représentations » : elle interroge plutôt
le caractère vicié de certains hommes moralisateurs, la faillite théorique de la
gauche morale pour en rendre compte et l’inadéquation de notre réponse
pénale.

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