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Baccalauréat Général

Session 2023

Épreuve : HLP

Durée de l’épreuve : 4 heures


Coefficient : 16

PROPOSITION DE CORRIGÉ

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INTERPRETATION LITTERAIRE : Dans cet extrait, comment la poésie permet-
elle à l’héroïne de « redevenir un être nouveau » ?
Il est question ici du pouvoir de révélation de la poésie, et celui-ci passe par la
transmission du « chant », qui permet la métamorphose du moi.

1) La voix des poètes


La poésie s’incarne ici dans l’individualité d’un lieu ouvert (« la mer ») ou plus
intime (« la chambre »), et elle met dans une condition qui n’est plus tout à fait
la réalité puisqu’elle prend place à la marge du rêve (« croyant qu’il s’était
endormi »). La limite est d’autant plus floue qu’il s’agit d’une agonie, à la
frontière de la vie et de la mort du jeune M. Georges. Du rêve, la poésie a la
beauté singulière (« sublime »), la musique qui métamorphose la temporalité
et l’abolit puisqu’elle continue à résonner au-delà de son texte-même :
« lentement », « prolongeant les rythmes, les vers ». Le discours du maître s’en
trouve imprégné, car il semble s’exprimer au travers d’une rêverie, qui
s’élabore par élans, que marquent des points de suspension. Les textes choisis
révèlent un goût certain pour le lyrisme : « Victor Hugo, Baudelaire, Verlaine,
Maeterlinck » sont des poètes romantiques et symbolistes, leurs poèmes sont
sonores, et riches en images, en suggestions, qui se prêtent tout spécialement
à la rêverie, et dont la singularité tient aussi à la musicalité (« De la musique
avant toute chose », intimait Verlaine dans son Art poétique).

2) La voix du maître
Et pour M. Georges, il s’agit de faire partager son goût pour l’art poétique.
C’est un jeune homme sensible, qui revendique sa sensibilité par ses choix de
lecture, mais aussi par son appartenance à un XIXe siècle finissant où priment
les influences romantiques et symbolistes : en effet, selon lui, la poésie comble
un manque puisqu’elle s’adresse aux « âmes des simples, des tristes, des
malades », qui ont en commun une faiblesse d’esprit, de caractère et de corps.
C’est presque un remède à la vie, dont elle ne retient que la « beauté ». Et c’est
pour lui, on le devine, une forme de remède aussi.
Le maître oppose, comme le veut l’époque, la science raisonnable et
raisonnante des « savants » et la sensibilité des poètes qui « parlent aux
âmes », et leur transmet un message. Ce message est d’ailleurs aussi celui du
maître qui cherche à faire connaître à Célestine, les textes qu’il aime : comme
le poète se penche sur les âmes simples, de même le jeune homme se penche
sur l’âme simple de sa servante, qui a « une petite âme toute nue, comme une

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fleur ». Son prénom peut aussi ajouter à cette impression : Célestine, c’est le
ciel, mais avec un diminutif qui le rend plus humble. Par ces lectures à voix
haute, le maître tend à la faire advenir à une autre identité, par le biais de la
« beauté » qu’il lui explique (« il cherchait à m’en faire comprendre, à m’en
faire sentir la beauté »).
Cette beauté sensible et modeste, Célestine s’en trouve comme contaminée,
métamorphosée, car sa voix féminine devient le vecteur du texte dans une
sorte d’échange de transmission ; or, sa voix devient « charmante », revenant à
la source de toute poésie, du carmen latin qui est aussi le charme magique
orphique. La poésie opère comme un charme, qui revalorise aussi la femme de
chambre puisque le jeune maître lui confère à elle aussi cette capacité de
« sensibilité » nécessaire aux poètes : « souvent tu m’as dit des choses qui sont
belles comme des vers ». Et le fait que Célestine l’ignore même ajoute à ce
talent de la poésie qui naît de la spontanéité : « c’est ce qui est délicieux ». Le
poète, c’est avant tout celui qui possède le don de la « sensibilité », et ainsi elle
peut l’être elle aussi « un peu ».

3) La voix de Célestine
Le choix de ce souvenir par la narratrice suffit à montrer comme il lui est
précieux ; pour la délicatesse du moment, la beauté des vers, et l’intérêt
éducatif qu’elle y trouve, et pour lequel elle éprouve envers son maître de la
reconnaissance (« ah ! que je l’aimais de cela ! »). Célestine insiste sur la
« révélation » que lui ont causée ces séances de lecture partagée, et celle-ci
tient du précepte d’Épictète (« Ose devenir ce que tu es ») : la sensibilité, mise
en valeur par M. Georges, une fois identifiée et assumée, ouvre à la
« sensation » pleine de douceur de « redevenir un être nouveau ». C’est une
« révélation », et les termes tiennent du sacré car, outre la « révélation », la
voix du maître reste comme une « relique », autre terme religieux, c’est elle qui
a permis cette « révélation de quelque chose inconnu de moi et qui pourtant
était moi » ; il s’agit d’une maïeutique, qui lui a permis de s’ « élever » (« élan »,
« supérieures »), et de passer d’un manque absolu (décelable dans l’hyperbole
« ignorante de tout ») au « goût passionné de la lecture », et à l’infini
prometteur de l’ « inconnu ». Et cet « être nouveau », seul le charme de la
poésie permettait de le « redevenir », lavé de toutes les vicissitudes de la vie,
au-delà de tout ce qu’il y a de « mauvais et de désespéré ». C’est de plus une
métamorphose créatrice : l’écriture engendre l’écriture, et la femme de
chambre a puisé dans la poésie la capacité d’« écrire ce journal », elle a « osé ».
Et c’est sa voix qui s’impose à présent, c’est elle qui mène le récit. Les vers sont

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« éternels », et ce sont eux qui restent, au-delà de la mort des poètes, de M.
Georges, par la voix de Célestine.

ESSAI PHILOSOPHIQUE : le savoir nuit-il à la sensibilité ?

Savoir et sentir.
Platon nous prévenait. Nous ne nous connaissons que depuis notre caverne.
Nous ne recevons qu'un reflet du monde. Qu'est-ce donc que savoir ? Notre
âme animale, sensible nous aide-t-elle ? Ou la société qui pervertit l'homme
selon Rousseau nous entraîne-t-elle vers des connaissances qui tuent l'Émile à
réfréner son instinct bon et pur ?
Dans Le journal d'une femme de chambre de Octave Mirbeau, Georges, l'enfant
tuberculeux apprend à cette inculte non pas la culture poétique mais la
sensibilité des mots, des vers (« Et tu n'en sers rien que tu m'as dit des choses
belles »). Ainsi il va contre Mallarmé, pour qui la poésie était destinée aux âmes
riches de savoirs. Il parle comme Rimbaud, Prévert.
Le savoir est-il l'ennemi de la sensibilité qui est instinct, recherche de plaisir au
sens philosophique épicurien ? La sévérité, la discipline semblent depuis
longtemps être des conditions pour appréhender le monde chez Aristote,
Platon et plus tard chez Husserl (et sa volonté de rendre la philosophie
scientifique). Mais elles trouvent une opposition de manière concomitante
chez les Épicuriens voire les stoïciens et l'ataraxie ou Diogène, ce Cynique qui
demanda à Alexandre le Grand de s'ôter de son soleil ! Privilégiant ainsi la
confiance en son Soi (Dasein) Heideggerien, ou même chez Kant et les limites
selon lui à nos recherches en accord avec notre condition humaine ou animale.
Nous affronterons ces deux phénomènes au sens kantiens que sont la
recherche de la connaissance (but du savoir) et la sensibilité, mesure de toute
chose selon Montaigne dans ses écrits à la Boétie. Ne tuons pas l'enfant de trop
de connaissances, exigerait Rousseau, mais notre Histoire ne demande-t-elle
pas de remettre en cause notre instinct ?

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Le savoir freine la sensibilité.
Il faut écouter Montaigne après Rousseau encourager comme des épicuriens,
faire l'éloge de notre âme sensible, mère de notre vie, notre identité et notre
destin.
Ils se reportent quant à eux à Socrate et sa phrase pédagogique « Une vie sans
examen ne vaut d'être vécue” - sans le “connais-toi toi-même d'abord”, sans sa
maïeutique ou « je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien ». C'est une
humilité nécessaire selon eux pour grandir. « Les hommes prétendent savoir ce
qu'ils ignorent et prennent leurs opinions pour des connaissances véritables »
dit le maître de Platon. Se cultiver serait dans cette lignée de pensée un frein à
la sensibilité qui seule permet d'accéder à la connaissance. Il faut accepter
notre état naturel selon cette école qui va des antiques à Russell qui affirme
que la philosophie et par extrapolation, la science, le savoir ne vaut avant tout
que par son incertitude ;
Se joignent à ces penseurs les pragmatiques James, Bentham et son
utilitarisme, les sceptiques Hume et Condillac pour qui, surtout chez ce dernier,
philosophe des Lumières, les sensations sont la source de toutes nos idées et
connaissances. Il rejoint ainsi le précurseur Rousseau, s'inscrivant dans une
pensée axée, paradoxalement, sur la sensibilité. Ce penseur du XVIII ème donne
la métaphore d'une statue habitée par un esprit mais dépourvue de sensation
donc vide ;
Les idéalistes Kant mais surtout Berkeley pour lequel « être c'est être perçu ou
percevoir » (esse est percipi aut percipere) faisant de notre état d'être une
morale pour la connaissance. Le philosophe allemand théorise dans sa théorie
de la connaissance et ne distingue-t-il pas les phénomènes des noumènes, les
premiers étant les choses telles que nous les connaissons, les seconds celles
qu'elles sont en elles-mêmes...
A trop vouloir connaître nous pouvons abîmer notre nature profonde, vitale
selon Montaigne et donc passer à côté de l'essentiel.
Mais notre progression n'est-elle pas tout de même une conséquence de notre
culture, du développement intellectuel et acquisitions existentielles selon
Sartre ou Marcel (l'un athée, l'autre chrétien mais tous deux existentialistes
comme Kierkegaard), la science à laquelle nous devons tant

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Notre Moi qui se développe tout au long de notre vie comme il en est de notre
esprit et intellect et son évolution darwinienne n'a-t-il pas besoin de cet
héritage du savoir ?

Le savoir développe la sensibilité.


Montaigne, Rousseau ne reniaient pas le savoir. Ils en étaient même
dépositaires. « Une âme riche dans un corps sain » auraient-ils pu suivre
Rabelais.
Les positivistes comme Comte, Renan, le Dantec argumentent la nécessité de
construire un savoir, de la maîtriser pour mieux évoluer. Ils soulignent combien
les progrès techniques, médicaux, scientifiques ont enrichi l’homme.
Cette mise en évidence du rôle primordial des Faits sur la Sensation se révèle
pour dominer nos instincts, selon eux, ce « loup pour l'homme » selon Locke.
C'est ainsi que les philosophes phénoménologiques défendent leurs
conceptions au XIXème, XXème siècles. La science permet par son utilitarisme
d'éviter les dérives et fanatismes.
Descartes est prémoniteur avec son doute initial, condition pour apprendre,
comprendre. Engels s'en servira pour théoriser son socialisme scientifique
quand d'autres accuseront de sensiblerie ces philosophes politiques.
En poésie aussi Mallarmé défend un art indissociable du savoir. Les règles sont
nécessaires selon cette école pour être un poète digne de ce nom. Il en va de
même en peinture, les écoles naissant selon une théorie première sur
l'appréhension de la Nature.
Mais comme selon Foucault, Jung en psychologie, Sartre, Bachelard et son
besoin de reconnaissance, pour la connaissance, d'accepter des erreurs,
n’avertissent-ils pas d'un danger à prévaloir savoir sur sensibilité ?
C'est Karl Popper qui craint que ces théories du scientisme, du savoir ne
détruisent notre humanité (sensible) et ne provoquent des esprits totalitaires
sous couvert de Raison. Les rationalistes sont critiqués par Russell pour avoir
servi les dictatures. Montesquieu n'a-t-il pas avec arguments fallacieux pour
certains, validé une forme d'esclavage ?

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La nature apprivoisée.
C'est l'humanisme avec l'homme comme mesure de toutes choses selon
Montaigne. Il suit en cela Socrate, Kant et ses limites à la connaissance absolue
(Critique de la Raison pure).
Rousseau le suit et bien que théoricien de la Révolution, ne battit pas de
schéma scientifique tout comme Voltaire qui rejetteront les ismes.
Merleau-Ponty et les sociologues montreront le danger des pensées globales,
non respectueuses des sensibilités régionales, culturelles d'ici-de-là...
Les théories d'Engels et Marx ont montré leurs limites tout comme celles de
Comte d'un autre bord de pensée.
Spinoza qui revient dans nos débats aujourd'hui rappelle la prédominance de la
sagesse intuitive, épicurienne sur la toute-puissance de la Raison et son
corollaire le Savoir qui ne donne pas le bonheur. Leibniz aussi apportera de la
mesure contre Descartes malgré le doute raisonnable de ce dernier.
Les utilitaristes se concentrent sur notre besoin, notre volonté plus que sur une
accumulation de théories, connaissances inutiles pour notre vie et notre salut.
Le bonheur n'est pas dans ces strates de connaissances mais d'abord dans le
plaisir et le mouvement avec le soutien, l'assistance de la Raison, non sa
domination.
La psychanalyse de Freud a révélé l'absurdité de vouloir raisonner quand
l'inconscient n'est pas avec le Ça pris en compte dans nos pérégrinations
d'esprit et nos recherches de développement. On voir l'importance du
développement personnel aujourd'hui sur la conquête du savoir

Khairéphon et l 'oracle de Delphes.


L'humanisme rejette toute forme de totalitarisme. Déjà ce dernier commence
dans les esprits.
Vouloir donner trop de privilège à la culture au détriment de la sensibilité
comme l'inverse et avantager notre animalisme contre la Raison entraîne des
dérives de blocage au sens psychologiques ou de cruauté par manque de
raisonnement.

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Il faut prolonger Kant et les limites, qui d'après lui, accompagnent notre pensée
et évite les dérives ou les recherches d'absolus dangereux car bloquants ou
risquant les excès inverses ;
C'est ainsi que l'oracle de Delphes répondit à Khairéphon selon Platon quand il
demanda s'il y avait un homme plus sage que lui ? La Pythie lui répondit que
non, il n'y en avait aucun.
C'est ainsi que la vérité apparaît relative comme affirmait Kant, Leibniz et
Spinoza, ouvrant la voie à la largesse d'esprit qui associe Savoir et Sensibilité
Cette question sur notre étant ou notre Être selon Heidegger n'est-elle pas
d'abord une question d'orgueil, d'humilité dans ce cosmos donc de morale
pour la science et notre vie d'être ?

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