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THEME 2 : HISTOIRE ET MEMOIRE

INTRODUCTION
Les conflits, leur déroulement, leurs enjeux, leurs conséquences, laissent des
traces vivantes dans les mémoires des populations qui peuvent être marquées par
la poursuite de tensions, de conflictualités ou au contraire par le déni et le
refoulement. Les Etats développent des politiques mémorielles qui obéissent
toujours à des agendas politiques du présent, tandis que les historiens
construisent de façon scientifique, une reconstitution du passé. Les témoins
participent à l’écriture de l’Histoire mais sont porteurs de mémoires multiples qui
attendent reconnaissance.
La Justice se saisit des crimes de masse et des génocides pour établir à
différentes échelles les responsabilités des acteurs et en cela honore les
Mémoires. Histoire et mémoire ne sont pas des notions identiques mais
complémentaires (I) En France la question des responsabilités du déclenchement
de la Première Guerre mondiale et la mémoire de la Guerre d’Algérie soulèvent
encore des débats vifs II). La justice organise à différentes échelles des
sanctions et des réparations, les tribunaux Gacaca au Rwanda et le TPIY en Ex
Yougoslavie. L’Histoire et les mémoires du Génocide Juif et Tsigane s’est affirmée
par étapes depuis les témoignages des survivants. La mobilisation de différents
acteurs étatiques, associations et artistes a permis l’écriture de ces mémoires et
la visibilité de l’indicible sous différentes formes

AXE 1 : Histoire et mémoire des conflits

I. Histoire et mémoire : deux notions distinctes


et complémentaires

A. Deux notions différentes : essai de définition

La mémoire et l’histoire ont en commun de travailler sur le temps passé, révolu.


La mémoire c’est le vécu tel qu’on se le remémore. Ce qui la définit est qu’elle est
chargée en émotion et elle est l’objet de déformation, d’évolution. La mémoire
est une modalité d’accès au passé qui suppose des phases d’oubli, d’amnésie, et
des processus de revitalisation mais en fonction du présent. Elle est un rapport
subjectif au passé qui procède par la sélection d’événements. Elle est soit
individuelle, soit collective et permet de forger une identité en perpétuant une
certaine vision du passé. Une mémoire s’écrit toujours au présent qui conditionne
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sa mise en récit. L’Histoire est une reconstitution du passé, par nature incomplète
de ce qui n’est plus. C’est une construction qui s’élabore avec et contre la mémoire
en adoptant une méthode d’analyse critique, de croisement des sources et des
données pour s’approcher au plus près de ce qui a été.

B. Il existe une tension entre histoire et mémoire du témoin.


La mémoire et l’histoire s’entrecroisent quand il existe des témoins vivants qui
proposent notamment des sources orales aux historiens. Le témoin est alors
essentiel et en même temps insuffisant pour l’historien. En effet, le témoin est
celui que le temps a mué en témoin et n’est plus un acteur du passé vécu mais
révolu. Quand il repart en arrière c’est lui en quelqu’un d’autre qu’il voit. La
méthode historique permet de mettre à distance les enjeux affectifs d’un passé
et il peut donc y avoir compétition entre histoire et mémoire. D’un côté l’historien
cherche la plus grande proximité avec le fait passé quand le témoin recherche la
fidélité à ses souvenirs. Des attentes fortes de mémoire meurtries peuvent même
exercer des pressions sur le travail des historiens et ces demandes de
reconnaissance légitimes ne sont toutefois pas toujours compatibles avec les
critères de la recherche historique. Ce sont souvent des enjeux identitaires
forts qui président à ces revendications mémorielles parfois concurrentielles.

C. Les Etats eux aussi développent leur propre politique mémorielle


en fonction d’agendas qui leur sont propres
Les Etats ont tous des politiques mémorielles qui sont des formes de
reconnaissance par la Nation de certains événements qui ont touché des groupes
humains et qui sont appropriés par une mémoire collective pour cimenter une
appartenance à des valeurs communes. Ces politiques mémorielles étatiques se
manifestent de différentes manières : jours fériés, noms de rues, monuments, et
instauration de commémorations officielles qui honorent le « devoir de
mémoire » notion née dans les années 1990. Ainsi les parlements sont amenés à
légiférer par les « lois de mémoire » qui installent des points de vue officiels sur
des faits historiques comme, en France, la loi Gayssot du 13 juillet 1990
« contre la négation du génocide juif », celle du 22 janvier 2001 sur la
reconnaissance du Génocide arménien ou encore du 21 mai 2001, dite Loi Taubira
qui caractérise la Traite et l’esclavage de « crime contre l’humanité ».

Ces interventions des politiques soulèvent des débats dans la communauté des
historiens qui redoutent des ingérences dans la liberté de leur recherche et
l’écriture d’une « histoire officielle ». Ainsi s’est constitué le CVUH , le Comité
de Vigilance face aux usages publics de l’Histoire en 2005 en réaction à la loi du

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23 février 2005 dont l'article 4 insistait sur les "effets positifs de la
colonisation" et en prescrivait l'enseignement.

la loi du 23 février 2005 dite « loi Mékachéra ».


La loi n° 2005-158 du 23 février 2005 est à l’origine une loi sur la
reconnaissance de la Nation en faveur du rôle des Français rapatriés Son
article 4 alinéa 2 a été très contesté pour ce passage : « Les programmes
scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française
outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux
sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place
éminente à laquelle ils ont droit. » Cet alinéa a été abrogé par décret du 15
février 2006.Elle fait partie des quatre lois mémorielles françaises.

II. Les causes du déclenchement de la Première Guerre


mondiale toujours en débat
A. La question récurrente des responsabilites du declenchement de
la guerre posee des le lendemain du conflit
La Grande Guerre fait encore aujourd’hui l’objet de débats historiographiques
en France et en Allemagne, et ce depuis les années 1920. La question des
responsabilités dans le déclenchement du conflit, et singulièrement celles de
l’Allemagne, est aux lendemains du conflit très présente. Depuis la signature du
Traité de Versailles en 1919, l’Allemagne était désignée comme la grande
responsable du conflit. C’est ce qui est inscrit dans l’article 231 « les
gouvernements alliés et associés déclarent […] que l’Allemagne et ses alliés sont
responsables pour les avoir causés de toutes les pertes et de tous les dommages
subis par les gouvernements alliés ». Cette question des responsabilités est une
humiliation politique faite aux Allemands, très sensible et lourde de conséquences
qui alimentera le terreau nationaliste. Pourtant dans les années 1920, le verdict
de Versailles est remis en cause et des historiens de différents pays européens
conviennent que tous les belligérants portent une responsabilité dans le
déclenchement du conflit en plus de la volonté d’expansion territoriale de
l’Allemagne. Cela n’empêche pas Fritz Fischer, historien allemand, de publier
un ouvrage très polémique en 1961 (Griff nach der Weltmacht, traduction : Les
Buts de guerre de l’Allemagne impériale), par lequel il ouvre une polémique majeure
en affirmant que son pays est bien le principal responsable des hostilités, et
établit un lien très serré entre le Reich de Guillaume II et le pangermanisme
hitlérien. Divers acteurs se saisissent en Europe de l’étude de ce qui a été appelé
« la Grande Guerre » dès 1915. Ce furent d’abord des dirigeants politiques et
militaires surtout, en plus d’historiens, et les recherches se focalisaient sur les
origines du conflit et la responsabilité de ce désastre et procédaient par l’examen
des conditions militaires, des actions diplomatiques et politiques. Les sources

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utilisées étaient donc majoritairement des documents officiels, et l’histoire écrite
est « vue d’en haut » (expression de Stéphane Audoin-Rouzeau) et ne s’intéresse
guère à l’expérience combattante et à l’arrière.

B. Les grands débats de l’historiographie francaise


Alors que le sujet demeure brûlant en Grande-Bretagne, en France, peu à
peu, les historiens se sont détournés de la question des origines de la guerre
de 1914-1918 pour se centrer sur son histoire sociale et culturelle… Cela
commence dès 1945 où, sous l’influence du marxisme et du structuralisme, les
sujets d’observation se dirigent vers les sociétés civiles et les conditions
matérielles d’existence en temps de guerre. Les objets d’étude en histoire sociale
se multiplient, appuyés sur les outils statistiques et quantitatifs. Avec le
rapprochement franco-allemand des années 1980 et le couple F. Mitterrand/H.
Kohl, un nouveau courant historiographique approfondit les recherches sur
l’histoire culturelle de la guerre et l’écriture de monographie, et le travail sur les
questions militaires et institutionnelles n’est plus dominant. Des sources
inexplorées sont alors étudiées par des historiens tels que Jean-Jacques Becker,
Antoine Prost, qui tentent d’éclairer ces « expériences de guerre » au front et
à l’arrière. C’est en 1992 que l’Historial de Péronne est créé par un collectif
d’historiens sur le site de la bataille de la Somme.

C. Les questions centrales de la culture de la guerre et de la


brutalisation des societes sur lesquelles s’affrontent désormais les
historiens
L’un des objets majeurs de réflexion de ce courant historiographique, porté
par l’Historial de Péronne, est la question du consentement patriotique qui,
selon ces historiens, aurait caractérisé les populations des pays en guerre. Ils
développent parallèlement le concept de « brutalisation », emprunté à l’historien
américain George Mosse formulé en 1990, et « d’ensauvagement » des sociétés
en guerre. La thèse postule que les populations auraient accepté un consensus,
consenti dès 1914 à cette guerre, et seraient restées mobilisées jusqu’à 1918
grâce à une « culture de guerre » qui leur aurait permis de supporter les
souffrances de la période. Jay Winter propose le pluriel pour rendre compte par
des « cultures de guerre » des nuances entre pays, des singularités selon les sexes,
les classes, les individus. Depuis les années 2000, cette école du « consentement
» est contestée par un courant d’historiens avec notamment les historiens
André Loez et Nicolas Offensdat qui objectent que si les soldats et les civils
ont tenu si longtemps c’est par la contrainte sous différentes formes (militaire,
politique, intériorisée sous la pression). Ils considèrent qu’il faut parler
d’obéissance et de soumission, plus que de consentement, et préconisent de
revenir à une approche sociale, en plus de l’apport de l’histoire culturelle. Ils

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remettent également en question la notion de « culture de guerre » considérant
que celle-ci n’aurait pu apparaître en quelques semaines.

L’historial de Peronne. Créé en 1992, c’est à la fois un centre de recherche historique


et un musée mémorial. C’est un lieu du tourisme de mémoire implanté dans la Somme,
région d’intenses combats. L’intention du musée était de mettre au centre le vécu
des individus dans cette guerre dans une approche d’histoire culturelle et comparative
entre trois pays belligérants : la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Les
historiens qui portent la paternité de ce projet sont Jean-Jacques Becker, Stéphane
Audoin-Rouzeau, Jay Winter et Annette Becker.

III.Les mémoires de la guerre d’Algérie, entre


occultation, refoulement et demande sociale

A. La guerre niée, la mémoire des vaincus (1954-1970)


Ce n’est que le 10 juin 1999 que l’Assemblée nationale a adopté une proposition
de loi reconnaissant officiellement la guerre d’Algérie. Dès le déclenchement
de l’insurrection algérienne en 1954, la France minimise l’ampleur du conflit
et refuse de parler de guerre mais désigne une « opération de maintien de
l’ordre », ou de « pacification » ou « d’événements ». Cela retire une certaine
forme de légitimité aux adversaires de la France et les assimile à des criminels ou
terroristes. La teneur idéologique, anticoloniale, du conflit n’apparaît pas.
Benjamin Stora parle de « guerre ensevelie », d’amnésie, et entre 1962 et 1982,
la France des « Trente Glorieuses » veut effacer les divisions et rassembler vers
l’avenir. Cette guerre symbolise en effet la perte d’un prestige colonial, la fin de
l’empire, les condamnations sur la scène internationale, l’usage de la torture par
l’armée, les massacres et l’arrivée des Pieds-Noirs en métropole dans la
souffrance, l’abandon des harkis. C’est une mémoire faite de blessures longues à
cicatriser. Plusieurs lois d’amnistie sont votées en 1962, 1964, 1966 et 1968 pour
garantir l’impunité à tous ceux qui ont participé à la guerre, y compris l’OAS.
Certains acteurs refusent pourtant l’oubli dès la fin du conflit, ce sont les Pieds-
Noirs, pour lesquels on parle de « nostalgérie ».
https://www.youtube.com/watch?v=EbvY5YXGxTQ

Les harkis eux se considèrent trahis, https://enseignants.lumni.fr/fiche-


media/00000001898/la-memoire-des-harkis.html , les militants de gauche
favorables à l’indépendance, les « porteurs de valise » gardent la mémoire de la
répression contre les opposants aux violences de l’OAS ( notamment des morts
de la manifestation au métro Charonne le 8 février 1962) et les appelés sont
souvent profondément marqués par la guerre mais parlent peu. La guerre est vite
oubliée par les Français de métropole qui la condamnaient majoritairement à

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partir des années 1960 mais la littérature et le cinéma ne l’occultent pas
pourtant. Le livre d’Yves Courrière La guerre d’Algérie est édité à plus d’un
million d’exemplaires par exemple.

B. L’émergence des mémoires dans le débat public (1970-1990)


Dans les années 1970, les Pieds-Noirs et les harkis sont en quête de
reconnaissance. Une loi est votée en 1970 pour indemniser les rapatriés de leurs
biens abandonnés en Algérie mais elle est jugée insuffisante. Les Pieds-Noirs,
très implantés dans le sud-est de la France constituent, du fait de leur poids
électoral, un groupe de pression actif qui dispose d’une presse et d’associations.
En 1975-1976, les enfants de harkis se soulèvent et alertent l’État français sur
leurs conditions de vie dans des camps où ils sont isolés et l’absence de
reconnaissance pour leurs parents, exilés, menacés de mort en Algérie. Ils ont été
environ 50 000 à pouvoir gagner la France à la fin de la guerre, les 150 000 autres,
restés de l’autre côté de la Méditerranée, ont été pour certains massacrés juste
après l’indépendance. Dans les années 1980, la France est marquée par une
montée de l’extrême droite et du Front National (qui regroupe des nostalgiques
de l’Algérie française et dont le leader J.-M. Le Pen a combattu en Algérie)
et un mouvement anti-raciste s’organise autour notamment de « la marche des
beurs » partie de Marseille en 1983 et du mouvement SOS racisme initié par le
Parti socialiste et dirigé par Harlem Désir. Pour la première fois, fils de militants
FLN et de harkis manifestent ensemble pour dénoncer le sort réservé aux enfants
de l’immigration. Cette marche « pour l’égalité et contre le racisme » réunit
100 000 personnes et a un écho considérable dans la jeunesse qui se mobilise
autour d’un slogan et d’un logo « Touche pas à mon pote ». C’est ) ce moment-là
qu’on voit apparaitre sur les pancartes des jeunes marcheurs les premiers slogans
qui appellent à la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961 par l’Etat
français (mais c’est en 2001 qu’apparaitra une plaque sur le pont Saint-Michel « à
la mémoire des nombreux algériens tués lors de la sanglante répression de la
manifestation pacifique du 17 octobre 1961 » et c’est en 2012 que le président
François Hollande a publié une déclaration officielle en ce sens).
Par ailleurs, les relations s’apaisent entre les deux rives et en 1983, lors de
la visite du Président Algérien Chadli Bendjedid, l’hymne national du FLN est
joué pour la première fois. En outre, des associations travaillent à intégrer
officiellement la guerre d’Algérie dans l’histoire nationale française, elle entre
dans les programmes officiels en 1983, la FNACA (Fédération nationale des
anciens combattants en Algérie) crée ainsi des commissions pour cultiver la
mémoire de cette guerre dans la jeunesse.

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C.Une question sensible aujourd’hui, l’historien confronte au choc
des mémoires
Tout au long du XXème siècle, un processus a fait réémerger les mémoires de
cette guerre longtemps enfouie. Pendant longtemps les historiens n’avaient que
peu accès aux archives et ont donc écrit l’histoire de cette guerre à partir de
sources orales et individuelles ou collectives mais forcément plus marquées par
les affects.
Dans les années 1990 et 2000, la guerre d’Algérie occupe l’espace médiatique de
façon tragique et spectaculaire. La guerre civile que connaît le pays réactive des
processus violents et dans la presse française, on revient sur les questions de la
torture, de la répression. Des témoignages nourrissent cette relecture du passé
et de la question de la torture comme ceux de Louisa Ighilariz, algérienne
torturée, mais aussi d’Henri Alleg, journaliste communiste torturé par l’armée
française ; ou bien encore celui du général Aussaresses qui reconnaît l’usage de la
torture dans un entretien avec un journaliste du Monde en 2000.
En 1999, la reconnaissance de la réalité de la guerre par le parlement français
est une étape importante vers une politique mémorielle à l’égard de l’Algérie.
https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001892/la-reconnaissance-de-
la-guerre-d-algerie-par-la-loi-1999.html
Le passé colonial est en effet un enjeu dans les relations diplomatiques entre la
France et l’Algérie depuis l’arrivée au pouvoir du président Abdelaziz Bouteflika
qui exige des excuses officielles du gouvernement français, mais aussi face à la
demande des différentes communautés, la reconnaissance de leurs souffrances et
d’indemnités. L’État français répond par la multiplication de lois, de
commémorations, de gestes symboliques mais ces mesures sont souvent à l’origine
de polémiques, exacerbant des tensions et la « concurrence victimaire ». En 2005,
la loi Mekachera évoque « les aspects positifs de la présence française en
outre-mer », l’article est très contesté par des enseignants, des historiens,
des responsables associatifs et provoque un tollé en Algérie. Jacques Chirac
finira par décider de l’abroger.
Dans les années 2000 une parole artistique a émergé chez des enfants de
l’immigration comme le rappeur Médine qui chante en 2006 « 17 octobre » et aussi
« Alger pleure » en 2012 https://www.youtube.com/watch?v=BgPigYk-YCI ; au
cinéma avec des films comme « Indigènes» de Rachid Bouchareb sur les
nationalistes algériens en 2006
https://www.telerama.fr/cinema/films/indigenes,273312.php et dans la
littérature avec « l’art de perdre » d’Alice Zéniter qui obtient le prix Goncourt
des lycéens en 2017 avec ce roman sur une famille de harki. Mais la danse
contemporaine et le spectacle vivant ont aussi été marqués par des œuvres sur la
guerre d’Algérie : le hip hop (compagnie No mad avec « les disparus » de Mehdi
Slimani https://www.youtube.com/watch?v=6VmeJUbpPdY

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Dans la France du XXIème siècle, 39% des jeunes français ont un membre de leur
famille ayant un lien avec la guerre d’Algérie et on comprend que ce conflit occupe
une place singulière dans la politique mémorielle de l’Etat mais fasse aussi l’objet
de questionnements qui toutefois s’expriment dans la grande majorité des cas de
façon pacifiée. En effet cette guerre atteint aujourd’hui le moment où l’on passe
des mémoires à l’histoire.
La demande sociale est cependant forte aujourd’hui de la part des enfants
français issus de l’immigration algérienne, marqués par une double identité, sur
l’exigence de vérité sur les différents aspects de la guerre. Pour autant si les
enfants français issus de l’immigration algérienne sont souvent fiers du combat
pour l’indépendance de leurs grands-parents cela est totalement compatible avec
leur identité française pour peu que des réponses soient apportées sur l’histoire
de cette guerre qui a marqué leur famille.
En revanche du ressentiment peut encore s’exprimer chez certains acteurs comme
les anciens membres de l’OAS où leurs descendants, où chez certains pieds-noirs
qui revendiquent à travers des associations la volonté d’une reconnaissance de la
souffrance, quand, dans les autres communautés d’acteurs les gens ont vécu la
cicatrisation de leurs blessures de façon intime et individuelle. Longtemps l’Etat
français est entré dans une relation de reconnaissance partielle et propre à chaque
communauté d’acteurs, attribuant une journée de commémoration ou autre geste
symbolique tantôt aux associations de harkis, tantôt à celles d’anciens
combattants, tantôt à celles des pieds noirs ce qui a nourri une forme de
« concurrence mémorielle ». Le président Emmanuel Macron, est plus détaché du
conflit du fait de sa génération. Il a voulu que son mandat soit marqué par un
travail de mémoire sur la guerre d’Algérie qui soit réconciliateur mais il faut être
prudent à l’égard de ce que cela peut supposer : les descendants actuels des
acteurs de la guerre d’Algérie sont-ils vraiment adversaires ? Eux-mêmes ne se
sont pas battus et il ne faut pas attribuer à la guerre d’Algérie plus que ce qu’elle
porte et elle n’est pas la source des problèmes politiques et sociaux actuels qui
marquent les banlieues par exemple. Les politiques mémorielles obéissent au
présent et à des stratégies et agendas politiques qui les distinguent du travail
historique indispensable.
La reconnaissance en septembre 2018 par Emmanuel Macron de la responsabilité
de la France dans la torture et la disparition de Maurice Audin a été néanmoins
un geste qui répondait à des attentes de la gauche surtout depuis des années. La
femme de Maurice Audin, Josette Audin, ses enfants mais aussi des historiens
comme Pierre Vidal Naquet avait écrit et demandé que l’Etat français reconnaisse
sa responsabilité dans la disparition, la torture et la mort du mathématicien. Ce
fut chose faite et par la voix de son président, la France a reconnu l’existence d’un
« crime d’Etat » et d’un « mensonge d’état ».

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En 2021 la publication du « Rapport Stora » commandé par le Président de la
République à Benjamin Stora, historien spécialiste de la Guerre d’Algérie et de
ses mémoires a soulevé des débats des deux côtés de la Méditerranée, les
différentes communautés d’acteurs n’y trouvant pas une reconnaissance
suffisante à leurs yeux. Ce rapport contient trois volets de recommandations :
- Un premier sur des actes symboliques forts que l’Etat français pourrait
faire : restitution de l’épée d’Abd el Kader, faire entrer Gisèle Halimi
(avocate française qui a défendu la cause algérienne) au Panthéon, et
reconnaitre que c’est bien l’armée qui a assassiné le militant du FLN Ali
Boumendjel, avocat disparu et dont la mort avait été présentée comme un
suicide pendant la bataille d’Alger en 1957 (et depuis 2000 le général
Aussaresses avait avoué être responsable de sa mort) C’est désormais
chose faite. https://www.france24.com/fr/afrique/20210302-guerre-d-
alg%C3%A9rie-ali-boumendjel-a-%C3%A9t%C3%A9-tortur%C3%A9-et-
assassin%C3%A9-par-l-arm%C3%A9e-fran%C3%A7aise-admet-l-
%C3%A9lys%C3%A9e
- Le second qui devrait régler des dossiers qui trainent depuis longtemps et
pèsent dans les relations entre les deux pays : la question du Sahara et des
essais nucléaires, la question des archives, la question des disparus
(plusieurs milliers encore) voir le site http://1000autres.org/ (Des Audin et
des Boumendjel ; il y en a des milliers).
- Le troisième : permettre que le travail historique se déploie à l’avenir dans
des lieux dédiés (musées, laboratoires, chaire universitaire etc) de façon à
dépasser les forces conservatrices qui empêchent tout travail de vérité
critique en invoquant systématiquement le refus de la « repentance »
(terme construit par la droite sur l’échiquier politique pour désigner leur
refus de voir la République française entrer dans une logique de culpabilité
et d’excuses selon eux négative).
Il s’agit donc d’un chemin qui s’ouvre et des gestes mémoriels qui s’ajoutent
à ceux déjà faits par le passé (par Lionel Jospin sur la torture en 1999, par
François Hollande sur le 17 octobre 1961 en 2012) et qui doivent
permettre à la France de dépasser des blocages face à son passé colonial.
Le regarder en face c’est en comprendre les traces et en sortir.
En Algérie, un rapport a été commandé aussi à Abdelmajid Chikhi ;
directeur national des archives algériennes, conseiller du président
Tebboun, mais n’a pas été rendu. L’Etat algérien dirigé depuis 1962 par le
FLN a aussi mené une politique mémorielle très active, dès 1962, légitimant
le pouvoir des gouvernements successifs par leur rôle dans l’indépendance
et leur lutte contre la France à qui ils n’ont cessé de demander des excuses.
L’Etat algérien a bâti une « mythologie nationale » centrée sur la guerre de
libération qui rend indispensable de maintenir et d’entretenir un

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ressentiment à l’égard de la France avec laquelle pourtant les liens
économiques et diplomatiques sont forts. Aujourd’hui pourtant les jeunes
algériens ne semblent pas considérer cela comme une priorité au regard des
attentes économiques et sociales fortes qu’ils expriment notamment dans
le « Hirak » (mouvement de manifestations pacifiques qui se déroule depuis
deux ans dans le pays et a conduit au départ de l’ancien président
Bouteflika).
La commémoration du 60ème anniversaire de la fin de la guerre et de la
naissance de l’Algérie , le 5 juillet 2022 sera donc une étape importante de
l’évolution des mémoires et des relations entre les deux pays.

Maurice Audin est un professeur de mathématiques de l’Université d’Alger favorable


au combat pour l’indépendance de l’Algérie,
membre du Parti Communiste algérien. ɴ Il a été arrêté par les parachutistes le 11
juin 1957 à son domicile et a disparu depuis lors. Une enquête réalisée par l’historien
Pierre Vidal-Naquet, publiée sous la forme d’un livre intitulé L’affaire Audin, permet
d’établir qu’il est probablement mort le 21 juin 1957 au cours d’une séance de torture,
assassiné par un officier servant sous les ordres du général Massu. ɴ Sa femme,
Josette Audin, s’est battue de longues années pour que l’État français reconnaisse
sa responsabilité dans la mort de son mari, ce que fera Emmanuel Macron en 2018.

Conclusion de l’axe 1
L’étude de la Grande Guerre et de la guerre d’Algérie montre bien que la mémoire
et l’Histoire sont deux notions qui sont à la fois distinctes et complémentaires et
que les États développent leur propre politique mémorielle en fonction d’agendas
qui leur sont propres au gré du temps qui passe. Elle montre aussi l’importance des
historiens dont c’est le rôle d’éclairer les débats qui peuvent s’ouvrir au gré de
leur actualité.

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