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OGM :

éléments de réflexion
Document réalisé par Hélène Farelly,
enseignante en économie et gestion, anciennement animatrice de développement rural, et responsable de la formation à la
FADEAR (Fédération Associative pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural).

INTRODUCTION
Définition : d’améliorer les techniques culturales, grâce à de
meilleurs rendements et par exemple une résis-
Un Organisme Génétiquement Modifié est un tance accrue aux prédateurs. Dans le domaine
organisme vivant (végétal ou animal, micro- médical, des produits pharmaceutiques nou-
organisme…) dont le patrimoine génétique a été veaux voient le jour (comme l’hormone de crois-
transformé par l’introduction d’une petite sance BST pour forcer la lactation des vaches).
construction génétique issue d’autres organismes
vivants. La technique implique d’isoler des gènes Aujourd’hui, les OGM tolérants aux herbicides
et de les transférer d’une espèce à une autre (c’est (soja, colza) représentent les 3/4 des OGM pro-
pourquoi on parle de transgénèse ou d’organismes duits dans le monde. La technique est aussi uti-
transgéniques). Ainsi, les organismes vivants lisée pour le maïs, la banane, la chicorée, le coton,
créés combinent des caractères nouveaux qui n’au- etc.
raient pu exister naturellement.
La création d’OGM nécessite donc d’intervenir Actualité des OGM :
directement sur la molécule ADN, ce qui a été
La plus grosse part des OGM est produite sur le
rendu possible par les progrès récents de la bio-
continent américain (le premier pays étant les
logie moléculaire.
Etats-Unis, puis l’Argentine), mais la technique com-
Cela permet le franchissement de la barrière
mence depuis quelques années à s’étendre dans
sexuelle entre espèces : il s’agit donc d’une rup-
le reste du monde.
ture scientifique, car jusqu’à ce jour, la sélection
L’Europe a adopté une position spécifique : en
conventionnelle consistait à utiliser la variabilité
1999, elle a appliqué un moratoire qui suspend
des êtres vivants à l’intérieur d’une même espèce
les nouvelles autorisations de mise en culture
ou par croisement d’espèces apparentées.
d’OGM destinés à la consommation (cependant,
L’histoire des OGM est très récente : le 1er OGM
certains pays comme l’Espagne ont autorisé cer-
a été mis au point en 1983 (tabac), et le 1er pro-
taines cultures). D’autre part, les essais à voca-
duit commercialisé est une tomate à mûrissement
tion de recherche sont autorisés et la précédente
ralenti en 1994.
commission a facilité l’importation d’OGM
(aujourd’hui, environ 25 OGM sont commercia-
lisés sur le marché européen). Des règles strictes
Intérêt de la technique : existent en Europe : les produits vendus aux
consommateurs et contenant des OGM doivent
Les OGM présentent de nouvelles propriétés héré- obligatoirement être étiquetés (si les OGM repré-
ditaires qu’on ne trouve pas à l’état naturel : par sentent plus de 0,9 % de la composition de l’ali-
exemple, la majorité des plantes génétiquement ment) et présenter des informations sur la tra-
modifiées disposent de nouvelles caractéris- çabilité.
tiques génétiques comme la production de leur
propre insecticide, une meilleure tolérance aux L’opinion publique européenne est plutôt défa-
herbicides,… En agriculture, cela permet donc vorable aux OGM, en particulier en France.

1
I) AVANTAGES ET INCONVENIENTS DES OGM
L’intérêt et les risques des OGM soulèvent aujourd’hui dans le monde un large débat, si bien que deux « camps » s’opposent :
les « pro-OGM » et les « anti-OGM ». Il est donc intéressant de lister les avantages et les inconvénients de cette technique
récente, avant d’en délimiter les enjeux pour l’avenir de l’humanité et de la planète.

PRINCIPAUX AVANTAGES PRINCIPAUX INCONVÉNIENTS


MIS EN AVANT MIS EN AVANT

Economiques • une meilleure efficacité agricole : amélioration possible • l’achat de semences transgéniques coûte cher, un surcoût
des rendements à l’hectare (grâce à la résistance des qui n’est pas forcément toujours compensé par les éco-
plantes par exemple) et de la productivité du travail (par nomies d’intrants.
exemple, l’agriculteur peut passer moins de temps sur sa • les agriculteurs pourraient être « pris en otage » car sou-
parcelle pour la traiter). En conséquence, les coûts de pro- mis à l’achat annuel de semences OGM (dont la repro-
duction baissent. duction est interdite ou impossible) : problème de sécu-
rité alimentaire des populations rurales.
Contre-arguments : les rendements augmentent très peu • le commerce des OGM (réservé à un petit nombre d’en-
et l’amélioration de la productivité bénéficie surtout aux treprises qui en possèdent les brevets) peut être vu comme
grandes exploitations des pays développés. une privatisation du vivant, qui peut être considéré comme
relevant du secteur non-marchand car appartenant à l’hu-
manité dans son ensemble.

Contre-arguments : la méthode en est à ses débuts, les


progrès et la baisse des coûts seront croissants à l’avenir.

Environ- • les OGM peuvent permettre de limiter les différents trai- • l’adaptation des parasites aux traitements exige une recru-
nementaux tements (herbicides, insecticides,…), ce qui est favorable descence de l’utilisation de (nouveaux) produits.
à la protection écologique des sols. • risques pour la biodiversité : les OGM peuvent provo-
quer la disparition de certains insectes ou plants et désé-
Contre-arguments : Les OGM résistants à certains traite- quilibrer la chaîne animale, et la diffusion de modèles
ments permettent d’amplifier l’utilisation de ceux-ci. Les uniques (de maïs transgénique par exemple) est à terme
herbicides sont par exemple toujours autant utilisés mais un renoncement de la biodiversité.
leur nature change. Or, ce sont souvent les mêmes entre- • les cultures proches des OGM peuvent être contaminées
prises qui vendent les semences OGM et les traitements par leur pollen (par dissémination).
correspondants, elles peuvent donc avoir intérêt à favori- • les séquences génétiques insérées dans les plantes peu-
ser la production d’OGM nécessitant des produits qu’elles vent se « réarranger » de façon imprévisible et diffici-
fabriquent également. lement maîtrisable.
• les résultats des tests confinés en laboratoire et en champs
expérimentaux ne peuvent être raisonnablement extra-
polés à la diversité des milieux et des conditions dans
lesquelles sera cultivée et transformée la variété trans-
génique commercialisable.

Contre-arguments : on peut limiter les risques de conta-


mination en décalant les périodes de floraison des par-
celles voisines (de 2 ou 3 semaines).
Ce sont surtout les 10 premiers mètres des cultures voi-
sines qui peuvent être touchés par une contamination à
plus de 0,9 %, seuil qui exige d’étiqueter sur la présence
d’OGM.

2
PRINCIPAUX AVANTAGES PRINCIPAUX INCONVÉNIENTS
MIS EN AVANT MIS EN AVANT

Liés • les OGM peuvent permettre de limiter les différents trai- • certaines plantes OGM (maïs Bt) présenteraient une résis-
à la santé tements (herbicides, insecticides,…), ce qui est favorable tance aux antibiotiques, éventuellement transmissible
à la protection de la santé humaine. à l’homme.
humaine
• l’introduction de nouvelles propriétés dans les aliments • certaines plantes OGM (maïs Starlink) auraient des
peut être favorable à la nutrition (exemple : le riz trans- effets allergènes.
génique enrichi en vitamine A - riz doré - a la particula- • la nouveauté des techniques impliquerait de rester pru-
rité de limiter les risques de cécité des enfants malnu- dent et de tester les effets sur une longue durée.
tris).
• la recherche apporte de nouvelles perspectives en Contre-argument : aucun risque pour la santé
matière de production de médicaments : étude des humaine n’est scientifiquement prouvé.
pathologies humaines à partir d'animaux génétique-
ment modifiés, création par transgénèse de médicaments
très ciblés sur un sous-groupe de maladie, ce qui facilite
le contrôle des effets toxiques.
• la transgénèse ouvre la voie à la réduction, voire à l'éli-
mination, de la présence de certains composants toxiques
naturels dans les aliments, tels que le cyanure dans le
manioc.

Contre-arguments : selon Greenpeace, il faudrait consom-


mer 9 kg par jour de riz doré pour obtenir sa ration néces-
saire de vitamine A.
Aucune absence de risque pour la santé humaine n’est
scientifiquement prouvée.

Ce débat complexe comprend donc plusieurs enjeux qu’il et l’humanité en général, les agriculteurs, les firmes produi-
convient d’explorer pour se faire une opinion sur les OGM. sant et commercialisant les semences et intrants ? Ces inté-
rêts sont-ils compatibles et sont-ils homogènes sur l’en-
Les avantages et inconvénients listés montrent que les semble de la planète, au Nord comme au Sud ?
enjeux sont de plusieurs ordres : • des enjeux philosophiques, moraux, éthiques et théologiques
• des enjeux liés à la notion de risque : la nouveauté des OGM qui peuvent apparaître au regard de l’origine des OGM (sup-
met en évidence des peurs et des réticences quant aux éven- pression de certaines barrières entre espèces), et au regard
tuels dangers pour l’avenir. du développement des produits contenant des OGM malgré
• des enjeux liés à la notion d’intérêt : qui a intérêt au déve- l’opposition de l’opinion publique, en particulier européenne.
loppement des OGM ? les populations souffrant de la faim

II) 1er ENJEU : LES OGM ET LA NOTION DE RISQUE


La réticence au risque prenant de constater que la réticence au scientifiques s’affrontent à ce sujet.
risque dans le domaine alimentaire concerne
La première est une vision scientifique dite
Notre société accepte difficilement la surtout l’Europe,et beaucoup moins les Etats-
« réductionniste » (en tous cas présentée
notion de risque,et la crainte des OGM est Unis où les OGM font moins débat – le fait
comme telle par ses détracteurs) car elle
une des nombreuses peurs qui s’y répandent. que ce soient des entreprises américaines
s’assied sur une vision particulière de la
Aux Etats-Unis et plus récemment en qui soient leaders sur ce marché n’y est cer-
biologie moléculaire : « un gène corres-
Europe s’est développée une forme de « judi- tainement pas étranger.
pond seulement à une protéine et une
ciarisation » de la société : les possibilités
fonction ». Ainsi un maïs transgénique ne
de plaintes puis de procès découragent la Ces risques liés aux OGM sont par exemple
serait qu’un maïs comme un autre, avec
prise de risques.Les craintes dans le domaine celui de ne plus maîtriser les OGM, orga-
un peu d’insecticide dedans. Cette vision
alimentaire sont sans doute les plus aiguës nismes vivants, mais aussi de découvrir
peut être également considérée comme
car elles se rapportent à un besoin vital : celui ultérieurement des effets dramatiques sur
réductionniste car elle s’appuie sur des
de se nourrir. On comprend alors que les la santé humaine (comme pour l’amiante)
méthodes d’évaluation de la toxicité à
OGM soient un terrain d’expression de ces et sur l’environnement.
court terme uniquement. Elle est soute-
craintes.En effet,très récentes au regard de
nue par des lobbys industriels, scientifiques
l’histoire de l’humanité,les biotechnologies Les particularités de la et politiques, et la réglementation conçue
ne bénéficient pas encore du recul néces- science au regard du risque dans les années 1980 y est conforme.
saire à une juste appréciation de leur dan-
La seconde vision scientifique qui prend
ger ou de leur innocuité.Pourtant,il est sur- L’analyse approfondie (menée par le CRII- de l’ampleur aujourd’hui est dite « à com-
GEN1) des dissensions dans l’évaluation
des OGM montre que deux conceptions 1
CRII-GEN : Comité d’expertise Indépendant sur les OGM

3
plexité intégrée ». Elle met en avant que devant la mission parlementaire fran- peuvent voir le rejet des OGM comme un
les gènes ont souvent des fonctionne- çaise réunie en 2004-2005 pour étudier les luxe des pays riches où l’alimentation est
ments régulés de manière corrélée et com- OGM sont unanimes : le risque zéro surabondante.
plexe, voire inattendue. Surtout, la fonc- n’existe pas. « Il faut prendre conscience
tion présumée d’un gène peut ne pas être que la science contemporaine est fondée
conservée d’une espèce à l’autre. Cette sur l’incertitude » et l’accepter. Conclusion :
vision nécessite de considérer l’OGM
comme un nouvel organisme à part Le principe de précaution semble récon- Des intérêts très contestés peuvent-ils jus-
entière. Elle est soutenue par un certain cilier l’approche du progrès scientifique et tifier un développement non raisonné des
nombre de scientifiques et par des asso- celle de la mise en évidence des risques OGM ? Est-ce aux générations futures de
ciations de consommateurs, d’agricul- induits par celle-ci. Il appelle la mise en découvrir a posteriori si les découvertes
teurs ou de distributeurs. place de procédures limitant le risque, étaient bénéfiques ou nuisibles ?
grâce à des études et recherches orientées
Cette opposition amène une réflexion vers les effets des découvertes scienti- Il semble à ce niveau de la réflexion
générale sur les risques liés aux OGM. fiques. Cependant, le principe de pré- qu’une position à la fois ouverte et pru-
D’après Jacques Testard (directeur de caution doit être entendu comme un dente pourrait être de favoriser la
l’INSERM et père scientifique du 1er bébé principe d’action, et non d’abstention. recherche sur les OGM (pour en dévelop-
éprouvette), les séquences génétiques Mal compris, il pourrait en effet constituer per de nouveaux mais aussi pour en véri-
insérées dans les plantes se « réarrangent » un frein à la recherche et à l’innovation, fier l’innocuité), tout en l’encadrant. C’est
de façon imprévisible et difficilement qui a déjà tant apporté à l’humanité sur ce que propose la mission parlementaire
maîtrisable. La recherche sur les OGM est le plan de la santé et de l’amélioration des sur les OGM quand elle suggère la créa-
donc en phase expérimentale et ne conditions de vie. tion d’un comité indépendant chargé
devrait pas déboucher déjà sur de la pro- Or, concernant les OGM, ce principe de pré- d’évaluer les risques et de les comparer
duction à grande échelle car elle concerne caution peine à s’appliquer : les promoteurs aux bénéfices attendus des OGM. La
le vivant, par nature bien plus complexe des OGM (Cf. le site Internet de Monsanto) recherche des laboratoires privés ne peut
que le monde inanimé. Par contre, selon mettent en avant toutes les précautions apparemment suffire pour remplir cette
Philippe Vernet2, le risque environne- prises avant la commercialisation d’un mission car elle est trop chargée d’inté-
mental principal est couru par les varié- OGM, et défendent leur position par la réa- rêts financiers liés à l’exploitation commer-
tés sauvages situées à proximité des lisation d’études scientifiques sérieuses, ciale des découvertes. Mais la sagesse
OGM. Le problème est réel pour une cul- sans préciser par qui ces dernières ont été serait aussi de dire qu’il est un peu tôt pour
ture comme celle de la betterave, dont il conduites. Les opposants des OGM arguent généraliser la technique des OGM à l’en-
existe des variétés sauvages. Celles-ci ris- du fait que les expériences de long terme semble de la planète (ce qui est pourtant
quent d’être modifiées génétiquement par a priori et les contrôles a posteriori sont en train de se réaliser), car les garanties
contact avec les betteraves cultivées. quasi-inexistants voire inexistants. Qui ne sont pas suffisantes.
croire ? En fait, les conclusions diffèrent selon
Pourtant, la science ne se conçoit jamais qu’on parle de recherche ou d’application
sans un minimum de prise de risque. Il est Le problème de cette évaluation des commerciale de cette recherche. Dans le
possible,sur le plan scientifique,de démon- risques est qu’elle est sans doute faussée domaine des OGM, des freins aux appli-
trer l’existence d’un danger mais en par un autre enjeu qui cristallise le débat : cations seraient sans doute judicieux, car
revanche, il est impossible de prouver l’ab- celui de tous les avantages supposés des la transgénèse concerne un domaine (la
sence d’un risque. C’est d’autant plus vrai OGM, en particulier leur capacité à contri- biologie moléculaire), non seulement
dans le domaine de la biologie, qui s’ap- buer à juguler la faim dans le monde. En chargé d’incertitude (encore que c’est le
puie sur les observations de l’existant (ou effet, que pèsent des risques non délimi- propre de toute nouveauté scientifique),
du passé) mais ne peut pas prévoir l’ave- tés pour l’instant par rapport aux perspec- mais aussi chargé de questions éthiques
nir car il s’agit d’une science empirique. tives de centaines de millions de vies sau- car c’est la vie qui est en jeu.
Les scientifiques qui se sont exprimés vées à travers le monde ? Certains

III) 2ème enjeu : les intérêts liés aux OGM


a) Les OGM comme solution à la faim dans le monde : présentation des pistes de
réflexion
Selon la FAO3, 800 millions de personnes grande difficulté (beaucoup périssent), il moins de 1 $ par jour) des pays en déve-
sont actuellement concernées par une est intéressant de comparer les argu- loppement vivent dans des zones rurales.
sous-alimentation chronique. Pour se ments des pro-OGM et des anti-OGM. De plus, selon la FAO, pour compenser
faire une idée sur ce que peuvent appor- l’augmentation démographique mondiale
ter les OGM à ces populations en très Arguments favorables à l’utilisation
des OGM pour combattre la faim 2
Philippe Vernet : professeur émérite, généticien au labo-
ratoire de génétique et évolutions des populations végé-
dans le monde : tales, Université Lille I
Plus de 70 % des pauvres (vivant avec 3
FAO : Food Administration Organization

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à venir, la production mondiale de nour- des agriculteurs brésiliens. Ces terres sont caractéristiques très ciblées. Il existe donc
riture devra croître de 2,3 % par an. Un surtout utilisées pour des cultures des- un risque de perte de diversité au détri-
accroissement de la production agricole tinées à l’exportation. Le Brésil est le qua- ment de la sécurité alimentaire de ces
dans ces zones rurales (grâce à des cultures trième exportateur mondial de pro- pays. D’autre part, les risques de conta-
OGM économes en intrants, en temps de duits agricoles, mais 40 % de la mination des cultures voisines sont
travail et plus productives) pourrait per- population brésilienne souffre de sous- amplifiés dans ces pays du fait de la
mettre : alimentation. Le FMI4 conseille les pays petite taille des parcelles.
• d’améliorer la satisfaction des besoins du Sud fortement endettés de s’insérer • Il existe d’autres pistes pour résoudre le
alimentaires locaux sur le marché mondial des produits problème de la faim : et en particulier
• de faciliter l’insertion des producteurs agro-alimentaires plutôt que de dévelop- miser sur le maintien d’une agriculture
sur le marché mondial grâce à une per les cultures vivrières. Parallèlement, paysanne, vivrière, orientée vers les
meilleure compétitivité de leur pro- les productions orientées vers la satis- besoins locaux, riche en main d’œuvre
duction (dans le domaine du coton par faction des besoins alimentaires locaux locale et permettant la souveraineté ali-
exemple) : la richesse ainsi créée serait souffrent de la concurrence accrue (et mentaire des pays concernés.
redistribuée dans le cercle familial et vil- fortement contestée comme étant
lageois, au bénéfice d’un grand nombre. déloyale) des productions des pays Pour aboutir à une synthèse entre ces deux
• de maîtriser certaines maladies et para- riches qui subventionnent leurs expor- approches, il semble pertinent de placer
sites foudroyants qui mettent en péril tations. L’introduction sur une grande la réflexion sur le terrain de l’analyse éco-
les récoltes (patates douces ou manioc échelle d’OGM dans les pays souffrant nomique, car c’est à ce niveau que l’op-
en Afrique par exemple). de la faim pourrait donc avoir pour position prend sa source.
effet de réorienter les agricultures
Ainsi, le Programme des Nations Unies locales vers des cultures d’exportation
pour le Développement considère aujour- (en effet, le soja, le maïs et le colza qui b) Analyse économique
d’hui les cultures OGM comme le meilleur représentent la grosse majorité des
outil de développement des agricultures OGM produits dans le monde sont des
autour des OGM :
défavorisées. C’est l’humanité toute cultures d’exportation). D’autre part,
entière qui tirerait profit de cette formi- elles pourraient impliquer une profonde Le problème de la faim dans le monde est
dable avancée de la science. modification des structures agricoles vers dépendant du niveau de production agri-
une mécanisation et une intensification cole, des types de productions, et de la
de la production, avec la même évolu- répartition des revenus générés par l’ac-
Arguments qui remettent en cause tion que celle vécue dans les pays tivité. Ce débat est donc lié à des ques-
l’utilisation d’OGM pour résoudre le riches : augmentation de la taille des par- tions de politique économique.
problème de la faim dans le monde : celles et des exploitations pour s’adap-
ter aux exigences d’une agriculture
• La question de la pauvreté et de la faim industrialisée, diminution du nombre OGM et niveau de produc-
n’est pas liée à une insuffisance de d’actifs agricoles (et donc du nombre tion :
production mais à sa répartition : c’est d’emplois), dégradation de l’écosystème En accroissant les rendements, les OGM
la position défendue notamment par le due aux pratiques agricoles producti- apportent une perspective intéressante
prix Nobel d’économie Amartya Sen. « La vistes. en terme de quantités produites. Mais de
faim n’est pas le résultat d’un manque • Les OGM sont mal adaptés aux besoins nombreux analystes s’accordent à dire que
de ressources alimentaires mais d’une des agriculteurs des pays du Sud qui ont les quantités ne sont pas un élément
mauvaise organisation ou d’une absence peu de capacités d’investissement. Or, déterminant car la production mondiale
de contrôle politique sur les ressources ». il faut acquérir les semences et les actuelle devrait suffire à satisfaire les
Par exemple, l’Inde disposait en 2003 de intrants correspondants aux types de besoins de tous. L’aide alimentaire du Nord
40 millions de tonnes de surplus agricole, variétés OGM cultivées. vers le Sud grâce à une amélioration des
alors qu’une partie de sa population • Les OGM pourraient rendre les produc- rendements au Nord est une piste, mais
souffre de la faim ou de malnutrition. teurs très dépendants des semenciers uniquement dans des cas extrêmes, pour
• La question de la faim doit être analy- internationaux, par le phénomène des certaines situations d’urgence. Si elle
sée au regard de la structure de la pro- brevets. En effet, les entreprises multi- devient structurelle, elle ne peut en
duction dans les pays du Sud, et en par- nationales sont propriétaires des aucun cas suffire à nourrir la planète car
ticulier de la place occupée par les semences vendues, qui ne peuvent être elle mettrait en péril les producteurs du
cultures d’exportation. Il existe en effet reproduites (elles doivent donc être Sud (avec augmentation de la pauvreté
de fortes inégalités au sein d’un même rachetées chaque année, ainsi que les et déplacement des populations vers les
pays dans les modes de production traitements correspondants). centres urbains). C’est donc plutôt une aug-
agricole et dans l’accès à la nourriture. • Les variétés transgéniques ne sont pas mentation des quantités produites dans
Ainsi, au Brésil, les firmes multinationales adaptées aux pays du Sud, dont les cul- les pays en développement qui est néces-
possèdent plus de terres que l’ensemble tures paysannes représentent une forte saire.
diversité, sur de très petites parcelles.
Or, les OGM tendent à limiter les varié-
tés au profit de variétés uniques aux 4
FMI : Fonds Monétaire International

5
OGM et structure de la téger par des subventions leurs produc- La science économique tend à montrer
teurs de la tendance à la baisse des cours que la logique des entreprises privées
production : mondiaux. Les économies induites par les (recherche du profit pour pérenniser leur
Deux types de production agricole sont
OGM seront en effet encore très long- activité) est compatible avec le bien-
possibles : elle peut s’orienter vers des cul-
temps moins intéressantes pour les pays être de l’humanité, et en particulier avec
tures vivrières propres à satisfaire des
du Sud que pour les pays du Nord, du fait la possibilité pour chacun d’avoir des
besoins locaux, ou s’orienter vers des cul-
de la petite taille des exploitations dans conditions de vie décente, à condition que
tures destinées à l’exportation. La coha-
le Sud. Et si un jour les OGM rendent pos- des mécanismes de répartition d’une
bitation des deux types de production est
sibles des productions tropicales en zone partie des richesses produites soient éga-
bien sûr possible, et elle est d’ailleurs une
de climat tempéré, les avantages compa- lement appliqués. Mais l’observation
réalité actuellement. Quoi qu’il en soit, les
ratifs du Sud seront en plus remis en ques- actuelle des tendances montre que la plu-
économies de la quasi-totalité des pays
tion. part des pays pauvres, notamment en
s’inscrivent dans un contexte mondialisé
Afrique, s’enfonce dans un cercle vicieux
où le jeu de la concurrence influence consi-
En fait, généraliser les OGM dans les de la pauvreté (cette réalité est à nuan-
dérablement les résultats. En effet, en éco-
pays en retard de développement (et cer, car de multiples facteurs politiques,
nomie ouverte, les productions vivrières
souffrant de sous nutrition ou de malnu- économiques et sociaux entrent en jeu),
comme les cultures d’exportation sont
trition) pour les rendre plus compétitifs, et que la fraction la plus riche de la
concurrencées par les productions des
revient à miser sur l’insertion de ces population mondiale s’enrichit encore.
autres pays.
agricultures dans le commerce mondial. D’autre part, les opposants aux OGM rap-
Or, la lutte semble actuellement inégale, pellent que les entreprises productrices
Les OGM peuvent contribuer à rendre plus
tant les agricultures des pays riches sont de ces organismes appartiennent souvent
compétitives les agricultures des pays
protégées par le mécanisme des subven- aux mêmes groupes que celles qui détien-
actuellement les plus en difficulté et
tions. nent des brevets sur les médicaments
faciliter leur insertion dans l’économie
(notamment les thérapies de lutte contre
mondiale.
le SIDA), dont le coût ne permet pas aux
La seconde réserve est liée à la prise en populations pauvres de se soigner. Sans
Mais une première réserve peut ici
compte des logiques individuelles dans le contester le fait que la recherche du pro-
être introduite : cette perspective doit
développement d’un système agricole fit soit favorable à la dynamique écono-
être rattachée à l’organisation du com-
où les OGM tiennent une place impor- mique et donc à une création de richesse
merce mondial et en particulier aux
tante : en effet, miser sur les OGM pour favorable à tous, il faut ne pas perdre de
règles qui le régissent. En simplifiant, on
nourrir l’ensemble de la population peut vue que la vocation des entreprises com-
peut considérer en premier lieu que les
revenir à croire que le bien-être de l’hu- mercialisant les OGM n’est en aucun cas
besoins (notamment alimentaires) de
manité repose sur quelques firmes agro- de favoriser l’accès à la nourriture des
tous les habitants de la planète pourraient
alimentaires. Celles-ci sont 5 à posséder populations les plus pauvres. Elles mettent
être satisfaits par le libre jeu de la concur-
la quasi-totalité des brevets et des orga- en avant cette possibilité, mais cela peut
rence. En s’insérant dans le commerce
nismes de recherche en biotechnologies, être perçu comme un argument de com-
mondial, les agricultures du Sud devien-
et ce sont elles qui détiennent le plus d’in- munication justifiant leur action. Le résul-
dront compétitives et permettront de
térêts financiers dans le développement tat de la généralisation des OGM pour sti-
nourrir toute la population grâce à une
des OGM. muler la production agricole pourrait
meilleure répartition des richesses.
Comment ces logiques individuelles vont- être la satisfaction des besoins alimen-
A contrario, on peut considérer que la libé-
elles permettre d’atteindre des besoins col- taires d’un plus grand nombre, mais ce
ralisation des économies et la suppression
lectifs ? n’est pas certain. En effet, les méca-
des freins au commerce est le plus sûr
Le système économique mondial actuel nismes de la pauvreté montrent que
moyen de tuer les agricultures les plus en
repose en grande partie sur l’idée que les d’autres facteurs sont en jeu. C’est la rai-
difficulté et les moins productives, d’au-
intérêts individuels s’agrègent harmo- son pour laquelle la confiance en des
tant plus que les pays où la production
nieusement pour conduire à l’intérêt col- acteurs privés ne suffit pas : il faut une
agricole est la plus moderne (Amérique
lectif. Ainsi, il faut faire confiance aux prise de conscience publique internatio-
du Nord, Europe) sont également les pays
acteurs privés en concurrence pour sus- nale afin de limiter tous les inconvé-
qui protègent le plus leur agriculture de
citer une dynamique économique, la nients listés ci-dessus concernant l’utili-
la concurrence extérieure (par la PAC en
croissance et l’emploi. C’est sur ce postu- sation d’OGM pour lutter contre la faim.
Europe par exemple) ou en octroyant des
lat que les organismes de gouvernance Les avantages des OGM en terme de
subventions à l’exportation. En ce sens,
mondiale (FMI, Banque Mondiale, G8,…) compétitivité ne seront donc atteints
les OGM peuvent être considérés comme
fondent leurs décisions et conduisent les que si d’autres conditions sont remplies :
un moyen supplémentaire de favoriser les
Etats vers une déréglementation au nom règles du jeu du commerce international
agricultures européennes et américaines
des bienfaits de la concurrence. Plusieurs réaménagées et introduction de garde-fous
tout en condamnant à terme les agricul-
économistes s’élèvent depuis plusieurs pour éviter l’abus de pouvoir des acteurs
tures paysannes des pays les moins déve-
années pour remettre en cause ce mou- privés commercialisant les OGM. Force est
loppés, qui n’ont pas les moyens de pro-
vement (nommé « Consensus de de constater que la tendance s’oriente vers
Washington ») ou pour en proposer une une libéralisation accrue (avec volonté de
version allégée. lever les barrières douanières par exemple)

6
que vers un encadrement renforcé et diaux et concurrencés par les produc- Conclusion
protecteur des plus faibles. teurs subventionnés de certains pays. L’approche de chacun influencera ses
En conséquence, il apparaît que les OGM conclusions : soit la confiance en l’impact
OGM et répartition pourraient peut-être avoir un effet posi- positif des logiques individuelles et de
tif sur l’éradication de la faim, mais sous
des revenus issus de plusieurs conditions.
l’économie de marché sans régulation, soit
l’agriculture : • En favorisant dans un premier temps les
la proposition de mécanismes correc-
teurs pour protéger les acteurs les plus fra-
A priori, les deux aspects ne sont pas liés productions de subsistance, afin de privi- giles du marché que sont les paysans du
directement entre eux. En économie de légier la souveraineté alimentaire des Sud.
subsistance, les revenus issus de la produc- pays concernés par la faim.
tion sont répartis immédiatement entre • En s’accompagnant de règles écono- Néanmoins, la solution OGM pour
ceux qui travaillent la terre et leurs miques qui ne soient pas défavorables aux résoudre la question de la faim doit être
proches. Des techniques OGM maîtrisées productions des pays en difficulté écono- envisagée avec beaucoup de prudence. En
pourraient contribuer à une sécurisation mique (n’ayant pas les moyens de se effet, les OGM présentent des atouts en
des récoltes et des revenus. Mais la tech- protéger). terme de volumes produits, alors que le
nologie OGM semble pour l’instant peu • En limitant le pouvoir des acteurs indi- vrai problème est ailleurs. Le cadre éco-
adaptée à ce type de production vivrière, viduels (en particulier les entreprises qui nomique dans lequel s’inscrivent les agri-
car elle exige des investissements possèdent les brevets) afin de limiter la cultures des pays concernés par la faim
(semences, traitements, mécanisation,…), dépendance des producteurs par rapport entre en ligne de compte, car la qualité
qui ne sont pas à la portée de ce type d’agri- à ces entreprises. de la répartition des richesses est plus
culteurs pour l’instant. D’autre part, la • En s’accompagnant de précautions rela- importante que leur quantité.
recherche sur les OGM s’oriente plutôt tives à la répartition des richesses géné-
actuellement vers des cultures plus ren- rées par l’utilisation d’OGM (et par C’est pourquoi, il paraît indispensable de
tables, destinées à une commercialisation exemple en s’assurant que l’utilisation situer aussi le débat sur un autre plan, plus
sur une grande échelle (soja, colza, maïs). d’OGM ne soit pas le corollaire d’un trop philosophique, éthique, voire moral ou
Les revenus issus de ces cultures sont très vaste mouvement de concentration des théologique.
aléatoires, car soumis aux cours mon- petites exploitations du Sud).

III) Enjeux éthiques et théologiques


Les questions éthiques autour des OGM Pelt5 défend une position assez proche : acceptée ? Il y a aussi une question de
qui font actuellement débat dans la le développement des plantes transgé- démocratie dans ces débats, car la popu-
société niques s’intègre dans un mouvement lation rejette majoritairement les OGM
d’instrumentalisation généralisée de la (mais la majorité a-t-elle toujours raison,
Ces questions éthiques peuvent s’articu- nature par l’homme, qui cherche à la domi- et même si elle a tort, son avis ne devrait-
ler autour de deux dimensions : par rap- ner par une artificialisation croissante des il pas primer en démocratie ?).
port à l’environnement et par rapport à milieux naturels. Beaucoup d’ONG deman- Enfin, cette question de la justice sociale
la justice sociale. dent que ce mouvement ne s’opère pas concerne également les producteurs qui
sans une large réflexion philosophique et pourraient être enfermés dans un schéma
L’environnement : éthique. Les associations écologiques et de production « génétiquement modi-
questions éthiques liées à environnementalistes se fondent sou- fiée », car liés contractuellement ou éco-
vent sur la nécessité de préserver la nomiquement aux fournisseurs d’OGM et
la manipulation du vivant nature des dangers que lui fait courir d’intrants pour leurs cultures, et aux
La plupart des chercheurs considèrent la l’homme. intermédiaires pour la vente de leurs
transgénèse comme une étape supplé- récoltes. Il s’agit d’une lutte inégale, celle
mentaire de l’avancée scientifique, au
même titre que les progrès en sélection
La justice sociale : du pot de terre contre le pot de fer. Les
questions éthiques liées au OGM pourraient bien être une « illusion
des variétés réalisés depuis des millénaires économique » destinée à favoriser ceux
par l’humanité. Il n’y a donc peu de respect de l’être humain qui les développent.
remise en cause du principe même de la Concernant les consommateurs que nous
technologie. C’est la position adoptée sommes tous, beaucoup considèrent qu’il Ces deux dimensions font débat actuel-
par exemple par le généticien Philippe n’est pas acceptable de contraindre des lement dans la société, beaucoup d’asso-
Vernet. Mais pour d’autres, les manipula- individus à consommer des aliments ciations, de mouvements politiques, syn-
tions génétiques peuvent être considérées contre leur gré, avec des risques exacts dicaux et plus largement le mouvement
comme enfreignant les lois de la nature méconnus. Or les OGM se répandent social alter-mondialiste s’y investissent.
(on va peut-être vers une disparition de petit à petit dans les produits agro-alimen- Il est intéressant de se pencher sur la façon
la notion même d’espèce). Jean-Marie taires, avec une information insuffisante.
La recherche scientifique doit-elle se 5
Jean-Marie Pelt : Professeur émérite de l’Université de
poursuivre si elle n’est pas socialement Metz, fondateur de l’Institut Européen d’Ecologie

7
dont les chrétiens – et plus particulière- conditions d’utilisation des OGM, notam- Christ n’y trouvent leur compte. C’est
ment les évangéliques – s’impliquent ment vis-à-vis de leur commercialisation. pourquoi nous appelons à la plus grande
dans ce débat. D’autres, au contraire, s’y opposent ferme- vigilance face à toute dérive scientifique
ment, telle l’Eglise Protestante Allemande risquant de mettre en péril ce que Dieu
EKD, qui a lancé en 2003 une campagne nous confie ».
Quelques points de vue contre la culture des OGM sur les terri-
chrétiens toires de l’église, pour la raison principale Ces prises de position « officielles » pren-
que les risques environnementaux sont nent donc en compte la place de l’homme
mal connus. dans la création et le souci de la préser-
Dans le monde protestant et évangé-
vation de la dignité de l’être humain. En
lique, la préoccupation des OGM ne prend
• En France, peu de prises de position ont tant que gestionnaire de la création,
pas beaucoup de place et peu de per-
été répertoriées. celui-ci doit mesurer son intervention
sonnes l’ont traitée sous un angle théo-
sur la nature créée par Dieu et préserver
logique. En effet, les chrétiens (en parti-
En 2002, le rapport d’un groupe de travail le sort de ses semblables, dans un souci
culier les évangéliques) manifestent
sur la bioéthique et les biotechnologies de justice et d’équité. Il n’y a donc pas de
souvent une certaine prudence par rap-
de la commission « église et société » condamnation absolue des OGM, mais la
port aux questions écologiques, parfois per-
(Conférence des Eglises Européennes) manifestation d’une certaine prudence vis-
çues comme « ésotériques », « pan-
propose une « théologie de la création qui à-vis de ces derniers.
théistes », reliées au Nouvel Age, et
cherche l’équilibre entre une intervention
privilégiant la créature au détriment du
humaine admissible et la nécessaire limi-
Créateur.
Il y a trente ans déjà, Jacques Ellul aler-
tation imposée par le souci de l’être Pistes de réflexion théolo-
humain et des autres aspects de l’ordre gique
tait les chrétiens : « dans la mesure où les
créé par Dieu. Il n’y a pas de condamna-
églises n’ont rien dit et rien fait depuis un
tion de principe sur la modification géné-
siècle dans ce domaine (écologique), cela Il est délicat de forger son opinion sur les
tique, mais un regard critique à porter des-
signifiait pour le monde qu’il n’y avait OGM au regard de ce que nous dit la Bible,
sus ».
aucune limite. Cela veut dire que les car il n’en est évidemment pas fait clai-
La Fédération Protestante de France s’est
chrétiens ont une fois de plus manqué l’oc- rement et directement allusion. Mais plu-
positionnée (en 1999) de la façon suivante :
casion de leur sainteté. Cela veut dire qu’ils sieurs ont fait part de leurs réflexions fon-
« nous rappelons que l’être humain a été
sont responsables eux et eux seuls du dées sur la Bible, en rédigeant des ouvrages
fait par Dieu, non pas propriétaire, mais
désastre dans lequel nous commençons ou des articles pour des revues chré-
dépositaire et gestionnaire de la création.
à vivre. » tiennes (L’Avènement, Nuance, Construire
C’est pourquoi nous nous inquiétons de
Selon Daniel Rivaud 6, les chrétiens Ensemble, Servir en L’attendant, IDEA…).
certaines recherches et manipulations
devraient s’intéresser plus aux questions Les réflexions bibliques ci-dessous s’ins-
dans le domaine agroalimentaire effec-
d’éthique et de société, et entamer une pirent de ces auteurs d’articles ou
tuées par de grandes entreprises multina-
réflexion pour y voir plus clair sur les OGM. ouvrages :
tionales. Il s’agit en particulier du déve-
loppement des semences « TPS »
Mais il est tout de même possible de rap- Michel Johner (professeur d’éthique à
nommées « Terminator » par les médias.
porter quelques points de vue de plusieurs la Faculté de Théologie d’Aix)
Ces semences ont pour particularité de
penseurs, pasteurs, professeurs qui ont Thierry Hernando (dans L’Avènement)
voir leur capacité de germination bloquée
abordé dans leurs écrits la question des Steve Tanner (dans L’Avènement)
peu avant la récolte. La conséquence est
OGM ou plus largement des biotechno- Pierre Berthoud (professeur à la Faculté
l’impossibilité de prélever une partie des
logies. de Théologie d’Aix)
graines récoltées pour des semailles ulté-
Corinne Fines (pasteur)
rieures. Les pays pauvres risqueraient
• Au niveau international7, on constate que Charles Nicolas (pasteur)
fort de ne plus avoir les moyens d’ache-
les chrétiens dans le monde (en particu- Norma Schenkel (biologiste)
ter des semences, sinon au prix fort. Les
lier occidental), n’ont pas les mêmes opi- Samuel Debrot (vétérinaire)
risques de famine à l’échelle planétaire
nions vis-à-vis des OGM en agriculture. Walter Wahli (professeur de biologie à
s’en trouveraient considérablement accrus.
Certains semblent penser qu’ils peuvent Lausanne)
Nous estimons devoir alerter l’opinion et
être bénéfiques, comme un groupe cana- Lydia Jaeger (physicienne, professeur
dire notre préoccupation face à de telles
dien d’agriculteurs chrétiens (CFFO : à l’Institut Biblique de Nogent)
dérives, contraires à toute éthique chré-
Christian Farmers Federation of Ontario), Jean-Pierre Bory (pasteur)
tienne. Il n’est pas acceptable, en effet, que
selon qui l’utilisation des biotechnologies Francis Schaeffer (écrivain, « la pollu-
des intérêts purement économiques fas-
permet d’explorer des nouveaux moyens tion et la mort de l’homme »)
sent courir des risques aussi graves, mena-
pour améliorer leur « stewardship for God’s
çant la survie de populations entières,
Creation », c’est-à-dire leur mission au ser-
notamment dans les pays les plus pauvres,
vice de la Création de Dieu. Quoiqu’il en
voire celle de toute l’humanité. Il n’est pas
soit, le CFFO reste prudent quant aux
permis de jouer aussi cyniquement avec 6
Daniel Rivaud : pasteur, association Sentinelle, membre
du CPDH (Comité Protestant évangélique pour la Dignité
la nature et les vies de nos frères et sœurs. Humaine)
Ni la justice ni l’amour voulus par Jésus- 7
Recherches réalisées par Sophie Tron (A Rocha)

8
Remarque importante : ces analyses ‘ Analyse possible : l’homme a un
sont des pistes de réflexion et de dis- double mandat : exploiter la terre en Genèse 2 – 1 : « ainsi furent achevés le
cussion et ne présentent pas de carac- la protégeant. Cultiver implique une ciel et la terre ».
tère absolu et définitif. transformation, mais jusqu’où ? La créa- ‘ D’après Pierre Berthoud, un monde
tion a un ordre voulu par Dieu, et elle achevé n’est pas un monde fini, c’est
a une valeur car elle est l’œuvre de sa un monde à vivre, dont les potentiali-
L’environnement : volonté créatrice. D’après F. Schaeffer, tés sont à découvrir, ce que Dieu pro-
passages bibliques la religion conditionne la vision qu’a une pose à l’homme de faire en lui enjoi-
société de la nature, et le christia- gnant de nommer les espèces (Genèse
nisme est souvent considéré comme 2 – 19).
La question des OGM (non traitée direc-
étant à l’origine de la crise écologique
tement dans la Bible) peut être reliée à
actuelle parce qu’il a justifié et souvent La science apporte à l’homme d’im-
celle de l’environnement. Il est donc inté-
encouragé la domination de la nature menses possibilités d’action sur son envi-
ressant de se pencher sur les passages
par l’homme. Depuis la chute, l’homme ronnement. En lui donnant une place pri-
bibliques qui peuvent nous aider à nous
fait mauvais usage de sa place privilé- vilégiée dans la création et en lui
forger une opinion sur ce sujet.
giée au sein de la création (en tant que demandant de cultiver le jardin, Dieu lui
créé à l’image de Dieu), car il se place laisse une marge de manœuvre considé-
Romains 1 – 20 : « depuis la création du
lui-même au centre de l’univers. Or, si rable, à charge pour celui-ci d’en faire bon
monde, les perfections invisibles de Dieu,
l’homme est chargé de dominer la usage.
sa puissance éternelle et sa divinité se
nature, rien ne l’invite dans la Genèse Les OGM, en modifiant des plantes dans
voient dans ses œuvres quand on y réflé-
à en devenir le souverain. Après le leur nature même, respectent-ils l’ordre
chit. »
déluge, Dieu a d’ailleurs établi une voulu par Dieu dans la création ? Où se
Psaume 19 – 2 : « les cieux racontent la
alliance avec tous les êtres vivants, avec trouve la limite de l’intervention
gloire de Dieu et l’étendue manifeste
une place privilégiée pour l’être humain. humaine ? Aucune réponse ne fera l’una-
l’œuvre de ses mains ».
Une bonne gestion de la création nimité parmi les chrétiens, qui doivent
Psaume 119 – 91 : « selon tes ordres, tout
implique donc une certaine responsa- avant tout se pencher avec humilité et
subsiste aujourd’hui, et tout dans l’univers
bilité de l’intendant : un espace de sagesse sur ces questions.
se tient à ton service ».
liberté, une utilisation pertinente des
‘ analyse possible : la création nous dons que Dieu a accordés à l’être C’est pourquoi deux autres passages me
parle de qui est Dieu, elle rend gloire humain (son intelligence pour se lan- semblent bien conclure cette réflexion.
au Créateur. La détruire ou la boulever- cer dans la recherche afin de com-
ser reviendrait donc à supprimer un des prendre l’ordre de l’univers voulu par
moyens par lequel Dieu se révèle à l’hu- Dieu et afin d’améliorer sa condition), Ezéchiel 3 – 17 : « fils d’homme, j’ai fait
manité. mais en respectant l’intégrité de ce qui de toi une sentinelle ».
lui a été confié. La nature n’est pas un ‘ D’après Jean-Pierre Bory, le croyant est
matériau inerte malléable dont on responsable de veiller à la sécurité et
Romains 8 – 19 à 22 : « aussi la création doit abuser. d’avertir du danger, en discernant les
attend-elle avec un ardent désir la révé-
motivations profondes de chaque acte,
lation des fils de Dieu. Car la création a
les enjeux politiques et financiers, en
été soumise à la vanité - non de son gré Genèse 1 – 11 : « que la terre se recouvre évaluant les conséquences à long terme
mais à cause de celui qui l’y a soumise - de verdure, d’herbe portant sa semence, de l’utilisation qui sera faite des décou-
avec l’espérance qu’elle aussi sera affran- et d’arbres fruitiers produisant du fruit vertes.
chie de la servitude de la corruption, selon leur sorte, portant chacun sa
pour avoir part à la liberté de la gloire des semence »
enfants de Dieu ».
‘ Analyse possible : la formule « cha- Psaume 143 – 8 : « conduis-moi dans Tes
‘ Analyse possible : la création toute cun selon son espèce » ou « chacun voies ».
entière fait partie du plan du salut de selon sa semence » revient une dizaine ‘ Si les OGM en tant qu’avancée scien-
Dieu. Si Dieu désire la restaurer, rien de fois dans les premiers chapitres de tifique et économique sont très discu-
ne justifie donc de la mettre en péril la Genèse. Elle peut être comprise tables, si les arguments pour et contre
et de la considérer comme juste bonne comme une invitation à considérer ne peuvent être départagés dans l’état
à satisfaire les besoins de l’être humain. que la semence vient de la plante elle- actuel des connaissances, se tourner
même ; l’homme n’aurait donc pas à vers la sagesse de Dieu reste un recours
intervenir pour créer la semence en à privilégier. Les voies de l’Eternel
Genèse 2 – 15 : « Dieu prit l’homme et modifiant la structure d’une semence sont de pratiquer la justice. Tout déve-
l’établit dans le jardin d’Eden pour le cul- existante. La manipulation génétique loppement des OGM devrait donc res-
tiver et le garder. » transforme et ne respecte pas l’es- pecter la nature mais aussi l’être
pèce (Norma Schenkel). Elle remet humain.
peut-être en cause l’ordre naturel et
l’harmonie préétablie par le Créateur.

9
Conclusion générale : OGM :
la machine à progrès. On a souvent vu le temps du bilan
le principe de précaution comme un frein
Les questions posées sur les OGM sont au progrès. L’époque post-moderne
arrivées à un tel degré de finesse qu’il demande effectivement un progrès un
est devenu impossible d’y répondre de peu plus lent dans le domaine de la tech- Révolution transgénique
façon univoque, parce que les para- nique, mais aussi un progrès plus sûr. Ceci au Sud ?
mètres sont trop nombreux. n’entraverait pas du tout la science,
Dans les décennies à venir, il faudra
Les risques sont pour l’instant surtout mais pourrait l’amener à se réorienter
trouver de quoi nourrir deux milliards
potentiels, même si des voix s’élèvent en fonction des demandes des citoyens
d’individus supplémentaires. D’autre
désormais pour apporter des preuves et des questions posées par la probléma-
part, plus de 60 % des populations des
(contestées) des conséquences aller- tique du respect de l’environnement et
économies en développement vivent
gènes, des contaminations des cultures du développement durable.
dans des régions rurales et dépen-
voisines, des résistances aux produits, de Ceci demande aux scientifiques de s’in-
dent donc de revenus agricoles prove-
la perte d’autonomie des paysans enga- vestir beaucoup plus dans des démarches
nant, outre la production vivrière, des
gés dans la filière OGM, etc. Même si on prospectives à l’échelle des écosys-
cultures d’exportation. Les OGM sont
n’adhère pas aux mises en garde éthiques tèmes, des populations, de l’épidémio-
présentés par les multinationales
(ou à celles fondées sur des passages logie ou de l’atmosphère, par exemple.
comme un moyen pour les pays du sud
bibliques) concernant les OGM, les Or, la recherche scientifique le fait très
de venir à bout de la sous-alimentation
énormes inconvénients et risques envi- mal à l’heure actuelle. Les scientifiques
et de développer leur économie. Quels
ronnementaux et économiques parais- n’ont pas été habitués à cela dans la plu-
sont les avantages et les inconvé-
sent indéniables. Force est pourtant de part de leurs domaines. C’est normal, ils
nients des biotechnologies pour ces
constater que ces risques ne sont pas sou- étaient dans la machine à progrès,
pays ? Des scientifiques qui travaillent
vent pris en compte par la recherche, c’était cela qu’on leur demandait de faire
sur le sujet nous donnent leur point de
qu’elle soit privée ou publique. et ils le faisaient bien. Il faudrait qu’ils
vue.
arrêtent de croire qu’on exige d’eux le
Je souhaite en conclusion intégrer risque zéro. Il est simplement demandé
Les pays qui passent aux OGM. En
quelques extraits des apports du cher- le mépris zéro.
plantant 98 % de soja transgénique, les
cheur Pierre-Henri Guyon8 qui amè- Les derniers avatars du dossier « OGM »
Argentins se sont hissés en sept ans sur
nent à réfléchir à la relation entre illustrent bien cette situation. Des scien-
la deuxième marche du podium des
science et progrès (en particulier concer- tifiques reconnus sont convaincus qu’il
pays cultivant des OGM. Avec 20 % de
nant les OGM), et en extrapolant, qui me faut développer cette technique, et on
la semence mondiale en OGM,
permettent de poser la question du peut les suivre sur ce point. Mais pour
l’Argentine est en effet derrière les
rôle du chrétien dans cette dialectique. juger du dossier dans son ensemble, ils
Etats-Unis (59 % des OGM dans le
devraient se poser la question des
m o n d e ) . Co l o m b i e , H o n d u ra s ,
« Les sciences et techniques ont été, impacts écologiques et économiques de
Philippines, ces Etats modestes se lan-
d’une certaine façon, les vedettes de l’application de leurs découvertes.
cent à leur tour dans les semences
l’époque dite « moderne » où tout pou- Pourquoi des scientifiques si distingués
transgéniques. L’exemple à suivre :
vait être sacrifié au progrès. Ce progrès oublient-ils ainsi les règles déontolo-
celui des nouvelles puissances comme
était supposé améliorer la vie des giques de leur profession ?
la Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du
humains et constituer le moteur du Il y a ce qu’on peut appeler le « syndrome
Sud. En effet, ces pays développent leur
dynamisme économique. En fait, toutes du pont de la rivière Kwaï ». Dans ce film,
recherche génétique et produisent
ces raisons ont permis de définir le des prisonniers anglais (après des négo-
leurs propres semences. C’est le cas de
progrès comme un but en soi, n’ayant ciations avec leurs ennemis asiatiques
la Chine qui possède désormais son
plus besoin de se justifier. La science ali- qui les ont en charge) ont construit un
coton transgénique made in China et
mente la technique qui alimente le pont. Ils y ont mis tout leur art, leur tech-
va bientôt commercialiser trois varié-
progrès et les hommes, et tout va bien. nique et leur savoir-faire. Une fois l’ou-
tés de riz transgénique. Jacques
Dans cette vision moderne, le scienti- vrage achevé, le commandement allié
Meunier, directeur du département
fique se sent investi d’utilité et d’auto- envoie un commando pour le détruire ;
d’amélioration des méthodes pour
rité. mais les soldats sont si fiers de leur
l’innovation scientifique du Cirad*,
La période « post-moderne » remet en oeuvre qu’ils tentent de s’y opposer
aime souligner qu’en Inde, c’est sous
cause cet édifice. Le principe de précau- bien que ce soit l’intérêt de leur armée
la pression des petits paysans que les
tion en est un des aspects. Les scienti- de le faire... Beaucoup de scientifiques
cotonniers transgéniques sont apparus
fiques se défendent contre ce courant se retrouvent dans cette situation : ils ont
dans les champs. « Le gouvernement
post-moderne parce qu’il les retire de été toute leur vie dans cette idée du pro-
ne voulait pas les autoriser, les paysans
cette situation confortable de noyau de
8
Professeur à l’Université de Paris-Sud, à l’Agro et à l’Ecole
ont mis le feu à un centre de recherche
Polytechnique, directeur du laboratoire d’Ecologie, dans le Gujarat, des PME se sont pro-
Systématique et Evolution du CNRS curées des semences d’une multinatio-

10
grès ; ils ont pensé que ce qu’ils faisaient de sacraliser la création plutôt que le
était bien, et cela l’était ! Et tout d’un Créateur. OGM : le temps du bilan
coup, on se met à leur dire que ce qu’ils Une prise de position « chrétienne » est (suite)
viennent de faire, il faut peut-être ne plus délicate car aucune réponse tranchée ne
le faire. Il est difficile d’admettre l’idée semble pouvoir être apportée sous un nale, les ont multipliées et dissémi-
que ce qu’on essaye de faire depuis 30 angle scientifique (pour l’instant) comme nées », explique-t-il.
ans n’était pas la chose à faire sur le plan théologique. Pourtant, il me paraît
technique. important en tant que chrétienne de Un remède miracle ? Quels sont les
Il est vrai que les progrès scientifiques m’associer à un mouvement qui amène avantages d’une plante qui peut pous-
ont été extraordinaires ; les menaces à réfléchir sereinement sur les OGM et ser des paysans à incendier un centre
qu’ils sont en passe d’entraîner sont à de réaffirmer : de recherche ? « On perd 50 % de la
la mesure. production avant la récolte du fait
Quand donc l’establishment scienti- • Que les risques réels ou supposés des des maladies, des insectes et du cli-
fique comprendra-t-il qu’il est temps de OGM doivent inciter à la prudence. Il mat », explique Jacques Meunier. « On
réorienter son attitude et cessera-t-il d’in- me semble que c’est un des rôles des n’a pas idée en Europe des dégâts cau-
voquer Galilée en face de son tribunal chrétiens de mettre en lumière des sés par les pesticides sur l’environne-
à chaque fois que la société l’inter- points de vue qui incitent au respect ment et la santé des agriculteurs des
roge ? de la création et de l’intégrité de la per- pays du sud », s’indigne le scienti-
Aujourd’hui, il faudrait impérativement sonne humaine, et de peser pour fique. Surdosages massifs, pollution des
que les scientifiques, dès le début de leur qu’ils soient à l’avenir pris en compte nappes phréatiques, intoxications, les
recherche c’est-à-dire au moment où ils en amont par la recherche scientifique. agriculteurs ne savent pas utiliser cor-
sont en train de chercher la molécule qui En effet, il ne faut pas compter sur les rectement des produits dont ils ne pos-
soignera telle ou telle maladie, au firmes « commercialisatrices » pour sèdent souvent pas le mode d’em-
moment où ils sont en train de penser intégrer ces aspects, ce n’est pas leur ploi. D’autre part, une plante résistante
à telle ou telle nouvelle forme de rôle. Ces positions chrétiennes n’in- aux parasites permet au paysan de
manière de produire de l’énergie ou de cluent pas une condamnation de la réduire le nombre de ses traitements
la nourriture, ne se posent pas seulement recherche, mais peuvent proposer de et d’augmenter ses rendements. Si
la question de savoir comment cela lui apporter un cadre différent de l’on prend l’exemple du soja transgé-
permettra de faire tourner la machine celui qui existe actuellement (porté nique, cette plante se cultive facile-
à progrès, la machine économique, la vers le progrès à tout prix), comme le ment : pas de labour, on sème direc-
machine technique, mais aussi de savoir proposent également certains scienti- tement sur le sol, on pulvérise une ou
comment cela s’intégrera dans l’environ- fiques comme Pierre-Henri Guyon. deux fois l’herbicide et le tour est
nement, quel jeu cela jouera, et quels joué. Enfin, des scientifiques travaillent
intérêts cela servira. » • Que les solutions que les OGM peuvent sur des plantes OGM aux qualités
apporter à la question de la faim dans nutritionnelles améliorées, comme
Selon Pierre-Henri Guyon, la société le monde ne suffiront pas à résoudre des riz enrichis en provitamine A ou
doit peser sur la recherche pour l’orien- le problème dans sa globalité, voire en fer, des nutriments indispensables
ter dans le bon sens, vers un progrès plus pourrait même l’aggraver. Il s’agit donc à une alimentation équilibrée.
sage, aux conséquences maîtrisées. surtout pour les chrétiens de réaffir-
mer leur engagement à lutter contre L’envers du décor. « En agriculture il
la pauvreté, à aider à améliorer la pro- n’existe aucun remède miracle », tem-
Et les chrétiens ? duction actuelle des paysans et l’adap- père Suman Sahai, généticienne
tation des variétés locales, et à promou- indienne. En monopolisant la produc-
L’ensemble de cette réflexion m’amène voir une meilleure répartition des tion de semences, les grandes entre-
à proposer quelques pistes. Tout d’abord, richesses dans le monde par d’autres prises imposent leur prix. La semence
il me semble que les chrétiens devraient moyens, dans le souci de la dignité OGM est vendue cher : les grands
s’intéresser à la question des OGM, se humaine. producteurs peuvent l’acheter mais pas
documenter, en débattre, et ne pas y res- les petits paysans qui sont défavorisés
ter indifférents. Les sentinelles doivent • Que l’être humain devrait déployer plus sur le marché. Cette inégalité entraîne
d’abord observer et chercher à com- d’humilité dans sa quête du progrès, une redistribution des terres au profit
prendre. Ensuite, je crois qu’ils pourraient et réfléchir aux effets qu’elle engendre des plus gros, surtout en Amérique
s’intégrer dans ce débat en réaffirmant sur la création de Dieu dans son Latine. Pour Suman Sahai, le paquet
leurs convictions, et en y apportant ensemble et sur l’humanité en parti- technologique alliant monoculture
une perspective chrétienne, tout en se culier. intensive et produits chimiques n’est
préservant avec l’aide de Dieu de ce qui pas la panacée. « En cas de mauvaise
peut accompagner cette réflexion sur les récolte ou de baisse des cours, les
OGM : les peurs, ainsi que la tentation risques sont plus forts pour une petite
exploitation, qui peut être ruinée en
une saison », s’indigne la scientifique.
D’autre part, au bout de quelques

11
OGM : le temps du bilan
(suite)

années d’utilisation non-stop sur les


Sources mêmes sols de l’herbicide le plus
vendu avec les OGM, à savoir le
Sites Internet : fameux Roundup, des plantes résis-
www.infogm.org tantes apparaissent et il faut augmen-
ter les doses. Le bénéfice pour l’envi-
www.crii-gen.org ronnement ne dure donc qu’un temps.
www.monsanto.fr Enfin, les OGM ne peuvent résoudre
www.ogm.gouv.fr (site Internet interministériel) tous les problèmes liés à l’agriculture
www.ogm.org des pays du Sud. Comme l’expliquait
www.cpdh.info Arturo Martinez de l’Organisation des
www.afssa.fr Nations Unies pour l’alimentation
dans une interview au journal
Revues : Libération : « Avant d’être un pro-
Le Monde (articles parus entre 2001 et 2005) blème de technologie, la faim est un
POUR, revue du groupe de recherche pour l’éducation et la prospective, dos- problème de distribution des richesses,
sier « Sciences et agriculture, accords et désaccords », n°178, p 146-151 d’accès au marché alimentaire des
Revues protestantes : L’Avènement, Servir en l’attendant, Construire Ensemble, plus pauvres. Pour l’éradiquer, il faut
Nuance, IDEA régler les problèmes d’accès à l’eau et
à l’éducation dans les campagnes, en
Personnes contactées et/ou rencontrées : particulier celle des femmes, car ce sont
elles qui cultivent la terre dans de nom-
Frédéric Baudin : écrivain et conférencier, directeur de l’association « Culture- breux pays du Sud. »
Environnement-Médias ».
Sophie Tron : chargée de développement à A Rocha France. Tél. 04 90 96 01 58 Caroline Caldier
Louis Schweitzer : pasteur et professeur d’éthique à la Faculté de Théologie de (Radio France, le dossier de la
Vaux-sur-Seine semaine, 13 juin 2005)
Michel Johner : professeur d’éthique à la Faculté Libre de Théologie Réformée www.radiofrance.fr/reportage/dossier
d’Aix-en-Provence
Daniel Rivaud : Délégué Général du Comité Protestant pour la Dignité
Humaine
Philippe Vernet : professeur émérite, généticien au laboratoire de génétique
et évolutions des populations végétales, Université Lille I *Centre de coopération internationale en
recherche agronomique pour le développe-
ment

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