Vous êtes sur la page 1sur 6

8 – FICHE MÉTHODE : Élaboration du diagnostic orthophonique1

Modélisation1

Principe général
L’étape 5 du parcours diagnostique orthophonique [cf. fiche ‘Parcours diagnostique orthophonique] doit permettre
de reprendre tous les éléments de façon transversale (= inter -apacités) pour parvenir si possible à une interprétation
synthétique du dysfonctionnement dont souffre le sujet et poser un diagnostic différentiel qualifiant le trouble et son
degré de sévérité. Le diagnostic orthophonique s’envisage dès le premier indice recueilli parmi un éventail de pos-
sibles et s’affine progressivement au fur et à mesure de la passation des différentes épreuves.

Il ne se limite pas à une mesure d’un écart à la norme objectivé par des données de score confrontées aux étalonnages
de la population de référence. Il tient compte des éléments d’observation clinique qui cherchent à décrire ou à for-
maliser des modalités de fonctionnement du sujet et des autres données (calculs d’empans, de gain, d’indices, profils
spécifiques) qui explicitent des stratégies mises en place. Il détermine surtout des points forts ou des émergences.

Pour poser un diagnostic orthophonique (et proposer un projet thérapeutique adapté si nécessaire), il est nécessaire
de répondre à 3 questions :
Q1 : le sujet est-il efficient/non efficient ?
Q2 : comment le sujet fonctionne-t-il ?
Q3 : pourquoi le sujet est-il efficient/non efficient ?

Il faut s’appuyer sur un ou des modèles théoriques du fonctionnement cognitif et langagier, connaître les tableaux
sémiologiques des différents troubles. Si l’on s’adresse à un enfant, il ne faut pas perdre de vue les points de repère
de développement. Chacun sujet étant différent, il faut tenir compte de l’histoire du sujet et de celle de son trouble.

1 COQUET, F. (2013). Troubles du langage oral chez l’enfant et l’adolescent - Pistes pour l’évaluation. Isbergues Ortho Edition.

Les carnets cliniques d’Ortho Edition « Fonctions oro-myo-faciales & Phonologie » MODULE « MÉTHODOLOGIE DE L’ÉVALUATION »
Françoise COQUET © Ortho Édition 2019
1
1 – Le sujet est-il efficient ?
Les épreuves autorisant un calcul de score mesurent un niveau de réussite.
Ces scores confrontés à ceux de la population de référence positionnent le sujet en écart éventuel à la norme des pairs
du même âge/du même niveau de scolarisation, défini à partir de données de score et concluent sur son niveau de
performance.
En fonction des distances à la norme, les performances sont estimées comme supérieures/en correspondance avec ce
qui est attendu/en émergence/fragiles/déficitaires.

2 – Comment le sujet fonctionne-t-il ?


La réponse à cette question ne se trouve pas dans la donnée de score envisagée isolément et uniquement. Elle se dé-
termine à partir d’éléments très nombreux et divers.
Les scores obtenus comptabilisent les bonnes réponses. Ils ne tiennent pas compte
-- du nombre d’erreurs faites, des temps de latence avant la réponse ou du temps mis pour parvenir au résultat
alors que des indices de précision ou de vitesse le mesurent
-- des autocorrections possibles ou de la sensibilité à l’étayage que mettent en évidence des calculs de gains
-- de la taille des empans mnémoniques qu’il faut déduire à partir de la dernière série correctement reproduite.
Ces autres éléments cernent d’une façon plus précise le fonctionnement du sujet et la façon dont il est ou pas efficient.

De plus, ce n’est pas tant la valeur du score que la comparaison des scores entre eux qui est pertinente. Des dissocia-
tions entre les valeurs des scores apparaissent éventuellement en fonction
-- du versant de traitement des stimuli : réceptif versus expressif
-- de la modalité de présentation des stimuli : auditive versus visuelle
-- de la nature des stimuli : signifiant versus non signifiant ; élément discret versus concept ; mot versus indice
-- de la nature de la tâche : jugement versus correction.

Le profil de fonctionnement qui est ainsi établi apparaît soit homogène soit hétérogène.

3 – Pourquoi le sujet est-il ou pas efficient ?


Les objectifs thérapeutiques qui sous-tendent la rééducation visent une amélioration des performances. Avant de les
définir, il faut envisager l’hypothèse d’un lien incident entre des performances à une/des épreuve(s) dans un autre
domaine vis-à-vis des performances dans les épreuves du domaine envisagé. Cette façon de faire amène à mettre en
évidence d’éventuels facteurs explicatifs/interférents.
Il faut aussi envisager l’hypothèse opposée à savoir un lien de conséquence entre des performances aux épreuves
du domaine vis-à-vis des performances à une/des épreuve(s) dans un autre domaine et rechercher une répercussion
possible ou d’une mise en lien.

Les carnets cliniques d’Ortho Edition « Fonctions oro-myo-faciales & Phonologie » MODULE « MÉTHODOLOGIE DE L’ÉVALUATION »
2 Françoise COQUET © Ortho Édition 2019
Application au domaine ‘Phonologie’

• Prise en compte des données de l’évaluation


Suite à la passation des différentes épreuves, un corpus de production a été recueilli et se prête à une description en
termes de manifestations de surface et à une analyse.
Les procédures d’analyse (Coquet et al.2) sont :
-- quantitatives : décompte des modes de réponse (réponse juste/réponse erronée/absence de réponse) ; dé-
compte ou pourcentage de réussites ou d’erreurs
-- qualitatives :
- analyse des erreurs
- recherche des processus de facilitation permettant au sujet une identification/production des mots-cibles :
modèle à répéter/geste indice.

• Synthèse
Il s’agit pour l’orthophoniste de :
-- définir le répertoire phonétique dont le sujet dispose
-- identifier les phonèmes correctement réalisés et les phonèmes altérés
-- envisager un trouble phonétique
-- mesurer le degré d’intelligibilité de la parole
-- quantifier et qualifier les processus d’altération phonologique produits
-- caractériser le profil phonologique du sujet
-- envisager un trouble phonologique.

• Diagnostic orthophonique pour le domaine Phonologie


C’est lors de la transcription phonétique et de l’analyse des productions que la différence entre trouble phonétique et
trouble phonologique est identifiable.
En cas de troubles articulatoires (phonétiques), le problème relève d’un geste articulatoire incorrect.
-- Le phonème distordu n’appartient pas aux phonèmes de la langue maternelle (il faut trouver un codage pour
le transcrire).
-- L’erreur est systématique, même en isolé et en répétition (parce qu’un programme moteur erroné a été enco-
dé).
-- Si le trouble est isolé, le contraste phonétique entre les phonèmes reste perceptible (entre sourde et sonore/
entre oral et nasal…).
-- Les erreurs sont très stables ; elles ne varient pas ou très peu avec la position du phonème dans le mot, la
longueur du mot à produire ou même la familiarité ou la lexicalité (mots vs pseudo-mots).

En cas de troubles phonologiques, le problème se situe au niveau de l’encodage phonologique (organisation des
phonèmes et utilisation à des fins linguistiques), c’est-à-dire de la récupération de la forme phonologique suite à des
difficultés à abstraire/organiser/récupérer les connaissances.
-- L’utilisation contrastive des phonèmes est altérée.
-- Si le trouble est léger/moyen, les erreurs sont souvent stables pour un même mot ; elles sont influencées par
la longueur/complexité du mot à produire ou par la familiarité/lexicalité (mots vs pseudo-mots).
-- Si le trouble est sévère, les erreurs peuvent être instables et varier en fonction du contexte (altération diffé-
rente d’un son en fonction du mot/altération différente d’un mot en fonction de l’énoncé) ou dans le même
contexte (mot produit différemment à différentes reprises).

2 COQUET, F., FERRAND, P., ROUSTIT, J. (2009). Batterie EVALO 2-6 : Notes théoriques, méthodologiques et statistiques. Isbergues :
Ortho Edition.

Les carnets cliniques d’Ortho Edition « Fonctions oro-myo-faciales & Phonologie » MODULE « MÉTHODOLOGIE DE L’ÉVALUATION »
Françoise COQUET © Ortho Édition 2019
3
Il est intéressant d’envisager les troubles en fonction des différentes étapes impliquées dans la production de la
parole selon le modèle de Lewelt3 (1989).

Encodage phonologique Troubles phonologiques


Programme moteur
articulatoire Dyspraxies verbales


Planification en mémoire
tampon articulatoire


Exécution motrice Dysarthries


Formes/Positions
Mouvements des Dyslalies
organes phonatoires


Signal de parole

Le diagnostic orthophonique phonologique ne saurait être posé uniquement à partir des scores obtenus aux épreuves
ou de la description des erreurs de production. Il nécessite la prise en compte d’un faisceau d’indicateurs et des
compléments d’investigation, tant sur le versant Réception que sur le versant Production.

L’analyse qualitative des réponses proposées par le sujet affine le diagnostic, au-delà des données de scores et de leurs
comparaisons. Elle permet surtout le recueil d’informations précieuses sur les stratégies qu’il utilise pour organiser,
développer et utiliser ses représentations phonologiques. Elle renseigne sur ses potentialités et sur ses limites.
Cliniquement, les objectifs thérapeutiques doivent être envisagés à partir de cette analyse qualitative, complétant les
données objectives de scores.

À l’aide des performances aux épreuves évaluant les aspects gnosiques, cognitifs, mnésiques et praxiques, il convient
également d’envisager la performance du sujet par rapport au modèle neuropsycholinguistique de traitement des
mots, et de repérer si la difficulté affecte plutôt le traitement en entrée (difficultés gnosiques principalement), en
sortie (difficulté de programmation pré-articulatoire/difficultés oro-praxiques), la récupération en mémoire des
représentations phonologiques, la fonction de formulation…

Lors de la pose du diagnostic orthophonique, il faut aussi envisager les éléments phonétiques/phonologiques
(lexicaux et morphosyntaxiques) en terme d’oralité verbale et les croiser avec ceux recueillis sur le champ de l’oralité
alimentaire.

3
LEVELT , J.M. (1989). From intention to articulation. Cambridge, Mass : MIT Press.

Les carnets cliniques d’Ortho Edition « Fonctions oro-myo-faciales & Phonologie » MODULE « MÉTHODOLOGIE DE L’ÉVALUATION »
4 Françoise COQUET © Ortho Édition 2019
Application aux fonctions oro-myo-faciales et au champ des oralités

• Prise en compte des données de l’anamnèse


Lors du temps d’anamnèse, il faut rechercher les éléments médicaux ou certains événements qui peuvent constituer
des situations pré-disposantes à un trouble de l’oralité alimentaire.

• Prise en compte des données de l’évaluation


« L’évaluation [doit être] analytique, précise et fonctionnelle (…). Elle s’effectue par un examen passif hors des repas
et par un examen actif au cours du repas » (Crunelle4, 2004).

L’observation/l’évaluation doit permettre de mettre en évidence et d’apprécier


- les fonctions sensorielles et gnosiques en jeu lors de l’alimentation
- les fonctions motrices et praxiques en jeu lors de l’alimentation
- les aspects alimentaires en termes de sélectivité/quantité/comportement et leurs particularités
- le fonctionnement de la boucle sensorielle primaire en lien avec des situations pré-disposantes aux troubles
alimentaires et de la boucle sensorielle secondaire tissée par les comportements et réponses parentales face
aux difficultés (Levasseur5, 2017)
- les rituels alimentaires et le modèle familial.

• Synthèse
Il s’agit pour l’orthophoniste de rechercher des mises en lien (Coquet6, 2017) avec des troubles des fonctions oro-
myo-faciales et de l’oralité.
Il existe souvent un lien entre trouble(s) d’articulation et :
- état bucco-dentaire : sigmatismes et troubles de l’articulé dentaire ou béances au niveau incisif ; absence/
palatalisation du [l] et frein de langue court ; absence/mauvaise réalisation des consonnes palatales et palais
ogival…
- tonus : dé-sonorisation du système consonantique ou absence de projection/fermeture labiale et hypotonicité
- sensibilité endo-buccale : absence de [k], [g], [R] et hyper nauséeux
- déglutition : appuis linguaux atypiques lors de l’articulation ou sigmatismes et déglutition atypique
- succion : mauvaise réalisation des consonnes palatales et persistance du réflexe de tétée ou d’une succion
non nutritive
- mastication : maladresses articulatoires et absence de mastication de morceaux ou de rotation du bol
alimentaire/passage de part et d’autre de l’axe médian.

Il est possible d’envisager une relation entre retard/trouble de la parole (par exemple au niveau de la précision et de
la vitesse de coarticulation des phonèmes) et
- une histoire d’oralité alimentaire particulière ou complexe
- la persistance d’une alimentation au biberon ou d’une succion non nutritive
- des particularités lors des prises alimentaires (texture des aliments proposés/mastication/déglutition)
- un défaut d’expériences autour de l’alimentation
qui ont gêné/empêché/retardé la mise en place des praxies oro-faciales, du répertoire phonétique et surtout de la
dimension proprioceptive/kinesthésique/motrice des représentations phonologiques.
4 CRUNELLE, D. (2004). Les troubles de déglutition et d’alimentation de l’enfant cérébrolésé. Rééducation Orthophonique, 220.
83-89.
5 LEVASSEUR, E. (2017). Prise en charge précoce des difficultés alimentaires chez l’enfant dit ‘tout-venant’ ou ‘vulnérable’.
Rééducation orthophonique, 271. 151-169.
6 COQUET, F (2017b). Retard ou trouble du langage oral : si on en parlait en termes d’oralité(s) ? Rééducation orthophonique, 271.
67-92. Intervention au congrès FNO ‘Les oralités’ octobre 2017

Les carnets cliniques d’Ortho Edition « Fonctions oro-myo-faciales & Phonologie » MODULE « MÉTHODOLOGIE DE L’ÉVALUATION »
Françoise COQUET © Ortho Édition 2019
5
Il est possible d’envisager une relation entre retard/trouble du langage oral et
- une histoire d’oralité alimentaire particulière ou complexe
- une prise alimentaire en décalage par rapport à celle attendue pour l’âge (texture des aliments proposées/
modalités d’ingestion)
- des particularités de positionnements de l’enfant et des adultes nourriciers l’un par rapport à l’autre ayant
modifié la qualité des interactions communicatives
- des enjeux autour des repas pendant l’enfance ayant entraîné des tensions
- un défaut d’expériences autour de l’alimentation/des aliments/de la préparation des repas
- l’absence de plaisir à l’alimentation
- un manque d’autonomie pour l’alimentation
qui ont gêné/empêché/retardé l’investissement du langage.

• Diagnostic orthophonique
Chez certains enfants dits ‘tout-venant’, il faut envisager un diagnostic de Troubles de l’Oralité Alimentaire – TOA.
Les troubles de l’oralité se caractérisent par une hypersensiblité ou hyposensibilité sensorielle concernant les goûts
et les odeurs.
Dans les cas les plus complexes, on parle de dysoralité. La dysoralité représente « l’ensemble des difficultés
d’alimentation par voie orale » et s’actualise dans des troubles alimentaires par absence de comportement spontané
d’alimentation ou par refus d’alimentation. Ces troubles affectent l’ensemble de l’évolution psychomotrice, langagière
et affective de l’enfant » (Thibaut7, 2004). Ces problèmes sont fréquents, concernent les prématurés et d’autres enfants
porteurs de handicap. Ils peuvent avoir des causes multiples (hypoxie, maladies génétiques, maladies métaboliques,
problèmes neurologiques…).

[Consulter la fiche Parcours diagnostique orthophonique – Exemples]




7 THIBAULT, C. (2004). Éditorial. Rééducation Orthophonique, 220 - Les troubles de l’oralité alimentaire chez l’enfant. 3-7.

Les carnets cliniques d’Ortho Edition « Fonctions oro-myo-faciales & Phonologie » MODULE « MÉTHODOLOGIE DE L’ÉVALUATION »
6 Françoise COQUET © Ortho Édition 2019

Vous aimerez peut-être aussi