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Monika Boekholt

Épreuves
thématiques
en clinique infantile
Illustration de couverture
Franco Novati

©©Dunod,
Dunod,2015
2022
© Dunod,
© Dunod, 20062006, pour
et 2015 l’ancienne
pour présentation
les anciennes présentations
11 rue
11 ruePaul
PaulBert,
Bert,92240
92240Malakoff
Malakoff
www.dunod.com
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-084024-3
978-2-10-072743-8
TABLE DES MATIÈRES

Préface IX
Avant-propos 3
1. Utilisation des épreuves thématiques chez l’enfant 11
1.1. Principes généraux 11
• Les contextes de pratique 11
• Place des épreuves thématiques dans l’examen
psychologique de l’enfant 12
• Choix de l’épreuve thématique 14
• La prise en note du matériel 16
1.2. Fondements théoriques 18
• Réel et fantasme dans la situation thématique 18
• Objectif des épreuves thématiques 22

Première partie
ÉPREUVES DE JEU : LE SCÉNO-TEST

2. Le scéno-test : théorie et utilisation 33


2.1. Fondements théoriques et méthodologiques 33
• Préalables 33
• La situation scéno-test 35
• La notion de procédés de jeu 37
• Présentation du matériel 41

V
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

2.2. Modalités d’utilisation 46


• Les indications 46
• La présence d’un tiers 48
• La passation 49
• La relation enfant-clinicien 50
3. Dépouillement des épreuves de jeu 53
3.1. Déroulement de l’épreuve 53
3.2. Analyse des procédés de jeu 54
• Procédés utilisés hors du jeu avec le matériel 54
• Procédés sensori-moteurs traduisant une action
dirigée vers le matériel 56
• Procédés traduisant le recours à la relation
avec le clinicien 59
• Procédés traduisant le recours à la réalité externe 60
• Procédés traduisant le recours à l’évitement et
à l’inhibition 62
• Procédés traduisant le recours à l’imaginaire et
au fantasme 63
• Procédés traduisant le recours à l’objectivation et
au contrôle 65
3.3. Synthèse 68
• Repérage des procédés de jeu 68
• Des procédés aux configurations défensives 70
• Les registres de problématiques 72
• Hypothèses concernant le fonctionnement psychique 74
4. Illustrations cliniques 77
4.1. Autisme et changement dans un cas de psychose précoce :
Xavier, 3 ans et 6 mois 77
4.2. Agressivité et immuabilité dans les manifestations
obsessionnelles : Damien, 8 ans et 7 mois 83

Deuxième partie
ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

5. Le CAT : théorie et utilisation 89


5.1. Fondements théoriques et méthodologiques 89
• Historique 89

VI
TABLE DES MATIÈRES

• La situation CAT : de l’image au langage


chez le jeune enfant 92
• Analyse du matériel : contenus manifestes et
sollicitations latentes 95
5.2. Modalités d’utilisation 111
• Les indications 111
• La passation 113
• La relation enfant/clinicien 115
6. Le PN : théorie et utilisation 118
6.1. Fondements théoriques et méthodologiques 118
• Louis Corman 118
• La situation PN 121
• Analyse du matériel : contenus manifestes et
sollicitations latentes 122
6.2. Modalités d’utilisation 136
• Les indications 136
• La passation selon L. Corman 137
• La passation en fin de la relation enfant-clinicien 139
7. Le TAT : théorie et utilisation 141
7.1. Fondements théoriques et méthodologiques 141
• Aperçu bibliographique 141
• La situation TAT en période de latence 146
• Contenus manifestes et sollicitations latentes 147
7.2. Modalités d’utilisation 152
• Les indications : CAT ou TAT ? 152
• La passation 153
• La relation enfant/clinicien 154
8. Dépouillement des épreuves thématiques verbales 157
8.1. Déroulement de l’épreuve 157
8.2. Analyse des procédés d’élaboration des récits 158
• Procédés traduisant le recours à la sphère motrice
et corporelle 158
• Procédés traduisant le recours à la relation avec
le clinicien 161
• Procédés traduisant le recours à la réalité externe 164
• Procédés traduisant le recours à l’évitement et à
l’inhibition 168
• Procédés traduisant le recours à l’affect 169

VII
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

• Procédés traduisant le recours à l’imaginaire et


au fantasme 171
• Procédés traduisant le recours à l’objectivation et
au contrôle 176
8.3. Synthèse 183
• Repérage des procédés d’élaboration des récits 183
• Des procédés aux configurations défensives 185
• Registres de problématiques 187
• Hypothèses concernant le fonctionnement psychique 189
9. Illustrations cliniques 192
9.1. Déclin de l’Œdipe et dépression : CAT de Line
(5 ans et 2 mois) 192
9.2. Télescopages pulsionnels : PN de Dimitri (7 ans et 3 mois) 199
9.3. Préfiguration de l’hystérie : TAT de Patricia (10 ans) 209

Bibliographie 219

VIII
PRÉFACE
L’utilisation des épreuves projectives en clinique de l’enfant est à la
fois plus répandue et davantage admise qu’en clinique adulte. Pourtant, si
les travaux ont abondé en diversité et en qualité dans le domaine du test
de Rorschach, l’expérimentation et l’élaboration des données projectives
des épreuves thématiques sont restées jusqu’ici très empiriques et ont
rarement été véritablement pensées théoriquement. Or l’utilisation
conjointe du Rorschach et d’une épreuve thématique au moins s’impose
si la démarche d’investigation obéit à des critères de rigueur de validité.
La complémentarité de ces deux types de tests met en évidence l’éventail
des conduites psychiques dont dispose l’enfant lorsqu’il est confronté à
des stimuli requérant des opérations mentales différentes du fait de la
qualité spécifique des matériaux proposés et des consignes singulières
énoncées pour chacun d’entre eux.
L’intérêt des méthodes projectives dans les examens psychologiques
d’enfants apparaît dès lors qu’on se penche sur ce mode d’approche dans
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une perspective délibérément clinique, au plein sens du terme, c’est-à-


dire comprenant dans sa démarche épistémique, la dimension relationnel-
le qui associe l’enfant, le psychologue clinicien et la médiation offerte
par le matériel des tests. L’investigation se révèle alors riche d’informa-
tions sur le fonctionnement psychique de l’enfant, facilitant de surcroît la
rencontre avec lui en lui offrant à la fois matière et prétexte à s’exprimer
dans une situation qui favorise la créativité et le travail de pensée grâce à
la mise en mots et/ou à la construction de récits. La mobilisation d’un
fonctionnement de type transitionnel (au sens de Winnicott) est sollicitée
par la situation projective puisqu’elle fait appel en particulier à la capaci-
té de jouer chez l’enfant. Le jeu s’inscrit ici dans un échange verbal à
partir d’un matériel concret, figuratif lorsqu’il s’agit d’épreuves théma-

IX
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

tiques telles que le CAT, le PN ou le TAT. Mais, en même temps, une


tâche est demandée à l’enfant : il s’agit aussi, pour lui, de s’engager dans
un véritable travail psychique, un travail de penser qui doit à la fois
prendre en compte les contraintes de la réalité perceptive et celles du
monde interne, par la réactivation de conflits en termes de représenta-
tions et d’affects.
Au-delà de la procédure de passation, dont il convient de cerner les
règles et les ouvertures, le dépouillement des protocoles confronte à
d’importantes difficultés. En effet, l’analyse des données apparaît infini-
ment plus complexe que pour les adultes. Il faut étudier les caractéris-
tiques individuelles de chaque enfant en référence à des repères particu-
lièrement soumis au changement puisque sans cesse modifiés par le
développement. Si les normes adultes sont discutables, que dire des
modèles «normatifs» du fonctionnement psychique des enfants ? Nous ne
disposons pas, fort heureusement, de tableaux nosologiques des compor-
tements et des conduites psychiques en fonction de l'âge et du sexe. Le
danger qui menace alors le clinicien est celui de l'adultomorphisme : la
question du modèle théorique de référence est essentielle puisque la tech-
nique de dépouillement conduit à une évaluation dynamique du fonction-
nement psychique de l’enfant. Les classifications nosographiques de la
psychopathologie de l’adulte sont inadéquates et ne peuvent êtres appli-
quées en clinique infantile : les processus de changement y occupent une
place essentielle, et les modalités de fonctionnement psychopathologique
se révèlent très différentes de celles rencontrées chez les adultes. Les
appréciations cliniques accordent donc le privilège à la fois à la singulari-
té de la psyché infantile et à la dimension pronostique de l’évaluation
diagnostique.
Le modèle psychanalytique du fonctionnement psychique permet de
rendre compte de la continuité entre normal et pathologique et des mou-
vements qui oscillent tout au long du développement, en assurant un
équilibre plus ou moins stable grâce au maintien de l’identité de sujet et
de l’investissement relationnel. L’approche psychanalytique des épreuves
projectives propose une sémiologie originale directement fournie par les
données des protocoles grâce au travail associatif engagé par la situation,
produit par le matériel du test et adressé au clinicien dans une relation de
«tranfert». Elle use, de surcroît, de la métapsychologie psychanalytique
et de ses concepts fondamentaux : opposition entre contenu manifeste et
contenu latent, processus primaires, processus secondaires, régression,
conflits, mécanismes de défense, pulsions, représentations, affects.
C’est dans cette perspective que le livre de Monika Boekholt s’attache
à traiter des différentes questions évoquées ici et de bien d’autres encore,

X
PRÉFACE

dans un exposé à la fois clair, rigoureux et dynamique. Sa grande expé-


rience de psychologue clinicienne auprès d’enfants – tous les exemples
de protocoles sont issus de sa pratique personnelle – et ses grandes quali-
tés d’enseignante lui ont permis d’élaborer un ouvrage très précieux à la
fois pour les psychologues cliniciens et pour les étudiants en psychologie
clinique et pathologique. La démarche est rigoureuse, la situation subtile-
ment analysée, l’analyse des matériaux, les conduites de la passation
finement posées dans leur dialectique relationnelle.
La référence à la théorie psychanalytique constitue le corpus métapsy-
chologique fondamental dont la modélisation permet l’analyse de la
situation projective et des protocoles, tout en apportant, en retour, des
données extrêmement nuancées pour la compréhension du fonctionne-
ment psychique de l’enfant.
Mais surtout, la proposition d’une grille de dépouillement, commune
pour l’ensemble des épreuves thématiques (CAT, PN, TAT), constitue un
travail d’élaboration considérable dont la rigueur méthodologique et
l’intérêt clinique substantiel sont indéniables : les conduites psychiques
repérables aux différentes épreuves sont désormais analysées avec cohé-
rence et homogénéité et peuvent être rassemblées dans une synthèse
dynamique de l’organisation mentale de l’enfant. Les correspondances,
les différences, voires les contradictions sont associées grâce à un travail
de liaison des informations qui assure une grande fiabilité à l’investiga-
tion psychologique.
Les registres conflictuels articulés et formulés en référence au même
corpus théorique à la fois solide et ouvert, sont susceptibles d’être déga-
gés dans une dialectique prenant en compte à la fois les processus de
développement, ses aléas ou encore ses avatars.
L’originalité de cet ouvrage enfin est patente dans la présentation du
scéno-test qui constitue à elle seule un document rare permettant de pro-
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mouvoir un instrument de travail clinique peu connu, singulièrement


riche et fécond s’il est utilisé dans les perspectives de l’auteur.
C’est donc avec beaucoup de plaisir que je présente ce manuel : je me
réjouis de sa parution parce qu’il offre un outil de travail et de réflexion
remarquable par sa qualité, évidente aussi bien dans la clarté de l’écriture
et de la construction que dans l’intensité vivante des contenus qu’il
transmet.
Catherine CHABERT

XI
« [...] Alors Josette parle comme
son papa lui apprend à parler. Elle
dit :
– Je regarde par la chaise en man-
geant mon oreiller. J’ouvre le
mur, je marche avec mes oreilles.
J’ai dix yeux pour marcher, j’ai
deux doigts pour regarder. Je
m’asseois avec ma tête sur le
plancher. Je mets mon derrière
sur le plafond. Quand j’ai mangé
la boîte à musique, je mets de la
confiture sur la descente de lit et
j’ai un bon dessert. Prend la
fenêtre, papa, et dessine-moi des
images. »
Eugène Ionesco,
Conte numéro 2 pour enfants de
moins de trois ans, éd. H.-Quist,
Paris, 1970.
AVANT-PROPOS
S’il est des expériences relationnelles et intellectuelles stimulantes,
c’est bien celle qui, depuis de nombreuses années, nous lie au travail
d’élaboration et de réflexion du Groupe de recherche en psychologie pro-
jective de l’université Paris-V. De ses discussions animées et productrices
devaient naître la rédaction du Manuel d’utilisation du TAT1 puis celle du
Nouveau Manuel du TAT2 auxquelles nous avons eu le bonheur de parti-
ciper. On peut dire que le présent ouvrage a largement bénéficié de cet
élan et qu’il prolonge en quelque sorte, à propos de l’enfant, la réflexion
engagée à partir l’adulte. Il est aussi le fruit d’une longue maturation
acquise grâce à la pratique clinique auprès des enfants et des adultes. La
rencontre, entre autres, avec les jeunes enfants et avec les bébés, souf-
frants ou bien portants, nous a beaucoup appris et continue à nous inter-
roger sur la genèse des phénomènes psychiques, sur les continuités et sur
les discontinuités qui régissent les diverses étapes de la vie.
De nombreux travaux de qualité existent aujourd’hui sur l’approche
projective du psychisme : Le Rorschach en clinique adulte de Catherine
Chabert et le Nouveau Manuel du TAT. Approche psychanalytique2 dirigé
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par Françoise Brelet-Foulard et Catherine Chabert constituent en France


des références de base. Concernant l’enfant, le lecteur dispose en particu-
lier de l’ouvrage de Nina Rausch de Traubenberg et Marie-France
Boizou, Le Rorschach en clinique infantile. Mais les ouvrages en langue
française proposant une élaboration théorique et méthodologique appro-
fondie de l’approche thématique faisaient défaut jusqu’ici. C’est dans
l’espoir de combler en partie cette lacune que sont présentées quatre
épreuves, parmi les plus utilisées en France auprès des enfants de 3 à
12 ans.

1. V. Shentoub et al., 1990.


2. Paru chez Dunod Éditeur en 2003, il réactualise le Manuel d’utilisation du TAT.

3
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

L’une d’elles, le scéno-test, peut être considérée comme le prototype


des épreuves de jeu standardisées sollicitant des réponses prioritairement
motrices. D’où son extrême intérêt chez les jeunes enfants et chez ceux
dont le langage parlé, pour diverses raisons, est inaccessible. Cette épreu-
ve n’avait encore jamais bénéficié d’une théorisation ni d’une méthodo-
logie propices à une exploitation diagnostique.
Les trois autres épreuves, le CAT (Children Apperception Test), le PN
(Test de Pattenoire) et le TAT (Thematic Apperception Test), font partie
du matériel thématique verbal classique. Il restait à approfondir les tra-
vaux répertoriés dans la littérature française et étrangère et surtout à
construire un modèle de dépouillement et d’interprétation spécifiant le
psychisme enfantin.
Les épreuves thématiques sont composées, comme le scéno-test, d’élé-
ments concrets à manipuler, ou, à l’instar du TAT, de dessins figuratifs à
partir desquels il est demandé de raconter une histoire : deux situations
relativement équivalentes, mais qui, dans le premier cas, mobilisent le
langage du corps et qui, dans l’autre, donnent la primeur aux opérations
symboliques traduites par le verbe.
Malgré ces différences sensibles justifiant des approches séparées, le
dénominateur commun se situe au niveau des choix théoriques et métho-
dologiques. La démarche est celle qu’ont préconisée V. Shentoub et
R. Debray, à l’origine de l’école française du TAT. Cette école posait en
fait les bases d’un principe valable pour toute épreuve thématique.
L’hypothèse centrale est que, paradoxalement, ce ne sont pas tant les
thèmes qui comptent que la façon de les aborder, c’est-à-dire les procé-
dés formels, repérables au niveau du langage s’il s’agit de sollicitations
verbales, au niveau gestuel s’il s’agit d’épreuves de jeu. Procédés d’éla-
boration du discours et, nous le verrons, procédés d’élaboration du jeu
sont sous-tendus par les opérations défensives inconscientes dont ils sont
la traduction manifeste.
La référence à l’éclairage psychanalytique du fonctionnement psy-
chique articule l’ensemble de cette réflexion. Cette option repose d’abord
sur une conception dynamique de la psychologie clinique héritée de
l’enseignement reçu de D. Lagache puis de D. Anzieu. La psychologie
clinique se centre, à partir d’une implication relationnelle, sur l’analyse
des phénomènes psychiques chez un individu confronté à des situations
variables, normales ou pathologiques. Ces phénomènes ne sont ni repro-
ductibles, ni interprétables de façon univoque car des manifestations
apparemment semblables recouvrent une quantité de conduites psy-
chiques différentes, conscientes et inconscientes, non directement per-
ceptibles et en partie tributaires des interactions avec le clinicien.

4
AVANT-PROPOS

Par choix et par formation, nous nous référons à la théorie du dévelop-


pement libidinal et à la fiction freudienne de l’appareil psychique ainsi
qu’à l’ensemble des apports post-freudiens venus enrichir la pensée psy-
chanalytique. La cohérence de ce corpus théorique et son efficacité théra-
peutique ouvrent l’accès à l’infinie complexité des phénomènes psy-
chiques et aux modes d’organisation qui les sous-tendent. Sa pertinence
tient à ce qu’il s’échafaude à partir de l’observation clinique. Mais,
comme le dit souvent D. Widlocher, la théorie n’a d’intérêt que si elle
permet en retour de « faire de la bonne clinique ». Clinique et théorie se
doivent de s’enrichir mutuellement en établissant des va-et-vient
constants entre les concepts et leur illustration et inversement entre les
faits cliniques et leur éclairage théorique.
La cohérence du référent psychanalytique tient aussi à sa compatibilité
avec l’ensemble des épreuves projectives, Rorschach et thématiques
habituellement associés, permettant d’interroger les différentes facettes
de la psyché au moyen d’une conceptualisation homogène. Il ne serait
pas très logique en effet d’envisager le psychisme sous un angle compor-
tementaliste par exemple pour traiter du Rorschach et de se tourner vers
un saupoudrage psychanalytique pour aborder les thématiques. L’intelli-
gibilité au niveau des synthèses en pâtirait inévitablement.
La méthodologie préconisée en liaison avec le support théorique
consiste à établir le distinguo entre le matériel manifeste, très rigoureuse-
ment analysé, et ses diverses implications latentes. Chaque épreuve pos-
sède ses particularités, qui demandent à être parfaitement connues afin de
valider l’interprétation. Les caractéristiques perceptives favorisent, par le
moment de leur survenue dans le déroulement de la passation, la réacti-
vation d’émergences fantasmatiques. Leur éventail, relativement circons-
crit par le matériel et en quelque sorte attendu, fait toutefois écho aux
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problématiques infléchissant le développement à un moment donné.


En même temps qu’elle obéit aux contingences de la situation, la
réponse thématique s’élabore selon un style propre, selon des « procédés »
formels reflétant l’organisation psychique. Chez l’enfant, cette organisa-
tion est, par définition, en pleine évolution, et s’il est vrai que certaines
modalités prédisposent à certaines configurations de l’âge adulte, cette
continuité, lorqu’elle existe, ne saurait s’établir de façon linéaire. Les
procédés utilisés par l’enfant sont nécessairement tributaires de l’âge et
de l’équipement instrumental et libidinal disponible. Or les procédés
définis au TAT par V. Shentoub et al. puis par F. Brelet-Foulard et
C. Chabert s’appuient sur des références nosographiques propres à la
psychopathologie de l’adulte et totalement étrangères à la psychopatholo-

5
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

gie de l’enfant. Ils ne sont donc pas transposables sous cette forme aux
productions thématiques des enfants et n’ont pas de sens du tout chez le
très jeune enfant. Aussi fallait-il prévoir un modèle d’analyse et d’inter-
prétation suffisamment large et ouvert pour tenter de saisir, sans figer, et
ceci à des âges très différents, la façon dont le psychisme se structure et
les entraves qu’il peut rencontrer.
Nous avons abouti à la construction simplifiée de deux grilles de
dépouillement : l’une, destinée à l’analyse des procédés utilisés lors d’un
jeu comme le scéno-test, est applicable à toute épreuve de jeu standardi-
sée (comme le test du village ou le test du monde par exemple) ; l’autre,
établie en vue du décryptage des procédés verbaux, peut s’appliquer à
n’importe quelle épreuve thématique faisant appel au récit à partir d’une
image. Les deux grilles se recoupent par moment mais, dans l’ensemble,
elles tiennent compte de la spécificité des situations.
Par souci d’extrême prudence, les procédés n’ont pas été regroupés
sous forme de rubriques psychopathologiques afin d’éviter à tout prix les
interprétations diagnostiques automatiques, toujours un peu tentantes
pour le psychologue débutant. Les items, descriptifs, désignés par une
simple abréviation pour commodité d’écriture, sont la plupart polysé-
miques suivant l’âge et les contextes. Leur contenu et leur chronologie
s’échelonnent le long d’un axe de maturation allant du corps à la pensée,
de la dépendance à l’autonomie, de la perception à la mentalisation, au
fur et à mesure de l’élaboration de l’appareil psychique ; mais à la diffé-
rence des grilles existantes, chaque rubrique peut illustrer ce qui se
construit et aussi ce qui se désorganise. Une large place est consacrée aux
modalités corporelles, motrices et relationnelles des jeunes enfants, les-
quelles n’ont pas leur équivalent plus tard, tandis que certains items ver-
baux anticipent des formes du discours propres aux protocoles d’adultes.
Seul un regroupement effectué à partir d’une analyse fine, au cas par
cas, permet de dégager les configurations défensives dominantes et
d’éventuelles implications psychopathologiques orientant le diagnostic.
En fait, aussi importante soit cette étape, on peut dire sans boutade que le
but essentiel du dépouillement et de l’interprétation n’est pas d’établir le
diagnostic mais d’apprécier les possibilités qu’a l’enfant de s’en départir.
Cela revient à privilégier une lecture dynamique et économique des arti-
culations défensives pour appréhender comment les différents conflits
réactivés par le matériel s’aménagent, évoluent dans le temps de la passa-
tion et en fonction de la relation établie avec le clinicien.
Il est bien évident qu’une telle approche du diagnostic et du pronostic
s’appuie sur un principe nosographique implicite qui doit être explicité ;
chaque principe a en effet sa cohérence. Les troubles psychiques de

6
AVANT-PROPOS

l’enfant peuvent être regroupés de façon purement catégorielle au risque


de figements adultomorphes ; ils peuvent être descriptifs, basés sur les
symptômes ou sur les faits ; ils peuvent se vouloir étiologiques, psycho-
sociaux, moraux, etc. Les classifications dites descriptives, comme le
DSM III, sont loin d’être a-théoriques : comme le soulignent M. Lefèvre
et al. (1981), elles recouvrent « un modèle purement comportemental et
objectiviste fondé sur les seules conduites manifestes, ignorant la réalité
interne ». Ce système est par conséquent incompatible avec une approche
psychodynamique.
Notre choix se porte sur une psychopathologie psychanalytique actuel-
le : celle qui notamment coordonne les articles du Nouveau Traité de psy-
chiatrie de l’enfant et de l’adolescent (S. Lebovici et al. 1990) et que pri-
vilégient J. de Ajuriaguerra et D. Marcelli dans leur ouvrage (1982) puis
D. Marcelli (1999). Cette orientation régit la classification française des
troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, suggérée par R. Misès et
Ph. Jeammet dès 1984 et publiée en 1988. L’ouverture vers une dimen-
sion transnosographique y représente un intérêt majeur pour saisir la
complexité mouvante des substructures si caractéristiques du fonctionne-
ment de l’enfant. Les notions de « variations de la normale » ou de
« confins » de la pathologie illustrent bien la pertinence et la souplesse de
cet outil.
Au choix théorique et méthodologique correspond un choix éthique :
celui qui, tout au long de la présentation des quatre épreuves, comme
dans notre pratique, nous fait privilégier la relation en aménageant les
techniques à cet effet et non l’inverse. Les modalités de passation ne peu-
vent de ce fait se définir de façon stricte ; elles se modulent en fonction
de l’enfant et des particularités des échanges établis avec lui. L’analyse
des réactions transférentielles et contre-transférentielles est indissociable
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de la situation projective. Si le clinicien a reçu, outre une formation uni-


versitaire complète, une formation psychanalytique personnelle, il peut
utiliser cette variable devenue non aléatoire pour affiner le diagnostic et
apprécier les perspectives de changement dans un projet thérapeutique.
Mais qu’on ne s’y trompe point, même si la situation projective peut
avoir à bien des égards une parenté avec la situation thérapeutique, elle
ne constitue en aucune manière un acte thérapeutique. Aucun examen
psychologique n’a cette vocation : l’étape de l’investigation clinique et
celle du soin obéissent techniquement et déontologiquement à des objec-
tifs distincts. Lorsque, par le fait d’une « renarcissisation » momentanée
de l’enfant à la suite du bilan, la symptomatologie s’estompe, cette amé-
lioration apparente est à terme plutôt néfaste car elle risque de déplacer

7
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

les symptômes et de démobiliser les familles dont la « demande » était


déjà difficile à élaborer. Il importe donc pour le clinicien de connaître son
propre fonctionnement afin de mesurer la portée et les limites de ses
interventions et surtout de ne pas tromper l’attente de l’enfant. Suivant sa
problématique, il pourra se garder de toute implication à l’abri de tech-
niques rigoureusement administrées, satisfaisant un souci métrologique ;
il pourra aussi se donner « les moyens de faire parler » l’enfant au nom
de son pouvoir d’adulte ou se désister au contraire de celui-ci au nom de
fantasmes égalitaires. Mais la relation avec un enfant peut aussi se situer
dans un autre registre : l’échange entre deux partenaires dissymétrique-
ment engagés dans une situation commune dont les paramètres varient
avec la spécificité de la tâche à accomplir et avec les caractéristiques per-
sonnelles de chacun.
De là découlent l’adoption ou l’évitement de certains termes tout au
long de ce manuel : nous avons en effet évité le mot « sujet » qui évoque
plutôt une situation anonyme et expérimentale. Quitte à nous répéter,
nous avons préféré aussi le terme d’« épreuve » à celui de « test » dont la
connotation est plus psychométrique. Le mot « test », sauf lapsus ou cita-
tion, a été utilisé en tant que verbe, au sens de tester une hypothèse. Mais
ce sont là des points de détail.
Disons quelques mots maintenant sur la composition de l’ouvrage.
Après les indications d’utilisation proprement dites, les principales réfé-
rences et notions de base sont rappelées dans le premier chapitre ;
d’autres sont expliquées par la suite, en liaison avec la clinique.
La progression obéit à peu près à l’évolution chronologique, les deux
premières épreuves s’adressant prioritairement aux jeunes enfants et les
deux autres plutôt aux enfants en période de latence. Nous nous sommes
cependant particulièrement attachée, avec le CAT, à la naissance des
conduites narratives et, avec le scéno-test, aux prémices corporelles de
l’élaboration du jeu dans lesquelles prend source la pensée. La clinique
projective dans ces tranches d’âge de 3 à 5-6 ans est d’un intérêt excep-
tionnel car elle donne vraiment l’impression de saisir sur le vif, au
moment où il se produit, l’événement œdipien autour duquel s’articule
l’ensemble de la vie psychique.
Concernant le PN, pour lequel existent de substantielles publications de
son auteur, l’accent a été mis surtout sur les aménagements relationnels
de la passation permettant de l’abréger. Quant au TAT, étant donné que le
même matériel est proposé aux enfants et aux adultes, le lecteur est invité
à se reporter au Nouveau Manuel du TAT, où l’analyse des planches est
exposée de façon détaillée. Il n’est d’ailleurs pas toujours évident de

8
AVANT-PROPOS

déterminer à quel moment de la préadolescence il vaut mieux fermer ce


manuel pour ouvrir, avec les réserves qui s’imposent, le manuel consacré
aux adultes.
De nombreuses vignettes cliniques accompagnent l’ensemble du pro-
pos, permettant de concrétiser de façon ponctuelle les contenus et les
procédés de réponses. Mais le lecteur trouvera aussi une illustration com-
plète de l’utilisation de chacune des épreuves, depuis le recueil des don-
nées jusqu’à l’interprétation finale. Le choix des protocoles a été effectué
dans des registres de fonctionnement et à des âges variés afin de donner
un aperçu diversifié de l’approche thématique ; il ne prétend nullement
aborder l’étendue des problèmes psychopathologiques. Ainsi, dans la
première partie, le scéno-test fournit l’occasion d’insister sur le dépistage
et le pronostic des psychoses précoces, pour lesquels cet instrument est
particulièrement bien indiqué ; l’accent est mis aussi en contrepoint sur
le caractère préoccupant de manifestations obsessionnelles pourtant éla-
borées. La seconde partie comporte trois protocoles : le CAT d’une petite
fille de 5 ans renvoie au modèle de la névrose infantile, conçu, comme l’a
montré S. Lebovici en 1980, comme une étape « normale » du dévelop-
pement. Le protocole de PN met en correspondance, chez un garçon de
7 ans, la symptomatologie instrumentale dysharmonique avec le chaos de
l’organisation libidinale, soulignant l’importance des ancrages prégéni-
taux pour le développement du moi. Avec le TAT, nous assistons aux pré-
figurations de l’hystérie chez une fillette de 10 ans, qui reproduisent de
façon exemplaire le modèle de la « névrose de l’enfant » : tout en mettant
au premier plan les vicissitudes de l’édifice œdipien, ce cas pose le pro-
blème du substrat dépressif de l’hystérie et celui de son devenir.

9
1. UTILISATION DES ÉPREUVES
THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

1.1. Principes généraux

Les contextes de pratique

L’utilisation des épreuves thématiques appartient aux psychologues et


futurs psychologues, préparés par leur formation1 clinique, psychopatho-
logique et personnelle à la méthodologie projective. Cette pratique auprès
des enfants concerne des lieux de nos jours de plus en plus divers : les ser-
vices de psychiatrie infanto-juvénile, les centres médico-psychologiques,
les centres de Protection maternelle et infantile, les foyers de l’Aide socia-
le à l’enfance… De nombreux services pédiatriques des hôpitaux géné-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

raux font appel aux compétences du psychologue clinicien pour tenter


d’apporter une aide appropriée à des enfants porteurs d’handicaps soma-
tiques avérés. La pratique projective à l’école reste controversée, certains
praticiens se demandant si l’école est bien le lieu d’une approche clinique
de l’enfant. Le problème, à notre sens, est surtout celui de la formation et
de l’inégalité des cursus2 : l’équipe des psychologues scolaires réunis
autour de R. Debray puis de F. Marty, et les publications, entre autres, du

1. En France, cette formation donnant lieu à un diplôme national dure cinq ans.
L’Institut de psychologie de Paris délivre en outre un Diplôme d’université de psycholo-
gie projective, préparé en deux ans, et dispense une formation continue.
2. Dans l’attente de nouveaux décrets, les psychologues scolaires peuvent être formés
en quatre ans.

11
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Bulletin de psychologie1 du printemps 1992 montrent pourtant qu’une


psychologie fine, pratiquée par des psychologues bien formés à la psycho-
logie clinique et à la psychopathologie peut avoir sa place à l’école pour
mettre en œuvre des aides spécifiques ou pour faciliter l’accès aux struc-
tures de soins. Ce même Bulletin fait état de l’utilisation des épreuves pro-
jectives dans le cadre des expertises judiciaires, notamment dans les
affaires matrimoniales et dans les interventions auprès des tribunaux pour
enfants. Autant de domaines qui montrent une extension croissante des
besoins, en psychologie clinique, de praticiens ayant non seulement
acquis une parfaite connaissance des outils qui leur sont propres mais
ayant aussi réfléchi à leurs implications au plan relationnel et social.

Place des épreuves thématiques


dans l’examen psychologique de l’enfant

Les épreuves thématiques font partie dans la pratique clinique d’une


investigation psychologique globale comprenant généralement une
exploration des fonctions intellectuelles et/ou instrumentales et une éva-
luation du processus maturatif2 au moyen des épreuves projectives.
On appelle communément « projectives » des épreuves dont le matériel
est défini et standardisé mais dont les réponses sont libres. Les épreuves
projectives peuvent être structurales comme le Rorschach où il s’agit de
désigner par des mots un matériel perceptif ambigu ; elles peuvent être
« thématiques », la tâche consistant à organiser un récit ou un jeu à partir
d’éléments figuratifs. Autant l’astructuration du Rorschach confronte
l’enfant à une expérience inconnue, autant les épreuves thématiques ren-
voient à la familiarité de situations concrètes et identifiables.
Épreuves structurales et épreuves thématiques sont complémentaires,
chacune induisant des stimulations et des modes d’adaptation spéci-
fiques, si bien que seule leur confrontation peut restituer tout ou partie de
la richesse du fonctionnement psychique. Ce principe valable pour
l’adulte est un impératif chez l’enfant compte tenu de la mobilité et de la
complexité des phénomènes observés. Plus l’enfant est jeune, plus il est
indispensable de multiplier les épreuves de différentes factures et de les
échelonner dans le temps pour espérer une approche des discontinuités
évolutives.

1. Bulletin de psychologie, n° 406, 45, mars-juin 1992.


2. Que le lecteur pardonne ce néologisme d’utilisation courante chez les psychologues.

12
UTILISATION DES ÉPREUVES THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

En pratique institutionnelle, le bilan psychologique s’articule lui-même


à un ensemble d’investigations au sein d’une équipe où chaque praticien
apporte sur l’enfant et sur son entourage un éclairage particulier. Ce der-
nier dépend des techniques employées, des sensibilités personnelles et
des circonstances entourant chaque approche. De la résolution dialec-
tique d’éventuelles contradictions peuvent naître de nouvelles perspec-
tives de compréhension du fonctionnement psychique de l’enfant.
Un bilan classique, en consultation hospitalière par exemple, se déroule
en deux séances d’environ une heure et demie après le contact initial pris
avec l’enfant et la personne qui l’accompagne. Pour les petits et les
enfants instables, trois ou quatre séances plus courtes sont toujours préfé-
rables. Le choix et la répartition des épreuves tiennent si possible compte
de l’intérêt et de la fatigabilité de l’enfant : les épreuves d’efficience exi-
geant un effort d’attention plus soutenu que les épreuves projectives
seront plutôt proposées d’abord. La première séance peut, suivant les
buts, comporter une épreuve de latéralité, la moitié des épreuves d’effi-
cience de type WISC-III1 ou WPPSIR2, le Rorschach, un dessin libre. La
seconde séance peut comprendre une épreuve graphomotrice (figure de
Rey ou Bender), la deuxième partie de l’épreuve d’efficience et une ou,
si possible, deux épreuves thématiques. D’autres combinaisons sont bien
entendu envisageables. Si, en dépit de nos vœux, les contraintes externes
des familles ou des institutions conduisent à abréger un bilan, l’épreuve
thématique choisie sera au moins complétée par une analyse qualitative
approfondie des entretiens, des dessins et de toutes les productions dispo-
nibles.
Le déroulement d’un bilan doit aussi ménager la vulnérabilité psy-
chique de l’enfant et ne devrait en aucun cas se terminer par une expé-
rience déstabilisante : lorsque Rorschach et thématiques peuvent être pro-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

posés, il vaut mieux présenter le Rorschach en premier, si l’on pressent


que ce matériel peu structuré risque d’engendrer un mouvement de
désorganisation, et proposer les thématiques à titre de restructuration. En
revanche, chez les enfants profondément perturbés dans leur propre his-
toire familiale, raconter une histoire peut être péniblement ressenti ;
auquel cas le Rorschach, et surtout les épreuves non verbales, seront pro-
posés en dernier.

1. WISC-III : Wechsler Intelligence Scale for Children, Revised, ECPA, Paris 1996 ;
échelle applicable à partir de 6 ans
2. WPPSIR : Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence Revised, ECPA,
Paris, 1995 ; échelle adaptée aux enfants de 4 à 6 ans.

13
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

De toutes manières, les épreuves thématiques sont proposées après une


familiarisation plus ou moins longue avec l’enfant ; en début ou en fin de
bilan, leur place n’est pas sans incidence dans la dynamique relationnelle.
Par rapport aux épreuves d’efficience, la situation projective peut favo-
riser un moment de détente étant donné qu’il n’y a plus de performance à
accomplir ; le chronométrage devient discret ou inexistant, l’enfant est
libre de ses réponses. Certains enfants seront au contraire inquiets de voir
disparaître un cadre strict. Dans les faits, si une approche clinique préside
à l’ensemble de l’examen psychologique, il n’y a pas un hiatus total entre
les diverses situations : toutes les réponses, « bonnes » ou pas, libres ou
cadrées, offrent toujours un reflet du fonctionnement psychique ; certains
subtests d’efficience sont même lourds d’implications projectives, livrant
parfois ouvertement les problématiques en termes d’agressivité, de
dépendance, de fragilité identitaire ou de troubles identificatoires.
Demander à l’enfant de raconter les histoires correspondant à ses « arran-
gements d’images » du WISC-R peut constituer une excellente introduc-
tion aux épreuves thématiques verbales.

Choix de l’épreuve thématique

Si certaines évidences s’imposent chez les petits ou chez les enfants ne


maniant pas aisément le langage verbal, il n’est pas toujours aisé d’opter
pour une épreuve plutôt que pour une autre chez les plus grands. La
variation des rythmes maturatifs et des styles individuels s’oppose à toute
prescription stricte, si bien que le choix de l’épreuve dépend d’un
ensemble de facteurs objectifs et subjectifs liés à l’évolution de l’enfant,
aux finalités de l’investigation et aux modalités de la relation instaurée
avec le clinicien.
Chez les jeunes enfants de 3 à 6 ans, scéno-test et/ou CAT sont particu-
lièrement adaptés : on pourra envisager l’une ou l’autre épreuve en fonc-
tion du maniement du langage mais, vu la brièveté des protocoles de
CAT dans cette tranche d’âge, l’une et l’autre peuvent être proposées.
Certains enfants déjà stables sur le plan psychomoteur sont en mesure
d’opérer la sélection des planches inhérente à la passation du PN. Au-
delà de 8 ans, il est relativement classique d’utiliser le TAT. Le problème
se pose en fait surtout entre 6 et 8 ans où certains enfants n’acceptent pas
les suggestions animales anthropomorphes du CAT et du PN et ne sont
pourtant pas encore intéressés par les planches du TAT. Il appartient alors
au clinicien de négocier l’épreuve la plus acceptable, quitte à tâtonner et
à modifier ses choix en cours de passation afin de trouver la solution adé-

14
UTILISATION DES ÉPREUVES THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

quate. Les repères d’âge ne peuvent être qu’approximatifs car des enfants
immatures de 11-12 ans peuvent se montrer à l’aise avec le CAT et le PN
alors que certains petits de 5-6 ans, très valorisés par la situation, préfère-
ront un matériel pour adultes.
Le constat d’une dysharmonie ou d’une déficience intellectuelle ou ins-
trumentale conduira à proposer le scéno-test et aussi, si possible, une
épreuve verbale, afin de comparer les deux situations. Cette symptomato-
logie ne constitue en tous cas pas une contre-indication à l’approche pro-
jective, bien au contraire ; car il peut s’agir précisément de saisir le sens
de cette psychopathologie particulière quand on sait que la déficience se
range parfois parmi les analgésiques les plus puissants et les plus invali-
dants de la souffrance psychique. Combien de psychoses et de prépsy-
choses se développent en effet à bas bruit derrière le paravent de
l’expression déficitaire ! Dans le cas de déficiences physiques ou neuro-
logiques connues, l’important est d’apprécier comment le psychisme,
malgré tout, s’organise et quel est son potentiel d’évolution.
Les limites d’âge d’application des épreuves thématiques pour enfants
– 3 et 12 ans – sont bien entendu, elles aussi, approximatives : certains
enfants de 2 ans et demi et même 2 ans sont parfaitement capables
d’organiser un jeu avec les pièces du scéno-test et même de fournir une
description déjà très personnelle des planches du CAT. Aux alentours de
12 ans, le critère de la maturité psychique et physiologique est détermi-
nant pour savoir à quel moment il vaut mieux passer à des explorations
plus adéquates. L’auteur du scéno-test et celui du Pattenoire suggéraient
d’appliquer leur épreuve auprès des adolescents et des adultes. Il existe
même des tentatives d’utilisation du CAT auprès d’adultes. Ces pratiques
sont en général peu adaptées : l’adolescent et l’adulte souffrant de
troubles psychiques ne peuvent être assimilés à des enfants et c’est les
soumettre à des contraintes narcissiquement blessantes que de leur pro-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

poser des inductions les plaçant, de fait, dans une situation de régression.
Le choix de l’épreuve peut, suivant les objectifs du bilan, s’effectuer en
fonction des caractéristiques du matériel. En règle générale, on peut dire
que plus un matériel est structuré sur le plan manifeste, plus il invite à la
reconnaissance perceptive ; plus il est flou, plus il favorise à l’inverse le
travail de l’imaginaire – « la rêverie imageante » comme le disait si juste-
ment D. Lagache (1957). Le dessin des planches du PN est très précis,
laissant peu de place aux ambiguïtés perceptives. Le CAT, et surtout le
TAT, comprennent des dessins prégnants renvoyant à des situations
concrètes et familières et d’autres où les estompages et le caractère moins
figuratif font davantage appel aux capacités d’aménager l’ambiguïté per-

15
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

ceptive. Le scéno-test est composé de jouets concrets, figurines humaines


et animales, et aussi d’éléments non figuratifs que l’enfant saura ou non
introduire dans son jeu suivant ses capacités de représentation.
Des différences notables interviennent sur le plan latent : le CAT et le
PN ont pour originalité de comporter des sollicitations régressives, le
TAT vise à repérer plutôt l’installation de l’axe œdipien et la mise en
place des modalités défensives les plus élaborées. Dans la réalité cli-
nique, la différence n’est pas aussi tranchée : en proposant des inductions
à caractère régressif ou stimulant, le clinicien réunit les conditions opti-
males pour cerner les problématiques qu’il se propose d’étudier ; l’enfant
y répond avec les moyens de son évolution personnelle.
Une épreuve thématique s’insère enfin dans le déroulement temporel
d’une relation lors de laquelle le clinicien évalue la nécessité d’aménager
un cadre relativement structuré ou d’offrir à l’enfant une plus grande
liberté. Le CAT et le TAT comportent une série de planches présentées
dans un ordre invariable. Avec le PN et avec le scéno-test, l’enfant dispo-
se de l’ensemble du matériel et le sélectionne ou l’ordonne à sa guise.
Cette liberté peut être source de plaisir ou d’angoisse. C’est plutôt le
plaisir qui en général accompagne les épreuves de jeu, ce plaisir pouvant
engendrer l’excitation. Il appartient au clinicien d’estimer l’opportunité
de ces affects dans le déroulement du bilan. Une situation de jeu comme
le scéno-test peut être proposée dans le but d’engager une relation diffici-
le à établir ou de mettre un terme à une situation péniblement ressentie
ou encore de proposer l’étayage d’un support concret.
Mais il est bien évident qu’entrent aussi dans ces choix d’autres
variables liées aux propres affinités du clinicien pour tel ou tel matériel et
aux impondérables institutionnels et temporels.

La prise en note du matériel

Autant les modalités de passation et de relation dépendent de l’âge et


du type d’épreuve, autant le recueil des données relève d’un principe
commun qui est de prendre en note la production.
Dans les situations verbales, la prise de notes correspond à la façon
classique de procéder en clinique projective et revient à privilégier
l’écoute attentive sans instrument d’enregistrement intermédiaire, non
souhaitable dans la relation. La difficulté auprès des enfants jeunes et/ou
prolixes consiste à noter tout ce qui est dit et exactement comme c’est
dit, au besoin par une transcription phonétique en respectant soigneuse-

16
UTILISATION DES ÉPREUVES THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

ment la prononciation, les hasards syntaxiques, les néologismes, sans


omettre les exclamations, les interruptions, les digressions, etc. Les
mimiques, les interférences motrices, les manipulations, les inhibitions
font partie de la production de l’enfant, bien qu’il s’agisse essentielle-
ment d’un matériel verbal ; elles doivent être notées telles qu’elles appa-
raissent, sans interprétation ni transposition. Toutes les interventions du
clinicien doivent également être notées en clair afin de permettre ulté-
rieurement une analyse approfondie du mode de relation établi.
Si l’enfant veut savoir ce qu’écrit le clinicien, le plus simple est de le
lui dire : « J’écris ce que tu me dis pour bien m’en souvenir », quitte, du
reste, à valoriser ses propos en soulignant leur importance et la mémoire
permanente que représente le dossier dans lequel tout ce qui a été fait et
dit durant cet examen se trouve consigné et désormais disponible. La
façon dont l’enfant tient compte des notes du clinicien est toujours un des
témoins de la façon dont il vit la situation ; la relation est évoquée en
termes d’échanges mutuels : « Je dis, tu écris » ou en termes d’interac-
tion dissymétrique de type action subie-intrusive : « Tu écris tout ? » ou
au contraire de domination sur l’adulte prié d’écrire au rythme de
l’enfant : « Tu écris, point d’interrogation, virgule. »
Dans les situations de jeu, le clinicien pourrait être tenté de photogra-
phier les scènes réalisées avec le matériel, comme le préconisait l’auteur
du scéno-test, valorisant ainsi une production achevée. Plus soucieuse
des modalités dynamiques aboutissant ou non à une construction, notre
démarche s’attache à étudier surtout le déroulement séquentiel des gestes
et les commentaires éventuels associés. Ceci serait fidèlement restituable
par les techniques audio-visuelles contemporaines. Malgré leurs avan-
tages indéniables pour la recherche, nous préférons ne pas y avoir recours
en situation clinique : vivre un événement ou l’anesthésier sur une pelli-
cule de film ne relèvent pas des mêmes attitudes de la part du psycho-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

logue ; technicien accompli ou clinicien attentif, le choix peut se poser


pour lui en ces termes. L’étape de transcription des données après enre-
gistrement occasionne de plus un volume de travail considérable peu
compatible avec le rythme des consultations. La méthode préconisée
reste donc la banale prise de notes. L’outil papier-crayon, certes
archaïque, a le mérite de pouvoir s’utiliser en tout lieu, sans grands
moyens sinon ceux de l’expérience ; il prépare en outre au travail de
rédaction indispensable dès lors qu’il s’agit de mettre en mots les actes
que l’on observe et de transmettre l’élaboration des données à d’autres
praticiens. Écrire pendant que l’enfant joue n’est jamais tout à fait neutre
pour lui, qui peut le ressentir sur un mode intrusif de surveillance ou en
termes d’abandon, quelle que soit l’attitude du clinicien.

17
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

1.2. Fondements théoriques

Réel et fantasme dans la situation thématique

Demander à un enfant de raconter une histoire à partir d’une image ou


de construire un jeu au moyen d’un matériel défini le soumet à un
ensemble d’incitations complexes et en apparence contradictoires.
Celles-ci consistent à tenir compte des contraintes de la réalité perceptive
et relationnelle tout en se laissant aller à une création personnelle. Ainsi
sont simultanément mises à l’épreuve l’adaptation à la réalité et la capa-
cité à fantasmer, deux modalités faisant appel à des compétences dis-
tinctes et pourtant étroitement articulées.
La réalité de la situation thématique est elle-même complexe puisqu’il
s’agit de reconnaître les caractéristiques figuratives du matériel,
d’admettre les particularités spatiales du cadre de consultation et l’exté-
riorité corporelle du clinicien. C’est cette expérience perceptive minimale
que chacun partage au nom de repères identitaires communs. Le percept
fait référence à une réalité consciente immédiate, intemporelle, en grande
partie externe, appréhendée par le corps et par les sens. S’il y a retrait des
investissements du système des perceptions, comme c’est le cas dans cer-
taines affections psychiques1, la confusion devient alors possible entre la
perception du monde externe et la représentation. Mais il ne suffit pas de
percevoir, de reconnaître, voire de nommer : si la réalité n’était que
constat du monde externe, elle se réduirait à un catalogue de choses
matérielles, présentées dans leur seule immédiateté et dénuées de réso-
nance personnelle. C’est pourtant bien ce qui se passe lorsque, faute de
l’investir, l’enfant constate ou énumère une réalité dont il n’a que faire
affectivement parce qu’elle ne lui évoque rien. Car il manque alors cette
autre interface qu’est l’investissement du système perceptif par la réalité
interne ; il manque cette capacité qu’a la pensée de « rendre à nouveau
présent, par la reproduction dans la représentation, quelque chose qui a
été perçu autrefois sans qu’il soit encore nécessaire que l’objet soit là à
l’extérieur »2.

1. Freud S. (1924 a), Névrose et psychose, in Névrose, psychose et perversion, Paris,


PUF, 1981, p. 283-286.
Freud S. (1924 b), La part de la réalité dans la névrose et la psychose, in Névrose, psy-
chose et perversion, Paris PUF, 1981, p. 299-303.
2. Freud S. (1925), La négation ; cité par Laplanche J. et Pontalis J.-B., 1967, p. 141.

18
UTILISATION DES ÉPREUVES THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

La réalité externe prend sens à la lumière des expériences et des événe-


ments antérieurement vécus dont le psychisme porte les traces mné-
siques. Si cette expérience est positive, le psychisme tend à répéter la
même perception sur un mode hallucinatoire afin de reproduire la satis-
faction1. Empreinte de douleur ou d’effroi, la trace de cette expérience
sera évitée, effacée, déniée, créant au besoin un vide interne pour se pré-
munir contre la souffrance. Certains enfants surinvestissent au contraire
défensivement les perceptions externes, mais en érigeant des barrières
étanches vis-à-vis d’un monde interne désormais creux.
Le surinvestissement perceptif se traduit dans la situation thématique
par un accrochage au contenu manifeste, parfois aux qualités sensorielles
du matériel et du cadre. Moyennant quoi la production ne peut déboucher
sur le déroulement temporel d’une histoire ou d’un jeu. Faute d’un espa-
ce psychique dégagé du réel perceptif, la situation thématique est réduite
au concret du matériel.
Mais l’espace psychique où se jouent les scénarios fantasmatiques n’est
ni donné d’emblée ni acquis une fois pour toutes : il s’échafaude sur
l’expérience initiale de l’absence, s’amplifie au décours de l’avènement
œdipien et préfigure ses formes ultérieures lors de la phase de latence.
Une des fonctions premières du fantasme est de re-créer l’objet absent
(d’halluciner l’objet) à condition que cette absence ne soit pas trop dom-
mageable et laisse subsister le désir. Dans la terminologie kleinienne2, la
structuration d’un objet interne dépend de l’introjection d’un bon objet,
utilement clivé au préalable des objets menaçants projetés sur l’extérieur
pour que se différencient les espaces respectifs. Les expériences de grati-
fication et de bien-être protègent le moi des attaques destructrices, per-
çues d’abord comme externes, puis peu à peu admises sur la voie de
l’ambivalence comme venant aussi du dedans. Les dichotomies percep-
tives se trouvent ainsi atténuées. C’est alors que peut se constituer un
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

objet unifié, à la fois externe et interne, mais c’est là aussi que survient le
risque dépressif de le perdre. Si le moi se trouve menacé par la crainte de
perdre ses objets internes difficilement rassemblés, il tentera d’éprouver
leur permanence et leur solidité à travers des conduites de récupération :
conduites fructueuses et sources d’expériences enrichissantes et de créa-
tivité si le moi n’est pas trop appauvri ni affaibli ; conduites dérisoires,
voire catastrophiques lorsque le travail défensif s’accroît à la mesure de
l’effritement des objets internalisés.

1. Freud S. (1900), L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1967.


2. Klein M. (1934), Contribution à la psychogenèse des états maniaques, tr. fr. in
Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1967.

19
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Avec les constructions œdipiennes se donne à voir une autre clinique,


celle qui, comme dans la névrose infantile, tend à peupler, voire à surpeu-
pler l’espace interne d’éléments relationnels hyper-signifiants : sous le
déguisement parfois des persécuteurs d’antan, loups et monstres se
repaissent de désirs incestueux tout en veillant à leur interdit. La peur du
noir par exemple n’est pas dans ces contextes peur de l’absence ou de ce
qui n’est pas, elle est peur du trop représenté en résonance avec le fantas-
me originaire du rapproché parental. Dans une jolie scène du film Le gar-
çon aux cheveux verts 1, l’adulte rassure l’enfant apeuré par la nuit en lui
disant : « Il n’y a pas plus de choses la nuit que le jour. » L’épreuve de
réalité vient alors tempérer le surcroît de scénarios imaginaires.
Comment la phase de latence va-t-elle réguler le flot fantasmatique ?
La question est essentielle car, si le système perception-conscience vient
barrer les constructions fantasmatiques, il tend à couper prématurément
l’enfant de ses ressources inconscientes au détriment de la créativité. Très
ou trop tolérant, le préconscient invalidé laisse les processus inconscients
infiltrer les processus conscients au risque d’une confusion. Or il n’est
pas toujours aisé d’apprécier en pleine période de latence s’il s’agit d’une
mise en veilleuse des motions pulsionnelles sous l’effet d’un refoulement
salutaire ou si on assiste à une réelle coupure rendant à terme l’incons-
cient indisponible.
Il n’est pas facile non plus de décider du moment où la surcharge des
processus primaires est indésirable. Des recherches récentes montrent
leur persistance chez certains enfants « normaux » jusqu’à 6-7 et même
8 ans. De plus, la situation projective exacerbe parfois ce mode d’expres-
sion, au détriment de l’ancrage dans le réel. En suggérant des situations
relationnelles plus ou moins explicites, les épreuves thématiques
confrontent en effet l’enfant à la réactivation de conflits encore chauds
dans son évolution psychique : agressivité et libido sont fortement mobi-
lisées, libérant une quantité d’énergie pulsionnelle considérable que
l’appareil défensif encore immature ne sait peut-être pas encore canaliser.
En ce cas la surcharge fantasmatique revêt la forme d’une excitation plus
ou moins gérable, plus ou moins anxiogène ou source de plaisir. Ce qui
prédomine alors c’est l’affect, c’est-à-dire « l’expression qualitative de la
quantité d’énergie pulsionnelle et ses variations »2 sans liaison régulatrice
avec la représentation, témoin d’un acte de pensée. L’expression la plus
directe en est la décharge motrice mais aussi, à un moindre degré, les
productions embrouillées des jeunes enfants. À les entendre, on dirait

1. Losey J. (1948), The boy with green hair, USA.


2. Laplanche J. et Pontalis J.-B. (1967), p. 12.

20
UTILISATION DES ÉPREUVES THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

parfois que, sous la pression fantasmatique, les scènes se bousculent, se


télescopent à un rythme que les mots ne parviennent pas à suivre. À la
limite, aucune histoire ne se dit, aucun jeu ne se construit si l’enfant se
trouve débordé par l’effervescence de sa vie interne.
En mettant simultanément à l’épreuve la réalité et la capacité à fantas-
mer, la réponse thématique, pour se construire, ne peut se situer ni tout à
fait dans la réalité externe, ni tout à fait dans le monde interne : elle se
négocie dans l’entre-deux, entre dehors et dedans, dans l’expérience sub-
jective d’une extériorité.
C’est pour désigner cette particularité que L. Bellak (1954) reprenait à
son compte le terme d’ « apperception » de Murray et tenait à le distin-
guer de la « perception » et de la « projection ». L’« apperception » fai-
sait référence à l’intégration des expériences passées dans les perceptions
actuelles. Bellak a même proposé le terme de « distorsion aperceptive »
pour souligner l’originalité de chaque interprétation personnelle face à un
stimulus donné, originalité pouvant aller jusqu’à la projection propre-
ment dite au prix de la distorsion du réel.
Nous préférons, avec C. Chabert (1983)1, apparenter cette double pro-
priété dedans-dehors de la production thématique à celle des phénomènes
transitionnels définis par D.W. Winnicott (1971) en référence à l’aire
potentielle de jeu. La réponse thématique s’appuie sur la réalité externe
et procède de l’illusion, ce qui se vérifie plus encore dans une situation
de jeu « réel » que dans le jeu fictif avec des images. Lorsque le jouet est
en partie dégagé de sa matérialité physique pour devenir un objet symbo-
lique, lorsque de l’image figurée naît une représentation colorée
d’affects, alors s’ouvre un espace fantasmatique riche, propice à l’élabo-
ration psychique. Cette capacité repose pour Winnicott sur des expé-
riences maternantes « suffisamment bonnes », c’est-à-dire ni trop ni trop
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

peu, et admettant des défaillances temporaires. Dans ces conditions peu-


vent prendre place le jeu, le rêve et le fantasme, c’est-à-dire l’activité
mentale.
Raconter une histoire ou construire un jeu à partir d’un matériel donné
supposent que la quantité d’énergie libérée par les diverses sollicitations
se transforme, se coordonne en énergie liée, ou en d’autres termes que
soit différée la décharge pulsionnelle par le biais de ses représentants :
représentants-représentations et représentants-affects. Les représentations
sont elles-mêmes susceptibles de renvoyer à tout un ensemble de chaînes
associatives par « condensation » : c’est ce qui fait qu’un même contenu

1. Anzieu D., Chabert C. (1983), op. cit., p. 180.

21
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

manifeste puisse comprendre plusieurs significations latentes. Les repré-


sentations peuvent aussi voir leur énergie se « déplacer » le long d’autres
voies associatives afin d’en faire varier l’intensité. Avec les aspects éco-
nomiques de ces variations, traduites en termes d’investissement ou de
désinvestissement (de besetzen = occuper, mettre – ou retirer – une quan-
tité d’énergie pulsionnelle à disposition de), coexiste une dimension
dynamique « défensive » dont la plus élaborée est le refoulement. Le
refoulement1 permet de mettre à l’écart les représentations trop excitantes
et de les déplacer éventuellement sur d’autres représentations plus tolé-
rables pour le moi. Avec le refoulement se développent les formes indi-
rectes des représentations et leurs transpositions symboliques les plus
achevées à travers un langage construit. Transmettre un message intelli-
gible – « lisible » disait V. Shentoub – au clinicien, c’est traduire les
représentations et les affects sous les formes symbolisées d’un langage.
Le langage des gestes et plus encore celui des mots impliquent, à travers
ce signe adressé à l’autre, comme le souligne R. Perron (1992), un travail
de liaison au second degré entre les représentations : le travail de symbo-
lisation.
La création thématique résulte de la négociation entre les contraintes
du réel et les apports fantasmatiques ; elle repose sur une triple activité :
percevoir, représenter, symboliser.

Objectif des épreuves thématiques

L’objectif des épreuves thématiques est, comme toute épreuve projecti-


ve chez l’enfant, de mettre en évidence les modalités de construction de
l’appareil psychique, ses éventuels avatars et/ou ses possibilités de réor-
ganisation.
Ces modalités concernent les processus de pensée (illustrés par la qua-
lité d’élaboration des réponses), les principales conflictualisations inhé-
rentes au développement (s’exprimant notamment par la sensibilité au
contenu latent) et la mise en place des ressources défensives (reflétées
par les procédés de réponse). Bien que cliniquement articulés, ces trois
aspects peuvent être étudiés séparément si le but de l’investigation porte
plus spécialement sur l’un d’entre eux.

1. Freud S. (1915), Le refoulement, tr. fr. in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1983,


coll. Idées, p.11-64.

22
UTILISATION DES ÉPREUVES THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

Les processus de pensée


Les épreuves thématiques apportent un éclairage sur la différenciation
topique du psychisme et sur le degré de perméabilité entre les instances.
Il s’agit en effet d’apprécier le degré de compromis préconscient réalisé
entre les motions inconscientes dictées par le fantasme et les exigences
du système perception-conscience. En d’autres termes, le clinicien essaie
d’évaluer la balance entre les processus primaires et les processus secon-
daires nécessaire à la création thématique.
La qualité des processus de pensée est conditionnée par l’accès aux
constructions symboliques telles que nous les voyons se dégager, d’abord
d’une situation de jeu, puis à travers l’élaboration du langage verbal. Ce
point important de la naissance des conduites symboliques sera appro-
fondi à propos du scéno-test et du CAT auprès des jeunes enfants.
Mais le problème est aussi de savoir comment ces constructions se
consolident ou au contraire se dégradent. Comme le souligne H. Segal
(1957) à la suite de M. Klein (1930), le symbole devient disponible pour
la pensée en se distinguant de la chose symbolisée. Cette opération,
concomitante de la distinction moi/non-moi, est irréalisable par exemple
par la pensée psychotique pour laquelle le mot et la chose sont confon-
dus. Elle dépend en grande partie de l’élaboration de la position dépressi-
ve. Dans un prolongement des contributions kleiniennes, W.R. Bion
(1962) propose un modèle de la pensée bâti sur la dualité entre deux
types d’éléments : ceux dérivés du surcroît de l’excitation sensorielle et
ceux qui, d’abord médiatisés par la capacité contenante de la mère, pour-
ront être pris en charge par la pensée. Ces derniers donnent l’accès au
symbole et au rêve ; ils articulent processus conscients et inconscients
tout en les différenciant. L’« agglutination » au contraire d’éléments
d’excitation non métabolisables et incapables d’établir des liens entre eux
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

est responsable des troubles graves de la symbolisation de type psycho-


tique et/ou déficitaire.
La gestion de l’excitation de l’enfant face au matériel thématique peut
être utilement rapportée à cette conception du fonctionnement psychique
réactualisée par Bion. Il est également opportun de réfléchir aux possibi-
lités de relais pris dans cette situation par la pensée du clinicien pour
métaboliser l’excitation et mobiliser l’activité de pensée chez l’enfant.

Exploration des principaux conflits


Le CAT et le PN fournissent sur ce plan l’apport le plus original, ces
épreuves ayant été construites dans ce but. L’appel à l’expression de la

23
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

sexualité infantile1, telle qu’elle s’organise autour du primat des pulsions


partielles2, y est quasiment explicite et d’autant plus prégnant que ces
étapes sont encore récentes. La référence indispensable au développe-
ment libidinal ne saurait cependant renvoyer à une succession linéaire de
stades génétiques. Comme le soutenait A. Freud (1965) à travers son
concept de « ligne de développement » et comme l’indique B. Brusset
(1992), il ne s’agit pas de réalités génétiques survenant à date fixe mais
plutôt de « positions », de « paliers d’organisation », variables dans leurs
agencements et leurs significations : oralité, analité et phallisme détermi-
nent des modes à la fois spécifiques et pluriels de satisfaction et de rela-
tion d’objet.
Si l’oralité établit le modèle des premières relations objectales, modèle
étayé sur une fonction vitale, elle renvoie cependant au vécu d’expé-
riences radicalement différentes, conjointes ou disjointes ; l’expérience
de satisfaction et de bien-être fonde les assises narcissiques assurant la
continuité et la cohésion identitaires ainsi que l’investissement positif de
la représentation de soi. C’est l’oralité qui autorise les premières diffé-
renciations entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’introjection et la projec-
tion. C’est l’oralité encore qui assure une fonction de transition entre ces
deux espaces, entre les sensations interoceptives, proprioceptives, et les
perceptions externes à travers la constitution d’une membrane délimi-
tante et différenciatrice, précurseur du Moi-peau3. Mais l’oralité régit
aussi l’indifférenciation anobjectale des états symbiotiques supposés par
M. Mahler (1967) caractériser le développement initial, constatés en tout
cas dans certaines formes de psychoses. L’oralité peut enfin devenir
synonyme de destructivité, en liaison avec la pulsion de mort, comme le
montre M. Klein (1957). Si les « mauvaises » expériences fantasmatiques
prédominent sur les expériences de gratification, le vécu de frustration

1. Freud S. (1905, éd. révisée 1923), Trois essais sur la théorie de la sexualité, tr. fr.
Paris, Gallimard, 1962, coll. Idées.
2. On appelle « pulsion » « un processus dynamique consistant dans une poussée (char-
ge énergétique, facteur de motricité) qui fait tendre l’organisme vers un but. Selon Freud,
une pulsion a sa source dans une excitation corporelle (état de tension) ; son but est de
supprimer l’état de tension qui règne à la source pulsionnelle ; c’est dans l’objet ou grâce
à lui que la pulsion peut atteindre son but » (Laplanche J. et Pontalis J.-B.,1967, p. 359).
Les pulsions partielles s’entendent au sens génétique et structural ; elles appartiennent
dans la première conception freudienne aux pulsions sexuelles, qui « fonctionnent
d’abord indépendamment et tendent à s’unir dans les différentes organisations
libidinales » ( ibid., p. 367).
3. Anzieu D. (1985), Le Moi-peau, Paris, Dunod.

24
UTILISATION DES ÉPREUVES THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

engendre l’envie. L’envie détermine une relation essentiellement duelle,


douloureusement éprouvée par rapport à des objets partiels1, par laquelle
sont recherchées les bonnes qualités idéalisées de l’objet. Mais si le but à
atteindre s’avère trop difficile, l’objet est impitoyablement « gâché »,
détruit, plutôt que d’encourir le risque de voir l’envie s’amplifier. Au lieu
d’œuvrer à l’unification de l’objet total et d’ouvrir la voie de l’ambiva-
lence, l’avidité orale accentue les clivages entre extérieur et intérieur et
cristallise les mécanismes de projection.
Avec l’expérience anale, se constituent les oppositions, fondamentales
pour le devenir des processus d’individuation2, entre le monde interne et
le monde externe, entre ce que retient le corps et ce qu’il expulse. La dif-
férenciation s’établit entre l’enveloppe contenante et le contenu, condi-
tion nécessaire de l’accès au symbolisme. La formation des couples
opposés – activité/passivité, domination/soumission, rétention/expulsion
– s’illustre au niveau du langage par la dialectique du oui et du non. Ce
prototype par excellence du conflit psychique d’ambivalence est lié à
l’ébauche de l’intériorisation des interdits corrélative de la naissance du
surmoi. L’analité est structurante en ce sens qu’elle ordonne la gestion
des conflits psychiques en faisant appel à des processus de contrôle. À
l’image du sphincter correspondant, cette étape permet de resserrer, de
refermer l’espace interne en organisant, en hiérarchisant les objets qu’il
contient.
Mais l’étape anale coïncide aussi avec l’élaboration de la position
dépressive et sa possible remise en cause lors des apprentissages sphinc-
tériens susceptibles de réactiver un vécu de séparation et de perte d’objet.
L’enjeu n’est alors pas de constituer en soi un objet interne mais de le
conserver. Si l’angoisse de perte rencontre de plus une défaillance, fan-
tasmatique et/ou réelle, de l’environnement de soutien, le risque de catas-
trophe dépressive peut devenir massif. Ce dernier peut en ce cas alimen-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

1. La définition donnée par Laplanche J. et Pontalis J.-B. (1967, p. 294) est la suivante :
« type d’objets visés par les pulsions partielles sans que cela implique qu’une personne,
dans son ensemble, soit prise comme objet d’amour. Il s’agit principalement de parties du
corps, réelles ou fantasmées (sein, féces, pénis) et de leurs équivalents symboliques.
Même une personne peut s’identifier à ou être identifiée à un objet partiel. »
2. « Par individuation, M. Mahler entend l’investissement progressif des fonctions du
moi et particulièrement de la représentation du self. Le processus de séparation met plutôt
l’accent sur l’investissement progressif de l’objet qui passe d’un objet partiel, satisfaisant
les besoins de l’enfant, jusqu’à un objet total et constant. » Définition proposée (p. 44)
par Cramer B. in Les psychoses infantiles et les étapes du développement, de la sépara-
tion et de l’individuation chez Margaret Mahler, in Lebovici S., Diatkine R., Soulé M.
(édit.), Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, vol. 2, p. 1014.

25
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

ter des conduites désobjectalisantes gravissimes pour la pensée ou des


tentatives de reconstructions laissant s’installer une tragique perte de sens
plutôt que de perdre l’objet. Cela peut expliquer la coexistence
d’angoisses dépressives et existentielles dans certains états psychotiques
et prépsychotiques de l’enfant. Ces conduites psychiques aberrantes des-
tinées à conserver l’objet rendent compte aussi des pathologies mélanco-
liques de l’adolescent et de l’adulte où l’objet reste incorporé1 au prix
d’une perte du moi et des pulsions d’auto-conservation.
D’autres pathologies ultérieures sont à l’inverse caractérisées par une
excessive érotisation anale. Freud (1908) explique ainsi la formation de
certaines particularités de caractère et la Disposition à la névrose obses-
sionnelle (1913). Mais il ne semble pas que l’on puisse systématique-
ment départager les névroses et les psychoses d’après la perte ou la réten-
tion de l’objet : l’investissement anal chez le président Schreber2 resterait
bien problématique. En revanche, il est toujours question du statut de
l’analité dans les déviations perverses et/ou destructrices de la sexualité
adulte. L’analité conditionne l’accès à la position œdipienne et l’organi-
sation de la génitalité adulte. Elle sous-tend aussi l’orientation objectale
et narcissique des choix ultérieurs suivant que prédominent les représen-
tations de relation ou la satisfaction auto-érotique3.
S’il marque indéniablement un tournant important, l’avènement des
centrations phalliques et de l’angoisse de castration mérite d’être distin-
gué de l’étape génitale proprement dite. C’est que la position phallique
s’exprime, tant chez les filles que chez les garçons, sur un mode binaire –
avoir /ne pas avoir, toute puissance/impuissance, nanti/castré – peu propi-
ce à des nuances plus subtiles. Les images parentales ne sont du reste pas
toujours bien dégagées dans ces contextes, image maternelle et/ou pater-
nelle pouvant être fantasmatiquement superposées ou affublées des
mêmes attributs ou d’attributs inversés. Une étude datant de 1973 (R.
Perron et al.) montrait déjà combien les niveaux d’élaboration et
d’expression des images parentales reflétées par les épreuves projectives

1. Freud S. (1917), Deuil et mélancolie, tr. fr. in Métapsychologie, Paris, Gallimard,


1983, coll. Idées, p. 147-174.
2. Freud S. (1911), Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de para-
noïa (Dementia paranoïde). Le Président Schreber, tr. fr. in Cinq psychanalyses, Paris,
PUF, 1970, p. 263-324.
3. Auto-érotisme : au sens donné par Freud en 1914 dans Pour introduire le narcissis-
me : satisfaction de la seule zone érogène « 1/ sans le recours à un objet extérieur, 2/ sans
référence à une image du corps unifié, à une première ébauche du moi, telle qu’elle
caractérise le narcissisme » (Laplanche J. et Pontalis J.-B., 1967, p. 42).

26
UTILISATION DES ÉPREUVES THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

variaient d’un enfant à l’autre, et en fonction du stimulus proposé. Les


fantasmes de mère phallique et de père nourricier par exemple abondent
dans les productions thématiques. Le phallus, en tant que fonction sym-
bolique et non réalité anatomique, peut du reste être perçu comme un
objet partiel détachable et interchangeable. Il peut aussi bien désigner un
mode relationnel qu’un mode narcissique régi par l’omnipotence. Ce
n’est qu’avec la reconnaissance de la différence anatomique des sexes1
que s’ouvre la voie du choix d’objet œdipien et des identifications homo-
sexuées, conformément à la première phase dite négative de l’Œdipe, ou
hétérosexuées, résultant des choix ultérieurs attribués à l’Œdipe « positif ».
Cette reconnaissance est à la fois corporelle et symbolique. Elle se rap-
porte tant à la représentation sexuée de soi qu’à la représentation
d’images parentales distinctes. Mais, même différenciées, les images
parentales restent des produits fantasmatiques, quelquefois inverses des
réalités familiales. Ce sont ces « réalités fantasmatiques » que les
épreuves thématiques permettent d’appréhender en invitant l’enfant à
confronter les attributs sexués manifestes du matériel à ses capacités de
différenciation psychique. La tâche en fait se complique en raison de
l’empreinte laissée par les relations prégénitales, surtout chez la fille,
pour qui le choix d’objet œdipien reste profondément marqué par les pre-
mières relations objectales2. Si bien que, dans les épreuves thématiques,
un peu comme dans les rêves, ce qui est donné à voir est quelquefois la
condensation entre les représentations sexualisées et les fantasmes
archaïques. Le fantasme d’une mère phallique et terrifiante peut servir
d’écran à des représentations incestueuses par trop génitalisées, mais il
arrive aussi que la sexualisation des représentations évite la confrontation
aux messages prégénitaux jugés trop dangereux.
La question de l’accès aux différences sexuées est indissociable de
celle de leur investissement et des représentations de relation qu’elles
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

véhiculent. Mais aussi différenciée et élaborée soit-elle, la représentation


de relation d’objet œdipienne se heurte nécessairement au problème de
son devenir lié à l’intériorisation des interdits. Renoncer à l’objet œdi-
pien implique le risque dépressif de le perdre, tandis que le conserver
peut être synonyme d’une exacerbation de la rivalité et des menaces de
sanction. Le déclin du complexe d’Œdipe (Freud 1924c) découle des
capacités d’élaborer à nouveau la position dépressive et de la qualité des

1. Freud S. (1925), De quelques conséquences psychologiques de la distinction anato-


mique des sexes, tr. fr. in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1977, p. 123-132.
2. Les articles de Freud relatifs à la sexualité féminine (1931 et 1932) insistent bien sur
ce point pour rendre compte des orientations futures des choix sexuels.

27
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

ressources défensives aménagées lors de la phase de latence. La phase de


latence forme une étape charnière dont on peut dire que si rien ne s’y
crée tout pourtant s’y organise en vue des remaniements à venir.

L’organisation défensive
L’activité psychique défensive est la plus aisément repérable au moyen
des épreuves thématiques, puisqu’elle est supposée reflétée par la forme
même des réponses. Rappelons que sont considérés comme défensifs, au
sens strict, les mécanismes mentaux intervenant dans la gestion des
conflits libidinaux. Au sens plus large proposé par A. Freud (1946), il
s’agit de n’importe quelle activité, psychique ou non, dont la finalité est
de s’opposer à l’émergence d’angoisse d’origine conflictuelle. Par exten-
sion, comme le montre l’école psychosomatique de Paris impulsée par P.
Marty (1976, 1980), les activités corporelle, motrice, sensorielle et, d’une
certaine façon, relationnelle participent au travail défensif par des voies
autres que les voies mentales.
L’activité défensive est inhérente au développement psychique. Ne
deviennent pathologiques que les systématisations appauvrissantes et les
entraves durables à l’élaboration des conflits. Les modalités défensives,
variables selon chacun en qualité et en quantité, évoluent avec l’âge et
sont soumises à des remaniements qualitatifs et quantitatifs tout au long
de l’existence en fonction des possibles résurgences conflictuelles. Elles
impriment des mouvements discontinus d’avance, de régression, de fragi-
lisation et/ou de consolidation de l’appareil psychique. Leur répartition et
leur articulation dessinent l’orientation des formes cliniques et patholo-
giques suivant leur participation, respectivement, à la construction identi-
taire, à l’élaboration de la position dépressive et aux choix identifica-
toires.
Chez le jeune enfant prédominent les défenses dites primitives du moi,
engagées dans les processus identitaires. Ce sont en particulier le déni
(de la réalité externe et interne), le clivage (du moi et de l’objet), la pro-
jection (sous ses différentes formes). Ces modalités en principe s’estom-
pent avec le temps. A. Freud (1946) a notamment insisté sur la fonction
défensive du fantasme, en tant que négation, mais aussi sur la façon dont
l’identification façonne les idéaux du moi tout comme elle peut entraver
le processus maturatif. Les mêmes mécanismes, suivant les contextes,
peuvent être structurants ou destructurants. L’exemple entre autres
qu’elle développe est « l’identification à l’agresseur », un mécanisme
structurant le surmoi s’il correspond à une intériorisation de l’agressivité
des adultes devant lesquels l’enfant se sent coupable ; le même mécanis-

28
UTILISATION DES ÉPREUVES THÉMATIQUES CHEZ L’ENFANT

me acquiert un caractère pathologique à partir du moment où l’intériori-


sation défaillante conduit à un renversement des rôles fondé sur la préva-
lence de la projection. Il en est de même des modalités corporelles et sen-
sori-motrices dont le rôle est déterminant chez les petits avant de s’inscri-
re dans le psychisme sous d’autres aspects. Il s’agit plutôt de préformes
défensives reflétant les assises narcissiques et l’investissement corporel
de la représentation de soi. De leur qualité dépendent les investissements
narcissiques et objectaux ultérieurs et la capacité d’édifier des défenses
mentales efficientes. L’organisation du travail mental peut également se
prédire ou se déduire de la possibilité qu’a le psychisme immature d’uti-
liser la relation avec le clinicien comme contenant et comme tremplin de
l’activité de pensée.
Accumulés en période de latence, les recours au corps, à l’agir et à la
réalité externe revêtent d’autres significations, entre autres anti-dépres-
sives, pouvant signer l’indigence du travail mental. Leurs diverses formes
cliniques ont pour dénominateur commun l’abrasion des conflits intra-
psychiques et leur externalisation soit par le biais de la pathologie com-
portementale et/ou somatique, soit par celui d’une adaptation conformis-
te exagérée. C’est qu’en période de latence sont censées s’installer au
contraire les modalités les plus élaborées résultant de l’intériorisation des
conflits : le refoulement, l’isolation, la formation réactionnelle, l’annula-
tion rétroactive1 tendent petit à petit à se substituer aux modalités plus
frustes. Tout l’arsenal défensif dont disposera le futur adulte est pratique-
ment constitué à la fin de la période de latence, mais il sera soumis à des
remaniements propices ou non à son déploiement.
Dans les faits, il n’y a jamais substitution totale des défenses « primi-
tives » par les défenses tardives, mais les unes et les autres sont inégale-
ment sollicitées selon les situations : le rêve, la rêverie diurne, la situa-
tion projective favorisent la réapparition de modalités soit disant
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

révolues ; certaines épreuves thématiques mobilisent les ressources les


plus achevées disponibles, d’autres autorisent l’usage de modalités plus
reculées. Tout est une question de dosage, de perméabilité entre les ins-
tances, mais surtout d’évolution dans le temps. L’installation active du
refoulement peut former des tableaux provisoires d’abrasion
pulsionnelle ; une grande richesse fantasmatique peut, à l’inverse, s’avé-
rer désorganisante.

1. Tous ces termes seront repris lors de la présentation des procédés sous-tendus par
ces modalités défensives.

29
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

On peut penser que la richesse du fonctionnement psychique de


l’enfant réside dans cette capacité à puiser dans différents registres, en
faisant simultanément appel au fantasme et au contrôle, au corps et à la
pensée, à l’affect et à la relation. Ce serait peut-être cela la normalité : la
vie avec le rêve.

30
Première partie

ÉPREUVES DE JEU :
LE SCÉNO-TEST
2. LE SCÉNO-TEST :
THÉORIE ET UTILISATION

2.1. Fondements théoriques et méthodologiques

Préalables

Gerdhild von Staabs, qui fut neuropsychiatre à Berlin, a créé en 1938


un matériel de jeu répondant à la fois à des objectifs diagnostiques et à
une visée thérapeutique. Pratiquement inchangé dans sa forme actuelle,
hormis quelques modernisations d’aspect, le scéno-test se présente
comme une boîte de jouets extrêmement attractive par la diversité des
éléments vivement colorés qui la composent et par le soin avec lequel ils
sont artisanalement fabriqués.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Très prisé en clinique infantile par les psychologues et les thérapeutes,


celui-ci n’a pourtant jamais fait l’objet d’études systématiques lui confé-
rant un réel statut de « test », pas plus qu’il n’a reçu un label de support
thérapeutique, en raison du caractère surdéterminé du matériel. Le
manuel de l’auteur (von Staabs, 1964), est difficilement exploitable eu
égard aux courants conceptuels actuels. Il existe de nombreuses publica-
tions, la plupart en allemand et en italien, qui montrent l’intérêt soutenu
pour ce type d’épreuve. Parmi les plus marquantes :
– les contributions d’inspiration psychanalytique, dont celle de
S. Bourgès (1975) qui suggère de transposer au scéno-test la démarche
de V. Shentoub et R. Debray (1970-71) et de dégager les « procédés
mis en œuvre dans la construction de la scène ». Cette réflexion

33
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

contient le germe de nos présents développements. La tentative de


théorisation proposée par F. von Zimmermann (1976) à Munich
conduit à privilégier le champ transférentiel et l’intersubjectivité en
renonçant à la situation de « test » ;
– les démarches descriptives, comme celle de T. von Salis (1975) à
Zurich et de C. Malandain (1990) en France, consistent à répertorier le
nombre et le choix des éléments utilisés en fonction de l’âge, du sexe
et de la réussite scolaire ;
– les recherches d’inspiration spatiale et graphique, illustrées en France
par les travaux de J. Doron (1980, 1983, 1985), s’inscrivent dans la
lignée des travaux de M.Monod (1970) sur le test du village ; elles
portent sur une analyse de l’utilisation de l’espace et proposent une
grille d’analyse quantitative.
Établi à partir de psychothérapies d’enfants dits « névrosés » ou
« caractériels », le scéno-test était supposé mettre en scène les protago-
nistes de l’entourage et de la constellation familiale et reproduire en
miniature les modalités conflictuelles du sujet. D’où l’idée d’introduire
des marionnettes flexibles susceptibles de représenter les proches dans
diverses situations de la vie quotidienne et d’agrémenter les scènes de
nombreuses pièces annexes permettant de camper des décors animés et
inanimés. S’inspirant des divers courants – psychanalytique, phénoméno-
logique et constitutionaliste – de l’époque, l’auteur a construit son maté-
riel à partir de principes discutables dans leur fondement et leurs applica-
tions. Une des théories sous-jacente était que, à la faveur de la désinhibi-
tion engagée par la méthode du jeu, le clinicien accédait directement à
une lecture de l’inconscient et des « conflits affectifs ». Si bien que cha-
cune des pièces était définie à la fois par sa figuration manifeste, très
détaillée, et par une signification symbolique préétablie admettant
quelques variantes : « Le monsieur en complet veston incarne un person-
nage plutôt autoritaire [...], le médecin en blouse blanche [...] symbolise
avant tout le thérapeute [...], le bébé peut exprimer le désir d’avoir un
petit frère ou une petite sœur [...], la vaisselle et les fruits appartiennent
au domaine oral [...], la problématique anale est représentée par un pot de
chambre [...], la présence de fleurs dans une scène suppose un besoin de
se soigner, une coquetterie quelque fois excessive. » 1
Sortir ces affirmations de leur contexte accentue, certes, leur aspect
caricatural mais illustre précisément ce qu’il paraît indispensable d’éviter :
une superposition entre le matériel manifeste et les implications latentes

1. Staabs G. von (1964), p. 13-16.

34
LE SCÉNO-TEST : THÉORIE ET UTILISATION

à travers une désignation automatique des clefs de l’insconscient, au


risque, pour le praticien non averti, soit de glisser dans l’interprétation
abusive, soit de recourir à un « prêt à porter » du sens indépendant de la
singularité de l’organisation psychique.
L’autre hypothèse de base très contestable consistait à l’inverse à assi-
miler la construction scénique à la réalité anamnestique du sujet en expli-
quant celle-ci par celle-là. L’écueil était double : méthodologique dans la
mesure où se confondaient des approches qui auraient gagné à rester dis-
tinctes ; déontologique du fait des extrapolations et des mésusages poten-
tiels issus de telles pratiques, notamment en application médico-légale.
Si ses fondements n’étaient pas toujours valides, le scéno-test reste
néanmoins un très joli matériel de jeu, médiateur privilégié dans la ren-
contre avec l’enfant, auquel nous proposons de restituer le rôle d’instru-
ment d’exploration du fonctionnement psychique et d’évaluation dia-
gnostique qui lui était préalablement dévolu.

La situation scéno-test

En autorisant le sujet à organiser librement de multiples incitations


ludiques dans des conditions relativement définies et standardisées, le
scéno-test, tout en offrant un support d’expression, constitue une « épreu-
ve projective » à part entière : il suppose en effet la prise en compte d’élé-
ments imposés dans un espace défini et la mise en œuvre de réponses,
étroitement tributaires de l’équipement perceptif, moteur et verbal, aptes à
refléter l’organisation individuelle de la personnalité. Il s’agit d’une
« épreuve thématique » dans la mesure où la manipulation d’objets très
figuratifs est susceptible de renvoyer à des situations spécifiques emprun-
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tées tant à l’expérience vécue qu’à des constructions imaginaires.


Ni émanation directe de l’inconscient, ni transposition linéaire de la
réalité, la situation du scéno-test s’inscrit comme toute épreuve théma-
tique dans un « espace intermédiaire » entre l’expression des processus
inconscients et le conscient-réalité. Répondant en cela aux exigences
contradictoires du contrôle et de la fantaisie, la sollicitation consiste,
d’une part, à utiliser les qualités concrètes du matériel à travers une
manipulation adaptée à l’organisation visuo-perceptive d’un espace à
construire, et d’autre part, à se laisser aller à une production personnelle
nourrie à la fois des empreintes inconscientes et de l’expérience réelle.
Mais à la différence des épreuves thématiques constituées par des
planches figurant des scènes à raconter, il ne s’agit pas ici de jouer sym-

35
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

boliquement entre le réel et l’imaginaire, entre le percept et le fantasme,


entre le monde psychique interne et les exigences de la réalité : la partici-
pation au scéno-test implique de jouer « pour de vrai » quitte à « faire
semblant ».
La référence au playing de Winnicott (1971), plus que pour toute autre
épreuve, s’impose pour définir cette situation particulière qu’est le jeu :
« cette aire où l’on joue n’est pas la réalité psychique interne. Elle est en
dehors de l’individu, mais elle n’appartient pas non plus au monde exté-
rieur. Dans cette aire, l’enfant rassemble des objets ou des phénomènes
appartenant à la réalité externe et les utilise en les mettant au service de ce
qu’il a pu prélever de la réalité interne ou personnelle. » 1 « Jouer
implique la confiance et appartient à l’espace potentiel qui se situe entre
ce qui était d’abord le bébé et la figure maternelle, le bébé étant dans un
état de dépendance presque absolue et la fonction adaptative de la figure
maternelle étant tenue pour acquise par le bébé. [...] Le jeu implique
(aussi) le corps 1° en raison de la manipulation des objets ; 2° parce que
certains types d’intérêt très vif sont associés à certains aspects de l’excita-
tion corporelle. [...] Le jeu engendre du plaisir, à condition que l’éveil pul-
sionnel qu’il suscite ne soit pas excessif et ne déborde pas la capacité de
contenir l’expérience. [...] Le jeu est en lui-même excitant et précaire. »2
L’exploration du psychisme au moyen du jeu engage ainsi des modali-
tés qui pourraient ressembler à celles d’une situation thérapeutique ;
l’enfant est libre de disposer à sa guise de tout le matériel ou de s’abste-
nir ; il exprime physiquement et éventuellement verbalement ce qui lui
passe par la tête ; il n’y a pas de bonnes ni de mauvaises façons de procé-
der ; la durée d’une séance est sensiblement la même en examen et en
thérapie. Le jeu de l’enfant mobilise en outre fortement les attitudes et
contre-attitudes du clinicien dont la neutralité ne peut se concevoir
comme un invariant donné : la neutralité s’acquiert par un travail
constant d’analyse et de régulation afin de maintenir ou de ramener la
situation à l’aire transitionnelle qui lui est assignée. Les différences par
rapport au cadre thérapeutique résident dans le nombre limité de séances
(une en principe), dans la standardisation du cadre, dans le choix d’un
matériel particulièrement suggestif et surtout dans les finalités : le clini-
cien ne se donne pas pour objectif de « changer » quoi que ce soit dans le
mode de fonctionnement psychique de l’enfant, il en est l’observateur
attentif, provisoirement engagé dans une relation à relative distance qui
limite les interactions.

1. Winnicott D.W. (1971), p. 73.


2. Ibid. p. 74.

36
LE SCÉNO-TEST : THÉORIE ET UTILISATION

La notion de procédés de jeu

Du corps au symbole
Obéissant aux lois générales du développement allant « de l’acte à la
pensée », comme le soutenait H. Wallon (1942), ou de la décharge motri-
ce à des conduites élaborées, le jeu au scéno-test met en œuvre des pro-
cédés de plus en plus complexes et de plus en plus diversifiés avec l’âge,
dépendant du degré de maturation instrumentale et pulsionnelle. À la dif-
férence des procédés propres aux épreuves thématiques verbales, les pro-
cédés de jeu mis au service de l’expression des problématiques, dans la
mesure où ils engagent l’expression corporelle, ne rendent pas seulement
compte de l’aménagement ou du déploiement des mécanismes défensifs
disponibles, mais peuvent aussi traduire directement l’émergence pul-
sionnelle sans passer par la symbolisation du langage. Émergences
d’autant plus massives que le moi est encore immature ou inapte au
déploiement de modalités plus élaborées, mais dont la persistance est
favorisée par la nature du matériel, y compris lorsque se font jour des
capacités d’organiser un jeu.
On peut schématiquement regrouper trois sortes de procédés évoluant
en principe avec l’âge1.
Les procédés sensori-moteurs correspondent globalement sur le plan
cognitif à l’intelligence sensori-motrice culminant les deux premières
années. Piaget (1945) dénomme « jeux d’exercice » les activités ludiques
contemporaines de cette phase qui peu à peu s’orientent vers la découver-
te, l’intégration et la combinaison d’expériences nouvelles. Dans leurs
formes initiales, ces activités sont en même temps très directement liées à
leurs origines somatiques et à l’expression des mouvements pulsionnels
qui les sous-tendent. Les mouvements pulsionnels trouvent en effet une
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traduction manifeste à travers le type d’activité lorsque la satisfaction des


pulsions partielles montre une correspondance étroite entre les sources
(orale, anale) et les buts (sucer, mordre, déchirer, écraser...) que la socia-
lisation ultérieure transformera en actions substitutives ; ils se donnent
aussi à voir à travers les décharges auto-érotiques appartenant aux pre-
mières ébauches de la vie mentale, qui dévient le jeu de ses finalités, et
plus encore si les visées agressives émanant de la pulsion de mort entraî-
nent la destruction de l’objet et conduisent par là-même à un arrêt de
l’activité ludique.

1. Ajuriaguerra J. de, Marcelli D. (1982), Psychopathologie du jeu, in


Psychopathologie de l’enfant, p. 177-185.

37
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les procédés symboliques se réfèrent à la notion de « jeux symboliques »


de Piaget intégrée pour lui au développement de la « fonction symbo-
lique » optimale entre 3 et 7 ans, c’est-à-dire à la « capacité d’évoquer
des objets ou des situations non perçues actuellement en se servant de
signes ou de symboles ». Cette fonction dérivée des sources pulsionnelles
repose sur l’imitation et la représentation gestuelle d’une situation deve-
nue fictive, fonction qui au scéno-test s’illustre par la capacité de mêler
l’utilisation des jouets concrets avec des situations imaginaires et de pas-
ser ainsi, comme le démontrent H. Roiphe et E. Galenson (1981), des
« symboles concrets » à des « formes plus abstraites du symbolisme ».
L’apparition des jeux symboliques coïncide le plus communément avec
l’installation du langage et avec l’esquisse des organisateurs œdipiens
autour du primat génital, étape que ces observateurs de la petite enfance
localisent dès la deuxième année de la vie, lors de la « phase génitale
précoce » au cours de laquelle se trouvent réactivées les « peurs de perte
d’objet et de perte anale ». C’est à cette phase fondamentale que se
construit, selon eux, le sens ultérieur de l’identité et des processus de
mentalisation. On retrouve ici la thèse de M. Klein (1930) qui situe la
formation du symbole « à une époque où le sadisme prédomine », sadis-
me dont l’excès « éveille l’angoisse et met en mouvement les premières
défenses du moi ». Pour M. Klein, l’angoisse issue des attaques sadiques
de l’enfant envers les organes qui représentent les objets contribue à lui
faire « rechercher l’équivalent de ces objets en d’autre choses ; selon
cette équation, ces autres choses à leur tour deviennent des objets
d’angoisse, et l’enfant est ainsi appelé à établir constamment d’autres et
nouvelles équations qui constituent la base de son intérêt pour les objets
nouveaux en même temps que se fonde le symbolisme. Ainsi non seule-
ment le symbolisme est-il à l’origine de tout phantasme et de toute subli-
mation, mais bien plus, c’est sur lui que se structure toute la relation du
sujet au monde extérieur et à la réalité en général. »1 La pulsion épisté-
mophilique apparaît en même temps que culmine le sadisme ; issue des
contenus fantasmatiques (« unreal reality ») elle infléchit le rapport à la
réalité. À cette dimension dynamique s’articule un aspect économique : il
faut une « quantité suffisante d’angoisse » pour que se forment les sym-
boles et les fantasmes ; mais à condition que le moi soit capable de la
tolérer et de l’élaborer. Compris dans cette perspective, l’accès au jeu
symbolique traduit les premières négociations entre l’angoisse, devenue
un des piliers essentiels de la construction du moi, et ses modulations
visant à en réguler le flot et la direction.

1. Klein M. (1930), p. 271.

38
LE SCÉNO-TEST : THÉORIE ET UTILISATION

S’il est vrai que les productions ludiques infantiles donnent ainsi très
tôt accès aux préfigurations défensives existant dans tout psychisme nais-
sant, il faudra attendre l’avènement présumé de l’axe œdipien pour que la
notion de compromis défensif prenne tout son sens.
Les procédés liés à l’intériorisation des règles et des consignes corres-
pondent théoriquement à une phase tardive ; celle où, selon Piaget, des
« jeux de règles » prédominent ; celle, en d’autres termes, où le déclin de
l’Œdipe autorise l’introduction d’une dimension surmoïque et socialisan-
te en rendant disponibles les capacités organisationnelles à travers la
valorisation de la maîtrise des manipulations concrètes. Ces procédés ont
leur apogée après 7-8 ans, au moment où l’intallation de la phase de
latence donne lieu, non plus à l’expression immédiate des mouvements
pulsionnels, mais à leur traduction défensive qui, tout en étant sujette à
de multiples remaniements, dessine la configuration psychique du
moment. Dans la mesure où les exigences pulsionnelles sont relativement
tenues à l’écart, l’espace de jeu peut alors se déployer à « bonne distance »
de la consigne, s’affiner, se compliquer à loisir, favorisant parfois
d’authentiques performances motrices ; à l’inverse, il devient figé, répéti-
tif, discontinu, à la limite chaotique, dès lors que la pression pulsionnelle
s’exerce trop intensément pour permettre un compromis entre les émer-
gences fantasmatiques et leur régulation codifiée.
Prendre en compte les règles et les consignes dans le sens des interdits
surmoïques a pour corollaire l’intériorisation des choix identificatoires :
« jouer comme une fille, comme un garçon ». Prototype du conflit œdi-
pien par excellence, son implication au niveau du jeu réside dans la
sexualisation des procédés, une sexualisation qui tout en se faisant jour
dès le prélude des repères œdipiens (H. Roiphe, E. Galenson, 1981) ne
revêt sa spécificité qu’avec l’accalmie des motions conflictuelles. Il sem-
blerait bien que les filles utilisent de préférence les marionnettes tandis
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

que les garçons ont davantage recours aux constructions1.

Création ludique et psychopathologie


Ces quelques repères cliniques étant sommairement posés, le passage à
une lecture psychopathologique ne saurait s’appliquer ni de façon linéaire
ni au coup-par-coup. Si certains procédés prédominent à un moment
donné pour illustrer une étape maturative, leur présence à d’autres
moments peut s’insérer dans des contextes extrêmement divers sans revê-

1. Ce que confirme l’étude de C. Malandin (1990).

39
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

tir nécessairement une connotation pathologique : aucun procédé n’est en


soi normatif ou pathologique, le même procédé pouvant participer à un
mouvement globalement évolutif ou illustrer une entrave au développe-
ment, suivant la dynamique qu’il génère. L’originalité des solutions, des
combinaisons et des rythmes individuels varie infiniment, admettant des
écarts considérables au même âge d’un enfant à l’autre et chez le même
enfant en fonction des incidences environnementales, événementielles et
somatiques. La pathologie chez l’enfant se définit communément par la
répétition, par la persistance prolongée au-delà d’un âge présumé de cer-
tains phénomènes qui, sans cela, conserveraient leur valeur structurante ;
et pourtant, le retour ou le prolongement de certaines modalités, habituel-
lement considérées comme révolues, s’inscrivent chez les uns dans un res-
sourcement temporaire et efficace avant de franchir une nouvelle étape,
tandis que chez d’autres ils peuvent témoigner d’une fragilité.
La frontière entre créativité et fragilité, surtout chez l’enfant, est tou-
jours délicate à établir : on sait par exemple combien les enfants inventifs,
réputés « bêtiseurs », font preuve d’ingéniosité en expérimentant toutes
les combinaisons d’une même situation de façon parfois totalement inat-
tendue ou insolite, quittes à puiser au plus profond de leurs expériences
sensori-motrices lointaines pour les articuler à de nouvelles expériences.
L’acte créateur, le jeu créateur n’est jamais entièrement coupé des racines
archaïques et corporelles de la psyché. Ce que dit D. Anzieu (1974) du
« génie créateur » de l’adulte est encore plus vrai chez l’enfant, pour
lequel l’aptitude à régresser est en principe facilitée par la proximité tem-
porelle des découvertes antérieures ; à condition certes que ces plongées
ne soient pas saturées de menaces envers la cohésion identitaire et que
l’intériorisation des interdits ne vienne pas trop rigidement freiner le pro-
cessus de réappropriation d’acquisitions supposées caduques.
La possibilité est alors offerte d’agencer de façon totalement originale
et novatrice des objets concrets qui sans cela ne seraient que ce qu’ils
sont, et d’anticiper en même temps avec une maturité parfois surprenante
des modalités généralement réservées aux aînés. Le jeu créatif bouscule
le temps et vient subversivement déstabiliser les repères génétiques que
l’on croyait acquis. Or la situation scéno-test pousse, par son appel à la
spontanéité de l’expression motrice, à l’extériorisation de conflits et de
modalités défensives par définition moins « mentalisées » que des situa-
tions strictement perceptivo-verbales, et à reculer d’autant les limites
entre libre création et pathologie.
Si nous insistons à juste titre sur le danger qu’il y aurait à assimiler tout
mouvement régrédient à une régression pathologique à un « stade » théo-
riquement antérieur, nous ne saurions nier l’existence d’une psychopa-

40
LE SCÉNO-TEST : THÉORIE ET UTILISATION

thologie du jeu. Déjà, en partant des constatations les plus simples, nous
pouvons affirmer que tout enfant bien portant, comme du reste tout petit
d’animal, d’une manière ou d’une autre, joue, définissant par là même
son appartenance au monde des êtres vivants. La suspension d’investisse-
ment, a fortiori le désintérêt pour toute activité ludique face à un matériel
aussi attrayant que le scéno-test, prend ainsi invariablement valeur de
signal d’une défaillance, temporaire ou plus durable, du fonctionnement
psychique pour des raisons qui restent à définir et dont les facteurs soma-
tiques ne sont jamais exclus. Parents, éducateurs et pédiatres reconnais-
sent d’ailleurs bien, à travers les manifestations inhabituelles d’une bais-
se du régime des activités ludiques, l’annonce d’une désorganisation
somatique passagère.
De même, les marques d’une excitation exagérée, au point d’entraver
ou d’interrompre le jeu, peuvent, elles aussi, signaler des perturbations
provisoires ou plus profondément ancrées dans le fonctionnement. D’où
l’absolue nécessité de se référer à ce que l’entourage décrit des activités
habituelles de l’enfant et de renouveler l’observation dans des conditions
éventuellement plus favorables si le psychologue veut éviter de prendre
pour une psychose un simple début de rougeole ou de passer à côté de
troubles psychiques réels et parfois graves.
Enfin, deviennent caractéristiques de certaines souffrances les regrou-
pements privilégiés de procédés de jeu du même type, la répétition dans
l’espace et dans le temps d’activités qui, de façon compulsive, traduisent
la mobilisation exclusive et/ou appauvrissante du fonctionnement psy-
chique à l’encontre de potentielles émergences d’angoisse liées au
registre conflictuel sous-jacent : c’est là que prennent sens les méca-
nismes défensifs en s’associant, en s’articulant les uns aux autres, pour
spécifier le style original de chaque création pathologique, tout en portant
la griffe du groupe nosologique d’appartenance.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Présentation du matériel

Le matériel manifeste
La composition du matériel est décrite par G. von Staabs dans un souci
de standardisation des conditions de passation. Nous présentons la dispo-
sition initiale préconisée par le manuel de l’auteur en intégrant les légers
remaniements des éditions récentes mais en excluant les significations
préétablies en termes de parenté, de rôle social ou de transparence sym-
bolique, faisant partie du matériel latent.

41
42
bleu
rouge père en tenue
de ville grand-père mère en tenue
5 arbres voiture vert de ville
3 parterres de course jaune
plateau bleu/bleu
vert/vert médecin employée
seau à traire grand-mère de maison
jaune/jaune père en tenue
bleu de sport mère en tenue
lessiveuse rouge d'intérieur
vert
j jaune
vert
renard jars a bleu/bleu
oiseau cigogne jaune/jaune grand garçon princesse grande fillette
voiture u rouge
singe poule de tourisme
gr. cochon 2 poussins rouge rouge
n
pt. cochon jaune jaune
e vert petit garçon bébé petite fille
nain rouge rouge
bonhomme de neige
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

ange rouge vert rouge vert


subdivisions indiquées sur le schéma ci-dessous.

jumeau bleu couverture jumeau rose


r o u g e
crocodile
fourrure batte colonne
vache chien Morris chaise
autres
accessoires chaise longue w.c. de poupée
train

Schéma de rangement
centimètres, 53 x 40 x 6), fermée par un couvercle réversible (53 x 40 x
Les pièces sont réunies dans une boîte rigide portative (au format, en

2,5). Les rangements très précis sont matérialisés par des divisions et des

(G. von Staabs, 1964, Le Scéno-test, Delachaux & Niestlé, 1973).


LE SCÉNO-TEST : THÉORIE ET UTILISATION

On repère ainsi de droite à gauche et occupant des espaces distincts :


– 16 marionnettes flexibles (8 adultes et 8 enfants), différenciées par la
taille et par le vêtement. Nous les désignons par un code (destiné à
abréger la prise en notes) avec, en regard, un bref descriptif et, entre
parenthèses, la désignation de l’auteur dans les éditions successives.
3 femmes d’âge moyen (environ 12 cm)
F 1 : Femme en tenue de ville, tailleur, chapeau (« mère en tenue de
ville » : M1)
F 2 : Femme en robe (rouge) (« mère en robe d’intérieur » ou « en tenue
d’intérieur » : M2)
F 3 : Femme avec tablier blanc (« bonne à tout faire » ou « employée de
maison » : B)
1 femme (12 cm), 1 homme (14 cm), âgés :
(visage ridé, cheveux blancs)
F 4 : Femme en robe sombre, col de dentelle et jupon blancs (« grand-
mère » : GM)
H 4 : Homme en costume d’intérieur (« grand-père » : GP)
3 hommes d’âge moyen (14 cm)
H 1 : Homme en tenue de ville, costume, cravate (« père en pantalon » ou
« père en tenue de ville » : P1)
H 2 : Homme en tenue de sport (« père en culotte courte »1 ou « père en
tenue de sport » : P2)
H 3 : Homme en blouse blanche (« médecin » : Me)
3 enfants
f 1 : Fille (8 cm) en jupe et pull-over (« écolière » ou « grande fillette » :
F)
f 2 : Fille (7 cm) en robe à manches courtes (« petite fille » : f)
e r : Enfant (7 cm) en pyjama rose, sexe non déterminé (« jumeau
rose » : jr)
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2 enfants
f 3 : Fille (8 cm) en robe longue d’organdi, rose, ceinture et rubans dorés
(« princesse » : Pr)
Bb : Bébé (5 cm) dans pochette matelassée (« bébé emmailloté » : Bb)
Un morceau d’étoffe disposé avec le bébé (« couverture »)
3 enfants
g 1 : Garçon (8 cm) en pantalon et pull-over (« écolier » ou « grand gar-
çon » : G)

1. La version tenue de sport en culotte bavaroise a été modifiée dans les éditions
récentes du matériel au profit d’une tenue de type survêtement.

43
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

g 2 : Garçon (7 cm) en pantalon, tee-shirt (« garçonnet » ou « petit gar-


çon » : g)
e b : Enfant (7 cm) en pyjama bleu, sexe non déterminé (« jumeau
bleu » : jb)

– des éléments de bois rouges, bleus, jaunes et verts, dit « éléments de


construction » de forme géométrique (parallélépipèdes à face carrée
ou rectangulaire, cylindres) et de tailles variées. La place de chacun
d’eux est initialement déterminée par le volume et la couleur, mais il
est pratiquement très difficile de la respecter dans le détail. Les édi-
tions récentes admettent du reste quelques modifications, si bien que
l’on peut proposer un rangement simplifié allant par exemple du haut
en bas, des plus grandes pièces aux plus petites, en alternant les cou-
leurs ;
– des pièces figuratives en bois peint dont le support induit une utilisa-
tion verticale, des pièces planes, des ustensiles domestiques et de loco-
motion, un singe aux membres articulés autour d’un axe. Ces jouets se
répartissent ainsi :
– 5 arbres :
2 arbres de forme arrondie, dont l’un en forme de pommier porte des
points rouges,
2 arbres en forme de sapin (un grand et un petit),
1 arbre en forme de peuplier ;
– 3 parterres fleuris ;
– un plateau en bois rond uni ;
– 1 voiture de course métallique (environ 6 cm) au capot moteur
ouvrable, roues mobiles ;
– 2 récipients usuels en bois (dits « seau à traire » et « lessiveuse ») ;
– des animaux en bois (oiseau coloré, cigogne, jars et poule blancs,
2 poussins jaunes, gros cochon et petit cochon roses, renard roux, singe
articulé noir) ; les proportions relatives ne sont pas observées ;
– un nain (habit et chapeau pointu rouges) présenté de face ;
– un bonhomme de neige (blanc, balai jaune, chapeau noir), présenté de
face ;
– un ange (blanc souligné de bleu) présenté de profil ;
– une voiture de tourisme métallique (5 cm) (portes avant ouvrables,
roues mobiles).

Dans l’espace restant :


– une boîte fermée (8/6, 5/5) contenant divers objets usuels : vaisselle
(gobelet, cruche, coupe), un biberon, un pot de chambre ; des fruits
(2 pommes, 2 poires, 1 banane) ; des fleurs (teintes et formes variées) ;
une escarboucle à facettes brillantes ;

44
LE SCÉNO-TEST : THÉORIE ET UTILISATION

– des animaux : une vache plus grosse que toutes les autres pièces
(pattes et queue articulées) ; un crocodile figuré de profil, la gueule
ouverte, dents marquées ; un chien en peluche ;
– du mobilier : chaise droite, chaise-longue pliante, siège-wc à couvercle
rabattable ; un tapis ou couverture de fourrure ;
– des accessoires : une batte, une bêche, un tableau-ardoise sur trépied,
une colonne Morris ;
– un train en bois (locomotive et 3 wagons assemblables, roues mobiles).

Les sollicitations latentes


Compte tenu de la multiplicité des éléments, les sollicitations latentes,
innombrables, varient en outre suivant les combinaisons effectuées. Pour
simplifier, nous ramènerons le matériel manifeste à quelques grandes
catégories de contenus (inspirées des contenus au Rorschach) – humain
et parahumain, animal, végétal et objet – engageant, suivant l’âge et
l’organisation personnelle de chacun, des utilisations préférentielles.
Les contenus « humains », très largement représentés par les marion-
nettes, sont objectivement différenciés selon le sexe et les générations,
mais perçus comme tels à condition que l’enfant ait accédé à ces
constructions psychiques. Si ces contenus favorisent les représentations
de relations tendres et agressives et poussent à se référer aux images
parentales et familiales, la présence de marionnettes sur le plateau ne suf-
fit pas pour déduire l’existence d’un pôle relationnel ; les représentations
de relation peuvent du reste être véhiculées indirectement par l’utilisation
de toutes sortes d’éléments, à valeur animée et inanimée, du fait de mul-
tiples possibilités de déplacement sur les autres « contenus ».
Les contenus « para-humains » (nain, ange, certains animaux
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

mythiques) peuvent renvoyer au monde fantasmatique des mythes et des


légendes, mais tout aussi bien à un univers froid et dévitalisé si le jeu ne
comporte pas d’animation par ailleurs.
Les contenus « animaux » se réfèrent à deux types au moins de bes-
tiaires : l’un familier et inoffensif, l’autre réputé agressif et dangereux, et
la vache, inclassable par sa disproportion relative, pouvant appartenir à
l’un et à l’autre de ces registres en termes par exemple de substitut ima-
goïque maternel gratifiant et/ou dangereux. Toujours intéressants dans
l’expression indirecte de l’agressivité, le choix du bestiaire et l’utilisation
qui en est faite peuvent renvoyer au registre oral, anal ou phallique en
fonction de la nature des associations fournies (le paravent d’oralité par
exemple dans le fantasme de séduction du Chaperon Rouge par le loup).

45
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les contenus « végétaux » sont également mixtes, les uns de forme


plane à usage décoratif, les autres érigés, pouvant se prêter à une utilisa-
tion symbolique en termes par exemple de passivité/activité,
féminin/phallique si telle est la problématique de l’enfant.
Les contenus « objet » comprennent des objets familiers appartenant à
l’univers quotidien de la maison et de l’extérieur propices au recours à
certains stéréotypes sociaux (la voiture de papa, la vaisselle de maman),
et des objets de construction non figuratifs dont l’utilisation met à
l’épreuve les capacités de figuration de l’enfant. En effet, si l’ensemble
du matériel figuratif permet peu ou prou la reconnaissance d’une réalité
externe reproduite en miniature, l’articulation et a fortiori l’animation
des pièces géométriques « inanimées » font appel à l’organisation tridi-
mensionnelle de l’espace issue du travail de la pensée.
L’absence, la présence ou la surcharge de certaines catégories, certes,
nous interrogent, mais leur choix seul ne saurait revêtir de signification
univoque : ce qui devient significatif, c’est la combinaison des diverses
catégories entre elles et avant tout la façon dont l’enfant les isole ou les
articule. Les sollicitations latentes tiennent moins à la spécificité du
matériel qu’au sens que l’enfant lui accorde en fonction des mouvements
d’investissement, de différenciation et de liaison dont il dispose, à la
mesure de son propre équipement ; modalités dont rendent essentielle-
ment compte les procédés de jeu.

2.2. Modalités d’utilisation

Les indications

Administration du scéno-test lors de difficultés


de communication verbale
Le scéno-test permet, dès l’âge de 3 ans et jusqu’à 10-12 ans, de mani-
puler un matériel standardisé sans nécessairement faire appel à l’expres-
sion verbale. Il rencontre de ce fait de multiples indications en clinique
infantile et devient un instrument privilégié, sinon le seul utilisable, dans
l’investigation du psychisme d’enfants très jeunes ou immatures. Le
scéno-test est particulièrement indiqué chaque fois que les difficultés de
commmunication verbale compliquent ou empêchent la passation des
épreuves projectives classiques. Ces situations qui relèvent de contextes

46
LE SCÉNO-TEST : THÉORIE ET UTILISATION

extrêmement diversifiés d’ordre instrumental, psychologique et/ou socio-


culturel, sont multiples en pratique institutionnelle. Il peut s’agir de
simples retards maturatifs (retards de langage, retard de parole), de diffi-
cultés instrumentales liées à un déficit auditif ou à des entraves articula-
toires d’étiologies diverses, morphologiques, chirurgicales..., d’une
conjugaison de troubles touchant plusieurs sphères du fonctionnement
psychique. Il peut s’agir aussi de barrières linguistiques, cumulées ou
non à d’autres handicaps. Ces situations, banales ou sévères, rendent
toute approche psychologique problématique sans médiateurs adéquats
de la relation. Dans tous ces cas, le scéno-test, associé si possible à des
épreuves d’efficience non verbales, peut fournir l’accès au fonctionne-
ment psychique de l’enfant et préciser le registre psychopathologique
dans lequel viennent s’inscrire les difficultés à l’origine de la consulta-
tion.
Mais afin de valider la démarche diagnostique dans des conditions
aussi particulières, et, dans les faits, souvent acrobatiques, il faudra rem-
placer la comparaison entre des épreuves de nature différente par la répé-
tition des observations dans le temps afin d’élargir les sources d’informa-
tion.
La technique suggérée repose alors sur l’observation répartie sur trois
ou quatre séances de 30 à 45 minutes environ, selon l’âge, espacées à peu
près d’une semaine. Cette durée permet de ne pas excéder un mois avant
d’émettre un avis diagnostique confrontable avec l’apport des autres pra-
ticiens. Elle permet aussi de juger de l’évolution temporelle des constata-
tions initiales. Chaque séance fait l’objet d’une analyse approfondie de
son déroulement séquentiel puis d’une comparaison avec les autres
séances, autorisant la dynamique de l’interprétation finale.
L’enfant doit impérativement être prévenu du caractère provisoire de
l’étape d’investigation. De son côté, le clinicien doit rester suffisamment
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

prudent pour se garder d’installer une relation à caractère thérapeutique


tout en appréciant les facteurs propices à cet éventuel projet.

Le scéno-test intégré à l’examen psychologique


Le scéno-test n’est pas seulement l’apanage de l’exploration des cas
réputés lourds et difficiles, il occupe aussi une place importante parmi les
autres épreuves projectives, dont il élargit judicieusement l’éventail par
l’introduction d’une dimension psychomotrice aux côtés des sollicita-
tions verbales. Largement utilisée auprès des petits de 3-4-5 ans dont elle
permet une expression gestuelle et verbale spontanée, couramment pro-
posée entre 6 et 8 ans, cette épreuve reste généralement bien acceptée des

47
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

plus grands (9-12 ans), qui ont d’autant plus plaisir à « jouer » que l’exa-
men verbal a été vécu sur le mode d’une contrainte scolaire. Présentée en
unique séance, de préférence à la fin du bilan, elle le ponctue de façon
agréable et souvent gratifiante après un effort soutenu. Placée en premier,
elle risquerait de rendre bien peu attrayantes les autres situations projec-
tives et d’engendrer une excitation encombrante pour le déroulement de
la suite du bilan. Toutefois avec des enfants particulièrement inquiets,
inhibés ou opposants, une entrée en contact au moyen d’un matériel de
jeu créera une détente favorable à la participation. Rien n’empêche dans
pareils cas de conduire l’examen en deux séances au lieu d’une et de
compenser, par la répétition dans le temps d’épreuves identiques, l’insuf-
fisance des informations recueillies du fait de l’inhibition ou d’attitudes
oppositionnelles.
L’enfant perçoit en général les différences inhérentes à chaque situation
et s’adapte à la spécificité de chacune d’elles, suivant des modalités com-
plémentaires et/ou contradictoires. L’intérêt est précisément de comparer
les données et d’estimer la diversité des modes d’adaptation à travers des
incitations d’ordre différents. L’écart entre épreuves verbales et non ver-
bales peut s’avérer saisissant chez certains enfants qui montrent une dex-
térité, une organisation spatiale et une aptitude inattendues pour dévelop-
per temporellement une scène, voire un récit, dès lors qu’ils disposent
d’un matériel concret. Cela pourra se traduire chez certains en termes de
désinhibition favorable mais refléter chez d’autres la dépendance à la réa-
lité d’un support liée à leur problématique spécifique.

La présence d’un tiers

La question de la présence d’un tiers peut se poser pour les enfants très
jeunes ou souffrant de difficultés de séparation plus ou moins pronon-
cées. Il est traditionnel de considérer cette présence comme non souhai-
table ; mais si ce que l’on teste est notamment la capacité de l’enfant à
évoluer seul, on ne saurait lui infliger cette obligation : faute de pouvoir
réunir les conditions optimales, l’examen se déroulera en présence du
tiers, parent ou personnel infirmier privilégié par exemple. L’analyse des
conduites interactives triangulaires et non duelles en sera seulement plus
complexe, mettant à l’épreuve les capacités d’adaptation du clinicien à
des situations souvent difficiles et imprévues.
Certaines consultations sont conditionnées par le concours d’un inter-
prète, précieux médiateur sans lequel un minimum d’échange est parfois
interdit. Pleinement efficace dans l’approche de la vie et des activités

48
LE SCÉNO-TEST : THÉORIE ET UTILISATION

habituelles de l’enfant, cette aide s’intègre plus difficilement à la traduc-


tion des propos verbalisés lors d’épreuves standardisées, car les données
en seraient bien trop aléatoires. Mieux vaut alors se limiter à l’aspect non
verbal du scéno-test.

La passation

Disposition spatiale
Conformément aux modalités standardisées préconisées par G. von
Staabs, la boîte est disposée devant l’enfant, côté large et marionnettes
face à lui, aisément accessibles. Le couvercle à l’envers qui sert d’aire de
jeu est placé à droite dans le prolongement de la boîte. Il est préférable
d’utiliser une table solide, haute ou basse, adaptée à la taille de l’enfant
en position debout ou assise, plutôt que la moquette au sol, afin d’aider à
mieux différencier les espaces de jeu et les autres.

La consigne
L’inventeur du scéno-test invitait à « construire quelque chose à l’aide
du matériel disponible » en demandant aux enfants plus âgés de
« construire ce qui leur passe par la tête, n’importe quoi » afin d’éviter
une contrainte de type scolaire.
Compte tenu de la diversité et de la complexité des contextes cliniques
où le scéno-test est indiqué aujourd’hui, il paraît préférable de moduler la
consigne d’après la situation et d’offrir en même temps rigueur et souples-
se suivant les nécessités, tout en sachant ce que l’on cherche à induire ou à
éviter. Dans tous les cas, la consigne devra être soigneusement notée.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Pour les petits (3-5 ans) ne présentant a priori pas de troubles majeurs,
toute consigne est généralement superflue ; l’arrivée et l’ouverture de la
boîte sur la table constituent déjà un événement assez excitant pour que
l’exploration s’effectue spontanément. La difficulté consiste plutôt à déli-
miter l’aire de jeu et surtout à interrompre l’activité. Les petits inhibés,
eux, pourront être invités à coopérer. Il faudra dans certains cas dire et/ou
montrer qu’il y a des jouets dans la boîte, demander par exemple de trou-
ver les animaux, les poupées, les arbres... afin de stimuler la curiosité.
Les cas, très rares, de désintérêt total nécessitent de la part du clinicien
une ingéniosité et une adaptation particulières : il peut être amené à inter-
venir en manipulant quelques unes des pièces ou à s’appuyer sur la pré-
sence d’un tiers intermédiaire pour amorcer la relation.

49
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Au-delà de 5-6 ans, la consigne doit aussi s’adapter aux particularités


de l’enfant : s’il est inhibé, on l’invitera à « jouer », tandis que l’on
conviera plutôt un enfant instable et agité à « construire », en disant par
exemple : « Tu peux jouer (construire quelque chose) un petit moment1
avec tout ce qui est là, dans le couvercle de cette boîte. » La consigne
délimite le cadre spatio-temporel du jeu et admet dans sa formulation des
variantes nécessairement dictées par le contexte clinique.
Il est bien évident que ce message ne s’applique que si l’échange est
possible sur un mode verbal. Sinon on aura recours à des sollicitations
gestuelles et mimiques pour désigner l’espace de jeu dans le couvercle.
S’il en est capable, l’enfant pourra être invité à « raconter son jeu », la
verbalisation faisant intervenir éventuellement des données complémen-
taires ou différentes enrichissant les informations fournies par les mani-
pulations.
Notre pratique nous conduit, quel que soit l’âge, à prévenir l’enfant de
la proximité de la fin de la séance afin qu’il ait la possibilité de s’y prépa-
rer sans être brutalement interrompu. Pour certains enfants l’aide au ran-
gement peut être proposée comme une épreuve de mémoire en faisant
appel à ses capacités de perception visuo-spatiales : « Tu te souviens où
était...? », et : « Où met-on...? ». Cette étape stimulante permet de négo-
cier la séparation sur un mode acceptable et peut compléter les données
d’un bilan défectueux.
La passation d’une séance de scéno-test dure environ 30 à 45 minutes.
Il n’y a pas lieu de chronométrer les différentes séquences du jeu.

La relation enfant-clinicien

L’aire transitionnelle
Partons d’un exemple précis : Alain, un garçon de 6 ans et 6 mois,
découvrant le matériel s’exclame avec enthousiasme : « Ah génial ! », et
ajoute après un léger temps d’arrêt : « Comme ça tu pourras travailler » ;
cela dit sans tristesse apparente mais avec la résignation des enfants habi-
tués trop tôt à s’occuper seuls, pour ne pas déranger. Cette résurgence d’un
vécu d’abandon en présence de l’autre trouve un écho chez le clinicien qui,
implicitement ou explicitement, est amené à se situer : non pas comme un
adulte indifférent, occupé à autre chose selon l’anticipation de l’enfant, ni

1. Indiquer le temps précis s’il est limité et si l’enfant sait lire l’heure.

50
LE SCÉNO-TEST : THÉORIE ET UTILISATION

comme un thérapeute tenté d’interpréter ses propos, encore moins comme


un « bon » parent de substitution voulant combler des carences supposées.
En disant : « Mon travail à moi, c’est d’être avec toi pendant que tu joues »,
le clinicien offre momentanément par son regard le miroir dans lequel se
réfléchit la capacité de l’enfant à jouer seul et à se montrer créatif. C’est
bien entendu le texte de Winnicott (1967) qui fait référence ici pour souli-
gner cette extrême importance du visage et du regard, non seulement dans
l’édification des assises narcissiques mais aussi dans les prolongements
symboliques de cet axe spéculaire où se situe le clinicien.
L’aire transitionnelle du jeu se construit dans ce regard qui définit la
relation de proximité tout en installant la distance. « Être avec » l’enfant
signifie être « auprès de lui », en sa compagnie ; cette préposition,
comme l’indique le dictionnaire, « marque la présence physique simulta-
née » (Petit Robert), un ni-trop-loin-ni-trop-près en quelque sorte, au sein
d’un espace partagé entre des protagonistes distincts où les interactions
non prévues sont cependant pensables.
Mais l’aire transitionnelle suppose que l’enfant puisse, lui aussi, se
situer à « bonne » distance. Dans l’exemple d’Alain, faute de « jouer avec »
le clinicien, c’est un vécu « loin de », « hors de » qui marque l’exclusion
et une distance péniblement ressenties. Bien plus loin encore se trouvent
les ruptures aliénantes de ces relations inexistantes ou fracassées qu’aucu-
ne préposition n’illustre, précisément parce qu’il n’y a plus de liens.
Les relations de proximité se situent, elles, à l’opposé et appartiennent à
différents registres : la proximité physique de certains petits se traduit spa-
tialement par les prépositions « contre » (contre le corps du clinicien)
« sur » (sur ses genoux), définissant une relation de support réel en l’absen-
ce d’un espace psychique autonome mais pouvant aussi témoigner des
premiers compromis : « tout seul sur les genoux ». Toute autre est la rela-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

tion où l’enfant et l’autre se confondent, relation faite d’inclusions succes-


sives où tout est « dans » tout, mêlant des espaces en principe distincts.
Analyser le mode de relation au scéno-test revient en grande partie à
s’interroger sur la réciprocité du fonctionnement dans une aire transition-
nelle et à en apprécier les éventuels écarts.

Fonctions maternantes et contradictoires du clinicien


La relation créée par le scéno-test engage de la part du praticien un
ensemble d’attitudes personnelles conscientes et inconscientes vis-à-vis
d’un enfant, exigeant chaque fois une analyse approfondie pour ne pas
sortir du cadre de l’investigation diagnostique.

51
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Tout en étant traditionnellement soumis à la règle de neutralité et de


non-ingérence, le clinicien peut être amené, nous l’avons vu, à intervenir
et à devenir physiquement un des acteurs de la situation. La gestion et la
régulation de l’excitation offrent un bon exemple de ces positions antino-
miques : en présentant la boîte de jeu, l’adulte soumet l’enfant à une
somme d’excitations, le plus souvent agréables, mais dont la nature et
l’intensité variables peuvent avoisiner l’angoisse si l’éveil pulsionnel que
suscite le plaisir devient excessif. Il appartient alors au clinicien de conte-
nir, de canaliser cette énergie désordonnée de la même façon qu’il tentera
d’offrir un rôle de barrière vis-à-vis de débordements plus habituels.
L’intervention apaisante peut s’effectuer par la voix, par le geste, par un
contact léger (poser la main par exemple sur celle de l’enfant), mais
nécessite quelquefois le contact étroit des corps : porter par exemple
momentanément un petit peut être la seule façon d’offrir un contenant
physique à un surcroît d’excitations que ses enveloppes psychiques
défaillantes ne sont pas en mesure de maîtriser. Empêcher physiquement
la violence ou la destructivité devient dans certains cas un impératif évi-
dent. Parallèlement, favoriser ou stimuler l’exploration revient à solliciter
le pulsionnel, en l’occurence à mobiliser les pulsions épistémophiliques
et scoptophiles sans lesquelles l’univers de l’enfant ne prendrait pas sens.
Intervenant ainsi essentiellement comme régulateur de l’activité de
l’enfant, le clinicien se voit provisoirement confier des fonctions mater-
nantes qui consistent, tour à tour ou simultanément, à contenir, à porter, à
s’ériger en barrière vis-à-vis d’excitations jugées inutilement coûteuses, à
stimuler et à « présenter les objets » (au sens d’ « object presenting » de
Winnicott).
À un autre niveau de contradictions, le clinicien est aussi celui qui en
même temps autorise et interdit : permissif, il favorise un jeu libre, un jeu
libre dont les règles sont préétablies au moyen d’éléments imposés, d’un
espace de jeu défini et d’un temps de passation relativement limité. D’un
côté il fait appel au principe de plaisir chez l’enfant, de l’autre il fait
valoir le principe de réalité. Gardien de la Loi, il accepte les transgres-
sions lorsque les instances surmoïques immatures ou insuffisamment
intériorisées ne peuvent en tenir compte – à condition toutefois qu’elles
ne mettent en danger ni l’enfant, ni l’environnement, ni le matériel.
Séducteur enfin avec sa jolie boîte offerte, il interdit le rapproché œdi-
pien par le rappel de la règle et par sa « neutralité ».

52
3. DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES
DE JEU

Étapes du dépouillement
Le dépouillement des protocoles recueillis consiste à réunir, à analyser et
à interpréter l’ensemble des informations suivant trois étapes :
– la première étape résume le déroulement global de l’épreuve et le
mode d’adaptation de l’enfant à la spécificité de la situation ;
– la seconde étape réside dans le dépouillement formel au moyen de
l’analyse des procédés de jeu ;
– la troisième étape, la synthèse, consiste à :
• regrouper les procédés en dégageant les articulations défensives,
• récapituler les principaux registres de problématiques,
• proposer une hypothèse concernant le fonctionnement psychique en
termes cliniques et/ou psychopathologiques, en réponse aux ques-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

tions initiales.

3.1. Déroulement de l’épreuve

Seront dégagés en clair :


1. le mode de participation et d’adaptation de l’enfant tout au long de
l’épreuve : la prise de contact avec le matériel, le déroulement propre-
ment dit et la fin du jeu ;
2. le mode de relation avec le clinicien, ce qui implique une analyse

53
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

symétrique de la façon dont l’enfant se situe par rapport à lui et des


réactions contre-transférentielles qu’il suscite ;
3. les particularités de la motricité générale et de la coordination oculo-
motrice se rapportant à l’occupation du corps dans l’espace, aux mani-
festations tonico-posturales et au degré de précision du geste dans la
manipulation des objets ;
4. les formes de mobilisation intellectuelle eu égard aux possibilités
offertes par le matériel : capacités d’exploration, schèmes d’action
articulés et combinés entre différents éléments, capacités de prévoir un
plan et de structurer l’espace ;
5. les caractéristiques de l’expression verbale s’il y a lieu, en termes de
vocabulaire, de syntaxe, d’articulation phonétique, de débit et de liai-
son avec la production motrice.

3.2. Analyse des procédés de jeu

Les procédés de jeu comportent 38 items, répartis en 7 rubriques, sans


regroupement psychopathologique1.

Procédés utilisés hors du jeu avec le matériel (HJ)


HJ 1 : Retrait, pleurs, refus.
HJ 2 : Décharges auto-érotiques.
HJ 3 : Décharges auto-agressives.
HJ 4 : Agitation, instabilité.
HJ 5 : Explorations annexes.
HJ 6 : Activités répétitives, stéréotypies.

Les procédés HJ interviennent dans des contextes variables pour témoi-


gner d’une façon momentanée ou persistante de la non-utilisation du
matériel et des interruptions du jeu, en liaison avec les mouvements
d’investissement et de désinvestissement du corps et de l’environnement.

1. Cf. avant-propos.

54
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

Les procédés HJ 1 (retrait, pleurs, refus) peuvent renvoyer :


– à une manifestation globale, durable, de retrait libidinal devant toute
sollicitation dans des contextes autistiques où prédomine le déni de
tout ou partie de la réalité externe ;
– à un refus, le plus souvent initial, marquant un temps d’adaptation plus
ou moins long à la situation ;
– aux interférences de la problématique dans la passation même : après
une séparation un peu difficile d’avec sa mère, Patrick (7 ans) entend
du bruit dans la salle d’attente, il se met à pleurer en réclamant sa
mère. Le jeu ne pourra reprendre qu’en sa présence.
Les procédés HJ 2 (décharges auto-érotiques) comprennent :
– les rythmies, les rotations sur soi (en toupie), toujours préoccupantes,
surtout si elles s’associent au retrait ;
– les balancements souvent observés dans les syndromes abandonniques
et les phénomènes d’hospitalisme ;
– les mouvements de retrait avec succion du pouce ou d’une partie du
corps (doigts, cheveux) auxquels recourent banalement les petits mais
aussi les plus grands en liaison avec des éléments dépressifs et/ou
régressifs.
Les procédés HJ 3 (décharges auto-agressives), malgré leur connota-
tion peu favorable, recouvrent des fonctionnements psychiques très
divers :
– intervenant comme de brusques décharges motrices apparemment
dénuées de finalité pour l’observateur, ces manifestations (se taper, se
cogner, se mordre, tirer, s’arracher les cheveux, etc.) signent classique-
ment le désordre pulsionnel psychotique et ce d’autant plus qu’elles
surviennent de façon violente et répétitive, alternant du reste avec
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

d’autres décharges à caractère projectif du fait de l’indistinction entre


le soi et le non-soi ;
– mais les décharges auto-agressives appartiennent aussi à la naissance
des conduites symboliques : Simon (3 ans et 4 mois) s’applique mala-
droitement à former une tour de plusieurs cylindres étroits qui
s’effondre à plusieurs reprises. Chaque fois, il marque son méconten-
tement en se donnant une tape sur la main et recommence jusqu’au
succès de son entreprise ;
– dans un autre registre, la difficulté que rencontre Amandine (6 ans et
4 mois) à négocier l’excitation issue de son jeu agressif la conduit à
réguler le surcroît à sa façon en se frappant la tête après avoir feint
d’assommer toutes les figurines adultes à coup de batte.

55
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les procédés HJ 4 (agitation, instabilité) rendent compte de l’instabilité


sous toutes ses formes, majeure ou mineure, passagère ou constante,
intervenant à des âges et dans des configurations psychopathologiques
variables. Ils ont toujours pour effet d’entraver les manipulations diri-
gées.
Les procédés HJ 5 (explorations annexes) : peu intéressé par le matériel
présenté, l’enfant s’attache à l’exploration de tout autre chose, un jouet
par exemple qu’il a emmené avec lui, une partie de l’environnement dans
lequel il se trouve (mobilier, tiroir, livres, dessin, pâte à modeler, etc.).
Les procédés HJ 6 (activités répétitives, stéréotypies) s’exercent au
moyen d’objets personnels ou d’objets appartenant au cadre de consulta-
tion. Leur invariance et leur bizarrerie leur confèrent une allure autis-
tique. Xavier (3 ans et 6 mois), dont sera présentée l’observation, ne
cesse de façon très caractéristique de manipuler les portes, les fenêtres et
les commutateurs électriques au lieu de s’occuper des jouets disponibles.

Procédés sensori-moteurs traduisant une action dirigée


vers le matériel (SM)
SM 1 : Ébauches d’exploration (suivi visuel de pièces montrées par le
clinicien, saisie au contact, exploration buccale).
SM 2 : Interaction simple entre deux objets : heurts, frottements.
SM 3 : Prendre, lâcher contrôlé, jeter-ramasser, vider-remplir.
SM 4 : Taper, propulser contre un support, mordre, déchirer, écraser.
SM 5 : Explorations sensorielles (tactile, auditive, olfactive).
SM 6 : Activités combinatoires simples, superpositions, empilages.

On reconnaît de toute évidence, dans ces procédés SM, les manipula-


tions propres aux bébés, le plus souvent révolues dès la moitié de la
deuxième année. L’observation clinique montre pourtant que certaines
modalités ne disparaissent jamais totalement des activités de l’enfant
« normal » de 3-4-5 ans et plus, à condition de ne pas être exclusives ; leur
présence massive en revanche, au détriment d’acquisitions plus élabo-
rées, peut refléter des mécanismes pathologiques francs appartenant aux
déficiences mentales d’étiologies diverses. Mais, paradoxalement, les
procédés SM peuvent indiquer une reprise de l’activité exploratoire après
une maladie invalidante et auront alors une valeur positive de redynami-
sation. C’est dire si aucun procédé, aussi apparemment peu élaboré soit-
il, n’a de valeur « normale » ou « pathologique » en soi.

56
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

Les procédés SM 1 (ébauches d’exploration : suivi visuel de pièces


montrées par le clinicien, saisie au contact, exploration buccale ). Au delà
de l’âge de 3 ans, ces items se rencontrent le plus souvent dans le cadre
d’atteintes sensorielles, psychomotrices et/ou neuro-motrices sévères
dans la mesure où le scéno-test n’est pas reconnu par l’enfant comme
matériel de jeu. Ce dernier s’utilise alors comme un instrument d’investi-
gation du développement comparable au test de Brunet-Lézine, auquel il
est recommandé de recourir parallèlement. La signification des procédés
est radicalement différente suivant qu’ils s’inscrivent dans un mouvement
de désinvestissement ou de réinvestissement objectal ou encore dans un
statu quo pulsionnel synonyme d’une stratégie défensive coûteuse pour
le devenir des opérations symboliques.
Les procédés SM 2 (interaction simple entre deux objets : heurts, frotte-
ments) sont également polyvalents. Il peuvent être :
– liés à une démarche exploratoire qui passe d’abord par l’interaction
simple entre deux objets avant la découverte d’autres modes interactifs ;
– insérés à un moment de retrait temporaire ;
– répétitifs et exclusifs revêtant l’allure de stéréotypies.
Les procédés SM 3 (prendre, lâcher contrôlé, jeter-ramasser, vider-rem-
plir) renvoient aux conduites des bébés de 10 à 15 mois et à la capacité
de se séparer corporellement de l’objet (au sens concret et au sens psy-
chanalytique) sans encourir le risque de le perdre. Cette capacité, d’abord
tributaire du champ visuel, s’élargit à un espace plus vaste et non immé-
diatement visible. Le geste se maîtrise peu à peu, qui permet d’abord de
« lâcher » puis de « poser » et ensuite de « disposer » l’objet matériel au
fur et à mesure que s’établit la différenciation entre espace externe et
espace interne. Cette construction est contemporaine de la reconnaissan-
ce de l’objet total (au sens kleinien). Périlleuse et sans cesse remise en
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

cause, elle dépend de l’assurance relative avec laquelle le bébé a pu se


forger un bon objet interne dans la position dépressive.
Dans le célèbre jeu décrit par Freud chez un enfant de 18 mois, la dis-
parition et la réapparition de la bobine au bout d’un fil s’inscrivent dans
une démarche jubilatoire de maîtrise et de réappropriation de l’absence-
présence de la mère avant que le langage ne soit suffisamment élaboré
pour traduire cette symbolisation avec des mots. Certaines conduites au
scéno-test de distanciation-rapprochement des jouets ressemblent, au fil
près, au jeu de la bobine. Mais d’autres, pourtant voisines, s’apparentent,
elles, à la reproduction rituelle, stéréotypée, d’une mise à l’épreuve de la
permanence de l’objet qui tend incessamment à poser des invariants là où
l’univers risquerait de basculer.

57
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les procédés SM 4 (taper, propulser contre un support, mordre, déchi-


rer, écraser) engagent l’utilisation agressive et/ou destructrice du maté-
riel. Suivant leur direction et leur « lisibilité », il peut s’agir de :
– décharges motrices dont le sens échappe au clinicien, portant indiffé-
remment sur n’importe quelle pièce de la boîte ou plus spécialement
sur les figurines ;
– l’exubérance motrice de jeunes enfants hypertoniques (3-5 ans) en
général accompagnée de manifestations jubilatoires ;
– conduites destructrices dirigées envers certaines pièces choisies dans
la boîte à travers un début de travail de symbolisation spontanément
relayé par le geste : Henri (5 ans) après un jeu calme avec les marion-
nettes crie, s’agite, jette par terre le crocodile, lui donne un coup de
pied et s’apprête à le piétiner.
Les procédés SM 5 (explorations sensorielles : tactile, auditive, olfac-
tive). Les explorations sensorielles sont au scéno-test de trois ordres :
– tactiles : généralement agréables et adaptées, elles consistent à mani-
puler la fourrure de la couverture, le chien en peluche, les cheveux des
marionnettes, les tissus ; elles ont le plus souvent valeur de relation ou
de médiation relationnelle. Audrey (6 ans) se caresse la joue avec la
fourrure, caresse de la même façon la joue de l’examinateur en disant :
« C’est doux », puis, s’adressant à la marionnette bébé : « Allez, viens
mon bébé » ; elle l’enveloppe dans la fourrure et la berce. Mais les
explorations tactiles peuvent aussi alimenter le repli et des conduites
auto-érotiques qui mettent fin au jeu. Valéry (4 ans), lui, petit garçon
autiste, garde serrée dans sa main tout au long de la séance une des
pièces de bois rectangulaires et reste indifférent aux autres sollicita-
tions ; sa mère explique qu’à la maison il a toujours besoin d’un objet
dur dans la main, avec lequel parfois il se frappe la tête et le cou.
– auditives : bien que le scéno-test soit peu propice à ce type d’utilisa-
tion, certains enfants avides d’expériences sensori-motrices l’exploi-
tent à des fins « musicales » en testant le bruit des pièces frappées
entre elles ou contre le couvercle transformé en caisse de résonance.
Exploration active ou stéréotypie, là aussi tout dépend de la diversité
des opérations et de leur contexte.
– olfactives : ces modalités restent exceptionnelles, réservées à des
contextes psychotiques et prépsychotiques sous forme de flairage :
Patrick (7 ans) n’accepte de toucher au matériel qu’à la condition
expresse que sa mère l’ait touché auparavant ; il prend alors le jouet
tendu par elle, le flaire et dit : « Ça sent maman ». Un autre garçon,
âgé de 9 ans, se montre très agité devant les marionnettes, émet

58
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

d’abondants commentaires difficiles à suivre puis retrousse la robe de


la figurine âgée (F4), écarte les jambes, flaire et recule avec une gri-
mace dégoûtée ; il agit comme s’il omettait la réalité chosifiée du
matériel et en même temps se livre à une démonstration hypersexuali-
sée et provocatrice à l’intention du clinicien, mais la distance est à
nouveau rompue lorsque l’enfant reproduit de façon indifférenciée le
même scénario avec les autres marionnettes féminines et masculines
puis avec les pièces inanimées.
Les procédés SM 6 (activités combinatoires simples, superpositions,
empilages). Il s’agit d’activités combinatoires simples de type empilages,
échafaudage de tours, qui, en dépit de leur renvoi à des performances de
bébés de 18 à 24 mois, ont leur place à tout âge et dans tout contexte.

Procédés traduisant le recours à la relation


avec le clinicien (RC)
RC 1 : Rapproché corporel (tendre et/ou agressif).
RC 2 : Appels à l’aide dans les réalisations.
RC 3 : Demandes de désignations et d’explications verbales.
RC 4 : Critiques, plaintes, demandes de gratifications annexes.
RC 5 : Expressions mimées envers le clinicien.

Les procédés RC 1 (rapproché corporel : tendre et/ou agressif) com-


prennent toutes les manifestations explicites et corporelles d’une
recherche de rapproché, soit sur le mode tendre, soit sur le mode agressif.
Les plus communes consistent chez les petits (3-4 ans) à venir se blottir
contre l’adulte ou à grimper sur ses genoux. Certaines favorisent le jeu,
d’autres l’entravent. Dans les contextes psychotiques, la bizarrerie des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

explorations corporelles (oreilles, nez) ou des brutales agressions peuvent


difficilement être considérées comme vraiment relationnelles. L’agressi-
vité qui consiste à malmener l’examinateur ne peut s’apprécier qu’en
fonction de l’âge et du contexte : essayer de taper par exemple, en liaison
avec une frustration ressentie, prend un sens différent en cours de jeu ou
en réponse à son interruption.
Les procédés RC 2 (appels à l’aide dans les réalisations) se rencontrent
à tout âge : demander l’aide de l’adulte pour installer la chaise-longue
par exemple, faire en sorte que les marionnettes tiennent debout ou
assises... Occasionnelles, ces demandes sont banales ; répétitives et en
période de latence, elles peuvent témoigner d’un mode de relation parti-
culier fondé sur l’étayage.

59
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les procédés RC 3 (demandes de désignations et d’explications ver-


bales) caractérisent l’activité des petits de 3 ans, curieux, désireux de
mettre un mot sur la chose perçue, qui demandent le « pourquoi » de ce
qu’ils voient avec un réel souci de « savoir ». D’autres enfants, petits ou
plus âgés, questionnent indéfiniment mais n’attendent point de réponse,
opposant à la situation agie du jeu un remplissage verbal dans une quête
inassouvie de l’autre.
Les procédés RC 4 (critiques, plaintes, demandes de gratifications
annexes). Les critiques et les plaintes rendent compte de l’insatisfaction
de l’enfant face à ce qui lui est offert : « c’est pas beau », « y a pas assez »,
« c’est nul », etc., insatisfaction qu’illustrent autant les tableaux caren-
tiels définis par le manque d’un contenant solide que les revendications
plus actives à connotation caractérielle et les démonstrations de toute-
puissance face à un matériel dénigré. Les demandes de gratification
annexes sont le plus souvent de type oral : bonbons, verre d’eau, qui exi-
gent, comme dans tout examen psychologique, d’être situées dans la
dynamique de passation et dans le déroulement séquentiel du jeu.
Les procédés RC 5 (expressions mimées envers le clinicien) offrent une
transition entre le contact corporel et le jeu symbolique dans la mesure
où l’enfant se sert des pièces du matériel pour intégrer le clinicien dans
sa production. Ce dernier ne manque pas ainsi d’être régulièrement dévo-
ré par le crocodile, attaqué par le singe, embrassé par le bébé... L’appel à
la relation emprunte une voie élaborée de détour qui souligne les fron-
tières entre le réel et l’imaginaire, met un frein à l’expression pulsionnel-
le directe et préfigure alors l’intériorisation des interdits et des lois. Ces
procédés évoquent certains modes de communication très répandus en
Afrique et au Moyen-Orient où les motions tendres et surtout agressives
ne s’adressent jamais directement à l’autre mais passent obligatoirement
par un tiers, parent, arbitre, voire par un objet inanimé, afin d’éviter la
confrontation.

Procédés traduisant le recours à la réalité externe (RE)


RE 1 : Imitations simples à partir du matériel perçu.
RE 2 : Scènes ou ébauches de scènes calquées sur la réalité quotidienne.
RE 3 : Insistance sur le cadrage et sur les délimitations de l’espace.
RE 4 : Insistance sur le décor.

Les procédés RE 1 (imitations simples à partir du matériel perçu) font


régulièrement partie du répertoire des jeunes enfants en liaison avec les

60
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

explorations sensori-motrices : par exemple faire rouler les voitures,


émettre des bruitages imitatifs, mimer le cri des animaux, donner aux
marionnettes une expression posturale... Ces procédés basés sur l’imita-
tion directe préludent en principe aux représentations gestuelles fictives
ultérieures. Leur persistance occasionnelle n’offre pas de particularité
psychopathologique.
Les procédés RE 2 (scènes ou ébauches de scènes calquées sur la réali-
té quotidienne) revêtent un sens très différent chez les petits et chez les
plus grands. Participant à la maturation chez les petits, ils font référence
aux premières imitations sans support perceptif immédiat qui marquent
la voie des constructions identificatoires ouverte par l’accession à la
fonction symbolique ; il s’agit de « faire comme » ce que l’enfant enre-
gistre au présent de la réalité quotidienne, mais pas encore « comme si »,
ce qui impliquerait le conditionnel d’une réalité recréée. Chez les plus
grands en revanche, ces mêmes modalités passent par l’utilisation exclu-
sive du matériel figuratif à travers des scènes calquées sur le quotidien et
sur le factuel ; elles peuvent témoigner d’une carence de la vie imaginai-
re dans des contextes le plus souvent dépressifs où la réalité externe tient
lieu de réalité interne. Les marionnettes, campées d’après des stéréotypes
sociaux empruntés à l’entourage réel de l’enfant, se juxtaposent sur une
scène déconflictualisée, rythmée par des activités quotidiennes et répéti-
tives du type manger, dormir, aller à l’école1.
Les procédés RE 3 (insistance sur le cadrage et sur les délimitations de
l’espace) consistent à utiliser le matériel de construction pour renforcer
et/ou élever les parois du couvercle définissant l’aire de jeu, comme si la
représentation d’une enceinte délimitante ne pouvait s’opérer que par la
figuration réelle de l’épaississement des contours2 : à l’image sans doute
des béances internes lorsque, chez les 8-12 ans, cette activité répétitive
vient obstruer le temps de la séance au point de laisser la scène centrale
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

inoccupée.
Les procédés RE 4 (insistance sur le décor) ont quelque rapport avec
les précédents quand la priorité accordée au décor se double d’un
moindre intérêt pour les représentations de relation et pour le déploie-
ment de l’imaginaire. Durant les deux séances d’observation, Charlotte
(9 ans) dispose invariablement, en silence, les même éléments : les
arbres, les parterres de fleurs, la fille en robe d’organdi (f3) sur la chaise-

1. Procédés proches des procédés C/F du TAT de l’adulte, Nouveau Manuel du TAT,
Brelet-Foulard F., Chabert C. et al. (2003).
2. Procédés proches des procédés CN 4 du TAT, ibid.

61
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

longue, des cylindres en guise de socles avec des fleurs. L’espace est
ainsi narcissiquement comblé d’ornements harmonieux mais il ne s’y
passe rien, la scène reste immobile, figée comme une vitrine de jouets
d’exposition1.

Procédés traduisant le recours à l’évitement


et à l’inhibition (EI)
EI 1 : Limitations de l’activité gestuelle et exploratoire.
EI 2 : Mouvements d’inhibition circonstanciés en cours de passation.
EI 3 : Évitement spécifique de certaines pièces du matériel.

Les procédés EI 1 (limitations de l’activité gestuelle et exploratoire)


résultent d’une gestualité peu expansive qui donne aux manipulations un
caractère restrictif peu propice au déploiement de scènes. La limitation
des conduites psychomotrices peut porter sur l’approche globale du
matériel (mobilité réduite du corps, manipulations à distance, exploration
visuelle, du bout des doigts...) ou sous-tendre la sélection plus ou moins
étroite de certaines pièces.
Les procédés EI 2 (mouvements d’inhibition circonstanciés en cours de
passation) correspondent à des mouvements d’inhibition liés au déroule-
ment du jeu à la suite de l’utilisation d’éléments à valeur anxiogène.
Agnès (4 ans et 4 mois), après avoir sorti les cochons et les oiseaux,
découvre le renard dans la boîte, s’écrie : « Le loup, y a le loup ! » et
refuse de poursuivre ; ce mouvement phobique s’inscrit dans une scène
où fantasme et réalité ne sont pas encore tout à fait différenciés.
Les procédés EI 3 (évitement spécifique de certaines pièces du maté-
riel) complètent le plus souvent les procédés EI 2 : à la suspension de
l’action vient en effet s’ajouter l’évitement systématique des éléments
anxiogènes par des conduites motrices de détour. Encouragée à persévé-
rer, Agnès offre alors une participation sélective en contournant large-
ment l’espace où sont rangés les animaux, si bien que ses gestes devien-
nent extrêmement prudents et hésitants autour de cet espace tandis
qu’elle peut retrouver une expression très animée par ailleurs. Les specta-
culaires manifestations de cette petite fille s’inscrivent dans un contexte
favorable ; les mêmes manifestations persistant de façon répétitive au
delà de la période de latence au point d’invalider le jeu peuvent refléter
les solutions pathologiques issues du surcroît de l’activité fantasmatique.

1. Procédés proches des procédés CN 3 du TAT, ibid.

62
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

Mais si les procédés d’évitement et d’inhibition s’associent à un


recours excessif et appauvrissant à la réalité externe, ils peuvent revêtir
une toute autre signification, allant, à l’inverse, dans le sens des béances
fantasmatiques. Articulés aux procédés HS, ou alternant avec l’agitation
psychomotrice, ils deviennent porteurs d’autres messages psychopatholo-
giques, a fortiori si certaines pièces, les marionnettes par exemple, sont
totalement scotomisées.

Procédés traduisant le recours à l’imaginaire


et au fantasme (IF)
IF 1 : Imitation de gestes impliquant des références identificatoires.
IF 2 : Mises en scènes faisant appel à l’univers des contes.
IF 3 : Mises en scène impliquant des interactions mimées et/ou verbali-
sées, dialogues : transparence des messages symboliques.
IF 4 : Interactions désordonnées, peu compréhensibles, fabulations loin
du matériel.
IF 5 : Émergences crues liées à une thématique sexuelle ou agressive.
IF 6 : Confusions identificatoires et/ou identitaires.
IF 7 : Inadéquation entre les procédés de jeu et la verbalisation.

Les procédés IF 1 (imitation de gestes impliquant des références identi-


ficatoires) désignent des conduites d’imitation élaborées qui consistent à
s’approprier les qualités convoitées ou redoutables de l’autre – en général
adulte ou proche – en faisant siennes ses particularités. En mimant par
exemple le geste de donner à boire au bébé qu’elle berce, la petite fille se
reconnaît comme identique à sa mère, dont elle copie la fonction mater-
nante ; elle se réfère autrement au même modèle lorsque, faisant mine
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

d’administrer une fessée, elle assimile tour à tour les attitudes tendres et
agressives de la mère au nom de l’ambivalence.
Henri (5 ans) assied l’homme cravaté (H1) sur la vache et dit : « Allez
ava ! » [avance] sur un ton autoritaire ; « Allez au trava ! » [travail],
« Mains en l’air ! », écrase l’homme par terre : « Il a tué la va ! » [la
vache], l’écrase encore par terre, lui tord le cou : « Tonton il baisse la
tête, pourquoi je fais pipi au lit. » Dans cet exemple, il s’agit d’identifica-
tion à l’agresseur, banale à 5 ans, et trouvant au scéno-test de multiples
illustrations normales et pathologiques.
Les procédés IF 2 (mises en scènes faisant appel à l’univers des contes)
se rapportent à la mise en scène animée du matériel sous forme de contes
ou de fables soulignant leur caractère fictif. L’expression verbale complète

63
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

l’expression gestuelle. L’intérêt de ces procédés est de permettre une


expression d’affects et de réactions labiles sous couvert d’une histoire
appartenant en même temps à l’imaginaire collectif et aux fantasmes
propres. Cela, rajouté à la richesse du matériel, donne lieu à des versions
multiples et imprévues, à la mesure du déploiement fantasmatique peu
soucieux de la conformité aux textes.
Les procédés IF 3 (mises en scène impliquant des interactions mimées
et/ou verbalisées, dialogues : transparence des messages symboliques),
placés au cœur des jeux symboliques, rendent compte de la possibilité
d’utiliser adéquatement les exigences du matériel manifeste dans une
transposition personnelle mêlant les éléments de la réalité externe, les
fantaisies conscientes et les fantasmes inconscients. L’interaction « jouée »
et verbalisée des marionnettes et des animaux est riche de messages aisé-
ment décodables en termes de relations dictées par des compromis entre
la satisfaction pulsionnelle et la défense, autrement dit par l’intervention
structurante des mécanismes de refoulement, suppléés ou non par
d’autres mécanismes annexes. Le jeu alors se déroule dans une structure
temporelle admettant le mode passé, futur et surtout conditionnel, princi-
pal garant des frontières entre réel et imaginaire.
Les procédés IF 4 (interactions désordonnées, peu compréhensibles,
fabulations loin du matériel), à l’inverse des précédents, se distinguent
par leur faible lisibilité issue d’interactions multiples, désordonnées,
contradictoires, discontinues, à travers lesquelles l’examinateur se perd,
ne sait plus qui parle ou qui fait quoi. À l’agitation du geste s’ajoute
l’animation verbale sur un mode hypomane qui peut traduire la surcharge
temporaire de l’excitation face à une situation spécifique, marquant un
changement de rythme dans le déroulement du jeu. La labilité désordon-
née peut aussi signaler l’existence de défenses maniaques s’exerçant à
des degrés variables pour dénier la dépendance et la menace de perte
d’objet. Ces défenses ont, comme d’autres, un rôle positif dans le déve-
loppement normal, mais, trop intenses, elles sont susceptibles de l’entra-
ver par déni de la réalité psychique.
Les procédés IF 5 (émergences crues liées à une thématique sexuelle
ou agressive) se manifestent sous forme de gestes et/ou de mots dont la
crudité et la violence frappent d’autant plus que l’enfant est engagé dans
une période présumée de latence : Frédéric (9 ans et 7 mois) mime un
coït entre des marionnettes, feint de leur faire subir le même traitement,
s’interrompt avec des forts bruitages : « Dz ! ». Une marionnette reçoit
un coup, tombe, la suivante aussi, et ainsi de suite jusqu’au carnage total
de tout le matériel animé. Sous toute réserve, puisque mimer et feindre
renvoient toujours au fictif, ces modalités pourraient évoquer une insuffi-

64
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

sance des processus de refoulement. Confirmation en sera donnée dans


ce cas par l’association avec les procédés IF6.
Les procédés IF 6 (confusions identificatoires et/ou identitaires) recou-
vrent deux types de confusion :
– les confusions sexuées entre les marionnettes masculines et féminines :
banales en période préœdipienne, elles sont d’ordre identificatoire ;
chez les grand enfants, il peut s’agir de la méconnaissance de diffé-
rences pourtant manifestes ;
– les confusions générationnelles qui superposent pêle-mêle marion-
nettes adultes et enfants. Dans le jeu de Frédéric, toutes les marion-
nettes sont traitées de la même façon, ce qui montre combien l’excita-
tion croissante, non négociable au moyen de mécanismes élaborés, fait
appel au déni de la réalité externe.
Les procédés IF 7 (inadéquation entre les procédés de jeu et la verbali-
sation) s’inscrivent dans le décalage entre ce que l’enfant « fait » en mani-
pulant les pièces et ce qu’il en « dit », comme s’il n’y avait pas de lien
entre l’un et l’autre : pas de lien, soit dans la simultanéité de l’agir et de la
symbolisation verbale, soit entre l’avant du jeu et l’après du récit. Ces pro-
cédés semblent rendre compte de la coexistence de deux attitudes psy-
chiques différentes, opposées et indépendantes l’une de l’autre, qui définit
le mécanisme de clivage du moi privilégié dans les organisations psycho-
tiques et prépsychotiques. Ce mécanisme sous-jacent ne sera bien entendu
évoqué qu’en pleine période de latence chez des enfants possédant norma-
lement le langage parlé et en liaison avec d’autres modalités comparables
apparues soit au scéno-test, soit aux autres épreuves projectives.

Procédés traduisant le recours à l’objectivation


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

et au contrôle (OC)1
OC 1 : Nommer, décrire, énumérer, compter, explorations exhaustives.
OC 2 : Constructions élaborées à partir du matériel non figuratif.
OC 3 : Rangements, alignements, dispositions symétriques.
OC 4 : Faire-défaire.
OC 5 : Isolement d’éléments.

1. Versus construction de la pensée et versus désorganisation : les procédés OC peu-


vent témoigner d’un contrôle efficace ou d’un pseudo-contrôle relevant d’une logique
arbitraire.

65
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

OC 6 : (Dé)négation, déni du caractère manifeste.


OC 7 : Constructions bizarres.

Les procédés OC 1 (nommer, décrire, énumérer, compter, explorations


exhaustives) obéissent à l’impératif de connaître et de savoir, pur produit
des pulsions épistémophiliques chez les petits qui exercent leurs nou-
velles conquêtes et se préparent à leur en adjoindre d’autres ; opérations
peut-être plus restrictives et monotones chez les plus grands dont l’activi-
té se limite à la connaissance ou à la reconnaissance du matériel sans
l’utiliser. La « normalité » des procédés OC 1 et ses variantes tiennent
dans l’investissement possible de l’objet identifié, c’est-à-dire à la capa-
cité de lui rattacher une énergie psychique suffisante pour qu’il acquière
une valeur représentationnelle liée à une charge affective.
Les procédés OC 2 (constructions élaborées à partir du matériel non
figuratif) font état d’une utilisation symbolique et combinatoire des élé-
ments principalement non figuratifs mobilisant l’ingéniosité technique et
la dextérité manuelle. Le talent de l’enfant s’exerce déjà dans le simple
assemblage de deux pièces à des fins concrètes : le plateau de bois posé
sur un cylindre devient table, deux parallèlogrammes placés à angle droit
forment un banc... Établir le plan d’une maison ou d’un garage exige une
prévision un peu plus élaborée mais on est quelquefois surpris de décou-
vrir de véritables petits Gustave Eiffel du scéno-test que leurs faibles per-
formances par ailleurs ne laissaient pas soupçonner. D’autres construc-
tions au contraire déconcertent tant la démarche paraît compliquée, abs-
traite, voire hermétique et bizarre.
Les procédés OC 3 (rangements, alignements, dispositions symé-
triques) relèvent du souci d’organiser le matériel suivant un principe
mentalement préétabli : ranger par exemple par catégorie de forme et de
couleur appartient chez les petits à l’exercice de leur découverte logique
récente ; tracer des lignes droites imaginaires au moyen des éléments non
figuratifs peut s’inscrire de même dans une ébauche de maîtrise du geste
corrélative d’un début de maîtrise de la pensée. Mais là comme ailleurs,
ce qui devient principe organisateur, chez les uns, peut témoigner d’un
immobilisme défensif, voire d’une déconstruction préoccupante, chez
d’autres : la surcharge des procédés OC 3 chez des enfants en âge de varier
leurs modalités donne à la production un aspect « raide », hypercontrôlé,
reflétant des mécanismes défensifs rigides apparentés à la formation
réactionnelle, c’est-à-dire au contre-investissement du désir conscient
(par exemple le désir d’agir de façon désordonnée, ou celui de se montrer
agressif).

66
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

Les procédés OC 4 (faire-défaire), explicites, consistent à défaire ce qui


a été construit, par exemple :
– du fait d’un changement d’orientation dans le déroulement du jeu ;
– en raison d’hésitations entre des solutions différentes ;
– à travers une auto-critique qui conduit à recommencer une construc-
tion jugée insatisfaisante.
Le rapport de ces procédés avec l’annulation rétroactive apparaît dans
la systématisation du jeu en deux temps dont le second annule le premier
dans un contexte de conflictualité résultant de l’ambivalence : les
marionnettes successivement agressées, tuées et ressuscitées illustrent
très directement l’annulation des motions agressives tandis que les mani-
pulations d’éléments non figuratifs offrent une voie d’expression plus
médiatisée. Indéfiniment répétées sur le même mode, ces manipulations
peuvent revêtir un aspect compulsif et persévératif, jusqu’à se vider de
leur teneur conflictuelle et tendre seulement à la décharge motrice ; ces
procédés peuvent alors s’apparenter à la version stéréotypée des procédés
sensori-moteurs SM 3.
Les procédés OC 5 (isolement d’éléments) se résument à la mise à
l’écart, matériellement figurée, d’un ou plusieurs éléments de la boîte :
mettre par exemple dans un enclos le « taureau » [la vache] afin qu’« il
reste bien tranquille » s’associe à l’évitement d’une situation anxiogène
(procédé EI 3) dans un contexte conflictualisé. Dans un contexte conflic-
tualisé toujours, Marine (6 ans) préfère isoler le bébé de façon très trans-
parente « pour pas qu’il embête les autres ». L’isolement dans son jardin
fleuri de la fille en robe d’organdi ressemble plutôt chez Charlotte à un
mouvement d’autosuffisance narcissique tandis que Georges (11 ans), du
fait de son incapacité à établir des liens, juxtapose quelques pièces,
semble-t-il sans relief particulier pour lui.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Les procédés OC 6 ((dé)négation, déni du caractère manifeste) ont un


caractère clairement défensif puisqu’il s’agit de supprimer (en principe
verbalement) un contenu représentatif indésirable tout en admettant sa
survenue au moyen de la (dé)négation : « Le crocodile il est pas méchant. »
L’équivalent gestuel de ce mécanisme consiste par exemple à caresser
l’animal, à le coucher dans une position passive inoffensive. Mais la
frontière avec la formation réactionnelle : « Gentil petit crocodile », n’est
pas toujours évidente. Faute de verbalisation, le moment où la dénégation
devient déni de la réalité des attributs dangereux peut également rester
discret, sinon imperceptible : quand Romain (4 ans) glisse à plusieurs
reprises son index dans la gueule du crocodile, il a implicitement recours
à la dénégation du style « même pas peur ! » ; il affirme aussi une maîtri-

67
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

se toute puissante proche d’un déni ; mais en même temps il montre par
là comment ces deux opérations s’inscrivent dans une étape constructive
au cours de laquelle le réel se sépare de la fiction. L’indifférenciation en
revanche avec laquelle Véronique (6 ans et 7 mois) place côte à côte sur
le plateau tous les animaux comme s’ils étaient équivalents tient du déni,
un déni où la réalité des différences gros/petit, dangereux/inoffensif,
n’est pas observée.
Les procédés OC 7 (constructions bizarres), par définition hétérogènes
et illimités, ont pour dénominateur commun leur style rigide, la raideur
des manipulations étant du reste souvent accentuée par la « gaucherie »
gestuelle et posturale. La bizarrerie tient à l’inadéquation du geste, à la
nature des manipulations, mais aussi à l’incongruité temporelle signant la
déliaison des représentations. Dans tous ces cas, le clinicien reste exté-
rieur, perplexe, essayant vainement de restituer par son propre psychisme
des liens de pensée qui paraissent désarticulés. Les exemples les plus
patents proviennent des productions d’enfants psychotiques et/ou défi-
cients, sous la forme de combinaisons aberrantes marquées par la faillite
des repères spatiaux et catégoriels (petit/grand, dans/sur, intérieur/exté-
rieur...) à un âge où ceux-ci sont supposés acquis, ou par l’utilisation
d’éléments déviés de leur destination manifeste.

3.3. Synthèse

Cette étape tournée vers l’interprétation, exclusivement qualitative, met


en œuvre l’ensemble des connaissances en matière de psychologie et de
psychopathologie de l’enfant et du bébé et exige d’ajuster les concepts
notionnels à la complexité de la réalité clinique.

Repérage des procédés de jeu

La démarche consiste, pour chaque protocole d’observation, à effectuer


d’abord un premier repérage des procédés et de leur répartition au sein de
chaque rubrique. Le résumé des procédés analysés (reproduit ci-contre)
tient lieu de guide de dépouillement et permet de situer globalement, en
un premier aperçu descriptif et statique, l’éventail des modalités dont dis-
pose l’enfant eu égard à son âge et au contexte de l’examen. En aucun
cas il ne s’agit de comptabilité, puisque nous insistons sur le caractère
clinique et qualitatif de la démarche. Tout au plus inscrira-t-on un signe

68
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

Les procédés de jeu : récapitulation


Procédés utilisés hors du jeu avec le matériel (HJ)
HJ 1 : Retrait, pleurs, refus.
HJ 2 : Décharges auto-érotiques.
HJ 3 : Décharges auto-agressives.
HJ 4 : Agitation, instabilité.
HJ 5 : Explorations annexes.
HJ 6 : Activités répétitives, stéréotypies.
Procédés sensori-moteurs traduisant une action dirigée vers le maté-
riel (SM)
SM 1 : Ébauches d’exploration (suivi visuel de pièces montrées par le
clinicien - saisie au contact - exploration buccale).
SM 2 : Interaction simple entre deux objets : heurts, frottements.
SM 3 : Prendre, lâcher contrôlé, jeter-ramasser, vider-remplir.
SM 4 : Taper, propulser contre un support, mordre, déchirer, écraser.
SM 5 : Explorations sensorielles, tactiles, auditives, olfactives.
SM 6 : Activités combinatoires simples, superpositions, empilages.
Procédés traduisant le recours à la relation avec le clinicien (RC)
RC 1 : Rapproché corporel (tendre et/ou agressif).
RC 2 : Appels à l’aide dans les réalisations.
RC 3 : Demandes de désignations et d’explications verbales.
RC 4 : Critiques, plaintes, demandes de gratifications annexes.
RC 5 : Expressions mimées envers le clinicien.
Procédés traduisant le recours à la réalité externe (RE)
RE 1 : Imitations simples à partir du matériel perçu.
RE 2 : Scènes ou ébauches de scènes calquées sur la réalité quotidienne.
RE 3 : Insistance sur le cadrage et sur les délimitations de l’espace.
RE 4 : Insistance sur le décor.
Procédés traduisant le recours à l’évitement et à l’inhibition (EI)
EI 1 : Limitations de l’activité gestuelle et exploratoire.
EI 2 : Mouvements d’inhibition circonstanciés en cours de passation.
EI 3 : Évitement spécifique de certaines pièces du matériel.
Procédés traduisant le recours à l’imaginaire et au fantasme (IF)
IF 1 : Imitation de gestes impliquant des références identificatoires.
IF 2 : Mises en scènes faisant appel à l’univers des contes.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

IF 3 : Mises en scène impliquant des interactions mimées et/ou verbali-


sées, dialogues : transparence des messages symboliques.
IF 4 : Interactions désordonnées, peu compréhensibles, fabulations loin
du matériel.
IF 5 : Émergences crues liées à une thématique sexuelle ou agressive.
IF 6 : Confusions identificatoires et/ou identitaires.
IF 7 : Inadéquation entre les procédés de jeu et la verbalisation.
Procédés traduisant le recours à l’objectivation et au contrôle (OC)
OC 1 : Nommer, décrire, énumérer, compter, explorations exhaustives.
OC 2 : Constructions élaborées à partir du matériel non figuratif.
OC 3 : Rangements, alignements, dispositions symétriques.
OC 4 : Faire-défaire.
OC 5 : Isolement d’éléments.
OC 6 : (Dé)négation, déni du caractère manifeste.
OC 7 : Constructions bizarres.

69
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

(point ou croix, peu importe) pour indiquer que ces procédés sont à ana-
lyser soigneusement.
En effet, compte tenu de la polysémie inhérente à la plupart des items,
le psychologue est invité à noter en clair ou à souligner les procédés
observés. Il lui faut surtout relever leur articulation temporelle dans le
déroulement du jeu et les éventuels passages d’une rubrique à l’autre.
Si le scéno-test a été pratiqué en plusieurs séances, ce travail sera
accompli pour chacune d’elles. Ce qui devient significatif d’un mode de
fonctionnement psychique donné, ce sont non seulement les types de
procédés utilisés mais principalement la façon dont ceux-ci peuvent évo-
luer dans l’espace-temps d’une séance ou dans le déroulement de plu-
sieurs séances, à l’image de l’évolution caractérisant en principe le psy-
chisme infantile.

Des procédés aux configurations défensives

Les défenses primitives1


Le retrait, dont l’autisme représente la forme la plus accomplie, peut
s’illustrer, à 3 ans et au-delà, par la conjugaison entre :
– les procédés « hors jeu » massivement utilisés (HJ 1, 2, 3, 4 et surtout
5) montrant la coupure par rapport à la situation présente, l’importance
des décharges pulsionnelles et des stéréotypies ;
– des procédés sensori-moteurs (SM) avec une insistance sur les mises à
l’épreuve de la permanence des objets (SM 3), mais présence aussi des
autres procédés SM (SM 1, 2, 4, 5) ;
– la limitation de l’exploration (EI 1) ;
– certains évitements (EI 3) pouvant traduire l’existence de conduites
phobiques ;
– l’utilisation de procédés OC (type rangements, alignements, bizarre-
ries) sur un mode ritualisé.

1. À côté de ces défenses primitives classiques, la fréquence des problèmes neurolo-


giques associés aux troubles psychiatriques que nous rencontrons chez les petits nous fait
ajouter une rubrique à part, difficilement classable : le retour aux réflexes archaïques du
nouveau-né qui se présentent dans des situations où l’excitation et/ou la frustration ne
sont plus maîtrisables par d’autres voies ; ce sont par exemple les trémulations de la
mâchoire et des extrémités, les gestes d’ouverture des bras en croix, évoquant le réflexe
de Moro.

70
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

La projection apparaît également à travers les procédés « hors jeu »


sous la forme de décharges multiples à direction variable (HJ 2, 3, 4),
d’attaques du matériel (SM 4) ou du clinicien (RC 1). Les formes plus
mentalisées passent par le recours au fantasme (IF 4, 5, 6) non différen-
cié de la réalité et par d’aberrantes constructions (OC 7). La situation
scéno-test donne plus difficilement accès aux modalités projectives plus
fines sur lesquelles se fonde le psychisme.
Le clivage du moi peut s’inférer de la juxtaposition de procédés de
toute sorte, sans lien perceptible, et, surtout chez les enfants munis de
langage, de l’inadéquation entre le dire et le faire (IF 7).
Le déni de la réalité externe peut englober le clinicien, les lieux, le
matériel, qui sont là comme « s’ils n’existaient pas ». Dans les formes
plus nuancées, il peut s’agir du déni sélectif de certaines caractéristiques
du matériel : déni des différences de sexe, de génération (IF 6), déni des
différences dans le bestiaire (OC 6).

Les défenses liées à l’élaboration de la position dépressive


Les défenses apparentées au déni maniaque se traduisent, à la faveur
des incitations motrices de la situation, par l’exacerbation de l’instabilité
et de l’agitation (procédés HJ 4, IF 4, IF 7), le recours aux procédés sen-
sori-moteurs à valeur de remplissage (SM 3) et l’importance des procédés
RC sous toutes leurs formes, surtout chez les jeunes enfants, mais qui
s’appliquent à (dé)nier la dépendance et la souffrance. Le déni maniaque,
rappelons-le, porte sur la réalité interne.
Les défenses narcissiques (à partir de 6-7 ans) peuvent associer : les
procédés traduisant un recours à la valorisation du décor (RE 4) et au
cadrage de l’espace (RE 3), les modalités sensori-motrices tactiles (SM 5)
et les références identificatoires.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Le surinvestissement de la réalité extérieure (à partir de 6-7 ans) est


représenté par les procédés RE (1, 2, 3), joints ou non à l’utilisation sur
un mode plaqué d’imitations à valence identificatoire (IF 1) et au recours
à l’univers des contes ou, plutôt, des récitations scolaires (IF 2). Le
recours au contrôle et à l’objectivité peut cependant donner lieu, dans ces
contextes, à des constructions très élaborées.

Les défenses de type névrotique


L’évitement de type phobique se signale par les évitements et les mou-
vements d’inhibition EI (1, 2, 3) autorisant néanmoins des mises en scène
(IF 1, 2, 3). Il est classiquement présent chez les petits de 4-5 ans.

71
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les défenses par le fantasme apparaissent à travers l’importance accor-


dée à la reconstruction imaginaire d’une réalité indésirable (IF 1, 2, 3) à
la source de véritables romans familiaux pouvant conduire à la fabulation
(IF 4) ; elles admettent chez l’enfant jeune des émergences crues (IF 5).
Le refoulement (après 6-7 ans) de la sexualisation des représentations
n’est guère possible au scéno-test vu le caractère hautement figuratif des
marionnettes. Tout au plus assiste-t-on à des oscillations dans les choix, à
des déplacements sur le bestiaire, sur les contenus végétaux et sur les
objets, et surtout à des évitements significatifs. Le refoulement des
motions agressives trouve, lui, de nombreuses voies d’expression, notam-
ment en s’appuyant sur des défenses rigides.
Les défenses rigides : formation réactionnelle, annulation rétroactive,
isolation et dénégation se déduisent de la systématisation dans l’emploi
de procédés OC (3, 4, 5), empêchant des réalisations élaborées (OC 2).
Cette systématisation peut s’associer à d’autres modes, phobiques par
exemple, association privilégiée dans les manifestations phobo-obses-
sionnelles.
Toutes ces stratégies défensives ne sont bien entendu pas exclusives les
unes des autres et se combinent à leur tour en quantités plus ou moins
fortes, au gré de la pression des diverses problématiques auxquelles elles
s’articulent pour définir les modalités originales du fonctionnement psy-
chique.

Registres de problématiques

Définies par le choix du matériel mais surtout par la façon de l’utiliser,


les problématiques réactivées au scéno-test concernent :

L’identité
Le questionnement identitaire peut revêtir diverses formes traduites
par :
– la différenciation soi/non soi, intérieur/extérieur, mobilisée dans la
situation même à travers la capacité d’occuper un espace défini et dif-
férencié des autres espaces ;
– l’intégrité et l’unification de l’image corporelle dans la mesure où le
corps et la motricité sont engagés dans des réalisations tridimension-
nelles ;

72
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

– la permanence de l’objet testée par la reproduction de phénomènes


psychomoteurs ;
– un investissement objectal minimal afin de différencier les sollicita-
tions du matériel et d’établir une hiérarchie entre les mondes animé et
inanimé.

L’élaboration de la position dépressive

Ses difficultés s’expriment :


– soit sur le mode oral-dépendant régi par les manifestations de l’anacli-
tisme, généralement envers le clinicien ;
– soit sur le mode des défenses anti-dépressives qui peuvent être accen-
tuées au scéno-test du fait de la luxuriance du matériel et plus discrètes
aux autres épreuves projectives.
À l’inverse, l’élaboration passe par la capacité à jouer seul sous le
regard du clinicien et par l’aptitude à représenter et à construire un jeu
autour d’un projet implicite.

L’identification

L’accès aux identifications est basé sur l’accès à la reconnaissance de la


différence anatomique des sexes. Bien que le matériel soit peu ambigu et
pousse de ce fait à la reconnaissance prématurée des différences qui, sans
support aussi figuratif, seraient plus incertaines, le repérage clair des
sexes et des générations ne peut s’établir de façon stable et structurante
avant que l’appareil psychique suffisamment évolué n’intègre ces
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

conquêtes.

Le conflit œdipien

La problématique devient franchement œdipienne lorsque la sexualisa-


tion des représentations s’inscrit dans un repérage générationnel et en
fonction du choix objectal. Elle s’exprime aussi à travers le maniement
de l’agressivité dont la plus ou moins libre expression est favorisée par
les multiples possibilités de mises en scène directes et indirectes.
Ces modalités accentuées par le matériel figuratif doivent être interpré-
tées avec une grande prudence.

73
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Hypothèses concernant le fonctionnement psychique

Les hypothèses se fondent sur la congruence entre l’organisation for-


melle du jeu, les modes d’expression pulsionnelle et défensive et les
registres de problématique. Ce n’est que dans cette articulation, et tou-
jours sous réserve de confrontation avec les autres épreuves (ou au
moyen de plusieurs séances), que le scéno-test contribue efficacement au
diagnostic. L’analyse fine de la dynamique de la production permet, y
compris dans les cas les plus préoccupants, de repérer les points d’ancra-
ge et les facteurs de mobilité, de prévoir, tout au moins à court terme, les
mouvements d’organisation et de désorganisation et de se prononcer sur
les aspects favorables et défavorables de l’évolution psychique. Les
repères donnés ici renvoient à des dysfonctionnements psychiques francs.

Les psychoses précoces et leurs formes cliniques déficitaires

Ces troubles majeurs trouvent dans le scéno-test un révélateur précieux


car la particularité des conduites de jeu se signale très tôt, sinon
d’emblée, par des distorsions, par des choix inhabituels d’objets, par des
utilisations inadéquates. Les anomalies toniques et gestuelles touchent
l’ensemble de la sphère psychomotrice avant que ne se pose le problème
du langage et des fonctions intellectuelles. D’où l’intérêt exceptionnel de
l’observation de ces enfants gravement atteints dès le plus jeune âge, au
moyen de techniques de jeu : la désorganisation ou l’inorganisation for-
melle du matériel est en effet chez eux proportionnelle à la profondeur
des troubles. Ignorer le matériel et le clinicien, répéter indéfiniment une
activité partielle, s’enfermer dans l’immuabilité de conduites stéréoty-
pées, renvoient très significativement à des défenses d’ordre autistique à
travers une recherche de permanence de l’objet indéfiniment répétée et
jamais aboutie.
Dans les formes psychotiques plus tardives, les manipulations des
jouets (et du clinicien) peuvent attirer l’attention par les alternances entre
retrait et agitation, par le décalage entre l’inhibition extrême et des
impulsions plus ou moins violentes, indifféremment dirigées contre soi,
l’autre ou le matériel, par une couverture de procédés de la série contrôle
au service des processus primaires. S’il y a langage, sa liaison par rapport
au geste et à la situation reste hermétique, comme demeure énigmatique
la nature de la relation avec le psychologue : modalités qui généralement
suscitent chez ce dernier un vécu de perplexité, d’exclusion (hors jeu) et
d’angoisse indéfinissable.

74
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES DE JEU

Les problématiques carentielles et dépressives


Ces modalités relevant des dysharmonies évolutives1 se donnent à voir
lorsque, se livrant à des explorations aussi agitées que discontinues,
l’enfant manifeste une quête anxieuse de ce qui manque, de ce qu’il « n’y
a pas » dans cette boîte devenue singulièrement vide. À l’incomblable
s’oppose la surenchère, motrice ou verbale, dérisoire tentative pour rem-
plir le creux de l’espace interne qu’illustre la pauvreté des constructions
imaginaires. L’appel aux capacités contenantes et porteuses de l’adulte se
donne à voir au moyen de l’accrochage corporel ou au travers de provo-
cations et d’inductions au rejet tentant de dénier la dépendance. La dis-
continuité est de règle entre les interférences relationnelles et les mouve-
ments de retrait attribuant à l’adulte une présence-absence intermittente.

Les manifestations dysharmoniques exubérantes


La même discontinuité s’observe dans ces contextes 2, passant par
l’accumulation de procédés, entre autres extrêmement labiles. Leur suc-
cession chaotique, difficile à suivre, renvoie tant au recours à des
défenses psychotiques qu’à un semblant d’emprunt de défenses de type
névrotique. Ces modalités, exacerbées par la situation de jeu, sont à
l’image du chaos de l’organisation psychique, où le télescopage des
acquisitions s’illustre bruyamment par le biais de manipulations violentes
et crues dénuées des retenues qui, en période de latence, signaleraient
l’avènement du refoulement. La coexistence de l’investissement de la
réalité par ailleurs n’en est que plus frappante.

Les productions d’allure névrotique


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

La facture névrotique se signale, au scéno-test comme ailleurs, par le


symbolisme des conduites, même si la situation spécifique se prête de
temps à autre à des modalités d’expression plus spontanées. Ce symbolis-
me n’est ni hermétique, étant donné la transparence des problématiques,
ni trop direct, laissant au fonctionnement psychique du clinicien la place
et le temps de comprendre et d’interpréter les termes de la conflictualisa-

1. Misès R. et al. (1988).


2. Ces manifestations correspondent aux tableaux prépsychotiques bruyants identifiés à
partir de 1963 (Engel M., 1963 ; Lebovici S., Diatkine R., 1963) et caractérisés, à l’instar
des états-limites de l’adulte, par la coexistence de perturbations d’ordre psychotique et de
capacités d’adaption.

75
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

tion œdipienne sans que ceux-ci s’imposent brutalement à lui. La satis-


faction liée aux motions sexuelles et agressives propres au conflit œdi-
pien ne s’écoule pas librement au moyen de conduites sexualisées ou
destructrices, agies dans la situation, mais de façon partielle et différée
par le truchement des représentations transposées sur un espace scénique.
Ce n’est que dans ces contextes, et bien sûr dans les contextes « normalo-
névrotiques », que l’activité ludique peut réellement se déployer dans
l’aire transitionnelle qui lui est réservée : dans le « faire semblant » et le
« comme si », qui tout en s’appuyant sur la réalité et sur la diversité du
matériel concret rend compte, sans débordements, de la richesse de la vie
fantasmatique. Jeu et réalité restent clairement différenciés, admettant
l’intégration de la consigne, la délimitation de l’espace de jeu et la déter-
mination distincte des rôles enfant/psychologue. Même si l’activité psy-
chique tend névrotiquement à écarter l’une ou l’autre de ses composantes
pulsionnelles, la liaison entre affects et représentations est rétablie par les
séquences du jeu ; les messages continuent à circuler de façon relative-
ment fluide.

76
4. ILLUSTRATIONS CLINIQUES

4.1. Autisme et changement dans un cas de psychose


précoce : Xavier (3 ans et 6 mois)

La consultation a lieu sur insistance de l’institutrice, inquiétée par le


comportement de l’enfant et par sa totale absence de participation aux
activités de la classe. Xavier (3 ans et 6 mois) est un enfant harmonieux et
bien portant, il est le dernier d’une fratrie de trois garçons dont l’aîné a 7 ans.
Devant l’impossibilité de procéder à un examen psychologique clas-
sique, le scéno-test est pratiqué en quatre séances d’observation d’une
demi-heure. La séparation d’avec la mère dans la salle d’attente ne soulè-
ve aucune protestation.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Première séance

Protocole
Xavier se précipite, dès son arrivée dans le bureau, sur la fenêtre, dont
il tourne la poignée dans un sens et dans l’autre à plusieurs reprises ; le
corps est orienté vers la pièce, le bras droit actif est tendu en arrière vers
la fenêtre, dans une position compliquant le but à atteindre. Il court vers
la table, allume et éteint quatre ou cinq fois la lampe de travail, saisit un
crayon en disant : « Tu fais un rond » et trace aussitôt un cercle sur notre
propre feuille d’observation, semble-t-il sans nous voir. Il grimpe très
habilement sur la table, hurle quand on essaie de l’en faire descendre et

77
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

découvre le scéno-test. La boîte est observée de biais très rapidement. Il


se penche, prend la voiture de tourisme et lui imprime des mouvements
de va-et-vient, soulève un wagon du train, le repose, prend le carré de
tissu, essuie la voiture en disant : « Avec un sous-marin. » Toujours
debout et fort stable sur la table, Xavier tourne le dos au matériel, se
penche, agite le dossier de la chaise à sa portée ; la sonnerie du téléphone
retentit, il continue à agiter le dossier sans réagir. Il descend de la table
aussi facilement qu’il y était monté, fait rouler la voiture sur la chaise, la
reprend dans sa main gauche et retourne manipuler la poignée de la
fenêtre de la main droite, puis celle de la porte communiquant avec le
bureau voisin, ouvre, ferme, réouvre, referme, etc., le corps étant toujours
dans sa posture particulière ; il revient vers la table, allume et éteint plu-
sieurs fois la lampe. La séance est terminée. Xavier repart avec sa mère
par l’escalier, qu’il descend avec peine, en s’accrochant à la rampe et
avec un arrêt à chaque marche.

Analyse
Cette première séance met l’accent sur des éléments préoccupants
parmi lesquels frappent avant tout l’absence de relation avec le clinicien,
devenu comme transparent, et la confusion des espaces respectifs de cha-
cun. Plus discrètes, mais sans doute du même ordre, sont la facilité, un
peu excessive à cet âge, avec laquelle Xavier quitte sa mère pour pénétrer
dans un lieu inconnu et l’indifférence apparente avec laquelle il la retrou-
ve, comme si toutes ces situations étaient identiques.
La motricité globale se caractérise par le décalage existant entre
l’aisance à accomplir certaines performances complexes (grimper, des-
cendre de la table, s’y tenir debout) et la difficulté par exemple à des-
cendre un escalier, entre l’habileté à exercer certaines manipulations et
les bizarreries posturales. L’instabilité spectaculaire s’accompagne
d’explorations annexes, répétitives et stéréotypées, mais le niveau de réa-
lisation graphomoteur est conforme à l’âge chronologique.
Dans ce contexte de massivité des procédés « hors jeu » (HJ), l’utilisa-
tion du scéno-test paraît occasionnelle et aléatoire, ne faisant pas l’objet
d’investissements particuliers. L’exploration se limite à une rapide saisie
visuelle et à la sélection restrictive de quelques pièces (procédés EI 1), à
une ébauche d’interaction (tissu-voiture, SM 2) et à une imitation simple
à partir de la réalité perçue (voiture, RE 1). Activité motrice et verbalisa-
tion semblent déconnectées (IF 7). On note l’usage de la deuxième per-
sonne dans les commentaires, semble-t-il empruntés à des phrases enten-
dues en d’autres situations.

78
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Deuxième séance

Protocole
L’entrée en scène est la même, Xavier se précipite vers la poignée de
la fenêtre puis vers la porte, suivant les mêmes schèmes stéréotypés
avant de grimper à nouveau sur la table. Il regarde brièvement la boîte
du scéno-test, s’en détourne, redescend lestement, va sous la table,
retourne vers la fenêtre. Nous montrons les figurines g1 et f1 en disant :
« Regarde, Xavier, il y a aussi des poupées là, une poupée garçon, une
poupée fille. » Xavier répète très distinctement ce qu’il vient d’entendre,
imite la toux du clinicien dont il semble toujours ignorer la présence,
répète : « Une poupée garçon, une poupée fille », qui désigne indiffé-
remment les marionnettes g2 et f2. Il empile de façon précise quelques
pièces cylindriques, retourne vers la poignée de la fenêtre, revient, fait
tomber sa tour de cylindres en se donnant pour ordre : « Tu vas le cher-
cher » ; phrase qu’il répète inlassablement jusqu’à l’émission brutale
d’un hurlement strident, inattendu, incompréhensible pour l’autre. Il
ramasse un cylindre, le jette, le ramasse à nouveau et ceci jusqu’à la fin
de la séance.

Analyse
Outre la répétition de l’agitation motrice, des explorations annexes et
des stéréotypies (procédés HJ), la seconde séance confirme les difficultés
relationnelles majeures à travers une utilisation écholalique du langage
sans valeur de communication (IF 7). À côté de cela, les manipulations
toujours sélectives (EI 1) exécutées avec dextérité renvoient à la capacité
de combinaisons simples (SM 6) puis au jeu de disparition-réapparition
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

d’éléments (SM3), à valeur de questionnement identitaire essentiel.

Troisième séance

Protocole
Xavier se dirige droit vers le scéno-test, sort la boîte de petits acces-
soires qu’il avait visiblement bien repérée et vide son contenu sur la
table. Nous nommons les objets qu’il explore : les gobelets, la cruche, le
petit pot..., l’enfant répète en écho les mots entendus, remet les acces-
soires dans la boîte, la vide, la remplit à nouveau. Il essaie de fermer le

79
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

couvercle mais le dispose à contre-sens. Nous lui suggérons : « Tourne le


couvercle dans l’autre sens. » La consigne est répétée et entendue
puisque Xavier effectue la rotation adaptée à la fermeture de la boîte ; il
continue à répéter : « Les gobelets, la cruche, le petit pot », imite la toux
de l’adulte tout en prenant un crayon sur la table et reproduit parfaite-
ment les lignes droites et obliques figurées sur une carte. Suit une brève
manipulation de la poignée de la fenêtre puis celle de la porte donnant
sur le bureau d’à côté. Xavier ouvre la porte, regarde longuement dans la
pièce, inoccupée et dans l’obscurité, paraît tout à coup très effrayé et
s’apprête à pleurer, s’éloigne, retourne vers la fenêtre à l’opposé, revient
vers la porte, dit : « Le bureau comme papa. » Au passage il regarde lon-
guement le clinicien ; les regards se rencontrent pour la première fois. On
entend à ce moment-là quelqu’un entrer et ressortir du bureau mitoyen.
Xavier se dirige vers la porte d’entrée, l’ouvre et suit des yeux la col-
lègue qui s’éloigne dans le couloir. Il revient, actionne le cadran du télé-
phone, touche les marionnettes en disant : « Une poupée garçon – une
poupée fille », et examine attentivement la vache sans la toucher.

Analyse
Indépendamment des répétitions sensori-motrices engagées dans la
quête incessante d’une permanence de l’objet, le changement radical
réside lors de la troisième séance dans l’apparition d’une attitude explo-
ratoire active et dirigée, d’abord vers le matériel puis vers l’environne-
ment, qui semble soudain exister, de la même façon que le clinicien
semble retrouver un instant une matérialité corporelle. Au lieu de revêtir
comme au début le sens du désintérêt pour ce qu’on lui présente, les
explorations annexes (HJ 5) semblent au contraire marquer un mouve-
ment de réinvestissement objectal ; le mode d’expression phobique qui
apparaît alors, fait d’attraction et de crainte, non seulement permet de
délimiter l’espace connu de l’espace inconnu, mais de plus entraîne une
expression d’affect.

Quatrième séance

Protocole
Xavier s’achemine d’emblée vers la porte de communication et l’ouvre ;
il pénètre dans la pièce en disant : « Le bureau de maman. » Il revient
vers la table, sort de la boite du scéno-test la figurine H1 et la vache et les

80
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

dispose sur le couvercle retourné utilisé comme plan incliné pour y faire
glisser les jouets. Il ramasse H1, dit : « C’est un papa », prend g1 en
disant : « C’est un garçon, c’est une fille », imprime une torsion aux deux
marionnettes en jargonnant de façon incompréhensible. Il sort la petite
boîte, commente : « Tourne le couvercle dans l’autre sens », répète plu-
sieurs fois cette même phrase, ouvre la boîte, la referme, l’ouvre à nou-
veau, la vide. Il saisit le pot de chambre, le nomme : « Le petit pot », et le
jette précipitamment dans le bureau adjacent avec pour commentaire :
« Le bureau comme papa, c’est le bureau de maman. » Il y pénètre et
répète la demande du clinicien d’aller « chercher le petit pot », éclaire et
éteint la lumière, sort et referme la porte. Il repart manipuler la poignée
de la fenêtre d’un côté, de l’autre, retourne aussitôt vers la pièce
mitoyenne, ouvre la porte, y jette la cruche, anticipant la demande de
l’adulte par l’injonction : « Va le chercher. » Il revient, allume et éteint la
lampe du bureau de consultation, s’empare du stylo que nous tenons en
disant : « Tu fais un rond », et, sans transition, projette violemment g1
contre le mur en disant : « Tu es un petit garçon. »
Xavier sélectionne les marionnettes féminines, se caresse la joue avec
leur tête, commente : « C’est un papa », les repose, prend les autres
marionnettes, qui se trouvent finalement toutes alignées. Il grimpe sur la
table, met un doigt sur la lampe, s’éloigne, chantonne. Il projette à nou-
veau vivement g1 contre le mur en chantonnant : « Lancer le petit garçon »,
et s’apprête à recommencer à travers une visible montée d’excitation.
Nous ramassons g1 et le disposons soigneusement dans son comparti-
ment. Xavier s’approche alors de nous en pointant son visage très près du
nôtre puis quitte brusquement la pièce pour rejoindre sa mère dans la
salle d’attente.

Analyse
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

L’extension du champ exploratoire se précise, plaçant au second plan


cette fois les conduites stéréotypées. Les activités combinatoires (SM 6)
se confirment, se compliquent (→ OC), mais les jouets sont déviés de
leur utilisation habituelle (OC 7). Les marionnettes donnent lieu à des
tentatives de repérages identitaires (IF 6) qui rendent possibles la recon-
naissance de la différence des générations enfants/adultes et un début de
classement catégoriel masculin/féminin (OC 3) sans support identifica-
toire. Mais ces mêmes figurines déclenchent aussi des mouvements pul-
sionnels extrêmement intenses et destructifs (SM 4) faisant appel aux
capacités de contenant et de protection du clinicien dont l’intervention
pourra se limiter toutefois à une expression symbolique. C’est à cette

81
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

occasion, du reste, qu’un rapproché corporel (RC 1) va pouvoir se pro-


duire, laissant peut-être entrevoir une ouverture relationnelle.
Les conduites de médiation apparues lors de cette dernière séance sont
de ce point de vue les plus intéressantes : en jetant le matériel dans la
pièce voisine, Xavier utilise alors le scéno-test comme une sorte de mes-
sager ou d’éclaireur, à valeur pré-transitionnelle, susceptible d’établir un
lien entre un espace familier et un autre, inconnu, dont il permet une
approche progressive.

Synthèse

Le fonctionnement psychique de cet enfant montre de toute évidence


l’existence de troubles profonds de la personnalité engageant l’ensemble
de la sphère motrice, verbale et surtout relationnelle. Sur le plan psycho-
moteur, on relève la dysharmonie des acquisitions et des réalisations,
l’importance des stérotypies, les bizarreries de la posture et l’instabilité.
Le langage, parfaitement articulé, est essentiellement de type écholalique :
utilisé à la deuxième personne, il vise à reproduire des mots ou des
phrases entières empruntées soit à la situation présente, soit à des situa-
tions antérieures, mais il compte aussi un certain nombre de signaux dif-
férenciés pour représenter les choses par un terme générique. Les
troubles concernent massivement la communication et les investisse-
ments objectaux où l’autre et l’environnement paraissent plus ou moins
globalement méconnus, déniés ou soudainement présentifiés. Les proces-
sus défensifs résultant du regroupement des procédés de jeu montrent
une quasi-exclusivité de modalités primitives où prédominent le retrait
autistique, les formes directes de la projection et les discontinuités dues
au clivage. La problématique principale est centrée sur une épuisante
mise à l’épreuve de la permanence identitaire dans un contexte de non-
différenciation entre le soi et le non-soi.
Et pourtant, dans ce tableau qui d’un point de vue diagnostique pourrait
évoquer ces immuables carapaces décrites par F. Tustin (1972), d’indé-
niables indices d’une mobilité psychique se dégagent à partir de la dyna-
mique créée par les quatre séances qui, malgré leurs constantes, ne se
ressemblent pas. Parmi les facteurs du fonctionnement psychique pro-
pices à un changement ultérieur on retient en effet le développement
intellectuel satisfaisant si l’on en juge par les quelques épreuves incidem-
ment réalisées (épreuves grapho-motrices notamment), par la compré-
hension de certaines consignes verbales et par la rapidité des repérages
topologiques. Enfin, la possibilité que montre Xavier de se départir de

82
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

ses enfermements initiaux est tout à fait fondamentale, marquée par le


passage de l’exclusivité des procédés de retrait et de répétition à l’élar-
gissement vers des explorations de plus en plus vastes, puis par l’appari-
tion de conduites phobiques et une ébauche de recours à l’objectivité et
au contrôle.

4.2. Agressivité et immuabilité


dans les manifestations obsessionnelles :
Damien (8 ans et 7 mois)

Des difficultés relatives d’apprentissage de la lecture et de l’ortho-


graphe, paradoxalement accrues après un traitement orthophonique, sont
à l’origine du bilan de Damien (8 ans et 7 mois).
Sympathique garçon de petite taille, il présente une coopération très
inégale : autant les épreuves de performance du WISC-R recueillent
l’intérêt immédiat et d’excellents scores (QI P = 130), autant le déplaisir
est manifeste devant les sollicitations verbales (QI V = 107). Damien
bâille, s’ennuie, s’énerve s’il ne trouve pas le mot juste, évite de réfléchir
par un refus geignard qui devient massif lorsqu’il est amené à produire
une création personnelle : dessiner et raconter une histoire à l’aide du
CAT ou du TAT sont refusés sur un mode caractériel : « J’ai pas envie »,
« C’est rien du tout », « Il fait rien du tout »... Au Rorschach, il s’oppose
à toute expression personnelle ; la vie imaginaire et affective paraît
comme muselée, laissant malgré tout transparaître, au moyen de l’isole-
ment de découpes réduites, des contenus à valence agressive. Isolation,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

dénégation, évitement, refus, accrochage au percept résument l’essentiel


des défenses utilisées pour traiter d’un matériel dont la stimulation laten-
te est toujours reconnue.
Pris dans cette opposition systématique dont il ne sait comment se
défaire, pour avoir commencé, l’enfant a cependant du mal à résister à
l’attraction du scéno-test ; il déclare par principe et non sans humour que
« c’est rien, rien du tout », qu’il n’ y a rien dans cette boîte, « rien d’inté-
ressant », ce que le clinicien confirme sur le même ton en invitant
Damien à « jouer avec toutes ces choses peu intéressantes », installant
par là un climat ludique de confiance et de complicité. Deux séances
seront proposées, espacées par quinze jours de vacances scolaires.

83
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Première séance

Protocole
Damien dispose la vache dans le couvercle, ajuste le train avec un plai-
sir manifeste tout en disant : « Ça aussi c’est rien du tout, j’aurais dû
m’en douter ! », sort les deux voitures. Celles-ci se tamponnent, avant
contre avant, puis heurtent successivement l’une et l’autre l’avant du
train. Damien reconstruit le train défait par cette manœuvre et recom-
mence : nouveaux heurts des voitures et du train accompagnés de brui-
tages. À la quatrième répétition du même numéro, le clinicien, un peu
lassé, suggère qu’ « il y a d’autres choses encore dans la boîte ». Damien
dispose en ligne tous les arbres et commente : « Y a un train et les deux
wagons doivent pas dépasser cet arbre » (celui qui est placé devant). Suit
un grand fracas : les wagons renversent le premier arbre qui à son tour
renverse les suivants. Il remet les arbres en place et répète la même scène
avec les voitures : « Les voitures ne doivent pas dépasser l’arbre. » Le
résultat final est le même. Damien remet les arbres dans leur emplace-
ment et place le train et les deux voitures en position d’affrontement
frontal : « C’est les voitures qui ont gagné et maintenant elles vont faire
une course pour se départager » (bruitage de voitures). « La voiture de
course a gagné », tandis que l’autre passe par dessus le bord du cou-
vercle. L’enfant aligne alors tous les animaux le long du bord du cou-
vercle, la voiture gagnante les terrasse l’un après l’autre jusqu’à rester
seule en piste.

Analyse
Le maniement de l’agressivité occupe tout l’espace de cette séance, sur
un mode très répétitif malgré quelques variantes introduites. L’appel à
des défenses essentiellement rigides est perceptible à travers les aligne-
ments (OC 3), le faire-défaire (OC 4), les isolements (OC 5), les dénéga-
tions verbalisées (OC 6). Ces modalités s’articulent à des mises en scène
mimées et verbalisées (IF 3) conditionnées par l’absence de figurines
humaines ; les déplacements sur des objets à valeur phallique signent la
transparence conflictuelle.

84
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Deuxième séance

Protocole
Damien annonce : « On va recommencer la bagarre ! » Il explore atten-
tivement le contenu de la boîte d’accessoires, dispose sur le plateau les
cochons, la poule, les poussins, le bonhomme de neige, tous les arbres, le
singe puis les oiseaux et la vache. Il regarde le siège percé, ouvre le cou-
vercle, le referme, dispose les fleurs. Tous ces éléments étant soigneuse-
ment alignés il dit : « Il va falloir se battre là-dessus » (montre les fleurs).
« En premier on va mettre les voitures contre les voitures, et celle-là qui a
gagné contre les oiseaux » (début de bagarre). Les pièces renversées sont
au fur et à mesure reposées dans la boîte. La procédure d’élimination est
systématique, un peu plus longue lorsqu’il est question de la vache ;
Damien commente en renversant la vache : « Je n’ai pas besoin de lait, je
prends de l’essence ! Tout le monde marche au super maintenant ! » Il
s’apprête à recommencer le même jeu, cette fois en alignant les mêmes
protagonistes en diagonale et en fixant une autre règle : « Il faut qu’il y
ait deux points d’écart maintenant pour être le vainqueur », et il ajoute :
« Ah il[s] étai[en]t mort[s], maintenant il[s] revit. » La bagarre recom-
mence de la même façon.

Analyse
Malgré les quinze jours qui espacent les deux séances, Damien, tout en
élargissant la sélection des jouets (OC 1), a recours aux mêmes procédés :
la compulsion de répétition est manifeste, alliant formation réactionnelle
et émergences agressives (OC 3, 4, 5 / IF 3). Ces dernières restent tou-
jours symbolisées, déplacées sur les objets familiers autres que les
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

marionnettes et régies par des lois de plus en plus complexes. L’isolation


et l’annulation restent constantes et sous-tendues par la confirmation ver-
bale des gestes. La dénégation de la dépendance est remarquable (OC 6),
relayée par un recours à la réalité quotidienne banalisante (RE 2).

Synthèse

Le fonctionnement psychique de Damien paraît actuellement entravé


par des modalités défensives à dominante rigide, que souligne la
congruence entre les données du Rorschach et la succession des deux
épreuves de scéno-test. Ces modalités revêtent une allure névrotique du

85
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

fait de leur caractère systématique et répétitif où prédominent l’isolation,


la formation réactionnelle, l’annulation et la dénégation, dans un contexte
où la vie fantasmatique est activement sollicitée. Le déplacement et la
symbolisation de l’expression agressive appartiennent au refoulement.
Par ce biais, Damien donne accès au registre œdipien de la probléma-
tique où les représentations de relations mettent au premier plan la rivali-
té œdipienne et, à partir de là, la dépendance à l’imago maternelle et la
difficulté à s’en dégager autrement que par une mobilisation défensive
coûteuse.
Bien que très élaborées, ces modalités peuvent paraître préoccupantes
du fait de leur surcharge et de leur ordonnance précocement réglée dans
le psychisme, au détriment d’interventions plus souples et surtout plus
diversifiées. Il est probable, dans ce contexte, que la symptomatologie
scolaire représente un des aspects de la conflictualisation œdipienne,
sous l’angle de la mise en question de l’intériorisation des règles. Une
indication psychothérapeutique et non uniquement instrumentale sera de
ce fait plus adaptée, mais on peut prévoir des résistances au changement
compte tenu de l’organisation des défenses et de leur inscription déjà
affirmée dans le caractère de cet enfant.

86
Deuxième partie

ÉPREUVES THÉMATIQUES
VERBALES
Planche 3

88
5. LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

5.1. Fondements théoriques et méthodologiques

Historique

Constitué seulement de dix images représentant des animaux, le CAT


(Children Apperception Test) pourrait paraître bien fade à côté de la
luxuriance entrevue au scéno-test. Pourtant, cette épreuve repose sur des
bases d’emblée solides qui n’ont cessé de bénéficier d’enrichissements
théoriques et cliniques depuis sa gestation en 1947. Très largement
intégré aux batteries européennes, le CAT, destiné aux enfants de 3 à
8-10 ans, se place aux États-Unis au rang des « tests » les plus utilisés,
d’après l’enquête réalisée par Piotrowski et Keller (1989). Le manuel a
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

été traduit en plusieurs langues et il existe des adaptations pour différents


pays (Japon, Inde, Philippines, Tchécoslovaquie).
L’idée de mettre en scène des animaux plutôt que des humains, pour
faciliter la projection chez les jeunes enfants, est le fruit des discussions
menées entre Bellak, l’auteur principal, et Kriss, douze ans après l’inven-
tion du TAT par H. Murray. Le constat qu’au Rorschach les enfants four-
nissent plus de réponses animales que les adultes intervenait parmi les
arguments décisifs dans la construction de ce nouvel instrument. Il faut
bien dire que cette période coïncidait aussi avec le triomphe sur tous les
écrans des produits cinématographiques pour enfants basés sur l’anthro-
pomorphisme animal et, aux alentours des années 1946-1947, sur le
mélange entre dessin d’animation et personnages humains.

89
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

La première esquisse du CAT élaborée par Leopold et Sonya Bellak


(1950) a été développée en 1954 dans un travail de base où était en même
temps entreprise la révision psychanalytique du TAT. Au CAT, comme au
TAT, l’accent était mis sur les « thèmes » attribués au « héros » de l’image
et à son entourage, supposés refléter les modes interactifs et conflictuels
du sujet. Psychologue, psychiatre et psychanalyste, L. Bellak fait partie
de ces grandes figures de clinicien polyvalent tourné tant vers l’enfance
que vers l’âge adulte1. Comme D. Rapaport et R. Schafer, il marque un
tournant dans la réflexion sur la psychologie projective. Sa trajectoire
personnelle déjà est particulière : le cursus psychanalytique à Vienne en
1935 aux côtés de Kris, d’Hartman et d’Hoffer ; la découverte du
Rorschach grâce à Oberholzer en 1938 ; la formation à la célèbre
Harward Psychological Clinic en 1940 ; la chaire de psychologie à New
York. Ce circuit dénote non seulement une expérience exceptionnelle
mais une ouverture d’esprit à l’encontre de tout dogmatisme. Ce que dit
Bellak (1990) de Freud à ce propos est édifiant : « Pour moi la contribu-
tion principale de Freud n’est pas le complexe d’Œdipe ni la théorie de la
séduction, mais la continuité qu’il établit entre l’enfance et l’âge adulte,
entre la normalité et la pathologie [...]. Il fait de la psychologie une scien-
ce où la formulation des hypothèses permet de comprendre, de prévoir et
de vérifier. »2
Des publications relativement nombreuses sur le CAT sont parues aux
États Unis, la plupart entre 1960 et 1968. Voici à titre de repères un sur-
vol des plus importantes, en commençant par les développements fournis
par Bellak lui-même et ses collaborateurs.
L. Bellak et C. Adelman (1960), se référant au corpus théorique psy-
chanalytique, étudient les modalités perceptives des réponses pour autant
qu’elles reflètent les caractéristiques « adaptatives » de l’enfant face à la
situation CAT. L’hypothèse d’un lien entre l’activité cognitive et défensi-
ve est clairement posée.
Le manuel écrit avec S. Bellak (1961) répertorie les réponses les plus
fréquentes. En collaboration avec S. Bellak (1965) puis avec M.S.
Hurvich (1966) paraît une version humaine du CAT (CAT-H) pour pallier
les inconvénients d’un matériel jugé trop « infantile » par certains enfants
auxquels le TAT ne peut cependant pas être présenté. Cette version, prati-

1. Au titre TAT and CAT in Clinical Use paru en 1954 s’est rajouté en 1975 le SAT,
version révisée du Senior Apperception Technique créé en 1973 à l’intention de l’explo-
ration du psychisme des personnes âgées.
2. Bellak L. (1990), p. 361, notre traduction.

90
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

quement méconnue en France, a donné lieu à plusieurs études améri-


caines1.
Une des plus substantielles contributions revient à M. Haworth (1965,
1966, 1968). M. Haworth est la première à avoir systématisé une lecture
des récits en terme d’ « adaptation » et de « mécanismes de défense »
(1965) et effectué une analyse du matériel distincte des sollicitations
symboliques (1966). Elle fournira en 1986 une revue de littérature signa-
lant le peu d’écrits sur le CAT entre 1966 et 1982.
Plusieurs recherches comparatives ont été menées durant cette période
auprès de groupes d’enfants normalement scolarisés, de sexes et d’âges
différents. L’étude longitudinale de A.E. Moriarty (1968), par exemple,
repose sur un matériel extrêmement riche de test-retest, avant et pendant
la période de latence, suivi par la passation du TAT vers 11-12 ans : il
s’en dégage des particularités liées à l’âge mais aussi, chez certains
enfants, dont les plus créatifs, la continuité du style de leur production à
travers le temps. D’autres études longitudinales, comme celle de R.L.
Witherspoon (1968), étayent le référent psychanalytique sur une analyse
factorielle dont les résultats concordent avec ceux de A.E. Moriarty : ils
soulignent l’évolution des récits avec l’âge, mais les mêmes thématiques
persistent chez certains enfants, comme si les marques des conflits ini-
tiaux restaient indélébilement tracées dans le psychisme.
Depuis cette date, peu de travaux s’imposent aux États-Unis. Quelques
publications en langue anglaise, espagnole et portugaise, provenant de
différents pays (notamment Hong-Kong, Finlande, Inde, Espagne,
Brésil), attestent toutefois l’intérêt pour le CAT dans le champ des appli-
cations cliniques.
Entre temps, dans les pays francophones, les études publiées peu après
la diffusion du CAT ont porté plutôt sur les aspects perceptifs et sur le
repérage statistique de ce qu’il est habituel de voir et de dire entre 3 et
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

8 ans, suivant que l’on est fille ou garçon. C’est ce à quoi s’est appliquée,
en France, G. Boulanger-Balleyguier (1957, 1960, 1961), à travers un tra-
vail systématique planche par planche où elle décrit le matériel et dresse
la liste des thèmes attendus chez l’enfant « normal » en rapport avec

1. Une comparaison récente entre CAT et CAT-H (Gardner D. et Holmes C., 1990)
confirme les données antérieures suivant lesquelles il n’y a en fait pas de différence signi-
ficative entre les deux épreuves. Le décor est sensiblement le même, mais les animaux
sont remplacés par des humains. Il existe aussi un CAT-S (Children’s Apperception
Supplement) créé en 1952 par L. Bellak et S. Bellak à l’intention des très jeunes enfants.
Constitué de dix planches en carton fort, propice aux manipulations, le matériel est en fait
très peu utilisé.

91
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

l’adéquation perceptive. Les publications de J. Blomart (M. Guinand et


al., 1969 ; J. Bradfer-Blomart, 1970), à partir de recherches effectuées en
Belgique auprès d’enfants de 8 ans, sont du même ordre ; elles fournis-
sent des indications sur le thème banal suivant le modèle préconisé par V.
et S.A. Shentoub (1960).
Il faudra attendre, en 1980, la contribution de C. Chabert pour revenir à
l’optique psychanalytique suggerée par Bellak. Ce travail vise, par delà
les caractéristiques manifestes du matériel précisément rédéfinies, à saisir
la diversité des registres de problématique véhiculés de façon latente. Cet
abord (confirmé en 1982 et dans Anzieu, Chabert 1983), directement
transposé des travaux de V. Shentoub et R. Debray sur le contenu mani-
feste et le contenu latent au TAT, s’est avéré très fécond puisqu’il a donné
lieu à d’autres tentatives d’utiliser le même modèle (P. Simonnet, 1985 et
1988 ; P. Arnaud, 1987). Citons enfin l’étude de cas de M. Emmanuelli
(1990) basée sur une analyse des problématiques qui intègre, sans la sys-
tématiser, la notion de procédés du discours.

La situation CAT : de l’image au langage


chez le jeune enfant

Le CAT est susceptible de mobiliser des conduites apparentées aux


phénomènes transitionnels classiquement évoqués dans toute situation
projective : il s’agit en effet, pour l’enfant qui raconte une histoire à par-
tir des planches, de jouer avec les animaux anthropomorphes en créant
une scène adaptée aux supports perceptif et latent. Mais étant donné que
ce matériel verbal peut s’adresser à de très jeunes enfants, nous mettrons
surtout l’accent sur la genèse des conduites psychiques sollicitées à cette
étape de la vie.
Par rapport à la situation de jeu « réel » et « corporel » du scéno-test, il
s’agit ici de jouer symboliquement avec les images figurées en faisant
appel, à différents degrés, aux outils les plus élaborés de l’espèce humai-
ne : le langage et la pensée. La réponse au CAT implique, chez les petits,
une série d’opérations complexes. Raconter une histoire à partir d’un
dessin suppose en effet une double démarche de symbolisation : l’une,
liée à l’accès au système des signes de la langue maternelle, permet
d’entendre et de transmettre les messages ; l’autre se base sur l’aptitude à
passer du volume de la chose réelle à sa figuration graphique sur une sur-
face, puis à sa représentation mentale, indépendante de l’expérience per-
ceptive qui lui tient lieu de support.
S’il est vrai que quelques enfants vivant dans un milieu étayant et sti-

92
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

mulant disposent très tôt d’une syntaxe organisée et d’un vocabulaire


étendu, la « norme » des consultations spécialisées se situe plutôt en-
deçà, surtout lorsqu’il s’agit de passer du signe verbal au signe gra-
phique. Ce dernier préfigure pourtant la transcription écrite de la parole
et de la pensée. À 2 ans, l’enfant « normalement »1 possède plusieurs
dizaines de mots mais ne peut nommer que quelques images relatives à
son univers familiers ; il peut en revanche montrer un plus grand nombre
d’images qu’on lui nomme. La compréhension passive est toujours plus
importante que l’expression active, ce qui ne cesse de se vérifier dans
tout apprentissage ultérieur. À 3 ans, les éléments d’une image compo-
site sont en principe énumérés, mais c’est seulement vers 4 ans qu’une
action s’exprime spontanément. Le sujet d’une éventuelle action figure
en effet sur l’image et peut se désigner par un nom, mais la représenta-
tion de l’action relève, elle, d’un acte de la pensée. Cet acte se désigne
alors par un verbe, âme même de la langue qui donne sens au sujet de la
proposition et en traduit les variations par ses formes ultérieurement
conjuguées.
Établir des liens entre deux ou plusieurs éléments graphiques, c’est en
quelque sorte passer du dessin au dessin animé. Mais contrairement au
professionnel du dessin animé qui traduit le mouvement et les interac-
tions par une succession de dessins intermédiaires (appelés intervalles),
l’enfant imagine les séquences, les « anime » sans le support des tech-
niques visuelles et les nourrit au besoin de sa propre projection. Les
« intervalles » qu’il crée relèvent du jeu complexe des représentations
mentales, en l’absence de l’expérience immédiate qui leur a donné nais-
sance : la capacité d’établir des liaisons psychiques à partir des percepts
repose sur la réactivation des traces mnésiques. En l’occurrence, ces liai-
sons s’établissent par le biais des articulations grammaticales qui tissent
les structures spatiales, puis temporelles et logiques du langage : la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

conjonction de coordination précède la subordination ; elle est d’abord


additive avant de signifier la conséquence ou l’explication.
Raconter une histoire s’inscrit dans ce processus de symbolisation au
second degré par lequel le langage s’affranchit un instant du support
concret de l’image pour former un produit de l’activité psychique com-
posé de signes, morphèmes et phonèmes. Sa finalité est essentiellement
gratuite, exempte de l’expression d’un besoin immédiat ou d’une posses-
sion de la chose réelle. Raconter, c’est, comme le souligne R. Diatkine
(1990), « parler hors nécessité, pour le plaisir de dire », c’est joindre au

1. Brunet O., Lézine I. (1951).

93
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

« discours-communication » un discours ludique qui n’est de mise que si


le mot peut s’extraire des systèmes pragmatiques liés à la seule survie. Si
toutes ces conditions se trouvent réunies, la production au CAT peut
s’inscrire dans un espace transitionnel. L’expression pulsionnelle
s’éloigne alors de la voie corporelle et du mot-chose pour se doter de
représentants psychiques et s’ouvrir au jeu indéfini des représentations de
représentations.
Mais, outre la complexité des opérations symboliques engagées dans
l’aptitude à la narration à partir d’un matériel précis, la situation implique
une inversion paradoxale des rôles traditionnels : raconter des histoires à
l’adulte c’est en effet se mettre d’une certaine manière « à sa place »,
c’est « imiter » l’activité qui en principe lui revient, c’est « s’identifier »
à lui, si l’enfant en a les moyens, pour devenir à son tour conteur et fabri-
cant d’images par-delà les images, pour son propre plaisir et pour le plai-
sir de l’autre. Cela est possible certes, à condition d’avoir une expérience
minimale d’un système de communication autorisant ces modes d’inves-
tissement du langage et de l’imaginaire dans un contexte où les processus
d’individuation ne sont plus seuls en cause.
Ainsi la situation CAT soumet-elle l’enfant non seulement à la
contrainte d’un double système de symbolisation, mais aussi à un double
jeu : jeu avec les « personnages » des planches et jeu de rôles avec le cli-
nicien et le substitut parental qu’il est susceptible d’incarner par la
médiation du transfert.
Que de telles performances puissent exister chez des enfants de 3 à
5 ans ne cesse de nous émerveiller mais nous saisissons combien, lors de
la moindre difficulté, ces acquisitions, si elles existent, sont récentes,
friables, sujettes à des tâtonnements, à des remaniements sinon à des
reculs, en fonction de la gestion des motions pulsionnelles. Le matériel
CAT est loin d’être neutre au moment où s’estompent les conflits initiaux
et où se met en place l’axe œdipien. La confrontation aux imagos, à la
dépendance, à l’agressivité, dans ses formes actives et passives, ou à la
solitude, offre de multiples sources d’excitations que l’équipement défen-
sif à peine éclos saura ou non contenir au moyen du langage. Nous rejoi-
gnons entièrement R. Diatkine (1990) lorsqu’il dit : « La constance du
champ phatique [...] dépend de la transformation des motions pulsion-
nelles primitives en quantités discrètes d’investissements liés de façon
différentielle aux mots, transformation qui permet au sujet l’économie de
l’envahissement par des affects désagréables déclenchés par la frustration
inhérente à l’investissement objectal. L’excès d’angoisse entraîne un
remaniement d’investissement, qui remet en cause à la fois les opposi-
tions phonologiques et la distinction entre symbole et symbolisé, le mot

94
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

devenant l’équivalent d’une chose »1. La nature du langage est, selon cet
auteur, déterminée par la capacité à un moment crucial d’acquérir un sys-
tème d’opposition sur lequel s’étaye le clivage entre les bonnes et les
mauvaises représentations des parents, capacité que la résurgence de ces
modes conflictuels fondamentaux met rudement à l’épreuve.
Ainsi, la possibilité qu’a le jeune enfant à traiter les images du CAT,
ou, mieux, à raconter des histoires à proximité des supports figurés et
latents, revêt une valeur hautement prédictive des capacités créatrices,
relationnelles, et des investissements ultérieurement accordés à la langue,
notamment écrite. Sans nécessairement revêtir les formes achevées d’un
récit construit, les prémices de ces investissements futurs, tributaires des
négociations pulsionnelles, résident déjà dans l’intérêt porté au matériel
de l’adulte et dans le plaisir à « jouer à mettre en mots » ce qui est perçu.
La situation CAT mobilise, chez le jeune enfant, la capitalisation de ses
ressources psychiques nouvelles ; la même épreuve, en période de laten-
ce, fait appel à la régression.

Analyse du matériel : contenus manifestes


et sollicitations latentes

Le CAT est composé de 10 planches (format 26 x 22) sur lesquelles


sont dessinés, en noir et blanc plus ou moins estompés, des animaux
familiers et sauvages dont l’espèce varie d’une planche à l’autre.
L’analyse du matériel planche par planche comportera :
– le contenu manifeste décrit par C. Chabert (CC) (1983) et un rappel
des formulations de M. Haworth (MH)2(1966) chaque fois que celles-
ci introduisent des nuances différentes. Serons précisés en outre les
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

détails fréquents (D) et secondaires (Dd) ;


– le contenu latent : la formulation de C. Chabert sera suivie d’une dis-
cussion sur les différents registres de conflictualisation réactivés3 eu
égard respectivement :
a. aux fondements de l’identité ;
b. à l’élaboration de la position dépressive ;
c. à la mise en place de l’axe œdipien.

1. Diatkine R. (1990), p. 645.


2. Notre traduction résumée.
3. Bien que chaque planche, de par son organisation formelle et implicite, renvoie prio-
ritairement à l’un ou à l’autre de ces registres.

95
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Chaque planche peut réactiver successivement ou simultanément plu-


sieurs registres de conflictualisation chez le même enfant.

Planche 1
Contenu manifeste : « Trois poussins assis autour d’une table sur laquelle
il y a un grand bol plein. Sur le côté, un grand poulet estompé » (CC). –
Bol de nourriture (MH).
D : cuillère, serviette.
Dd : tabouret, nappe, bois.
Contenu latent : « Renvoie à une relation à l’image maternelle de l’ordre
de l’oralité » (CC). – Les réponses concernent l’oralité, versus gratifica-
tion ou frustration, autour de laquelle se centre la rivalité fraternelle
(MH).

Par delà l’évidente évocation de la nourriture, l’activité orale renvoie à


l’ensemble de représentations inconscientes de gratification ou de frus-
tration liées à la relation à l’image maternelle.
a. Cette planche renvoie à la capacité d’intérioriser un « bon » objet
garant de la cohérence identitaire. Faute de cette intériorisation, en raison
d’une expérience fantasmatique orale où prédominent des composantes
destructrices, la relation à l’image maternelle est régie par l’envie.
b. La présence-absence de l’image parentale, suggérée par le caractère
estompé du grand poulet, interroge sa capacité contenante et étayante liée
aux premières relations objectales. Sa défaillance peut éveiller l’angoisse
dépressive, voire un vécu d’abandon. Le vécu carentiel peut être symbo-
lisé par la perception des bols vides.
c. L’ambiguïté du matériel favorise l’expression du doute identifica-
toire : « poule-coq », et l’inversion des rôles parentaux : père nourricier.
Il est vrai que les garçons en période œdipienne voient plus volontiers
un « coq » dans un contexte d’évitement de la confrontation à l’image
maternelle jugée trop redoutable. L’expression d’une rivalité dans la fra-
trie revient à éliminer un rival pour atteindre l’objet aimé. Cette situation
clairement triangulaire fait intervenir la jalousie fondée sur le lien libidi-
nal à l’objet. L’ombre du poulet qui plane et qui surveille peut aussi être
comprise comme une instance surmoïque.

Planche 2
Contenu manifeste : « Un grand ours tire une corde, tirée de l’autre côté
par un autre grand ours avec un petit ours derrière » (CC). – Le petit ours
tire la corde avec le grand ours (MH).

96
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

Dd : corde derrière grand ours, queue, sol.


Contenu latent : « Renvoie à la relation triangulaire parent-enfant dans un
contexte agressif et/ou libidinal » (CC). – Les réponses se rapportent au
choix identificatoire et à l’expression d’une interaction agressive ou
ludique. La corde véhicule des intérêts phalliques et masturbatoires
(MH).

C. Chabert insiste à juste titre sur le fait que, si les différences de géné-
ration apparaissent très nettement à travers les différences de taille, la dif-
férence de sexe, elle, n’est pas précisée. La planche invite l’enfant à se
situer, d’une part, par rapport à la dialectique grand-petit, puissant-
impuissant, première ébauche de distinction identitaire puis identificatoi-
re ; d’autre part, par rapport à la perception du rapproché libidinal ou
conflictuel au sein du couple parental, différencié ou non.
a. Si la relation n’est pas reconnue dans sa triangulation, les protago-
nistes non différenciés exercent la même activité, dont la supériorité, au
mieux, est liée au plus grand nombre : « deux », plus grand ou plus fort
que « un ». La puissance confondue avec la toute-puissance non sexuée
peut rendre les animaux méconnaissables (« loups », « renards »,
« méchants ») associés à des fantasmes destructifs.
b. Le surinvestissement du support apparaît au détriment de la repré-
sentation de relation pour traduire avant tout le défaut du contenant
maternel non fiable ou lui-même précaire (« neige », « glace »). « La
famille des ours qui essaie de tirer la corde. Et puis y a un autre ours qui
veut tirer la corde. Je comprends maintenant, il doit être tombé, la
maman et peut-être il la remonte. [« Il la remonte ? »] Elle a glissé sur les
rochers parce que c’est de la glace, sur une montagne de glace. Et la
corde y en a un petit bout qui reste là » (Guy, 7 ans).
c. Dans un contexte œdipien, le matériel renvoie à la différence des
sexes des protagonistes, et au choix des alliances lié à la démarche identi-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

ficatoire. Ce choix est en même temps synonyme de rivalité mais sa ges-


tion peut s’établir par adulte interposé signant le déplacement. La forme
et l’intensité des motions agressives réactivées dépendent de la proximité
et de l’acuité du conflit œdipien dont la sanction est toujours la castration
(ici, comme l’indique M. Haworth, probablement représentée par la rup-
ture de la corde). La distanciation permet des expressions modulées et
socialisées plus ou moins ludiques : « Y a des ours qui font du sport [...] ».
Mais le renoncement aux attributs phalliques chez la fille n’est pas
exempt d’un vécu dépressif1.

1. Exemple de Line, illustration pages 192-199.

97
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Planche 3
Contenu manifeste : « Un lion, ayant une pipe et une canne, est assis dans
un fauteuil. En bas de la planche à droite, une petite souris dans un trou »
(CC).
D : crinière, queue, griffes.
Dd : parterre fleuri, poutre en bois.
Contenu latent : « Renvoie à la relation à une image de puissance phal-
lique » (CC). – Renvoie à une image paternelle puissante dont les attri-
buts peuvent être valorisés ou dénigrés. La petite souris, à laquelle
s’identifie généralement l’enfant, incarne l’impuissance ou la ruse (MH).

Bien que l’image soit saturée d’éléments signifiants par le choix même
du bestiaire et par ses attributs virils, puissance et toute-puissance peu-
vent être associées tant à l’image paternelle qu’à l’image maternelle ou à
leur combinaison monstrueuse et indifférenciée1.
a. L’accès aux oppositions dialectiques puissance/impuissance,
gros/petit, dominant/dominé, actif/passif, fortement suggérées par la dis-
proportion relative des deux animaux, contribue aux différenciations
identitaires. Mais il dépend de la gestion des motions pulsionnelles
agressives : trop fortement sollicitées, celles-ci désorganisent le récit et
en empêchent les repérages essentiels. La puissance peut être assimilée à
une toute-puissance destructrice propice à la confusion des rôles et des
repères : « Un monstre [fait la grosse voix] sur une chaise, avec une
canne. Et ici c’est sa maison, un grand loup ! ouh ! [agite la planche] et
un... [bégaie ++] un... p... petit chien. Une pipe là. Il a des grosses dents !
[s’agite, se lève] » (Simon, 3 ans et 4 mois). La surcharge pulsionnelle
entraîne, dans ces contextes, des fantasmes destructifs dont la direction
pose problème : « Y a un tigre [...] il est pas content, peut-être qu’on l’a
fait mal [« On lui a fait mal ? »] On lui a fait du sang » (Jérémie, 5 ans et
4 mois).
b. L’absence d’un objet interne constitué empêche d’aborder la problé-
matique de puissance dont la représentation peut être réduite à une image
démunie ou soumise à l’étayage de l’autre. À la limite cette représenta-
tion peut évoquer une enveloppe vide (« baudruche », « pyjama en lion »).
Si la relation lion-souris est mentionnée, elle est de type prothétique :
« Là c’est... c’est un lion... grand-père, qui est roi et qui s’ennuie, une
souris qui le regarde décide de jouer pour lui, pour le distraire. Puis c’est
tout » (Charlotte, 9 ans).

1. La même ambiguïté se dégage de la planche IV du Rorschach, dite « paternelle »,


mais, en fait, génitale ou prégénitale en fonction du registre de problématique disponible.

98
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

c. Vue sous l’angle œdipien qu’évoque M. Haworth, l’image est bien


sexuée, jalousée, redoutée ou dénigrée suivant les moyens qu’envisage
l’enfant de s’approprier les attributs de l’image paternelle ou de déjouer
le danger que celle-ci pourrait représenter. La canne, par exemple, que la
petite souris essaye d’attraper peut revêtir la forme d’un tuteur indispen-
sable. Mais la prégnance du lion sur l’image est telle que la dimension
relationnelle peut être scotomisée ou reléguée au deuxième plan au profit
de la représentation de soi, dans un contexte narcissique ou identificatoi-
re qui reste à préciser. De plus, accéder aux attributs de la puissance ne
va pas chez les garçons sans le risque dépressif de perdre l’objet d’amour
en sanction des désirs incestueux : « Le roi des animaux, le lion est assis,
sur une chaise, il pense que sa... sa maman ne va plus revenir parce qu’il
est en train d’attendre, alors il met la main sur son menton [...] [ « Sa
maman ne va plus revenir ? »] Je crois qu’elle est en prison, elle voulait
faire une promenade et y avait un petit, et le bébé lion qui était avec lui
et, et à cause elle s’est fait prisonnière et il va appeler le papa et ils vont
avoir peur du lion » (Rémy, 5 ans).

Planche 4
Contenu manifeste : « Un grand kangourou ayant un chapeau, un sac et
un panier dans lequel il y a une bouteille de lait. Il a dans sa poche ven-
trale un bébé kangourou qui tient un ballon. Derrière lui, un enfant kan-
gourou sur une bicyclette » (CC). Nous remplaçons « bouteille de lait »
par « des provisions ».
D : rubans, fleurs sur le chapeau, sapin.
Dd : sol, paysage, gris/blanc estompé.
Contenu latent : « Renvoie à la relation à l’image maternelle éventuelle-
ment dans un contexte de rivalité fraternelle » (CC). – M. Haworth
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

évoque, parmi les thèmes, la rivalité et ce qui se passe dans le ventre des
mamans. Les conflits d’autonomisation/dépendance sont portés par les
enfants kangourou.

C. Chabert a choisi une formulation vague, reprise ici pour tenir comp-
te des différents registres conflictuels possibles en dépit de la surdétermi-
nation féminine et maternelle du grand kangourou. Les différences de
taille et de position par rapport à la mère sont aussi clairement marquées,
de même que sont nettement définis les attributs de chacun des kangou-
rous : chacun tient ou possède à sa manière quelque chose dont la dimen-
sion symbolique peut être perçue.
a. L’accent porte sur la capacité d’individuer clairement les trois kan-
gourous puis d’établir des oppositions au moins sommaires « grand/petit ».

99
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Planche 4

100
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

Les trois animaux appartiennent en principe à la même espèce, ce qui


assure une des bases de la cohésion identitaire. Beaucoup de petits ne
connaissant pas les kangourous utilisent d’autres noms d’animaux plus
familiers, ce qui ne change en rien le contenu latent. Mais même si les
repères identitaires fondamentaux sont, semble-t-il, en place, les conflits
de dépendance et d’autonomisation par rapport à l’image maternelle ne
sont jamais résolus une fois pour toutes, a fortiori chez des jeunes enfants ;
aussi les éléments que réactive cette planche sont-ils à même de souligner
les oscillations entre ces positions ou de signaler des conflits plus pro-
fonds inscrits dans les aléas des processus de séparation/individuation.
b. Le surinvestissement du cadre perceptif, surtout dans la prise en
compte de la dimension sensorielle du blanc interprété comme neige et
froidure, peut renvoyer à la déficience du support et à l’équivalence
affective de ce vécu de perte d’objet et/ou d’abandon. Si la rivalité frater-
nelle est évoquée dans ces contextes, elle paraît tout à fait secondaire,
l’essentiel étant le retour fantasmatique à des positions plus gratifiantes
dans le sein maternel afin d’abolir les tensions pulsionnelles.
c. La structuration œdipienne permet de reconnaître les sollicitations
féminines de cette planche et/ou de témoigner des incertitudes qui exis-
tent encore à cet égard. Même si les jeunes enfants remplacent les kan-
gourous par d’autres animaux mieux connus, biches, chèvres, souris se
conjugent au féminin. Ce sont plus rarement des renards, chiens, ânes et
même éléphants que l’on rencontre là, en dépit des attributs manifestes.
Si ces choix rendent en général compte de difficultés identificatoires, ils
peuvent aussi traduire la crainte de se confronter à la toute-puissance de
l’image maternelle. Toujours dans ce registre s’inscrit, comme l’indique
M. Haworth, l’interrogation relative à la naissance des bébés. Marine
(6 ans ) témoigne de sa théorie toute particulière à ce propos : « [...] C’est
des qui vont se promener dans la forêt et dans sa poche elle porte un bébé
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

kangourou, puis après elle a une queue, je sais plus après. »

Planche 5
Contenu manifeste : « Dans une chambre sombre, un petit lit avec deux
oursons dedans. Derrière, un grand lit dont les couvertures semblent sou-
levées par quelque chose » (CC). – Un grand lit au deuxième plan, cou-
verture non mentionnée (MH).
D : lampe de chevet, fenêtre, tapis, barreaux du petit lit.
Dd : yeux ouverts d’un petit ours, contraste blanc/gris.
Contenu latent : « Renvoie à la curiosité sexuelle et aux fantasmes de
scène primitive » (CC). – Renvoie à la scène primitive et aux jeux
sexuels entre enfants (MH).

101
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

C. Chabert insiste sur le caractère anthropomorphe du décor manifeste


où la proximité du petit et du grand lit condense l’essentiel des sollicita-
tions latentes quant au rapproché libidinal du couple parental.
a. Malgré la prégnance des éléments symboliques libidinaux, la
planche peut entraîner une recrudescence de fantasmes destructeurs où
tout l’intérieur est menacé par des persécuteurs, externes ou mal différen-
ciés. La difficulté peut également porter sur l’individuation des deux our-
sons, confondus en un seul ou perçus comme doubles gémellaires. La
pétrification pulsionnelle (« oursons empaillés ») peut former un rempart
vis-à-vis d’une désorganisation identitaire.
b. Si l’élaboration de la position dépressive est trop pénible, l’accent
est mis sur l’absence, le dénuement, l’abandon. L’insistance sur les élé-
ments sensoriels (gris, blanc, bois) et sur les supports (sol, oreiller) per-
met le déplacement sur l’environnement du besoin de repères consistants ;
ces modalités font alors l’économie de l’affect dépressif et de l’évocation
de la perte d’objet.
c. Autres sont les productions où l’inhibition, l’agitation, voire le refus,
se rapportent de façon transparente à la scène primitive, qu’accentuent
les composantes phobiques de l’acmé œdipienne. Les récits peuvent alors
montrer la mise en place du pare-excitation vis-à-vis de la sexualité
parentale ; le pare-excitation peut paradoxalement passer par l’évocation
de la sexualité infantile, versus jeux interactifs ou activité auto-érotique,
dont la charge d’excitation paraît moindre à côté de celle que contient le
rapproché libidinal entre les parents. « Deux petits oursons dans leur lit,
un petit ourson et une petite oursonne. La lampe est éteint. Ils ne savent
plus quoi faire, alors ils s’amusent... je sais plus. Celle-là elle est courte !
y avait pas tellement d’image, comme c’est gris on peut pas tellement
voir » (Rémy, 5 ans).
Si la dépression s’exprime dans le registre œdipien, il s’agit d’un affect
pénible lié au vécu d’exclusion par rapport au couple parental et/ou à la
culpabilité qu’entraînent pulsions voyeuristes et activité masturbatoire.
En période de latence, les récits sont plutôt construits autour de l’interdit
se rapportant aux motions pulsionnelles ou aux stratégies envisagées
pour l’enfreindre : « Il font semblant de dormir mais ils ne dorment pas. »

Planche 6
Contenu manifeste : « Une grotte dans laquelle on voit plus ou moins
deux grands ours. Devant, un petit ours, yeux ouverts, et des feuilles »
(CC). – Deux silhouettes d’ours dans une grotte obscure, petit ours cou-
ché (MH).

102
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

Dd : griffes du petit ours, feuilles de houx.


Contenu latent : « Renvoie à la curiosité sexuelle et aux fantasmes de
scène primitive » (CC). – La planche 6, comme la précédente, renvoie à
la scène primitive et à la masturbation (MH).

Les planches 5 et 6 renvoient, dans un registre œdipien, au même type


de problématique. La différence manifeste entre les planches 5 et 6 tient
au décor anthropomorphe de la première et à la scène spécifiquement
animale de la seconde. Les deux gros ours sont côte à côte et le petit ours
à l’écart a les yeux d’un animal bien éveillé.
a. La triangulation est secondaire ou méconnue lorsque prédominent la
délimitation des espaces internes et externes, positivement ou négative-
ment investie (« bien chaud dedans, froid dehors », « la maison elle est
tout décroulée ») et la relation duelle à une image maternelle archaïque.
Dans certains cas, la situation relationnelle n’est pas perçue du tout, tant
la toute-puissance du bestiaire passe au premier plan, entraînant des fan-
tasmes de destruction et d’engloutissement.
b. La planche peut réactiver une thématique de perte d’objet et d’aban-
don dans un contexte oral, donnant lieu à un vécu de dénuement, voire de
dénutrition, d’autant plus pathétique que l’enfant est démuni de capacités
de fantasmatisation.
Dans un contexte d’analité non structurante, la déficience du contenant
maternel peut être symbolisée par un habitacle qui, au lieu d’offrir une
enceinte sécurisante et différenciatrice par rapport à l’extérieur, se pré-
sente comme un orifice à double issue (tunnel) : « Alors ça c’est un petit
ours qui est dans une grotte avec son père, sa mère, dans une grotte et
devant y a du bois, un petit peu. Y a des petites feuilles. Et puis dans le
fond y a une grande, une grande, immense route » (Guy, 7 ans).
c. L’expression de la curiosité sexuelle à l’égard du couple parental est
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

comparable à celle que suggère la planche 5. Elle se complique ici par le


déplacement de la curiosité envers l’extérieur qui confère au conflit œdi-
pien, surtout chez les garçons, une variante en termes de dépendance par
rapport à l’objet maternel : l’interdit de l’exploration donné par la mère
est doublement connoté. Les modalités œdipiennes réactivées devant cette
planche peuvent revêtir diverses formes, dont celles d’un conflit identifi-
catoire, source d’affects dépressifs : « [...] Il dort pas parce qu’il est tris-
te... [s’agite] ... aussi le papa ours a des plus petites oreilles, le bébé a de
plus grandes oreilles » (Gaëlle, 4 ans et 11 mois). Elles peuvent aussi don-
ner lieu à des « scotomes » et à des inversions des images parentales (père
nourricier) au service d’un évitement de l’image maternelle. L’introduc-
tion d’une dimension régressive peut avoir la même fonction.

103
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Planche 7
Contenu manifeste : « Dans la jungle, un tigre saute vers un singe. Le
singe semble s’accrocher à des lianes » (CC). – Un tigre, les crocs appa-
rents et sortant ses griffes (MH).
D : griffes, dents du tigre, queues, proportions relatives du tigre et du
singe.
Dd : végétation, sol tacheté.
Contenu latent : « Renvoie à une relation chargée d’agressivité (versus
castration ou dévoration) » (CC). – Renvoie à la crainte de l’agressivité
en privilégiant le registre de la castration (MH).

Comme sur la planche 3, la relation entre les deux animaux n’est pas
symétrique et comporte un axe actif-passif. Agressivité agie, agressivité
subie peuvent s’inscrire soit dans un contexte de destructivité synonyme
d’une indistinction sujet-objet, soit dans le cadre de la rivalité œdipienne,
ou encore dans l’entre-deux que favorise la situation projective.
a. La perception de la situation agressive peut entraîner l’émergence de
fantasmes destructifs dont le caractère plus ou moins envahissant nuit à la
stabilité identitaire : « C’est un tigre, le... le... le tigre y...court, y veut
attraper un singe... le singe il a peur et c’est tout [« C’est tout ? »] Ça va
finir dangereux, ça va finir le, le singe y va grimper et le lion peut-être y
va faire tomber la branche et c’est tout. C’est pas un crocodile ça ? Le
crocodile y va mordre le tigre et le tigre y va se bagarrer avec le crocodile
et le crocodile y va gagner [...] » (Patrick, 7 ans)1. Les confusions des
percepts et du langage rendent généralement compte de la confusion des
rôles agresseur/agressé.
b. Peu sollicitée par cette planche, la perte d’objet peut apparaître indi-
rectement à travers le surinvestissement d’une polarité sensorielle froide
et nue, malgré la luxuriance manifeste du décor végétal : « Il fait pas
beau, y a du gris », dit Marine (6 ans). Pour Thierry (5 ans et 1 mois), la
scène se passe « dans la neige ». Dans un tout autre style, Norbert (7 ans
et 10 mois) préfère, lui, maîtriser la situation afin de ne pas reconnaître
l’impuissance et la dépression qu’elle pourrait engendrer et dicte son
récit sur un ton impératif.
c. Si l’axe œdipien est structurant, l’agressivité est maniée dans un
contexte relationnel où représentations et affects sont sollicités en quanti-
tés gérables par le langage et sans surcharge d’excitation : agresseur et
agressé sont différenciés, même si les ressources personnelles sont mobi-
lisées au profit d’une identification à l’agresseur ou au singe, plus faible

1. Exemple de Patrick au scéno-test pages 58-59.

104
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

et plus petit mais agile et rusé. Dans tous ces cas, la castration reconnue,
acceptée ou non, est négociée à travers des représentations de relation.
« Y a un gros tigre avec sa queue qui voulait attraper un sin, un singe, et
le singe y montait à l’arbre avec sa petite, sa grande queue ; le tigre il
voulait le manger. Il montait sur la branche. Il avait une grande queue le
tigre ! Peut-être qu’elles étaient la même taille la queue ! » (Jérôme,
5 ans et 4 mois).

Planche 8
Contenu manifeste : « Deux grands singes assis sur un canapé boivent
dans des tasses. À droite, un grand singe assis sur un pouf tend son doigt
vers un petit singe » (CC). – Le singe au premier plan parle au petit singe
(MH).
D : dans un cadre, une tête de singe munie de lunettes et d’une charlotte ;
fleurs et anneaux aux oreilles des grands singes.
Dd : fleurs sur le canapé.
Contenu latent : « Renvoie à la culpabilité liée à la curiosité et à la trans-
gression dans la relation parents-enfants » (CC). – Le grand singe au pre-
mier plan renvoie à une image parentale, paternelle ou maternelle.
L’enfant est invité à se situer dans les relations familiales (MH).

La planche évoque en principe une double relation duelle entre les


singes situés sur des plans différents. Les différences de taille et les attri-
buts favorisent la différenciation de génération et de sexe.
a. Les différenciations élémentaires ne sont pas perçues et la pluralité
des « personnages » est source de confusions lorsque les repères initiaux
ne sont pas, ou pas encore, suffisamment ancrés. Le rapproché des
singes, manifeste sur la planche, peut alors véhiculer des fantasmes
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

agressifs sous l’angle de la destructivité plus ou moins crue : « Il, la


maman du loup, du nion. Le singe, le papa du singe et le bébé et la
maman. Et la maman elle l’écrie par le bébé : “ Arrête bébé, arrête de
faire des conneries ”. Elle était montée sur la chaise. La maman l’a monté
sur la chaise et la maman l’a l’œil crevé » (Violette, 7 ans et 10 mois).
b. Cette planche, comme la précédente, est peu propice à l’expression
de la perte d’objet. Celle-ci peut pourtant apparaître à travers des
menaces de rejet dépourvues de sanction surmoïque : « Il faut qu’il s’en
aille ailleurs », ou à travers un vécu d’angoisse de séparation ou d’aban-
don par une image maternelle non fiable « [...] Elle lui dit je pars tout à
l’heure, alors après elle part et l’enfant il a peur. Il va, il rattrape sa
maman, il la suit doucement et il a plus peur. La maman elle voit pas, il

105
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

se cache, et il a peur qu’elle le gronde. Une photo de sa nourrice qui est


morte, lunettes, chapeau » (Christophe, 7 ans et 8 mois).
Les expressions indirectes de la problématique dépressive sont toute-
fois plus fréquentes : elles peuvent passer par le biais des défenses
maniaques, la scène évoquant un gros chahut indistinct ; l’importance
accordée à la figuration du support ou à l’absence de support du petit
singe, sans intervention d’affect ni évocation de perte, peut être aussi un
témoin de la sensibilité au manque.
c. La différenciation œdipienne des générations et des sexes apparaît
avec son éventuel cortège d’hésitations : « Le papa, non, la maman ». Le
couple de l’arrière-plan est hétérosexué avec un possible déplacement sur
les personnages grands-parentaux. Le double pôle relationnel est perçu,
le couple à l’arrière se disant des secrets « à l’oreille » dans un rapproché
le plus souvent libidinal : « Ils rigolent bien ensemble » ; le couple adul-
te-enfant au premier plan est, lui, chargé de véhiculer les lois surmoïques
et les désirs de transgression : « Ils buvent du thé, ils boyent du thé, la
sœur et le papa, et le bébé il doit écouter ce que lui dit sa maman...
comme moi, je fais des bêtises » (Amélie, 5 ans et 2 mois).
La proximité des éléments phobiques chez les petits complique l’inter-
dit du désir de voir ce qui se passe au sein du couple, par le danger que
pourrait comporter l’exploration déplacée à l’extérieur ; la relation de
dépendance à l’image maternelle s’en trouve alors réaffirmée : « Pas sor-
tir », « rester avec sa maman ». L’hypersexualisation des représentations,
au même âge, peut aussi être spectaculaire : « Il en reste encore deux ? Y
a pas de WC ? [s’absente]. Alors la maman qui est pas mariée a eu un
bébé et le bébé lui dit que ils sont pas tous les deux mariés et la grand-
mère elle est accrochée, regarde ! et tout d’un coup les singes ils se
lèvent, ils entend que le bébé a fini de parler, ils disent que... il a une
princesse qui sort avec un jeune homme, le jeune homme il va être amou-
reux de la jeune fille. Ils sont rentrés mes parents ? » (Aline, 5 ans).

Planche 9
Contenu manifeste : « Une chambre sombre dont la porte est ouverte. Un
lit d’enfant avec un lapin dedans, assis » (CC). – Porte ouverte sur une
pièce éclairée, le lapin est tourné vers la porte (MH).
D : fenêtre, miroir, contraste sombre-clair ;
Dd : discontinuité des barreaux du lit, rideau ouvert.
Contenu latent : « Renvoie à une problématique de solitude et/ou d’aban-
don » (CC). – Renvoie, outre à la peur du noir et à la solitude, à la curio-
sité sexuelle (MH).

106
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Planche 9

107
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

La planche 9, la seule qui représente un individu isolé, renvoie à la


capacité d’être seul et de gérer la solitude. L’élaboration de la position
dépressive est cette fois prioritairement sollicitée. Mais certains éléments
manifestes peuvent aussi, suivant la problématique de l’enfant, renvoyer
aux fondements identitaires ou, si l’âge et la maturité le permettent, aux
implications de la structuration œdipienne. Les aspects dépressifs liés au
vécu d’exclusion du couple parental en font alors partie.
a. La problématique réside dans l’unification et la cohésion des per-
cepts dont témoigne en grande partie l’élaboration du langage, fût-ce à
travers un repérage descriptif sommaire. Si cette cohésion minimale est
laborieuse, l’intérieur se confond avec l’extérieur, entraînant des fan-
tasmes destructifs empruntés à des éléments phobiques non structurés
autour d’un objet phobogène précis. Les « personnages » introduits hors
image : «loup », « gorille », « chasseurs », « voleurs » « méchant bon-
homme », se différencient alors mal du lapin, dont l’individuation n’est
pas dégagée.
b. L’expression de la perte d’objet passe soit directement par la repré-
sentation de solitude et d’abandon pouvant entraîner l’inanition et la mort :
« Il a plus de couverture, il a plus de lit, il a plus rien à manger, y a plus
personne » (Corinne, 7 ans), soit par l’intervention de modalités antidé-
pressives. Les modalités antidépressives les plus fréquentes sont l’excita-
tion relevant du déni maniaque à travers un récit se voulant « très rigolo »
ou rempli de personnages, voire de « lumière » et de « soleil » en dépit
du stimulus. En ce cas, représentation et affect sont évités. D’autre moda-
lités consistent à mettre l’accent sur la précarité de l’environnement et du
support (« lit cassé », « il manque des barreaux », « les pieds sont cassés »...)
à titre de déplacement du vécu de souffrance. La gestion narcissique de
ce type de conflit s’appuie sur le surinvestissement des données senso-
rielles du matériel : gris, noir, blanc, surfaces, décor, afin de méconnaître
ce qui n’est pas ; Charlotte (9 ans) tente de « s’adapter » à la solitude sur
un mode autogéré qui nie la dépendance : « Là c’est un lapin qui est
tombé malade alors il a téléphoné au médecin et le médecin lui a dit de
rester dans son lit pendant trois jours. C’est tout. »
c. Dans un contexte œdipien, la solitude évoquée par rapport au couple
parental réintroduit nostalgiquement la représentation de relation. La
porte est alors ouverte, au sens doublement figuré, sur ce que font les
parents, dans leur chambre ou ailleurs, et sur la rivalité par rapport au
parent symboliquement nanti. Peuvent alors prendre place les hésitations
identificatoires, les interdits dictés par le surmoi et l’expression d’affects :
angoisse et tristesse s’intègrent à des scénarios où l’opposition
fiction/réalité bien construite, parfois par le recours au rêve, permet de

108
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

moduler l’impact fantasmatique lié à la masturbation et à son interdit.


L’auto-érotisme peut également offrir une voie d’aménagement de la
solitude : « Il est pas fatigué, il veut encore jouer à la balançoire, mais sa
maman elle veut pas » ; les thèmes de « lit cassé » renvoient dans ces
cas-là à la transgression et à la rétorsion castratrice.

Planche 10
Contenu manifeste : « Un petit chien, couché à plat ventre sur les genoux
d’un grand chien. À droite un cabinet et des serviettes de toilette » (CC).
– MH souligne les traits expressifs des deux chiens.
D : bouche ouverte du petit chien, patte du grand chien levée au-dessus
du petit chien ;
Dd : les différences de tonalité claire et foncée des deux chiens, tabouret.
Contenu latent : « Renvoie à la relation agressive parent/enfant dans un
contexte d’analité, l’accent portant sur le rapproché corporel » (CC). –
Renvoie à la dialectique bêtise/punition dans un contexte surmoïque et/ou
transgressif (MH).

De nombreux éléments manifestes de la planche suggèrent assez direc-


tement la relation dans un contexte d’apprentissage de la propreté avec
ses aléas : la soumission au désir du parent, en général celui de la mère,
ou l’agressivité à son endroit suscitant la répression. Mais à cette situa-
tion de contrainte porteuse des messages agressifs, s’ajoute une dimen-
sion libidinale à travers le rapproché corporel où la fessée est susceptible
de réactiver de multiples polarités fantasmatiques. Le contenu latent
pourrait aussi bien se formuler : « on bat un chien » ou « un chien est
battu »1, suivant les orientations de l’érotisme anal2. Mais encore faut-il
qu’agressivité et libido puissent être liés ; sinon on assiste à une surcharge
pulsionnelle non négociable, soit destructrice, soit érotique.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

a. Les deux chiens sont peu ou pas différenciés, parfois confondus avec
d’autres animaux ou personnages introduits. Comme toujours, la désor-
ganisation du langage est à la mesure de l’envahissement fantasmatique.
La destructivité repose plutôt sur un fantasme d’engloutissement oral que
sur une réelle reconnaissance de la situation anale, même si des termes
scatologiques apparaissent. La version érotique peut être tout aussi

1. Freud, S. (1919), Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse


des perversions sexuelles, in Névrose, psychose et perversion, 1981, Paris, PUF, p. 219-
243.
2. Freud, S. (1908), Caractère et érotisme anal, in Névrose, psychose et perversion,
1981, Paris, PUF, p. 143-148.

109
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

confuse à travers un amoncellement indéfini d’animaux « qui se montent


dessus » où la dimension anale n’est en fait pas dégagée.
b. L’angoisse de perte d’objet et d’anéantissement dépressif de source
anale est ici directement suggérée par le matériel manifeste : « Il avait
envie d’aller aux toilettes mais il ne voulait pas s’asseoir là-dessus. Il
avait peur de tomber dans le trou » (Charlotte, 9 ans). La très nette figu-
ration du rapproché corporel peut réactiver chez certains enfants le vécu
de perturbations importantes dans le « handling », c’est-à-dire dans la
façon dont le corps fait l’objet de soins, de négligences, voire d’agres-
sions ou d’intrusions, ce qui montre la précarité des assises narcissiques à
ce niveau.
c. La mise en place de l’axe œdipien suppose d’abord le dégagement
clair d’une image parentale par rapport à laquelle l’enfant est amené à se
situer, puis une reconnaissance du maniement de l’agressivité suivant un
axe sado-masochique. La liaison entre agressivité et rapproché libidinal
autorise l’accès à l’ambivalence.
Mais le matériel latent ne peut se lire de la même façon pour les filles
et pour les garçons en ce sens qu’il renvoie, plus précisément que ne pou-
vait le suggérer déjà la planche 2, aux modalités positives ou négatives de
l’axe œdipien. Suivant le moment du développement, ces modalités préfi-
gurent les orientations hétéro ou homosexuelles, en liaison avec l’inves-
tissement anal. Peut-être est-ce là le sens de cette planche placée en der-
nier, après que les fantasmes œdipiens ont été fortement sollicités aux
planches 5 et 61. Terminons par un exemple, celui de Thierry (5 ans et
1 mois) dont tous les ingrédients de l’analité et de l’Œdipe négatif sont
réunis à propos de cette planche mais pour quel devenir ? : « Oh des
chiens ! Ah je raconte l’histoire. Alors le papa dit à le chien : tu vas aller
faire pipi. Il va près des cabinets avec la serviette et quand l’a fait pipi il
tire la chasse d’eau et après il s’en va jouer avec... pas son maître hein ?...
tout seul. Ça c’est de la bave ? Pour l’instant le papa il bave, regarde les
gouttes ! Pour l’instant le petit il est en train de bâiller. Comment ça
s’appelle ça ? Il ferme le truc pour boucher le trou. »

1. Question posée par C. Chabert dans Anzieu D., Chabert C. (1983), p. 193.

110
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

5.2. Modalités d’utilisation

Les indications

Le CAT s’adresse aux enfants, en principe de 3 à 8 ans et au-delà, en


fonction de leur maturité et de leur aisance à utiliser le support des
images animales. Son intérêt est toutefois exceptionnel entre 3 et 6 ans
car il permet de saisir la coïncidence entre l’événement œdipien et la
mise en place des articulations syntaxiques. Cela est vrai tout au moins
dans les cas favorables où chaque enfant, suivant son rythme et son style
propre, reproduit de façon stupéfiante les modèles que l’on pourrait croi-
re théoriques. La contre-épreuve est d’ailleurs fournie par les cas où
l’astructuration œdipienne – soit par défaut d’inscription, soit par sur-
charge prématurée d’excitation – laisse entrevoir les entraves au dévelop-
pement ultérieur et l’inefficacité de la période de latence.
Au-delà de 6 ans, le CAT permet d’apprécier les modalités d’installa-
tion de la latence pulsionnelle et l’éventail des stratégies défensives dont
l’enfant se munit pour structurer son psychisme, autour ou en l’absence
de l’axe œdipien. Certains spécialistes reprochent au CAT son caractère
trop régressif à ces âges-là. Il peut être intéressant cependant d’apprécier
comment les sollicitations régressives issues de la réactivation des rela-
tions d’objet partiel peuvent s’aménager et de comparer la production
avec celle des situations moins « régressivantes ».
L’épreuve peut s’adapter à des buts extrêmement divers, comme une
approche purement formelle et perceptive par exemple. Il n’y a pas de
contre-indication à cela et le choix dépend des objectifs du psychologue,
peut-être aussi de sa formation. Mais il est toujours un peu dommage de
confier une mission restreinte à un outil très performant. Le CAT repré-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

sente un excellent médiateur de l’approche du fonctionnement psychique


et des multiples jalons du développement libidinal. Si l’aspect formel est
de première importance, c’est dans la mesure où, passant par la structura-
tion du langage, il offre un reflet de la structuration du psychisme. Le
formel rend compte de l’édification des capacités cognitives, à la croisée
des motions pulsionnelles ; il signale le lien et la séparation entre le réel
et l’imaginaire. Le langage constitue le contenant dans lequel les conte-
nus fantasmatiques et émotionnels prennent valeur de message symbo-
lique, une fois dégagés de l’enveloppe corporelle et motrice dans laquelle
ils se trouvaient préalablement insérés.
Par conséquent, il y a lieu d’utiliser le CAT chaque fois que le clinicien
essaie d’approcher la complexité du fonctionnement psychique. Sinon,

111
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

c’est soumettre inutilement l’enfant à des réactivations pulsionnelles et


défensives qui peuvent devenir perturbantes, sinon néfastes pour lui, et
déborder, dans certains cas, les capacités contenantes du psychologue
non prévenu.
Les contextes cliniques dans lesquels le CAT est indiqué sont divers.
Dans le cadre de la psychologie dite normale, la question posée le plus
fréquemment est celle de l’évaluation du fonctionnement psychique au
moment de prendre une décision importante : l’opportunité de l’entrée à
l’école maternelle par exemple peut être utilement discutée au vu des
capacités de séparation-individuation de l’enfant dans un contexte fami-
lial donné. Juger si un passage anticipé aux apprentissages primaires est
souhaitable relève d’un examen attentif du niveau de maturité sur le plan
psychomoteur, intellectuel et pulsionnel. Le CAT, dans ces cas-là, joint à
d’autres épreuves, a une excellente valeur prédictive de la capacité qu’a
l’enfant d’utiliser l’aire transitionnelle pour exercer sa créativité. Nous
avons vu aussi combien était prédictive l’élaboration du langage dans son
rapport à la langue écrite et aux apprentissages1. Mais, contrairement à
notre attente, l’expérience prouve que les enfants les plus créatifs ne sont
pas nécessairement les mieux adaptés au système scolaire, même s’ils
ont plus tard de meilleures chances de connaître une vie psychique riche
et diversifiée2. La capacité d’inhiber l’expression motrice et de recourir à
l’objectivité et au contrôle offre paradoxalement des garanties supé-
rieures de réussite. En revanche, si l’enfant se trouve submergé par des
conflits identitaires, par une angoisse dépressive aiguë ou tout simple-
ment par l’excédent d’une problématique œdipienne encore chaude qu’il
ne cesse de mettre en scène, il y a tout lieu de prévoir que cette énergie
gaspillée là n’est plus immédiatement mobilisable ailleurs pour les
apprentissages.
Dans le cadre de l’hospitalisation et des consultations spécialisées, le
CAT fait partie des épreuves classiquement proposées dans la tranche
d’âge considérée pour contribuer au diagnostic du fonctionnement psy-
chique et entrevoir les modalités d’évolution.

1. Cf. pages 93-95.


2. Notre constat rejoint celui de R. Debray (1987c) mené avec le TAT auprès d’une
population d’enfants de 6 ans.

112
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

La passation

Aménagement relationnel du cadre et de la consigne


La passation du CAT comporte l’impératif absolu de présenter la totalité
des planches, une par une, dans l’ordre, de la première à la dixième, et si
possible en une seule séance. Cette disposition permet de respecter la pro-
gression des implications latentes prévues dans la construction du matériel.
La durée est en moyenne d’une trentaine de minutes ; elle est plus
réduite chez les enfants peu motivés par la nature verbale de la tâche et
chez les petits, parfois plus soucieux de manipuler et de compter les
planches que de les raconter.
La multiplicité des particularités cliniques des jeunes patients fait qu’il
est impensable d’enfermer la passation dans des modalités strictes ; il est
indispensable au contraire de s’adapter à chaque situation pour favoriser
au mieux la confiance et l’expression personnelle. Ce qui compte, c’est la
façon dont le clinicien peut aménager un cadre relationnel auprès de
l’enfant, quel que soit le lieu. Il lui appartient d’apprécier, en fonction de
l’âge et du contexte, la distance physique la plus favorable, l’opportunité
de tolérer des déplacements moteurs ou d’inviter au contraire à l’immobi-
lité pour contenir des débordements. Certains examens d’enfants hospita-
lisés (pour des raisons diverses) se déroulent à côté du lit du malade. De
façon générale, une situation de cadrage souple, ludique et au besoin
étayant, est préférable à toute contrainte évoquant un modèle scolaire.
Cependant, si l’un des buts est d’évaluer chez un enfant son aptitude à
épouser des exigences scolaires, on l’invitera plutôt à s’asseoir près de la
table pour apprécier la stabilité psychomotrice et la maîtrise de l’excita-
tion pulsionnelle.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

La consigne revient à demander à l’enfant de raconter une histoire en


rapport avec l’image qu’on lui présente, mais rares sont les situations où
la formulation peut s’énoncer ainsi ; à l’intention d’enfants jeunes, imma-
tures ou peu familiarisés avec des « histoires » pour n’en avoir jamais
entendu, il faudra parfois réinventer une toute autre formulation à partir
des termes de l’enfant même pour qu’il comprenne ce qu’on attend de lui :
« dire ce qui se passe », « qu’est-ce qui arrive »… La difficulté est le plus
souvent de susciter l’intérêt et surtout de le soutenir tout au long de
l’épreuve. Proposer de « donner un nom » aux « personnages » peut dans
certains cas contribuer à animer les images. Mais si l’enfant n’a pas en
lui-même cette capacité d’animation, les artifices de la consigne s’avère-
ront rapidement inefficaces.

113
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Certains enfants acceptent la passation si elle est présentée comme un


« jeu », d’autres au contraire, voulant être pris très au sérieux, préfèrent
qu’on leur parle d’un « travail » ; d’autres encore n’admettent de raconter
que dans une situation de stricte réciprocité où le clinicien ébauche un
récit afin de donner quelques impulsions initiales, puis l’enfant le termi-
ne. Commencer par exemple par « raconte il était une fois » est une invi-
tation à recourir au fictif qui peut être utile pour des enfants inhibés. À
l’inverse, introduire le verbe « voir » dans la consigne : « raconte une his-
toire avec ce que tu vois », peut dans certains cas pondérer à bon escient
un enthousiasme exubérant.

Interventions en cours de passation


Pour les petits de 3 à 5 et même 6 ans, les interventions du clinicien
font quasiment partie du matériel, la passation se déroulant parfois sous
forme de dialogue et d’échange, ou en tout cas dans une grande proximi-
té adulte/enfant. Ces interventions peuvent être de diverses sortes : des
encouragements, des relances comme : « Et alors ? » « Et après ? »
« Oui, raconte », « Qu’est-ce qui arrive ? »… ou des questions :
« Pourquoi ? »… Certaines questions peuvent avoir pour fonction de
faire émerger des affects dans des descriptions qui en sont dépourvues,
permettant à partir de là de rétablir un lien avec la représentation et de
réamorcer un récit : « Il est gentil le lion ? » « Il a pas peur le petit
singe ? »… Il s’agit là de suggestions que le clinicien s’autorise ou non à
émettre s’il apparaît que ses interventions ont une utilité pour l’enfant : si
l’inhibition par exemple donne à l’enfant un sentiment d’échec et
d’incompétence, le clinicien peut estimer nécessaire d’intervenir pour
favoriser un autre mode de fonctionnement. Cette attitude est distincte de
celle qui conduit l’adulte à enrichir ses propres informations au nom du
savoir, mais la limite avec l’intrusion n’est pas toujours aisée à établir. La
nature et le dosage des interventions repose sur l’analyse constante des
réactions contre-transférentielles. D’autres interventions peuvent avoir
pour but inverse de recentrer sur le matériel des récits confabulés afin de
limiter l’excitation si elle est source d’angoisse. Dans d’autres cas encore,
il s’agira de tester l’adaptation au percept et à la réalité du matériel mani-
feste : « Et là tu vois quoi ? »
Chez les enfants de 6 à 8 ans (et plus), il vaut mieux limiter les inter-
ventions à quelques mimiques ou à de simples manifestations du caractè-
re phatique de la communication : « Oui », « Ah oui », « Ah bon »… qui
n’ont d’autres buts que de signaler la présence et l’intérêt soutenu du cli-
nicien. Si des confusions apparaissent dans le langage, il est préférable

114
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

de ne pas tenter de clarifier ni de modifier le discours en voulant rendre


cartésien ce qui se joue dans un autre registre. Les suggestions sont plutôt
à éviter.

L’épreuve des choix


L’épreuve des choix après la passation est une technique peu habituelle
au CAT1. Il arrive cependant d’y recourir auprès d’enfants inhibés ou
insatisfaits d’avoir fourni une production jugée par eux insuffisante.
L’enfant est invité à regarder les dix planches disposées (dans l’ordre de
la passation) devant lui et à choisir celle(s) qu’il « préfère » ou qu’il
« aime le moins ». La formulation « la plus belle », « la plus méchante »,
peut susciter une implication personnelle et affective jusque là retenue.
Rien ne s’oppose non plus à effectuer un repérage des images parentales :
« montre-moi l’image qui pourrait représenter un papa », « une maman »…
L’épreuve des choix permet aussi à certains enfants sensibles à cette pro-
blématique d’établir une transition avant la séparation.

La relation enfant/clinicien

L’aire transitionnelle définie par la situation CAT a ceci de particulier


qu’elle se fonde sur un échange essentiellement verbal. Le corps n’est en
principe pas engagé dans la relation enfant/clinicien au CAT. En principe
seulement, car la réalité clinique de la petite enfance en décide parfois
autrement et il arrive que la passation se déroule verbalement mais dans
une grande proximité corporelle. Les rapports spatiaux se traduisent
néanmoins le plus souvent par la distanciation du langage et par l’exerci-
ce des liens grammaticaux à travers la construction des récits. La nécessi-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

té pour le clinicien d’endosser des fonctions maternantes comme l’étaya-


ge et le pare-excitation passe – en principe aussi – par la médiation du
langage et par une présence plus symbolique que physique. De même,
l’éventuelle stimulation des pulsions épistémophiliques se limite à des
inductions verbales.
Ainsi le recours, chez l’enfant et/ou chez le clinicien, à des modalités
corporelles et agies renvoie-t-il régulièrement aux défaillances de la fonc-
tion symbolique et à la difficulté de maintenir la relation dans l’aire tran-
sitionnelle. La communication verbale détermine en elle-même une

1. Couramment utilisée sous cette forme au Rorschach.

115
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

médiation entre l’espace psychique de l’enfant et celui du clinicien. La


qualité de cette médiation tient cependant aux particularités des deux par-
tenaires : elle dépend, d’une part, de l’aptitude de l’enfant à transformer
en mots les motions pulsionnelles ; elle résulte, d’autre part, de la maniè-
re dont le clinicien se situe dans cette aire spécifique et de sa capacité à
osciller entre l’étayage et la stimulation. Si ce dernier maintient une dis-
tance stricte, il a de fortes chances de recueillir un protocole restrictif au
bout d’une séance ennuyeuse, surtout s’il s’agit d’enfants inhibés. Très
ou trop intervenant, il risque d’« empiéter » sur l’espace psychique de
l’enfant, soit en se centrant sur ses propres préoccupations, soit en indui-
sant des modalités séductrices. S’il se montre en revanche suffisamment
souple pour que les espaces respectifs se rencontrent sans se confondre,
les conditions peuvent alors être réunies pour favoriser l’expression per-
sonnelle de chacun. Entrer en résonance avec le récit de l’enfant fait
appel à des capacités régressives qui tolèrent l’introduction d’affects et
une ouverture au langage du processus primaire et du principe de plaisir.
Mais en même temps, le clinicien se doit de rester vigilant afin de tout
noter et de mettre en œuvre ses propres liaisons entre les représentations
conscientes qu’il se forge et l’affleurement des apports préconscients sur
lesquels se fonde l’intuition.
La difficulté pour orthographier certains mots ou groupes de mots relè-
ve d’une écoute polysémique et de ses prolongements par delà la relation
installée : le clinicien est amené à revenir « après coup » sur les diverses
écritures possibles afin d’en intégrer le sens dans le contexte du récit.
Admettre par exemple des néologismes hors du champ lexical relève
d’une opération préconsciente ; c’est la même disposition qui donne du
reste accès à la fonction poétique, et aussi pathologique, du langage.
L’écoute, en revanche, de récits construits dans les règles académiques
fait appel aux constructions conscientes, mais il est fort heureusement
exceptionnel que de jeunes enfants s’expriment de la sorte. L’aire de
communication réservée au récit et à son écoute se définit plutôt par des
oscillations constantes entre la mobilisation des processus conscients,
préconscients et aussi inconscients de l’enfant et du clinicien.
Nous avons évoqué aussi le double jeu de rôles que la situation spéci-
fique du CAT propose à l’enfant : le jeu qui consiste à animer les « per-
sonnages » des planches et celui qui, dans la relation, conduit d’une cer-
taine manière à prendre la place de l’adulte. Cette possibilité est égale-
ment tributaire de la souplesse dont dispose le clinicien pour favoriser ces
glissements de rôles, voire ces inversions. Si son propre fonctionnement
lui interdit de se placer momentanément dans une position infantile ou
passive, il ne pourra pas supporter que l’enfant joue à prendre une posi-

116
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION

tion dominante en lui dictant par exemple ses conduites. Ses interven-
tions iront alors dans le sens d’un rétablissement des rôles plus proches
des hiérarchies conventionnelles, à l’encontre du déploiement d’une dis-
tribution plus diversifiée. Si l’adulte se complaît au contraire dans des
positions infantiles, l’enfant risque de se heurter aux défaillances du
pare-excitation et de se trouver entraîné hors des limites de sa propre
création. La passation d’épreuves projectives auprès de jeunes enfants
interroge toujours la part du fonctionnement infantile de l’adulte dans
laquelle il s’autorise, ou non, à puiser afin de faciliter l’interaction entre
des espaces psychiques distincts. Le cadre de l’examen, l’énoncé de la
consigne, les interventions en cours et après passation sont des représen-
tants du système de représentations que le clinicien se construit sur son
propre rôle de praticien et d’adulte.

117
6. LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

6.1. Fondements théoriques et méthodologiques

Louis Corman

Les aventures de Pattenoire, en abrégé « test P » ou « PN », ont été éla-


borées entre 1959 et 1961 par L. Corman1 afin d’explorer « les conflits
profonds de l’âme enfantine ». Les fondements psychanalytiques de
l’épreuve, la méthodologie, et de nombreuses illustrations cliniques sont
réunis dans trois ouvrages (1961, 1972, 1976), auxquels s’ajoutent plu-
sieurs articles parus dans des revues françaises.
Partant du constat de Bellak, suivant lequel les enfants s’identifient
aisément à des animaux, L. Corman s’inspire du « Blacky Pictures Test »
de G.S. Blum (1950) pour présenter l’histoire d’un seul animal et de sa
famille, contrairement au CAT où des animaux différents sont mis en
scène à chaque planche. Mais Pattenoire n’est plus un chien comme
Blacky : PN est un cochon. La connotation anale de cet animal n’a pas
manqué d’alimenter les critiques, principalement des détracteurs de la
psychanalyse, critique en fait peu justifiée quand on voit avec quel plaisir
les enfants accueillent régulièrement ce matériel.

1. Louis Corman, psychiatre à Nantes où le PN a vu le jour, s’est intéressé à d’autres


« tests » comme le « test de l’âge d’or », le « gribouillis », le « dessin de famille », et
aussi à des investigations d’orientation caractérologique et à la morphopsychologie.

118
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

119
Hésitation
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Faut-il du reste rappeler que l’empire Walt Disney s’est bâti sur le succès
des Trois petits cochons1 ? Le cochon s’avère aussi un animal de prédilec-
tion dans les psychodrames d’enfants. Mais l’utilisateur gêné par ce
choix a toujours la possibilité de se reporter à la version « PN-moutons »
destinée aux enfants de confession israëlite ou musulmane.
Le « Test PN », comme le « Blacky Pictures », s’appuie sur la théorie
des stades et des sous-stades du développement libidinal. L. Corman se
démarque toutefois de la conception chronologique de Blum : loin
d’essayer comme lui de faire revivre la succession théorique des stades
par la succession des planches, il préconise une technique originale de
libre choix afin de rendre compte de la complexité non linéaire des
rythmes individuels.
La référence à la conception freudienne de l’appareil psychique est
relativement classique, à ceci près que « das Es » de la deuxième topique
est traduit par « le Soi »2, ce qui peut entraîner une confusion avec
l’usage contemporain de ce terme dans la clinique du narcissisme.
L. Corman privilégie largement l’axe dynamique en mettant en avant
l’exploration des « tendances inconscientes » par le biais des mécanismes
de défense et en plaçant l’axe œdipien au cœur de la structuration du psy-
chisme (1972). Il accorde en outre une importance toute particulière à la
dimension économique (1976) en soulignant le rôle déterminant des
investissements objectaux. Le terme « investissement » reçoit une défini-
tion très large, liée tantôt aux pulsions partielles, tantôt à la présence de
modalités défensives issues des idéaux du moi. Transposé à la situation
thématique, l’investissement, selon l’auteur, permet de camper le « héros
central » d’une histoire auquel l’enfant est censé s’identifier.
En dépit de son inspiration américaine, le PN, à notre connaissance, n’a
jamais refranchi l’océan. Il reste avant tout un produit localement inséré
dans la pratique clinique et connaît peu de développements.
Parmi les publications françaises, la « notice d’utilisation » proposée
par M.-C. Costes (1981) est une tentative de récapitulation thématique
fidèle à la conception de l’auteur. Nous retiendrons pour notre propre
réflexion l’analyse approfondie fournie par C. Chabert (1982, D. Anzieu,
C. Chabert, 1983). Ce travail présente les caractéristiques objectives du
matériel manifeste et nuance la position de L. Corman en soulignant les
différentes implications latentes.

1. Walt Disney et Bert Gillet, 1933, Tree Little Pigs, USA.


2. Corman L., 1961, p. 13-16.

120
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

En Europe, des collègues catalans intéressés par le PN depuis plusieurs


années (J. Bachs Icomas, 1985) ont annoncé, lors du 13e Congrès interna-
tional du Rorschach et des méthodes projectives, « un projet de standar-
disation » des données afin de faciliter l’interprétation et l’application. À
côté de ces recherches espagnoles très actives, des traces existent en
Italie, notamment à Padoue, de l’intérêt porté aux travaux français (A.
Comunian, 1984), ainsi qu’à Graz (Autriche) où S. Schrofl a importé le
PN dès 1977.

La situation PN

Dans la mesure où le PN engage un processus narratif à partir d’images


statiques, la situation est comparable à celle du CAT ou du TAT, mais la
spécificité, ici, tient aux modalités de passation : au lieu de se voir impo-
ser un ordre précis de présentation, c’est l’enfant qui le détermine à sa
guise.

Acte moteur et verbalisation


La grande différence avec les autres thématiques réside dans l’acte
moteur qui préside aux choix : l’enfant est en effet amené à sélectionner,
à classer, à disposer les planches devant lui. Il peut en prendre, en repo-
ser, ou même n’en choisir aucune. Ses hésitations se visualisent sous
cette forme comportementale directe. De même les rapprochements ou
les isolements effectués entre les planches sont matérialisés par les mani-
pulations spatiales, qui, chez les jeunes enfants et les enfants instables,
peuvent devenir un but prioritaire. Manipuler tout en racontant suppose
au demeurant une activité psychique complexe, permettant de réguler
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

l’équilibre entre les investissements corporels et symboliques.

L’injonction paradoxale : mobilisation défensive


et appel à l’affect
La situation PN fait appel à une double dimension apparemment
contradictoire, puisque choisir, c’est en même temps opérer une sélection
consciente et obéir au principe de plaisir mû par les impératifs incons-
cients. L’enfant choisit de raconter ou de ne pas raconter en fonction de
ce qu’il est loisible de dire ou de ne pas dire. En ce sens, on peut dire que
la règle de cette épreuve s’inscrit diamétralement à l’opposé de la règle
analytique qui est de dire « tout » ce qui vient à l’esprit, sans sélection.

121
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Mais choisir, surtout chez l’enfant, fait aussi prioritairement appel à


l’affect. Or le quantum d’affect1, pour autant qu’il représente la pulsion,
peut subir un destin différent de celui de la représentation (Freud S.,
1915). Il peut, comme le rappelle A. Green (1973), faire l’objet d’une
répression pulsionnelle, s’exprimer sous la forme qualitative de l’affect
ou se transposer en angoisse. Le texte de Freud (1923) confirme bien
l’existence d’affects inconscients et insiste sur le fait que leur verbalisa-
tion n’implique pas nécessairement une relation au langage, même s’il y
a passage par le langage. Le langage n’est jamais qu’une voie parmi
d’autres, non indispensable. C’est précisément ce qui distingue l’affect
du contenu représentatif. Pour que le quantum d’affect puisse revêtir une
dimension qualitative acceptable et s’écouler sans surcharge d’excitation
par la médiation d’un récit construit, il faut qu’une liaison s’établisse
entre affect et représentation, liaison que le psychisme encore immature
ou souffrant n’est pas toujours capable d’opérer.

Sous le signe du lien


Raconter les aventures d’un même sujet et de son entourage, à travers
une série d’images discontinues, équivaut à établir un minimum de conti-
nuité signant une permanence identitaire élémentaire. L’épreuve met
ainsi en jeu non seulement le lien entre affect et représentations, mais la
capacité de lier les représentations entre elles, à partir d’un fil conducteur
fantasmatique. Si cette capacité existe, l’histoire obéit à un déroulement
séquentiel plus ou moins limpide, plus ou moins marqué par le poids des
mouvements pulsionnels et défensifs. Sinon, et c’est le cas chez les
petits, les récits se juxtaposent sans succession réellement repérable.

Analyse du matériel : contenus manifestes


et sollicitations latentes

Outre le « Frontispice » présentant PN et sa famille et « Fée » qui


conclut l’épreuve, le PN se compose de 17 dessins (format 13/18) dési-
gnés par un titre et par un numéro d’ordre alphabétique pour faciliter le
repérage du clinicien. Le matériel est totalement figuratif, sans zone

1. « Facteur quantitatif postulé comme substrat de l’affect vécu subjectivement pour


désigner ce qui est invariant dans les diverses modifications de celui-ci : déplacement,
détachement de la représentation, transformations qualitatives » (Laplanche J. et Pontalis
J.-B., 1967, p. 386).

122
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

d’ombre ni d’imprécision, tracé en noir sur fond blanc (15 planches) ou


en blanc sur fond noir (2 planches), imprimant une assez grande prégnan-
ce thématique.
L’analyse de chaque planche comportera :
– le contenu manifeste décrit par C. Chabert (CC), choisi pour sa neutra-
lité, en précisant les détails fréquents (D) et secondaires (Dd) ;
– le contenu latent, en rappelant les « thèmes » explorés par L. Corman
(LC) et la formulation de C. Chabert (CC), avant d’ouvrir la discussion
sur les différents registres de conflictualisation réactivés1 eu égard, res-
pectivement :
a. aux fondemenent de l’identité ;
b. à l’élaboration de la position déprtessive ;
c. à la mise en place de l’axe œdipien.

Comme dans toute épreuve thématique, chaque planche est à même de


réactiver plusieurs registres conflictuels chez le même enfant.

1. Auge
Contenu manifeste : « La scène se passe à l’intérieur. Au premier plan,
PN urine dans la plus grande des deux auges. Au second plan, les deux
gros cochons et les deux petits cochons sont couchés, de part et d’autre
d’une barrière » (CC).
D : palissade de planches à l’arrière-plan – barrière entre les gros et les
petits cochons.
Dd : litière des cochons couchés – ouverture de la palissade, à gauche.
Contenu latent : « Thème de sadisme urétral » (LC). – « La planche peut
renvoyer à l’expression de l’agressivité envers les images parentales »
(CC).

Le maniement de l’agressivité s’impose, abordée ou évitée, au besoin


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

au moyen du « scotome » du jet d’urine. Très attractif pour la plupart des


enfants, ce dessin peut réactiver des problématiques diverses.
a. La délimitation dedans-dehors peut poser problème, la palissade
et/ou la barrière étant perçues comme disjointes, impropres à fournir un
contenant fiable : « Le mur est cassé », « La barrière est cassée. »
b. L’accent est mis sur la consistance ou sur la précarité des supports :
« Çui-là il a pas de paille. » L’agressivité s’exprime dans un contexte de
revendication orale : « Plus de manger », ou de destructivité anale sus-
ceptible d’entraîner la perte de l’objet.

1. Cf note 3 page 95.

123
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

c. Les prémices phalliques de l’axe œdipien donnent lieu, chez les filles
et les garçons, aux mêmes variantes du thème banal, ce qui confirme la
non-sexuation de cette étape maturative. En période de latence, les désirs
agressifs sont en général sanctionnés par l’autorité parentale, si le surmoi
est intériorisé.

2. Baiser
Contenu manifeste : « Au premier plan, rapproché des deux gros
cochons. Au deuxième plan, un des petits cochons derrière une murette »
(CC).
D : mamelles du gros cochon à patte noire.
Dd : paysage, herbe, arbres, fleurs au premier plan.
Contenu latent : « Thème œdipien » (LC). – « Peut renvoyer à une pro-
blématique de type œdipien » (CC).

Structurante ou non, la problématique œdipienne est en effet difficile-


ment contournable, que ce soit dans sa dimension libidinale, prépondé-
rante, ou dans sa résonance agressive (dispute). Cette problématique sup-
pose toutefois le repérage des identités et l’accès à la différence des
sexes, ce qui, malgré les caractéristiques bien apparentes, n’est pas tou-
jours perçu. Les images parentales peuvent être inversées.
a. Les deux gros cochons ne sont pas différenciés l’un de l’autre, ni dif-
férenciés du petit cochon, à travers une confusion des générations et une
individuation mal dégagée : « Des cochons pareils », « Des jumeaux »
(Georges, 11 ans).
b. La relation s’exprime en terme d’étayage mutuel pouvant du reste
traduire une précarité identitaire « Ils se tiennent debout pour pas tomber
[?] ils ont trop bu » (Frédéric, 9 ans et 7 mois).
c. Le repérage de la différence anatomique des sexes conditionne les
choix identificatoires en termes d’Œdipe positif ou négatif : « Il était une
fois PN. Il a grandi comme sa maman. Il était très content, il commandait
à sa maman. Ils allaient au mariage, se marier, après ils voyaient un loup
[…] » (Nathalie, 6 ans). La qualité de l’affect rattaché à la représentation
(plaisir, fête, dégoût…) peut également s’avérer significative des choix
opérés.

3. Bataille
Contenu manifeste : « PN et un des petits blancs se mordent. Le troisième
cochon s’écarte. Au deuxième plan le couple des gros cochons » (CC).
Dd : barrières à l’arrière-plan.

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© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

125
Baiser
LE CAT : THÉORIE ET UTILISATION
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Contenu latent : « Thème sadique oral de rivalité fraternelle » (LC). –


« Peut renvoyer à l’agressivité et aux sentiments de culpabilité qui y sont
liés » (CC).

L’agressivité orale est donnée au plan manifeste ; elle s’exprime géné-


ralement, soit sur un mode ludique et banalisé, soit sous forme de désirs
répréhensibles.
a. La quête de permanence de l’objet peut se trouver ébranlée par les
sollicitations agressives, ce qui entraîne une surcharge de fantasmes des-
tructifs à travers lesquels se confondent les espaces individuels. Mais,
comme le montre une étude auprès d’enfants gravement maltraités (J. des
Ligneris et al., 1990), la figuration du contact corporel, fût-il agressif,
peut paradoxalement assurer un lien par ailleurs menacé.
b. La même étude montre comment certains enfants en quête, eux, de
support et de délimitation fermes, s’accrochent aux représentations
d’actes agressifs qui s’enchaînent sur un mode circulaire. L’exemple
donné est « La fille mord la patte du garçon qui mord l’oreille de la fille ».
La spirale agressive tient dans ces cas lieu de contenant.
c. L’agressivité peut s’insérer dans un contexte de rivalité ; son expres-
sion crue fait l’objet d’un mouvement de refoulement si les interdits sont
suffisamment intériorisés : « La maman leur dit : arrêtez, arrêtez de vous
battre et lui il mord la patte. Après la maman va les gronder, c’est pas
beau hein de se battre ? » (Arielle, 5 ans et 5 mois).

4. Charrette
Contenu manifeste : « PN allongé dans la paille. Dans la bulle, un homme
place un petit cochon dans la charrette. Deux gros cochons et deux petits
cochons regardent la scène » (CC).
D : autres cochons dans la charrette.
Dd : les contrastes noir et blanc, couleur noire sous PN, petits cercles
dans la bulle.
Contenu latent : « Thème sadique avec souvent retournement punitif
contre soi » (LC). – « Peut renvoyer à l’angoisse de séparation et/ou à
l’agressivité dans les relations familiales » (CC).

La planche est fortement chargée d’éléments dramatiques que l’enfant


peut traiter, suivant ses possibilités, sur le mode de la réalité ou de la fic-
tion.
a. La pluralité des protagonistes accentue les difficultés de différencia-
tion et de repérage, traduites par les confusions verbales : « ils », « y »,
« l’a ». Repère animal et repère humain peuvent se confondre.

126
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

Charrette

127
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

b. L’évocation de la séparation, suggérée par le matériel, trop anxiogè-


ne, peut ne pas être reconnue par le biais du déni : « Aline, PN et Patrick
ils dorment. Il[s] les met dans le carrosse doré. C’est Patrick qui dort
dans le lit » (Patrick, 7 ans). Chez d’autres enfants, l’hypersensibilité au
noir, pris comme un élément de réalité externe surinvestie, peut traduire
un équivalent d’affect dépressif : « Il dort, sa couverture elle est noire »
(Christophe, 7 ans et 8 mois). Cette planche peut aussi favoriser des
représentations dépressives massives : « Celui-là est tombé dans la paille
et il est mort » (Michel, 6 ans et 3 mois).
c. La scène agressive s’insère dans un contexte de rivalité œdipienne
et/ou de désirs sanctionnés : « Le grand-père il l’a puni parce qu’il fait
tout le temps des bêtises [« C’est quoi ces bêtises ? »] Il embête ses
frères, tout le temps, il s’amuse […] » (Romain, 5 ans). La planche peut
aussi exacerber l’hostilité envers le parent exclu du choix œdipien : « Là
ils emmènent la maman, pour la vendre, pour la manger. [« Tristes ? »]
Non, comme ça ils sont bien tranquilles, ils aiment pas sa maman parce
que tout le temps elle les gronde » (Françoise, 8 ans).

5. Chèvre
Contenu manifeste : « PN tête une chèvre » (CC).
Dd : regard de la chèvre, coloration noire et blanche de sa robe.
Contenu latent : « Thème de la mère d’adoption ou de remplacement »
(LC). – « Peut renvoyer à la relation à un substitut maternel » (CC).

La situation peut paraître insolite en ce sens qu’il s’agit d’une relation


de nourrissage entre des animaux d’espèces différentes.
a. Cette différence peut cependant ne pas être perçue en dépit de toute
vraisemblance transgénérationnelle : « Elle boit sa maman » (Annie,
6 ans et 3 mois), ou occasionner un surcroît de confusion : « Il tète la
chèvre parce qu’il y a des tétines. C’est son papa, il tète en dessous, c’est
un papa chèvre, un, parce que ça tète » (Émilie, 7 ans et 4 mois).
b. La planche peut réactiver un vécu d’abandon et de perte, le refuge
auprès de la chèvre étant en ce cas aléatoire sinon annonciateur d’un nou-
vel abandon par le duplicata d’une image maternelle hostile : « Elle lui
fout des coups de cornes, elle lui dit va t’en ! tu vas t’en aller ! eh ben il
part, il va se coucher sans manger […] » (Christophe, 7 ans et 8 mois).
c. Dans un contexte labile, la planche fournit l’occasion de bâtir un
roman familial proche de l’univers des méchantes marâtres des contes
enfantins. Abandon, substituts et retrouvailles s’y succèdent sur un mode
volontiers dramatisé. L’érotisation du rapproché corporel, insolite, ali-

128
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

mente des théories qui ne le sont pas moins : « Il tète la chèvre, après…
elle… elle a des chevaux, comment on dit, des chevreaux ? » (Marine,
6 ans).

6. Départ
Contenu manifeste : « Un petit cochon sur une route dans la campagne »
(CC).
D : arbres, montagnes au loin.
Dd : fleurs, cailloux au bord de la route, dominante blanche, neige sur le
sommet.
Contenu latent : « Thème de départ » (LC). – « Peut renvoyer à la rela-
tion de dépendance et à l’angoisse de séparation » (CC).

Il s’agit d’une des deux planches (avec « Trou ») où l’on voit un


cochon seul ; elle évoque de ce fait une situation de solitude, choisie ou
imposée, dans un contexte conflictuel ou non.
a. Dans la mesure où n’y figure qu’un seul animal, cette planche ne
pose pas de problème de repérage majeur et peut, pour cette raison, avoir
un effet structurant chez des enfants présentant par ailleurs des difficultés
identitaires.
b. L’absence de protagonistes peut être péniblement ressentie, donnant
lieu à une quête d’objet d’étayage. Dans certains contextes, cette quête
n’est pas représentable et laisse pour seuls témoins une hyperréactivité
sensorielle au blanc ou à la partie minérale du paysage (neige,
cailloux…), en guise de vécu carentiel.
c. Le récit peut s’inscrire dans une dialectique de dépendance/indépen-
dance par rapport à une imago maternelle, objet de désir et d’interdit. La
solitude, exprimable, fait explicitement référence à des représentations de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

relation (parents, frères, sœurs, amis…), et aux sanctions du choix œdi-


pien.

7. Hésitation
Contenu manifeste : « À gauche le gros cochon à tache noire allaite un
des petits blancs. À droite le gros blanc et un petit blanc boivent dans
l’auge. PN est au milieu » (CC).
D : le corps de PN est tourné vers le gros cochon à patte noire tandis que
sa tête est tournée vers le gros cochon blanc.
Contenu latent : « Thème d’ambivalence ou de rivalité fraternelle ou
d’exclusion » (LC). – « Peut renvoyer au conflit entre régression et matu-
ration dans le contexte de choix d’objet privilégié » (CC).

129
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

a. La disposition symétrique du rapproché des grands et petits cochons


de part et d’autre de PN accentue les différences de génération et de sexe
si l’enfant est en mesure de les percevoir. Mais c’est le rapproché lui-
même qui peut devenir source de confusion dedans/dehors : « Le bébé du
la maman et l’autre y boude. Il a envie de boire dans la maman »
(Violette, 7 ans et 10 mois).
b. La planche se prête particulièrement à l’expression d’un vécu
d’exclusion par rapport à l’objet deux fois confisqué. La reconnaissance
pénible de cette exclusion peut faire l’objet d’une maîtrise voulant signer
l’invulnérabilité : « Il a pas pas soif. » L’atteinte dépressive peut au
contraire s’exprimer par un sentiment de dénuement d’autant plus intense
qu’il ne peut se mettre en scène sous forme dramatisée : « Y’a plus rien,
y a pas d’histoire à raconter » (planche non aimée, Sébastien, 11 ans).
c. Choisir entre téter sa mère ou se nourrir comme le père, avec lui, n’a
pas la même valence pour les filles et pour les garçons suivant que cette
situation implique ou non un renoncement au premier objet et une
démarche identificatoire. La rivalité dans la fratrie relève de la jalousie1 :
« Là c’est PN qui est jaloux parce qu’il boit de l’eau et y voit le petit
boire » (Gérard, 8 ans et 5 mois).

8. Jars
Contenu manifeste : « À gauche, un jars attrape la queue d’un petit
cochon. À droite, un autre petit cochon, à demi caché derrière une mu-
rette » (CC).
D : ailes déployées du jars, larme du cochon attrapé.
Dd : barrière à l’arrière-plan, fleurs.
Contenu latent : « Thème sadique avec retournement punitif contre soi,
ou de castration » (LC). – « Peut renvoyer à une relation d’agressivité
versus castration » (CC).

La prégnance du contenu manifeste évoque de toute évidence une


interrelation agressive, côté actif ou côté subi, où le rapproché corporel
est très marqué.
a. L’agressivité peut être synonyme de destructivité orale, véhiculant
des angoisses massives d’anéantissement par un persécuteur plus ou
moins bien identifié, unique ou multiple. La sollicitation de la planche
peut aussi faire l’objet d’un déni massif passant par une altération per-
ceptive : « Lui attrape un poisson » (Violette, 7 ans et 10 mois).

1. Cf. planche 1 du CAT.

130
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

b. La planche se prête peu à un récit non interactif. L’agressivité peut


paradoxalement servir de support relationnel (comme bataille) dans des
contextes particulièrement défaillants à ce niveau.
c. L’évocation de la castration s’impose devant cette planche si l’enfant
n’est pas désorganisé par l’impact de l’agressivité. Garçons et filles du
reste y sont aussi sensibles, la variante résidant le plus souvent dans le
sexe de l’oiseau (oie, canard, oiseau indéterminé…). La scène peut sur-
venir dans un contexte de punition faisant référence à l’intériorisation du
surmoi.

9. Jeux sales

Contenu manifeste : « Près d’un tas de fumier, deux petits cochons


s’ébattent dans de l’eau sale. Un d’eux en projette sur la figure d’un gros
cochon. Le troisième petit cochon est en dehors » (CC).
D : un petit cochon pattes en l’air.
Dd : la couleur noire.

La répartition de la couleur noire sur la planche rend très indistinct le


repérage de PN et des autres petits cochons.

Contenu latent : « Thème sadique anal » (LC). – « Peut renvoyer à


l’agressivité vis-à-vis d’une image parentale dans un contexte chargé
d’analité » (CC).

a. La précarité des repérages identitaires (petits/ gros) peut être accen-


tuée par l’indistinction des cochons. Si l’eau (sale) n’est pas perçue
comme un élément externe, l’apparente modification des cochons peut
engendrer une déstabilisation du schéma corporel ou une atteinte de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

l’intégrité.
b. La connotation anale n’est pas sans engendrer parfois le vécu
dépressif du risque de perdre l’objet, soit du fait des attaques dirigées
contre lui, soit en raison de la réactivation d’un holding défectueux : « La
maman l’a fait tomber le bébé, l’a glissé par terre, pourquoi l’a de l’eau »
(Henri, 5 ans).
c. L’agressivité à l’égard d’une image parentale met en œuvre l’intério-
risation des interdits sous la forme de sanctions explicites : « Vous allez
avoir une fessée ! », ou par recours à la formation réactionnelle par
l’intermédiaire du cochon resté à l’écart. La sexuation du gros cochon
agressé peut refléter l’orientation du choix œdipien.

131
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

10. Nuit
Contenu manifeste : « Scène à l’intérieur : une étable, éclairée par la lune,
divisée en deux par une cloison de planches. D’un côté, deux gros
cochons l’un près de l’autre. De l’autre côté, deux petits cochons couchés
et un troisième debout contre la cloison » (CC).
D : dessin blanc sur fond noir (seule la silhouette du petit cochon debout
est entièrement distincte, on ne voit que le haut du corps des deux gros
cochons).
Dd : cadre autour de la lune, cloison ouverte à gauche et à droite.
Contenu latent : « Thème œdipien, avec voyeurisme de la chambre des
parents » (LC). – « Peut renvoyer à la curiosité sexuelle et aux fantasmes
de scène primitive » (CC).

Cette planche est un peu l’équivalent des planches 5 et 6 du CAT, mais le


dessin du PN est on ne peut plus explicite. Et pourtant, là comme ailleurs, la
curiosité à l’égard de la sexualité du couple parental ne peut être évoquée
(directement ou indirectement) que si l’enfant a accès à cette problématique.
a. Peuvent être interrogées ici la valeur structurante du cadre, pour
autant qu’il délimite le dedans et le dehors, et l’efficacité du rôle de pare-
excitation figuré par la barrière ; deux repères essentiels sans lesquels les
univers respectifs viennent à se télescoper.
b. Séparation et exclusion peuvent être prioritairement réactivées en réfé-
rence, non pas au couple œdipien, mais à une image maternelle associée à
un vécu oral carentiel : « Là il appelle, parce que sa maman elle est partie
dans une autre maison où qui n’y avait plus à manger » (Malek, 7 ans).
c. Les sollicitations œdipiennes peuvent se lire à plusieurs niveaux
(explicite et/ou défensif) : curiosité sexuelle et exclusion s’expriment par
rapport au couple parental plus ou moins bien différencié. L’orientation
du choix d’objet peut aussi se dessiner : « C’est la nuit, ils ont peur de la
nuit. PN veut dire bonsoir à son papa pour s’endormir » (Denis, 6 ans).

11. Portée
Contenu manifeste : « Trois nouveau-nés tètent la truie qui elle-même
lape le contenu de l’auge remplie par un des fermiers. Au fond, un autre
fermier tenant de la paille. Au premier plan, derrière une barrière, trois
petits cochons, PN au milieu » (CC).
Dd : en noir, barrière discontinue ; muret.
Contenu latent : « Thème de naissance et de rivalité fraternelle » (LC). –
« Peut renvoyer à la naissance et aux relations précoces à l’image mater-
nelle, éventuellement dans un contexte de rivalité fraternelle » (CC).

132
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

Comme dans « Charrette », des personnages humains sont manifeste-


ment mêlés à la famille cochons, agrandie de trois nouveaux cochons.
L’accent peut être mis sur l’oralité et/ou la sexualité.
a. Comme dans « Charrette » aussi, la multiplicité des protagonistes est
en elle-même source de déstabilisation lorsque les repères grand/petit,
humain/animal ne sont pas clairement en place. L’aire formée par la bar-
rière et le muret n’est pas délimitée, entraînant une confusion entre ce qui
se passe là et à l’extérieur. La sexualisation des personnages peut, elle
aussi, être confuse : « La dame », « La maman ».
b. Devant la réactivation de la dimension de frustration orale, le surin-
vestissement des limites et de la sensorialité peut offrir un aménagement
particulier du vécu dépressif : « Il[s] s’a appuyé là [montre la barrière] et
s’a mis du noir » (Sylvie, 6 ans et 8 mois). La séparation peut aussi être
mise au premier plan.
c. La frustration, particulièrement vive chez les filles, engendre un
mouvement agressif et/ou revendiquant à l’égard de l’image maternelle, à
travers lequel peut se lire une interrogation identificatoire. La centration
sur l’oralité intervient comme un déplacement de ce qui se joue dans la
sphère génitale. La rivalité fraternelle peut se dire plus ou moins ouverte-
ment : « Ils ne veulent pas avoir de frère ni de sœur » (Julie, 9 ans et
8 mois), laissant se superposer le fantasme œdipien proprement dit avec
la nostalgie d’un rapproché exclusif à l’image maternelle.

12 et 13. Rêve mère (et) Rêve père


Contenu manifeste : Il s’agit de deux dessins symétriques : « PN est cou-
ché ; dans la bulle (de « rêve mère ») le gros cochon à tache noire »,
« dans la bulle (de « rêve père ») le gros cochon blanc » (CC).
D : gros cochon tourné vers PN.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Dd : petits cercles de la bulle.


Contenu latent : « Thèmes d’idéal du moi ou d’amour objectal (suivant
qu’il s’agit de l’un ou l’autre sexe) » (LC). – « Renvoie à la relation à
l’image maternelle » dans l’un, à « l’image paternelle » dans l’autre (CC).

Ces deux planches mettent en jeu la capacité de différencier les sexes et


les rôles parentaux. La fiction suggérée par la bulle n’est pas reconnue
par les petits.
a. La scène se situe en deçà de toute différenciation : « C’est deux
cochons et ça c’est quand tu souffles le savon, ça fait pareil, regarde
[montre les petites bulles] » (Olivier, 4 ans et 4 mois). Ou bien il peut
s’agir de confusion générationnelle.

133
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

b. Les planches sont traitées sur un mode de dépendance duelle doulou-


reuse. L’accrochage au percept enserre les cochons dans des espaces dis-
tincts non communicants : « La maman [montre « rêve père »] ils l’ont
mis dans un champ et alors PN il l’a plus vue » (Sébastien, 11 ans).
c. L’inversion des rôles parentaux est plutôt courante chez les petits
(thème du père nourricier) avant la mise en place des projets identifica-
toires : « rêve d’être comme son papa », « comme sa maman ». Les
planches peuvent être perçues comme un rapproché privilégié avec le
parent de même sexe ou de sexe opposé.

14 et 15. Tétée 1 (et) Tétée 2


Contenu manifeste : « PN tète le gros cochon à patte noire » dans l’un des
dessins. Dans l’autre : même scène et « deux autres petits cochons au
deuxième plan » (CC).
D : tête du gros cochon tournée vers PN.
Dd : herbe, cailloux au sol, ligne d’horizon.
Contenu latent : « Thème oral » dans l’un des dessins, « thème oral avec
rivalité fraternelle » dans l’autre (LC). – « Renvoie à un rapproché avec
l’image maternelle dans un contexte de relation privilégiée » (Tétée 1),
« dans un contexte de rivalité fraternelle » (Tétée 2) (CC).

Bien que l’oralité s’impose au premier plan, ces deux planches ren-
voient à un ensemble de relations objectales complexes ou à la difficulté
d’établir des liens stables et structurants.
a. Étant donné le rapproché corporel explicite, ces deux planches sont,
comme « Chèvre » et « Jars » très sensibles aux désorganisations pro-
fondes des liens objectaux. Cela peut se traduire par des altérations per-
ceptives et syntaxiques inattendues vu la simplicité du matériel. « Tétée 1 »
et « Tétée 2 » sont alors peu différenciées, au nom d’une oralité destruc-
trice ; il n’y a que le nombre des agresseurs qui varie : « Les loups y
mangent la chienne, là y a les os de la chienne et après elle crie »
(Georges, 11 ans).
b. La nostalgie d’une relation duelle passe plus par « Tétée 1 » que par
« Tétée 2 » laissée de côté. Et pourtant, bien qu’il n’y ait pas d’obstacle
figuré sur « Tétée 1 », la relation peut ne pas s’établir : « Il cherche à
manger et il trouve pas [« Pourquoi il ne trouve pas »?] Parce qu’il y a
plus rien, sa maman elle est trop vieille » (Christophe, 7 ans et 8 mois).
c. La différenciation entre « Tétée 1 » et « Tétée 2 » ne fait pas de
doute au profit de la première, préférée : « Pas tout à fait pareil. Le petit
bébé PN il suce les mamelles de sa maman. Les autres viennent boire

134
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

aussi, ils courent » (Denis, 6 ans). « Tétée 2 », porteuse de rivalité, ris-


querait de marquer la fin de la situation privilégiée de « Tétée 1 » où sur-
tout les garçons cumulent le premier objet et le choix œdipien.

16. Trou
Contenu manifeste : « Dans la nuit, PN dans un trou d’eau » (CC).
D : dessin blanc sur fond noir, lune.
Dd : herbes hautes et basses, bouche ouverte de PN.
Contenu latent : « Thème de solitude, d’exclusion, de punition » (LC). –
« Peut renvoyer à la crainte de séparation dans un contexte de danger »
(CC).
« Trou » est la deuxième planche, avec « Départ », à présenter un
cochon seul. La planche, noire de surcroît, est propice à l’évocation de la
solitude dans un contexte dépressif et/ou dramatique.
a. L’axe identitaire est en principe peu sollicité par ce dessin suscep-
tible de renvoyer à une représentation unitaire. Dans les faits, si telle est
la problématique, forme et fond, dedans et dehors se confondent. Le
corps, partiellement caché par l’eau, est difficilement rassemblé : « Il
manque la patte. »
b. L’absence de l’objet est au premier plan, dans un contexte anxiogène
dont la valeur affective peut ne pas être reconnue afin de ne pas se
confronter à l’angoisse dépressive : « Il chante, y a plein de jolies fleurs »
(Andrée 7 ans). L’angoisse dépressive est aussi suggérée par le « trou
noir » dans lequel tombe PN.
c. Solitude, abandon et dangers liés à l’extérieur phobogène sont cam-
pés dans un contexte relationnel, par exemple de culpabilité et de puni-
tion pour avoir enfreint l’interdit œdipien. Le noir réactive des peurs pho-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

biques corrélatives des constructions œdipiennes.

17. Courte-échelle
Contenu manifeste : PN debout sur les épaules d’un gros cochon, lui-
même debout contre un arbre. Au dessus, des oisillons dans un nid, sur
une branche.
D : sur une autre branche, un oiseau, un écureuil.
Dd : fleurs au premier plan, rangée d’arbres dans le fond, coloration noire
du tronc.
Contenu latent : Le père et Pattenoire sont présentés dans une « relation
progressive » (LC). – Peut renvoyer à la fonction de holding d’une des
images parentales.

135
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Sensible à l’argument suivant lequel le test PN privilégiait la relation


avec l’image maternelle, L. Corman a rajouté cette planche dans le but de
donner plus d’importance au personnage du père. Mais l’expérience s’est
avérée peu satisfaisante et donne lieu à d’autres recherches actuelles. En
effet, hormis la particularité de se tenir dans un sens vertical, cette
planche offre des sollicitations phalliques plutôt discrètes : le gros
cochon est présenté dans une fonction « phorique » plus traditionnelle-
ment maternelle que paternelle, qui évoque l’ambiguïté d’Abel
Tiffauges1, homme-mère et porte-enfant. La deuxième ambiguïté réside
dans l’éventuel caractère transgressif de la scène, où le parent porte PN
pour qu’il regarde à l’intérieur du nid (niveaux manifeste et symbolique).
a. La superposition des deux cochons fait appel aux capacités d’indivi-
duation et de différenciation ainsi qu’aux possibilités de repérage spatial.
b. L’accent est mis sur la fonction d’étayage, solide ou défectueuse,
« se tenir », « se retenir ». La sensibilité dépressive peut être véhiculée
par l’insistance sur la coloration noire du tronc.
c. L’accès à la problématique œdipienne met au premier plan l’hésita-
tion identificatoire et/ou la curiosité sexuelle. Dans ce contexte, apparte-
nant plutôt à l’Œdipe négatif chez les garçons, le caractère transgressif et
conflictuel du message peut être figuré par l’oiseau qui surveille la scène.

6.2. Modalités d’utilisation

Les indications

Le PN s’adresse aux enfants de 4 à 10 ans. Il connaît un maximum


d’efficacité dès lors que l’enfant, relativement stable sur le plan psycho-
moteur, est capable d’opérer des choix, c’est-à-dire en général à partir de
l’âge de 6 ans. Son administration au-delà de 10 ans dépend de l’accepta-
tion du caractère explicitement régressif du matériel. Auprès d’enfants
jeunes ou immatures, le PN peut présenter l’avantage de faire appel en
clair au langage de l’affect.
Un des atouts de l’épreuve est d’être conçue avec un appareil théo-
rique, ce qui garantit une assez grande homogénéité d’utilisation. Le PN,
comme toute épreuve thématique, permet, par-delà l’approche des

1. Tournier M. (1970), Le roi des aulnes, Paris, Gallimard.

136
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

thèmes surdéterminés par le matériel manifeste, d’explorer le psychisme


conscient et inconscient à travers les mécanismes défensifs révélés par le
langage et par la dynamique même de l’épreuve.
Le PN est un bon instrument d’investigation de l’axe identité-identifi-
cation, dans la mesure où il teste les capacités d’individuation et la mise
en place des repères générationnels, puis sexuels. Il apporte de précieuses
indications sur les choix objectaux, avec la réserve toutefois de privilé-
gier la relation à l’image maternelle. Cette réserve peut, dans certains
cas, se tourner en avantage si les buts fixés sont précisément d’approcher
les aléas des premières relations objectales, auxquelles le matériel est très
sensible. Le PN se donne enfin pour but original d’étudier certains
aspects du narcissisme, notamment l’image de soi, et l’image du corps
exceptionnellement interrogée par une épreuve thématique. L. Corman a
prévu aussi d’explorer les défenses narcissiques comme le retrait, à tra-
vers la dialectique des investissements narcissiques et objectaux.
Un autre avantage, méthodologique, réside dans la passation en plu-
sieurs étapes, offrant des possibilités de comparaison, de confrontation
ou de contre-épreuve par rapport aux informations initiales.
Pratiquement, compte tenu de la longueur de la passation complète,
l’utilisation du PN dépend de la réalité des contraintes temporelles et bud-
gétaires des institutions. Bien que le « test » ait vu le jour en centre médi-
co-psychologique, rares sont aujourd’hui les établissements de ce type où
les psychologues disposent d’un temps suffisant pour proposer ce matériel
sans se priver de la possibilité d’utiliser d’autres épreuves. De ce fait, le
PN est actuellement plus utilisé à l’hôpital ou à l’école qu’en consultation,
plus souvent dans des formes anarchiquement tronquées que dans sa
forme complète. C’est dommage et c’est une des raisons qui nous fera
proposer une passation abrégée, mais fidèle à la démarche de l’auteur.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

La passation selon L. Corman

L’intérêt et l’originalité du test PN résident dans la passation préconi-


sée par son inventeur. Elle comporte cinq étapes dont le déroulement
nécessite 60 à 90 minutes.
Première étape : Le clinicien présente le frontispice sur lequel figurent
PN, deux petits cochons blancs et les deux gros cochons. L’enfant est
invité à repérer PN puis à préciser le sexe et l’âge de chacun ainsi que le
degré de parenté, s’il en voit un. Cette planche reste visible tout au long
de la passation.

137
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Deuxième étape, dite « les thèmes » : Toutes les planches (sauf « Fée »)
sont présentées en paquet dans un ordre quelconque. L’enfant est invité à
les regarder, à choisir celles dont il souhaite raconter l’histoire et à mettre
les autres de côté. Il étale les planches retenues devant lui et raconte les
(ou une) histoires à sa guise, suivant la composition qu’il peut établir. Les
images rejetées restent à sa disposition. Avant de passer à l’étape suivan-
te, le clinicien peut demander à l’enfant s’il souhaite rajouter des images
à celles qu’il vient de raconter.
Troisième étape, « les préférences-identifications » : Toutes les
planches sont à nouveau réunies en un seul paquet et le jeu dit de
« l’image préférée » consiste à faire trier les planches aimées et les
planches non aimées en deux tas.
a. L’enfant étale les images aimées devant lui et les choisit tour à tour
par ordre de préférence, en disant pourquoi il préfère chacune d’elles et
qui il voudrait être sur chaque image.
b. Le clinicien étale devant l’enfant toutes les planches non aimées. Il
lui demande de choisir la moins aimée de toutes puis la suivante et ainsi
de suite, et de dire chaque fois pourquoi il ne l’aime pas et qui il serait
sur l’image.
Quatrième étape, les « questions dirigées » : Il s’agit d’une sorte
d’enquête où l’enfant est invité à voir des percepts patents qu’il aurait
omis, par exemple l’urine dans « Auge » ou la boue dans « Jeux sales ».
Cinquième étape, « questions de synthèse » : Elle consiste à demander
qui est le plus heureux, le moins heureux, le plus gentil, le moins gentil,
la préférence de chacun pour les autres membres de la famille. On
demande enfin qui l’enfant préfère dans toute cette aventure, ce que va
devenir PN et ce que pense PN de sa patte noire. C’est là que survient la
planche « Fée » : on fait dire à la fée qu’elle autorise trois souhaits, à
l’enfant de formuler lesquels.
L. Corman prévoit des possibilités d’intervention en cours de passation
afin d’encourager l’enfant sans toutefois influencer ses choix ou ses
refus. C’est ce qu’il appelle des questions « dynamisantes » du type :
« Oui, raconte », « Explique-moi », etc. Chaque étape s’accompagne
d’une consigne très souple destinée à susciter l’intérêt et à le maintenir
tout au long de l’épreuve. Mais le clinicien est nécessairement amené, en
situation, à introduire les variantes qu’il estime utiles pour s’adapter aux
réactions individuelles.
Malgré la durée, la passation doit s’effectuer en une seule séance afin
de rendre compte de la dynamique créée par les choix et par la succes-

138
LE PN : THÉORIE ET UTILISATION

sion des planches adoptés par l’enfant. Suivant l’âge, la maturité et les
ressources psychiques, les récits pourront s’enchaîner ou non les uns aux
autres, s’harmoniser, se contredire, reflétant par là les trames conflic-
tuelles et les moyens mis en œuvre pour en faciliter ou en entraver
l’expression. La façon dont l’enfant gère et organise la liberté qui lui est
offerte est d’un très grand intérêt diagnostique et pronostique.

La passation en fin de la relation enfant-clinicien

Liberté et contrainte
La relation enfant-clinicien se place en principe sous l’angle de la per-
missivité. L’enfant est libre de prendre, laisser, dire ou ne pas dire,
assembler, disjoindre, etc., au nom d’un affect de plaisir ou de déplaisir ;
autant d’invites susceptibles de favoriser la spontanéité, sinon la toute-
puissance infantiles. Il n’y a plus de commune mesure avec la relation
créée lors des épreuves d’efficience ni même avec d’autres épreuves pro-
jectives où le clinicien ordonne le matériel. L’enfant peut jouer de sa
liberté en se faisant metteur en scène des cochons sur un plateau imagi-
naire et dicter au clinicien la loi de ses désirs. Jusqu’à un certain point :
en fait, jusqu’aux « préférences-identifications ».
La relation change en effet à partir du moment où les questions du cli-
nicien : « pourquoi », « qui », se répètent et exigent un « parce que » jus-
tificatif. Ces questions peuvent être vécues sur un mode particulièrement
intrusif à propos des planches non aimées car ce qui a été « librement »
laissé de côté par l’enfant est finalement imposé par l’adulte sous forme
d’interrogatoire. Il y a là un message paradoxal – liberté/contrainte –
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

auquel l’enfant répond généralement par la restriction et l’inhibition, pré-


férant de toute évidence réserver ses développements à ce qu’il aime plu-
tôt qu’à ce qu’il n’aime pas. Mais la perception d’une reprise en main par
le clinicien d’une liberté sous condition peut alimenter des niveaux très
différents de réactivation pulsionnelle, sous l’angle d’une oralité plus ou
moins persécutive : « C’est pour mieux te manger mon enfant ! », ou
sous l’angle de la contrainte anale : « Se faire avoir. » Dans d’autres cas,
la déception et la non-fiabilité priment, que l’enfant essaie ou non de
maîtriser : « Je savais bien que tu allais me demander ça ! » Mais si la
relation d’objet est dominée par une quête d’étayage et de limites, c’est
au contraire la liberté que l’enfant supporte mal, tandis que le cadrage de
questions dirigées lui offre un soulagement notable.

139
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Propositions pour un aménagement de la passation


Agréable ou désagréable, le changement de règle dans le jeu relationnel
en cours de passation est le principal argument que nous opposons à la
passation complète de L. Corman.
Nous proposons de remplacer les questions « préférences-identifica-
tions » par une forme en même temps ouverte et simplifiée : l’enfant est
invité à raconter les histoires avec les images qu’il aime et les histoires
avec les images qu’il n’aime pas. Il est libre de commencer par celles
qu’il veut.
Cette procédure plus courte (30 à 45 minutes) permet de respecter la
dynamique des différentes étapes et l’appel explicite à l’affect lors de la
seconde, tout en évitant le risque d’une implication relationnelle non sou-
haitée ou non souhaitable. La question des désirs identificatoires « Qui
voudrais-tu être ? », peut être réservée pour la fin, parmi les questions de
synthèse, tout en sachant que ces choix ne correspondent pas nécessaire-
ment à une démarche d’ « identification » au sens psychanalytique du
terme.

140
7. LE TAT : THÉORIE ET UTILISATION

7.1. Fondements théoriques et méthodologiques

Aperçu bibliographique

Murray avait prévu, en créant son épreuve, des planches réservées à


l’usage des enfants, d’autres communes aux enfants et aux adultes, et des
planches spécifiques pour les adultes. Il explique dans son manuel (1943)
comment cet aménagement, joint à des consignes particulières, permet
l’usage du TAT (Thematic Apperception Test) auprès d’enfants de 7 à 14
ans, et même auprès de plus jeunes, aux dires de ses collaborateurs. Ses
indications ont été peu suivies, tant pour l’enfant que pour l’adulte. Pour
plus de détails sur le contexte historique, le lecteur pourra se reporter à la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

revue de littérature du Nouveau Manuel du TAT (Brelet-Foulard, Chabert


et al., 2003). Le propos se limitera ici à la place du TAT chez l’enfant à
travers les travaux français et étrangers.

L’école française

L’œuvre de V. Shentoub a vu le jour à partir de sa pratique clinique en


neuropsychiatrie infantile. Le premier article (1955), par lequel elle se
démarque d’emblée de la méthode de Murray, est illustré par le protocole
d’une fillette de 12 ans. La première feuille de dépouillement, bâtie en
collaboration avec S. Shentoub (1958), repose sur les observations
recueillies auprès d’enfants et d’adolescents.

141
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Planche 1

142
LE TAT : THÉORIE ET UTILISATION

Plusieurs contributions essentielles (1963 ; V. Shentoub, M.-J. Basselier


1963 ; 1967 ; V. Shentoub, R. Debray, 1969 et 1970-71), portant sur les
différenciations des états psychopathologiques névrotiques et psycho-
tiques de l’enfant, sont à l’origine des élaborations théoriques et métho-
dologiques ultérieures. Le souci toutefois d’explorer des modalités du
fonctionnement psychique de plus en plus nuancées, rencontrées dans le
champ des pathologies limites, devait orienter les investigations vers des
formes cliniques relativement achevées de l’adulte. C’est dans ce sens
que ce sont inscrites deux séries d’apports originaux : ceux de R. Debray
(1977, 1978), issus de la clinique psychosomatique, soulignent le rôle de
la pensée opératoire illustrée par des procédés factuels ; ceux de F. Brelet
(1981, 1983,1986) démontrent la place des procédés narcissiques et anti-
dépressifs, à partir de la clinique des dysfonctionnements narcissiques et
dépressifs majeurs.
L’évolution des intérêts de R. Debray vers le domaine des troubles
somatiques et vers celui de la psychologie scolaire l’a conduite à adopter
une théorie du fonctionnement mental qui se réfère au développement
psychosomatique (1983, 1984, 1987a). Aussi a-t-elle ajusté la méthodo-
logie au référent théorico-clinique : elle propose une feuille de dépouille-
ment du TAT destinée aux protocoles d’enfants à partir de 6 ans et d’ado-
lescents (1987b) en classant les procédés « des plus élémentaires aux
plus mentalisés ». Les procédés traduisant le recours aux modalités fac-
tuelles et narcissiques ont disparu de cette feuille. Probablement ces
modalités antérieurement décrites auprès de l’adulte ne permettent-elles
pas, du moins sous cette forme, de rendre compte du fonctionnement
psychique de l’enfant. R. Debray suggère en outre de remplacer la passa-
tion du CAT jugée trop « régressivante » par celle du TAT dès l’âge de
6 ans (1987c). Plusieurs thèses soutenues sous sa direction privilégient
ainsi cette méthodologie à 6 ans (A. Romero, 1987 ; N. Pieuchot, 1988).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Cette utilisation du TAT chez le jeune enfant, nouvelle eu égard aux habi-
tudes françaises, est plus anciennement répandue outre Atlantique.

La littérature étrangère
Contrairement à notre attente, nous avons répertorié une quantité
impressionnante de publications parues ces quelques vingt dernières
années, provenant en grande majorité des États-Unis et du Canada, mais
aussi de nombreux pays dispersés sur tout le globe (Europe, Japon, Indes,
Israël, Cuba, Albanie, Philippines, etc.). Hormis les rééditions de
l’ouvrage de Bellak (1954), peu de travaux s’inscrivent dans une perspec-
tive psychanalytique. Voici un aperçu de la diversité des orientations.

143
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

■ Les travaux d’ordre méthodologique


Ceux-ci, réalisés auprès d’enfants de 6 – et même 5 – à 12 ans, permet-
tent de mettre en jeu différentes variables, verbales et perceptives, en
fonction de l’âge, du sexe, du niveau intellectuel, etc. Une étude déjà
ancienne par exemple (S.B. Sells et al. 1967) établit, à partir de quelques
planches administrées à 1 200 enfants de 6 à 11 ans, la construction
d’une échelle de développement du langage ; quatre aspects corrélés avec
des épreuves d’efficience y sont dégagés : la productivité verbale, la
structure du langage, la maturité conceptuelle et enfin le style verbal.
D’autres études confirment ce que l’expérience clinique permet de
constater : la longueur des récits augmente avec l’âge et les filles sont
significativement plus bavardes que les garçons (R. Friedman, 1972).
Une recherche plus récente (M. Mc Grew, H. Teglasi, 1990), auprès de
80 garçons de 6 à 12 ans, souligne la priorité différenciatrice de la struc-
ture formelle des récits par rapport aux contenus. Si ce point de vue
rejoint celui de l’école française, les références citées restent strictement
américaines. D’autres travaux se centrent sur les paramètres des
réponses, dont, entre autres, le clinicien et les stimuli : la sexuation des
représentations par exemple dépendrait du sexe du clinicien (C.B.
Holmes, D.S. Dungan, 1981) ; la démonstration s’appuie sur la planche
3BM. D’après une version chromatique (bleue ou rouge) des planches 1
et 5, citée à titre anecdotique, la couleur des planches aurait aussi une
influence sur le contenu des réponses. Les différentes variables condui-
sent certains auteurs à remettre en question la fidélité et la validité des
épreuves thématiques. Les thèses favorables et défavorables abondent
tout autant, comme en témoignent la revue de littérature et la discussion
nourrie de J.E. Obrzut et C.A. Boliek (1986).

■ Les applications cliniques


Un grand nombre de publications montrent, par leur abondance et par
leur qualité, l’intérêt clinique du TAT dans des domaines d’investigation
très diversifiés.
Les aspects psychosociologiques de la pathologie, actuellement très
explorés aux États-Unis, donnent lieu à plusieurs études portant sur les
enfants victimes de sévices sexuels (incestueux ou non), sur les effets du
divorce, sur les populations à risque, etc. Les études comparatives entre
enfants vivant dans des contextes éducatifs particuliers (foyers, kibbutz,
familles) restent à l’ordre du jour. À la suite de la tentative de Thompson
(1949) auprès de la communauté noire, le besoin d’adapter le matériel
aux particularités culturelles de certains groupes sociaux est à l’origine

144
LE TAT : THÉORIE ET UTILISATION

de nouvelles versions du TAT. Parmi les plus récentes et les plus utilisées,
citons le TEMAS (Tell-Me-A-Story) destiné aux enfants hispanophones
(G. Constantine et al. 1981).

Dans l’approche des perturbations psychiques, de nombreux articles et


thèses démontrent la pertinence et l’efficacité diagnostiques du TAT.
Évoquons par exemple l’intérêt de l’évaluation des troubles de la pensée
dans les évolutions psychotiques ou dans le diagnostic différentiel entre
états psychotiques et dépressifs (M. Tompson et al. 1990). Le problème
important, entre autres, de la prédictivité est soulevé dans une étude lon-
gitudinale (D. Greenwald, 1990) rapportant les examens d’enfants de
malades mentaux effectués à 4, 7 et 10 ans.

Dans le domaine des troubles somatiques : le TAT était déjà choisi vers
les années 1970 dans l’exploration des troubles psychosomatiques. Cette
méthodologie, largement utilisée aujourd’hui, s’oriente davantage,
semble-t-il, vers l’approche du psychisme des enfants souffrant de mala-
dies graves (diabète, cancers).

■ La recherche fondamentale

Deux séries d’articles consacrés au développement du fonctionnement


psychique ont été retenues en raison de leur convergence avec les travaux
français. Analysant les productions au TAT d’enfants de 6 à 10 ans, S.
Dudek (1975) pose pour hypothèse l’influence négative de la présence
des processus primaires sur le développement intellectuel et sur la réussi-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

te scolaire ; la conclusion, nuancée, souligne en fait la « normalité » de


ce mode de pensée à 6-7 ans. Le travail de P. Cramer (1987) porte sur
l’évolution des modalités défensives avec l’âge ; suivant son hypothèse,
les défenses se constituent des plus primaires aux plus évoluées.
Vérification en est fournie à l’aide du CAT et du TAT dans trois groupes
d’âge d’enfants de 4 à 12 ans. Une autre publication (P. Cramer, R. Gaul,
1988) montre toutefois combien cette loi générale, bien que confirmée,
peut être soumise à des fluctuations, en particulier chez l’enfant très
jeune dont les mécanismes de défense sont encore précaires : l’expérien-
ce de l’échec met l’enfant en situation de recourir à des modalités défen-
sives primitives tandis que la réussite favorise l’usage de défenses plus
évoluées.

145
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

La situation TAT en période de latence

L’excitation pulsionnelle
Le TAT soumet l’enfant, plus encore que l’adulte, à un ensemble de
situations contradictoires où l’on pourrait voir une triple injonction para-
doxale :
– la première est commune à toute épreuve projective faisant simultané-
ment appel à la perception et à la projection : l’enfant est invité à
reconnaître les caractéristiques tangibles du matériel et à lui prêter des
significations personnelles, double condition pour qu’un récit se crée à
« bonne distance » entre le réel et le fantasme ;
– la période de latence, socialement valorisée, correspond par définition à
la mise en sommeil de la sexualité infantile et à la déconflictualisation
des représentations de relations. Or la composition manifeste des
planches de TAT offre une pluralité de sollicitations latentes susceptibles
de réactiver les problématiques en principe assoupies, ce qui – deuxième
paradoxe – conduit l’enfant, à ce moment important de son évolution, à
répondre par la déconflictualisation à des sollicitations conflictuelles ;
– le troisième paradoxe tient à l’origine de la période de latence dans le
déclin du complexe d’Œdipe. L’enfant est pourtant invité à regarder et
à raconter des scènes se passant entre adultes. On ne manquera pas d’y
voir un message transgressif en rapport avec la réactivation de la scène
primitive. Vue sous cet angle, la situation TAT pourrait se comprendre
comme une source d’excitation d’autant plus difficile à négocier que la
latence est fraîchement installée. Ceci explique le choix de beaucoup
de praticiens de ne pas proposer ce matériel avant 8-9 ans.

L’appel à la secondarisation
Mais proposer le TAT en période de latence, c’est aussi soumettre
l’enfant à l’épreuve du refoulement, défense nouvellement acquise dont
dépend sa capacité à maintenir à l’écart les représentations excitantes
indésirables. Dans les cas favorables, il ne s’agit d’ailleurs ni d’une mise
à l’écart radicale ni d’une décharge immédiate de l’excitation : la situa-
tion TAT met en jeu la possibilité de moduler, de négocier les messages
pulsionnels, au moyen de la forme symbolisée d’un récit. Plus le psychis-
me est évolué, plus il sera en mesure de répondre aux sollicitations en
faisant appel aux processus de secondarisation (S. Dudek, 1975 ;
R. Debray, 1987c). Par sa similitude avec la situation adulte, la situation

146
LE TAT : THÉORIE ET UTILISATION

TAT invite l’enfant à épouser les formes adultomorphes de la narration.


Cette démarche suppose une relative intériorisation des modèles paren-
taux et sociaux fondée sur l’identification ; elle permet alors l’élaboration
grammaticale du discours. Dans ce sens, on peut dire que le TAT fait
appel aux modalités les plus évoluées du fonctionnement psychique dont
il teste la vigueur ou l’insuffisance.

Contenus manifestes et sollicitations latentes

Le lecteur se reportera à l’analyse détaillée du Manuel1 pour adultes, en


veillant toutefois à deux aspects importants :
1. pour un enfant, la figuration d’adultes sur les planches renvoie plutôt
aux représentations des images parentales et du couple fantasmatique
qu’elles forment ;
2. la terminologie psychopathologique adulte n’est pas transposable à
l’enfant, même si les différents registres de conflictualisation réactivés
par les planches sont les mêmes.

Rappel des contenus manifestes


Voici un très bref rappel des contenus manifestes, proposé à titre de
repérage sommaire, et les nuances introduites chez l’enfant au niveau des
sollicitations latentes.
La planche 1 représente un enfant devant un violon. L’enfant est
confronté à l’immaturité fonctionnelle suggérée par le matériel, doublée
du support de l’immaturité réelle.
La planche 2 – scène champêtre avec trois personnages, deux femmes
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

et un homme – renvoie très directement au triangle œdipien si l’enfant est


en mesure de l’aborder.
La planche 3BM – un individu affalé au pied d’une banquette – renvoie
enfants et adultes à l’élaboration de la position dépressive.
La planche 4, représentant un couple hétérosexuel, renvoie à la diffé-
renciation des images parentales dans un contexte conflictuel.
La planche 5 – une femme dans l’encadrement d’une porte ouverte
pénètre et regarde – réactive différents registres conflictuels liés à
l’image maternelle.

1. Nouveau Manuel du TAT, Brelet-Foulard F., Chabert C. et al. (2003), p. 44-50.

147
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Planche 6BM

148
LE TAT : THÉORIE ET UTILISATION

La planche 6BM (destinée aux garçons) – un homme et une femme


âgée – interroge prioritairement le rapproché œdipien mère/fils.
La planche 6GF (destinée aux filles) – une jeune femme assise, un
homme avec une pipe au second plan – peut renvoyer au couple parental
et/ou à la relation œdipienne dans un contexte de séduction.
La planche 7BM (destinée aux garçons) – deux têtes d’hommes côte à
côte – renvoie au rapproché père/fils et à l’abord de l’Œdipe négatif.
La planche 7GF (destinée aux filles) – une femme avec une petite fille
tenant un poupon – peut renvoyer à la relation mère/fille dans un contexte
de holding et/ou d’identification.
La planche 8BM (destinée aux garçons, peut être proposée aux filles) –
un garçon et un fusil au premier plan, un homme allongé et deux
hommes debout au deuxième plan – renvoie au maniement de l’agressivi-
té, versus castration ou destructivité.
La planche 9GF (destinée aux filles) – deux femmes dont l’une court
en contrebas – interroge, chez les filles, les capacités d’individuation et
d’identification dans un contexte de rivalité.
La planche 10 – le rapproché des visages d’un couple indéterminé –
renvoie à une relation de type libidinal parent/enfant ou couple parental
et comporte de fortes sollicitations identitaires.
La planche 11 – un paysage chaotique – fait appel aux capacités d’éla-
boration des sollicitations prégénitales anxiogènes.
La planche 12BG 1– un paysage boisé avec une barque – fait référence
aux expériences prégénitales positives et à la capacité d’introduire une
dimension objectale, en l’absence de personnage figuré.
La planche 13B – un garçon assis au seuil d’une cabane – renvoie à
l’élaboration de la position dépressive dans un contexte de précarité du
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

symbolisme maternel.
La planche 19 – un paysage non figuratif de mer ou de neige – renvoie
à l’image maternelle prégénitale et met en œuvre les mécanismes initiaux
du fonctionnement psychique.
La planche 16 – planche blanche – est donnée avec la consigne :
« raconte maintenant l’histoire que tu veux ». Elle renvoie à la capacité
de structurer un objet interne et de négocier la séparation avec le clini-
cien.

1. Pour des informations plus explicites sur cette planche, le lecteur pourra se reporter à
l’étude (Boekholt M., 1987) effectuée auprès d’enfants, d’adolescents et d’adultes.

149
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Quelques exemples de planches (1, 11 et 16), choisis parmi des proto-


coles d’enfants de 8 ans, donneront une idée de la diversité avec laquelle
sont traités les contenus latents1.

Les contenus latents, exemples

Planche 1 :
« Y a un petit garçon qui fait de l’orchestre. Il n’est pas venu à l’heure et
alors ils l’ont pas pris et il est fâché. » (Chérif, 8 ans et 3 mois.)
« Je pense que c’est un petit garçon qui voudrait jouer du violon et puis il
a pas de baguette, alors il s’ennuie. Il cherche, il cherche et il en trouve.
Sa maman lui dit : “tu vas être en retard à l’école ”. Alors il commence à
ne plus chercher, monte dans sa chambre, alors il trouve sa baguette que
son père avait cachée. Il pourra faire plein de choses quand il rentrera de
l’école, jouer, chanter, parce qu’il a sa guitare, euh son violon. »
(Clothilde, 8 ans et 6 mois.)
« ...+++... [encouragements] un garçon… [« Raconte-moi l’histoire de ce
garçon »] Il fait de la guitare… [« Oui ? »] Oui, il arrive bien. Je sais pas. »
(Cécile, 8 ans.)

Planche 11 :
« Je comprends pas très bien ce qui est dessiné. » (Maurice, 8 ans et
9 mois.)
« Dans la montagne y a un éboulement, les rochers tombent, y a une
explosion et puis un monsieur qui est allongé, il reçoit des rochers, des
pierres sur le dos. Il est mort. » (Hacine, 8 ans et 6 mois.)
« C’est un arbre, c’est dans une forêt, y a des arbres, des pierres, des che-
mins, des cascades. Et un taureau ou une personne qui court, qui court,
qui court. Et après qui arrive à la cascade et il jette dans la cascade. Et
après y a un monsieur qui court aussi, qui court, qui court, qui court et
puis il jette aussi. Après y a une dame qui arrive, qui court, qui court, qui
court, après elle jette dans la cascade et après y a son grand frère [idem],
y a une dame [idem], un petit frère [idem]. Après y a tous les animaux
qui jettent et toutes les personnes et toutes les choses qui courent [répété
cinq fois] et ils se jettent. [« Pourquoi ils se jettent ? »] pour comme si
c’était la piscine. Pour nager et avoir de l’élan pour sauter, parce qu’y
avait plus d’autre piscine. » (Myriam, 8 ans et 5 mois.)

1. Cf note 3 page 95.

150
LE TAT : THÉORIE ET UTILISATION

Planche 12BG

151
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Planche 16 :
« Y a rien du tout. Voilà. Blanche-Neige à l’envers. Ca veut dire que la
reine meurt au début et pas à la fin. » (Clothilde, 8 ans et 6 mois.)
« [S’agite] On était en campagne, on était en Bretagne, tout près de la
mer. On allait tous les jours à la mer, on se baignait tout le temps, avec
mon tonton Charles, celui que je vais coucher demain et un copain à lui
qui s’appelle Marcel et que Patricia [prénom de sa sœur ainée] aime bien.
Et puis il lui ont acheté une belle maison à son anniversaire. Danielle
[prénom de sa petite sœur] a eu un beau chien jaune. [« Et toi ? »] Moi
j’ai rien eu. » (Gilbert, 8 ans et 10 mois.)
« Un fermier et une fermière, une dame qui s’appelle Merlevent et son
fils il fait du vent. C’est une fois trois petits cochons, non trois petits
moutons puis un loup. Les trois petits moutons ils étaient chez eux. Le
loup il est venu pour les manger. Patte blanche. Il s’est foutu plein de
farine. Il est revenu : “c’est pas vrai, c’est de la farine”. Il se met de la
peinture. Les trois petits moutons ils l’ont fait rentrer. Le loup l’a pris un
cerceau et les a tués, le premier puis le deuxième d’un seul coup et il l’a
hachuré. Les moutons il les tordait, il les coupait, il les mangeait puis
après il a un accident, il a foutu sa patte sous une voiture. » (Cécile, 8 ans.)

7.2. Modalités d’utilisation

Les indications : CAT ou TAT ?


En France, s’il était traditionnel de réserver l’usage du TAT aux enfants
à partir de l’âge de 8-9 ans, R. Debray et son équipe ont réussi à nous
convaincre de l’intérêt de cette épreuve dès l’âge de 6 ans.
Dans la pratique, pour les enfants de 6 à 8-9 ans, la décision revient au
bon sens et à l’appréciation clinique du contexte maturatif et psychopa-
thologique, certains enfants étant plus à l’aise avec le CAT, d’autres avec
le TAT. Le plus simple, s’il y a doute, consiste à poser la question :
« Préfères-tu raconter des histoires avec des images d’animaux ou avec
des images de personnes ? » Rien ne s’oppose à interrompre une épreuve,
si à l’usage elle s’avère pénible ou inutile, et à la remplacer par l’autre à
condition de ne pas présenter ce changement comme un échec mais
comme une chronologie prévue : « Et maintenant nous allons… »
Les indications du TAT et du CAT1 sont les mêmes dès lors qu’il s’agit

1. Cf. les indications du CAT page 111.

152
LE TAT : THÉORIE ET UTILISATION

d’explorer le psychisme de manière approfondie. Mais à l’âge de la sco-


larité, cette exploration répond en général à une demande de la famille ou
de l’école en raison d’une symptomatologie donnée. Hormis les objectifs
de recherche et les problèmes d’avance scolaire posés par certains
enfants précoces, rares sont en effet les situations d’exploration du psy-
chisme sans motif de difficulté psychique, somatique ou psychosociale.

La passation

Le choix et la succession des planches


À part la planche 13MF, qui représente une scène sexuelle et/ou agres-
sive crue, toutes les planches présentées aux adultes1 sont également pré-
sentées aux enfants et dans le même ordre, de la planche 1 à la planche
16. Toutes les planches conviennent aux garçons et aux filles, sauf 6BM
et 7BM réservées aux garçons et 6GF, 7GF, 9GF destinées aux filles. Il
est indispensable de réserver la planche 16 pour la fin du protocole de
façon à lui conserver toute sa valeur diagnostique2 et pronostique souli-
gnée notamment par R. Debray (1987c).

La consigne
Comparable à celle donnée à l’adulte, la consigne est minimale et
neutre. Contrairement à Murray qui demandait aux enfants « d’inventer »
une histoire et de dire « ce qui s’est passé avant, ce qui se passe mainte-
nant, ce que les personnages ressentent et pensent et comment cela se ter-
minera »3, il est demandé seulement « d’imaginer une histoire avec
l’image montrée ». Au besoin, des encouragements pourront être formu-
lés, mais rien qui laisse entrevoir un jugement de valeur par rapport à une
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

performance à accomplir (Murray disait : « Tâchez de faire de votre


mieux », et félicitait si les récits étaient bien fournis). La consigne laisse
entrevoir une situation souple, ouverte, nettement différente de celle qui
régit des tests d’efficience. Elle doit pouvoir s’ajuster aux particularités
individuelles.

1. Nouveau Manuel du TAT, p. 35.


2. La valeur diagnostique de la planche 16 est largement argumentée dans un travail
américain (M. Kahn, 1984) : la neutralité du stimulus, sa simplicité et son absence d’inci-
dence culturelle plaident en faveur d’une utilisation de cette planche à tout âge, pour
toute population et, pourquoi pas, dans d’autres épreuves thématiques. Nous rejoignons
volontiers cette proposition.
3. Murray, 1943, op. cit., p. 4.

153
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Le temps
Il est noté pour chaque récit mais n’est pas limité (Murray donnait cinq
minutes pour raconter une histoire). Les latences et les silences intra-
récits peuvent être figurés par des pointillés ou relevés avec un peu plus
de précision, mais un chronométrage rigoureux n’a d’intérêt ni pour le
clinicien ni pour l’enfant, qui y verrait une situation de contrainte non
justifiée. Ce qui compte, c’est de pouvoir comparer les temps de latence
relatifs ou les durées relatives des récits, considérés comme des témoins
des dynamiques en jeu. La durée de passation est d’environ 30 à
35 minutes. Il n’y a pas d’enquête après passation.

Interventions en cours de passation


Dans la mesure où le TAT s’adresse à des enfants d’au moins 6 ans, le
clinicien évite d’intervenir. Il encourage, manifeste sa présence et son
écoute par un mot ou par son attitude : « Oui, raconte, je t’écoute, oui,
dis-moi… ». Des questions peuvent être posées dans le sens d’une relance
associative ou d’un étayage dont il est important d’apprécier l’incidence.
À l’inverse, devant des récits-fleuves ou face à une montée d’excitation
croissante, le clinicien peut juger bon d’interrompre, par exemple par un
« oui » bien ponctué ou par une invitation à dire comment finit l’histoire.
Les interventions ont dans tous les cas pour but d’estimer si l’enfant peut
s’appuyer ou non sur l’aide qu’on lui propose afin de retrouver une dyna-
mique associative ou pour réguler le flot d’excitation excédentaire.

La relation enfant/clinicien

Une fois le cadre relationnel aménagé, en fonction de l’âge et de la


finalité de la passation, commence l’histoire de la relation enfant/clini-
cien propre au TAT : une histoire qui a en effet un commencement, un
déroulement et une fin et qui prend pour toile de fond les stimuli des
images présentées.
D’une certaine manière, on peut dire que la relation s’engage sur le
modèle de la planche 1 : l’enfant se voit confier un objet d’adulte,
l’objet-test, dont il va pouvoir se servir ou non en fonction de ce qu’il
perçoit de cette mission et de la personne du clinicien. S’il se sent valori-
sé et encouragé par l’écoute de l’autre, il lui « donnera » avec plaisir des
récits en retour de la gratification reçue. Si un vécu de contrainte – voire
d’intrusion – prédomine, la résistance peut alors s’organiser à l’encontre

154
LE TAT : THÉORIE ET UTILISATION

du « cadeau empoisonné ». Les expressions courantes : « donner des


réponses », « donner des récits », font implicitement référence à la com-
posante anale du cadeau. En revanche, si les effets de la période de laten-
ce impriment une réelle désexualisation des représentations de relations,
les conditions sont alors propices à un investissement objectal dans
lequel la sublimation1 participe au processus créatif. D’où l’importance,
du côté du clinicien, d’une attitude fondée sur la coopération et sur
l’échange et non sur l’obtention à tout prix d’une production. Multiplier
les questions et les interventions s’apparente à une pression difficilement
recevable.
La relation se déroule ensuite en deux temps : dans le premier temps,
les sollicitations œdipiennes répétées peuvent être vécues sous l’angle de
la séduction2 et de l’invitation transgressive. Une fillette de 11 ans, après
avoir refusé la planche 4, dans un climat de grande agitation, se détourne
de la planche 6 en s’écriant : « Quand même, Madame ! ce que vous me
montrez ! ». On aurait pu croire, d’après les plaintes émises par la mère
auprès du chef de service, que les psychologues montraient aux enfants
des photos pornographiques… Le deuxième temps est marqué par le
caractère relativement moins structuré du matériel, induisant la réactiva-
tion d’angoisses prégénitales et de possibles appels à l’aide du clinicien :
« C’est quoi ? de quel côté ça se regarde ? » ; le problème pour ce dernier
consiste à « doser » la quantité et la nature de l’étayage susceptible de
favoriser la poursuite des récits. Ce que le clinicien propose, par la parole
ou par son silence, doit être analysé et revient à se poser la question :
quel psychologue veut-on être et pour quels objectifs face à tel enfant ?
L’épreuve se termine avec la planche blanche. L’enfant sait qu’« il
s’agit de la dernière planche et qu’il peut inventer une histoire de son
choix ». La séparation se produit donc sur ce blanc-seing que l’enfant
remplit à sa convenance s’il en a la possibilité. Mais si sa problématique
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

réside précisément dans l’incapacité de remplir un espace non figuré, le


blanc devient vide relationnel renvoyant à une expérience de support
déficitaire. À cette expérience douloureuse entre toutes peut s’opposer un
vide de pensée mieux supportable, à moins que le récit ne s’enlise dans
d’interminables fêtes à la mesure du désarroi créé. C’est que la fin de la
passation du TAT coïncide aussi, généralement, avec la fin de l’examen

1. « La pulsion est dite sublimée dans la mesure où elle est dérivée vers un nouveau but
non sexuel et où elle vise des objets socialement valorisés » (Laplanche et Pontalis,
1967, p. 30).
2. Cf. l’analyse de Françoise Brelet (1986), p. 51-61.

155
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

psychologique, mettant en jeu, de part et d’autre, des réactions affectives


en termes de soulagement, d’inquiétude ou de difficulté à négocier la
séparation. Avec la fin du TAT commence l’heure du bilan, un bilan
« objectif » certes, des diverses productions de l’enfant, mais aussi le
bilan de l’analyse des interactions subjectives sur lequel se fonde une
grande part de l’appréciation des perspectives pronostiques et thérapeu-
tiques.

156
8. DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES
THÉMATIQUES VERBALES

Étapes du dépouillement
Le dépouillement des protocoles recueillis consiste à réunir, analyser et
interpréter l’ensemble des informations suivant trois étapes :
– la première étape résume le déroulement global de l’épreuve et le
mode d’adaptation de l’enfant à la spécificité de la situation ;
– la seconde étape réside dans l’analyse, planche par planche :
• des procédés d’élaboration mis en œuvre,
• des problématiques abordées en référence aux sollicitations latentes.
Ces deux étapes, différenciées d’un point de vue pédagogique, sont clini-
quement indissociables.
– la troisième étape, la synthèse, consiste à :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

• regrouper les procédés en dégageant les articulations défensives,


• récapituler les principaux registres de problématique,
• proposer une hypothèse concernant le fonctionnement psychique en
termes cliniques et/ou psychopathologiques, en réponse aux ques-
tions initiales.

8.1. Déroulement de l’épreuve

Seront notés en clair :


1. le mode de relation avec le clinicien et son évolution durant la passation ;

157
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

2. le mode de participation et d’adaptation, l’approche du matériel, le


déroulement de l’épreuve proprement dit, son dénouement ;
3. les particularités de l’expression verbale eu égard à l’âge : vocabu-
laire, construction syntaxique, modes d’expression, ton et voix ;
4. les caractéristiques de la présentation et de la participation
corporelle.

8.2. Analyse des procédés d’élaboration des récits

Les procédés d’élaboration des récits comportent 39 items, répartis en


7 rubriques. Étant donné le choix1 de présenter des rubriques à caractère
non psychopathologique pour rendre compte de la mobilité du psychisme
de l’enfant, les désignations des feuilles de dépouillement de TAT exis-
tantes, en termes de labilité, rigidité, émergences en processus primaires,
etc. n’ont pas été retenues dans les regroupements. Des correspondances
subsistent toutefois au niveau de certains items.

Procédés traduisant le recours à la sphère motrice


et corporelle (MC)
MC 1 : Retrait, inhibition motrice, manifestations auto-érotiques.
MC 2 : Instabilité psychomotrice, agitation motrice et/ou verbale, inter-
ruptions par l’agir.
MC 3 : Rires, mimiques, grimaces, bruitages, onomatopées.
MC 4 : Participation corporelle : déplacements, gestes.

Les procédés MC 1 (retrait, inhibition motrice, manifestations auto-éro-


tiques) désignent les manifestations motrices momentanées de désintérêt
devant le matériel verbal. Il est bien entendu qu’un retrait ou un refus
massifs conduiraient à proposer le scéno-test. L’important est de saisir à
quel moment se produisent ces manifestations et si elles correspondent
ou non à une sensibilité à la spécificité des planches.
Voici deux exemples donnés au CAT où la centration auto-érotique
relève de contextes très différents, l’un narcissique, l’autre objectal :

1. Cf. avant-propos.

158
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

– Annie (6 ans et 3 mois) se montre peu intéressée par les planches


qu’elle décrit a minima avant de se replonger dans une activité auto-
érotique entravant la passation : « … Petit touss … [« Oui, dis-moi »],
Y ti la ficelle, le bébé, le papa… et la maman [suce deux doigts]. Je
sais plus [suce ses doigts] » (planche 2). Chaque planche obéit aux
mêmes modalités correspondant chez elle à un investissement objectal
réduit.
– Pierre (4 ans et 11 mois) : « Y a… je sais pas ce que c’est ça comme
animal. Y a le petit chat qui dort dans un petit lit [suce deux doigts] et
puis la lampe, le lit et puis c’est tout. C’est les fenêtres et puis par terre »
(planche 5). Dans le cas de Pierre, le mouvement auto-érotique à colo-
ration régressive s’accompagne d’une inhibition devant le contenu du
matériel latent.

Les procédés MC 2 (instabilité psychomotrice, agitation motrice et/ou


verbale, interruptions par l’agir) retentissent de façon massive ou plus
discrète sur la production.
L’instabilité psychomotrice n’offre pas de problème de repérage parti-
culier car l’ensemble de la sphère psychomotrice se trouve mobilisée à
l’encontre de la production verbale. Elle peut s’atténuer ou s’accroître en
fonction des stimulations spécifiques.
L’agitation est plutôt ponctuelle : manipuler, ranger, compter les
planches du CAT ou du TAT constituent des « agir » a minima ; le PN
favorise plutôt ces conduites. Fréquente chez les jeunes enfants et chez
les plus instables, l’agitation survient surtout en fin de passation avec le
début de la lassitude. Elle peut traduire aussi l’impact du matériel latent :
« C’est une femme [fait pivoter la planche sur elle-même] avec son fils
[se balance sur sa chaise] qui se font un câlin. C’est tout [rit, s’agite sur
sa chaise, se mouche] » (Jean-Baptiste, 9 ans, planche 10 du TAT). Sous
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

sa forme verbale, l’agitation peut ressembler à la façon dont les camelots


utilisent le verbe comme équivalent d’un agir : une sorte de remplissage
verbal. Ce dernier vient par exemple s’inscrire à la place de la reconnais-
sance de la solitude (planche 9 du CAT, planche « Trou » du PN,
planches 3BM et 13B du TAT). Il s’agit alors d’un mécanisme anti-
dépressif à valeur de déni, susceptible de malmener les aquisitions syn-
taxiques.
Les interruptions par l’agir consistent par exemple à quitter la pièce en
raison d’un besoin pressant de se rendre aux toilettes ou dans la salle
d’attente ou ailleurs. Suivant l’âge et la maturité, ces manifestations n’ont
pas du tout la même signification : Simon (3 ans et 4 mois) négocie la
séparation avec sa mère en s’absentant à plusieurs reprises pour lui

159
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

« faire montrer » les planches ; Charles (10 ans), au début du TAT, se


lève et déclare qu’il repart dans son service ; après un récit mouvementé
de la planche 5 du CAT, saturé d’éléments œdipiens, Jacques (5 ans)
annonce : « Maintenant ça fait cinq que j’ai racontées. Je vais enlever ma
veste parce que j’ai chaud. Je peux avoir de l’eau ? » ; il joint le geste à la
parole et va poser son vêtement près de son anorak.
Tous ces exemples soulignent combien les contextes sont variables et
interdisent de prêter une signification univoque aux manifestations com-
portementales.
Les procédés MC 3 (rires, mimiques, grimaces, bruitages, onomato-
pées) correspondent à des décharges motrices relativement discrètes. Ce
mode d’expression peut rendre compte de la difficulté momentanée de
formuler une représentation liée au matériel latent ; il peut également
remplacer une expression d’affects peu verbalisables : la perplexité, la
frayeur, l’étonnement, le dégoût, par exemple, sont signalés par des
mimiques, des rires gênés, des sifflements et non par des mots. Les brui-
tages et les onomatopées accompagnent régulièrement les récits des
jeunes enfants, formant ainsi un relais aux mots manquants. L’essentiel
est d’estimer si ces procédés occultent la verbalisation des conflits ou
s’ils participent au contraire à leur réémergence. Chez Guy (7 ans), par
exemple, des bruitages à caractère régressif remplacent momentanément
la reconnaissance de l’impuissance à la planche 7 du CAT : « Alors ça
c’est un tigre qui veut manger un singe. Go-go, ga-ga, gué-gué, bê-bê.
Un singe ça sait pas parler et le singe il a lâché la corde et le tigre saute
dessus lui et ils sont dans la jungle. » Mais tous les bruitages n’ont pas
nécessairement un caractère régressif : lorsque Julien (3 ans et 2 mois)
rugit bruyamment devant la planche 3, il essaie plutôt de nous impres-
sionner en s’identifiant à l’agresseur. C’est un soudain bégaiement qui
signale chez Didier (7 ans) le trouble suscité par « Nuit » du PN ; il repo-
se finalement la planche et renonce à la raconter après l’avoir choisie.
Les procédés MC 4 (participation corporelle : déplacements, gestes),
très prisés des petits et souvent accompagnés de bruitages, traduisent
l’animation intense qui accompagne les récits. Marion (3 ans et 2 mois)
s’écrie devant la planche 3 du CAT : « Alors ! alors ça c’est…un gros
lion [rit] avec des gros… grosses griffes ! [se lève et marche pesamment
dans la pièce]. Il marche, toum, toum, toum… et hop ! [fait le geste
d’attraper avec les mains]. La souris il peut pas l’attraper [« Ah, et pour-
quoi il peut pas ? »] Ben, regarde ! elle a un petit trou ! » Certains enfants
plus âgés ajoutent à une expression verbale parfois riche une participa-
tion mimique et gestuelle spontanée et harmonieuse contribuant à diver-
sifier et comme à « colorer » leur répertoire. Leur récit n’en est que plus

160
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

vivant et convaincant. Si cette démarche s’inscrit d’abord dans une visée


de communication, la mise en avant de soi sous le regard de l’autre n’en
est pas moins narcissiquement présente. Associée au recours à l’imagi-
naire et au fantasme, l’hyper-expressivité peut devenir théâtralisme (pro-
cédé RA 2) et illustrer une activité défensive particulière, susceptible de
faire le lit des solutions hystériques ultérieures.

Procédés traduisant le recours à la relation


avec le clinicien (RC)
RC 1 : Recherche de rapproché corporel.
RC 2 : Questions, remarques adressées au clinicien, appels, apostrophes.
RC 3 : Critiques du matériel et/ou de la situation, plaintes, demandes de
gratifications annexes.
RC 4 : Auto-dépréciation, auto-valorisation.

Les procédés RC 1 (recherche de rapproché corporel) désignent toute


recherche de proximité corporelle, en général tendre, vis-à-vis du clini-
cien. Courants chez les petits de 3-4 ans, ils consistent à se rapprocher ou
à se blottir contre l’adulte. Lorsque ces procédés favorisent le récit au
lieu de l’entraver, ils évoquent ces moments d’intimité privilégiés de
« l’heure du conte » où l’enfant se rapproche de l’adulte qui lui raconte
une histoire. Mais là c’est l’enfant qui raconte. La recherche de contact
physique peut revêtir un tout autre sens chez des enfants plus grands et
être plus ou moins bien acceptée suivant le contexte.
Les procédés RC 2 (questions, remarques adressées au clinicien,
appels, apostrophes) ont valeur de rapproché symbolique par le mot, et
non réel par le corps. Ils peuvent s’exercer sur différents modes, privilé-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

giant, suivant l’âge et le contexte, l’affect (positif ou négatif) ou le savoir.


Chez les jeunes enfants, ces procédés peuvent être considérés comme
purement transitionnels entre le rapproché corporel et un espace de paro-
le autonome : l’enfant prend le clinicien à témoin, essaie de lui faire par-
tager son expérience ; il s’assure que l’autre voit bien la même chose que
lui : « Ben regarde ! » Il y a là une recherche de relation de réciprocité
dans un climat de confiance permettant notamment de consolider le lien à
la réalité. Aline (5 ans) demande à la fin de la planche « Baiser » de PN
racontée sur un ton ludique : « Tu as déjà vu des cochons en train de dan-
ser toi ? » L’enfant peut faire appel au savoir supposé de l’adulte pour
souligner sa propre immaturité ou pour préciser et augmenter ses
connaissances : « Ze sais pas… moi ze sais pas qu’est-ce qu’y fait, tu me

161
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

le dis ? » (Emmanuel, 3 ans et 4 mois, planche 3 du CAT). « C’est quoi


ça, c’est une chèvre ? Non comment ça s’appelle ? c’est pas des girafes
hein ! [rit] » (Marion, 3 ans et 2 mois, planche 4 du CAT) : elle commen-
te sa sortie récente au jardin zoologique et essaie de récapituler les noms
des animaux qu’elle a vus.
Mais la recherche de relation peut aussi s’établir sur un mode provoca-
teur sous un aspect ludique ou plus franchement agressif, allié ou non à
des conduites agies.
En période de latence, les procédés RC 2 signent souvent la dépendan-
ce, acceptée ou combattue, vis-à-vis de la situation de test, ou en écho
aux problématiques suscitées par le matériel. Cécile (8 ans et 6 mois) par
exemple essaie de renverser la situation : « Pourquoi tu ne regarderais pas
les images et tu inventerais et moi j’écrirais ? » (planche 3 du TAT).
Norbert (7 ans) se sent sans doute moins vulnérable en contrôlant la
situation ; il dicte une ponctuation plus ou moins fantaisiste et prend plai-
sir à exercer son pouvoir, soit en accélérant le rythme de son récit, soit en
l’interrompant à sa guise : « Vous mettez un point d’interrogation parce
que l’histoire elle est finie. l-a-p-i-n [il épelle] et “s” parce qu’il a deux
lapins ! » (planche 9 du CAT). Claude (7 ans et 8 mois) adopte, lui, plutôt
le mode de la rétention agressive : « Ah là je sais l’histoire, l’histoire des
cochons… je te la dirai pas »
Dans un autre registre, la sollicitude excessive d’Élodie (8 ans) tient de
la formation réactionnelle : « Vous avez pas mal à la main ? », demande-
t-elle en parlant de plus en plus vite après la planche 7GF du TAT.
C’est au contraire un vécu de désarroi qui sous-tend l’attention vigilan-
te portée par Alain (6 ans et 6 mois) aux notes du clinicien : « Tu as écrit
tout ça ! et quand tu auras fini d’écrire je m’en irai ? » Roland (9 ans),
perplexe, interroge : « Eh ! qu’est-ce qu’il y a ici, qu’est-ce qu’il a ?… Je
me demande ce qu’il a, Madame, qu’est-ce qu’il a ? Il était une fois un
petit garçon qui regardait, qui construisait plutôt, une petite voiture.
C’était une belle Porsche […] » (planche 1 du TAT).
Dans d’autres contextes, l’appel à l’aide et à l’explication verbale
devant le caractère flou ou imprécis de certaines planches s’articule, pour
l’un à un mouvement de refoulement, pour un autre à un flou identitaire
ou à un vécu de manque et d’incomplétude : « Qu’est-ce que c’est ça ? Je
vois pas à cause du noir… ce doit être deux monsieurs et c’est son fils et
ça c’est son père et y dit “comment je vais faire, j’ai perdu quelque chose
de bien” et après il le retrouve [« Qu’avait-il perdu ? »] son portefeuille
ou sa montre » (Damien, 11 ans, planche 10 du TAT).

162
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

Les procédés RC 3 (critiques du matériel et/ou de la situation, plaintes,


demandes de gratifications annexes) peuvent jalonner l’ensemble de la
passation et correspondre à un refus : « C’est pas beau, c’est rien du tout,
y font rien du tout », « Il fait chaud, j’ai soif… » Il peut cependant s’agir
de réactions circonstanciées face à la sollicitation de certaines planches.
Ces procédés ont pour effet de bloquer plus ou moins durablement le
déroulement associatif.
La critique du matériel et/ou de la situation s’inscrit dans un mouve-
ment relationnel négatif vis-à-vis du clinicien ; elle ne doit pas être
confondue avec la disqualification des « personnages » intégrée à un
récit. Exemple de critique : « Elle est mal fait la poule, c’est qui qui les a
dessinés ? » (Samuel, 5 ans, planche 1 du CAT). Autre exemple : « On
devrait mettre le soleil, comme ça on voirait qu’il fait beau. On l’a dessi-
né avec un crayon et un papier ça ? c’est gris » ; Céline (4 ans et 11 mois)
masque par sa critique un petit mouvement dépressif.
Les plaintes se rapportent généralement à l’ennui suscité par le matériel
et/ou la longueur de la passation : « Y en a encore beaucoup ? je suis fati-
guée moi ! t’as pas d’autres jouets ? » (Marianne, 6 ans et 6 mois). Il y a
de plus une demande de gratification annexe dans cet exemple (jouets).
Les demandes de « bonbons », « verre d’eau », « jouets » ou autres,
sont courantes chez les petits. Nous avons vu chez Jacques (procédé
MC 3) comment, à la réaction motrice déclenchée par la planche 5 du
CAT, s’ajoute la demande faite au clinicien de tempérer le trouble de
registre œdipien par des moyens régressifs.
Les procédés RC 4 (auto-dépréciation, auto-valorisation) consistent à se
montrer au clinicien sous un aspect défavorable ou favorable au moyen
de remarques et de questions relatives à l’image de soi.
L’affirmation de l’incompétence à raconter une histoire, par exemple,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

peut faire référence à la reconnaissance de l’immaturité fonctionnelle


sous un angle identificatoire : « Je sais pas mais mon frère il connaît »,
« J’ai pas encore appris ». Ce vécu peut n’être qu’un préalable facilement
levé ou entraver l’aptitude à créer. Certains enfants, aux prises avec des
auto-exigences excessives, préfèrent ne rien dire du tout plutôt que de se
risquer à une comparaison jugée par eux désavantageuse.
La disqualification explicite et répétée rend compte d’un vécu de souf-
france lié au défaut d’investissement narcissique de la représentation de
soi : « Je suis bête », « C’est nul ce que je dis », « C’est complètement
n’importe quoi », « Je suis conne comme un balai ». Ces modalités, plu-
tôt rares chez le très jeune enfant, font implicitement appel au regard nar-
cissisant que peut offrir le clinicien. Il en est de même des demandes

163
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

d’appréciation ou d’approbation : « C’est bien ? » « Elle est belle [l’his-


toire] ? », « J’ai bon ? »
Le même défaut d’investissement narcissique sous-tend la répétition de
remarques auto-valorisantes, mais il est géré autrement : « Ah là, atten-
dez ! vous allez voir la plus belle ! [histoire] trois mètres de long. C’est
marrant ce que je dis […] » (Guillaume 10 ans, planche 11 du TAT).

Procédés traduisant le recours à la réalité externe (RE)


RE 1 : Recours à l’évidence, accrochage au contenu manifeste.
RE 2 : Recours aux clichés de la vie quotidienne, accent porté sur le
concret, sur le faire, sur le conformisme, références à la réalité
environnementale.
RE 3 : Insistance sur le cadrage, les délimitations et les supports (présents
ou manquants).
RE 4 : Insistance sur les qualités sensorielles du matériel.
RE 5 : Surinvestissement de la qualité de l’objet ; attachement aux Dd
narcissiques (valence positive ou négative).

Les termes « réalité externe » sont à entendre à plusieurs niveaux :


– au niveau du matériel lui-même : la « réalité » est dictée par le percept
évident ou par le surinvestissement de percepts secondaires, ou encore
par l’hypersensibilité à des percepts incomplets ou manquants. Les
zones les moins structurées ou ombrées des planches sont propices à
ce dernier aspect ;
– au niveau de l’environnement de l’enfant : il s’agit de la réalité perçue
au quotidien ou telle qu’elle résulte des vérités sociales apprises ;
– au niveau des représentations d’objet à partir des planches dont la qua-
lité est surinvestie. Ce surinvestissement s’exprime par exemple par la
surcharge d’adjectifs ou d’attributs, notamment narcissiques ; il traduit
la dépendance à l’objet pouvant passer, notamment, par un surinvestis-
sement de la fonction d’étayage.
Les procédés RE 1 (recours à l’évidence, accrochage au contenu mani-
feste)1 forment d’une manière ou d’une autre une entrave à la projection.
Ils sont à la source de récits restrictifs, étroitement collés au percept. Le
caractère anthropomorphe des images animales peut offrir un obstacle
complémentaire au laisser-aller projectif : « Un lion c’est pas assis dans

1. Voir les procédés RE au scéno-test.

164
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

un fauteuil », « Normalement les bambis c’est pas en vélo »,


« Normalement les lapins dort pas dans un lit » ; après ce rappel de l’évi-
dence venant limiter l’implication personnelle, Gaëlle (4 ans et 11 mois)
accepte néanmoins de construire des histoires.
Les procédés RE 2 (recours aux clichés de la vie quotidienne, accent
porté sur le concret, sur le faire, sur le conformisme, références à la réali-
té environnementale) se différencient selon l’âge de l’enfant.
Chez les petits, les clichés de la vie quotidienne et les schémas appris
servent de support aux représentations. Celles-ci s’expriment par l’inté-
gration de verbes d’action simple : « Les bébés y mangent la purée, pis y
vont dormir. » Ces références entrent dans la construction des premiers
repères temporaux-spatiaux, tout en montrant l’adhésion aux normes du
groupe. Pour Simon (3 ans et 4 mois), le recours à la famille réelle :
« Mon papa, ma maman, ma petite sœur », lui permet de rétablir en par-
tie un équilibre identitaire menacé. Lorsque les procédés RE 2 renvoient
au conformisme et aux conventions sociales (le plus souvent véhiculées
sous forme d’interdits), on assiste, dans certains cas, au début de l’inté-
riorisation du surmoi. Dans d’autres cas, les préceptes de loi (« Y faut
être sage », « Y faut pas se disputer ») resteront purement extérieurs,
conditionnés par la présence physique du détenteur de l’autorité.
En période de latence, l’utilisation répétitive des procédés RE 2 peut
scander de façon saisissante le déroulement monotone du temps inscrit
dans un vide relationnel et fantasmatique : « Ah ça y est… c’est un petit
garçon qui mange et qui est sous une petite cabane. C’est tout. [« C’est
tout ? »] Y mange, après il va jouer avec ses copains, après il va chez ses
parents, il va manger son dîner… et puis après il va rejouer avec ses
copains, après il va se promener au parc… après il va faire du vélo au
parc et après il mange le soir et après il va se coucher » (Julie, 8 ans et 4
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

mois, planche 13B du TAT). C’est dans ces contextes que les planches du
PN, à peine décrites, trouvent une ordonnance dictée par le factuel : « Là
il mange [Tétée 2] après il va à l’école [Départ], il s’amuse [Jars] et il
mange le goûter [Tétée 1] puis après ça va être le soir [Nuit] et puis ils
dorment. [« Et après ? »] Après ça va être pareil, il mange [recommence
la même histoire]. » Chez Sébastien (11 ans), le concret et le factuel évi-
tent le vécu dépressif.
Les procédés RE 3 (insistance sur le cadrage, les délimitations et les
supports – présents ou manquants) : la description de l’environnement
occupe dans les récits une fonction d’enveloppe délimitante. L’insistance
sur la nature des matériaux (bois, feuilles, tissus…) revient à interroger la
consistance et la solidité du contenant dont l’épaisseur, la densité et la

165
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

surface semblent comme soumis à un renforcement. Autant chez les


petits ces modalités peuvent appartenir aux processus de maturation nar-
cissique, autant chez les plus grands cette activité peut viser à dénier la
reconnaissance d’un vide interne à travers un surcroît d’investissement
des enveloppes externes.
Guy (7 ans) (planche 1 du CAT) : « Ce sont des petits canards qui man-
gent dans un bol sur une table. Ils mangent de la pâtée, quelque chose. Et
puis leur table elle est fait avec du bois et une nappe dessus avec trois
bols. Et ils sont assis sur une chaise en bois et ils ont comme un petit
banc allongé. Et ils ont un grand bol où ils ont mis leur manger. [« Ils
sont contents ces canards ? »] Ils aiment ce qu’ils mangent et aussi je
vois quelque chose à travers ça, un coq, je vois un coq qui les regarde. Ça
va comme ça ? Combien ça dure ? » Dans cet exemple, l’insistance sur le
matériau est d’autant plus frappante qu’elle s’associe à la transparence de
la poule et à une question critique sur la situation.
L’insistance sur les composantes minérales des images (pierre,
cailloux, roche…) renvoie régulièrement à un vécu carentiel inexpri-
mable sans ce biais.
Les procédés RE 4 (insistance sur les qualités sensorielles du matériel), le
plus souvent associés aux précédents, soulignent la dépendance à l’envi-
ronnement et aux supports externes à travers l’hypersensibilité à la qualité
sensorielle du matériel. L’importance accordée à la couleur blanche, grise
ou noire peut correspondre à l’insistance sur les surfaces et les matières ;
elle réalise dans ce cas une économie d’affects dysphoriques.
Reprenons l’exemple de Guy : « Alors ce sont deux petits ours qui dor-
ment dans un lit. Et ce lit il est en bois peint en blanc [agite la planche].
Et y a du bois pour la maman et le père, une table en bois, une lampe et
ils ont laissé les fenêtres fermées. Et le bois est tout gris. Ils ont un petit
tapis gris. Et toute leur maison est en bois. Sauf que les deux petits ours y
en a un qui dort pas. Et ils ont un oreiller blanc parce qu’il a un œil
ouvert. Et il ont une petite couverture aussi » (planche 5 du CAT).
Dans d’autres cas, l’hypersensibilité aux couleurs de surface véhicule
au contraire un affect dysphorique mais dont la représentation est atté-
nuée : Nicolas (9 ans) raconte « Départ » parmi les planches non aimées
du PN : « Elle [la sœur de PN] marche sur le chemin longtemps, long-
temps. Elle cherche un endroit pour dormir, parce que c’est plein de
neige et qu’il fait froid. »
Outre cette utilisation narcissique du matériel sensoriel1, le gris et le

1. L’utilisation précoce au Rorschach du C’ et de l’estompage est du même ordre.

166
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

noir peuvent aussi être utilisés à titre de brouillage des représentations


issu du refoulement : « Comme c’est gris on peut pas tellement voir »
(Rémy 5 ans, planche 5 du CAT).
Les procédés RE 5 (surinvestissement de la qualité de l’objet ; attache-
ment aux Dd narcissiques – valence positive ou négative) renvoient, sui-
vant l’âge et le sexe, à des registres relativement distincts.
Chez les jeunes enfants ces procédés peuvent appartenir à la construc-
tion des idéaux du moi où l’insistance sur les attributs narcissiques préfi-
gure les repères identificatoires (crinière, queue, boucles d’oreilles,
fleurs, chapeau…) positivement ou négativement investis.
Le surinvestissement vigilant de détails se surajoute à l’environnement
comme pour s’assurer de sa consistance et de sa complétude ; ces moda-
lités sont alors proches des items RE 3 et RE 4 auxquels elles s’associent :
« C’est les trois petits poussins qui mangent de la soupe puis ils ont leur
cuillère dans la main et puis ils discutent. Puis et puis sur la table, elle est
en bois, et ils ont des bols et un grand bol avec de la purée dedans, et une
grande table ; sur le bol il y a des petites fleurs… ils sont assis sur des
sièges en bois » (Marine, 6 ans, planche 1 du CAT).
Les procédés RE 5 peuvent être les témoins d’une lutte antidépressive
liée à la difficulté de négocier agressivité et dépendance ; l’idéalisation
et/ou la disqualification de l’objet préservent le maintien d’une relation :
« Le monsieur met trois petits moutons dans la jolie petite carriole et
l’autre [PN] se met dans un joli nid. Les plus gros moutons viennent voir
le monsieur derrière pour les défendre… ces trois petits moutons »
(Cédric, 6 ans et 6 mois, PN « Charrette »). Le surinvestissement de
l’environnement dans ce cas occulte l’abord de la séparation et participe
à un mouvement de déni. Voici un deuxième exemple où l’objet est au
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

contraire disqualifié : « Alors il a l’enfant, la sœur qui prennent le café,


qui se disent allez, embête cette mère vieille, et la mère vieille elle parle
à son enfant, elle le dit qu’il faut être très sage, que je pars tout à l’heure,
alors après elle part et l’enfant il a peur » (Christophe, 7 ans et 8 mois,
planche 8 du CAT).
Le surinvestissement de l’objet peut, dans certains contextes, avoir valeur
de lutte narcissique contre une désorganisation identitaire : « C’est une
dame qui rentre dans une pièce. Elle voit un beau bouquet de fleurs dans
un beau vase. Elle est passionnée à regarder cette chose-là. Elle meurt
d’envie d’y toucher de la façon dont elle regarde. Pour elle, ce sont des
fleurs, des belles fleurs » (Jean, 12 ans, planche 5 du TAT). L’affect quali-
fiant l’objet est inadéquat dans sa teneur et dans son mode d’expression.

167
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Procédés traduisant le recours à l’évitement


et à l’inhibition (EI)1
EI 1 : Restriction, silences, refus, tendances refus, nécessité de poser des
questions.
EI 2 : Anonymat, motifs des conflits non précisés, placages, banalisa-
tion.
EI 3 : Évitements spécifiques, évocation d’éléments anxiogènes suivis
ou précédés d’arrêt dans le discours.

Les procédés EI 1 (restriction, silences, refus, tendances refus, nécessi-


té de poser des questions) confèrent à la production le caractère d’une
description a minima.
L’absence de verbe, courante chez les petits de 3 ans, se double d’une
absence des adjectifs habituels à cet âge (gros, méchant, petit…) dési-
gnant les représentations de relation. Le mode énumératif est privilégié.
Certains enfants se contentent de décrire le contenu manifeste en utili-
sant le minimum d’informations. La différence avec l’item RE 1 est qu’il
n’y a pas de souci d’objectiver le matériel mais plutôt de l’éviter : « Les
oiseaux mangent de la soupe avec une cuillère… y a une table.
[« Raconte l’histoire de ces oiseaux »] Trois petits oiseaux qui man-
geaient de la purée… avec un bol. » (Rémy, 5 ans, planche 1 du CAT.) La
question du clinicien a eu peu d’effet ici hormis le changement de menu.
L’usage de l’imparfait donne toutefois le ton du fictif qui sera employé
lors des récits suivants. Il s’agit dans ce cas d’une inhibition initiale faci-
lement levée.
Les procédés EI 2 (anonymat, motifs des conflits non précisés, pla-
cages, banalisation), liés aux précédents, contribuent à éviter la conflic-
tualisation. L’exemple fourni ci-dessus par Rémy illustre aussi les procé-
dés EI 2. Il donne un aperçu du style des protocoles entièrement
construits sur ce mode.
Les procédés EI 3 (évitements spécifiques, évocation d’éléments anxio-
gènes suivis ou précédés d’arrêt dans le discours) consistent à éviter la
référence aux éléments anxiogènes et/ou à limiter leur portée sans occul-
ter le conflit.
Les planches 3 et 7 du CAT recueillent le plus fréquemment ces réac-
tions d’évitement par rapport à la confrontation agressive. Exemple,
Louis (7 ans, planche 3) : « Alors là c’est un lion, un fauteuil [répète] le

1. Procédés proches des procédés C/P du TAT de l’adulte.

168
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

roi il a mal à une jambe, je crois. Il peut pas se lever. Y a une souris là. Et
le mur va se casser… [« Le mur va se casser ? »] Par terre, y a des
assiettes, des fleurs, y a des petits dessins sur les murs et il fume. Il
marche. Il doit… c’est un lion et voilà. [« Qu’est-ce qui lui était arrivé à
ce lion-roi ? »] Il était tombé dans un zescalier. » La transparence de la
thématique œdipienne subsiste de façon limpide dans cet extrait de proto-
cole où l’évitement de la confrontation s’exerce sur un mode phobique
plus habituel chez les enfants de 4-5 ans. L’évitement au PN consiste,
chez le même garçon, à ne pas utiliser en un premier temps les planches
mettant en jeu l’agressivité (« Jars », « Bataille », « Jeux sales »), mais la
conflictualisation s’exprime par leur choix parmi les planches non
aimées.
Dans d’autres contextes, les procédés EI 3, associés au recours à la réa-
lité externe et aux manifestations motrices, peuvent signer la pauvreté de
la vie fantasmatique.

Procédés traduisant le recours à l’affect (RA)1


RA 1 : Expression verbalisée d’affects.
RA 2 : Dramatisation, exagération, théâtralisme, affects contrastés,
labilité émotionnelle.
RA 3 : Accent mis sur la traduction corporelle de l’affect.
RA 4 : Affects inadéquats, affects massifs.

Les procédés RA 1 (expression verbalisée d’affects) montrent la possi-


bilité de mettre l’affect en mots dans la construction des récits. Évoquer
des pleurs chez le jeune enfant est une verbalisation d’affects, à la diffé-
rence de ce qui se passe chez l’adulte, pour lequel il peut s’agir de la tra-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

duction motrice d’un éventuel affect de tristesse. Les affects expriment à


divers degrés le plaisir et le déplaisir au moyen d’adjectifs et de substan-
tifs renvoyant directement à un état psychique (« triste », « content »,
« en colère », « peur » …). Les jeunes enfants se contentent le plus sou-
vent d’adjectifs sommaires (« gros », « méchant », « gentil ») ou
d’images symboliques (« géant », « monstre ») à travers lesquels se
condensent affects et représentations de relations.
Voici un exemple où la verbalisation d’affects constitue une ébauche
d’élaboration psychique malgré les difficultés de structurer le langage :
« Le petit lapin il avait peur, parce que les portes elle est ouverte et il disa :

1. Procédés proches, dans les protocoles d’adultes, des séries B, CN ou E.

169
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

c’est qui qui a rentré dans la porte ? et il descenda du lit […] » (Maxime,
6 ans, planche 9 du CAT).
Les procédés RA 2 (dramatisation, exagération, théâtralisme, affects
contrastés, labilité émotionnelle) .
Dramatisation et théâtralisme supposent une complaisance narrative où
le plaisir de dire, en se donnant à voir, est le plus souvent accompagné
d’un investissement particulier de l’expression corporelle. Chez les
jeunes enfants, ces procédés peuvent être le témoin d’une expression
spontanée mêlant au besoin bruitages, mimes, jeux de voix. À la planche
3 du CAT par exemple, Julien (3 ans et 2 mois) met en scène un lion vrai-
ment terrible qu’il imite en tout point en jonglant avec la sollicitation de
la planche et les pressions fantasmatiques de son âge : il raconte, mime,
rugit, menace… exerçant d’indéniables talents d’acteur sans recherche
particulière de l’effet produit. En période de latence et au-delà, on peut
dire qu’il y a toujours quête du regard de l’autre dans la complaisance à
mettre en scène les conflits.
La même différence existe entre les jeunes enfants et les plus grands au
niveau de l’intensité de l’expression affective : ce qui reflète la spontanéi-
té chez les uns peut devenir démarche défensive chez les autres. « C’est
une dame qui rentre dans la cuisine et elle voit quelqu’un par exemple
qui est en train de lire et elle aime pas déranger les gens. Elle aurait cru
qu’il avait personne. C’est chez elle là, hein ! Alors elle est un peu affo-
lée qu’y a des gens qui lisent [« Affolée ? »] Parce que c’est la première
fois qu’elle voit des gens en train de lire » (Myriam, 8 ans et 5 mois,
planche 5 du TAT). La sexualisation de la représentation est ici masquée
par l’affect.
Affects contrastés et labilité émotionnelle, courants chez les petits,
montrent les passages rapides, un peu magiques, d’un affect à un autre
portés par le même sujet ou par des protagonistes différents au sein d’une
même planche ou d’une planche à la suivante : « Ils sont tristes, après ils
sont joyeux. » Ces mêmes contrastes en période de latence peuvent
rendre compte de la persistance de la conflictualisation œdipienne :
« C’est l’histoire d’un garçon qui a connu, non qui a fait la connaissance
d’une fille. Alors un jour il demande à la mère de la fille s’il pouvait
l’épouser. Alors la mère ne voulut pas. Alors le garçon désespéré lui…
demande encore une fois. Elle répète non. Alors… le garçon désespéré
s’en alla chez lui. Deux semaines après il revient voir la mère, mère de la
fille, lui demande encore une fois si il pouvait l’épouser. Cette fois là la
dame joyeuse lui dit oui […] » (Omar, 9 ans et 10 mois, planche 6BM du
TAT).

170
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

Les procédés RA 3 (accent mis sur la traduction corporelle de l’affect)1 :


l’affect (dépressif) n’est pas verbalisé mais se déduit de l’insistance
accordée à la posture et à l’éprouvé corporel. Voici deux exemples four-
nis au CAT par Malek (7 ans et 7 mois) : « Y a trois ours… qui tirent une
ficelle. Ils sont sur une montagne et ils sont fatigués et y en a un qui tire
la ficelle et puis il va tomber et c’est tout. [« Il va tomber ? »] Il se
penche. [« Et c’est qui ces ours ? »] C’est des copains » (planche 3). « Y
a les petits frères qui dort dans le même lit et ils dort pas et il neige
dehors et les petits se racontent des histoires. [« Ils dort pas ? »] Parce
qu’ils ont froid. Et y a le papa ours qui dort avec la maman et ils se
cachent parce qu’ils ont froid et il fait nuit » (planche 5). Le vécu caren-
tiel et dépressif ne peut se dire par l’expression d’affect mais par la men-
tion d’un inconfort corporel.
Les procédés RA 4 (affects inadéquats, affects massifs) : sous une appa-
rence labile et excessive, parfois dramatisée, les affects ont pour particu-
larité leur incongruité. Exagérément négatifs, ils reflètent la disqualifica-
tion ; abusivement positifs dans des situations qui ne s’y prêtent pas, ils
peuvent rendre compte du déni maniaque d’affects dépressifs dont la
reconnaissance n’est pas supportable. « PN qui est tombé dans un petit
ruisseau. Là je l’aime bien parce que ça doit être amusant. Je l’aime bien,
PN, elle est amusante là-dedans où il est, chais pas si c’est une fille ou un
garçon » (Aurélie, 8 ans, PN « Nuit »).
Les affects massifs ont pour caractéristique d’envahir le discours au
détriment de son déroulement. Il s’agit le plus souvent d’affects de peur
dans des récits persévératifs.

Procédés traduisant le recours à l’imaginaire


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

et au fantasme (IF)2
IF 1 : Introduction de « personnages » non figurant sur l’image.
IF 2 : Appel à l’imaginaire enfantin des contes.
IF 3 : Mises en scènes, dialogues, accent mis sur les interactions, digres-
sions : transparence des messages symboliques.
IF 4 : Érotisation des relations, prégnance de la thématique sexuelle
et/ou symbolisme transparent.

1. Procédés proches des procédés CN 3 du TAT de l’adulte.


2. Procédés proches, dans les protocoles d’adultes, des séries B ou E.

171
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

IF 5 : Instabilité identificatoire, hésitations, confusions sur le sexe des


« personnages ».
IF 6 : Insistance sur les représentations d’action (aller, courir, dire, fuir,
faire).
IF 7 : Fabulation loin des planches, inadéquation du thème au stimulus.
IF 8 : Expressions crues liées à une thématique sexuelle ou agressive ;
expression d’affects et/ou de représentations massifs liés à
n’importe quelle problématique.
IF 9 : Confusion identitaire, télescopage des rôles, instabilité des objets.

Les procédés IF 1 (introduction de « personnages » non figurant sur


l’image), aisément repérables, supposent chez l’enfant la capacité de se
placer hors du champ perceptif pour faire appel aux personnages et/ou
aux animaux non figurés sur l’image. Loups, chasseurs, gros méchants,
monstres, Tarzan… font partie des « personnages » classiquement intro-
duits par les petits au CAT, tandis que frères et sœurs et amis se multi-
plient au PN. Le TAT favorise plutôt l’appel aux images parentales et à
leurs substituts. Le début de sexualisation des représentations induit
l’apparition des deux images parentales aux planches où une seule
d’entre elles est suggérée. L’introduction de personnages peut aussi tenir
du remplissage maniaque des planches évoquant la solitude et/ou alimen-
ter la fabulation loin du matériel.
Les procédés IF 2 (appel à l’imaginaire enfantin des contes)1 cèdent la
place aux rois et aux reines, à Boucle-d’or, à Blanche-neige, aux
méchants loups (les ours de la planche 2 du CAT), aux Poucets perdus,
etc. L’imaginaire enfantin s’empare d’un prétexte perceptif pour s’envo-
ler hors champ de la planche et alimenter l’expression romancée, à la fois
chaude et distanciée, des principales conflictualisations. À la différence
de l’item « insistance sur le fictif » (OC 2) entrant dans une démarche de
contrôle, la référence au conte est le tremplin d’une fantaisie personnelle
rapportée en général avec conviction et affects. L’item IF 2 néglige la
limite entre le réel et l’irréel. L’item OC 2 au contraire souligne la démar-
cation. Autant le premier prend des libertés par rapport aux fantasmes
collectifs, autant le second tend à se rapprocher des schèmes les plus
connus. Les procédés IF 2 s’associent à un travail de mise en scène et de
figuration d’éléments introduits. S’ils sont source de fantaisie, ils favori-
sent aussi les fabulations loin de l’image.

1. Voir les procédés IF2 au scéno-test, pages 63-64.

172
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

Les procédés IF 3 (mises en scènes, dialogues, accent mis sur les inter-
actions, digressions : transparence des messages symboliques)1 sont très
directement le témoin de l’existence d’une scène psychique sur laquelle
s’animent les « personnages » des planches à travers des récits en général
longs. Cette activité est d’autant plus remarquable que l’enfant est jeune
et néanmoins capable d’utiliser le langage des interactions : « se disputer »,
« se bagarrer », « se parler », « embêter l’autre », « se moquer de »… Le
déploiement d’un scénario futur s’inscrit dans le prolongement scénique :
« Il va rattraper PN, il va le manger » ; « Il va dire… faire. » Les procé-
dés IF 3 trament les fils de l’espace sur la chaîne du temps. « PN est tout
content de revoir sa maman avec tous ses amis. Il regarde : “oh maman,
oh maman !”, il cria très fort et après sa maman elle l’a puni. PN il est
très méchant avec sa maman, il désobéit, il crie aussi fort que François.
Alors PN il disa “oh ! maman pourquoi tu me punis ?” La maman disa
“parce que tu es très pas sage, alors je vais te mettre à la cave” »
(Nathalie, 6 ans, « Hésitation » PN).
Commentaires et digressions, loin d’occulter les évocations conflic-
tuelles, soulignent la résonance au contenu latent (à la différence des
commentaires émis dans une quête de relation avec le clinicien (RC 2) et
de ceux qui montrent un raccrochage au concret) : « Là ils dorment, ils
sont dans la chambre de la maman, ils sont dans un lit de bébé, aussi ils
sont petits et ils s’aiment beaucoup, et aussi ils s’amusent beaucoup. Ma
maman m’a mis du vernis. C’est beau ! Y a aussi la chambre de la
maman et du papa. Y a aussi la lumière qui est grande, qui est fait pour
allumer. Y a des fenêtres ouverts ou fermé[e]s » (Arielle, 5 ans et 5 mois,
planche 5 du CAT).
Les procédés IF 4 (érotisation des relations, prégnance de la théma-
tique sexuelle et/ou symbolisme transparent) peuvent apparaître sous des
formes plus ou moins adéquates signant :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

– chez le jeune enfant une précipitation dans la sexualisation des repré-


sentations que le moi encore immature n’est pas en mesure d’assumer ;
– en période œdipienne l’acuité de la conflictualisation dont l’expression
reste toutefois symbolisée (et non crue comme dans l’item IF 8 ) ;
– en période de latence, la persistance des préoccupations antérieures
qui peut revêtir une allure névrotique : « Ça c’est une maison à la
neige, l’a plein d’animaux, tous les animaux et ils habitent dans une
maison. L’a des pingouins, des éléphants, des oiseaux, des tigres, la
femelle éléphant et le mâle éléphant ils s’aiment, ils habitent là, y avait
des petits pingouins. Ils ont des petits pingouins perdus. Alors après,

1. Voir les procédés IF 3 au scéno-test, page 64.

173
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

ils, ils, ils les ont vus dans la forêt, alors après ils les ont accueillis,
après ils leur ont donné à manger, après ils sont devenus grands, après
ils sont [zont] aimé ; après l’avait la femelle et le mâle, ça arrivait
pareil avec le tigre, la même histoire ». Myriam (8 ans et 5 mois,
planche 19 du TAT) remplace les sollicitations prégénitales anxiogènes
par l’érotisation des représentations ; à la défaillance de contenant de
l’image maternelle, se substitue la fuite en avant dans la sexualisation
des représentations.
Les procédés IF 5 (instabilité identificatoire, hésitations, confusions sur
le sexe des « personnages ») : les confusions fréquentes et spectaculaires
se trouvent au PN, chez les jeunes enfants, sous forme d’inversion des
images parentales recouvrant un fantasme de père nourricier. Plus dis-
crètes au CAT et au TAT, les oscillations identificatoires peuvent prendre
appui sur certains contours mal définis. Mais bien plus significatifs sont,
en période de latence, les glissements opérés, non pas au niveau du per-
cept, mais au plan du langage sous forme de lapsus, d’inversions, de
superpositions, proche parfois du flou identitaire. « […] Il était 9 heures,
Stéphanie s’éveilla et alla prendre son déjeuner. Elle s’habilla. Il était
maintenant 10 heures. Jamais Stéphane n’avait autant dormi. La grand-
mère alla donc voir ce qui se passait, elle ouvrit doucement la porte de sa
chambre, s’approcha de lui […]. » (Françoise, 9 ans, planche 5 du TAT.)
Ces hésitations s’insèrent ici dans un ensemble par ailleurs bien
construit.
Les procédés IF 6 (insistance sur les représentations d’action (aller,
courir, dire, fuir, faire)) : l’accent est mis sur les représentations d’action
dans un contexte de mise en scène, en général dramatisée, à connotation
conflictuelle et/ou érotique (à la différence des items RE 2 où le « faire »
relève de la référence à l’expérience familière). « La maman, PN, il y a la
sœur, il y a Porcinet, le papa et l’autre sœur qui boivent du lait. PN il
galope pour prendre le lait à la maman, il galope pour prendre la douche.
Il vient prendre le lait de sa maman mais comme il y a déjà Porcinet… »
(Sylvie, 8 ans, PN « Hésitation ».)
Les procédés IF 7 (fabulation loin des planches, inadéquation du thème
au stimulus), à nuancer en fonction de l’âge, caractérisent des récits four-
nis, plein de rebondissements, d’aventures et de multiples « personnages »
introduits. Le clinicien a parfois du mal à se repérer dans la surabondan-
ce des données difficiles à prendre en notes. Cette difficulté est d’autant
plus grande que le récit s’éloigne du contenu latent et s’accompagne
d’interférences psychomotrices.
Par delà la facture labile, un surcroît d’excitation se fait jour, que

174
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

l’enfant parvient mal à écouler en petites quantités gérables au moyen


d’un langage construit. Cela ne devient réellement significatif qu’en plei-
ne période de latence.
Massivement utilisés en période de latence, ces procédés renvoient, soit
à l’existence de défenses maniaques passant par l’excitation de la pensée,
soit à une prévalence des processus primaires susceptibles d’imprimer un
mode psychotique de pensée.
L’exemple fourni par Andrée (7 ans) (planche 2 du CAT) montre, après
un bon ancrage perceptif initial, une surcharge fantasmatique que l’inter-
vention du clinicien permet ensuite de canaliser : « Il était une fois trois
ours. Un ours qui était un peu têtu [geste de la main] et puis un autre qui
avait toujours raison. Et puis le tout petit ours avait toujours moins raison
ou toujours plus raison. Il avait un peu les deux. Et puis celui qui était
têtu, c’était évident, le père. Et puis celui qui avait toujours raison,
c’était, devinez qui, c’était la mère. Et celui qui avait toujours un petit
peu raison et un petit peu moins raison c’était le fils. Et puis ils se dispu-
taient pour avoir la corde. Et la mère tirait, tirait, tirait... le fils tirait,
tirait, tirait... et le père tirait aussi [rire forcé]. Et puis à la fin la corde se
cassa en deux. Et du côté du bord du père et du côté du bord de la mère il
y avait l’île et puis dans l’île il y avait des crocodiles. Évidemment le roi
des crocodiles avec sa couronne sur la tête allait du côté du père. Tu vas
avoir peur! Et du côté de la mère il y avait la reine avec sa petite couron-
ne. Tu vas avoir peur! Et puis... le papa ours, comme la corde se déchira
en deux, le papa ours tomba sur la tête du monsieur crocodile, et la mère
tomba du côté de la reine et le petit resta enfin tout seul. Et puis de
l’autre côté au milieu il avait une forêt et des petits copains lapins [dis-
cours rapide impossible à noter]. [« Oui ! dis-moi comment ça finit »] Il
appelle ses frères, il prend la corde et il tire de chaque côté et il rencontre
le monsieur ours et de l’autre côté il tire la mère ours. »
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Les procédés IF 8 (expressions crues liées à une thématique sexuelle ou


agressive ; expressions d’affects et/ou de représentations massifs liés à
n’importe quelle problématique)1 : ces items ne prennent sens qu’en
période de latence, au moment où l’on s’attendrait à l’interposition du
refoulement vis-à-vis de telles manifestations. La crudité des thèmes et la
violence des modes d’expression des deux exemples donnés au TAT par
Mathilde (11 ans) se passent de commentaires : « Une petite fille qui
berce le bébé de sa mère. Elle le lâche. Le crâne s’ouvre et les boyaux
giclent » (planche 7GF). « Des bonshommes qui s’enculent [« Ça veut
dire quoi pour toi ? »] Faire l’amour par le cul et se sucent » (planche 10).

1. Cf. item IF 5 du scéno-test page 64.

175
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les procédés IF 9 (confusion identitaire, télescopage des rôles, instabi-


lité des objets) : ces confusions peuvent s’inscrire dans divers contextes
suivant le niveau de maturité et traduire une différenciation laborieuse
des sexes et des générations. Dans certains cas il s’agira d’une perturba-
tion profonde des repères spatiaux et/ou temporels préjudiciable à la
cohésion identitaire. Dans d’autres cas, ce sont les capacités d’individua-
tion et de défusion qui seront mises à l’épreuve. Mais aussi profondes
soient-elles, ces perturbations peuvent n’être que provisoires, rattachées à
l’éveil pulsionnel face à certaines planches. Voici la succession des trois
premières planches de PN choisies par Michel (6 ans et 3 mois) : « Le
cochon, il va sortir de la ferme, le chien, celui qui regarde, il s’appelle
PN, là un gros éléphant [montre l’un des gros cochons] » (Nuit) ; « Il se
sauve, le cochon, le papa, il a cassé la barrière » (Trou) ; « Le cochon il
mord ses poils, ça ne lui fait pas mal, le cerf, c’est le grand papa, c’est un
bébé » (Chèvre) ; Le bestiaire est ici totalement hétéroclite, discontinu,
mêlant les genres et les générations en reflet d’une confusion identitaire
globale. Chez Mathilde (11 ans), l’indifférenciation spéculaire s’accom-
pagne d’une confusion des repères intérieur et extérieur : « Ça je sais pas
ce machin avec une bonne femme dessus, un poster, elle admire sa sœur
jumelle dans le poster dans le mur » (planche 9GF du TAT).

Procédés traduisant le recours à l’objectivation


et au contrôle (OC) 1
OC 1 : Description avec attachement aux détails.
OC 2 : Insistance sur le fictif, éloignement temporo-spatial (avec ou
sans précision chiffrée).
OC 3 : Éléments de type formation réactionnelle (obéissance, gentilles-
se, propreté, aide, devoir, argent).
OC 4 : Annulation.
OC 5 : Isolement d’éléments, de personnages ou des séquences du récit.
OC 6 : (Dé)négation, déni.
OC 7 : Répétition, remâchage, persévération.
OC 8 : Fausses perceptions, « scotomes », bizarreries perceptives.

1. Versus construction de la pensée et versus désorganisation : ces procédés peuvent


témoigner d’un contrôle efficace (items proches des procédés « A » du TAT de l’adulte)
ou d’un pseudo-contrôle, relevant d’une logique arbitraire (items proches de certains pro-
cédés « E » du TAT de l’adulte).

176
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

OC 9 : Troubles de la syntaxe, troubles de l’organisation temporelle.


OC 10 : Liaisons arbitraires, associations courtes, bizarreries de la pen-
sée.

Les procédés OC 1 (description avec attachement aux détails) visent à


décrire très précisément l’image dans un contexte où la conflictualisation
est néanmoins abordée (différence d’ avec les procédés RE 1).
Chez les jeunes enfants, leur but peut être de saisir objectivement les
données1.
En période œdipienne, le surinvestissement des détails peut participer à
un évitement de la conflictualisation pourtant lisible : « Ah ! le lion et là
y a un trou et puis là… y a un lion qui est assis dans un fauteuil, il a une
pipe dans sa main et il a une canne qui tient sur, sur le manche du fau-
teuil et sa queue qui traîne par terre et puis son bras qui est mis sur le
manche et puis là y a un trou et puis là y a une petite souris. Puis c’est
tout. » (Marilyn, 5 ans et 3 mois, planche 3 du CAT.)
En période de latence, la description peut faire partie de modalités
défensives d’allure rigide et/ou inhibée : « … C’est une dame… qui…
qui prend des livres et puis sur l’autre côté là [montre] y a un homme
qui… euh… ben disons que ça c’est des vignes de raisin et il ramasse le
raisin et alors ils habitent dans ces maisons-là [montre]. [« Pourrait-on
raconter l’histoire de cette dame et de cet homme ? »] L’histoire des
livres, pour aller les vendre [s’agite, souffle] et elle les vend » (Jean-
Baptiste, 9 ans, planche 2 du TAT). Description, isolement et inhibition
s’interposent dans le rapproché œdipien signalé par l’éviction du deuxiè-
me personnage féminin.
Les procédés OC 2 (insistance sur le fictif, éloignement temporo-spa-
tial – avec ou sans précision chiffrée) : le caractère fictif du récit est sou-
ligné soit directement (« vrai-pas vrai »), soit par le biais de variations
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

dans les modes grammaticaux avec utilisation, notamment, des modes


passés. Ces tentatives introduisent une distance temporelle et quelquefois
spatiale.
Le repérage de ces procédés est tout à fait précieux chez les jeunes
enfants dans la mesure où ils rendent compte de la distinction établie
entre le réel et l’imaginaire dont le jeu peut être quelquefois extrêmement
subtil : « La famille singe. Une photo singe qui n’est pas jolie, alors ils
vont déménager. C’est un vrai singe, alors le singe il peut sortir de la
photo et quand ils reviennent ils voyent plus la photo […]. » Stéphanie

1. Cf. les procédés OC 1 du scéno-test.

177
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

(5 ans 2 mois, planche 8 du TAT) utilise là un procédé digne de Woody


Allen dans La rose pourpre du Caire1, une œuvre pourtant de pleine
maturité.
L’introduction du style « il était une fois » fait en même temps appel à
la distanciation du fictif et à la disponibilité de l’imaginaire. Les réfé-
rences datées et l’éloignement géographique sont plutôt rares au CAT et
au PN, le jeune enfant se contentant de situer l’action « avant » ou « loin ».
Un enfant de 5 ans est habituellement capable d’utiliser l’imparfait à titre
de modérateur de l’activité fantasmatique.
En période de latence, l’insistance sur le fictif et sur l’éloignement tem-
poro-spatial peut revêtir l’allure d’une systématisation défensive. Il est
important alors d’évaluer comment l’usage de la langue maternelle peut
se mettre au service de cette finalité. L’aisance, les hésitations, les diffi-
cultés, voire le chaos dans la mise en place de la conjugaison des temps,
constituent toujours un reflet des moyens dont dispose l’enfant pour
réduire les tensions pulsionnelles. « PN rêvait une nuit d’une petite tris-
tesse… quand ils allaient à l’abattoir. Toute la nuit il rêvait de ça… ils
revenaient, repartaient, toute la nuit il rêvait ça, d’aller à l’abattoir et de
retourner. Le lendemain il se dit si ils sont plus là en vrai, ou s’ils sont
là… » (Jean-Marc, 10 ans, PN « Charrette ».) Pour cet enfant, l’insistan-
ce sur le rêve empêche en partie l’évocation de la séparation et/ou de
l’agressivité au prix d’un remâchage. Mais cette planche figure en pre-
mier parmi les non aimées, « parce qu’il rêve d’aller à l’abattoir et puis
c’est pas vrai, si c’était vrai ça serait pas drôle… le matin ça sera vrai…
la maman et le papa ». On voit alors réapparaître les représentations indé-
sirables malgré les mécanismes défensifs mis en place. Dans le cas
d’Andrée (7 ans)2, la tentative d’utiliser le passé simple, loin de clarifier
ses propos, accentue le désordre des séquences temporelles, à l’image du
surcroît d’excitation pulsionnelle. Mais l’envahissement par les processus
primaires serait sans doute plus important sans cette distanciation.
Les procédés OC 3 (éléments de type formation réactionnelle : obéis-
sance, gentillesse, propreté, aide, devoir, argent) ont pour effet d’empê-
cher toute expression agressive et/ou désagréable au profit de son expres-
sion contraire : propreté, gentillesse, obéissance, sagesse… La valeur
défensive de ces procédés n’est envisageable qu’à partir de la période de
latence, en rapport avec une gestion difficile des motions agressives dont
les récits porteront inévitablement la trace par ailleurs. Toutes les

1. Allen W., 1985, The purple rose of Cairo, USA Production Orion Pictures.
2. Page 175.

178
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

planches figurant une relation peuvent refléter ce mode particulier : au


CAT, « les poussins mangent très proprement sans en mettre partout »,
« les ours font un petit jeu tranquille », « le lion et la souris sont des amis »…
La planche 10 éveille toutefois plus que les autres ce mode défensif : « Y
a une maman chien et son petit chien. Il veut aller aux WC qui sont
propres, qui sont tout blancs. La maman n’est pas contente. Le bébé
ouvre sa bouche toute grande parce qu’il est content et rigole. Il dit ça
sent bon les WC […] » (Denis, 6 ans). La formation réactionnelle s’insè-
re ici dans un contexte très clairement conflictualisé à travers les affects
contrastés prêtés aux deux protagonistes (content, pas content). Au PN,
« Jeux sales » se prête particulièrement à l’évocation d’une délectation
agressive par fratrie interposée : « J’aime pas quand on salit sa maman et
moi je suis là [le petit blanc à l’écart qui regarde] » (Claire, 7 ans et 5
mois). Toutes les planches suggérant l’agressivité peuvent faire l’objet
d’un traitement comparable en étant choisies parmi les non aimées mais
choisies quand même. Hervé (10 ans) attendra, lui, la planche 16 du TAT
pour livrer le récit suivant : « C’est l’histoire d’un garçon qui… veut aller
chercher des cerises pour ses parents et puis alors il voit que chez la mar-
chande où il veut aller c’est trop cher, il rentre chez lui et ses parents lui
disent tu vas aller en chercher dans les prés et alors sa mère lui dit aussi
“tu ne te salis pas, tu ne vas pas dans l’eau et tu ne déchires pas ta culot-
te” ; ensuite on voit, il rentre dans le pré et il est en train de retirer le
piquet d’une chèvre. Alors il a l’idée de l’énerver et qu’elle le lance en
haut du cerisier et en fait il est près d’une mare et elle le lance dans la
mare et puis après il grimpe à une échelle, l’échelle elle tombe et il s’est
fait accrocher une branche à sa culotte, il appelle au secours et le fermier
lui donne l’échelle, il descend et ensuite il dit sur la route “oh ! mes
parents seront contents que je leur amène des bonnes cerises” et en fait il
était tout mouillé, il avait la culotte toute déchirée. Et puis c’est tout. »
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Les procédés OC 4 (annulation) ont une correspondance assez directe


avec le mécanisme défensif qui les sous-tend. Ils consistent à « faire en
sorte que des pensées, des paroles, des gestes, des actes passés ne soient
pas advenus »1. Par exemple, à la planche 7 du CAT, après avoir été
dûment mangé par le tigre, le singe se rétablit magiquement ; l’homme
« blessé » à la planche 8 du TAT « avait juste eu un petit peu mal au
ventre » La formulation « il avait rêvé », « c’était seulement en rêve »,
introduit une explication plausible grâce au recours au fictif.

1. Laplanche J., Pontalis J.-B., 1967, p. 29.

179
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les procédés OC 5 (isolement d’éléments, de personnages ou de


séquences du récit) se rapportent à l’absence de liens dans l’organisation
perceptive ou narrative.
Chez les petits de 3 ans, ces procédés renvoient à l’état « maturatif »
qui privilégie la juxtaposition avant que la représentation des relations ne
puisse se verbaliser. D’où le style énumératif des protocoles avec, tout au
plus, un début de succession chronologique.
Vers 5 ans et surtout au-delà, ces procédés peuvent s’installer au servi-
ce de l’isolation, marquée soit par la fragmentation perceptive, soit par
un changement de direction dans le cours de l’histoire. En ce cas, ce qui
tend à se délier finit tôt ou tard par se relier au nom du lien libidinal à
l’objet, mais les séquences isolement/relation se donnent surtout à voir à
travers la succession des planches.
Dans d’autres contextes, il peut s’agir de véritables ruptures de liens,
sans retour, apparentées au clivage. Seul le contexte global du protocole
autorise cette lecture.
Un isolement particulier mérite d’être signalé, qui consiste à figer les
représentations de telle sorte que toute liaison libidinale soit écartée :
« oursons empaillés », « lion en pierre », « statue »… On assiste, plus
qu’à un isolement, à une véritable pétrification pulsionnelle, toujours pré-
occupante chez l’enfant.
Les procédés OC 6 ((Dé)négation, déni) ne sont pas simplement un
artifice logique ou grammatical. Ils désignent une particularité de langa-
ge sous-tendue par un mécanisme défensif.
Issus du refoulement, désirs, pensées ou sentiments sont formulés par
la (dé)négation qui correspond en fait à une affirmation : « Les poussins
ont un grand plat. Ils vont manger de la purée, ils vont se régaler […] les
petits doivent manger une poule. [« Une poule ? »] C’était pas leur
maman. » (Denis, 6 ans, planche 1 du CAT.) La dénégation porte ici sur
le fait que la représentation agressive, indésirable, appartienne au narra-
teur.
Liés au refus de la réalité externe, ces procédés relèvent du déni ;
mécanisme banal chez le jeune enfant, préoccupant plus tard s’il devient
répétitif. Le déni a en effet des conséquences sur le plan perceptif. Le
déni peut porter sur la taille respective des protagonistes, sur la différence
des sexes et des générations.
Le déni de l’affect dépressif ou de l’affect d’angoisse se rapportant à la
réalité interne peut emprunter le détour de la perception externe (exemple
planches 5 et 9 du CAT : « Il fait beau, le soleil brille ») ou passer par un
remplissage imaginaire (exemple planche 16 du TAT : « Il y a plein de

180
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

monde, ils font une grande fête… »). Dans ces cas il s’agit d’une modali-
té défensive à connotation maniaque.
Les procédés OC 7 (répétition, remâchage, persévération) désignent
différents degrés et différents contextes où la répétition intervient.
La répétition peut souligner l’enlisement dans l’expression conflic-
tuelle :
– à travers un aller-et-retour par exemple entre l’expression pulsionnelle
et la défense. Il s’agit là de modalités élaborées en liaison avec le
refoulement ; elles ne peuvent donc prendre sens qu’à partir de la
conflictualisation œdipienne ;
– dans un contexte dépressif où la dépendance à l’objet et le risque de
perte entraînent une rumination de la pensée : « C’est un lion, puis
c’est le roi, un grand-père lion, il attend sa fille, elle vient pas, sa fille
vient pas encore, le roi s’inquiète puis elle vient pas, il se met à pleu-
rer, puis la fille elle vient. “Pourquoi t’es pas venue ?” […] » (Cécile,
8 ans, planche 3 du CAT).
Mais il peut aussi s’agir d’un mouvement persévératif apparenté à la
compulsion de répétition : mécanisme par lequel une pensée, un acte, une
opération défensive sont inconsciemment reproduits en dépit du déplaisir
qu’ils engendrent. La répétition de la même thématique d’une planche à
l’autre, quel que soit le stimulus, relève de ce mécanisme. Pour
Alexandre (12 ans), tous les récits du TAT reproduisent, à partir de la
planche 7BM, le même thème de guerre et de destruction que l’accumu-
lation des défenses rigides ne réussit plus à endiguer.
Les procédés OC 8 (fausses perceptions, scotomes1, bizarreries percep-
tives) concernent les différentes formes d’avatars perceptifs.
Voici un exemple d’utilisation de Dd rare inscrit dans un contexte
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

d’hypersensibilité au cadre et à l’environnement (en liaison avec l’item


RE 3 et RE 4) : « Ça c’est le kangourou, il est sur son vélo et y a plein de
sapins et la maman elle a un chapeau, elle a un sac, un ballon et un
panier. Puis y a des petits lapins [désigne les petites ombres grises à droi-
te au pied des sapins] puis là c’est un animau [désigne l’animal sur le
vélo] » (Marine, 6 ans, planche 4 du CAT). La perception du bébé dans la
poche est scotomisée tandis que les légères ombres grises donnent lieu à
une hypervigilance perceptive.

1. Terme proposé par V. Shentoub, par analogie avec le phénomène ophtalmologique


correspondant.

181
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Exemple de fausse perception : « Peut-être que là y a eu la femme qui


se fait déshabiller ou qui se fait opérer […] » (Fabien, 10 ans, planche 8
du TAT).
Exemple de scotome : au CAT, le tigre seul ou le singe seul sont perçus
planche 7 malgré la suggestion du clinicien. Les petits blancs ne sont pas
perçus à « Tétée 2 » du PN, la planche devenant une réplique de « Tétée 1 ».
Les procédés OC 9 (troubles de la syntaxe, troubles de l’organisation
temporelle) illustrent des difficultés et/ou des altérations dans la structure
du discours.
Ces troubles peuvent résulter d’une utilisation encore incertaine de la
langue chez des enfants jeunes ou présentant un retard maturatif : « Il a
un tigre ! Et il a un chinge, il veut se battre. Alors il se bat et il a envie de
le manger [agité] alors il va essayer d’akraper la ficelle, et pis il a une
pierre, il a des arbres là. À ce que… il se bat… et s’ils ont envie de se
battre… et ben le chinge il va akraper la ficelle et il va tirer sur la queue
du tigre. Et si il est mort il dira le chinge que c’est bien fait parce qu’il
est méchant. Alors il dit que… je te mange… le tigre il dit, alors il dit
c’est d’être copain. » (Maxime, 6 ans, planche 7 du CAT.)
Le non-accès, en période de latence, à la structure syntaxique liée aux
difficultés identitaires peut s’illustrer ainsi : « Euh, un, un, un nion avec
une canne [chante] avec une pipe, et l’était caché le fauteuil et tous les
journées je vois plus rien et puis tout là, là et le lion y demande ça va, la
petite souris les regarde. Elle a fait un trou dans le mur et après demande
à le nion veut te taire un peu et le loup et le nion veut faire toujours du
bruit. Et lui met l’aiguille dans le cul [?] et y fait comme ça [geste]. »
(Violette, 7 ans et 10 mois, planche 3 du CAT.)
Dans un contexte par ailleurs bien organisé, les troubles passagers de la
syntaxe sont les témoins d’une circulation fantasmatique laissant affleu-
rer les rejetons de l’inconscient : les lapsus, les classiques fautes d’accord
masculin-féminin font régulièrement partie des achoppements situés au
niveau identificatoire.
Les procédés OC 10 (liaisons arbitraires, associations courtes, bizarre-
ries de la pensée) renvoient à des troubles plus ou moins intenses de la
pensée.
Ils peuvent survenir en petite quantité dans n’importe quel contexte :
des rationalisations arbitraires, par exemple, chez les petits au moment
où s’installent les processus d’objectivation, passent par l’utilisation mal-
adroite des relations causales : « à cause que », « t’as pas vu ses yeux ? »
Ils peuvent revêtir d’autre valences lorsqu’en période de latence ils
entravent de façon répétitive la cohérence des récits. « Ça c’est un, c’est

182
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

un… c’est au bord de l’eau, y a la nature dont un bateau. Y a un bateau


sur l’eau. La nature redevient belle. C’est le printemps, les arbres fleuris-
sent, les herbes jaillissent maintenant. L’eau est plus claire. Cette nature
favorise des heureux spectateurs. C’est beau alors ça favorise des pas-
seurs, des voyageurs. La nature se fait de plus en plus belle pour plaire
aux voyageurs, aux gens qui veulent se reposer pendant l’été… et le prin-
temps aussi » (Jean 12 ans, planche 12BG du TAT). Malgré le surinves-
tissement du langage et de la réalité externe, le fil chaotique de la pensée
transparaît derrière le placage de locutions inappropriées tenant lieu de
contenant.

8.3. Synthèse

Repérage des procédés d’élaboration des récits

La synthèse des données consiste à prendre en compte la façon dont les


modes formels d’expression véhiculent les principales problématiques
réactivées par le matériel. Il s’agit d’apprécier, en fonction de l’âge, dans
quelle mesure la configuration des procédés utilisés renvoie à une diver-
sité, à une restriction ou à une répétition des ressources défensives pour
aborder et organiser les conflits. Cette mobilisation défensive est-elle
adaptée, efficace, ou grève-t-elle les possibilités d’aménagement ? Quels
conflits sont structurants ? Où sont les points de fragilité ? Le regroupe-
ment des procédés ne peut s’effectuer que de manière qualitative en gar-
dant toujours en vue les problématiques auxquelles les procédés s’appli-
quent.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Pratiquement, les différents procédés ayant été notés en clair tout au


long de l’analyse planche par planche, au fur et à mesure du dégagement
des problématiques, la démarche de regroupement s’effectue en deux
temps : le premier temps réside dans un repérage des procédés pointés à
l’aide d’un signe quelconque sur la feuille récapitulative ; il donne une
idée d’ensemble des modalités essentielles. Le deuxième temps com-
prend une récapitulation plus fine, planche par planche1, permettant de
visualiser la dynamique créée par les sollicitations latentes et par la pro-
gression temporelle de la passation imposée par le clinicien ou choisie

1. L’écriture des procédés en ordonnée et des planches en abscisse par exemple est
extrêmement commode, notamment dans les travaux de recherche auprès de groupes.

183
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les procédés d’élaboration des récits : récapitulation


Procédés traduisant le recours à la sphère motrice et corporelle (MC)
MC 1 : Retrait, inhibition motrice, manifestations auto-érotiques.
MC 2 : Instabilité psychomotrice, agitation motrice et/ou verbale, interruptions
par l’agir.
MC 3 : Rires, mimiques, grimaces, bruitages, onomatopées.
MC 4 : Participation corporelle : déplacements, gestes.
Procédés traduisant le recours à la relation avec le clinicien (RC)
RC 1 : Recherche de rapproché corporel.
RC 2 : Questions, remarques adressées au clinicien, appels, apostrophes.
RC 3 : Critiques du matériel et/ou de la situation, plaintes, demandes de gratifi-
cations annexes.
RC 4 : Auto-dépréciation, auto-valorisation.
Procédés traduisant le recours à la réalité externe (RE)
RE 1 : Recours à l’évidence, accrochage au contenu manifeste.
RE 2 : Recours aux clichés de la vie quotidienne, accent porté sur le concret, sur
le faire, sur le conformisme, références à la réalité environnementale.
RE 3 : Insistance sur le cadrage, les délimitations et les supports (présents ou
manquants).
RE 4 : Insistance sur les qualités sensorielles du matériel.
RE 5 : Surinvestissement de la qualité de l’objet ; attachement aux Dd narcis-
siques (valence positive ou négative).
Procédés traduisant le recours à l’évitement et à l’inhibition (EI)
EI 1 : Restriction, silences, refus, tendances refus, nécessité poser questions.
EI 2 : Anonymat, motifs des conflits non précisés, placages, banalisation.
EI 3 : Évitements spécifiques, évocation d’éléments anxiogènes suivis ou précé-
dés d’arrêt dans le discours.
Procédés traduisant le recours à l’affect (RA)
RA 1 : Expression verbalisée d’affects.
RA 2 : Dramatisation, exagération, théâtralisme, affects contrastés, labilité émo-
tionnelle.
RA 3 : Accent mis sur la traduction corporelle de l’affect.
RA 4 : Affects inadéquats, affects massifs.
Procédés traduisant le recours à l’imaginaire et au fantasme (IF)
IF 1 : Introduction de “personnages” non figurant sur l’image.
IF 2 : Appel à l’imaginaire enfantin des contes.
IF 3 : Mises en scènes, dialogues, accent mis sur les interactions, digressions :
transparence des messages symboliques.
IF 4 : Érotisation des relations, prégnance de la thématique sexuelle et/ou sym-
bolisme transparent.
IF 5 : Instabilité identificatoire, hésitations, confusions sur sexe “personnages”.
IF 6 : Insistance sur les représentations d’action (aller, courir, dire, fuir, faire).
IF 7 : Fabulation loin des planches, inadéquation du thème au stimulus.
IF 8 : Expressions crues liées à une thématique sexuelle ou agressive ; expres-
sion d’affects et/ou de représentations massifs liés à n’importe quelle pro-
blématique.
IF 9 : Confusion identitaire, télescopage des rôles, instabilité des objets.
Procédés traduisant le recours à l’objectivation et au contrôle (OC)
OC 1 : Description avec attachement aux détails.
OC 2 : Insistance sur le fictif, éloignement temporo-spatial (avec ou sans préci-
sion chiffrée).
OC 3 : Éléments de type formation réactionnelle (obéissance, gentillesse, propre-
té, aide, devoir, argent).
OC 4 : Annulation.
OC 5 : Isolement d’éléments, de personnages ou des séquences du récit.
OC 6 : (Dé)négation, déni.
OC 7 : Répétition, remâchage, persévération.
OC 8 : Fausses perceptions, scotomes, bizarreries perceptives.
OC 9 : Troubles de la syntaxe, troubles de l’organisation temporelle.
OC 10 : Liaisons arbitraires, associations courtes, bizarreries de la pensée.
184
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

par l’enfant. Certaines modalités de procédés se concentrent-elles sur


certaines planches ? se dispersent-elles sur d’autres ? disparaissent-elles
par ailleurs ? Quelles modifications apporte aux choix initiaux des
planches de PN la possibilité d’établir des choix affectifs ? Ce regard,
quoique rapide, autorise déjà une articulation entre les grandes lignes de
problématiques et les moyens qu’a l’enfant de les traiter. Mais étant
donné la polysémie des items, la synthèse ne saurait en aucun cas se
départir du contexte sous peine de ne retenir que quelques approxima-
tions générales : la nature précise des procédés utilisés est aussi détermi-
nante que leur répartition.

Des procédés aux configurations défensives

Les défenses primitives


La projection est une modalité habituelle et nécessaire chez le jeune
enfant, car elle témoigne de la disponibilité des processus inconscients au
sein d’une activité psychique où fantasme et réalité ne rencontrent pas
encore de cloisons étanches. Sous sa forme verbale, la projection passe
prioritairement par le recours, à divers degrés, à l’imaginaire et au fantas-
me (IF). Au besoin, motricité et affects (procédés MC et RA) participent
à l’expression projective. La projection devient pathologique dans sa sys-
tématisation au-delà de l’âge où fantasme et réalité sont censés se diffé-
rencier. Mais il est bien rare que la projection s’exerce seule, sans la
modulation fournie par l’évidence de la réalité externe (items RE 1, 2, 3, 4)
ou sans aucun recours à une tentative de contrôle (OC). Cela conduirait à
une indistinction entre monde interne et monde externe et même à
l’absence de langage. Dans les épreuves thématiques verbales, la projec-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

tion massive passe nécessairement par les défaillances du langage, qui


rendent compte des difficultés identitaires sous-jacentes (OC9, OC 10).
Le clivage du moi, courant chez les petits, peut s’inférer à partir de
6-7 ans des coupures radicales, parfois préoccupantes, qui régissent la
succession des planches comme si ces dernières n’étaient pas racontées
par le même enfant. Par exemple, à une planche saturée en représenta-
tions massives crûment exprimées (IF 8) succède une planche totalement
banale dictée par le conformisme et le factuel (RE 1, RE 2). Les manifes-
tations du clivage peuvent bien entendu se signaler aussi de façon plus
subtile ; au sein d’un même récit se succèdent alors des procédés très
contrastés ou apparaissent des coupures dans la continuité perceptive ou
narrative propres à certains aspects de l’item OC 5.

185
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Le déni (de la réalité externe) porte sur les caractéristiques perceptives


manifestes du matériel sous forme de scotomes ou d’aberrations percep-
tives (OC 8) susceptibles d’entraîner les confusions identitaires (IF 9).
Comme toute défense primitive, son caractère pathologique est fonction
de son intensité et des articulations aux autres modalités.

Les défenses liées à l’élaboration de la position dépressive

Les défenses apparentées au déni maniaque trouvent aux épreuves ver-


bales un terrain d’expression moins privilégié qu’aux épreuves de jeu. Le
recours répétitif à la sphère motrice et corporelle (MC 2, 3) en devient
d’autant plus parlant, de même que s’avère très significative l’importance
accordée à la relation avec le clinicien (RC 2, 3, 4). Peuvent s’y ajouter le
recours à des affects exagérés et/ou inadéquats (RA 2, 4), un « remplissa-
ge » de personnages ou animaux non figurants sur les images (IF 1), un
surinvestissement de la qualité de l’objet (RE 5) et/ou de la représenta-
tion de soi (RC 4).
Les défenses narcissiques : les mêmes items peuvent, suivant l’âge,
renvoyer au soubassement de la cohésion identitaire ou, à partir de 6-7 ans,
à la systématisation de modalités défensives à valeur antidépressive. Ces
items recouvrent toutes les modalités tendant, d’une manière ou d’une
autre, à surinvestir l’extérieur plutôt que l’intérieur trop précaire (RE).
Les défenses narcissiques visent plus précisément à renforcer les parois
externes en accentuant les délimitations, les surfaces et la sensorialité
enveloppantes (items RE 3, 4, 5), afin d’éviter l’évocation de la souffran-
ce. L’insistance sur la traduction corporelle de l’affect (RA 3) permet
d’écarter le vécu dépressif ; les confusions identitaires (IF 9) sous l’angle
spéculaire, à l’extrême la pétrification pulsionnelle de certains isolements
(OC 5), empêchent toute confrontation à l’objet susceptible d’entraîner
sa perte. Dans d’autres contextes, l’hyperexpressivité corporelle (MC 4)
procède d’une mise en avant de soi valorisante mais intégrée à un systè-
me froid et peu relationnel.
Le surinvestissement de la réalité perceptive (items RE 1, RE 2) peut
avoir une valeur antidépressive lorsqu’il empêche la dramatisation des
conflits au prix d’un espace psychique inhabité. Restriction et évitement
s’associent alors au non-déploiement fantasmatique. Mais ces modalités
n’empêchent pas nécessairement le recours à l’objectivité et au contrôle
(items OC 1, 2, 5), elles sont compatibles avec le surinvestissement du
savoir et des apprentissages en guise de contenant.

186
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

Les défenses de type névrotique (structurantes ou gênantes)


L’évitement de type phobique (à partir de 4-5 ans) se caractérise par la
prévalence des procédés EI (1 2 3) n’entravant pas radicalement la mise
en scène des conflits (IF 1, 2, 3, 4, 5, 6).
Le refoulement (à partir de 6-7 ans) s’appuie préférentiellement sur la
verbalisation d’affects (RA 1 2) en guise de représentation, sur le recours
à la sphère corporelle, versus inhibition (MC 1) et/ou versus hyperexpres-
sivité (MC 4). Le recours au fantasme a valeur de refoulement s’il consti-
tue un écran transparent vis-à-vis des représentations indésirables. Pour
être structurant, le refoulement doit s’accompagner de régulations par les
mécanismes de contrôle, témoins d’un ancrage suffisant dans l’analité.
Sinon il revêt une connotation névrotique plutôt défavorable.
Les défenses rigides sous-tendent les procédés OC (1, 2, 3, 4, 5, 6).
Leur usage, à petite dose, conditionne la construction de la cohésion
identitaire et le devenir des investissements objectaux. La déficience des
défenses rigides signe la précarité de l’ancrage anal ; cette précarité peut
entraîner la projection sur un éventuel mode persécutif ou au contraire,
sur un mode dépressif, la perte d’un objet interne insuffisamment solide.
L’excès de défenses rigides ressemble à des mouvements de constriction
opposés à l’admission d’expériences nouvelles ; il va à l’encontre du pro-
cessus maturatif et peut provoquer la névrotisation des conflits.

Registres de problématiques

Il convient maintenant de récapituler les problématiques apparues à tra-


vers la succession, imposée ou choisie, des planches et de s’interroger sur
leur valeur structurante ou non. Cela revient à se demander si l’enfant
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

peut aborder les sollicitations respectivement orales, anales et phalliques,


sans être débordé par elles (au CAT et au PN surtout). Quelle direction,
active ou passive, impriment les pulsions partielles ? Quelles qualité et
quantité d’agressivité véhiculent-elles et quels sont les moyens de la
canaliser ? Autorisent-elles l’apparition d’une problématique œdipienne
propice aux repérages et aux choix identificatoires ? Avec quel degré de
symbolisation ces problématiques s’expriment-elles ? Quelle est l’adé-
quation de l’affect ?
Comptabiliser le nombre de thèmes, oral, anal ou autres d’un récit, ne
permet pas de répondre à ces questions essentielles. Ce qui importe, c’est
d’apprécier le degré de résonance fantasmatique de l’enfant face aux sol-
licitations latentes ; de cette plus ou moins grande perméabilité dépend la

187
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

capacité à mettre en scène les conflits au moyen d’un récit organisé. Si la


construction verbale s’élabore au moyen de défenses relativement
souples et variées (eu égard à l’âge), on peut penser que la problématique
est structurante. Il peut s’agir, à l’inverse, de difficultés de structuration
lorsque la surcharge défensive et/ou projective entrave la verbalisation
des problématiques suggérées par le matériel. Il y a aussi difficulté, si
une même problématique se répète tout au long d’un protocole, indépen-
damment des stimuli.
N’importe quelle problématique est structurante si elle survient là où
elle est attendue, en quantité gérable par le langage et à travers une liai-
son adéquate entre les représentations et les affects.
Ainsi, l’existence d’une identité stable et cohérente peut se déduire de
la qualité (toujours eu égard à l’âge) des constructions narratives quand
la réalité externe se dégage clairement de la réalité interne, quand les pro-
cessus secondaires rendent les récits compréhensibles pour autrui. Ceci
sans excès non plus, car une secondarisation exagérée, traduite par un
investissement adultomorphe du langage, n’est pas forcément de bon
aloi.
L’accès aux repérages identificatoires et à la triangulation œdipienne
n’apparaît pas seulement dans les différenciations sexuées : en période de
latence, c’est la structuration du langage qui en devient un témoin princi-
pal à travers la mise en place des conjugaisons et des accords grammati-
caux. Peu importe alors ce qui est dit, tout dépend du comment de
l’expression verbale. Une thématique à teneur régressive véhiculée par
un discours élaboré, sans surcharge défensive et admettant la distinction
des genres, renvoie à une problématique élaborée. Contenus régressifs et
régression temporelle1 ne doivent pas être confondus.
De même, l’élaboration de la position dépressive ne se mesure pas au
nombre d’histoires gaies ou tristes ou au fait qu’elles finissent bien ou
mal. Elle passe par l’élaboration d’un discours admettant la liaison entre
affects de tristesse et représentation de perte d’objet face aux planches
réactivant cette problématique. L’absence de toute problématique dépres-
sive au CAT, au PN ou au TAT ne signifie pas absence de dépression ;
elle indique seulement que cette position est inabordable autrement que
par des défenses massives et coûteuses.

1. Dans son sens temporel, la régression suppose une succession génétique et désigne
le retour du sujet à des étapes dépassées de son développement (stades libidinaux, rela-
tions d’objets, identifications, etc.) (Laplanche J., Pontalis J.-B., 1967, p. 400).

188
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

Hypothèses concernant le fonctionnement psychique

L’approche dynamique du fonctionnement psychique reste la même


quelle que soit l’épreuve utilisée. Elle consiste à évaluer non seulement
les facteurs convergents dans le sens d’un diagnostic donné mais aussi,
ou surtout, à mettre en évidence tous les éléments pouvant imprimer
d’autres directions. C’est là qu’une parfaite connaissance du psychisme
normal et pathologique de l’enfant s’impose, afin de mettre en balance
toutes les nuances complexes susceptibles d’obéir à des agencements
mouvants et diversifiés au sein de configurations relativement voisines.
Voici pour repères les organisations psychopathologiques franches autour
desquelles gravitent pléiades de constellations.

Les organisations psychotiques

Elles se caractérisent soit par une production désertique sous-tendue


par le retrait d’investissement objectal, soit par l’envahissement des pro-
cessus primaires au plan du percept et des modes de pensée venant désor-
ganiser le discours. L’activité perceptive, submergée par l’activité projec-
tive, laisse apparaître des fausses perceptions, des bizarreries, des sco-
tomes, tandis que la pensée s’organise sans cohérence au moyen de liai-
sons arbitraires ou de soudaines ruptures de liens peu aisées à décrypter.
Le déroulement chaotique du langage illustre cette logique particulière,
aride ou insaisissable : le processus primaire ignore le temps, il n’admet
pas la contradiction et ne s’embarrasse pas de règles grammaticales.
Certains protocoles montrent au contraire, chez des enfants d’au moins 7-
8 ans, un surinvestissement du langage usant de termes précieux et
recherchés mais comme dénués de significations : ils semblent confec-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

tionnés à l’aide de coutures mécaniques prêtes à se défaire mais cher-


chant à assurer un semblant de liaison à tout prix. La problématique est
en effet essentiellement identitaire, axée sur la cohésion et la permanen-
ce, que les défenses primitives majoritaires sont peu à même de garantir.
D’où les confusions dedans/dehors, les superpositions de genres,
d’espaces, de génération et a fortiori de sexes. La déliaison des affects et
des représentations laisse surgir massivement les angoisses archaïques
d’annihilation, de destruction et/ou de morcellement, sans transposition
symbolique. La relation avec le clinicien porte toujours la marque de ces
altérations profondes de la structuration du psychisme.

189
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Les organisations dysharmoniques


Comme le montrait déjà le travail de N. Rausch de Traubenberg et al.
(1973), les troubles de la personnalité ni psychotiques ni névrotiques se
signalent très différemment : chez les enfants présentant une vie fantas-
matique exubérante, l’adéquation perceptive et langagière initiale des
récits se trouve rapidement débordée par le flot des fabulations hors
images, et ce d’autant plus que les sollicitations du matériel concernent
l’agressivité et la sexualité. La crudité des associations et des modes
d’expression peut être alors spectaculaire mais voisinant avec des récits
beaucoup plus symbolisés et adéquatement construits. Car la destructivité
au cœur de la problématique semble prête à se saisir de tout prétexte pour
faire exploser les limites des capacités adaptatives présentes par ailleurs.
À côté des défenses primitives existent des modalités plus élaborées, ou
tout au moins plus socialisantes, comme le recours à la réalité externe ;
mais on ne peut parler de défenses réellement névrotiques vu la défaillan-
ce du refoulement. Les modes relationnels sont extrêmement variables
d’un enfant à l’autre.
Lorsque prédominent les problématiques carentielles et dépressives1,
les productions se heurtent au contraire à la pauvreté du travail associatif
liée à la difficulté de combler le vide interne. Les relais pris par l’agir
dans des situations privilégiant en principe le dire, l’accrochage à la rela-
tion avec le clinicien ou aux réalités environnementales sont alors autant
de substituts de l’activité psychique dont la défaillance se détache en
creux sur un fond de dépendance objectale et de vulnérabilité. L’angoisse
est ici d’abord dépressive, même si secondairement se trouvent parfois
engagées des déstabilisations identitaires lorsque l’étayage vient à man-
quer. C’est dans ces derniers contextes que la pensée peut alors se désor-
ganiser pour rendre, à ce prix, la perte d’objet moins intolérable.

Les organisations d’allure névrotique


Elle se décèlent d’autant plus aisément que la période œdipienne est
censée révolue. Que l’orientation soit rigide, de type obsessionnel, ou
labile à composante hystérique, le point commun reste toujours la
conflictualisation entre l’expression pulsionnelle et les mesures défen-
sives, marquant les mouvements caractéristiques d’aller-retour entre désir
et défense, entre satisfaction et interdiction. La « névrose de l’enfant »

1. Désignées par « pathologies narcissiques » et/ou « anaclitiques » in Misès R. et al.


(1988).

190
DÉPOUILLEMENT DES ÉPREUVES THÉMATIQUES VERBALES

est toujours une maladie du surmoi laissant en suspens le choix œdipien,


désiré et inacceptable. Il s’agit d’une problématique centrale autour de
laquelle se forgent les compromis pour ne pas encourir le risque de la
castration. La question n’est pas celle de la différenciation des images
parentales mais bel et bien celle du choix objectal le moins compromet-
tant pour l’économie psychique. D’où les oscillations identificatoires
dans les récits et les évitements circonstanciés. La dramatisation des
conflits rend compte de l’existence d’une scène psychique sur laquelle
les scénarios peuvent se « jouer », montrant la prééminence de l’hystérie,
quelles que soient les formes cliniquement adoptées (S. Lebovici, 1980).
C’est précisément ce modèle structural que les épreuves thématiques per-
mettent d’appréhender à travers la complémentarité observée entre le
refoulement et les modalités privilégiant le contrôle.

191
9. ILLUSTRATIONS CLINIQUES

9.1. Déclin de l’Œdipe et dépression :


CAT de Line (5 ans et 2 mois)

L’examen a été pratiqué en vue d’un passage anticipé en CP souhaité


par l’école. La famille, manifestement attentive et structurante, hésite.
Line se montre, elle, très déterminée à apprendre à lire comme sa sœur,
âgée de 7 ans. Le CAT s’insère dans un bilan relativement bref, faisant
état d’un développement psychomoteur et intellectuel homogène d’enfant
de 6 ans. Fillette harmonieuse, de grande taille pour son âge, Line offre
tout au long du bilan un contact aisé, direct, mêlant la réflexion à la fan-
taisie. Les dessins colorés, bien structurés et livrés spontanément, témoi-
gnent d’une distinction claire entre espace interne et espace externe ;
l’image du corps paraît positivement investie à travers ces productions
comme à travers l’aisance gestuelle ; l’accès aux différenciations de
génération et de sexe y est nettement marqué. À noter toutefois la tonalité
un peu triste du dessin de famille.

Line coopère activement au CAT sur un mode plutôt ludique, le langa-


ge est clair et diversifié. La plupart des récits se déroulent à l’imparfait
ou au moyen des balbutiements du passé simple, à valeur de différencia-
tion entre le réel perceptif et l’imaginaire de la narration. Seule la
planche 8 fait l’objet d’une restriction.

192
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Analyse planche par planche du protocole de CAT

Planche 1
« Un petit oiseau, un petit oiseau et un petit oiseau, trois petits oiseaux
qui voulaient manger et qui zavaient pas de parents et ils pouvaient pas
manger parce qu’ils voulaient pas se servir tout seuls et leurs parents
étaient morts. Ils voulaient pas manger tout seuls. [« Ils étaient morts ? »]
Parce qu’ils voulaient aller à la guerre sans leurs petits oiseaux, parce
qu’ils étaient trop petits pour aller et les cow-boys les ont tués. Et ils
savaient rien faire. »

Procédés : après un début un peu hésitant empreint de répétitions


(OC 7) permettant de différer l’expression pulsionnelle, le récit s’engage
dans l’évocation dramatisée d’une quête relationnelle (RA 2, RE 5) au
moyen de personnages introduits « parents » (IF 1). La répétition de la
thématique orale (OC 7) laisse supposer une charge conflictuelle massive
(→ IF 8) dont l’expression est finalement déplacée à l’extérieur : « la
guerre ». Le rebondissement de la dramatisation passe par l’introduction
de nouveaux personnages « cow-boys » (RA 2, IF 1) et par une relative
confusion des rôles (IF 5) agresseur-agressé. La fin du récit souligne la
dépendance à l’objet (RE 5).
Problématique : l’expression du manque et de la dépendance vient
remplacer la confrontation à une image maternelle frustrante ou
défaillante tandis que la tonalité dépressive se substitue au maniement
des motions agressives. Le conflit n’est toutefois pas évité mais déplacé
sur d’autres objets. La capacité à le mettre en scène par ce biais empêche
l’enlisement dépressif.

Planche 2
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

« Un moyen ours, un grand ours et un petit ours, ils jouaient à la corde,


ils voulaient tirer la corde, après, et puis… comme le petit ours il voulait
tirer la corde et le papa il disait non, et la maman oui. [« Et après, racon-
te. »] C’est quand même le papa qui l’a eue. Le petit ours il pleure, il va
au lit, le papa il veut la garder la corde pour son travail. Le petit ours
aussi il a du travail ! [« C’était un petit ours fille ou un petit ours garçon ? »]
Garçon. »

Procédés : après un début descriptif soulignant l’accès aux différences


de génération (OC 1), la conflictualisation à teneur identificatoire est
évoquée (IF 3, IF 5) par rapport au couple parental dans un contexte
ludique et socialisé. L’intervention du clinicien favorise la verbalisation

193
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

d’une rivalité phallique (IF 3, IF 5), suivie d’un affect dépressif (RA 1)
lié au renoncement.
Problématique : cette illustration est tout à fait exemplaire de l’accès,
d’abord aux différences de génération et de sexe, puis à la conflictualité
dans le couple. La tentative de s’approprier les attributs phalliques du
père se heurte à la réalité de la castration dont la reconnaissance suscite à
la fois résignation dépressive et protestation.

Planche 3
« Alors ça c’est un lion assis sur une chaise, il cherchait quelque chose
pour sa lionne. Et il n’arrivait pas à trouver, alors il a décidé d’aller cher-
cher quelque chose avec sa voiture au magasin et puis il a pris le plan,
comme celui-là, le même [montre le plan de Paris accroché sur le mur] et
après il a acheté un bijou, une bague, et cette bague était dorée et la
maman était très contente. »

Procédés : après scotome de la perception de la souris (OC 8), le récit


campe une relation amoureuse (IF 3, IF 4) à partir de l’introduction d’un
personnage, la lionne (IF 1). Le recours au quotidien et à la réalité du
cadre de consultation (RE 2) vient tempérer l’envolée fantasmatique.
Problématique : la représentation de la relation libidinale dans le
couple parental prend le pas sur les sollicitations agressives suggérées par
la planche. L’accent est mis sur la sexualisation des représentations dans
un contexte de rapproché de l’image paternelle.

Planche 4
« Alors deux chèvres et un kangourou, non deux kangourous et une
chèvre, et après la chèvre va au marché, elle achète du lait, des carottes et
un sapin et puis la chèvre était contente d’acheter quelque chose pour ses
petits enfants et la chèvre elle a fait son marché et elle rentre à la maison
et elle voit son papa, son mari. »

Procédés : cette planche suscite une relative déstabilisation perceptive


(OC 8) à travers l’évocation d’un bestiaire hétéroclite où la mère a des
enfants qui ne lui ressemblent pas (IF 5). Le recours au quotidien et au
descriptif (OC 1, RE 2) autorise l’évocation d’une relation gratifiante
(IF 3). L’histoire se termine par un lapsus très transparent relatif au per-
sonnage introduit : « papa, mari ». (IF 1, IF 3, IF 4, IF 5).
Problématique : en continuité avec la planche précédente, l’expression
de la rivalité œdipienne consiste ici à déposséder l’image maternelle de

194
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

ses attributs dont les enfants, eux, restent nantis et à évoquer le rapproché
libidinal avec le père.

Planche 5

« Un lit. Y avait un petit chat qui dormait et un chien. Ils étaient perdus
dans le noir, leur papa et leur maman étaient cachés sous les couvertures.
Enfin, ils avaient trouvé quelqu’un pour les aider et quelqu’un était très
très gentil. » (Digressions, parle à toute vitesse, il est impossible de
noter.)

Procédés : l’utilisation à nouveau d’un bestiaire hétérogène, en dépit du


stimulus (IC 8) signe le trouble suscité par le matériel latent. En sont
témoins en effet l’expression d’affect dysphorique à connotation pho-
bique (RA 1, RA 2) et l’accent mis sur le rapproché libidinal du couple
parental (IF 4). Cette représentation réactive un vécu d’abandon et
d’appel à une figure substitutive anonyme (IF 1, EI 2, RE 5), associée à
des éléments de type formation réactionnelle (OC 3). Ces procédés
n’empêchent toutefois pas la montée de l’excitation pulsionnelle passant
alors par l’agitation verbale (MC 2).
Problématique : la sensibilité au contenu œdipien met en œuvre une
série de mouvements défensifs élaborés appartenant aux préludes du
refoulement. Le rapproché libidinal du couple parental entraîne un vécu
d’exclusion à résonance dépressive.

Planche 6

« Deux pandas qui racontaient l’histoire et y avait des belles fleurs, des
fleurs, les fleurs étaient des jonquilles et après les jonquilles disparaîtra,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

les jonquilles pleura parce qu’elles trouvent plus leur maison [« Elles
trouvent plus leur maison ? »] Leur pot. Leur pot il faut qu’elles le gar-
dent et la jonquille pleura longtemps, longtemps [chantonne] et elle sont
heureuses : elles dansent. »

Procédés : le petit ours à l’écart est scotomisé (OC 8) au profit d’une


évocation duelle dont le caractère fictif est souligné (OC 2). À la place
du petit ours se donne à voir, loin du matériel, l’hyper-investissement
d’un objet féminin symbolique (RE 5, IF 7) laissant néanmoins appa-
rentes l’expression répétitive d’affects dépressifs (RA 1, OC 7) et une
quête d’étayage (RE 5). Le récit se termine par un recours à la sphère
motrice (MC 2, MC 3) puis par un soudain revirement à valeur de déni
(OC 6).

195
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Problématique : la castration apparue comme sanction de la curiosité


sexuelle met à l’épreuve les idéaux du moi dans une alternance difficile-
ment modulable entre l’idéalisation et la dépression. À la question de
l’identification sexuelle se substitue alors une problématique de perte qui
engendre des défenses de type maniaque.

Planche 7
« Un singe, un tigre, le tigre et le singe ne savaient pas qui était le plus
fort. C’était le tigre [en chantant] qui voulait manger le singe. Le singe
avait trop peur, il courait, courait, courait et le singe est mort ! le tigre est
pas mort, il a trouvé beaucoup de singes et puis le tigre et bien il voulait
trouver un singe, il arrivait pas à trouver… et après il voulait aller sur un
cheval [mime] [digression ++] ».

Procédés : après un court instant descriptif (OC 1), le récit met en


scène la compétition identificatoire entre les deux protagonistes dont les
différences sont en un premier temps aplanies sinon déniées (IF 5, OC 6).
Le recours à l’expression motrice (MC 2, MC 3) rétablit des modalités
relationnelles plus crédibles (IF 3) suivies d’affects verbalisés (RA 1) et
d’insistance sur les représentations d’actions (IF 6). La brusque conjugai-
son des phrases au présent (OC 9) montre la difficulté momentanée de
maintenir la distance par le fictif dès lors qu’il s’agit d’agressivité. Le fil
narratif se rétablit d’abord par une annulation (OC 4), puis la répétition
(OC 7), et enfin l’abandon du support perceptif (IF 7). La coloration labi-
le se poursuit par l’appel à l’expression motrice (MC 4) et aux digres-
sions (IF 3).
Problématique : la dynamique est comparable à celle de la planche 2 en
ce sens que la revendication phallique mise en avant fait l’objet d’un
renoncement en un second temps. Le difficile maniement de l’agressivité
met en œuvre une pluralité de mesures défensives empruntées à des
registres diversifiés.

Planche 8
« Seulement des singes qui prendaient le thé. Seulement ça… »

Procédés : la restriction domine à travers un bref aperçu descriptif de la


scène (EI 1, EI 2).
Problématique : le renvoi aux relations familiales et aux interdits œdi-
piens engendre un mouvement d’évitement global de la conflictualisa-
tion.

196
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Planche 9
« Une maison, un lit, un lapin dans le lit. Le lapin il était pas fatigué du
tout, il voulait pas dormir [suce son pouce] et puis après le plancher était
pas beau, il savait pas où était l’aspirateur, il pouvait pas acheter. Et puis
malheureusement un dragon qui passait par là, qui crachait du feu, le
lapin avait drôlement peur, il se cachait sous ses couvertures [mime]. »

Procédés : Line aborde la planche par une description proche du conte-


nu manifeste (OC 1) et enchaîne aussitôt par un mouvement défensif : la
dénégation de la passivité (OC 6) traduit la sensibilité au matériel latent
et s’accompagne d’un recours à une attitude corporelle à connotation
régressive (MC 1). La reprise active passe par une critique du matériel
(RC 3), peu efficace au vu du dénuement affiché (—> RE 5). Elle se
déploie grâce à l’imaginaire des contes (IF 1, IF 2), la verbalisation
d’affects (RA 1, RA 2) et l’appui pris sur l’expression motrice (MC 4).
Problématique : trois séquences sont à retenir, qui illustrent la dyna-
mique du fonctionnement psychique. On assiste d’abord à la protestation
active vis-à-vis de la passivité, puis à la reconnaissance de la position
dépressive et enfin à la reprise élaborative permettant de relier affects et
représentations.

Planche 10
« Alors un chien, et un chien, un petit chien et un grand chien. Le petit
chien il allait faire pipi vite [mime], il courra vite pour aller faire pipi et il
voulait quoi… attend, il allait presque faire pipi dans sa culotte, il avait
déjà fait et la maman elle était pas contente. Y avait deux petits chats
cachés dans les cabinets. Le chat et le chien ils s’amusaient bien, ils
aimaient pas beaucoup les chiens [digression]. »
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Procédés : le début piétine un peu avant de s’animer au moyen de


représentations d’action (IF 6) renforcées par la participation corporelle
(MC 4). Le clinicien est pris à témoin (RC 2) de l’amorce d’une conflic-
tualisation (IF 3). Mais celle-ci est déviée par l’apparition, hors planche,
d’autres animaux (IF 1, IF 7). Par ce biais s’expriment des affects contra-
dictoires (RA 1, IF 3) dans un contexte d’identités un peu floues (IF 5,
IF 9).
Problématique : l’agressivité, peut-être ici plus urétrale qu’anale, diri-
gée vers l’image maternelle, paraît difficilement négociable dans la rela-
tion directe. Le déplacement et le refoulement des représentations indési-
rables autorisent cependant un compromis où se dessine l’ambivalence.

197
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Synthèse

Les modalités d’élaboration des récits


Compte tenu du motif de la consultation, on aurait pu s’attendre à une
production plus conformiste placée sous le signe de la valorisation du
réel et de l’objectivité. Le matériel suscite en fait une implication intense
et la mobilisation de ressources défensives extrêmement diversifiées, à
l’image d’un fonctionnement psychique déjà très élaboré à 5 ans, toute-
fois sans adultomorphisme. Le mariage du recours à l’objectivité et au
contrôle avec la place laissée à l’affect, au fantasme et au corps, est de ce
point de vue exemplaire.
On peut ainsi souligner la présence constructive des défenses par le
contrôle et par la réalité, ce qui montre le renoncement à l’exclusivité du
principe de plaisir : l’ensemble des récits est construit à « bonne distance
» du matériel grâce aux conjugaisons passées empruntées à un langage
bien contruit. Les descriptions dans un contexte conflictuel, l’apparition
de formations réactionnelles et de dénégations au service du refoule-
ment témoignent indirectement du rôle structurant de l’analité ; structu-
rant mais non despotique dans la mesure où peuvent, à travers des incer-
titudes de langage et des « erreurs » perceptives, s’insérer des modalités
labiles.
Les défenses labiles par recours au fantasme et à l’affect interviennent
le plus souvent efficacement en fin de planche et montrent, quelle que
soit la problématique, des capacités de camper sur une scène psychique
les protagonistes des conflits. L’érotisation œdipienne et par moment la
coloration phobique de ces modes d’expression, notamment l’évitement
conflictuel, renvoient de toute évidence à 5 ans au caractère organisateur
de la névrose infantile. La polarité labile offre en outre un tremplin favo-
rable à l’élaboration psychique lorsque le fonctionnement se trouve
déstabilisé par des émergences dépressives.
Contrôle et labilité convergent dans le sens de l’édification des res-
sources mentales sur lesquelles pourront prendre appui la période de
latence et son dénouement. Malgré cette mobilisation relativement préco-
ce, il n’y a pas de renoncement aux modalités défensives courantes à 5
ans, essentiellement représentées par la place du corps et de l’appareil
moteur.
Les défenses primitives se signalent momentanément dans ce protocole
par le déni maniaque venant suppléer les défenses de type névrotique
face à des situations saturées de messages œdipiens. Il n’y a pas ou

198
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

plus de défenses primitives autres, ce qui montre l’accès à une pensée


secondarisée et aux délimitations claires entre les espaces respectivement
interne et externe. Il resterait à apprécier dans le temps le rôle de l’appui
pris sur la réalité qui tantôt participe à la redynamisation du travail asso-
ciatif, tantôt semble imprimer les traces d’une fragilité narcissique.

La problématique
Massivement placée sous le signe œdipien, la problématique se donne à
voir à travers ses deux aspects essentiels : le rapproché libidinal avec
l’image paternelle et la rivalité par rapport à l’image maternelle. Autant
la part de désir dans ce fantasme paraît relativement réalisable par voie
défensive interposée, autant la compétition avec l’image maternelle est
difficilement négociable car elle devient synonyme de perte d’objet.
C’est plutôt l’empreinte d’une rivalité phallique qui se fait jour, plaçant la
lutte sur un terrain infra-sexué. La castration apparaît de toute manière,
incontournable, en sanction des désirs interdits, entraînant un vécu
dépressif intense.
Ce protocole offre un témoignage extrêmement vivant d’une dynamique
œdipienne encore très chaude et agissante ; en même temps on voit s’ins-
taller, en signe de son déclin, le renoncement à l’objet phallique et
l’acceptation de la castration malgré quelques soubresauts revendicatifs de
courte durée. Le large éventail des ressources défensives et leur inscrip-
tion dans un registre mentalisé devraient permettre l’élaboration de la
position dépressive réactivée à cette étape charnière du développement.
L’hypothèse diagnostique la plus vraisemblable est celle d’un fonction-
nement « normal » riche, caractérisé par la souplesse des instances et par
la mise en place de modalités névrotiques structurantes.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

9.2. Télescopages pulsionnels :


PN de Dimitri (7 ans et 3 mois)

Dimitri est examiné en raison de difficultés d’apprentissage venant s’ins-


crire dans un contexte déjà ancien de troubles du développement. Le retard
de certaines acquisitions, notamment du langage, inquiète d’autant plus sa
mère que l’aînée, âgée de 15 ans, a été précoce. L’entourage familial, élargi
aux deux tantes maternelles très présentes auprès de cet enfant longtemps
attendu, paraît étayant et peu stimulant. Dimitri, lui, ne semble pas concer-
né par les consultations et demande à aller jouer dans la salle d’attente.

199
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Le bilan orthophonique fait état de confusions de sons et de lettres et


d’une compréhension verbale douteuse. La psychomotricienne souligne
une latéralisation anarchique, des repères spatiaux mal établis et une ma-
ladresse particulière dans l’exécution de mouvements fins (laçage, bou-
tonnage). Aux yeux du pédopsychiatre et du psychologue, ce sont surtout
les irrégularités des modes d’adaptation qui retiennent l’attention, sous
forme d’alternance entre l’agitation et l’inhibition.
Les résultats au WISC-R, faibles et très hétérogènes, témoignent non
pas de troubles spécifiques mais d’importantes difficultés d’attention et
de concentration. C’est aux arrangements d’images que Dimitri atteint
son meilleur score, mais il ne peut mettre en mots les scénarios très
vivants qu’il anime par des bruitages.
Dessins et Rorschach mettent l’accent sur une vie fantasmatique inten-
se, peuplée de représentations d’actions et de personnages tout-puissants,
laissant peu de place à des intérêts plus socialisés. Les repères corporels
sont encore chaotiques. Le matériel suscite un climat de vive réactivité et
d’agitation motrice que le langage défectueux ne peut canaliser. Au
scéno-test, Dimitri se montre, à l’inverse, calme, attentif ; il se livre à une
exploration active du matériel, commente, interpelle le clinicien et
ébauche une utilisation des pièces non figuratives. Les interactions jouées
se limitent à des situations duelles d’étayage. Ce sont plutôt l’inhibition
et la restriction qui dominent lors de la passation du PN.

Analyse planche par planche du protocole de PN

Le frontispice

PN est un garçon d’un an. « Là c’est deux filles » (les petits blancs) ;
elles ont « 1 an et 1 mois, non 3 mois, ce sont ses sœurs ». Les parents
sont inversés, malgré les attributs évidents.

Première étape : les planches choisies

« Je vais les garder toutes ». Dimitri examine chaque planche, les repla-
ce au fur et à mesure comme il les a trouvées, il met « Rêve mère » de
côté, la reprend, étale les planches et les raconte dans l’ordre où elles se
présentent jusqu’à lassitude, sans opérer réellement une sélection ni une
succession personnelles. Ont cependant été laissées de côté « Tétée 1 » et
« Tétée 2 », « Bataille », « Rêve mère » et « Rêve père ».

200
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Jeux sales
« PN ils sont en train de jouer dans la gadoue plein d’huile et puis ils
s’amusent à s’arroser plein de gadoue, ils sont tout dégoûtants. »

Procédés : la superposition du singulier « PN » et du pluriel « ils »


introduit d’emblée un flou des repères générationnels (IF 9) dans un
contexte où les interactions sont décrites en termes de réciprocité.
Problématique : malgré la reconnaissance de la sollicitation anale, ici
ludique et dénuée d’agressivité, l’imprécision du langage renvoie au flou
des repères identitaires.

Baiser
« Et puis maintenant le papa et la maman sont en train de se faire un câlin
(agite la planche) et c’est tout » (les images parentales sont toujours
inversées).

Procédés : l’expression d’une scène érotisée (IF 3, IF 4, IF 5) fait abs-


traction du deuxième plan (OC 8) et donne lieu à une agitation motrice
(MC 2) puis à un mouvement d’inhibition (EI 1).
Problématique : la scène pourrait être œdipienne si la reconnaissance
des sexes était établie. L’évitement de la conflictualisation remplace la
curiosité sexuelle.

Chèvre
« Et elle boit le biberon dans une autre dame, elle croyait que c’était sa
maman. En vrai c’est pas sa maman. »

Procédés : l’usage du pronom personnel féminin est source d’une nou-


velle confusion, plus identitaire qu’identificatoire (IF 9), accentuée par la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

confusion biberon/tétine et l’usage inadéquat de la préposition « dans »


(OC 9). Le recours au mode passé et au fictif (OC 2) rétablit une relative
distance.
Problématique : l’accès au matériel latent, le substitut maternel,
s’effectue au prix d’un télescopage des rôles et de confusions entre l’inté-
rieur du corps et les objets externes. Réel et fantasme restent toutefois
distincts.

Départ
« Puis le petit cochon il est en train de s’en aller, il est sur la route et puis
il s’en va à sa maison. »

201
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Procédés : le récit, descriptif et répétitif (RE 1, OC 7), comporte une


ambiguïté entre la provenance et la destination : « à sa maison »
(→ OC 9).
Problématique : répétition et maladresse verbale peuvent illustrer un
conflit d’indépendance-dépendance vis-à-vis de l’image maternelle, à
travers ce récit comportant en fait un départ et un retour.

Courte-échelle
« Et puis là y a la maman qui l’aide à monter sur l’arbre [« À monter sur
l’arbre ? »] Pour attraper les petits oiseaux, pour attraper l’écureuil. »

Procédés : le récit, appuyé sur la description (RE 1), campe une inter-
action duelle (IF 3).
Problématique : la scène renvoie à un rapproché de l’image maternelle
dans un contexte d’étayage. La dimension trangressive et surmoïque
n’est pas perçue.

Hésitation
« Et maintenant il sont en train de se chamailler. »

Procédés : le récit, très restrictif (EI 1), construit relativement loin du


matériel (OC 8) (on croirait entendre raconter la planche « Bataille »,
non utilisée), met en scène des interactions anonymes et indifférenciées
(EI 2, IF 9).
Problématique : les protagonistes, indistincts sur le plan des généra-
tions et des sexes, sont campés dans une conflictualisation globale peu
propice à un choix d’objet plus précis. Le support oral de l’interaction
n’est pas différenciateur.

Jars
« Et maintenant y a un aigle qui arrive et qui mord la queue au petit
cochon pour qu’il les attrape [sifflote, regarde ailleurs]. »

Procédés : le récit, descriptif en un premier temps (RE 1), devient flou.


On ne comprend plus la logique de pensée (« pour qu’il ») ni l’identité
des protagonistes (« les ») (OC 10, IF 9). Un relatif dégagement s’opère
par le recours à la sphère motrice à valeur d’évitement (MC 3, EI 3).
Problématique : on est en même temps près et loin du contenu latent :
près, car l’interrelation agressive est perçue et l’évitement final peut ren-
voyer à la castration ; mais il manque la dimension symbolique, essen-
tielle pour accéder au registre de la castration secondaire.

202
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Auge
« Et puis maintenant ils sont en train de manger leur bouillie. »

Procédés : le pronom personnel « ils », anonyme, recouvre une indiffé-


renciation des rôles (EI 1, IF 9). La confusion manger/uriner rend la
planche méconnaissable (OC 8).
Problématique : la confusion des générations et des sexes est ici sous-
tendue par une confusion entre les sources corporelles de la pulsion :
phallisme urétral et incorporation sont mis sur le même plan.

Portée
« Et puis là le monsieur il s’occupe des petits cochons, il leur donne de la
bouillie, du foin pour les petits. »

Procédés : les deux personnages se télescopent en un seul (IF 9, OC 8).


Les cochons du premier plan ne sont pas mentionnés (OC 8).
Problématique : la confusion identitaire favorise une relation gratifiante
et indifférenciée dans un contexte aconflictuel.

Charrette
« Puis là le petit cochon qui fait un rêve que un monsieur qu’il a attrapé
les petits cochons. [« Est-ce que c’est un beau rêve ? »] Non, il les attra-
perait. Un vilain monsieur. »

Procédés : si l’indifférenciation des cochons est encore de règle (IF 9),


le caractère fictif de l’image, bien observé (« rêve », usage du condition-
nel) (OC 2), permet de distancier l’interaction agressive (IF 3). « Vilain
monsieur » véhicule un affect d’angoisse (RA 2).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Problématique : le récit exprime un mode phobique plus habituel aux


jeunes enfants.

Nuit
« Puis maintenant c’est la nuit et il[s] regarde[nt] la lune venir et c’est
fini. »

Procédés : le « il », singulier et/ou pluriel, traduit une nouvelle fois une


confusion des rôles (IF 9) masquée par une utilisation quasi poétique de
l’infinitif.
Problématique : la planche renvoie à l’indifférenciation des générations
et des sexes et non à la curiosité sexuelle.

203
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Trou
« Et maintenant le petit cochon il est dans la bouillie, tout seul dans le
noir. »

Procédés : la persévération du terme « bouillie » est inadéquate (OC 7


→ OC 10) dans ce récit restrictif (EI 1).
Problématique : l’inadéquation verbale reflète la « bouillie » pulsion-
nelle entre les repères de l’analité et de l’oralité. Cette confusion
empêche l’élaboration de la solitude, pourtant reconnue.

Auge
Dimitri reprend à nouveau cette planche. « Et après il y a les petits
cochons en train de se reposer. »

Procédés : le scotome du cochon actif au premier plan persiste (OC 8),


les autres cochons sont toujours aussi indistincts (IF 9).
Problématique : l’insistance sur des actions anodines et régressives (man-
ger, se reposer) peut avoir valeur d’évitement de l’expression agressive.

Deuxième étape : planches aimées et non aimées


« Je les aime tous ». « Alors choisis les images que tu aimes beaucoup
beaucoup et celles que tu n’aimes pas beaucoup ». Dimitri manipule les
planches, les range entre ses mains, raconte les premières qui se présen-
tent. Il commence par les planches aimées. Les récits s’enchaînent comme
précédemment sous la forme de phrases inachevées et juxtaposées.

■ Planches aimées

Trou
« Comme il faisait noir qu’il allait dans la nuit, dans la gadoue. »

Procédés : l’usage de l’imparfait rappelle, et en même temps distancie,


la première formulation (OC 2). Le langage se précise, en meilleure adé-
quation avec le matériel.
Problématique : le passage de « bouillie » à « gadoue » dénote une res-
saisie anale permettant de restructurer le récit.

Portée
« Et puis là il[s] lui donne[nt] à manger et du foin pour les petits. »

204
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Procédés : « lui » et « petits » marquent une opposition différenciatrice


des identités précédemment confondues : les deux personnages restent
superposés.
Problématique : l’indifférenciation des rôles nourriciers est inchangée.

Auge
« Puis c’était comme ils étaient allongés et l’autre faisait caca. »

Procédés : « ils » et « l’autre », indéfinis et anonymes (EI 2), ébauchent


une différenciation identitaire. La perception est là aussi moins inadé-
quate.
Problématique : bien que la dimension conflictuelle soit toujours écar-
tée, on assiste à un relatif rétablissement d’une différenciation entre
l’incorporation et l’expulsion, entre ce qui pénètre dans le corps et ce qui
s’en dégage, autrement dit entre l’intérieur et l’extérieur. Mais les pro-
duits d’excrétion et leur source corporelle restent confondus.

Charrette
« C’est quand le vilain monsieur les prenait tous les petits cochons. »

Procédés : l’affect contenu dans « vilain » passe au premier plan (RA 2)


de cette représentation d’interaction agressive (IF 3).
Problématique : le renvoi à une toute-puissance menaçante subsiste.

Nuit
« Et puis là, il l’a… comme ils étaient dans le noir qu’ils regardaient la
lune. »
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Procédés : la même ébauche de différenciation est à souligner entre le


« il » singulier et le « ils » pluriel. De même l’usage des temps passés
structure la distance entre le réel et la narration (OC 2).
Problématique : un mouvement d’individuation se dessine, non main-
tenu.

Départ
« Et là comme il était parti et qu’il était sur la route. »

Procédés : comme à la planche précédente, il y a passage au temps


passé de la narration (OC 2).
Problématique : seul le mouvement centrifuge est retenu.

205
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Jeux sales
« Et comme il[s] se trempai[en]t dans la gadouillasse » [« Tu aimes cette
image ? »] [grand sourire] Oui ! j’aime ! »
Procédés : l’indistinction identitaire reste la même. La question du cli-
nicien entraîne une expression d’affects (RA 1).
Problématique : la coloration affective de cette situation anale décon-
flictualisée est nettement positive.

■ Planches non aimées


« Y en a qu’une. » En fait, Dimitri montre deux planches ; il réunit
toutes les autres en un tas.

Charrette
« Comme il l’avait pris, qu’il l’avait emmené dans son carrosse et après
l’autre. »

Procédés : l’usage du singulier indéfini renforce l’indistinction des pro-


tagonistes (IF 9), le recours au fictif cette fois n’est plus présent. Le
terme « carrosse » peut avoir une valeur idéalisante (RE 5).
Problématique : l’insistance sur cette planche, racontée à trois reprises,
souligne la prégnance d’un fantasme prégénital anxiogène. Mais la rela-
tion devient celle d’un rapproché duel ambigu fait d’attraction et de crain-
te où transparaissent peut-être les traces structurantes de l’Œdipe négatif.

Jars
« L’aigle il l’avait tiré la queue pour qu’il mange et c’est tout. »

Procédés : la logique de la proposition reste peu explicite dans cette


représentation d’interraction (IF 9, OC 10).
Problématique : l’indifférenciation dans le langage entre finalité et cau-
salité suggère une confusion des zones érogènes.

Troisième étape

La fée
Premier vœu : « Il voudrait être un grand monsieur, un humain qui est
en train de faire de la moto, qui a déjà son permis de conduire. »
Deuxième vœu : « Qu’il voudrait faire du cross. »
Troisième vœu : « Que sa maman lui donne beaucoup de cadeaux. »

206
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Les questions
« Il est content de sa patte noire ? » « Non, oui, je trouve qu’il est
content, comme ça on peut le reconnaître. »
« Qui tu préfères dans tous ces dessins ? » « PN parce que c’est un gar-
çon et il a sa jambe noire. »

Synthèse

Les procédés d’élaboration du discours


Dimitri tente d’agencer ses récits en un tout continu mais les liaisons
sont établies au moyen de la juxtaposition « et puis » comme chez les
jeunes enfants, ce qui crée une logique plus arbitraire que chronologique.
L’appel explicite à l’affect de la deuxième étape de passation modifie peu
cet état de fait.
Dans l’ensemble, ce qui prédomine, c’est le flou des repères : le sujet
de l’action est tantôt un, tantôt multiple, masculin, féminin ou les deux à
la fois. Les perceptions tronquées ou superposées contribuent à cet aspect
diffus. Syntaxe et pensée semblent s’organiser laborieusement dans ce
contexte.
Des scénarios sont ébauchés, donnant lieu à un évitement des conflic-
tualisations, mais leur portée est surtout limitée par la difficulté à lier les
représentations de relation entre elles et à leur donner un relief conflic-
tuel. Le réel perceptif et les mécanismes de contrôle font particulière-
ment défaut, soulignant l’insuffisance des ressources défensives atten-
dues à 7 ans.
La passation en trois étapes montre toutefois une progression intéres-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

sante allant dans le sens d’une meilleure adaptation perceptive et d’une


ébauche de différenciation des protagonistes à travers l’apparition
d’oppositions structurantes, notamment entre le singulier et le pluriel.

La problématique
Rares sont les occasions d’assister, à travers une production projective,
à l’expression aussi explicite d’un désordre pulsionnel. Car c’est bien là
le centre de la problématique : tout semble mis sur le même plan, comme
si le développement libidinal était jonché d’éléments pulsionnels épars
confondant les zones érogènes, le haut et le bas, le devant et le derrière,
ce qui entre dans le corps et ce qui en sort, l’intérieur du corps et les

207
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

objets externes… Les sources corporelles pulsionnelles paraissent équi-


valentes, interchangeables, ne faisant l’objet ni d’une érotisation ni d’un
interdit. Le matériel livre bien des traces relatives à l’oralité, à l’analité et
même au phallisme, mais aucune de ces modalités n’est apte à structurer
une relation d’objet consistante ; il n’y a pas de délimitation claire entre
l’intérieur et l’extérieur. L’organisation psychique évoque plutôt une
structure tubulaire ouverte et indifférenciée où se confondent les orifices.
La notion de conflit est singulièrement manquante, ce qu’illustre le
défaut des oppositions fondamentales entre les bonnes et les mauvaises
expériences, entre le oui et le non, entre les affects de plaisir et de déplai-
sir. Les repères générationnels, et a fortiori sexués, ne peuvent s’établir
dans ce contexte : certaines planches font mention d’un repérage inversé
des sexes mais les attributs partiels peuvent aussi bien être situés à l’inté-
rieur du corps que perçus à l’extérieur.

Et pourtant, dans ce magma fortement préjudiciable à l’édification du


symbole et de la pensée, émergent, au moment de la troisième étape de la
passation, des aspirations identificatoires nettement sexuées, masculines,
semblant court-circuiter les jalons intermédiaires non structurants. Si
bien que cohabitent au bout du compte des bribes empruntées à tous les
registres, assemblées en un puzzle pour le moins hétérogène. La progres-
sion apparue lors des trois étapes de la passation n’est peut-être pas
étrangère à la construction finale : les derniers récits font état en effet
d’une tentative d’individuation qui paraît s’articuler autour du relatif
investissement de la polarité anale. Si, à la fin du protocole, Pattenoire se
réjouit de porter la marque qui lui donne son nom, c’est sans doute en
raison de cette quête d’individuation que l’on voit poindre au fur et à
mesure de cette épreuve : modalités de passation et de relation font expli-
citement appel au dégagement d’un désir personnel.

Manifestement dysharmonique, le fonctionnement psychique de cet


enfant de 7 ans atteint actuellement un point d’orgue où la juxtaposition
anarchique des éléments pulsionnels peut œuvrer dans le sens d’une
désorganisation des liens entre affects et représentations, invalidant les
processus de symbolisation. Mais l’addition et l’évolution des informa-
tions montre aussi combien ce matériau en friche ne demande qu’à
s’organiser à la faveur d’un projet thérapeutique que le déroulement du
bilan laisse envisager.

208
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

9.3. Préfiguration de l’hystérie :


TAT de Patricia (10 ans)

Patricia présente depuis quelques mois une série de manifestations


anxieuses (troubles du sommeil, onychophagie) et un fléchissement sco-
laire coïncidant avec la naissance de son demi-frère. En outre, de nom-
breux conflits avec son beau-père, à peine plus âgé que son frère aîné,
rendent l’atmosphère familiale assez tendue.
Le contact s’établit aisément avec cette mignonne petite fille très pâle
aux yeux cernés, encore impubère. Verbalisant volontiers, comme sa
mère, sur le mode hyper-expressif du secret et de la dramatisation, elle
laisse rapidement filtrer des affects contrastés, passant des pleurs aux
rires lors de l’entretien. Les résultats submoyens au WISC-R témoignent
d’un investissement intellectuel réduit et de difficultés importantes à fixer
son attention, qui retentissent sur les aspects mnésiques. Au Rorschach,
le plaisir à se laisser aller à l’imaginaire se traduit par une productivité
relativement fournie, une fois levée l’inhibition initiale. La facture des
réponses est déjà très adolescente, à travers la direction narcissique des
centrations prenant le pas sur les représentations de relation, et en raison
de leur charge érotique. L’érotisation hétérosexuée vient en particulier
s’inscrire à la place des représentations féminines et/ou maternelles
attendues.
Patricia participe au TAT avec beaucoup d’empressement sous la forme
de récits courts et immédiats traduisant une précipitation dans l’expres-
sion. Un climat franchement labile se dégage de l’ensemble de la passa-
tion qui justifierait presque l’utilisation de la méthodologie pour adulte si
l’on ne craignait de figer trop prématurément les structures sur ce mo-
dèle.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Analyse planche par planche du protocole de TAT

Planche 1
« C’est un garçon qui joue de la musique et euh… son professeur lui a dit
que c’était pas les bonnes notes pour jouer de son instrument et alors il
fait la tête.
[« Comment ça finit ? »] Il trouvera des autres notes ».

Procédés : le recours à la restriction (EI 1) n’empêche pas l’expression

209
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

d’une conflictualisation interpersonnelle au moyen d’un personnage


introduit, asexué (IF 3, IF 1, EI 2), donnant lieu à une opposition passive.
Problématique : l’incapacité à manier l’objet phallique, non nommé,
est soumise au regard réprobateur et dénarcissisant de l’autre.

Planche 2
« C’est dans un champ, euh… et… une fille qui sort du collège et qui tra-
verse un champ et elle regarde ce que… ce que les fermiers font… c’est
tout. [« Raconte-moi l’histoire »] Alors… et le soir elle sort du collège et
elle vient de traverser les champs… et comme elle aime bien dessiner,
elle va essayer de dessiner les champs et là elle regarde une dame qui va
avoir un bébé et après elle repartira chez elle. [« Elle les connaît ? »]
Non. »

Procédés : Une fois le décor brièvement campé (OC 1, RE 1), restric-


tion et inhibition (EI 1) concourent à isoler (OC 5) le personnage de la
jeune fille. L’accent est mis sur la représentation d’action (« sort », « tra-
verse », « regarde », « font ») (IF 6). La stimulation du clinicien induit
d’abord un remâchage (OC 7) puis une accentuation de l’isolement à
coloration narcissique (« dessiner », « regarder ») permettant d’éviter la
conflictualisation. Les détails à teneur érotique sont perçus (OC 1, IF 4).
Problématique : la triangulation œdipienne est bien repérée mais la
confrontation à l’image maternelle engendre un évitement conflictuel.
Des défenses narcissiques adultomorphes participent à cette stratégie.

Planche 3BM
« C’est un petit garçon qui jouait aux voitures et il est très fatigué… plus
il jouait, plus il était fatigué et il s’est endormi sur le canapé et… après il
s’est réveillé, il s’est aperçu de l’heure, tout le monde était couché et il
est parti dormir dans son lit. »

Procédés : le récit se déroule autour d’un symbolisme auto-érotique


très transparent (IF 4). La présence de l’objet reste suggérée par les per-
sonnages anonymes introduits (IF 1, EI 2).
Problématique : la confrontation à la solitude et à la dépression renvoie
à une activité masturbatoire phallique dans un contexte où la scène primi-
tive se dessine en filigrane. L’alternance entre activité et passivité est sou-
lignée par le choix des verbes et par leur conjugaison (endormi-réveillé,
jouer-dormir) .

210
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Planche 4
« Alors c’est un couple et un jour le monsieur il est fâché et la dame elle
essaye de le calmer et il part… il part… travailler avec des hommes, avec
des hommes, et puis, euh… et après un an plus tard la femme le rencontre
et… ils reviennent tous les deux ensemble et ils ont plusieurs enfants. »

Procédés : la mise en scène des interactions s’effectue à proximité du


contenu manifeste (IF 3, RE 1). L’introduction d’un tiers homosexué
(IF 1) désamorce la conflictualisation dans un contexte d’inhibition
(EI 3, EI 1). L’érotisation finale (IF 4) remplace la gestion du conflit et a
pour fonction d’effacer la séparation (OC 4).
Problématique : l’évocation de la sexualité et de l’agressivité dans le
couple suscite la réactivation d’une angoisse de séparation dont la répara-
tion passe par l’érotisation des relations.

Planche 5
« C’est une dame avec son mari, ils dorment et ils entendent du bruit, et
leurs enfants ils crient parce qu’ils ont peur… avec leur papa… et puis la
dame elle va voir dans la salle à manger, il y a rien, elle va pratiquement
dans toutes les pièces et elle ne trouve rien et un moment après ils se ren-
dorment tous et ils entendent encore du bruit… et après la dame elle va
revoir la salle à manger et c’était un petit chat sauvage qui était entré
dans la maison et ils l’ont adopté et ils sont rendormis euh… sans avoir,
non… et ils sont endormis tranquillement. »

Procédés : des personnages sont d’emblée introduits (mari, enfants)


(IF 1), dans un contexte de rapproché érotisé (IF 4) avec expression
d’affects (RA 1). Les représentations d’action deviennent répétitives
(IF 6, OC 7). Le récit se termine par une tentative de banalisation où la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

charge érotique reste prégnante à travers une légère désorganisation du


discours (EI 2, IF 4, OC 9).
Problématique : la planche réactive un fantasme de scène primitive. Le
rapproché incestueux de l’image paternelle (« avec leur papa ») revêt une
valeur défensive par rapport à la confrontation à l’image maternelle acti-
ve, intrusive.

Planche 6GF
« C’est une dame qui va à une soirée et elle est toute seule, euh… ++…
après un monsieur, euh, s’approche… de la dame et il lui dit… est-ce que
vous voulez danser avec moi et la dame lui répond oui. C’est tout. »

211
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Procédés : l’érotisation (IF 4), marquée à propos de cette planche, est


momentanément stoppée par la tentative de scotomiser le personnage
masculin (OC 8), puis par un long mouvement d’inhibition (EI 1). Le
discours reprend avec l’évocation transparente d’un rapproché libidinal
(IF 3, IF 4).
Problématique : l’identification à la femme dans une relation libidinale
de couple ressemble plus à une démarche d’adolescente ou d’adulte qu’à
celle d’une petite fille en période de latence.

Planche 7GF
« Alors c’est la maman des deux filles qui zont eu un bébé et euh… les
deux sœurs n’arrêtent pas de se battre pour avoir le bébé… et un jour leur
maman leur a pris le bébé et ils ne l’ont pas vu pendant… une journée.
C’est tout. [« Qu’est-ce que tu vois sur l’image ? »] Deux filles avec un
bébé. »

Procédés : le récit est construit à partir d’une confusion des perceptions


(OC 8) et des rôles enfant/adulte (IF 5, IF 9). En dépit du stimulus, la
« maman » est un personnage introduit (IF 1). La non-reconnaissance de
la différence de générations relève du déni (OC 6).
Problématique : la rivalité œdipienne relative à l’enfant du père induit
une déstabilisation identitaire avec recours à une dimension spéculaire
afin d’abolir les différences mère/enfant.

Planche 8 BM
« Alors c’est un garçon qui est avec son papa et euh, le garçon il a perdu
sa maman et un jour son papa est tombé, il a averti plein de gens pour
l’emmener chez le médecin, les médecins l’ont opéré et euh… il a
guéri… Deux ans plus tard il a rencontré une dame qui ressemblait à sa
femme. C’est tout. »

Procédés : l’histoire est construite loin du matériel (IF 7), sur un mode
essentiellement labile avec personnages introduits (IF 1), dramatisation
et rebondissements (RA 2). L’érotisation est de règle (IF 4), venant se
substituer à l’évocation de la séparation.
Problématique : la pression du scénario œdipien est telle qu’on le
retrouve même à propos de cette planche, introduisant une dimension
agressive inattendue à l’égard de l’image maternelle. Cette agressivité
peu gérable, susceptible d’entraîner la perte de l’objet, est supplantée par
l’hypersexualisation des représentations.

212
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

Planche 9 GF
« …++… c’est deux sœurs… la première, euh… elle a 20 ans… et la
seconde… 19 ans. Euh… une des deux sœurs avait un mari et deux
enfants… euh… son mari était parti à la guerre et ils ont téléphoné… et il
a téléphoné à sa femme qui lui a dit je reviens dans quatre jours. Le qua-
trième jour elle courut et… s’était couru pour voir si son mari était là,
elle le cherchait partout, elle ne le voyait pas, elle a demandé à des gens
s’ils l’avaient vu et ils lui ont dit qu’il était parti dans un avion et les
ennemis lui ont tiré une bombe et donc il est mort… et c’est tout. »

Procédés : l’inhibition (EI 1) cède vite le pas à un récit dramatisé (RA 2)


rempli de personnages ajoutés (IF 1) et de représentations d’actions (IF 6)
plutôt loin du matériel (IF 7). Malgré le recours à la maîtrise chiffrée
(OC 2), le récit s’enlise dans la surenchère répétitive des représentations
d’actions (IF 6, OC 7). Une confusion syntaxique passagère (« s’était
couru ») (OC 9) et de nouveaux personnages introduits, anonymes, (IF 1,
EI 2) contribuent à créer un climat d’agitation confuse (IF 6).
Problématique : plutôt que d’affronter la relation à l’image maternelle,
Patricia a recours à une série d’intermédiaires favorisant les mécanismes
de déplacement et d’évitement. Les mécanismes rigides constituent un
appoint négligeable.

Planche 10
« Euh… ah ! c’est un couple qui sont séparés et s’aiment encore et la
dame est partie voir son père pour lui dire ce, ce… qu’il y était arrivé…
et euh… il la consolèrent et elle pleurait pendant… une heure. Et la dame
vut dans la rue un monsieur qui était charmant et ils se marient et eurent
beaucoup d’enfants. »
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Procédés : l’érotisation bat son plein (IF 4) dans un contexte dramatisé


(RA 2) où la confusion père/mari (IF 5), singulier/pluriel (OC 9) est très
transparente. Une relative difficulté dans la conjugaison des temps passés
(OC 9) et le caractère un peu arbitraire de la précision chiffrée soulignent
la faillite des mécanismes de contrôle. L’expression d’affects (RA 1) et
l’érotisation des représentations (IF 4) reprennent aussitôt leur cours.
Problématique : l’évocation de la séparation dans le couple est rempla-
cée par celle d’un rapproché érotisé de registre œdipien.

Planche 11
« [Murmure] je sais ce que c’est… ah voilà… C’est deux hommes qui

213
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

marchent dans la montagne, il était le matin… et ils zont entendu un bruit


énorme. Ils ont cherché partout et l’homme vut un dragon. Il est parti en
courant, ils ont prévenu le village. Tout le village est venu dans la mon-
tagne et le dragon n’était déjà plus là. »

Procédés : Patricia surmonte l’inhibition initiale (EI 1) et construit un


récit à partir de personnages introduits (IF 1) et une tentative de cadrage
temporel à valeur de contenant (RE 3). La dramatisation et les représen-
tations d’action sont au rendez-vous (RA 2, IF 6), laissant apparaître un
léger flou identitaire entre « deux » et « un » (—> IF 9). L’usage de la
métonymie (« tout le village ») reproduit cette oscillation entre pluriel et
singulier qui multiplie les personnages anonymes (IF 1, EI 2).
Problématique : le matériel prégénital est associé à des composantes
phalliques et donne lieu à la fuite en avant dans une problématique agie,
maniée sur un mode labile.

Planche 12 BG
« C’est à la campagne… un garçon et une fille… montèrent dans une
barque, le garçon ramait doucement, ils sont restés sur l’eau toute une
journée et un moment ils sont endormis et il y avait plein de pierres… et
voilà. Les parents des deux enfants ont vu que leur barque n’était plus là,
ils ont pris une autre, ils ont ramé vite… jusqu’aux enfants, ils les ont
trouvés presque à la chute d’eau, et le soir les parents ont donné une
punition aux deux enfants. [« Pourquoi ont-il été punis ? »] Ils ont pas
demandé la permission des parents et ils auraient pu mourir. »

Procédés : après un bref cadrage (RE 3), l’introduction d’un couple


hétérosexuel, (« un garçon et une fille ») (IF 1) annonce une érotisation
(IF 4) dans un contexte dramatisé (RA 2). Suit une nouvelle introduction
de personnages (« les parents ») (IF 1), associés à des représentations
d’actions (IF 6). Le récit se termine par l’évocation d’une relation de
style bêtise/punition (IF 3, EI 2).
Problématique : l’absence de personnage figuré sur la planche est com-
blée par la représentation d’une relation érotisée, excitante, et interdite
par des représentants surmoïques.

Planche 13 B
« Euh, c’est un garçon qui un matin se lève très tôt, va dans la ferme, dit
bonjour à toutes les vaches et s’asseoit dehors… sa maman ne savait pas
qu’il était réveillé. Elle s’est inquiétée pour lui alors qu’il était en train de
jouer avec un instrument. Et le jour où c’est arrivé, c’était l’anniversaire

214
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

du petit garçon et il croyait qu’il allait avoir plein de cadeaux. [« Et


alors ? »] Le soir ils ont mangé, à la fin du repas et il a eu une bicyclette.
C’est tout. »

Procédés : la thématique aller, dire, faire (IF 6) donne le ton de ce récit


cadré dans le temps et dans l’espace (RE 3). Un personnage est introduit
(IF 1), sous-tendant une relation (IF 3) désignée par un affect (RA 1). Il
s’agit plutôt d’une pseudo-relation banalisée (EI 2) étant donné la centra-
tion auto-érotique transparente (IF 4). L’accent est alors mis sur le surin-
vestissement de l’objet (RE 5) et sur sa capacité à être gratifiant ou non.
Problématique : la solitude suggérée par cette planche ne peut pas être
abordée. Elle est remplacée, comme à propos de la planche 3, par une
centration auto-érotique suivie de sanctions.

Planche 19
« Alors c’est toute une famille qui a construit avant l’hiver une petite
maison près d’un arbre. Ils ont mis neuf semaines pour la construire,
après les neuf semaines l’hiver a commencé. Toute la famille s’est réunie
dans la maison et ce jour là c’était Noël, ils ont fait un grand repas, ils ont
eu tous un cadeau et… à minuit ils se sont couchés et le lendemain matin
il n’y avait plus de neige. C’est tout. »

Procédés : le récit, relativement bien construit en résonance avec le


matériel, introduit d’emblée des personnages anonymes (IF 1, EI 1) et
des précisions temporelles à valeur de contrôle (OC 2), non dénuées de
symbolisme sexuel (IF 4). Le surinvestissement des qualités positives de
l’objet (RE 5 +) empêche l’expression d’affects dysphoriques.
Problématique : intérieur et extérieur sont bien différenciés, toutefois
avec une surenchère de gratifications pouvant correspondre à un déni des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

déficiences dans la constitution d’un objet interne.

Planche 16
« Euh… il était une fois… euh un petit garçon… et ses trois sœurs
vivaient avec leurs parents. La maman et le papa n’avaient pas beaucoup
d’argent pour nourrir ses quatre enfants, alors leur papa qui était bûche-
ron l’ont emmené, les ont emmenés avec lui et quand, et quand il avait
fini il était déjà le soir, il a fait exprès de perdre ses quatre zenfants… et
les quatre zenfants se sont endormis, le lendemain matin ils se sont
réveillés, ils ont continué leur chemin, ils ont aperçu leur maison. Et leurs
parents avaient beaucoup d’argent pour nourrir ses quatre zenfants et ils
vivent heureux. »

215
ÉPREUVES THÉMATIQUES EN CLINIQUE INFANTILE

Procédés : l’histoire est empruntée à l’imaginaire du conte du petit


Poucet (IF 2) et évoque, avec des maladresses syntaxiques inhabituelles
(OC 9), une relation tantôt plurielle, tantôt duelle (IF 3 → IF 9). La répa-
ration magique finale traduit le surinvestissement de l’objet et la dépen-
dance (RE 5).
Problématique : la menace d’abandon par une image maternelle mal-
veillante est déplacée, comme dans le conte, sur une image paternelle
falote et/ou séductrice, créant une situation de rapproché ambigu aux
accents œdipiens. Dépression et angoisse sont massivement déniées.

Synthèse

Les modalités d’élaboration du discours


Ce protocole est chargé de procédés labiles quasiment caricaturaux
composés de mises en scène dramatisées des conflits, de précipitation
dans les représentations d’actions, de nombreux personnages introduits et
d’expressions d’affects. Mais c’est surtout l’érotisation des relations qui,
en période de latence présumée, retient l’attention. Cette mise en avant
de scènes, d’actions et d’affects peut appartenir au travail du refoulement
dans la mesure où elle empêche la survenue d’autres représentations
indésirables. Iraient en ce sens les appoints fournis par l’inhibition et
l’évitement qui contribuent à écarter, sans les occulter, les représentations
gênantes. On pourrait également comprendre ainsi les trop rares appari-
tions des procédés de contrôle et leur très faible efficacité.
En fait, par delà ces évidentes modalités plaidant en faveur de l’hystéri-
sation des conflits, on peut s’interroger sur la valeur défensive de
l’hypersexualisation précoce : celle-ci survient en effet systématiquement
à la place du maniement de l’agressivité, et surtout en guise d’élaboration
de la position dépressive aux planches où cette problématique est habi-
tuellement sollicitée. Peut-être y-a-t-il là un nivellement conflictuel qui
dépasse le cadre du refoulement et appartient d’une certaine manière à la
méconnaissance des béances de la réalité interne, méconnaissance appa-
rentée au déni.

La problématique
Le registre œdipien des conflits s’impose en première lecture, au vu de
l’orientation du choix objectal, de l’investissement déçu des représenta-
tions phalliques déstabilisant l’axe activité/passivité, et des sanctions qui

216
ILLUSTRATIONS CLINIQUES

pèsent sur l’excessive érotisation. Mais c’est peut-être davantage l’élabo-


ration de la position dépressive qui fait problème : tout se passe ici
comme si, à chaque ébauche de représentation de séparation ou de perte
d’objet, s’opposait la précipitation vers un rapproché œdipien substitutif.
Si bien que, derrière le scénario œdipien omniprésent et l’hypersexualisa-
tion des relations, c’est bel et bien une quête de relation duelle et étayan-
te par l’image maternelle qui se fait jour. Cela explique l’incapacité à
négocier la rivalité sous l’angle identificatoire et à manier l’agressivité.
La facture déjà adolescente des modalités narcissiques déployées à
l’encontre de la conflictualisation appartient, semble-t-il, à cet aspect
essentiel de la problématique. Entre la dépendance étroite à l’objet, mar-
quée par le sceau de l’étayage, et la fuite en avant prématurée dans le
corps sexué, il manque précisément dans ce protocole les témoins des
négociations intermédiaires qu’aurait pu offrir un ancrage anal solide. Ce
dernier paraît particulièrement inapte à structurer le psychisme au moyen
de mécanismes de contrôle opérants. On assiste à une sorte de remplissa-
ge des béances laissées dans la constitution d’un objet interne fiable, par
une charge libidinale excessive que le moi immature ne peut assumer. Le
surmoi est cependant suffisamment structuré pour endiguer le flot pul-
sionnel et surtout pour maintenir l’expression des conflits dans un
registre symbolique, transparent certes, mais jamais cru.
Ce protocole rend ainsi compte d’une préfiguration hystérique où
convergent l’organisation défensive autour du refoulement et l’érotisation
si caractéristique du corps. En même temps que se donne à voir la
construction du modèle par excellence de la névrose de l’enfant, on assis-
te de façon saisissante à la genèse des articulations entre l’hypersexuali-
sation des conflits et les difficultés à élaborer la position dépressive :
l’excitation sert d’antidote contre la dépression ; antidote dont on peut
redouter la précarité face aux remaniements identitaires et identificatoires
à venir. Mais à travers le fonctionnement psychique de cette petite fille,
n’est-ce pas toute la question de l’hystérie qui est posée ? Celle de sa
genèse, de son message et de son devenir ?

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