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Nicole Guédeney
optimale de ce qu’il peut faire seul ; il peut accepter que ce soit aussi le cas
pour les autres, ce qui facilite la coopération (Edward, 2002). Le concept de
sécurité de l’exploration (Grossmann et Grossmann, 1999) est utile dans
l’exercice de l’autorité sensible. L’enfant a besoin de s’affronter aux diffi-
cultés de l’exploration sans que le parent intervienne trop prématurément.
Ceci lui permet de développer ses propres capacités à tolérer la frustration
ou la difficulté à retarder la gratification (Edward, 2002). La tolérance au
délai de gratification (par exemple, pouvoir réfréner son envie de toucher
à un objet interdit) est une acquisition psychologique particulièrement
importante pour permettre à l’enfant de s’inscrire dans le processus d’auto-
rité (Houck et Lecuyer-Maus, 2004).
Le parent sensible au défi de l’obéissance/autorité soutient à la fois l’envie
de l’enfant de maîtriser quelque chose et, en même temps, l’aide à conte-
nir et à faire face aux émotions inéluctables de frustration, de colère ou
d’anxiété. Les émotions soulevées par l’exercice de la discipline sont donc
particulièrement pertinentes au regard de l’attachement. Hugues (2009) en
décrit deux dimensions, une augmentation de la sécurité et une augmen-
tation de l’anxiété : la sécurité parce que l’enfant sait que son parent est
activement impliqué dans la situation et a l’expérience et le savoir pour
la traiter au mieux ; l’anxiété parce que la décision du parent pour traiter
cette situation risque de contrarier ses propres désirs ou ses souhaits et donc
de créer la frustration et le conflit. De tels conflits génèrent une incertitude
sur la qualité de la relation parents-enfant, particulièrement quand l’enfant
n’est pas très au clair sur les motifs des parents.
Fonction d’ancrage
Cette théorisation récente semble particulièrement pertinente pour relier
sécurité de l’attachement et processus d’autorité : elle ajoute une dimension
d’autorité au concept de base de sécurité (Omer et al., 2013). La fonction
d’ancrage représente le rôle de sauvegarde du parent qui lui permet de proté-
ger l’enfant des dangers de l’exploration. Elle implique que le parent ait un
sentiment de compétence et d’efficacité personnelles. Il n’y a pas d’autorité
sans structure. La structure est l’ensemble des règles et des routines, définies
par les parents, qui garantissent et protègent les activités de la famille et de
l’enfant. La structure reflète aussi l’organisation de liens protecteurs par le
parent ; cette notion se réfère également à la définition des rôles, du statut
juridique, de l’accessibilité et des droits des différents membres de la famille.
Elle joue un rôle majeur dans l’établissement d’une trame sécure et stable
dans la vie de la famille. La présence parentale est signifiée par des actions
et des attitudes qui montrent à l’enfant que leurs parents sont disponibles et
sensibles et qu’ils répondent dans les situations de détresse comme dans
l’exercice de l’autorité. La tâche de supervision du parent sécure est parti-
culièrement mise en valeur. Pour Omer et al. (2013), il n’y a pas d’autorité,
surtout après 2 ans, sans une extrême vigilance parentale, c’est-à-dire sans
un sentiment de responsabilité et d’engagement parental. Waters et al.
(1990) suggèrent que le comportement protecteur de la première année
change d’expression mais ne décline pas ; il devient juste de plus en plus
dépendant de la coopération de l’enfant. Cependant, en situation d’auto-
rité, la coopération n’est pas évidente. Le parent doit assumer la responsa-
bilité et le maintien de sa présence quand l’enfant s’oppose. Cette vigilance
se manifeste à la fois dans l’attention, le radar visuel (watchfulness), la sen-
sibilité aux signaux éventuels de besoin ou de détresse de l’enfant, et par la
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joue avec la mère puis doit ranger puis la mère lit une histoire à l’enfant).
Le professionnel encourage la mère à féliciter l’enfant quand il fait les
choses correctement au lieu de se focaliser seulement sur le comportement
réprouvé. Lui-même joue aussi un rôle de modèle en félicitant l’enfant et
en renforçant la mère quand elle complimente l’enfant. Il répète aussi les
suggestions de discipline non coercitive. Par exemple, pour la tâche de
rangement, il donne la technique de futur : au lieu de refuser ou juste dire
« non » à un enfant qui veut encore jouer, on encourage les mères à dire
qu’il pourra jouer après avoir rangé ou reprendre plus tard l’activité.
Au cours de la troisième séance, le thème spécifique lié à la discipline est
celui du time out. La vidéo, faite lors de la session 2, porte sur un repas. Le
professionnel explique que si l’enfant a une crise de colère, le time out peut
l’aider à retrouver son calme. Deux possibilités sont proposées : la mère
peut mettre l’enfant dans une autre pièce ou un autre coin de la pièce, ou
choisir de se retirer de la scène, en adaptant le temps à l’âge de l’enfant (on
recommande une minute par année d’âge). On suggère que la mère reste
en visuel pour l’enfant afin de lui éviter de se sentir abandonné ou en insé-
curité. On insiste sur l’importance de dire les choses calmement. La mère
doit rester calme tout en expliquant qu’elle jouera avec l’enfant quand il
sera calmé. Il importe de finir l’épisode sur une note positive en félicitant
l’enfant pour ses efforts d’autocontrôle. Le time out est un moyen d’éviter
l’escalade et de normaliser de nouveau l’interaction, une manière de se
retrouver soi-même pour arriver à se calmer avec ses propres ressources,
non pas de punir l’enfant ou de l’isoler au sens de l’exclure.
Dans la quatrième séance, le thème lié à la discipline est celui de l’empa-
thie. Il s’agit de développer la capacité de la mère à comprendre les pensées,
sentiments et motivations de l’enfant quand celui-ci est confronté aux
règles de faire et de ne pas faire. La vidéo, filmée à la session 3, porte sur un
jeu d’encastrement qui est source de frustrations. Le professionnel rappelle
l’importance d’expliciter les règles à l’enfant et de lui faire savoir que l’on
comprend que la situation peut être difficile. Ceci entraîne l’enfant à être
empathique aux autres et facilite le développement de comportements pro-
sociaux. Cette séance insiste aussi sur l’importance de la cohérence et de la
régularité de la règle. Leur absence est source de confusion pour l’enfant.
On encourage le parent à décider quelles règles sont importantes et doivent
être renforcées de manière cohérente.
Au cours des cinquième et sixième séances, les deux parents sont invités
à participer. On répète les conseils des séances précédentes, ce qui permet
d’impliquer le père sans donner le sentiment à la mère qu’on pense qu’elle
a oublié ou qu’elle n’a pas compris. Ceci offre aussi la possibilité aux parents
d’évaluer ensemble leurs attitudes et comportements respectifs par rapport
à la discipline. Le VIPP-SD a été récemment appliqué aux parents avec des
retards mentaux (Hodes et al., 2014).
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Conclusion
La théorie de l’attachement éclaire le processus de la discipline inductive
en réconciliant deux points de vue souvent vécus comme antinomiques :
donner une structure et respecter la perspective de l’enfant. Inscrite dans les
théories du développement, elle donne lieu à des programmes d’interven-
tion extrêmement aidants pour les parents en clinique pédopsychiatrique.
Le rôle préventif de ces interventions sur le développement de troubles du
comportement semble prometteur.
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