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LA ΧΑΡΙΣ CHEZ SAINT LUC

REMARQUES SUR QUELQUES TEXTES,


NOTAMMENT LE IΚΕΧΑΡΙΤΩΜΕΝΗ

I. — L’utilisation par saint hijc du vocabulaire de la χάρις

1. Statistique.
Saint Paul est le grand théologien de la grâce; chez lui s’affirment
ou se dessinent tous les thèmes qui occuperont inépuisablement la
réflexion postérieure. La χάρις fait aussi l’objet d’une attention spé-
ciale de Luc, encore qu’elle ne soit pas chez lui une préoccupation
dominante 1.
A lui seul, l’Apôtre utilise χάρις une centaine de fois, exactement
2 fois plus que tous les autres auteurs du NT, y compris l’Ëpître aux
Hébreux. Sur la cinquantaine de cas restant, Luc emploie le terme
25 fois (8 fois dans l’Évangile, 17 fois dans les Actes). Le mot, on le
remarquera, n’est pas réservé aux interventions de Paul dans les
Actes, mais il figure ailleurs dans ce livre et dans l’Évangile; nous
avons donc affaire à une intention plus générale de Luc. Si nous
passons aux termes dérivés, on constate que χαρίζομαι est employé
seulement par Paul (15 fois) et Luc (7 fois, dont 3 dans l’Évangile).
On ne sait pourquoi χάρισμα n’est pas utilisé par ce dernier et reste
propre à Paul (sauf I Pi., ιν, 10)2. Quant au verbe χαριτόω, il figure
seulement en Le, 1, 28 et Êph., 1, 6 : textes d’une importance excep-
tionnelle où les deux auteurs se sont rencontrés pour faire choix du

1 Sur la grâce dans le NT, outre les dictionnaires de F. Zorell et W. Bauer aux mots
χαρίζομαι, χάρις, χάρισμα et χαριτόω, on pourra consulter :
G. P. Wetter, Charis. Ein Beitrag zur Geschichte des ältesten Christentums, Leipzig,
1913 ; J. Moffatt, Grace in the NT, Londres, 1931 ; W. Manson, Grace in NTy dans le recueii
collectif The Doctrine of the Grace, édité par Whitley, Londres 1932; P. Bonnetain, art.
Grâce dans DBS III col. 701-1319; J. Guillet, art. Grace (dans l’Écriture Sainte) dans
Catholicisme, V, col. 135141‫־‬.
* Le vocabulaire de la grâce chez saint Luc (cf. Bonnetain, art. cit.t 716717‫ )־‬: χάρις :
Le, i, 30; il, 40, 52; iv, 22; vi, 32, 33, 34 (répétition d’une même formule) ; xvii, 9; Act., 11, 47;
iv, 33; vi, 8; vu, 10, 46; xi, 23; xm, 43; xiv, 3, 26; xv, 11, 40; xvm, 27; xx, 24, 32; xxiv, 27;
XXV, 3, 9; χαρίζομαι : Le, vu, 21, 42, 43; Act., in, 14; xxv, 11, 16; xxvn, 24; χαριτόω :
Le, l, 28.
REVUE BIBLIQUE i J
194 M. GAMBE, Ο. P.

même terme rare 3. Le κεχαριτωμένη de l’Annonciation dont nous


nous préoccuperons d’une manière plus particulière, est une belle
réussite de la théologie lucanienne de la grâce 4. Il nous a semblé que
cette appellation singulière gagnait beaucoup à ne pas être séparée
de l’ensemble des considérations de Luc sur la χάρις.

χαριτόω est un verbe rare. Entre le 11e siècle avant J.-C. et le v® siècle après, on ne trouve
qu’une douzaine d’attestations (cf. de Tu y a, art. cit. à la note suivante, pp. 913‫־‬, avec réfé-
rence à une enquête du P. Lambert, qui ne m’a pas été accessible; voir aussi Bauer et
Zorell, s. v. χαριτόω; Strobel, art. cit. à la note suivante, p. 106). Gomme il est normal
pour un verbe dénominatif, les acceptions différentes de χαριτόω dérivent des sens divers
de χάρις (charme, bienveillance, bienfait...). En Sir., ix, 8, le sage conseille : « Détourne
ton regard d’une jolie femme. » Le ‫ אשת״־הן‬du texte hébreu retrouvé correspond à γυνή
εύμορφος, remplacé dans une variante par γυνή κεχαριτωμένη. Dans les Acta Apostolorum
apocrypha (I, Leipzig, éd. Bonnet, p. 218, ligne 2), Matthieu salue l’enfant Jésus qui lui
est apparu sous la forme d’un ange, le nommant : παιδίον κεχαριτωμένον. Le sens de cette
appellation est clairement expliqué dans le contexte par l’expression synonyme (ligne 11) :
παιδίον καλόν. En Sir., xvm, 17, κεχαριτωμένος exprime le charme moral, l’amabilité qui
émane de la bienveillance et se traduit en générosité : « Certes, une parole ne vaut-elle pas
mieux qu’un riche présent? Mais l’homme rempli de grâce (avec la Bible de la Pléiade; ou
« l’homme charitable », Bible de Jérusalem) unit les deux ». Le même participe est pris au
sens de « favorisé », d’« objet de la faveur » dans un autre texte des Actes Apocryphes des
Apôtres (I, p. 21) : Philippe répond à une personne qui fait preuve des meilleures dispositions
à l’endroit du christianisme : « Tu es favorisé dans la paix du Christ, car il n’y a pas de
mensonge dans ton âme ». A moins qu’il ne faille entendre ici le κεχαριτωμένος au sens
d’« irréprochable », signification qu’il a certainement au Ps., xvm, 26 dans la version de
Symmaque, où il traduit l’hébreu □‫ מי‬: « Tu es sans reproche avec l’homme sans repro-
ehe », μετά του κεχαριτωμένου χαριτωθήση, (Origenis Hexaplorum quae supersunt, éd.
Field, II, p. 111). Le P. Lagrange, Évangile selon saint Luc, Paris, 6e éd., 1941, p. 28,
traduit le κεχαριτωμένος du Ps., xvm Sym. et celui de Sir., xvm, 17 par « l’homme par-
fait ». On voit par là les nuances appréciables de sens que prend le participe κεχαριτωμένος
selon les contextes différents dans lesquels il est employé, et les divergences d’interprétation
qui peuvent s’en suivre.
4 Bibliographie sur le κεχαριτωμένη.
A. Études concernant l’ensemble de Le, 1-11 : A. Resch, Das Kindheitsevangelium nach
Lukas und Matthaeus unter Herheiziehung der ausserkanonischen Paralleltexte quellenkritisch
untersucht, Leipzig, 1897 ; H. Sahlin, Der Messias und das Gottesvolk, Uppsala, 1945, pp. 100‫־‬
102 et 380382‫ ;־‬R. Laurentin, Structure et Théologie de Luc /‫־‬// (Études Bibliques), Paris,
1957, pp. 34148 ,47 ,35‫ ;־‬L. Deiss, Marie, Fille de Sion, Paris, 1958, pp. 8389‫ ;־‬J. Galot,
Marie dans VÉvangile, Paris-Louvain, 1958, pp. 927‫ ;־‬R. Laurentin, Court Traité de Théo‫־‬
logie Mariale, Paris, 4e éd., 1959, p. 22 et note 6 a.
B. Articles : S. Lyonnet, Χαΐρε κεχαριτωμένη, dans Biblica, XX, 1939, pp. 131141‫;־‬
F. Stummer, Beiträge zur Exegese der Vulgata. Luc 1, 28, dans ZAW, LXII, 1950, pp. 161*
167; C. Mohrmann, Ave gratificata, Études sur le latin des chrétiens, I, Rome, 1951, pp. 189‫־‬
194; J. Fantini, κεχαριτωμένη (Le, i, 28). Interpretaciôn filolôgica, dans Salmanticensis, I,
1954, pp. 760763‫ ;־‬M. de Tuya, Valoraciôn exegético-teolôgica del Ave gratia plena (Luc. 1,
28), dans La Ciencia Tomista, LXXXIII, 1956, pp. 327‫ ;־‬S. Lyonnet, Le récit de VAnnon-
ation et la Maternité Divine de la Sainte Vierge, dans UAmi du Clergé, LXVI, 1956,
pp. 3346‫ ;־‬J.-P. Audet, VAnnonce à Marie, dans RB, LVIII, 1956, pp. 346374‫;־‬
F Boura ssa, κεχαριτωμένη (Le, i, 28), dans Sciences Ecclésiastiques, IX, 1957, pp. 313316‫;־‬
E. R. Cole, What did St. Luke mean by κεχαριτωμένη ?, dans American Ecclesiastical Review,
139, 1958, pp. 228239‫( ־‬cet article ne m’a pas été accessible); Pietro della Madré di
Dio, Gratia plena, dans Ephemerides Carmeliticae, XI, 1960, pp. 75126‫ ;־‬A. Strobel, Der
Gruss an Maria (Lc, 1, 28). Eine philologische Betrachtung zu seinem Sinngehalt, dans ZNW,
LIII, 1962, pp. 86110‫־‬.
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2. Archaïsme et nouveauté dans Vusage lucanien de χάρις.


L’emploi du vocabulaire de la grâce par Luc appelle deux remar-
ques générales. Parfois, l’influence paulinienne est particulièrement
sensible. A l’assemblée de Jérusalem, Pierre tient un langage qui ne
messiérait pas dans la bouche de l’Apôtre : « C’est par la grâce du
Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés, exactement comme eux ‫מ‬
(les païens) (Act., xi, 15; cf. Gai., 11, 1521‫ ;־‬ni, 2226‫ ;־‬Éph., 11, 110‫)־‬.
Trois textes remarquables des Actes (xiv, 3; xx, 24, 32) où Paul est
en scène, mettent la χάρις en rapport avec les termes fondamentaux
de la Parole et de l’Évangile. A Iconium, Paul et Barnabé se montrent
pleins d’assurance, car le Seigneur « rendait témoignage à la prédica-
tion de sa grâce », επί τω λογω τής χάριτος αύτοΰ, « opérant signes et
prodiges par leurs mains » (xiv, 3). Devant les anciens d’Éphèse, Paul
déclare qu’il a tenu à accomplir sa mission : « rendre témoignage à
l’Évangile de la grâce de Dieu », τό εύαγγέλιον τής χάριτος (xx, 24).
Enfin, l’Apôtre « confie » les presbytres « à Dieu et à la parole de sa
grâce, τω λογω τής χάριτος αύτοΰ, qui a la puissance de construire
l’édifice et de vous procurer l’héritage avec tous les sanctifiés » (Act.,
xx, 32). Dans ces trois textes, τής χάριτος est à comprendre comme
un génitif objectif. Le message chrétien est l’annonce de la grâce faite
par Dieu aux hommes; il la communique même aux croyants, car
cette grâce est réellement présente dans la prédication et opère par
elle. Dans le contexte du ministère de l’Apôtre des Païens, le « témoi-
gnage à l’Évangile de la grâce de Dieu » souligne que la χάρις divine
se répand jusque sur les Gentils : sans être détenteurs de promesses
comme les Juifs, ils ont part au salut et sont, de ce fait, l’objet d’une
double miséricorde. Plusieurs manuscrits précisent dans ce sens le
v. 24 (cf. v. 21) : « rendre témoignage devant les Juifs et les Grecs à
l’Évangile de la grâce de Dieu ». Comme la parole qui la contient,
cette χάρις paraît revêtue d’une sorte d’existence propre; elle est
presque personnifiée. Les anciens d’Éphèse sont « confiés » à la parole
de la grâce comme ils le sont à Dieu lui-même (cf. Act., xiv, 23, 26;
xv, 40) 5.
Par contre, certaines formules de Luc s’inspirent directement de
FAT, mais leur reprise dans un contexte chrétien peut demander une
interprétation plus haute. Ainsi, Étienne dit du patriarche Joseph :
« Dieu était avec lui; il le tira de toutes ses tribulations et lui donna

8 On trouvera une excellente élucidation de ces textes des Actes dans J. Dupont, Le
Discours de Milet (Actes, xx, 1836‫)־‬. (Lectio Divina, 32). Paris, 1962, pp. 103284‫־‬105, 235‫־‬.
196 M. CAMBE, Ο. P.

grâce et sagesse devant Pharaon, roi d’Égypte » (Act., vu, 10). Dom
Dupont remarque justement : « Le texte de la Genèse dit que Dieu
‘donna grâce à Joseph devant le geôlier-chef’, c’est-àidire lui gagna
sa faveur. Mais ici l’expression fait écho à Act., vi, 3, 8, et fait penser
dès lors à une grâce et à une sagesse surnaturelles que le pharaon n’a
eu qu’à constater en Joseph (cf. Gen., xli, 38 )6». Le récit de l’Annon-
ciation offre un curieux mélange de formules archaïques, reprises des
LXX, et de termes théologiquement très pleins. Ainsi, Marie « a trouvé
grâce auprès de Dieu », εδρες γάρ χάριν παρά τφ Θεω {Le, ι, 30)
comme Noé {Gen., νι, 8), Abraham {Gen., χνπι, 3) ou David (/ Sam.,
xxvii, 5)... Mais ce cliché biblique vient après le κεχαριδωμένη, exprès-
sion attentivement choisie et dont la haute portée théologique est
indéniable 7.

e L. Cerfaux-J. Dupont, Les Actes des Apôtres (B J), Paris, 2e éd., 1958, p. ‫לל‬, note c.
7 Dans le langage courant comme dans le langage biblique, on a la formule active : « donner
sa faveur à quelqu’un », ‫נתן חן‬, διδόναι χάριν, et la formule passive : « trouver grâce »,
‫מצא הן‬, εύρίσκειν χάριν. La faveur du dieu, du roi, du supérieur tenait une grande place
chez les anciens, en particulier chez les Orientaux. « Quand cette faveur est celle de Dieu et
que la faveur même des puissants parmi les hommes est accordée par Di^u ( Gen., xxxix, 21 ;
xliii, 14; Ex., m, 21; xi, 3; xii, 36), c’est alors que l’on voit poindre le sens qui s’épanouira
dans le NT et que, sous la faveur divine, perce la grâce divine. Or c’est ce que nous présente
l’AT : les récits des origines sont l’histoire de la faveur de Dieu sur les patriarches Noé
(Gen., vi, 8), Abraham (Gen., xvm, 3), Loth (Gen., xtx, 19), Jacob, Joseph, Moïse (Ex.,
xxxiii, 12, 13, 1 ‫ ; ל‬xxxiv, 9) » (Bonnetain, art. cit., col. 753 ; cf. col. 53‫ל‬491 ‫ל‬52‫)ל־‬.
Il est, par contre, malaisé de déterminer le substrat vétérotestamentaire de κεχαριτωμένη.
On connaît les deux principales hypothèses qui tentent d’expliquer la couleur si biblique
de Le, 1-11 : le texte grec de l’Évangile serait la traduction plus ou moins adaptée d’un original
sémitique ou bien l’évangéliste lui-même pasticherait la langue des LXX (cf. H. Sahlin,
op. cit.; R. Laurentin, Structure..., pp. 1221‫ ;־‬P. Benoit, Uenfance de Jean-Baptiste selon
Luc I, dans NTS, III, 1956‫־‬5‫ל‬, pp. 169194‫)־‬. Dans sa traduction du NT en hébreu, Delitsch
a recours à ‫אשת״חן‬. Certains auteurs veulent même retrouver au plan du substrat l’alli-
tération entre χαΐρε et κεχαριτωμένη. Au ‫י מוחנה‬5‫ ר‬proposé par le P. Lyonnet, Sahlin
préfère, op. cit., pp. 380‫־‬382, ‫\ חנינה‬2‫ר‬. Il faut comprendre ce ‫ חנינה‬à plusieurs
plans de profondeur: «... Ich vermute..., der protolukanische Text hatte hier ‫)רני( חנינה‬.
Sprachlich wäre eine katil-Form von diesem Verb durchaus denkbar, auch wenn sie
nicht gerade gewöhnlich war. Sachlich würde eine derartige Formulierung verschiedene
Gedankenverbindungen ermöglichen. Das Wort bedeutet, als Partizipium, “begnadigt”,
und dabei ist zunächst an den speziellen Sinn “mit einem Kind begnadigt” zu denken...
Gleichzeitig har aber das ‫ חנינה‬eine weiter reichende Bedeutung. Es deutet die Begna-
digung κατ’ έξοχήν, die messianische Begnadigung, an. . ‫ הנינה‬ist nicht nur Partizipium,
sondern lässt sich auch als Substantiv auffassen; als solches wäre es als ein messia-
nischer Terminus der gleichen Art wie ‫( נהמה‬vgl. παράκλησις Lk 2 25)... zu verstehen...
Damit ist aber der volle Sinn des Wortes ‫ חנינה‬noch nicht erschöpft. Gerade ‫ חנינה‬war
einer der vielen Decknamen für den Messias. » Et Sahlin d’appuyer ces considérations sur la
littérature rabbinique. En réalité, si κεχαριτωμένη suppose un terme hébreu ou araméen
antérieur — ce qui paraît douteux, — mieux vaut reconnaître que nous avons affaire à « la
grécisation d’un substrat sémitique que nous ne pouvons déterminer » (P. Jouon, U Évangile
de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Traduction et commentaire du texte original grec, compte tenu
du substrat sémitique [Verbum Salutis, V], Paris, 1930, p. 283). Il est plus sage de faire fond
avant tout sur le texte de l’évangile et de l’expliquer dans les perspectives propres à Luc.
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IL — Les thèmes associés a la χάρις

1. χάρις et χάρα.
χάρις, la grâce, et χάρα, la joie, procèdent d’une même racine. Qu’il
s’agisse de la grâce extérieure, le charme de la beauté qui provoque
la joie, du bienfait qui met la joie chez le bénéficiaire d’une faveur,
de la reconnaissance, sentiment de joie éprouvée ou exprimée, le
langage n’a pas perdu le sens de cette liaison originelle. Parfois les
copistes du NT ont confondu χάρις et χάρα, si bien que les critiques
hésitent sur la teneur originelle de certains textes : Paul a-t-il voulu
revenir à Corinthe « pour vous procurer une seconde grâce », δευτέραν
χάριν, ou « une seconde joie », δευτέραν χάραν, (II Cor., 1, 15) 8? En
donnant à κεχαριτωμένη le sens de laetificata, les versions arménienne
et éthiopienne ont supposé que le verbe dérivait de χάρα et non de
χάρις9. L’écrivain délicat qu’est Luc a voulu tirer parti à deux reprises
de cette alliance native de la grâce et de la joie. A son arrivée à Antio-
ehe, Barnabé, « ayant vu la grâce de Dieu, se réjouit », ίδών την χάριν
την του Θεού έχάρη (Act., χι, 23). Concrètement, cette grâce désigne
le succès de la prédication à Antioche et les premières entrées de païens
dans l’Église. En Le, 1, 28, la paronomase χαΐρε κεχαριτωμένη suggère
que la joie de Marie est en rapport avec la grâce dont elle est l’objet.
Le χαΐρε demande en effet à être compris, sinon traduit, comme
un appel à la joie, et non comme un salut banal. Dans Soph., ni, 14;
Joël., il, 21; Zach., ix, 9 (cf. Lam., iv, 21, imitation ironique de la
formule précédente, le χαΐρε introduit une prophétie messianique 1°.
Absence de crainte, joie, présence du Seigneur au milieu de la Fille
8 Voir encore les apparats de critique textuelle à II Cor., vm, 2; Phm., 7; III Jn, 4.
Cf. Bonnetain, art. cit., col. 12491255‫־‬.
• Cf. Zorell, s. v. χαριτόω.
18 Le P. Lyonnet a eu le mérite, dans les deux études citées, d’asseoir cette hypothèse
sur des bases objectives (nous avons seulement donné les deux arguments jugés les plus
efficaces). Cette manière de comprendre le χαΐρε semble rallier des suffrages de plus en plus
nombreux : cf. Sahlin, op. cit., pp. 99102‫ ;־‬A. Valensin-J. Huby, Évangile selon saint Lue
(Verbum Salutis, III), Paris, 41e éd., 1952, pp. 1317‫ ;־‬Audet, art. cit., pp. 357358‫( ־‬mais
avec refus de la typologie de la Fille de Sion); Laurentin, op. cit., pp. 6471‫־‬. Strobel,
art. cit., critique l’argumentation de Lyonnet et de Laurentin, mais retrouve finalement, à
partir du christianisme hellénisé, la même note de joie dans le χαΐρε de Le, 1, 28. Il souligne
avec raison l’intérêt de Jac., 1, 12‫ ־‬: le χαίρειν est apprécié comme une invitation à la joie;
Jacques « joue sur le mot et précise le caractère religieux de la joie qu’il entend souhaiter à
ses destinataires » (R. Leconte, Les Êpitres Catholiques, (BJ), 2e éd., 1961, p. 31, note c).
Les lettres d’Ignace d’Antioche associent la χάρις et le χαίρειν. La lettre aux Magnésiens
s’ouvre de la manière suivante : « Ignace, dit aussi Théophore, à celle qui est bénie dans la
grâce », τη εύλογημένη έν χάριτι, « de Dieu le Père en Jésus-Christ notre Sauveur, en lequel
je salue l’Église qui est à Magnésie du Méandre, et lui souhaite toute joie », πλεΐστα χαίρειν,
en Dieu le Père et en Jésus-Christ » (cf. aussi les salutations des lettres aux Éphésiens, aux
Romains et aux Smyrniotes).
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de Sion et de tout son peuple : tels sont les thèmes essentiels de ces
messages eschatologiques. A cette constatation tirée du langage des
LXX s’ajoute le parallélisme avec l’annonce à Zacharie : il serait
paradoxal que l’invitation à la joie figure au début de cette annonce
(Le, i, 14) et fasse défaut dans l’annonce messianique par excellence.

2. χάρις et σοφία.
La parole — déjà citée — d’Ëtienne au sujet de Joseph : Dieu
« lui donna grâce et sagesse », χάριν καί σοφίαν, « devant Pharaon ‫מ‬
(Act., vu, 10), manifeste un autre centre d’intérêt lucanien : le rappro-
chement entre χάρις et σοφία. La comparaison entre le texte des
Actes et Genn xxxix, 21 LXX montre bien que nous avons affaire
à une connexion voulue par Luc, puisque la mention de la σοφία est
absente du texte des LXX.
Il faut noter la parenté littéraire qui existe entre ce verset des
Actes et les deux notices qui encadrent l’épisode de Jésus parmi les
docteurs (Le, 11, 40, 52) u. « Quant à l’enfant, dit le premier ‘refrain
de croissance’, il grandissait et se développait, se remplissant de
sagesse », πληρούμενον σοφία, « et la grâce de Dieu », χάρις Θεοΰ, « repo-
sait sur lui ». Dans ce portrait de Jésus adolescent, nous retrouvons
la mention de la χάρις et de la σοφία. Certains manuscrits, il est vrai,
remplacent σοφία par πνεύμα; « cette variante témoigne en somme
d’une excellente exégèse 12 » : les dons de l’enfant sont l’effet de
l’Esprit-Saint, mais Luc, conformément à toute la tradition évan-
gélique, a réservé pour le baptême la mention explicite de l’Esprit
(Le, m, 22). Loisy commente très bien ce texte : « Et la grâce, — non
seulement la bienveillance, mais la vertu — de Dieu était sur lui. La
grâce divine agissait spécialement dans la sagesse qui vient d’être dite
et qu’on va voir 1s. » Dans l’épisode de Jésus parmi les docteurs, Luc
écrit en effet : « Tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de
son intelligence », επί τη συνέσει « et de ses réponses » (Le, 11, 47).
A cette σύνεσις charismatique s’opposera l’incompréhension des
parents : ού συνήκαν τό ρήμα... (Le, 11, 50).
Le ν. 52 reprend le thème du v. 40, mais d’une manière un peu diffé-
rente : « Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce
devant Dieu et devant les hommes. » Cette traduction, qui est habi-
tuelle, semble trop matérielle; elle va souvent de pair avec une inter-
11 Le langage de Xc, 11, 40, 52 (et 47) a été étudié sous l’aspect qui nous intéresse ici par
I\ Gils, Jésus Prophète d'après les Évangiles Synoptiques, Louvain, 1957, pp. 12-16.
M Gils, op. cit., p. 12, note 9.
13 A. Loisy, Évangile selon saint Luc, Paris, 1924, pp. 126127‫־‬.
LA ΧΑΡΙΣ CHEZ SAINT LUC 199

prétation inexacte. «Luc, à la manière sémitique, expliquait le P. Joüon,


exprime en coordination ce que nous exprimons en subordination...
Comme dans 1, 80; 11, 40, la croissance physique, qui va de soi, n’est
pas mentionnée pour elle-même... Nous dirions d’une façon moins sim-
pliste et en mettant au second plan la notion secondaire : ‘en sagesse
aussi bien qu’en taille’ 14. » On traduira donc avec le même auteur : « Et
Jésus grandissait en sagesse comme en taille, et en faveur auprès de
Dieu et des hommes. ‫ מ‬L’accent est ainsi placé sur la croissance dans
la σοφία et la χάρις; le développement physique est ramené à son rôle
de point de comparaison. L’exégèse de Le, 11, 40 et 11, 52 nous fait
toucher du doigt la mobilité du langage de l’évangéliste : dans le
premier texte, le Messie enfant est l’objet de la χάρις de Dieu; dans
le second cas, la grâce apparaît nettement comme une qualité de
Jésus lui-même, comme un don spirituel qui le travaille de l’intérieur
et dont Dieu et les hommes ressentent le pouvoir d’attraction. L’expres-
sion « devant les hommes » fait habilement transition avec ce qui suit :
l’action progressive et d’abord discrète de la χάρις dans la personne
du Messie va maintenant éclater au grand jour pendant son ministère
public, en particulier dans ces λόγοι τής χάριτος dont il est question
dans la scène inaugurale de la synagogue de Nazareth (Le, iv, 22;
cf. infra).
Les commentateurs ont noté à l’envi les antécédents bibliques des
trois refrains de croissance de Le, 1-11 : ces notices sont basées sur des
expressions analogues employées dans les récits de l’enfance de
Samson ou de Samuel (comparer Le, 1, 80 et 11, 40 à Jug., xm, 24;
Le, il, 52 à I Sam., 11, 26 et aussi à Prov., ni, 4). Seulement, ici encore,
l’interprétation doit dépasser le niveau des vieilles formules ; le langage
de Luc prend en même temps une couleur paulinienne. Le chapitre 1
de l’Épître aux Éphésiens, qui utilise comme Le, 1, 28, le verbe χαριτόω
(v. 7), associe également σοφία et χάρις (vv. 7-8) : κατά τό πλούτος
τής χάριτος αύτου, ής έπερίσσευσεν εις ήμάς εν πάση σοφία καί φρονήσει.
L’Épître aux Colossiens donne comme synonyme à la σοφία la σύνεσις
« spirituelle 9 ,1) ‫ )מ‬: έν πάση σοφί$ καί συνέσει πνευματική15.

3. La χάρις dans les formules de plénitude.

Dans certains contextes, χάρις fait même partie d’un complexe


de termes en affinité les uns avec les autres et surtout utilisés dans

14 Op. cit., pp. 295, 308-309.


15 Cf. Gils, op. cit., pp. 1516‫־‬. En fait, remarque cet auteur, le NT emploie σύνεσις et
συνιέναι en continuité avec Dan., où il s’agit d’une intelligence charismatique.
200 M. CAMBE, Ο. P.

ce que nous pouvons appeler les formules de plénitude. Au jugement


des Apôtres, les candidats à l’office des Sept doivent être « remplis
de l’Esprit-Saint et de sagesse », πλήρεις πνεύματος καί σοφίας
(Act., νι, 3). Étienne apparaît comme « un homme rempli de foi et de
l’Esprit-Saint », πλήρη πίστεως καί πνεύματος άγιου (Act., νι, 5);
la même expression qualifie Barnabé (Act., xi, 24). Effectivement,
les adversaires d’Étienne « n’étaient pas de force à tenir tête à la
sagesse et à l’Esprit », τη σοφιοι καί τω πνεύματι, « qui le faisaient
parler » (Act., νι, 10). L’attitude confiante et hardie de la jeune Église
d’Antioche de Pisidie est résumée par Luc dans la notice suivante :
« Quant aux disciples, ils étaient remplis de joie et de l’Esprit-Saint »,
επληρούντο χαράς καί πνεύματος άγιου (Act., χπι, 52; cf. Le, 1, 41).
Ces formules de plénitude, dans lesquelles l’adjectif πλήρης est suivi
d’un double déterminatif (cf. encore Act., xi, 36), caractérisent le
style des Actes, mais évoquent irrésistiblement le πλήρης χάριτος καί
άληθείας du Prologue de Jean (Jn, 1, 14). Le P. Boismard envisage
même une activité rédactionnelle directe de Luc sur le Prologue et
d’autres passages du IVe Évangile 16. La comparaison des formules
de plénitude des Actes : plein d’Esprit, plein de puissance, plein de
grâce, plein de joie, suggère que l’Esprit est à l’origine de tous ces
dons; nous sommes en présence des aspects variés d’une même pneuma-
tologie.
Grâce et Esprit peuvent apparaître comme interchangeables. Pour
s’en convaincre il suffit de mettre en parallèle Act., x, 38 et Act., vi,
8 : Étienne accomplit des prodiges parce qu’il est « rempli de grâce
et de puissance » (vi, 10), tout comme les guérisons miraculeuses opé-
rées par Jésus sont expliquées par « l’onction d’Esprit et de puissance »
reçue au baptême (x, 38)17. Si on les envisage à la lumière de cette
connexion entre πνεύμα èt χάρις, les λόγοι τής χάριτος que prononce
Jésus dans son discours inaugural de Nazareth (Le, iv, 22) ne seraient
pas des paroles charmantes, comme on le comprend souvent, mais
plutôt un discours « inspiré ». On se souvient que le Christ vient de
s’appliquer le texte d’Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi... »
(Le, iv, 18 = Is., lxi, 1). Parce qu’il est oint de PE sprit-Saint, le

16 Saint Luc et la rédaction du quatrième évangile (Jn, iv, 4654‫)־‬, dans RB, LXIX, 1962,
pp. 185211‫־‬.
17 G. Delling, art. πλήρης, TWNT, VI, pp. 284285‫־‬, cf. p. 285, note à propos des for-
mules de plénitude en Act., vi :« Für χάρις sagt die Apostelgeschichte sonst πνεύμα (άγιον). »
Sr Jeanne d’Arc, Les étapes de la révélation de la grâce, dans Initiation Théologique, t. III,
Paris, 1952, pp. 388403‫־‬, cf. p. 394, souligne le parallélisme entre Le, n, 25 et Le, 11, 40 :
πνεδμα ήν άγιον επ’ αύτόν = χάρις θεοΰ ήν έπ’αύτό. « C’est la même formule, il semble bien
que les expressions la grâce de Dieu et l’Esprit Saint sont ici à peu près interchangeables. »
LA ΧΑΡΙΣ CHEZ SAINT LUC 201

Messie est doué d’un langage « de grâce )>, c’est-à-dire charismatique 18.
On ne s’étonnera pas après cela que la χάρις apparaisse souvent
comme une force de rayonnement et de conquête. Le parallélisme
entre χάρις et δύναμις est explicite dans la notice sur Étienne, « rempli
de grâce et de puissance ‫( מ‬Act., νι, 8). Lorsque Paul « confie » les
anciens d’Éphèse « à Dieu et à la parole de sa grâce qui a la puissance
de construire l’édifice et de vous procurer l’héritage avec les sancti-
fiés », la vertu salvifique est inséparablement reconnue à Dieu et à
la parole de la grâce; τω λόγφ της χάριτος est même, semble-t-il,
l’antécédent de τφ δυναμένω (Act., xx, 32) 19.
Une question se pose maintenant à nous : est-ce que le κεχαριτω-
μένη, ordinairement traduit par « pleine de grâce », ne serait pas
implicitement une formule de plénitude, analogue à celle que nous
avons rencontrées dans les Actes? La Vulgate semble nous inviter à
voir les choses de cette manière : en Le, 1, 28 gratia plena traduit
κεχαριτωμένη, en Act., νι, 8 plenus gratia répond à πλήρης χάριτος.
Toutefois, il y a lieu de se demander si la nuance de plénitude est
impliquée de soi par les verbes en -όω comme χαριτόω. Une opinion
assez largement répandue répond par l’affirmative. Citons par exemple
le P. Médebielle : « Il est à remarquer... que les verbes grecs dénomi-
natifs en -όω ont tous un sens de plénitude : αίματόω, ensanglanter;
θαυμαστόω remplir de stupeur; σποδόω, couvrir de cendre. Κεχαρι-
τωμένη, au parfait passif, est donc celle qui a reçu d’une manière stable
l’abondance de la grâce 20 ». Cette manière de voir paraît discutable;
dans leur soigneuse étude des verbes en -όω, Moulton et Howard

18 Trois interprétations principales se partagent la faveur des commentateurs. La majo-


ri té (A. Plummer, E. Klostermann, M.-J. Lagrange...) pense à des paroles gracieuses, pleines
de charme. Loisy, op. cit., p. 158, est hésitant : « On est tenté d’entendre paroles de la
grâce d’après l’usage de ΓΑΤ (cf. Col., iv, 6; Éph., iv, 29), au sens de paroles agréables,
étant donné que l’auditoire est censé n’avoir rien compris au fond; mais, eu égard au style
de l’auteur, la grâce pourrait bien être le don divin du salut (cf. Act., xiv, 3; xx, 24, 32), et
le discours serait caractérisé d’après son objet, non d’après l’idée que s’en fait la foule. ‫ י‬II
est vrai qu’en Act., xiv, 3 et xx, 32, le λόγος της χάριτος désigne le salut gratuitement
accordé; malgré ce parallèle très proche, la portée de Le, iv, 22 paraît être tout autre, comme
le montre Gils, op. cit., p. 19 : « Pour le message chrétien, le singulier λόγος est de règle...
L’expression de l’évangéliste, ot λόγοι της χάριτος, à cause du pluriel, attire l’attention
moins sur le contenu du discours que sur la qualité de l’énoncé... Nous retiendrons de notre
enquête que Luc souligne vraisemblablement l’aspect charismatique de Jésus dans ce
passage (iv, 22), à mettre en relation avec Le, 11, 40, 52 et différentes notices des Actes. » —
Notons encore la manière curieuse dont J. Jeremias, Jésus et les Païens, Neuchâtel-Paris,
1956, pp. 4041‫־‬, comprend la remarque de Luc sur l’attitude des gens de Nazareth : ‫ י‬Tous
ils protestaient et étaient indignés de ce qu’il parlât de la grâce de Dieu. » Du texte d’Isaïe
qu’il cite, Jésus ne retient que ce qui concerne la grâce, omettant à dessein la vengeance
messianique mentionnée sitôt après : « et un jour de vengeance de notre Dieu » (comp. Le, iv,
19 et Is., lxi, 2). D’où l’indignation de l’auditoire.
18 Cf. Dupont, Le Discours de Milet..., pp. 245250‫־‬.
20 Art. Annonciation, dans DBS, I, col. 262297‫־‬, cf. col. 283.
202 M. CAMBE, Ο. P.

affirment simplement : « The dominant force of these verbs in -όω


was intrumental or factitive 21 ». Un philologue aussi averti que le
P. Joüon remarquait de son côté : « La traduction pleine de grâce
(Vulgate, Peshitto), quoique un peu libre, est légitime; mais pour
cette nuance on a le πλήρης χάριτος {Jn, 1,14) 22. ‫ מ‬Si Luc avait voulu
insister sur la plénitude de grâce de Marie, il aurait écrit aussi, comme
il l’a fait à propos d’Étienne, un πλήρης χάριτος (cf. Act., νι, 8). On
concédera toutefois que certains contextes peuvent suggérer l’idée
de plénitude, même si les verbes en -όω ne l’expriment pas nécessai-
rement par eux-mêmes 23,

III. — Précisions sur le κεχαριτωμενη a la lumière du genre


LITTÉRAIRE DE L’ANNONCIATION

1. Le κεχαριτωμενη à la lumière du genre littéraire de la « salutation ».


Nous àvons déjà réservé dans nos réflexions une attention parti-
culière au difficile κεχαριτωμένη. L’examen des thèmes qui s’associent
81 J. H. Moulton-W. F. Howard, A Grammar of the New Testament Greek, II, Ëdimbourg,
1929, pp. 393397‫־‬, cf. p. 397.
88 Op. cit., p. 283; cf. dans le même sens, Fantini, art. cit.; Laurentin, Court Traité...,
loc. cit. : « En disant gratia plena, la Vulgate représente... une interprétation dogmatique-
ment valable, mais c’est une transposition plus qu’une traduction. »
88 La version latine elle-même ne va pas sans poser de question. F. Stummer, art. cit.,
semble avoir montré que le gratia plena demande à être apprécié au niveau des traductions,
non en fonction d’une arrière-pensée théologique, mais par rapport à la technique de la
traduction. Cette périphrase avec plenus pour rendre un mot unique du texte original est
un exemple entre plusieurs autres. Ainsi, en Gen., xxvn, 29 ‫ מברכ'ף ברץ״‬s’élargit en
qui benedixerit tibi, benedictionibus repleatur. En II Chron., xxvi, 21, ‫ מצ״רע‬est traduit
d’abord par leprosus, puis par plenus lepra. Selon Stummer, p. 165, il en va de même pour le
gratia plena : « Die Wiedergabe von κεχαριτωμένη durch gratia plena ist... einfach eine
Übersetzungstechnik, welche dazu dienen soll, dem Ausdruck grössere Fülle und volleren
Klang zu geben, dagegen den Inhalt gar nicht berührt : gratia plena will nicht mehr besagen
als κεχαριτωμένη.. ‫ מ‬L’auteur ajoute que le choix de gratia plena a dû être influencé par
l’exemple des traducteurs syriaques qui ne pouvaient rendre le κεχαριτωμένη sans recourir
à la même périphrase. Mlle Mohrmann reconnaît (art. cit.) l’équivalence entre κεχαριτωμένη
et gratia plena, mais elle ne pense pas comme Stummer que le choix des traducteurs latins
ait été déterminé par des raisons d’eurythmie. C’est plutôt le désir de bannir toute ambiguïté
d’un texte délicat qui a fait abandonner le principe d’une traduction mot pour mot et assuré
le succès du gratia plena. On trouve en effet dans la tradition latine la translation gratificata
qui est celle du Codex Palatinus (e) et du Monacensis (q). M11® Mohrmann s’est attachée à
montrer pourquoi ce néologisme a finalement eu le dessous. Gratificata présentait pourtant
plusieurs avantages : un seul mot grec était rendu par un seul mot latin ; selon une formation
privilégiée du langage chrétien, le causatif grec était exprimé par un verbe en -ficare. Puisque
gratia équivalait à χάρις, gratificata, en se rattachant au sens chrétien de gratia, exprimait
bien la nuance verbale et théologique du parfait grec : « pourvue de grâce ‫מ‬. Cependant, la
carrière de cette excellente traduction a été compromise par le terme traditionnel gratificor
(se montrer bienveillant, récompenser), qui fit perdre de vue la référence directe de gratifico
à gratia. Lorsque Augustin commente Êph., 1, 6 : « in laudem gloriae gratiae suae, in qua
gratificavit, έχαρίτωσεν, nos in dilecto filio suo », il est obligé d’attirer l’attention du lecteur
sur le lien de gratificare avec gratia : « dictum est gratificavit a gratia » (De praedestinatione
sanctorum, xvm, 36, PL, XLIV, 987).
LA ΧΑΡΙΣ CHEZ SAINT LUC 203

volontiers dans les peintures des personnages de l’histoire sainte


chez l’auteur de VA Théophile, nous fait mieux percevoir toute la saveur
lucanienne du portrait théologique de Marie. D’après la scène de
l’Annonciation, elle est dotée de la χάρις et invitée à la joie. U Esprit,
qui est la Puissance de Dieu, va venir sur elle. Elle est aussi, est-il
ajouté dans l’épisode de la Visitation, celle qui a cru, ή πιστεύσασα,
(Le, i, 45). Le Dominus tecum pourrait s’éclairer de la même manière :
en Act., x, 38, Dieu manifeste sa présence active, sa coopération au
ministère de Jésus par le don de l’Esprit 24. Il faut toutefois se garder
d’aligner les textes les uns sur les autres, et la mobilité du langage
de Luc en la matière est une raison supplémentaire de prudence.
Sur la base de l’équivalence parfois relevée entre πνεύμα et χάρις,
on pourrait être tenté d’interpréter le κεχαριτωμένη au sens de « pour-
vue de l’Esprit 25 ». Cependant, l’exégèse du contexte et le genre
littéraire de l’Annonciation nous orientent dans une autre direction.
Toute la scène de l’Annonce met l’accent sur la bienveillance
divine envers Marie, sur la grâce objective. Le κεχαριτωμένη est
repris sur un mode mineur et commenté au v. 30 : « Tu as trouvé
grâce auprès de Dieu : voici que tu concevras...26 ». La traduction
« pleine de grâce » suppose presque nécessairement que l’on prend la
grâce du côté de son terme, comme qualité intérieure affectant Marie.
Sans doute, pour Dieu, aimer, c’est inséparablement donner et trans-
former : privilégiée de la bienveillance de Dieu, Marie l’est aussi de
ses dons. Toutefois, à l’inverse de la grâce qui remplit Étienne (Act.,
vi, 8), la χάρις de l’Annonciation doit se prendre plutôt du côté de
sa source (en Dieu) que de son effet (en la Vierge). Aussi le souci de
précision exégétique a-t-il conduit plusieurs auteurs à traduire le
κεχαριτωμένη par « Objet de la grâce (ou de la faveur) 27 ».
24 Dans ΓΑΤ, la présence de Dieu est parfois liée au don de l’Esprit : Dieu est avec quel-
qu’un lorsqu’il lui communique son propre dynamisme. Citons un texte peut-être plus
significatif : « Courage, tout le peuple du pays! oracle de Yahvé. Au travail! Car je suis avec
vous, — oracle de Yahvé Sabaot, — et mon Esprit demeure au milieu de vous. Ne craignez
pas! » (Ag.y il, 45‫)־‬. Cf. W. C. van Unnik, Dominus vobiscum : the Background of a Liturgical
Formula, dans New Testament Essays. Studies in memory of T. W. Manson, Manchester,
1959, pp. 270-305.
25 Strobel, art. cit., p. 107, cite, parmi les anciens témoins de cette interprétation, Oracles
Sib., VIII, 462 : ώς είπών ^μπνευσε θεός χάριν ήδεί κούρη.
28 Cf. J. Schmid, Das Evangelium nach Lukas, Regensburg, 3e éd., 1955, pp. 40-41 : « Der
Gruss des Engels bezeichnet Maria als von Gottes Huld besonders Ausgezeichnete, was auf
ihre Auserwählung zur Mutter des Messias und Sohnes Gottes zu deuten ist (vgl. v. 30...).
Die Versicherung, dass sie Gnade bei Gott gefunden hat (vgl. Gen. 6, 8; 18, 3; Apg 7, 46;
Hebr. 4, 16), die durch das Folgende inhaltlich erläutert wird, gibt die Erklärung für die
Anrede “Begnadete”. Deshalb verdient Maria diese auszeichnende Benennung, weil Gott sie
zu Besonderem ausersehen, zu Mutter des Messias bestimmt hat. »
27 Cf. M. Goguel, dans la Bible du Centenaire : « l’objet de la grâce divine »; Joüon, op.
cit., pp. 282-283 : « objet de la faveur divine »; L. Vagan a y, dans Catholicisme, I, col. 603 :
204 M. CAMBE, Ο. P.

Cette interprétation est confirmée par la considération du genre


littéraire des annonces, qui a fait l’objet, ces dernières années, d’études
attentives 28, Le récit de l’Annonciation demande en effet à être
compris dans l’analogie des récits d’annonces de ΓΑΤ, qu’il s’agisse
des annonces de naissances, comme pour Isaac (Gen., χνιι-χνιιι),
Samson (Jug., χιπ) ou l’Emmanuel (Is., vu), ou d’annonces de mis-
sion, comme pour Moïse (Ex., m1‫־‬v) ou Gédéon ( Jug., vi). Le P. Audet
a eu le mérite de montrer les affinités profondes de l’annonce à Gédéon
(Jug., vi, 1124‫ )־‬et de l’annonce à Marie et d’en tirer des conséquences
pour l’interprétation du κεχαριτωμένη. De part et d’autre, le motif
de la « salutation » est exploité de manière semblable. L’Ange de Yahvé
aborde Gédéon en ces termes : « Yahvé avec toi, Vaillant Guerrier! »,
Κύριος μετά σου, δυνατός τη ϊσχυι (Jug., νι, 12). Au nom de Gédéon
l’Ange substitue l’appellation de « Vaillant Guerrier! » qui le repré‫־‬
sente dans le dessein de Dieu et dévoile déjà la portée communautaire
de cette vocation. De même, Gabriel tait d’abord le nom familier de
Marie et le κεχαριτωμένη occupe la même place que le δυνατός τη
Ϊσχυι de l’annonce précédente. Le P. Audet a raison d’écrire : « A vrai
dire, tout le message est là, dans ce seul mot 29. » Dans les deux cas,
la même assurance est donnée de la part du ciel : « Le Seigneur est
avec toi. » La suite du message de l’ange va expliquer la « grâce »
qui a été faite à Marie : la Vierge est κεχαριτωμένη parce qu’elle a été
choisie comme mère du Messie. Cette vocation unique implique,
de la part de Dieu, un vouloir d’amour singulier. Le participe est au
parfait parce que Marie a été depuis toujours et reste à jamais l’objet
de la faveur exceptionnelle que suppose le charisme de la maternité
messianique. Κεχαριτωμένη lui convient presque comme un nom de
vocation, comme à Simon celui de Pierre 3°. La Vierge est tout entière
« pleine de grâce : qualificatif employé d’une façon absolue comme s’il remplaçait un nom
propre avec le sens de objet de la faveur divine dans toute sa plénitude »; nouveau Cram-
pon, Paris, 1952 : « pleine de grâce, litt, devenue objet de la faveur divine »; Laurentin,
Court Traité..., loc. cit. : «Le mot est intraduisible en français. Il faut recourir à une péri-
phrase : objet dè la faveur de Dieu. ‫מ‬
Le cantique des anges à Noël peut servir de point de comparaison : έπΐ γης εΙρήνη έν
άνθρωποις ευδοκίας {Le, ιι, 14). La tendance des modernes est d’interpréter 1’εύδοκία non
de la bonne volonté des hommes, mais de la bienveillance divine (cf. à propos de parallèles
de Qumrân, C. H. Hunzinger, Neues Licht auf Le 2,14, άνθρωποι εύδοκίας, dans ZNW,
XLIV, 1952/53, pp. 8590‫ ;־‬E. Vogt, Pax hominibus bonae voluntatis, dans Biblica, XXXIV,
1953, pp. 427429‫)־‬. Ainsi compris, ce texte offre une similitude frappante avec le χαίρε κεχα-
ριτωμένη : aux hommes qui sont l’objet de la bienveillance de Dieu est offerte la paix; à
Marie, objet de la grâce de la maternité messianique, est annoncée la joie.
88 Cf. en particulier Audet, art. cit.; S. Munoz Iglesias, El Evangelio de la Infancia en
San Lucas y las infancias de los héroes biblicos, dans Estudios Biblicos, XVI, 1957, pp. 329382‫־‬.
88 Art. cit., p. 359.
30 Nom nouveau et prophétique, dit le P. Audet, art. cit., p. 359; cf. p. 353, note 1. Rap-
portons toutefois le scrupule qui empêche le P. Fantini, art. cit., p. 762, de donner à κεχαριτω-
LA ΧΑΡΙΣ CHEZ SAINT LUC 205

l’expression personnelle et la personnification de la faveur divine 31.


Envisagée comme élément en relief dans la construction littéraire de
l’Annonciation, l’appellation de κεχαριτωμένη reçoit une valeur essen»
tiellement anticipatrice et dynamique. Cette désignation fonctionnelle
de Marie donnée dès le départ par l’ange organise tout le mouvement
théologique de la scène : la Vierge est l’objet de la faveur de Dieu,
elle reçoit l’annonce de la joie et l’assurance de la présence active et
salvifique du Seigneur. La suite du récit si théologique de l’Annon-
ciation déploiera par explicitations successives les virtualités cachées
de la salutation.

2. Le contraste des annonces en Le, i : Marie et Zacharie.


Une partie de l’intention de Luc nous échapperait si nous oubliions
que l’annonce à Marie doit être lue en parallèle et aussi en opposition
avec l’annonce à Zacharie; l’évangéliste a enserré les récits dans des
formes étroitement analogues pour mieux faire éclater au total le
contraste des contenus. L’éloge des parents de Jean-Baptiste est
conforme aux normes de la sainteté selon FAT : « Tous deux étaient
justes aux yeux de Dieu, et ils suivaient, irréprochables, tous les
commandements et observances du Seigneur ‫( מ‬Le, 1, 6). Cette per-
fection morale se détache sur un fond de noblesse humaine : Zacharie
était prêtre et Élisabeth descendait d’Aaron (Le, 1, 5). Rien de tel
n’est dit à propos de Marie : Luc nous la présente sans aucun titre,
afin que nous comprenions que l’amour prévenant de Dieu est à l’œuvre
avec elle d’une manière privilégiée. L’intention de l’évangéliste se
manifeste clairement quand on se réfère à la suite du développe-
ment :
Le, i, 13 Le, i, 30
« Rassure-toi, Zacharie : « Rassure‫־‬toi, Marie :
ta supplication a été exaucée. » car tu as trouvé grâce
auprès de Dieu. »

D’un côté, Dieu a exaucé la prière de Zacharie, tandis qu’à Marie il


est seulement parlé de la grâce divine sur elle. A la réponse à une
demande fait pendant une pure initiative divine. Ce contraste entre
Zacharie et Marie se présente comme un écho de l’opposition pauli-
μ,ένη la pleine valeur de nom nouveau : l’absence d’article semble défavorable à une portée
antonomastique du participe. Il faut plutôt lui reconnaître la valeur de proposition circons-
tantielle qu’il prend souvent dans ce cas. On l’entendra ici en un sens causal : parce que tu es
κβχαριτωμένη et que le Seigneur est avec toi.
81 Cf. Gàlot, op. citp. 25.
206 M. CAMBE, Ο. P.

nienne entre la Loi et la Grâce. Avec Marie commencent les temps


nouveaux, les temps de « l’Évangile de la grâce » (Act., xx, 24), pro-
clamés par la prédication apostolique.
A ce don gratuit de Dieu la Vierge répond par la foi, une foi exem-
plaire que Luc donne en modèle aux croyants (comparer Le, 1, 45 et
xi, 28; cf aussi Jn, xx, 30), mais qui s’oppose aussi manifestement à
l’incrédulité de Zacharie :
Le, i, 20 Le, i, 45
« Tu seras muet... « Bienheureuse
parce que tu n’as pas cru celle qui a cru
à mes paroles car les paroles du Seigneur
qui s’accompliront. » auront leur accomplissement.

Par contraste avec Zacharie, Marie inaugure et symbolise l’ordre chré-


tien, caractérisé, du côté de Dieu, par l’effusion de sa χάρις et, du
côté de l’homme, par la réponse de la foi 32.
Toulouse, octobre 1962. M. Cambe, O.P.

Addendum

Peut-être faut-il reconnaître aussi une couleur apocalyptique au


motif de la bienveillance divine qui s’exprime en Le, 1,28 (κεχοφιτωμένη ),
30; il, 14 (άνθρωποι εύδοκίας). La qualification de Marie dans la salu-
tation de Gabriel, et des hommes dans l’hymne de Noël, n’est pas
sans rappeler, en deçà d’un contact littéraire ferme, le titre donné par
l’ange à Daniel : ‫( איש־־־חבודרת‬LXX : άνθρωπος έλεεινδς εΖ) « homme
des prédilections ‫( מ‬Dan., x, 11, 19; cf. ix, 23). Daniel, Marie,
les bergers de Bethléem ne doivent pas s’effrayer devant les
interventions surnaturelles. Ils sont l’objet de la faveur divine, car
ils reçoivent des révélations célestes. Ce rapprochement prend davan-
tage de relief, si l’on admet, avec certains auteurs, une influence assez
marquée du livre de Daniel sur les mises en scène des angélophanies
de Le, i-π et sur certains thèmes de l’Évangile de l’Enfance : (double)
apparition de Gabriel (« contact de base » entre Dan., et Le, 1-11),
crainte, bienveillance divine, « conserver les paroles dans son cœur »
(Le, il, 19, 51 et Dan., vu, 28 : expression quasi technique du « secret »
dans le vocabulaire de révélation). Cf. Laurentin, Structure...,
pp. 4548‫ ;־‬F. Neirynck, L'Évangile de Noël selon S. Luc (Coll.
*‫ י‬Cf. Laurentin, Structure..., pp. 3435‫ ;־‬Galot, op. cit., pp. 1216‫ ;־‬Boismard, art. cit.,
pp. 192209‫־‬194, 201, 208‫־‬.
LA ΧΑΡΙΣ CHEZ SAINT LUC 207

« Études religieuses » n° 749), Bruxelles, 1960. Dans le NT, le motif


de la bienveillance divine se rencontre à plusieurs reprises dans des
textes d’inspiration apocalyptique, comme Le, x, 21 (= Mt., xi, 26);
xii, 32; Mt., xiii, 11; xvi, 17; Gai., 1, 1516‫־‬. Cf. A. Denis, Uélection
et la vocation de Paul, faveurs célestes, Étude thématique de Gai., 1,
15, dans Revue Thomiste, LVII, 1957, pp. 405428‫ ;־‬M. Sabbe, La rédac‫־‬
tion du récit de la Transfiguration, dans La venue du Messie (Coll.
« Recherches bibliques ‫ מ‬YI), Bruxelles, 1962, pp. 65100‫־‬, à la p. 74.
Si le thème apocalyptique a inspiré, pour une part, le κεχαριτωμένη,
Marie est l’objet de la faveur divine, non seulement au titre de mère
élue du Messie (cf. supra III, 1), mais encore comme bénéficiaire
de la révélation du Fils de Dieu (Le, 1, 35). L’Annonciation se présente
alors indissociablement comme une scène de vocation et de révélation.
Exactement comme pour Paul d’après Gai., 1, 1516‫ ־‬: il a plu à Dieu
qui l’a appelé par sa grâce, de lui révéler son Fils.
M. C.
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