COLLEGE - 4 Nouvelles de Maupassant

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Collection COLLÈGE dirigée par

Cécile de Cazanove
Agrégée de Lettres modernes

Guy de Maupassant

XIXe siècle

Livret de l’enseignant

Édition présentée par


Véronique Joubert-Fouillade
Agrégée de Lettres modernes

© Nathan 2008 - www.carresclassiques.com


sommaire

Avant-propos ..................................................................................................... 3

Organisation de la séquence ......................................................... 4

Réponses aux questions ...................................................................... 7


◗ Pause lecture 1 ................................................................................................ 7
◗ Pause lecture 2 ................................................................................................ 12
◗ Pause lecture 3 ................................................................................................ 17
◗ Pause lecture 4 ................................................................................................ 22
◗ Vers le brevet ................................................................................................... 27
Compte rendu de l’« autre lecture » ................................... 29
◗ Questions ............................................................................................................ 29
◗ Corrigé ................................................................................................................ 30

Bibliographie .................................................................................................... 32

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avant-propos

1. Pourquoi choisir 4 nouvelles normandes de Guy de Maupassant ?


Le Carré Classique collège consacré à quatre nouvelles normandes du XIXe siècle écrites par
Maupassant fait le pari de proposer une lecture transversale de quatre textes courts à destina-
tion d’élèves de 4e et de 3e.
Le programme de 4e préconise la lecture de nouvelles du XIXe siècle pour approfondir l’étude
des outils narratologiques et le travail sur la temporalité. Ces objectifs sont repris en classe de
3e et complétés par les formes du discours rapporté et l’attention portée notamment au dis-
cours indirect libre.
L’étude des quatre nouvelles présentées dans le Carré Classique est l’occasion d’enrichir la
pratique du récit. Le thème de la Normandie permet d’étudier la transposition du réel par
l’écriture et l’élaboration de types sociaux caractéristiques de l’esthétique réaliste et natura-
liste. Ce travail, essentiel au collège, prépare l’élève à la découverte des grands romans du
XIXe siècle au programme de la classe de Seconde.

2. Comment est organisée la lecture des 4 nouvelles normandes ?


Chaque nouvelle est suivie d’une pause lecture, une après chaque nouvelle :
– après Histoire d’une fille de ferme : « Rose, une servante au grand cœur » ;
– après Le Père Milon : « Vie et mort d’un paysan normand » ;
– après La Ficelle : « Sur le chemin du marché » ;
– après Le Rosier de Mme Husson : « Les dessous de Gisors ».

3. Pourquoi proposer en lecture cursive Pierrot de Maupassant ?


Cette nouvelle entretient des liens étroits avec le corpus réuni dans cet ouvrage :
– un lien générique : il s’agit d’une nouvelle réaliste ;
– un lien thématique : l’histoire se passe « en Normandie, au centre du pays de Caux » et pré-
sente deux campagnardes, Mme Lefèvre et sa servante Rose, dont les actions et les pensées
sont très proches de celles du père Milon par exemple, et plus généralement du milieu paysan
mis en scène dans les nouvelles de cet ouvrage.

La lecture de Pierrot est un complément intéressant car les élèves y réinvestiront les connais-
sances acquises sur le récit et le genre de la nouvelle ; par ailleurs, ils connaîtront mieux le
milieu rural tel que Maupassant le décrit.

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organisation de la séquence
Lire quatre nouvelles réalistes de Guy de Maupassant,
dans un cadre précis : la Normandie
OBJECTIFS
À la fin de la séquence, l’élève doit être capable :
• En lecture
– De tenir compte de la situation d’énonciation.
– De repérer des différents narrateurs d’une nouvelle et des récits enchâssés.
– D’identifier des interventions du narrateur (explications/commentaires) et des paroles
rapportées.
– D’avoir une idée précise des caractéristiques de la nouvelle en la définissant par rapport
au roman et au conte.
– De repérer l’implicite d’un énoncé et le décalage ironique.
– D’avoir une première approche du réalisme en littérature, de ses choix et de ses fonctions.
• En outils de la langue
– De reconnaître le discours rapporté directement et le discours narrativisé.
– D’analyser les marques d’oralité et les effets produits.
– De repérer les connecteurs temporels et la mise en œuvre de la temporalité dans un récit
(retours en arrière, accélérations).
– De relever les mots organisateurs d’une description.
– De trouver un champ lexical et de l’interpréter.
– D’identifier des expansions nominales en précisant leurs classes grammaticales.
• En écriture
– De rédiger une suite de texte.
– D’écrire une lettre.
– De construire une argumentation.
– D’écrire un dialogue de théâtre.
– De raconter une ruse.

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SEMAINE 1
Lecture Histoire d’une fille de ferme
Pause lecture 1 : Rose, une servante au grand cœur
1. La vie paysanne
2. Rose et l’amour
3. Un regard désabusé sur la nature humaine
Outils Observation : p. 31-32, l. 509 à 539.
de la Synthèse :
langue – les discours direct et narrativisé ;
– les verbes de parole ;
– les marques de l’oralité.
Application : p. 39-40, l. 735 à 763.
Relevez les marques d’oralité dans les paroles rapportées. Quel est l’effet
créé ?
Écriture Rédiger une suite : p. 44.
Oral Faire un exposé : p. 44.
ou
Du texte à l’image :
Observez la photographie (voir dossier images p. I et p. 44).
Téléfilm Histoire d’une fille de ferme, réalisé par D. Malleval, 2007.

SEMAINE 2
Lecture Le Père Milon
Pause lecture 2 : Vie et mort d’un paysan normand
1. Des récits emboîtés
2. Le réalisme
3. Une sordide épopée
Outils Observation : p. 48, l. 28 à 54.
de la Synthèse :
langue – les connecteurs temporels ;
– les retours en arrière et accélérations.
Application : p. 53-55, l. 157 à 212.
Relevez les connecteurs temporels puis replacez sur un axe chronologique
les différentes actions du père Milon. Par quel changement de temps verbal
se traduit l’accélération du récit ?
Écriture Écrire une lettre : p. 60.
ou
Construire une argumentation : p. 60.
Oral Du texte à l’image :
Observez la caricature (voir dossier images p. II et p. 60).
Gill, Le Vainqueur, dans L’Éclipse, fin du XIXe siècle.

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SEMAINE 3
Lecture La Ficelle
Pause lecture 3 : Sur le chemin du marché
1. Une journée mémorable
2. De la farce à la tragédie
3. Les ficelles de l’écriture
Outils Observation : p. 63, l. 1 à 24.
de la Synthèse :
langue – les mots qui organisent une description ;
– les champs lexicaux.
Application : p. 64, l. 29 à 40.
Relevez les mots qui organisent la description. Quel est le champ lexical
dominant ? Quel est l’effet recherché ?
Écriture Écrire un dialogue de théâtre : p. 76.
ou
Inventer une ruse : p. 76.
Oral Du texte à l’image :
Observez le tableau (voir dossier images p. III et p. 76).
Michel-Adrien Servant, Paysans au marché de Valognes, 1925.

SEMAINE 4
Lecture Le Rosier de Mme Husson
Pause lecture 4 : Les dessous de Gisors
1. L’art du conteur
2. Jeux de miroirs
3. La gourmandise des mots
Outils Observation : p. 80, l. 44 à 58.
de la Synthèse :
langue – les expansions du nom (adjectifs, compléments du nom et propositions
subordonnées relatives) ;
– le rôle de ces expansions dans la construction d’un portrait.
Application : p. 87, l. 249 à 261.
Faites un relevé de toutes les expansions nominales en précisant
leurs classes grammaticale. Montrez la relation étroite qui existe entre
les caractéristiques physiques et morales.
Écriture Rédiger une lettre : p. 104.
Oral Imaginer une mise en scène : p. 104.
ou
Du texte à l’image :
Observez l’affiche (voir dossier images p. IV et p. 104).
Affiche pour Le Rosier de Mme Husson, film de Jean Boyer, 1950.

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réponses aux questions
◗ Pause lecture 1 ➜ p. 41 à 44
Histoire d’une fille de ferme
Rose, une servante au grand cœur
OBJECTIFS
– Comprendre les caractéristiques d’un récit réaliste.
– Observer les caractéristiques du discours direct dans cette nouvelle.
– Revenir sur la construction du personnage en fonction d’un type social.
– Identifier les ellipses narratives.
– Repérer les interventions du narrateur et les interpréter.

La vie paysanne/
1 La nouvelle se déroule au printemps : les pommiers sont en fleurs (l. 47) et l’herbe « d’un
vert tout neuf de printemps » (l. 65-66).
2 Le domaine de Rose à la ferme, c’est la cuisine : elle prépare le repas, fait la vaisselle, range
et nettoie la cuisine. Elle s’occupe du poulailler (l. 58). Plus loin dans la nouvelle, on la voit
gérer les achats et s’occuper des comptes (l. 296 à 313).

Des conditions de vie très dures


3 Les valets et les servantes vivent loin de chez eux par nécessité : ils vont là où ils trouvent
du travail. Ainsi Jacques vient-il de Picardie, Rose d’un village qui n’est pas nommé.
Cet éloignement de leur terre natale les rapproche (l. 101 à 108). La maladie de sa mère per-
met à Rose de la revoir une dernière fois (l. 258 à 261). La séparation est douloureuse car la
jeune femme n’a personne à qui se confier.
4 La lettre, dictée par sa mère, est écrite par Césaire Dentu, « adjoint », et lue par le maître
d’école : les deux femmes ne savent ni lire ni écrire car l’éducation est réservée aux garçons de
classes privilégiées, et non pas aux paysans travaillant aux champs ou dans les fermes dès leur
plus jeune âge.

Un récit réaliste
5 Le discours direct retranscrit le langage parlé (ça est une marque de langage oral) au voca-
bulaire pauvre et répétitif : les deux personnages ont une façon de parler rudimentaire et éco-
nomique. Chaque mot a son importance. Le terme « mépriser » (l. 128) renvoie au déshon-
neur. Le champ lexical de l’union, du « mariage » (l. 132) – « tu m’épouses », l. 165 ; « promis
le mariage », l. 166 ; « t’épouserai », l. 179 ; « publier les bans », l. 181 – développe le thème
essentiel de la nouvelle : la reconnaissance et la légitimité. Nul souci d’élégance, nulle
recherche dans la syntaxe : en quelques mots tout est dit. Nous retrouvons là une des carac-
téristiques des paysans normands chez Maupassant : ce sont des « taiseux ». Jacques est
moins bavard que Rose ; il ne parle que pressé par sa compagne, répond par monosyllabes. La
promesse arrachée (l. 179) paraît dès lors suspecte.
6 Les premiers paragraphes du texte multiplient les notations sensorielles :
– Rose est entourée d’odeurs de cuisine et de basse-cour « tiédeurs fermentées d’étable »
(l. 12), « harengs saurs et rangées d’oignons » (l. 21) puis « émanations anciennes » (l. 22),
« odeurs de cuisine » (l. 60) ; le fumier dans la cour dégage aussi une odeur particulière. La ser-
vante est oppressée et se réfugie dans un endroit où domine le parfum des violettes mêlé à
celui du foin (l. 74).
– Si l’odorat domine, le goût aussi est présent, tout à la fois par « la saveur âcre du laitage »
(l. 25), les oignons et les harengs. Ces sensations provoquent chez Rose une langueur, un

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besoin de s’étendre pour participer à cet élan de vie, cet appel au « bien-être bestial » (l. 57)
qui l’entoure.
– À plusieurs reprises le toucher est associé au bien-être, d’abord dans la caresse du soleil
(l. 31-32) puis avec le bain dans un « air immobile et chaud » (l. 55-56). Rose allongée dans la
paille peut alors participer à cette douceur environnante.
– Ce bien-être est associé à l’amour grâce au chant des coqs, « gloussement d’appel » (l. 38-
39) d’abord, puis concert qui célèbre le triomphe de l’amour quand les coqs se répondent de
ferme en ferme (l. 43 à 45). Même le tic-tac de l’horloge participe à la création de cette atmo-
sphère : la pesanteur sonore fait s’égrener lentement les minutes, le temps est comme sus-
pendu en ce début d’après-midi, aux heures les plus chaudes de la journée.
Tout concourt donc à endormir la vigilance de Rose, portée par les odeurs, les saveurs, les
bruits au laisser-aller et à l’abandon.

Le rapport à la nature
7 La « bergerie » (l. 93) et des « pas de loup » (l. 94) font de cette scène une réplique des
amours de basse-cour décrites deux paragraphes plus haut.
Jacques tente de surprendre Rose étendue sur la paille, donc sans défense. Elle se présente à lui
comme une proie a priori facile. Le texte précise qu’il la désire « depuis quelque temps »
(l. 92) : l’occasion fait le larron.
8 L’enfant de Rose a presque six ans à la fin de la nouvelle (l. 757). L’histoire se déroule donc
sur sept ans en comptant quelques mois d’amour entre Jacques et Rose (l. 143 à 147) puis sa
grossesse.
L’ellipse est nécessaire pour conserver à la nouvelle sa brièveté et le resserrement du temps
propre au genre, tout en jouant sur les effets pathétiques provoqués par la souffrance de Rose.

Rose et l’amour/
1 Aucun des hommes qui désirent Rose ne l’aime : Jacques veut prendre du bon temps et le
fermier cherche à s’attacher une servante efficace et à avoir des enfants.

Des personnages typés


2 Jacques recherche la jouissance physique. Sa lâcheté se manifeste à plusieurs reprises : il
aborde Rose par surprise (l. 94-95), recule devant sa vive défense (l. 97) puis fait une autre ten-
tative quand il la voit attendrie par la pensée de sa mère (l. 111-112). Il ne lui explique pas les
raisons de son détachement (l. 148-149), refuse de lui parler (l. 160-161) ; il cherche à échap-
per à toute responsabilité lorsqu’elle lui annonce sa grossesse. La dernière preuve de sa lâcheté
est sa fuite (l. 196), sans explication.
Sa cruauté se manifeste par le rire et l’incrédulité face à la demande de la jeune fille (l. 167-168).
3 Le fermier est un être simple, dont la principale préoccupation est la ferme : il désire des
enfants pour assurer la transmission de son bien et voit en Rose une épouse idéale, « appétis-
sante », travailleuse et économe. Il ne parle pas de sentiments, mais lui propose une position
enviable : leur mariage est avant tout une bonne affaire mutuelle.
Il la force pour parvenir à ses fins et la contraindre au mariage car il ne comprend pas son
refus. Ce caractère brutal se révélera à nouveau à la fin de la nouvelle : malheureux, il en veut
à Rose de ne pas porter d’enfant et il la frappe violemment.
Il reste cependant sympathique car il ne trahit pas sa femme et adopte son fils naturel avec
joie (voir le champ lexical de la joie, l. 764 à 785). Cette réaction était prévisible : cet être
volontaire a enfin obtenu un héritier.
4 Rose est naïve de faire confiance à Jacques : la promesse est arrachée par la force au jeune
homme (l. 179) et contient dans sa forme même sa négation. Le « puisque c’est ça » indique
la cause réelle de la promesse : le mariage n’est pas choisi par amour mais par nécessité
puisque Rose est plus forte physiquement. Quelques mois plus tard sa naïveté fera croire à
Rose que la lettre reçue peut être de Jacques (l. 239).
Abandonnée et trahie par son amoureux, Rose ne fait pas confiance au maître de la ferme : elle
pense qu’il ne recherche que le plaisir physique alors que dès leur première conversation
(l. 377 à 410), il veut l’épouser. Sa défiance excessive fait son malheur : elle s’est privée de son
fils pendant plusieurs années alors que son mari aurait pu l’adopter plus tôt.
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Le règne du silence
5 Rose manifeste son incompréhension à la fois par son mutisme, son immobilité physique
et sa stupeur : « immobile, l’œil effaré » (l. 384), « l’air épouvanté » (l. 391), elle a une « phy-
sionomie idiote » (l. 396) et reste « affolée » (l. 405) jusqu’à la fin de l’entretien. La jeune
femme n’arrive pas à réagir, a du mal à comprendre les mots du fermier : « Quoi, not’
maître ? » (l. 397) et ne peut que répéter son impuissance : « Je ne peux pas, je ne peux pas ! »
(l. 408). Rose, vigoureuse et vaillante sur le plan physique, ne sait manier ni le mensonge ni la
dissimulation : elle ne peut donc argumenter son refus.
Pour le fermier, la cause est entendue : il pose une question toute rhétorique (l. 409) et
conclut par un ordre puis une affirmation qui sonne comme un ultimatum : « je te donne jus-
qu’à demain pour réfléchir » (l. 410).
6 Rose craint que son mari ait des doutes concernant son enfant naturel (l. 636 à 638). Elle
pense que le fermier s’est confié au curé. Cela explique en partie qu’elle ne dise rien à ce der-
nier : elle a honte.
Nous saurons à la fin de la nouvelle que le fermier venait demander un orphelin à l’église afin
de l’adopter (l. 773-774). Il ne soupçonnait en rien l’existence de l’enfant de Rose.

La violence entre hommes et femmes


7 Les deux hommes sont attirés par Rose. Le lexique du désir est présent dans les deux
scènes (l. 105-106 et l. 583, 589, 592). Dans les deux cas Rose est étendue, donc en position
de faiblesse. En ce sens ils sont des prédateurs qui usent de la violence pour arriver à leurs fins,
utilisant la jeune femme comme un objet de plaisir.
Pourtant deux différences essentielles peuvent s’observer :
– Rose se débat furieusement contre Jacques et mollement contre le fermier ; dans un cas elle
se refuse, dans l’autre elle se résigne à subir.
– Le but de Jacques est la satisfaction sensuelle alors que le fermier veut le mariage. Ce qui
est une fin pour le valet est un moyen pour son maître.
8 Par trois fois Rose fait plier Jacques :
– lors des deux premiers assauts (l. 96-97 et 111 à 114) ;
– pour lui extorquer une promesse de mariage (l. 173 à 179). La force physique lui permet une
forme de maîtrise de son destin, qui se révélera illusoire.
Au contraire le fermier est plus fort physiquement : il la contraint lors de la première nuit
(l. 588 à 595) et la bat violemment (l. 717 à 727).
Rose ne se révolte pas contre cette brutalité car elle lui semble méritée : elle pense être punie
de la faute passée. La honte et le sentiment de culpabilité la paralysent : « Son mari lui faisait
l’effet d’un homme qu’elle avait volé et qui s’en apercevrait un jour ou l’autre. » (l. 607-608).

Un regard désabusé sur la nature humaine/


1 Rose ment deux fois :
– elle prétexte une maladie pour aller voir son fils (l. 331 à 333) ;
– elle nie que Jacques ait été son amoureux (l. 537 à 539).
2 Le fermier devient violent par déception de ne pas avoir d’enfant car c’est une des raisons
de son mariage avec Rose.

Un narrateur impliqué
3 Par deux fois Rose n’ose pas se confier au curé :
– d’abord lorsqu’elle est enceinte par honte d’aller à confesse (l. 229 à 232) ;
– après un repas angoissant avec son mari (l. 639 à 669).
Devant le curé elle perd ses moyens, honteuse et enfermée dans son mutisme. À ses yeux il est
un être hors du commun, qu’elle craint : « elle [lui] prêtait un pouvoir surhumain lui permet-
tant de lire dans les consciences » (l. 231-232). Elle n’arrive pas à se confier à lui.
Or le portrait satirique que Maupassant fait de l’ecclésiastique est à l’opposé de cette vision
naïve : c’est un gourmand au ventre rebondi plus occupé à manger sa soupe qu’à soulager sa
paroissienne. Vêtu d’une soutane tachée (l. 665), tourné vers le matériel et non le spirituel, il ne
conseillera qu’une démarche commune pour s’attirer les faveurs du Ciel : le pèlerinage.

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4 Le narrateur commente l’action par l’emploi de l’adjectif « éternelle » (l. 143) : l’histoire de
Rose n’est en rien originale. D’une certaine façon, tout était écrit pour elle : la faiblesse face à
un jeune homme attirant, la naïveté de croire en ses serments, l’abandon. Maupassant est au
plus près des réalités, des souffrances quotidiennes et banales des filles isolées, aux conditions
de vie très dures et par trop confiantes.
Ce souci de généralisation se retrouve dans l’analyse faite aux lignes 583 à 587 : « l’instinct
toujours plus puissant chez les natures simples », « la volonté indécise de ces races inertes et
molles ». Rose est un type plus qu’un personnage : le singulier cède la place au pluriel : « les
natures simples », « ces races inertes et molles ». Maupassant est ici ethnologue, observateur
attentif des comportements humains.
5 Le discours indirect libre utilisé ici rend plus crédible l’attitude de Rose : son impuissance
est marquée par la répétition de « pouvait » dans une modalité interrogative ; la société
condamne Rose à épouser le fermier puisqu’elle vit avec lui. Elle continue à se taire et à obéir :
tel est son statut.
La double interrogation met en scène un dialogue intérieur du personnage qui se convainc lui-
même de son absence de choix. De plus Maupassant joue ici avec le lecteur, le prenant à
témoin de l’impasse dans laquelle se trouve la jeune fille.
6 Dans les six premiers paragraphes du chapitre V, Maupassant passe en revue le charlata-
nisme sous toutes ses formes : de la rebouteuse aux remèdes magiques (l. 690-691) et son
comparse le berger, au pèlerinage local (l. 707 à 712), en passant par les conseils du pseudo-
scientifique (l. 704 à 706).
La cible est la crédulité des gens simples comme Rose et la prétention ridicule de ceux qui en
profitent pour asseoir leur pouvoir, social ou religieux. Dans cet univers règne la bêtise, à rap-
procher éventuellement de la croisade de Flaubert contre elle.

Tensions et retournements
7 Rose joue sa survie car le désespoir de son mari a progressivement obscurci son esprit et sa
nature ; le champ lexical de la violence et de l’humiliation montre une montée de la tension
qui ne peut que dégénérer : « Il l’injuria, la battit. » (l. 717), « la querellait » (l. 718), « hai-
neux » (l. 719), « des outrages et des ordures » (l. 719-720), « la saisit par le cou » (l. 723), « se
mit à la frapper au visage à coups de poing » (l. 724)…
Sans mesure il la traite comme une bête alors même qu’elle a la preuve que la stérilité vient
de lui : l’injustice de ce traitement la pousse à parler. Il comprendra d’ailleurs immédiatement
les implications de l’aveu (l. 751-752).
Cet enfant est à la fois :
– source de malheur dans la vie de Rose (synonyme de déshonneur, elle doit le voir en
cachette et se prive de lui) ;
– source de bonheur (il est la preuve vivante qu’elle n’est pas stérile et l’adoption finale par le
fermier signifie qu’ils formeront une famille).
8 Malgré son statut d’héroïne (le titre de la nouvelle en témoigne), Rose ne compte pas en
tant qu’individu. Elle n’existe que par son travail (raison pour laquelle le fermier la veut pour
épouse), son corps (pour Jacques), sa qualité de mère (sacrifices consentis pour nourrir son
enfant).
La plongée dans ses sentiments, l’analyse de son comportement tout au long du texte nous
montre un être soumis à des conditions de vie très rudes. Son bonheur n’est pas égoïste. Le
contentement de son mari et maître est la condition nécessaire à une vie tranquille, inespérée
pour elle.

Du texte à l’image/
■ Observez la photographie → voir dossier images p. I
1 Huit personnages dînent : au centre, le maître préside avec à sa droite Rose (près du feu).
Les autres personnages sont placés en fonction de leur importance dans la ferme ; on
remarque que Jacques n’est pas à la gauche du maître car sa situation n’est pas très établie (il
sera d’ailleurs rapidement remplacé à son départ).

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2 La jeune fille regarde Jacques reconnaissable à ses cheveux blonds. Il est en train de parler
et le maître aussi l’écoute.
La scène montre l’attirance de Rose pour le jeune homme grâce au léger sourire qui se devine
sur ses lèvres. La scène se situe donc au début de l’histoire.
3 La table en bois sans nappe, les assiettes à soupe avec une cuillère pour tout couvert et les
manches de chemise roulées sur les avant-bras montrent que la scène se déroule dans une
ferme. De plus le repas pris en commun à la cuisine est un indice de ruralité.
La cruche de cidre, reconnaissable dans les verres, qui trône sur la table situe le repas en
Normandie.

À vous de jouer/
■ Rédigez une suite
Ce sujet d’imagination peut être proposé en entraînement au brevet des collèges. Il vérifie les
acquis de lecture (reprise des éléments donnés dans le récit sur Rose) et de distinction des
genres (utilisation du schéma narratif du conte). On attendra que l’élève mette en valeur le
courage de Rose, sa force physique et sa naïveté. Le conte pourrait par exemple progresser
ainsi :
– situation initiale : Rose dans l’eau ;
– élément déclencheur : le cavalier ;
– péripéties : le sauvetage, les deux personnages entraînés par le courant, la fuite du cheval, le
froid et la frayeur ;
– résolution : Rose se confie, retour à la ferme ? ;
– situation finale : au choix, fin heureuse (« Ils furent heureux… ») ou non.
■ Faites un exposé
Le sujet permet de découvrir des histoires célèbres puisées dans les contes de fées comme La
Petite Fille aux allumettes d’Hans Christian Andersen, les romans avec Les Deux Orphelines
d’Adolphe d’Ennery et Eugène Cormon, Cosette dans Les Misérables de Victor Hugo, l’héroïne
de La Bourse de Balzac…
La justification demande une argumentation, selon le texte choisi : que recherche-t-on dans
un dénouement heureux (revanche sur la vie, rêve, désir d’évasion…) ; et dans un dénouement
malheureux (littérature témoin de vie, reflet de la réalité sociale…) ?

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◗ Pause lecture 2 ➜ p. 57 à 60
Le Père Milon
Vie et mort d’un paysan normand
OBJECTIFS
– Étudier et identifier la structure des récits emboîtés : récit-cadre et récit enchâssé ;
– Repérer la distribution de la parole.
– Souligner les effets d’annonce, d’attente et de retour en arrière.
– Analyser la disposition typographique et ses liens avec la construction du récit.
– Repérer et analyser les interventions du narrateur.
– Revenir sur la construction du personnage, en référence à une catégorie sociale, en parti-
culier par ses paroles.

Des récits emboîtés/


1 La seule date mentionnée est 1870 (l. 31).
Elle ouvre le retour en arrière permis par la vigne qui rappelle le père et son exécution (l. 29-30).
2 La vigne rend hommage au père Milon ; elle symbolise l’attachement à la terre et l’avenir
(par les grappes qu’elle porte).

La chronologie
3 Les quatre parties de la nouvelle sont :
– l. 1 à 30 : le repas à la ferme ;
– l. 31 à 137 : des meurtres sauvages ;
– l. 138 à 212 : un récit surprenant ;
– l. 213 à 258 : l’exécution.
La majeure partie de la nouvelle est un retour en arrière : nous savons que le père Milon a été
fusillé dès la ligne 30.
Les lignes 138 à 212 constituent un second retour en arrière : l’accusé raconte ses meurtres
devant le tribunal de fortune ; chronologiquement ce récit prend place entre les lignes 37-38
(arrivée des uhlans) et les lignes 53-54 (découverte de l’assassin).
Maupassant joue sur le décalage temporel et l’attente : que s’est-il passé en 1870 (fin de la
première partie) ? Pourquoi et comment un vieux paysan a-t-il sauvagement tué seize
Prussiens (fin de la deuxième partie) ?
4 La première partie est placée sous le signe du calme et de la prospérité. Le premier para-
graphe insiste sur la vie (« vie radieuse », l. 2 ; « éclôt », l. 2 ; « pommiers… en fleurs », l. 8-9),
sur la sérénité de la nature qui se régénère au printemps. La ferme est prospère : la présence de
deux servantes et de trois valets montre son opulence.
Cette ambiance sereine et tranquille s’oppose à la sauvagerie et à la violence de la suite du
texte :
– l’occupation ennemie, les représailles des Prussiens (l. 49 à 52) ;
– la découverte des meurtres (l. 44 à 46 et 55 à 57) et leur récit ;
– l’exécution du paysan (l. 254-255). Cette opposition est accentuée par la référence à la
nature : le paysage invite à la paix, détruite un temps par l’action de l’homme (guerre de 1870
et vengeance personnelle).

Le récit du père Milon


5 Le paysan commence son récit par le motif premier des meurtres : le sentiment d’être volé
par les occupants prussiens (l. 119 à 123) ; il évoque un autre motif sans s’expliquer davantage
(l. 123-124) puis fait revivre à l’auditoire son premier meurtre en détail (l. 124 à 131). Il
conclut par les précautions prises pour ne pas laisser de traces.
Cet ordre révèle le caractère méthodique de l’acte, rapide et efficace. Le meurtrier raconte
avec détachement et précision les crimes qu’il a commis.

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6 Ce récit nous place dans la peau du personnage : son arrivée dans le dos du Prussien en est
une illustration (« je r’vins à p’tits pas », l. 126 ; « j’li coupai la tête », l. 127-128). L’abondance
de détails rend le récit vivant et quelque peu terrifiant car ce vieux bonhomme s’applique à
décrire avec force détails un meurtre sauvage pour lequel il n’éprouve pas le moindre remords.
Le réalisme du langage au discours direct rend le récit parfois difficile à saisir. Maupassant
cherche à graphier un parler rural, une langue orale :
– il multiplie les syncopes (« r’venais », l. 118 ; « p’t-être », l. 118 ; « lend’main », l. 119) ;
– il rend compte de la phonétique (« pi », l. 119 ; « pus de chinquante », l. 120 ; « vaque »,
l. 121) ;
– la syntaxe est expressive avec la double tournure emphatique (« V’là qu’j’en aperçois un
d’vos cavaliers », l. 124) et les mises en valeur (« qu’il n’entendit seulement rien », l. 127 ;
« d’un coup, d’un seul », l. 128 ; « qu’il n’a pas seulement dit “ouf !” », l. 128-129).
Avec un art certain du suspens, le père Milon anime le récit : il revit la scène et par deux fois
crée une attente chez l’auditoire, d’abord en annonçant un autre motif à la vengeance que le
pillage de ses biens (« Et pi, j’avais d’autres choses itou su l’cœur, que j’vous dirai », l. 123-124)
puis en révélant l’existence d’une véritable stratégie (« J’avais mon idée », l. 132).
Ce langage donne au lecteur une impression de vérité humaine et fonde le réalisme de l’his-
toire.

Une narration vivante


7 Le personnage est brossé en quelques mots ; son portrait met l’accent sur une silhouette
sans envergure : le vieux paysan semble ne devoir menacer personne. Ce côté inoffensif va se
trouver démenti par la suite du texte car il compensera par la ruse sa faiblesse physique.
8 Les connecteurs temporels sont nombreux et articulent le récit en trois temps :
– La première partie qui raconte la première sortie nocturne (l. 138 à 189) s’ouvre par le
« Une fois » (l. 138) puis l’attente de « quelques jours » (l. 142), montrant la prudence du
meurtrier ; le récit s’arrête ensuite sur la première nuit de chasse : « une nuit » (l. 146),
« Alors » (l. 154), « vers minuit » (l. 159), « Au bout d’une heure » (l. 178), « Puis » (l. 185),
« puis » (l. 186) ; « jusqu’au matin » (l. 189). Les attaques sont précisément décrites avec
abondance de détails.
– La deuxième partie qui évoque les meurtres en série (l. 190 à 203) voit une accélération
puisqu’en dix lignes, il tue dix soldats (il en a tué 4 auparavant et ses deux dernières victimes
seront choisies la veille de son arrestation, or nous savons qu’il a tué au total seize uhlans,
l. 217-218 et 229). Indicateurs temporels : « Pendant quatre jours » (l. 190), « le cinquième
jour » (l. 191), « Dès lors » (l. 193), « Chaque nuit » (l. 193), « Puis » (l. 196) ; « vers midi »
(l. 200) : le passage à l’imparfait donne l’impression d’une mécanique bien huilée ; la ruse fonc-
tionne à merveille et il n’est point besoin de la détailler à nouveau. Pour le père Milon, les vic-
times sont des hommes sans identité, symboles de l’occupant haï.
– Enfin la troisième partie qui narre la blessure (l. 204 à 212) fixe un moment précis : « la
veille » (l. 204) pour expliquer l’arrêt de la série sanglante.
9 L’interrogatoire nous apprend que le père Milon est le meurtrier, qu’il a agi seul et qu’il ne
cherche pas d’excuses à ses actes. Il ne parle que pressé par le colonel : se justifier n’est donc
pas pour lui une nécessité. Il n’essaie pas de sauver sa vie.

Le réalisme/
1 Déguisé en soldat prussien, le père Milon feint d’être blessé et appelle au secours.
2 Le vieux paysan est rancunier ; ce trait de caractère est renforcé par son tempérament ren-
fermé et taciturne.

Le monde paysan
3 Il était d’usage dans de nombreuses familles de prénommer le fils aîné comme son père :
pour plus de commodités, on désignait les deux personnes par « Milon père » et « Milon fils »
ou « Milon le vieux » et « Milon le jeune » (à rapprocher de l’anagramme de Voltaire formé sur
Arouet le jeune).

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La forme « père Milon » qui postpose le nom propre est un usage paysan. Elle insiste aussi sur
la notoriété du personnage, « il passait dans la contrée… » (l. 66), et son âge, « soixante-huit
ans » (l. 60).
4 Maupassant cherche à transcrire une langue orale. Les deux Normands commettent des
fautes de grammaire :
– « la vigne au père » pour « la vigne du père » ;
– « p’t-être qu’a donnera » pour « elle portera peut-être » ;
– « mé » pour « moi ».
L’emploi d’un mot de patois normand « tretous » renforce cet effet de réalisme.
Il est logique que le fils parle comme le père. Maupassant n’abuse pas des termes normands
par souci de clarté : il est certain que la grande majorité des lecteurs du XIXe comme du XXIe ne
comprendraient pas le patois ! Le réalisme est donc limité.

Un paysan typique ?
5 Le personnage est associé au monde animal à travers deux comparaisons : « de grandes
mains pareilles à des pinces de crabe » (l. 61-62), « Ses cheveux ternes, rares et légers comme
un duvet de jeune canard » (l. 62-63).
La première annonce l’attachement à l’argent confirmé plus bas par l’adjectif « avare » (l. 67),
avec un souci d’originalité puisque les mains des gens cupides sont traditionnellement compa-
rées à des serres. La seconde prête à sourire : le vieux paysan a le crâne pelé comme… un cane-
ton !
La vigueur physique (68 ans est un âge avancé au XIXe siècle) et l’avarice sont deux caractéris-
tiques largement répandues chez les personnages normands des nouvelles de Maupassant.
6 Le paysan met en avant deux mobiles différents.
– L’un est économique : les occupants prussiens lui coûtent cher car ils se nourrissent sur ses
biens (l. 120 à 123) ;
– L’autre est personnel : il venge à la fois son père et son fils, tués tous deux lors de guerres
entre la France et la Prusse (l. 222 à 226).
7 Maupassant juge son personnage aux lignes 139 à 141 : « Il les haïssait d’une haine sour-
noise et acharnée de paysan cupide et patriote aussi ». Le portrait se fait plus général comme
souvent chez le conteur.
Le père Milon est ici un type : celui du paysan attaché à ses biens et à son pays, têtu et rancu-
nier, baissant la tête mais ruminant sa vengeance.
Pourtant ce personnage est aussi un être original : ce qui n’est que pensées et désirs obscurs
chez la plupart va prendre forme chez lui car il passe à l’acte et commet une série de meurtres
sans remords.

La guerre de 1870
8 La violence est présente tout d’abord par l’arme généralement utilisée : le sabre.
Les larges blessures infligées par cette arme saignent abondamment : « figure coupée d’une
balafre » du père Milon (l. 54), « arme ensanglantée dans la main du mort » (l. 57), « coupa la
gorge » (l. 174), « il égorgea les chevaux » (l. 185), « tout sanglant » (l. 212).
La fureur meurtrière est évoquée par la mort des chevaux : « Puis il égorgea les chevaux, des
chevaux allemands ! » (l. 185). La haine du Prussien atteint son paroxysme car, pour un pay-
san, tuer un cheval est un acte impensable : le père Milon ne raisonne plus, sinon dans sa
monomanie. Le plaisir pris à égorger un mort (l. 173 à 175) témoigne aussi de cette folie.
9 Aux lignes 222 à 226, le père Milon évoque les morts de sa famille :
– son père « soldat de l’empereur premier » tué par les Prussiens ;
– son fils pendant la guerre de 1870 ;
– lui-même a « fait campagne » c’est-à-dire a participé à une guerre.
Chaque génération est donc victime de la folie des hommes. Les souffrances endurées pen-
dant une bataille, un siège, une occupation ne servent pas de leçons à ceux qui suivent. À tra-
vers l’humble famille paysanne c’est toute la France qui est meurtrie. Et la Prusse aussi : le
colonel a lui-même perdu son fils (l. 238). De part et d’autre, même souffrance, mêmes morts
inutiles de jeunes hommes.

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Maupassant, mobilisé à 20 ans, ne cesse de dénoncer l’absurdité et l’inhumanité des guerres
dans ses récits (à rapprocher de textes comme La Folle ou Mademoiselle Fifi avec le mélange
cruauté/folie).

Une sordide épopée/


1 Le colonel veut laisser la vie sauve au père Milon, par humanité (l. 242-243).
2 C’est le père Milon qui se condamne lui-même par le crachat à la figure du Prussien : cet
affront, impardonnable, est un refus de la grâce proposée par l’officier ennemi.

Un conseil de guerre à l’envers


3 L’aveu se fait de façon laconique, en expression minimale :
– « C’est mé » (l. 85), expression que le père Milon répète très exactement (l. 102) ;
– puis avec la forme d’insistance « Tretous, oui, c’est mé » (l. 104) ;
– enfin en reprenant les mots du prussien « Mé seul » (l. 106).
Le narrateur commente son ton par deux fois : il « demeurait impassible, avec son air abruti de
paysan » (l. 87-88) puis il répond avec la « même impassibilité de brute » (l. 100-101). Les
expressions révèlent une double caractéristique : pas d’émotion apparente, pas de volonté de
s’expliquer.
Cette attitude étrange – d’aucuns chercheraient à nier, à mentir, à inventer une histoire
capable de berner les Prussiens – contraste avec le long récit de ses crimes exigé et obtenu par
le colonel. Elle vient de la folie du bonhomme, enfermé dans sa vengeance sanglante, hermé-
tique à toute autre considération, et de sa difficulté à manier le langage.
4 L’assistance, qu’elle soit prussienne ou normande, ressent les mêmes émotions : surprise et
consternation. Les termes employés sont synonymes : le colonel est « surpris » (l. 86),
« affolé » (l. 250), les membres de la famille sont « effarés et consternés » (l. 94-95), puis
« éperdus » lors de l’exécution (l. 257) ; les officiers restent « interdits » (l. 135) devant les
aveux.
Cette similitude montre le caractère extraordinaire du récit et met en valeur l’étrangeté bar-
bare des actes du père Milon.

L’héroïsme en question
5 Ces deux expressions sont des oxymores qui jouent sur le décalage entre la position sociale
du père Milon et son comportement. En un sens, il peut apparaître héroïque et magnanime :
seul, vieux, il s’attaque aux soldats expérimentés d’une troupe d’occupation solidement armés
et les tue. Les termes « gueux » et « humble » insistent sur la réalité paysanne : l’armure du
vieux normand est constituée de « hardes » (l. 188). Son attitude face aux Prussiens ne laisse
pas augurer une quelconque résistance car il s’était montré humble envers les vainqueurs,
soumis et complaisant (l. 144-145).
Les oxymores sont un moyen de faire réfléchir le lecteur aux illusions de l’apparence et aux
vérités humaines souvent cachées.
6 Le père Milon est heureux d’avoir accompli sa vengeance et il ne veut pas devoir la vie au
colonel prussien : il est donc en paix avec lui-même et n’a pas peur de mourir.
C’est cette attitude face à la mort qui peut être qualifiée d’héroïque :
– lors de l’aveu initial car il est calme et ne cherche aucune échappatoire ;
– dans l’affront final qui le condamne à mort avec certitude.
Paradoxe intéressant : un acte d’humiliation, peu honorable au demeurant puisqu’il s’agit d’un
crachat, devient marque de courage alors que les crimes relèvent de la sauvagerie.
7 Le premier crime est commis avec une faux, outil que le paysan manie forcément avec
aisance, puis il utilise le sabre de sa première victime ainsi qu’un revolver.
Les meurtres à l’arme blanche frappent des uhlans sans méfiance car le père Milon les attaque
par ruse. De plus il s’appuie sur les sentiments de camaraderie des victimes puisqu’il joue au
soldat blessé.
Les chances ne sont pas égales : les seize meurtres sont commis avec sauvagerie et plaisir (voir
réponse de la question 8 de la partie sur le réalisme). Le père Milon n’est pas un héros par ses
actes mais par son attitude face à la mort (voir réponse précédente).
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8 La condamnation de Maupassant est sans appel : la guerre transforme les êtres en assas-
sins sauvages, la folie de la vengeance peut mener à des actes barbares. Le père Milon est lui
aussi victime car il se trouve pris dans un combat qu’il refuse, qu’il ne comprend pas. C’est ce
qu’il explique à sa manière (l. 230 à 234) : « je sommes quittes. J’ai pas été vous chercher que-
relle, mé ! J’vous connais point ! J’sais pas seulement d’où qu’vous v’nez. Vous v’là chez mé,
que vous y commandez comme si c’était chez vous. Je m’suis vengé su l’s autres. J’m’en r’pens
point. » Nul ne peut échapper à la guerre qui broie les êtres et mène à la perte totale du sens
moral ; le père Milon est sans regret, il a donc perdu une grande partie de son humanité. La
guerre génère la folie qui peut s’emparer de tout individu placé dans des circonstances d’ex-
ception.

Du texte à l’image/
■ Observez la caricature → voir dossier images p. II
1 On remarque une série de médailles, un sabre et une couronne de lauriers, signe d’honneur
rendu aux soldats romains revenant victorieux de campagnes militaires : ils avaient le privilège
de parcourir les rues de Rome en armes pour fêter leur « triomphe ».
2 Gill se moque des honneurs rendus aux défunts par « la patrie reconnaissante ». Il serait
préférable de ne pas faire la guerre et de respecter la vie humaine. La gloire militaire est mal-
heureusement trop souvent posthume.
3 Le squelette a fait ce que l’on attendait de lui : il s’est comporté en soldat puisqu’il est
décoré, pourtant il est mort : peu lui importe donc la reconnaissance. Le père Milon a réalisé sa
vengeance, mais il est aussi victime de la folie meurtrière. Il est exécuté à la fin. Tous deux ont
rempli une sorte de mission en temps de guerre et ont trouvé la mort.

À vous de jouer/
■ Écrivez une lettre
Outre la présentation de la lettre, on attendra la reprise d’éléments concrets :
– le nombre de meurtres, leur sauvagerie ;
– la surprise lors de la découverte du meurtrier.
Le colonel se confie à sa femme et commente son récit :
– il fait le portrait du père Milon ;
– il avoue son impuissance lors de l’enquête sur la disparition des uhlans, regrette les repré-
sailles ordonnées (l. 49 à 52) ;
– il évoque le souvenir de leur fils mort ;
– il donne des précisions sur la discussion avec ses officiers (l. 237 à 239), explique sa tenta-
tive auprès du prisonnier (l. 242-243) ;
– il regrette le geste final du meurtrier qui mène à l’exécution.
La lettre devra mettre l’accent sur le dilemme du colonel, partagé entre ses sentiments
d’homme et son devoir d’officier d’une armée d’occupation (vocabulaire moral attendu).

■ Construisez une argumentation


Le dialogue doit reprendre les grandes étapes du texte : le premier meurtre, non prémédité,
puis la longue série de victimes.
Le fils met en avant :
– le courage du père (vieux et seul face à des soldats entraînés) ;
– son patriotisme (il tue des ennemis) ;
– son panache face au tribunal et son dernier défi. Il cultive le souvenir du mort.
La bru au contraire souligne :
– la ruse ;
– les coups portés par l’arrière ;
– la cruauté de celui qui massacre même les chevaux (violence gratuite) et conclut sur la
folie de son beau-père.

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◗ Pause lecture 3 ➜ p. 73 à 76
La Ficelle
Sur le chemin du marché
OBJECTIFS
– Rappeler les étapes de l’étude d’un récit : repérage de l’organisation du récit (incipit,
déroulement de l’intrigue, dénouement), de l’ancrage spatio-temporel, approche théma-
tique.
– Revenir sur la construction du personnage.
– Avoir une idée précise du réalisme en littérature, de ses choix et de sa fonction.
– Réfléchir sur le mélange des registres : comique, tragique, ironique.

Une journée mémorable/


1 Tous vont au marché, préoccupés avant tout par l’argent : il s’agit pour chacun de faire de
bonnes affaires (l. 60-61).
2 Le crieur public fait une double annonce : la perte du portefeuille et la récompense à celui
qui le rapportera.

Le marché
3 Les sensations se succèdent :
– la vue d’abord, essentiellement par des adjectifs de couleur : « blouse bleue… brillante…
vernie » (l. 10-11), « dessin de fil blanc » (l. 12) pour les paysans ; « linge blanc » (l. 23) pour
leurs femmes.
– l’ouïe se manifeste par le « trot » du bidet (l. 25) puis la « cohue d’humains et de bêtes
mélangés » (l. 30) avant d’exploser aux lignes 33 à 37, donnant toute son intensité à la scène.
L’abondance des gutturales (« criardes », « aiguës », « glapissantes », « clameur continue »,
« grand éclat », « meuglement ») décrit par un effet d’harmonie imitative le chaos sonore de
cette masse mi-humaine, mi-animale.
– l’odorat est convoqué dans le paragraphe suivant, cette fois avec moins de détails car les
odeurs se fondent en « une saveur aigre, affreuse, humaine et bestiale » (l. 39-40).
Les trois sens concourent à créer un tableau vivant de ce jour de marché : bruits discordants,
senteurs fortes, couleurs de fête, foule active. L’arrivée au marché est avant tout donnée à voir,
c’est un spectacle. Nous pénétrons progressivement dans cet univers. La première page de la
nouvelle est ainsi un modèle de récit réaliste.
4 Les hommes achètent et les femmes vendent (voir répartition, l. 60 à 66 et l. 67 à 74). Les
rôles sont distribués d’avance, rien n’est laissé au hasard.
5 Le terme « mâles » désigne ici les paysans normands alors qu’il est d’ordinaire réservé aux
animaux.
Il prépare l’association qui sera faite dans la suite du texte entre hommes et bêtes. La fusion
s’opère (l. 29 à 37) par la sensation olfactive (« saveur aigre », « affreuse », « humaine et bes-
tiale », « particulière aux gens des champs », l. 39 à 40) ; la « cohue d’humains et de bêtes
mélangés » (l. 30) résume cette association et ce mélange est doublement illustré :
– visuellement avec les parures de chacun (« les cornes des bœufs » sont associées aux
« chapeaux et coiffes » des Normands, l. 30 à 32) ;
– par les sons (au « grand éclat » de rire d’un paysan répond « le meuglement d’une vache »,
l. 35 à 37).

L’auberge
6 Les véhicules sont personnifiés, miroirs de leurs propriétaires : de « toute race, le nez par
terre et le derrière en l’air » (l. 80 à 84).
Maupassant, élève de Flaubert, s’amuse à créer une correspondance intime entre les hommes
et leurs voitures. L’accumulation de véhicules hétéroclites rend compte de la foule bigarrée
présente à la foire.
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7 L’aubergiste s’appelle Jourdain.
Ce nom a été donné par Molière au héros de sa comédie Le Bourgeois gentilhomme, person-
nage ridicule par sa prétention à singer les nobles.
L’association insolite des mots « aristocratie de la charrue » est un clin d’œil à cette comédie-
ballet connue du lecteur.
8 La description joue sur les allitérations en r et p pour reproduire le bruit des mandibules en
action (« trois broches tournaient, chargées de poulets, de pigeons », « odeur de viande
rôtie », « ruisselant sur la peau rissolée ») ; les nombreuses allitérations en liquides (« pou-
lets », « délectable », « ruisselant », « rissolée », « s’envolait », « l’âtre », « allumait ») et le
-l palatalisé de « mouillait » mettent en valeur la saveur et le moelleux des aliments servis.
Le double rythme ternaire (« poulets », « pigeons », « gigots » ; « s’envolait », « allumait »,
« mouillait ») épouse l’abondance de nourriture. On mange bien et beaucoup chez maître
Jourdain.

De la farce à la tragédie/
1 Maître Hauchecorne est accusé d’avoir ramassé le portefeuille (l. 141 à 143). Il n’est pas
coupable car, en réalité, il a ramassé un bout de ficelle.
2 Le paysan est un finaud, réputé pour sa ruse (l. 262-263) ; on pense donc qu’il est le com-
plice de Paumelle.

Une mise en scène comique (l. 41 à 59)


3 L’objet du « délit » est désigné par :
– « un petit bout de ficelle » (l. 43) ;
– « le morceau de corde mince » (l. 47) ;
– « un bout de ficelle » (l. 54) ;
– une « trouvaille » (l. 55).
Ces différentes reprises nominales soulignent son caractère insignifiant par les adjectifs dépré-
ciatifs : « petit », « mince », et les substantifs « bout », « morceau », « trouvaille ».
Maupassant met ainsi en valeur le décalage comique entre l’objet mis au centre du récit, sans
aucune valeur, et les conséquences que le geste de maître Hauchecorne va entraîner.
4 La scène est muette, ce qui la rapproche d’une pantomime (pièce où les acteurs ne s’expri-
ment que par gestes).
Acte I – « Un réflexe malheureux » : maître Hauchecorne « aperçut » la ficelle.
Acte II – « Un témoin gênant » : il « remarqua » le bourrelier.
Acte III – « Un jeu de dupes » : il a honte d’être « vu » et il fait semblant de chercher quelque
chose, occupation qui pourrait justifier sa position.
Le comique de cette saynète en trois actes naît :
– de l’avarice du personnage principal (comique de caractère) ;
– des rapports tendus entre le témoin et lui (comique de situation) ;
– de la surprise du geste a priori anodin mais amusant puisqu’il s’agit de ramasser un objet à
terre pour un homme perclus de douleurs (comique de gestes).

De la farce au drame (l. 138 à 205)


5 Le dialogue entre le maire et l’accusé développe deux comiques de mots :
– l’un fondé sur l’opposition entre les mots solennels, la syntaxe choisie du maire et le lan-
gage plus oral, déformé du paysan : à l’affirmation indignée d’Hauchecorne, « I m’a vu ramas-
ser c’te ficelle-là, tenez, m’sieu le maire » (l. 156-157), répond par exemple la formule pom-
peuse « Vous ne me ferez pas accroire, maître Hauchecorne, que M. Malandain, qui est un
homme digne de foi, a pris ce fil pour un portefeuille » (l. 161 à 163).
– la déformation des mots prononcés par le paysan est en elle-même comique (par exemple
l. 156)
6 L’assistance qui attend le vieux paysan après sa confrontation est considérée dans son
ensemble par le « On » indéfini (l. 188), repris par deux fois (l. 189 et 194). Le « Tous » (l. 190)
insistera encore sur la communauté d’opinion chez les paysans : ils sont ravis de l’histoire.

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La cible des plaisanteries manifeste dès le début une inquiétude quasi obsessionnelle : maître
Hauchecorne s’explique « sans fin » (l. 191), parle « tout le long du chemin » (l. 201), veut
convaincre « tout le monde » (l. 203). Son impuissance est soulignée à de nombreuses
reprises : de « ses protestations » (l. 191) au double constat négatif « désolé de n’être pas
cru » (l. 197) et « ne sachant que faire » (l. 197). Enfin le passage exprime une fatigue ner-
veuse et physique : l’adjectif « enfiévré » (l. 196) prépare la ligne 205 (« il fut malade toute la
nuit »).
Jusque-là le lecteur souriait, mais les éléments de farce de la première partie tournent au
drame.

Du drame à la tragédie (l. 206 à 286)


7 Il y a quatre temps forts dans la maladie de maître Hauchecorne :
– l. 225 à 229 : le malaise confus avec l’utilisation des verbes « paraître », « avait l’air »,
« semblait » et l’incapacité de nommer sa gêne « sans qu’il sût au juste ce que c’était » ;
– l. 230 à 264 : la journée du mardi avec une triple réaction mystérieuse, le rire de Malandain,
l’apostrophe du fermier de Criquetot puis celle du maquignon de Montilliers (l’histoire s’est
répandue dans la région…). L’explication n’est fournie que plus tard (l. 251 à 253). Le mardi
soir commence véritablement l’angoisse et la sensation de piège qui oppresse Hauchecorne
(voir lexique de la souffrance physique – « étranglé », « frappé au cœur » – et morale – « hon-
teux », « indigné », « colère », « confusion », « injustice ») ;
– l. 265 à 281 : étirement du temps marqué par les imparfaits d’habitude et les marqueurs
temporels : « chaque jour », « chaque fois », « maintenant » ; Hauchecorne s’use à raconter
une histoire de moins en moins crédible pour ses auditeurs (elle devient sujet de moquerie,
synonyme de folie, voir l. 278 à 281) ;
– l. 282 à 286 : le récit s’accélère avec le resserrement du temps : « Vers la fin de décembre »
puis « les premiers jours de janvier » pour la mort du personnage. Remarquons au passage
l’économie, la sobriété de cette chute qui obéit au genre de la nouvelle.
Hauchecorne est habité par une angoisse d’abord vague puis de plus en plus oppressante ; il se
sent trahi car il est injustement accusé et incapable de persuader les autres paysans ; ce
matois se voit ridiculisé parce qu’il est la cible de moqueries qu’il alimente inconsciemment
par son attitude.
8 Le vieux paysan meurt d’incompréhension : il ne peut sortir du piège absurde qui s’est
refermé sur lui.
Cette histoire est tragique puisqu’un petit bout de ficelle provoque la souffrance puis la mort
d’un homme. On peut ici parler d’ironie tragique.

Les ficelles de l’écriture/


1 En qualité de témoin, il dit ce qu’il a vu : le geste d’Hauchecorne. Cet empressement à
témoigner vient d’une ancienne fâcherie entre les deux hommes (l. 50 à 52).
2 Hauchecorne feint de chercher quelque chose par terre car il a honte de son avarice (l. 56-
57).

Les fils cachés de l’histoire


3 Le patronyme du héros renvoie aux bœufs à hautes cornes présents d’ailleurs dans la des-
cription initiale (l. 30-31). Cette parenté n’a pas de quoi surprendre, la plupart des noms de
famille venant de lieux, de possessions et d’animaux (recherche possible avec les élèves sur
quelques patronymes, Leboeuf, Dubois, Lenormand…). Maupassant joue aussi sur la polysé-
mie : avoir des cornes, c’est être trompé, dupé. Or notre héros est piégé par sa propre avarice
et par un concours de circonstances.
Un malandrin désigne un brigand, un voleur, un être peu recommandable : Malandain apparaît
comme un homme peu sympathique, profitant de l’occasion qui lui est offerte pour témoi-
gner contre son ennemi.
Les deux paysans sont têtus, et rancuniers (l. 51-52). Le rire du bourrelier (l. 233-234) révèle
son plaisir à voir Hauchecorne dans l’embarras.

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4 Les deux premières expressions concernent la ruse :
– « Gros malin » (l. 237) ;
– « vieille pratique » (l. 244).
Les paysans sont amusés à l’idée du tour joué à leurs yeux par Hauchecorne ; leur réaction
naturelle est le rire : « Toute la table se mit à rire. » (l. 254), « On riait. » (l. 189). Aucun blâme,
aucun jugement de valeur ne vient gâcher leur plaisir. La troisième apostrophe « mon pé »
(l. 249) marque la familiarité, l’appartenance à une communauté d’idées et de valeurs qui se
passe en général de mots, une sorte de complicité tacite.
5 Les paysans normands ont des corps déformés par les travaux des champs : « jambes
torses », « déformées », « monter l’épaule », « dévier la taille », « écarter les genoux ».
Leur caractère aussi semble tortueux : économes (l. 44), rancuniers (l. 51-52), rusés, et
méfiants comme dans leurs transactions, « cherchant sans fin à découvrir la ruse de l’homme
et le défaut de la bête » (l. 64 à 66). Ces caractéristiques rendent plausible leur réaction face à
l’aventure de Hauchecorne.

Le conteur marionnettiste
6 Le mot est employé dans son sens propre, le bout de ficelle ramassé par Hauchecorne et
dans son sens figuré : je connais ta ruse, ruse développée par la réplique suivante « y en a un
qui trouve et y en a un qui r’porte » (l. 249-250). Pour le maquignon, l’opération est une
« ficelle », un artifice pour duper et tromper le monde, d’autant plus efficace que le complice
(Marius Paumelle) semble falot.
7 Hauchecorne ne peut nier son geste, il proteste contre son interprétation. Le constat du
maire : « vous avez même encore cherché longtemps dans la boue » (l. 170-171) est juste (« il
fit semblant de chercher encore par terre quelque chose qu’il ne trouvait point », l. 56-57) et
l’accusé ne peut qu’acquiescer.
L’interprétation qui en est donnée est fausse (« si quelque pièce de monnaie ne s’en était pas
échappée », l. 171-172), mais Hauchecorne est pris au piège car il a voulu duper Malandain,
par honte d’être surpris en flagrant délit d’avarice sordide. Il ne peut l’avouer et n’a donc
aucune explication à proposer au maire.
8 Ce paragraphe reproduit, par la complexité et la cascade de groupes nominaux, les explica-
tions embrouillées de Hauchecorne. Le récit envahit la vie du conteur : les derniers mots du
conte en témoignent, « dans le délire de l’agonie, il attestait son innocence, répétant : “Une
’tite ficelle… une ’tite ficelle… t’nez, la voilà, m’sieu le maire.” » Le personnage n’existe que par
son histoire rabâchée sans cesse… et le conteur Maupassant marque l’absurdité tragique et
l’enfermement dans la folie par la structure circulaire de son propre récit intitulé justement…
La Ficelle !

Du texte à l’image/
■ Observez le tableau → voir dossier images p. III
1 Les personnages sont vêtus d’amples blouses bleues (l. 10) : ils discutent autour d’animaux.
Nous sommes sur une place, dans un bourg (église au fond et façades de maisons derrière les
personnages). Le paysan de dos montre un cochon et marchande (l. 60-61) avec l’homme à la
canne. La paysanne est en habit sombre avec une coiffe sur la tête (l. 23) et tient un large
panier (l. 18-19).
2 Le couple sur la gauche est réjoui. De larges sourires se dessinent sur leurs visages ;
l’homme a les bras serrés sur la poitrine et écoute attentivement la discussion. Quant aux
trois autres paysans, ils sont plongés dans leur conversation, la tête un peu penchée, ce qui fait
penser à un marchandage. Ils ont tous un certain âge et sont de constitution robuste. La scène
évoque la satisfaction et le plaisir d’assister à cette journée de fête et de retrouvailles.
3 Le tableau comme le récit sont réalistes car ils tentent, par le dessin et l’écriture, de cam-
per des paysans normands vus, minutieusement observés et croqués par l’artiste. Les couleurs,
les gestes et les expressions cherchent à rendre les impressions ressenties par le peintre et le
conteur qui créent des types et témoignent dans leurs œuvres d’une réalité sociale.

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À vous de jouer/
■ Écrivez un dialogue de théâtre
Le dialogue entre les deux paysans doit respecter le résumé qui en est fait lignes 179-180 :
« ils s’injurièrent une heure durant ». Pour la durée, les didascalies permettront d’indiquer des
répétitions, des arrêts, des pauses dans la confrontation.
Quelques pistes :
1. Malandain soutient son affirmation ;
2. Hauchecorne donne une première explication fausse (il s’est baissé car il avait mal au dos) ;
3. Malandain réfute : Hauchecorne cherchait quelque chose ;
4. Hauchecorne tempête (accès de rage, insultes…) puis finit par dire la vérité ;
5. Malandain ricane puis le traite de vieil avare et rappelle leur affaire ;
6. Hauchecorne fait le résumé de l’histoire du licol…
Attention aux comiques demandés : mots, gestes, situations, caractères. Cet exercice d’écriture
est une bonne façon d’approfondir les formes de comique vues dans les pièces de théâtre et
d’aborder l’argumentation.

■ Inventez une ruse

Le récit demandé doit être complet : il met en scène un vainqueur (Hauchecorne a réussi à
avoir un licol sans le payer) et un vaincu (Malandain).
On peut par exemple imaginer un récit en six temps :
1. Hauchecorne demande un licol et le choisit ;
2. Il part l’essayer et s’indigne quand Malandain lui demande un acompte ;
3. Malandain exige d’être payé, mais Hauchecorne dit que le licol ne convient pas et qu’il le
ramènera au prochain marché ;
4. Le jour venu, Malandain menace Hauchecorne de porter plainte mais Hauchecorne affirme
avoir rendu le licol à l’apprenti quand le bourrelier était absent ;
5. Hauchecorne se frotte les mains : c’est sa parole contre celle d’un jeune apprenti. Sa mal-
honnêteté lui fait faire des économies ;
6. Malandain jure de se venger.
(Possibilité de faire le parallèle avec La Farce de Maître Pathelin souvent étudiée par les élèves
de 5e).

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◗ Pause lecture 4 ➜ p. 101 à 104
Le Rosier de Mme Husson
Les dessous de Gisors
OBJECTIFS
– Revenir sur l’étude du réalisme et la peinture sociale.
– Étudier l’implicite et le rôle de l’ironie à travers les interventions du narrateur.
– Étudier et identifier la structure des récits emboîtés : récit-cadre et récit enchâssé ; la dis-
tribution de la parole.
– Étudier le temps dans le récit en soulignant les effets d’annonce, d’attente et de retour
en arrière.
– Analyser la disposition typographique et ses liens avec la construction du récit.

L’art du conteur/
1 Isidore est le fils d’une fruitière.
Il est choisi par Mme Husson, sur les conseils de Françoise, car aucune jeune fille n’est à ses
yeux digne d’être rosière.
2 Les habitants de Gisors surnomment ainsi les ivrognes, en souvenir de l’aventure d’Isidore.

Un double récit
3 Les deux occurrences se réfèrent à deux narrateurs différents :
– « je » (l. 1) renvoie au « narrateur 1 », Raoul Aubertin, qui devient l’auditeur du « narra-
teur 2 » ;
– le « je » (l. 251) renvoie à Albert Marambot.
Cette délégation de la parole, chère à Maupassant, enchâsse donc un récit (celui de
Marambot) dans un autre récit (celui d’Aubertin).
4 La scène qui permet le passage d’un récit à l’autre est le spectacle de l’ivrogne (l. 219 à
248). Le lien est explicite par l’exclamation de Marambot (l. 237) : « Tiens… voilà le rosier de
Mme Husson. » Maupassant joue sur la double curiosité d’Aubertin (fictive : c’est un person-
nage) et du lecteur (réelle). Aubertin est le double du lecteur quand il pose la question :
« qu’est-ce que tu veux dire par là ? » (l. 239) puis par sa demande pressante : « Alors,
raconte-la » (l. 247).

Le récit cadre
5 La rivalité des deux villes de province est doublement nécessaire.
– Elle permet tout d’abord l’illustration plaisante de « l’esprit de clocher » dénoncé par
Aubertin et longuement défendu par Marambot (l. 169 à 184).
– Elle explique surtout la mentalité particulière des notables réunis autour de l’idée de
Mme Husson. « Les orgueilleux de Gisors » sont avant tout sensibles à la rivalité, l’honneur de
leur cité, la fierté « d’avoir une rosière à Gisors » (l. 264). Cette fierté chauvine décuplera le
comique lors du piteux retour d’Isidore.
Les points de suspension sous-entendent que la liste est trop longue pour être citée en son
entier. Ce trait illustre la satisfaction et l’orgueil de Marambot quand il parle de Gisors, et le
jugement pour le moins humoristique du narrateur.
6 Marambot est fier de Gisors. Il cherche à communiquer son enthousiasme en présentant
l’histoire de la cité, ses gloires locales, ses curiosités. Son auditeur est très vite amusé par l’at-
titude de son ancien condisciple comme en témoignent les multiples réactions qui émaillent
son récit : « Je riais » (l. 115), « il était amusant à voir » (l. 151), « Je riais » (l. 166), « un rire
fou me saisit » (l. 194).
Observateur curieux et désireux de se divertir, le jeune Parisien porte un regard quelque peu
condescendant sur la localité « d’un joli caractère provincial » (l. 154-155). Il appartient au
monde de la grande ville et se conduit presque en ethnologue dans la cité normande ! Il est en
quelque sorte un double de Maupassant, ce fin observateur de la nature humaine.
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L’histoire d’Isidore
7 Le récit fait par Marambot est à la fois drôle et pathétique.
Le comique vient du ridicule des prétentions de Mme Husson. À force d’élever le niveau de ses
exigences sur la vertu du lauréat elle couronne un jeune homme qui, ne connaissant rien au
plaisir ni à l’argent, dépense une petite fortune en beuveries. Le rire naît de l’inversion des rôles
et de la méprise d’une femme austère et rigide.
Pourtant à bien considérer l’histoire d’Isidore, le pathétique l’emporte : sa vie tranquille et
calme près de sa mère est bouleversée par le prix décerné et il meurt prématurément après
une vie malheureuse, chassé par sa mère, alcoolique et rejeté.
8 La morale du récit de Marambot : « Un bienfait n’est jamais perdu. » (l. 630) est ironique :
les vingt-cinq louis donnés à Isidore pour récompenser la vertu du jeune homme l’ont
dépravé, donc perdu moralement. Pourtant ils ont permis au nom de Mme Husson de traver-
ser le temps puisqu’il est resté associé… à l’ivrognerie. Belle leçon pour la bigote !

Jeux de miroirs/
1 Isidore a passé une semaine à Paris (l. 585 à 590), à boire. La grande ville représente l’in-
connu, l’anonymat et la perdition, par opposition à Gisors où tout le monde se connaît.

Le règne du double
2 La première description se présente sous la forme d’une pantomime grotesque. L’ivrogne
est anonyme : « un homme… un ivrogne » (l. 219-220). Le narrateur décrit ses pas chance-
lants et son déséquilibre, la seule présence signalée près de lui étant de manière caricaturale
celle d’un « petit chien… un roquet famélique » (l. 234) en guise de fidèle compagnon. Le
texte décrit l’hébétude par « la bouche ouverte et les yeux clignotants » (l. 231). L’individu ne
prête qu’à sourire.
La découverte d’Isidore (l. 596 à 611) est bien plus inquiétante. Le récit décline d’abord son
prénom (il sera répété, les deux occurrences d’« Isidore » conférant plus de poids à la surpre-
nante découverte) puis son « titre » (« l’ex-Rosier »), et insiste enfin sur sa jeunesse (« le
jeune homme »). Le portrait est tout aussi moral que physique : « ivre », « ivre et abruti »,
« ivre et dégoûtant », « loque grise… déchiquetée, ignoble », « odeurs d’égout, de ruisseau et
de vice ». C’est une déchéance. Le rythme ternaire du « sommeil profond, invincible, inquié-
tant » met en valeur le pathétique du tableau.
3 Le repas offert par Marambot est marqué par la finesse, le goût et la sobriété. La finesse est
relevée par son convive : « je mangeais quelque chose de vraiment exquis, des œufs mollets
enveloppés dans un fourreau de gelée de viande aromatisée aux herbes et légèrement saisie
dans la glace » (l. 98 à 101). La description est très précise, tout comme les explications de
Marambot sur les œufs et les volailles (l. 104 à 114). Le gourmand docteur se livre à un vibrant
éloge de son vice ; c’est un gourmet qui met en avant « la faculté exquise… de discerner la
qualité des aliments… un sens essentiel » (l. 122-123). L’art de la table est alors l’égal de la
poésie (l. 119), de la littérature (l. 134-135), de la musique (l. 135-136), de la sculpture (l. 137-
138). Gageons que Maupassant s’est plu à nous offrir avec virtuosité cet éloge fort littéraire
du goût ! La sobriété enfin est de mise quant à la boisson, « un demi-verre de vin qu’il regar-
dait avec tendresse » (l. 147-148).
Le banquet en l’honneur du Rosier apparaît comme l’exact opposé du repas de Marambot : la
quantité domine. Point de précision quant aux mets servis ; nous ne saurons rien du contenu
des plats désignés par des pluriels ou des indéfinis totalisants : « le banquet… fut intermi-
nable… les plats suivaient les plats… les chocs d’assiettes… il prenait et reprenait de tout…
s’emplir de bonnes choses… des toasts… nombreux » (l. 491 à 510). La quantité supplée la
qualité, les boissons sont mélangées, cidre et vin ; Isidore est un pantin : il se remplit mécani-
quement (« Isidore mangeait, Isidore buvait, comme il n’avait jamais bu et mangé ! », l. 499 à
501). Cette surabondance de nourriture dans l’estomac du frugal fils de la fruitière lui fait
découvrir le plaisir de manger et de boire ; les lignes 501 à 504 expriment une véritable initia-
tion avec « s’apercevant pour la première fois qu’il est doux de sentir son ventre s’emplir de
bonnes choses qui font plaisir d’abord en passant par la bouche ».

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Marambot énonçait sous forme de maxime une profonde conviction : « Manquer de goût…
c’est avoir la bouche bête, en un mot, comme on a l’esprit bête » (l. 121 à 129). L’aventure
d’Isidore confirme cette pensée de gourmet. Marambot est le goût, Isidore le ventre.

Des portraits savoureux


4 Le portrait de Mme Husson débute par les mots : « Il y avait autrefois » puisqu’il corres-
pond au début du récit de Marambot (l. 249). Cette entame souligne aussi le caractère figé et
caricatural de la vieille bigote. Comme souvent dans ses nouvelles, Maupassant campe un per-
sonnage-type, ici celui du parangon de vertu, austère et inflexible. Tout le portrait est une sur-
enchère : Mme Husson par exemple est non seulement « très vertueuse » mais aussi « protec-
trice de la vertu » (l. 250)… C’est dire si la chute sera rude quand le choix mûrement réfléchi
du rosier se révélera un fiasco total, une farce gravée à tout jamais dans la mémoire de Gisors !
L’accumulation des bonnes actions de Mme Husson exprime l’activité de la vieille dame en
jouant sur le rythme ternaire : « Mme Husson s’occupait particulièrement des bonnes œuvres,
de secourir les pauvres et d’encourager les méritants » (l. 252 à 254). Le lexique moral
(« bonnes », « secourir », « méritants ») confirme la sphère d’activités : le devoir de charité.
Le personnage est irréprochable, ce que confirme la deuxième partie du portrait qui porte sur
l’intransigeance par la gradation : « elle avait une horreur profonde, une horreur native du
vice, et surtout du vice que l’Église appelle luxure. » (l. 257 à 259).
La perruque de soie noire montre l’attachement aux apparences, la coquetterie féminine pré-
sente malgré tout chez le personnage, le désir de paraître. Le postiche révélera le relâchement
de la marraine d’Isidore lors du banquet : « Mme Husson rajustait par moments sa perruque
de soie noire chavirée sur une oreille » (l. 496 à 498) ; le geste révèle que la vertueuse dame
fait honneur au banquet !
5 Le livre est à l’image de sa propriétaire : inflexible et minutieux. L’objet est comique par la
juxtaposition entre les dépenses et les observations notées sur les jeunes filles : le livre de cui-
sine devient carnet d’enquête. Le vocabulaire utilisé fait sourire par le pittoresque des expres-
sions, comme « Malvina Levesque s’a dérangé… qu’al a fauté nonobstant qu’al est en corres-
pondance » (l. 284 et l. 293-294). Françoise en enquêtrice consciencieuse cite même ses
sources, « Mme Onésime repasseuse » (l. 288), à la manière des procès-verbaux policiers.
6 Le surnom donné à Isidore – « le thermomètre de la pudeur » (l. 331) – fait sourire. Il
insiste sur la timidité, la naïveté et la candeur du jeune homme qui ne sait cacher sa gêne (voir
note 19, p. 87).

Une initiation à l’envers


7 La fête du Rosier se présente comme une cérémonie religieuse : Mme Husson est sa « mar-
raine » (l. 443), les notables forment un « cortège » qui marche vers « l’église » (l. 447). Le pre-
mier acte est la « messe » assortie du sermon de l’abbé Malou : la fête est sacralisée, Isidore
est d’ailleurs tout en blanc, couleur symbolique de la pureté. L’atmosphère est celle d’une
communion ou d’une procession religieuse.
Le deuxième acte est constitué par le discours du maire et nous comprenons pourquoi
Maupassant s’est contenté d’une vague formule pour le sermon de l’abbé (« une allocution
touchante », l. 450) : le maire est un double du curé.
Son discours est en fait une parodie de sermon par :
– le vocabulaire moral (« femme de bien », l. 456 ; « prix de vertu », l. 460 ; « premier élu »,
l. 462 ; « dynastie de la sagesse et de la chasteté », l. 463-464 ; « récompense votre
conduite », l. 468 ; « acclamer en vous la vertu », l. 471 ; « l’excellent exemple », l. 473) ;
– la recherche de pathétique (« le pays tout entier remercie ici par ma voix », l. 457-458 ;
« habitants de cette belle contrée », l. 461 ; « cette noble femme », l. 467 ; « population
émue », l. 470 ; « engagement solennel », l. 472 ; « donner jusqu’à votre mort », l. 473) : le
maire veut faire vibrer la foule, ce que le récit ne manque pas d’exploiter avec le commentaire
du narrateur : « Je l’ai appris par cœur, car il est beau » (l. 454-455). Cette sensiblerie est d’au-
tant plus comique que nous connaissons la chute de l’histoire !
La fin du discours du maire parodie sous forme de conseil moral la parabole évangélique du
bon grain et de l’ivraie (l. 475 à 477). Cette utilisation de l’image se trouvait déjà dans la for-

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mule métaphorique de la « dynastie de la sagesse » qui ouvrait la période oratoire consacrée
à Isidore (l. 463).
Les braves naïfs sont gagnés par l’enthousiasme et la niaiserie sentimentale : Isidore « sanglo-
tait » (l. 480), « les grenadiers vociféraient, le peuple applaudit » (l. 486-487), « Mme Husson
s’essuya les yeux » (l. 488). Et comme les émotions creusent, tout ce monde part s’empiffrer !
8 Le prix d’excellence remis à la vertu provoque en fait la déchéance morale et physique
d’Isidore : la récompense se transforme en « arme du crime ». Les cinq cents francs en or per-
mettent à Isidore de s’enfoncer dans l’alcoolisme. L’excès de générosité se retourne ironique-
ment contre son but initial. « L’exemple » prôné par le maire est celui du pochard que « rien
ne […] corrigea » (l. 623).

La gourmandise des mots/


1 Le docteur est avant tout gourmand.
2 Le dernier nom cité est Bouffé, ce qui renvoie à la nourriture mais par opposition à l’art du
goût : « bouffer » est un synonyme péjoratif de « manger ».

Les jeux d’échos


3 La pêche mangée par Isidore évoque la pomme mangée par Adam : fruit défendu, elle sym-
bolise le péché et l’accès à l’arbre de la connaissance. L’orgueil (faute d’Adam) est ici remplacé
par la gourmandise (péché d’Isidore) jusque-là innocent par ignorance. Le récit met en valeur
la consommation du fruit sans besoin, juste par envie : « Le Rosier en prit une et la mangea à
pleines dents, bien qu’il eût le ventre rond comme une citrouille. » (l. 535-536). Par associa-
tion la boisson dont il a abusé durant le banquet lui vient à l’esprit et il a envie de continuer à
boire, d’où son départ. Après le vocabulaire moral du discours du maire et la cérémonie quasi-
religieuse de son « couronnement » l’attitude d’Isidore est la parodie de la tentation du saint
par Satan, comme en témoigne le pastiche (l. 551 à 559), paragraphe que Flaubert n’aurait
peut-être pas désavoué dans La Tentation de saint Antoine.
4 Isidore est comparé à un cygne (l. 442).
Cet oiseau au plumage d’un blanc éclatant est le symbole de la grâce.
Son dernier chant, réputé pour sa beauté, est associé à la mort.
Or ici il s’agit de l’ultime moment de pureté d’Isidore, c’est-à-dire de tempérance.

L’ivresse des mots


5 La phrase joue sur la répétition de l’adjectif « ivre » et sur la variation rythmique ; les
groupes participiaux sont de plus en plus amples : « ivre » (2 syllabes) est précisé par « ivre et
abruti par huit jours de soûlerie » (12 syllabes) puis par « ivre et dégoûtant à n’être pas tou-
ché par un chiffonnier » (16 syllabes).
Nous avons donc une amplification rythmique, une gradation qui met en valeur la découverte
de plus en plus horrifiée de l’état d’Isidore.
6 La digression sur la Dauphine (l. 389 à 408) dégonfle l’appellation prétentieuse de la rue en
expliquant l’origine de son nom : une histoire de princesse faisant ses besoins dans une des
maisons !

Les malices de l’auteur


7 Le train est personnifié : « cette mourante qui râlait, geignait, sifflait, soufflait, crachait »
(l. 8-9). Maupassant s’amuse à le comparer, lui « cheval de fer », aux animaux dont il a pris la
place : « [la machine] ressemblait à ces chevaux tombés dans la rue, dont le flanc bat, dont la
poitrine palpite, dont les naseaux fument et dont tout le corps frissonne » (l. 9 à 12).
8 Le docteur Marambot incarne la vie de province, « qui alourdit, épaissit et vieillit » (l. 46).
Aubertin, par opposition, est le Parisien ironique : il rit beaucoup devant les manies et les théo-
ries de son hôte, décèle son mal (l. 166 à 168). Il agit en observateur éclairé qui aime tirer les
leçons de ce qu’il voit et analyser les gens qu’il rencontre (voir portrait de Marambot en foca-
lisation interne, l. 44 à 58). Il redoute l’ennui (l. 71, l. 75-76), se montre fin connaisseur de
bonne chère (l. 98-99) et curieux. En un mot, il est le porte-parole de Maupassant.

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Du texte à l’image/
■ Observez l’affiche → voir dossier images p. IV
1 La posture du personnage montre sa gaucherie, notamment ses pieds qu’il ne sait où
mettre, malicieusement mis en valeur par des pantalons trop courts ! Il tient son « diplôme de
vertu » à la main et porte des gants blancs. Il est rouge de timidité car objet de toutes les
attentions. Le dessin est volontairement naïf, à l’image de son modèle.
2 Le pot de fleurs renvoie au petit bouquet de fleurs d’oranger ornant le chapeau de paille
d’Isidore (l. 435 à 436).
Cet élément sera un indice lors de la disparition du Rosier (l. 577).
3 Deux couleurs dominent : le bleu et le blanc. Le blanc respecte le texte de Maupassant qui
habille Isidore de coutil blanc et le compare à un cygne à travers les propos de Françoise
(l. 441). Le bleu en arrière-plan permet de mettre en valeur le personnage au centre.
De plus le dessinateur joue sur la correspondance entre la colombe (en haut à gauche) elle-
même symbole de pureté et blanche (dans la réalité) et le nœud papillon du Rosier.

À vous de jouer/
■ Imaginez une mise en scène
Il serait judicieux, le but de la saynète étant de faire rire, de procéder à la manière de la com-
media dell’arte que les élèves ont approchée en 5e : canevas puis improvisation avec jeu de
rôles. Une recherche est possible sur les personnages de la commedia dell’arte ou de la comé-
die classique, de Molière par exemple pour donner des idées aux futurs improvisateurs.
Une consigne à préciser : la création de types caricaturaux par un repérage dans le texte
d’indices sur la vieille bigote, le curé, le maire pompeux, Isidore naïf et stupide, le commandant
Desbarres…
Penser à donner un temps de parole bref à chaque groupe : deux minutes par exemple sont
suffisantes dans un premier temps !

■ Rédigez une lettre


Outre la présentation de la lettre, on attendra la reprise d’éléments concrets :
– naïveté d’Isidore ;
– ignorance des caractéristiques de la ville : habits, voitures, monde dans les rues… tout
l’étonne ;
– richesse du jeune homme : cible de choix pour les malins en tout genre.
La journée est racontée de façon chronologique.
– Comme Isidore est arrivé au soir dans la capitale (le banquet s’est terminé en fin d’après-
midi + trajet), gageons qu’il s’est endormi sur un banc ou dans un square.
– Le matin, recherche d’un endroit où prendre son petit-déjeuner : découverte de la ville, sur-
prises et exclamations naïves sur les rues, les toilettes des femmes, les immeubles, les grands
magasins…
– Repas dans une gargote et paiement avec une pièce d’or : intérêt de gens louches ; Isidore
se fait des « amis » et raconte avec enthousiasme le tour de Paris qu’il accomplit avec eux, de
café en café : il en fait la liste comme il ferait celle des lieux célèbres !
– Soirée arrosée et hôtel avec une belle, rencontrée « par hasard »… Au matin, il découvre ses
poches vides et la belle envolée.
– Conclusion : demande à sa mère quelque argent pour payer la diligence de retour vers
Gisors.

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◗ vers le brevet ➜ p. 105–106
Questions
15 points

I. Une demande en mariage (6 points)


1 Le fermier met en avant :
– le sérieux de Rose (elle ne se laisse pas conter fleurette) ;
– le courage (elle est vaillante) ;
– l’économie (elle n’est pas dépensière).
La servante est donc un bon parti même si elle n’a pas de dot. (2 points)
2 a. Alors il se tut parce qu’il ne savait plus que dire : proposition subordonnée conjonctive,
complément circonstanciel de cause de se tut. (1 point)
b. Il pensait qu’elle comprendrait très vite qu’il formulait une demande en mariage et qu’elle
serait trop heureuse d’accepter. « L’affaire » aurait dû être vite conclue. (1 point)
3 a. Rose ne donne aucun motif à son refus car elle est trop surprise, hébétée pour réfléchir
(« affolée », l. 405 ; « physionomie idiote », l. 396). (1 point)
b. Le fermier ne cherche pas à comprendre, mais utilise l’impératif : « ne fais pas » (l. 409-
410) et lui lance un ultimatum : « je te donne jusqu’à demain pour réfléchir » (l. 410).
Ce n’est pas une demande en mariage, plutôt un ordre. Rose l’appelle « not’ maître », lui la
tutoie et utilise son prénom ; il la houspille et s’impatiente. (1 point)

II. L’expression des sentiments (4,5 points)


4 a. et b.
– La phrase interrogative : « Rose… est-ce que tu n’as jamais songé à t’établir ? » exprime une
question.
– La phrase déclarative : « Tu es une brave fille, rangée, active et économe » est un constat.
– La phrase exclamative : « Mais de m’épouser, pardine ! » exprime l’impatience.
– La phrase impérative : « ne fais pas la bête » signifie l’ordre. (1 point soit 0,25 point par
type de phrase)
5 a. Rose est d’abord inquiète (l. 385-386) puis épouvantée (l. 391), comme assommée
(l. 402-403) et enfin affolée (l. 405). La peur s’est emparée d’elle et l’empêche de réfléchir :
elle redoute par-dessus tout que le fermier découvre l’existence de son fils caché. (1 point)
b. Rose est comparée à un mannequin : « comme cassée… » (l. 400), « pareille à… » (l. 402),
une sorte de pantin désarticulé car elle ne contrôle plus son corps. (0,5 point)
c. Le trouble physique se manifeste par sa pâleur (l. 379), son immobilité (l. 384), son
mutisme, puis ses larmes (l. 405). (1 point)

III. Les interventions du narrateur (4,5 points)


6 a. Le présent de l’indicatif domine. (1 point)
b. Il a une valeur de vérité générale. (1 point)
c. Maupassant utilise le présent gnomique pour expliquer les us et coutumes de la campagne
normande. (0,5 point)
7 a. La discussion est rapportée au discours direct (présence des verbes de paroles et des
guillemets). (0,5 point)
b. Les deux personnages parlent un mélange de français et de patois normand.
Les personnages déforment certains mots : « not’ maître » (l. 397), utilisent une syntaxe
orale : « ça te va-t-il ? » l. 395, des interjections familières : « pardine » (l. 399). (0,5 point)
c. Ce langage vise à créer un effet de réalisme : Maupassant veut transcrire le langage paysan,
qui contribue à animer son récit et à donner vie à ses personnages. (1 point)

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Réécriture
5 points
Les modifications sont indiquées en gras.
Je suis sûr que demain ma servante acceptera une proposition qui est pour elle tout à fait
inespérée, et pour moi une excellente affaire puisque je m’attache ainsi à jamais une femme
qui me rapportera certes davantage que la plus belle dot du pays.

Rédaction
15 points
La consigne indique clairement qu’il s’agit d’une délibération, donc d’un texte argumentatif
(confrontation d’arguments) : Rose, après hésitation, doit choisir.
On sera attentif :
– au respect de la situation : demande en mariage du fermier, enfant naturel de Rose, fuite de
Jacques ;
– au caractère des personnages : Jacques est charmeur et lâche, le fermier têtu et autoritaire,
Rose courageuse et naïve ;
– à la conduite du récit : les personnages ne sont pas bavards, seuls quelques échanges auront
lieu au discours direct, le reste étant constitué de paroles rapportées de façon indirecte et sur-
tout de discours indirect libre pour les pensées de Rose. De fréquentes interventions du narra-
teur commentant l’attitude de ses personnages seraient les bienvenues, à la manière de
Maupassant.

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compte rendu de l’« autre lecture »
Pierrot de Guy de Maupassant
Ce compte rendu peut être donné en entier ou en choisissant une ou plusieurs parties du
questionnaire.

◗ Questions
Une vie bien tranquille/
1 Un personnage typé
a. Relevez les éléments du portrait qui font de Mme Lefèvre une caricature.
b. Montrez comment l’avarice de Mme Lefèvre commande tous ses actes.
c. En quoi Mme Lefèvre est-elle une « brute prétentieuse » (l. 5) ?
2 Deux victimes
a. Pourquoi Pierrot plaît-il à Mme Lefèvre ? Joue-t-il son rôle ?
b. De quoi Pierrot est-il puni ?
c. Quel est le rôle de Rose dans la nouvelle ? Pourquoi pleure-t-elle à la fin ?

Une farce tragique/


3 Une héroïne tragique ?
a. Pourquoi Mme Lefèvre fait-elle des cauchemars ?
b. Le lecteur la plaint-il ? Pourquoi ?
4 Des registres différents
a. En quoi l’objet du vol puis sa découverte sont-ils comiques ?
b. À quel moment le récit bascule-t-il dans le tragique ?
c. Quelle est la cible de Maupassant dans ce texte ?

Comparaison entre Pierrot et les autres nouvelles du recueil/


5 De quels personnages pouvez-vous rapprocher Mme Lefèvre et Rose ? Commentez.
6 Expliquez pourquoi l’argent joue un grand rôle dans toutes les nouvelles du recueil.
7 Sur quel ton le narrateur intervient-il dans toutes les nouvelles que vous avez lues ?

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◗ Corrigé

Une vie bien tranquille/


1 Un personnage typé
a. Maupassant utilise la généralisation pour le portrait initial de Mme Lefèvre (l. 1 à 7). Il met
en avant son hypocrisie (« cachent », « en public », « des dehors », « dissimulent ») et son
attachement aux choses matérielles. Il reprend le procédé (l. 39 à 46) avec la présentation de
son avarice : « elle était de cette race parcimonieuse de dames campagnardes… ». Ce person-
nage est un archétype de la paysanne mesquine et hypocrite.
b. Elle trouve Pierrot « fort beau » (l. 61-62) car elle n’a pas à l’acheter, l’abandonne dès qu’il
s’agit de payer un impôt, refuse de récupérer le chien pour 4 francs alors qu’il lui manque, se
donne bonne conscience en le nourrissant dans la marnière… où elle l’a jeté. Son dernier acte
est de manger le pain destiné à Pierrot dès lors que ce n’est pas lui qui le mange.
c. Mme Lefèvre est un être cruel qui condamne son chien à une mort atroce par sordide ava-
rice. Elle a perdu toute sensibilité et la colère l’emporte sur le chagrin lors de sa dernière visite
à la marnière.
2 Deux victimes
a. La première qualité de Pierrot, aux yeux de Mme Lefèvre, est sa gratuité. Il fait fête à tout
le monde, donc il ne joue pas son rôle de chien de garde. Pourtant sa maîtresse s’attache à lui
(elle lui donne quelques bouchées de fricot) et Rose aussi.
b. Pierrot est victime de l’impôt (l. 82 à 85) et sa condamnation est affaire de gros sous. Il est
condamné par l’avarice de sa maîtresse.
c. Rose est la servante dévouée, qui ne conteste ni ne juge les décisions de Mme Lefèvre.
Simple et sensible, elle met inconsciemment l’accent sur la cruauté de sa patronne en
essayant d’adoucir le sort de Pierrot : elle le porte dans son tablier et pleure lors de son aban-
don final. Elle représente la sensiblerie impuissante devant les impératifs financiers.

Une farce tragique/


3 Une héroïne tragique ?
a. Les cauchemars de Mme Lefèvre viennent de sa mauvaise conscience : elle a abandonné
son chien. Sa culpabilité se révèle dans son inconscient :
– avec la soupière (Mme Lefèvre est regardante quant à la soupe de Pierrot) ;
– avec le panier (symbole du chemin vers la marnière).
b. Les cauchemars ne la font pas plaindre du lecteur car ils ne font que marquer les scrupules
d’un être égoïste et cruel.
4 Des registres différents
a. L’objet du vol est dérisoire, « une douzaine d’oignons » (l. 15). Le comique naît de la dispro-
portion entre le larcin et les réactions de la propriétaire : « terreur » (l. 18), effarement,
enquête, épouvante rétrospective, annonce auprès des voisins. Le discours indirect libre
marque l’affolement et la surenchère (l. 33 à 38).
b. Le récit bascule dans le tragique quand Pierrot n’est plus seul : son compagnon d’infortune
le condamne à mort puisque Mme Lefèvre ne peut « nourrir tous les chiens qu’on jettera là-
dedans » selon ses propres mots (l. 214-215).
c. Maupassant dénonce la bêtise et la mesquinerie qui conduisent à la cruauté.

Comparaison entre Pierrot et les autres nouvelles du recueil/


5 Mme Lefèvre est une petite-bourgeoise normande, demi-paysanne, propriétaire d’une
« petite maison » (l. 10) et d’un « étroit jardin » (l. 14) ; tout en elle est petit, serré, étroit, à
l’image des lieux qu’elle possède. Sa mesquinerie et son avarice la rapprochent des autres pay-
sans du recueil, du père Milon tenant le compte précis des dépenses causées par les Prussiens
à Hauchecorne ramassant un bout de ficelle dans la poussière parce que « tout était bon à
ramasser qui peut servir » (p. 64, l. 45).

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Rose est présentée comme « une brave campagnarde toute simple » (l. 8-9), dans la lignée des
servantes dévouées et fidèles (pensons à un Cœur simple de Flaubert), sœur de l’héroïne
d’Histoire d’une fille de ferme au même prénom. Elle est sensible mais impuissante à changer
sa maîtresse. Son bon cœur ne sert qu’à verser des larmes sur Pierrot. Elle est à rapprocher de
ces êtres solitaires et malheureux, victimes d’une vie rude et profondément pitoyable.
6 L’argent est un thème central dans toutes les nouvelles du recueil ; le narrateur souligne à
plusieurs reprises son lien avec le caractère normand. L’intérêt financier est à la base des
mariages (Histoire d’une fille de ferme), des vengeances (Le Père Milon), de l’épopée d’Isidore
(Le Rosier de Mme Husson) tout comme de la tragique mésaventure de maître Hauchecorne
(La Ficelle).
7 Le narrateur est juge de ses personnages : il intervient avec humour et ironie pour débus-
quer les conduites hypocrites, les calculs sordides, les méandres des esprits retors. Parfois aussi
il révèle sa sympathie pour des personnages à la vie dure, comme Rose serrant les dents
devant le malheur et prisonnière des conventions d’une société qui ne tolère aucune faiblesse.

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bibliographie
❏ Sur Maupassant
– « Guy de Maupassant », dossier du Magazine littéraire, n° 310, mai 1993.
– « Guy de Maupassant », revue Europe, n° 772-773, août-sept. 1993.
– BURY, Marianne, Maupassant, Nathan, coll. « Balises », 1994.
– TROYAT, Henri, Maupassant, Flammarion, 1989.
– VIAL, André, Guy de Maupassant et l’art du roman, Nizet, 1954.

❏ Sur la nouvelle réaliste


– AUBRIT, Jean-Pierre, Le Conte et la Nouvelle, Armand Colin, Paris, 2002.
– ÉTIEMBLE, René, « Problématique de la nouvelle », Essais de littérature (vraiment) générale,
Gallimard, 1975.
– GROJNOWSKI, Daniel, Lire la nouvelle, Armand Colin, Paris, 2005.
– « La Nouvelle », in revue Le Français aujourd’hui, n° 87, septembre 1989.

Conception graphique : Annie Le Gallou / Thierry Méléard


Mise en page : STDI
Édition : Marion Noesser
Direction éditoriale : Marie-Hélène Tournadre

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