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Épreuve orale anticipée de français

Session 2024

Récapitulatif

Année scolaire 2023-2024

Lycée Descartes - Rabat (Maroc)

Nom et prénom du candidat : ………………………………………………

Voie : Générale

Mention particulière à l’attention de l’examinateur

Tous les points de grammaire ont été traités.

1
PREMIERE PARTIE DE L’ÉPREUVE ORALE :
EXPOSÉ SUR UN DES TEXTES DU RÉCAPITULATIF

Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle


Œuvre intégrale : Cahiers de Douai, Rimbaud (1870-71)
Parcours associé : « Emancipations créatrices »

Textes ou passages travaillés dans l’œuvre intégrale :

• « Vénus anadyomène »
• « Le Mal »
• « Ma Bohème »

Texte travaillé dans le cadre du parcours associé à l’étude de l’œuvre intégrale :

• Ponge, « Le Pain », Le Parti pris des choses (1942)

Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Le Malade imaginaire, Molière (1673)


Parcours associé : « Spectacle et comédie »

Textes ou passages travaillés dans l’œuvre intégrale :

• Toinette renâcle à obéir à son maître, début de la scène 2, I.


• Imprécations du docteur Purgon, fin de la scène 5, III
• Débat sur la médecine et la comédie, extrait de la scène 3, III

Textes ou passages travaillés dans le cadre du parcours associé à l’étude de l’œuvre


intégrale :

• Ionesco, Le Roi se meurt (1962), extrait

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Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
Œuvre intégrale : Sido et Les Vrilles de la Vigne, Colette (respectivement 1932 et 1908).
Parcours associé : « La Célébration du monde »

Textes ou passages travaillés dans l’œuvre intégrale :

• « Célébration du pays natal » (« Jour gris », Les Vrilles de la vigne)


• « L’enfance retrouvée » (« Sido », Sido)
• « La fable du rossignol » (« Les Vrilles de la vigne », Les Vrilles de la vigne)

Textes ou passages travaillés dans le cadre du parcours associé à l’étude de l’œuvre


intégrale :

• Romain Gary, La Promesse de l’aube (1960), extrait du chapitre 4

3
SECONDE PARTIE DE L’ÉPREUVE ORALE : PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE CHOISIE PAR LE
CANDIDAT PARMI CELLES QUI ONT ÉTÉ ÉTUDIÉES EN CLASSE OU PROPOSÉES PAR
L’ENSEIGNANT AU TITRE DES LECTURES CURSIVES OBLIGATOIRES, ET ENTRETIEN AVEC
L’EXAMINATEUR

Liste des œuvres lues en lecture cursive :

Nombre de candidats
Objets d’étude Œuvres lues en lecture cursive qui ontchoisi l’œuvre
à l’examen

La poésie du XIXe • Un Certain Plume, Henri Michaux (1930) ⭢


siècle auXXIe
siècle
La littérature • Que sur toi se lamente le Tigre, Emilienne Malfatto (2020) ⭢
d’idées du XVIe
siècle au XVIIIe • Les Etoiles de Sidi Moumen, Mahi Binebine (2010)
siècle
Le roman et lerécit • La Civilisation, ma mère ! Driss Chraïbi (1972) ⭢
du MoyenÂge au
XXIe siècle • La Promesse de l’aube, Romain Gary (1960)

Le théâtre du • Art, Yasmina Reza (1994) ⭢


XVIIe siècle au
XXIe siècle • Le Dieu du carnage, Yasmina Reza (2007) ⭢
• Le Roi se meurt, Eugène Ionesco (1962) ⭢
• Ubu Roi, Alfred Jarry (1895)

• Le Bal des voleurs, Jean Anouilh (1938)

Œuvre choisie par le candidat :

NB. Ce cadre n’est rempli par le candidat que sur sa version


personnelle du récapitulatif qu’il apporte à l’examen.

Signature du professeur Cachet de l’établissement

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Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Cahiers de Douai, Rimbaud (1870-1871)


Parcours associé : « Emancipations créatrices »

« Vénus Anadyomène », Cahiers de Douai (1870)

Comme d'un cercueil vert en fer blanc, une tête


De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;

5 Puis le col gras et gris, les larges omoplates


Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût


10 Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la loupe...

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;


- Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.

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Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
Œuvre intégrale : Cahiers de Douai, Rimbaud (1870-1871)
Parcours associé : « Emancipations créatrices »

« Le Mal », Cahiers de Douai (1870-1871)

Tandis que les crachats rouges de la mitraille


Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ;
Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;

5 Tandis qu'une folie épouvantable broie


Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
- Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !… –

Il est un Dieu qui rit aux nappes damassées


10 Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,

Et se réveille, quand des mères, ramassées


Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

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Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Cahiers de Douai, Rimbaud (1870-1871)


Parcours associé : « Emancipations créatrices »

« Ma Bohème » (Fantaisie), Cahier de Douai (1870)

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;


Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

5 Mon unique culotte avait un large trou.


– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


10 Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

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Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Cahiers de Douai, Rimbaud (1870-1871)


Parcours associé : « Emancipations créatrices »

« Le Pain », Le parti pris des choses (1942), Francis Ponge

La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique
qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la
Cordillère des Andes.

Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire,
où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... Et tous ces plans
dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses
feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.

Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges :
feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois.
Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des
autres, et la masse en devient friable...

Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de
consommation.

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Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Molière, Le Malade imaginaire (1673) / Parcours : « Spectacle et comédie »

ACTE I, SCÈNE 2

TOINETTE, en entrant dans la chambre. - On y va.


ARGAN - Ah, chienne ! ah, carogne... !
TOINETTE, faisant semblant de s'être cogné la tête. - Diantre soit fait de votre impatience ! vous pressez si
fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d'un volet.
5 ARGAN, en colère. - Ah ! traîtresse... !
TOINETTE, pour l'interrompre et l'empêcher de crier, se plaint toujours en disant. - Ha !
ARGAN - Il y a...
TOINETTE - Ha !
ARGAN - Il y a une heure...
10 TOINETTE - Ha !
ARGAN - Tu m'as laissé...
TOINETTE - Ha !
ARGAN - Tais-toi donc, coquine, que je te querelle.
TOINETTE - Çamon, ma foi ! j'en suis d'avis, après ce que je me suis fait.
15 Argan - Tu m'as fait égosiller, carogne.
TOINETTE - Et vous m'avez fait, vous, casser la tête : l'un vaut bien l'autre ; quitte à quitte, si vous voulez.
ARGAN - Quoi ? coquine...
TOINETTE - Si vous querellez, je pleurerai.
ARGAN - Me laisser, traîtresse...
20 TOINETTE, toujours pour l'interrompre - Ha !
ARGAN - Chienne, tu veux...
TOINETTE - Ha !
ARGAN - Quoi ? il faudra encore que je n'aye pas le plaisir de la quereller.
TOINETTE - Querellez tout votre soûl, je le veux bien.
25 ARGAN - Tu m'en empêches, chienne, en m'interrompant à tous coups.
TOINETTE - Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que, de mon côté, j'aye le plaisir de pleurer :
chacun le sien, ce n'est pas trop. Ha !
ARGAN - Allons, il faut en passer par là. Ote-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. (Argan se lève de sa chaise.)
Mon lavement d'aujourd'hui a-t-il bien opéré ?
30 TOINETTE - Votre lavement ?
ARGAN - Oui. Ai-je bien fait de la bile ?
TOINETTE - Ma foi ! je ne me mêle point de ces affaires-là : c'est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez,
puisqu'il en a le profit.
ARGAN - Qu'on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l'autre que je dois tantôt prendre.
35 TOINETTE - Ce Monsieur Fleurant-là et ce Monsieur Purgon s'égayent bien sur votre corps ; ils ont en vous
une bonne vache à lait ; et je voudrois bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes.

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Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Molière, Le Malade imaginaire (1673) / Parcours : « Spectacle et comédie »

ACTE III, SCENE 5

MONSIEUR PURGON. - Puisque vous vous êtes soustrait de l'obéissance que l'on doit à son médecin…
TOINETTE. - Cela crie vengeance.
MONSIEUR PURGON. - Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je vous ordonnais…
ARGAN. - Hé point du tout.
MONSIEUR PURGON. - J'ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à l'intempérie
de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l'âcreté de votre bile, et à la féculence de vos humeurs.
TOINETTE. - C'est fort bien fait.
ARGAN. - Mon Dieu!
MONSIEUR PURGON. - Et je veux qu'avant qu'il soit quatre jours, vous deveniez dans un état incurable.
ARGAN. - Ah! Miséricorde !
MONSIEUR PURGON. - Que vous tombiez dans la bradypepsie.
ARGAN. - Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON. - De la bradypepsie, dans la dyspepsie.
ARGAN. - Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON. - De la dyspepsie, dans l'apepsie.
ARGAN. - Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON. - De l'apepsie, dans la lienterie…
ARGAN. - Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON. - De la lienterie, dans la dysenterie…
ARGAN. - Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON. - De la dysenterie, dans l'hydropisie…
ARGAN. - Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON. - Et de l'hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura conduit votre folie.

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Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Molière, Le Malade imaginaire (1673) / Parcours : « Spectacle et comédie »

Extrait III, 3 : Débat sur la médecine et la comédie.

BÉRALDE. - Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands médecins.
Entendez-les parler : les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire : les plus ignorants de tous les hommes.

ARGAN. – Hoy ! Vous êtes un grand docteur, à ce que je vois, et je voudrais qu’il y eût ici quelqu’un de ces
messieurs pour rembarrer vos raisonnements et rabaisser votre caquet.

BÉRALDE. - Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine ; et chacun, à ses périls et
fortune, peut croire tout ce qu’il lui plaît. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et j’aurais souhaité de pouvoir
un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes ; et pour vous divertir vous mener voir sur ce chapitre quelqu’une
des comédies de Molière.

ARGAN. - C’est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies, et je le trouve bien plaisant d’aller
jouer d’honnêtes gens comme les médecins.

BÉRALDE. - Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine.

ARGAN. - C’est bien à lui à faire de se mêler de contrôler la médecine ; voilà un bon nigaud, un bon
impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s’attaquer au corps des médecins, et d’aller
mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces messieurs-là.

BÉRALDE. - Que voulez-vous qu’il y mette, que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous
les jours les princes et les rois, qui sont d’aussi bonne maison que les médecins.

ARGAN. - Par la mort non de diable ! si j’étais que des médecins, je me vengerais de son impertinence ; et
quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerais
pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement ; et je lui dirais : « Crève, crève ! cela t’apprendra
une autre fois à te jouer à la Faculté. »

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Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Molière, Le Malade imaginaire (1673) / Parcours : « Spectacle et comédie »

Le Roi se meurt, Ionesco (1962), extrait.

LE ROI. J’ordonne que des arbres poussent du plancher. (Pause) J’ordonne que le toit disparaisse. (Pause)
Quoi ? Rien ? J’ordonne qu'il y ait la pluie. (Pause. Toujours rien ne se passe) J’ordonne qu’il y ait la foudre
et que je la tienne dans ma main. (Pause) J’ordonne que les feuilles repoussent. (Il va à la fenêtre.) Quoi !
Rien ? J'ordonne que Juliette entre par la grande porte. (Juliette entre par la petite porte au fond à droite.) Pas
par celle-là, par celle-ci. Sors par cette porte. (Il montre la grande porte. Elle sort par la petite porte, à droite,
en face. A Juliette.) J’ordonne que tu restes. (Juliette sort) J’ordonne qu’on entende les clairons. J’ordonne
que les cloches sonnent. J’ordonne que cent vingt et un coups de canon se fassent entendre en mon
honneur. (Il prête l’oreille) Rien !... Ah, si ! J’entends quelque chose.

LE MÉDECIN. Ce n’est que le bourdonnement de vos oreilles, Majesté.

MARGUERITE, au Roi. N’essaye plus. Tu te rends ridicule.

MARIE, au Roi. Tu te fatigues trop mon petit Roi. Ne désespère pas. Tu es plein de sueur. Repose-toi un peu.
Nous allons recommencer tout à l’heure. Nous réussirons dans une heure.

MARGUERITE, au Roi. Tu vas mourir dans une heure vingt-cinq minutes.

LE MÉDECIN. Oui, Sire. Dans une heure vingt-quatre minutes cinquante secondes.

LE ROI, à Marie. Marie!

MARGUERITE. Dans une heure vingt-quatre minutes quarante et une secondes. (Au Roi.) Prépare-toi.

MARIE. Ne cède pas.

MARGUERITE, à Marie. N’essaye plus de le distraire. Ne lui tends pas les bras. Il est déjà sur la pente, tu ne
peux plus le retenir. Le programme sera exécuté point par point.

LE GARDE, annonçant. La cérémonie commence!

Mouvement général. Mise en place de cérémonie. Le Roi est sur le trône, Marie à ses côtes.

LE ROI. Que le temps retourne sur ses pas.

MARIE. Que nous soyons il y a vingt ans.

LE ROI. Que nous soyons la semaine dernière.

MARIE. Que nous soyons hier soir. Temps retourne, temps retourne ; temps, arrête-toi.
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Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Colette, Sido (1932), Les Vrilles de la vigne (1908) / Parcours : « La Célébration du
monde »

« Célébration du pays natal » (« Jour gris », Les Vrilles de la vigne)

Et si tu arrivais, un jour d’été dans mon pays, au fond d’un jardin que je connais, un jardin
noir de verdure et sans fleurs, – si tu regardais bleuir, au lointain une montagne ronde où les
cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu
m’oublierais, et tu t’assoirais là, pour n’en plus bouger jusqu’au terme de ta vie !
5 Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir,s’étire et flotte
un fil de brouillard, un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de brume couché sur
l’air humide… Animé d’un lent mouvement d’onde, il se fond en lui-même et se fait tour à
tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de chimère… Si tu restes trop
tard penché vers lui sur l’étroite vallée, à boire l’air glacé qui porte ce brouillard vivant comme
10 une âme, un frisson te saisira, et toute la nuit tes songes seront fous…
Écoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un petit
chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d’un rose brûlant, tu croirais gravir le sentier
enchanté qui mène hors de la vie… Le chant bondissant des frelons fourrés de velours t’y
entraîne et bat à tes oreilles commele sang même de ton cœur, jusqu’à la forêt, là-haut, où finit
15 le monde… C’est une forêt ancienne, oubliée des hommes… et toute pareille au paradis,
écoute bien, car…
Comme te voilà pâle et les yeux grands ! Que t’ai-je dit ? Je ne sais plus… je parlais, je
parlais de mon pays, pour oublier la mer et le vent… Te voilà pâle, avec des yeux jaloux…
Tu me rappelles à toi, tu me sens si lointaine… Il faut que je refasse le chemin, il faut qu’une
20 fois encore j’arrache de mon pays, toutes mes racines qui saignent…
Me voici ! de nouveau je t’appartiens. Je ne voulais qu’oublier le vent et la mer. J’ai parlé
en songe… Que t’ai-je dit ? Ne le crois pas ! Je t’ai parlé sans doute d’un pays de merveilles,
où la saveur de l’air enivre ?... Ne le crois pas ! N’y va pas : tu le chercherais en vain. Tu ne
verrais qu’une campagne un peu triste, qu’assombrissent les forêts, un village paisible et
25 pauvre, une vallée humide, une montagne bleuâtre et nue qui ne nourrit pas même les
chèvres…

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Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Colette, Sido (1932), Les Vrilles de la vigne (1908) / Parcours : « La Célébration du
monde »

« L’enfance retrouvée » (Sido, extrait du chapitre 1 « Sido »).

Il y avait dans ce temps-là de grands hivers, de brûlants étés. J’ai connu, depuis, des étés dont
la couleur, si je ferme les yeux, est celle de la terre ocreuse, fendillée entre les tiges du blé et sous la
géante ombelle du panais sauvage, celle de la mer grise ou bleue. Mais aucun été, sauf ceux de mon
enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales. Aucun hiver n’est
5 d’un blanc plus pur à la base d’un ciel bourré de nues ardoisées, qui présageaient une tempête de flocons
plus épais, puis un dégel illuminé de mille gouttes d’eau et de bourgeons lancéolés... Ce ciel pesait sur
le toit chargé de neige des greniers à fourrage, le noyer nu, la girouette, et pliait les oreilles des chattes...
La calme et verticale chute de neige devenait oblique, un faible ronflement de mer lointaine se levait
sur ma tête encapuchonnée, tandis que j’arpentais le jardin, happant la neige volante... Avertie par ses
10 antennes, ma mère s’avançait sur la terrasse, goûtait le temps, me jetait un cri :
– La bourrasque d’Ouest ! Cours ! Ferme les lucarnes du grenier !... La porte de la remise aux
voitures !... Et la fenêtre de la chambre du fond !
Mousse exalté du navire natal, je m’élançais claquant des sabots, enthousiasmée si du fond de la
mêlée blanche et bleu noir, sifflante, un vif éclair, un bref roulement de foudre, enfants d’Ouest et de
15 Février, comblaient tous deux un des abîmes du ciel... Je tâchais de trembler, de croire à la fin du
monde.
Mais dans le pire fracas ma mère, l’œil sur une grosse loupe cerclée de cuivre, s’émerveillait,
comptant les cristaux ramifiés d’une poignée de neige qu’elle venait de cueillir aux mains même de
l’Ouest rué sur notre jardin...

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Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Colette, Sido (1932), Les Vrilles de la vigne (1908) / Parcours : « La Célébration du monde »

« La fable du rossignol » (Les Vrilles de la vigne, « Les Vrilles de la vigne »).

Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête
inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes
et tenaces, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si drues, cette
nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes…
Il crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne
plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient.
Dès la nuit suivante, il chanta, pour se tenir éveillé :

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse,


Je ne dormirai plus !
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Il varia son thème, l’enguirlanda de vocalises, s’éprit de sa voix, devint ce chanteur éperdu, enivré et
haletant, qu’on écoute avec le désir insupportable de le voir chanter.
J’ai vu chanter un rossignol sous la lune, un rossignol libre et qui ne se savait pas épié. Il s’interrompt
parfois, le col penché, comme pour écouter en lui le prolongement d’une note éteinte… Puis il reprend de
toute sa force, gonflé, la gorge renversée, avec un air d’amoureux désespoir. Il chante pour chanter, il chante
de si belles choses qu’il ne sait plus ce qu’elles veulent dire. Mais moi, j’entends encore à travers les notes
d’or, les sons de flûte grave, les trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux, j’entends encore le
premier chant naïf et effrayé du rossignol pris aux vrilles de la vigne :

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Cassantes, tenaces, les vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon printemps je
dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais j’ai rompu, d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui
déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières,
j’ai craint les vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a révélé ma voix…

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Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Colette, Sido (1932), Les Vrilles de la vigne (1908) / Parcours : « La Célébration du monde »

Romain Gary, La Promesse de l’aube (1960), extrait du chapitre 4

Il n’est pas bon d’être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes.

On croit que c’est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte

là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube

une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de

5 ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son

cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère

comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se

referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au

courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend,

10 vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages. Vous

avez fait, dès la première lueur de l’aube, une étude très serrée de l’amour et vous avez sur vous

de la documentation. Partout où vous allez, vous portez en vous le poison des comparaisons et

vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu. Je ne dis pas qu’il faille empêcher

les mères d’aimer leurs petits. Je dis simplement qu’il vaut mieux que les mères aient encore

15 quelqu’un d’autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n’aurais pas passé ma vie à mourir

de soif auprès de chaque fontaine. Malheureusement pour moi, je me connais en vrais diamants.

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