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Dictionnaire de la psychanalyse
avec Michel Plon
Fayard, 1997, 2000, 2006
rééd. revue et corrigée, Hachette, « La Pochothèque », 2011
Pourquoi la psychanalyse ?
Fayard, 1999
rééd., Flammarion, « Champs », 2001
Au-delà du conscient
rééd. avec Jean-Pierre Bourgeron et Pierre Morel
Hazan, 2000
De quoi demain… Dialogue
avec Jacques Derrida
Fayard/Galilée, 2001
rééd., Flammarion, « Champs », 2003
La Famille en désordre
Fayard, 2002
rééd. avec une postface inédite, Le Livre de poche, « Biblio-essais »,
2010
Régis Debray
La République expliquée à ma fille
Max Gallo
L’Amour de la France expliqué à mon fils
Sami Naïr
L’Immigration expliquée à ma fille
Jacques Duquesne
Dieu expliqué à mes petits-enfants
Lucie Aubrac
La Résistance expliquée à mes petits-enfants
Jean Ziegler
La Faim dans le monde expliquée à mon fils
Annette Wieviorka
Auschwitz expliqué à ma fille
Nicole Bacharan et Dominique Simonnet
L’Amour expliqué à nos enfants
Jacques Sémelin
La Non-Violence expliquée à mes filles
Jérôme Clément
La Culture expliquée à ma fille
Roger-Pol Droit
Les Religions expliquées à ma fille
Henri Weber
La Gauche expliquée à mes filles
Jacky Mamou
L’Humanitaire expliqué à mes enfants
Jean Clottes
La Préhistoire expliquée à mes petits-enfants
Emmanuelle Huisman-Perrin
La Mort expliquée à ma fille
Roger-Pol Droit
La Philosophie expliquée à ma fille
Antoine Prost
La Grande Guerre expliquée à mon petit-fils
Michel Vovelle
La Révolution française expliquée à ma petite-fille
Bernard Sesboüé
Le Da Vinci code expliqué à ses lecteurs
Jean-Christian Petitfils
Louis XIV expliqué aux enfants
Marc Ferro
e
Le XX siècle expliqué à mon petit-fils
Jacques Le Goff
L’Europe expliquée aux jeunes
Denis Guedj
Les Mathématiques expliquées à mes filles
Roger-Pol Droit
L’Occident expliqué à tout le monde
Clémentine Autain
Les Machos expliqués à mon frère
Rama Yade
Les Droits de l’homme
expliqués aux enfants de 7 à 77 ans
Pascal Vernus
Les Dieux égyptiens expliqués à mon fils
Alain Demurger
Chevaliers et Chevalerie expliqués à mon petit-fils
Pascal Picq
Darwin et l’évolution expliqués à nos petits-enfants
Jean-Marc Jancovici
Le Changement climatique expliqué à ma fille
Roger-Pol Droit
L’Éthique expliquée à tout le monde
Marc Ferro
Le Mur de Berlin
et la Chute du communisme expliqués à ma petite-fille
Marc-Alain Ouaknin
La Tora expliquée aux enfants
Jacques-Olivier Boudon
Napoléon expliqué à mes enfants
Jean-Louis Brunaux
Les Gaulois expliqués à ma fille
Bruno Dumézil
Les Barbares expliqués à mon fils
Pascal Picq
Les Origines de l’homme
expliquées à nos petits-enfants
Jean-Didier Vincent
Le Sexe expliqué à ma fille
Marc Ferro
De Gaulle expliqué aujourd’hui
Hubert Reeves
L’Univers expliqué à mes petits-enfants
Marc-Alain Ouaknin
L’Alphabet expliqué aux enfants
Roland Lehoucq
Les Extraterrestres expliqués à mes enfants
Jean-Pierre Azéma
L’Occupation expliquée à mon petit-fils
Benjamin Stora
La Guerre d’Algérie expliquée à tous
Rachid Benzine
Le Coran expliqué aux jeunes
Henry Rousso
La Seconde Guerre mondiale expliquée à ma fille
Elias Sanbar
La Palestine expliquée à tout le monde
Michel Wieviorka
L’Antisémitisme expliqué aux jeunes
Jean-Marc Lévy-Leblond
La Science expliquée à mes petits-enfants
Joseph Doré
Jésus expliqué à tous
ISBN : 978-2-02-122773-4
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Dédicace
2 - Où se cache l’inconscient ?
5 - Un docteur à vienne
– Mais comment est-il possible que cette maison soit à la fois présente et
absente, flottante et solide ?
– Parce que c’est une maison qui ressemble à une barque sans gouvernail,
sans voile, sans moteur. On ne connaît ni sa forme, ni le lieu où elle pourrait
jeter l’ancre. En ce sens, l’inconscient – comparable à cette maison – est
une inconscience, une activité échappant à la raison. Quand quelqu’un est
inconscient, on dit qu’il est fou ou qu’il a perdu connaissance. Zoé, la fille
de mon amie Julie, qui a quatre ans de moins que toi, m’a dit qu’à son avis,
quand on est conscient, on sait ce qu’on fait, on se dirige et on contient un
peu ses émotions, alors que quand on est inconscient on ne sait pas ce que
fait le cerveau, c’est comme quand on dort.
– Et le prêtre ?
– Un prêtre est le représentant d’une religion, c’est-à-dire d’un système de
croyances qui répond à des interrogations. Qui suis-je ? D’où je viens ? Où
je vais ? Qui me guide à mon insu ? Le prêtre s’occupe aussi des insensés,
mais il donne une signification à leur inconscience en les dirigeant vers une
foi ou une spiritualité, vers quelque chose de plus élevé qu’eux et qu’on ne
connaît pas par la simple connaissance rationnelle, c’est-à-dire vers une
aliénation supérieure. Il est le roi des hommes qui croient en un Dieu tout-
puissant qui serait le roi de l’univers et du destin.
– Et le psychologue ?
– Le psychologue n’est pas médecin, mais il soigne les troubles de l’âme,
les passions, les souffrances diverses. Contrairement aux sorciers et aux
prêtres, les psychiatres et les psychologues sont les rois de la raison : ils
veulent que le subconscient soit dominé par la raison et la conscience. Ils
cherchent à guérir et à soigner : on les appelle des psychothérapeutes. Ce
sont des serviteurs de la raison qui ont appris un savoir dans des livres et
qui ont été initiés à une clinique par un maître à l’Université.
Où se cache l’inconscient ?
– Mais cette énergie sortie d’une caverne, elle peut traverser le corps ?
– L’inconscient se manifeste aussi par le langage, quand ça parle à ta place
ou que ça pense en toi, comme le souligne Zoé qui dit la même chose que
Jacques Lacan et que le philosophe Averroès. Si, par exemple, tu veux dire
« j’aime mon papa » et que tu dis à la place « je veux mon dromadaire », tu
seras surpris et tu tenteras de comprendre pourquoi une phrase s’est
substituée à une autre. Et tu seras obligé de comprendre pourquoi, en
pensant à ton papa, tu as prononcé le mot dromadaire. Ton père t’a-t-il
offert un dromadaire en peluche que tu as gardé très longtemps contre toi
quand il quittait la maison pour aller travailler ? Ou alors est-ce parce que,
au moment de dire que tu aimes ton papa, est venue se glisser dans ta tête
l’image d’un animal que tu aimes par-dessus tout, plus que ton père ? Seul
l’être humain est capable de parler, de faire de telles substitutions, ou
d’inventer des langues et des mots pour exprimer à la fois ce qu’il pense et
ce qui lui échappe quand il parle.
– Le sujet, c’est encore quelque chose qui existe et qui n’existe pas ?
– Le sujet, c’est la subjectivité, c’est-à-dire ce qui t’est personnel. Elle a
plusieurs facettes différentes. Pour te donner un exemple amusant, je dirai
qu’elle est comparable à une galerie de miroirs déformants qui te font
ressembler tantôt à une asperge et tantôt à un tonneau.
1. « The Prelude » (1805), livre I, v. 562 ; livre III, v. 245-246. Traduit par Henri Deluy.
3
– J’ai compris que l’inconscient existe grâce au cerveau, qu’il existe sans
être une chose visible et qu’on lui donne des noms différents selon les
cultures et les époques. Tu as parlé de l’âme, est-ce que c’est une autre
façon encore de désigner l’inconscient ?
– Oui, certainement. L’inconscient est comme une âme et l’âme est la partie
inconsciente de la subjectivité. L’âme, c’est un souffle, le moteur de la vie
et surtout quelque chose qui dépasse l’existence humaine : un principe
spirituel, immatériel. Cela ne se voit pas. Il y a autant de manières de
décrire l’âme que de religions ou de croyances, et celles-ci sont des récits
destinés à expliquer aux hommes leur histoire passée et à venir. Comme
pour l’inconscient, il n’existe pas de preuves de l’existence de l’âme.
– Et l’âme ?
– Pour les Grecs, elle comporte plusieurs facettes, mais surtout deux parties
principales : l’une, pleine de sang et de fureur, que l’on appelle thumos
(âme-sang), c’est-à-dire ce qui pousse à agir, à désirer et à établir des
relations avec le monde extérieur, et l’autre, psyche (âme-souffle), associée
au sommeil, à la mort, à la fragilité mais aussi à l’éternité, à l’immortalité.
Platon affirmait que l’âme était composée de trois parties : l’immortalité, le
souvenir, le savoir. Ainsi l’âme, au sens platonicien, est-elle immortelle
parce qu’elle existe sans le corps qui est son tombeau provisoire durant une
vie. En conséquence, elle conserve la mémoire de tout ce qui a été vécu. Et
enfin elle est comme une tablette de cire, une table rase, où viendraient
s’inscrire les idées, les émotions et les représentations. Les trois parties sont
liées. Sortir du corps, c’est dépasser le monde sensible pour s’élever vers la
connaissance ; se souvenir, c’est savoir qui on est ; apprendre c’est
actualiser la puissance de l’intelligence que l’on a en soi.
– Que font-ils ?
– Ils reçoivent dans leurs cabinets des parents angoissés par leurs enfants,
des patrons déprimés qui redoutent la faillite, des personnes brisées par des
échecs amoureux, et d’autres encore qui redoutent la fin du monde, les
catastrophes naturelles ou les démons.
Ils prédisent l’avenir avec des cartes et des boules de cristal, et ils
prétendent que la position des planètes donne des informations sur notre
avenir. Certains croient observer des tas de choses dans ton inconscient en
regardant tes mains, tes yeux, un lac, un miroir, une alouette ou des peaux
de crapauds. Ils s’entourent de statuettes, de bâtons parfumés, de divinités,
d’objets étranges achetés dans des brocantes.
Parfois, ils se donnent des allures de grands philosophes pour expliquer
qu’il existe des forces occultes qui dirigent le monde. Ils imaginent qu’un
inconscient cosmique, peuplé de symboles et de signes, nous dominerait. Ils
se croient souvent les messagers de ces signes auprès des hommes. On dit
souvent d’eux que ce sont des charlatans ou des imposteurs parce qu’ils
n’hésitent pas à abuser de la crédulité des gens.
– Mais y a-t-il des charlatans parmi ceux qui prétendent tout expliquer
rationnellement avec la science ?
– Oui, bien sûr ! Ce sont tous ceux qui affirment qu’on peut voir
l’inconscient, le mesurer, le peser, le décrire, regarder son fonctionnement
au microscope comme une chose susceptible d’être retenue par la queue, les
cornes ou les doigts de pied. C’est le même débat aujourd’hui qu’avec
l’âme hier.
– Cette nuit, j’ai rêvé que je me trouvais dans un gigantesque bateau qui,
en réalité, était un aigle immense vêtu d’un grand manteau avec des
décorations et serrant un képi dans son bec. Il heurtait un iceberg. C’était
la nuit, j’allais me noyer ; mais l’aigle se transformait en radeau et une
partie de lui s’envolait tandis que l’autre restait avec moi pour que je ne
coule pas. Qu’est-ce que cela veut dire ?
– Ce rêve reprend de nombreux éléments de notre dialogue. J’ai comparé
l’inconscient à un oiseau de nuit et tu le transformes en aigle. J’ai évoqué
l’iceberg, cette maison blanche dont la partie la plus dangereuse est
dissimulée par la mer. Ensuite, j’ai comparé l’inconscience à une barque qui
erre au milieu des flots. Je t’ai parlé aussi de Descartes et du sujet coupé en
deux. Et toi tu rêves que la moitié d’un aigle te sauve de la noyade en te
protégeant et que l’autre s’envole et t’abandonne.
Cela veut dire que tout ce dont nous avons parlé s’est imprimé dans ta
mémoire avec des images fortes. En tout cas, tu as compris que
l’inconscient était à la fois quelque chose de mystérieux, de nocturne et de
redoutable, mais aussi de plus intime et de bienveillant. On peut l’étudier et
savoir qu’il existe sans avoir peur de se noyer et sans avoir besoin de le
mesurer ou de le peser.
– J’ai fait ce rêve après avoir vu à la télévision un film formidable sur le
naufrage du Titanic. J’avais l’impression de regarder un rêve. J’étais
tout seul à la maison.
– Tu as regardé à la fois un rêve, une histoire d’amour romantique, une
réalité reconstruite grâce à la magie du cinéma et enfin une épopée sur la
puissance et la défaillance des hommes qui s’achève dans un cauchemar. Et
puis, tu as entendu prononcer le nom de Freud.
– À quoi tu penses ?
– Tu as vu avec moi, à la Comédie-Française, la pièce du grand poète
anglais William Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, écrite il y a cinq
cents ans, quand les hommes commençaient à douter sérieusement de la
toute-puissance divine. Elle met en scène quatre couples d’amoureux qui se
disputent : un roi et une reine du jour, un roi et une reine de la nuit (des
Elfes), divinités invisibles et féeriques, vivant dans des forêts, deux jeunes
garçons et deux jeunes filles qui ne parviennent pas à s’aimer. À quoi
s’ajoute un bouffon qui se transforme en âne. Ici la vie nocturne permet
d’effacer les frontières entre l’humain et le surnaturel, d’abolir les conflits
inutiles afin que chaque personnage puisse aimer celui qu’il désire.
Dans cette rêverie éveillée, le songe est un hymne à la vie humaine, à la
joie, à la liberté et au désir érotique. Il n’est en rien une prédiction et aucun
dieu ne règne dans ce royaume de la nuit. Le songe de cette nuit d’été
permet de réaliser un rêve, c’est-à-dire un désir amoureux et sexuel interdit
durant le jour et refoulé dans l’inconscient. Le songe est un rêve raconté
comme une fable.
– J’ai trouvé sur internet des dizaines de sites qui proposent de classer les
songes. Il y a aussi des tas de dictionnaires des rêves. Comment ne pas
s’embrouiller ?
– En fait, tous ces dictionnaires et autres traités de vulgarisation s’inspirent
d’un livre très amusant et que tu peux lire facilement : La Clef des songes
(Oneirokritika). Il a été écrit il y a mille huit cents ans par un philosophe
grec de l’Empire romain, Artémidore de Daldis. Ce grand voyageur avait
visité tous les pays de la Méditerranée à la manière d’un enquêteur ou d’un
journaliste, dans le seul but de récolter des quantités de rêves auprès des
populations et des devins qu’il rencontrait. Il avait exploré toutes les
bibliothèques et lu des centaines de livres sur les songes.
Un docteur à vienne
– Que dit exactement Freud à propos des enfants ? Et pourquoi cela est-il
toujours jugé aussi scandaleux ?
– Quand Freud publie son étude sur la sexualité des enfants en 1905, il
n’utilise ni mots latins, ni mots vulgaires. Il explique dans un style simple et
avec des mots de tous les jours comment les enfants se représentent la
sexualité depuis l’âge de 4 ans, l’âge de Gabor aujourd’hui. Et c’est encore
valable. Certes, ce livre est destiné aux adultes, mais il désacralise l’idée
que les enfants en bas âge seraient ignorants de leur corps ou des relations
sexuelles entre les adultes. Freud pensait qu’il fallait nommer les organes
génitaux et les actes charnels et ne pas être effrayé à l’évocation des
pratiques sexuelles. Il expliquait ce que veulent dire les enfants quand ils
emploient des mots à eux pour désigner la différence entre filles et garçons
ou la manière dont ils sont conçus par leurs parents.
– Donne-moi un exemple.
– Il explique que les suçotements, les jeux avec le corps ou les excréments
sont pour les enfants une source de plaisir. Il souligne qu’avant 4 ans,
l’enfant est un être cruel qui se livre à toutes sortes d’expériences de plaisir
auxquelles il renoncera en devenant adulte. Il dit aussi que ces activités
érotiques de l’enfant ne connaissent ni lois ni interdit, et qu’elles se
satisfont avec des tas d’objets : des jouets en peluche – ce qu’on appelle
aujourd’hui des doudous –, des bouts de plastique, des billes, des tissus, des
morceaux du corps, pieds, mains, seins.
– Mais ces enfants si jeunes et qui parlent à peine, qu’est-ce qu’ils veulent
dire en faisant tout ça ?
– Ils se fabriquent toutes sortes de théories à propos de leur origine et
pensent par exemple que les bébés viennent au monde par l’anus comme les
matières fécales, que les mères accouchent par le nombril, que les femmes
et les hommes ont des relations par-derrière comme les chiens et les chats,
que la graine qui se dépose dans le ventre est de l’urine, que les hommes
peuvent porter comme les femmes les bébés dans leur ventre.
Freud a aussi remarqué que les enfants disent vouloir épouser leurs parents
quand ils seront grands, que les garçons veulent prendre la place du père et
les filles celle de la mère ou inversement, et que les uns et les autres sont en
rivalité permanente avec les adultes.
– Tu veux dire que j’ai oublié ce que j’ai dit et pensé quand j’étais plus
petit ?
– Mais oui. Heureusement, d’ailleurs. Si l’on se souvenait de tout, on
deviendrait un robot ou un ordinateur. Il faut aussi oublier. On peut même
dire que cet oubli nécessaire, c’est un refoulement, c’est-à-dire quelque
chose qui est repoussé hors de la conscience. En réalité, ces récits d’enfants
sont autant de fantasmes qui expriment des situations imaginaires refoulées
dans l’inconscient.
– Je l’ai vue avec des copains. Ils se sont bien amusés, mais moi je me
suis ennuyé car il n’y a aucune histoire et c’est trop technique.
– Oui, c’est vrai. Mais tu m’as dit aussi que tu avais été très étonné quand
ton copain t’a dit que l’exposition l’avait aidé à comprendre qu’il ne devait
pas avoir peur du gonflement de son zizi. Il était convaincu, avant cette
visite, que ses pieds seraient coupés par les médecins s’il ne parvenait pas à
empêcher ce gonflement.
– C’est vrai, et du coup j’en ai parlé avec lui. Dis-moi maintenant quelle
est la différence entre cet inconscient freudien et le subconscient des
psychologues et des psychiatres dont nous avons parlé avant ?
– Freud a aboli l’idée que la pensée serait coupée en deux, comme l’avait
dit Descartes. Il a effacé les frontières entre la raison et la folie, et il a
montré que nous sommes à la fois rationnels et irrationnels et qu’il y a une
continuité entre le corps et l’âme.
Chacun de nous est en même temps un adulte et un enfant, un malade et un
bien-portant, un sauvage et un civilisé, un criminel et un héros, un artiste et
un tyran. Nous ne sommes pas divisés en deux parties, mais à la fois
quelque chose et son contraire. Nous ne sommes pas un sujet à deux
facettes bien dessinées, mais un carrefour où se croisent toutes sortes de
forces contraires qu’il faut contrôler. Ces forces, on les appelle des pulsions,
c’est-à-dire des charges énergétiques susceptibles autant de nous détruire
que de nous pousser vers l’amour, l’art, la beauté, la création.
– Mais tu as dit aussi qu’il y a des gens qui n’ont pas besoin de savoir
qu’ils ont un inconscient. Qu’ont-ils donc à la place ?
– Je te l’ai dit déjà. Ils ont les religions, les chamans, les drogues, les
traitements chimiques, les classifications de la psychiatrie, les croyances,
les esprits qui organisent des complots, les neurones, le subconscient, la
supra-conscience subliminale.
Mais il n’empêche que le nom de Freud est présent désormais dans la
culture universelle. Et d’ailleurs, si Freud n’avait pas triomphé avec ses
idées, il n’y aurait pas d’ennemis de Freud et on ne discuterait pas tant de
l’inconscient. On s’en passerait.
– Tu as dit aussi que l’inconscient parle avec des récits et des légendes. Il
n’est donc pas simplement ma propriété ?
– En effet, l’inconscient est également collectif. Il renferme des invariants
de la condition humaine que l’on appelle des mythes, c’est-à-dire des récits
explicatifs sur nos origines : l’origine du monde, de l’être humain, des
phénomènes naturels. La mythologie, c’est l’ensemble de ces mythes qui
ont de nombreuses variantes. On retrouve les mêmes mythes dans toutes les
cultures et les religions. Ils racontent les mêmes histoires : la lutte des fils
contre les pères, la nécessité de se révolter contre la tyrannie pour instaurer
une société meilleure, la place de la sexualité dans les relations entre
hommes et femmes, l’idée que la vie est un long voyage et qu’avant de
trouver la sagesse, il faut traverser des épreuves.
– Un long voyage ?
– Tu connais l’histoire d’Ulysse, le roi d’Ithaque, parti faire la guerre contre
les Troyens. Cet homme rusé mettra vingt ans à retourner dans son pays
pour retrouver sa femme, Pénélope, et son fils Télémaque. Et il devra
affronter toutes sortes d’épreuves au cours de son voyage. Il ira en enfer et
aura des aventures érotiques. Finalement, après avoir retrouvé sa fidèle
épouse, il sera tué par Télégonos, le fils qu’il avait eu de la magicienne
Circé. Comme dans l’histoire d’Œdipe que je t’ai racontée, le fils ne sait pas
qu’il tue son père, et celui-ci ne sait pas que son meurtrier est son fils. C’est
le destin transformé en inconscient : quand il apprend la vérité, il pardonne.
Quant à Télémaque, l’autre fils d’Ulysse, il a pris sa place, auprès de
Pénélope, pendant son absence. Il la protège des prétendants. Lui aussi est
le jouet de son destin dicté par l’oracle. Après la mort d’Ulysse, il épousera
Circé, la mère de Télégonos, lequel deviendra l’époux de Pénélope. De ce
dernier mariage, naîtra Italos (l’Italie). Ainsi, une mère épouse le fils que
son époux a eu d’une autre femme et un fils épouse la mère de son demi-
frère.
– Par exemple ?
– Eh bien, voici l’histoire d’Émile, qui a été adopté à sa naissance. Il ne le
savait pas. À l’âge de 5 ans, il a commencé à être très anxieux. Il disait que
ses parents n’étaient pas ses parents, qu’il était né dans un nid en haut des
arbres, qu’il était un oiseau et qu’il attendait d’avoir des ailes qui poussent.
Et puis plus tard, il s’est mis à collectionner des passeports, des cartes
d’identité, des photographies de paysages étranges. Il affirmait qu’on lui
avait donné un nom qui n’était pas le sien. Comme tu vois, son inconscient
savait quelque chose qu’il ne connaissait pas consciemment : un secret de
famille. On lui avait dissimulé la vérité sur ses origines et il en souffrait.
Cela montre que l’inconscient ne se trompe pas.
– Quand je rêve, je vois des animaux. Cela veut-il dire que l’inconscient
est peuplé d’animaux ?
– Ces animaux que tu vois dans tes rêves sont des chimères, c’est-à-dire des
monstres composés par exemple d’une queue de chien, d’un corps de
chèvre avec des ailes, d’une tête humaine, de dents de lion et de pattes
d’éléphant.
– Si nous sommes habités dans l’inconscient par des animaux, cela veut-il
dire que les animaux rêvent des humains ?
– Mais on ne peut pas le savoir puisque les animaux ne peuvent pas parler
de leurs rêves.
– Les anormaux ?
– Oui, les bossus, les nains, les albinos, les trisomiques, les siamois, les
gens atteints de malformations physiques ou encore les enfants sauvages
qui, abandonnés à leur naissance, survivent dans les forêts sans jamais
apprendre à parler. Autrefois, on les exposait dans des cirques ou alors on
les confiait à des savants et à des médecins qui les observaient. Mais, avec
les conquêtes coloniales, on a traité aussi de la même manière les peuples
premiers, les sauvages, Indiens, Africains. Longtemps on s’est demandé
s’ils avaient une âme ou une conscience.
– Mais j’ai lu que des savants très sérieux affirment qu’il n’y a aucune
différence entre le cerveau d’un singe et le nôtre, et qu’on peut même
apprendre à un singe à être un homme.
– Oui, bien entendu. On peut dresser les singes pour les faire ressembler à
des hommes et dresser des hommes à imiter des singes. Il y a même des
savants qui croient que le cerveau humain est une machine neuronale qui se
suffit à elle-même pour penser ou produire des œuvres d’art. Certains
affirment pouvoir construire une machine à enregistrer ou à interpréter les
rêves en étudiant la manière dont les neurones s’allument dans le cerveau. Il
y a aussi des psychologues et des philosophes qui sont persuadés que la
barrière des espèces n’existe pas, que les humains et les hominidés se
ressemblent tellement qu’ils devraient pouvoir se marier. De nombreux
savants pensent également que les hommes et les singes ont un inconscient
identique et ils rêvent de faire parler les singes et de détecter le contenu de
leurs pensées dans les neurones.
– L’autre jour, tu m’as donné à lire un petit livre que j’ai beaucoup aimé :
Les Captifs du zoo. L’auteur, Vera Hegi, gardienne de zoo à Moscou en
1930, y raconte de terribles histoires d’animaux enfermés ou maltraités.
Ce que nous disons m’y fait penser maintenant.
– Dans ce livre, Vera Hegi décrit les animaux confrontés au monde des
humains : la fureur du tigre royal qui refuse de manger en présence de ses
gardiens, l’histoire de l’ours mort d’émotion après avoir frappé une
compagne qu’on lui avait imposée, ou encore l’aventure d’une jeune
éléphante. Un jour qu’un visiteur lui tend un pain, elle s’en empare, le
réduit en miettes puis rejette avec sa trompe une lame de rasoir
soigneusement dissimulée. Le visiteur voulait savoir si l’animal aurait
conscience de la présence de cette arme meurtrière. Il a été servi.
– Tu as l’air de dire que les humains sont plus cruels que les animaux.
Mais j’ai vu à la télévision de nombreux documentaires sur les animaux
sauvages. C’est terrible, ils se dévorent entre eux, les plus forts attaquent
avec férocité les plus faibles.
– Oui, bien sûr, mais cela n’a rien à voir avec les humains. Les animaux
obéissent aux lois de la nature. À aucun moment ils ne prennent plaisir à
tuer. Seuls les humains commettent des crimes, organisent des massacres ou
inventent des tortures pour faire souffrir leurs semblables. Seuls les
humains humilient les animaux en leur teignant le poil, en leur coupant les
pattes ou les ailes, en leur faisant porter des lunettes pour se moquer d’eux,
en les dressant à tuer. Seuls les humains sont capables des pires perversions.
– Des perversions ?
– Pervertir, cela veut dire détourner, renverser, inverser, changer le bien en
mal ou encore aimer se détruire ou détruire les autres, se comporter comme
un bourreau. Les animaux ne sont pas pervers puisqu’ils ne détruisent rien
pour le plaisir de détruire. Les animaux sont des êtres sans ambivalence qui
n’ont ni subjectivité, ni surmoi, ni langage, ni inconscient au sens humain.
Ils existent, ils vivent, ils meurent, ils souffrent, ils se reproduisent.
– Mais on peut tout de même dresser les animaux pour en faire des
tueurs ?
– C’est exact. Et tu sais que les nazis ont eu l’idée de remplacer dans les
camps d’extermination les sentinelles par des chiens ou encore de les
obliger à surveiller les détenus. Mais ces tentatives n’ont donné aucun
résultat. Même entraînés à la dévoration des prisonniers, les chiens ne
parvenaient pas à égaler les nazis qui en avaient fait des meurtriers. La
« bête immonde » n’est pas l’animal mais l’homme.
– Les animaux se mangent entre eux et nous mangeons les animaux. Est-
ce une perversion ?
– Non, les humains sont naturellement carnivores, et donc manger l’animal
est naturel chez l’homme. Mais comme nous avons conscience du fait que
tuer est un acte barbare, nous sommes sensibles à la souffrance des
animaux. Ce qui est cruel c’est de tuer inutilement des animaux, de les faire
souffrir ou de les transformer en viande de leur vivant, dans des élevages
industriels intensifs.
– C’est vrai. Mais ce que tu dis me fait penser à un livre allemand ancien
avec des illustrations que tu m’as donné quand j’étais petit et qui venait
de ta mère : Der Struwwelpeter (Pierre l’ébouriffé).
– Tu as raison de penser à ce livre. C’est un recueil de comptines inventées
par un médecin et poète allemand du XIXe siècle, Heinrich Hoffmann, qui a
connu un succès considérable. Il a été traduit en français par le dessinateur
Cavanna, l’un des fondateurs du journal Charlie Hebdo, sous le titre Crasse
Tignasse. Dans ce livre, Heinrich Hoffmann raconte, à l’intention de son fils
de 3 ans, des histoires d’enfants turbulents qui s’illustrent par des actes
insensés. Ces enfants maltraitent les animaux, font preuve de racisme et
d’arrogance, refusent de manger, maigrissent à vue d’œil, jouent avec des
allumettes, provoquent des incendies et se noient parce qu’ils ne regardent
jamais où ils mettent les pieds. Le personnage principal, Pierre-à-la-grosse-
tignasse, refuse de se coiffer et de se couper les cheveux. Pendant des mois,
il laisse pousser ses ongles au point d’avoir des mains griffues. Il devient
hideux et triste. Finalement, ces pauvres enfants sont eux-mêmes les
victimes de leur comportement. Il leur arrive des choses épouvantables. Ils
meurent à force de s’être laissés aller à se détruire et à ne pas réprimer les
pulsions qui viennent de leur inconscient. Ou alors, ils sont punis
sauvagement : par exemple, un tailleur vient un jour couper les doigts d’un
enfant qui suçait son pouce.
– Ce livre montre aussi qu’il ne sert à rien de punir ces enfants en leur
infligeant des châtiments corporels.
– En effet, puisque la cruauté d’un châtiment est de même nature que la
cruauté que l’on s’inflige à soi-même. Ces enfants se conduisent au fond à
l’imitation de leurs parents qui les traitent comme des choses et sont
incapables de les éduquer. C’est la mauvaise éducation qui aboutit au pire.
– Et alors ?
– Je dirais plutôt que ce qui a permis une telle extermination, c’est que le
nazisme, doctrine d’État, a favorisé l’expression de la pulsion de mort, sous
toutes ses formes, à tous les échelons de la société. Ainsi, le côté obscur de
l’inconscient humain a été valorisé au lieu d’être réprimé ou refoulé. Le
crime, la torture, la délation, le viol, la volonté de nuire, l’extermination
sont ainsi devenus LA norme collective à laquelle chacun était contraint de
se soumettre, sous peine de désobéir à la loi. On ne trouve donc rien de
particulier dans l’inconscient des criminels nazis, rien qui permette
d’expliquer de tels actes. Tous les bourreaux nazis sont différents et chacun
d’entre eux a une histoire singulière. Mais ce qui les réunit, c’est l’idée que
les Juifs ne sont pas dignes d’exister et qu’il faut les remplacer par une
humanité dite pure et racialement supérieure.
– Par exemple ?
– Eh bien, quand une personne veut prouver qu’elle n’est pas antisémite,
elle dit volontiers : « Je ne suis pas antisémite, puisque j’ai des amis juifs. »
Ou alors, quand on dit : « Je n’ai rien contre les Juifs mais on sait bien
quand même qu’ils ont une influence, une allure spéciale et sont motivés
par l’appât du gain. » Ou alors quand quelqu’un dit, lors d’un attentat contre
une synagogue, qu’il y a eu des « victimes françaises innocentes ».
– Et les animaux ?
– Ils sont des mutants et ils parlent. L’homme qui incarne les vertus
ancestrales du bien et de la sagesse est le dépositaire de la mémoire de
l’univers. C’est un petit nain verdâtre, moitié homme, moitié bête, laid et
minuscule. Il s’exprime par énigmes, comme l’oracle grec, en inversant les
mots et la syntaxe. L’univers dans lequel vivent toutes ces espèces est
traversé par le conflit qui oppose les forces du mal – l’impérialisme, la
barbarie, la tyrannie sous toutes ses formes – et les forces du bien – les
Lumières, le progrès, la démocratie.
– Et Dark Vador ?
– C’est un être tourmenté par le conflit entre le bien et le mal. Il a engendré
deux jumeaux voués à le détruire. Il a d’abord été un homme d’élite
guerrier des Lumières et de la civilisation. Puis, déçu par l’incompétence de
ses maîtres, il est attiré par le « côté obscur de la force », c’est-à-dire par le
mal que chaque homme porte en lui. Il se transforme alors en un robot
humanoïde vêtu de noir. Mais pour que cette métamorphose puisse avoir
lieu, il faut que son corps et son visage soient entièrement brûlés. Recouvert
de son armure guerrière, et soumis à un maître barbare – une sorte de nazi
défiguré par ses vices –, Dark Vador est déchu de son humanité.
– Et puis, il y a aussi cette histoire de héros abandonné qui tue son père ?
– Oui. Au moment où, presque vaincu par son propre fils, au cours d’une
lutte à mort, et sommé de le tuer sur ordre de son maître barbare, Dark
Vador retourne sa puissance guerrière contre celui qui l’a asservi. Sous le
robot humanoïde apparaît alors le visage du héros qu’il était autrefois. Mais
ce visage à l’agonie, très humain, ce visage immortel, est celui d’un
monstre, couvert de pustules.