Vous êtes sur la page 1sur 21

Économie & prévision

Organisation du travail, technologie et performances : une étude


empirique
Nathalie Greenan, Dominique Guellec

Citer ce document / Cite this document :

Greenan Nathalie, Guellec Dominique. Organisation du travail, technologie et performances : une étude empirique. In:
Économie & prévision, n°113-114, 1994-2-3. Études du marché du travail. pp. 39-56;

doi : https://doi.org/10.3406/ecop.1994.5666

https://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1994_num_113_2_5666

Fichier pdf généré le 11/01/2019


Resumen
Organización del trabajo, tecnología y resultado : un estudio empírico,
por Dominique Guellec, Nathalie Greenan.

El objeto de este estudio es el de caracterizar diferentes modos de organización de la producción


entre las empresas francesas así como su evolución, y luego ligarlas de nuevo tanto a las tecnologías
utilizadas como a los resultados de las empresas. Los datos utilizados provienen de una primera
encuesta ante asalariados (1 500 obreros) y una segunda ante empresas (7 000 empresas). Las dos
variables principales que discriminan a las empresas desde el punto de vista de la organización son la
intensidad de la comunicación y la de las exigencias que recaen en el trabajo. La estimación
econométrica sugiere que las innovaciones de organización tienen como objetivo el crear las
condiciones de un aprendizaje individual y colectivo de las nuevas tecnologías. Parecen también
permitir a la fïrma adaptarse mejor a mercados cambiantes, mediante la innovación tecnológica y
mediante la reducción de las existencias.

Zusammenfassung
Arbeitsorganisation, Technologie und Leistungsfähigkeit: eine empirische Untersuchung,
von Dominique Guellec, Nathalie Greenan.

Ziel dieser Studie ist es, verschiedene Formen der Produktionsorganisation in den französischen
Untemehmen sowie deren Entwicklung zu beschreiben und sie danach sowohl zu den eingesetzten
Technologien als auch zu den Leistungen der Untemehmen in Beziehung zu setzen. Die hierbei
benutzten Daten stammen aus zwei Erhebungen, wobei die erste bei den Beschäftigten (1.500
Arbeiter) und die zweite bei den Untemehmen (7.000 Betriebe) durchgeführt wurde. Die beiden
Hauptvariablen, die die Untemehmen hinsichtlich der Organisation unterscheiden, sind die Intensität
der Kommunikation und der Umfang der Zwänge, die auf der Arbeit lasten. Die ökonometrische
Schätzung läßt vermuten, daß die organisatorischen Innovationen der Schaffung von Voraussetzungen
dienen sollen, die fur ein individuelles und kollektives Erlemen der neuen Technologien unerläBlich
sind. Durch die technologische Innovation und die Reduzierung der Lagerbestände ermöglichen es
solche Erneuerungen anscheinend auch dem betreffenden Untemehmen, sich besser an die
Marktveränderungen anzupassen.

Abstract
Work Organization, Technology and Performance: An Empirical Study,
by Dominique Guellec and Nathalie Greenan.

The purpose of this study is to pinpoint the main features and development of the various ways of
organizing production in French companies. These methods are then linked to the technologies
employed and the firms' performances. The data used come from a survey of employees (1,500
manual employees) and a survey of companies (7,000 firms). The two main organizational variables
that differentiate companies are the intensity of communications and the magnitude of work
constraints. Econometric estimation suggests that the aim of the organizational innovations is to create
conditions for the individual and collective learning of new technologies. Such innovations also appear
to enable the firm to adjust better to changing markets through technological innovation and stock
reduction.

Résumé
Organisation de la firme, technologie et performances : une étude empirique,
par Dominique Guellec, Nathalie Greenan.

L'objet de cette étude est de caractériser différents modes d'organisation de la production parmi les
entreprises françaises ainsi que leur évolution, puis de les relier à la fois aux technologies utilisées et
aux performances des entreprises. Les données utilisées sont issues d'une première enquête auprès
des salariés (1 500 ouvriers) et d'une seconde auprès des entreprises (7 000 entreprises). Les deux
variables principales qui discriminent les entreprises du point de vue de l'organisation sont l'intensité de la
communication et celle des contraintes qui pèsent sur le travail. L'estimation économétrique suggère que
les innovations organisationnelles ont pour objectif de créer les conditions d'un apprentissage individuel et
collectif des nouvelles technologies. Elles semblent aussi permettre à la firme de mieux s'adapter à des
marchés changeants, par l'innovation technologique et par la réduction des stocks.
La littérature spécialisée témoigne de l'intérêt
Organisation renouvelé que les entreprises portent à l'organisation
de leur production. Les études monographiques
montrent la diversité des formes d'organisation d'une
du travail, entreprise à l'autre et les changements qui les affectent.
Le "modèle japonais" est à cet égard souvent invoqué.
technologie Un facteur important du succès des entreprises
japonaises serait leur mode d'organisation, plus
et performances : efficace dans les conditions présentes que le modèle
américain hérité de Taylor et de Ford qui constituait
jusque récemment la référence dans ce domaine.
une étude

empirique Une recherche effectuée au MIT (Womack, Jones et


Roos, 1990) auprès de 116 usines d'assemblage
automobile aux États-Unis, au Japon et en Europe
témoigne de la diffusion progressive de ce modèle de
production dans les économies occidentales par
Nathalie Greenan(*) l'intermédiaire des transplants japonais, des cabinets
de conseil, des ouvrages sur le management, des
Dominique Guellec^ voyages au Japon, des collaborations entre firmes...
Elle décrit aussi les avantages du nouveau modèle
permettant d'assembler à moindres coûts des véhicules
d'une plus grande qualité et de les lancer plus
rapidement sur le marché.

Une description synthétique des transformations dans


l'organisation des entreprises est rendue difficile par
l'absence d'une théorie économique constituée de ce
domaine. L'on peut cependant proposer quelques faits
stylisés. La plupart des changements organisationnels
décrits dans la littérature suivent deux grandes
directions. La première est une décentralisation
partielle des décisions vers les unités les plus proches
de l'information qui alimente les choix de l'entreprise.
Par exemple, les décisions concernant le règlement
d'incidents locaux ou les améliorations du processus
de production peuvent être en partie prises par les unités
de production, qui se substituent alors à la direction.
L'avantage est de permettre des réactions rapides,
prenant en compte des conditions spécifiques ou
essentiellement locales. Ce mouvement nécessite la
définition d'un principe de subsidiarité entre les
anciens et les nouveaux pôles de décision. La seconde
ligne est le développement de réseaux de
(*) Insee, division Marchés et stratégies d'entreprises, 15 communication plus vastes et plus intensément
boulevard Gabriel-Péri, BP 100, 92244 Malakoff Cedex, alimentés. C'est un corollaire du changement dans les
France. procédures de décision : si certaines décisions ne sont
plus prises sur le mode hiérarchique, la circulation de
Cette étude a été financée par le Commissariat général du Plan. l'information s'avère d'autant plus nécessaire afin de
Elle a été réalisée avec l'assistance de Guy Broussaudier et Luis réaliser une coordination efficiente des activités. Ce
Miotti que nous remercions vivement. Nous remercions réseau implique non seulement des liens verticaux
également Masahiko Aoki, Robert Boyer, Bruno Crépon,
Jacques Mairesse, Pierre Ralle et deux rapporteurs anonymes entre les unités qui ont accru leur autonomie et la
pour leurs commentaires sur une version antérieure de ce papier. direction de l'entreprise, mais aussi des liens
Celui-ci a également bénéficié des commentaires des particiants horizontaux entre des unités qui peuvent se coordonner
au séminaire Crest-D3E de l' Insee, aux Xe Journées de sans médiation hiérarchique. Par exemple, si un atelier
micro-économie appliquée, au groupe "hybridation" du en approvisionne un second situé en aval et si ce dernier
Gerpisa, au séminaire de l'OST, au séminaire Recherche de décide d'accroître rapidement la production du bien
l'Insee, au séminaire de l'Atom, à la Ve conférence de l'EALE,
au séminaire STEW de Stanford et à plusieurs rencontres au final pour répondre à un acroissement soudain de la
Commissariat général du Plan. Cette article ne reflète pas la demande, il peut alors en aviser directement l'atelier
position de l'Insee et n'engage que ses auteurs. amont et passer une commande. Le système "kanban"
se caractérise précisément par ce type d'échange de
Économie et Prévision n° 11 3- 114 1994/2-3 produits et d'informations.

39
La raison principale de ces modifications internes serait l'extérieur de l'atelier et elle s'opère de façon
la recherche d'une plus grande flexibilité. Deux types discontinue, par sauts. À Nagano elle est plus continue,
d'objectifs, correspondant à deux formes de flexibilité, partiellement contrôlée par l'atelier, où elle fait l'objet
peuvent être avancés. Le premier est l'adaptation de la d'une appropriation collective. Cette volonté de penser
production aux variations de la demande afin de simultanément la technique et l'organisation apparaît
maîtriser les coûts de stockage(1). C'est une flexibilité aussi dans la robotisation d'un atelier de tôlerie de
quantitative de court terme. Le second est un Renault lors du lancement de la R19 (Midler, 1988).
renouvellement rapide de la gamme des produits à un Celle-ci a été réalisée avec l'appui d'un groupe de
coût raisonnable. C'est une flexibilité qualitative de projet animé par le chef d'atelier appelé à diriger la
moyen terme (aptitude à maîtriser rapidement de future unité et réunissant exploitants de l'usine,
nouveaux outils ou procédés), étroitement liée à la techniciens des méthodes centrales et organisateurs de
technologie et au changement technologique. Ces la direction centrale du personnel. Ce groupe avait pour
préoccupations n'étaient bien sûr pas absentes de la mission de réaliser un projet d'organisation, d'arrêter
stratégie des entreprises auparavant, mais elles des choix techniques en cohérence avec ce projet et de
n' avaient pas le rang de priorité qu' elles semblent avoir planifier sa mise en œuvre.
acquis ces dernières années. Le coût direct de
production de biens renouvelés peu fréquemment était Ces travaux montrent aussi que la décentralisation
alors un objectif central, et les stocks n'apparaissaient induit un retour partiel de la maîtrise de la production
pas comme une préoccupation prioritaire (Boyer, dans l'atelier au détriment de services fonctionnels,
1991). primordiaux dans le modèle taylorien
(ordonnancement, méthodes, maintenance). Les
De plus, cette évolution de l'organisation est à la fois opérateurs deviennent alors responsables, souvent au
favorisée et stimulée par les changements sein d'équipes, des actes quotidiens de production et
technologiques. Alors que les technologies sont incités à participer à leur amélioration. Dans
"anciennes" étaient sources de rigidités l'usine Aluminium Dunkerque (ministère du Travail,
supplémentaires soutenant l'élaboration de normes et 1991) appartenant au groupe Pechiney et mise en
la centralisation, les technologies avancées(2) sont dites service récemment, le travail en équipes est la clef de
flexibles car elles contraignent moins le processus de voûte de l'organisation dans l'atelier. L'équipe,
production, ce qui rend la décentralisation envisageable collectivement responsable, détermine le partage des
(Gerwin et Tarondeau, 1984, 1986). Weick (1990) tâches de manière à remplir les objectifs fixés, sans
montre même que la décentralisation et la l'intervention de maîtrise en poste. Dans l'atelier de
communication accrue sont fortement souhaitables tôlerie de Renault décrit par Midler, l'équipe participe
pour obtenir un usage performant de ces technologies. à l'élaboration du travail et aux activités de
L'étude de Kern et Schumann (1989) sur trois branches développement dans le domaine de l'amélioration de la
de l'industrie allemande (automobile, chimie, ligne et de la formation, la maîtrise assurant un rôle
construction de machines) va dans le même sens, car d'animation. L'étude de Magaud et de Sujita montre
elle montre que les technologies nouvelles donnent comment, à Nagano, les opérateurs interviennent dans
naissance à un nouveau type d'opérateurs, hautement la gestion des aléas (pannes, problèmes
qualifiés : les conducteurs de systèmes. Ces ouvriers d'approvisionnement...) en participant au diagnostic et
ont la responsabilité presque totale de la production et à la validation des solutions. À Angers, les solutions
exercent un travail indirect de surveillance, sont trouvées au niveau des services spécialisés dans la
maintenance et programmation des équipements. technique et la gestion, et sont transmises aux
Même si ce type de poste se développe, il ne concerne opérateurs sous une forme définitive.
cependant qu'une part réduite de la main-d'œuvre
ouvrière. Un autre argument est que ces technologies, Ces évolutions s'étendent au contenu des postes de
en réduisant les coûts de communication, créent une travail par l'enrichissement des tâches et l'intégration
incitation à l'extension de l'usage de celle-ci (Bolton de certaines fonctions. Le métier complet défini à
et Dewatripont, 1992). Aluminium Dunkerque recouvre aussi les
responsabilités de "contrôler", "gérer", "améliorer",
L'on retrouve des éléments de cette description "maintenir". De plus, chaque opérateur doit pouvoir
générale chez de nombreux auteurs. Quels en sont les exécuter l'ensemble des tâches imparties à l'équipe.
fondements empiriques ? Les études monographiques Ceux-ci sont donc polyvalents, ils participent au
sur ce thème sont abondantes. Ainsi, l'étude de Magaud contrôle de la qualité et des performances en prévenant
et Sujita (1992) montre, au travers de l'analyse et en évaluant les dysfonctionnements, et assurent une
comparative d'une usine française produisant des partie de la maintenance. On retrouve les mêmes
téléviseurs (Angers) et son équivalent japonais attributions dans la définition des postes d'opérateurs
(Nagano) que la décentralisation conduit à associer de l'atelier de tôlerie de Renault.
plus étroitement les ateliers aux choix de l'entreprise,
notamment dans le domaine technologique et Ces transformations sont associées à un accroissement
organisationnel. Les deux établissements sont, en effet des qualifications demandées et à une réduction de la
en opposition forte dans le processus d'adoption ligne hiérarchique. À Aluminium Dunkerque par
d'équipements nouveaux. À Angers l'évolution des exemple, le niveau de qualification requis est le niveau
techniques de production est contrôlée entièrement de Bac ou BP. Un plan de formation a été mis en œuvre

40
afin d'assurer la mise à niveau des opérateurs recrutés recherche légèrement différents de ceux adoptés dans
dans la région d'implantation de l'usine. De plus la cette étude. La première est l'enquête sur les techniques
ligne hiérarchique, dans cet établissement, comporte et l'organisation du travail, réalisée en 1987 par le
seulement trois niveaux de responsabilité, les équipes ministère du Travail et l'Insee auprès de 20 000
de direction, de secteurs et d'opérateurs. travailleurs occupés, appartenant à des secteurs
différents et occupant des postes variés(5). Cette
Le corollaire de la plus grande responsabilité des enquête donne une information détaillée sur la façon
opérateurs dans l'atelier est la valorisation de nouvelles dont les tâches sont réalisées, mais son objectif initial
compétences. Si les opérateurs sont amenés à se n'est pas de fournir des informations sur les entreprises.
coordonner entre eux de manière partiellement Cependant, comme chaque salarié identifie l'entreprise
décentralisée, ils doivent être à même de communiquer à laquelle il appartient, il est possible de reconstituer un
et de partager l'information. Ainsi à Nagano, la échantillon d'entreprises à partir de l'échantillon de
capacité relationnelle et l'aptitude à communiquer sont salariés. La seconde source est l'enquête Innovation de
des critères importants lors des promotions. À Angers, 1991(6), réalisée par le ministère de l'Industrie.
on valorise plutôt les compétences techniques.
L'importance de la capacité à communiquer et à
partager l'information se retrouve dans la notion de Cette source, par rapport à la précédente fournit peu
"métier complet" mise en avant à Aluminium d'informations sur l'organisation de la force de travail ;
Dunkerque et qui définit les responsabilités des toute l'information provient d'une question sur la mise
équipes. Les deux items qui arrivent en priorité dans la en œuvre d'innovations organisationnelles liées à
définition du métier complet sont "s'informer" et l'innovation technologique entre 1986 et 1990. Elle
"communiquer", qui viennent avant "préparer le cycle présente cependant trois avantages : elle se situe
de production" et "réaliser le cycle de production". directement au niveau de l'entreprise, elle est
exhaustive (25 000 entreprises industrielles de plus de
20 salariés ont été interrogées), et elle fournit aussi de
Ces études soulignent, via l'exploration approfondie de l'information sur la dynamique technologique des
cas spécifiques, la cohérence interne de ces entreprises (changement technique, sources de
changements organisationnels et la façon dont ils sont l'innovation...).
mis en place. Cependant elles donnent souvent un plus
grand poids à des secteurs particuliers comme
l'industrie automobile, et ne fournissent pas une idée
précise sur l'étendue de la diffusion du "nouveau Ces deux sources fournissent des informations en
modèle" dans l'économie. De plus, elles sont sujettes à coupe et permettent donc de comparer les entreprises,
des biais de sélection (les expériences réussies sont mais non de raisonner en termes de causalité. Elles ont
relatées plus fréquemment que les échecs). Un été utilisées dans l'étude qui suit pour répondre à trois
ensemble de monographies ne peut donc remplacer une ensembles de questions, dans une perspective de
étude sur un échantillon représentatif d'entreprises. statique comparative. D'abord, est-il possible de
Bien qu'elles soient complémentaires à l'approche détecter dans les données une ou plusieurs dimensions
monographique, les approches statistiques restent rares saillantes de l'organisation du travail ? Autrement dit,
à ce jour. nous avons essayé de déterminer les variables qui
caractérisent le mieux l' organisation quand on compare
Cette rareté(3) s'explique principalement par le manque un grand nombre d'entreprises (deuxième partie). La
de données sur l'organisation des entreprises. Ce réponse à cette première question est positive. Il
manque traduit l'absence d'une théorie unifiée de devient donc possible de caractériser un mode
l'organisation, qui fournirait une liste de variables à d'organisation particulier par une mesure de ces
observer et à construire et un ensemble d'hypothèses et dimensions. Nous avons ensuite cherché à déterminer
de conclusions à tester. Par ailleurs, l'organisation de les liens entre ces variables organisationnelles et
l'entreprise est depuis longtemps un objet appartenant d'autres caractéristiques de l'entreprise : la
aux sciences de la gestion, à la sociologie et à l'histoire, technologie, l'intensité capitalistique, la taille, la
qui ne privilégient pas particulièrement l'approche composition de la main-d'œuvre... (parties 3 et 4).
statistique. Certains sociologues ont mené des enquêtes
et études statistiques, mais sans pour autant
standardiser leur méthodologie(4). Les questions posées Enfin, nous avons analysé l'impact de l'organisation du
diffèrent d'une étude à l'autre, les différences travail sur la performance des entreprises en
d'échantillons ne permettent pas une comparaison des distinguant trois domaines de performance, l'efficacité
résultats. productive, l'efficacité dans la gestion des stocks et
l'efficacité dans des activités de recherche (cinquième
La perspective choisie dans cette étude est une partie). Cette dernière étape permet de fournir une
utilisation des données sur l'organisation des réponse partielle à la question initiale ; il semble
entreprises industrielles françaises selon une approche qu'effectivement, certains modes d'organisation soient
descriptive et pragmatique. Deux sources statistiques plus appropriés que d'autres pour assurer la flexibilité,
ont été utilisées, conçues pour des objectifs de particulièrement le renouvellement technologique.

41
La formalisation du travail est le deuxième domaine
Dimensions de l'organisation du travail couvert par l'enquête. Il comprend les questions sur la
au niveau des postes précision avec laquelle les tâches sont définies par la
hiérarchie, sur les procédures en cas d'incident, sur les
normes de qualité et de quantité que les ouvriers
doivent respecter et sur le nombre d' équipes. Le dernier
Afin de dresser un bilan statistique de l'organisation de domaine décrit par l'enquête est celui des technologies
la production et de capter une information sur utilisées par les ouvriers, en particulier la chaîne, les
l'entreprise à partir de l'enquête Techniques et robots, les machines-outils à contrôle numérique
organisation du travail, nous avons analysé les (MOCN) et les ordinateurs.
réponses des ouvriers exerçant des tâches directement
liées à la production (les chauffeurs par exemple ont La démarche suivie consiste à effectuer dans un
été exclus) et appartenant à des entreprises industrielles
de plus de 50 salariés. Cette restriction permet d'étudier premier temps une analyse des correspondances
multiples (ACM), puis une analyse des corrélations au
une population homogène, ce qui limite la variance liée
à des caractéristiques individuelles. Elle conduit à un niveau des postes de travail. C'est dans un deuxième
temps que le niveau de l'entreprise est exploré au
échantillon de 1470 ouvriers affiliés à 776 entreprises,
représentant 41 % de la valeur ajoutée des entreprises travers d'une classification ascendante hiérarchique
du champ. Le fait que cette enquête ait été réalisée (CAH) et d'une nouvelle analyse des corrélations
auprès des salariés et non des responsables (troisième partie).
d'entreprises entraîne un risque de généralisation
hâtive à l'ensemble de l'entreprise de conditions L'analyse des correspondances multiples dessine une
particulières au poste de la personne interrogée. image intuitive et synthétique des rapports entre les
Cependant, nous avons vérifié que l'appartenance à différents attributs des postes (cf. graphiques 1 et 2),
une même entreprise avait un impact déterminant sur image qui sera précisée par l'analyse de corrélations.
les réponses des ouvriers(7). De plus, cette source Elle aboutit aux résultats suivants. Les variables de
d'information présente l'avantage d'être directe communication sont celles qui contribuent le plus à
puisque les ouvriers ont été interrogés chez eux, en l'inertie du premier axe de l'analyse. Celui-ci oppose
dehors de leur contexte de travail. Cela élimine les biais les postes ouvriers dotés d'un niveau élevé de toutes les
de réponse dus à la remontée d'une information de formes de communication à ceux dont le réseau de
terrain le long d'une ligne hiérarchique dont les communication est à la fois restreint et confiné à
couches peuvent être nombreuses. l'atelier. De plus, les ouvriers pratiquant une
communication intense utilisent plus souvent des
technologies avancées, en particulier des ordinateurs.
L'enquête couvre trois grands domaines de Les coordonnées des individus sur cet axe peuvent
l'organisation du travail®. Le premier concerne la alors être interprétées comme représentant l'intensité
façon dont les ouvriers communiquent dans l'atelier. de la communication dans un certain contexte
Par exemple, discutent-ils de la nature du travail, seuls technologique.
avec leur chef ? Demandent-ils des informations à leurs
collègues ? Reçoivent-ils des instructions ou des
consignes d'autres services ? Savent-ils s'il y a un L'analyse des correspondances multiples donne aussi
cercle de qualité dans leur entreprise ?... Cet ensemble une représentation synthétique de ce que nous appelons
de questions nous permet de distinguer des formes les contraintes hiérarchiques et les contraintes
différentes de communication selon la personne techniques. Sous ces étiquettes sont rassemblées des
(supérieur hiérarchique, collègues) ou l'unité (autres variables représentant d'une part les rapports de
services, extérieur de l'entreprise) avec lesquelles les l'ouvrier avec sa hiérarchie, et d'autre part les
échanges d'information ont lieu. Une mesure de dispositifs techniques utilisés pour réguler le travail
l'intensité de ces échanges peut aussi être construite ; (comme la chaîne). "L'autonomie" (de l'ouvrier) se
la coexistence de tous les types d'échanges tels que définit comme un niveau bas des deux types de
discussions, réception d'instructions... traduit une contraintes. Ces trois ensembles de variables sont
intensité des échanges élevée. Ces questions indiquent disposés en triangle sur le plan généré par les deux
si les circuits de communication prévalant dans facteurs principaux. L'opposition entre autonomie et
l'entreprise passent ou non par les opérateurs. contraintes est parallèle au deuxième axe de l'analyse
L'analyse de la communication prend également en des correspondances multiples, qui peut donc être
compte la participation de l'ouvrier à des cercles de interprété comme traduisant l'intensité des contraintes.
qualité, groupes d'expression et l'existence de boîtes à L'opposition (de moindre ampleur) entre les deux
idées et de récompenses des innovations, qui traduisent formes de contraintes est plutôt distribuée
un système d'intégration de l'ouvrier à la dynamique parallèlement au premier axe, traduisant une
technologique de l'entreprise. Ces formes de communication plus intense pour les postes contraints
communication sont par nature multilatérales alors que par la technique (communication multilatérale
les formes précédentes étaient plutôt bilatérales(9). De notamment). Cette présentation globale doit être
plus, l'interaction s'effectue dans un cadre affinée par l'analyse des caractéristiques spécifiques de
institutionnalisé et séparé de l'activité productive chacune des variables élémentaires : c'est le but de
courante. l'analyse des corrélations.

42
Graphique 1 : l'espace de l'organisation du travail dans l'atelier

Autonomie
Construction Ordinateurs
mécanique
Aéronautique Ouvriers qualifiés
Électronique
professionnelle
Chimie
Textile Intensité de
la communication
"-■+ Taille,
Ouvriers non qualifiés intensité capitalistique
[Robots MOCNI
Automobile
Contraintes hiérarchiques | Chaîne]
Contraintes techniques
Intensité des contraintes

Graphique 2 : variables centrales de l'analyse des correspondances multiples

Hcarte * Comext
1,0 ■ Conthie peu
Caden pas Ordinateur
0,5 ■■ Comhor bcp • Comautser bcp
Comult pas
Comhor pas #Comver bcp
0,0
Comver pas Comautser pas Comult bcp
- 0,5 Norqual •
Conthie bcp 2x8• * *Robots
■■

-1,0 ■• Caden Mach • Chaîne


-1,5
-2,0 -1,5 -1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 2,0

Comhor : communication horizontale 2x8, 3x8 : horaires alternants


Comver : communication verticale Norqual : normes de qualité
Comext : communication avec l'extérieur Robots : usage de robots ou de MOCN
Comautser : communication autres services Hcarte : horaires à la carte
Comult : communication multilatérale Caden : cadences de production
Conthie : contraintes hiérarchiques Mach : fixées par la machine

Celle-ci confirme la nature cumulative des différentes


formes de communication (cf. tableau 1). La Tableau 1 : corrélations entre les modalités hautes
corrélation entre communication verticale et des variables de communication
communication horizontale fortes est de 0,23. La
Multilatérale Extérieur Autres Verticale
littérature économique et managériale oppose services
généralement ces deux formes de communication.
Cependant, le sens que donne cette littérature à la Horizontale 0,07 0,07 0,31 0,23
communication verticale correspond à la transmission
unilatérale de consignes, du chef à l'exécutant. À Verticale 0,11 0 0,22
l'opposé, la communication verticale captée par nos Autres 0,10 0,24
variables est un échange direct, en face à face entre le services
chef et son subordonné, par exemple une discussion sur
la nature du travail à effectuer. Il s'agit d'une Extérieur 0,06
transmission d'information à la fois bilatérale et plus Une communication multilatérale élevée indique la présence
dense
s' inscrivant
que ladans
seuleune
réception
structure
de d'information
consignes formalisées
pauvre, simultanée de cercles de qualité, groupes d'expression, boîtes à idées,
système de récompense des innovations.
codifiée et standardisée, qui est la définition habituelle Les coefficients sont significatifs au seuil de 1 %.
de la communication verticale. Ainsi, ce que des

43
auteurs comme Aoki (1986) ou Greenan et Guellec étroitement liées les unes aux autres (cf. tableau 2), ce
(1994) appellent communication verticale se qui donne un sens à cette notion. Les ouvriers qui
retrouverait plutôt dans la catégorie que nous doivent appliquer strictement les consignes sont aussi
analyserons comme contraintes hiérarchiques, ceux qui, en cas d'incident, ne sont pas habilités à
lesquelles sont associées à une communication peu réparer leur machine et auxquels le chef fixe non
intense. seulement les objectifs à atteindre, mais aussi les
procédures de travail. Ils ne peuvent généralement pas
Communications horizontale et verticale vont échanger leurs postes de travail entre eux sans
également de pair avec la communication avec les autorisation. L'agrégation de ces quatre questions
autres services de l'entreprise (corrélations de 0,31 et permet donc de définir une variable synthétique
0,22 respectivement entre les modalités hautes de ces représentant l'intensité des contraintes hiérarchiques.
variables) et avec la communication multilatérale (0,07
et 0,11). De plus, la communication avec les autres Les contraintes techniques sont représentées
services est plus fortement corrélée avec la directement par des cadences fixées par la machine. La
communication avec l'extérieur de l'entreprise (clients présence de celles-ci est liée au travail à la chaîne, au
et fournisseurs). Le fait que la plupart des formes de respect de normes de qualité, et à un travail en deux ou
communication soient étroitement liées justifie trois équipes (cf. tableau 3). Ces contraintes traduisent
l'hypothèse de l'existence au sein de l'entreprise (ou un mode de coordination par "standardisation des
autour de chaque poste) d'un flux de communication procédés" ou par "standardisation des résultats" pour
au sens large, prenant des formes différentes que nous suivre la terminologie de Mintzberg : l'opérateur doit
avons énumérées ci-dessus. Ce flux sera mesuré respecter un rythme fixé par la machine ou des normes
ultérieurement et nommé "intensité de la techniques précisément spécifiées.
communication". Cette analyse débouche sur la
proposition suivante. Ces deux types de contraintes ne s'excluent pas
totalement (cf. tableau 4) : des cadences imposées par
Proposition 1. Les diverses formes de communication la machines sont parfois associées à des contraintes
vont de pair au niveau des postes de travail. hiérarchiques. Elles se distinguent cependant, puisque
"L'intensité de communication" est donc une la présence de ces dernières est indépendante
caractéristique discriminante de l'organisation du statistiquement du travail à la chaîne.
travail.
Proposition 2. La deuxième caractéristique
Examinons à présent les contraintes. La distinction discriminante de l'organisation du travail est
entre contraintes techniques et contraintes l'intensité des contraintes hiérarchiques et techniques.
hiérarchiques est courante dans la littérature
(Mintzberg, 1979). Chacune traduit une forme de À l'opposé des postes très contraints, certains ouvriers
détermination des opérations effectuées par l'ouvrier décrivent leur travail comme compatible avec une
non maîtrisée par celui-ci. Des contraintes grande autonomie. L'autonomie est ici définie par les
hiérarchiques fortes reflètent ce que Mintzberg appelle horaires à la carte et par l' absence de cadences, qui sont
un mode de coordination par supervision directe, où les tous les deux corrélés négativement avec le travail à la
responsables hiérarchiques jouent un rôle décisif dans chaîne et l'intensité des contraintes hiérarchiques (cf.
la détermination du contenu précis du travail et dans la tableau 4). Une plus grande autonomie des opérateurs
coordination des opérations. Les variables de l'enquête traduit, selon la typologie de Mintzberg, un mode de
exprimant les contraintes hiérarchiques sont coordination par ajustement mutuel (relations directes
Tableau 2 : corrélations entre différents types de contraintes hiérarchiques
Application stricte des L'ouvrier ne répare pas Le chef fixe les objectifs et
consignes lui-même les incidents les procédures à suivre
L'ouvrier ne peut échanger son travail 0,11 0,09 0,13
Le chef fixe les objectifs et les procédures à suivre 0,30 0,21
L'ouvrier ne répare pas lui-même les incidents 0,18
Les coefficients sont significatifs au seuil de 1 %.

Tableau 3 : corrélations entre différentes contraintes techniques


Horaires Horaires Normes Cadences liées à la
alternants 3x8 alternants 2x8 de qualité machine
Chaîne 0,10 0,08 0,14 0,24
Cadences liées à la machine 0,07 0,11 0,21
Normes de qualité 0,05(*) 0,08
Les coefficients sont significatifs au seuil de 1 %, de 5 % quand (*) est indiqué.

44
Tableau 4 : corrélation entre la modalité basse de la variable d'intensité des contraintes hiérarchiques et...
... la modalité haute des variables d'intensité de la communication
Horizontale Verticale Avec les autres services Avec l'extérieur Multilatérale
0,05<*> 0,13 0,10 0,13 0,08
... les variables de contraintes techniques
Cadences liées à la machine Absence de cadences Normes de qualité Horaires à la carte
-0,13 0,16 -0,05^ 0,11
... l'usage de technologies spécifiques
Chaîne Informatique Robots ou MOCN
0 0,19 0,07
Les coefficients sont significatifs au seuil de 1 %, de 5 % quand (*) est indiqué.

entre opérateurs) ou par standardisation par les l'utilisation de l'informatique (micro-ordinateurs ou


qualifications (partageant des compétences communes, terminaux émission-réception) est associée à une plus
chacun peut prévoir ce que feront ses collègues et grande intensité de toutes les formes de communication
s'ajuster en conséquence). Les ouvriers autonomes (cf. tableau 5) : l'automatisation des postes de travail
participent aussi à un large réseau de communication : implique un plus grand réseau de^ communication.
les coefficients de corrélation entre les contraintes L'utilisation de robots et de machines-outils à
hiérarchiques faibles et la pratique de toutes les formes commande numérique (MOCN) favorise surtout la
de communication (sur une modalité haute) sont communication verticale et secondairement la
significativement positifs, tandis que les coefficients de communication avec les autres services de l'entreprise,
corrélation entre celles-ci (sauf la communication sans doute du fait de la complexité technique de ce type
multilatérale) et les variables traduisant des contraintes de matériels qui exige une aide de la hiérarchie et une
techniques sont soit négatifs soit nuls. Un tel résultat assistance spécialisée (maintenance). L'usage de ces
va dans le sens de la distinction opérée par Aoki entre trois technologies avancées est aussi lié à un degré plus
les entreprises de type américain et celles de type élevé d'autonomie, surtout du point de vue
japonais. Les premières sont caractérisées par un rôle hiérarchique. Quant à la chaîne, elle est associée
prééminent du responsable hiérarchique dans la seulement à la communication multilatérale,
coordination (structure d'information verticale), et les probablement parce que la nécessité technique
secondes par une communication intense entre d'opérations continues sur la ligne d'assemblage
opérateurs (structure d'information horizontale). proscrit des échanges bilatéraux d'information entre les
L'argument présenté en introduction, qui met l'accent ouvriers.
sur la complémentarité entre la communication et la
décentralisation au sens large, apparaît ainsi
empiriquement fondé(10). Proposition 4. L'usage de nouvelles technologies est
associé à des postes où la communication et
l'autonomie sont plus fortes.
Proposition 3. Les postes caractérisés par une
communication intense ont aussi des contraintes
hiérarchiques plus faibles.
Enfin, la qualification de l'ouvrier importe aussi. Les
ouvriers plus qualifiés sont plus autonomes, pratiquent
La technologie interagit significativement avec les une communication plus intense et sont plus souvent
deux dimensions de l'organisation du travail. Ainsi utilisateurs de technologies avancées.

Tableau 5 : correlations entre les modalités hautes des variables de communication


et l'usage de technologies spécifiques
Horizontale Verticale Autres services Extérieur Multilatérale
Informatique 0,09 0,10 0,17 0,17 0,18
Robots/MOCN 0 0,08 0,06 0 0,05^
Chaîne 0 0 0 0 0,14
Les coefficients sont significatifs au seuil de 1 %, de 5 % quand (*) est indiqué.

45
coordonnées des ouvriers appartenant à une même
Le niveau de l'entreprise entreprise). Cette classification permet d'isoler trois
catégories polaires d'entreprises en plus d'une
catégorie au profil moyen (cf. tableau 6).
Considérons la coordonnée de chaque ouvrier sur le
premier axe de l'analyse des correspondances L'opposition entre la première catégorie et les deux
multiples comme la variable représentant l'intensité de dernières repose sur l'intensité de communication. Les
communication associée au poste de travail. La valeur entreprises de type 3 diffèrent des entreprises de type
médiane de ces coordonnées pour les ouvriers 4 du point de vue de contraintes : les premières sont
appartenant à une même entreprise reflète l'intensité de marquées par des contraintes techniques fortes tandis
la communication au niveau de l'atelier de l'entreprise que les secondes sont caractérisées par un niveau élevé
concernée. En fait, cette variable est une combinaison d'autonomie dans l'atelier.
linéaire de variables concernant la communication et la
technologie : elle atteint une valeur plus élevée dans Des données statistiques issues d'autres sources(11)
des entreprises où les salariés communiquent plus et/ou fournissent des variables supplémentaires sur
utilisent des nouvelles technologies. Le poids relatif l'entreprise qui peuvent être reliées à son organisation
des différentes variables dans cette combinaison telle qu'elle est décrite par la typologie (cf. tableau 7).
linéaire est déterminé (automatiquement) par leur Les entreprises où la communication dans les ateliers
pouvoir discriminant parmi la population des postes. est intense, où de nouvelles technologies sont utilisées
Comme nous l'avons indiqué précédemment, des tests et où les contraintes hiérarchiques sont faibles (types 3
statistiques montrent que même si les réponses des et 4), sont plus grandes et plus intenses en capital. Elles
ouvriers sont porteuses de bruit, elles apportent une ont aussi eu un comportement d'investissement plus
information fiable sur l'entreprise. dynamique entre 1984 et 1987 : le coefficient de
corrélation entre le taux de croissance moyen de
La première étape de l'étude de l'organisation du l'investissement sur cette période et l'indicateur
travail au niveau de l'entreprise est une classification synthétique décrivant l'intensité de communication est
ascendante hiérarchique construite à partir des significatif et s'élève à 0,10. En outre, ces entreprises
coordonnées des entreprises sur les deux premiers axes emploient une proportion plus élevée d'ouvriers
de l'analyse des correspondances multiples (comme qualifiés et une proportion moindre d'ouvrières.
nous l'avons indiqué, il s'agit de la médiane des

Tableau 6 : un découpage en quatre classes


Firmes de type 1 Firmes de type 2 Firmes de type 3 Firmes de type 4
Communication intense Communication intense
Communication minimale Classes moyenne à tous points de vue Contraintes techniques fortes Contraintes techniques faibles
Contraintes hiérarchiques fortes Contraintes hiérarchiques moyennes Contraintes hiérarchiques faibles
Échantillon : Échantillon : Échantillon : Échantillon :
220 entreprises 204 entreprises 177 entreprises 175 entreprises
357 salariés 415 salariés 395 salariés 303 salariés

Tableau 7 : caractéristiques générales des entreprises selon leur mode d 'organisation


Firmes de type...
1 2 3 4 Ensemble
Secteur dominant Textile Aucun Automobile Mécanique
Valeur médiane
Effectifs 182 304 461 328 275
Intensité capitalistique 114 000 F 128 000 F 200 000 F 145 000 F 114 000 F
Taux d'investissement 6,5% 7,6% 11,1% 8,8% 8,4%
Effort d' investissement 9,5% 11,0% 11,0% 12,2 % 10,9 %
Part des ouvriers non qualifiés^ ^ 51% 35% 39% 19% 34%
Part des femmes ouvrières^ * 40% 24% 20% 13% 26%
Nombre d'agents de maîtrise pour 100 ouvriers 6 7 8 9 8
Part des ingénieurs et cadres techniques ' 50% 50% 50% 57% 50%
Part des emplois tertiaires^ 12% 14% 15% 15% 14%
(1) Rapporté aux total des ouvriers.
(2) Rapporté aux total des cadres.
(3) Rapporté à l'emploi total.

46
Proposition 5. Le taux d'investissement, l'usage de technologies de l'information (voir David, 1990, pour
technologies avancées et l'intensité de la une analyse comparative des deux technologies). La
communication sont positivement corrélés au niveau plupart des matériels automatiques utilisés par les
de l'entreprise. ouvriers de l'échantillon ont été installés dans les cinq
années précédant l'enquête. Or la maîtrise de ces
Cette étude confirme, au niveau de l'entreprise, ce que technologies requiert un apprentissage à la fois
l'on observait au niveau des postes de travail. Il existe individuel et collectif qui se fait par l'intermédiaire du
un rapport étroit entre une communication intense au partage des expériences et de la communication. Les
sein de l'atelier et des investissements en technologies travaux de Berry (1988) sur les robots montrent
avancées. Comment interpréter ces corrélations ? Une l'importance de cet apprentissage par la
explication peut être trouvée chez Galbraith (1973), qui communication. Les robots introduisent de
montre que le traitement de l'information est une l'incertitude dans le processus de production. S'ils sont
activité essentielle à l'intérieur des entreprises, et que eux-mêmes en général fiables, la périrobotique (câbles
le besoin en informations traitées croît avec la d'alimentation, moyens de positionnement, etc.), elle,
complexité de l'environnement : "Si l'organisation est l'est moins. Les pannes sont alors souvent plus
confrontée à une plus grande incertitude, due au fréquentes que prévu, et elles sont fortement
changement technologique, à des normes de dommageables lorsque la robotisation est insérée dans
performance plus élevées, à une concurrence accrue, une production à flux tendus. La coupure entre
ou à une gamme de produits élargie, la quantité conception et exécution, le cloisonnement entre
d'information à traiter est plus élevée."cft) Une services de conception, fabrication et maintenance ne
circulation plus dense de l'information dans font que ralentir la recherche des solutions.
l'entreprise permet de s'adapter à une incertitude plus Inversement, ces pannes sont progressivement
grande. Dans ce cas, les flux d'information incorporent maîtrisées au travers de l'expérience des opérateurs et
à la fois des mesures locales de performance ou des de la construction collective d'un savoir sur les
rapports sur les événements imprévus (incidents par machines impliquant à la fois opérateurs, encadrement
exemple) et des solutions ou des consignes pour et services spécialisés.
répondre à ces événements et améliorer les
performances. Galbraith considère qu'alors
l'ouverture de nouveaux canaux de communication, Bien sûr, les deux familles d'interprétation ont des
propriétés similaires à court terme : plus une entreprise
notamment entre des unités non liées
hiérarchiquement, est une stratégie efficace pour utilise d'ordinateurs et d'équipements automatisés,
plus elle développe l'autonomie et la communication.
l'entreprise. Mais à la longue, quand ordinateurs et robots seront
banalisés, l'interprétation statique prévoit une
Si nous considérons les équipements permettant permanence de ce mode d'organisation tandis que
l'automatisation comme plus complexes que ceux des l'interprétation dynamique prévoit le retour d'une
générations précédentes, deux réponses organisation hiérarchisée et peu communiquante. Nous
complémentaires dans la ligne de Galbraith peuvent montrerons ultérieurement que les prévisions de
être données. La première, qui a été avancée par productivité sont aussi concernées par ce débat(13).
Woodward (1965) et par Kern et Schumann (1989), se
fonde sur les caractéristiques spécifiques des machines
automatiques. Celles-ci réduisent la part de travail Un autre constat surprenant qu'établit l'analyse au
direct au profit de tâches comme le contrôle de qualité niveau de l' entreprise est que l' appartenance sectorielle
ou la maintenance qui exigent la connaissance de intervient relativement peu dans les formes
paramètres nombreux (caractéristiques des machines, d'organisation : le textile et l'automobile sont les seuls
des produits, des intrants). Par suite, le besoin de secteurs assez bien représentés dans le plan engendré
communication entre opérateurs, et entre opérateurs et par les deux premiers axes de l'analyse factorielle. Une
services techniques, est accru. Une autre raison, qui première explication est que la nomenclature utilisée
renforce la précédente, est liée à la qualification des (Nap) répond plus à une logique de demande (usage des
ouvriers, qui est plus élevée sur des matériels biens) qu'à une logique d'offre (technologie utilisée
automatisés (ne serait-ce que parce que ceux-ci sont notamment). Une seconde explication peut être fournie
extrêmement coûteux) ; en même temps qu'elle en invoquant la diversité nécessaire des situations
apporte les compétences techniques, la qualification est intrasectorielles (Nelson et Winter, 1982). D'une part
un facteur facilitant la communication des ouvriers les entreprises occupent des créneaux différents et
entre eux et avec les autres acteurs de l'entreprise. complémentaires sur le marché (niveaux de gamme,
technologies utilisées), du fait de la diversité de la
Alors que l'interprétation précédente est d'ordre demande, de leurs trajectoires technologiques et de
statique (singularités des nouvelles technologies qui leurs compétences. D'autre part, cette diversité des
dureront aussi longtemps que ces technologies seront compétences est entretenue par les liens entre firmes
utilisées), la seconde est d'ordre dynamique. Elle met qui se tissent au sein des secteurs (coopération
l'accent sur les problèmes d'apprentissage liés à la industrielle et technique, sous-traitance), liens qui
nouveauté des technologies, qu'elles soient d'hier supposent des complémentarités et donc une diversité
comme l'électricité ou d'aujourd'hui comme les technologique entre les firmes.

47
l'innovation indique la prévalence parmi les
Innovation organisationnelle et innovations introduites de produits nouveaux, pour le
innovation technologique marché ou pour l'entreprise ; enfin, chaque entreprise
peut être classée comme orientée vers l'innovation de
produit, vers l'innovation de procédé ou vers les deux
types d'innovation. Ces trois variables technologiques,
L'enquête Innovation est la deuxième source tout comme les autres variables sur l'entreprise, ont été
d'information qui a été utilisée. Elle ne permet pas une mises en rapport avec la réalisation d'innovations
analyse aussi détaillée sur les caractéristiques de organisationnelles .
l'organisation que l'enquête Techniques et
organisation du travail, mais elle fournit une
information sur la dynamique technologique des 30 % des entreprises qui ont réalisé au moins une
entreprises qui ont réalisé une "innovation
organisationnelle liée à l'innovation technologique" innovation technologique ont changé leur organisation
interne entre 1986 et 1990. Elles se distinguent par une
entre 1986 et 1990(14). activité innovatrice plus vigoureuse et par une taille
plus grande (cf. tableaux 8 et 9), tandis que leur
Afin de synthétiser les changements techniques réalisés distribution sectorielle, tout comme cela a été observé
par les entreprises françaises sur cette période, nous à partir de l'enquête précédente, ne montre aucune
avons construit trois variables reposant sur les spécificité. Une exploration plus détaillée des données
questions de l'enquête : l'intensité de l'activité révèle une distinction entre les entreprises ayant réalisé
innovatrice de l'entreprise désigne le nombre à la fois des innovations commerciales et des
d'innovations réalisées parmi les cinq types proposés innovations organisationnelles (appelées par la \ suite
dans l'enquête ; la nature radicale ou incrémentale de innovations organisationnelles globales) et celles qui

Tableau 8 : innovations organisationnelles et caractéristiques d'entreprise


Absence d'innovations Innovations organisationnelles
Valeur médiane organisationnelles Pures Globales Ensemble
Effectifs 57 74 67 71
Intensité capitalistique 134 000 F 147 000 F 138 000 F 143 000 F
Effort d'investissement 12,4 % 13,5 % 13,1 % 13,4 %
Renouvellement des tâches(1) 8,6% 9% 10% 9,3%
(1) Somme des effectifs de l'entreprise ayant changé de catégorie ou ayant été embauchés entre 1985 et 1988, rapportée au total des effectifs en 1988.

Tableau 9 : innovations organisationnelles et innovations technologiques


Innovations organisationnelles
Variables Absence d'innovations organisationnelles
Pures Globales
Part dans l'échantillon d'entreprises 70% 18% 12%
Amélioration de produits 68% 74% 80%
Produits nouveaux pour le marché 42% 45% 61%
Produits nouveaux pour l'entreprise 57% 58% 68%
Procédés "premiers" 24% 35% 50%
Amélioration de procédés 64% 85% 84%
Intensité de l'innovation :

Intensité 1 (minimum) 22% 16% 9%

Intensité 4 ou 5 (maximum) 22% 36% 52%

48
ont réalisé uniquement les dernières (appelées
innovations organisationnelles pures). L'innovation Performance et organisation des
commerciale se définit par une transformation des entreprises
conditions de mise sur le marché des produits
(conception et réseau de distribution), lesquelles
induisent souvent des modifications profondes dans la Les enquêtes que nous venons d'utiliser fournissent
définition des biens commercialisés et dans la gestion deux indicateurs synthétiques distincts de
de la production. Le resserrement des liens entre les l'organisation des entreprises. Le premier, provenant
départements des ventes, de la recherche et de la de l'enquête Techniques et organisation du travail,
production sont alors nécessaires. C'est par exemple le reflète l'intensité des échanges d'information au niveau
cas lors de la mise en œuvre d'un système de des ateliers dans un certain contexte technologique. Le
juste-à-temps. second indique si l'entreprise a changé son
organisation interne et si cette transformation est reliée
L'innovation organisationnelle globale (12 % de à un changement dans l'équipement concernant
l'échantillon) est associée à l'activité innovatrice la seulement la production, ou s ' il s ' agit d' un changement
plus intense, qui conduit plus souvent aux innovations plus étendu concernant différents services et leur
radicales. Si les innovations de procédé sont interrelation. Quoique distinctes, ces deux mesures ne
prédominantes dans cette catégorie comme dans les sont pas indépendantes. Les entreprises
autres catégories d'entreprises, les innovations de communiquantes au niveau de leurs ateliers ont une
produit sont plus courantes que dans le reste de organisation plus novatrice, en ce sens qu'elle diffère
l'échantillon. Les entreprises de cette catégorie, du modèle taylorien, et ont investi dans des
comparées aux firmes ayant réalisé des innovations équipements nouveaux ; elles ont donc des traits
organisationnelles pures, recourent davantage à la communs avec les entreprises qui ont effectué des
recherche et développement externe et aux brevets pour innovations organisationnelles.
innover. Ces sources d'innovation signalent une
activité de recherche plus formalisée (par opposition au Nous allons à présent étudier le rapport entretenu par
savoir-faire, de nature tacite) et plus étendue, dans la ces mesures de l'organisation avec trois mesures de
mesure où elles nécessitent une mise en forme des performance différentes : la productivité, l'efficacité
connaissances pour qu'elles puissent s'échanger tout dans la gestion des stocks et l'efficacité dans les
en étant protégées. Ces entreprises ont aussi renouvelé activités de recherche.
plus profondément l'affectation des personnels aux
tâches (mesurée par la part, parmi les personnels en L'effet de l'organisation des entreprises sur leur
poste en 1988, de ceux qui n'occupaient pas ce même efficacité productive a été étudié au travers de
poste en 1985(15)), ce qui corrobore l'idée d'un l'estimation d'une fonction de production incorporant
changement d'organisation étendu et transversal les variables d' organisation^. La fonction de
concernant plusieurs services (commercialisation, production estimée sur l'échantillon provenant de
production et recherche et développement au moins). l'enquête Techniques et organisation du travail est de
Les entreprises de cette catégorie qui appartiennent type Translog (encadré 1) : elle tient compte de l'effet
aussi à l'échantillon dérivant de l'enquête Techniques du volume des facteurs sur leur efficacité, permettant
et organisation du travail ont des postes ouvriers plus une meilleure identification de l'effet de la
communiquants et plus autonomes (entreprises de communication, qui est corrélée avec la taille de
type 4). l'entreprise. L'intensité de la communication intervient
dans la fonction de production de deux manières ;
L'innovation organisationnelle pure (18 % de directement à travers son effet sur la productivité totale,
l'échantillon) est plutôt liée à l'innovation progressive et en effets croisés afin de vérifier son impact sur les
de procédé. Les entreprises de cette catégorie sont plus facteurs de production pris isolément. L'estimation a
intenses en capital et ont réalisé un effort été conduite en coupe, sur un sous-échantillon de 675
d'investissement plus élevé sur la période de temps entreprises présentes en 1987 à la fois dans l'enquête
considérée. Le renouvellement des tâches y est Techniques et organisation du travail, dans les données
supérieur à ce que l'on observe dans les entreprises qui des déclarations de bénéfices industriels et
ont gardé une organisation inchangée, mais nettement commerciaux et celles de l'enquête sur la structure des
inférieur aux entreprises ayant réalisé des innovations emplois (cf. tableau 10). Elle fait apparaître plusieurs
organisationnelles globales. L'innovation conclusions.
organisationnelle semble ici concentrée sur l'atelier, et
associée à des changements de machines. Les L'introduction de la variable communication améliore
entreprises de cette catégorie présentes dans l'enquête
Techniques et organisation du travail ont des postes de manière significative la qualité des estimations.
ouvriers communiquants mais fortement contraints par L'intensité de la communication a un effet direct positif
mais non significatif sur la productivité. Par contre, elle
la technique (entreprises de type 3). agit de manière nette sur l'efficacité des facteurs de
production. Plus la communication est intense et plus
l'efficacité du travail est élevée, indépendamment du
type de qualification. Inversement, l'usage du capital,
corrigé de son âge, est moins efficace dans les

49
Encadré 1 : l'estimation des fonctions de production
La fonction de production utilisée pour mesurer l'impact de où L est la moyenne des effectifs sur les années 1986 et
l'intensité de la communication sur la productivité a été 1987 construite à partir des déclarations fiscales. Les
estimée en coupe (1987) sur un sous-échantillon de 675 ouvriers non qualifiés constituent la qualification de
entreprises de l'industrie manufacturière de plus de 50 référence. Les autres catégories introduites, issues de l'ESE,
salariés, présentes en 1986 et 1987 dans les fichiers de sont la part des cadres et ingénieurs techniques (CTEC ), la
l'enquête Techniques et organisation du travail, des BIC et part des cadres administratifs et commerciaux (CADM ), la
de l'enquête sur la structure des emplois (ESE). C'est une part des ouvriers qualifiés et des agents de maîtrise (OQ ) et
fonction de type Translog. Les termes quadratiques la part des employés (EMP ).
concernant les mesures de la qualité des facteurs (âge du COM : indicateur synthétique représentant l'intensité de la
capital et parts des différentes qualifications) ont été communication dans les ateliers de l'entreprise
contraints à être égaux à zéro afin d'alléger l'estimation. (combinaison linéaire de variables de communication et de
Cette fonction a la forme suivante : technologie issues de l'enquête Techniques et organisation
LogQ = (al + a2.COM)K* + (cl + c2.COM)L* du travail).
S : indicatrices sectorielles (Nap définie au niveau 40, soit
+ COM(eQ + ex.AGC) + fl.(LogK)2

.
18 secteurs industriels).
+ f2 . ( LogL ) 2 + /3 Log K . Log L + 2* s i + Constante . La fonction a été estimée avec la méthode des moindres
carrés non linéaires, selon un algorithme de Gauss-Newton.
i Les résultats sont présentés dans le tableau 10. Une fonction
Log Q : le logarithme de la valeur ajoutée en valeur issue de production similaire a été estimée à partir de l'enquête
des déclarations fiscales. Innovation. L'estimation a été réalisée en coupe (1988) sur
un sous-échantillon de 3 385 entreprises industrielles de
K * : le logarithme du stock de capital en volume, corrigé de plus de 50 salariés appartenant aux fichiers de l'enquête
l'effet de l'âge du capital. Il s'écrit : Innovation, des BIC et de l'ESE. Les différences entre les
K* = LogK + b.AGC , deux estimations sont doubles. En premier lieu, les variables
où K est le stock de capital en volume mesuré à la fin de d'organisation sont celles qui proviennent de l'enquête
l'année 1986, construit à partir des déclarations fiscales et Innovation', une indicatrice signale la présence
d'un déflateur prenant en compte les différentes générations d'innovations organisationnelles pures (Orgpure), une
de capital, et AGC l'âge du capital construit à partir des seconde la présence d'innovation organisationnelles
amortissements figurant dans les déclarations fiscales. globales (Orgloba ). En deuxième lieu, cette seconde
fonction est de type Cobb-Douglas, les variables
L* : le logarithme du travail mesuré en unités de organisationnelles étant les seules qui interagissent avec les
productivité du travail équivalentes, c'est-à-dire corrigé de différents facteurs. Les résultats de cette seconde estimation
l'effet de la structure des qualifications. Il s'écrit : se trouvent dans le tableau 1 1 .
L* = LogL
+ Log(l+dl. CTEC + d2. CADM + d 4. EMP),

Tableau 10 : fonction de production et organisation du travail


Estimation sans organisation Estimation avec organisation
Variables Coefficient Student Coefficient Student
Constante 4,36 34,5 4,32 33,1
ai K* 0,15 6,7 0,16 7,1
a2 COM .K* -0,20 -4,0
b AGC -0,14 -2,8 -0,13 -2,7
c\ L* 0,86 28,6 0,85 28,6
C2 COM . L * 0,23 3,2
dx CTEC 1,42 3,0 1,29 2,8
CADM 0,23 0,5 0,43 0,9
d, OQ 0,19 1,5 0,18 1,4
d4 EMP 1,72 2,6 1,91 2,8
eo COM 0,31 1,2
e\ COM . AGC 0,03 1,5
A (LogK)2 0,02 2,9 0,03 3,8
fl (LogL)2 0,03 1,3 0,02 1,1
/3 Log (K) . Log (L) -0,04 -2,1 -0,05 -2,3
Écart type résiduel 0,3920 0,3879
Les régressions comprennent des indicatrices sectorielles (nomenclature en 40 secteurs).

50
entreprises communiquantes, effet en partie compensé surinvestissement, substitution de capital aux stocks et
par un usage plus performant du capital ancien, mais apprentissage collectif. Nous avons vu que les
ce résultat est plus fragile. entreprises les plus communiquantes sont celles qui ont
le plus investi entre 1984 et 1987 et qui utilisent le plus
Une étude économétrique menée par Cette et Joly souvent les technologies récentes. Selon Bultel (1984),
(1984) débouche sur un impact du progrès technique les critères pertinents d'évaluation économique des
incorporé comparable à celui que l'on obtient avec les projets d'investissement en technologies flexibles sont
variables de communication. Leur estimation d'un complexes et en rupture avec le cadre traditionnel des
modèle de production à générations de capital et à études de rentabilité relative des investissements. Une
facteurs complémentaires montre que le progrès première interprétation serait que l'incertitude
technique incorporé dans les équipements, mesuré par inhérente à un tel changement des règles ait conduit un
leur date d'installation, a une influence positive sur certain nombre de firmes à surestimer la rentabilité
l'efficacité du travail et négative sur l'efficacité du espérée de ces investissements, et donc à effectuer une
capital quel que soit le secteur industriel considéré substitution excessive de capital au travail. Une autre
(cinq secteurs, correspondant au niveau 15 de la explication serait que ce type d'investissement est
nomenclature) et sur les deux sous-périodes 1963-1974 guidé plus par la recherche de la flexibilité que par la
et 1974-1982. La méthodologie de cette étude diffère recherche de la productivité directe, la première étant
de la nôtre, ainsi que les données utilisées (temporelles obtenue au détriment de la seconde. Ainsi, Lorino
par secteurs), mais ce résultat est proche de celui que (1987) souligne que les méthodes de production
nous obtenons et les interprétations que l'on peut en juste-à-temps inspirées du modèle japonais consistent,
donner sont similaires. Notons aussi que dans notre en raccourci, "à échanger du stock contre de la
estimation on obtient un effet négatif de l'âge moyen surcapacité", de manière à fabriquer à la demande (y
du capital, conforme à ce qui a été mis en évidence dans compris lors des pics du marché), à réduire la durée des
d'autres travaux sur données individuelles cycles et à avoir une meilleure maîtrise de la qualité.
d'entreprises (Mairesse et Sassenou, 1989). Un âge du Pour vérifier cela, il faudrait pouvoir corriger la
capital plus élevé ou une communication plus intense production de ces effets, en introduisant par exemple
réduisent donc chacun l'efficacité du capital. un indicateur de différenciation des biens ou de
Cependant, l'effet négatif de l'âge du capital est fluctuation de la demande. Cette interprétation suggère
d'autant moins fort que la communication est intense. aussi d'examiner d'autres domaines de performance,
En d'autres termes, communiquer plus permet ce que nous ferons ultérieurement.
d'utiliser le capital d'autant plus efficacement qu'il est
en place depuis longtemps.
Ces deux explications ne rendent cependant compte
que d'une partie du résultat de l'estimation, la plus
Ces résultats peuvent être interprétés de trois manières faible efficacité propre du capital dans les entreprises
qui pourraient avoir les labels suivants : où il est le plus moderne. L'effet constaté de la
Tableau 11 : fonction de production et innovations organisationnelles
Estimation sans organisation Estimation avec organisation
Variables Coefficient Student Coefficient Student
Constante 4,54 107,1 4,49 91,6
e01 Orpure 0,20 2,5
e02 Orgloba -0,00 -0,0
ax K* 0,15 24,8 0,16 20,8
«21 Orgpure . K * -0,03 -2,1
«22 Orgloba .K* 0,03 1,5
Cl L* 0,86 99,0 0,86 10,4
C21 Orgpure . L * 0,02 0,9
Orgloba . L * -0,04 -1,6
C22
b AGC -0,20 -12,7 -0,19 -10,4
e\\ Orgpure .AGC -0,00 -0,5
Orgloba .AGC -0,00 -0,5
dx CTEC 1,00 8,3 0,99 8,2
<*2 CADM 1,07 8,1 1,09 8,1
d, OQ 0,10 2,6 0,10 2,5
d. EMP 0,75 5,4 0,75 5,4
Écart type résiduel 0,3061 0,3058
Les régressions comprennent des indicatrices sectorielles (nomenclature en 40 secteurs).

51
communication sur l'efficacité du capital selon son âge qui sont estimés pour des innovations
appelle une explication complémentaire, non organisationnelles pures mais non significativement
contradictoire avec les deux précédentes. Le point de différents de zéro. Ces signes sont conformes aux
départ en est le constat, rapporté par nombre d'études attentes que l'on pouvait avoir en examinant
de cas, que les nouvelles technologies, l'automatisation l'accumulation des facteurs dans cette catégorie
et l'informatisation amènent un changement profond d'entreprises ; elles ont renouvelé leur personnel, ce
dans la dynamique technologique des entreprises : les qui a un effet négatif sur la productivité du travail
savoir-faire antérieurs sont très largement inutilisables, (inexpérience) ; elles ont vu leur stock de capital
les compétences requises des salariés et l'organisation augmenter moins que leurs autres facteurs
des opérations changent. Un apprentissage est donc (investissements immatériels), ce qui a un effet positif
nécessaire pour utiliser efficacement ces technologies. sur la productivité du capital. Cette analyse de la
Il se fait par la pratique, qui fournira d'autant plus productivité ne capte néanmoins que très faiblement les
d'information que l'organisation favorisera effets des innovations organisationnelles globales. On
l'autonomie et les échanges dans l'atelier : ainsi se se heurte là aux limites des fonctions de production
constituera plus rapidement un savoir-produire adapté statiques habituelles lorsqu'il s'agit de rendre compte
aux conditions nouvellement prévalentes (Greenan et de l'efficience d'entreprises qui transforment
Guellec, 1994). Les entreprises ayant investi dans de profondément leur production. Les innovations
telles techniques sont pénalisées de manière transitoire organisationnelles globales sont en effet mises en
par les procédés modernes qu'elles utilisent, puisque la œuvre dans des entreprises fortement et radicalement
maîtrise de ceux-ci n'est pas immédiate. Cet impact innovatrices, notamment en produits. Elles ont pour
négatif disparaît sur un matériel plus ancien dont la objectif de permettre et d'accompagner l'innovation
maîtrise est accrue ; l'effet croisé positif de l'âge du dont le but n'est pas systématiquement l'augmentation
capital et de l'intensité de la communication traduit ce de la productivité des facteurs. C'est donc plutôt au
processus d'apprentissage. niveau de l'activité innovatrice de l'entreprise que l'on
doit rechercher les effets directs des innovations
Nous pouvons étudier à présent la fonction de organisationnelles globales.
production estimée à partir de l'enquête Innovation.
C'est une fonction de type Cobb-Douglas, la méthode
d'estimation utilisée étant la même que précédemment. Avant d'explorer ce domaine, nous avons effectué
Elle a été estimée sur l'année 1988( } sur le même quelques tests sur l'influence des caractéristiques
champ que celui utilisé pour l'enquête Techniques et organisationnelles des firmes sur leur comportement de
organisation du travail, soit sur 3 400 entreprises de stockage. Si les changements organisationnels vont
plus de 50 salariés (encadré 1). On retrouve des dans le sens du modèle de production "maigre"
résultats assez proches, en ce qui concerne les (dénommé ainsi par Womack, Jones et Roos (1990)
innovations organisationnelles pures, de ceux obtenus parce qu'"il utilise moins de tout comparé à la
à partir de l'enquête Techniques et organisation du production de masse "et parce qu'"il requiert de
travail^® (cf. tableau 12). Ces innovations conserver moins de stock sur le site de production" (19)),
organisationnelles ont un effet direct positif alors ils devraient induire une gestion plus rigoureuse
(significatif) sur la productivité. Leur impact sur des stocks. Des estimations grossières confirment en
l'efficacité des facteurs pris séparément est de même partie cette intuition. Les entreprises ayant un réseau de
signe que l'impact de la variable intensité de la Tableau 12 : évolution du ratio de stocks-produits
communication : négatif sur le facteur capital, positif et intensité de la communication
sur le facteur travail, ce dernier coefficient n'étant pas
significativement différent de zéro, et positif sur l'âge Constante COM R2
du capital. On retrouve, dans ces résultats, l'effet de Évolution du ratio de 103,4 -19,2
l'alourdissement de la production en capital et de stocks-produits 0,05
(12,0) (-2,2)
l'apprentissage associés à une modification des Les chiffres entre parenthèses sont les statistiques de Student.
procédés de production. Le ratio de stock de produits est calculé en rapportant les stocks de
produits et d'encours aux ventes de l'année. L'évolution entre 1984 et
1987 est calculée en indice, base 100 en 1984.
Par contre, les innovations organisationnelles globales Le modèle estimé ici explique l'évolution du ratio de stocks entre 1984
ne modifient pas de manière significative l'efficacité et 1987 par la variable d'intensité de la communication issue de
des facteurs de production. Leurs effets sur l'efficacité l'analyse des correspondances multiples (COM ) et par des indicatrices
sectorielles (nomenclature en 40 secteurs).
des facteurs de production sont de signe opposé à ceux
Tableau 13 : impact des innovations organisationnelles sur l'évolution des stocks de matières
Innovations
Constante Taux de croissance organisationnelles R2
de la production
Pures Globales
Taux de croissance des stocks de matières 0,05 1,06 -0,04 -0,05 0,16
(3,2) (28,1) (-2,4) (-2,5)
Les chiffres entre parenthèses sont les statistiques de Student.
Les taux de croissance concernent la période 1985-1988. L'estimation incorpore des indicatrices sectorielles (nomenclature en 40 secteurs).

52
Encadré 2 : l'équation économétrique d'efficacité l'intersection de cette enquête et de l'enquête
de la recherche et développement ' Recherche et développement. La variable à expliquer
est le chiffre d'affaires de l'entreprise en produits
L'efficacité de la recherche et développement est mesurée innovants, fourni par la réponse à l'enquête Innovation.
par la relation entre le chiffre d'affaires en produits Les variables explicatives sont le capital de recherche
innovants et le capital de recherche et développement. Les et développement de l'entreprise, sa taille (plus ou
variables utilisées sont les suivantes. moins de 500 salariés) et la réalisation ou non
- Le chiffre d'affaires en produits innovants (exprimé en d'innovations organisationnelles pures ou globales
logarithme) est le produit du chiffre d'affaires par la (encadré 2). Deux modèles ont été estimés qui diffèrent
réponse donnée par l'entreprise à la question de l'enquête dans la manière dont les indicatrices d'innovation
Innovation sur la part du chiffre d'affaires réalisée en organisationnelles sont introduites, soit en effet direct,
produits innovants. Du fait que la réponse à cette question soit en effet croisé avec le capital de recherche. Il
est une variable discrète (l'entreprise devait se positionner apparaît que celles-ci ont une influence significative et
dans l'un des quatre intervalles proposés : 0-10 %,
10-30 %, 30-70 %, 70-100 %), le modèle estimé est de positive sur le chiffre d'affaires en produits innovants
type polytomique ordonné. Le chiffre d'affaires est celui (cf. tableau 14). Les firmes ayant réalisé des
de 1990. innovations organisationnelles connaissent donc plus
- Le capital de recherche et développement (exprimé en de succès lorsqu'elles introduisent leurs nouveaux
logarithme) est la somme des dépenses en recherche et produits sur le marché. De plus, l'impact des
développement de l'entreprise, cumulées de 1984 à 1988, innovations organisationnelles globales est beaucoup
en prenant en compte un certain déclassement. plus fort et plus significatif que celui des innovations
- Une variable indicatrice de la taille classe les entreprises organisationnelles pures.
selon leur effectif (le seuil est à 500 salariés).
- Les innovation organisationnelles {Orgpure et
Orgloba) sont prises en compte soit directement Cette productivité apparente de la recherche plus
(équation 2), soit par leur effet sur l'élasticité au capital de élevée peut provenir de plusieurs étapes du processus
recherche et développement (équation 3). d'innovation. L'effet des innovations
organisationnelles pures traduit une plus grande capacité du
département de la production à maîtriser des procédés
communication dense ont vu leur ratio de stocks de nouveaux (reposant sur des équipements plus
produits intermédiaires et finis diminuer plus que celui modernes) associés aux produits nouveaux que
des autres entreprises entre 1984 et 1987 (cf. propose le laboratoire de recherche. L'effet des
tableau 11). Quant aux entreprises qui ont introduit des innovations organisationnelles globales est sans doute
innovations organisationnelles (pures ou associées aux plus complexe, puisque celles-ci concernent
innovations commerciales), elles ont connu une l'ensemble de l'entreprise. Le modèle de "liaison en
moindre évolution de leurs stocks de matières, à taux chaîne" (Kline et Rosenberg, 1986) fournit un schéma
de croissance de la production donné, par rapport aux explicatif adéquat. Il montre que des liaisons plus
autres entreprises^ (cf. tableau 13).Cela tendrait à étroites entre départements de vente, de production et
accréditer la thèse de Lorino selon laquelle une de recherche permettent la mise au point à moindres
meilleure circulation de l'information permet une coûts de biens mieux adaptés à la demande et plus
optimisation plus globale des flux dans l'entreprise, faciles à produire. Cette densification des liens entre
dont la réduction des ratios de stocks est la services est obtenue au moyen de changements
manifestation. organisationnels importants comme la constitution de
groupes de projets, ou la circulation systématique des
personnels entre services. La mobilité des personnels
Le dernier domaine de performance exploré est que nous avons calculée (renouvellement de
l'efficacité de l'activité de recherche. La source qui a l'allocation des personnels aux tâches) est
été mobilisée pour quantifier cette activité est l'enquête effectivement plus grande dans les entreprises ayant
Recherche et développement, conduite chaque année réalisé des innovations organisationnelles globales
par le ministère de la Recherche. La mesure de (tableau 8). Celles-ci ont aussi plus modifié les produits
l'organisation issue de l'enquête Techniques et qu'elles offrent et leurs réseaux commerciaux. Elles
organisation du travail n'a pas été utilisée ici car un semblent donc s'approcher d'un tel modèle de liaison
nombre très réduit d'entreprises appartiennent à en chaîne.
Tableau 14 : impact des innovations organisationnelles sur l'efficacité de la recherche
Constante Capital de R et D Effets croisés Innovations organisationnelles Log-vraisemblance
Taille (KR) Orgpure .KR Orgloba .KR Orgpure Orgloba
3,66 0,87 0,67 -551,43
(7,6) (4,8) (13,8)
3,73 0,81 0,65 0,37 0,86 -542,08
(7,9) (4,5) (13,6) (2,1) (4,0)
4,02 0,82 0,62 0,03 0,08 -542,19
(8,4) (4,6) (12,7) (2,1) (4,1)
La variable expliquée est le chiffre d'affaires en produits innovants. Les chiffres entre parenthèses sont les statistiques de Student.

53
techniques, en favorisant l'apprentissage. Ces deux
Résumé et conclusion formes d'innovations organisationnelles semblent
permettre une gestion plus rigoureuse des
stocks-matières.
L'objet de cette étude était de caractériser
l'organisation du travail et ses transformations dans les
entreprises industrielles françaises, et de la mettre en Au total, l'étude montre que les efforts des entreprises
rapport avec la technologie et les performances. Une en matière d'organisation (innover dans l'organisation,
démarche statistique a été suivie, complémentaire des instaurer une communication plus intense) semblent
nombreuses études monographiques existant sur ce répondre à deux objectifs. D'une part ils visent à créer
sujet. Deux sources différentes ont été mobilisées : les conditions d'un apprentissage, individuel et
collectif, face à un environnement technologique
l'enquête Techniques et organisation du travail, fortement changeant. D'autre part ils visent à densifier
réalisée auprès des salariés en 1987 (1 500 ouvriers)
d'une part, et d'autre part l'enquête Innovation les liens entre les services de l'entreprise de façon à
effectuée auprès des entreprises en 1991 (7 000 mieux s'adapter à des marchés eux aussi changeants,
par l'innovation technologique (adapter les produits à
entreprises). la demande) et par la réduction des stocks (adapter la
quantité produite à la quantité demandée à chaque
L'étude montre l'existence de grandes différences dans instant).
l'organisation du travail parmi les entreprises, qui
tiennent principalement aux technologies utilisées.
Deux dimensions discriminantes sont mises en Les données n'ont pas permis de répondre directement
évidence, l'intensité de la communication et le degré à la question initiale sur l'émergence et la diffusion
d' autonomie (par rapport à la hiérarchie d'une part, aux d'un nouveau style de gestion. Cependant, nous avons
contraintes techniques d'autre part). Les . entreprises pu montrer la correspondance entre certaines
dans lesquelles la communication est plus intense sont caractéristiques de ce nouveau style de gestion et
aussi celles qui ont la main-d'œuvre la plus qualifiée et l'utilisation de nouvelles technologies. La diffusion de
qui utilisent le plus de matériels modernes, ces technologies devrait logiquement stimuler le
automatisés ; la communication y apparaît comme un développement de ces dispositifs connexes
moyen pour l'apprentissage de la maîtrise de ces d'organisation. De plus, l'effet positif des nouvelles
technologies. Cette thèse est validée par l'estimation formes d'organisation sur la gestion des stocks et
d'une fonction de production, qui montre que l'innovation technologique suggère que la flexibilité,
l'intensité de la communication accroît l'efficacité du que ce soit de court ou de moyen terme, est un but
travail
s' estompant
mais détériore
avec l'âge
celle dudescapital,
équipements.
ce dernier effet
Une central des changements organisationnels actuels.
Globalement, le schéma présenté dans notre
communication plus intense permet également une introduction est plutôt confirmé par l'analyse
réduction plus forte du ratio de stocks-produits. statistique, malgré la diversité des situations réelles des
entreprises.
Les entreprises ayant déclaré, dans l'enquête
Innovation, avoir réalisé des innovations
organisationnelles liées à l'innovation technologique Enfin, la mise en évidence d'un effet ambigu des
entre 1986 et 1990 sont au nombre de 3 000. Deux types nouvelles technologies sur la productivité des
d'innovations organisationnelles apparaissent. Les entreprises, lié au besoin d'une phase d'apprentissage,
innovations organisationnelles accompagnées peut être rattachée au paradoxe (macro-économique)
d'innovations commerciales sont associées plus de la productivité. Ce terme désigne le décalage
fréquemment à des innovations technologiques observé entre une accélération apparente dans le
radicales et de produits. Les innovations changement technologique et le ralentissement mesuré
organisationnelles "pures" sont plutôt liées à des de la productivité au cours des vingt dernières années.
innovations progressives de procédés. La première Notre résultat portant sur l'effet d'apprentissage induit
forme concerne l'organisation globale de l'entreprise, par l'introduction de nouvelles technologies va dans le
est liée à l'investissement immatériel et entraîne sens de l'analyse de David (1990) qui établit un
d'importants changements dans l'affectation des parallèle entre les effets de la dynamo au début du XXe
personnels aux tâches. Elle permet une plus grande siècle et ceux de l'ordinateur aujourd'hui. Dans les
efficience de l'activité innovatrice de l'entreprise deux cas, le potentiel de productivité d'une technologie
(traduction de l'effort de recherche-développement en radicalement nouvelle ne peut être obtenu
chiffre d'affaires en produits innovants) par une instantanément. Un certain délai est requis pour que le
densification des liens entre services : ventes, processus d'apprentissage génère les gains de
recherche, production. La seconde forme est plus productivité attendus. Selon cette thèse, ordinateurs et
restreinte à l'atelier et liée à l'investissement matériel. robots seraient au cœur du ralentissement de la
Elle a des effets sur la fonction de production identiques productivité, dans la mesure où leur nouveauté crée le
à ceux de la communication dans la partie précédente besoin d'un renouvellement profond des qualifications
de l'étude, et vise donc vraisemblablement à adapter de la main-d'œuvre et du savoir-faire lié à la
l'organisation de l'atelier à des changements production.

54
X-Efficiency (Leibenstein, 1966) qui insiste sur l'importance de
Notes la qualité de la gestion dans la détermination de productivité.
(17) En toute rigueur, il aurait fallu la tester sur 1990, puisque
les innovations organisationnelles déclarées par les entreprises
(1) Les coûts de stockage se décomposent en plusieurs concernent la période 1986-1990. Nous avons choisi 1988 car
éléments : coûts physiques (coût d'usage des entrepôts), coûts c'est l'année la plus récente pour laquelle nous disposons de
de main-d'oeuvre (tenue des stocks, manutention...), coûts l'ensemble des données nécessaires. Le fait que malgré cette
financiers (intérêts sur le capital immobilisé) et coûts de qualité limite les résultats soient, pour beaucoup, significatifs, en est
(détériorations lors du stockage, obsolescence du stock). d'autant plus intéressant.
(2) Lorsque nous nous référons dans le texte aux technologies (18) Pour interpréter les résultats, nous devons supposer que les
avancées ou aux nouvelles technologies, il s'agit plus entreprises qui ont modifié leur organisation ont une
précisément des équipements automatisés ou incorporant des organisation différente de celles qui n'ont pas réalisé
technologies de l'information. d'innovations organisationnelles.
(3) Des exceptions notables sont Woodward (1965), Lincoln, (19) Traduction des auteurs.
Hanada et McBride (1986). Une revue de la littérature liant (20) Estimation effectuée par Bruno Crépon, Insee.
l'organisation avec la technologie se trouve dans Scott (1990). (21) Dans la première estimation (enquête Techniques et
(4) On peut noter cependant l'effort de Miller et Friesen (1984) organisation du travail) aucun effet significatif ne ressort de
dans ce sens. l'estimation portant sur les stocks de matières, alors que dans la
(5) Une présentation générale des résultats de l'enquête seconde (enquête Innovation), c'est l'estimation sur les stocks
Techniques et organisation du travail se trouve dans l'article de de produits et d' encours de production qui ne fait pas ressortir
Gollac (1989). Cette enquête a été répétée en 1993. d'influence spécifique des variables organisationnelles. Cela
(6) Les résultats généraux de l'enquête Innovation sont peut s'expliquer par des différences d'échantillons (qui sont en
présentés dans l'article d'Auzeby et François (1992). partie contrôlées par des indicatrices sectorielles) et par la
(7) Un test statistique effectué sur la population des ouvriers spécificité des variables d'organisation utilisées dans chacune
appartenant à des firmes où plus de 5 personnes ont été des estimations. De plus, il aurait été intéressant de distinguer
interrogées (48 firmes) montre que l'appartenance à une même les stocks de produits intermédiaires des stocks de produit final,
entreprise a une influence plus forte sur les réponses à l'enquête ce qui n'est pas possible avec la source utilisée.
que des caractéristiques individuelles telles que l'âge,
l'ancienneté ou la qualification. Il est raisonnable de supposer
que ce résultat est également valable pour les autres répondants.
(8) Nous avons laissé de côté un quatrième domaine, lié aux
incitations, afin de nous concentrer sur la nature et le contenu
du travail.
(9) C'est la raison pour laquelle cette communication sera
intitulée "communication multilatérale" dans la suite du texte.
(10) II ne s'agit cependant pas d'une preuve puisqu'une
corrélation positive est une condition nécessaire mais non
suffisante pour qu'il y ait complémentarité.
(11) Nous avons utilisé les données sur des comptes des
entreprises issues des déclarations des bénéfices industriels et
commerciaux (BIC) et des données sur la main-d'œuvre issues
de l'enquête Structure des emplois (ESE).
(12) Traduction des auteurs.
(13) On pourrait penser à une troisième interprétation, qui serait
que les technologies avancées réduisent le coût de la
communication par rapport aux autres activités, améliorant les
performances de la firme. Un tel résultat est montré
théoriquement par Bolton et Dewatripont (1992). Cette
explication ne contredit pas les deux précédentes, mais elle est
incomplète puisque la plus grande part de l'investissement en
nouvelles technologies dans l'industrie n'est pas consacrée à
communication (robots par exemple).
(14) Du fait du libellé de la question portant sur les innovations
organisationnelles (innovations organisationnelles liées à
l'innovation technologique), n'ont été retenues que les
entreprises qui ont introduit au moins une innovation de produit
ou de procédé. On obtient, suite à cette restriction et aux
appariements avec les données BIC et celles de l'ESE, un
échantillon de 7 089 entreprises représentant les deux tiers de
la valeur ajoutée du champ.
(15) Cet indicateur reflète l'inexpérience des salariés dans le
poste qu'ils occupent ou leur position moyenne sur la courbe
d'apprentissage. Il peut aussi refléter une inexpérience
collective, née de changements profonds de la répartition du
travail au sein de l'entreprise.
(16) L'introduction de variables d'organisation dans une
fonction de production est dans la tradition issue de la

55
Ministère du Travail (1991). Changer le travail.
Bibliographie Mintzberg H. (1979). The Structuring of Organizations: a
Synthesis of Research, Prentice Hall.
Scott W. R. (1990). "Technology and Structure: an
Aoki M. (1986). "Horizontal vs Vertical Information Structure Organizational Level Perspective", in P. S. Goodman et L. S.
of the Firm", The American Economic Review, vol. 76, n°5, Sproull eds, Technology and Organization, Jossey-Bass,
pp. 971-983. pp. 109-143.
Auzeby F., François J.P. (1992). "L'innovation technologique Weick K. E. (1990). "Technology as Equivoque: Sensemaking
dans l'industrie", Le 4 pages des statistiques industrielles, in New Technologies", in P. S. Goodman et L. S. Sproull eds,
n°101, Sessi, Paris. Technology and Organization, Jossey-Bass, pp. 1-44.
Berry M. (1988). "Pour une automatisation raisonnable de Womack J.P., Jones D.T., Roos D. (1990). The Machine that
l'industrie", Annales des Mines, numéro spécial, janvier, Changed the World, Rawson Associates.
pp. 11-19. Woodward J. (1965). Industrial Organization; Theory and
Bolton P., Dewatripont M. (1992). "The Firm as a Practice, London, Oxford University Press.
Communication Network", LSE Discussion Paper, TE/92/256.
Boyer R. (1991). "New Directions in Management Practices
and Work Organization", mimeo, Cepremap.
Bultel J. (1984). "Flexibilité de production et rentabilité des
investissements, l'exemple de la robotisation de l'assemblage
tôlerie en soudage par points", Revue d'Économie industrielle,
n°26, 4e trimestre, pp. 1-13.
Cette G., Joly P. (1984). "La productivité industrielle en crise :
une interprétation", Économie et Statistique, n°166, pp. 3-24.
David P. (1990). "The Dynamo and the Computer: An
Historical Perspective on the Modem Productivity Paradox",
The American Economie Review Papers and Procedings,
pp. 355-361.
Galbraith J. (1973). Designing Complex Organization,
Addison-Wesley, Reading.
Gerwin D., Tarondeau J.C. (1984). "La flexibilité dans les
processus de production : le cas de l'automobile", Revue
française de Gestion, août, pp. 37-46.
Gerwin D., Tarondeau J.C. (1986). "L'usine réinventée",
Revue française de Gestion, n°56-57, mars-avril, pp. 150-156.
Gollac M. (1989). "Les dimensions de l'organisation du
travail", Économie et Statistique, n°224, pp. 27-44.
Greenan N., Guellec D. (1994). "Coordination within the Firm
and Endogenous Growth", Industrial and Corporate Change,
vol.3, n°l, pp. 173-198.
Kern H., Schumann M. (1989). Lafin de la division du travail,
Paris, Maison des Sciences de l'Homme.
Kline S.J., Rosenberg N. (1986). "An Overview of
Innovation", in R. Landau et N. Rosenberg eds, The Positive
Sum Strategy, Academy of Engineering Press.
Leibenstein H. (1966). "Allocative Efficiency vs
"X-Efficiency"", The American Economic Review, vol. 56,
pp. 392-415.
Lincoln J.R., Hanada M., McBride K. (1986).
"Organizational Structures in Japanese and US Manufacturing",
Administrative Science Quarterly, vol. 31, pp. 338-364.
Lorino P. (1987). "Les systèmes socio-économiques : une
nouvelle micro-économie ?", Revue d'Économie industrielle,
n°42, 4e trimestre, pp. 31-47.
Magaud J., Sujita K. (1992). "France-Japon : un produit, deux
façons de faire", Dossier de Recherche, n°43, Centre d'études
de l'Emploi.
Mairesse J., Sassenou M. (1989). "Les facteurs qualitatifs de
la productivité des entreprises : un essai d'estimation",
Économie et Prévision, n°91, pp. 35-42.
Midler C. (1988). " De l'automatisation à la modernisation, les
transformations de l'industrie automobile. Premier épisode :
une expérience novatrice chez Renault", Annales des Mines,
n°13.
Miller D., Friesen P. H. (1984). Organisations: A Quantum
View, Prentice Hall.

56

Vous aimerez peut-être aussi