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Conférence de Bernard Rey, Hep Vaud, 4

octobre 2016
Le questionnement central est: comment avoir de l’autorité
en classe? L’exposé comporte trois parties:
 Définition de la notion d’autorité
 Historique de la notion d’autorité
 Comment avoir de l’autorité
1) Définition de l’autorité:
Le sens ordinaire que l’on donne à la notion d’autorité
s’oppose à la violence et à la force. Ainsi, l’autorité doit être
légitimée par une obéissance volontaire.
Du point de vue de l’enseignant, l’utilisation de la force ou de
la menace se lie à une relation de pouvoir entre le maître et
l’élève et non une relation d’autorité. La force ou la menace
est ainsi la capacité de priver l’autre d’être et le faire
souffrir. Il a été démontré que les relations de pouvoir ne
sont pas efficaces. En effet, il est conseillé d’utiliser les
punitions, retenues et renvois le moins souvent possible. La
punition est liée à un apprentissage behaviouriste: «si tu
n’es pas sage, tu es puni». L’élève est bêtifié, on annule son
libre-arbitre. Ainsi, l’élève qui refuse la punition ou qui dit ne
pas s’en préoccuper est un élève qui affirme son identité et
qui refuse d’être un objet. Si une punition doit être posée,
c’est un dernier recours qui doit contenir du sens et ne pas
faire souffrir. C’est une règle très importante qui a été
franchie et l’élève doit comprendre son sens et doit
l’accepter.
Dans une relation d’autorité, l’enseignant doit parvenir à
construire cette relation qui le légitime.
Du point de vue de l’élève, il obéit lorsqu’il le souhaite. Dans
la relation d’autorité, l’élève obéissant est celui qui désire
obéir et qui légitime donc l’autorité de l’enseignant.
Ainsi, le rôle principal de l’enseignant est de faire apprendre.
Ce rôle ayant été défini, il est logique que la force ne peut y
parvenir. L’apprentissage est un choix, que l’élève fait
librement. Ainsi, l’élève doit comprendre l’utilité de
l’obéissance.
L’autorité ne dépend donc plus uniquement du maître mais
aussi de l’élève. C’est une relation qui doit se construire.
2) Historique de la notion d’autorité
Cette partie n’a été que brièvement expliquée par Bernard
Rey et c’est pourquoi, je vais me permettre d’ajouter un
extrait de texte d’Hannah Arendt dans cette présentation.
« Puisque l’autorité requiert toujours l’obéissance, on la
prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence.
Pourtant l’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de
cœrcition; là où la force est employée, l’autorité proprement
dite a échoué. L’autorité, d’autre part, est incompatible avec
la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un
processus d’argumentation. Là où on a recours à des
arguments, l’autorité est laissée de côté. Face à l’ordre
égalitaire de la persuasion, se tient l’ordre autoritaire, qui
est toujours hiérarchique.
S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en
l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la
persuasion par arguments. (La relation autoritaire entre celui
qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison
commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande; ce qu’ils
ont en commun, c’est la hiérarchie elle même, dont chacun
reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont
d’avance leur place fixée.) Ce point est historiquement
important ; un aspect de notre concept de l’autorité est
d’origine platonicienne, et quand Platon commença
d’envisager d’introduire l’autorité dans le maniement des
affaires publiques de la polis, il savait qu’il cherchait une
solution de rechange aussi bien à la méthode grecque
ordinaire en matière de politique intérieure, qui était la
persuasion (peithein), qu’à la manière courante de régler
les affaires étrangères, qui était la force et la violence (bia).
Historiquement, nous pouvons dire que la disparition de
l’autorité est simplement la phase finale, quoique décisive,
d’une évolution qui, pendant des siècles, a sapé
principalement la religion et la tradition. De la tradition, de la
religion, et de l’autorité (dont nous discuterons plus tard les
liens), c’est l’autorité qui s’est démontrée l’élément le plus
stable. Cependant, avec la disparition de l’autorité, le doute
général de l’époque moderne a envahi également le domaine
politique où les choses non seulement trouvent une
expression plus radicale, mais acquièrent une réalité propre
au seul domaine politique. Ce qui jusqu’à présent, peut-être,
n’avait eu d’importance spirituelle que pour une minorité, est
maintenant devenu l’affaire de tous. Ce n’est qu’aujourd’hui,
pour ainsi dire après coup, que la disparition de la tradition
et celle de la religion sont devenues des événements
politiques de premier ordre. (…) »
Hannah Arendt, La crise de la culture, «Qu’est-ce que l’autorité ?»
(extrait).

La plupart des sociétés anciennes ont un système favorable


à la relation d’autorité. On considère l’obéissance comme
normale. Dans la République romaine, il allait de soi que l’on
devait obéir aux anciens, en tant que représentants des
traditions.
Durant la période chrétienne, l’obéissance aux autorités
découle de leur légitimation divine. Cette soumission se
répercute au sein des familles à travers le patriarcat.
Pourtant, cette obéissance collective a cessé depuis la
période des Lumières où les philosophes de l’égalité
repensent cette soumission et refusent l’autorité. Ainsi,
l’idéal devient le fait que chaque individu puisse se
gouverner lui-même. C’est la fin de cette mentalité collective
qui admet l’obéissance aux autorités politiques et
religieuses.
Pourtant, et cela jusque dans les années soixante selon
Bernard Rey, l’enfant continue d’obéir à la famille. Mais cette
obéissance se trouvera elle aussi cassée dès 68.
Actuellement, l’enseignant travaille dans une société où la
hiérarchie et l’autorité ne sont plus acceptées de manière
automatique et traditionnelle. Pourtant, l’autorité est
indispensable à l’école pour que les jeunes apprennent et
tout l’objectif est de parvenir à ce que les élèves acceptent
l’autorité. Car à l’opposé, si les jeunes prennent le pouvoir
sur l’enseignant, l’illusion de toute-puissance amène le jeune
à ne jamais pouvoir apprendre.
3) Comment mettre en place une relation d’autorité?
Pour répondre à cette question, une recherche a été menée
sur des adolescents entre 13 et 15 ans, sous forme de
questionnaires ouverts et composés de deux grandes
catégories de questions:
1. Comment sont/se conduisent les enseignants que vous ne
respectez pas?
2. Comment sont/se conduisent les enseignants auxquels vous
avez envie d’obéir?
Le résultat de cette recherche n’a pas pu définir de profil
type. C’est pourquoi, afin de déchiffrer les questionnaires de
manière plus significative, Bernard Rey a décidé d’ajouter
deux notions à sa recherche :
La notion d’objet: La personne objet est l’être qui n’a pas de
libre-arbitre, qui n’a pas la conscience de ce qu’elle fait.
La notion de sujet: La personne sujet est l’être qui a
conscience de ce qu’elle fait
et de ce qui se passe autour d’elle. Ce qu’il fait est une
décision, un choix.
Ainsi, plus un enseignant se conduit en sujet, plus il gagne
en autorité. L’enseignant doit être conscient de ce qui se
passe autour de lui.
Pour agir en sujet, le maître doit:
A
Percevoir ce qui est difficile et ce qui est facile d’apprendre
pour chaque élève indépendamment du groupe classe. On
sait que si l’on donne quelque chose de trop difficile pour
l’enfant, il se découragera mais que si l’on donne quelque
chose de trop facile, il s’ennuiera. Ainsi, si l’on donne
quelque chose de trop difficile, l’enseignant doit en être
conscient et doit justifier cette difficulté comme un défi pour
l’enfant afin de donner à cet enseignement du sens.
L’enseignant doit être conscient de ses exigences et du
niveau de l’enfant et doit toujours demander un peu plus que
ce que l’élève sait ou connaît déjà. De plus, l’enseignement
doit être adapté aussitôt que l’enseignant se rend compte
que ce qui est demandé est trop facile.
B
Lorsque la classe ou un élève chahute, l’enseignant doit
montrer qu’il a vu que quelque chose dérange
l’apprentissage et cela le plus rapidement possible. Si
l’enseignant laisse passer, l’élève le testera jusqu’à obtenir
une réaction de l’enseignant. La sanction par l’enseignant
peut être faite de plusieurs manières qui ne perturbent pas
le cours:
Regarder l’élève
Dire le nom de l’élève
Se déplacer et se rapprocher de l’élève
Effectuer un geste qui montre ce que l’on attend de l’élève.
(Exemple, lui montrer le livre pour lui montrer qu’il doit
suivre aussi le cours)
C
L’enseignant se doit d’être sensible à la disponibilité
intellectuelle des élèves et il doit le leur montrer. Parfois,
l’élève n’est pas là, moins concentré ou c’est le groupe tout
entier qui est moins attentif. L’enseignant doit leur dire et
souligner le fait qu’il a remarqué cette inattention et peut
prendre deux minutes pour comprendre ce qui se passe.
Ainsi, le reste de la période se passera bien. Il faut faire
attention ici à ne pas se laisser prendre par une discussion
trop longue mais juste montrer que nous sommes attentifs
aux élèves.
D
L’enseignant doit calibrer sa réaction face à de l’indiscipline
et toujours penser qu’une petite indiscipline doit avoir une
réaction minime afin qu’une grosse indiscipline ait une
réaction plus marquée mais qui reste aussi plus rare.
E
L’enseignant doit montrer aux élèves qu’il a un projet pour
l’élève : celui de vouloir faire apprendre. Il doit montrer et
démontrer que son rôle et son désir est de faire apprendre.
Cette construction demande de la patience mais c’est la
construction centrale d’un bon fonctionnement de l’autorité
et de l’apprentissage qui en découle. Jamais l’enseignant ne
doit montrer que ce qu’il cherche est le pouvoir ou la
domination car son rôle deviendrait celui d’être le plus fort.
L’enseignant qui se laisse aller à un combat de « coq » avec
un adolescent perd toujours face à la classe car son rôle, qui
est celui de faire apprendre, est abandonné.
L’enseignant doit tenir le message suivant: «je ne suis pas là
pour savoir qui est le plus fort, je suis là pour t’aider à
apprendre». Ce message doit être manifesté par l’attitude et
la parole.
F
L’enseignant peut montrer aux élèves que l’ordre qu’il donne
n’est pas un ordre qui vient de lui mais qui lui est supérieur.
Ainsi, l’ordre n’est pas uniquement lié à la soumission et la
domination mais il est lié au fait de vivre ensemble, à la
valeur du respect et à l’apprentissage.
G
L’enseignant doit dépersonnaliser l’attaque d’un élève. En
effet, ce n’est pas l’enseignant qui est visé, mais sa fonction.
L’enseignant ne doit pas montrer ses sentiments, comme par
exemple le fait d’être outragé. En effet, l’enseignant n’est
pas respecté pour lui-même mais parce qu’il est le
représentant de l’institution, de l’apprentissage et de la
connaissance.
H
L’enseignant doit donc favoriser les règles qui mettent un
cadre à la vie en commun, tout en recentrant l’apprentissage
au centre de la classe. L’enseignant doit offrir un cadre
d’apprentissage et doit lui-même être conscient de ce qui
permet l’apprentissage.
Il s’agit finalement de ne jamais dénaturer ou simplifier les
savoirs que l’on enseigne car l’autorité doit justement être
présente pour permettre d’enseigner.
Pour aller plus loin:
Bernard Rey, Discipline en classe et autorité de l’enseignant, Éléments
de réflexion et d’action.

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