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Ohadata D-10-45

LES ENJEUX ET LES PERSPECTIVES DU TRAITE OHADA


Par la signature à Port-Louis, en Ile Maurice, le 17 octobre 1993 du Traité instituant
REVISE
l’OHADA, les Etats signataires ont voulu, par cet instrument juridique, contribuer à instaurer
en Afrique noire francophone un espace économique unifié 1 apte à répondre aux besoins des
Souleymane TOE
investisseurs nationaux et étrangers2. La recherche de cet objectif était devenue une nécessité
Doctorant en droit privé
eue égard à l’insécurité juridique et judiciaire qui régnait dans les Etats concernés depuis leur
accession à la souveraineté internationale3.
A cette nécessité, il faut également ajouter que le traité OHADA s’inscrit dans un
vaste mouvement de régulation des relations juridiques supervisée par les institutions
financières internationales et ressortissant de la logique du fonctionnement du marché 4. La
philosophie dominante aujourd’hui dans le monde semble être le libéralisme. Elle place, en
effet, la prise en compte des exigences du marché comme indicateur de la performation d’un
ordre juridique donné5. Cette internalisation des relations juridiques ouvre ainsi la voie à une
manipulation des droits nationaux et communautaire pour répondre aux exigences de
l’économie de marché et bénéficier ainsi de la bienveillance des institutions financières
internationales6.
C’est au regard de telles considérations que l’OHADA est née.
Après plus de 15 ans de mise en œuvre, il est possible de conclure à une relative
satisfaction. En effet, au plan législatif, 8 actes uniformes sont déjà disponibles sur des
matières diverses comme le droit commercial général, le droit des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique, le droit des sûretés, les procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution, les procédures collectives d’apurement du passif, le
droit de l’arbitrage, la comptabilité des entreprises et les contrats de transport de marchandises
par la route. Au plan de la pratique judiciaire, la mise en œuvre du droit de l’OHADA est à
l’origine d’une abondante jurisprudence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage

1
Voy. Kéba M’BAYE, « l’unification du droit en Afrique », Revue sénégalaise de droit, n° 10, décembre 1971,
p.65 ; Issa-Sayegh et Lohoues-Oble Jacqueline, OHADA, Harmonisation du droit des affaires, coll. Droit
uniforme africain, UNIDA, Juriscope, Bruylant, Bruxelles, 2002, n° 87; Boris Martor et Sébastien Thouvenot,
« L’unification du droit des affaires en Afrique par l’OHADA », La semaine Juridique n° 44 du 28 octobre 2004,
Supplément n° 5, p. 11 ; Joseph Issa-Sayegh, « l’intégration juridique des Etats africains de la Zone Franc »,
Revue Penant, n° 823, Janvier-avril 1997, p.5 et suiv ; Alliot Michel, « Problème de l’unification du droit
africain », Journal of African Law, Vol. II, n° 2, 1967 ; l’OHADA, Instrument d’intégration juridique, Joseph
Issa Sayegh, Revue de jurisprudence commerciale, juin 1999, p. 237.
2
Article 1er du Traité OHADA.
3
En ce sens, Alhousseini Mouloul, « Comprendre l’OHADA », 2ème éd. p. 10, Novembre 2008.
4
Sur la question voir les développements de Joseph Issa-Sayegh et Lohoues-Oble Jacqueline, op.cit., et M.M.
Salah, « La mise en cohérence des systèmes juridiques nationaux. Réflexions sur l’ambivalence des rapports du
droit de la mondialisation », RIDE, n° 3, 2001, p. 251-302.
5
En ce sens que plus le marché est libéralisé, plus il est jugé performant.
6
Abdoulaye Cissé, « L’expérience de l’OHADA à l’épreuve de sa première décennie », Revue International de
droit économique, 2004, p. 197-225 ; L’influence de la mondialisation sur les activités économiques, Jean
Pallusseau, conférence faite le 4 février 2008 en la Grand’Chambre de la Cour de Cassation française, ohadata :
D-08-07.

1
(CCJA)7 et des juridictions nationales8. De même, il existe une importante contribution de la
doctrine tant africaine que française sur le droit OHADA9.
Toutefois, malgré cette relative satisfaction, il existe de réels problèmes de mise en
œuvre du droit OHADA10. En effet, la relative jeunesse de l’organisation communautaire fait
que la plupart des textes sont en cours d’appropriation par les Etats membres. De plus, des
insuffisances, voire des incohérences, sont nombreuses non seulement dans le texte du traité,
mais aussi dans celui des actes uniformes rendant ainsi leur appropriation malaisée 11. Des voix
se sont élevées alors pour une révision du traité OHADA afin de le rendre plus favorable à
l’œuvre d’harmonisation et d’intégration envisagée pour un espace économique fiable et
sécurisé12.
Ces différents appels ont finalement abouti le 17 octobre 2008 à Québec, où en marge
du sommet de la Francophonie, les Etats signataires ont procédé à la révision du traité de
l’OHADA. Le Traité ainsi révisé vise à combler les insuffisances et incohérences du Traité
originaire (I) pour le rendre plus propice à l’atteinte de ses objectifs (II).

I/ Elaguer les insuffisances et incohérences du Traité OHADA


A l’évidence, avec le temps, les problèmes pratiques de mise en œuvre du Traité
OHADA pesaient de plus en plus lourd sur son efficacité. Ces difficultés se posaient tant au
niveau des instances dirigeantes qu’au niveau de la langue de travail que du fonctionnement
des organes. Il a donc fallu d’abord agir au niveau des langues et des instances dirigeantes
(A) pour ensuite rendre les organes plus efficaces et opérationnels pour un fonctionnement
optimum (B).

A/ Action sur les instances et la langue de travail de l’Organisation

7
« Il ressort du bilan de l’activité juridictionnelle, consultative et arbitrale de la CCJA au 31 décembre 2005 et
ce, conformément à la communication du représentant de ladite Cour que depuis l’installation de cette dernière
dans ses nouveaux locaux, elle a rendu 160 décisions contentieuses sur les 401 pourvois en cassation dont elle a
été saisie, 5 sentences arbitrales sur les 10 demandes enregistrées et émis 17 avis consultatifs », in Rapport
Général du Colloque organisé par l’Association Africaine des Hautes Juridictions Francophones (AA-HJF) sur le
thème « Rapports entre les juridictions de cassations nationales et la CCJA de l’OHADA : bilan et perspectives
d’avenir », tenu à Lomé du 6 au 9 juin 2006, p. 9.
8
La quasi-totalité de cette jurisprudence de CCJA et des juridictions nationales est consultable sur le site web,
www.ohada.com
9
Entre autres, on peut citer Lohoues-Oble Jacqueline, « l’apparition d’un droit international des affaires en
Afrique », Revue international de droit comparé, 3, 1999, p. 543 ; M’BAYE KEBA, « L’histoire et les objectif
de l’OHADA », in les Petites Affiches, n° 20, Spécial ; 13 octobre 2004 ; Jean Paillusseau, « Le droit de
l’OHADA, un droit très important et original », La Semaine Juridique, n° 44, op. cit. ; ; Issa-Sayegh et Lohoues-
Oble Jacqueline, OHADA, Harmonisation du droit des affaires, op. cit ; M. Kirsch, « Historique de l’OHADA »,
Revue Penant, n° Spécial OHADA, n° 827, mai –août 1998, p. 129. Larba Yarga, « l’OHADA, ses institutions et
ses mécanismes de fonctionnement », Revue burkinabé de droit n° 39-40, n° Spécial 200, p.29-36 ; Filiga Michel
SAWADOGO, « Les actes uniformes de l’OHADA : Aspects techniques généraux », Revue burkinabé de droit
n° 39-40, n° Spécial 2001, p 37-49.
10
Abdoulaye Cissé, op.cit. Egalement, Parfait Diedhiou, « L’article 10 du Traité de l’OHADA : quelle portée
abrogatoire et supranationale ? » in Revue de droit uniforme, NS- Vol. XII, 2007-2., p.265-283 ; Amadou
Tidiane Ndiaye, « Conflit de normes en droit communautaires OHADA et UEMOA », Revue de droit Uniforme,
NS-Vol XII, 2007-2, p.285-321.
11
Joseph Issa-Sayegh, « Réflexions et suggestions sur la mise en conformité du droit interne des Etats parties
avec les Actes uniformes de l’OHADA et réciproquement », Penant, n° 850, p. 6 et suivants.
12
Joseph Issa-Sayegh et Paul Gérard Pougoué, « L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions, Actes
du Colloque sur l’Harmonisation du droit des contrats, Ouagadougou 2007, Revue de droit uniforme, 2008.

2
Il convient d’analyser d’abord l’action sur les instances dirigeantes (1) avant de voir
les innovations majeures apportées au niveau de la langue de travail de l’organisation (2).

1/ Renforcement de la capacité des instances dirigeantes

Originairement et sur le plan institutionnel 13, l’OHADA se composait du conseil des


ministres, du secrétariat permanent, de la CCJA et de l’ERSUMA 14. Avec le traité révisé à
Québec, il est apparu un organe de taille qu’est la Conférence des Chefs d’Etat et de
Gouvernement. Ainsi aux termes de l’article 27 du Traité révisé, la Conférence est
« composée des Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats parties…. ». On peut expliquer
cette « innovation » par le fait que les Etats signataires ont voulu par là donner une nouvelle
impulsion à l’action de l’OHADA. Par ailleurs, cette instance politique, outre la définition des
grandes orientations de la politique de l’OHADA, pourrait également veiller au bon
fonctionnement des organes et des institutions de l’OHADA, et coordonner les activités de
celle-ci avec les autres organisations africaines d’intégration économique et juridique 15.
Mais la création de cette instance va poser à l’organisation deux types de risque. En
premier lieu, elle risque de transformer l’OHADA, conçue à l’origine comme une
organisation technique d’intégration juridique, en une organisation politique 16. En second lieu,
l’institutionnalisation d’une conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement instaure une
procédure lourde et coûteuse qui risque de grever dangereusement le budget de l’organisation
au détriment des autres activités.
Heureusement, il n’est pas prévu de réunions régulières si bien que la Conférence ne
sera convoquée qu’en cas de besoin pressant et probablement en marge d’une rencontre déjà
programmée comme ce fut le cas à Port-Louis et à Québec.
Les organes originaires ont vu leurs missions clarifiées et étoffées. Ainsi, le Conseil
des Ministres est cité dans le même article 27 que la Conférence des Chefs d’Etat et de
Gouvernement, mais en son alinéa deuxième. Pour assurer la présidence du Conseil des
Ministres, il n’est plus cité de pays comme auparavant. Elle est simplement assurée par ordre
alphabétique du nom des Etats pour une durée d’un an. La précision en valait la peine puisque
d’autres Etats étant appelés à intégrer l’organisation, la liste telle que dresser pouvait entraîner
des confusions qui nécessiteraient des révisions à chaque nouvelle adhésion. Lorsqu’un Etat
n’est pas en mesure d’assurer la présence, quand elle lui revient, il est remplacé par celui qui
vient immédiatement après lui suivant l’ordre alphabétique ; lorsque la cause de
l’empêchement aura cessé, ledit Etat saisit en temps utile, le Secrétariat Permanent pour
décision à prendre par le Conseil des Ministres relativement à son tour de présidence 17. Quant
au Secrétariat Permanent, il constitue aujourd’hui l’organe exécutif de l’OHADA, représente
l’OHADA et assiste le Conseil des Ministres. La nomination et les attributions du Secrétaire

13
Le choix de cette opérationnalisation institutionnelle était plutôt guidé par le souci d’une plus grande efficacité
de ces organes en raison notamment de leur souplesse pour des décisions rapides et adaptées aux impératifs de
l’économie de marché.
14
Larba Yarga, « l’OHADA, ses institutions et ses mécanismes de fonctionnement », op.cit.
15
Comme l’UEMOA, la CEDEAO, la CEMAC
16
Les intérêts politiques divergents des Etats membres peuvent notamment retarder la prise de certaines
décisions importantes.
17
Selon les auteurs Babacar Gueye et Saïdou Nourou Tall, « l’OHADA s’inscrit…dans le sillage des
organisations internationales dont la présidence de certains organes est tournante (comme le Conseil de sécurité
de l’ONU) suivant l’ordre alphabétique du nom des Etats membres ». Ils poursuivent en ajoutant que « cette
règle de rotation est atténuée en cas de difficulté d’un Etat Partie pendant l’année où la présidence lui revient » ;
in OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés, 3 éd., 2008.

3
Permanent ainsi que l’organisation et le fonctionnement du Secrétariat Permanent sont
désormais définis par un règlement du Conseil des Ministres.

L’Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature avait fait l’objet de plusieurs


propositions de réformes18. Ces propositions ont en partie été prises en compte par le traité
révisé. En effet, aux termes de l’article 41 du Traité, « Il est institué un établissement de
formation, de perfectionnement et de recherche en droit des affaires dénommé Ecole
Régionale Supérieure de la Magistrature (E.R.SU.MA.) ». De la sorte, l’ERSUMA ne va plus
se limiter à assurer un perfectionnement du personnel judiciaire des Etats membres de
l’OHADA, mais peut élargir ses actions de formation pour englober tant les personnels
judiciaires que parajudiciaires, les personnes du secteur privé et d’une manière générale les
acteurs du monde des affaires. Ses actions de formation peuvent également porter sur les
matières des autres organisations communautaires des affaires telles l’UEMOA 19, la CIMA20,
l’OAPI21 et la CEMAC22. La mission de recherche confiée toutefois à l’ERSUMA semble
soulever quelques interrogations.
S’il est vrai en effet, que l’ERSUMA, au regard de la facilité qu’elle a pour constituer
une base de donnée jurisprudentielle peut être un centre de documentation très efficace pour
la recherche en droit africain des affaires23, il est à craindre que cette mission de recherche ne
vienne annihiler les missions principales de formations et de perfectionnement en droit des
affaires. Le législateur communautaire aurait mieux fait de faire l’économie de cette mission
de recherche à l’ERSUMA pour laisser le soin aux chercheurs africains d’exploiter les
nombreuses ressources bibliographiques de l’école dans le cadre de leur recherche. Permettre
à l’ERSUMA d’effectuer des missions de recherches sur les droits africains des affaires peut
notamment l’éloigner de sa mission principale de formation et de perfectionnement des
acteurs du monde des affaires.

2/ Prise en compte des réalités linguistiques de l’Organisation


A l’origine, la langue de travail de l’OHADA était le français 24. Ce choix semble-t-il
était politique. En effet, le Traité OHADA est avant tout l’affaire des Etats africains
francophone25 de la zone franc ; on comprend dès lors pourquoi le choix s’est porté sans
difficulté sur le français comme langue de travail de l’organisation. Mais, comme on le sait,
l’OHADA est une organisation d’intégration juridique qui ambitionne de regrouper en son
sein tous les Etats africains caractérisés par une diversité linguistique. Déjà que certains Etats
non francophones sont membres de l’OHADA et que d’autres, notamment anglophones, sont
entrain de frapper à la porte, il était apparu nécessaire de résoudre définitivement ce problème
18
Joseph Issa-Sayegh et Paul Gérard Pougoué, « L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions »,
op.cit.
19
Union Economique et Monétaire Ouest Africaine.
20
Conférence Interministériel des Marchés d’Assurance.
21
Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle.
22
Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale.
23
Selon le Pr Filiga Michel Sawadogo, « L’ERSUMA a abattu un travail important, de même que nombre
d’Etats et d’universités, qui explique que le droit OHADA soit incontestablement le droit communautaire le plus
connu en Afrique. Il est même plus connu que le droit national. Il reste à poursuivre l’œuvre en veillant à
l’accroissement de son efficacité. Finalement, le rôle essentiel de l’ERSUMA, c’est de contribuer à une correcte
application des actes uniformes… », in Présentation de l’OHADA : les organes de l’OHADA et les Actes
uniformes.
24
Thierry M. Lauriol, « La langue de travail de l’OHADA », Revue Camerounaise de droit, n° spécial, octobre
2001, p. 36.
25
Joseph Issa Sayegh, « La notion de droit francophone, a-t-elle un sens » ?, Communication à l’occasion de la
2ème semaine de droit comparé, 17-21 septembre 2007, Université Montesquieu Bordeau IV.

4
de langue de travail, d’autant plus qu’au sein même des Etats membres, un Etat, le Cameroun
a la particularité d’être bilingue26. La partie anglophone du Cameroun avait vraiment du mal à
s’approprier le droit OHADA s’il n’était pas purement et simplement ignoré au profit du droit
antérieur, même dans ses dispositions contraires à celles du droit de l’OHADA 27. Il y a aussi
parmi les Etats parties un Etat lusophone, la Guinée-Bissau, et un Etat hispanophone, la
Guinée Equatoriale. Certes, tous les 16 Etats font partie de l’Organisation Internationale de la
Francophonie, mais cela ne signifie pas qu’une partie importante de la population maîtrise la
langue française28.
Désormais, au terme de l’article 42 du Traité révisé, « les langues de travail de
l’OHADA sont, le français, l’anglais, l’espagnol et le Portugais…. ». Le traité a cependant
pris le soin de préciser qu’« avant traduction dans les autres langues, les documents déjà
publiés en français produisent tous leurs effets et qu’en cas de divergence entre les différentes
traductions, la version française fait foi ».
Il revient donc aux organes de l’OHADA et notamment au secrétariat permanent de
veiller à la traduction des textes OHADA dans les autres langues de travail. Cette traduction
sera sans doute une solution heureuse pour la connaissance du droit OHADA par les acteurs
du droit dans les Etats concernés. Elle ouvre ainsi la voie à une certaine appropriation du droit
OHADA pour une efficience et une efficacité renforcée29.

B/ Recherche d’une efficacité opérationnelle des organes de l’OHADA.

Au lendemain de l’adoption du Traité de l’OHADA, les Etats signataires se sont vus obligés
d’adopter un certain nombre de mesures pour accompagner la mise en œuvre du Traité. Au
nombre de ces mesures, on cite volontiers les arrangements de N’Ndjamena de 1996 (1). De
plus, la CCJA qui devait jouer un rôle important n’a pas été d’opté de moyens suffisants, si
bien que les résultats escomptés sont restés mitigés après quinze ans de fonctionnement (2).

1/ L’abandon des arrangements de N’Djamena

A l’occasion de la réunion du Conseil des Ministres de la Justice tenue à N’Djamena le 8


avril 1996, suivie de la réunion conjointe des Ministres de la Justice et des Ministres des
Finances, les sièges des institutions ont été répartis de la manière suivante :
- CCJA : Abidjan (Côte d’Ivoire) ;
- Secrétariat Permanent : Yaoundé (Cameroun) ;
- ERSUMA : Porto-Novo (Bénin).

26
The perception of OHADA by an anglophone university in Cameroon, Tundé Martha Simo, Actes du
séminaire sur le bi-juridisme au service de l’intégration et de la sécurité juridique en Afrique sous l’égide de
l’OHADA, Actes du séminaire régional, Youndé, 13-17 décembre 2004, Agence Internationale de la
Francophonie, p. 55.
27
En ce sens, Problems of implementation of OHADA in anglophone Cameroon, Jean Alain Penda et Tumde
Martha Simo, OHADATA, D. 04-13. Egalement, The applicability of the OHADA treaty in Cameroon. Tumdé
Martha Simo, Annales de la Faculté de droit de Dschang, 2002, p.23.
28
Voir les conclusions de Thierry M. Lauriol, in « La langue de travail de l’OHADA »,op.cit. De même Joseph
Issa Sayegh, « Réflexion sur l’article 42 du Traité OHADA », OHADATA D-02.19.
29
Voir les excellentes propositions sur la contribution des forces vives de l’OHADA du Pr Joseph Issa Sayegh,
in « Le bilan jurisprudentiel du droit uniforme OHADA : incertitudes législatives et turbulences
jurisprudentielles », Communication à l’occasion du Congrès de l’IDEF, 15-17 novembre 2008 à Lomé (Togo).

5
Cette répartition des postes dit « Arrangements de N’djamena » a été vivement critiquée 30.
Il était notamment reproché le caractère arbitraire de la répartition qui ne reposait en réalité
sur aucune base juridique. A titre illustratif, la Présidence de la CCJA revenait toujours à un
Sénégalais, le Secrétaire Permanent devait être un Togolais, le Directeur Général de
l’ERSUMA, un Burkinabé. Les Etats pouvaient prétendre à un siège de juge 31 ou de greffier.
Tout était semble-t-il mis en œuvre pour que chaque Etat ait un poste. Mais tout le monde n’a
pu être servi.
A l’évidence, on peut dire que s’il a semblé nécessaire d’adopter des dispositions
informelles procédant à la répartition, entre Etats membres, des sièges des institutions et des
fonctions au sein de l’OHADA, nécessité, faut-il le rappeler, dictée par la volonté de
permettre un démarrage rapide de l’OHADA, il est possible de conclure qu’après plus de 10
d’existence, ces arrangements ne sont plus d’aucune utilité. En effet, ces arrangements
constituaient un élément de blocage des institutions et sources de nombreuses frustrations de
la part des Etats membres exclus des Arrangements. Par ailleurs, non seulement, ils sont en
contradictions formelles avec les termes du Traité en ce qui concerne les postes de juges à la
CCJA32, mais aussi ils incitaient à multiplier les organes ou fonctions des organes existants
dans le seul but de satisfaire tous les Etats membres.
C’est pourquoi, pour rester fidèle à la philosophie de l’organisation, tout en privilégiant la
compétence et l’intégrité dans le choix de ses cadres, la Conférence des Chefs d’Etat et de
Gouvernement de l’OHADA, réunie à Québec le 17 octobre 2008, a adopté une déclaration
mettant fin aux mesures transitoires définies par les arrangements de N’Djamena.
Il faut toutefois remarquer que l’abandon des arrangements de N’Djamena ne va pas
résoudre complètement le problème posé. Il est clair en effet, que les sièges des organes de
l’OHADA ne vont pas changer. Cette situation peut entraîner un risque de déséquilibre dans
la mesure où les Etats abritant les sièges peuvent encore faire concourir leurs ressortissants
aux différentes fonctions de l’organisation, de sorte que l’on peut se retrouver dans une
situation où un seul Etat occupe la plupart des postes en plus de la présence du siège d’un
organe sur son territoire. Seulement, le critère de choix ici est plus objectif que dans l’ancien
système. Mais, il demande certainement à être clarifié au travers des règlements OHADA.

2/ Réforme de la CCJA et reformulations de certaines dispositions

La CCJA a fait l’objet d’une nouvelle recomposition. En effet, le nombre de juge est
passé de 7 à 9. Le nombre de 7 juges était semble-t-il insuffisant pour permettre à la CCJA de
remplir convenablement sa mission33. C’est vrai que si on se réfère au nombre des actes
uniformes en vigueur dans l’espace OHADA, ainsi qu’au nombre des Etats membres, couplé
au nombre de justiciables potentiels, le nombre peut paraître insuffisant. Mais, il faut
remarquer que la CCJA n’a commencé à recevoir ses premiers pourvois qu’en 2001. En effet,
déjà à la date du 17 juillet 2002, sur les 72 affaires reçues, elle a rendu 24 arrêts et 6
ordonnances ; ce qui n’est pas négligeable. Jusqu’à novembre 2007, sur les 650 affaires
pendantes, elle a rendu environ 250 décisions, soit près du tiers ; ce qui n’est encore pas

30
Actes du Colloque sur l’harmonisation du droit des contrats, Ouagadougou, 2007, Revue de droit uniforme
2008, p. 406 ; Joseph Issa-Sayegh et Paul Gérard Pougoué, « L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de
solutions », op.cit.
31
7 juges au total.
32
Article 31, 32, et 37 du Traité OHADA.
33
Joseph Issa-Sayegh et Paul Gérard Pougoué, « L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions »,
op.cit.

6
négligeable. C’est dire que le nombre de 7 juges n’a pas été un frein au fonctionnement
régulier de la CCJA.
Le problème véritable qui se pose à notre avis porte sur la nature des affaires soumises
à la CCJA. Il ressort pour la plupart, que la CCJA est toujours saisie pour les mêmes types
d’affaires. En effet, il ressort au regard de la jurisprudence de la CCJA que l’activité
juridictionnelle de cette Cour communautaire intéresse au premier chef l’Acte uniforme
portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution,
peut-être à hauteur des 2/3 ou des ¾ des saisies contentieuses 34. Cette situation n’est
certainement pas de nature à permettre un foisonnement jurisprudentiel dans les divers aspects
du droit des affaires. Etant donné que toutes les décisions de la CCJA sont systématiquement
publiées, le problème de leur connaissance par les juridictions nationales ne devrait pas poser
de difficultés majeures35.
Quant aux reformulations, les plus importantes ont porté sur les articles 7 et 9 qui
visent une certaine adaptation des actes uniformes. L’article 7 concerne la procédure
d’élaboration des actes uniformes. Les organes qui interviennent dans cette élaboration sont le
Secrétariat permanent, le Gouvernement des Etats membres et la CCJA. A chaque niveau, des
34
Voy. le recueil semestriel de jurisprudence de la CCJA : N° spécial janvier 2003, N° 1 janvier 2003 ; N° 2
juillet - décembre 2003 ; N°3 janvier - juin 2004, N° 4 Juillet - décembre 2004, N° 5 janvier- juin 2005 (vol. 1) ;
N° 5 janvier - juin 2005 (vol. 2) ; N° 6 juillet - décembre 2005 ; n ° 7 janvier – juin 2006.
35
Prendre en compte les pertinentes suggestions du Professeur Filiga Michel Sawadogo, in Présentation de
l’OHADA : les organes de l’OHADA et les Actes uniformes, op.cit. Il est possible d’ajouter que ces suggestions
vont dans le même sens que celles formulées par le Colloque organisé par l’Association Africaine des Hautes
Juridictions Francophones (AA-HJF) tenu à Lomé du 6 au 9 juin 2006 sur le thème : « Rapports entre les
Juridictions de Cassation Nationales et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA : Bilan et
Perspectives d’avenir ». En effet, Les recommandations multiples et multiformes de ce colloque liées à la
CCJA sont les suivantes :
« 1. L’unanimité s’est dessinée autour de l’idée d’une nécessaire et impérieuse révision du traité de Port-Louis
dans le sens de permettre aux juridictions nationales de retrouver pleinement leurs prérogatives relatives aux
attributions dont elles ont été dépouillées par la CCJA, cette dernière devant être érigée en une juridiction
d’harmonisation connaissant des recours contre les décisions des juridictions de cassation rendues en violation
d’un acte uniforme. La volonté exprimée par les délégations a été par conséquent ferme de voir la CCJA être
confinée à un rôle de contrôle de la légalité c’est-à-dire de l’exacte application du droit OHADA, jouant ainsi un
rôle régulateur.
2. Il est également suggéré que le pouvoir d’évocation conférée à la CCJA par le traité soit revu dans le sens de
la limitation des compétences de cette Cour à la seule cassation et que ladite cour ne soit autorisée à être saisie
qu’après épuisement des voies de recours sur le plan national.
3. Par ailleurs il est aussi proposé au pire des cas de faire en sorte que la saisine de la CCJA n’exclut pas le
recours aux juridictions nationales de cassation de sorte que ces dernières redeviennent compétentes pour
connaître le contentieux OHADA lorsque les parties en litige s’accordent pour agir ainsi.
4. En outre, pour permettre aux justiciables de pouvoir accéder plus facilement à la CCJA, il est proposé la
création du ministère d’avoués ce qui éviterait l’obligation de recourir à l’assistance d’un conseil dont les
services sont souvent onéreux pour les justiciables. Dans ce même ordre d’idées, certains préconisent
l’institution d’une mesure d’assistance judiciaire auprès de la CCJA en faveur des justiciables démunis.
5. Pour enrayer les problèmes de lenteur judiciaire et accroître l’efficacité de la CCJA en favorisant le règlement
rapide des litiges, il est suggéré l’augmentation substantielle du nombre des juges qui devra prendre en
considération le nombre des Etats parties à l’OHADA.
6. Par ailleurs selon certains, l’Institution d’un parquet général près la CCJA chargé des recours dans l’intérêt de
la loi constitue l’une des innovations qui favorisera le bon fonctionnement de la Cour.
7. La nécessité pour le juge Communautaire de prendre la liberté par rapport aux dispositions du traité et des
actes uniformes subséquents afin de faire résolument œuvre de création de jurisprudence qui reste la seule et
véritable noble mission du Juge de droit communautaire que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage entend
jouer a été soulignée ».
Nous tenons à nous désolidariser de la recommandation n° 7 qui selon le Pr F.M. SAWADOGO « semble en
contradiction avec l’objectif poursuivi par l’harmonisation et les principes juridiques des systèmes romano-
germaniques où le texte n’est pas un simple éclairage pour le juge mais constitue une source fondamentale du
droit ».

7
délais sont stipulés. Ainsi, le projet élaboré par le Secrétaire permanent est transmis aux
Gouvernements des Etats parties qui disposent de 90 jours pour retourner le projet au
Secrétariat Permanent avec leurs observations écrites 36. Le Secrétariat permanent élabore
alors un rapport et transmet le projet ainsi que les observations écrites des Etats à la CCJA qui
dispose d’un délai de 60 jours pour émettre son avis. A l’issue de ce délai, le Secrétariat
permanent met au point le texte définitif du projet d’acte uniforme dont il propose
l’inscription à l’ordre du jour de la toute prochaine réunion du Conseil des Ministres.
L’innovation majeure apportée ici est que le Traité révisé a prévu la possibilité de proroger le
délai d’action accordé aux Gouvernement des Etats, d’une durée équivalente de 90 jours. Il
faut remarquer que dans chaque Etat est créée une commission nationale qui assiste le
Gouvernement et supplée à l’absence d’intervention des Parlements nationaux dans la
procédure d’adoption des actes uniformes. Il reste regrettable que le Traité révisé n’ait pas
consacré juridiquement ces commissions nationales afin de rendre leur création obligatoire
dans tous les Etats membres, tout en leur définissant un cadre général d’organisation 37. Mais
dans les faits, chaque Etat en possède une.
Le contenu de l’article 9 a été clarifié. Il faut relever ici que l’ancienne formulation de
cet article était quelque peu ambiguë. On lisait à cet effet que « les actes uniformes entrent en
vigueur 90 jours après leur adoption sauf modalités particulières d’entrée en vigueur prévue
par l’acte uniforme lui-même. Ils sont opposables 30 jours francs après leur publication au
Journal officiel de l’OHADA. Ils sont également publiés au Journal Officiel des Etats parties
ou par tout autre moyen approprié ».
Au regard de cette formulation, on se pose la question de la différence entre l’acte en
vigueur et l’opposabilité et de savoir si la seule publication au Journal Officiel de l’OHADA
suffit à rendre opposable le texte aux Etats parties. Où encore que se passe-t-il si le texte est
publié au Journal Officiel de l’OHADA et non dans celui d’un Etat partie?38
La réponse à ses questions est difficile car la formulation est tout simplement
complexe39 et c’est pourquoi, le traité révisé n’a pas manqué d’y apporter un certain
éclaircissement. Désormais donc avec l’article 9 nouveau, « les actes uniformes sont publiés
au Journal Officiel de l’OHADA par la Secrétariat permanent dans les 60 jours suivant leur
adoption. Ils sont applicables 90 jours après cette publication, sauf modalités particulières 40
d’entrée en vigueur prévues par les actes uniformes. Ils sont également publiés dans les Etats
parties, au Journal Officiel, ou par tout autre moyen approprié. Cette formalité n’a aucune
36
Ce délai de 90 jours laissé au Gouvernement pour faire leurs observations écrites avaient été jugé trop bref par
certain auteurs avisés, voy, F.M. Sawadogo, les actes uniformes de l’OHADA : aspects techniques généraux,
RBD, op.cit ; Joseph Issa Sayegh, « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des actes
uniformes de l’OHADA, Revue de droit uniforme, 1999-1, p.5 à 32.
37
Réflexions prospectives en vue de la redynamisation des commissions nationales de l’OHADA, Dossou
Robert et Simonel Laurent-Xavier, Rapport présenté à l’atelier relatif à la redynamisation des commissions
nationales OHADA, Dakar, 29 et 30 mai 2008.
38
En ce sens, Joseph Issa Sayegh, « La portée abrogatoire des actes uniformes de l’OHADA sur le droit interne
des Etats-parties », RBD, n° 39-40 numéro spécial 2001, p.51.
39
Certes le Pr Joseph Issa Sayegh dans l’article idem a tenté de répondre à ces interrogation, mais il na pas
manqué d’inviter la CCJA à émettre un avis pour un éclairage sur la question.
40
Certains actes uniformes ont connu des modalités particulières d’entrée en vigueur. Il s’agit notamment des
actes uniformes sur le droit commercial général, sur les sociétés commerciales et le groupement d’intérêt
économique, et sur les sûretés, adoptés le 17 avril 1997, entrée en vigueur neuf mois après leur adoption et trois
mois après leur publication au Journal Officiel de l’OHADA. Il s’agit également de l’Acte uniforme sur les
procédures collectives d’apurement du passif, adopté le 10 avril 1998, mais entrée en vigueur le 1 er janvier
1999 ; de l’acte uniforme portant organisation des comptabilités des entreprises, adopté le 24 mars 2000, et
entrée en vigueur le 1 er janvier 2001 pour les comptes personnels des entreprises et 1 er janvier 2002 pour les
comptes consolidés ou combinés. On peut expliquer ces « entrées en vigueur retardées » par la volonté de
permettre aux praticiens et aux utilisateurs de mieux connaître les règles nouvelles, souvent très techniques,
avant leur mise en application.

8
incidence sur l’entrée en vigueur des actes uniformes ». Il se trouve alors résolu la sourdine
concurrence entre la publication au Journal Officiel de l’OHADA et la publication dans le
Journal Officiel des Etats parties. Ainsi les actes uniformes sont uniquement « applicables 90
jours suivant leur publication au Journal Officiel de l’OHADA » 41. Toutefois, la publication
au Journal Officiel des Etats parties demeure une exigence, mais elle n’a aucune portée
juridique sur l’entrée en vigueur des actes uniformes42.
D’autres questions ont fait l’objet de réforme. Il s’agit notamment des articles 17, 31 et
39 du Traité concernant la composition, le rôle et le fonctionnement de la CCJA, de l’article
40 sur le Secrétariat Permanent, de l’article 41 sur l’ERSUMA, de l’article 45 sur le budget
annuel de l’OHADA, de l’article 49 sur les immunités et privilèges accordées aux
fonctionnaires et employés de l’OHADA, de l’article 57 sur les instruments de ratification et
d’adhésion, de l’article 59 sur l’enregistrement du Traité, de l’article 61 sur sa révision et de
l’article 63 sur le nombre d’exemplaire à produire .
Il apparaît à l’évidence que l’ensemble de ces retouches vise à donner une nouvelle
énergie au droit OHADA pour une plus grande efficacité.

II/ Rendre l’OHADA plus performante

Eu égard à l’ampleur de l’œuvre d’harmonisation et d’intégration, l’organisation se


doit d’être dotée de moyens suffisants tant matériels, humains que financiers. Aussi le Traité
révisé va-t-il mettre en place un mécanisme nouveau de financement de l’OHADA (A) tout en
ouvrant la voie à de nouvelles perspectives (B).

A/ Un nouveau mécanisme de financement de l’OHADA

Le projet OHADA a connu un engouement certain tant il suscitait de nouveaux espoirs


pour le développement économique de l’Afrique. Les Etats parties avec l’appui des
partenaires financiers se sont largement mobilisés sur le pour le rendre effectif 43. Mais le
mécanisme de financement originaire du projet a montré ses limites (1) ; ce qui a nécessité
l’adoption d’un mécanisme nouveau relativement plus efficace (2).

1) Les faiblesses du mécanisme originaire de financement de l’OHADA

Les ressources de l’OHADA sont prévues à l’article 43 du Traité. Dans sa rédaction


originelle, cet article ne citait comme ressource de l’Organisation que les cotisations annuelles
des Etats parties, les concours prévus par les conventions conclues par l’OHADA avec les
Etats ou organismes internationales, les dons et legs.

41
Voy. Sur un plan d’ensemble, Abarchi D., La supranationalité de l’OHADA, RBD n° 37- 1 er semestre 2000, p.
9 à 27.
42
L’objectif de cette formule est certainement pour le législateur communautaire d’accroître les possibilités de
porter les actes uniformes à la connaissance des populations de l’espace OHADA pour une effectivité renforcée
du droit de l’OHADA.
43
On se rappelle encore que l’idée d’harmoniser les droits africains, après plusieurs années de latence, n’a été
reprise qu’à Ouagadougou en avril 1991, lors de la conférence des Ministres des finances de la zone franc, puis
à Paris en Octobre de la même année. Ces différentes rencontres ont abouti à la mise en place d’un directoire
présidé par le juge KEBA M’BAYE. Ce sont finalement les travaux de ce directoire qui ont conduit à la
signature du Traité portant création de l’OHADA, à Port Louis en Ile Maurice, le 17 octobre 1993. Pour plus
d’éclairage sur la question, voy. Alhousseini Mouloul, op.cit. p. 16 à 19.

9
Ces ressources sont, semble-t-il, aléatoires. En effet, l’expérience a montré que
généralement dans les organisations d’intégration, les Etats ne payent pas régulièrement leurs
cotisations. De plus, les dons et legs sont des sources incertaines de renflouement des caisses
des organisations. C’est dire que finalement, le financement de l’OHADA était largement
tributaire des dons des partenaires financiers.
C’est pour remédier à cette relative insuffisance du mécanisme de financement de
l’OHADA que le Conseil des Ministres de l’OHADA a dû recourir à la création d’un fonds de
capitalisation d’un montant de 12 milliards de F CFA, étalé sur une période de 12 ans 44. Ce
fonds était provisionné de la manière suivante : chaque Etat membre contribuait au capital
pour un montant de 375 millions soit un total de 6 milliards, les autres 6 milliards devant être
financés par les partenaires extérieurs.
C’est ce premier mécanisme original qui a permis à l’OHADA de lancer ses activités,
mais il a vite montré ses limites car arrivé à épuisement en 2004, il fallait solliciter encore les
Etats membres et les partenaires extérieurs, ce qui n’était pas toujours évident. D’où la
nécessité de trouver un autre mode de financement plus efficace et plus autonome.

2) Un mode plus autonome de financement de l’OHADA

Pour éviter à l’avenir la dépendance financière de l’organisation, les Chefs d’Etat et de


Gouvernement ont décidé, à travers l’article 43 nouveau d’adopter un mécanisme nouveau de
financement, fondé cette fois sur des contributions annuelles des Etats membres. Il s’agit pour
chaque Etat d’instituer une taxe constituée par un prélèvement direct au cordon douanier de
chaque Etat, dont le montant est fixé à 0.05% du montant des importations de produits
originaires de pays tiers mis à la consommation dans l’Etat partie. Ce mécanisme déjà adopté
par le Conseil des Ministre en 2003 à Libreville est entré en vigueur depuis le 1er janvier 2009.
Ce mécanisme nouveau de financement est-il une panacée ? La réponse semble
approximative. Effet, s’il est vrai que ce mode de financement donne à l’organisation
communautaire une certaine autonomie financière, il ne manque pas de susciter certaines
critiques. La principale critique que l’on peut ainsi objecter est relative à la place du
prélèvement OHADA au regard d’autres prélèvements communautaires pour financer les
organisations sous-régionales d’intégration45. Le taux de cet prélèvement communautaire de
solidarité est fixé à 1.5% du montant des importations de produits originaires des pays tiers à
l’Union et à la Communauté, c'est-à-dire 1% pour l’Union et 0.5% pour la Communauté 46. On
sait toutefois que l’application effective de ces prélèvements rencontre d’énormes difficultés
sur le terrain en raison notamment des entraves liées non seulement aux politiques
protectionnistes mais aussi à des pratiques abusives non maîtrisées par l’administration dans
la plupart des Etats membres47. On n’a peur que ces difficultés ne se transposent sur le
prélèvement OHADA pour biaiser son effectivité. Par ailleurs, on pense que la multiplicité de
prélèvement communautaire de solidarité pour le financement d’organisations d’intégration
risque d’essouffler financièrement les Etats qui finalement ne vont reverser régulièrement
lesdits prélèvements aux organisations bénéficiaires. On se retrouvera alors dans la situation
de départ proche de celle qui relève du système de financement par contribution forfaitaire
44
Al Housseini Mouloul, op.cit., p.43.
45
Il en ainsi du Prélèvement communautaire de solidarité au profit de l’UEMOA et de la CEDEAO. Un
mécanisme semblable est prévu pour la CEMAC.
46
Jean Yado Toé et Vincent Zakané, « Droit du commerce international », Précis de droit burkinabé, n° 91, p.82.
47
Il subsiste encore dans les échanges commerciaux intra-communautaires des obstacles tarifaires et non
tarifaires tels que les droits perçus sur des produits d’origine communautaire agrées ou non, l’imposition de
normes techniques aux produits d’origine communautaire, l’existence de barrages de contrôle sur les corridors de
l’Union. Rapport 2003 de la Commission de l’UEMOA.

1
des Etats membres où les Etats brillent par le non respect de leur cotisation annuelle pour le
financement des organisations communautaires.
Toutefois cette difficulté risque de ne pas trop gêner le prélèvement OHADA en raison
de la faiblesse de son taux qui est de 0.05% du montant des importations de produits
originaires de pays tiers à l’OHADA. Le moins que l’on puisse dire 48, est que ce nouveau
mécanisme de financement va permettre à l’organisation de se doter de ressources plus sûres
que celles qui dépendaient des cotisations des Etats parties et faciliter la mise en œuvre de ses
activités.

B/ Les perspectives d’avenir

La révision du Traité OHADA était attendue. Elle est intervenue le 17 octobre 2008 et
a procédé à un toilettage du traité. Ces réformes, retouches et reformulations vont
certainement permettre une meilleure adaptation du Traité et un meilleur fonctionnement des
organes. Mais, il reste que cette révision, pour atteindre les objectifs escomptés doit
immédiatement bénéficier d’un certain nombre de mesures d’accompagnement (1) avant que
l’on ne procède ultérieurement à la révision des actes uniformes (2).

1) Les mesures urgentes à envisager

Le Traité révisé a introduit un certain nombre d’innovation dans le droit OHADA. Les
insuffisances et ambiguïtés ont été relativement élaguées. Il reste que pour une effectivité
opérationnelle de ce droit, il convient qu’il soit connu. Aussi peut-on préconiser une large
diffusion de ce Traité à l’image de ce qui a été fait pour le précédent 49. De plus, il est
recommandé d’améliorer de façon générale l’accès au droit. En effet, l’adage « nul n’est
censé ignoré le droit » ne dispense pas le législateur de l’OHADA d’apporter une diligence
particulière dans la bonne diffusion de son droit. Cette bonne diffusion est rendue beaucoup
plus nécessaire que les langues de travail de l’OHADA se sont démultipliées. Il conviendrait
donc de travailler rapidement à la traduction du Traité et de tout acte OHADA dans les autres
langues de travail pour faciliter son appropriation par le public cible concerné. A cet effet, il
sera intéressant de promouvoir dans les universités africaines l’enseignement du droit
comparé notamment la connaissance de la Common Law et ses rapports avec les systèmes de
droit romano-germanique.
Ces mesures urgentes peuvent être utilement complétées par des sessions de formation
sur les aspects techniques de l’OHADA en direction de certains praticiens comme les
magistrats, les avocats, et les greffiers. Il semble que l’ERSUMA peut bien accomplir cette
mission de formation et de diffusion du droit OHADA50 en attendant la révision des actes
uniformes.

2) La révision ultérieure des actes uniformes

Il est clair que les actes uniformes n’ont pas la même durée. Ils ont été pour la plus part
adoptés à des dates différentes et leur date d’entrée en vigueur varie d’un acte à un autre. Par

48
En attendant que des règlements uniformes ne viennent à clarifier la situation du prélèvement OHADA.
49
C’est déjà le cas puisque le Traité révisé est consultable sur le site www.ohada.com. Il reste toutefois qu’un
travail supplémentaire doit être envisagé dans le sens du commentaire et de l’annotation des nouvelles
dispositions du Traité.
50
Il convient toutefois de ne pas ignorer l’action des forces vives de l’OHADA au travers des clubs OHADA qui
travaillent inlassablement à faire connaître le droit OHADA dans des divers compartiments aux investisseurs tant
africains qu’étrangers.

1
conséquent une révision portant sur l’ensemble des actes uniformes est semble-t-il
prématurée. Toutefois, les plus anciens peuvent faire l’objet de quelques retouches surtout
ceux qui ont connus au moins 10 ans d’application. Ainsi la révision pourrait concerner les
actes uniformes sur le droit commercial général, sur les sociétés commerciales et le
groupement d’intérêt économique, et sur les sûretés, adoptés le 17 avril 1997, entrées en
vigueur neuf mois après, sur l’acte uniforme sur les procédures collectives d’apurement du
passif, adopté le 10 avril 1998, entrée en vigueur le 1 er janvier 1999 et sur l’acte uniforme
portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies
d’exécution.
Pour envisager une révision générale de ces actes uniformes, il est possible de les
subdiviser en deux grandes catégories : la catégorie des actes uniformes relatifs aux structures
et aux opérations des entreprises et la catégorie des actes uniformes relatifs au recouvrement
des créances et aux règlements des litiges. A ce stade, la première catégorie concerne l’acte
uniforme relatif au droit commercial général l’acte uniforme relatif au droit des sociétés
commerciales et du groupement d’intérêt économique. Quant à la seconde catégorie, il s’agit
de l’acte uniforme portant organisation des sûretés, de l’acte uniforme portant organisation
des procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécution et de l’acte
uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif.
Les actes uniformes de la première catégorie vise notamment au travers des règles
simples, adaptés à la situation de leur économie d’encourager les investisseurs tant africains
qu’étrangers à créer des entreprises pour développer leurs affaires et faire reculer la pauvreté
en Afrique au profit du développement économique. Mais après 10 ans d’application de ces
actes uniformes quel bilan peut –on faire en termes de création d’entreprises ? Quel bilan
peut-on faire en termes d’existence d’entreprises performantes ? En un mot quel a été sur
l’ensemble de la période la croissance économique de l’Afrique francophone de l’espace
OHADA?
S’il est vrai que les choses ont certainement évolué, le degré de croissance demeure une
donnée assez approximative. C’est dire que le résultat escompté se prête à une satisfaction
mitigée. Aussi, est-il nécessaire de faire un diagnostic clair de la situation pour déterminer les
goulots d’étranglements ou insuffisances et leur trouver des solutions réalistes pour parfaire le
droit OHADA en vue de son appropriation par les différents acteurs de l’économie. C’est à ce
prix que le droit OHADA remplira pleinement son objectif de croissance économique pour
l’Afrique.
Pour la deuxième catégorie d’actes uniformes, la même démarche peut être envisagée. Il
s’agit ici en réalité de règles de procédures pour le recouvrement des créances des entreprises
ou de règlement des litiges entre partenaires du monde des affaires. C’est cette catégorie qui
fait l’objet de la plus part des contentieux devant les juridictions des Etats et même devant la
CCJA. L’observation générale qui se dégage est qu’il existe au niveau des principaux acteurs
de ces procédures des problèmes de maîtrise du droit applicable 51. En effet, pour ne prendre
que l’exemple de l’acte uniforme sur le droit des procédures collectives, il n’est pas rare en
effet, que la juridiction compétente saisie s’adonne à une appréciation superficielle des
conditions d’ouverture et un désintérêt une fois la procédure ouverte, laissant ainsi la
procédure entre les mains du syndic. Or bien souvent, lorsque le syndic se sent à l’abri de la
surveillance du juge commissaire et de la justice en général, il se souci très peu de la

51
Pour une vue d’ensemble, F.M. Sawadogo, « Droit des entreprises en difficulté », Collection droit uniforme
africain, Juriscope, Bruylant, Bruxelles, 2002. Egalement les commentaires de l’auteur in OHADA, Traité et
actes uniformes commentés et annotés, 2008. Pour l’acte uniforme sur les procédures simplifiées de
recouvrement des créances et des voies d’exécution, voir les commentaires de Ndiaw Diouf, Traité et actes
uniformes commentés et annotés, opt cit ; de même pour l’acte uniforme portant organisation des sûretés, voir les
commentaires de Joseph Issa-Sayegh, op.cit.

1
préservation des intérêts en présence52. La procédure est conduite dans une voie de « garage »
et finie en queue de poisson c'est-à-dire sans redressement de l’entreprise, sans paiement
substantiel des créanciers et sans sanction des acteurs fautifs53.
Au regard de cet état des faits, il est urgent que cette catégorie connaisse un réexamen
profond pour sécuriser d’avantage le droit des affaires dans l’espace OHADA.
En conclusion, Le droit OHADA suscite de nombreux espoirs 54. C’est une œuvre
gigantesque pour lutter contre la pauvreté et promouvoir le développement économique à
travers le droit. Cet objectif ne sera pleinement atteint que si les africains prennent réellement
conscience de la mesure de l’enjeu et acceptent de participer à son édification. Cette
édification passe non seulement par la connaissance du droit, mais aussi et surtout par son
effectivité, car comme le dit si bien le Doyen Thaler, la règle de droit « n’exerce sur
l’intelligence une action vraiment féconde, qu’autant qu’elle prend la peine de se traduire en
applications concrètes »55. Il est possible d’espérer que le droit OHADA sera pleinement
effectif dans un avenir très proche par la création de beaucoup d’entreprises commerciales
sous les formes diverses de SNC, SCS, SARL et SA ou encore par le développement de
l’actionnariat populaire à travers le concept de la co-entreprise comme c’est actuellement le
cas avec la Société ECOBANQ et l’ONATEL SA 56. Dans de telles conditions couplées avec
un environnement juridique et judiciaire sécurisés, le droit OHADA pourrait remplir
pleinement son objectif de réduction significative de la pauvreté en Afrique.

52
Il pourrait poursuivre la procédure à son seul profit en respectant pas les délais en vue d’une rémunération
conséquente surtout qu’en droit OHADA, il n’existe aucun barème pour la fixation des honoraires des syndics de
procédures collectives.
53
Voy. S. Toé, Approche critique de l’application judiciaire du droit des procédures collectives dans l’espace
OHADA, thèse, Université de Perpignan Via Domitia, mai 2010.
54
Le Pr. F.M. Sawadogo parle de « monument juridique de la première importance », in Présentation de
l’OHADA
55
: les organes de l’OHADA et les Actes uniformes, op.cit.
Thaller, Des faillites en droit comparé, Paris, 1887, L.G.D.J
56
L’Office National des Télécommunications (ONATEL) et la Société Ecobank ont en effet ouvert un certain
pourcentage de leur capital social aux populations africaines de sortes à les permettre d’acquérir des actions et de
devenir actionnaires de ces sociétés.

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