L'abbé Prévost a mené une vie aussi romanesque que celle de ses personnages, une

existence marquée notamment par des démêlés avec la justice et par l'exil.
L'écrivain est en effet contraint de fuir la France après la publication de Manon
Lescaut en 1731, un roman condamné par les autorités religieuses mais qui rencontre
immédiatement le succès auprès du public. Manon Lescaut, septième tome d'un
ensemble plus vaste intitulé « Mémoires et aventures d'un homme de qualité » est
une œuvre qui interroge la force des passions. Renoncourt, le narrateur premier, y
cède la parole à Dégrieux, le narrateur second, pour laisser entendre une voix
marquée par l'émotion raconter sa propre aventure. La rencontre avec une jeune
femme, Manon, la passion irraisonnée pour celle-ci et la fatale conclusion de cet
amour. Le passage à commenter prend place au terme d'une période qui constitue une
parenthèse heureuse pour les protagonistes mais alors que Dégrieux et Manon
connaissent quelques semaines d'amour sans nuage, l'entrée en scène du fils de GM
qui les a conduits en prison laisse présager le pire, d'autant que les amants
veulent se venger du père sur le fils. « Nous vîmes paraitre son carrosse vers les
onze heures. Il nous fit des compliments fort recherchés sur la liberté qu'il
prenait de venir dîner avec nous. Il ne fut pas surpris de trouver M. De Té qui lui
avait promis la veille de s'y rendre aussi et qui avait fait un quelques affaires
pour se dispenser de venir dans la même voiture. Quoiqu'il n'y eût pas un seul de
nous qui ne porta la trahison dans le cœur, nous nous mîmes à table avec un air de
confiance et d'amitié. G. Manon accourut à moi les bras ouverts et m'embrassa en
éclatant de rire. T. Une femme de chambre, trois laquaises et un cuisinier. «
Parlons de bonne foi, ajouta-t-elle. Rapaz aussi heureux. Nous nous demanderons
ainsi comment cet épisode parvient à mêler comique et tragique. Nous verrons
d'abord que le premier paragraphe s'imparante à une scène de comédie, mais que
l'ombre de la tragédie plane surtout le second.