Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Bill Kovach-Principes Du Journalisme-Jericho
Bill Kovach-Principes Du Journalisme-Jericho
FOLIO ACTUEL
Bill Kovach
Tom Rosenstiel
Principes
du journalisme
Ce que les journalistes doivent savoir,
ce que le public doit exiger
Traduit de l’américain
par Monique Berry
Gallimard
Bill Kovach a été conservateur de la Nieman Foundation for Journalism à Harvard,
médiateur de Brill’s Content, rédacteur de l’Atlanta Journal and Constitution et directeur
du bureau de Washington pour le New York Times. Il est actuellement président du
Committee of Concerned Journalists.
Tom Rosenstiel a assuré la critique des médias au Los Angeles Times et a été
principal correspondant de Newsweek auprès du Congrès. Il est actuellement directeur
du Project for Excellence in Journalism.
Auteurs en commun de l’ouvrage intitulé Warp Speed : America in the Age of Mixed
Media, ils vivent tous deux à Washington.
À Lynne
et à Beth et Karina
INTRODUCTION
C’est dans l’action que les Polonais et les citoyens des autres
démocraties émergentes ont trouvé la réponse à cette question.
Le journalisme contribuait à la construction de la communauté
nationale. Le journalisme permettait au citoyen d’assumer ses
responsabilités. Le journalisme confortait la démocratie. Des
millions de gens, dûment informés par un libre accès aux médias,
se sont trouvés directement impliqués dans l’instauration d’un
nouveau mode de gouvernement et l’établissement de nouvelles
règles destinées à régir la vie politique, sociale et économique de
leur pays. Est-ce là, partout et toujours, la raison d’être du
journalisme, ou bien cela ne s’appliquait-il qu’à une période
particulière de l’histoire, dans un pays particulier ?
À quoi sert le journalisme ? Cette question, aux États-Unis, ne
s’est trouvée que rarement posée au cours du dernier demi-siècle,
que ce soit par les citoyens ou par les journalistes. Vous possédiez
une rotative ou une autorisation d’émettre sur un certain canal et
vous « produisiez » du journalisme, voilà tout. Aux États-Unis, le
journalisme s’est trouvé réduit à une simple tautologie : le
journalisme est ce que les journalistes disent qu’il est. Comme l’a
déclaré Maxwell King, ex-rédacteur en chef du Philadelphia
Enquirer, « nous laissons à notre travail le soin de parler par lui-
même ». Ou, quand on les interroge avec quelque insistance, les
journalistes posent comme une évidence qu’ils travaillent dans
l’intérêt du public 3.
Cette réponse simpliste ne suffit plus — si tant est qu’elle ait
jamais satisfait un public de plus en plus sceptique. En tout cas,
plus maintenant que les nouvelles technologies de la
communication permettent à quiconque dispose d’un modem et
d’un ordinateur de prétendre « faire du journalisme ». Plus
maintenant que les progrès technologiques ont donné naissance à
une nouvelle organisation économique des médias dans laquelle
les règles du journalisme sont bousculées, redéfinies, et parfois
abandonnées.
Peut-être, laissent entendre certains, la technologie a-t-elle fait
exploser la définition même du journalisme, de sorte que
n’importe quoi peut être considéré comme étant du journalisme.
Mais, quand on examine les choses de plus près, on s’aperçoit,
comme l’ont démontré les Polonais, que la raison d’être du
journalisme ne dépend pas de la technologie, ni des journalistes,
ni des techniques auxquelles ils ont recours. Les principes et les
objectifs du journalisme sont définis par quelque chose de plus
essentiel : le rôle que joue l’information dans la vie des citoyens.
En dépit de tous les changements qui ont modifié le visage du
journalisme, son objectif premier est resté remarquablement
constant — même s’il n’a pas été toujours bien servi — depuis
que le concept de « presse » est apparu, il y a plus de trois siècles.
Et même si la rapidité, les techniques et la nature même de
l’information ont évolué, il est d’ores et déjà possible d’énoncer
clairement une théorie et une philosophie du journalisme qui
découlent de la fonction même de l’information.
LA NAISSANCE DU JOURNALISME
e
Quel sens tout cela a-t-il en ce début du XXI siècle ?
L’information est aujourd’hui si libre que la notion même de
journalisme en tant qu’entité homogène peut paraître totalement
dépassée. Peut-être le Premier amendement lui-même n’est-il que
le produit d’une autre époque, où la société était moins ouverte et
plus élitiste.
De toute évidence, la conception de la presse en tant que filtre
de l’information — décidant de ce que doit et ne doit pas savoir le
public — ne permet plus de définir le rôle du journalisme. Si le
New York Times prend le parti de ne pas publier telle
information, nul doute qu’au moins l’un des innombrables sites
Internet, animateurs de radios de libre antenne ou militants le
fera à sa place. Nous en avons régulièrement l’exemple. Quand les
organes de presse traditionnels se sont refusés à ébruiter les
aventures extraconjugales du président de la commission
judiciaire de la Chambre, Henry Hyde, le nouveau site Internet
Salon s’est empressé de le faire. Quand Newsweek a retardé la
divulgation du premier scandale Lewinsky, Matt Drudge a pris les
devants.
La généralisation d’Internet et de la diffusion en larges bandes
de fréquence ne signifie cependant pas, contrairement à ce qu’on
a parfois prétendu, que l’idée de soumettre l’information à un
jugement de valeur — de tenter d’établir ce que les citoyens
veulent et doivent connaître pour se forger une opinion
indépendante — soit obsolète. Bien au contraire, ces nouveaux
moyens d’information ne font qu’en renforcer la nécessité.
John Seeley Brown, ex-directeur de Xerox PARC, le légendaire
groupe d’experts de la Silicon Valley, tend à penser que la
technologie, loin de remettre en cause la vision du journalisme en
tant qu’institution au service du public et de la démocratie, a
seulement modifié la manière dont les journalistes conçoivent et
assument cette mission. « Ce dont nous avons besoin dans notre
nouvelle économie et notre nouvelle culture fondée sur la
communication, c’est de donner sens aux choses. Nous avons
désespérément besoin de créer des repères solides dans un
monde de plus en plus déboussolé. » Cela signifie, explique
Brown, que les journalistes doivent avoir « la possibilité de
regarder les choses à partir de multiples points de vue et d’aller
jusqu’au fond des problèmes 20 ». Pour le futurologue Paul Saffo,
cette nécessité impose aux journalistes, au terme de leurs
enquêtes, « de parvenir à des conclusions dans un environnement
incertain 21 ».
Il n’appartient plus au nouveau journaliste de décider de ce
qui doit être porté à la connaissance du public, mais d’aider ce
dernier à faire le tri dans l’information dont il est inondé. Cela ne
signifie pas qu’il doive se contenter d’interpréter et analyser
l’information. La tâche essentielle du nouveau
journaliste/créateur de sens est plutôt de vérifier la fiabilité de
l’information et de la mettre en ordre de façon à permettre au
citoyen de la saisir et de l’assimiler dans les meilleures
conditions.
Dans un monde où chacun peut se poser en journaliste ou en
commentateur sur Internet, « on en arrive à un journalisme à
double sens », estime Seeley Brown 22. Le journaliste n’est plus
seulement celui qui dispense son savoir, mais aussi « animateur
de forum », ou médiateur. Le public n’est plus simplement
consommateur, mais se transforme en un être hybride, à la fois
consommateur et producteur.
S’ils repèrent une inexactitude dans l’information, les citoyens
savent à qui adresser un courrier électronique afin de la corriger
(les journaux font de plus en plus souvent figurer leurs adresses
électroniques et les sites Internet indiquent les noms des auteurs
en hypertexte, ce qui permet de contacter facilement auteurs,
responsables de rédaction et éditeurs). Les intervenants
s’attendent à ce que l’information qu’ils livrent soit rendue
publique. L’interaction avec le public devient partie intégrante de
l’information. Le portrait du journaliste Cody Shearer qu’avait
tracé l’écrivain A.O. Scott dans le magazine en ligne Slate en 1999
en offre un exemple éloquent 23. Joe Conason, collaborateur du
magazine en ligne Salon, ayant repéré dans ce portrait de
nombreuses inexactitudes, adressa immédiatement un courriel à
Slate qui s’empressa de corriger le document. Toute personne se
reportant à l’article de Scott bénéficia dès lors de la version
corrigée, laquelle informait de la modification et offrait une
liaison automatique avec la lettre originale de Conason
dénonçant les erreurs du premier texte.
Ce mode d’interaction high-tech débouche sur un journalisme
fort proche de la conversation, en tous points semblable au
journalisme original tel qu’il existait dans les publick houses et les
cafés il y a quatre siècles. Vue sous cet éclairage, la fonction du
journalisme ne s’est pas trouvée fondamentalement modifiée par
l’avènement de la technologie numérique. Les techniques sont
certes différentes, mais les principes de base restent les mêmes.
La mission première du journaliste est toujours de vérifier
l’information.
Comment le journalisme assume-t-il concrètement cette
mission — qu’elle lui soit proposée par quelque philosophe
idéaliste du siècle des Lumières ou par un théoricien de la Silicon
Valley ? Comment la presse indépendante joue-t-elle le rôle de
rempart de la liberté. Et ce rôle, le joue-t-elle vraiment ?
LA THÉORIE JOURNALISTIQUE
DE LA DÉMOCRATIE
LA THÉORIE DE L’IMBRICATION
DU PUBLIC
LE NOUVEAU DÉFI
LA VÉRITÉ : LE PREMIER
DES PRINCIPES
ET LE PLUS DIFFICILE À CERNER
DE L’INDÉPENDANCE À L’ISOLEMENT
LE MUR
4. En matière d’information,
le dernier mot revient aux journalistes
*1. Spin doctor : terme péjoratif désignant une personne chargée de filtrer et
manipuler les informations fournies à la presse. Photo op : abréviation de photo
opportunity, séance photo protocolaire. Feeding frenzy : appétit frénétique
d’informations. Gotcha Journalism : journalisme tourné vers la recherche de
l’information fracassante. (N.d.T.)
Chapitre IV
UN JOURNALISME FONDÉ
SUR LA VÉRIFICATION DES FAITS
JOURNALISME D’ASSERTION
CONTRE JOURNALISME
DE VÉRIFICATION
Ne rien ajouter
Ne pas tromper
La transparence
L’originalité
L’humilité
La défiance
La liste de vérification
L’INDÉPENDANCE
PAR RAPPORT AUX FACTIONS
L’INDÉPENDANCE D’ESPRIT
LA MISE EN PRATIQUE
DE L’INDÉPENDANCE
ÉÉ
LA RÉÉVALUATION
DE L’INDÉPENDANCE
Alors même que, dans les années 1970, 1980 et 1990, les règles
imposant l’indépendance se faisaient plus strictes, certains
journalistes continuaient de les contester — ou de les enfreindre.
En 1980, le chroniqueur conservateur George Will, fervent
partisan du candidat républicain à la présidence — en
l’occurrence Ronald Reagan — tenait en fait auprès de ce dernier
le rôle de conseiller en vue de son débat télévisé avec le président
démocrate Jimmy Carter. Après le débat, Will en fit un compte
rendu sur les ondes en sa qualité de journaliste de la chaîne ABC,
saluant la performance de Reagan, qu’il qualifia de « pur-sang »
sur la ligne de départ.
Qu’un journaliste tienne le rôle de conseiller occulte n’était
pas une nouveauté. Différents présidents, dont Lyndon Johnson,
avaient fait appel à Walter Lippmann pour la rédaction de leurs
discours. Mais la découverte tardive de ce rôle secret avait
quelque peu terni sa réputation.
Ce qui était nouveau dans le cas de George Will, c’est qu’il
déclara se moquer des commentaires que pouvait susciter son
comportement. Quand la nouvelle finit par se répandre du rôle
qu’il avait tenu auprès du candidat républicain, Will qualifia de
pures chicaneries les critiques que cela suscita. « Le journalisme
(comme le service public, avec tout ce discours sur “le conflit
d’intérêts”) est aujourd’hui infesté de gens qui se prennent pour
de “petits thermomètres de la morale”, qui n’ont de cesse de
prendre la température de leur entourage et répandent, comme
tous les moralistes égarés, des scrupules ridicules et autres
7
absurdités . »
Will n’ouvrait pas un débat idéologique, mais se plaçait sur un
autre plan, sous-entendant une idée à laquelle d’autres allaient
faire écho, quelle que fût leur sensibilité politique, à savoir que la
morale, ou l’éthique, du journalisme était une notion subjective et
infondée. Il n’y avait qu’un seul point faible dans la position de
Will : il avait tenu secret son rôle de conseiller auprès de Reagan.
Il ne voulait pas dire à ses lecteurs qu’il avait contribué à la
prestation télévisée du candidat Reagan dont il rendait compte en
termes si enthousiastes.
Ce type de comportement n’est certes pas nouveau, mais il ne
cesse de saper la crédibilité du journaliste dès lors qu’il est
politiquement engagé. Lors de l’élection présidentielle de 2000,
William Kristol, du Weekly Standard, a souvent été invité à la
télévision où il donnait son avis sur les positions, les stratégies et
les chances des différents candidats. Tout au long de la campagne
pour les primaires, il s’est présenté comme non engagé, alors qu’il
soutenait et conseillait officieusement John McCain. Tout comme
Will, il a essayé de se faire passer pour ce qu’il n’était pas.
D’autres ont présenté un argument plus solide pour contester
le concept d’indépendance d’esprit en matière de journalisme,
estimant que l’obligation d’indépendance risquait de déboucher
sur une sorte d’isolement volontaire, de coupure avec la société.
Elliot Diringer, qui fut journaliste au San Francisco Chronicle
avant de rejoindre l’équipe Clinton à la Maison-Blanche, a exposé
ce point de vue aux chercheurs associés à notre projet : « Il y a
cette idée que le journaliste devrait être à ce point détaché […]
qu’il devrait renoncer à se mêler à la vie publique. Et cette idée
me gêne quelque peu. Je ne vois pas pourquoi le fait d’être un
citoyen responsable serait contradictoire avec le métier de
journaliste 8. »
Le sentiment d’une telle coupure entre la salle de rédaction et
la société a entraîné deux grandes réactions. La première, que
nous avons évoquée dans notre troisième chapitre, a été le
mouvement en faveur d’un journalisme dit « public », qui affirme
que le journalisme ne doit pas seulement signaler les problèmes
mais aussi, dans la mesure du possible, examiner les solutions
susceptibles d’y être apportées. Les promoteurs de ce mouvement
ne voient pas dans une telle démarche, si elle est correctement
menée, le rejet du principe d’indépendance. Ceux qui s’y opposent
font valoir qu’elle risque de placer le journaliste dans une
position apparemment partisane.
L’autre réaction a été de prendre prétexte de la désaffection
des citoyens vis-à-vis du journalisme pour abandonner le principe
d’indépendance et attirer à soi le public en prenant le parti de l’un
ou l’autre camp. Sous ce nouvel habit, les militants jouent le rôle
de « gens de médias » — invités à intervenir dans des talk-shows
ou à commenter l’actualité à la radio ou à la télévision. Ils se
présentent généralement comme étant des experts indépendants
— anciens procureurs fédéraux, conseillers juridiques, ou autres
professionnels désintéressés — alors qu’ils sont, en réalité, les
porte-parole occultes d’un parti. Ils mériteraient plus justement
l’appellation de « militants de médias ». Comme nous
l’expliquerons plus en détail dans le chapitre sur le rôle de forum
que joue la presse, ces gens sont de moins en moins aussi experts
qu’ils le prétendent et se soucient souvent fort peu de rigueur et
d’exactitude. Au lieu de remédier à l’irritation du public à l’égard
de la presse, cette approche partisane essaie plutôt d’en tirer
profit.
La meilleure illustration de ce phénomène nous vient peut-
être de la droite, où le magnat de la presse conservatrice Rupert
Murdoch a créé un réseau complet de médias, Fox News,
poursuivant essentiellement des objectifs idéologiques. En privé,
les journalistes assurent qu’ils ne font que rétablir l’équilibre en
donnant un peu plus d’espace médiatique aux conservateurs, et
c’est là un argument qui mérite d’être pris en considération.
Mais Fox a adopté une position officielle nettement moins
honnête intellectuellement. Sous la direction de Roger Ailes,
ancien conseiller en communication de personnalités politiques
telles que Richard Nixon et George Bush, Fox prend le plus grand
soin d’envelopper ses programmes du manteau de
l’indépendance. Témoin son slogan : We report, you decide (nous
relatons les faits, et c’est vous qui jugez).
Il importe d’établir une distinction entre le journalisme
d’opinion — celui que pratiquent William Safire et Tony Lewis,
The Weekly Standard et The Nation — et le travail de gens engagés
dispensant l’information, comme c’est le cas pour certains
programmes de Fox News. Le premier affiche clairement ses
intentions et reste fidèle à tous les principes du journalisme.
L’autre se prétend neutre, mais utilise le langage et les
stratagèmes de la propagande.
Le succès de Fox, ou de la rhétorique de gens tels que Rush
Limbaugh, a eu un impact considérable sur le reste de la presse.
Il a ouvert la porte aux acteurs de la scène politique, qu’ils soient
masqués ou célèbres. CBS News a demandé à Susan Molinari, ex-
députée de New York au Congrès, d’animer l’une de ses émissions
matinales d’information. ABC News a engagé comme
chroniqueur George Stephanopoulos, ancien membre de
l’administration Clinton, en lui confiant la couverture de la
politique présidentielle, ce qui l’a conduit à commenter l’action
de personnalités avec lesquelles il avait travaillé à la Maison-
Blanche, notamment le vice-président Al Gore.
Cette confusion des genres et des identités a pris une autre
dimension : elle a modifié les relations personnelles
qu’entretenaient les journalistes avec ceux dont ils étaient censés
relater les activités. Le New York Times, par exemple, a permis à
Todd Purdum de continuer à couvrir les activités de
l’administration Clinton même après qu’eut été connue sa liaison
avec Dee Dee Myers, la porte-parole de la Maison-Blanche, qu’il a
finalement épousée. Une telle situation, qui n’aurait sans doute
pas été tolérée au Times quelques années auparavant, n’y a pas
même suscité grand commentaire. Une génération plus tôt, on
avait découvert que Laura Foreman, reporter au Times, avait
entretenu des relations amoureuses avec un politicien corrompu
dont elle relatait les activités. Quand l’affaire fut découverte,
après qu’elle eut été engagée par le Times, Abe Rosenthal,
directeur de la rédaction du journal, fit cette célèbre sortie : « Je
me fous que vous couchiez avec les éléphants, tant que vous ne
faites pas un reportage sur le cirque. » La liaison entre Dee Dee
Myers et Todd Purdum était si connue, et jugée apparemment
acceptable, qu’elle fut présentée comme une charmante intrigue
dans une dramatique sur la Maison-Blanche intitulée The West
Wing. De même, personne ne trouva à redire quand Christiane
Amanpour, grand reporter à CNN, se fiança à James Rubin,
porte-parole du Département d’État (qu’elle épousa par la suite),
alors qu’elle couvrait la guerre au Kosovo.
À la différence de ce qui s’était passé pour Laura Foreman, des
situations comme celles de Dee Dee Myers et Todd Purdum ou de
Christiane Amanpour et James Rubin sont sans doute
considérées aujourd’hui comme acceptables, dans la mesure où
elles sont exposées au grand jour. Mais est-ce réellement
satisfaisant ? Peut-on raisonnablement demander à un journaliste
de couvrir les activités d’une personne à laquelle il est étroitement
attaché par des liens personnels, voire intimes ? Comment est-ce
conciliable avec le principe qui veut que la première obligation
professionnelle du journaliste soit à l’égard du citoyen ?
La non-dissimulation est importante. En tant que citoyens,
nous avons le droit de savoir si un journaliste est étroitement
impliqué dans les affaires ou lié aux gens qu’il couvre. Mais,
après avoir attentivement écouté les journalistes et les citoyens,
nous sommes arrivés à la conclusion que la non-dissimulation
n’est pas suffisante. Comme le pensent Gallagher, Lewis et autres
journalistes d’opinion, il est essentiel de conserver une certaine
distance de façon à distinguer clairement les choses et formuler
des jugements indépendants.
É
*1. Libéral, aux États-Unis, qualifie la sensibilité de gauche. (N.d.T.)
*2. Wasp, pour White Anglo-Saxon Protestant : Blanc d’origine anglo-saxonne et
protestante. (N.d.T.)
Chapitre VI
CONTRÔLER LE POUVOIR
ET DONNER LA PAROLE
AUX SANS-VOIX
L’INVESTIGATION INTERPRÉTATIVE
L’AFFAIBLISSEMENT DU RÔLE
DE SURVEILLANCE DE LA PRESSE
LE RÔLE DE PROCUREUR
DU JOURNALISME D’INVESTIGATION
*1. John Peter Zenger était le directeur du New York Weekly Journal. Il publia, en
1735, des articles hostiles au gouverneur de la colonie qui suscitèrent un procès. Tout
en se refusant à juger l’affaire sur le fond, le tribunal acquitta Zenger. On considère ce
verdict comme une étape décisive dans l’histoire de la liberté de la presse. (N.d.T.)
Chapitre VII
LE JOURNALISME :
UN FORUM DE DISCUSSION
CHRIS MATTHEWS : Cet homme qui est venu vous voir ce matin-là, à
l’aube, cinq ans après l’incident, qui était-ce ? Je vous pose de nouveau la
question, parce que je pense que vous savez qui c’était.
KATHLEEN WILLEY : Oui, je le sais. Je crois le savoir.
C. MATTHEWS : Pourquoi ne me le dites-vous pas ? C’est un élément
important dans cette affaire. Pourquoi accepter de vous prêter ce soir à cet
entretien en direct à la télévision et refuser de nous dire qui était cette
personne ? […] Laissez-moi vous poser la question de façon moins directe.
Avez-vous été un jour amenée à savoir qui ce pouvait être et, en ce cas, qui
vous a informée et que vous a-t-on dit exactement ?
K. WILLEY : On m’a montré une photo et…
C. MATTHEWS : Et qui était sur la photo ?
K. WILLEY : Je ne peux pas vous le dire. Ce n’est pas par coquetterie…
C. MATTHEWS : Est-ce que je pourrais reconnaître la personne sur la
photo ?
K. WILLEY : Oui.
C. MATTHEWS : Est-ce quelqu’un de la famille du président, de ses amis ?
Est-ce quelqu’un lié à Strobe Talbott ? Est-ce Shearer ?
K. WILLEY : On m’a demandé de ne pas div…
C. MATTHEWS : On vous a demandé de ne pas parler ?
K. WILLEY : Oui, c’est…
C. MATTHEWS : D’accord.
*1. GOP pour Grand Old Party : désigne le parti républicain. (N.d.T.)
Chapitre VIII
MOBILISER L’INTÉRÊT
DU PUBLIC SUR LES SUJETS
QUI LE MÉRITENT
LES CHARMES
DE L’INFO-DIVERTISSEMENT
Le radotage
L’image mentale
É
FONDER LA POLITIQUE ÉDITORIALE SUR LA STRUCTURE
DÉMOGRAPHIQUE DU PUBLIC EST UNE ERREUR
LA TENTATION
DU BATTAGE PUBLICITAIRE
LE MARKETING
CONTRE LE MARKETING
LES JOURNALISTES
ONT UN DEVOIR DE CONSCIENCE
Ô
LE RÔLE DES CITOYENS
INTRODUCTION
1. Mitchell Stephens, History of News : From the Drum to the Satellite, New York,
Viking Press, 1988, p. 34.
2. Harvey Molotch et Marilyn Lester, « News as Purposive Behavior : On the
Strategic Use of Routine Events, Accidents and Scandal », American Sociological
Review, 39, février 1974, p. 101-112.
3. Mitchell Stephens, History of News, p. 18.
4. Ibid.
5. John McCain, en collaboration avec Mark Salter, Faith of My Fathers, New York,
Random House, 1999, p. 221.
6. Thomas Cahill, The Gift of the Jews : How a Tribe of Desert Nomads Changed the
Way Everyone Thinks and Feels, New York, Nan A. Talese/Anchor Books, 1998, p. 17.
7. Committee of Concerned Journalists (CCJ) et Pew Research Center for the
People and the Press, « Striking the Balance : Audience, Interests, Business Pressures
and Journalists’ Values », mars 1999, p. 79.
8. Ibid.
I
À QUOI SERT LE JOURNALISME ?
II
LA VÉRITÉ : LE PREMIER DES PRINCIPES
ET LE PLUS DIFFICILE À CERNER
III
POUR QUI TRAVAILLENT LES JOURNALISTES ?
IV
UN JOURNALISME FONDÉ
SUR LA VÉRIFICATION DES FAITS
V
L’INDÉPENDANCE PAR RAPPORT AUX FACTIONS
VI
CONTRÔLER LE POUVOIR
ET DONNER LA PAROLE AUX SANS-VOIX
VII
LE JOURNALISME : UN FORUM DE DISCUSSION
IX
TRAITER TOUS LES SUJETS, EN ACCORDANT
À CHACUN LA PLACE QUI LUI REVIENT
X
LES JOURNALISTES ONT UN DEVOIR
DE CONSCIENCE
Éditions Gallimard
5 rue Gaston-Gallimard
75328 Paris
http://www.gallimard.fr
Bill Kovach
Tom Rosenstiel
Principes du journalisme
Ce que les journalistes doivent savoir,
ce que le public doit exiger
Traduit de l’américain par Monique Berry
Quels sont les principes clairs au fondement du journalisme et dont les citoyens
sont en droit d’attendre le respect, pour vivre en êtres libres et autonomes ?
1. S’astreindre au respect de la vérité.
2. Servir en priorité les intérêts du citoyen.
3. Par essence, vérifier ses informations.
4. Conserver son indépendance à l’égard de ceux dont on relate l’action.
5. Exercer sur le pouvoir un contrôle indépendant.
6. Offrir au public une tribune pour exprimer ses critiques et proposer des
compromis.
7. Donner intérêt et pertinence à ce qui est réellement important.
8. Fournir une information complète et équilibrée.
9. Obéir aux impératifs de sa propre conscience
Cette édition électronique du livre
Principes du journalisme de Bill Kovach et Tom Rosenstiel
a été réalisée le 19 janvier 2015 par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782070462575 - Numéro d’édition : 276229).
Code Sodis : N68227 - ISBN : 9782072576492.
Numéro d’édition : 276231.