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INTRODUCTION
Les conflits, leur déroulement, leurs enjeux, leurs conséquences, laissent des
traces vivantes dans les mémoires des populations qui peuvent être marquées par
la poursuite de tensions, de conflictualités ou au contraire par le déni et le
refoulement. Les Etats développent des politiques mémorielles qui obéissent
toujours à des agendas politiques du présent, tandis que les historiens
construisent de façon scientifique, une reconstitution du passé. Les témoins
participent à l’écriture de l’Histoire mais sont porteurs de mémoires multiples qui
attendent reconnaissance.
La Justice se saisit des crimes de masse et des génocides pour établir à
différentes échelles les responsabilités des acteurs et en cela honore les
Mémoires. Histoire et mémoire ne sont pas des notions identiques mais
complémentaires (I) En France la question des responsabilités du déclenchement
de la Première Guerre mondiale et la mémoire de la Guerre d’Algérie soulèvent
encore des débats vifs II). La justice organise à différentes échelles des
sanctions et des réparations, les tribunaux Gacaca au Rwanda et le TPIY en Ex
Yougoslavie. L’Histoire et les mémoires du Génocide Juif et Tsigane s’est affirmée
par étapes depuis les témoignages des survivants. La mobilisation de différents
acteurs étatiques, associations et artistes a permis l’écriture de ces mémoires et
la visibilité de l’indicible sous différentes formes
Ces interventions des politiques soulèvent des débats dans la communauté des
historiens qui redoutent des ingérences dans la liberté de leur recherche et
l’écriture d’une « histoire officielle ». Ainsi s’est constitué le CVUH , le Comité
de Vigilance face aux usages publics de l’Histoire en 2005 en réaction à la loi du
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23 février 2005 dont l'article 4 insistait sur les "effets positifs de la
colonisation" et en prescrivait l'enseignement.
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utilisées étaient donc majoritairement des documents officiels, et l’histoire écrite
est « vue d’en haut » (expression de Stéphane Audoin-Rouzeau) et ne s’intéresse
guère à l’expérience combattante et à l’arrière.
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remettent également en question la notion de « culture de guerre » considérant
que celle-ci n’aurait pu apparaître en quelques semaines.
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partir des années 1960 mais la littérature et le cinéma ne l’occultent pas
pourtant. Le livre d’Yves Courrière La guerre d’Algérie est édité à plus d’un
million d’exemplaires par exemple.
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C.Une question sensible aujourd’hui, l’historien confronte au choc
des mémoires
Tout au long du XXème siècle, un processus a fait réémerger les mémoires de
cette guerre longtemps enfouie. Pendant longtemps les historiens n’avaient que
peu accès aux archives et ont donc écrit l’histoire de cette guerre à partir de
sources orales et individuelles ou collectives mais forcément plus marquées par
les affects.
Dans les années 1990 et 2000, la guerre d’Algérie occupe l’espace médiatique de
façon tragique et spectaculaire. La guerre civile que connaît le pays réactive des
processus violents et dans la presse française, on revient sur les questions de la
torture, de la répression. Des témoignages nourrissent cette relecture du passé
et de la question de la torture comme ceux de Louisa Ighilariz, algérienne
torturée, mais aussi d’Henri Alleg, journaliste communiste torturé par l’armée
française ; ou bien encore celui du général Aussaresses qui reconnaît l’usage de la
torture dans un entretien avec un journaliste du Monde en 2000.
En 1999, la reconnaissance de la réalité de la guerre par le parlement français
est une étape importante vers une politique mémorielle à l’égard de l’Algérie.
https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001892/la-reconnaissance-de-
la-guerre-d-algerie-par-la-loi-1999.html
Le passé colonial est en effet un enjeu dans les relations diplomatiques entre la
France et l’Algérie depuis l’arrivée au pouvoir du président Abdelaziz Bouteflika
qui exige des excuses officielles du gouvernement français, mais aussi face à la
demande des différentes communautés, la reconnaissance de leurs souffrances et
d’indemnités. L’État français répond par la multiplication de lois, de
commémorations, de gestes symboliques mais ces mesures sont souvent à l’origine
de polémiques, exacerbant des tensions et la « concurrence victimaire ». En 2005,
la loi Mekachera évoque « les aspects positifs de la présence française en
outre-mer », l’article est très contesté par des enseignants, des historiens,
des responsables associatifs et provoque un tollé en Algérie. Jacques Chirac
finira par décider de l’abroger.
Dans les années 2000 une parole artistique a émergé chez des enfants de
l’immigration comme le rappeur Médine qui chante en 2006 « 17 octobre » et aussi
« Alger pleure » en 2012 https://www.youtube.com/watch?v=BgPigYk-YCI ; au
cinéma avec des films comme « Indigènes» de Rachid Bouchareb sur les
nationalistes algériens en 2006
https://www.telerama.fr/cinema/films/indigenes,273312.php et dans la
littérature avec « l’art de perdre » d’Alice Zéniter qui obtient le prix Goncourt
des lycéens en 2017 avec ce roman sur une famille de harki. Mais la danse
contemporaine et le spectacle vivant ont aussi été marqués par des œuvres sur la
guerre d’Algérie : le hip hop (compagnie No mad avec « les disparus » de Mehdi
Slimani https://www.youtube.com/watch?v=6VmeJUbpPdY
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Dans la France du XXIème siècle, 39% des jeunes français ont un membre de leur
famille ayant un lien avec la guerre d’Algérie et on comprend que ce conflit occupe
une place singulière dans la politique mémorielle de l’Etat mais fasse aussi l’objet
de questionnements qui toutefois s’expriment dans la grande majorité des cas de
façon pacifiée. En effet cette guerre atteint aujourd’hui le moment où l’on passe
des mémoires à l’histoire.
La demande sociale est cependant forte aujourd’hui de la part des enfants
français issus de l’immigration algérienne, marqués par une double identité, sur
l’exigence de vérité sur les différents aspects de la guerre. Pour autant si les
enfants français issus de l’immigration algérienne sont souvent fiers du combat
pour l’indépendance de leurs grands-parents cela est totalement compatible avec
leur identité française pour peu que des réponses soient apportées sur l’histoire
de cette guerre qui a marqué leur famille.
En revanche du ressentiment peut encore s’exprimer chez certains acteurs comme
les anciens membres de l’OAS où leurs descendants, où chez certains pieds-noirs
qui revendiquent à travers des associations la volonté d’une reconnaissance de la
souffrance, quand, dans les autres communautés d’acteurs les gens ont vécu la
cicatrisation de leurs blessures de façon intime et individuelle. Longtemps l’Etat
français est entré dans une relation de reconnaissance partielle et propre à chaque
communauté d’acteurs, attribuant une journée de commémoration ou autre geste
symbolique tantôt aux associations de harkis, tantôt à celles d’anciens
combattants, tantôt à celles des pieds noirs ce qui a nourri une forme de
« concurrence mémorielle ». Le président Emmanuel Macron, est plus détaché du
conflit du fait de sa génération. Il a voulu que son mandat soit marqué par un
travail de mémoire sur la guerre d’Algérie qui soit réconciliateur mais il faut être
prudent à l’égard de ce que cela peut supposer : les descendants actuels des
acteurs de la guerre d’Algérie sont-ils vraiment adversaires ? Eux-mêmes ne se
sont pas battus et il ne faut pas attribuer à la guerre d’Algérie plus que ce qu’elle
porte et elle n’est pas la source des problèmes politiques et sociaux actuels qui
marquent les banlieues par exemple. Les politiques mémorielles obéissent au
présent et à des stratégies et agendas politiques qui les distinguent du travail
historique indispensable.
La reconnaissance en septembre 2018 par Emmanuel Macron de la responsabilité
de la France dans la torture et la disparition de Maurice Audin a été néanmoins
un geste qui répondait à des attentes de la gauche surtout depuis des années. La
femme de Maurice Audin, Josette Audin, ses enfants mais aussi des historiens
comme Pierre Vidal Naquet avait écrit et demandé que l’Etat français reconnaisse
sa responsabilité dans la disparition, la torture et la mort du mathématicien. Ce
fut chose faite et par la voix de son président, la France a reconnu l’existence d’un
« crime d’Etat » et d’un « mensonge d’état ».
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En 2021 la publication du « Rapport Stora » commandé par le Président de la
République à Benjamin Stora, historien spécialiste de la Guerre d’Algérie et de
ses mémoires a soulevé des débats des deux côtés de la Méditerranée, les
différentes communautés d’acteurs n’y trouvant pas une reconnaissance
suffisante à leurs yeux. Ce rapport contient trois volets de recommandations :
- Un premier sur des actes symboliques forts que l’Etat français pourrait
faire : restitution de l’épée d’Abd el Kader, faire entrer Gisèle Halimi
(avocate française qui a défendu la cause algérienne) au Panthéon, et
reconnaitre que c’est bien l’armée qui a assassiné le militant du FLN Ali
Boumendjel, avocat disparu et dont la mort avait été présentée comme un
suicide pendant la bataille d’Alger en 1957 (et depuis 2000 le général
Aussaresses avait avoué être responsable de sa mort) C’est désormais
chose faite. https://www.france24.com/fr/afrique/20210302-guerre-d-
alg%C3%A9rie-ali-boumendjel-a-%C3%A9t%C3%A9-tortur%C3%A9-et-
assassin%C3%A9-par-l-arm%C3%A9e-fran%C3%A7aise-admet-l-
%C3%A9lys%C3%A9e
- Le second qui devrait régler des dossiers qui trainent depuis longtemps et
pèsent dans les relations entre les deux pays : la question du Sahara et des
essais nucléaires, la question des archives, la question des disparus
(plusieurs milliers encore) voir le site http://1000autres.org/ (Des Audin et
des Boumendjel ; il y en a des milliers).
- Le troisième : permettre que le travail historique se déploie à l’avenir dans
des lieux dédiés (musées, laboratoires, chaire universitaire etc) de façon à
dépasser les forces conservatrices qui empêchent tout travail de vérité
critique en invoquant systématiquement le refus de la « repentance »
(terme construit par la droite sur l’échiquier politique pour désigner leur
refus de voir la République française entrer dans une logique de culpabilité
et d’excuses selon eux négative).
Il s’agit donc d’un chemin qui s’ouvre et des gestes mémoriels qui s’ajoutent
à ceux déjà faits par le passé (par Lionel Jospin sur la torture en 1999, par
François Hollande sur le 17 octobre 1961 en 2012) et qui doivent
permettre à la France de dépasser des blocages face à son passé colonial.
Le regarder en face c’est en comprendre les traces et en sortir.
En Algérie, un rapport a été commandé aussi à Abdelmajid Chikhi ;
directeur national des archives algériennes, conseiller du président
Tebboun, mais n’a pas été rendu. L’Etat algérien dirigé depuis 1962 par le
FLN a aussi mené une politique mémorielle très active, dès 1962, légitimant
le pouvoir des gouvernements successifs par leur rôle dans l’indépendance
et leur lutte contre la France à qui ils n’ont cessé de demander des excuses.
L’Etat algérien a bâti une « mythologie nationale » centrée sur la guerre de
libération qui rend indispensable de maintenir et d’entretenir un
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ressentiment à l’égard de la France avec laquelle pourtant les liens
économiques et diplomatiques sont forts. Aujourd’hui pourtant les jeunes
algériens ne semblent pas considérer cela comme une priorité au regard des
attentes économiques et sociales fortes qu’ils expriment notamment dans
le « Hirak » (mouvement de manifestations pacifiques qui se déroule depuis
deux ans dans le pays et a conduit au départ de l’ancien président
Bouteflika).
La commémoration du 60ème anniversaire de la fin de la guerre et de la
naissance de l’Algérie , le 5 juillet 2022 sera donc une étape importante de
l’évolution des mémoires et des relations entre les deux pays.
Conclusion de l’axe 1
L’étude de la Grande Guerre et de la guerre d’Algérie montre bien que la mémoire
et l’Histoire sont deux notions qui sont à la fois distinctes et complémentaires et
que les États développent leur propre politique mémorielle en fonction d’agendas
qui leur sont propres au gré du temps qui passe. Elle montre aussi l’importance des
historiens dont c’est le rôle d’éclairer les débats qui peuvent s’ouvrir au gré de
leur actualité.
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