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La Χαρισ Chez Saint Luc
La Χαρισ Chez Saint Luc
1. Statistique.
Saint Paul est le grand théologien de la grâce; chez lui s’affirment
ou se dessinent tous les thèmes qui occuperont inépuisablement la
réflexion postérieure. La χάρις fait aussi l’objet d’une attention spé-
ciale de Luc, encore qu’elle ne soit pas chez lui une préoccupation
dominante 1.
A lui seul, l’Apôtre utilise χάρις une centaine de fois, exactement
2 fois plus que tous les autres auteurs du NT, y compris l’Ëpître aux
Hébreux. Sur la cinquantaine de cas restant, Luc emploie le terme
25 fois (8 fois dans l’Évangile, 17 fois dans les Actes). Le mot, on le
remarquera, n’est pas réservé aux interventions de Paul dans les
Actes, mais il figure ailleurs dans ce livre et dans l’Évangile; nous
avons donc affaire à une intention plus générale de Luc. Si nous
passons aux termes dérivés, on constate que χαρίζομαι est employé
seulement par Paul (15 fois) et Luc (7 fois, dont 3 dans l’Évangile).
On ne sait pourquoi χάρισμα n’est pas utilisé par ce dernier et reste
propre à Paul (sauf I Pi., ιν, 10)2. Quant au verbe χαριτόω, il figure
seulement en Le, 1, 28 et Êph., 1, 6 : textes d’une importance excep-
tionnelle où les deux auteurs se sont rencontrés pour faire choix du
1 Sur la grâce dans le NT, outre les dictionnaires de F. Zorell et W. Bauer aux mots
χαρίζομαι, χάρις, χάρισμα et χαριτόω, on pourra consulter :
G. P. Wetter, Charis. Ein Beitrag zur Geschichte des ältesten Christentums, Leipzig,
1913 ; J. Moffatt, Grace in the NT, Londres, 1931 ; W. Manson, Grace in NTy dans le recueii
collectif The Doctrine of the Grace, édité par Whitley, Londres 1932; P. Bonnetain, art.
Grâce dans DBS III col. 701-1319; J. Guillet, art. Grace (dans l’Écriture Sainte) dans
Catholicisme, V, col. 135141־.
* Le vocabulaire de la grâce chez saint Luc (cf. Bonnetain, art. cit.t 716717 )־: χάρις :
Le, i, 30; il, 40, 52; iv, 22; vi, 32, 33, 34 (répétition d’une même formule) ; xvii, 9; Act., 11, 47;
iv, 33; vi, 8; vu, 10, 46; xi, 23; xm, 43; xiv, 3, 26; xv, 11, 40; xvm, 27; xx, 24, 32; xxiv, 27;
XXV, 3, 9; χαρίζομαι : Le, vu, 21, 42, 43; Act., in, 14; xxv, 11, 16; xxvn, 24; χαριτόω :
Le, l, 28.
REVUE BIBLIQUE i J
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χαριτόω est un verbe rare. Entre le 11e siècle avant J.-C. et le v® siècle après, on ne trouve
qu’une douzaine d’attestations (cf. de Tu y a, art. cit. à la note suivante, pp. 913־, avec réfé-
rence à une enquête du P. Lambert, qui ne m’a pas été accessible; voir aussi Bauer et
Zorell, s. v. χαριτόω; Strobel, art. cit. à la note suivante, p. 106). Gomme il est normal
pour un verbe dénominatif, les acceptions différentes de χαριτόω dérivent des sens divers
de χάρις (charme, bienveillance, bienfait...). En Sir., ix, 8, le sage conseille : « Détourne
ton regard d’une jolie femme. » Le אשת״־הןdu texte hébreu retrouvé correspond à γυνή
εύμορφος, remplacé dans une variante par γυνή κεχαριτωμένη. Dans les Acta Apostolorum
apocrypha (I, Leipzig, éd. Bonnet, p. 218, ligne 2), Matthieu salue l’enfant Jésus qui lui
est apparu sous la forme d’un ange, le nommant : παιδίον κεχαριτωμένον. Le sens de cette
appellation est clairement expliqué dans le contexte par l’expression synonyme (ligne 11) :
παιδίον καλόν. En Sir., xvm, 17, κεχαριτωμένος exprime le charme moral, l’amabilité qui
émane de la bienveillance et se traduit en générosité : « Certes, une parole ne vaut-elle pas
mieux qu’un riche présent? Mais l’homme rempli de grâce (avec la Bible de la Pléiade; ou
« l’homme charitable », Bible de Jérusalem) unit les deux ». Le même participe est pris au
sens de « favorisé », d’« objet de la faveur » dans un autre texte des Actes Apocryphes des
Apôtres (I, p. 21) : Philippe répond à une personne qui fait preuve des meilleures dispositions
à l’endroit du christianisme : « Tu es favorisé dans la paix du Christ, car il n’y a pas de
mensonge dans ton âme ». A moins qu’il ne faille entendre ici le κεχαριτωμένος au sens
d’« irréprochable », signification qu’il a certainement au Ps., xvm, 26 dans la version de
Symmaque, où il traduit l’hébreu □ מי: « Tu es sans reproche avec l’homme sans repro-
ehe », μετά του κεχαριτωμένου χαριτωθήση, (Origenis Hexaplorum quae supersunt, éd.
Field, II, p. 111). Le P. Lagrange, Évangile selon saint Luc, Paris, 6e éd., 1941, p. 28,
traduit le κεχαριτωμένος du Ps., xvm Sym. et celui de Sir., xvm, 17 par « l’homme par-
fait ». On voit par là les nuances appréciables de sens que prend le participe κεχαριτωμένος
selon les contextes différents dans lesquels il est employé, et les divergences d’interprétation
qui peuvent s’en suivre.
4 Bibliographie sur le κεχαριτωμένη.
A. Études concernant l’ensemble de Le, 1-11 : A. Resch, Das Kindheitsevangelium nach
Lukas und Matthaeus unter Herheiziehung der ausserkanonischen Paralleltexte quellenkritisch
untersucht, Leipzig, 1897 ; H. Sahlin, Der Messias und das Gottesvolk, Uppsala, 1945, pp. 100־
102 et 380382 ;־R. Laurentin, Structure et Théologie de Luc /־// (Études Bibliques), Paris,
1957, pp. 34148 ,47 ,35 ;־L. Deiss, Marie, Fille de Sion, Paris, 1958, pp. 8389 ;־J. Galot,
Marie dans VÉvangile, Paris-Louvain, 1958, pp. 927 ;־R. Laurentin, Court Traité de Théo־
logie Mariale, Paris, 4e éd., 1959, p. 22 et note 6 a.
B. Articles : S. Lyonnet, Χαΐρε κεχαριτωμένη, dans Biblica, XX, 1939, pp. 131141;־
F. Stummer, Beiträge zur Exegese der Vulgata. Luc 1, 28, dans ZAW, LXII, 1950, pp. 161*
167; C. Mohrmann, Ave gratificata, Études sur le latin des chrétiens, I, Rome, 1951, pp. 189־
194; J. Fantini, κεχαριτωμένη (Le, i, 28). Interpretaciôn filolôgica, dans Salmanticensis, I,
1954, pp. 760763 ;־M. de Tuya, Valoraciôn exegético-teolôgica del Ave gratia plena (Luc. 1,
28), dans La Ciencia Tomista, LXXXIII, 1956, pp. 327 ;־S. Lyonnet, Le récit de VAnnon-
ation et la Maternité Divine de la Sainte Vierge, dans UAmi du Clergé, LXVI, 1956,
pp. 3346 ;־J.-P. Audet, VAnnonce à Marie, dans RB, LVIII, 1956, pp. 346374;־
F Boura ssa, κεχαριτωμένη (Le, i, 28), dans Sciences Ecclésiastiques, IX, 1957, pp. 313316;־
E. R. Cole, What did St. Luke mean by κεχαριτωμένη ?, dans American Ecclesiastical Review,
139, 1958, pp. 228239( ־cet article ne m’a pas été accessible); Pietro della Madré di
Dio, Gratia plena, dans Ephemerides Carmeliticae, XI, 1960, pp. 75126 ;־A. Strobel, Der
Gruss an Maria (Lc, 1, 28). Eine philologische Betrachtung zu seinem Sinngehalt, dans ZNW,
LIII, 1962, pp. 86110־.
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8 On trouvera une excellente élucidation de ces textes des Actes dans J. Dupont, Le
Discours de Milet (Actes, xx, 1836)־. (Lectio Divina, 32). Paris, 1962, pp. 103284־105, 235־.
196 M. CAMBE, Ο. P.
grâce et sagesse devant Pharaon, roi d’Égypte » (Act., vu, 10). Dom
Dupont remarque justement : « Le texte de la Genèse dit que Dieu
‘donna grâce à Joseph devant le geôlier-chef’, c’est-àidire lui gagna
sa faveur. Mais ici l’expression fait écho à Act., vi, 3, 8, et fait penser
dès lors à une grâce et à une sagesse surnaturelles que le pharaon n’a
eu qu’à constater en Joseph (cf. Gen., xli, 38 )6». Le récit de l’Annon-
ciation offre un curieux mélange de formules archaïques, reprises des
LXX, et de termes théologiquement très pleins. Ainsi, Marie « a trouvé
grâce auprès de Dieu », εδρες γάρ χάριν παρά τφ Θεω {Le, ι, 30)
comme Noé {Gen., νι, 8), Abraham {Gen., χνπι, 3) ou David (/ Sam.,
xxvii, 5)... Mais ce cliché biblique vient après le κεχαριδωμένη, exprès-
sion attentivement choisie et dont la haute portée théologique est
indéniable 7.
e L. Cerfaux-J. Dupont, Les Actes des Apôtres (B J), Paris, 2e éd., 1958, p. לל, note c.
7 Dans le langage courant comme dans le langage biblique, on a la formule active : « donner
sa faveur à quelqu’un », נתן חן, διδόναι χάριν, et la formule passive : « trouver grâce »,
מצא הן, εύρίσκειν χάριν. La faveur du dieu, du roi, du supérieur tenait une grande place
chez les anciens, en particulier chez les Orientaux. « Quand cette faveur est celle de Dieu et
que la faveur même des puissants parmi les hommes est accordée par Di^u ( Gen., xxxix, 21 ;
xliii, 14; Ex., m, 21; xi, 3; xii, 36), c’est alors que l’on voit poindre le sens qui s’épanouira
dans le NT et que, sous la faveur divine, perce la grâce divine. Or c’est ce que nous présente
l’AT : les récits des origines sont l’histoire de la faveur de Dieu sur les patriarches Noé
(Gen., vi, 8), Abraham (Gen., xvm, 3), Loth (Gen., xtx, 19), Jacob, Joseph, Moïse (Ex.,
xxxiii, 12, 13, 1 ; לxxxiv, 9) » (Bonnetain, art. cit., col. 753 ; cf. col. 53ל491 ל52)ל־.
Il est, par contre, malaisé de déterminer le substrat vétérotestamentaire de κεχαριτωμένη.
On connaît les deux principales hypothèses qui tentent d’expliquer la couleur si biblique
de Le, 1-11 : le texte grec de l’Évangile serait la traduction plus ou moins adaptée d’un original
sémitique ou bien l’évangéliste lui-même pasticherait la langue des LXX (cf. H. Sahlin,
op. cit.; R. Laurentin, Structure..., pp. 1221 ;־P. Benoit, Uenfance de Jean-Baptiste selon
Luc I, dans NTS, III, 1956־5ל, pp. 169194)־. Dans sa traduction du NT en hébreu, Delitsch
a recours à אשת״חן. Certains auteurs veulent même retrouver au plan du substrat l’alli-
tération entre χαΐρε et κεχαριτωμένη. Au י מוחנה5 רproposé par le P. Lyonnet, Sahlin
préfère, op. cit., pp. 380־382, \ חנינה2ר. Il faut comprendre ce חנינהà plusieurs
plans de profondeur: «... Ich vermute..., der protolukanische Text hatte hier )רני( חנינה.
Sprachlich wäre eine katil-Form von diesem Verb durchaus denkbar, auch wenn sie
nicht gerade gewöhnlich war. Sachlich würde eine derartige Formulierung verschiedene
Gedankenverbindungen ermöglichen. Das Wort bedeutet, als Partizipium, “begnadigt”,
und dabei ist zunächst an den speziellen Sinn “mit einem Kind begnadigt” zu denken...
Gleichzeitig har aber das חנינהeine weiter reichende Bedeutung. Es deutet die Begna-
digung κατ’ έξοχήν, die messianische Begnadigung, an. . הנינהist nicht nur Partizipium,
sondern lässt sich auch als Substantiv auffassen; als solches wäre es als ein messia-
nischer Terminus der gleichen Art wie ( נהמהvgl. παράκλησις Lk 2 25)... zu verstehen...
Damit ist aber der volle Sinn des Wortes חנינהnoch nicht erschöpft. Gerade חנינהwar
einer der vielen Decknamen für den Messias. » Et Sahlin d’appuyer ces considérations sur la
littérature rabbinique. En réalité, si κεχαριτωμένη suppose un terme hébreu ou araméen
antérieur — ce qui paraît douteux, — mieux vaut reconnaître que nous avons affaire à « la
grécisation d’un substrat sémitique que nous ne pouvons déterminer » (P. Jouon, U Évangile
de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Traduction et commentaire du texte original grec, compte tenu
du substrat sémitique [Verbum Salutis, V], Paris, 1930, p. 283). Il est plus sage de faire fond
avant tout sur le texte de l’évangile et de l’expliquer dans les perspectives propres à Luc.
LA ΧΑΡΙΣ CHEZ SAINT LUC 197
1. χάρις et χάρα.
χάρις, la grâce, et χάρα, la joie, procèdent d’une même racine. Qu’il
s’agisse de la grâce extérieure, le charme de la beauté qui provoque
la joie, du bienfait qui met la joie chez le bénéficiaire d’une faveur,
de la reconnaissance, sentiment de joie éprouvée ou exprimée, le
langage n’a pas perdu le sens de cette liaison originelle. Parfois les
copistes du NT ont confondu χάρις et χάρα, si bien que les critiques
hésitent sur la teneur originelle de certains textes : Paul a-t-il voulu
revenir à Corinthe « pour vous procurer une seconde grâce », δευτέραν
χάριν, ou « une seconde joie », δευτέραν χάραν, (II Cor., 1, 15) 8? En
donnant à κεχαριτωμένη le sens de laetificata, les versions arménienne
et éthiopienne ont supposé que le verbe dérivait de χάρα et non de
χάρις9. L’écrivain délicat qu’est Luc a voulu tirer parti à deux reprises
de cette alliance native de la grâce et de la joie. A son arrivée à Antio-
ehe, Barnabé, « ayant vu la grâce de Dieu, se réjouit », ίδών την χάριν
την του Θεού έχάρη (Act., χι, 23). Concrètement, cette grâce désigne
le succès de la prédication à Antioche et les premières entrées de païens
dans l’Église. En Le, 1, 28, la paronomase χαΐρε κεχαριτωμένη suggère
que la joie de Marie est en rapport avec la grâce dont elle est l’objet.
Le χαΐρε demande en effet à être compris, sinon traduit, comme
un appel à la joie, et non comme un salut banal. Dans Soph., ni, 14;
Joël., il, 21; Zach., ix, 9 (cf. Lam., iv, 21, imitation ironique de la
formule précédente, le χαΐρε introduit une prophétie messianique 1°.
Absence de crainte, joie, présence du Seigneur au milieu de la Fille
8 Voir encore les apparats de critique textuelle à II Cor., vm, 2; Phm., 7; III Jn, 4.
Cf. Bonnetain, art. cit., col. 12491255־.
• Cf. Zorell, s. v. χαριτόω.
18 Le P. Lyonnet a eu le mérite, dans les deux études citées, d’asseoir cette hypothèse
sur des bases objectives (nous avons seulement donné les deux arguments jugés les plus
efficaces). Cette manière de comprendre le χαΐρε semble rallier des suffrages de plus en plus
nombreux : cf. Sahlin, op. cit., pp. 99102 ;־A. Valensin-J. Huby, Évangile selon saint Lue
(Verbum Salutis, III), Paris, 41e éd., 1952, pp. 1317 ;־Audet, art. cit., pp. 357358( ־mais
avec refus de la typologie de la Fille de Sion); Laurentin, op. cit., pp. 6471־. Strobel,
art. cit., critique l’argumentation de Lyonnet et de Laurentin, mais retrouve finalement, à
partir du christianisme hellénisé, la même note de joie dans le χαΐρε de Le, 1, 28. Il souligne
avec raison l’intérêt de Jac., 1, 12 ־: le χαίρειν est apprécié comme une invitation à la joie;
Jacques « joue sur le mot et précise le caractère religieux de la joie qu’il entend souhaiter à
ses destinataires » (R. Leconte, Les Êpitres Catholiques, (BJ), 2e éd., 1961, p. 31, note c).
Les lettres d’Ignace d’Antioche associent la χάρις et le χαίρειν. La lettre aux Magnésiens
s’ouvre de la manière suivante : « Ignace, dit aussi Théophore, à celle qui est bénie dans la
grâce », τη εύλογημένη έν χάριτι, « de Dieu le Père en Jésus-Christ notre Sauveur, en lequel
je salue l’Église qui est à Magnésie du Méandre, et lui souhaite toute joie », πλεΐστα χαίρειν,
en Dieu le Père et en Jésus-Christ » (cf. aussi les salutations des lettres aux Éphésiens, aux
Romains et aux Smyrniotes).
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de Sion et de tout son peuple : tels sont les thèmes essentiels de ces
messages eschatologiques. A cette constatation tirée du langage des
LXX s’ajoute le parallélisme avec l’annonce à Zacharie : il serait
paradoxal que l’invitation à la joie figure au début de cette annonce
(Le, i, 14) et fasse défaut dans l’annonce messianique par excellence.
2. χάρις et σοφία.
La parole — déjà citée — d’Ëtienne au sujet de Joseph : Dieu
« lui donna grâce et sagesse », χάριν καί σοφίαν, « devant Pharaon מ
(Act., vu, 10), manifeste un autre centre d’intérêt lucanien : le rappro-
chement entre χάρις et σοφία. La comparaison entre le texte des
Actes et Genn xxxix, 21 LXX montre bien que nous avons affaire
à une connexion voulue par Luc, puisque la mention de la σοφία est
absente du texte des LXX.
Il faut noter la parenté littéraire qui existe entre ce verset des
Actes et les deux notices qui encadrent l’épisode de Jésus parmi les
docteurs (Le, 11, 40, 52) u. « Quant à l’enfant, dit le premier ‘refrain
de croissance’, il grandissait et se développait, se remplissant de
sagesse », πληρούμενον σοφία, « et la grâce de Dieu », χάρις Θεοΰ, « repo-
sait sur lui ». Dans ce portrait de Jésus adolescent, nous retrouvons
la mention de la χάρις et de la σοφία. Certains manuscrits, il est vrai,
remplacent σοφία par πνεύμα; « cette variante témoigne en somme
d’une excellente exégèse 12 » : les dons de l’enfant sont l’effet de
l’Esprit-Saint, mais Luc, conformément à toute la tradition évan-
gélique, a réservé pour le baptême la mention explicite de l’Esprit
(Le, m, 22). Loisy commente très bien ce texte : « Et la grâce, — non
seulement la bienveillance, mais la vertu — de Dieu était sur lui. La
grâce divine agissait spécialement dans la sagesse qui vient d’être dite
et qu’on va voir 1s. » Dans l’épisode de Jésus parmi les docteurs, Luc
écrit en effet : « Tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de
son intelligence », επί τη συνέσει « et de ses réponses » (Le, 11, 47).
A cette σύνεσις charismatique s’opposera l’incompréhension des
parents : ού συνήκαν τό ρήμα... (Le, 11, 50).
Le ν. 52 reprend le thème du v. 40, mais d’une manière un peu diffé-
rente : « Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce
devant Dieu et devant les hommes. » Cette traduction, qui est habi-
tuelle, semble trop matérielle; elle va souvent de pair avec une inter-
11 Le langage de Xc, 11, 40, 52 (et 47) a été étudié sous l’aspect qui nous intéresse ici par
I\ Gils, Jésus Prophète d'après les Évangiles Synoptiques, Louvain, 1957, pp. 12-16.
M Gils, op. cit., p. 12, note 9.
13 A. Loisy, Évangile selon saint Luc, Paris, 1924, pp. 126127־.
LA ΧΑΡΙΣ CHEZ SAINT LUC 199
16 Saint Luc et la rédaction du quatrième évangile (Jn, iv, 4654)־, dans RB, LXIX, 1962,
pp. 185211־.
17 G. Delling, art. πλήρης, TWNT, VI, pp. 284285־, cf. p. 285, note à propos des for-
mules de plénitude en Act., vi :« Für χάρις sagt die Apostelgeschichte sonst πνεύμα (άγιον). »
Sr Jeanne d’Arc, Les étapes de la révélation de la grâce, dans Initiation Théologique, t. III,
Paris, 1952, pp. 388403־, cf. p. 394, souligne le parallélisme entre Le, n, 25 et Le, 11, 40 :
πνεδμα ήν άγιον επ’ αύτόν = χάρις θεοΰ ήν έπ’αύτό. « C’est la même formule, il semble bien
que les expressions la grâce de Dieu et l’Esprit Saint sont ici à peu près interchangeables. »
LA ΧΑΡΙΣ CHEZ SAINT LUC 201
Messie est doué d’un langage « de grâce )>, c’est-à-dire charismatique 18.
On ne s’étonnera pas après cela que la χάρις apparaisse souvent
comme une force de rayonnement et de conquête. Le parallélisme
entre χάρις et δύναμις est explicite dans la notice sur Étienne, « rempli
de grâce et de puissance ( מAct., νι, 8). Lorsque Paul « confie » les
anciens d’Éphèse « à Dieu et à la parole de sa grâce qui a la puissance
de construire l’édifice et de vous procurer l’héritage avec les sancti-
fiés », la vertu salvifique est inséparablement reconnue à Dieu et à
la parole de la grâce; τω λόγφ της χάριτος est même, semble-t-il,
l’antécédent de τφ δυναμένω (Act., xx, 32) 19.
Une question se pose maintenant à nous : est-ce que le κεχαριτω-
μένη, ordinairement traduit par « pleine de grâce », ne serait pas
implicitement une formule de plénitude, analogue à celle que nous
avons rencontrées dans les Actes? La Vulgate semble nous inviter à
voir les choses de cette manière : en Le, 1, 28 gratia plena traduit
κεχαριτωμένη, en Act., νι, 8 plenus gratia répond à πλήρης χάριτος.
Toutefois, il y a lieu de se demander si la nuance de plénitude est
impliquée de soi par les verbes en -όω comme χαριτόω. Une opinion
assez largement répandue répond par l’affirmative. Citons par exemple
le P. Médebielle : « Il est à remarquer... que les verbes grecs dénomi-
natifs en -όω ont tous un sens de plénitude : αίματόω, ensanglanter;
θαυμαστόω remplir de stupeur; σποδόω, couvrir de cendre. Κεχαρι-
τωμένη, au parfait passif, est donc celle qui a reçu d’une manière stable
l’abondance de la grâce 20 ». Cette manière de voir paraît discutable;
dans leur soigneuse étude des verbes en -όω, Moulton et Howard
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