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Trois jours avant Noël, Ainslie fait la connaissance d'Elijah Vanaldi, un

homme d'affaires richissime, qui lui propose très vite un travail : s'occuper
de sa nièce à présent orpheline.

Même si elle ne sait presque rien de son nouveau patron, Ainslie ne peut
qu'accepter cet emploi inespéré, tant sa situation financière est difficile.
Mais n'a-t-elle pas commis une erreur ? Car pour conserver la garde de sa
nièce, Elijah a besoin de faire croire aux services sociaux qu'il en a fini
avec sa vie de play-boy. Et il exige bientôt qu'Ainslie se fasse passer pour
sa fiancée...
1.

Coincée au milieu des passagers tassés les uns contre les autres, incapable
de bouger, Ainslie s'efforçait de surveiller du coin de l'œil son sac à dos
posé à côté de la porte. En plus d'étouffer littéralement dans cette rame de
métro bondée, son esprit ne lui laissait aucun répit, ressassant
interminablement la même angoissante question : où aller?... Elle pouvait se
rendre à Earl's Court, bien sûr, le point de chute de tous les routards
australiens débarquant à Londres.

Mais Ainslie n'était pas une routarde. Elle était venue ici pour travailler, ce
qu'elle avait fait pendant trois mois, jusqu'à ce renvoi brutal.

Elle se sentit brusquement gagnée par un accès de panique mais tenta de


réfléchir posément. Elle avait des amies, pour la majorité des nurses comme
elle, rencontrées au parc ou au cours de fêtes organisées pour les enfants
dont elles s'occupaient. Petit à petit, les jeunes femmes en étaient venues à
sortir ensemble, explorant les possibilités infinies de la capitale anglaise.

A cette heure-ci, elles devaient être installées dans un pub, certainement en


train de commenter la nouvelle, stupéfaites de savoir qu'Ainslie avait été
mise à la porte après avoir été accusée de vol. Qu'elles le croient ou non
n'avait pas vraiment d'importance : leurs employeurs évoluaient dans les
mêmes milieux et se connaissaient tous ; désormais cataloguée comme
voleuse, elle n'avait aucune chance de retrouver un emploi de nurse.

Soudain, le métro freina brutalement et Ainslie sentit un coude lui meurtrir


le dos.

— Scusi.

La voix grave et virile avait résonné près de son oreille.

Tournant légèrement la tête, elle aperçut tout contre elle un bébé endormi
dans des bras masculins.

— Ce n'est rien, répondit Ainslie, sans lever les yeux.


Le métro s'immobilisa dans le tunnel entre deux stations. Elle essaya de
reculer un peu mais il lui fut impossible de bouger, si bien qu'elle dut se
pencher légèrement en arrière pour essayer de ne pas déranger l'enfant.

Elle grimaça. La transpiration collait désagréablement son chemisier à la


peau de son dos. En dépit du froid qui sévissait à l'extérieur en ce mois de
décembre, il faisait horriblement chaud dans le métro. Des dizaines de
personnes étaient agglutinées les unes contre les autres, vêtues d'épais
manteaux humides de pluie, transformant l'intérieur de la rame en un sauna
inconfortable.

Le bébé avait l'air d'avoir trop chaud lui aussi. Emmitouflé dans son petit
anorak, ses moufles et son bonnet de laine à oreillettes, qui le faisait
ressembler à un pilote d'avion d'autrefois, il avait le visage très rouge.

Comme il est mignon ! songea brièvement Ainslie. Aussitôt, les larmes lui
montèrent aux yeux à la pensée de Jack et Clemmie, à qui elle n'avait même
pas été autorisée à dire au revoir. Mais elle n'eut pas le temps de s'apitoyer
plus avant : un mouvement de foule l'avait poussée contre le bébé.

— Excusez-moi, lâcha-t-elle machinalement.

Le petit visage s'était crispé dans son sommeil et de nouveau elle tenta de se
dégager au maximum. Elle leva brièvement les yeux sur le père, afin de lui
exprimer son impuissance. Aussitôt, elle se sentit effectivement plus
impuissante que jamais face au trouble qui l'envahissait.

Pendant un instant, elle eut l'impression d'être perdue tandis qu'elle


contemplait le visage le plus séduisant qu'elle eût jamais vu d'aussi près.
Les épais cheveux noirs et brillants de l'inconnu étaient décoiffés et ses cils
sombres aussi longs que ceux de son fils. Des yeux bleu clair, presque
transparents, empreints d'une lassitude extrême, croisèrent les siens.

Les lèvres sensuelles esquissèrent une ébauche de sourire quand l'homme


hocha la tête pour montrer à Ainslie qu'il savait que ce n'était pas sa faute.
Puis il baissa les yeux sur son fils, qui s'était réveillé et gigotait désormais
dans tous les sens. Il essaya de l'apaiser en lui parlant italien mais sa voix
profonde au timbre velouté n'eut aucun effet sur l'enfant. Celui-ci continuait
à s'agiter ; il avait écarquillé ses grands yeux, aussi bleus que ceux de son
père, mais il semblait ne pas le reconnaître et se mit soudain à hurler.

— Allons, allons, Guido, ce n'est rien...

A présent, l'homme lui parlait dans un anglais teinté d'un fort accent.
Comme il ne la regardait plus, Ainslie pouvait l'observer avec plus
d'attention. Même s'il était beau comme un dieu, il était visiblement
exténué. De grands cernes violets soulignaient ses yeux, et il avait besoin de
se raser.

— Guido, ce n'est rien..., répéta-t-il d'une voix plus forte au moment où le


métro se remettait en marche.

Mais cela ne fit qu'incommoder davantage le bambin. Arquant le dos tel un


chat en colère, il s'accrocha à son père en se renversant en arrière. Comme il
n'avait pas de place, son visage rouge de colère vint s'appuyer contre
Ainslie tandis que l'inconnu essayait de le retenir.

— Ce n'est rien..., dit à son tour Ainslie, sans savoir si elle s'adressait au
père qui s'excusait ou à son fils.

L'homme réussit à le redresser et à le garder contre lui mais le bébé était


paniqué. Durant quelques secondes, la jeune femme avait senti sa joue
brûlante contre la sienne. Instinctivement, elle posa la main sur son front : il
était brûlant.

— Il a très chaud..., murmura-t-elle en levant de nouveau les yeux vers le


bel inconnu. Il a de la fièvre...

— Oui, il est malade, approuva l'homme.

A cet instant précis, le métro déboucha dans une station. Dès que les
portières s'ouvrirent, nombre de passagers sortirent du wagon mais d'autres
prirent aussitôt leur place, si bien qu'elle se trouva séparée de l'homme et de
l'enfant.
Elle aurait pu les oublier aussitôt. N'avait-elle pas déjà suffisamment de
problèmes en tête ? Il lui fallait trouver un endroit où passer la nuit, avant
de se mettre à la recherche d'un nouvel emploi — sans avoir de références.
Ensuite, elle devrait prouver son innocence, sans oublier de prévenir sa
mère qu'elle avait changé de poste.

Mais, même étouffés, les cris du petit garçon lui parvenaient encore. Et puis
l'expression du visage de son père, sa fatigue extrême, sa voix, ses yeux,
restaient gravés en elle. Cet étranger avait fait vibrer ses sens.

Elle avait remarqué qu'il portait un épais manteau gris en cashmere, mais
elle avait aperçu par l'échancrure le col de sa chemise et la veste de son
costume. Peut-être était-il passé prendre le petit garçon chez une nourrice
ou dans une crèche ?

Et peut-être venaient-ils de sortir de chez le médecin?

D'un bref mouvement de tête, Ainslie chassa de son esprit ces questions
oiseuses : le métro s'arrêtait à la station Earl's Court.

D'après son guide, c'était le quartier où échouaient tous les Australiens


venus à Londres. A présent, elle n'avait plus qu'à trouver l'auberge de
jeunesse. Tout en s'excusant, elle joua légèrement des coudes pour
récupérer son sac à dos, resté par miracle là où elle l'avait laissé, et se
retrouva sur le quai.

Heureuse de s'être enfin dégagée de cette foule compacte, elle respira


profondément.

Soudain, elle entendit son mobile sonner et s'assit sur un banc avant de le
sortir de son sac à main. Elle constata avec appréhension que l'appel
provenait d'Angus, son ancien employeur. Elle ne se sentit pas le courage de
lui parler et, se demandant malgré tout ce qu'il pouvait bien avoir à lui dire,
elle laissa la messagerie s'enclencher.

Même si Angus Maitlin était un chirurgien réputé, qui apparaissait


régulièrement à la télévision et dans les magazines, il travaillait également
aux urgences, preuve de son caractère profondément humain. Ainslie avait
vite découvert son côté sage et perspicace et il l'avait souvent fait sourire
tandis qu'elle l'écoutait raconter une histoire à ses enfants ou leur poser des
questions sur la journée qu'ils avaient passée.

Mais à présent, ce souvenir ne la faisait plus sourire du tout, et la jeune


femme se demanda comment elle pourrait mentir à cet homme intelligent et
tellement aimable — car il allait bien falloir inventer un mensonge...

« Ainslie, c'est Angus. Gemma vient de me raconter ce qui s'était passé. Je


ne sais pas quoi dire. Ecoutez... Je n'aime pas l'idée que vous soyez à la rue
sans argent et sans références.

J'espère que vous avez des amis chez qui aller. Si vous avez besoin
d'argent... nous pourrions trouver une solution. Ce soir, je travaille tard,
mais je vous rappellerai demain... »

Pour la première fois depuis que l'affreux incident s'était produit, Ainslie
sentit les larmes rouler sur ses joues.

Tristement, elle se rendit compte qu'il la croyait coupable. Elle avait


nettement entendu la déception percer sous son ton aimable et embarrassé.

Evidemment Angus avait cru Gemma—quoi de plus normal puisqu'elle


était sa femme ! Et celle-ci avait dit à Ainslie ce qu'elle allait raconter à son
mari : depuis l'arrivée de la jeune Australienne chez eux, des choses avaient
disparu ; elle soupçonnait Ainslie mais ne voulait pas y croire ; pourtant,
elle avait découvert une bague et un collier dans la commode d'Ainslie,
preuve irréfutable de la culpabilité de la nurse. Tout cela était faux bien sûr,
mais Gemma Maitlin ne pouvait pas garder dans sa maison une personne
qui l'avait surprise en flagrant délit d'adultère. Ce qu'avait fait Ainslie
lorsqu'elle avait ramené les enfants à la maison plus tôt que prévu...

Le dos appuyé contre le mur du quai de nouveau noir de monde, elle laissa
couler ses larmes en silence. Elle comptait tellement sur sa prime de Noël !
Elle avait désespérément besoin de cet argent, à cause de Nick et du gâchis
qu'il avait créé là-bas, en Australie. Son ex-petit ami avait, à son insu, fait
un emprunt sous leurs deux noms alors qu'ils étaient encore ensemble.
Lorsqu'elle l'avait appris, deux semaines plus tôt, la colère l'avait
submergée, à cause des conséquences financières, certes, mais surtout de la
duplicité de Nick. En y repensant, c'est de la tristesse qu'elle éprouvait, une
peine qui venait grossir le flot de ses pleurs. En venant à Londres, elle avait
espéré y passer un tout autre Noël que celui, sombre et solitaire, qui
s'annonçait...

Là, entourée de centaines de gens, dans l'une des villes les plus actives du
monde, Ainslie ne s'était jamais sentie aussi abandonnée.

A cet instant, elle entendit des hurlements d'enfant et reconnut


immédiatement Guido. Tirée de ses pensées, elle fouilla le quai du regard
pour le localiser.

Lorsqu'elle le vit, elle se rendit compte de sa méprise : en fait, ce n'était plus


un bébé ; il devait avoir environ dix-huit mois. Il se tenait debout, hurlant à
pleins poumons, tandis qu'à côté de lui son père était à moitié à genoux,
mallette et ordinateur portable posés au sol, tentant d'ouvrir une poussette
avec l'adresse de quelqu'un qui n'a jamais eu affaire à ce type d'engin de sa
vie. Soudain, l'enfant s'assit à terre avant de s'allonger de tout son long en
frappant le sol de ses petits poings et de ses jambes.

Les gens ne prêtaient aucune attention à ce couple peu banal.

Ils passaient devant eux, d'un pas pressé, tête baissée ou en détournant le
regard, en faisant semblant de ne pas les voir.

S'essuyant les joues du revers de la main, Ainslie se dirigea vers l'inconnu.

— Je peux vous aider?

Elle le vit se raidir un instant, prêt à refuser. Mais presque aussitôt, il laissa
échapper un soupir et souleva le petit garçon avant de se redresser de toute
sa hauteur.

— Vous croyez que vous sauriez faire rouler cette chose ?

— Bien sûr.

— S'il vous plaît, ajouta-t-il à retardement.


En deux gestes précis, Ainslie déplia la poussette.

— Merci, souffla-t-i], visiblement soulagé.

Elle aurait pu tourner les talons et s'en aller. Mais elle savait d'expérience
qu'une poussette dépliée ne représentait que la moitié du chemin. Elle
regarda l'homme en se demandant comment il allait réussir à faire asseoir
dedans cet enfant raide de colère.

Après une première tentative ratée, il déboutonna son manteau et Ainslie


aperçut sa veste élégante et sa chemise au col ouvert. Un léger sourire se
dessina sur son visage. Pas étonnant que cet homme ne sache pas s'y
prendre avec son fils : vu l'élégance et le raffinement de sa mise, il devait
passer plus de temps au bureau que chez lui...

Comme pour lui donner raison, les hurlements de Guido redoublèrent.

— Je vais y arriver ! affirma-t-il alors que la jeune femme faisait mine de


s'approcher.

L'inconnu ne semblant plus vouloir de son aide, Ainslie décida de le laisser


se débrouiller tout seul avec son petit diable, qui continuait à donner des
coups de pied et à se contorsionner dans tous les sens.

Mais il les prit tous deux par surprise.

Il s'arrêta de crier pendant une seconde et reprit son souffle.

Puis, stupéfaite, Ainslie le vit fixer son père droit dans les yeux et lui
cracher au visage. La jeune femme retint son souffle. Son expression
indignée montrait que l'homme n'était pas du genre à apprécier qu'on lui
crache dessus.

Pourtant, il eut une réaction complètement inattendue — il sourit. Il éclata


même de-rire, ce qui dérouta le petit garçon, qui se détendit un instant. Son
père en profita pour l'asseoir dans la poussette et lui boucler en un
tournemain la ceinture autour de la taille.
Puis il se releva et, toujours en souriant, sortit un beau mouchoir de soie
bleu marine de sa poche pour s'essuyer le visage.

— Le petit voyou, exactement comme son père !

Après avoir ajusté une couverture sur le petit garçon, il ôta son manteau et
l'en couvrit également. Son sourire s'était évanoui et il avait désormais l'air
sinon inquiet, du moins préoccupé.

— Non ! s'exclama Ainslie malgré elle.

— Non ? répliqua-t-il, surpris.

— Excusez-moi mais... je travaille avec les enfants, il ne faut pas le couvrir


autant.

A son expression étonnée, elle vit qu'il ne comprenait pas la situation.

— Il a très chaud.

Comme il la regardait toujours du même air interloqué, elle parla plus fort
et plus lentement.

— Il a de la fièvre, il pourrait avoir des convulsions, expliqua-telle.

— Je ne suis ni sourd ni stupide ! rétorqua froidement l'inconnu. Ce n'est


pas la peine de me parler comme si j'étais un abruti.

— Excusez-moi, bafouilla Ainslie en rougissant.

— Je sors de chez le médecin. Il a prescrit ceci.

Tout en parlant, il avait sorti un sac en plastique de sa poche.

— Quand nous serons à la maison, je le lui donnerai.

Plissant les yeux, la jeune femme examina l'emballage du médicament.

— Mais ce sont des antibiotiques ! Ça ne va pas ; ce dont il a besoin, c'est...


Elle s'interrompit. L'homme la regardait d'un air à la fois hautain et excédé.
A quoi bon vouloir lui venir en aide ? Elle haussa les épaules et tourna les
talons. Après tout, plus vite ce type arrogant serait de retour auprès de sa
femme, plus vite celle-ci pourrait donner du paracétamol à son enfant.

Quand une main ferme agrippa son bras, Ainslie sentit sa gorge se serrer.
L'espace d'un instant, un frisson de peur la parcourut.

— De quoi a-t-il besoin ?

Elle parvint cependant à se raisonner : elle se trouvait dans une station de


métro fréquentée, elle n'avait pas grand-chose à craindre. Cependant,
malgré l'épaisseur de son manteau, la poigne de l'inconnu lui brûlait la peau.
Ainslie se retourna.

—- Pouvez-vous ôter votre main ? demanda-t-elle en le défiant du regard.

Elle le vit cligner des paupières avant de baisser les yeux sur sa main,
comme si elle ne lui appartenait pas.

— Ah oui, désolé, s'excusa-t-il d'un ton las en la lâchant aussitôt.

Je suis inquiet pour Guido, je ne sais pas quoi faire.

— Ramenez-le à la maison, reprit Ainslie d'une voix plus douce.

Il faut lui donner du paracétamol. Une fois qu'il en aura pris, il va se calmer.
Et il a besoin de sa maman.

Elle pivota pour repartir vers la sortie, certaine que cette fois-ci, il ne lui
saisirait pas le bras. Mais il n'eut pas besoin de le faire pour qu'elle
s'immobilise brusquement.

— Sa maman est morte cet après-midi.

2.

Ainslie se retourna vivement et regarda tour à tour le père et l'enfant,


horrifiée.
C'était atroce.

Autour d'eux, étrangers à cette situation dramatique, les gens allaient et


venaient, pressés, absorbés, la tête peut-être déjà à Noël et à ses festivités.

La proximité de cette fête, celle de l'enfance et de la famille, accentuait


l'atroce sentiment d'injustice et d'absurdité qui l'étreignait. Ce beau petit
garçon passerait Noël, puis le reste de sa vie, sans sa mère ; les propres
problèmes d'Ainslie lui semblèrent soudain dérisoires en comparaison...

— Pouvez-vous m'aider? demanda l'homme d'une voix basse où perçait une


forte inquiétude.

— Moi?

— Vous avez dit que vous travailliez avec les enfants ?

— Oui, mais...

— Alors, vous devez savoir comment faire baisser cette fièvre ?

Comment soigner cet enfant ?

En plus d'une note de supplication, la jeune femme perçut des accents de


peur, voire de panique, dans cette voix aux intonations chaudes et vibrantes.

— Je ne sais pas quoi faire, poursuivit-il. Je n'y connais rien aux enfants. Je
ne sais pas de quoi il a besoin...

Ainslie tenta de masquer son incrédulité mais l'inconnu sembla avoir


remarqué son léger froncement de sourcils car il se sentit immédiatement
obligé de préciser :

— Guido n'est pas mon fils mais mon neveu. Ses parents ont eu un accident
de voiture. Je suis venu d'Italie ce matin, dès que j'ai appris la nouvelle.

Ainslie hocha lentement la tête. A présent, elle comprenait sa fatigue


visiblement extrême. Il avait dû tout laisser en plan pour prendre le premier
avion.
— Où est son père ?

Le quai était de nouveau rempli de monde, si bien qu'elle se retrouva


poussée vers lui.

— Il est mort sur le coup.

Elle ferma les yeux durant une seconde. Quand elle les rouvrit, il l'observait
d'un air interrogateur.

— Pouvez-vous m'aider à m'occuper de cet enfant?

Il avait l'air si désemparé, si désespéré, qu'Ainslie ne se posa pas de


questions. Il lui était tout bonnement impossible de ne pas aider quelqu'un
qui en avait tellement besoin, de juste lui tourner le dos et de s'éloigner.

— Oui, dit-elle simplement.

— Sa maison n'est pas loin d'ici, et il y a une pharmacie sur le chemin.

A peine sortie, Ainslie reçut comme une gifle la morsure de l'air glacial sur
son visage. Le contraste était saisissant entre l'intérieur de la station et
l'extérieur. Il devait également l'être entre l'atmosphère joyeuse des rues
animées et le moral du petit garçon et de son oncle. Ce dernier s'était chargé
de son sac à dos, et elle s'occupait de diriger la poussette le long des vitrines
étincelantes de décorations, évitant habilement les gens aux bras chargés de
paquets. Même la pharmacie résonnait de chants de Noël et, quand ils
entrèrent, les clients les regardèrent en souriant.

— En plus du paracétamol, faut-il prendre des couches et ce genre de


choses ou avez-vous ce qu'il faut?

— Je n'en ai pas la moindre idée : je ne suis pas allé à la maison depuis mon
arrivée. Prenez tout ce que vous estimez nécessaire, nous verrons bien.

— Je ne sais même pas comment vous vous appelez, constata Ainslie une
fois qu'ils furent sortis.

— Elijah... Elijah Vanaldi. Et vous ?


— Ainslie Farrell.

Ensuite, ils marchèrent en silence jusqu'à ce qu'ils arrivent devant une belle
maison de trois étages. Sur la porte, une magnifique couronne de Noël
accueillait les visiteurs avec chaleur.

Alors qu'Elijah enfonçait la clé dans la serrure, Ainslie prit soudain


conscience de l'absurdité de la situation. Elle allait entrer dans la maison de
quelqu'un d'autre, dans la vie de quelqu'un d'autre, d'une femme qu'elle ne
connaissait même pas et qui, sans le savoir, lui confiait son trésor le plus
cher : son fils. C'était surréaliste.

La demeure était splendide, avec ses beaux planchers cirés et ses hauts
plafonds ornés de superbes moulures. Mais ce qui retint l'attention d'Ainslie
fut la collection de chaussures en désordre sur le sol de l'entrée, les
manteaux accrochés dans le hall et l'odeur boisée qui flottait dans l'air. Elle
remarqua également la tasse à moitié pleine de thé froid posée sur le banc
en granit de la cuisine ultramoderne, la liste de courses accrochée sur le
Frigidaire et la vaisselle du petit déjeuner empilée à côté de l'évier.

Une tristesse infinie s'empara d'elle. Ces traces de vie qu'elle avait notées
étaient celles de personnes qui n'étaient plus, les vestiges d'existences
enfuies. Oppressée, elle se tourna vers Elijah, qui déshabillait Guido.
Apparemment, le petit garçon n'en pouvait plus de fatigue.

— A-t-il dîné?

— Il a mangé des biscuits, répondit Elijah en posant la main sur le front de


l'enfant. Il est encore très chaud. Dois-je lui donner un bain ?

— Non, pas ce soir. Il suffit de le changer avant de le mettre au lit. Et


surtout, de lui donner ses médicaments.

Quand elle monta à l'étage à la recherche d'un pyjama pour le petit garçon,
Ainslie eut la confirmation que cette demeure élégante et luxueuse était
avant tout un foyer où il faisait bon vivre. Un livre abandonné à côté du lit
en désordre, un robinet qui gouttait dans la salle de bains, des serviettes
humides au sol à côté de vêtements froissés rappelaient que ses occupants
en étaient partis le matin même en pensant y revenir le soir.

— Elle m'avait appelé la semaine dernière pour me dire qu'elle s'était


finalement décidée à engager une gouvernante...

La voix l'avait fait sursauter, et elle sentit les larmes lui piquer les yeux
quand elle vit Elijah fermer à fond le robinet.

— Elle n'avait jamais été très douée pour le ménage, continua-t-il.

— Ça n'a aucune importance, laissa tomber Ainslie sans réfléchir.

— Si elle savait que nous avons vu sa maison dans cet état, elle en
mourrait...

Elijah s'interrompit, brusquement conscient de l'absurdité morbide de ses


paroles.

— Quand on voulait venir voir Maria, reprit-il, il fallait toujours l'appeler


pour la prévenir. Elle détestait qu'on débarque à l'improviste. Elle serait
affreusement embarrassée si elle nous savait ainsi chez elle...

— Il a une otite, déclara Elijah en observant Ainslie mesurer les


antibiotiques. Le médecin a dit que c'était pour cela qu'il était si irritable.
Mais comme je le lui ai expliqué, Guido ne manque pas de caractère ; il n'a
pas besoin d'être malade pour être de mauvaise humeur !

— Il souffre également d'une laryngite, affirma Ainslie au moment même


où Guido se mettait à tousser. Pauvre petit...

Son médicament devrait néanmoins soulager sa douleur et il se remettra vite


d'aplomb.

— Heureusement, soupira Elijah. En attendant, je vais lui donner à manger


et ensuite, il ira au lit.

II sortit un morceau de papier de sa poche, parcourut ce qui y était écrit puis


se saisit d'une banane trop mûre qu'il commença à peler. Il la tendit ensuite
au petit garçon. Guido se contenta de le regarder en clignant des yeux avec
surprise. Ainslie ne put s'empêcher de sourire devant le désarroi du bel
Italien.

— Maria a dit qu'il aimait les bananes.

— Oui mais ce n'est pas un singe, déclara la jeune femme.

Laissez-moi faire !

Elle se dirigea vers les placards et y trouva du pain de mie. Elle en émietta
une tranche, qu'elle mélangea dans une assiette en plastique avec de la
banane écrasée. Elle tendit le tout à Guido qui, cette fois, mangea de bon
cœur.

Ensuite, son oncle l'emporta dans sa chambre ; Ainslie le suivit.

— Il a une veilleuse, assura Elijah en consultant de nouveau son morceau


de papier. Et il se réveille parfois la nuit si sa couverture a glissé. Il suffit de
la rajuster pour qu'il se rendorme.

Regardant ses grandes mains mates border le petit garçon, Ainslie sentit de
nouveau les larmes lui monter aux yeux. Peu désireuse qu'Elijah la voie
dans cet état, elle sortit de la chambre et descendit dans le salon tout en
refoulant ses sanglots. Il vint l'y rejoindre un peu plus tard, deux tasses de
café à la main.

— Merci, dit-elle quand il lui en tendit une avant de s'asseoir à son tour.

Elle réussit à lui adresser un faible sourire et il l'imita.

— Je n'y connais rien, absolument rien en matière d'enfants, soupira-t-il. Et


pourtant, ma sœur a bien spécifié qu'elle voulait que ce soit moi qui m'en
occupe et qui l'élève.

— Que s'est-il passé ? demanda Ainslie.

Pour la première fois depuis leur rencontre, il ne lui avait pas semblé
déplacé de poser cette question.
— Un accident de voiture. Le véhicule a quitté la route et a pris feu aussitôt.

Il haussa les épaules en signe d'impuissance.

— J'étais en plein milieu d'une réunion importante. En temps normal, dans


ces cas-là, on ne me dérange pas ; mais mon assistante a insisté pour que je
prenne la communication et j'ai immédiatement compris qu'il s'agissait
d'une mauvaise nouvelle. C'était l'hôpital. Un médecin m'a annoncé que
Rico, le père de Guido, était déjà mort et que ma sœur me réclamait
d'urgence. Je suis parti aussitôt.

— Je suis désolée, bredouilla Ainslie la gorge serrée.

— Maria avait de terribles brûlures. Elle savait qu'elle était en train de


mourir mais elle pouvait encore parler. Elle m'avait attendu car elle voulait
me dire... me dire elle-même ce qu'il fallait donner à son fils, ce qu'il
aimait...

— C'est le papier que vous lisiez tout à l'heure?

Il hocha la tête avec tristesse.

— Je voyais souvent Maria et Rico mais je ne sais absolument pas comment


ils vivaient au quotidien avec Guido. Et surtout, je n'ai jamais songé à avoir
d'enfants...

— Y a-t-il quelqu'un d'autre ?

— Non. Mes parents sont morts également.

— Et la famille de son mari...

La jeune Australienne vit le visage d'Elijah se durcir brusquement.

— Jamais ! jeta-t-il violemment. Ils seront bientôt là. Ils réclameront Guido
mais au fond, ils se moquent pas mal de leur petit-fils.

— Mais vous venez de dire qu'ils le réclameraient ? demanda Ainslie en


fronçant les sourcils.
Elijah engloba les meubles qui les entouraient d'un geste de la main.

— C'est cela qu'ils veulent. Plus l'argent de l'assurance et la propriété de


Maria et Rico en Italie.

Il vida sa tasse d'un trait.

— Et au cas où vous vous poseriez la question, je n'ai aucun besoin de tout


cela... Ni d'un petit garçon qui crache.

Malgré son chagrin, il réussit à sourire à ce souvenir.

— J'espère que Rico avait compris que je l'aimais vraiment beaucoup,


ajouta-t-il d'un air pensif comme s'il se parlait à lui-même.

— Vous devriez essayer de vous reposer, lui conseilla Ainslie.

— Pourquoi ? demanda-t-il en la regardant. Les choses ne se seront pas


améliorées demain matin.

— Peut-être que..., commença-t-elle.

Mais elle s'interrompit, consciente qu'Elijah avait raison, que les mots né
pouvaient rien ni contre la perte des êtres aimés ni contre la douleur qu'il
devait ressentir.

Visiblement, il s'était repris, prêt désormais à affronter le défi qui se


présentait à lui. Il se leva.

— Merci de votre aide, vraiment. Maintenant, je vais me débrouiller. Puis-


je vous appeler un taxi ?

— A vrai dire..., bafouilla Ainslie en se passant nerveusement la main dans


les cheveux.

Elle avait été si accaparée par les problèmes de cet homme qu'elle en avait
oublié les siens.

— Connaissez-vous un numéro ?
— Pardon?

Il avait déjà pris le téléphone.

— Pour le taxi, connaissez-vous un numéro ?

— Je peux marcher, assura Ainslie d'une voix enrouée.

L'auberge de jeunesse d'Earl's Court devait être encore ouverte.

— Pas question ! J'insiste pour que vous preniez un taxi, insista-t-il en


s'emparant d'un annuaire. Vous allez où ?

— A l'auberge de jeunesse.

— A l'auberge de jeunesse ? répéta-t-il, l'air sidéré. Puis, fronçant les


sourcils, il la détailla des pieds à la tête, s'attardant sur son visage.

— Depuis combien de temps logez-vous là-bas ?

— Je n'y suis pas encore allée, dit-elle en haussant légèrement les épaules.
Je m'y rendais quand nous nous sommes rencontrés. Je suis australienne.

Il posa de nouveau son regard sur la mise simple mais élégante d'Ainslie,
qu'il parut apprécier d'un œil connaisseur.

— Eh bien, je voyage en première classe, mais j'avais l'air plus débraillé


que vous quand je suis sorti de l'avion.

Ainslie en doutait fort, mais elle avait compris le sens de sa remarque.

— Je ne viens pas d'arriver. Je vis à Londres depuis trois mois, précisa-t-


elle. Et je travaille — enfin, je travaillais.

— Avec des enfants ?

— Oui.

— Mais plus maintenant?


Elle secoua la tête, renonçant à s'expliquer, et lui fut reconnaissante qu'il
n'insiste pas.

— Restez, lâcha-t-il.

C'était une proposition, pas une prière. Le téléphone appuyé contre son
épaule, il la fixait tranquillement.

— Restez cette nuit. Demain, il fera jour...

Ainslie ouvrit la bouche pour refuser, mais aucun son n'en sortit.

Même si l'auberge était encore ouverte, même si elle y trouvait de la place,


elle se sentait soudain découragée à la pensée d'avoir à sourire à des
étrangers, de devoir partager leur intimité dans une chambrée de six ou huit
tout en sachant qu'il allait lui falloir tout recommencer.

— Restez ! répéta Elijah d'une voix plus ferme. Pour Guido.

— Très bien, c'est d'accord, murmura finalement Ainslie avec un faible


sourire.

3.

Bien qu'il ne l'ait jamais dit, Ainslie avait compris qu'Elijah ne voulait pas
rester seul.

Les nerfs à vif après les événements de la journée, totalement exténuée, elle
s'assit sur le sofa et replia ses jambes sous elle en étouffant un bâillement.
Son hôte servit deux cognacs dans de ravissants petits verres joufflus. Bien
qu'elle n'apprécie pas particulièrement cet alcool, elle l'accepta et la chaleur
du liquide ambré se diffusa bientôt dans tout son corps. Presque
immédiatement, elle se sentit agréablement détendue.

— Vous avez dit que vous travailliez avec les enfants ?

— En Australie, j'étais institutrice en maternelle. Ici, j'ai travaillé comme


nurse à domicile.
— Pourquoi ? demanda Elijah en fronçant les sourcils.

— Pourquoi pas ? répliqua Ainslie.

Il n'était pas le premier à lui poser la question. Pourquoi abandonner un


travail passionnant et un petit ami charmant pour partir à l'autre bout de la
planète gagner une misère et vivre chez des étrangers en s'occupant de leurs
enfants ?

— Que fuyiez-vous ?

— Je ne fuyais pas ! protesta-t-elle vivement.

Elijah la fixait, un petit sourire au coin des lèvres. Elle soupira.

Après tout, il s'était montré franc avec elle ; elle lui devait bien en retour un
peu de sincérité.

— Je suppose que je fuyais, en effet. Mais je ne le savais pas à ce moment-


là. J'avais un travail agréable, un fiancé idéal, tout allait bien, vraiment...

— Mais?

— Mais quelque chose clochait, répondit-elle en haussant nerveusement les


épaules. Je ne savais pas quoi exactement.

— Que voulez-vous dire ?

L'intensité du regard d'Elijah lui fit baisser les yeux. Il n'insista pas et
pendant quelques instants, elle s'abîma dans la contemplation de son verre.

— Tout le monde a dit que j'étais folle, avoua-t-elle finalement.

Que je regretterais d'être partie. Mais venir à Londres a été la meilleure


initiative que j'aie jamais prise.

— Dans ce cas, pourquoi pleuriez-vous sur le quai tout à l'heure?

Ainslie releva vivement la tête. Ainsi, il l'avait remarqué...


— Et pourquoi vous rendiez-vous dans une auberge de jeunesse à une heure
aussi tardive ? continua-t-il.

— J'ai eu un petit problème avec mon employeur..., avoua Ainslie d'un ton
désinvolte.

Cependant, les yeux intelligents d'Elijah continuaient à l'observer avec la


plus grande attention.

— Ce n'est pas grave, je trouverai autre chose, reprit-elle.

— C'est déjà fait, répliqua-t-il aussitôt. Je ne sais pas combien de temps je


vais rester ici, mais ce sera au moins jusqu'à Noël.

— Mais... vous ne me connaissez pas !

— Je ne connaîtrai pas plus la nurse que je ferai venir demain par une
agence, lui fit-il remarquer.

— La famille du père de Guido ne voudra-t-elle pas vous aider?

Ainslie le sentit se hérisser, comme quand il avait parlé d'eux un peu plus
tôt.

Elijah crispa les doigts autour de son verre. Il s'apprêtait à rétorquer que
cela ne la regardait pas mais en fut empêché par l'innocence charmante qu'il
décelait dans les yeux verts de la jeune Australienne. Elle ne le jugeait pas,
aucune trace de curiosité malsaine dans sa voix douce, il n'avait aucune
raison de la blesser par une réponse mordante. Et puis il ne voulait pas être
seul. Pour la première fois de sa vie, il ressentait le besoin de parler.

— Nos familles ne se sont jamais bien entendues. Quand Maria a


commencé à fréquenter Rico, je suis resté brouillé avec ma sœur pendant
deux ans.

— Etiez-vous proches avant cela ?

— Nous étions tout l'un pour l'autre. J'avais cinq ans quand ma mère est
morte. Notre père s'est mis à boire et il est mort alors que j'avais douze ans.
Troublé, il but une gorgée de cognac. Il n'avait jamais parlé de cela à
personne... Il avait du mal à croire que les mots avaient franchi ses lèvres.
Les yeux d'un vert jade ne quittaient pas les siens. Ses cheveux blonds
étaient secs à présent, formant des boucles sur ses épaules.

— Nous nous sommes élevés nous-mêmes, continua Elijah.

Nous avons fait des choses dont je ne suis pas fier aujourd'hui.

Mais à l'époque...

S'interrompant un instant, il haussa les épaules avec regret.

— Il y avait une famille dans notre village, les Castella. Ils étaient aussi
rustres que nous et recherchaient la même chose : de l'argent pour survivre.
Je suppose qu'on pourrait dire que nous étions rivaux. Un jour, le frère aîné
de Rico, Marco, est venu faire... disons des avances à Maria.

Un violent frisson le parcourut à ce souvenir.

— Elle avait treize ans. C'était une fille sage, une enfant douce et innocente.
C'est moi qui faisais le sale boulot — les escroqueries et les vols — pendant
qu'elle allait à l'école. Maria a toujours haï Marco pour ce qu'il lui avait fait
; elle ne voudrait certainement pas qu'il s'occupe de Guido.

— Ainsi, il ne s'agit pas d'une histoire de vengeance ?

— Je me suis vengé le jour où c'est arrivé, avoua Elijah d'une voix sombre.
Je l'ai passé à tabac.

— Et depuis, la haine n'a fait qu'augmenter entre vous ?

demanda Ainslie.

Mais il ne répondit pas directement.

— Un jour, j'avais dix-sept ans, j'étais devant un café, observant un couple


de riches touristes. J'attendais qu'il fasse plus sombre, qu'ils aient pris
encore quelques verres et ne fassent plus trop attention à leurs portefeuilles.
Tout à coup, je les ai entendus parler au serveur dans un italien très correct.
Ils voulaient prendre leur retraite, lui expliquaient-ils, et cherchaient une
propriété...

Il sourit à ce souvenir.

— Il n'y avait pas d'agence immobilière dans notre petit village de Sicile à
l'époque. Ce n'était pas un endroit très fréquenté par les touristes. Je ne
voulais pas continuer à vivre comme un hors-la-loi. Et ce jour-là, j'ai
compris ce que je pouvais faire pour m'en sortir.

Elijah s'interrompit un instant pour observer la jeune femme.

Aucune réprobation dans son regard, aucun reproche sur les traits de son
visage. Et quand il avait dit qu'il avait volé, elle n'avait même pas froncé les
sourcils... Cela lui donna la force de continuer.

— J'ai vendu à ces touristes la maison de mon grand-père, qui était mort
depuis longtemps et dont Maria et moi avions hérité.

Pour nous, ce n'était qu'une vieille bicoque sans intérêt. Nous l'avons
nettoyée et repeinte, nous avons ciré les planchers, et Maria a cueilli des
fleurs pour décorer l'intérieur. J'avais compris ce que ces gens voulaient et
je le leur ai proposé.

— Vous la leur avez vendue?

— Oui, approuva Elijah. Ensuite, j'ai vendu notre propre maison. Avec cet
argent, j'ai acheté d'autres propriétés — à l'époque, ce genre de maisons ne
valait pas grand-chose —, puis j'ai quitté le village et je me suis attaqué à de
plus grands projets. Les Castella, eux, en étaient toujours à voler sur la
plage. A chacun de mes nouveaux succès, ils nous haïssaient un peu plus, et
nous le leur rendions bien.

— Vous êtes un vrai agent immobilier? l'interrogea Ainslie.

Elle se demanda pourquoi sa question le faisait sourire.


— Je suis un promoteur immobilier. J'achète de belles maisons dans le
monde entier, des maisons comme celle-ci, et je n'en garde que l'extérieur.
Je laisse les murs et j'en fais des appartements.

— Oh...!

Ainslie regarda autour d'elle le vaste salon, les moulures superbes et la


majestueuse cheminée en marbre. Quel dommage que tout cela puisse être
détruit !

— Evidemment, j'essaie de garder le plus d'éléments originaux possible !


affirma-t-il avec un sourire ironique en suivant son regard désolé.

— Quelle délicatesse..., murmura Ainslie d'un ton moqueur.

— En tout cas, Maria est tombée amoureuse de cet endroit.

— Et elle est également tombée amoureuse de Rico ?

Après un long moment, il hocha la tête.

— J'étais furieux, et les Castella aussi. Personne n'est allé à leur mariage...

Ainslie sentit la pointe de regret qui avait affleuré dans la voix d'Elijah.

— Maria travaillait encore pour moi à ce moment-là, et elle entretenait son


mari. Je lui répétais sans cesse qu'il profitait d'elle mais petit à petit, j'ai
compris qu'ils s'aimaient vraiment.

Et effectivement, malgré ce que son frère lui avait fait, elle aimait Rico.
Alors nous avons recommencé à nous parler et j'ai compris combien la
situation était dure pour eux. La famille de Rico rendait Maria responsable
de la réputation souillée de Marco. Ils disaient qu'elle l'avait cherché, que
c'était elle qui l'avait provoqué...

— Elle n'avait que treize ans !

— C'était plus facile de rejeter le blâme sur elle que d'accepter le


déshonneur. Rico était mécanicien et sa famille tient le seul garage du
village ; il ne pouvait donc plus travailler. Je savais que s'ils ne quittaient
pas la région, ils ne pourraient jamais se dépêtrer du passé. Comme Maria
parlait un peu l'anglais, je leur ai proposé de venir s'installer ici pour
quelque temps. J'avais acheté la maison meublée et je lui ai dit qu'elle
pourrait surveiller les travaux, aider les architectes, jusqu'à ce que les
appartements soient prêts à être loués. Ce qui n'est jamais arrivé.

A cet instant, il sourit.

— Les travaux ont commencé, mais pas ceux que j'avais prévus. Rico a
trouvé du travail tout de suite et ils ont décidé de rester à Londres. Je venais
souvent les voir...

— Vous viviez ici ?

— Non, je vis principalement en Italie. Mais je viens une ou deux fois par
mois. A chacune de mes visites, je remarquais que cette maison devenait de
plus en plus la leur : de nouveaux coussins sur les sofas, un tapis, des
luminaires... Quand Maria est tombée enceinte, elle a commencé à parler
d'une fresque dans la chambre d'enfant et lorsque Guido est né, j'ai décidé
de leur offrir la maison. Une sorte de cadeau de mariage à retardement.

— Un cadeau de mariage !

— Oh, cela aurait aussi fait office de cadeau de Noël !

Ainslie sourit. Elle n'y connaissait rien en matière d'immobilier mais savait
que Londres était une ville horriblement chère. Elle pensait qu'Angus et
Gemma vivaient dans le luxe et pourtant, leur maison ressemblait à une
cabane en comparaison de ce petit manoir en plein cœur de Londres.

Subitement intimidée, elle regarda l'homme assis à côté d'elle sur le sofa.
Normalement, elle n'aurait dû le voir qu'à la télévision, ou en photo dans un
magazine people.

Ses cheveux noirs étaient épais et brillants, son nez droit, et une lueur
légèrement lascive dansait dans ses yeux bleus. Mais ce qui la touchait plus
que la beauté de ses traits bien dessinés, c'était la façon dont les
commissures de ses lèvres pleines et sensuelles remontaient légèrement
quand il souriait.

Cette bouche avait quelque chose de tendre qui adoucissait son visage fier.
Elle attirait irrésistiblement le regard d'Ainslie.

Elijah Vanaldi était vraiment très bel homme — tout simplement le plus
séduisant qu'elle ait jamais rencontré, constata-t-elle.

— Cela m'avait semblé juste qu'elle ait cette maison. De cette façon, je
pouvais continuer à prendre soin d'elle. Après tout, Maria est ma sœur—
était ma sœur..., corrigea-t-il d'une voix rauque.

— Elle l'est encore..., affirma doucement Ainslie. Et elle le restera toujours.

— Cet endroit était leur maison. Ce sera celle de Guido désormais.

— Comment allez-vous faire ?

— Je ne sais pas encore.

Il contempla le fond de son verre presque vide.

— Marco et sa femme, Dina, ne l'ont jamais vu. Ils n'ont jamais joué aucun
rôle dans sa vie. Et pourtant, maintenant que Rico et Maria sont morts, ils
prétendent qu'ils veulent s'occuper de lui...

— Et vous, vous vous en occupiez ?

— Je ne l'ai jamais gardé, je ne l'ai jamais changé..., répondit Elijah. Mais je


téléphonais à ma sœur presque chaque jour. Et comme je vous l'ai dit, je
viens à Londres une ou deux fois par mois, et je passais toujours ici. Je fais
partie de sa vie. Mais je n'ai jamais pensé que je deviendrais responsable de
lui un jour.

— C'est peut-être la même chose pour Marco et Dina, avança Ainslie. Peut-
être ont-ils subi un choc qui leur a ouvert les yeux...

Quand elle le vit secouer la tête, elle s'interrompit.


— Je ne leur fais absolument pas confiance.

Puis il termina son cognac avant de continuer :

— Je ne veux pas que cet homme s'approche de Guido. Il est bien la


dernière personne que Maria aurait voulu voir auprès de son fils. Je sais que
les gens peuvent changer, et je sais que le passé est le passé. Mais certaines
choses sont trop dures pour être oubliées ou pardonnées.

— Et à part eux?

— Un oncle dépravé qui brûle la chandelle par les deux bouts et qui a une
réputation de don Juan.

— Oh ! Il semble sympathique. Où est-il ?

— A côté de vous.

Ainslie éclata de rire, et celui d'Elijah lui fit écho. Mais il s'éteignit presque
aussitôt.

— Malheureusement, même si je suis persuadé que Marco et Dina ne sont


vraiment pas les bonnes personnes, je ne suis pas sûr de convenir à Guido
moi non plus. Mon style de vie ne s'accorde pas avec les besoins et le
rythme d'un enfant. Bien sûr, je peux subvenir à tous ses besoins, lui offrir
les meilleures conditions de vie mais...

Mais cet enfant méritait beaucoup plus que cela, et ils le savaient tous les
deux.

— Il serait temps de devenir adulte, je suppose ! s'exclama Elijah en


reposant son verre. Ou bien d'essayer de trouver le moyen de mettre de côté
les vieilles rancunes.

Il s'était levé, imité par Ainslie.

— Vous trouverez une solution, j'en suis sûre.

— Sans doute, mais pas ce soir..., répliqua-t-il en se dirigeant vers l'escalier.


Elle le suivit.

— Il y a une chambre d'amis ici, annonça-t-il en arrivant au premier étage.


Et il y en a une autre là.

Il avait poussé deux portes l'une après l'autre.

— Vous pouvez choisir.

— Ça m'est égal...

Le hasard lui attribua une jolie chambre jaune et blanche, dans laquelle elle
déposa son sac à dos.

— Je vais juste aller jeter un coup d'œil à Guido, annonça-t-elle.

Elle entra dans la chambre du garçonnet sur la pointe des pieds, Elijah sur
ses talons. Ils baissèrent tous les deux les yeux sur le petit garçon endormi.
Son teint était plus clair à présent, et il suçait son pouce, l'air paisible et
confiant. Les larmes affluèrent sous les paupières d'Ainslie. Il était en
sécurité, bien au chaud, mais si seul désormais, privé des deux personnes
qui l'avaient aimé plus que tout au monde.

— Qui se lèvera s'il se réveillé ? demanda son oncle quand ils furent sortis
de la pièce.

Son inquiétude fit sourire Ainslie, d'autant qu'il semblait si épuisé qu'elle
doutait que des cris d'enfant réussissent à le tirer de son sommeil.

— Je me lèverai, le rassura-t-elle. Vous devriez essayer de vous reposer un


peu.

Elle n'était de toute façon pas sûre de pouvoir trouver le sommeil...

En effet, à peine étendue dans ce grand lit étranger, le bruit de la douche


dans la salle de bains adjacente en bruit de fond, les idées, les hypothèses,
les questions commencèrent à graviter dans son cerveau, tournant toutes
autour de la même angoissante interrogation : qu'allait-elle faire demain ?
Ainslie savait que personne n'emploierait une garde d'enfants qui avait été
renvoyée pour vol. Même si elle parvenait à prouver son innocence, l'ombre
du doute ternirait toujours sa réputation ; elle ne serait plus jamais nurse à
Londres. Elijah lui avait certes fait une proposition, mais pour quelle durée
? Un jour ? Une semaine ?

Elle cligna des yeux dans l'obscurité. Il lui faisait confiance pour l'instant,
mais que dirait-il s'il la savait considérée comme une voleuse ?

Quand les cris aigus de Guido le réveillèrent en sursaut, Elijah s'assit dans
son lit et inspira profondément, tandis que des images de son cauchemar lui
revenaient à l'esprit.

Dans ce rêve affreux, sa sœur était en train de mourir. Le corps


horriblement mutilé, elle avait essayé de parler d'une voix semblable à un
pauvre murmure épuisé, le suppliant de l'écouter, lui répétant de ne pas
céder aux Castella s'ils réclamaient son enfant. Il avait voulu lui prendre la
main, lui dire que tout irait bien, qu'il prendrait soin de Guido. Mais sa
main... Il sentit un goût de bile dans sa bouche quand il se souvint de
l'atroce sensation.

Ce n'était qu'un cauchemar, se rassura-t-il, le corps moite de sueur, tentant


de chasser l'horrible vision de sa tête. Mais quand il reconnut l'endroit où il
se trouvait, Elijah sentit son cœur s'accélérer dans sa poitrine. Le choc le fit
bondir hors du lit. Il s'empara d'une serviette et l'enroula autour de ses
hanches avant de se précipiter vers la chambre de son neveu. Il ne s'était pas
réveillé d'un cauchemar, il en vivait un...

— Tout va bien!

Il eut l'impression d'être tombé du haut d'une falaise et d'atterrir dans des
bras doux tendus pour l'accueillir. Un doigt posé sur les lèvres pour lui
intimer de ne pas faire de bruit, Ainslie était penchée au-dessus du lit de
Guido. Elle portait un grand pyjama informe à motifs colorés. Quand elle se
redressa, la lumière de la veilleuse projeta un reflet doré sur ses cheveux
blonds. Sa voix était chaude et rassurante, pas seulement pour Guido mais
pour lui aussi.
Clemmie et Jack se réveillaient souvent la nuit et, habituée à dormir
légèrement, Ainslie avait été tirée de son sommeil au premier gémissement
de Guido. Elle était sortie sur le palier au moment où il avait commencé à
crier, si bien qu'elle avait rapidement pu le calmer. Après avoir replacé sa
couverture, comme elle s'était souvenue que Maria l'avait recommandé, elle
lui avait doucement caressé le dos. Ensuite, Elijah était apparu, hors
d'haleine.

— Il est presque rendormi, chuchota-t-elle quand il s'approcha doucement.

La jeune femme se pencha de nouveau vers l'enfant, mais ce n'était pas pour
vérifier qu'il allait bien. Elle avait en effet senti son visage s'empourprer
brusquement à la vue de son hôte, vêtu d'une simple serviette. Elle se réjouit
que la pièce soit si faiblement éclairée, tout en priant pour qu'il retourne
dans sa chambre. Mais Elijah semblait bien décidé à s'assurer que Guido se
rendormait et il restait là, juste à côté d'elle, rendant chaque seconde un peu
plus sensible la présence de son corps presque nu. Pourtant, elle avait croisé
Angus en caleçon un nombre incalculable de fois ces trois derniers mois, et
cela ne lui avait rien fait, rien du tout...

— C'est bon, il dort, souffla enfin Elijah d'une voix rauque.

Ainslie le suivit hors de la chambre, retenant un frémissement au spectacle


de ses muscles fins jouant sous la peau soyeuse et mate de son dos puissant.
Elle fit un terrible effort pour s'arracher à sa contemplation.

— Bonne nuit, dit-elle.

Il se retourna vers elle, les cheveux tout ébouriffés, toujours pas rasé, ses
beaux yeux remplis d'incertitude.

— Vous croyez qu'il sait ? Vous croyez qu'il a compris qu'ils étaient partis ?

— Je ne sais pas s'il a compris mais il sent des choses, c'est certain.

Ainslie s'était posé la même question quelques minutes auparavant, quand


elle était venue s'occuper du petit garçon.
Elle se sentait terriblement impuissante à réconforter son oncle.

— Il comprendra vite que les choses ont changé. Il sera déstabilisé et il


réclamera ses parents. Mais si son petit univers reste préservé, il ira bien.

— Se souviendra-t-il d'eux ? demanda-t-il, avant de laisser échapper un


petit rire moqueur. Mais non, bien sûr que non !

— Je ne suis pas d'accord, objecta doucement Ainslie. Il pourra regarder


des photos, des films où il verra ses parents. Je ne sais pas grand-chose sur
la façon dont les enfants vivent le deuil, mais je crois qu'on peut entretenir
la mémoire des disparus.

— Je me souviens à peine de ma mère alors que j'avais cinq ans quand elle
est morte. Et Guido n'a que quinze mois !

— Est-ce que votre père vous parlait d'elle ?

Le silence d'Elijah lui fit deviner la réponse.

— Grâce à vous, les choses pourront être différentes pour Guido, reprit-elle
simplement.

— Vous croyez?

Instinctivement, elle tendit la main vers lui, comme elle l'aurait fait envers
n'importe quel être en proie à un tel chagrin.

Mais la sensation de sa peau sous ses doigts transforma son simple geste de
réconfort en quelque chose de complètement différent. Envahie par un
trouble d'une intensité inouïe, elle sentit son regard s'abîmer dans le sien.

Elle aurait pu retirer sa main. Elle aurait pu lui souhaiter de nouveau bonne
nuit et retourner dans sa chambre. Mais elle en était incapable. Une onde
presque palpable de sensualité vibrait entre eux, s'emparant de ses sens en
un tourbillon vertigineux qui brouillait sa conscience.

Elijah ne parvenait pas à se décider à rentrer dans sa chambre.


Tout en contemplant les beaux yeux verts d'Ainslie, il essayait de se
représenter ce qu'aurait été la fin de sa journée sans la jeune femme. En
général, il trouvait toujours une solution, un plan à échafauder si la situation
n'allait pas dans son sens. Mais quand il était sorti de cet hôpital avec son
neveu dans les bras, il s'était senti écrasé par le poids des responsabilités.
Déboussolé, un peu effrayé, il n'avait entrevu aucune issue, aucune
direction à suivre. Il s'était juste cramponné à son neveu comme celui-ci
s'était accroché à lui. Et ensuite, elle était apparue au moment où il en avait
eu le plus besoin, semblable à un ange descendu du ciel pour lui porter
secours.

— Pourquoi vous êtes-vous arrêtée? demanda-t-il d'une voix sourde.

— Pourquoi ne l'aurais-je pas fait ? répliqua-t-elle. Vous aviez visiblement


besoin d'aide.

— Mais personne d'autre ne s'est proposé.

Elijah revit la scène avec précision : le quai du métro, tous ces gens qui
passaient à côté de lui sans même lui jeter un regard, qui le bousculaient
même. Elle était la seule à avoir essayé de l'aider.

Il sentit sa respiration s'accélérer de nouveau tandis que les images de son


cauchemar se superposaient à celles du métro. Il avait encore besoin d'elle,
peut-être même plus que tout à l'heure.

Puis, sans réfléchir, il se pencha vers son visage et s'empara de sa bouche.


Ce contact d'une douceur extraordinaire lui fit l'effet d'une libération,
comme s'il assouvissait un besoin d'évasion, un désir de fuite. La caresse
des lèvres sensuelles de la belle Australienne lui faisait l'effet d'un baume
tandis que les courbes pleines et délicieusement féminines pressées contre
son corps lui évoquaient le paradis.

Ainslie frissonna. Durant une seconde, elle résista au désir de lui rendre son
baiser. Tout se passait si vite, cette situation était tellement inattendue...
Mais passé la surprise, une sorte d'ivresse l'envahit et tous ses doutes
s'évaporèrent. Quand la langue d'Elijah se glissa entre ses lèvres avant de
chercher la sienne, elle songea qu'elle n'avait jamais été embrassée avec
autant d'ardeur.

Cette journée affreuse s'estompait dans les ondes de plaisir qui parcouraient
son corps. Les accusations de Gemma, la panique et la crainte qui s'étaient
emparées d'elle quand elle s'était retrouvée seule dans cette ville étrangère,
tout cela s'évanouissait au contact de la bouche d'Elijah qui dévorait la
sienne, l'apaisant et l'excitant à la fois.

Les doigts noués sur sa nuque, il l'embrassait comme si sa vie en dépendait,


comme si l'éternité soudain leur appartenait. Ce baiser ne pouvait mener
qu'à une étreinte encore plus intime, songea-t-elle confusément. Pourtant,
elle se sentait en sécurité dans ses bras virils.

Ses mains puissantes vinrent se poser sur ses reins, et il la pressa contre lui
tandis que ses lèvres quittaient sa bouche pour descendre dans son cou. Le
frôlement de son menton rugueux sur sa peau sensible la fit frémir de
plaisir. Jamais elle n'avait été désirée aussi farouchement, et jamais elle
n'avait désiré un homme avec autant de passion. Le feu courait dans ses
veines, dans son corps, jusqu'au plus profond de sa féminité.

Ainslie rouvrit brusquement les yeux. S'ils ne s'arrêtaient pas


immédiatement...

Alors, rejetant la tête en arrière, elle s'écarta de lui avec regret.

Hors d'haleine, ils se regardèrent alors un long moment.

Surprise par les réactions de son propre corps, Ainslie sentait encore
palpiter dans sa chair les sensations délicieuses qui l'avaient étourdie.

— Ne t'en va pas...

Il avait murmuré ces mots d'une voix à peine audible.

— Si, il le faut.

Elle pouvait à peine parler. Les sens affolés, elle dut faire un effort terrible
pour regagner sa chambre.
« Ce n'était qu'un simple baiser », se dit-elle quand elle fut allongée dans
son lit.

Elle porta la main à ses lèvres gonflées par les assauts de la bouche d'Elijah.

Non, il ne s'était pas agi d'un simple baiser.

Aucun baiser ne l'avait jamais laissée dans cet état, aussi perdue, aussi
abandonnée. Car effectivement, elle s'était complètement abandonnée dans
ses bras.

4.

— Quand sont-ils arrivés ?

Epuisée et encore sous le coup des événements de la veille, Ainslie


contemplait les bagages luxueux déposés dans le hall, près de la porte
ouverte de la cuisine.

— Pendant que tu dormais, répondit Elijah sans la regarder.

Vêtu d'un seul caleçon gris, toujours pas rasé, décoiffé, il partageait un bol
de céréales avec Guido — une cuillerée pour son neveu, puis une plus
grande pour lui-même. Ainslie ne put s'empêcher de remarquer combien il
était sexy.

— Je me suis arrangé hier pour qu'on m'envoie quelques affaires, reprit-il


en levant les yeux vers elle.

Avec tout ce qui s'était passé, comment avait-il pu penser à cela?

se demanda la jeune femme en entrant dans la cuisine.

— Oh... ! s'exclama-t-elle, se sentant subitement toute petite.

Contre le mur se tenait une sorte de géant, une armoire à glace tout en
muscles qui semblait devoir faire craquer les coutures de son costume au
moindre mouvement.
— J'ai aussi engagé un chauffeur, Tony. Il va s'installer au deuxième étage
et il sera à ton service quand tu en auras besoin

— si tu restes bien sûr.

— Un chauffeur à domicile !

— C'est impossible de se garer à Londres, répliqua Elijah en haussant


négligemment les épaules.

Elle ne lui en voulut pas de son petit mensonge ; après tout, elle n'avait pas
besoin de savoir qu'Elijah avait engagé un garde du corps pour veiller sur
Guido. Sans doute craignait-il que les Castella ne tentent d'enlever son
neveu.

— Et je n'aime pas marcher, ajouta-t-il. En fait, Tony vient juste de rompre


avec sa femme et il avait besoin d'un emploi logé et nourri.

— Tu n'as pas perdu ton temps.

— Je ne le perds jamais.

Elijah attendit qu'elle vienne s'installer à table pour continuer.

— Ecoute, je ne veux vraiment pas te presser, mais je dois savoir si tu


acceptes de travailler pour moi.

Leurs regards se croisèrent. Il n'avait fait aucune allusion à ce qui s'était


passé au cours de la nuit et ne montrait aucune trace de gêne. En fait, il était
si calme et maître de lui qu'Ainslie se demanda même si elle n'avait pas
rêvé.

« Ou alors c'est une question d'habitude, se dit-elle en sucrant son café. Il


cède à ses pulsions et a tout oublié le lendemain puisque pour lui, ça ne
compte pas. »

Etait-ce ce genre d'homme qui attendait de savoir si elle acceptait de


travailler pour lui ?
— Je peux prendre un peu de temps pour y réfléchir?

— Malheureusement non. J'ai déjà reçu un coup de téléphone de Mlle


Anderson, l'assistante sociale chargée de s'occuper de Guido. Elle était
plutôt irritée car, apparemment, je n'aurais pas dû l'emmener sans
l'approbation des services sociaux.

— Que lui as-tu dit?

— Qu'ils feraient peut-être mieux de remettre en question leurs procédures


plutôt que de s'en prendre à moi ! répondit-il avec un sourire crispé. Elle ne
l'a pas très bien pris !

— Je veux bien te croire..., laissa-t-elle tomber avec un sourire ironique.

— Une mauvaise nouvelle n'arrivant jamais seule, j'ai appris que Marco et
sa femme étaient arrivés. Ils ont officiellement demandé la garde de Guido.
L'assistante sociale va venir me voir ce matin. Ce serait très judicieux de lui
annoncer que j'ai déjà trouvé quelqu'un pour s'occuper de lui. Si je sais que
tu ne veux pas travailler pour moi, je pourrai au moins appeler une agence
afin de pouvoir dire à Mlle Anderson que j'ai prévu des entretiens.

— Je comprends...

Ainslie mélangea du miel dans des flocons d'avoine et essaya d'en donner à
Guido, qui refusa d'un mouvement de tête. Il préférait de loin partager le bol
de son oncle.

— ... mais je crois que cela va être impossible pour moi de travailler pour
toi, enchaîna-t-elle.

— Tu as eu une autre proposition ou tu préfères passer Noël dans une


auberge de jeunesse ? demanda-t-il sarcastiquement.

Elle ne se laissa pas démonter par son arrogance.

— Je préfère peut-être prendre quelques jours de congé plutôt que d'être


traitée comme une moins que rien et de m'occuper d'un gosse de riche ! lui
lança-t-elle avec un sourire suave.
— Tu seras bien traitée, ici. Et ce qui s'est passé ne se reproduira pas...

Ainslie sentit le rouge lui monter aux joues tandis que le frisson sensuel qui
la parcourait lui confirmait qu'elle n'avait pas rêvé...

— Tu pourrais t'installer au dernier étage et être ainsi complètement


indépendante. Nous établirions un contrat...

— Ce n'est pas la question...

Ainslie soupira. Il aurait été si facile d'accepter son offre. La pensée de


passer Noël dans une auberge de jeunesse et de chercher un nouveau travail
à cette période de l'année la déprimait à l'avance. Par ailleurs, elle savait
qu'Elijah se trouvait dos au mur et que pour l'instant, il ne chercherait pas à
savoir ce qui s'était passé chez Angus et Gemma Maitlin.

Cependant, Ainslie savait que tôt ou tard elle devrait lui donner des
explications, sans toutefois révéler ce qui s'était réellement passé.

— Il se pourrait qu'en fait, tu ne veuilles pas que je m'occupe de Guido,


commença-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

Il fronça les sourcils d'un air surpris et elle dut détourner le regard avant de
continuer.

— J'ai été renvoyée de mon précédent emploi.

— Pourquoi?

Ainslie se mordit la lèvre. Elle s'attendait à cette question, bien sûr, mais ne
savait pas comment y répondre. Dire la vérité à Elijah lui semblait déloyal
envers Angus, et surtout envers les enfants. Il lui fallait donc accepter l'idée
d'être étiquetée comme voleuse et de voir sa réputation ternie. Le dilemme
lui serrait la gorge.

A cet instant, la sonnerie de son portable troubla le silence.

Quand elle vit que l'appel provenait d'Angus, Ainslie se crispa.


Mais cette fois, il fallait qu'elle lui réponde...

— Ainslie? demanda-t-il d'une voix inquiète. Où êtes-vous?

— Je vais bien.

— Que s'est-il passé ?

— N'en parlons plus, Angus, proposa-t-elle.

Affreusement embarrassée, elle n'osait pourtant pas s'éloigner pour


poursuivre la conversation plus librement.

— Je ne comprends pas... Gemma m'a dit que des choses avaient disparu
depuis des semaines... C'est vrai ?

— Angus... Ne quittez pas...

N'y tenant plus, elle se leva et quitta la cuisine avant de refermer la porte
sur elle en soupirant. Seigneur, qu'allait-elle bien pouvoir dire à Angus ?
Comment arranger les choses pour elle sans les empirer pour lui ? C'était
une équation sans solution.

Elle ferma les yeux. Sa décision était prise.

— Vous savez que j'avais besoin d'argent, affirma-t-elle d'une voix aussi
posée que possible. Nick a cessé de payer les mensualités de l'emprunt. Je
pensais que Gemma ne remarquerait pas l'absence de quelques babioles.

— Ainslie, cela ne vous ressemble pas du tout, vous êtes l'une des
personnes les plus honnêtes que je connaisse, et les enfants vous adorent. Je
croyais que vous étiez heureuse de vous occuper d'eux...

Visiblement, il ne la croyait pas. Inspirant à fond, Ainslie essaya de se


montrer plus convaincante et raffermit sa voix tandis que les larmes
coulaient sur ses joues.

— Eh bien, je ne l'étais pas, justement ! Et j'en avais assez de voir Gemma


parader avec ses bijoux. Cela m'a rendue jalouse.
Je suis surprise qu'elle ait remarqué qu'un de ses colliers avait disparu, elle
en a tellement...

Un silence horriblement long s'installa, mais elle préférait encore cela plutôt
que d'entendre la voix d'Angus et la déception qu'elle ne manquerait pas de
contenir.

— Où êtes-vous maintenant ?

— Ne vous inquiétez pas pour moi.

— Malheureusement, je suis inquiet, soupira-t-il avec lassitude. Nous vous


devons de l'argent, sans parler de votre prime de Noël...

— Je ne travaillerai pas à Noël.

— Vous avez été formidable avec les enfants durant ces trois mois ; et vous
avez accepté de faire beaucoup de baby-sitting alors que nous vous
prévenions au dernier moment. Je préférerais faire les choses comme il faut.

La voix d'Angus était résignée.

— Ecoutez,

pouvons-nous

nous

rencontrer?

reprit-il.

J'apporterai le reste de vos affaires et — ah, je suis désolé, Ainslie, je dois


vous laisser. Gemma voudrait téléphoner. Les enfants sont très tristes. Ils
vous ont préparé une carte.

— Je suis désolée, Angus..., dit-elle d'une voix étranglée.

— Retrouvons-nous dans une demi-heure si cela vous convient.


Les yeux rouges, Ainslie retourna dans la cuisine où Elijah terminait son
café.

— C'était mon ancien employeur, expliqua-t-elle. J'ai rendez-vous avec lui.

— Pour qu'il te donne une lettre de recommandation? demanda-t-il d'un ton


ironique.

Ainslie savait exactement ce qu'il pensait — elle le lisait dans ses yeux ;
qu'elle avait eu une liaison avec Angus et que sa femme l'avait découvert.

— Je ne crois pas.

— Ton renvoi avait-il quelque chose à voir avec ton travail, avec la façon
dont tu t'occupais des enfants ?

— Non.

Une larme roula sur sa joue tandis qu'il l'observait avec attention.

— Sa femme... voulait que je parte. Elle a dit que je...

Sa voix se brisa et elle dut faire un effort surhumain pour se ressaisir.

— Ce n'est pas ce qu'on pourrait croire, ajouta-t-elle.

— Dans ce cas, que s'est-il passé? demanda sèchement Elijah.

— Je préférerais ne pas en parler.

— Tu as des dettes ?

— Tu as écouté ! s'exclama Ainslie, scandalisée.

Il se contenta de hausser les épaules.

— Quand la sécurité de mon neveu est en jeu, je n'ai aucun scrupule à


écouter aux portes.
Non seulement il l'avait espionnée mais en plus, il le reconnaissait sans
vergogne !

— Tu n'avais pas le droit !

— Je ne vois pas les choses ainsi. Certaines des meilleures décisions que
j'ai prises ont été basées sur des informations que d'autres auraient préféré
que j'ignore. Alors, je te pose de nouveau la question : as-tu des dettes ?

Ainslie hocha misérablement la tête.

— Je comptais sur ma prime de Noël pour faire un versement.

— Et ce Nick est ton petit ami ? Vous avez des dettes en commun ?

— Mon ex-petit ami, précisa-t-elle. Et j'ignorais l'existence de ces dettes !


Voici quelques semaines, j'ai découvert qu'il avait fait un emprunt à nos
deux noms pendant que nous étions ensemble. Je n'en savais rien jusqu'à ce
que je reçoive une lettre de la banque parce qu'il n'avait pas payé les deux
dernières mensualités. Je l'ai appelé plusieurs fois, mais il ne semble pas
avoir l'intention de les régler.

— Eh bien, maintenant tu sais au moins pourquoi tu l'as quitté... Il n'avait


pas le droit de faire cela. Tu as pris contact avec un avocat?

— Cela me coûterait probablement plus cher que de rembourser l'emprunt.


Il vaut mieux que je continue à payer pour l'instant.

— Donc tu as avoué avoir commis un vol alors que tu es innocente.


Pourquoi ?

Elle leva les yeux vers les siens et rougit sous l'intensité de son regard.

— Que veux-tu dire ? Si tu as bien écouté, tu as dû m'entendre dire que


j'avais effectivement volé.

— Les voleurs ne reconnaissent jamais leur délit. Je le sais parce que j'en
étais un. Et je sais aussi que tu n'es pas une voleuse.
Qu'il la croie innocente lui fit de nouveau monter les larmes aux yeux.

— Alors, pourquoi as-tu menti ? insista-t-il.

— C'est compliqué...

Ainslie se passa nerveusement la main dans les cheveux. La perspicacité et


les questions d'Elijah la mettaient mal à l'aise.

Elle était tellement tentée de lui dire la vérité... Pourtant elle savait qu'elle
ne le pouvait pas. Mais le simple fait qu'il ait d'elle une opinion positive lui
causait un étrange réconfort.

— Angus est médecin. Un médecin très célèbre : il passe à la télévision, on


parle de lui dans les journaux. Quand j'ai été embauchée, j'ai signé un
contrat... Je leur ai promis que...

Elle secoua la tête. C'était sans espoir.

— Ecoute, reprit-elle. Je suis désolée de ne pouvoir répondre à tes questions


et je comprendrais que tu retires ta proposition. Je dois aller retrouver
Angus à présent. Est-ce que je peux laisser mes affaires ici pendant une
heure ou deux ?

Mais il ne disait toujours rien, se contentant de la fixer de son regard


perçant. Elle aurait donné n'importe quoi pour qu'il rompe ce silence
horriblement gênant.

Elijah avait clairement conscience du malaise d'Ainslie. Il aurait pu abréger


son supplice en lui avouant qu'il avait déjà pris sa décision. Car quoi qu'il se
soit passé ou qu'il se passe encore entre elle et son ancien patron, la jeune
femme n'en avait rien dit. Pour un homme comme lui, cette discrétion
constituait une aubaine rare. Sans compter que la jeune nurse représentait,
entre autres choses, un atout considérable pour gagner sa cause auprès de
Mlle Anderson.

— L'assistante sociale va bientôt arriver, dit-il enfin. Je te dirai ce que j'ai


décidé à ton retour.
— Votre style de vie ne convient vraiment pas à un enfant aussi jeune,
affirma de but en blanc Mlle Anderson. Je suis tout à fait consciente que
vous avez les moyens de proposer des conditions matérielles très
confortables à Guido, mais ce n'est pas cela que nous recherchons pour lui.
Son oncle Marco et sa femme ont déjà deux enfants et ils...

— Ma sœur a été très claire, l'interrompit Elijah. C'est à moi qu'elle voulait
confier son fils.

— Votre sœur était mourante quand elle a exprimé ce souhait, répliqua


l'assistante sociale d'une voix légèrement plus douce.

Elle était dans un état de souffrance physique et émotionnelle extrême... Et


si ses désirs doivent bien sûr être pris en considération, il ne faut pas oublier
ceux de son mari.

— Il aurait dit la même chose.

— Nous ne pouvons pas le savoir.

« Je le sais, moi ! » aurait voulu hurler Elijah. Mais il se retint.

S'il voulait obtenir gain de cause, il devait contrôler ses émotions. Dès qu'il
avait rencontré Mlle Anderson la veille, à l'hôpital, il l'avait trouvée
antipathique. Habituellement, Elijah parvenait à charmer n'importe quelle
femme, mais il avait rapidement compris que cela ne marcherait pas avec
celle-ci.

— Rico ne parlait plus à sa famille, dit-il simplement. C'est pour cela que
Maria et lui vivaient à Londres. Ils voulaient être loin des Castella.

— Ce n'est pas ce qu'eux m'ont dit.

Il ouvrit la bouche pour protester mais elle le devança :

— Nous n'allons pas perdre de temps à savoir qui a dit quoi.

En l'absence d'instructions écrites de ses parents, la meilleure attitude à


adopter est de chercher à servir au mieux les intérêts de leur enfant. C'est
notre souci majeur.

— C'est également le mien !

— Cela ne semblait pas être le cas hier ! affirma Mlle Anderson. Vous êtes
parti de l'hôpital en emmenant Guido...

— Il n'avait aucune raison d'être là-bas. Il n'avait pas été impliqué dans
l'accident et en plus, il souffrait d'une otite.

Quelle était l'utilité qu'il reste auprès de sa mère qui venait de mourir?

— Sa garde immédiate était supposée être décidée avant qu'on ne


l'emmène.

— C'est mon neveu, répliqua Elijah avec colère. A vous entendre, on dirait
que je l'ai enlevé et que je l'ai maltraité !

Alors que j'avais averti le médecin de l'hôpital de mes intentions, et que


celui-ci m'a lui-même prescrit un médicament pour Guido.

— Je suis sûre que vous pouvez vous montrer très intimidant quand vous le
désirez ! rétorqua Mlle Anderson en soutenant son regard. Nous avons
besoin du passeport de Guido...

— Eh bien, cherchez-le ! Je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où il se


trouve.

— Très bien. Voudriez-vous m'aider?

Comme par hasard, le passeport se trouvait dans le second tiroir qu'elle


ouvrit, dans le buffet, parmi des photos de mariage et des papiers officiels.
Elijah serra les lèvres. Il avait fait venir ses vêtements, il avait engagé un
prétendu chauffeur et une nurse, tout cela pour donner l'impression qu'il
envisageait de rester — alors qu'il comptait s'en aller avec Guido aussitôt
après les funérailles.

Avec ses avocats et ses puissantes relations, il aurait mis fin à ces
tracasseries administratives en quelques jours. Pendant un bref instant, il
s'en voulut de ne pas s'être rendu à l'aéroport dès son réveil. Désormais,
sans le passeport de Guido, c'était impossible.

— Il devrait rester ici, vous ne pensez pas ? proposa-t-il en désignant le


vaste salon d'un geste de la main. Dans son environnement familier. Au
moins dans un premier temps, jusqu'à ce qu'une décision officielle soit
prise.

— C'est une grande maison...

— Elle m'appartient.

— Pardon ? demanda Mlle Anderson en fronçant les sourcils avant de


baisser les yeux sur son carnet. Les Castella m'ont dit qu'elle appartenait à
Maria et Rico depuis peu.

Eh bien, les nouvelles allaient vite, songea-t-il. Mais s'il était sûr de la
loyauté de ses avocats, d'autres personnes avaient eu affaire au dossier. Il
n'avait sans doute pas été difficile aux Castella d'obtenir l'information d'une
secrétaire...

Soudain, une pensée lui traversa l'esprit. Sans réfléchir, il la formula à voix
haute :

— Ne trouvez-vous pas cela curieux que quelques semaines après

que

Maria

et

Rico

sont

devenus

légalement
propriétaires...

— Monsieur Vanaldi, l'interrompit l'assistance sociale. La police a affirmé


qu'il s'agissait d'un accident. Et de toute façon, les Castella se trouvaient en
Italie quand il s'est produit.

Elijah était conscient que son attitude devait sembler complètement


irrationnelle, mais cette femme ne connaissait pas les Castella ; elle ne
savait pas jusqu'où ils étaient prêts à s'abaisser. Néanmoins, il n'insista pas.

— Je suis fatigué, c'est tout..., coupa-t-il court.

— Bien sûr.

— Mais nos deux familles ne s'entendaient vraiment pas..., reprit-il


prudemment. Cela ne serait pas bon pour Guido de se trouver mêlé à nos
conflits en ce moment.

— Eh bien si vous n'êtes pas prêt à mettre vos différends de côté, je vais
devoir faire le choix à votre place. Et franchement, monsieur Vanaldi, votre
style de vie...

Elle fit une moue désapprobatrice.

— Yachts, voyages internationaux, résidences partout, soirées de gala,


nombreuses sorties...

S'interrompant un instant, elle toussa nerveusement.

— Et il semble que vous ayez à votre actif de nombreuses conquêtes


féminines, continua-t-elle. Tout cela ne me semble pas constituer un
environnement très stable pour Guido. En revanche, les Castella ont affirmé
qu'ils étaient prêts à venir s'installer en Angleterre s'il le fallait. Ils sont
disposés à faire tout leur possible pour procurer un foyer agréable et
affectueux à leur neveu.

— Seul le fric les intéresse !


— Monsieur Vanaldi ! s'exclama Mlle Anderson, visiblement choquée. Ce
n'est pas ainsi que vous ferez avancer les choses. De toute façon, ce ne sont
pas les conditions matérielles dans lesquelles Guido sera élevé qui me
préoccupent.

Elle avait raison, songea-t-il en la regardant silencieusement.

L'éducation de son neveu n'était pas une question d'argent. Et son style de
vie insouciant ne convenait pas à Guido. Ses yeux allèrent se poser sur les
photos qui ornaient le dessus de la cheminée. Les visages souriants de sa
sœur et de son mari l'envahirent d'une tristesse infinie.

Ce qui s'était passé entre Marco et Maria avait changé Elijah.

Il avait alors compris que sa vie n'était pas celle dont il rêvait. Il s'en était
sorti et les Castella l'avaient haï pour cela. Et ils avaient haï également
Maria. Quand Rico s'était rallié aux Vanaldi, ils l'avaient haï à son tour. Et à
présent, ils s'intéressaient subitement au bien-être de Guido... !

Il aurait été si simple de laisser l'assistante sociale prendre la mauvaise


décision... Dans l'écoute-bébé, il entendit Guido s'agiter et serra les dents en
redoutant les cris qui allaient rapidement s'ensuivre.

— Je n'ai pas l'intention de m'en aller, mademoiselle Anderson. Je


n'abandonnerai pas mon neveu. Vous pouvez faire vos recherches et trouver
autant de saletés sur moi que vous voulez, mais je peux vous éviter cette
peine et vous le dire moi-même. J'ai un casier judiciaire, principalement
pour de menus larcins et des bagarres, mais il n'y a rien eu depuis mes dix-
sept ans. Par contre, je ne suis pas sûr que ce soit le cas de Marco Castella.
J'ai un style de vie décontracté, c'est vrai, et probablement pas idéal pour
m'occuper d'un enfant de quinze mois. Cependant, étant donné que je ne
savais pas que j'allais en élever un, je ne pense pas que cela puisse être
retenu contre moi. Et, oui, il y a eu de nombreuses femmes dans ma vie.
Mais, comme je viens de vous le faire remarquer, je ne vivais alors pas avec
Guido. Je n'ai pas peur de devoir lutter pour...

— Je vous rappelle qu'au milieu de cette lutte, l'interrompit Mlle Anderson


avec colère, il y a un enfant.
Il ne l'avait pas oublié. A aucun instant. Il était assez honnête envers lui-
même pour savoir qu'il n'était peut-être pas la personne idéale pour élever
son neveu, mais entre les Castella et lui, il n'avait aucun doute : il était le
seul choix possible.

Guido pleurait à présent, réclamant sa mère. Sans s'excuser, Elijah se


précipita vers l'escalier. Quand il s'approcha du lit de l'enfant, celui-ci
hurlait et toussait. Ayant entendu quelqu'un s'approcher, l'enfant tendit les
bras mais quand il s'aperçut que c'était son oncle, il les baissa. Puis il
sembla se raviser et les tendit de nouveau pour qu'Elijah le prenne.

« Que veux-tu que je fasse ? » lui demanda mentalement Elijah. Et quand il


plongea son regard dans les yeux bleus de l'enfant, il sentit quelque chose
frémir en lui. Il se revit lui-même, non désiré, ignoré, refoulé.

— Che cosa lo desiderate fare ?

Cette fois, il l'avait dit à voix haute, même s'il ne s'attendait à aucune
réponse.

Serrant le petit corps chaud contre lui, il sentit l'enfant blottir sa tête dans le
creux de son épaule. Le poids des responsabilités qu'il tenait dans ses bras
était si lourd qu'il tressaillit malgré lui.

Elijah sut à cet instant qu'il désirait plus que tout offrir à son neveu le
bonheur que Maria aurait voulu pour lui.

Ses yeux errèrent sur la coiffeuse de sa sœur avant de s'arrêter sur une
coupe de verre de Venise. Tendant la main, il y prit une bague, un anneau en
or bon marché, incrusté de petits morceaux de verre rouge. La bague de sa
mère. En dépit de ce qu'il avait dit à Ainslie la veille, en dépit de ce qu'il
avait effectivement cru, il ne l'avait pas oubliée. Pour la première fois
depuis bien longtemps, il se souvint de sa mère en train de faire la cuisine,
riant, chantant, et il se rappela la courte période durant laquelle sa vie avait
été facile.

— Da ! s'exclama Guido en désignant la fenêtre du doigt.


Elijah sourit en voyant les premiers flocons de neige tourbillonner dans le
ciel gris. Il se dirigea vers la fenêtre et les regarda se transformer en eau
avant même d'avoir atteint le sol.

Soudain, il aperçut Ainslie traînant une grosse valise derrière elle. Avec ses
cheveux blonds mouillés et ses vêtements trop légers pour la saison, elle ne
ressemblait en rien à l'aventurière froide et sans scrupules qu'il avait
entendue au téléphone ce matin-là. Il ne voulait pas que cette femme fragile
et généreuse passe Noël seule perdue dans Londres.

Il sentit une certitude étrange s'emparer lui.

— Leçon numéro un, dit-il en étendant Guido sur la table à langer,


s'apprêtant à changer la première couche de son existence. Parfois, il faut
remettre sa vie en question, mon garçon !

Mlle Anderson esquissa un sourire en entendant la voix qui sortait de


l'écoute-bébé. Elle revint à ses notes. Cet homme était sans doute un fieffé
play-boy, mais il savait également se montrer très persuasif. Elle avait eu la
ferme intention de lui annoncer qu'au moins pour Noël, Guido resterait avec
les Castella. Elle leur avait parlé avant de venir et devait les recevoir à son
bureau dans l'après-midi.

Mais au ton étonnamment tendre d'Elijah Vanaldi — même quand il


exhortait en jurant son neveu de cesser de gigoter —, elle comprit qu'il ne
jouait pas la comédie.

Quand l'enfant se mit à gazouiller et à rire alors que son oncle le grondait en
plaisantant pour l'odore, elle sentit quelque chose basculer en elle.

Sa tâche déjà difficile se compliqua davantage. Les choses n'allaient pas


être aussi simples qu'elle ne l'avait d'abord pensé...

« Quel sale temps ! » songea Ainslie. Depuis son arrivée en Angleterre, elle
avait souhaité que la neige tombe pour Noël, lui offrant l'image mythique de
Londres scintillante et immaculée.
Mais maintenant qu'elle tournoyait autour d'elle, mouillant sa veste trop
légère et lui mordant les joues, la neige tant attendue l'irritait
prodigieusement...

Angus s'était montré adorable, ce qui avait rendu la situation encore plus
douloureuse. Il lui avait donné plus d'un mois de salaire, sa prime de Noël,
et était même allé jusqu'à lui préparer une lettre de recommandation.

Sur le chemin du retour, Ainslie s'était arrêtée à l'auberge de jeunesse. On


lui avait annoncé qu'elle partagerait un dortoir commun si une place se
libérait plus tard dans la journée. Le lieu semblait aussi animé et agréable
que l'annonçait son guide, mais c'était bien le dernier endroit qui l'attirait
pour le moment.

Après l'enfer qu'elle venait de traverser, elle rêvait d'un refuge plus
tranquille, où elle pourrait panser ses blessures et faire le point calmement
sur sa situation. Mais où aller? Avec un budget limité, et sans l'espoir de
trouver rapidement du travail en cette période de fêtes, elle n'avait pas
beaucoup d'options.

Tout en tirant sa valise sur les marches du perron, Ainslie se résolut à


demander à Elijah si sa proposition tenait toujours, au moins pour quelques
jours.

Préparant mentalement ce qu'elle allait lui dire, elle se redressa mais, avant
qu'elle n'ait eu le temps de sonner, la porte s'ouvrit toute grande.

Sans lui laisser le temps de comprendre ce qui lui arrivait, Elijah l'attira
dans ses bras, alors que Guido accourait dans le hall, vêtu d'une couche qui
lui tombait des fesses et d'un T-shirt mis à l'envers.

— Tu as été partie une éternité !

— Vraiment? répondit-elle machinalement.

— Et tu es toute gelée...
Stupéfaite, Ainslie ne put que le laisser déboutonner sa veste avant de l'ôter.
x

— Elijah, que...

Mais elle ne put terminer sa phrase. Il avait appuyé sa bouche sur la sienne
et la serrait contre lui. Puis il l'adossa au mur et, la couvrant toujours de
baisers, il prit ses mains entre les siennes.

Quand Ainslie retrouva ses esprits et voulut parler, il la fit taire en reprenant
possession de ses lèvres. En même temps, elle sentit qu'il lui passait une
bague au doigt.

Submergée par la passion avec laquelle il dévorait sa bouche, elle fut


traversée par une nuée de sensations plus déstabilisantes les unes que les
autres et eut un mal fou à reprendre son sang-froid.

Quand elle réussit finalement à le repousser doucement et à s'écarter, elle le


regarda dans les yeux et y lut une prière muette.

Elle constata alors qu'une femme d'une quarantaine d'années s'avançait vers
eux dans le hall. S'agissait-il d'une tante découverte par Elijah ? se
demanda-t-elle en se penchant pour prendre Guido dans ses bras. Des
parents de Guido étaient-ils arrivés en son absence ? Ou s'agissait-il d'une
voisine ? Toutes ces pensées se succédèrent dans son cerveau tandis qu'elle
tendait la main à l'inconnue.

— Mademoiselle Anderson, dit Elijah. Je vous présente Ainslie.

— Etes-vous la nurse ?

A cet instant, la jeune femme se souvint de la visite annoncée de l'assistante


sociale.

— La nurse ? répéta Elijah avec un petit rire incrédule. Dieu merci, non. Je
ne vous l'ai pas dit ? Ainslie est ma fiancée.

5.
— Votre fiancée ? Vous êtes fiancé ? Mais pourquoi diable ne me l'aviez-
vous pas dit?

L'expression un peu revêche de l'assistante sociale avait disparu en un


instant.

— Je n'y avais pas pensé...

Elijah tenait toujours la main d'Ainslie et gardait les yeux rivés aux siens, la
mettant presque au défi de le contredire.

— Excusez-moi, reprit-il en se tournant vers l'assistante sociale. Bien sûr, il


est important que vous sachiez ce genre de détail. Mais je... j'ai été... nous
avons été confrontés à tellement d'imprévus ces jours-ci.

— Et que pense votre fiancée de... ? commença-t-elle avant de se tourner


vers Ainslie. Excusez-moi, je ne me suis pas présentée. Je suis Rita
Anderson, l'assistance sociale chargée de s'occuper du cas de Guido. Nous
étions en train de discuter de la garde à court terme de cet enfant, avant de
prendre une décision définitive.

— Ainslie Farrell.

Au moment où elle reposait Guido, qui commençait à gigoter dans ses bras,
elle vit Rita Anderson contempler d'un air étonné la bague qu'Elijah lui
avait subrepticement passée au doigt.

En effet, il y avait de quoi être surpris, constata Ainslie en regardant pour la


première fois l'anneau. Elle se demanda où Elijah avait été dénicher cette
bague presque fantaisie, un choix plutôt inhabituel de la part d'un
milliardaire.

— C'était celle de ma mère, expliqua-t-il.

Cette explication eut pour effet d'attendrir Mlle Anderson.

— C'est tout à fait charmant ! s'extasia-t-elle. Et depuis combien de temps


êtes-vous fiancés ?
— Depuis quelques semaines, répondit Elijah avec aplomb.

— Et que pense votre fiancée de cette situation ? demanda l'assistante


sociale en se tournant vers Ainslie. Avez-vous parlé ensemble de la
possibilité de garder Guido ?

— Nous n'avons pas eu beaucoup le temps d'en discuter, avoua Ainslie en


toute sincérité. En fait...

Elle jeta un bref regard à Elijah.

— ... je suis un peu sonnée par tout ce qui est arrivé.

— Naturellement, intervint-il. Après ce choc, nous le sommes tous les deux.


Mademoiselle Anderson, nous essayons de nous adapter, de trouver les
meilleures solutions pour Guido. Pour l'instant, nous sommes persuadés
qu'il faut qu'il reste ici, chez lui, dans un cadre familier.

— Peut-être pourriez-vous me faire visiter un peu la maison ?

Mais je ne soupçonnais vraiment pas, monsieur Vanaldi, que vous étiez


fiancé !

Puis sans attendre d'y avoir été invitée, elle se dirigea vers l'escalier.

-— Moi non plus..., murmura Ainslie en reprenant Guido dans ses bras.
Elijah, tu peux m'expliquer ce qui se passe ?

— Je t'en prie, joue le jeu..., supplia-t-il à voix basse.

— Son oncle paternel et sa tante veulent le voir, évidemment. .., reprit Mlle
Anderson.

Main dans la main, ils suivirent l'assistante sociale à l'étage. Elle s'était
arrêtée devant la chambre où avait dormi Ainslie.

Evidemment, elle avait dû remarquer le sac à dos posé sur le sol et le lit à
une place.
— C'est votre chambre, Ainslie ?

— Oui, commença-t-elle avant de sentir les doigts d'Elijah se crisper.

— Nous ne nous sentions pas capables de dormir dans le lit de ma sœur,


expliqua-t-il doucement. Aussi Ainslie a-t-elle décidé de dormir dans la
chambre la plus proche de Guido.

— Avez-vous de l'expérience avec les enfants ?

— En Australie, ma fiancée est institutrice en maternelle, répondit-il avec


un large sourire.

Mlle Anderson l'inscrivit dans son carnet.

— Enfin, elle l'était avant de me rencontrer ! précisa-t-il.

A présent, ils se trouvaient dans la chambre de Maria et Rico.

Guido courait partout et ramassait ses jouets avant de les tendre à Ainslie.

— Bien, ce pourrait être bon pour Guido de rester ici dans un premier
temps, annonça Mlle Anderson. Mais les Castella...

— Certainement, coupa Elijah, c'est mieux pour lui de rester dans cette
maison ; au moins pour Noël.

Il était si sûr de lui, si persuasif, songea Ainslie en le voyant regarder


l'assistante sociale dans les yeux. Quel bluffeur...

— Si la situation était différente, je les inviterais à loger ici, enchaîna-t-il.


Mais comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nos familles ne s'entendent pas
très bien.

— Néanmoins, ils ont le droit de voir leur neveu.

— Emmenez-le maintenant.
Elijah sentit un muscle tressaillir dans sa mâchoire au moment où il
formulait cette proposition d'un ton léger. Il se félicita d'avoir engagé
Tony...

— Puisque vous avez rendez-vous avec eux, laissons-les passer un moment


avec Guido, continua-t-il. Mon chauffeur vous conduira...

— J'ai ma voiture.

— Son siège-enfant n'est pas transférable. Tony l'a installé ce matin et, vu
ce qui vient de se passer, la sécurité est mon premier souci. Emmenez
Guido pour qu'il voie le reste de sa famille et ensuite, il reviendra ici en
attendant que les services sociaux prennent leur décision.

Mlle Anderson cligna rapidement des paupières.

— Avez-vous du personnel ? demanda-t-elle en baissant les yeux sur le


linge sale qui traînait dans la salle de bains.

— Le ménage et l'entretien n'ont jamais été le fort de ma sœur, remarqua


Elijah avec un sourire d'excuse. Mais elle envisageait d'engager une
gouvernante. J'en embaucherai une aussitôt après les fêtes, sachant que je
n'ai aucune chance d'en trouver une avant.

— Cette maison est immense, remarqua l'assistante sociale en regardant les


escaliers. Combien d'étages y a-t-il ?

— Trois. J'ai installé mon chauffeur dans une chambre au deuxième, mais le
troisième est aménagé. Il conviendrait parfaitement à une nurse ou à une
gouvernante.

— Puis-je le voir?

— Bien sûr. Je vais aller chercher les clés.

Après être revenu avec un trousseau, Elijah les conduisit vers l'appartement
du troisième étage.
Il était spacieux et comportait trois pièces aménagées avec goût. Vaste et
lumineux, le salon était élégamment meublé, mais une épaisse couche de
poussière recouvrait tout. Apparemment, l'endroit n'avait pas été occupé
depuis longtemps.

— Ma sœur cherche un emploi nourri et logé, dit soudain Mlle Anderson.


Elle est extrêmement qualifiée...

— Dites-lui de m'envoyer son C.V., répliqua Elijah. Comme je vous l'ai dit,
nous chercherons quelqu'un aussitôt après les fêtes.

— Elle est disponible tout de suite. Et je suis sûre qu'elle serait ravie de
nettoyer cet appartement elle-même. Elle a de bonnes références en tant que
gouvernante et elle a aussi beaucoup d'expérience avec les enfants. A part
moi, elle n'a aucune famille. Bien sûr, vous désirez peut-être rester seul
avec votre charmante fiancée...

Mais Elijah avait compris qu'il était dans son intérêt d'accepter cette
proposition.

— Votre sœur me semble parfaite, conclut-il.

— Qu'est-ce qui t'a pris, bon sang ? s'exclama Ainslie dès que l'assistante
sociale fut partie avec Guido. Tu n'avais pas le droit de me faire passer pour
ta fiancée !

— C'est vrai, admit Elijah en la regardant des pieds à la tête d'un air
désapprobateur. Heureusement, elle a dû penser que tu avais l'air d'un
épouvantail parce que tu avais été surprise par la neige.

— Oh, je suis désolée ! répliqua Ainslie d'un ton sarcas-tique.

— Ce n'est pas la peine de t'excuser. Comme ils ne seront pas de retour


avant 16 heures, cela me laisse le temps de t'emmener faire quelques achats,
et de confier tes cheveux à des mains expertes...

L'humiliation d'Ainslie se changeait peu à peu en colère à mesure qu'elle


comprenait qu'il ne plaisantait pas. L'audace de cet homme s'avérait sans
bornes.

— Qui es-tu pour me dire ce que je dois faire ou dire et comment je dois
m'habiller ? Et qu'est-ce qui te fait croire que je vais accepter?

— Tu n'as pas de travail, pas de logement, et pas de références

! répliqua Elijah. Et, comme tu l'as avoué ce matin à ton amant au


téléphone, tu aimes les belles choses.

— Comment oses-tu ?

Tremblant de rage, elle sortit une enveloppe de son sac, l'ouvrit et lui fourra
la lettre de recommandation d'Angus sous le nez. Mais Elijah se contenta
d'éclater de rire en la lisant.

—- Et cette lettre est rédigée en termes si prudents ! constata-t-il avec un


sourire cruel. J'admets que je n'y connais rien en matière d'enfants, mais si
j'étais un père, je me demanderais pourquoi la mère n'appuie pas les dires de
son mari, et pourquoi je ne peux le contacter qu'à son numéro professionnel
et non au numéro du domicile familial...

Ainslie savait tout cela, bien sûr; mais l'entendre de la bouche d'Elijah
rajoutait du sel sur ses plaies d'amour-propre.

Relevant le menton pour masquer son humiliation, elle le toisa fièrement.

— Tu ne peux pas me faire passer de force pour ta fiancée, protesta-t-elle.

Elijah détourna brièvement le regard. Peut-être s'y était-il effectivement mal


pris. Peut-être devrait-il la faire asseoir dans le salon et lui expliquer à quel
point il se sentait désespéré. Mais soudain il imagina Guido avec les
Castella. Marco l'avait peut-

être pris dans ses bras ; peut-être l'embrassait-il à cet instant même...
Horrifié par cette vision, il dut faire appel à toute sa volonté pour rester
calme.

— Je peux me montrer extrêmement persuasif quand je le dois, affirma-t-il.


—- Je veux bien t'aider, répliqua Ainslie. Je veux bien travailler pour toi
quelques jours...

— Tu veux bien ? Ne fais pas semblant d'avoir le choix, Ainslie.

— Oh, tu te trompes...

Mue par une colère froide, Ainslie rangea la lettre d'Angus dans son sac, se
dirigea vers l'escalier et monta rapidement à l'étage, Elijah sur ses talons. Il
n'avait pas le droit de lui parler ainsi. Aucun homme, aussi riche soit-il,
n'avait le droit de lui parler ainsi.

— J'ai déjà réservé un lit à l'auberge de jeunesse ; et si je ne trouve pas de


travail rapidement, je rentrerai en Australie, affirma-t-elle en saisissant ses
vêtements avant de les fourrer dans son sac à dos. C'est moi qui t'ai aidé
hier soir, Elijah, pas le contraire !

Elle se retourna pour lui faire face.

— Je me serais parfaitement débrouillée sans toi et franchement, ça n'a pas


changé après douze heures en ta compagnie.

Elle descendit son sac au rez-de-chaussée et enfila son manteau, tâchant de


ne pas prêter attention à la poussette et aux jouets de Guido éparpillés dans
le hall à côté des chaussures de Rico et de Maria. Elle se sentait triste et
désolée pour le garçonnet. Toujours sans un mot, elle ouvrit la porte
d'entrée d'un geste brusque. A présent, la neige tombait vraiment. Earl's
Court Square était tout blanc, mais ce spectacle était beaucoup plus
attrayant vu de derrière la vitre d'une maison bien chauffée.

Bah, la colère la protégerait du froid, songea-t-elle en empoignant son sac et


sa valise et elle commença à descendre les marches. L'auberge de jeunesse
ne se trouvait pas très loin, mais ce serait déjà bien assez de distance entre
elle et cet homme arrogant et méprisant. Certes, elle lui accordait des
circonstances

atténuantes,
de

sérieux

problèmes

en

l'occurrence. Mais ce n'était pas à elle de les résoudre — elle en avait déjà
suffisamment.

— Ainslie.

Le mot sembla rester en suspens dans l'atmosphère durant quelques instants,


comme un flocon de neige, avant de venir se poser sur son cœur tandis
qu'Elijah descendait les marches et se dirigeait vers elle.

— Tu as du personnel, maintenant, lança-t-elle par-dessus son épaule en


dissimulant son trouble. La sœur de Mlle Anderson va s'occuper de Guido.
Tes affaires sont arrivées et tout va s'arranger.

— Je dois montrer à cette femme que j'ai vraiment l'intention de réinstaller


ici !

— Et donc, tu dois avoir aussi une fiancée, c'est ça ? lâcha-telle avec


véhémence en se retournant.

— Oui ! affirma-t-il avec force. Parce qu'elle était sur le point de décréter
que je n'étais pas capable de m'occuper de Guido.

Ainslie, je partage mon temps entre différentes villes, je possède des


propriétés dans toute l'Europe et je prends l'avion en première classe
comme la plupart des gens prennent le bus.

Chaque soir, je dîne dans les meilleurs restaurants, avec les femmes les plus
ravissantes du monde...

Sa voix était si désespérée qu'Ainslie comprit qu'il ne cherchait pas à se


mettre en valeur, bien au contraire.
— J'en connais beaucoup qui seraient trop heureuses de...

— Eh bien, demande-le-leur ! l'interrompit-elle.

Elle n'avait aucune envie de penser aux créatures de rêve qui l'attendaient
aux quatre coins du monde.

— Mais demande-toi surtout comment tu pourras faire une place à Guido


dans ton existence.

— Je ne sais pas, avoua-t-il avec une sincérité émouvante. Je ne sais pas si


je peux lui apporter ce dont il a besoin. Je ne sais même pas si c'est ce que
je veux. Depuis que l'hôpital m'a appelé, tout est devenu si absurde... Ce
dont je suis certain, c'est que je dois essayer. Maria est morte hier, et ses
derniers mots ont été pour me demander de prendre soin de son fils.

— Tu n'y arriveras pas.

— Si, insista Elijah. Nous pouvons y arriver. Si tu m'aides, je t'aiderai moi


aussi. Je te donnerai des références qui t'introduiront partout — et je veux
bien affirmer que tu as travaillé pour moi depuis ton arrivée à Londres...

— Ce serait un mensonge.

— Et alors?

Ainslie soutint son regard bravache. Il se tenait devant elle, vêtu d'un jean
noir et d'un pull anthracite, plus séduisant que jamais. Des flocons de neige
restaient accrochés à ses cheveux noirs. Elle comprit que cet homme
continuerait à se battre, parce qu'il n'avait pas le choix.

— J'ai besoin de temps, reprit-il. Pour réfléchir. Si je m'aperçois qu'aller


vivre avec la famille de Rico est la meilleure solution pour Guido, je
l'accepterai. Mais avant cela, je dois essayer de m'en occuper. Pour ma
sœur, pour mon neveu, pour moi. Et pour gagner ce répit, je mentirai, je
tricherai s'il le faut.

Mais je te demande de croire que mes intentions sont honorables.


— Je ne suis pas très douée pour mentir..., avoua Ainslie en frissonnant —
elle commençait à avoir froid.

— Je mentirai pour deux.

— Et, contrairement à ce que tu pourrais croire, je ne trompe pas les gens.

Elijah ébaucha un sourire ironique. A vrai dire, il se fichait éperdument


qu'elle sache mentir ou pas. La seule chose qui comptait pour lui, c'était
qu'elle reste.

— Je te paierai bien, et je réglerai cette histoire d'emprunt.

Mais tandis qu'ils se tenaient là, immobiles sous la neige, Ainslie sentit
qu'ils savaient tous deux qu'il ne s'agissait pas d'argent. La force qui les
avait poussés l'un vers l'autre était plus puissante qu'un salaire ou une lettre
de recommandation.

— Si sa sœur reste, nota-t-elle en se mettant à claquer des dents, nous allons


devoir partager le même lit...

— Nous dresserons une barrière d'oreillers au milieu...

Il prit son visage entre ses mains et lui adressa un sourire terriblement sexy.

— ... afin que tu ne sois pas tentée d'en profiter...

Ainslie sentit un nouveau frisson la parcourir mais cette fois la température


n'y était pour rien. A ce moment-là, il aurait pu l'embrasser. A vrai dire,
c'était comme s'il l'avait fait : la caresse de ses mots, la chaleur de ses mains
sur ses joues, le regard brûlant dont il l'enveloppait... Ils venaient de sceller
un pacte silencieux, et la jeune femme sut qu'elle ne divaguait pas quand
elle aperçut une lueur indéfinissable au fond des yeux d'Elijah, une sorte de
douceur qui prouvait que, sous ses dehors impitoyables, cet homme cachait
des trésors.

Il souleva son sac à dos et s'empara de sa valise. Quand il lui prit la main
pour l'entraîner vers les marches, ce ne furent ni la perspective d'un bon
salaire ni la peur du lendemain qui conduisirent Ainslie à le suivre. La
raison profonde, c'était Elijah Vanaldi lui-même...

— Quel sembre volgore !

Tambourinant nerveusement sur le dossier du sofa élégant où il était


installé, Elijah contemplait Ainslie avec désapprobation.

A peine entré dans cet établissement de luxe, il s'était adressé à une femme
qui ressemblait plus à un mannequin venu de Milan qu'à une vendeuse.
Depuis, il critiquait ouvertement et sans scrupules les choix de la jeune
femme. Même si celle-ci ne parlait pas italien, elle comprenait quelques
mots à la volée.

— Vulgaire ? demanda-t-elle en le défiant du regard. Tu viens de dire que


j'avais l'air vulgaire ?

— Ces bottes ! s'exclama-t-il d'un ton indigné. Avec ce manteau, ce serait


vulgaire pour des funérailles !

Se contemplant dans l'immense miroir rutilant, Ainslie dut bien reconnaître


qu'il avait raison. Pris séparément, le manteau noir cintré et les hautes bottes
à talons plats lui avaient semblé ravissants, mais ensemble...

Alors qu'elle déboutonnait le manteau, elle vit une femme vêtue d'un
ensemble blanc impeccable se diriger vers eux. Après s'être présentée
comme la directrice du salon de beauté, elle s'adressa exclusivement à
Elijah.

Ainslie se força malgré tout à garder son calme et écouta son «

fiancé » expliquer ce qu'il voulait qu'on fasse à ses cheveux.

— Je peux parler? l'interrompit-elle en perdant patience.

— Tu ne sais pas ce que je veux, répondit-il posément.

Puis il continua à critiquer ses sourcils, son teint, ses cheveux, comme si
elle était un âne qu'il voulait voir transformé en cheval de course.
— Et pour les vêtements ? s'enquit Ainslie avec irritation.

— Je m'en occuperai avec Tania, rétorqua Elijah, maintenant que nous


avons vu ce qui ne t'allait pas !

Il se tourna de nouveau vers l'esthéticienne.

— Et en dépit de ce qu'elle pourrait vous dire, ma fiancée n'a pas seulement


besoin d'être coiffée !

Elle bouillait littéralement de se voir traitée ainsi. Il daigna lui jeter un bref
sourire avant de continuer.

— Il lui faut une vraie coupe qui ait du style et, s'il vous plaît...

Il prit une mèche des cheveux d'Ainslie entre ses doigts avant d'en examiner
les pointes en faisant une moue désapprobatrice.

— Pouvez-vous aussi faire quelque chose pour la couleur?

Excédée par le rôle de poupée qui lui était assigné, Ainslie se laissa
cependant épiler les sourcils, avant qu'une esthéticienne souriante lui
applique un masque sur le visage. Aussitôt qu'elle eut terminé, la coloriste
vint s'occuper de ses cheveux. Puis, pendant le temps de pose, une
manucure s'occupa de ses ongles de mains et de pieds.

— La couleur est fabuleuse ! s'extasia la coloriste devant le résultat final.


Elle vous va vraiment bien.

Ainslie avait été farouchement décidée à détester son nouveau look.


Pourtant, quand elle vit la nuance cendrée de ses cheveux, elle eut un
instant le souffle coupé devant l'image que lui renvoyait le miroir. De plus,
la coupe était tout simplement superbe, s'avoua-t-elle en tournant la tête
pour se voir de profil.

Comme le lui fit ensuite remarquer la maquilleuse, le nouveau dessin de ses


sourcils mettait en valeur la forme de ses yeux.
D'autre part, l'ombre à paupières gris foncé et le trait d'eye-liner noir
faisaient ressortir son regard vert.

— C'est mieux ! laissa tomber Elijah, levant à peine les yeux de son journal
quand elle sortit du salon.

— Je suis passable, c'est ça? répliqua Ainslie.

Mais comme toujours, il eut le dernier mot :

— Ça ira mieux quand tu porteras des vêtements décents.

Il aurait pu le dire plus diplomatiquement, mais il avait eu raison.


Désormais vêtue d'un pantalon en jersey gris perle et d'un pull d'un rose très
pâle — d'une douceur inimaginable au toucher —, elle se sentait
terriblement mal à l'aise mais plutôt jolie tandis qu'installés dans le salon,
ils attendaient le retour de Guido et de Tony.

Quand ils entendirent une voiture s'arrêter devant la porte, ils se levèrent en
même temps pour aller regarder à la fenêtre.

Suivie d'une femme qui devait être sa sœur, Mlle Anderson monta bientôt
les marches, Guido dans les bras. Derrière eux apparut bientôt la carrure
impressionnante de Tony.

— J'ai l'impression d'être devenu le directeur d'un refuge pour sans-abri...,


soupira Elijah.

Ainslie ne put s'empêcher de sourire.

Enid Anderson ne ressemblait en rien à sa sœur, nota Ainslie pendant que la


nouvelle gouvernante visitait le rez-de-chaussée.

De son côté, Tony montait valise après valise au dernier étage.

— Voulez-vous que je vous montre votre appartement ? proposa la


désormais maîtresse de maison.

— Je le trouverai bien !
— Puis-je vous offrir une tasse de café ? insista-t-elle.

— Je vous en apporte une dans un instant.

Elijah éclata de rire devant l'air surpris d'Ainslie, tandis qu'Enid


disparaissait dans la cuisine.

— Souviens-toi que ta place est ici, à mes côtés, dit-il en souriant. Pas dans
la cuisine !

« Quel affreux snob... ! » songea Ainslie en silence.

Quand Enid vint lui demander de la mettre au courant de leurs habitudes,


elle se trouva prise au dépourvu.

— A vrai dire, nous n'en avons pas vraiment, répondit-elle d'un ton
embarrassé.

Elle jeta un coup d'œil désespéré à Elijah, mais celui-ci était trop occupé à
jouer avec Guido pour le remarquer.

— Je comprends que vous n'en ayez pas encore pris avec Guido, dit
aimablement Enid. Je voulais plutôt parler des repas, de ce que vous aimez
manger vous et M. Vanaldi.

— Nous dînons souvent à l'extérieur mais à présent, nous sortirons moins,


évidemment, bredouilla nerveusement Ainslie.

— Je suis plutôt bonne cuisinière, affirma Enid en se levant.

Mais il n'y a pas grand-chose dans la cuisine. Je vais voir ce que je peux
faire pour ce soir.

— J'ai l'impression de vivre un cauchemar, murmura Ainslie quand elle fut


partie. Je ne sais même pas combien de sucres tu mets dans ton café.

— Trois, dit Elijah en regardant Guido se lever sur ses jambes potelées,
avant de trotter vers Ainslie en lui tendant les bras.
Après l'avoir soulevé, la jeune femme le serra contre elle et lui caressa les
cheveux en lui murmurant des mots rassurants.

Elijah se rendit alors compte que la journée avait dû être terrible pour le
petit garçon.

— Tu lui fais du bien, remarqua-t-il.

— C'est mon...

«... travail », allait-elle dire, mais elle ne termina pas sa phrase. Et ce n'était
pas parce que Enid venait de réapparaître dans la pièce qu'elle s'était
interrompue. Sentant Guido se détendre contre elle, tout son être lui avait
fait comprendre qu'il s'agissait de beaucoup plus que d'un travail...

Avec ce qu'elle avait trouvé dans la cuisine, Enid avait réussi à préparer des
spaghettis à la bolognaise pour le dîner. A sa grande stupeur, Ainslie vit
Elijah dévorer le contenu de son assiette en un clin d'œil avant de l'essuyer
avec un morceau de pain. Puis il lui parla des funérailles.

— Ou bien elles avaient lieu la veille de Noël, ou bien il fallait attendre une
semaine, lui expliqua-t-il.

— Que préférais-tu?

— Ni l'un ni l'autre, reconnut-il. Mais j'ai choisi la veille de Noël. De toute


façon, ce sera un enfer. Autant s'en débarrasser avant d'essayer de passer un
bon Noël avec Guido.

— Que désirait la famille de Rico ?

— Ils voulaient savoir qui paierait les frais. Naturellement, Mlle Anderson a
reformulé la chose, mais c'est leur seul souci.

J'ai appelé tous les amis de Maria dont j'ai trouvé le numéro dans son carnet
d'adresses et j'ai répondu à quelques-uns de ses e-mails. Tout à l'heure, une
de ses collègues a appelé et a demandé à lui parler...

Sa voix se brisa.
— Cela a dû être atroce pour toi.

— Je préférerais que tu ne répondes pas au téléphone. Je le dirai aussi à


Enid. Je ne veux pas que vous soyez embarrassées.

Soudain, il enfouit sa tête entre ses mains. Son chagrin, sa détresse


touchaient Ainslie au cœur.

— C'est tellement injuste, tellement injuste... J'ai l'impression que le destin


a commis une terrible erreur.

— C'en est une ! s'exclama doucement Ainslie.

— J'ai voulu l'appeler, dit-il en levant la tête, ses traits volontaires

maintenant

empreints

de

désespoir.

Machinalement, j'ai commencé à composer le numéro d'ici...

pour lui demander quelles fleurs elle aimait... C'est dément...

— Non.

Ainslie se leva et posa les mains sur ses épaules tendues.

— Tu n'es pas fou... C'est normal, je t'assure.

— Je voudrais lui demander ce que je dois faire... Ce qu'elle veut que je


fasse...

Sous ses doigts, la jeune femme sentait des muscles noués, presque
tétanisés.
Elle contempla ses mains, si claires sur le pull anthracite, qui s'étaient mises
à masser Elijah, comme si elles avaient une volonté propre. On aurait dit
qu'elles appartenaient à quelqu'un d'autre. Petit à petit, elle le sentit se
détendre.

— Maria a réussi à te dire ce qu'elle désirait que tu fasses.

Il hocha la tête, acceptant en silence le réconfort qu'elle lui offrait. Se


rendant compte qu'elle éprouvait une envie irrésistible de le caresser,
Ainslie se sentit soudain mal à l'aise et, quand Enid entra dans la pièce, elle
sursauta comme si elle avait été prise en faute.

— Ne faites pas attention à moi ! ordonna la gouvernante en ramassant les


assiettes vides.

Mais Ainslie ne put s'empêcher de reculer en rougissant.

Un peu plus tard, allongée dans un bain bienfaisant, elle repensa à cet
instant et comprit que son embarras n'avait rien eu à voir avec l'arrivée
d'Enid. Il avait été causé par le contact de ses mains sur les épaules d'Elijah,
par sa propre audace et par ce désir irrépressible qui l'avait poussée vers lui.

Le fait de vivre à ses côtés, de l'embrasser, de le toucher lui avait fait


prendre conscience de sa féminité. Il avait éveillé la sensualité qui
sommeillait en elle et désormais... Désormais ils allaient partager le même
lit, songea-t-elle en sentant un délicieux frisson de volupté la parcourir.

6.

— Oh, non !

Consternée, Ainslie sortit la nuisette violette du papier de soie qui


l'enveloppait. La tenant du bout des doigts, comme si elle avait peur de se
salir ou d'être contaminée, elle se tourna vers Elijah, installé sur le lit que
divisait un mur de coussins.

— Les hommes aiment vraiment ce genre d'horreurs ?

— D'après toi, qu'aurais-je dû dire à la vendeuse ? répliqua-t-il.


Aurais-je dû lui expliquer que la fiancée d'un milliardaire préférait les
pyjamas en pilou avec des motifs à fleurs ?

— Je ne porterai pas ce truc infâme !

— Parfait ! Je suis sûr qu'Enid a déjà vu des femmes nues se promener dans
une maison à minuit et ne s'étonnera pas le moins du monde de te voir le
faire. En tout cas, je te préviens : tu ne mettras pas ce pyjama informe.

— Si!

— Eh bien, tu auras du mal ! lui lança-t-il tandis qu'elle ouvrait son sac.
Parce que j'ai jeté tous tes anciens vêtements !

Ainslie manqua de s'étrangler en constatant qu'il ne mentait pas. Le salaud !

— Ne touche plus jamais à mes affaires !

— A présent, ce ne sera pas difficile ! ironisa-t-il.

Mais quand elle se précipita hors de la pièce, il ressentit un sentiment de


culpabilité inhabituel. La journée avait été dure pour elle aussi, et il avait eu
le temps de voir des larmes briller dans ses yeux avant qu'elle ne sorte.
Elijah soupira. S'ils devaient passer pour fiancés, elle ne pouvait quand
même pas continuer à porter ses vieux vêtements bon marché ! Qu'avait-elle
cru ? Que c'était un jeu ?

Néanmoins, il était bien forcé d'admettre qu'Ainslie était charmante et


intrigante. Et il se prit à sourire quand elle revint de la salle de bains,
rougissante, adorable mélange de gêne et de colère.

Il ne put s'empêcher de remarquer ses hanches rondes et la courbe de son


ventre moulées par la nuisette. Elle ressemblait si peu aux femmes
ultraminces qu'il amenait habituellement dans son lit... Quand elle se
pencha pour tirer le drap, il aperçut l'aréole rose foncé d'un sein. Elijah
tressaillit. Son manque de sophistication était compensé au centuple par une
féminité des plus troublantes...
Lorsqu'elle se glissa dans le lit à côté de lui et remonta le drap sur elle, un
parfum de dentifrice lui monta aux narines. Jamais la senteur de la menthe
ne lui avait semblé plus rafraîchissante.

Ou plutôt aussi sexy...

Il sentait qu'elle avait les nerfs à vif, percevait sa vulnérabilité et cela le


touchait. Sans doute s'attendait-elle à ce qu'il lui saute dessus. Mais cela
n'aurait fait que compliquer la situation. Et de toute façon, il lui avait
promis que ce qui s'était passé ne se reproduirait pas.

— Bonne nuit ! lança-t-il en éteignant la lampe de chevet.

Puis il essaya de dormir. Mais chaque fois qu'il fermait les yeux, il ne voyait
qu'elle. Pas l'image d'elle ce soir, ni même celle de la journée passée. Il la
revoyait la nuit précédente, quand il l'avait tenue serrée dans ses bras, et il
sentait encore la douceur de ses lèvres sur les siennes.

Il se tiendrait tranquille. Il l'avait promis...

Retenant un soupir, il comprit que le sommeil ne viendrait pas et, résigné, il


se prépara à passer une longue nuit blanche.

Ainslie se sentait affreusement nerveuse. Les yeux grands ouverts dans


l'obscurité, elle avait la gorge si nouée, le corps si raide qu'elle ne put même
pas lui répondre quand il lui souhaita bonne nuit.

Dans cette nuisette affriolante, allongée à côté de l'homme le plus troublant


qu'elle ait jamais rencontré, elle se trouvait ridicule. Toute la journée, elle
avait subi humiliation après humiliation. Soudain, elle le revit dans le grand
magasin, tenant ses cheveux d'un air dédaigneux. Et puis le fait qu'il reste
complètement immobile à côté d'elle renforçait son sentiment d'être

l'exact

opposé

des
femmes

qu'il

fréquentait

habituellement.

Alors, pourquoi l'avait-il embrassée ?

Frémissant

ce

souvenir,

elle

l'entendit

remuer.

Apparemment, il ne dormait pas non plus.

Dieu merci, il avait effectivement placé un rempart de coussins entre eux


car au simple souvenir de ce baiser dévastateur, elle mourait d'envie de se
rapprocher de lui. Tout son corps semblait même se réjouir à cette pensée,
constata-t-elle en sentant des frissons voluptueux la parcourir des pieds à la
tête.

A cet instant, Elijah poussa un soupir.

Il l'avait embrassée parce que l'occasion s'était présentée, voilà tout, se


persuada Ainslie. Parce que, après la mort de sa sœur, il avait eu besoin de
réconfort et qu'elle avait été là.

Elle soupira à son tour dans l'obscurité. Il faisait trop chaud...


— Excuse-moi, je dois aller à la salle de bains, dit-elle d'une voix rauque.

Aussitôt, Elijah tendit la main et ralluma la lampe.

Seigneur, elle avait une de ces têtes ! constata-t-elle quelques instants plus
tard en se voyant dans le miroir. Ses cheveux se dressaient dans tous les
sens et ses seins s'échappaient aux trois quarts de la chemise de nuit
décolletée.

A cet instant, Elijah entra et se planta derrière elle. Il y avait un tel éclat au
fond de ses yeux et son propre désir était si intense qu'elle ne songea même
pas à protester qu'il soit entré sans frapper.

Sans un mot, il referma les mains sur ses seins et elle le regarda dans le
miroir tandis qu'il penchait sa tête brune vers son cou avant de l'embrasser
avec passion. Elle leva la main et la posa sur la sienne qui agaçait
délicatement une pointe durcie.

Quand il s'arrêta, elle ne put retenir un gémissement de frustration. A


présent, elle avait compris qu'elle ne pouvait plus lutter. L'attirance, la
sensualité qui vibraient entre eux étaient trop puissantes. Haletante, elle se
sentit en proie à un véritable vertige.

Incapable de bouger, les yeux fixés sur le miroir, elle le vit se diriger vers la
douche et en ouvrir le robinet. Quand il la conduisit sous le jet, vêtue de sa
luxueuse nuisette, elle ferma les yeux.

L'eau qui coulait sur ses cheveux lui donna la chair de poule ; la nuisette lui
collait au corps tandis qu'il lui massait le cuir chevelu. En même temps, sa
langue caressait la sienne et ses mains la débarrassèrent bientôt de son frêle
rempart de soie.

Puis il se dénuda lui aussi. Emerveillée, Ainslie contempla son corps


superbe, viril... et terriblement excité ! Elle sentit ses genoux faiblir et se
laissa glisser sur le sol de la douche avant de l'embrasser intimement. L'eau
tiède lui ruisselait sur le visage et Elijah enfonça les doigts dans ses
cheveux, jusqu'à ce qu'il interrompe sa caresse. Puis il prit son visage entre
ses mains et la força à le regarder.
— C'est comme ça que je te veux..., dit-il d'une voix rauque.

Les cheveux trempés et les yeux étincelants de désir, il la fit se redresser.

Ses mains impatientes lui ouvrirent les cuisses tandis que ses lèvres
parcouraient avidement sa poitrine, léchant, mordillant, suçant... C'était
délicieux, aussi délicieux que la pulsation qui battait entre ses jambes. Les
doigts d'Elijah s'étaient maintenant aventurés dans son intimité, préparant sa
venue.

Etait-ce d'avoir tant attendu ? Dès qu'il la pénétra, Ainslie sentit un orgasme
d'une intensité extraordinaire se déployer dans tout son corps. Bouleversée
par les sensations qui déferlaient au plus profond de son être, elle ne put
réprimer un sanglot.

Pendant quelques instants, plus rien n'exista que lui. Puis elle revint
lentement à la réalité tandis que l'eau coulait sur leurs deux corps rassasiés.
Elijah ferma le robinet avant de l'envelopper dans une immense serviette
très douce. Ensuite, après en avoir noué une autour de ses hanches, il la
souleva dans ses bras et la ramena vers le lit.

Ainslie avait l'impression d'être une malade en convalescence.

Les jambes en coton, le corps affaibli, privé d'énergie, épuisé après l'effort,
si bien qu'elle ne désirait plus qu'une chose : se glisser sous les draps.

Mais elle dut attendre qu'il l'ait essuyée, soigneusement, presque


tendrement, songea-t-elle alors qu'il s'occupait de ses cheveux avec de petits
mouvements précautionneux. Puis il remonta les couvertures sur elle avant
de lui demander d'un ton malicieux :

— Pouvons-nous ôter la barrière de sécurité à présent ?

Sans attendre sa réponse, il retira les coussins avant de s'allonger à son tour.
Ainslie ne pouvait pas sourire. Elle ne pouvait pas le regarder. Pourquoi le
monde semblait-il avoir brusquement changé ? se demandait-elle
confusément.
Complètement désorientée, elle lui tourna le dos.

— Ne me fuis pas, murmura-t-il.

— Je ne te fuis pas.

Il lui caressait doucement l'épaule, puis descendit sur ses reins en des gestes
étrangement rassurants.

Non, elle ne fuyait pas, de même qu'elle n'avait pas fui en venant à Londres.
Elle avait cherché quelque chose, quelque chose qui lui faisait défaut et
qu'elle n'avait jamais été capable de définir mais qu'elle venait d'entrevoir à
la lumière de ces instants torrides et passionnels — qui pour elle avait été
bien plus que juste du sexe.

Et si ce quelque chose était tout simplement la femme en devenir qui


sommeillait en elle ?...

— Est-ce que tu te rends compte de ce que tu as fait pour moi ?

reprit-il d'une voix douce. Sans toi, je me serais retrouvé en enfer, et au


contraire...

A ces mots, elle s'était retournée. Elle leva timidement les yeux vers lui et le
trouble qu'elle découvrit au fond de son regard chassa tous ses doutes. Ce
qu'ils partageaient était aussi réel, aussi intense et aussi essentiel qu'elle
l'avait éprouvé. Dans ses bras, elle sentait le lien qui les unissait, et cette
sensation signifiait bien davantage que la passion sensuelle qu'ils venaient
d'assouvir. Sa beauté l'étonnait, la subjuguait maintenant qu'elle avait trouvé
la force de le contempler. Et ses paroles, le ton de sa voix, la lueur qui
scintillait dans ses yeux lui affirmaient que tout allait bien, qu'elle pouvait
se laisser aller avec lui à être femme.

Elijah le lui confirma par un baiser extraordinairement tendre.

Le désir irrépressible qui s'était emparé d'eux quelques instants plus tôt était
maintenant apaisé et remplacé par un besoin plus profond. Ainslie prit le
temps de le toucher, de le goûter, de l'explorer, laissant errer ses doigts sur
son corps chaud et savourant la douceur de sa bouche. De plus en plus
grisée, elle laissa ses doigts jouer avec la fine toison qui entourait ses
mamelons. Puis elle se pencha pour en aspirer délicatement un entre ses
lèvres tandis qu'il gémissait de plaisir.

Quand il la pénétra, Ainslie garda les yeux ouverts. Et ils ne cessèrent pas
de se regarder alors qu'il instaurait un va-et-vient de plus en plus
voluptueux qui les fit bientôt haleter tous les deux.

Lorsqu'ils sombrèrent ensemble dans un abîme de plaisir, elle poussa un cri.


Ils bougeaient à peine, laissant le plaisir ondoyer dans leurs corps en des
vagues puissantes qui semblaient monter du plus profond d'eux-mêmes.

— Ne me laisse pas, murmura-t-il dans un souffle.

Pour toute réponse, elle le serra contre elle, certaine à cet instant qu'elle ne
le quitterait jamais.

7.

—- Guido, ritornato qui !

Même la voix sévère d'Elijah ne put arrêter Guido. Ainslie l'entendit


gazouiller tandis qu'il courait sur le palier et il se précipita bientôt vers elle
comme un petit bulldozer. Bien réveillé et prêt à jouer, il se jeta sur le lit,
suivi par son oncle exaspéré, reproduisant ainsi exactement ce qui s'était
passé les matins précédents.

— Il s'est encore échappé ! expliqua Elijah en le saisissant par les jambes.

Mais Guido, luisant de lait parfumé, se mit à gigoter dans tous les sens en
riant et toussant, avant d'avancer à quatre pattes vers Ainslie.

— Viens ici, dit-elle en lui souriant.

Puis elle le chatouilla sur le ventre.

Tandis que l'enfant riait aux éclats, elle réussit à fixer la couche que lui avait
tendue Elijah. Déjà exténué par son exercice matinal avec son neveu, il
s'étendit sur le lit à côté d'eux.

— Comment un si petit être peut-il créer un tel chaos ?

— Très facilement. Et si on a peur, ils le sentent aussitôt.

Il faillit la contredire, puis il se mit à rire.

— A vrai dire, il me terrifie ! reconnut-il en riant de plus belle.

Voyant cela, Guido rampa vers lui sur le lit avant de venir s'asseoir sur sa
poitrine. Puis il posa ses mains sur son visage.

— Tu nous causes tellement de soucis..., déclara Elijah à son assaillant ravi.


Avons-nous raison de vouloir te garder?

Ainslie sursauta, choquée par ses paroles. Mais voyant Guido qui caressait
maintenant les joues de son oncle, elle comprit qu'il s'agissait d'une
émouvante déclaration d'amour et pas d'une vraie question.

— Je disais toujours à Maria qu'elle n'était pas assez sévère avec lui.

A présent, il tenait ses petites mains dans les siennes, et il l'aida à se dresser
debout sur sa poitrine.

— Elle n'avait aucune discipline, continua-t-il. Parfois, j'arrivais de


l'aéroport à 22 heures et il était encore en train de jouer. Elle était incapable
de lui dire non. Je lui ai prédit que cet enfant lui créerait des ennuis plus
tard.

Il sourit avec un mélange de tristesse et de malice.

— Si j'avais su qu'elle me laisserait ces ennuis, j'aurais insisté davantage


pour qu'elle soit plus stricte.

Pendant ce temps-là, Guido faisait joyeusement du trampoline sur son torse


puissant. Soudain, cette scène toute simple, quotidienne, émut Ainslie aux
larmes.
Pour un homme qui n'y connaissait rien aux enfants, il se débrouillait
vraiment bien... Elle voyait l'affection sincère qui liait l'oncle et le neveu.
Là, dans ce lit, partageant les premiers moments de la journée, Guido et
Elijah commençaient à former une famille.

Et même si elle était là par accident, Ainslie en faisait partie elle aussi.
Travaillant avec des enfants depuis l'âge de dix-huit ans, elle avait
évidemment eu ses préférés mais aucun n'avait jamais capturé son cœur
comme Guido. Ce n'était pas seulement à cause de sa situation — beaucoup
des enfants dont elle s'était occupée avaient eu des traumatismes, eux aussi
—, c'était son caractère qui la faisait fondre. Et ses yeux, aussi bleus et aussi
méfiants que ceux de son oncle, qui semblaient perpétuellement lui sourire.

Tout à coup, comme fatigué de jouer au petit diable, il se laissa glisser sur le
lit et vint se blottir entre les deux grandes personnes qui dirigeaient
maintenant sa vie. Les paupières de plus en plus lourdes, il se mit à sucer
son pouce en souriant paresseusement.

— Il tousse encore ! remarqua Elijah d'un air inquiet quand l'enfant émit un
son rauque.

— Plus autant..., répliqua Ainslie en caressant les boucles brunes du petit


garçon. Il va beaucoup mieux. Tu sais, une laryngite peut durer longtemps.

— Il serait peut-être quand même préférable qu'il ne sorte pas aujourd'hui.


Je le veux rétabli pour les funérailles demain.

Guido était censé aller passer l'après-midi avec les Castella.

Mlle Anderson avait été très claire : il devait les voir régulièrement jusqu'à
ce que les services sociaux aient pris leur décision. Ainslie avait eu beau
dire à Elijah que s'il montrait de la bonne volonté, cela ne ferait que jouer
en sa faveur, il résistait néanmoins.

— Je vais appeler Mlle Anderson pour lui expliquer que...

— Il faut que tu le laisses partir, conseilla doucement Ainslie.


Dans la voiture, il n'aura pas froid et Enid sera avec lui. Il n'y a aucune
raison qu'il n'y aille pas.

— Oh, mais si ! Il y en a même beaucoup...

Il regarda son neveu avant de tourner les yeux vers la fenêtre.

Sur les vitres, le givre témoignait du froid glacial qui régnait à l'extérieur.

— Ici, avec moi, avec nous, je sais qu'il est en sécurité.

En effet, endormi entre eux, Guido semblait à l'abri de tous les dangers du
monde. Et même si Ainslie comprenait qu'Elijah ne veuille pas le laisser
sortir, elle savait également qu'il le devait.

En dépit de l'intimité qu'ils partageaient, son chagrin et son deuil


appartenaient à lui seul et elle évitait de pénétrer dans ce jardin secret. Sa
douleur, sa méfiance, le poids des décisions qu'il devrait bientôt prendre
constituaient un domaine qu'il préférait arpenter en solitaire. Mais dans
cette atmosphère paisible, leurs corps détendus après une nuit de sommeil
réparateur, Ainslie eut l'impression qu'elle pouvait s'enhardir sur ce terrain.

— Guido a besoin de sa famille, commença-t-elle doucement.

Même si tu ne les aimes pas, ils sont quand même ses parents.

Peut-être devrais-tu essayer de mettre le passé de côté, pour le bien de


Guido.

Elle vit ses yeux s'assombrir, son visage se crisper, mais au lieu de lui
opposer un refus catégorique, il fit un effort visible.

— Tout en moi me dit de ne pas leur faire confiance.

A cet instant, il la regarda dans les yeux et, pour une fois, il semblait perdu.

— Si j'ai survécu, ce n'est pas seulement grâce à mon intelligence, mais


aussi grâce à mon instinct, reprit-il. A présent, tout le monde me répète que
je ne dois pas l'écouter, que je dois confier Guido à ces gens alors que cela
va à rencontre de tout ce que je ressens.

— Les gens changent, Elijah. Ce qui est arrivé à Maria s'est passé il y a des
années. Je ne cherche pas à leur trouver d'excuses, enchaîna-t-elle
rapidement quand elle le vit ouvrir la bouche pour protester. Mais je crois
simplement que tu dois donner une chance à son oncle et à sa tante. S'ils
affirment vouloir son bien, eux aussi, tu dois essayer de les croire, même si
c'est dur pour toi. Si tu appelles Mlle Anderson...
Quand elle s'interrompit, Elijah comprit qu'elle avait dû penser qu'il ne
l'écoutait pas. Pourtant, même s'il contemplait le plafond, il l'écoutait
attentivement. Emu par le souffle de Guido qui lui caressait le bras, ébranlé
par les paroles d'Ainslie, l'indécision lui rongeait les pensées.

Maria lui avait fait confiance en lui demandant de s'occuper de son trésor le
plus précieux et chaque fibre de son être lui disait de garder l'enfant avec
lui. Deux minutes en compagnie des Castella étaient deux minutes de
gâchées, il en était persuadé.

Néanmoins, son instinct avait eu raison de lui souffler qu'Ainslie n'était pas
une voleuse, qu'il pouvait lui faire confiance. Et à présent, celle-ci lui
affirmait sans arrière-pensée qu'il devait laisser Guido aller vers l'ennemi,
que tout irait bien...

Il tourna brusquement la tête vers elle et termina sa phrase :

— Si j'appelle Mlle Anderson, j'aurai l'air d'un paranoïaque, c'est ça?

— Juste un peu, reconnut-elle. Veux-tu que j'aille recoucher Guido dans son
lit ?

— Pourquoi ? demanda-t-il en fermant les yeux avant d'attirer son neveu


dans le creux de son bras.

Puis il se mit à jouer avec une mèche de cheveux d'Ainslie. Elle le regarda
se laisser aller avec émotion. Pour la première fois, elle voyait cet homme
méfiant se détendre vraiment.

Il l'avait écoutée.

Les deux hommes qui étaient soudain devenus si essentiels dans sa vie lui
faisaient confiance.

Elle espérait seulement qu'elle avait raison.

— Ils tardent trop à rentrer.


— Il n'est que 19 heures..., nota Ainslie en tournant la tête vers l'horloge
pour la centième fois.

La journée avait été bien chargée. Tout d'abord, ils étaient allés voir
l'entreprise chargée des funérailles, où Elijah avait rempli les dernières
formalités d'un air sombre. Ensuite, fuyant la foule de gens occupés à faire
leurs derniers achats de Noël, il avait proposé qu'ils aillent déjeuner dans un
restaurant réputé.

— Nous n'aurons jamais de table là-bas, l'avait prévenu Ainslie.

Surtout à cette période de l'année !

Se contentant de froncer les sourcils, Elijah avait sorti son téléphone


portable et, en quelques secondes, la question avait été réglée.

Quelques instants plus tard, sans même avoir à patienter, ils avaient été
accueillis par un maître d'hôtel souriant qui avait salué Elijah par son nom.
Puis il les avait conduits à une table située dans un coin tranquille où ils
avaient savouré un repas divinement bon.

Après avoir dégusté un café délicieux à l'arôme puissant, ils avaient quitté
le restaurant et s'étaient séparés pour quelques heures. Au milieu de la foule
affairée, entourée des chants qui résonnaient dans les magasins décorés de
guirlandes multicolores, Ainslie s'était alors vraiment rendu compte que
c'était Noël.

Quand elle avait retrouvé Elijah, la nuit était déjà tombée et Oxford Street
étincelait de mille feux, créant un spectacle plus magique et féerique qu'elle
ne l'aurait imaginé. Ils s'étaient ensuite engouffrés dans un taxi noir qui les
avait ramenés à la maison.

Mais à présent, Elijah attendait le retour de son neveu avec de plus en plus
d'impatience.

— Je vais appeler Enid, annonça-t-il en sortant son portable de sa poche.


A cet instant, la voiture s'arrêta devant la maison. Guido apparut bientôt,
pleurnichant d'un air malheureux, accompagné d'Enid.

Après avoir ôté son manteau pendant qu'Ainslie enlevait celui de Guido, la
gouvernante déclara :

— La journée a été longue pour lui. Je vais aller lui préparer à dîner.

— Il est plus de 19 heures, lui fit remarquer Elijah. Ils ne lui ont rien donné
à manger?

— Ils dînent tard, répondit prudemment Enid.

Mais il ne se satisfit pas de sa réponse et exigea de savoir ce qui s'était


passé.

— Je ne voudrais pas rendre les choses encore plus compliquées qu'elles ne


le sont déjà, souffla Enid, visiblement mal à l'aise. Il ne s'est rien passé de
spécial. Mais ils ne se sont pas montrés aussi gentils avec lui, cette fois...

— Parce que votre sœur n'était pas là, hasarda Elijah.

— Ils ne savent pas que Rita est ma sœur, répliqua Enid. La journée a
vraiment été difficile. Ils parlaient italien et je ne me sentais pas du tout la
bienvenue. Mais je ne m'en plains pas —

c'est important que Guido voie sa famille...

— Où était Tony?

— Il attendait dehors, dans la voiture, répondit Enid. Ils ne l'ont même pas
invité à boire un verre.

— La prochaine fois, il entrera avec vous, décréta Elijah. Et s'ils ne sont pas
d'accord, qu'ils s'adressent à moi.

— Ils m'ont demandé de vous donner ceci, dit la gouvernante en lui tendant
une enveloppe.
La mine sombre, il l'ouvrit.

— Leur note d'hôtel ! s'exclama-t-il avec dégoût. Leurs intentions sont


claires ! Vous direz à votre sœur...

— Je n'ai pas à parler de ceci avec elle, l'interrompit Enid en lui adressant
un regard sévère. Si les services sociaux me posent des questions de façon
officielle, je leur donnerai bien sûr mon avis. Mais je ne vais pas me
précipiter chez ma sœur pour lui parler des Castella, pas plus que je ne lui
ferai part de ce qui se passe chez mon employeur. Maintenant, si vous
voulez bien m'excuser, je vais aller faire manger Guido.

— De toute façon, avança Elijah une fois qu'elle fut partie, même si elle
rédigeait un rapport officiel, les services sociaux n'en tiendraient pas
compte.

— Il n'y a rien à mettre dans un rapport officiel, lui fit remarquer Ainslie.
Ecoute, les Castella ont aussi le droit d'être perturbés ; et ils n'ont rien fait
de mal.

— Pourquoi prends-tu leur parti ? lui lança-t-il avec colère.

Guido est rentré malheureux, après avoir été négligé toute la journée, et ils
m'envoient leur note d'hôtel avec un mot disant que s'ils sont à Londres,
c'est pour moi ! Zingareschi !

Vu le regard meurtrier avec lequel il envoya le bout de papier à l'autre bout


de la pièce, il ne venait certainement pas de leur faire un compliment...

— Ces paysans ne savent même pas écrire leur propre langue.

— Elijah, ça ne sert à rien de réagir ainsi...

Ainslie ne voulait pas perdre ce qu'ils avaient trouvé ce matin-là. Elle se


dirigea vers lui et regarda son visage déformé par la colère.

— C'est toi qui dois te montrer raisonnable, pour le bien-être de Guido,


insista-t-elle en lui posant la main sur la joue. Peut-être est-ce vrai qu'ils ne
peuvent assumer les frais...
— Et c'est moi qui devrais payer ? Qu'y a-t-il de raisonnable là-

dedans ?

— Ils font partie de la famille de Guido. Si tu les aides maintenant, qui


sait... ?

Elle rassembla son courage avant de poursuivre :

— Si, finalement, ils obtiennent la garde ? Ou si cela se termine par une


garde partagée... ?

— Non ! C'est hors de question.

— Mais c'est possible, souligna Ainslie. Et tout ce que tu peux faire pour
établir de bonnes relations avec eux ne pourra qu'aider Guido.

— Même si cela va à rencontre de tout ce en quoi je crois ?

Elle le sentait lutter contre la haine qui l'habitait. Après quelques instants de
réflexion, elle vit cet homme fier et inflexible se résoudre au compromis.

— Je vais essayer, jura-t-il. Demain, j'essaierai.

8.

Dans le cimetière, durant une seconde, Ainslie eut envie de hurler. De


hurler au prêtre d'arrêter la cérémonie, de hurler à l'univers entier qu'il
fallait corriger cette monumentale erreur, de hurler à Maria et Rico de
revenir.

C'est en entendant Guido chantonner innocemment dans l'assemblée


muette, juste au moment où deux hommes en noir faisaient descendre les
cercueils dans le large trou, qu'elle avait été submergée par l'aberration de la
situation. La veille de Noël, une fête qui évoquait l'amour, la gaieté et la
magie. Pas une pareille horreur.

Mais comme l'avait dit Elijah, c'était ou bien ce jour-là, ou bien une
semaine plus tard et cela n'aurait servi à rien de repousser cette inévitable
épreuve.

Elijah semblait tenir bon, comme il l'avait fait durant ces derniers jours, et
comme il venait de le faire au cours du service religieux. Sa voix profonde
et grave s'était brisée une seule fois, pendant qu'il prononçait l'éloge
funèbre. Après être revenu aux côtés d'Ainslie, il s'était assis le dos raide,
regardant droit devant lui et continuant de tenir son rôle avec courage.

Dès la cérémonie achevée, il se tourna vers elle.

— Je vais leur parler maintenant, annonça-t-il. Attends-moi ici.

Puis, Guido dans les bras, il se dirigea vers les Castella, ces gens qu'il
n'avait pas vus depuis des années mais qu'il avait pourtant continué à haïr
farouchement.

Ainslie se sentait glacée jusqu'aux os.

— Comment cela se passe-t-il ? demanda Mlle Anderson en suivant Elijah


du regard.

— C'est difficile, reconnut-elle. Mais il fait de gros efforts.

— Il ne fait que son devoir, répliqua l'assistante sociale. Les Castella sont
aussi des parents de Guido.

Mais Elijah ne jouait pas la comédie pour Mlle Anderson. Après une
conversation des plus brèves, il revint vers les deux femmes.

Son grand manteau noir flottant derrière lui, il les rejoignit, le visage
totalement fermé.

— Allons-y, dit-il brièvement.

— Tu es censé..., commença Ainslie.

Mais il était déjà parti.


L'entrepreneur des pompes funèbres demanda alors aux parents de se mettre
en rang, afin que les personnes présentes puissent leur présenter leurs
condoléances. Apparemment, Elijah n'avait aucune intention de se prêter au
cérémonial.

— Viens ! lui lança-t-il sans se retourner.

Même s'il n'était pas d'humeur à supporter qu'on le contredise, Ainslie


insista pourtant :

— Nous ne pouvons pas... Il faut que tu restes... Les gens veulent voir
Guido.

— Ils l'ont assez vu ! répliqua vivement Elijah sans s'arrêter. Et lui aussi les
a assez vus ! Je n'ai pas besoin de leurs condoléances !

— Cela doit être très dur pour vous.

Légèrement essoufflée, Mlle Anderson les rejoignit au moment où ils


arrivaient près de la voiture. Mais Elijah semblait se moquer éperdument
d'amadouer l'assistante sociale, car il ne daigna même pas lui répondre.

— Les Castella attendent avec impatience de passer un peu de temps avec


Guido une fois de retour à leur hôtel.

— Il n'ira pas, gronda-t-il en serrant les mâchoires.

Au même moment, les Castella s'approchaient. Pour la première fois,


Ainslie voyait les deux familles ensemble et elle sentit l'animosité qui
vibrait entre eux.

— Monsieur Vanaldi n'a pas l'intention de vous amener Guido à l'hôtel,


déclara froidement Mlle Anderson.

— Voglio passare tempo con Guido ! s'exclama Marco d'un ton implorant
en tendant les mains vers son neveu.

Mais celui-ci s'accrocha à Elijah.


— Non potere, répondit sèchement Elijah.

— Voglio specialmente oggi essere con lui.

— Auriez-vous l'amabilité de me traduire ce que vous dites ?

Pas impressionnée le moins du monde, Mlle Anderson fixait Elijah du


regard. De mauvaise grâce, il consentit à lui donner une traduction
succincte :

— Ils disent qu'ils veulent être avec Guido. Je leur dis que je ne veux pas.

-— Aujourd'hui, specialmente. .., insista Marco d'une voix brisée en


s'adressant à l'assistante sociale.

A cet instant, et même si elle savait qu'elle aurait dû se mettre du côté


d'Elijah, Ainslie songea que Marco avait raison.

— Peut-être pourrions-nous l'amener pour un court moment..., avança-t-elle


timidement.

Elijah lui lança un regard mauvais.

— Absolument, appuya Mlle Anderson. Monsieur Vanaldi, on ne vous a


accordé qu'une garde temporaire. Je ne devrais donc pas avoir à...

— Eh bien, ne le faites pas, l'interrompit-il avec colère. Vous me répétez


sans cesse que l'intérêt de Guido doit être pris en compte, qu'il doit être
prioritaire !

—- Bien sûr !

— Vous êtes la spécialiste, n'est-ce pas ? lui jeta-t-il méchamment. Alors,


dites-moi, mademoiselle Anderson, comment l'intérêt de Guido sera-t-il
respecté au mieux ? Ma sœur a refusé la morphine pour avoir le temps et la
lucidité de me dire qu'il devait faire la sieste tous les après-midi à 14

heures. Mon neveu se remet d'une grave otite et tout son univers vient d'être
bouleversé de fond en comble. Comment pouvez-vous affirmer qu'il est bon
pour lui d'assister à une cérémonie funéraire, avec des gens attristés,
compassés, dans une ambiance morbide ? Je vous en prie, dites-moi où son
intérêt sera le mieux respecté ?

Incapable de lui répondre, l'assistante sociale resta muette.

Soudain, Guido soutint involontairement son oncle en se mettant à tousser.

— Vous voyez ! s'exclama Elijah. Je ramène mon neveu chez lui,


maintenant. Je lui donnerai son antibiotique avant de le mettre au lit pour sa
sieste quotidienne. Et ensuite, ma gouvernante hautement qualifiée veillera
sur lui pendant que ma fiancée et moi reviendrons participer à cette
mascarade.

Il fit un signe de tête à Tony, qui vint lui ouvrir la portière.

Puis, en dépit de sa fureur, Elijah installa Guido sur son siège avec une
extrême douceur. Une fois qu'ils furent tous montés à bord du véhicule, il
baissa la vitre et tendit une enveloppe à Mlle Anderson.

— Les Castella veulent qu'on leur rembourse leurs frais d'hôtel

; je suppose que vos services s'occuperont de cela?

— Tu as eu raison, approuva Ainslie quand la voiture s'éloigna du


cimetière.

— J'ai toujours raison.

— Mais... Si tu veux être considéré comme la meilleure possibilité pour


Guido, il me semble que tu ne devrais pas t'attirer les foudres de Mlle
Anderson, tu ne crois pas ? Je veux dire que tu devrais essayer...

— Comparé à eux, je suis la meilleure possibilité, répliqua-t-il.

Je n'ai besoin de l'aide de personne.

— Dans ce cas, pourquoi suis-je ici ? rétorqua Ainslie. Les apparences sont
importantes, tu le sais !
Puis elle se tut car Tony pouvait les entendre. Mais apparemment, c'était le
cadet des soucis d'Elijah.

— Tu es ici parce que sans fiancée, je n'aurais pas pu les empêcher de


prendre Guido. Maintenant, j'ai le temps de m'occuper proprement de cette
affaire — et j'obtiendrai gain de cause ! Tu es payée pour être de mon côté.
Souviens-t'en la prochaine fois que tu auras envie de me contredire devant
un membre des services sociaux.

Le sang d'Ainslie ne fit qu'un tour. Il se fichait de la présence de Tony ?


Très bien, elle aussi.

— Suis-je également payée pour coucher avec toi ? riposta-t-elle avec


colère.

— Non. C'est un privilège !

Elle faillit le gifler mais la présence de Guido l'en dissuada.

— Espèce de salaud ! se contenta-t-elle de grincer.

— Considère ça comme l'un des avantages du métier ! insista Elijah.

— Est-ce que vous allez bien ? demanda Enid avec une sollicitude sincère.

Sans lui répondre, Elijah traversa le hall d'un pas martial.

Ainslie se dirigea vers le salon comme un automate et s'assit sur le sofa.


Choquée, furieuse, elle se sentait incapable de faire autre chose, et surtout
incapable de faire semblant.

Elijah au contraire faisait comme si de rien n'était. Il s'installa à table avec


son neveu et lui fit manger le repas préparé par Enid.

Il lui parlait gentiment et l'entourait d'une patience extraordinaire.

Il refusa d'un signe de tête la tasse de thé que lui offrait Enid.
Ainslie accepta la sienne machinalement, la tête ailleurs. Elle était prête à
partir.

Après ce qui s'était passé dans la voiture, il lui semblait inconcevable de


rester.

— Laissez-moi aller coucher Guido, proposa Enid.

— Je vais m'en occuper, répliqua Elijah en se levant.

Quand il eut quitté la pièce avec son neveu, Enid vint s'asseoir à côté
d'Ainslie sur le sofa.

— Cela doit être si dur pour lui..., dit-elle d'une voix douce. Pour vous
deux.

L'espace d'une seconde, Ainslie se sentit coupable. Ils ne méritaient pas la


compassion d'Enid, se dit-elle, sentant les larmes lui piquer les yeux.
L'horrible conversation qu'ils avaient eu un peu plus tôt la faisait encore
vibrer d'indignation. Les paroles d'Elijah avaient été si cruelles qu'en y
repensant, elle avait envie de se lever et de quitter cette maison sur-le-
champ.

Mais quand elle entendit la porte de la salle de bains claquer à l'étage, elle
imagina la détresse et le chagrin qui devaient le ravager. Sentant son ventre
se nouer, elle s'appuya au dossier et laissa les larmes rouler sur ses joues.
Intuitivement, elle savait que sa violence verbale n'avait pas été réellement
dirigée contre elle ; pourtant, il s'était montré trop dur, trop injuste et trop
détestable pour qu'elle puisse lui pardonner.

Sans rien dire, Enid lui posa la main sur le bras.

A cet instant, Elijah rentra dans le salon, le visage fermé, distant.

— Il faut que nous y allions. Enid, s'il y a le moindre problème, vous


m'appelez.

— Bien sûr.
— Viens ! ordonna-t-il à Ainslie en se dirigeant vers la porte.

Mais elle était incapable de le suivre.

— Tu crois vraiment que je vais aller là-bas et jouer... ?

— Voulez-vous nous excuser, Enid, s'il vous plaît, l'interrompit-il. Il


semblerait que ma fiancée ait quelque chose sur le cœur.

— Pourquoi se soucier de sa présence ? demanda Ainslie quand la porte se


fut refermée sur la gouvernante. Pourquoi lui demander de partir alors que
Tony est déjà au courant ? Ce n'est plus la peine de jouer la comédie.

— Tony ne dira rien à personne.

— Bien sûr que si !

— Tony travaille pour moi, il sait ce que j'attends de lui. Je le paie pour sa
discrétion !

— Tu le paies pour rester tranquille pendant que tu oses me parler comme


un rustre? lui jeta Ainslie. Eh bien, même une fiancée de location n'a pas à
supporter cela !

Elle voulut ôter sa bague mais, après le froid de l'extérieur, la chaleur qui
régnait dans la maison avait fait gonfler son doigt si bien qu'elle avait du
mal à la retirer. Cela donna le temps à Elijah de traverser la pièce et de venir
refermer les mains sur les siennes.

— Tu viens avec moi, asséna-t-il d'un ton sans appel.

— Sinon ? répliqua Ainslie avec un regard de défi. Je ne t'appartiens pas. Je


paierai mes dettes, celles de mon ex aussi s'il le faut. Mais je ne te laisserai
pas me parler ainsi ; et je n'irai pas avec toi.

— Mon assistante m'a annoncé ce matin que plusieurs journalistes voulaient


me rencontrer. Elijah Vanaldi qui devient père, c'est une mine d'or pour eux.
Je lui ai répondu que j'allais y réfléchir...
Il ne lui avait pas lâché les mains.

— Ils pourraient apprendre que j'ai une fiancée et s'intéresser à elle...

— Pourquoi se soucieraient-ils de moi ? C'est toi qui seras en mauvaise


posture si tu leur parles. Mlle Anderson le saura...

— Si tu ne m'accompagnes pas, elle découvrira notre petite ruse dès cet


après-midi, rétorqua-t-il en haussant les épaules.

Alors, je n'ai vraiment rien à perdre...

— Moi non plus, riposta Ainslie.

Mais derrière son air bravache, son cœur battait la chamade.

Elle savait qu'Elijah pouvait se montrer impitoyable, et qu'elle ne serait pas


de taille à lutter.

— Peut-être..., lâcha-t-il d'un ton lourd de sous-entendus.

Néanmoins, je m'inquiète un peu pour ton ami Angus. Il pourrait ne pas...

— Tu ne ferais pas cela !

— Tu crois ? demanda-t-il sans plus se donner la peine de sourire. Quand tu


as accepté de rester, je t'ai dit que je ne reculerais devant rien pour protéger
mon neveu. Et si cela implique de fouiller un peu dans la vie d'un célèbre
médecin que je n'ai jamais rencontré, je n'hésiterai pas un seul instant !

La main crispée sur son verre, Ainslie regardait les gens qui les entouraient.
Des serveuses circulaient parmi l'assistance, offrant des amuse-bouches et
des boissons. Les amis de Maria et de Rico bavardaient entre eux, tandis
que les Castella buvaient abondamment, jetant de temps en temps un regard
noir à Elijah. Celui-ci parlait poliment avec tout le monde, accomplissant
son devoir avec aisance et dignité.

— Monsieur Vanaldi !
Mlle Anderson, apparemment plus calme, se dirigeait vers eux.

— A propos de tout à l'heure, dit-elle en regardant autour d'elle, vous aviez


raison de ne pas vouloir amener Guido ici, je le reconnais.

— Merci, dit Elijah. Mais je n'aurais pas dû m'emporter ainsi...

Je suis allé trop loin, s'excusa-t-il sincèrement.

Et Ainslie se rendit compte que s'il lui prenait la main à cet instant précis,
ce n'était pas un geste factice destiné à impressionner Mlle Anderson. A sa
façon, il s'excusait aussi auprès d'elle.

— Que prévoyez-vous pour le jour de Noël ? demanda l'assistante sociale.

— Nous le passerons tranquillement ensemble. Mais dans l'après-midi, une


fois que Guido aura fait sa sieste, votre sœur a proposé de l'emmener passer
quelques heures avec la famille de son père. Mon chauffeur les conduira
auprès d'eux. Ensuite, ils le ramèneront chez nous.

— Cela me semble une bonne idée, concéda-t-elle en leur souriant à tous


les deux. Je dois dire qu'au regard de ces circonstances éprouvantes, vous
vous en tirez bien avec Guido.

« Pas si bien que cela », songea Ainslie en restant loyalement à côté de son
partenaire. Mais elle dégagea néanmoins discrètement sa main.

Puis elle se dirigea vers les toilettes. Là au moins, elle pourrait être seule
pendant quelques instants.

Toujours en colère contre Elijah, elle se remettait du rouge à lèvres devant


le miroir quand elle vit la femme de Marco arriver derrière son dos.

— Molto conveniente.

Elle se retourna vivement et se trouva confrontée au regard dur de Dina


Castella.

— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.


— C'est très conveniente, reprit-elle. Subitement, le riche play-boy a una
bella fiancée !

— Nous nous sommes fiancés récemment.

— Allons..., ricana-t-elle. Depuis quand Elijah Vanaldi s'engage-t-il avec


une femme ? Vous croyez vraiment que nous n'en aurions pas entendu
parler dans notre village ? Vous me prenez pour une idiote ?

— Bien sûr que non.

— Combien ? lui lança Dina avec mépris. Combien vous paie-t-il

— Cela n'a rien à voir avec l'argent ! s'exclama Ainslie d'une voix tendue.

Mais la tante de Guido éclata de rire et prit la main tremblante d'Ainslie en


regardant sa bague avec dégoût.

— Vous ne valez vraiment pas cher... !

— Ce...

Mais Dina ne la laissa pas continuer.

— Pourquoi mentez-vous pour lui ? demanda-t-elle avec une rage à peine


contenue. Nous savons toutes les deux que vous êtes...

Elle dut deviner qu'Airislie allait mal réagir à ses paroles car elle
s'interrompit subitement.

— Si c'est de l'argent qu'il vous faut, reprit-elle, partez maintenant. Nous


nous occuperons de vous. A la différence des Vanaldi, nous disons la vérité
— qu'elle soit bonne ou mauvaise.

9.
Depuis son arrivée à Londres, Ainslie n'avait jamais ressenti le mal du pays.
Mais en cette veille de Noël, une nostalgie terrible s'emparait d'elle. Elle
mourait d'envie de voir le ciel bleu d'Australie et de sentir le soleil lui brûler
les épaules. Au lieu de cela, elle poussait un Caddie rempli à ras bord sur le
parking d'un supermarché anglais.

Elle regrettait l'air embaumé du jardin de la maison de ses parents, où son


père était probablement en train de surveiller le barbecue.

A Londres, pas de repas en plein air au programme mais la préparation d'un


semblant de Noël pour Guido. Elijah et elle devaient remplir la maison
d'amour et de gaieté, créer un peu de féerie pour le petit garçon.

— En Sicile, nous mangeons du poisson la veille de Noël. Sept plats


différents de poisson...

Quand il vit l'expression effarée d'Enid, Elijah s'empressa d'ajouter :

— Un seul suffira, ne vous en faites pas.

Ainslie les regardait sans dire un mot. Elle ne devait pas oublier qu'il jouait
toujours un rôle, celui de l'homme parfait, du père adoptif idéal. Il fallait
qu'elle cesse de croire cette image qu'il montrait de lui, de croire les mots
tendres qu'il lui murmurait en lui faisant l'amour. Elle ne représentait pour
lui qu'un intermède agréable après ses journées infernales, une sorte
d'échappatoire.

Soudain elle repensa à ses paroles et sentit sa gorge se nouer : l'un des
avantages du métier!

— Tu te sens bien, Ainslie ? lui demanda-t-il en la regardant d'un air


inquiet.

— Je suis un peu fatiguée, c'est tout, répondit-elle avec un sourire forcé. La


journée a été longue.

Pour l'instant, elle ne lui avait pas parlé de Dina, préférant garder cela pour
plus tard. Elle voulait d'abord se faire sa propre opinion avant de risquer
d'attiser le conflit qui couvait déjà entre Elijah et elle.

— Mmm...

Les lèvres serrées, Guido refusait la nourriture qu'Enid lui présentait.

— C'est bon pour toi, affirma la gouvernante d'une voix rassurante.

Quand le garçonnet ouvrit la bouche pour protester, elle en profita pour


glisser habilement la cuillère entre ses lèvres.

Mais les bonnes manières de Guido laissaient toujours à désirer, et même


Ainslie ne put retenir un sourire quand il recracha la nourriture avec dégoût.

— Il apprendra à mieux se comporter avec le temps, je suppose...,


commenta Elijah.

Dès qu'Enid eut emmené Guido pour lui donner son bain, il se tourna vers
elle.

— Qu'est-ce que tu as ? demanda-t-il en la sondant du regard.

— Rien.

Ainslie serrait les poings pour réprimer sa colère. Après une journée aussi
éprouvante, elle ne désirait pas provoquer une dispute.

— Dis franchement ce que tu penses ! insista-t-il.

— Il ne vaut mieux pas.

— C'est mauvais de trop garder les choses pour soi.

— Pas toujours ! s'exclama-t-elle en refoulant ses larmes. Peut-

être que Guido ne s'améliorera pas avec le temps. C'est peut-

être de famille.
— De quoi parles-tu ?

— Du fait qu'il crache au visage des gens, blessant des gens qui ne l'ont pas
mérité.

— Ainslie... Je me suis déjà excusé.

— Non ! s'écria-t-elle en élevant la voix. Elle fit un effort pour se calmer.

— Tu t'es excusé auprès de Mlle Anderson et j'ai cru comprendre que tu


t'adressais également à moi. Ça ne suffit pas.

A cet instant, Enid réapparut, portant un Guido tout propre et souriant dans
ses bras. Vêtu d'un pyjama bleu pastel, ses cheveux noirs bien peignés et les
yeux remplis de sommeil, il était vraiment adorable. Après avoir tendu les
bras à Ainslie, il nicha sa tête au creux de son épaule quand elle le prit,
s'accrochant à elle comme s'il lui demandait de ne jamais le quitter.

Comment aurait-elle pu partir? Le laisser et s'en aller?

Humant son délicieux parfum de bébé, serrant contre elle ce petit corps
chaud qu'elle avait le pouvoir de rassurer par sa seule présence, elle se
sentait à la fois terrifiée et heureuse. En l'espace de quelques jours, sa
présence avait procuré un équilibre à Guido. C'était vers elle qu'il tendait le
plus souvent les bras quand Enid l'amenait avant de le coucher. C'était vers
elle qu'il se dirigeait quand il sortait en gigotant du bain. En un court laps de
temps, ce petit être avait compris qu'il pouvait lui faire confiance.

Quand Enid le prit délicatement, elle le sentit se raidir un instant. Mais il se


laissa faire et Enid l'emmena dans sa chambre.

— Tu te rends compte que j'avais besoin de toi cet après-midi, n'est-ce pas ?
Et que si tu pars... je le perds.

— Eh bien, tu as ce que tu veux, dit froidement Ainslie.

Jusqu'à présent.
— Ainslie, j'essaie de suivre ton conseil. J'essaie de faire confiance à ces
gens, de croire qu'ils ont peut-être changé. Mais je les ai observés
aujourd'hui : ils n'ont même pas regardé Guido. Tout le monde me dit de
faire la paix, que je me trompe...

— En quoi ? demanda Ainslie en fronçant les sourcils.

Mais de toute façon, cela ne la regardait plus, songea-t-elle en secouant la


tête. A présent, c'était son problème.

— Essayons de tenir jusqu'à demain, enchaîna-t-elle.

Il ne dit rien et ils restèrent en silence dans le salon jusqu'à ce qu'Enid leur
apporte deux tasses de chocolat chaud délicieusement odorantes.

— Vous devez être exténués, tous les deux, remarqua-t-elle.

Elijah contempla sa tasse avec de grands yeux avant de se lever pour aller
chercher une bouteille de rhum. Après en avoir versé une bonne rasade dans
son chocolat, il regarda Enid en souriant.

— Grâce à votre présence, les choses ont été beaucoup plus faciles, la
flatta-t-il.

La gouvernante rougit de plaisir.

— Nous avons eu de la chance de vous trouver aussi rapidement, ajouta-t-il.


Cela nous aide vraiment beaucoup.

Voulez-vous un peu de rhum ?

— Merci, j'en prendrai une goutte avec plaisir, répondit Enid.

Mais c'est une chance aussi pour moi ! Noël n'est pas un moment idéal
quand on est seul.

Pendant qu'Elijah se levait pour aller lui chercher un verre, Enid adressa un
sourire ému à Ainslie avant de poursuivre :
— J'ai préparé un bon repas de Noël — attendez un peu de goûter ma farce
aux marrons ! se rengorgea-t-elle. Je le servirai à midi, comme cela, Guido
aura largement le temps de faire la sieste avant d'aller retrouver son oncle et
sa tante.

— Vous déjeunez avec nous, bien sûr, proposa Elijah en fronçant les
sourcils.

— Je ferai manger Guido. Mais je ne veux pas m'imposer.

— Je vous en prie ! insista Elijah. Et Tony est invité, lui aussi.

Ainslie et moi...

Quand il lui prit la main, elle se raidit, incapable de jouer plus longtemps la
comédie ; mais cette fois, Elijah ne la laissa pas se dégager.

— ... nous aurons besoin de toute votre aide afin d'en faire un jour
inoubliable pour Guido.

— Très bien..., acquiesça Enid en souriant. Ne vous en faites pas, nous


allons lui offrir un merveilleux Noël.

Ainslie réussit à libérer sa main et prit sa tasse de chocolat.

— Et votre famille, Enid ? demanda-t-elle.

— Je n'ai que ma sœur, répondit la gouvernante. Mais je ne veux pas


toujours atterrir chez elle. J'ai travaillé dans une famille adorable pendant
vingt-quatre ans. Je m'occupais de la maison et des enfants. Les parents
voyageaient beaucoup dans le monde entier pour leur travail.

— Ils étaient devenus votre famille ? enchaîna Ainslie.

— Nous étions restés très proches. Même après le départ de leur plus jeune
enfant, ils m'avaient gardée pour m'occuper de la maison. Mais à présent, ils
sont partis s'installer à Singapour.
Lui a reçu une proposition inattendue et en quelques semaines, la maison a
été vendue.

Elle porta son verre à ses lèvres et but une gorgée de rhum.

— Pendant quelque temps, j'ai été un peu perdue. C'est pour cela que c'est
très agréable pour moi d'être ici. Je vais essayer de m'acheter une maison
l'année prochaine.

— Je pourrais vous aider, proposa aussitôt Elijah.

— Oh, je vous remercie, mais je ne crois pas que j'aie les moyens de...

— Je connais beaucoup de gens, l'interrompit-il, et je peux vous conseiller


et vous dire à qui il ne faut pas vous adresser.

— Eh bien, ce serait merveilleux, merci, accepta Enid en souriant. Avant


d'aller me coucher, voulez-vous que j'installe les cadeaux ?

— Je vous remercie, mais ne vous inquiétez pas, nous allons nous en


occuper.

Quelques instants plus tard, luttant contre la fatigue, ils placèrent sous le
sapin décoré les paquets soigneusement enrubannés par Maria. Ainslie
ajouta ses propres cadeaux.

Malgré l'odeur de résine de l'arbre et les lumières scintillantes des


guirlandes électriques, elle se sentait terriblement loin de Noël...

— Que fais-tu ? demanda Elijah un peu plus tard quand elle poussa la porte
de la chambre du petit garçon.

— Je vais fixer une chaussette à son lit ! chuchota Ainslie.

— Tu vas le réveiller !

Mais la jeune femme était déjà entrée dans la pièce.

— C'est fait ! murmura Ainslie en ressortant.


— Il ne la verra pas...

— Bien sûr que si, affirma-t-elle. Ainsi, il comprendra que c'est un jour
magique.

— Pas pour lui.

Soudain, Elijah eut l'air si fatigué, si triste, qu'elle dut faire un effort
surhumain pour ne pas lever la main et lui caresser le visage. Elle mourait
d'envie de poser ses lèvres sur les siennes, de le conduire vers le lit et de
faire disparaître son chagrin sous une multitude de baisers.

Mais la blessure que ses paroles cruelles lui avaient causée était encore à
vif.

Quand il ouvrit la porte de la chambre où ils dormaient ensemble, Ainslie


ne s'arrêta pas.

— Où vas-tu ?

— Dans une autre chambre, répondit-elle avec un sourire crispé.

Dieu merci, il y a le choix dans cette maison.

Il la regarda un long moment en silence avant de murmurer :

— Comme tu voudras.

Seule dans son lit, Ainslie ne parvenait pas à s'endormir. Hantée par le
visage las d'Elijah, elle revoyait les marques du chagrin qu'il avait enduré,
revivait la journée sombre qu'il venait de traverser et pouvait presque
éprouver le désespoir qui le minait.

Elle l'avait abandonné au moment où il avait le plus besoin d'elle...

10.

Il avait compris !
En dépit de son jeune âge et des événements récents, Guido avait compris
que ce jour-là était spécial ! Ce fut du moins ce que pensa Ainslie quand
elle l'entendit appeler à 6 heures, constatant que pour la première fois, il
avait dormi toute la nuit sans se réveiller.

Alors qu'elle se dirigeait rapidement vers sa chambre, elle se heurta à


Elijah, tout ébouriffé et vêtu seulement d'un slip taille basse noir. A la vue
de sa peau mate et de ses muscles fins, elle ne put s'empêcher de rougir.

— Buon Natale, lui souhaita-t-il d'une voix grave.

Son visage creusé montrait qu'il avait peu dormi, mais il semblait décidé à
faire une trêve car il se pencha pour déposer un baiser sur les lèvres de la
jeune femme, l'attirant brièvement contre lui.

— Joyeux Noël, Ainslie, reprit-il.

Ce bref contact la fit frissonner des pieds à la tête et elle s'enivra de son
odeur virile tandis qu'il se penchait pour prendre Guido dans ses bras.
L'enfant tenait à la main le tout petit ours qu'Ainslie avait glissé dans la
chaussette accrochée à son lit. Les yeux rivés sur le dos de son oncle, la
jeune femme fut parcourue par un désir incontrôlable de tendre la main
pour caresser sa peau lisse. Elle s'efforça alors de refouler les images
érotiques qui se bousculaient dans son cerveau et sourit gaiement à Guido.

Quand ils arrivèrent devant la cuisine, Enid en sortait, un tablier blanc noué
sur sa grande robe de chambre violette. Elle portait en outre un bonnet
rouge sur la tête et de grandes boucles d'oreilles représentant un Père Noël
oscillaient de chaque côté de son visage jovial. Très touchée qu'elle ait fait
cet effort, Ainslie ne résista pas à l'envie de l'embrasser.

— Joyeux Noël ! s'exclama Enid en souriant de plus belle.

Apparemment, elle ne semblait pas du tout choquée par la tenue plus que
légère d'Elijah, et elle lui posa les mains sur les épaules quand il vint
l'embrasser à son tour.

— Buon Natale ! s'exclama-t-il en la prenant par la taille.


Puis il se dirigea vers le salon où les cadeaux formaient un véritable
monticule multicolore. Après s'être assis avec son neveu à même le sol
devant le sapin, il l'aida à ouvrir les paquets un à un. Observant les réactions
ravies du petit garçon, Ainslie sentit l'amour que sa mère avait mis dans
chaque présent et décida de mettre sa rancune de côté. Il ne fallait surtout
pas gâcher le plaisir de Guido et la beauté de ces instants magiques.

— Joyeux Noël, Enid, dit Elijah en lui tendant un paquet.

— C'est pour moi ?

Embarrassée et aux anges, Enid défit le papier argenté avant de découvrir


un coffret de produits de beauté raffiné ainsi qu'une enveloppe qu'elle ouvrit
précautionneusement.

— Un spa ! Mon Dieu !

— Un week-end pour vous en compagnie de la personne de votre choix...,


annonça Elijah en repoussant ses remerciements d'un geste de la main. Nous
avons pensé que vous pourriez avoir besoin de vous reposer un peu après ce
séjour avec nous...

Il avait regardé Ainslie pour renforcer le « nous » qu'il avait employé.

— Et voici encore une toute petite chose..., déclara Ainslie en tendant son
cadeau à Enid, non sans avoir enlevé subrepticement la petite carte signée
d'elle seule.

Bien sûr, elle avait également acheté un présent pour Elijah.

Vu son budget limité, il lui avait été très difficile de trouver un objet
susceptible de plaire à un milliardaire, et elle se sentit soudain ridicule
d'avoir choisi un cadre numérique. Elle le regarda ôter le papier doré en se
mordant la lèvre. Quand il découvrit ce que contenait le paquet, une
expression indéchiffrable passa sur son visage.

— Merci, dit-il en la regardant dans les yeux.


Evidemment, il était sûrement déçu. Si elle avait été réellement sa fiancée,
si elle avait eu le droit de l'aimer, elle aurait choisi quelque chose de plus
personnel.

— Je n'ai pas eu beaucoup de temps, balbutia-t-elle.

Comme les larmes lui montaient aux yeux, elle se dirigea en hâte vers la
cuisine pour dissimuler son trouble. Pas question qu'elle éclate en sanglots
devant lui. Elle ouvrit le réfrigérateur et resta immobile devant, espérant
que l'air froid redonnerait un aspect normal à son visage.

— Pourquoi es-tu partie si précipitamment?

— Je suis venue chercher du lait pour Guido, bredouilla-t-elle, toujours


plantée devant le réfrigérateur ouvert.

— Enid aurait pu s'en occuper, lui fit-il remarquer. Tu n'as pas attendu de
recevoir ton cadeau.

Il lui avait posé la main sur l'épaule et la fit pivoter devant lui.

Quand elle vit le paquet qu'il tenait dans l'autre main, ses yeux se
brouillèrent encore davantage. Et lorsqu'elle l'ouvrit, les larmes trop
longtemps retenues roulèrent sur ses joues.

Un rubis, entouré de diamants, se balançait au bout d'une superbe chaîne en


argent.

Même si elle n'y connaissait rien en pierres précieuses, Ainslie comprit que
celles-ci étaient véritables.

— C'est trop...

Elle ne put continuer parce que, effectivement, c'était trop pour elle. Ce
bijou aurait été un cadeau parfait de la part d'un homme pour la femme qu'il
aimait, mais pas pour son employée. Soudain, elle se rendit compte avec
angoisse à quel point elle désirait être sa vraie fiancée.
Elle désirait que les mains qui tenaient maintenant le pendentif, qui se
glissaient sous ses cheveux, les mains qui lui avaient fait l'amour, que ces
mains soient pour elle, seulement pour elle et pour toujours.

— J'aurais dû prendre plus de temps..., murmura-t-elle.

— De quoi parles-tu ?

— Du cadeau que je t'ai fait...

— Il me plaît énormément.

Il avait reculé pour contempler le bijou qui reposait entre ses seins, si bien
qu'elle se demanda de quel cadeau il parlait. En tout cas, elle sentit ses
mamelons réagir sous le regard d'Elijah, se durcir, comme s'ils réclamaient
son attention.

— Tu n'aurais pas dû, répéta-t-elle.

— Tu aimes les belles choses, se moqua-t-il gentiment. Et nous ne voulons


pas que tu voles.

— Tu sais bien que je n'avais pas volé, répliqua-t-elle en grimaçant.

— Oui, effectivement. Et je te l'ai d'ailleurs dit, tu t'en souviens ?

Ainslie acquiesça.

— Tu ne m'embrasses pas ? demanda-t-il.

— Je peux profiter des avantages du métier même les jours fériés ?

Elle aurait préféré qu'il se mette en colère au lieu de sourire, qu'il lui
réponde vertement au lieu d'embrasser ainsi doucement ses joues et son
cou, qu'il lui tourne le dos au lieu de mettre le feu à ses sens.

— Je parle parfois sans réfléchir, murmura-t-il entre deux baisers. Mais à


d'autres moments...
Tremblante, Ainslie luttait contre elle-même pour ne pas céder aux vertiges
de la sensualité.

— Non, arrête, haleta-t-elle.

— Pourquoi?

Il avait prononcé ces mots dans un souffle, tout contre son oreille. Les
mains posées sur le réfrigérateur de chaque côté d'elle, le corps tendu et
penché, seule sa bouche était en contact avec le corps de la jeune femme,
qui éprouvait une envie irrésistible de coller son corps contre le sien et
d'embrasser violemment ses lèvres. Mais il ne le fallait pas... Surtout pas...

— Pour ne pas embarrasser Enid, répondit-elle.

Quelle piètre explication, songea-t-elle aussitôt, mais elle fut dispensée


d'avoir à s'expliquer plus avant par l'arrivée de la gouvernante.

— Je ne suis pas du tout embarrassée ! s'exclama-t-elle en souriant.

Mais Ainslie l'était, elle, surtout quand Enid s'approcha d'elle pour venir
admirer le pendentif. Elle sortit ses lunettes de sa poche pour mieux le voir
et Ainslie rougit de constater que son décolleté était devenu le centre de
tous les regards.

— Il est magnifique, déclara Enid. Et ça, ce n'est pas du toc!

— Certainement pas, approuva Elijah d'un ton solennel.

Une fois l'effervescence des cadeaux et le désordre de ses sens retombés,


Ainslie entreprit de téléphoner à sa famille.

— Tu es sûre que tu vas bien, ma chérie ? lui demanda sa mère d'une voix
légèrement inquiète.

— Très bien, affirma Ainslie. Et j'ai trouvé un très bon job.

— Mais tu avais dit la même chose pour le précédent, lui fit remarquer sa
mère. Ecoute, si tu as besoin d'argent, ton père et moi, nous serions contents
que tu nous le dises.

— Je le ferai, je te le promets, mentit Ainslie.

Comment aurait-elle pu faire autrement ? Ils étaient en Australie, à l'autre


bout du monde. Et puis elle n'allait quand même pas les appeler à chaque
contrariété !

Elle adressa un petit signe à Elijah qui téléphonait lui aussi et parlait en
italien. Sa voix au timbre profond et riche empêchait la jeune femme de se
concentrer. Au moment où elle se dirigea vers la porte pour changer de
pièce, il eut visiblement la même idée car il disparut dans le bureau et
referma la porte derrière lui.

Apparemment, Elijah avait de nombreuses personnes à qui souhaiter un


joyeux Noël car il resta enfermé dans le bureau durant une éternité.

— Tu as le mal du pays ? demanda Elijah à un moment où Ainslie


contemplait pensivement son verre de vin.

Quand elle était redescendue au rez-de-chaussée, vêtue avec soin pour


l'occasion, elle avait découvert avec émerveillement la table dressée par
Enid.

Des branches de houx et des boules multicolores ressortaient sur la nappe


blanche tandis qu'un haut chandelier en cuivre portait des bougies rouges.
Des corbeilles vertes et dorées remplies de mandarines étaient posées ici et
là et au beau milieu de la table trônait une énorme dinde — qui pourrait
certainement les nourrir jusqu'au prochain Noël, songea Ainslie en la
contemplant avec stupéfaction.

Quelques instants plus tard, Elijah était apparu. Il s'était rasé de près et
portait une superbe chemise de soie immaculée et un pantalon cigarette
prince-de-galles certainement fait sur mesure. Gai et détendu, il n'avait
ensuite cessé de s'amuser et de faire le pitre, provoquant l'hilarité de Guido.
Ayant trouvé l'appareil numérique de Maria, il avait pris de nombreuses
photos, surtout à partir du moment où Tony les avait rejoints.
Des cierges magiques crépitant dans les mains et portant un bonnet de Père
Noël duquel sortaient de grandes oreilles de renne, il avait fait hurler de rire
toute la tablée. A ce moment-là, Ainslie s'était dit qu'en dépit du deuil qui
affectait la maisonnée, un petit miracle avait bel et bien eu lieu : ce Noël
était réellement magique...

— Oui, répondit sincèrement Ainslie à la question d'Elijah. Je me sens un


peu nostalgique.

Mais contrairement aux évidences, elle ne l'était pas de l'Australie ni de sa


famille.

Elle était nostalgique par anticipation, à l'idée de ce qu'elle allait ressentir


plus tard, quand tout serait fini et qu'elle repenserait à ce jour merveilleux.

— Nous serons de retour à 19 heures ! dit Enid en boutonnant le manteau


de Guido, tandis que Tony emportait le sac contenant ses affaires et la
poussette vers la voiture.

— Merci de nous avoir proposé de l'emmener, répliqua Elijah en se


penchant pour embrasser son neveu. Et toi, sois sage avec Enid.

Quand ils se retrouvèrent seuls tous les deux, assis devant le feu qui
rougeoyait dans la cheminée, Ainslie se sentit soudain timide et maladroite.
Ce fut Elijah qui rompit le silence.

— Excuse-moi, déclara-t-il en se tournant vers elle avant de la regarder


dans les yeux. J'étais amer et triste, en colère et...

Il chercha le mot approprié pendant quelques instants.

— ... confuso ?

— Confus, approuva Ainslie.

— Je n'utilise pas souvent ce terme, soupira-t-il. Normalement, je sais


exactement ce que je fais et ce que je dois faire. Là, je me suis reposé sur
toi, et je te demande de m'excuser pour cela.
— Tu vas t'en sortir, dit Ainslie. Tu te débrouilles très bien avec Guido et...

— Ce n'est pas seulement à cause de lui que je me sens confus.

Ses yeux bleus ne quittaient pas les siens.

— A cause de quoi, alors ?

— De nous.

Il l'avait dit si simplement qu'à présent, c'était elle qui se sentait confuse.

— Je ne m'attendais pas à ce qui se passe entre nous, reprit-il en se


penchant vers elle.

Quand leurs lèvres se joignirent, Ainslie crut qu'elle allait s'évanouir...

Le cashmere lui caressa le visage lorsqu'il fit passer son pull par-dessus sa
tête et, en dépit du feu dans la cheminée, un frisson parcourut sa peau nue.

Elijah s'agenouillait maintenant sur le plancher devant elle. Il prit de


nouveau sa bouche en un baiser passionné et brûlant.

Ses mains adroites défirent son soutien-gorge tandis que ses lèvres tout
aussi expertes descendaient sur sa gorge offerte. Ses cheveux noirs
caressèrent délicieusement la poitrine d'Ainslie quand il entreprit de lécher
doucement la pointe durcie de son sein. Tout en l'aspirant doucement entre
ses lèvres, il trouva la fermeture Eclair de sa jupe et, quand il fit glisser le
tissu sur ses hanches, Ainslie l'aida en les soulevant légèrement. En
quelques secondes, il acheva de la déshabiller.

— Elijah, murmura-t-elle, embarrassée par sa nudité alors que lui était


encore habillé.

Mais il ne l'écoutait pas et l'attira au bord du sofa.

— Détends-toi, ordonna-t-il d'une voix rauque.


Après avoir déposé quelques baisers terriblement érotiques sur son mont de
Vénus, il se débarrassa de sa chemise avant de baisser de nouveau la tête
vers son intimité.

— Détends-toi, répéta-t-il avant d'approcher de nouveau sa bouche de sa


toison.

— Je ne peux pas..., balbutia Ainslie.

Elle était assaillie de visions d'Enid revenant pour prendre ses gants, ou
l'écharpe de Guido, ou Dieu sait quoi.

— J'ai mis la chaîne de sûreté, souffla Elijah comme s'il avait deviné ses
craintes.

Puis il plongea avec gourmandise entre ses cuisses. Sa langue fouillait en


elle, caressait sa chair humide, la soumettant à un supplice délicieux. Elle
titillait son bouton frémissant de volupté et le faisait se gonfler sous ses
assauts experts.

— J'adore ton goût, murmura-t-il soudain. On dirait du miel...

Et soudain Ainslie ne pensa plus à rien, à rien sinon à ces vagues qu'il
faisait naître dans les replis de son intimité et qui déferlaient dans tout son
être. Elle avait presque envie de sangloter de bonheur.

Une plainte sourde monta de sa gorge tandis qu'elle s'accrochait à ses


cheveux. Il réagissait à chaque gémissement, à chaque geste de ses mains ;
il faisait exactement ce qu'il fallait, au moment où il le fallait. Ainslie vit ses
propres genoux trembler, sentit ses cuisses se contracter, elle défaillait sous
la chaleur de son souffle, la douceur de sa langue. Et quand il s'arrêta
soudain un très bref instant, elle l'entendit murmurer :

— Ça, c'est mon privilège.

Ensuite, ses lèvres vinrent de nouveau la butiner, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus
rien à donner ni plus rien à prendre. Quand elle eut achevé de trembler de
plaisir, lorsqu'elle fut complètement rassasiée, il se redressa et l'attira vers
lui avant de l'installer sur le tapis devant le feu.

Ainslie vit sa peau satinée luire à la lueur des flammes. Elle contempla son
érection puissante avec avidité. Lorsqu'il s'enfonça en elle, Ainslie ferma les
yeux et s'abandonna au ravissement de l'entendre répéter son prénom.
Quelques instants plus tard, elle sombra de nouveau dans l'extase en
l'entraînant avec elle.

— Je me sens coupable de...

Il n'acheva pas sa phrase. Ce n'était pas la peine. Le feu était mourant à


présent et seule les éclairait la douce lumière provenant d'une lampe à
l'abat-jour en satin rose.

— Je sais, murmura Ainslie.

Il était allongé sur le dos, sa poitrine se soulevant régulièrement sous les


doigts d'Ainslie.

— En plus de tout ce qui s'est passé, tu as changé ma vie.

Quand elle entendit la déférence contenue dans ses paroles, sa main


s'immobilisa. Cette fois, il n'avait pas parlé sous le coup de l'émotion due à
leur étreinte.

— Toi aussi, tu as changé la mienne, avoua-t-elle doucement.

Le juron qu'il poussa n'était peut-être pas la réponse qu'elle attendait, mais il
était parfaitement justifié par le bruit qui provenait de l'entrée : quelqu'un
essayait d'ouvrir la porte. Ils se levèrent tous les deux en un éclair.

Après s'être rhabillés en hâte, ils glissèrent leurs sous-vêtements sous un


coussin et rejoignirent le hall. Elijah ôta la chaîne de sûreté et, l'air aussi
coupable qu'Ainslie, s'effaça pour laisser entrer Enid, qui portait dans ses
bras un Guido à moitié endormi. Après l'avoir tendu à son oncle, elle ôta ses
gants d'un geste énergique.
— Vous êtes sûr que je peux demander à Tony de me conduire chez ma
sœur?

— Absolument. Tout s'est bien passé ?

— Normalement, déclara-t-elle en haussant les épaules. Et vous, qu'avez-


vous fait?

— Oh... Des bricoles... Mais dites-moi, comment étaient les Castella?

— Comme d'habitude, répondit la gouvernante en regardant tristement


Guido. Ils n'ont pas fait beaucoup d'efforts. Mais ils lui ont bien offert un
joli cadeau : des petites marionnettes. Ils les avaient achetées à l'aéroport en
Italie.

Elle commença à fouiller dans le grand sac de Guido. Elijah l'arrêta d'un
geste.

— Vous en avez assez fait, Enid. Allez rejoindre votre sœur maintenant, et
passez une bonne soirée.

— Je peux coucher le petit avant de partir.

— Non, insista Elijah. Nous allons nous en occuper.

— Bon, si vous en êtes sûr, dit Enid en se tournant vers la porte.

Puis elle sembla changer d'avis et fit volte-face.

— J'ai vraiment passé de très bons moments avec vous. Cela a été un
merveilleux Noël pour moi. Oh, et puis, monsieur Vanaldi, je voulais vous
dire...

Cette fois, elle avança vers la porte sans se retourner.

— ... vous avez boutonné Pierre avec Paul.

Ainslie adora la façon dont Elijah rougit en baissant les yeux sur sa
chemise.
Quelques heures plus tard, tout en lui caressant langoureusement la cuisse,
Elijah dit d'un air pensif :

— Ils lui avaient acheté un cadeau à l'aéroport... Tu ne trouves pas ça


étrange ? Quand j'ai appris la terrible nouvelle, j'ai pris mon passeport, mon
portefeuille et mon ordinateur portable. A l'aéroport il a fallu que j'achète
un chargeur pour mon téléphone et un adaptateur. Cela ne me serait jamais
venu à l'esprit d'acheter un cadeau pour Guido...

— Je suppose que les gens réagissent différemment.

Une scène revint brusquement à la mémoire d'Ainslie ; elle n'en avait pas
encore parlé à Elijah, non par manque de franchise mais parce que
l'occasion ne s'était pas encore présentée.

— Dina m'a dit quelque chose le jour des funérailles, commença-t-elle d'un
ton hésitant, guettant sa réaction.

Il resta silencieux.

— Elle ne me l'a pas dit directement, reprit-elle, mais... Eh bien, elle m'a
offert de l'argent pour que je te quitte.

Ainslie attendit l'inévitable explosion de rage mais rien ne vint. Elle sentit
les bras vigoureux d'Elijah se refermer autour d'elle.

— Dors maintenant, chuchota-t-il en l'embrassant dans les cheveux. Tout va


bien.

Très rapidement, il la sentit se détendre dans ses bras. Il avait partagé ses
préoccupations avec elle, certes, mais cela ne les avait pas fait disparaître
pour autant.

Ainslie s'était endormie, Elijah le devina au souffle régulier qui soulevait sa


poitrine adorable. Il valait peut-être mieux qu'elle parte, à cause des risques
auxquels elle se trouvait désormais exposée.

Un instant, il fut tenté de la réveiller pour lui faire part plus précisément de
ses craintes. Mais à quoi cela servirait-il ? Et s'il lui parlait vraiment à cœur
ouvert, resterait-elle ensuite ?

Il se força à calmer les battements de son cœur tandis qu'il se sentait en


proie à un dilemme cruel. Il voulait qu'elle parte, mais il avait besoin qu'elle
reste. Il avait besoin d'elle.

— Dors, répéta-t-il à voix haute.

Mais cette fois, il s'était adressé à sa sœur, à son âme qu'il sentait planer au-
dessus d'eux, veillant avec amour sur son enfant.

— Je prendrai soin de lui, Maria. Buon Natale.

11.

— Il devrait être avec Enid.

— Pardon ? demanda Ainslie en revenant se glisser dans le lit après être


allée voir Guido.

— C'est Enid qui devrait se lever la nuit. Je l'ai engagée comme


gouvernante et comme nurse.

— Mais ça ne me gêne pas, murmura-t-elle en bâillant.

Par contre, elle n'avait désormais plus qu'une envie : se rendormir dans les
bras d'Elijah.

— Ce n'est pas la question. Si tu étais vraiment ma fiancée, tu ne te lèverais


pas la nuit pour aller t'occuper de Guido. Demain matin, je ferai monter son
lit au dernier étage.

Puis il se tourna sur le côté, loin d'Ainslie.

Furieuse, elle s'assit dans le lit et s'adressa à son large dos.

- Je ne sais pas quel genre de vraies fiancées tu as eu avant d'en engager une
fausse mais moi, si j'étais ta vraie fiancée, je serais le genre qui se lève en
pleine nuit. Et le genre qui parlerait tranquillement avec toi de ces choses
plutôt que te laisser prendre des décisions autoritaires.

— Dans ce cas, c'est aussi bien que nous ne soyons pas vraiment fiancés,
rétorqua-t-il sans même se retourner.

Tout en regardant Tony démonter le lit de Guido pour le transporter au


dernier étage, Ainslie eut l'impression d'être ellemême démantelée.
L'homme qu'elle avait cru commencer à connaître s'était muré dans une
attitude fermée et intransigeante.

— Je serai absent cet après-midi, vint lui annoncer Elijah alors qu'elle
contemplait la place vide laissée par le petit lit.

— C'est ainsi que va se dérouler son existence ? demanda-t-elle en se


retournant vers lui. Il sera laissé à la nurse pendant que tu sors ? Et il
dormira loin de toi pour que tu ne sois pas dérangé durant ton sommeil ?

— Tu déformes tout.

— Non, Elijah. Qu'est-ce que tu peux avoir à faire de si important le


lendemain de Noël ? Mlle Anderson a raison : tu dois passer du temps avec
lui, pour forger un lien entre vous.

— Guido ne semble pas s'en soucier. Il est en haut avec Enid et il s'amuse
avec ses nouveaux jouets.

— Il a quinze mois, pour l'amour du ciel !

— Oui, exactement, répliqua-t-il en haussant les épaules. En fait, la seule


personne qui semble ennuyée par mon absence, c'est toi. Ce qui me conduit
à me poser des questions. Ne te sers pas de mon neveu pour me faire
culpabiliser, pour prendre l'ascendant sur moi. Je sors, un point c'est tout.

— Je reviendrai dans quelques heures.

— Vous allez travailler? demanda Enid d'un ton surpris.

— Je voudrais jeter un coup d'œil à quelques propriétés.


Sans plus poser de questions, Enid se dirigea vers la cuisine.

— Je ne vois pas pourquoi je m'arrêterais de travailler parce que je suis


coincé ici.

— Coincé ici ? répéta Ainslie.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire.

— Mais ce sont les vacances !

— Cela ne change rien pour moi. Au fait, achète-toi quelque chose pour la
soirée du nouvel an. Ce sera habillé, ce qui signifie...

— J'ai compris ! l'interrompit-elle vivement.

—- J'allais dire qu'il faudra donc que nous demandions à Enid de rester
avec Guido. Peux-tu t'en charger?

— Je préviendrai aussi Tony.

— Je lui ai donné sa soirée. Des amis passeront nous prendre.

Une gouvernante à disposition, un chauffeur prêt à vous emmener là vous


vouliez... Dans de telles conditions, la vie était très simple, songea Ainslie
tout en déambulant dans les magasins, avec Tony derrière elle qui portait
ses paquets.

Beaucoup de femmes trouveraient même certainement que c'était l'existence


idéale.

Sauf que ce n'était pas ce que désirait Ainslie, ni pour elle, ni pour Guido.

Surtout quand ce soir-là, une fois de plus, Elijah ne fut pas rentré à l'heure
du bain de son neveu, ni pour lui dire bonsoir avant qu'Enid n'aille le
coucher.

En à peine une semaine, ses « quelques heures » d'absence s'étaient


étendues jusqu'à minuit et désormais, il semblait préférer dîner à l'extérieur.
Quand il venait la rejoindre au lit, même quand il l'attirait contre lui, Ainslie
sentait qu'il n'était pas vraiment là.

— Je vais devoir aller en Italie pour quelques jours...

— Tu ne peux pas faire sortir Guido du territoire.

— Je sais..., soupira Elijah. Et nous devons aller à cette soirée de la Saint-


Sylvestre. Je partirai tout de suite après.

— Mais...

Ainslie s'interrompit. Elle ne voulait pas le harceler de questions, mais la


jalousie et le doute s'insinuaient en elle.

— Tu as rendez-vous avec Mlle Anderson le 2.

— C'est toi qui devras la rencontrer. De toute façon, il faut qu'elle


comprenne que je travaille. J'ai tout mis de côté depuis l'accident mais j'ai
des engagements à respecter, du personnel, le monde ne s'est pas arrêté de
tourner parce que Maria est morte.

— Guido est ton neveu, répliqua Ainslie en le regardant dans les yeux. Et tu
as engagé un véritable combat dans le but d'obtenir sa garde. Tu sais aussi
bien que moi qu'à la seconde même où tu quitteras l'Angleterre, les Castella
vont exiger que Guido aille chez eux.

— Il restera ici ! Chez lui ! Et tu seras avec lui à chaque instant.

Si les Castella viennent sonner à la porte, tu ne leur ouvriras pas. Ecoute, si


tu ne veux pas recevoir Mlle Anderson, je l'appellerai pour fixer une autre
date.

— Tu n'as pas l'intention de changer, n'est-ce pas ?

— Pourquoi devrais-je changer ? répliqua Elijah en haussant les sourcils. Je


ne suis pas comme toi, j'aimais ma vie.

Ainslie bondit hors du lit et enfila sa robe de chambre.


— Tu vas de nouveau dans la chambre d'amis ? lança-t-il d'un ton mordant.
Vas-tu t'enfuir chaque fois que tu n'auras pas le dernier mot?

— J'allais simplement aux toilettes, riposta-t-elle sur le même ton.

Une fois dans la salle de bains, elle s'assit sur le bord de la baignoire en
respirant à fond pour essayer de se calmer. Mais en vain.

Elle sentait le fossé qui les séparait à présent ; elle voyait Elijah s'éloigner
irrémédiablement, pas seulement d'elle mais aussi de Guido.

— Vous devez sortir, insista Enid avec véhémence.

Ainslie se sentait horriblement coupable. Elle détourna le visage pour


échapper aux baisers mouillés de Guido, qui risquaient de réduire à néant
les longues minutes passées à se maquiller.

Vêtue de sa robe de chambre, elle lui donnait de petits morceaux de dinde et


attendait patiemment qu'il mâche.

— C'est la soirée de la Saint-Sylvestre, poursuivit Enid. Et si vous obtenez


la garde de Guido, il faudra qu'il s'habitue à ce que vous sortiez de temps en
temps.

En effet, depuis quelques jours, le téléphone d'Elijah sonnait constamment.


Apparemment, tout le monde savait désormais qu'il demeurait à Londres et
de nouvelles invitations arrivaient sans cesse. La perspective de se retrouver
parachutée dans son univers clinquant donnait des sueurs froides à Ainslie.

Elle se força à revenir à la conversation avec la gouvernante et leva les yeux


vers elle.

— Nous ne sortirons pas beaucoup. Maintenant, nous devons penser à


Guido.

— Bien sûr, répliqua Enid. Mais j'ai cherché sur internet.

— Que voulez-vous dire ?


— J'ai vu que M. Vanaldi avait une vie mondaine bien remplie.

Elle ne va pas s'interrompre tout à coup. Alors, sortez et allez vous amuser.
Vous l'avez mérité, après ce que vous venez de traverser...

Peut-être avait-elle raison.

Peut-être était-ce ce dont ils avaient besoin. Elijah était habitué aux soirées,
au luxe et aux créatures somptueuses. Il n'y renoncerait pas complètement
pour Guido. Il devrait trouver un compromis et, au moins pour ce soir, elle
aussi !

Un peu plus tard, se regardant dans le miroir en pied, elle réussit presque à
s'en convaincre. La soie rose clair de sa robe brodée à la main et le mantelet
assorti formaient un ensemble superbe et lui allaient à ravir. Ses cheveux
blond cendré soigneusement brossés, son splendide pendentif autour de son
cou et une paire d'escarpins gris perle à hauts talons aux pieds, elle se
trouva même pas mal du tout...

Cependant, la tendresse, la complicité qu'Elijah et elle avaient trouvées à


Noël semblaient perdues. Ainslie soupira. Les mains qui l'avaient adorée ne
s'approchaient plus de son corps, la bouche qui l'embrassait si bien semblait
désabusée. En outre, elle ne pouvait vraiment pas comprendre qu'il parte en
Italie si peu de temps avant que les services sociaux ne prennent leur
décision.

— Vous êtes magnifique ! s'extasia Enid quand elle redescendit au rez-de-


chaussée. Tony est dans la cuisine. Je suis en train de lui préparer une tasse
de thé.

Mais Elijah n'était toujours pas là.

Terriblement contrariée, Ainslie se laissa peu à peu gagner par les idées
noires à mesure qu'elle attendait son retour. Lorsque le téléphone de la
maison sonna, l'angoisse lui monta à la gorge.

Elle mit quelques secondes à réaliser que la voix terriblement sexy qui
parlait rapidement en italien dans le combiné n'était pas celle qu'elle
s'attendait à entendre.

— Elijah n'est pas là ! réussit-elle à placer.

— Ah... Et vous êtes ? ronronna la femme au bout du fil.

— Ainslie.

— Oh, la remplaçante ? s'exclama-t-elle avec un éclat de rire.

Ne vous inquiétez pas, Elijah m'a parlé de la gouvernante et m'a demandé


d'être prudente.

Ainslie sentit quelque chose mourir en elle tandis qu'Enid venait déposer
une tasse de thé fumant devant elle.

— Je sais être discrète quand il le faut, reprit la voix sucrée. Où est-il ? Son
téléphone portable est éteint.

— Qui êtes-vous ? demanda courageusement Ainslie—elle redoutait la


réponse plus que tout.

— Portia ! répondit son interlocutrice avec assurance. Sa vraie fiancée.

Elijah jura lorsque le peigne accrocha un nœud dans ses cheveux. Il s'était
douché et changé en un temps record. Une fois coiffé, il se vaporisa d'eau
de toilette puis noua sa cravate.

Il n'avait pas dit un mot à Ainslie, qui était pourtant restée dans la chambre
tout le temps qu'il se préparait. Il ne voulait surtout pas lui demander
comment elle allait, parce qu'il la savait inquiète et triste. L'entendre de sa
bouche l'aurait anéanti, d'autant qu'il en était le seul responsable. Il n'aurait
pas supporté une autre dispute, et il ne désirait pas se justifier pour son
retard, ni même pour être sorti — si elle savait comme il aurait préféré
rester à la maison ! Tout cela, il s'en rendait bien compte, le mettait de
méchante humeur. En outre, il n'avait aucune envie de partir pour l'Italie le
lendemain, aucune envie de la forcer à rester pendant son absence mais
surtout, il ne voulait pas qu'elle s'en aille...
Elijah jeta un coup d'œil à Ainslie. Il vit sa pâleur et son air tendu, qui la
rendaient plus belle et plus fragile que jamais. Il aurait dû lui faire des
compliments sur sa mise, lui dire combien il la trouvait magnifique — après
tout, c'était la vérité — mais aucune parole ne parvenait à franchir ses
lèvres.

— Viens ! parvint-il à articuler en lui tendant la main, tout en sachant


qu'elle ne la prendrait pas. Allons-y !

La soirée avait lieu dans une luxueuse demeure qui donnait sur la Tamise.
Le Champagne y coulait à flots et une nuée de serveurs proposait des
amuse-gueules raffinés. Mais Ainslie n'avait pas d'appétit, envie de rien, et
surtout pas de cette ambiance joyeuse et festive.

Elijah l'avait présentée à un petit groupe de personnes et, après lui avoir
tendu une coupe de Champagne, l'avait laissée avec eux avant de s'éloigner.
Elle essaya de s'intéresser à la conversation mais se sentait affreusement
déplacée parmi ces gens qui racontaient leurs vacances aux sports d'hiver —
en Suisse bien entendu, est-il concevable d'aller skier ailleurs ?... —

et tenaient des propos outrés sur les nurses qui osaient demander leur soirée
de la Saint-Sylvestre !

Outre leurs vêtements qui semblaient tout droit sortis d'un défilé haute
couture, tous avaient un point commun : ils adoraient Elijah.

Du coin de l'œil, Ainslie voyait les femmes défiler auprès de lui. Sourire
aux lèvres, il acceptait leurs baisers empressés de bonne grâce tandis que,
minée par la jalousie, elle serrait les dents et s'efforçait de continuer à faire
bonne figure.

Comment pouvait-il accorder de l'importance à tous ces snobs

Soudain, alors que minuit approchait, il vint la retrouver et l'invita à danser.


Mais le mal était fait : il l'avait négligée, alors qu'elle aurait tellement
souhaité qu'il se comporte différemment avec elle. Parce que malgré tout,
elle désirait Elijah, comme elle n'avait jamais désiré aucun autre homme.

Les mains négligemment posées sur sa taille, il se pencha vers son oreille.

— Fais au moins semblant de t'amuser, murmura-t-il.

— Pourquoi?

— Pourquoi ? répéta-t-il d'un ton incrédule et frustré.

— Ces gens sont atroces, et tu m'as ignorée toute la soirée.

— Ainslie, coupa-t-il d'une voix cassante, je te l'ai déjà dit : je dois parler à
ces gens.

— A Portia aussi ?

Après s'être immobilisé une seconde, il lui prit brusquement le coude et


l'entraîna sur le balcon, où il faisait un froid épouvantable.

— Explique-toi, lança-t-il sèchement.

— Elle a appelé tout à l'heure.

— Je t'avais dit de ne pas répondre au téléphone. Ce n'est pas ma faute si tu


préfères ne pas suivre mes instructions. Mais merci de m'avoir transmis le
message.

— Je ne l'ai pas encore fait, répliqua-t-elle d'une voix déformée par


l'amertume. Elle m'a dit qu'elle était ta vraie fiancée.

— Crois-tu vraiment que je ne fréquentais personne avant de venir à


Londres ?

— Est-ce pour elle que tu vas en Italie ?

— Portia?
Il eut le culot d'éclater de rire.

— Tu crois que je vais là-bas pour Portia?

— Est-ce avec elle que tu as passé des heures au téléphone durant toute la
semaine ?

— Tu es jalouse ?

— Oui ! s'exclama Ainslie. Et puisque je ne suis pas assez mondaine ni


assez sophistiquée pour toi, je peux bien te dire que peu m'importe que tu
couches aussi avec elle. Mais franchement, Elijah, est-ce que ta vraie
fiancée se lèverait la nuit pour aller s'occuper de Guido ? Est-ce qu'elle
l'aimerait comme je l'aime ? Est-ce qu'elle...

Elle s'interrompit brusquement, horrifiée de se rendre compte qu'elle avait


failli avouer à Elijah qu'elle l'aimait...

— Je n'ai pas trouvé le temps de lui dire que c'était fini.

Il avait parlé d'un ton si détaché qu'elle en frémit. Le moment venu, elle
serait rejetée avec la même brutalité.

— Tu es toujours tellement prête à penser le pire à mon sujet, reprit Elijah.


Avec tout ce qui s'est passé depuis mon arrivée à Londres, j'ai oublié
d'avertir la femme que je fréquentais depuis deux semaines qu'il n'y avait
pas de place pour elle dans ma vie.

Ainslie, crois-moi : je n'ai pas songé à Portia un seul instant ! Je l'ai appelée
hier pour lui dire ce qui s'était passé. Mais j'essayais en même temps
d'obtenir un renseignement dont j'avais besoin.

Et tu as raison sur un point : Portia ne t'arrive pas à la cheville...

Ainslie sentait son souffle lui caresser la joue, voyait la colère et, crut-elle
déceler, la sincérité qui éclairaient les yeux bleus rivés aux siens.

— Dans cet enfer, je ne m'attendais pas à être heureux, continua-t-il d'une


voix grave. Je me sentais coupable de pouvoir sourire, de te faire rire, de
pouvoir te tenir dans mes bras alors que j'aurais dû concentrer toutes mes
pensées sur Guido, sur ma sœur. Je me sens coupable parce que, en dépit de
tout, je te désire, à chaque instant !

A cet instant, il l'attira doucement contre lui et l'embrassa.

Contrairement à ce qu'il espérait, elle lui résistait, les lèvres obstinément


serrées. Elijah insista farouchement et, quand elle s'entrouvrit enfin, il
dévora sa bouche avec toute l'ardeur d'un désir contenu durant de trop
longues journées.

Soudain Ainslie entendit une rumeur. Les invités égrenaient les dernières
secondes de l'année et tout à coup, elle se sentit terrifiée. Elle ne voulait pas
voir le lendemain arriver, parce qu'elle devrait laisser Elijah partir.

Puis le vénérable carillon de Big Ben sonna les douze coups.

En Australie, cette célébration était très modeste mais là, à Londres, elle
savait que tout le monde manifestait bruyamment sa joie. Aux balcons, dans
la rue, des gens chantaient « Auld Lang Syne », la vieille version originale
écossaise de « Ce n'est qu'un au revoir » tandis qu'Elijah continuait à
l'embrasser, son érection fermement pressée contre elle. Il aurait pu la
prendre là, sur le balcon. Elle se serait laissé faire, songea-t-elle avec un
mélange d'excitation et d'effarement. Car en dépit de tout, elle non plus
n'avait jamais cessé de le désirer.

Durant le trajet qui les ramenait à Earl's Court, il continua à l'embrasser. Et


quand ils gravirent les quelques marches de la maison et entrèrent dans le
hall, il ne s'écarta pas de ses lèvres.

Les doigts enfoncés dans ses cheveux épais, Ainslie lui rendait ses baisers
avec fougue et ils arrivèrent dans la chambre étroitement enlacés.

Sans plus attendre, il remonta sa robe sur son corps d'une main fébrile avant
de déchirer ses sous-vêtements d'un geste brusque. Puis il libéra son
érection, lui écarta les cuisses et se baissa légèrement pour la pénétrer.
Même si la position n'était pas très confortable, Ainslie se sentait envahie
par des sensations fulgurantes tandis qu'il s'enfonçait de plus en plus
profondément en elle. Il y avait quelque chose d'éblouissant dans leur
étreinte.

Une passion brute les consumait tous deux. Les mains s'agrippant à ses
hanches, Elijah donna un coup de reins si puissant qu'Ainslie eut
l'impression d'imploser de plaisir. Elle s'accrocha à lui, perdue en un
orgasme d'une intensité inouïe. Il s'enfonça alors en elle une dernière fois en
murmurant son prénom avant de sombrer à son tour dans l'extase.

Plus tard, alors qu'ils étaient étendus sur le lit, il prononça les mots qu'elle
redoutait :

— Epouse-moi...

En d'autres circonstances, entendre ces mots l'aurait transportée de bonheur.


Mais Ainslie savait qu'Elijah mettait simplement ses pions en place afin
d'obtenir ce qu'il désirait : la garde de Guido. Il ne s'agissait pas d'amour...

Soudain, elle fut envahie par une crainte affreuse : trouverait-elle la force de
refuser?

— Ne réponds pas tout de suite, reprit-il en déposant un baiser tendre sur


son front. Nous en parlerons à mon retour.

12.

Il n'appela pas pour prendre des nouvelles de Guido, ni pour parler à


Ainslie. Et s'il avait laissé un message à Mlle Anderson, celle-ci ne l'avait
pas reçu !

— Ce n'est vraiment pas sérieux, remarqua l'assistante sociale en regardant


sévèrement Ainslie.

— Il faut qu'il travaille, le défendit-elle. Il a des problèmes à résoudre.


Quand on l'a appelé pour le prévenir de l'accident, il a tout laissé en plan,
aussi a-t-il besoin de quelques jours pour remettre les choses en ordre.
Ensuite il pourra revenir et s'occuper exclusivement de Guido.
— Quand? demanda Mlle Anderson. Je veux le voir avec son neveu. Il faut
que je sache comment ils se comportent ensemble.

— Elijah devrait être de retour dans quelques jours, affirma Ainslie d'une
voix aussi ferme que possible.

— Eh bien, faites en sorte que ce soit le cas ! Les Castella vont être très
contrariés et franchement, je ne peux pas les en blâmer. Si M. Vanaldi ne
peut pas rester avec cet enfant, il faudra qu'il aille les rejoindre.

— Guido est chez lui, ici, commença Ainslie en s'efforçant d'être


convaincante. Le déplacer maintenant, même pour les quelques jours
d'absence d'Elijah, cela ne ferait que le perturber davantage.

— Je le sais, répliqua vivement Mlle Anderson. J'espère que votre fiancé se


rend compte que si vous n'étiez pas là, si vous n'étiez pas destinée à jouer
un grand rôle dans la vie de Guido, je n'hésiterais pas à laisser les Castella
le prendre avec eux. Vous pouvez le dire à M. Vanaldi, et lui répéter que son
argent ne m'impressionne pas. Je ne veux pas que ce petit garçon soit élevé
par des nurses alors qu'il y a une famille affectueuse prête à l'accueillir.

Quand Mlle Anderson prit son sac et se leva pour partir, Ainslie retint un
soupir de soulagement.

— Je lui demanderai de vous appeler dès son retour, assura-telle en


raccompagnant sa visiteuse vers la sortie.

— Je compte sur vous ! asséna l'assistante sociale avant de descendre les


marches.

— Elle crie plus qu'elle ne mord !

Un torchon à la main, Enid rejoignit Ainslie au moment où elle refermait la


porte.

— Vraiment?

Ainslie ne lui avait jamais été aussi reconnaissante pour sa présence solide
et rassurante. Exténuée, elle se laissa entraîner vers la cuisine. Bien au
chaud et en sécurité dans le refuge d'Enid, elle accepta volontiers la tasse de
thé et les biscuits faits maison que celle-ci lui offrit.

— Peut-être votre sœur a-t-elle raison, lâcha finalement Ainslie.

Enid s'arrêta de charger le lave-vaisselle et vint s'asseoir à côté d'elle.

— Je veux dire que si Elijah peut manquer un rendez-vous aussi important à


cause de son travail, reprit Ainslie, quoi d'autre va-t-il manquer?
L'anniversaire de Guido? Les rendez-vous avec les professeurs ? Le
spectacle de fin d'année de l'école

— Il a des problèmes à régler..., dit Enid avec chaleur.

Mais Ainslie secoua la tête.

Elle aussi avait fait des recherches sur internet, et elle avait appris qu'Elijah
ne se donnait même pas la peine d'inviter ses maîtresses à dîner pour leur
annoncer qu'il rompait avec elles.

D'après les interviews amères qu'elle avait lues, plusieurs femmes auraient
même apprécié de recevoir ne serait-ce qu'un message par texto...

Ce qui voulait dire qu'elle n'avait sans doute pas à considérer cette Portia
comme une rivale, mais la confortait dans son opinion selon laquelle elle
n'était pour lui qu'un moyen de garder Guido.

A présent, Ainslie regrettait d'avoir accepté son coûteux collier, son style de
vie et ses étreintes passionnées.

— Je ne sais pas quoi faire, avoua-t-elle avec un geste d'impuissance en se


tournant vers Enid. Je ne sais pas ce qui est le mieux pour Guido. Peut-être
serait-il effectivement préférable qu'il vive avec les Castella. Ce n'est pas
parce que Elijah aime son neveu qu'il représente la meilleure solution pour
son avenir.
— Vous avez peur, Ainslie ? demanda Enid en lui versant une autre tasse de
thé. Je me doute bien qu'avec la vie que mène votre fiancé, c'est vous qui
allez élever cet enfant. Et je ne dirai rien à Rita, ne vous en faites pas. Elle
n'a pas besoin de moi pour faire son travail. Elle fera vraiment de son mieux
afin de prendre la meilleure décision pour Guido.

— A-t-elle seulement des enfants ? répliqua Ainslie d'un ton un peu


agressif.

— Non, répondit calmement Enid. Mais Barbara, son amie, en a...

Devant l'expression surprise d'Ainslie, la gouvernante eut un petit sourire.

— Aussi ma sœur est-elle bien placée pour savoir que ce n'est pas
nécessaire d'être une famille classique pour former un foyer.

C'est une question d'amour et d'affection, et elle a compris qu'il y en avait


dans cette maison.

Certes, songea Ainslie, mais parce qu'elle aimait Elijah. Mais l'amour,
comme elle s'en rendait de plus en plus compte, était une véritable folie, qui
bouleversait vos repères, changeait vos valeurs et vos règles, se moquait de
vos interrogations et angoisses et vous ordonnait de rester silencieux quand
vous aviez envie de hurler...

Eh bien désormais, elle ne se gênerait pas pour dire ce qu'elle pensait ! Elle
exigerait d'Elijah la vérité avant de prendre sa décision. Pas seulement sur
les raisons de son voyage en Italie, mais à propos du futur ; de leur futur.

Après avoir pris cette décision, Ainslie se sentit plus calme. Un peu plus
tard, pour la première fois depuis qu'elle était arrivée dans cette maison, elle
appela même quelques-unes de ses amies londoniennes. Puis elle alla
s'installer dans le salon avec le journal du jour.

Soudain, quelques lignes attirèrent son attention. Elle les lut et les relut, les
sourcils froncés.
Enid, qui venait d'aller chercher Guido dans sa chambre, arriva à cet instant
et dut remarquer son air inquiet.

— Vous allez bien ? demanda-t-elle avec sollicitude en posant le petit


garçon sur le sol.

— Oui. Mais il faut que je sorte !

— Vous êtes sûre que tout va bien ? insista la gouvernante.

— Oui...

La première réaction d'Ainslie avait été de vouloir prendre son sac et partir
en courant. Mais Elijah avait été formel : elle ne devait pas quitter Guido
une seconde. Elle lui enfila donc son manteau et le boutonna d'une main
tremblante avant d'enfoncer son bonnet sur les oreilles du petit garçon. Puis
elle l'installa dans sa poussette.

— Je peux vraiment m'en occuper pendant que vous n'êtes pas là, proposa
Enid, visiblement de plus en plus inquiète. Ou je pourrais demander à Tony
de vous accompagner...

— Cela fera du bien à Guido de prendre l'air ! décréta Ainslie en achevant


de boutonner son propre manteau.

Une fois sortie, se doutant qu'Enid l'observait depuis la fenêtre, elle se força
à ne pas courir et à gazouiller gaiement avec Guido tout en se dirigeant vers
la station de métro.

Quelques minutes plus tard, elle ressortait à l'air libre et se retrouva


rapidement dans une rue familière. Des larmes plein les yeux, elle hâta le
pas.

Et lorsque la porte s'ouvrit, ils tombèrent naturellement dans les bras l'un de
l'autre.

— Oh, Angus, sanglota Ainslie, je viens juste de lire le journal.

Je suis tellement désolée pour tout ce qui vous arrive.


13.

— Nous allons bien ! la rassura Angus pour la centième fois de sa belle


voix calme.

Ainslie avala une gorgée réconfortante de thé. La mère d'Angus, venue


d'Ecosse à la rescousse, leur en avait préparé une énorme théière avant
d'emmener Guido jouer avec Jack et Clemmie, la laissant seule avec son
ancien employeur.

— Et en dépit de ce que racontent les journaux, cela n'a pas vraiment été un
choc pour moi. Notre mariage prenait l'eau depuis longtemps.

— Pourquoi êtes-vous restés ensemble, alors ?

— Nous voulions maintenir les apparences jusqu'à ce que les deux enfants
aillent à l'école. Nous avions pris une nurse afin que Gemma puisse
continuer à travailler et je comptais mettre un peu d'argent de côté avant de
devenir un père célibataire —

ce qui n'est pas facile quand on travaille aux urgences !

— Et qu'on est un spécialiste célèbre.

— Je ne veux pas que Jack et Clemmie soient élevés par des gouvernantes.
J'ai d'abord été aidé par une infirmière de l'hôpital. Et maintenant, ma mère
est là. Vous voyez, je contrôle la situation.

— Vous êtes sûr que tout ira bien ? demanda Ainslie.

— Oui, affirma Angus. Et vous ?

— Ça va.

— Vous êtes toujours la bienvenue ici, vous le savez, déclara-t-il en


regardant sa montre.

— Je vous remercie, répondit-elle avec un sourire malicieux.


Le devoir vous appelle on dirait...

— Oui, soupira-t-il. Il faut que j'y aille.

— Je ferais bien de partir, moi aussi.

— Ainslie..., commença Angus un peu plus tard, tandis qu'elle installait


Guido dans sa poussette. Quand Gemma vous a accusée...

Heureusement, le petit garçon choisit ce moment pour se mettre à hurler en


serrant les poings. Cette diversion bienvenue évita à Ainslie d'avoir à lui
mentir de nouveau — pas question de lui raconter ce qui s'était passé le jour
de son départ. Un mari abandonné n'a pas besoin de connaître des détails
aussi sordides. La jeune femme décida d'ailleurs définitivement qu'elle ne
révélerait à personne, pas même à Angus, ce qu'elle avait découvert ce jour-
là.

— Elijah!

Il était bien la dernière personne qu'Ainslie s'attendait à trouver en rentrant.


Et non seulement il était là, mais il souriait largement et semblait d'une
humeur particulièrement gaie.

Quand elle était entrée dans le hall avec Guido, il s'était penché pour
prendre son neveu dans ses bras, couvrant son visage de baisers avant de
venir embrasser Ainslie sur les lèvres.

— Où étiez-vous ? demanda-t-il en s'écartant d'elle.

— Nous sommes allés nous promener.

Elle ne jugeait pas indispensable de lui révéler les détails de son escapade.
Il serait toujours temps d'en reparler plus tard si l'occasion se présentait.

— Enid m'a dit que tu étais partie précipitamment et que tu semblais


soucieuse.

— J'avais simplement besoin de réfléchir.


— Moi aussi !

Et même si Guido était là, entre eux, ils furent soudain seuls au monde, elle
paralysée par la timidité tandis que lui semblait également légèrement
hésitant.

— Il faut que nous parlions, affirma-t-il doucement.

— Oui, je sais.

— Sérieusement, insista-t-il. Parce que si ce petit bonhomme mérite ce qu'il


y a de mieux au monde, nous aussi.

Ainslie resta silencieuse, profondément troublée par son sourire ému,


qu'elle n'avait encore jamais vu sur ses lèvres.

— Mais pas ici, reprit Elijah, en se tournant vers la gouvernante qui venait
d'apparaître. Enid, pourriez-vous vous occuper de Guido ce soir, s'il vous
plaît ? Je voudrais emmener Ainslie dîner à l'extérieur.

— Bien sûr ! répondit Enid avec un large sourire.

Elle prit le petit garçon dans ses bras avant de l'emmener vers la cuisine.

— Je dois sortir environ une heure, annonça-t-il en attirant Ainslie dans ses
bras. Je sais, je sais, j'exagère. Mais ne t'en fais pas, je dois juste éclaircir
quelques détails.

— Quoi, par exemple ?

— Je t'en parlerai au cours du dîner.

Puis il l'embrassa avec passion. Arrivé devant la porte, il se retourna et dut


remarquer son air crispé car il demanda :

— Qu'y a-t-il ? Ainslie, je t'en parlerai vraiment tout à l'heure.

— Je sais. C'est juste que...


Elle rit de sa propre paranoïa.

— C'est bizarre, j'ai l'impression d'être surveillée. Tu n'as pas demandé à


Enid de m'espionner, n'est-ce pas ?

— Enid? répéta Elijah. Non, je ne lui ai pas demandé de t'espionner.

Puis il l'embrassa une dernière fois avant de sortir.

Ainslie resta un instant immobile dans le hall. Aurait-elle le courage de lui


dire qu'elle l'aimait? Qu'elle l'aimait tant qu'elle ne pourrait jamais se
contenter d'être une épouse de convenance ?

En tout cas, elle allait se faire belle pour leur premier véritable rendez-vous.

Après avoir pris un bain parfumé, elle enfila ses sous-vêtements préférés —
espérant que c'étaient aussi ceux d'Elijah.

Ensuite, elle décida de mettre la petite robe noire qu'il avait choisie pour
elle. Son collier mettait en valeur de façon spectaculaire son décolleté.
Inutile de porter des boucles d'oreilles avec un pareil joyau, songea-t-elle en
se regardant dans le miroir.

Quand elle entendit la porte d'entrée de la maison se refermer, elle se sentit


si nerveuse qu'elle eut du mal à respirer pendant quelques instants. Après
avoir appliqué rapidement du rouge à lèvres, elle descendit au rez-de-
chaussée, prête à affronter son avenir.

Elijah lui tournait le dos et quand il se retourna, elle sentit son sourire
timide s'évanouir devant son expression.

Le mépris, la haine qui déformaient son visage la figèrent sur place.

— Tu m'as trahi ! lui lança-t-il au visage comme une gifle.

Espèce de sale menteuse !

Dire qu'elle avait été sur le point d'avouer son amour à cet homme ! fut tout
ce qui lui vint à l'esprit.
— Regarde ! s'exclama-t-il avec violence en la rejoignant en deux
enjambées. Avant que tu ne trouves une excuse, je vais te montrer qu'il ne
peut y en avoir aucune.

Il lui fourra des photos dans les mains.

— Vous promener? hurla-t-il, hors de lui. Réfléchir? Tu mens si facilement


que tu ne t'en rends probablement même pas compte

Horrifiée, Ainslie se rendit compte combien son affectueuse étreinte avec


Angus pouvait avoir l'air sordide une fois sortie de son contexte et figée sur
papier glacé.

-—- Tu m'avais vraiment fait suivre !

— Bien sûr ! Croyais-tu que j'allais te faire confiance ?

— Oui..., murmura Ainslie. Je le croyais.

— Comment as-tu pu me tromper ainsi ? rugit-il.

A cet instant, Enid vint voir ce qui se passait, suivie de près par Tony.

Sans dire un mot, Ainslie rendit les photos à Elijah. Elle n'éprouvait pas le
besoin de se justifier à ses yeux.

— Je ne t'ai pas trompé, je me suis trompée, dit-elle calmement.

Sur toi.

— Et c'est tout ce que tu as à dire pour ta défense ?

— Oui, approuva Ainslie en hochant tristement la tête.

Puis elle se tourna vers Tony. Incapable de supporter de rester une seconde
de plus en présence d'Elijah, elle ne pouvait pas envisager de remonter
prendre ses affaires à l'étage.
— Tony, pourriez-vous me conduire dans un hôtel, s'il vous plaît

? Enid...

Incapable d'en dire plus, Ainslie se força à sourire à celle qui était devenue
son amie.

— Ainslie..., commença Elijah en lui saisissant le poignet alors qu'elle se


dirigeait vers la porte.

Mais elle se dégagea vivement.

— Je m'en vais, Elijah, mais je ne fuis pas. Tony te dira dans quel hôtel je
me trouve et dès que tu m'auras fait envoyer mes affaires, je partirai.

Puis avant de franchir le seuil de la maison, elle se retourna une dernière


fois.

— Et si j'étais toi, je me dépêcherais, ajouta-t-elle avec un sourire


dédaigneux. Tu sais à quel point j'aime les belles choses!

Elle constata qu'il ouvrait la bouche pour parler mais elle ne voulait plus
rien entendre de lui.

— C'est toi, le traître, lui lança-t-elle en guise d'adieu.

La comédie continuait, songea Ainslie en découvrant le palace devant


lequel s'était arrêté Tony. Pas d'hôtel minable pour l'ex-fiancée d'Elijah
Vanaldi, mais l'un des établissements les plus luxueux de Londres...

Quand elle arriva à la réception dans sa petite robe noire, un mouchoir


trempé de larmes à la main, une suite somptueuse lui fut proposée en trois
secondes.

Elle n'avait jamais désiré l'argent d'Elijah mais cette fois, elle allait le
dépenser. Puisque c'était ce qu'il attendait d'elle, autant le satisfaire... Elle se
fit monter un daïquiri à la fraise et de la glace au chocolat blanc arrosée de
coulis de framboises.
Mais plusieurs daïquiris avalés sans véritable plaisir ne la consolèrent pas.
Rien n'aurait pu atténuer son chagrin.

Quand elle vit son visage bouffi par les larmes dans le miroir, elle sursauta.

— Ça suffit ! dit-elle à son reflet.

Cette situation ne pouvait pas durer. Elle n'avait pas besoin d'attendre
qu'Elijah lui renvoie ses affaires. Il fallait que toute cette histoire se termine,
afin qu'elle puisse avancer dans sa vie après avoir rassemblé les lambeaux
de son cœur déchiqueté. Sa décision était prise.

Elle ôta son pendentif avant de le glisser dans une enveloppe avec un mot
— de toute façon, elle aurait été dévastée chaque fois qu'elle l'aurait
contemplé...

Un peu plus tard, elle tendit l'enveloppe au réceptionniste :

— Pourriez-vous faire en sorte que ceci soit remis à Elijah Vanaldi, s'il vous
plaît?

— Bien sûr, madame.

En réglant sa note, Ainslie eut la désagréable impression d'être observée à


son insu. Elle l'était encore probablement, tant Elijah aimait garder un œil
sur ce qu'il considérait, à tort ou à raison, lui appartenir.

Eh bien, elle ne lui appartenait plus. Forte de cette résolution, elle décida de
s'offrir un dernier plaisir avant de quitter cet endroit fabuleux. Mais cette
fois, ce serait elle qui paierait l'addition.

14.

Pouvait-il lui pardonner ? se demanda Elijah pour la millième fois.

Sans elle, la maison ressemblait à une morgue.

L'arbre de Noël avait été enlevé, les décorations remballées, et Elijah se


sentait envahi par un vide terrible. Son véritable deuil commençait. Pour
tout ce qu'il avait perdu, et pour tout ce que Guido avait perdu, lui aussi.

-Ijah!

Le sourire radieux de son neveu le fit sortir de sa détresse et il se pencha


vers Guido qui, le menton couvert de restes de banane écrasée, se mettait à
lui embrasser les genoux, réclamant un câlin.

— Ijah ! répéta l'enfant en s'agrippant à ses cuisses.

— Ça alors, petit diable, tu sais dire mon prénom ?

Le soulevant dans ses bras, il le regarda dans les yeux et y découvrit la


réponse qu'il avait cherchée en vain.

Puisque Elijah devait bien admettre que sa vie de play-boy ne convenait pas
à un petit garçon, Guido serait sans doute finalement mieux avec un couple,
son oncle et sa tante qui plus est. A ses yeux, ils ne représentaient pas le
foyer idéal mais ses recherches n'avaient rien donné : il n'avait trouvé aucun
lien entre les Castella et la mort de Maria et Rico. Maintenant qu'Ainslie
était partie, Mlle Anderson découvrirait — sans aucun doute très
rapidement — que tout cela n'avait été qu'une comédie ; et la décision des
services sociaux n'était pas difficile à prédire...

Cependant, quand il avait sondé son cœur pour savoir quelle était la
meilleure solution pour son neveu, un détail lui avait échappé.

— Je t'aime, lui avoua-t-il brusquement.

Pour la première fois de sa vie, Elijah avait prononcé ces mots.

Ce fut comme s'il avait ôté le couvercle qui recouvrait ses émotions. Un
véritable tumulte s'empara de lui et, dans le même temps, il se sentit envahi
par un immense soulagement.

— Oui, confirma-t-il à son neveu. Je t'aime, petit filou. Puis il sourit en


pensant que Guido ne se rendait absolument pas compte de l'importance
monumentale de cet instant.
— Ce qui veut dire que je vais devoir te garder, ajouta-t-il.

— Ijah ! s'exclama joyeusement le petit garçon.

Elijah éclata de rire. Peut-être son neveu n'était-il pas si inconscient, après
tout...

— Mais cela ne va pas plaire à tout le monde. Cependant, il était


maintenant prêt à relever le défi. Quand il y mettait tout son cœur, aucun
défi ne lui résistait. Sauf un.

— Qu'est-ce que je dois faire ? demanda-t-il à Guido. Celui-ci se contenta


de le regarder de ses grands yeux bleus.

— Au moins, j'aurai le soutien des mères célibataires de tes petits copains...

— Elijah, dit Enid, qu'il n'avait pas entendue entrer. Ma sœur vient
d'appeler. Je vais aller boire un café chez elle. Je pensais que je pourrais
emmener Guido avec moi.

La gouvernante s'était adressée à lui d'un ton poli et professionnel, comme


elle l'avait fait depuis le départ d'Ainslie.

Mais Elijah sentait qu'elle se retenait de lui dire le fond de sa pensée. A


savoir qu'il était un imbécile d'avoir laissé la femme la plus merveilleuse du
monde partir de cette maison. Mais elle n'avait pas besoin de le lui dire, il le
savait déjà.

— Je suppose que vous allez parler de nous ?

— Non, répondit calmement Enid. Je vais juste prendre le café avec ma


sœur. Mais elle a dit qu'elle voulait venir vous voir après.

— Très bien, lui lança Elijah d'un ton agressif.

Mais il se reprit aussitôt. Après tout, rien de tout cela n'était la faute d'Enid.

— Tony va vous conduire chez elle, proposa-t-il. Vous pouvez quand même
déjà lui annoncer qu'en ce qui concerne Guido, je n'ai pas l'intention
d'arrêter de me battre.

— Je suis heureuse de l'apprendre, avoua-t-elle en se radoucissant. Mais


cela serait plus facile avec Ainslie.

— Oui..., admit-il. Et beaucoup plus agréable. Mais ça ira.

Il ébouriffa les cheveux de Guido.

— Nous nous débrouillerons, tous les deux.

Une fois qu'ils furent partis, Elijah se retrouva seul avec ses pensées. Il s'en
voulut de nouveau de ne pas avoir écouté Ainslie au lieu de l'accuser. Peut-
être était-elle allée seulement dire au revoir à Angus ? Une dernière visite,
en souvenir du bon vieux temps ? Lui-même n'avait-il pas fait la même
chose en de multiples occasions ? Pourquoi n'aurait-elle pas le droit d'en
faire autant?

Après avoir ouvert la petite boîte noire posée à côté de son ordinateur, il
regarda longuement la bague, qui semblait se moquer de lui.

Il avait été sur le point de lui demander de l'épouser.

Sincèrement. Sérieusement. Bien avant de connaître la décision des services


sociaux.

Durant son court voyage en Italie, Elijah s'était rendu compte que même si
cette décision était vitale pour lui, cela ne changeait rien pour eux deux. Il
avait besoin d'elle, et pas seulement à cause de Guido.

Il ne pouvait vivre sans cette femme loyale, joyeuse, drôle... et belle !

Cette femme qui parvenait même à le faire sourire maintenant, alors qu'il
suivait ses dépenses saugrenues à l'hôtel sur l'écran de son ordinateur.

Mais son sourire disparut quand il se rendit compte qu'elle devait avoir
quitté l'hôtel : elle avait payé la note.
A ce moment-là, Enid vint lui annoncer qu'elle allait sortir et que le docteur
Angus Maitlin était à la porte.

— Dois-je le faire entrer ? demanda-t-elle.

— Non, merci. Je vais aller l'accueillir moi-même.

Après s'être éclairci la gorge, Elijah se leva en desserrant les poings. Il se


jura de ne pas le frapper. Mais il n'était pas sûr de pouvoir tenir sa
promesse.

— Ainslie est-elle là? demanda son visiteur.

Il dut faire un terrible effort sur lui-même pour lui dire où elle se trouvait.

— Mais vous feriez bien de vous dépêcher, car il semblerait qu'elle vienne
juste de quitter l'hôtel. Peut-être pour aller s'installer avec le premier
imbécile fortuné qui passait par là, ne put-il s'empêcher d'ajouter d'un ton
sarcastique.

— Pardon ? demanda Angus en fronçant les sourcils. Je voulais simplement


voir Ainslie. Je voulais éclaircir quelque chose avec elle.

— Eh bien, elle n'est plus là.

— Bon...

Il fit demi-tour, prêt à s'en aller, mais il changea apparemment d'avis.

— Si elle se manifeste, voudrez-vous bien lui demander de m'appeler, s'il


vous plaît ? Je crois que je lui dois des excuses.

Puis il redescendit les marches sans plus se retourner.

— Aspetta ! Attendez ! ordonna Elijah.

Il vit les épaules d'Angus Maitlin se raidir. Visiblement, cet homme n'avait
pas l'habitude qu'on lui lance des ordres.
— Ecoutez... Voudriez-vous entrer un instant ? Et auriez-vous l'amabilité de
m'expliquer ce qui se passe entre vous et Ainslie ?

Elijah s'était efforcé de parler calmement, mais il redoutait ce qu'il allait


peut-être apprendre.

— Laissons cela, répondit le médecin en s'éloignant.

— J'ai lu la lettre de recommandation que vous avez rédigée pour elle, lança
Elijah avec un sourire forcé. J'aurais voulu obtenir quelques précisions —
peut-être pourrais-je appeler votre épouse ?

— Il faudrait d'abord que vous la trouviez.

Avec une réticence manifeste, il était revenu sur ses pas et Elijah le
conduisit dans le bureau.

— Mon mariage vient juste de s'effondrer, alors, croyez-moi, je ne suis pas


d'humeur à bavarder.

— Moi non plus. Quand je l'ai engagée, Ainslie m'a dit qu'elle avait été
renvoyée parce qu'elle avait été accusée de vol.

Il transformait légèrement les faits, mais il avait besoin de savoir ce qu'il


s'était exactement passé.

— Elle vous en a parlé ? demanda Angus en fronçant les sourcils. Et vous


l'avez quand même engagée ?

— Ainslie n'est pas une voleuse, répliqua Elijah sans hésitation. Elle n'a
jamais pris le collier de votre femme. Je le sais.

— J'aurais dû le savoir, moi aussi ! soupira Angus. Ecoutez, je n'ai pas


envie de vous donner de détails mais quand je l'ai appris, je n'arrivais pas à
le croire. Je l'ai dit à Ainslie. Hier elle est venue me voir après avoir lu dans
le journal que ma femme m'avait quitté. Et malheureusement, je n'ai pensé à
lui poser la question qu'au moment où elle partait... Mais soudain, j'ai
compris qu'elle n'avait pas volé ce collier, que ma femme avait dû se servir
de ce prétexte pour se débarrasser d'elle. Je me suis même demandé si
Ainslie n'avait pas découvert que ma femme entretenait une liaison.

— Etait-ce le cas ?

— Oh, oui, répondit Angus avec un petit rire amer. Je n'attendais qu'une
chose de notre pauvre union : la fidélité.

Mais apparemment, c'était trop demander à mon ex-femme.

— Et vous, vous avez été fidèle ?

— Absolument.

Il l'avait affirmé avec une telle force et une telle conviction qu'Elijah se
sentit soudain tout petit.

— Je vais aller voir Ainslie, déclara-t-il. Enfin, j'espère qu'il ne sera pas
trop tard... Si j'arrive à temps, je lui ferai part de ce que vous venez de me
dire.

— Merci, dit Angus en lui serrant la main. Et je suis désolé pour ce qui est
arrivé à votre famille.

— Ainslie vous a parlé de ma sœur?

— Non, elle n'aurait jamais fait cela. C'est moi le médecin qui vous a
appelé. Le jour de l'accident.

— C'était vous?

Elijah se sentit pâlir au souvenir de l'affreux coup de téléphone qui avait


changé sa vie.

— Oui, j'étais de service aux urgences quand votre sœur y a été amenée. Je
suis sincèrement désolé.

— Merci.
C'est tout ce qu'il réussit à répondre. Il se souvenait de la gentillesse
d'Angus ce jour-là, de la voix qui lui avait appris la pire des nouvelles avec
le plus de douceur possible. Il se rappela l'enfer et la panique dans
lesquelles il avait plongé jusqu'à ce qu'Ainslie fasse son apparition.

Jusqu'à ce qu'elle entre dans sa vie et la rende supportable.

Parce que sans elle, il ne savait vraiment pas comment il s'en serait sorti.

— Une dernière chose..., commença le médecin.

Puis il s'interrompit un instant.

— Vous le saurez sans doute rapidement, de toute façon, reprit-il, mais je


préférerais que vous ne disiez à personne que c'est moi qui vous l'ai appris...

— De quoi parlez-vous ? demanda Elijah, pressentant qu'Angus allait lui


révéler quelque chose de capital.

— Un inspecteur est venu me voir cet après-midi. Il semblerait que le


dossier concernant la mort de votre sœur et de votre beau-frère ait été
rouvert. Apparemment, l'accident pourrait être moins évident qu'il n'y
paraissait au premier abord.

Il haussa les épaules, visiblement mal à l'aise.

— Je vous dis cela pour que vous le sachiez, c'est tout, ajouta-t-il.

Mais Elijah l'avait toujours su.

Dès qu'il avait vu sa sœur, il avait compris. On l'avait traité de paranoïaque


et pourtant, il semblait à présent qu'il avait peut-

être eu raison dès le début.

— Quel était le nom de l'inspecteur qui est venu vous voir ?

demanda-t-il, la gorge douloureusement sèche.


— Je préférerais ne pas vous le dire, lança Angus par-dessus son épaule en
descendant les marches. Attendez qu'il entre en contact avec vous.

Quand Elijah le rejoignit d'un bond sur le trottoir et le saisit par l'épaule, il
sursauta.

— Je dois le savoir ! s'écria-t-il. Je crois qu'Ainslie est en danger.

L'inspecteur ne fut pas si facile à convaincre.

Elijah ne voulait qu'une chose : aller retrouver Ainslie, et il arpentait le


salon comme un lion en cage tandis que le policier continuait à lui poser des
questions.

— Vous avez engagé des détectives privés, lui fit-il remarquer.

Ce qui explique pourquoi elle avait l'impression d'être suivie.

— Oui, admit Elijah, les dents serrées. Et j'ai engagé un garde du corps pour
Guido. Au départ, je craignais que les Castella ne tentent de l'enlever et
quand j'ai eu des soupçons, j'ai engagé un détective privé.

Il lança un regard exaspéré à son interlocuteur.

— Quand j'ai appelé vos collègues après avoir parlé avec l'assistante
sociale, ils n'ont pas pris mon inquiétude au sérieux, ajouta-t-il d'un ton
aigre.

— Vous vous trompez peut-être, répliqua l'inspecteur. Puisque le dossier a


été rouvert.

— J'ai toujours pensé que la famille de Rico était derrière tout cela. Dès que
j'ai appris qu'ils savaient que j'avais donné la maison à Maria et à Rico, j'ai
été certain que cet accident n'était pas dû au hasard. Alors je suis retourné
en Italie pour mener une enquête.

— Qu'espériez-vous découvrir?
— Quelque chose. N'importe quoi. Je voulais vérifier leurs comptes
bancaires.

— Vous y avez accès ?

Elijah approuva d'un signe de tête, sans la moindre culpabilité.

Pas plus qu'il n'en avait éprouvé en demandant une faveur à une de ses
relations haut placée le soir du nouvel an.

— Je devais vérifier sur place, on ne m'aurait donné aucun renseignement


par téléphone.

— Et avez-vous trouvé quelque chose ?

— Non. Mais leur situation financière est catastrophique.

— Ce n'est pas un crime, fit remarquer l'inspecteur. Et le fait d'avoir acheté


ce cadeau à l'aéroport non plus. Si vous pensiez qu'il y avait du danger,
pourquoi êtes-vous parti ?

— Parce que je devais savoir ce qui se passait. J'avais fait installer mon
neveu au dernier étage. Il était surveillé par un garde du corps et le détective
privé veillait sur Ainslie.

— Où est-il, maintenant ?

— J'ai mis fin à son contrat. Je pensais qu'il n'y avait plus de danger, avoua
Elijah d'un air sombre. J'ai cru que pour une fois je m'étais trompé, que
j'avais bel et bien été paranoïaque.

— Vous pensez vraiment que Mlle Farrell est en danger?

Elijah regarda le policier dans les yeux et hocha la tête. A ce moment, Mlle
Anderson entra dans le salon, précédée de sa sœur.

— Il faut retrouver Ainslie ! ordonna Elijah en se tournant vers Tony, qui


venait d'arriver à son tour.
Il ferma un instant les yeux, pour rassembler toute la force de persuasion
possible. Il devait persuader l'inspecteur que la situation était vraiment
grave.

— Les Castella croient que nous sommes toujours fiancés. Ils n'ont aucune
raison de penser le contraire. Sans Ainslie...

Il s'interrompit et se tourna vers Mlle Anderson.

— Sans Ainslie, je n'aurais pas obtenu la garde de mon neveu.

— Vous en êtes sûr?

Il regarda l'assistante sociale, qui approuva d'un signe de tête.

— Mais les Castella ne peuvent pas être au courant de cette décision, fit
remarquer l'inspecteur.

— Je viens de les informer de ma décision, déclara Mlle Anderson. Je leur


ai annoncé que d'après moi, dans l'immédiat en tout cas, Guido devait rester
là où il était, avec M. Vanaldi et sa fiancée.

— Mais si la fiancée disparaît..., énonça Elijah.

Le policier sortit son téléphone portable de sa poche.

— Ne bougez pas d'ici. Un agent va venir s'installer avec vous.

Mais restez calmes...

Il attendit que Tony et Elijah soient assis avant de sortir. A l'instant où sa


voiture démarra, ce dernier se tourna vers son garde du corps.

— Il plaisante : il ne croit quand même pas que nous allons rester assis à
attendre ?

Car il savait comment fonctionnaient les Castella. Il avait grandi dans la rue
lui aussi, et il était hors de question qu'il laisse Ainslie seule aux prises avec
des gens aussi dangereux.
Et s'ils la touchaient, s'ils lui faisaient du mal...

Elijah ferma les yeux un instant tandis que Tony se dirigeait déjà vers la
porte.

C'était impensable.

15.

Ainslie se sentait beaucoup mieux à présent.

Elle avait dégusté de délicieux petits-fours et, une coupe de Champagne à la


main, elle se laissait bercer par la musique douce qui jouait en sourdine.

Après tout, pensa-t-elle en regardant les gens élégamment vêtus qui


l'entouraient, elle avait de la chance d'être là, dans ce décor somptueux, bien
au chaud.

Et puis même si leur histoire n'avait pas duré longtemps, elle avait eu de la
chance d'avoir rencontré Elijah.

Quand elle sortit dans la rue, sous les derniers rayons du soleil de cette belle
journée claire de janvier, Ainslie se dit aussi que, quelle que soit son
opinion sur elle, Elijah avait lui aussi de la chance de l'avoir rencontrée.

Elle envisagea d'appeler Angus mais se ravisa. Pour l'instant, elle désirait
rester seule afin de panser ses blessures.

— Pardon!

Profondément absorbée dans ses pensées, elle ne s'était pas rendu compte
qu'elle avait heurté quelqu'un. Mais au bout d'une seconde, elle comprit
qu'on essayait de lui arracher son sac de l'épaule.

Son premier réflexe fut de s'y accrocher mais quand elle ouvrit la bouche
pour appeler de l'aide, aucun son n'en sortit. Tout alla alors très vite dans
son esprit : un sac valait-il la peine qu'on prenne des risques ? Non, mieux
valait lâcher prise. Le cœur battant, elle laissa donc la bandoulière glisser
sur son bras en espérant que le voleur s'en aille vite avec son butin.
Mais il n'en fit rien. Quand elle le vit jeter son sac sur le sol, une frayeur
horrible lui glaça le sang. Tous ses sens se trouvaient comme décuplés par
la terreur : elle entendait des sirènes de police au loin, sentait distinctement
l'odeur rance de son agresseur et, comme au ralenti, elle constata qu'il avait
un couteau à la main.

Et qu'il comptait s'en servir...

S'agissait-il d'un rêve ?...

L'homme qui la regardait avait visiblement beaucoup pleuré.

Et s'il ressemblait à Elijah, Ainslie savait que ce dernier ne pleurait jamais.

— J'ai été poignardée !

Ce fut la seconde pensée qui lui vint à l'esprit et elle parcourut son corps
avec des gestes fébriles pour essayer de localiser sa blessure.

— Non ! s'écria Elijah.

Car c'était bien Elijah qui était là, assis sur une chaise. A cet instant, elle
sentit l'aiguille de la perfusion dans son bras, ce qui ne fit qu'accentuer son
angoisse.

— Tu n'as pas été poignardée, reprit-il en soulevant les pans de sa chemise.

Baissant les yeux, elle découvrit un pansement blanc sur son ventre mat et,
quand elle regarda de nouveau son visage fatigué et blême, il lui adressa un
faible sourire.

— C'est moi qu'il a poignardé et quand tu as vu que j'étais blessé, tu t'es


évanouie. Ta tête a heurté le trottoir.

— Toi?

Ainslie commençait à comprendre. De petits fragments d'images lui


revenaient à l'esprit. Elle revit son agresseur, se rappela son odeur âcre puis
le parfum viril et familier qui l'avait supplantée.
— Comment as-tu pu te trouver là... ? Tu me faisais de nouveau suivre?

— Non. Mais je regrette de ne pas l'avoir fait. Ainslie, je t'avais fait suivre
pendant mon absence parce que j'avais peur pour toi et pour Guido.

— Pourquoi?

— Ma sœur et Rico ne sont pas morts accidentellement. Marco et Dina


avaient tout manigancé.

Quand il serra ses mains dans les siennes, Ainslie comprit qu'il lui disait la
vérité.

— Et cet homme ne t'a pas agressée par hasard, même s'ils ont tout fait pour
qu'on le croie. Tu devais être éliminée toi aussi.

— Moi ? demanda-t-elle, totalement incrédule.

— Oui. Parce que sans toi, je n'aurais jamais obtenu la garde de Guido.

A la pensée qu'on puisse désirer sa mort, Ainslie se sentit affreusement mal.

Elijah avait besoin de se raser, constata-t-elle soudain, tout en se demandant


comment elle pouvait penser à ce genre de détail en un moment pareil. Il
ressemblait à un bohémien — un très beau bohémien sicilien, terriblement
séduisant et ténébreux.

— La police les a arrêtés...

Fermant les yeux, il porta sa main à ses lèvres et resta silencieux un instant.

— J'avais des soupçons, mais tout le monde m'a pris pour un fou lorsque je
les ai évoqués. La police semblait certaine qu'il s'agissait d'un accident, et
Mlle Anderson et toi pensiez qu'il était normal que, en dépit des conflits qui
opposaient nos familles, les Castella veuillent s'occuper de leur neveu...

Elle le regardait avec des yeux nouveaux. Ainsi, Elijah avait eu raison de se
montrer aussi méfiant...
— Tony n'est pas mon chauffeur, continua-t-il. C'est un garde du corps. Je
l'ai engagé pour surveiller Guido.

— C'est pour cela que tu l'as fait installer au dernier étage ?

— Oui. Et Tony surveillait la maison la nuit.

— Maintenant, je comprends pourquoi il ne te conduisait jamais nulle part,


remarqua-t-elle avec un sourire.

— Sauf quand Guido était avec moi. Tu sais, il y a aussi ce détail qui
m'avait choqué : le fait qu'ils aient acheté un cadeau pour Guido à
l'aéroport.

A présent, Ainslie comprenait tous les tourments endurés par Elijah.

— A l'aéroport, j'ai été vomir dans les toilettes ! reprit-il avec véhémence.
Jamais je n'aurais pensé à acheter quelque chose pour mon neveu dans de
pareilles circonstances ! Je ne suis pas allé en Italie pour rompre avec
Portia. J'avais déjà réglé cette question avant de partir, par téléphone. J'y
suis allé parce que je voulais vérifier des détails.

Il détourna un instant les yeux avant de poursuivre :

— Je suis allé chez les Castella et j'ai fouillé leur appartement, examiné
leurs affaires. Au cours de la soirée du nouvel an, j'ai parlé avec un vieil
ami banquier qui a pu me renseigner sur leur situation financière. Elle est
critique. Pourtant, je n'ai rien appris qui puisse prouver leur culpabilité.
Alors je me suis dit que j'avais été stupide. Je suis revenu à Londres et j'ai
appelé le détective que j'avais engagé pour veiller sur toi et Guido. Il n'avait
rien découvert non plus sur eux et j'ai mis fin à son contrat. J'allais renvoyer
Tony mais le détective m'a rappelé et a demandé à me rencontrer, en
précisant que cela n'avait rien à voir avec les Castella. Il voulait me montrer
des photos susceptibles de m'intéresser.

— Celles de moi et d'Angus ?

Restant silencieux un instant, Elijah hocha la tête.


— Angus est venu me voir cet après-midi. Il m'a dit entre autres que la
police avait rouvert le dossier concernant l'accident de ma sœur. Les experts
avaient réexaminé la voiture et apparemment, quelqu'un l'avait discrètement
trafiquée. Les Castella se sont débarrassés de Maria et de Rico et ensuite, ils
ont tenté de t'éliminer.

— Pourquoi ? Pour l'argent?

— Principalement, mais pas seulement. C'était aussi une question de haine,


de revanche, de vieille rivalité entre deux familles...

Horrifiée par tant d'atrocités, Ainslie secoua doucement la tête.

— Tu vas devoir apprendre à leur pardonner...

Il lui jeta un regard perplexe, mais il la laissa continuer.

— ... pour Guido. Sinon, il va grandir dans la haine, lui aussi.

Elijah... Pourquoi ne m'avais-tu rien dit?

— Comment aurais-je pu te parler de mes soupçons et espérer en même


temps que tu restes avec nous ? La seule chose que je pouvais faire, c'était
te protéger. Au début, c'était pour Guido...

et ensuite...

Il s'interrompit, la gorge nouée. Même maintenant, il ne pouvait lui parler


de la terreur qui s'était emparée de lui à l'idée de la perdre.

— J'avais besoin que tu restes, mais j'aurais voulu que tu partes.

— Tu aurais dû me le dire.

— J'ai essayé.

Ainslie ferma les yeux. Il avait raison.


— Nous luttions tous les deux pour la même chose, mais chacun à notre
manière, dit-il doucement. Tu ne voyais que le bien, alors que moi...

— Nous aurions pu nous rencontrer à mi-chemin.

— Je vais parler à Mlle Anderson, annonça-t-il. Elle a raison : mon style de


vie ne convient pas à un jeune enfant, à aucun enfant...

Ainslie ferma brièvement les yeux. Elle ne pouvait supporter la pensée du


petit Guido devenant un simple numéro dans un système. Mais Elijah avait
raison : l'amour qu'il pouvait offrir à son neveu, aussi sincère soit-il, ne
suffisait pas, de la même façon que cela ne lui suffirait pas à elle.

— Tu dois faire ce que tu juges le mieux pour lui, lâcha-t-elle finalement


d'une voix tendue. Tu le verras toujours, de toute façon, n'est-ce pas ? Tu
l'appelleras et tu resteras en contact avec lui ?

— Je le verrai tous les jours ! protesta Elijah en fronçant les sourcils. Tu te


sens bien ? Tu as mal à la tête ?

Il vit Ainslie pâlir. Il allait lui demander si elle se sentait souffrante quand
tout devint clair. Subitement, il venait de comprendre ce qu'il devait faire et
pourquoi.

— Guido reste avec moi, dit-il simplement. Je n'ai rien à prouver à Mlle
Anderson et je n'ai rien à me prouver à moi-même.

Désormais, je le sais au fond de mon cœur. Il a besoin d'être entouré des


gens et des choses qu'il aime. Enid l'adore et peut-

être que Tony acceptera de travailler pour moi, mais vraiment comme
chauffeur cette fois...

— Et ton travail ? demanda Ainslie. Et tes voyages, tes sorties, les


femmes... ?

— Tout sera consommé avec modération, répondit Elijah.

Surtout les femmes.


Ses yeux restèrent rivés à ceux de la jeune femme.

— A vrai dire, reprit-il d'une voix incroyablement douce, je compte réduire


considérablement leur nombre... à une seule !

— Ça ne va pas être évident...

— Je ne veux pas vivre sans toi, Ainslie, déclara-t-il solennellement en lui


prenant la main.

— A cause de Guido?

— A cause de toi.

Ainslie se contracta, puis dégagea doucement sa main de celle d'Elijah. Il


était tellement méfiant, tellement imprévisible. Elle se souvint de l'enfer
qu'il lui avait fait traverser.

— Je n'ai jamais couché avec Angus.

— Je le sais.

— Mais tu en as douté, protesta Ainslie. Ce qui veut dire que tu me connais


très mal.

— Je le sais aussi.

— Il est trop tard.

Il lui fallait faire la chose la plus difficile, la plus douloureuse du monde :


refuser l'avenir dont elle rêvait. Car, même si elle l'aimait, elle devait se
protéger.

— Maintenant que j'ai réussi tous les tests, tu as décidé que j'étais assez
bonne pour toi ? Eh bien, tu veux que je te dise ? Je l'ai toujours été.

— Qu'est-ce que j'étais censé penser?

— Tu n'as pas pensé. Tu as juste supposé, en voyant des photos.


— Je ne parle pas de ces photos ! s'écria-t-il avec irritation. Je suis sorti de
cet hôpital avec mon neveu dans les bras et je me suis retrouvé dans le
métro, priant Dieu, priant tout l'univers, pour recevoir un peu d'aide. Pour
qu'un signe se produise, qui me montrerait la voie. Et tout à coup, tu es
apparue devant moi.

— Tu veux dire que tout est ma faute ?

— Non. Je veux juste te dire que personne ne t'aimera jamais comme je


t'aime.

Ainslie écarquilla les yeux : visiblement, il était sincère.

— Je t'aimais même quand je pensais le pire de toi, conti-nua-t-il. Bon sang,


Ainslie ! J'ai passé toute la matinée à me demander si j'étais fou parce que
j'étais prêt à te pardonner d'avoir couché avec un homme marié. Mais oui,
en dépit de toutes les valeurs en lesquelles je crois, je préférais te pardonner
plutôt que te perdre.

Ainslie n'aurait jamais pensé que l'amour d'Elijah pouvait être plus grand
que le sien, qu'il pourrait lui pardonner quelque chose qu'elle-même ne
pourrait jamais lui pardonner.

Il vint s'asseoir sur le bord du lit et reprit ses mains dans les siennes.

— Tu as été la seule à t'arrêter. Tu m'as accompagné dans une maison où je


redoutais d'entrer, tu t'es occupée de mon neveu.

Et tu es tombée amoureuse de moi.

Elle hocha la tête, sans embarras, sans rougir, parce que c'était la vérité. Les
larmes coulaient sur ses joues.

— C'était plus simple pour moi de te considérer comme une maîtresse...

— Plus simple ? répéta Ainslie en fronçant les sourcils.

Pourquoi ?
— Les miracles n'existent pas, répondit-il. Il ne suffit pas de fermer les
yeux pour qu'en les rouvrant, on découvre la femme qu'on avait toujours
rêvé de rencontrer.

— Mais si, il y a des miracles. Surtout au moment de Noël.

Tout le monde le sait.

Elle dégagea l'une de ses mains et la leva vers sa joue. Elijah l'avait sauvée
ce soir-là, songea-t-elle en le regardant avec amour. Il l'avait de nouveau
sauvée tout à l'heure et, elle n'en doutait pas un seul instant, il lui viendrait
en aide chaque fois qu'elle en aurait besoin.

— Et je crois que quelqu'un a décidé que nous méritions tous les deux de
vivre un miracle, dit-elle en souriant à l'homme de sa vie.
Epilogue
Il était divin.

Si elle vivait jusqu'à cent ans, songea Ainslie en serrant son bouquet de
fleurs contre sa poitrine, elle allait passer les soixante-dix prochaines années
à retenir son souffle chaque fois qu'elle le verrait apparaître devant elle.

Splendide dans son costume gris clair, il tenait la main d'un Guido
visiblement très excité et qui tenait à monopoliser l'attention. Mais Elijah
était le centre de son monde à elle.

Même quand Guido prit le petit bouquet qu'il portait à la boutonnière de son
gilet et le jeta par terre avant de le piétiner—

à ce moment-là, toutes les têtes étaient déjà tournées vers la mariée qui
entrait. Même quand il cracha de dépit au moment où son oncle prit le bras
de celle-ci pour la conduire vers l'autel.

Ainslie, demoiselle d'honneur d'Enid, les suivit.

— Tu crois vraiment qu'elle a eu raison de porter une robe blanche ? lui


murmura Elijah à l'oreille un peu plus tard.

Tendrement enlacés, ils évoluaient tous les deux sur la piste de danse.

— Bien sûr, répondit Ainslie d'un air rêveur.

S'écartant un instant de son torse puissant et chaud, elle vit Enid un peu plus
loin. Le visage radieux, elle souriait à Tony, son désormais mari.

— Qu'est-ce que c'était ? demanda Elijah en s'arrêtant tout à coup au milieu


des danseurs.

— Un coup de pied.
— Il donne des coups de pied ! s'exclama-t-il en posant la main sur le
ventre de sa femme.

Il sentit leur bébé bouger sous sa paume et sourit.

— Il vient d'en donner un autre ! Il jouera dans l'équipe d'Italie

— Ou elle ! lui fit remarquer Ainslie.

— Parfait ! rétorqua Elijah. Mlle Anderson lui donnera des leçons.

Ainslie ne put s'empêcher d'éclater de rire. Elijah était un miracle


permanent pour elle.

— Guido va être affreusement jaloux quand le bébé naîtra, reprit-il en


soupirant dans ses cheveux.

— Il l'est déjà, répliqua Ainslie en regardant le petit garçon tambouriner le


sol de ses poings tandis que la mère d'Ainslie, qui était venue passer Noël
avec eux, essayait de le calmer.

— Mais il s'améliore vraiment, tu ne trouves pas ? demanda Elijah.

Elle hocha la tête en souriant. En dépit de son jeune âge, Guido avait
souffert et souffrait encore de la disparition de ses parents. Ils faisaient de
leur mieux pour combler le vide.

Ils avaient eu du mal à prendre la décision de rester à Londres, mais ils


avaient eu raison. Sa maison était la seule constante qu'ils pouvaient offrir à
Guido alors que tout avait chaviré autour de lui. Tout avait basculé aussi
dans leur vie, entre l'adoption officielle du petit garçon et la réorganisation
des activités professionnelles d'Elijah. Un beau jour, « Ijah » s'était
transformé en « papa » et tout récemment, « Ainslie » était devenue pour la
première fois « maman ».

Mais ils entretenaient la mémoire de ses parents, en lui montrant des photos
et en lui parlant d'eux. Lentement, la maison de Guido était devenue la leur,
un foyer rempli d'amour et de tendresse.

— Je t'aime, dit Ainslie, juste au cas où il aurait eu besoin qu'elle le lui


rappelle.

— Comment pourrais-tu ne pas m'aimer?

Elijah plaisantait pour cacher son émotion.

Il adorait son épouse, à tel point qu'il la réveillait parfois la nuit, juste pour
vérifier qu'elle était bien là. Il voulait s'assurer que cette femme qui s'était
glissée dans sa vie pour son plus grand bonheur n'allait pas disparaître en
fumée, comme tous les êtres qu'il avait aimés avant elle.

— Tu sais que je t'aime moi aussi, déclara-t-il en la regardant dans les yeux
avec une infinie tendresse.

— Oui, je le sais, répondit Ainslie. Mais dis-moi encore pourquoi

— Parce que..., commença Elijah en cherchant la réponse parfaite. Parce


que...

— ... parce que je t'aime !

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