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BiBliothèque de l’institut des hautes études japonaises

Hiéroglossie iii
PERSAN, SYRO-ARAMÉEN
ET LES RELATIONS AVEC
LA LANGUE ARABE

Collège de France
25 juin 2018

sous la direction de
Jean-noël Robert
Table des matières

Jean-Noël ROBERT
Avant-propos 5

Introduction : Hiéroglossie III. Des langues sacrées en quête de religions


– Une sottie hiéroglossique – 7

Samra AZARNOUCHE
Les langues que parlait Zaraϑuštra :
diversité et connectivité linguistiques dans le zoroastrisme tardif 17

Nicholas SIMS-WILLIAMS
Langue sacrée, écriture sacrée ? Le syriaque et ses rivaux
dans les textes chrétiens et manichéens de Tourfan 55

Frantz GRENET
Persan, syro-araméen et les relations avec la langue arabe 73

Muriel DEBIÉ
« La reine de toutes les langues » : les relations hiéroglossiques
du syriaque avec les langues environnantes 83

Christian Julien ROBIN


Arabie antique : variations dans la manière de nommer
le Dieu unique 139

Christian Julien ROBIN


Le guèze maquillé en sabaʾique des inscriptions royales aksūmites
(Éthiopie antique) 171

245
Pierre LORY
La sacralité de la langue arabe en Islam 207

Bernard HEYBERGER
Le christianisme oriental et ses langues (xviie – xxie siècle) 229

246
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

Arabie antique :
variations dans la manière de nommer le Dieu unique

Christian Julien robin


CNRS, Paris, Membre de l’Institut

Au xixe siècle, quand les savants européens ont commencé à s’intéresser


à la formation de l’Islam, l’idée s’est imposée que la croyance en un Dieu
unique avait pris racine en Arabie à la suite des enseignements d’un réforma-
teur religieux du viie siècle de l’ère chrétienne, Muḥammad fils de ʿAbdallāh,
le prophète de l’Islam. Elle se fondait sur la tradition savante arabo-musul-
mane selon laquelle les adversaires les plus résolus de Muḥammad, qualifiés
d’« associationistes » et d’« hypocrites » par le texte coranique, avaient été
les polythéistes, notamment ceux de La Mecque (en arabe Makka ; pour les
toponymes, se reporter à la Carte 1, page 204, dans la contribution suivante).
Les rares témoignages étrangers sur l’Arabie de l’Antiquité tardive men-
tionnaient sans doute l’existence d’une influente communauté juive au Yé-
men et dans le nord du Ḥijāz, ainsi que des chrétiens en grand nombre dans
la vallée de l’Euphrate, dans les régions littorales du Golfe Arabo-persique et
à Najrān. Mais ils signalaient aussi la persistance du polythéisme au Yémen
et dans la vallée de l’Euphrate, de sorte que l’idée d’une Arabie très majori-
tairement polythéiste s’est imposée dans les travaux historiques.
Les premières recherches archéologiques qui ont commencé en Arabie
vers le milieu du xixe siècle et ont été interrompues par la première guerre
mondiale, ont permis de découvrir quelques inscriptions qui révélaient au
Yémen l’existence d’un royaume chrétien au vie siècle et celle de commu-
nautés adhérant à un monothéisme d’inspiration juive. Mais l’interprétation
de ces inscriptions était débattue, de sorte qu’on ne savait pas trop comment
les intégrer dans le discours historique.
La reprise des recherches archéologiques à partir de 1970 a permis de
découvrir quelques vestiges monumentaux chrétiens, et surtout des centaines
de textes épigraphiques datant de l’Antiquité tardive, qui donnent une image
très différente. On n’a pas encore trouvé un seul texte postérieur à 400 de
l’ère chrétienne qui commémore un rite polythéiste. En revanche, ceux qui
invoquent un Dieu unique sont approximativement une centaine. Si on in-
terroge les noms de personne, très peu sont assurément et explicitement mo-
nothéistes (comme les noms bibliques1, les noms de la tradition chrétienne2

1
Ce sont notamment Élie, Isaac, Isaïe, Joseph, Juda, Moïse ou Samuel.
2
Ils sont rarissimes dans les inscriptions. La seule occurrence à ce jour est Serge, dans l’ins-

139
Christian julien roBin

ou les théophores3), mais ceux qui sont assurément polythéistes sont encore
beaucoup moins nombreux4.
Les informations que l’on peut tirer des textes épigraphiques sont fort dif-
férentes de celles que transmettent les sources manuscrites. Ce sont quelques
formules stéréotypées ayant valeur de norme qui apparaissent dans des
textes de propagande reflétant la posture des détenteurs de l’autorité. Pour
reconnaître l’orientation religieuse de ces derniers, les textes épigraphiques
n’offrent que très peu d’indices : le principal est la manière de nommer le
Dieu unique ; parfois, ce sont des éléments du lexique comme le nom du
sanctuaire, les noms propres ou les emprunts à des langues étrangères. Si ces
textes sont pauvres en données, ils présentent en revanche l’avantage consi-
dérable de nous parvenir sans la moindre modification depuis leur publica-
tion, alors que les sources manuscrites ont souvent été remaniées, corrigées
et augmentées à chaque étape de leur transmission.
Dans notre enquête sur le passage de l’Arabie du polythéisme au mo-
nothéisme, nous allons commencer par dresser un inventaire de toutes les
manières de nommer le Dieu unique dans les textes épigraphiques, classés
en fonction de l’écriture et de la langue.
Cet inventaire donne une distribution remarquablement régulière des
théonymes utilisés. Il est manifeste que chaque groupe social et culturel a
élaboré sa propre terminologie religieuse, affirmant de la sorte une identité
qui lui était propre, indépendamment de l’adhésion à une religion ou à une
autre.
Mais il se pourrait que cette régularité soit légèrement trompeuse. Nous
allons l’illustrer en retenant une oasis (Najrān) où l’abondance et la qualité
(l’une et l’autre relatives) des sources épigraphiques et manuscrites révèlent
une situation assez complexe.
Nous examinerons enfin les enseignements de Muḥammad qui montrent

cription paléo-arabe de Zabad. Un texte manuscrit syriaque confirme cette rareté : dans
la liste des 172 martyrs chrétiens de Najrān en 523, seuls quatre portent un nom marqué
religieusement ; ils se nomment Serge (1), Abraham (1) et David (2).
3
Ce sont ʿAbdʾīlān, ʿArībʾīlān, Marthadʾīlān, Marthadʾilāhān, Mawhūbʾilān, formés avec
ʾĪlān ou Ilāhān, « le Dieu » ; ou ʿAbdalmasīḥ, « serviteur du Messie ». Le nom ʿAbdallāh
peut être polythéiste ou monothéiste.
4
Les noms polythéistes qui ont été relevés dans les inscriptions paléo-arabes sont très rares :
par exemple, dans un texte de Ḥimà (sur le sens de « paléo-arabe » et la localisation de
Ḥimà, voir ci-après), l’auteur d’un graffite probablement chrétien se déclare le petit-fils
d’un certain ʿAbd Manāt (« Serviteur de {la déesse] Manāt »). Dans les inscriptions en écri-
ture sudarabique, le seul nom théophore se référant à une divinité polythéiste est Laḥayʿa-
that, souvent abrégé en Laḥayʿat , « {le dieu} ʿAthtar a éclairé » ; mais il avait perdu sa
signification d’origine, comme le montre le fait qu’il soit attesté dans l’Islam sous la forme
Laḥīʿa ou Lahīʿa. C’est seulement dans les textes thamūdéens ḥimā’ites que l’on trouve en-
core des noms théophores polythéistes au vie siècle (entre 5 et 10% aux puits de Murayghān,
à 200 km au nord de Najrān).

140
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

que la diversité des appellations au sein d’une unique communauté religieuse


pendant une très courte période n’implique pas nécessairement l’existence
de courants structurés antagonistes.

A. Le nom du Dieu unique dans les inscriptions ḥimyarites

Dans l’Arabie des ive-vie siècles de l’ère chrétienne, la puissance domi-


nante est le royaume de Ḥimyar.
Ḥimyar est une petite tribu de la montagne yéménite qui devient indé-
pendante vers le milieu du ier siècle avant l’ère chrétienne. Vers 300 de l’ère
chrétienne, les rois de Ḥimyar étendent leur domination sur l’ensemble de la
Sudarabie. Au cours du ive siècle, ils lancent des raids audacieux dans toute
l’Arabie désertique et imposent progressivement leur influence au détriment
des rois arabes de la vallée de l’Euphrate, tributaires des Sāsānides. Vers 420-
440, ils annexent l’Arabie centrale et occidentale. La titulature du souverain
devient alors « roi de Sabaʾ, de dhu-Raydān {= Ḥimyar}, de Ḥaḍramawt, de
Yamnat et des Arabes du Haut-Pays et du Littoral ». Elle révèle une réforme
importante : Ḥimyar devient un empire avec un double socle, les anciennes
populations de la Sudarabie et celles de l’Arabie désertique appelées « les
Arabes », alors que précédemment ces « Arabes » étaient des populations
soumises ou marginales.
La capitale de Ḥimyar était la ville de Ẓafār, à 2750 m d’altitude, au-
jourd’hui un minuscule village à 130 km au sud de Ṣanʿāʾ. La résidence
royale était le palais Raydān. C’est pourquoi les princes de Ḥimyar et leur
principauté sont appelés initialement « dhu-Raydān », c’est-à-dire « {ce
qui relève} de Raydān ». La langue que les Ḥimyarites écrivaient était le
sabaʾique, la principale des cinq langues antiques de l’Arabie méridionale5.
Le sabaʾique est, parmi les langues sudarabiques, celle qui est la plus proche
de l’arabe, mais s’en distingue de diverses manières, notamment avec une
sifflante supplémentaire (latérale) et un article postposé (alors que l’article
arabe est préposé).
L’écriture utilisée par les Ḥimyarites était l’alphabet consonantique com-
mun à tous les peuples de la Sudarabie, qu’on appelle « sudarabiques ».
L’emploi d’une seule écriture alors que la diversité linguistique et la divi-
sion politique étaient très grandes est une singularité de la région. On peut
parler d’unité culturelle parce que, à une même écriture, on peut ajouter le
répertoire iconographique, l’architecture, le travail de la pierre et du bronze,

5
Les autres sont le qatabānique, le maʿīnique, le ḥaḍramawtique et le vieil-arabe méridional.
La langue que les Ḥimyarites parlaient n’est pas encore identifiée ; elle pourrait avoir été
apparentée aussi bien au sabaʾique qu’à l’arabe.

141
Christian julien roBin

ainsi que bien d’autres aspects de la civilisation matérielle, qui présentent


d’innombrables traits communs.
Les Ḥimyarites, qui étaient des montagnards, vivaient principalement
de l’agriculture, très développée dans cette partie de l’Arabie grâce aux
abondantes pluies de mousson pendant l’été. À Ẓafār, la pluviométrie est
de l’ordre de 500 mm par an. Mais, alors que les Sabéens avaient fondé leur
prospérité sur le commerce caravanier trans-arabique, les Ḥimyarites étaient
davantage tournés vers la mer, ayant même des comptoirs en Afrique. Depuis
la fin du ier siècle avant l’ère chrétienne, ils étaient d’ailleurs devenus un allié
important de Rome dans la région.
Le royaume de Ḥimyar a été juif, puis chrétien, comme l’établissent deux
sources indépendantes, d’une part les chroniqueurs et les hagiographes de
l’Empire byzantin qui écrivaient en grec ou en syriaque, d’autre part les
très nombreux textes épigraphiques qui ont été découverts en Arabie, et
surtout au Yémen. Les vagues réminiscences transmises par les tradition-
nistes arabes d’époque islamique le confirment dans une certaine mesure.
Évidemment, une telle affirmation ne signifie pas que toute la population a
adhéré au judaïsme ou au christianisme. Les sources ne nous éclairent que
sur les détenteurs du pouvoir et leurs partisans dans la frange supérieure de
la société.
L’adhésion officielle du souverain ḥimyarite au judaïsme intervient avant
janvier 384, probablement vers 380. Elle est exprimée de façon « discrète »
dans les inscriptions royales. Mais elle est affirmée de façon explicite dans
les inscriptions commanditées par les serviteurs du roi et les grands lignages
princiers6.

a. Le nom du Dieu unique dans les premières inscriptions « monothéistes »


de Ḥimyar (320-380)

Le remplacement des anciennes divinités polythéistes par un Dieu unique


apparaît pour la première fois dans les invocations finales d’une inscription
vers 320.
Ce Dieu unique n’a pas de nom propre. Chacun le désigne à sa manière.
Dans les cinq inscriptions antérieures à la conversion de 380, ce sont quatre
formulations différentes que l’on relève :
— « Dieu », ʾĪlān (une occurrence)
— « Dieu, possesseur du Ciel », ʾĪlān baʿal Samayān (trois occurrences)
— « Possesseur du Ciel », Baʿal Samayān (une occurrence)
— « Seigneur du Ciel », Maraʾ Samayān (une occurrence).
ʾĪlān est le terme ḥimyarite le plus fréquent pour signifier « le Dieu ».

6
Robin 2021.

142
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

C’est l’appellatif ʾl, « dieu », qui est un emprunt au qatabānique, avec l’ar-
ticle défini postposé -n ; en sabaʾique, « dieu » se dit ʾilāh, ʾlh.
Les commanditaires de ces cinq inscriptions « monothéistes » sont des
personnages influents, soit proches du pouvoir, soit appartenant à l’aristo-
cratie provinciale, dans les régions de Ṣanʿāʾ au nord et d’al-Bayḍāʾ7 au sud.

b. Les noms de Dieu dans les inscriptions après la conversion de Ḥimyar au


judaïsme (vers 380)

Après la conversion au judaïsme, Dieu continue à être appelé de multiples


manières, fréquemment dans le même texte. Le plus souvent, il est désigné
par un nom double, composé d’un appellatif et d’une petite circonlocution
définissant sa sphère d’influence. Mais à partir de 420, l’appellatif tend à être
remplacé par le nom propre Raḥmānān8.
Les appellatifs utilisés sont :
— ʾĪlān, « le Dieu » dans la langue sabaʾique de Ḥimyar9,
— ʾIlāhān, « le Dieu » dans la langue sabaʾique de Sabaʾ,10
— une fois Aʾlāhān, « les Dieux », un calque de l’hébreu Elôhîm11.
Le second élément est une brève circonlocution, comme :
— « le Possesseur du Ciel », Baʿal Samāyān12,
— « le Seigneur du Ciel », Maraʾ Samāyān13,
— « le Seigneur du Ciel et de la Terre », Maraʾ Samāyān wa-Arḍān14,
— « Celui à qui appartiennent le Ciel et la Terre », dhu la-hū Samāyān
wa-Arḍān15,
— « le Dieu d’Israël »,ʾIlāh Yiśraʾīl16,
— « le Maître des Juifs », Rabb Yahūd17,
Toutes ces dénominations qui sont distribuées dans les diverses catégo-
ries d’inscriptions sont synonymes et interchangeables.

7
Ville proche de l’ancienne frontière entre le Yémen-Nord et le Yémen-Sud, à 150 km au
nord-est d’Aden.
8
Pour un catalogue des inscriptions juives de Ḥimyar et un inventaire détaillé des appella-
tions du Dieu unique, voir Robin 2015 et 2021.
9
ʾln.
10
ʾlhn.
11
ʾʾlhn. Le guèze donne également à Dieu un nom qui est un pluriel, Amlāk, un emprunt pro-
bable au sabaʾique où le mot signifie « rois » (voir ci-après).
12
Bʿl S¹myn.
13
Mrʾ S¹myn.
14
Mrʾ S¹myn w-ʾrḍn.
15
ḏ-l-hw S¹myn w-ʾrḍn.
16
ʾlh Ys³rʾl.
17
Rb-Yhd.

143
Christian julien roBin

Dieu, initialement une puissance céleste, est rapidement conçu comme


ayant autorité sur le Ciel et la Terre. Le nom propre Raḥmānān18 qui rem-
place progressivement l’appellatif ʾīl, est un emprunt au judéo-araméen qui
renvoie à l’idée de « clémence ». Originellement, dans le judaïsme, une telle
qualité n’était guère associée à l’idée de Dieu ; c’est seulement dans l’An-
tiquité tardive qu’elle apparaît avec le théonyme Raḥmānâ, fréquent dans
le Talmud de Babylone, plus rare dans celui de Jérusalem, également at-
testé dans les Targums et dans l’épigraphie synagogale19 ; ce théonyme se
rencontre également en christo-palestinien et en syriaque (mais seulement en
relation avec les chrétiens ḥimyarites)20.
Dans le royaume de Ḥimyar, la plus ancienne occurrence de « Raḥmānān »
peut être datée aux alentours de 420. Ce théonyme est parfois explicité par
un qualificatif. Dans un texte assurément juif datant de juillet 523 (voir
la citation ci-dessous, p. 145), il est qualifié de « Très-Haut »21. Ailleurs,
c’est l’adjectif « (celui qui) a pitié » (mutaraḥḥam) qu’on relève dans un
texte d’orientation non explicitée (soit juive soit chrétienne)22. L’expression
Raḥmānān mutaraḥḥam se retrouve en arabe islamique sous la forme al-
Raḥmān al-raḥīm. Enfin, dans un texte peut-être judaïsant, mais datant de la
période chrétienne, on relève « Raḥmānān le Roi »23.
Il est remarquable que les Ḥimyarites aient donné à leur Dieu un nom
propre, alors que les Églises du monde méditerranéen et du Proche-Orient
privilégiaient le simple appellatif Théos (en grec), Deus (en latin) ou Alāhâ
(en syriaque) signifiant « le Dieu ».
Dans le texte juif daté de juillet 523 auquel il vient d’être fait allusion,
Dieu est encore appelé d’une autre manière : « Louangé », Muḥammad (ou
Maḥmūd). L’intérêt de ce théonyme réside dans sa parenté évidente avec le
nom du fondateur de l’Islam (racine ḤMD), sans qu’on puisse véritablement
en expliquer la raison.
Pour illustrer la manière dont les Ḥimyarites juifs nommaient Dieu, il
n’est sans doute pas inutile d’en donner deux illustrations concrètes. La pre-
mière est une inscription soigneusement incisée qui décorait un palais de la

18
Rḥmnn.
19
Paradoxalement, on ne connaît pas une seule occurrence bien datée de l’araméen Raḥmānâ
qui soit antérieure aux attestations les plus anciennes de Raḥmānān en Arabie du sud (à
partir de 420, comme nous allons le voir).
20
On le relève dans les hagiographies en langue syriaque rapportant les propos des martyrs
de Najrān (cités ci-dessous dans le paragraphe consacré à Najrān). L’oasis de Najrān, au-
jourd’hui en Arabie saʿūdite, sur la frontière avec le Yémen, était alors l’une des plus im-
portantes villes du royaume de Ḥimyar.
21
Rḥmnn ʿlyn, Ja 1028/11.
22
Fa 74/3, Rḥmnn mtrḥmn.
23
Ja 547+Ja 546+Ja 544+Ja 545/10, Rḥmnn mlkn, « Raḥmānān le roi » ou « Raḥmānān le
possesseur ».

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ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

capitale. Son commanditaire est un juif de la diaspora entré au service d’un


roi de Ḥimyar. Le texte date de 400 de l’ère chrétienne environ :

« Yahûdaʾ Yakkuf a construit, posé les fondations et terminé son


palais Yakrub, des fondations au sommet, avec l’aide et la grâce de
son Seigneur qui a créé sa personne, le Seigneur des vivants et des
morts, le Seigneur du Ciel et de la Terre, qui a tout créé, avec la prière
de son peuple Israël, avec le soutien de son seigneur Dharaʾʾamar Ay-
man, roi de Sabaʾ, de dhu-Raydān, du Ḥaḍramawt et de Yamnat »24.

Le second texte est celui daté de juillet 523 qui a déjà été mentionné. Il
a été gravé sur un rocher du désert aux puits de Ḥimà (à 100 km au nord-est
de Najrān), par le chef d’une armée envoyée par le roi ḥimyarite juif Joseph
pour réduire la révolte des chrétiens pro-byzantins de Najrān. Les formules
de bénédiction se trouvent au début et à la fin :

« Que Dieu, à qui sont le Ciel et la Terre, bénisse le roi Yūsuf


Asʾar Yathʾar, roi de toutes les communes, et qu’Il bénisse les princes
Laḥayʿat Yarkham, Sumūyafaʿ Ashwaʿ, Sharaḥʾîl Yaqbul et Shuriḥ-
biʾīl Asʿad, fils de Shuriḥbiʾīl Yakmul, (du lignage) de Yazʾan et Ga-
dan ...
... Que bénisse Raḥmānān leurs fils, Shuriḥbiʾīl Yakmul et Haʿān
Asʾar, fils de Laḥayʿat, ainsi que Laḥayʿat Yarkham, fils de Sumūya-
faʿ, et Marthadʾilān Yamgud, fils de Sharaḥʾīl, (du lignage) de Yazʾan,
au mois de dhu-madhraʾān {juillet} 633. Puisse, avec la protection
du Ciel et de la Terre et les capacités des hommes, cette inscription
(être protégée) contre tout briseur et déprédateur, et Raḥmānān Très-
Haut contre tout briseur ... A consigné, écrit et supervisé au nom de
Raḥmānān le secrétaire de Tamīm dhu-Haḍyat. Seigneur des juifs.
Avec le Louangé (Muḥammad) »25.

c. Le nom du Dieu unique dans les inscriptions des rois ḥimyarites chrétiens
(530-570)

Le théonyme « Raḥmānān » des inscriptions ḥimyarites juives se re-


trouve dans les inscriptions des rois ḥimyarites chrétiens, dans lesquelles il
désigne Dieu le Père, à savoir la première personne de la Trinité. C’est illus-
tré par l’inscription du premier souverain ḥimyarite officiellement chrétien,
Sumūyafaʿ Ashwaʿ (vers 530-532), dans l’invocation à la Trinité qui ouvre
et conclut le texte :

24
Gar Bayt al-Ashwal 1.
25
Ja 1028.

145
Christian julien roBin

« au nom de Raḥmānān, de Son fils Christ Vainqueur et de l’Esprit


saint »26.

Cette formulation se retrouve dans les inscriptions du roi Abraha (vers


532-565), qui accède au pouvoir après la rébellion qui a renversé Sumūya-
faʿ :
— « Avec la puissance, l’aide et la miséricorde de Raḥmānān, de
son Messie et de l’Esprit de Sainteté »27 ;
— « Avec la puissance, le soutien et l’aide de Raḥmānān, seigneur
du Ciel, et de son Messie »28 ;
— « Avec la puissance de Raḥmanān et de son Messie »29.

Il est très inhabituel de donner un nom propre à la première personne de


la Trinité. Partout ailleurs, dans le monde chrétien, et notamment dans le
royaume voisin d’Aksūm, la première personne est appelée « le Père ». Voir
par exemple :

« Avec l’aide de la Trinité, celle du Père, du Fils et du Saint


Esprit »30,

ou encore :

« Par la gloire du Père, du Fils et du Saint-Esprit »31.

Cette singularité de Ḥimyar était d’autant plus remarquable que l’inscrip-


tion de Sumūyafaʿ Ashwaʿ suivait de très près, en dehors du nom donné au
Père, la phraséologie des Aksūmites : elle nomme l’Esprit saint [Mn]fs¹ qds¹
comme en guèze ou éthiopien classique (Manfas qəddūs) et accole au nom
du Christ l’épithète « Vainqueur », comme le fait le négus Kālēb, qui est le
suzerain de Sumūyafaʿ Ashwa32.

26
Wellcome A103664 A + Ist 7608 bis (= res 3904) + Wellcome A103664 B/1 et 16 : (1) [b-
s¹]m w-s²r[ḥ Rḥmnn w-bn-hw Krs³ts³ Ḡlbn w-Mn]fs¹ qds¹ ; (16) […]b-s¹m Rḥmnn w-bn-hw
Krs³ts³ Ḡlbn [...]. Le nombre entre parenthèses et en exposant indique le numéro de la ligne.
27
CIH 541, b-ẖyl w-[r]dʾ w-rḥ(2)mt Rḥmnn w-Ms¹(3)ḥ-hw w-Rḥ [q]ds¹.
28
DAI GDN-2002, b-ẖyl w-n(ṣr) (2) w-rdʾ Rḥmnn (3) mrʾ S¹myn (4) w-Ms¹ḥ-h(w).
29
Murayghān 1/1, b-ẖyl Rḥmnn w-Ms¹ḥ-hw.
30
RIÉth 191/7, w-b-rdʾt l-Šls l-ʾb w-Wld w-M(f)s Qds, inscription du roi Kālēb antérieure à
522 en écriture sudarabique et en langue guèze vaguement maquillée en sabaʾique.
31
RIÉth 192/1, b-ʾktth l-(ʾ)bm w-wldm w-(mfs) [qds](m), inscription du roi Waʿzeb vers le
milieu du vie siècle, en écriture sudarabique et en langue guèze maquillée en sabaʾique.
32
RIÉth 191/2-3, b-ẖyl ʾgzʾbḥr w-b-(m)wgs ʾyss Kr(s)(3)ts wld ʾg<z>ʾ Bḥr mwʾ z-ʾmnk bt,
« Avec la puissance de Dieu et avec la grâce de Jésus Christ,(3) fils de Dieu, Vainqueur,
en qui je crois ». L’expression « Christ Vainqueur », Krsts mwʾ/ Krs³ts³ Ḡlbn, qui n’est ni
biblique ni néo-testamentaire, est propre à Aksūm.

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ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

L’explication de cette singularité ḥimyarite est hypothétique : elle réside


sans doute dans le désir du pouvoir politique de montrer que la nouvelle re-
ligion (chrétienne) a le même Dieu que l’ancienne (juive). C’était un moyen
de souligner que le changement s’accordait avec une part de continuité.
L’intérêt des invocations ḥimyarites à la Trinité réside également dans
la manière de désigner la deuxième personne. Si le roi Sumūyafaʿ Ashwaʿ
emploie une formulation très orthodoxe soulignant la filiation divine, « son
fils Christ Vainqueur », son successeur Abraha remplace cette appellation
par une formulation ambiguë, « Son Messie », qui supprime la référence à la
filiation divine.
Cette dernière locution présentait l’avantage de pouvoir être lue
différemment par les juifs et les chrétiens et d’être acceptable par les deux
parties. Dans le Messie de Raḥmānān, les chrétiens n’avaient aucune dif-
ficulté à reconnaître la figure de Jésus : en effet, le terme Messie (en arabe
Masīḥ et en syriaque Mshîḥo) qui signifie « Oint (de Dieu) » est le corres-
pondant exact du grec Christos. Le Messie de Raḥmānān était donc le Christ
de Dieu. Rien n’excluait que ce soit le Fils de Dieu, et donc une personne
divine, même si ce n’était pas déclaré explicitement.
En revanche, pour les juifs, le Messie est un homme, choisi par Dieu,
« oint » et investi de la mission de libérer le peuple d’Israël. L’expression le
« Messie de Raḥmānān » impliquait seulement de reconnaître que Jésus avait
été le Messie attendu par les juifs. Elle n’imposait nullement de reconnaitre
en Jésus le fils de Dieu et pouvait s’accorder avec le monothéisme intransi-
geant des sages du judaïsme.
Un tel changement répondait assurément à une exigence tactique : Abraha
qui régnait sur un royaume dont les classes dominantes étaient majoritaire-
ment juives avait besoin d’élargir sa base politique. La christologie d’Abraha
peut donc être expliquée, au moins en partie, comme la recherche d’une for-
mulation doctrinale acceptable à la fois par les juifs et les chrétiens.
Il faut noter enfin que, si l’inscription de Sumūyafaʿ Ashwaʿ donne à deux
des trois personnes de la Trinité des noms qui décalquent le guèze, les appel-
lations utilisées par Abraha s’inspirent du syriaque, avec les termes Masīḥ33
et Rūḥ quds34 qui sont le syriaque Mshîḥô et Rûḥ qûdshô (ou Rûḥô qadîshô).
La manière de désigner la Trinité dans le royaume de Ḥimyar et son évo-
lution ne semblent pas avoir de rapport avec les querelles christologiques fé-
roces qui divisaient alors l’Empire romain depuis le concile de Chalcédoine
en 451. D’ailleurs, aussi bien les chrétiens d’Aksūm que ceux Ḥimyar se
rangeaient apparemment parmi les adversaires de la foi de Chalcédoine (ap-
pelés traditionnellement « monophysites » et, depuis peu, « miaphysites »).

33
Ms¹ḥ.
34
Rḥ qds¹. La vocalisation est hypothétique. Elle pourrait être aussi Rūḥ qudshô.

147
Christian julien roBin

En revanche, les choix dogmatiques d’Abraha, avec une deuxième per-


sonne nommée le Messie (de Raḥmānān) et un Esprit saint réduit à un rôle
effacé (puisqu’il est omis deux fois sur trois) préfigurent apparemment ceux
de Muḥammad. Dans le Coran, le « Messie » est « Jésus fils de Marie » et lui
seul, une figure hautement révérée, mais un « apôtre » qui vient à la suite de
nombreux autres, et donc un homme. Quant à l’Esprit Saint, c’est un esprit
créé qui « assiste » Jésus ou transmet la vérité de Dieu à Muḥammad.

d. Une évolution du nom donné à Dieu comparable à celle qui s’observe


dans les inscriptions royales aksūmites

Dans le royaume de Ḥimyar, Dieu est tout d’abord désigné par une brève
périphrase, ou par un appellatif ou encore par les deux, avant de recevoir un
nom propre, une quarantaine d’année après la conversion au judaïsme. Dans
le royaume d’Aksūm en Éthiopie on observe une évolution semblable après
la conversion au christianisme.
Pour en juger, on dispose de trois ensembles d’inscriptions royales aksū-
mites. Le premier (A) est constitué par les quatre inscriptions du roi ʿĒzānā
polythéiste. Il comprend une inscription trilingue (grec, guèze et guèze ma-
quillé en sabaʾique35) en deux exemplaires36 ; deux inscriptions en syllabaire
guèze37 ; un texte guèze maquillé en sabaʾique dans lequel le nom du com-
manditaire a disparu, mais qui peut être attribué à ʿĒzana ou à un frère si on
se fonde sur le nom du père38.
Le deuxième ensemble (B) comporte les deux inscriptions commanditées
par le même roi ʿĒzānā, désormais chrétien, ce qui révèle une conversion au
christianisme. La première inscription est une bilingue en grec et en guèze
maquillé en sabaʾique39, dont les deux textes ne se correspondent guère parce
que, pour le texte grec, on ne dispose que du début et, pour le texte guèze
(maquillé en sabaʾique) que de la fin (en mauvais état). La seconde inscrip-
tion est rédigée en syllabaire guèze40.
La date précise à laquelle le roi ʿĒzānā devient officiellement chrétien est
discutée. Le repère le plus sûr est offert par une lettre que l’empereur romain
Constance II (337-361) adresse à Aizanas et Sazanas, « tyrans d’Axoum ».

35
Sur la signification de cette appellation, voir dans le même volume Ch. J. Robin, « Le guèze
maquillé en sabaʾique des inscriptions royales aksūmites (Éthiopie antique) ».
36
RIÉth 185-I + RIÉth 185-II + RIÉth 270 ; et RIÉth 185 bis-I + RIÉth 185 bis-II + RIÉth
270 bis.
37
RIÉth 187 et 188.
38
RIÉth 186.
39
RIÉth 190 + RIÉth 271.
40
RIÉth 189.

148
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

Cette lettre, qui est légèrement postérieure à 356 et assurément antérieure


à 361, demande aux deux souverains d’Aksūm d’appliquer des décisions
impériales de discipline ecclésiastique chrétienne, ce qui implique que ces
deux souverains sont déjà officiellement chrétiens ou en passe de le devenir.
Si on accepte l’hypothèse que les souverains d’Aksūm sont déjà
officiellement chrétiens vers 357 ou 358, on peut dater leur conversion un
peu plus tôt, vers 350 pour donner un ordre de grandeur. Les inscriptions
polythéistes de ʿĒzana seraient donc antérieures à 350 et les inscriptions
chrétiennes postérieures à cette date, avec une possible marge d’erreur. Le
monnayage confirme qu’il y a eu alors une conversion définitive au christia-
nisme.
Le caractère le plus intéressant des inscriptions de ʿĒzānā postérieures
à la conversion est que cette conversion se présente diversement selon la
langue. Dans la version grecque de l’inscription bilingue, ʿĒzānā proclame
une orthodoxie trinitaire sans faille :

« Dans la foi en Dieu et la puissance du Père, du Fils et du Saint


Esprit, à celui qui m’a conservé le royaume par la foi en Son Fils Jésus
Christ, à celui qui m’a secouru et me secourt toujours, moi Azanas,
... »41.
En revanche, dans la version en langue locale (malheureusement très la-
cunaire), il n’est plus question de la Trinité, mais seulement de Dieu, nommé
de manière neutre et consensuelle :
— « le Seigneur de la Terre » (Ǝgzi’a Bəḥēr)42,
— « le Seigneur du Ciel »43.
Pourtant, cette inscription est bien chrétienne parce qu’elle se conclut par
le mot amen que les chrétiens ont emprunté à l’hébreu et par une croix44.
La prudence que l’on observe dans cette première inscription en langue
locale n’est pas due au fait que cette inscription est lacunaire, sans la partie
introductive où se trouvent les invocations religieuses. Elle est également
illustrée par RIÉth 189, en syllabaire guèze, qui commence par la formule :

« Par la puissance du Seigneur du Ciel, qui est au ciel et sur la


terre, qui est victorieux pour moi » (l. 1).

Dans la suite du texte le Dieu unique est appelé :

— « Seigneur du ciel » (ll. 5, 38-39, 41, 45, 52) ;

41
RIÉth 271.
42
RIÉth 190 A/8 et 9 ; B, ll. 3-4, ʾgzbḥrm.
43
RIÉth 190 A/42, ʾgzʾm Śmym.
44
RIÉth, tome II, pl. 128.

149
Christian julien roBin

— « Seigneur de l’univers » (ll. 5, 7) ;


— « Seigneur de la Terre » (ll. 14-15, 34) ;
— « Seigneur du Ciel, qui mʾa fait roi, et de la Terre qui le porte » (49-
50).

Le troisième ensemble (C) des inscriptions royales aksūmites est constitué


par les trois inscriptions du vie siècle, toutes les trois rédigées en langue lo-
cale : RIÉth 191 (Kālēb, entre 500 et 520, Aksūm) et RIÉth 192 (Waʿzeb, vers
550, Aksūm) sont en guèze maquillé en sabaʾique ; la troisième, RIÉth 195
(Kālēb, vers 525-530, Maʾrib) est en guèze consonantique. Désormais, le
souverain proclame ostensiblement et de façon insistante sa foi trinitaire :

« Dieu, la puissance et la force, Dieu, la puissance (2) dans les com-


bats »45. Avec la puissance de Dieu et avec la grâce de Jésus-Christ(3), fils
de Dieu, Vainqueur, en qui je crois, Lui qui m’a donné un royaume (4)
puissant avec lequel j’ai soumis mes ennemis et j’ai piétiné les têtes de
ceux qui me haïssent, Lui qui a veillé (5) sur moi depuis mon enfance
et m’a placé sur le trône de mes pères, qui m’a sauvé. J’ai cherché
protection (6) auprès de Lui, le Christ, afin que je réussisse dans toutes
mes entreprises et que je vive en Celui qui plaît (7) à mon âme. Avec
l’aide de la Trinité, celle du Père, du Fils et du Saint Esprit »46.

Les trois ensembles d’inscriptions royales mettent en évidence trois


stades :

Textes en langue locale Textes en grec

Stade 1 (avant 350) polythéisme polythéisme

Stade 2 (après 350) monothéisme Christianisme trinitaire


{Dieu nommé par diverses périphrases,
notamment Ǝgzi’a Bəḥēr }

Stade 3 (vie siècle) Christianisme trinitaire Christianisme trinitaire


{Dieu appelé Ǝgzi’a Bəḥēr}

Juste après la conversion au christianisme, vers 350, le souverain chrétien


veut bien affirmer sa foi trinitaire, mais seulement en grec. Dans les ins-
criptions dans la langue locale, il se contente d’invoquer un Dieu suprême,
45
Voir Psaume 24 (23)/8 : « Yahvé le fort, le vaillant, Yahvé le vaillant des combats ».
46
RIÉth 191, ʾgzʾbḥr ẖyl w-ṣnʿ ʾ(g)z(ʾ)bḥr ẖyl (2) wst ḍbʾ b-ẖyl ʾgzʾbḥr w-b-(m)wgs ʾyss Kr(s)
(3)
ts wld ʾg<z>ʾ Bḥr mwʾ z-ʾmnk bt [ḏ]-w<ʾ>t whb-n mngšt (4) ṣnʿ b-z ʾgrr ḍry w-ʾkyd ʾrʾst
ṣlʾty ḏ-wʾt ʿqb-(5)n ʾmnʾsy w-ʾbr-n wst mnbr ʾbwy w-ḏ-byz-n tmḥḍn (6) k ẖb-h l-Krsts-km-ʾsrḥ
b-kl fnwy w-ʾḥyw b-z yʾdm (7) l-nfsy w-b-rdʾt l-Šls l-ʾb w-Wld w-M(f)s Qds.

150
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

désigné par des périphrases qui sont acceptables par tout le monde, chrétiens,
polythéistes et autres. C’est seulement beaucoup plus tard, au vie siècle, que
la foi trinitaire est affirmée de façon explicite ; l’une des périphrases dési-
gnant Dieu, Ǝgziʾa Bəḥēr, « Seigneur de la Terre », s’impose alors comme
nom propre de ce dernier. Il est notable que ce nom de Dieu soit propre aux
Aksūmites, tout comme Raḥmānān l’est pour les Ḥimyarites.
Le nom Ǝgziʾa Bəḥēr cependant ne s’impose pas complètement. Il reste
concurrencé par un second terme, Amlāk, beaucoup moins fréquent, qui pré-
sente l’avantage de pouvoir être utilisé comme appellatif :

« Mon Dieu (amlākī) me rend ma vengeance et assujettit pour moi


les peuples qui sont sous moi »47,

traduction de « le Dieu qui me donne les vengeances et prosterne les


peuples sous moi » (Psaume 18 {17}/48). Amlāk est apparemment un em-
prunt au sabaʾique où ʾamlāk, pluriel de malik, signifie « rois »48.

Ces textes officiels mettent en évidence les difficultés auxquelles se heurte


un souverain qui entreprend une réforme religieuse radicale. Les partisans
résolus de la réforme (à savoir les adeptes de la nouvelle religion) sont une
petite minorité qui s’oppose à des adversaires également minoritaires, mais
tout aussi déterminés, tandis que la majorité est attentiste. Pour se maintenir
au pouvoir, les réformateurs ont besoin d’alliés politiques qui sont gagnés
grâce à un discours officiel lénifiant dans lequel les changements les plus
bouleversants sont masqués par des formulations neutres et consensuelles.
À Aksūm, le roi, quand il s’adresse à la population locale, expose la nou-
velle doctrine officielle de façon rassurante. Dans le royaume de Ḥimyar,
après la réforme de 380, le souverain fait de même : les inscriptions royales
ne font jamais référence explicitement au judaïsme.
Mais, le roi d’Aksūm agit différemment quand il écrit en grec, langue des
étrangers (commerçants et officiels de passage) qui n’est pas comprise par
la population. Son orthodoxie est alors d’autant plus parfaite qu’elle peut lui
valoir les bonnes grâces du souverain romain et des autorités ecclésiastiques.

B. Le nom du Dieu unique dans les inscriptions nabaṭéo-arabes du Ḥijāz

Si les données sont très abondantes pour les populations prospères et dé-
veloppées de la montagne yéménite, elles sont fort pauvres pour celles de
47
RIÉth 192 A/19-20, ʾ(20)mlk-y ygb<ʾ> lt bql-y w-ʾgrr-lt ʾḥzb z-m-tḥt-y.
48
Mlk, pluriel ʾmlk. La vocalisation des deux mots est hypothétique. Noter que, en arabe, le
pluriel de malik est mulūk.

151
Christian julien roBin

l’Arabie désertique. Quelques textes nous informent cependant sur la ma-


nière dont les populations des oasis nommaient Dieu.
Ces populations des oasis ont d’abord utilisé une écriture géométrique
de type arabique (la famille d’écriture à laquelle appartient l’écriture suda-
rabique). Celles du golfe Arabo-persique et du Ḥijāz lui ont progressivement
préféré diverses écritures araméennes. Vers le début de l’ère chrétienne,
l’écriture araméenne du Ḥijāz est celle du royaume de Nabaṭène. Après l’an-
nexion de la Nabaṭène par l’Empire romain en 106 de l’ère chrétienne, l’écri-
ture araméenne nabaṭéenne continue à être utilisée par de nombreuses popu-
lations dans le Sinaï, en Syrie, dans la vallée de l’Euphrate, dans le Hijāz et
(peut-être) dans le nord de la péninsule Arabique. C’est de cette écriture, qui
évolue constamment entre le iie siècle et le ve, qu’est issu l’alphabet arabe
(probablement à la suite d’un effort de codification entrepris par une chan-
cellerie royale arabe dans la vallée de l’Euphrate ou par les missionnaires
chrétiens).
On peut donc distinguer trois phases dans l’évolution de l’araméen
nabaṭéen :
— l’alphabet araméen nabaṭéen de la chancellerie du royaume de
Nabaṭène (du iie siècle avant l’ère chrétienne à 106 de l’ère chrétienne) ;
— l’alphabet nabaṭéo-arabe qui présente les diverses phases d’évolution
entre le nabaṭéen et l’arabe ;
— l’alphabet paléo-arabe dont la plus ancienne attestation remonte au-
jourd’hui à 470.
Parmi les inscriptions nabaṭéo-arabes, d’assez nombreuses comportent des
données de nature religieuse, mais c’est presque toujours sur le polythéisme.
Les textes ayant une orientation assurément monothéiste se comptent sur
les doigts d’une seule main. Ce sont aujourd’hui deux stèles funéraires, une
inscription rupestre et un graffite sur un rocher bordant l’une des pistes cara-
vanières entre Madāʾin Ṣāliḥ et Tabūk (au nord du Ḥijāz)49.
Le plus ancien de ces documents est une stèle funéraire de Taymāʾ (au
nord du Ḥijāz), datée 203 de l’ère chrétienne50. Le texte est muet sur les
orientations religieuses du défunt ou de sa communauté. Mais l’onomastique
est explicite : ce défunt s’appelle « Isaïe Nblṭʾ fils de Joseph, prince51 de
Taymâ » et il a un frère qui se nomme ʿAmram, comme le père de Moïse52.
L’usage de noms bibliques est habituel chez les juifs, mais aussi assez fré-
quent chez les chrétiens (surtout dans le clergé). On peut cependant supposer
qu’Isaïe et sa famille sont juifs pour trois raisons : aucun des noms n’est
chrétien ; vers le début du iiie siècle de l’ère chrétienne, la vraisemblance est
49
Cette piste est appelée le Darb al-Bakra. Voir Nehmé 2018.
50
Inscription d’Isaïe.
51
rʾš (arabe raʾīs).
52
Exode 6/18, 20.

152
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

faible qu’un chrétien occupe une position sociale éminente dans une oasis
de l’Arabie du nord-ouest ; enfin, le judaïsme est dominant à Taymāʾ quatre
siècles plus tard, aux alentours de 600.
Une autre stèle funéraire trouvée à Madāʾin Ṣāliḥ présente des caractères
semblables53. La défunte qui s’appelle Māwiyah, morte en juillet-août 356,
est la petite-fille d’un Samuel prince54 de Taymâ ; son mari est lui aussi le
descendant d’un Samuel prince de Ḥigrâ.
Une troisième inscription funéraire qui remonte au milieu du iiie siècle est
plus intéressante parce qu’elle invoque Dieu. Située à Madāʾin Ṣāliḥ, elle est
gravée sur la paroi rocheuse dans laquelle une tombe est excavée. Le texte
qui est rédigé en écriture araméenne nabaṭéenne, mais dans une langue qui
mêle un peu d’araméen et beaucoup d’arabe, est daté de juillet-août 267 de
l’ère chrétienne. Il confie le tombeau à la protection du « Maître du Monde »,
Marâ ʿAlmâ :
« Que maudisse le Maître du Monde quiconque s’attaquerait à ce tom-
beau »55.
Il ne fait aucun doute que la puissance invoquée est surnaturelle. Comme
l’appellation de cette puissance n’est pas attestée dans le polythéisme, alors
qu’elle a des équivalents dans le christianisme syriaque et l’Islam, je m’étais
progressivement persuadé qu’elle pouvait être juive.
La confirmation est arrivée en 2019, dans le quatrième texte, un modeste
graffite découvert sur la piste caravanière entre Madāʾin Ṣāliḥ et Tabūk, au
lieu-dit Umm Jadhāyidh :

« Certes en souvenir de Sillà fils de ʾAws (2) en bien et paix en


face du (3) Maître du Monde ; cette inscription (4) a été écrite le jour
de la fête (5) de Pâque {mot-à-mot : de la fête du pain azyme} en l’an
197 »56.

Ce texte est rédigé en langue araméenne et écrit en alphabet araméen


nabaṭéen. Il date de 303-304 de l’ère chrétienne (197 dans l’ère de la pro-
vince romaine d’Arabie). Son auteur qui porte un nom arabe est certainement
juif ou chrétien parce qu’il date son graffite de la fête de Pâque.
L’expression « fête du pain azyme », en effet, ne peut guère désigner que
la fête de Pâque puisque l’interdiction de consommer du pain fermenté n’est
attestée que pour cette fête. Mais si une telle appellation de la fête de Pâque

53
Inscription de Māwiyah.
54
Ryš.
55
JS-Nab 17, w-lʿn (7) mry ʿlmʾ mn ys²n’ ’l-qbrw (8) d’.
56
UJadhNab 538 : bly dkyr Sly br ʾwsw (2) b-ṭb w-šlm mn qdm (3) mry ʿlmʾ w-ktb dnh (4) ktb ywm
ḥg (5) ʾl-fṭyr šnt mʾt w-tšʿyn w-šbʿ.

153
Christian julien roBin

se trouve dans la Bible57 et le Talmud, assez rarement d’ailleurs, elle est at-
testée aussi dans le christianisme syriaque. Elle peut donc être utilisée aussi
bien par un un juif que par un chrétien.
Quant au substantif « fête », hg (ḥagg), il peut être lui aussi juif ou chré-
tien parce que le mot est courant en hébreu et en syriaque.
Il est donc assuré que le texte est monothéiste. La seule question en sus-
pens est de savoir si l’auteur est juif ou chrétien. Nous optons pour le ju-
daïsme avec deux arguments. Le premier est que l’appellation Marâ ʿAlmâ
pour désigner Dieu est attestée localement à Madāʾin Ṣāliḥ ; c’est donc le
nom ou l’un des noms que les populations locales donnaient à Dieu. Le
second argument est que le judaïsme est amplement attesté dans la région de
Madāʾin Ṣaliḥ (le wādī al-Qurà) par l’épigraphie (les inscriptions déjà citées
et les anthroponymes juifs relevés dans les graffites)58 et par les sources ma-
nuscrites, alors que le christianisme ne l’est pas.
Dans Marâ ʿAlmâ (Mry ʿlmʾ), mry est une graphie régionale de mrʾ,
« seigneur, maître ». Ce substantif marâ ou marʾ est fréquent dans plusieurs
langues d’Arabie, notamment en sabaʾique (mrʾ), mais guère en arabe qui
lui préfère rabb ; il est donc probable, mais non assuré, que c’est ici le subs-
tantif araméen. Pour ʿAlmâ, en revanche, il s’agit bien du substantif araméen
ʿâlam, « monde » parce que, en arabe (ou en sabaʾique), le terme correspon-
dant est un emprunt. L’appellation « Maître du Monde » est donc de l’ara-
méen ; elle est d’ailleurs courante chez les rabbins et les auteurs syriaques.
Nous avons vocalisé Mry ʿlmʾ « Marâ ʿAlmâ », Maître du Monde. Mais
il n’est pas impossible de préférer « Marâ ʿAlmê », Maître des Mondes :
la graphie consonantique araméenne ne distingue pas toujours le singulier
(ʿlmʾ) du pluriel (ʿlmyʾ).
Si on lisait le « Maître des Mondes », on obtiendrait une appellation de
Dieu qui se retrouve dans l’arabe coranique sous la forme Rabb al-ʿālamīn,
« Maître des Mondes ». Rabb est l’équivalent arabe de l’araméen et du suda-
rabique mry/mrʾ ; quant à ʿālamīn, c’est le substantif araméen ʿālmîn (pluriel
de ʿālam), simplement transposé en arabe et traité comme un pluriel arabe
externe (ʿâlamûn, ʿâlamîn). En réalité, ce pluriel renvoie probablement à
deux Mondes {= le Ciel et la Terre} parce que l’araméen de l’Antiquité tar-
dive n’avait pas de duel.
Le graffite de la piste caravanière du Darb al-Bakra confirme donc que
les habitants du wādī al-Qurà dans le Ḥijāz – probablement juifs – appelaient
Dieu le « Maître du Monde » ou peut-être le « Maître des Mondes ».
Selon la tradition savante arabo-musulmane, le judaïsme était la religion
dominante dans les oasis du nord-ouest de l’Arabie à l’époque de la prédica-

57
Ḥag ham-maṣṣôt, par exemple Exode 23/15.
58
Robin 2015, p. 87-93.

154
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

tion muḥammadienne. Il en allait ainsi notamment à Médine où Muḥammad


était entré en conflit avec les clans juifs les plus influents de l’oasis, qu’il
avait contraints à l’exil ou exterminés59. Certains chercheurs cependant dou-
taient de l’historicité de ces données parce qu’on ne trouvait aucune trace
archéologique de ces juifs du Ḥijāz. Désormais ce n’est plus le cas.

C. Le nom du Dieu unique dans les inscriptions paléo-arabes d’Arabie et de


Syrie (Bilād al-Shām)

Des données plus substantielles sur la manière dont les populations nom-
maient Dieu sont récemment apparues dans les inscriptions paléo-arabes de
l’Arabie désertique.
Par « paléo-arabes », nous entendons les textes arabes les plus anciens
présentant certains caractères graphiques et orthographiques qui dispa-
raissent avec la normalisation islamique ; leur date est en général pré-isla-
mique, mais sans doute avec quelques exceptions, puisque l’introduction des
nouvelles normes n’est pas précisément située dans le temps et n’a pas été
mise en œuvre instantanément dans tous les territoires.
L’écriture paléo-arabe est donc une écriture arabe archaïque dérivant de
l’écriture nabaṭéo-arabe comme nous l’avons indiqué. Sa plus ancienne at-
testation datée remonte à 470. Elle disparaît avec l’Islam. On peut donc situer
son usage dans une fourchette de deux siècles, c. 450-c. 650. La langue des
inscriptions paléo-arabes mêle l’araméen (qui tend à disparaître) et l’arabe.
Les textes paléo-arabes, aujourd’hui au nombre d’une cinquantaine, ont
presque tous été découverts au cours des dernières années. Ils proviennent
de la Syrie du nord60, du centre61 et du sud62 ; de la Jordanie63 ; et de l’Arabie
séoudite du nord-ouest64 et du sud-ouest65.
Parmi ces textes paléo-arabes, sept invoquent le nom de Dieu qui est tou-
jours appelé al-Ilāh. Cinq sont assurément chrétiens parce qu’ils sont flan-
qués par une croix. Il est possible que la plupart des autres le soient égale-
ment. La formule la plus commune est « Que Dieu se souvienne de … »,

59
Ces clans s’appellent al-Naḍīr, Qurayẓa et Qaynuqaʿ.
60
Inscription de Zabad, au sud-est d’Alep.
61
Inscription du jabal Usays (est de Damas).
62
Inscription de Ḥarrān (Syrie du sud, à ne pas confondre avec la Ḥarrān beaucoup plus
célèbre de la Turquie du sud-est).
63
Inscription de Burqūʿ (nord de la Jordanie).
64
Dūmat al-Jandal (nord de l’Arabie saʿūdite) : voir notamment DAJ 144Par1 et DaJ000Na-
bAr1. Pour plusieurs textes publiés sur les réseaux sociaux, la provenance précise n’est pas
connue.
65
Najrān, dans la zone des puits de Ḥimà : une vingtaine de textes, ceux publiés dans Robin
et alii 2014, plus quelques inédits.

155
Christian julien roBin

suivi par un nom de personne66. On trouve une fois « Que Dieu bénisse »67.
C’est donc depuis quelques années seulement que l’on a identifié le nom
que les Arabes chrétiens donnaient à Dieu. Il y a une quinzaine d’années, une
seule inscription arabe chrétienne antérieure à l’Islam était connue, celle de
Zabad, en Syrie du nord,
Aux mentions directes de Dieu, on peut ajouter deux anthroponymes
théophores : Marthad al-ʾIlāh, « Protégé de Dieu » (Najrān)68 et ʿAbd al-
ʾIlāh, « Serviteur de Dieu » (Jordanie)69.
Le théonyme al-ʾIlāh, formé avec l’appellatif arabe ʾilāh qui signifie
« dieu », a probablement été décalqué du syriaque (araméen chrétien de la
Syrie du nord) ʾAlāhâ (« Dieu »), qui s’inspirait lui-même du grec ho Théos
(comme le latin Deus).
Le fait que les Arabes chrétiens aient écrit dans une écriture araméenne
et aient nommé Dieu à la manière du monde syriaque n’est pas une surprise
en Syrie et en Arabie du Nord. En revanche, c’en est une pour les Arabes de
Najrān qui étaient intégrés depuis des siècles dans le royaume de Ḥimyar.
On se serait attendu à ce qu’ils écrivent leurs inscriptions en alphabet suda-
rabique et appellent Dieu « Raḥmānān ». S’ils ne le faisaient pas, c’est qu’ils
se tournaient désormais davantage vers les Arabes (chrétiens) de l’Arabie dé-
sertique et du Proche-Orient. Cette dissidence ouvrait la voie à la recompo-
sition politique que la création de la principauté théocratique de Muḥammad
à Médine (Yathrib) en 622 allait entraîner.
Une dernière remarque mérite une mention. Les inscriptions paléo-arabes
sont le stade ultime de l’évolution qui a conduit de l’alphabet nabaṭéen à
l’alphabet arabe. Elles auraient pu avoir une distribution géographique et des
contenus comparables à ceux des inscriptions nabaṭéo-arabes. Or ce n’est
pas le cas. La provenance des inscriptions paléo-arabes dessine un champ
géographique beaucoup plus vaste, atteignant Alep au nord et Najrān au sud.
Par ailleurs l’orientation religieuse est plutôt le judaïsme pour les inscrip-
tions nabaṭéo-arabes les plus tardives, tandis que c’est le christianisme pour
les inscriptions paléo-arabes. Ces différences s’expliquent sans doute par le
fait que le matériel épigraphique est produit avant tout par les individus et les
groupes les plus activistes, qui ne sont pas nécessairement représentatifs de
l’ensemble des classes supérieures des sociétés antiques.

66
Voir par exemple l’Inscription de Burqūʿ : Croix ḏkr ʾl-ʾlh (2) Yzydw ʾl-mlk, « Croix Que
Dieu se souvienne de (2) Yazīd le roi ».
67
Ḥimà-Sud PalAr 8/5 : ʾl-ʾlh (yn)ʿ(m), « Que Dieu (al-ʾIlāh) bénisse ».
68
Ḥimà-Sud PalAr 10/4.
69
LPArab 1, ʾnh ʿbd ʾl-ʾlh, « je suis ʿAbd al-ʾIlāh ». Le nom se trouve également dans deux
graffites de Ḥimà en écriture sudarabique.

156
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

D. Le nom du Dieu unique chez les Arabes de Najrān

Il n’est possible d’entrevoir la complexité de la situation réelle que dans


un seul endroit en Arabie, l’oasis de Najrān, grâce à des sources épigra-
phiques et manuscrites relativement nombreuses, riches et bien informées.
Ce sont les textes épigraphiques en écriture sudarabique qui, paradoxale-
ment, sont les plus pauvres en données. Si on exclut les inscriptions gravées
par les troupes ḥimyarites en campagne, un seul document invoque le nom
de Dieu. C’est le fragment d’une inscription commémorant la construction
d’une tour de Najrān. Ses commanditaires qui appartiennent à l’une des deux
familles princières de l’oasis, les banū Thuʿlubān, invoquent « Raḥmānān qui
est au ciel »70. Si on compare cette formulation avec celles des inscriptions
ḥimyarites étudiées ci-dessus, il est probable qu’elle renvoie au judaïsme.
Dans les graffites, on rencontre un ʿAbdalmasīḥ, « Serviteur du Messie »
aux environs de Najrān71 et un ʿAbdalʾilāh « Serviteur de Dieu » qui a écrit
deux fois son nom à Ḥimà-Sud72 sur une colline qui abonde en textes chré-
tiens.
En bref, dans les inscriptions en écriture sudarabique, Dieu serait appelé
Raḥmānān une fois par des juifs et une fois al-Ilāh dans le nom d’un chrétien.
Dans les textes épigraphiques en arabe, les chrétiens appelaient Dieu al-
ʾIlāh. Ce théonyme est attesté dans un texte73 et dans l’anthroponyme théo-
phore Marthad al-ʾIlāh74 comme nous l’avons vu.
En plus des textes épigraphiques, on dispose d’un dossier de sources ma-
nuscrites syriaques et grecques fort bien documentées, qui nous éclairent sur
la profession de foi des chrétiens massacrés en 523 (évidemment reformulée
par le chroniqueur ecclésiastique) et sur les noms que ces chrétiens portaient.
C’est la liste des victimes qui est tout particulièrement intéressante parce
qu’elle reflète assurément de manière assez fidèle l’anthroponymie des
chrétiens de Najrān à l’époque du massacre. Dans cette liste, le nom le plus
courant est ʿAbdallāh, qui est attesté près de 10 fois (sur un total de 174 noms
lisibles)75.
Initialement ʿAbdallāh a été un anthroponyme théophore formé avec le
nom du dieu polythéiste al-Lāh76, attesté à Qaryat al-Faʾw (à 300 km au nord-

70
al-Ḥājj-al-Ukhdūd 83 = Twitchell 3 = Ja 857 = Ja 1040 (= Ph 123), [... b-r]dʾ Rḥmnn ḏ-b-
S¹mw[...], « avec l’aide de Raḥmānān qui est au ciel » (ou peut-être : « qui est aux cieux ».
71
PRL P-11/12 B.
72
Ḥimà-Sud Sab 3 et Ḥimà-Sud Sab 5.
73
Ḥimà-Sud PalAr 8/5.
74
Ḥimà-Sud PalAr 10/4.
75
Book of the Himyarites, 24b-25a. Il manque 4 lignes au manuscrit, de sorte que le nombre
de noms dans le texte original devait approcher les 200.
76
Nous transcrivons le théonyme ʾlh (sudarabique) ou ʾllh (arabe) par « al-Lāh » quand il

157
Christian julien roBin

nord-est de Najrān). Il est attesté dans les graffites de Ḥimà (entre Najrān et
Qaryat al-Faʾw).
Mais le nom qui est populaire chez les chrétiens de Najrān a une ori-
gine différente : c’est l’abréviation de l’anthroponyme chrétien ʿAbdalʾilāh,
« Serviteur de Dieu », dans lequel le théonyme al-ʾIlāh est abrégé en Allāh
(par aphérèse, à savoir la chute de la première radicale) dans l’anthroponyme
ʿAbdallāh.
Il apparaît donc que les chrétiens de Najrān réduisaient le nom de Dieu
al-ʾIlāh en Allāh, tout au moins dans leur onomastique. Si c’est exact, il de-
vient plausible de supposer que les chrétiens arabes appelaient Dieu al-ʾIlāh
en contexte formel, mais aussi Allāh en contexte familier. À la veille de l’Is-
lam, al-Lāh/Allāh était le nom d’un dieu polythéiste très ancien et largement
délaissé, mais aussi le nom du Dieu unique des chrétiens de Najrān dans la
langue courante77.
Concernant le nom que les Najrānites donnaient à Dieu, on peut encore
se tourner vers les hagiographies relatives aux martyrs de Najrān en langue
syriaque. Le récit et les discours placés dans la bouche des divers prota-
gonistes sont riches en données théologiques, mais il s’agit là de composi-
tions littéraires qui nous éclairent avant tout sur la manière dont les clercs
du Proche-Orient se représentaient la religion des protagonistes et sur les
procédés rédactionnels pour illustrer ces religions.
Par exemple, le roi juif qui persécute les chrétiens remplace « fils de
Dieu » par « fils de Adônay », avec le terme hébraïque Adônay, « mon
Seigneur », qui est une manière courante de lire le tétragramme biblique
Yhwh78. Les Ḥimyarites interrogés par le roi appellent logiquement le Mes-
sie « Fils de Raḥmānâ »79. Enfin, quand le roi persécuteur fait le serment
d’épargner les rebelles Ḥimyarites qui se soumettraient, il invoque le Dieu
de ces chrétiens ḥimyarites, Raḥmānâ, et non le sien80. Adônay et Raḥmānâ
sont manifestement des termes stéréotypés associés au judaïsme et au chris-
tianisme ḥimyarite.
Le même dossier comporte deux autres noms de Dieu : Mraḥmānâ
(Mrḥmnʾ) et Mbarkâ (Mbrkʾ)81. Ces deux noms présentent la particularité

s’agit du dieu polythéiste et « Allāh » quand il s’agit du Dieu unique des chrétiens et des
musulmans.
77
Robin 2020a et 2020b.
78
Lettre 1 relative au massacre de Najrān (éd. Guidi), p. 503 / 18 ; voir aussi Lettre 2 relative
au massacre de Najrān (éd. Shahîd), XVII / 14-15. S’il s’agit bien d’une expression utilisée
par le roi persécuteur, elle est attribuée par ce dernier à de nobles Ḥimyarites.
79
Lettre 1 (éd. Guidi), p. 503 / 12-13 ; ibid., p. 503 / 22-23 ; Book of the Himyarites, 13a ;
ibid., 28a.
80
Book of the Himyarites, 10b : « [...] en jurant par le Dieu suprême Raḥmānâ (ʾlhʾ rbʾ
Rḥmnʾ) et par la loi de Moïse : “Si vous sortez [...”] ».
81
Lettre 2 (éd. Shahîd), XVII / 19-20 (Mraḥmānâ) ; Lettre 1 relative au massacre de Najrān,

158
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

d’apparaître dans des épisodes dont on a plusieurs versions, soit avec ces
deux théonymes soit avec Raḥmānâ. La question est de savoir quelle est la
source initiale et quelle est la source secondaire. Il semble probable que la
source initiale avait Raḥmānâ et que des intervenants ultérieurs ont remplacé
Raḥmānâ par Mraḥmānâ ou par Mbarkâ.
Mraḥmānâ, « le Miséricordieux », est en effet une appellation de Dieu
attestée en syriaque, notamment chez Ephrem, même si elle est relativement
rare82. Elle a dû être introduite par des copistes qui ont cru nécessaire de
remplacer le bizarre Raḥmānâ par un mot qui leur paraissait plus correct,
Mraḥmānâ.
Quant à Mbarkâ, « le Béni », c’est un nom de Dieu qui ne semble pas
attesté ailleurs. C’est peut-être une traduction très libre de Raḥmānâ par un
abréviateur qui voulait rendre son texte compréhensible.
Selon les hagiographes syriaques, il apparaît donc que les chrétiens de
Najrān appelaient Dieu Raḥmānâ. Ces hagiographes mettent également dans
la bouche des Najrānites l’appellatif Alāhâ (ʾlhʾ), « Dieu », mais, comme
c’est le nom habituel de Dieu en syriaque, on ne peut pas en conclure assuré-
ment que ce nom était véritablement en usage à Najrān.
Raḥmānâ (Rḥmnʾ) est la transposition en syriaque de Raḥmānān, le nom
que les juifs et les chrétiens de Ḥimyar donnaient à Dieu. Pour les chré-
tiens du vie siècle, « Raḥmānān » devait être indissolublement lié à Ḥimyar
puisqu’on le trouve non seulement sous la plume des rédacteurs des hagio-
graphies syriaques, mais aussi dans une inscription aksūmite maquillée en
sabaʾique83.
Ce nom, cependant, n’est pas complètement inconnu dans la littérature
syriaque. Jack Tannous me signale que Jacques de Sarûg utilise l’expression
Abâ Raḥmānâ, « Père miséricordieux »84. Mais il se trouve que Jacques de
Sarûg est un théologien en relation étroite avec l’Église de Ḥimyar, comme
l’indique sa lettre de consolation aux Ḥimyarites85.
Ce dossier documentaire révèle que Dieu était appelé de trois manières à
Najrān : Raḥmānān, al-ʾIlāh et Allāh.
Pour les juifs, Dieu s’appelait Raḥmānān.
Pour les chrétiens, au moment du massacre de 523 et auparavant, il s’ap-
pelait al-ʾIlāh dans les sources qui présentent le plus de fiabilité : les ins-
criptions sudarabiques, les inscriptions arabes et la liste des victimes (où le

version courte, dans Historia ecclesiastica du pseudo-Zacharie, texte syriaque VIII.3, II,
p. 65 / 21, traduction anglaise, p. 194 (Mbarkâ ; à propos de ce texte, voir Taylor 2010,
p. 154).
82
Voir Taylor 2010, p. 155, n. 91, avec renvoi aux dictionnaires de Payne-Smith et de Duval.
83
RIÉth 192 A/8.
84
Jacques de Sarug, Homiliae selectae I, p. 460, première ligne de l’homélie.
85
Schröter 1877.

159
Christian julien roBin

théonyme al-ʾIlāh est réduit en Allāh).


Dans les discours prononcés par les chrétiens massacrés en 523, Dieu est
appelé de diverses manières, notamment Alāhâʾ et Raḥmānâ. Mais ces dis-
cours sont des textes dogmatiques recomposés par les clercs syriaques après
les événements.
Si on hiérarchise les sources en fonction de leur fiabilité historique, il
semblerait que les chrétiens de Najrān aient d’abord appelé Dieu al-ʾIlāh,
réduit en Allāh dans l’onomastique. L’utilisation du théonyme Raḥmānān
est possible, mais n’est pas sûre. Son apparition dans les sources syriaques
pourrait refléter la pratique de ces chrétiens, tout comme elle pourrait être
un procédé rédactionnel pour donner de la couleur locale : en effet, quand
les hagiographies syriaques sont composées, Raḥmānān est effectivement le
nom de Dieu que l’Église de Ḥimyar a adopté86.
Quoi qu’il en soit, l’exemple de Najrān illustre les variations de la ma-
nière de nommer Dieu dans une même population, même chez les adhérents
d’une même religion, ainsi que l’usage possible du même nom par des cou-
rants opposés. Dans le siècle qui précède l’Islam, la fluidité est d’autant plus
grande que les recompositions politiques et religieuses sont incessantes.

E. Les noms donnés au Dieu unique par la prédication muḥamma-


dienne et par les réformateurs religieux du viie siècle

La fluidité terminologique s’observe même au sein d’une même com-


munauté religieuse, surtout pendant la phase d’élaboration de la profession
de foi qui a logiquement comporté des hésitations et des évolutions. Les
enseignements de Muḥammad fils de ʿAbd Allāh, le prophète de l’Islam,
qui ont été réunis dans un recueil composite appelé le Coran, en offrent une
parfaite illustration. On estime généralement que le Coran reflète fidèlement
ces enseignements, énoncés entre 610 environ et 631 (l’année de la mort de
Muḥammad), même si on décèle de nombreuses retouches rédactionnelles,
introduites lors de la réunion des matériaux bruts sous la forme d’un recueil.
Muḥammad naît pendant une époque de crise extrême, marquée par des
guerres violentes, des perturbations climatiques et des pandémies (connues
sous le nom de Peste de Justinien), aboutissant à la dislocation du royaume
de Ḥimyar vers 570 et à une anarchie généralisée. L’angoisse existentielle
suscite l’attente désespérée d’un Sauveur qui se traduit par l’apparition de
plusieurs réformateurs religieux. Les deux principaux sont Musaylima en
86
C’est le nom du Dieu chrétien dans les inscriptions des rois chrétiens Sumūyfaʿ et Abraha
(530-570). Il semblerait qu’il ait existé une Église de Ḥimyar avant 530, parce que l’on a la
mention d’un évêque des Ḥimyarites nommé Sylvain (Silouanos) sous le règne d’Anastase
(491-518). Mais on ignore comment Dieu était appelé alors.

160
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

Arabie centrale et Muḥammad en Arabie occidentale87.


Les prédications de ces deux réformateurs sont réunies l’une et l’autre
dans un recueil appelé « Coran ». Il se trouve que le Coran de Musaylima
présente de grandes similitudes avec le Coran de Muḥammad. Les théolo-
giens de l’Islam ont donc déployé de grands efforts pour démontrer que Mu-
saylima avait copié Muḥammad (alors que l’enseignement de Musaylima
semble avoir commencé plus tôt). Grâce à cette circonstance particulière,
nous disposons de quelques indications sur la doctrine ascétique de Musay-
lima.
Dans le Coran, le théonyme qui prédomine très largement est Allāh. Il
est employé aussi bien par Muḥammad que par ses opposants à La Mecque.
Dieu peut également être nommé al-Raḥmān88. Ce nom, qui apparaît unique-
ment dans certaines sourates89, renvoie à l’idée de clémence.
Dieu peut encore être désigné par plus de vingt circonlocutions. Dans ce
cas, il n’est pas nommé, mais caractérisé par sa souveraineté sur des espaces,
des phénomènes, des symboles, des qualités, des personnages fameux ou des
lieux divers dans des expressions du type « le Maître de … » :

« Maître des Mondes », Rabb al-ʿālamīn90 ;


« Seigneur des Cieux », Rabb al-Samawāt ;
« Seigneur des sept Cieux », Rabb al-Samawāt al-sabʿ ;
« Seigneur des Cieux et de la Terre », Rabb al-Samawāt wa-al-ʾArd ;
« Seigneur des Cieux et de la Terre et de ce qui est entre eux », Rabb
al-Samawāt wa-al-ʾArd wa-mā bayna-humā ;
« Seigneur de la Terre », Rabb al-ʾArd ;
« Seigneur de Sirius », Rabb al-Shiʿrà ;
« Seigneur de l’Aube », Rabb al-Falaq ;
« Seigneur de la Puissance », Rabb al-ʿizza ;
« Seigneur de toute chose », Rabb kull šīʾ ;
« Seigneur de l’Orient et de l’Occident et de ce qui est entre eux », Rabb
al-Mashriq wa-al-Maghrib wa-mā bayna-humā ;

87
Robin 2012.
88
C’est la transposition du sabaʾique Raḥmānān en arabe. En effet, la désinence sabaʾique -ān
exprime l’article défini (comme le préfixe arabe al-).
89
Elles sont classées traditionnellement dans la deuxième période mecquoise. L’usage d’al-
Raḥmān serait rare pendant les deux autres périodes mecquoises et complètement absent
dans les sourates de la période médinoise. Andreas Kaplony (2018) a récemment proposé
une distribution fondée non plus sur la période, mais sur l’origine : il a observé que les sou-
rates utilisant al-Raḥmān de préférence à Allāh sont corrélées avec la manière de désigner
le ciel et l’enfer et avec les « lettres mystérieuses » qui indiqueraient l’origine du texte (lieu
ou personne).
90
Cette appellation rappelle le Marâ ʿAlmâ, « le Maître du Monde », des juifs du Ḥijāz.

161
Christian julien roBin

« Seigneur des Orients et des Occidents », rabb al-Mashāriq wa-al-Ma-


ghārib ;
« Seigneur des Orients », Rabb al-Mashāriq ;
« Seigneur des deux Orients », Rabb al-Mashriqayn ;
« Seigneur des deux Occidents », Rabb al-Maghribayn ;
« Seigneur de Moïse et Aaron », Rabb Mūsà wa-Hārūn ;
« Seigneur de vos premiers ancêtres », Rabb ʾabāʾi-kum al-awwalīn ;
« Seigneur des Hommes », Rabb al-nās ;
« Seigneur du Trône », Rabb al-ʿarsh ;
« Seigneur du Trône immense », Rabb al-ʿarsh al-ʿaẓīm ;
« Seigneur du noble Trône », Rabb al-ʿarsh al-karīm ;
« Seigneur de cette Ville qu’Il a déclarée sacrée » (Rabb hādhihi al-Balda
al-ladhī ḥaram-hā ;
« Seigneur de ce temple », Rabb hādhā al-bayt.

Enfin, une dernière manière de nommer Dieu apparaît dans la formule qui
introduit les sourates : Allāh al-raḥmān al-raḥīm. Elle résulte de l’identifica-
tion d’Allāh avec al-Raḥmān qui s’est faite en trois temps. La première étape
a été de déclarer que l’on pouvait prier indifféremment Allāh ou al-Raḥmān :

« Dis : “Priez Allāh ou priez al-Raḥmān” ! Quel que soit celui que
vous priiez, Il possède les noms les plus beaux” »
(Q 17, al-Isrāʾ ou Banū Isrāʾīl, v. 110, traduction Blachère).

Dans un deuxième temps, probablement dans les dernières années de


la vie de Muḥammad, le nom d’al-Raḥmān (avec l’épithète al-raḥīm) a été
apposé à celui d’Allāh : « Au nom d’Allāh (qui est) al-Raḥmān le bienfai-
sant » (bi-sm Allāh al-Raḥmān al-raḥīm). Un tel procédé était courant dans
le monde polythéiste quand deux divinités étaient associées, puis fusionnées
en une seule.
Enfin, l’assimilation est devenue complète quand les théologiens mu-
sulmans ont estimé qu’al-raḥmān devait être compris comme une épithète
d’Allāh : « au nom d’Allāh bienveillant et bienfaisant » (bi-sm Allāh al-
raḥmān al-raḥīm), avec Allāh suivi de deux épithètes.
L’origine de l’épithète al-raḥīm n’est pas connue. On peut cependant
observer que, dans l’épigraphie ḥimyarite, Raḥmanān est qualifié par une
épithète très semblable, également formée sur la racine RḤM, comme nous
l’avons vu : « Raḥmānān qui a pitié » (Raḥmānān mutaraḥḥam).
Chacune de ces appellations de Dieu dans le Coran porte une signification
et un message qu’il importe de décrypter.
Allāh est un dieu de la continuité. À l’origine, il est un dieu polythéiste
(al-Lāh) vénéré dans de nombreuses régions de l’Arabie occidentale, où ses

162
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

premières attestations remontent aux alentours des ve-iiie siècles avant l’ère
chrétienne ; il est assuré que le nom propre al-Lāh dérive de l’appellatif
al-ʾilāh, « le dieu » (attesté dans un anthroponyme). Au viie siècle de l’ère
chrétienne, cependant, il tendrait à être considéré comme un dieu suprême
par une partie au moins de ses fidèles, notamment à La Mecque91.
Mais Allāh était également l’un des noms du Dieu unique pour les Arabes
chrétiens, tout au moins ceux de Najrān. Le nom savant de Dieu était al-
ʾIlāh, mais, dans la vie courante, les chrétiens disaient plutôt Allāh, comme
le révèle le nom de personne très populaire chez les chrétiens de Najrān,
ʿAbdallāh, « Serviteur de Dieu »92.
L’introduction du culte d’al-Lāh/Allāh dans le temple de La Mecque qui
intervient apparemment dans le troisième quart du vie siècle, comportait donc
un double message : elle signifiait que le temple était ouvert aux polythéistes,
mais aussi aux chrétiens. C’était de bonne politique pour les responsables
d’une ville dont la principale ressource était le pèlerinage, coordonné avec
une grande foire.
al-Raḥmān est bien différent. C’est un Dieu de la rupture qui d’ailleurs
porte un nom étranger. Dans les premières décennies du viie siècle, c’est le
Dieu que choisissent les principaux réformateurs religieux. On l’observe
avec Musaylima dans la Yamāma (en Arabie centrale) et al-Aswad al-
ʿAnsī au Yémen. Ces deux réformateurs auraient d’ailleurs été surnommés
« Raḥmān de la Yamāma » et « Raḥmān du Yémen ». Il en va de même avec
Muḥammad qui balance durablement entre les deux appellations avant de les
identifier.
Le nom « al-Raḥmān » est la transposition en langue arabe du sabaʾique
Raḥmānān, le nom de Dieu attesté depuis 420 dans le royaume de Ḥimyar,
aussi bien juif (380-530) que chrétien (530-570). Raḥmānān est lui-même un
emprunt au judéo-araméen comme nous l’avons vu. Au vie siècle ou au début
du viie, il semblerait donc que le choix de Raḥmānān (ou al-Raḥmān) comme
nom de Dieu ait signifié le rejet radical des pratiques religieuses polythéistes
antérieures. L’utilisation de ce théonyme offrait aussi l’avantage de pouvoir
prétendre à l’héritage du prestigieux royaume de Ḥimyar. Enfin, il caractéri-
sait Dieu par sa Clémence et non par la Colère du Juge terrible de la fin des
temps (considérée comme imminente).
Vers la fin de sa vie, Muḥammad a finalement tranché. Il a décidé que
Dieu s’appelait Allāh, le nom du Dieu mecquois issu du polythéisme, et
qu’al-Raḥmān serait un deuxième nom en apposition. Ce faisant, Muḥam-
mad s’inspirait d’Abraha qui avait tenté une synthèse audacieuse entre chris-

91
Robin 2020 a et 2020 b.
92
Dans la liste des 174 victimes de la persécution de 523 qui nous est parvenue, 10 martyrs se
nomment ʿAbdallāh comme nous l’avons déjà indiqué.

163
Christian julien roBin

tianisme et judaïsme, mais il le dépassait en ouvrant sa communauté non


seulement aux juifs et aux chrétiens, mais aussi aux polythéistes. En effet,
tout en reprenant la christologie d’Abraha, mais reformulée avec un nou-
veau nom de Dieu, Muḥammad développait un rituel qui intégrait les deux
constituants majeurs du polythéisme mecquois, le Temple (unique comme
dans le judaïsme) et le pèlerinage. Il est probable que ces décisions sont
consécutives à la conquête de La Mecque en 629-630 (8 de l’hégire) et à
la politique du pardon qui intégrait les Mecquois dans la communauté des
croyants.
Quant aux circonlocutions utilisées par Muḥammad pour nommer Dieu,
elles sont également fort instructives. Elles rappellent celles du judaïsme de
Ḥimyar au ive siècle, notamment « le Maître du Ciel », « le Seigneur du
Ciel » ou « le Seigneur du Ciel et de la Terre ». Les premières inscriptions
chrétiennes d’Éthiopie en langue locale, toujours au ive siècle, en comportent
aussi de très semblables. Ces périphrases paraissent être particulièrement
prisées par les mouvements religieux en formation, à un stade où le corpus
doctrinal n’est pas encore définitivement fixé. Elles présentent deux avan-
tages : expressives, elles sont utiles pour frapper les imaginations et gagner
des adeptes ; d’une signification très vague, elles sont aisément acceptables
par tous.
Il semblerait cependant que les circonlocutions imagées de Muḥammad
aient une signification quelque peu différente de celles de Ḥimyar et de
Aksūm. Elles sont utilisées concurremment avec Allāh, uniquement dans les
sourates réputées les plus anciennes, celles qui annoncent l’imminence de la
fin du Monde et du jugement dernier et mettent en garde les incrédules contre
la colère divine. Elles n’introduisent donc pas un Dieu nouveau, mais servent
à mieux cerner Allāh qui cesse d’être le vieux dieu polythéiste, pour devenir
un Dieu transcendant et universel, sans alignement sur une orientation reli-
gieuse préexistante.
En bref, au cours de sa carrière, Muḥammad a appelé Dieu de plusieurs
manières. Ses hésitations mettent en évidence qu’il a balancé entre la conti-
nuité (un Dieu issu du polythéisme) et la rupture (le Dieu universel des juifs
et des chrétiens). C’est finalement une synthèse des deux qui a été décidée et
largement ratifiée.
Cette doctrine musulmane qui s’élabore pendant le siècle qui suit la mort
de Muḥammad stabilise enfin de façon durable le panorama religieux de la
péninsule Arabique.

164
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

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166
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

2018 The Darb al-Bakrah. A Caravan Route in North-West Ara-


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contributions by Françoise Briquel-Chatonnet, Alain Desreumaux, Ali
I. al-Ghabban, Michael Macdonald, Laïla Nehmé, and François Ville-
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des signes. Présages, rites, destin dans les sociétés de la Méditerranée
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de Najrān au vie siècle de l’ère chrétienne », Hawliyāt (Faculté des
Lettres et des Sciences, Université de Balamand) {Ḥawliyyāt}, 19,
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and Cultures), Cambridge (Openbook Publishers), 2021, p. 165-270.
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2014 « Inscriptions antiques récemment découvertes à Najrān
(Arabie séoudite méridionale) : nouveaux jalons pour l’histoire de l’oa-
sis et celle de l’écriture et de la langue arabes », dans Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus, 2014, p. 1033-1127.
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Christian julien roBin

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Christen », dans Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Ge-
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Françoise Briquel-Chatonnet et Christian Robin, Juifs et chrétiens en
Arabie aux ve et vie siècles : regards croisés sur les sources (Collège de
France – CNRS, Centre de recherche d’histoire et civilisation de By-
zance, Monographies 32), Paris (Association des amis du Centre d’his-
toire et civilisation de Byzance), 2010, p. 143-176.

Textes épigraphiques

Inscriptions sudarabiques

Pour la transcription, la traduction et la bibliographie des inscriptions, on


se reportera au site DASI, http://dasi.cnr.it/, sauf indication contraire.
CIH 541 (Maʾrib) ;
DAI GDN-2002/20 (Maʾrib) ;
Fa 74 (Maʾrib) ;
Gar Bayt al-Ashwal 1 (Ẓafār) ;
al-Ḥājj-al-Ukhdūd 83 = Twitchell 3 = Ja 857 = Ja 1040 (= Ph 123) ;
Ḥimà-Sud Sab 3 : Robin et alii 2014, p. 1110 et fig. 54, p. 1110 ;
Ḥimà-Sud Sab 5 : inédit ;
Ja 547+Ja 546+Ja 544+Ja 545 (Maʾrib) ;
Ja 1028 (Ḥimà) ;
Murayghān 1 ;
PRL P-11/12 B (Najrān) : Beaucamp et Robin 1981, p. 53-54 et Pl. I e ;
Wellcome A103664 A + Ist 7608 bis (= res 3904) + Wellcome A103664 B ;

168
ArAbie Antique : vAriAtions dAns lA mAnière de nommer le dieu unique

Inscriptions éthiopiennes

Se reporter à Bernand (E.), drewes (A. J.) et sChneider (R.), 1991-2000 ;


drewes {et sChneider} 2019.

RIÉth 185-I + RIÉth 185-II + RIÉth 270 (Aksūm) ;


RIÉth 185 bis-I + RIÉth 185 bis-II + RIÉth 270 bis (Aksūm) ;
RIÉth 186 (Aksūm) ;
RIÉth 187 (Aksūm) ;
RIÉth 188 (Aksūm) ;
RIÉth 189 (Aksūm) ;
RIÉth 190 + RIÉth 271 (Aksūm) ;
RIÉth 191 (Aksūm) ;
RIÉth 192 (Aksūm) ;
RIÉth 270 : voir RIÉth 185-I + RIÉth 185-II + RIÉth 270 ;
RIÉth 270 bis : voir RIÉth 185 bis-I + RIÉth 185 bis-II + RIÉth 270 bis ;
RIÉth 271 : voir RIÉth 190 + RIÉth 271.

Inscriptions nabaṭéo-arabes

JS-Nab 17 (Madāʾin Ṣāliḥ) : Healey et Smith 1989 ;


UJadhNab 538 (Umm Jadhāyidh) : Nehmé 2018, p. 185-186.

Inscriptions paléo-arabes

DaJ000NabAr1 (Dūmat al-Jandal) : Nehmé 2017, p. 132 et Fig. 11 (p. 131) ;


DAJ 144Par1 (Dūmat al-Jandal) : Nehmé 2017, p. 124-132
Ḥimà-Sud PalAr 8 : Robin et alii 2014, p. 1099-1102 et Fig. 7, 8, 41 et 42.
Ḥimà-Sud PalAr 10 : Robin et alii 2014, p. 1102-1104 et Fig. 9, 44 et 45.
Inscription d’Isaïe (Taymāʾ) : al-Najem & Macdonald 2009.
Inscription de Burqūʿ : Shdaifat et alii 2017.

169
Christian julien roBin

Inscription de Ḥarrān : Fiema et alii 2015, p. 414-415.


Inscription de Māwiyah (Madāʾin Ṣāliḥ) : Altheim & Stiehl 1968, p. 305-309
et fig. 54, p. 500.
Inscription de Zabad : Fiema et alii 2015, p. 410-411.
Inscription du jabal Usays : Fiema et alii 2015, p. 412-413.
LPArab 1 (Jordanie du Nord) : Nehmé 2017, p. 130-131 et Fig. 10, p. 132.

170
Le colloque « Hiéroglossie III : Persan, syro-araméen et les relations avec
la langue arabe » qui s’est tenu au Collège de France le 25 juin 2018 avait pour
point de départ l’étroite relation langagière révélée par l’usage graphique du
persan médiéval où se mêlaient vocabulaire araméen et langue persane, le pre-
mier étant utilisé tel quel dans sa notation alphabétique, mais traité comme un
logogramme, en un procédé rappelant superficiellement l’usage des caractères
chinois dans la langue japonaise. Ce phénomène singulier n’était que la mani-
festation la plus évidente de la complexité des entrecroisements linguistiques
qui se sont opérés au Proche-Orient et en Asie Centrale depuis l’antiquité tar-
dive jusqu’à l’époque moderne. On découvre aussi le rôle important de la
langue médiate que fut le sogdien pour la diffusion des religions et de leur
vocabulaire tout au long de la Route de la Soie, de même que la place centrale
de la langue arabe dans la continuation de ce processus hiéroglossique qui
engloba l’Asie, l’Afrique et l’Europe.
Les neuf contributions ici présentées proposent chacune un angle de vue
différent sur ce vaste paysage. On trouve parmi elles des synthèses innovantes
sur le rôle du syriaque ou du pehlevi, ainsi que des descriptions suggestives
des relations entre les langues dans de grands centres religieux, commerciaux
et politiques d’Eurasie et d’Éthiopie.
Ce volume montre combien le concept de hiéroglossie, terme qui recouvre
l’ensemble des relations hiérarchisées à l’intérieur d’un réseau de langues
n’appartenant pas forcément aux mêmes groupes linguistiques, mais reliées
par des influences religieuses, peut projeter un éclairage fécond sur l’histoire
culturelle.

Illustration de couverture : Araméogramme moyen-perse LŠNA suivi de son équiva-


lent pehlevi, uzwān « langue », d’après le lexique Frahang ī Pahlavīk (Utas B. et Toll
Ch. (éd.), 1988, Frahang I Pahlavīk, edited with transliteration, transcription and
commentary from the posthumous papers of Henrik Samuel Nyberg, Wiesbaden, O.
Harrassowitz, p. 8, 76).

9782913217461

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