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DIMO GARCIA

Interprétations iconographiques et symboliques

LE LIVRE DE POCHE

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Cet ouvrage est publié sous la responsabilité éditoriale de
l`Équipe des Études sur les arts de Ville Émard.

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Librairie d`iconographie générale, Montréal, Canada, 2010.
ISPN: N854567556546546546 - 1re publication

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INTRODUCTION

Dans notre pratique artistique, une activité collagiste conduit à l’émergence de compositions
visuelles qui semblent montrer l’existence de contenus symboliques, énigmatiques et cachés.
Nous avons conscience de l’existence de ces contenus et nous savons qu’ils ne sont ni fortuits ni
accidentels, même si l’accident et le hasard ont participé dans une certaine mesure dans la création des
travaux.
Notre activité créative organise une vie fantasmatique. Chaque composition synthétise une réalité qui
semble parler de notre vie émotionnelle, à travers des symboles.
Nous pourrions nous restreindre ici à la dualité freudienne entre le manifeste et le latent. Pourtant,
au-delà de cette dualité, nous comprenons les symboles de l’inconscient, sous l’optique jungienne, c’est-à-
dire comme des produits de la nature : le psychisme fonctionne dans des conditions physiques et à travers un
système neurologique naturel. Nous croyons que ce système naturel est en liaison directe avec le mouvement
continu de l’univers, c’est pourquoi nous avons fait appel ailleurs à la notion d’énergie.
Entre la réalité matérielle, physique, et les appels de l’esprit se noue notre activité créative. Dans la
démarche pratique, c’est à travers un arrangement entre forces matérielles et spirituelles que la conception
d’une image est possible.
Avant tout, nous nous intéressons au sens véhiculé par les compositions produites lorsque les images
permettent d’associer le temporel avec l’atemporel, l’individuel avec le collectif. C’est la raison par laquelle
nous faisons référence aux archétypes.
Une participation à ce qui semble être au-delà de notre réalité particulière est recouverte par la
création d’images caractéristiques.
Dans ce livre nous allons parler de ce que les images nous apportent au moment où elles émergent au
cours de la pratique.
1
Nous allons ainsi vers une activité de déchiffrage, de décodage. Les images produites font partie
d’un monde d’interrelations, d’allusions et de métaphores. L’univers de l’œuvre, le monde projeté par elle,
laisse voir, à travers chaque composition, uniquement une partie. 2

1
Or, le déchiffrage de la symbolique des œuvres n’est pas une tâche facile. De plus, il est bien possible
qu’amener à la conscience les contenus symboliques d’une image ne soit pas, pour l’artiste, une activité nécessaire.
Parfois, face au sens caché de l’image, se pose la question de savoir si la peinture provoquerait un
processus de refoulement et non de libération. Ou bien un double mouvement : l’un vers ce qui a des rapports avec un exorcisme
libérateur et l’autre qui nous enfonce, constamment, vers des signes obscurs, pour les étudier, afin d’aller vers une plus grande
clarté intérieure.

14
Entre un tableau et un autre, nous circulons toujours dans une lecture fragmentaire. C’est toujours à
travers une réflexion spéculative que nous avons l’aspiration de comprendre l’articulation des contenus
possibles des différents travaux. 3
Nous parlons ici de la recherche d’une logique intérieure, logique de divisions et subdivisions, tel un
retable gothique en constante formation.
Sur la peinture du XVe siècle, Craig Harbison note : « L’œuvre fonctionne comme une espèce de
puzzle symbolique ; le symbolisme complexe qu’elle illustre, et qui apparaît dans la composition
fragmentaire, était une préoccupation caractéristique des artistes du Nord. » 4
Dans la quête d’un principe intégrateur, le travail de collage par puzzle incarne une activité
psychique en mouvement constant. Nous poursuivons cependant l’intégration des œuvres par la voie d'une
non contradiction.
Il y a, en effet, dans la création des images, une condition étrangère aux contradictions, celle de
l’inconscient, car elle permet de dépasser les difficultés de tout enchaînement rationnel ou temporel.
Nous allons prendre ici le rôle d’un narrateur qui raconte ce qui pourrait être intrinsèque aux
compositions créées. C’est une description mettant en rapport images et idées. Néanmoins, le sens s’enfuit
constamment. L'explication de la signification des symboles n'est jamais accomplie dans sa totalité, ce qui
ferait de l’image un endroit fossilisé et inopérant.
L’activité interprétative implique toujours la mise en évidence d’une multiplicité de sens car les
symboles ne se réduisent pas à une conceptualisation unidimensionnelle. Le commentaire suggestif doit tenir
compte de la polyvalence de significations et des correspondances entre les images représentées.
Notre intérêt est ici herméneutique : il tend vers une considération pluridimensionnelle, ce qui peut
s’effectuer uniquement dans les termes d’une conscience poétique.

2
Georges Didi-Huberman étudie l’œuvre de Fra Angelico dans les termes de la peinture comme
exégèse : « Il n’y a pas, dans l’art de Fra Angelico, qu’une simple rhétorique de la prédication destinée à inculquer les vérités
chrétiennes fondamentales aux laïcs florentins du XVe siècle. Il y a aussi cette exigence d’une “ mémoire du mystère ”, exigence
qui se manifeste au plus haut point dans les fresques de San Marco : alors, la peinture porte ses moyens à l’extrême de la
concision figurative, méditant les saintes Écritures au-delà même de toute iconographie au sens classique. En cherchant à toucher
“ l’œil spirituel ”, en cherchent à se donner comme un Giordino di Orazione (genre d’ouvrage fort médité à cette époque), la
peinture d’Angelico se démontre alors comme un très subtil champ d’exégèse. »… « Fra Angelico se sera attaché, toujours, à
dépasser la simple image, la simple représentation des motifs ; et, selon le système canonique de la pensée exégétique, il aura
cherché, par-delà chaque histoire (historia), à indiquer une leçon morale (tropologia), une vérité doctrinale (allegoria) et même un
support de l’élévation mystique (anagogia). »… « Pour le peintre – prêtre, les figures étaient des signes exégétiques, des signes de
mémoire ou de préfiguration… »
DIDI-HUBERMAN George, « Fra Angelico » dans Dictionnaire de la Renaissance, Encyclopaedia
Universalis et Albin Michel, Paris, 1998, pp. 34-35.
3
L’entrecroisement des contenus du travail dans le monde symbolique du créateur s'explique par le désir
constant d’intégration de différentes parties d’une totalité.
4
HARBISON Craig, La Renaissance dans les pays du Nord, Flammarion, Paris, 1995, éditions
originale : The art of the northern Renaissance, traduit de l'anglais par Dennis Collins, pour l'édition française p. 119.

15
Ceci nous rappelle le lyrisme sensible de Gaston Bachelard, lorsqu’il décrit vivement les
caractéristiques cosmiques des quatre éléments. En effet, le style poétique de Bachelard pourrait se
constituer ici comme un référent de notre démarche théorique..5
Les idées qui accompagnent chaque image, étant une interprétation symbolique et poétique des
peintures, ne prétendent pas à être exhaustives. Nous avons décrit ici simplement ce qui, à plusieurs
reprises, vient à notre esprit face aux tableaux créés.

5
Maintenant, à partir de ce qui vient d’être dit et à travers une méditation qui s'incline toujours
vers l’émotif, nous allons considérer quelques aspects iconographiques des œuvres.

16
TRIPTYQUE DU PARADIS

Triptyque du Paradis, huile sur lin, 150 x 325 cm, 2004-2005.

Ce travail comporte trois grands panneaux et a été l’une de premières œuvres que nous avons
composées par collage et par projections d’images sur une surface.

17
Il comporte trois figures centrales, verticales, chacune sur un panneau. Dans la partie gauche, une
jeune femme se tient debout au sommet d’une montagne et dirige son regard vers l'abîme, le fond ténébreux
et obscur, vu de sa hauteur. 6 Sa main droite est éclairée par le Saint Esprit qui représente la partie
communicative de la Trinité. Selon la tradition, l’esprit, opposé à la chair, est ici le symbole de la pureté, de
la patience et de l’acceptation.
L'ange à droite de la figure est représenté sous les traits d’un enfant. Il regarde vers le haut et
symbolise l’innocence. 7 En tant que présence éthérée et aérienne, il est le messager, intermédiaire entre le
terrestre et la divinité chrétienne. Dans cette image, l’ange évoque l’idée de la sublimation des pulsions et
des passions. Il est un signe d'avertissement et un messager du sacré.
A l'arrière, un courant d’eau se déverse et continue son chemin sur les deux autres panneaux,
inondant la vallée. C’est une rivière calme.

Triptyque du Paradis, huile sur lin, 150 x 325 cm, 2004-2005.

Genèse II, 10-14 :

« Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin et de là se divise pour former quatre bras. Le premier
s’appelle Pishôn : il contourne tout le pays d’Havila ; où il y a de l’or ; l’or de ce pays est pur et là se trouvent le
bdellium et la pierre de cornaline. Le deuxième fleuve s’appelle Guihôn : il contourne tout le pays de Kush. Le
8
troisième fleuve s’appelle le Tigre : il coule à l’orient d’Assur. Le quatrième fleuve est l’Euphrate. »

6
Il convient de citer ici l’idée suivante de Marie Lievens : « les Primitifs flamands peuvent aussi
exprimer l’idée d’élévation spirituelle d’une manière qui leur est propre et qui passera ensuite en Italie. Dans la “ composition en
plateau ”, les personnages sacrés dominent un paysage montré en vue plongeante, qu’ils soient en plein air, comme dans la
Crucifixion d’Albert Bouts, ou qu’ils figurent dans un intérieur, comme la Vierge à l’écran d’osier du Maître de Flémalle ou
l’Annonciation de Van Eyck au revers du retable de l’Agneau mystique. »
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres» dans DE GAND RY Michel, DE
PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 210.
7
Cet ange est repris de l’un des panneaux du Retable d’Issenheim de Mathias Grünewald.
8
La Bible de Jérusalem, éditions du Cerf, 29, boulevard Latour - Maubourg, VIIe Paris, 1990, p. 33.
18
Triptyque du Paradis, huile sur lin, 150 x 325 cm, 2004-2005.

Dans le panneau central, il y a une chute. Elle s’attache à la possibilité d’une individualisation de
l’artiste replié vers son intérieur. La chute fait référence ici au réveil causé par l’immersion dans une réalité
qui lui était étrangère.

19
Ce travail semble à la fois un commentaire de la vie personnelle de l’artiste, mais est, en même
temps, une considération picturale sur la possibilité constante de tomber dans une dissolution psychique.
L’abîme représente l’immensité du pouvoir de l’inconscient qui est renforcé par l'image de l'enfant en bas à
gauche du panneau marchant à quatre pattes, il souligne un état transitoire et insistant. Au fond, dans le
paysage, sur deux montagnes contiguës se dressent deux croix dont l’une est inversée. Les deux croix
semblent représenter ici l’antagonisme entre le bien et le mal mais la croix inversée est aussi symbole du
martyre de l’apôtre Pierre.

L’historienne de l’art Marie Lievens nous indique par ailleurs : « Le lieu de la crucifixion est appelé
dans les Évangiles le Lieu du Crâne (Golgotha en hébreu, Locus calvariae en latin.) Cependant, dès le XVe
siècle, l’idée d’un « mont » Calvaire s’est imposée et a été adoptée par les artistes. Ainsi la croix est souvent
plantée au sommet d’un monticule. » 9
A gauche du panneau, sur une colline plus basse, se dresse aussi une antenne parabolique. Elle est
dirigée vers les croix, faisant référence ainsi à une intercommunication et à une attention vouée au couple.
Dans le troisième panneau, finalement, l'agneau incarne le triomphe de la vie sur la mort. Le livre
ouvert par le Saint parle du chemin élu par l’artiste. La connaissance est ici associée à Dieu. Le Saint
soutenant le livre sur la montagne nous rappelle la forme supérieure de la connaissance qui était pour le
symbolisme gothique la révélation ascensionnelle. En effet, à la fin du Moyen Âge s’est forgée l’idée selon
laquelle les objets qui composent le monde de nos sens nous conduisent à l’intangible, à travers diverses
étapes vers Dieu. Le panneau droit indique donc la recherche ascensionnelle de la vérité, qui est à la fois une
recherche de la sagesse, avec la volonté de s'approcher, par les symboles, d’une connaissance totalisante et
d’une mystique de soi.
Le livre sacré pourrait représenter la force et le Saint auréolé qui lit le livre semble être un envoyé
des cieux. Le seigneur dit à ses disciples : « Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu
de loups. » Evangile selon Saint Luc 10, 3.10
Dans le Livre d’Isaïe, 40, 10-11 est indiqué aussi :

« Voici le Seigneur Yahvé qui vient avec puissance,


Son bras assure son autorité ;
Voici qu’il porte avec lui sa récompense,
Et son salaire devant lui.
Tel un berger il fait paître son troupeau,
De son bras il rassemble les agneaux,
Il les porte sur son sein,
11
Il conduit doucement les brebis mères. »

9
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres » dans DE GAND RY Michel,
DE PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 210.
10
La Bible de Jérusalem, éditions du Cerf, 29, boulevard Latour - Maubourg, VIIe Paris, 1990, p. 1498.
11
Ibid. p. 1131.

20
Triptyque du Paradis, huile sur lin, 150 x 325 cm, 2004-2005.

Jean 21, 15-17 nous dit d’autre part : « Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre : " Simon,
fils de Jean, m’aimes-tu ? " – " Oui, seigneur, lui dit-il, tu sais que je t’aime. " Jésus lui dit : " Pais mes
brebis. " » 12

12
Ibid. pp. 1562-1563.

21
Les deux volailles qui flottent comme une double image des deux côtés du saint représentent le
courage sacrifié : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés,
combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins sous
ses ailes… et vous n’avez pas voulu ! » (Evangile selon Saint Matthieu 23, 37.) 13
A l’arrière plan, l’indigène au fond à droite du même panneau indique ce qui est refoulé et erratique.
C’est en effet la situation de l’homme qui a ses ancêtres de l’autre côté du monde.
En haut à gauche, nous voyons la patte d'un aigle. C’est le roi des oiseaux et rappelle le spectre des
états supérieurs du vol. Le vol est toujours susceptible de devenir une situation périlleuse, ce qui est
symbolisé par les êtres monstrueux qui sont dans le ciel dans le fond du triptyque.
Sur le panneau droit, il y a aussi une lettre « Y » dans le ciel du paysage, ce qui est à la fois la
représentation de « Yahvé « et du « Yo » (« moi » en espagnol), affirmant ainsi l’image du créateur
immanent sous l’œuvre de la nature.
Dans une lecture horizontale de ce travail, nous voyons ici un enchaînement : on souligne d'abord la
hauteur et le regard de la femme portée vers les ténèbres dans le premier panneau. Au milieu apparait la
chute du paradis et, en dernier lieu, la rédemption par le Christ, l’agneau vainqueur de la mort. Evangile
selon Saint Jean 1,29 : « Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». 14
Liées aux idées de haut et de bas, les notions d’Ascension et de Chute sont illustrées dans ce tableau.
Marie Lievens nous indique à ce propos : « Dans tous les systèmes religieux ou philosophiques, les échelles
ou escaliers symbolisent une ascension spirituelle. C’est par quelques degrés que les élus accèdent au
Paradis. Ce dernier est évoqué par sa seule porte, selon une synecdoque de la partie. Par contre, les damnés
ressuscitent pour basculer dans le Puits de l’abîme. » 15
L’auteur indique d’autre part : « Retable d’autel ou image de dévotion personnelle, chaque peinture,
quels que soient les personnages ou la scène représentés, place le fidèle devant la Rédemption et lui rappelle
l’histoire du Salut, de la Chute au Rachat de l’humanité. Cette idée se trouve également exprimée dans un
programme complexe comme celui de l’Agneau mystique que dans un simple Vierge et Enfant à la
pomme. » 16

13
Ibid. p. 1449.
14
Ibid. p. 1530.
15
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres » dans DE GAND RY Michel,
DE PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 215.
16
Ibid. p. 186.

22
ROUE

Roue, huile sur lin, 90 x 125 cm, 2004.

La colombe morte qui se trouve dans ce travail est l’opposée d’un symbole de paix, d’harmonie ou
d’espoir. Avec l'oie, victime elle aussi, ces deux oiseaux représentent la possible migration, le message qui
n’est pas arrivé à sa destination. Ceci amène à penser au nomadisme, activité par essence incertaine.
La position verticale des animaux morts traversant l'espace de l’image fait penser à un couloir entre
le ciel et la terre.
Le jeu d’oie rappelle l’enfance. L’attitude spontanée des deux enfants en bas nous conduit à l’état
d'innocence perdu depuis la chute, état qui est à la fois - par méconnaissance - un état de liberté. Il y a une
relation singulière entre le mouvement horizontal des enfants et l’état inanimé des animaux à la verticale,
qui peut indiquer l’opposition entre la vie et la mort.

23
Un repli est aussi signifié par les enfants qui jouent. Le jeu des enfants demande une absence de
finalité consciente, ce qui est l’une des caractéristiques initiales de notre travail par collage. Par un dialogue
entre le passé et le présent, le jeu des combinaisons conduit à une interprétation, comme moyen de
divination, de consultation des oracles, sens qui est renforcé par la roue de la fortune dans laquelle se trouve
une fillette.
La roue est le cycle, la fortune, le hasard ou la destinée, ce qui n’est pas dénué d’une appréhension et
d’une instabilité constantes. Elle peut aussi se précipiter vers l’abîme ou se tenir dans un équilibre toujours
instable. La roue bleue est en rotation permanente ; comme le monde elle est en mouvement et l’être est
situé au centre de ce mouvement.
Toutefois, la fille au milieu n’appartient pas à ce monde : elle est en elle-même une apparition, une
présence, ce qui provoque des réactions et fait penser aux états de fugue. Une condition surnaturelle se
découvre dans cette figure submergée dans les eaux d’un bleu profond et froid. Cette couleur, accentuée par
l’application de glacis transparents, permet de penser à la profondeur de ce qui s’ouvre vers le passé. Le
contraste entre la couleur bleue souvent associée au calme et le geste du hurlement de la figure accentue le
climat tendu de la représentation.

24
EXTASE

Extase, huile sur toile, 100 x 160 cm, 2002-2003.

Évoqué par la figure de droite, le symbole de la mère est souvent associé à celui de la mer, endroit
originaire et matrice de la vie, force vitale universelle et principe spirituel de forme féminine. Le lac
représente les eaux primordiales, symbole cosmogonique de la source de vie, ouverte vers l’infinitude des
possibilités.
Réceptacle originaire, la mère est le refuge, l'abri et la sagesse. Son symbolisme nous fait penser à un
retour aux sources, à un état embryonnaire. La source de la vie évoque ainsi un lieu originaire, la terre –
mère, qui peut être aperçue au fond de l’image comme une plage vierge de l’autre côté de l’océan.
Par l’attachement excessif à la terre originaire, on rejoint, dans ce tableau, le chemin accompli par
Œdipe. Ceci est ratifié par la présence de l'enfant à gauche, en ascension, dont le regard est tourné vers le
ciel. L’embarcation est aussi la représentation d’une maison instable soutenue sur les eaux. Dans le voyage
maritime, c’est encore une urne, un cercueil possible étant donné le risque de naufrage.
Le personnage qui se dresse est en train de naître, de sortir du ventre de la mère associée ici à
l'embarcation. La corde ou le cordon ombilical en bas à gauche lie l’enfance avec les eaux et représente le
lien cosmique avec les origines.

25
En haut à gauche, le geste de la figure de l’enfant est ambigu : en rappelant un étouffement, son
expression implique aussi une sublimation, un souffle vital, ce qui est aussi une Renaissance. Plainte et
prière, mort et renaissance dans un nouveau monde, impliquent une recréation. Le regard fermé de cette
figure nous rappelle le sort d’Œdipe refusant d’admettre son destin et s’arrachant les yeux.
Une autre interprétation nous fait voir, dans cette figure, un moine en extase, atteignant les états
supérieurs de la vision et de la révélation.
Dans ce tableau, la figure féminine - la mère - a sur son dos l'agneau pascal. Il y a, dans l’apocalypse,
un verset qui signale que l’agneau : « conduira aux sources des eaux de la vie. » Apocalypse 7, 17. 17
Le lac est couvert de nénuphars. Jean Chevalier et Alain Gheerbrandt nous indiquent que, chez les
Dogons de Mali : « le nénuphar est le lait des femmes. Il est en rapport avec le thorax et les seins. On donne
à manger des feuilles de nénuphar aux femmes allaitantes, de même qu’aux femelles de bétail ayant mis
bas. Le bélier mythique qui a fécondé le soleil descend sur la terre par l’arc-en-ciel et plonge dans une mare
couverte de nénuphars, en criant la terre m'appartient. » 18

17
La Bible de Jérusalem, éditions du Cerf, 29, boulevard Latour - Maubourg, VIIe Paris, 1990,
p. 1789.
18
CHEVALIER Jean et GHEERBRANDT Alain, Dictionnaire de symboles, éditions Robert
Laffont S.A., Paris, 1969, p. 662.

26
FAUTEUIL

Fauteuil, huile sur lin, 90 x 90 cm, 2004.

Cette peinture est composée sur une structure de forme triangulaire. La figure christique au centre se
trouve entre le bras gauche de la femme en haut et le bras droit de l’homme en bas, la triade représentant une
participation à un équilibre final : c'est un attachement et un nœud contre l’instabilité suggérant la sécurité
apportée par le mariage et l’église. La configuration entre les trois figures représente aussi l’engrenage d’une
échelle : social, religieuse, politique.
C’est peut-être la réunion dans une hiérarchie. La femme et le saint sont dans une attitude de
vigilance tandis que l’homme, en pleine réflexion, lit. Il tient un disque compact à insérer dans une chaîne
hi-fi, ce qui pourrait symboliser le passé dans le présent. Le fauteuil est un support, un piédestal, et en même
temps un espace intermédiaire de séparation entre la culture et la nature.

27
« AVERTISSEMENT »

Avertissement, huile sur lin, 100 x 120 cm, 2004.

28
Ce tableau est, comme son nom l’indique, un avertissement contre les pensées vicieuses. La main
gauche de la femme domine doucement le dragon médiéval, qui est l’annonce de Satan posé sur un rocher
dans la partie inférieure droite de la peinture. La position du bras gauche de la femme vers le bas fait
allusion à l’inclination des passions. Ceci est complété par la position du bras droit vers le haut qui signale le
premier homme.
Nous pouvons nous représenter ainsi une ligne inclinée à partir de l'extrême supérieur gauche du
tableau et l'extrême inférieur droit de l’image.
Le dragon est la flamme et la puissance latente de l’obscurité et il représente la tendance au mal ;
étant irréel, il est donc invisible dans la vie quotidienne. Par sa condition reptilienne, il est apparenté au
serpent. Sa force est ici maîtrisée : le dragon fait une grimace horrible qui le montre dans un état à la fois de
surprise et de résignation.
L’homme et la femme sont nus et sont donc encore dans le moment avant la chute. A l’arrière-plan,
l’homme est docile par opposition au rictus épouvantable de la femme auquel s’ajoute sa position hiératique
et rigide. Le geste de la femme est celui du pouvoir et de la vanité lascive et provocante. L’attitude de la
figure masculine représente la prudence mais aussi la honte.
La femme blanche rappelle une coloration nordique, tandis que l’homme, plus foncé, fait penser à
un type plus méridional.
Les connotations sexuelles de l'image sont évidentes, ce qui est loin d'être surprenant dans les images
religieuses de la fin du Moyen Âge.
Au service de la vie intérieure, par la primauté de l’élément spirituel, l’iconographie chrétienne
semble essayer de canaliser le « péril » libidinal des images, pour atteindre sa sublimation religieuse.
Toutefois, l’historien de l’art Craig Harbison note : « Dans certaines œuvres de Baldung, Adam et Eve se
font des propositions érotiques franches. Dans ces images de sorcières, la relation troublante entre la
sexualité et le surnaturel est encore accentuée. Ici, sexualité et spiritualité s’opposent et s’attirent à la fois. »
19

Régis Debray observe que la persécution et le refus d’adorer les images ont toujours été, dans le
fond, accompagnés d’une situation de répression sexuelle. 20 L’auteur souligne, avant tout, l’association
biblique entre la vue et le péché. « L’œil est, selon Debray, l’organe biblique de la tromperie et de la fausse
certitude. » 21 Son intervention a pour effet de nous faire adorer la créature au lieu d’adorer le créateur. De
la même manière, la tradition écrite montre clairement la filiation entre la vue et le péché. La Genèse indique
que la femme avait pris le fruit parce qu’il était agréable à la vue. 22

19
HARBISON Craig, La Renaissance dans les pays du Nord, Flammarion, Paris, 1995, édition originale :
The art of the northern Renaissance, traduit de l'anglais par Dennis Collins, pour l'édition française p. 121.
20
DEBRAY Régis, Vie et Mort de l’image, éditions Gallimard, Paris, 1992, p. 80.
21
Ibid. pp. 78-79.
22
Ibid. p. 79.

29
CACTUS

Cactus, huile sur lin, 100 x140 cm, 2004.

Selon les théologiens Karl Rahner et Herbert Vorgrimler, le « dualisme » répond à la définition
suivante, « au sens strict, doctrine d’après laquelle la réalité se compose de deux domaines d’être également
primitifs et absolument opposés l’un à l’autre. Dans l’histoire des religions, son importance tient surtout au
manichéisme, qui partage le monde entre un principe absolu bon et un principe absolu mauvais, qui se
limitent l’un l’autre et qui se font face d'une façon hostile. » 23 Ce dualisme fait référence, comme dans
Avertissement, aux rapports entre la religiosité et la sexualité.
23
RAHNER Karl et VORGRIMLER Herbert, Petit dictionnaire de théologie catholique, éditions du Seuil
pour la traduction française, Paris, 1970, titre original : Kleines Theologisches Worterbuch, pour l’édition française p. 139.
30
Pour comprendre la nature du Christ ailé présent dans cette composition, l’idée suivante de Rahner et
Vorgrimler retient aussi notre attention : « …dans le Nouveau Testament, par la doctrine de l’Incarnation, en
laquelle le « monde céleste » assume définitivement, en le sauvant, le « monde terrestre », la foi au Christ
élimine définitivement tout schéma dualistique même atténué ou relativement légitime. » 24
L’articulation entre les éléments religieux et sexuels de l’image nous fait penser aussi à l’idée
suivante des hispanistes Kohut Karl et Albert Meyers :

« Tout symbolisme religieux ou magique est polyvalent et exprime simultanément plusieurs sens car divers
niveaux symboliques sont mutuellement entrelacés; la polyvalence dans un ensemble de symboles religieux réussit à
représenter, parfois, des conditions existentielles paradoxales, pas nécessairement des éléments de la cosmologie
25
populaire mais très souvent des expériences primaires comme la mort, l'agression, la sexualité. »

Les nuances sexuelles, qui apparaissent voilées dans certaines images chrétiennes, sont en accord
avec l’idée suivante du sémiologue Umberto Eco concernant le mysticisme au Moyen Âge :

« Sous quelque latitude que ce soit, les moralistes et les ascètes ne sont nullement des individus rendus
insensibles à l’attrait des plaisirs terrestres : tout au contraire, ils éprouvent avec plus d’intensité que d’autres ce genre
de sollicitations et c’est justement à partir de ce conflit entre une réactivité aux choses terrestres, et une tension
orientée vers le surnaturel que se noue le drame de la discipline ascétique. » 26

Ce tableau exprime ainsi la mise en scène de cette tension. Les sollicitudes, à la fois religieuses et
sexuelles, tendent à déraciner l’homme, à l’isoler dans une existence solitaire.
Rappelons qu’au Moyen Âge, l’ascétisme devient « un idéal de vie ».
L’exercice de la méditation spirituelle semble avoir des rapports d’intimité avec la production
d’images picturales. Cette relation est décrite par l’historien David Freedberg, de la manière suivante : «
Depuis les tout premiers textes chrétiens sur la méditation, jusqu’aux Exercices spirituels d’Ignace de
Loyola, l’acte de méditation est, en fait, envisagé (et généralisé) en parallèle spécifique avec la fabrication
d’images réelles. La personne en méditation doit projeter des scènes mentales à la manière du peintre qui
représente des scènes concrètes.» 27
Cette dernière référence constitue une posture proche de la nôtre dans le développement de notre
travail. Il s’agit d’une attitude austère, méditative et de contemplation, celle qui ouvre les portes vers le
mysticisme et qui doit imprimer la force au travail.
Nous parlons ainsi d’une recherche spirituelle, des conditions nécessaires et des caractéristiques
fondamentales de tout art qui s'approche du magique ou du religieux. Rappelons que l’origine du mysticisme
se trouve liée aux rites secrets et aux mystères des sociétés religieuses dans l'antiquité orientale et
occidentale. La mystique cherche à établir la communication de l’homme avec Dieu, au moyen de la vision,
de l’extase et de la révélation. 28

24
Ibid. p. 139.
25
“… cualquier simbolismo religioso o mágico es multivalente y expresa simultáneamente muchos
significados, ya que distintos niveles simbólicos están mutuamente entrelazados; lo multivalente en un conjunto de símbolos
religiosos llega a representar, a veces, condiciones existenciales paradójicas, no necesariamente elementos de cosmología popular,
sino muchas veces experiencias básicas como la muerte, la agresión, la sexualidad”.
KOHUT Karl et MEYERS Albert, Religiosidad popular en América Latina, Universidad Católica de
Eichstätt, 1985, p. 238.
26
ECO Humberto, Art et Beauté dans l’esthétique médiévale, Bernard Grasset, Paris, 1997, p. 18.
27
FREEDBERG David, Le Pouvoir des images, éditions Gérard Monfort pour la traduction française,
titre original : The power of images, studies in the history and theory of response, Chicago et London, The University of Chicago
Press, traduction de l'américain par Alix Girod, 1998, p. 188.
.
28
Dans d’autres travaux comme le diptyque Job et Pleniluniun, un regard dirigé vers le firmament, est
associé symboliquement à une quête par le bien et à une recherche de la vérité.

31
JAMBE

Jambe, huile sur lin, 110 x 90 cm, 2004.

Dans ce travail, la jambe amputée nous suggère d’abord le fruit interdit, dans un enclos qui est, en
même temps, un piège à mâchoire.
La composition de cette image est complétée par les deux lapins, l’un qui saute à gauche et l’autre
en bas du tableau qui s'enfonce dans un trou.
Le couple de lapins, dans le Moyen Âge gothique, faisait allusion à la bénédiction divine de la
multiplication de l’espèce : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre… » (Genèse 1,28). Mais elle fait
aussi allusion au péché original de l’homme. Par rapport à la faute, nous imaginons ainsi une relation
psychologique entre l’angoisse de la castration et l’évocation du membre amputé.
Le lièvre ou le lapin, animaux de la nuit, semblent être aussi le symbole de l’apparition et de la
disparition dans le silence et au milieu des ombres. C’est une allusion au processus de Per saltum, ce qui
apparaît soudain et dont la signification demeure floue.
L’enclos est, d’autre part, l’endroit de la domestication des passions. Les deux plantes grimpantes
des deux côtés de la jambe sont des vignes. Elles offrent le mauvais fruit et représentent le côté artificiel de
l’homme, celui qui produit des réactions, sauvages, amères et malades.
32
CRAINTE AMOUREUSE

Crainte amoureuse, huile sur lin, 110 x 85 cm, 2004.

L’œuvre précédente Jambe et celle-ci Crainte amoureuse font partie des travaux où un jardin fermé
entoure une partie ou la totalité de la scène. Les clôtures visibles ont une connotation intimiste.
Dans cette peinture, le jardin garde des herbes et des arbres aromatiques qui exaltent les sens et la
perception. L’Hortus Conclusus évoque ici les plaisirs du paradis, en même temps que la scène oscille,
subrepticement, vers une vision inquiétante. Cette oscillation représente un mouvement entre le
vraisemblable et l’improbable.
Cette composition, dont les personnages principaux sont deux animaux, semble s’inscrire dans une
couche profonde de l’inconscient : les animaux évoquent ici des états instinctifs immergés dans une nature
complexe. On pourrait penser d’abord à la valeur symbolique de l’animal dans le totémisme.
L’animal qui s'enfuit est un porc, symbole des désirs impurs. Il apparaît ici comme un animal
plongeant dans la crainte mais aussi dans l’émerveillement. Il incarne aussi la voracité des tendances
obscures, réprimées grâce au rayonnement de la vie diurne.

33
La nature de l’animal à gauche est encore plus complexe. Sa tête principale est souriante et incarne une
notion d’allègre souveraineté. C’est l’expression du soleil avec trois planètes de chaque côté. La
configuration à sept têtes de l'animal évoque le Ménorah ou candélabre juif à sept bras, ce qui dans la
tradition ancienne nous rappelle une vision de Zacharie. Dans cette vision le prophète voit un candélabre
d’or qui symbolise : « les yeux de Yahvé, ils vont par toute la terre » (Zac. 4, 10). 29
Ceci nous fait penser à l'activité de récupération d'images, comme une activité d’ubiquité
permanente. Le Ménorah symbolise, d’ailleurs, la présence de Dieu parmi son peuple.
Or, la représentation du monstre à sept têtes nous fait penser, par ailleurs, à une vision de Jean,
lorsqu’il se livre à la description suivante dans l’Apocalypse : « Alors je vis surgir de la mer une Bête ayant
sept têtes et dix cornes, sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des titres blasphématoires. La Bête que
je vis ressemblait à une panthère, avec les pattes comme celles d’un ours et la gueule comme une gueule de
lion. » Apocalypse 13 1-2. 30
La crainte des deux félins qui grimpent sur les arbres est celle des mauvais augures; ils suscitent la
méfiance.
L'enceinte, faite avec des os, rappelle aussi un enterrement ou un rite funéraire. Nous semblons
pénétrer dans une zone de l'inconscient, celle du fermé et du caché. L’enclos est également une image du
pays renfermé vers l’intérieur (ou fermé vers l'extérieur) soulignant ainsi son autonomie.
Le rencontre entre ces deux animaux étrangers l’un à l’autre est une rencontre essentielle. Le
personnage à gauche est messianique et son interlocuteur est possédé par la crainte et le désir de fugue.
Le trou permet d'échapper vers un autre degré de conscience, qui peut être celui du néant. C'est une
porte vers un espace psychologique au-dessus du monde.
Dans ce tableau, la nature devient un endroit « surnaturel » qui sert à suggérer la présence du
merveilleux et de l’inattendu.

29
La Bible de Jérusalem, éditions du Cerf, 29, boulevard Latour - Maubourg, VIIe Paris, 1990, p. 1389.
30
Ibid. p. 1792.

34
VIOLENCE

Violence, huile sur lin, 120 x 110 cm, 2004.

Dans Violence, aussi bien que dans les tableaux Jambe et Crainte Amoureuse, nous trouvons une
oscillation entre le bien et le mal.
Ici, le personnage principal flotte sur la rivière tout en mangeant un morceau de viande fraîche. 31
L’effluve représente le mouvement constant de l’inconscient. Le torrent est un symbole totalisant qui
emporte le personnage et ses pulsions alimentaires vers les profondeurs d’une marée de plus en plus agitée.
Le sanglier à droite est associé à la valeur et au courage irrationnel qui peuvent conduire parfois au
suicide. Par sa place dans la composition, il est aussi le symbole de l’audace imprudente.

31
En espagnol « chair » et « viande » s'expriment avec le même mot : « carne ».

35
L’individu dont la tête émerge de l’eau est un autoportrait. À travers l’action de mastication, nous
retrouvons dans cette peinture un commentaire sur la notion de « goût ». 32 Nous parlons de la capacité
subjective de juger des qualités picturales qui, comme un miroir, se montrent objectives. L’alimentation
appelle la saveur, le goût. Ce dernier opère dans notre travail comme une boussole. Il est la mesure de la
perfectibilité qui accompagne toujours le développement du travail pratique.
Le jardin édénique, dans le fond, par les ondulations du paysage présentes aussi bien dans les nuages
que dans la ligne d’horizon, représente encore le caractère circulaire du retour à la mère. En effet, cette
composition est subordonnée à la constellation symbolique maternelle. La peinture encore en phase de
formation trouve dans le sein maternel la métaphore de la plus grande intensité sensorielle primitive. Le
sein, comme le tableau, est la source d’une force émotionnelle extrême qui est impliquée dans la mastication
du personnage.
Cette force est présentée par l’alternance entre la satisfaction et l’insatisfaction des désirs premiers
les plus primitifs, désirs qui se font présents dans la manipulation de la matière physique qu’est la substance
picturale.
Au cours de son travail, le peintre semble reproduire cette relation primitive au sein. Ainsi, dans la
production plastique se découvre souvent un caractère à la fois douloureux et souffrant mais aussi joyeux et
fécond.
Dans la relation intime avec l’objet, l’activité psychique des pulsions premières est liée à élaboration
de fantasmes ou à la faculté d’imaginer. Il y a toujours l’attente d’une incorporation permanente de l’objet
esthétique comme source de plaisir, incorporation cannibale, génératrice d’une culpabilité née de la crainte
de destruction engendrée par la succion.
Cette culpabilité produit une réparation postérieure de l’objet en fantôme. Par conséquent, dans le
travail de représentation, l’activité de restauration de l’objet est aussi présente.
Nous pourrions penser ainsi que toute activité de représentation semble introduire le besoin d’une
réparation, sur le support, de l’objet représenté.
Il y a dans cette activité de réparation le désir d’arriver à une aisance sensitive. La succion du sein est
également la source d’une satisfaction sensorielle de plaisirs esthétiques et alimentaires.

32
Le « goût » apparaît dans tous les choix opérés par un artiste et est toujours changeant.
Quant à notre pratique, la référence au goût dans l’expérience contemplative appelle d’abord à ce qui
est sensitif, au sensoriel. Nous avons la conviction que l’expérience sensitive face aux images est indissociable de la tonalité
affective qui s’en dégage.
C’est de cette étroite relation entre image et affection qu'est né notre intérêt pour une réflexion
psychanalytique autour de l’art. Notre réflexion, en effet, doit être détachée de toute analyse théorique qui ne prendrait pas en
compte le domaine des émotions et des sentiments humains transmis dans un acte de création.
Il nous semble à ce point essentiel de porter notre attention à la tonalité affective dans la production
artistique.
Nous faisons référence à un effet émotionnel lorsque nous parlons d’une élaboration visuelle finalement
accomplie. C’est une charge sensorielle censée venir de l'observation du tableau fini. Nous voulons préserver le lien crucial entre
perception et sensation.
Rappelons ainsi que, durant la période Gothique, il existait une curiosité marquée pour la perception
sensitive des œuvres. La « sensation » produite par certaines peintures à partir de ses qualités physiques marque l'esprit d’une
époque. Nous accordons aussi dans notre travail une grande importance à l’impression sensitive des œuvres.

36
Certaines images de notre pratique semblent, de cette façon, s’enfuir vers des structures archaïques
de notre vie psychique. Les peintures Violence et Jambe tentent de rendre compte de ces dernières
réflexions autour du goût, de l’alimentation et du cannibalisme. Il y a, là, une oscillation entre le désirable et
le repoussant : c’est l’effet produit par un contraste. 33
Finalement dans le fond de ce tableau, en haut à gauche, nous trouvons le chaos représenté par les
figures qui tendent vers l’informe et qui essayent d’entrer au ciel.
L’historienne Marie Lievens nous indique : « Les peintres du XVe siècle représenteront le Ciel par sa
seule porte dans plus d’un Jugement dernier : que l’on songe à celui de Van der Weyden à Beaune ou de
Memlinc à Gdansk.
Depuis l’an mil, les arts visuels de l’Occident ont volontiers représenté l’Enfer par la gueule ouverte
du Léviathan (Job, XL, 20 ; XLI, 5 et 10-13). » 34

33
Dans le travail Jambe sur la pelouse, on remarquait notamment le contraste entre la représentation d’un
membre amputé - mais doux - et sa mise en place dans un jardin paisible.
34
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres» dans DE GAND RY Michel, DE
PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 214.

37
LE PENDU

Le pendu, huile sur lin, 100 x 130 cm, 2004.

38
Le pendu ailé est, en effet, un ange. Dans ce travail, il fait référence soit à la douleur de la victime,
soit à la tentative impossible de renoncer à l’immortalité. Cette tentative d’abandon exprime la fin de
l’impuissance et la recherche de la purification à travers le détachement.
Il s’agit en effet d’une recherche de libération. C’est à la fois le chemin pris par l’aspect spirituel de
l’homme face à l’actualité. Dans l’Apocalypse 18 1-3, Jean dit ainsi : «…je vis descendre du ciel un autre
Ange, ayant un grand pouvoir, et la terre fut illuminée de sa splendeur. Il s’écria d’une voix puissante :
“ Elle est tombée, Babylone la Grande ; elle s’est changée en demeure de démons, en repaire pour toutes
sortes d’esprits impurs, en repaire pour toutes sortes d’oiseaux impurs et dégoûtants. Car au vin de ses
prostitutions se sont abreuvées toutes les nations, et les rois de la terre ont forniqué avec elle, et les
trafiquants de la terre se sont enrichis de son luxe effréné.” » 35
Babylone pourrait être comprise, ainsi, comme l’ensemble de la culture occidentale. Dans cette
peinture, la position du personnage est celle d'une soumission et d'une résignation. C’est la douleur dans
l’abattement face aux contraintes sociales et culturelles qui nous entourent.

35
La Bible de Jérusalem, éditions du Cerf, 29, boulevard Latour - Maubourg, VIIe Paris, 1990, p. 1796.

39
DOUBLES

Doubles, huile sur lin, 80 x 80 cm, 2005.

Une proposition inattendue pendant le sommeil du couple rappelle le passé au milieu du repos. C’est
le réveil des pulsions sauvages difficilement maîtrisées au milieu de la nature. Cette œuvre appelle à la
prudence face à la possibilité de tomber dans l’inconscience.
Le geste d’invitation de la femme à gauche tente le dormeur vers la luxure. Il y a une fragilité
extrême du sommeil vis-à-vis des bruits et du sens du toucher. Cependant, l’indifférence et l’épuisement de
l’homme prévalent sur l’incertitude du sort, ce qui finalement favorise la recherche ascétique.
Le teint blême des personnages symbolise le mysticisme qui accompagne l’amour désintéressé.
La position des trois figures insinue aussi l’ambivalence, à gauche vers la disgrâce, à droite vers la
famille.

40
LA MORT DANS LE JARDIN

La mort dans le jardin, huile sur lin, 110 x 85 cm, 2004.

41
Il s’agit ici d’une configuration complexe, avec plusieurs figures comprenant le serpent au fond sur
l’arbre, Adam, Eve, la mort derrière Marie et une spectatrice au premier plan à droite.
Sur la composition, Adam apparaît incliné au centre, représenté dans une posture très rigide, comme
une momie. Il est tenu par une vierge folle et vieille, telle une marionnette de la mort. Adam se bat entre le
réveil et l’inconscience. Le fruit offert par la femme à gauche est peut-être amer, c’est un purgatif, mais le
consommer est nécessaire pour se réveiller.
Marie Lievens signale :

« Le fruit dont la consommation a provoqué la Chute de l’homme est simplement indiqué dans la Bible
comme celui de l’Arbre de la science du bien et du mal. A la suite d’un jeu de mots latin assimilant malum, le mal, et
màlum, la pomme, le mal fut très couramment représenté par ce fruit. En prenant à son tour la pomme, l’Enfant Jésus,
Nouvel Adam, montre qu’il assume le péché du monde et sauve ainsi l’humanité. Lorsque Marie s’unit à son geste,
elle rappelle son rôle de corédemptrice, autre idée très chère aux théologies du XVe siècle. » 36

Avant la chute existait l’innocence et l’irrationnel régnait sans contradictions. L’offre de la femme
est celle d’un réveil vers la vérité et vers la révélation. C’est aussi par le fruit qui survient le triomphe de la
conscience et de la raison : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus ; ils
cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes. » La Genèse 3, 7. 37
L’invitation à manger le fruit peut s'interpréter aussi comme l’invitation à se différentier de l'état
animal, ce qui implique une prise de conscience de la mort.
Ici, la mort, à l’arrière-plan, évoque l'ombre, l’aspect destructeur d’une relation au milieu d’un
entourage de proches.
Dans l’iconographie chrétienne, l'esthétique de la souffrance et la conception tragique de la vie mène
à la création de l'image de la mort comme un squelette animé ; c’est l’expression de l’inexorable loi divine et
du pouvoir de Dieu face aux mortels.
« Le Moyen Age, nous dit Marie Lievens, ne cesse de rappeler à l’homme qu’il est mortel et
susceptible d’être condamné au Jugement dernier. Quelques tableaux montrent au revers des volets, soit un
crâne, comme le Triptyque Braque de Rogier van der Weyden, soit deux squelettes, comme le Triptyque du
Martyre de saint André du Maître de San Lorenzo della Costa conservé à Santa Margherita Ligure, soit
encore un mort étendu dans son linceul, comme le Retable de la Crucifixion du Maître de Francfort, de cette
même ville. » 38
La figure de la mort dans ce tableau apparaît souriante, couronnée et cachée à l’arrière de la scène
paradisiaque. Elle rappelle également, la représentation de la mort développée pendant l'art religieux du
baroque latino-américain.

36
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres» dans DE GAND RY Michel, DE
PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 208.
37
La Bible de Jérusalem, les éditions du Cerf, 29, boulevard Latour-Maubourg, Paris VIIe, 1990, p. 34.
38
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres » dans DE GAND RY Michel,
DE PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 194.

42
LES AMANTS

Les amants, huile sur lin, 80 x 80 cm, 2005.

La composition Les amants dessine l’exaltation de la vie jointe à une condition temporaire, qui est
symbolisée par la fontaine en arrière-plan, source jaillissante d’immortalité ou de jeunesse.
La présence de la fontaine, au fond du tableau, correspond au perpétuel rajeunissement. Ceci est
perceptible au regard des deux personnages, dont l’état corporel les fait être, en même temps, des enfants et
des vieillards.
Leur attitude, l’un face à l’autre, est ambiguë, entre souffrance solidaire et jeu innocent.
À leur côté, le paon est l’emblème de la flamme permanente et de l’immortalité, symbole de la
fertilisation céleste et de l'union totale entre les amants qui se plient à la vie en couple.
De plus, les deux figures tournent en rond. Le rituel d’amour est ici un motif lié à la danse. Il semble
aussi que la figure masculine cherche à s’emparer du corps féminin. Ceci est normal, et représente
l'opposition mâle – femelle, en formant une « communauté » corporelle qui participe du mystère divin, par
le sacrement du mariage.

43
BATEAU

Bateau, huile sur lin, 112 x 150 cm, 2005.

La figure christique passe, de nos jours, par une situation difficile et semble vouloir être repêchée au
milieu d’une forêt amazonienne luxuriante. Cette figure est celle de la sauvegarde des traditions dans des
nouveaux milieux de vie. Toutefois l’implantation des traditions dans une autre région du globe suppose une
condition artificielle, incarnée ici par le bateau en plastique. L’artificiel est en même temps ce qui est produit
par l’homme.
L’eau rougeâtre confirme cette artificialité, et symbolise une contamination venue de l’extérieur.
Conduit à la dérive vers le cœur de la jungle, le Christ est accompagné d'étudiants en droit et en art, des
disciples dans une excursion qui est l’étude du passé, toujours pleine de richesses comme de périls et de
difficultés inattendus.

44
CHRIST DANS LA CHAMBRE I ET II

Christ dans la chambre I


huile sur lin, 140 x 115, 2004.

Dans ces deux tableaux, les situations représentées ont lieu dans la chambre de l’étudiant colombien
en Europe. Le Christ évoque ici l’apparition de la culture à l’intérieur de la demeure, lieu d’intimité.

45
Dans cette intimité intervient aussi la relation avec l’extérieur, ce qui est représenté par l’appareil de
télévision dans le tableau de gauche. La plante représentée au-dessus du Christ est un bananier tropical.
Dans la composition de droite, le ventilateur correspond à la dépendance face aux objets culturels. La
figure est ici dans une situation corporelle peu confortable. Cette situation évoque aussi le besoin de
« prendre de l'air » ou la nécessité d'un changement. Au fond, dans le même tableau, apparaît le cactus isolé,
dans la sécheresse de la chambre de l’étudiante pauvre mais bien chauffée durant l’hiver.
Dans les deux tableaux, le Christ est voué à l'amertume et à la douleur de l'absence. Nous percevons
un fort sentiment de fragilité ou de tragédie, lié à la vie quotidienne.
La compassion et l’empathie apparaissent dans le silence, lorsque nous sommes face à
l’immédiateté du corps christique dans le présent.
Tristesse et mortification sont visibles au premier plan, forces emphatiques face à la souffrance du
Christ. Ces deux peintures reprennent cette conception sensible et parlent aussi de l’identification de l’artiste
avec le Christ.

Christ dans la chambre II, huile sur lin, 80 x 80 cm, 2004.

46
DIPTYQUE DE JOB ET PLENILUNIUM

Diptyque Job et Plenilunium, huile sur lin,


panneau droite 130 x 100 cm, panneau gauche 130 x 87 cm, 2004-2005.

47
Ce travail est le dernier de ce premier groupe de peintures. Il se rapproche du Triptyque du paradis,
cité au début de ce livre.
Nous pouvons repérer cette proximité en raison de la verticalité des figures humaines dressées au
premier plan et opposées à l'horizontalité du paysage qui s’enfonce vers la profondeur. 39
Dans ce travail, les deux personnages représentés peuvent être compris comme des autoportraits ridés
et théâtraux.
Tournées vers le haut, ces figures essaient d'échapper au poids du monde. Par ces attitudes, ils
semblent vouloir s’enfuir de la région confuse du chaos ou région de la dissemblance. 40
La philosophe María Elena Ramos nous indique à ce propos : « Dans la peinture religieuse
médiévale, fatalité et destin marquaient les déterminations des êtres à agir vers le bien ou vers le mal, et
cette caractéristique peut s'apercevoir dans les visages angéliques ou hiératiques, dans les corps placides ou,
au contraire, dans les êtres hybrides possédés par les forces démoniaques. » 41
Dans une même perspective, Paul Westheim nous rappelle, que l’un des sujets favoris de l'art du
Moyen Âge était la lutte entre les vertus et les vices. 42 Le bien est naturellement en haut, le mal en bas. Par
cette distribution, l'élément fondamental d'ordonnance dans la cosmogonie gothique, la verticalité,
échelonnait le monde, par une ascension vers le ciel, résidence de Dieu.
Les deux figures incarnent, dans ce diptyque, une lutte entre les forces du bien et du mal. 43 Lutte
qui, traversant les tableaux du bas vers le haut par le corps des personnages centraux, imprime, au sommet
du tableau, un caractère tordu aux vissages, comme s'il s'agissait de la congélation d'une étrange terreur.
Caractérisé par le rictus spasmodique, la lutte entre les vertus et les vices semble avoir ici une
coloration ironique. En effet, il y a dans la représentation un composant risible, caractéristique dont nous
avons parlé ailleurs. 44
Pourtant, ce composant de l’image ne veut en aucun cas manquer de respect à la charge religieuse
présente dans ce travail.

39
La condition verticale des personnages est complétée dans cette représentation par la suggestion de
profondeur de l'espace, qui s'ouvre vers l'horizon.
40
Fuite qui représente métaphoriquement, la tentative de chercher à échapper de la région latino-
américaine et de son irrationalité, vers l'idéal d'un monde meilleur.
41
Traduction personnelle de : “En la pintura religiosa medieval, fatalidad y destino determinan a los seres
a actuar el bien o el mal y esto se apreciaba en rostros angelicales o hieráticos, cuerpos placidos o, en su contrario, seres híbridos
poseídos por las fuerzas demoníacas.”
RAMOS María Elena, Armónico-disonante. Reflexiones sobre Arte y Estética, Universidad Catolica
Andres Bello, Caracas, 2001, p. 79.
42
WESTHEIN Paul, Arte, religión y sociedad, Fondo de cultura económica S.A., México D.F., 1987, p.
57.
43
La position douloureuse des deux personnages centraux du diptyque montre la fatigue propre à la fin
d'un long parcours.
44
Dans l'organisation de l'espace, entre le comique et le tragique, notre travail pratique s'intéresse ainsi à
la mise en place d'une subordination de l'inférieur au supérieur, de la chair à l'esprit, du multiple à l'unité, à travers la
représentation d'un espace vertical, où viennent se loger (dans le même ensemble et à plusieurs niveaux de lecture) les vertus et les
vices.
Cette cohabitation s'exprime, tout d'abord, à la manière d'une lutte constante, lutte qui cherche la
sublimation des pulsions à travers l'image, par la création d'un espace s'offrant à la contemplation. L'image composée par cette
ambivalence, devient cependant une espace de non-contradiction. L'image oscille sans heurt entre le désirable et le repoussant, le
risible et le sérieux.

48
Le caractère risible, lié à un état nerveux, évoque davantage la crainte ou l’ambivalence psychique.
La position hiératique des personnages accentue aussi une hésitation entre l'humour et le pathétique. Ce va et
vient conduit à une condition ambiguë. 45 Cette condition semble, en effet, fortifier l'expérience spirituelle
qui est censée avoir lieu devant ces tableaux. 46
Le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman nous propose l’idée selon laquelle la
meilleure manière de frapper l’esprit ou d’imprimer une image dans la mémoire, consiste à livrer la figure au
jeu de l’étrangeté, à la défigurer un peu dans l’attente purement visuelle d’une coloration déconcertante. 47
Dans ce sens, la clarté de la lumière du jour n'est pas destinée à éclairer les figures de façon naturelle
mais à les baigner dans une aura surnaturelle, à la fois ravissante et terrifiante.
A propos de la composition verticale des tableaux où l’on situe le bien en haut et le mal en bas,
María Elena Ramos note : « Cet ordre stipule clairement du point de vue métaphysique, que l'être tend vers
le bien, à partir du mal, à l'unité à partir du multiple, au plus bas depuis ce qui est encore contaminé, au plus
haut depuis le bas. Et stipule aussi clairement du point de vue analogique et allégorique que le tableau d'un
ordre divin construit le type d'espace qui lui est nécessaire : espace vertical et hiérarchisé où viennent se
loger les vertus et les vices, la lumière et l'obscurité, le bien et le mal. Aussi la lumière, le bien et la vertu
sont-ils naturellement placés en haut. L'obscur, l'ombre, le vice, la multiplicité et la mort naturellement en
bas. » 48
Les figures centrales, dans ce travail, en regardant vers le haut, semblent apercevoir une splendeur
qui n'est pas de ce monde et qui se révèle, dans le ciel mais aussi à l’intérieur de l’homme. 49
Observons ce que María Elena Ramos écrit à ce propos :

45
Voir chapitre III de ma thèse doctorale.
46
Ajoutons que le sacré comporte en soi une ambivalence. Mircea Eliade l’indique : « Il attire et repousse,
il est en même temps « sacré » et « souillé ». Sacer peut signifier en même temps maudit ou saint. »
ELIADE Mircea, Traité d’histoire des religions, 1949, éditions Payot, Paris, p. 26.
47
HUBERMAN Didi, Fra Angelico, dissemblance et figuration, Flammarion, Paris, 1990, p. 13.
48
Traduction personnelle de : “Este orden deja claro, desde el punto de vista metafísico, que el ser tiende
al bien, desde los males. A la unidad, desde lo múltiple. A lo más bajo, desde lo aun contaminado. A lo más alto, desde lo bajo. Y
deja también claro, desde el punto de vista analógico y alegórico, que el cuadro del orden divino construye el tipo de espacio que
le resulta necesario: Espacio vertical y jerárquico donde se alojan virtudes y vicios, luz y oscuridades, bien y males. Lo luminoso,
la virtud y el bien naturalmente están arriba. Lo ominoso, la sombra, el vicio, la multiplicidad y la muerte naturalmente abajo.”
RAMOS María Elena, Armónico-disonante. Reflexiones sobre Arte y Estética, Universidad Católica
Andrés Bello, Caracas, 2001, p. 78.

49
Les yeux dirigés vers le firmament, font partie des attitudes qui servent à exprimer la vision d’un
tremblement face au miraculeux. Le regard vers le ciel est, à la fois, une tentative de l'homme qui cherche à regarder la face
divine.

49
Diptyque Job et Plenilunium, huile sur lin,
panneau droite 130 x 100 cm, panneau gauche 130 x 87 cm, 2004-2005.

50
« L’une des synthèses entre l'esprit et la matière, à laquelle la pensée chrétienne médiévale nous a habitués,
c'est l'idée que le plus haut est aussi le plus intérieur. C'est l'idée que monter à Dieu est nécessairement entrer au fond
de l'homme lui-même, que la lumière divine irradie non seulement depuis le haut, mais particulièrement depuis
l'intérieur. » 50

D’autre part, entre le panneau de gauche et celui de droite, il y a un passage du plaisant vers l’aride
du paysage. L’historienne de l’art, Marie Lievens nous indique :

« Le Jugement dernier de Memlinc à Gdansk met en évidence un autre symbole fondamental : l’opposition
entre une terre aride et un pré fleuri. La séparation des deux zones, dans l’axe du tableau, semble tracée au cordeau : à
la droite du Christ et de saint Michel, la verdure est liée à la vie de la grâce ; à leur gauche, la terre craquelée par la
sécheresse évoque la mort, le péché. » 51

Sur le soleil présent dans le panneau de gauche, une autre considération de l’historienne semble
intéressante : « Dans la Nativité du Maître de Flémalle à Dijon, l’immense soleil levant qui apparaît à
l’horizon est une métaphore du Christ, que la liturgie de Noël nomme du titre messianique de Soleil de
Justice. » 52
Concernant d’autres symboles de ce diptyque, remarquons aussi, au fond du panneau droit, le lion,
qui est l’attribut de la force égarée face à l’expression de la terreur et de la panique du personnage.
À gauche, le port de la croix correspond au symbole de l’accomplissement d’un sacrifice. En même
temps, la croix représente l’instrument de la transfiguration.
Le bélier, en bas à gauche, est la puissance retenue qui peut en même temps être déclenchée si la
situation ne tend pas à s’améliorer.

50
Traduction personnelle de : “Una de las síntesis entre espíritu y materia a la que nos acostumbró el
pensamiento cristiano medieval, es la idea de que lo más alto es también lo más interior. De que subir a Dios es necesariamente
entrar al fondo del hombre mismo. De que la luz divina está irradiando no solo desde arriba sino, particularmente, desde dentro.”
RAMOS María Elena, Armónico-disonante. Reflexiones sobre Arte y Estética, Universidad Catolica
Andres Bello, Caracas, 2001, p. 45.

51
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres» dans DE GAND RY Michel, DE
PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 211.
52
Ibid.

51
VIERGE À L’ENFANT

Vierge à l’enfant, huile sur bois, 40 x 27 cm, 2005-2006.

52
Pour l’évolution de notre pratique, le voyage en Colombie a impliqué une oscillation symbolique
entre le supplice et la rédemption, entre l'obscur et le lumineux, entre la peine et la joie.
Nous avons vu précédemment nos peintures marquées souvent par un caractère tordu et
fréquemment douloureux.
Lorsque nous sommes retourné en Colombie, ce nouveau groupe de peintures a été entamé avec
l’image de la Vierge Marie, patronne du pays, représentation de la pureté, de la grâce et de l’espérance. La
vierge arrive, en effet, après une phase critique, pour apporter une énergie profonde, passive et stable.
Marie est, après Eva, la deuxième mère primordiale. Elle est donc le symbole de l’accueil, de la
protection et de l’abri maternel. La vierge représente l’œuvre de salut (délivrance d'un état ou d'une
condition non désirée), et s’avère être la figure principale de la rédemption par l’immaculée conception.
Pâle et délicate, la vierge apparaît sur ce tableau au premier plan. La lumière fait détacher sa figure et
celle de l’enfant d’un fond sombre. Nous reprenons ici une idée propre à la fin du Moyen Âge : la lumière
ou lux était considérée comme un composant de la matière, substantielle à celle-ci et génératrice de la
vitalité des corps. Plus un corps serait constitué de lumière, plus il serait beau et noble, s'approchant, par sa
brillance, du divin et de Dieu, qui est la lumière par excellence.
Les figures saintes, extrêmement claires et imprégnées par la luminosité, acquièrent ainsi une
sensation de légèreté, de noblesse et de beauté. 53
En tant que corps représenté pourvu d’une émanation lumineuse, le tableau reproduit la lumière
divine et devient ainsi le lieu de la présence céleste. Cette idée peut aussi être comprise comme une
révélation de Dieu à travers l’éclat pictural.
Sur l’effet cherché dans l’élaboration de cette peinture, la note suivante de Roman De la Calle est
pertinente : « Produire l’impact, par empathie, sur le sujet qui contemple l’image, dépend aussi, et dans une
grande mesure, de la situation spéciale dans laquelle la réception de l’œuvre se produit » … « Lumière,
distance, silence, techniques picturales utilisées, effet de réalité ou de fiction sont autant de recours qui
permettent l’accès à l’espace de l’imaginaire, visé par la vision picturale de la hiérophanie. » 54
Les propriétés de transparence et de luminosité de la peinture à l'huile étaient connues au cours du
XVe siècle et convenaient à la recherche d’un sens toujours caché en-dessous des apparences matérielles, au-
delà du visible.
María Elena Ramos indique : « Dans l'art, le besoin d'exprimer ce qui est au-delà du visible a été
depuis toujours directement ou indirectement lié au pouvoir d'être transparent ou de voir en transparence.
Cela peut être appliqué, aussi bien, à la transparence des choses qu’à la transparence dans l'intériorité. » 55 56

53
L’utilisation de l’or comme symbole de l’éclat, dans les œuvres picturales et dans l’architecture
intérieure, souligne la présence d’une aura propre à la divinité.
54
Traduction personnelle de : “Producir el impacto, por empatía, sobre el sujeto que contempla la imagen
depende también, y en buena medida, de la situación especial en la que se produce la recepción y no sólo del concreto horizonte
de expectativas individuales intervinientes. Luz, distancia, silencio, técnicas pictóricas empleadas, efecto de realidad o de ficción
son otros tantos recursos que posibilitan el acceso al ámbito de lo imaginario, hacia donde apunta, directamente, la visión pictórica
de la hierofanía.”
DE LA CALLE Roman, « Lo sagrado. Retórica de lo inefable », dans Intertextos y contaminaciones,
Conferences, Generalitat Valenciana, Valencia, 1999, p. 69.
55
Traduction personnelle de : “En el arte, la necesidad de expresar, y de expresar lo que está más allá de
lo visible, ha estado desde siempre directa o indirectamente relacionada a los poderes de ser transparente o de ver en
transparencia. Y tanto a la transparencia en las cosas, como a la transparencia en la interioridad.”
RAMOS María Elena, Armónico-disonante. Reflexiones sobre Arte y Estética, Universidad Catolica
Andres Bello, Caracas, 2001, pp. 39-40.

53
D’autres implications symboliques peuvent aussi être indiquées concernant ce travail :
Le jouet de l’enfant qui prend la forme d’un Martien fait référence à l’idée d’une nouvelle
Renaissance, dans la contemporanéité, de l’harmonie et de la concordance entre le passé et le présent dans la
vie de l’artiste.
Cette figure comporte principalement un trait surréaliste : son inclusion poétique dans le tableau ne
veut pas indiquer que les extraterrestres existent ou non ni même que la vierge et le Christ aient un jour
existé.
Entre fiction et religiosité, l’image hybride renoue l’archétype des déesses mères : Déméter en Grèce,
Isis en Egypte, Bachué pour les Chibchas en Colombie.
L’historienne de l’Art, Marie Lievens nous indique d’autre part : « Au Moyen Âge, la Vierge est
considérée comme la Fiancée du Cantique des cantiques et assimilée notamment, dans la poésie et la prose
religieuse, au “ jardin clos ” et à la “ fontaine du jardin ” du poème biblique (IV, 12). » 57
La vierge dans cette peinture porte une robe bleue, peu visible. L'enfant regarde sa mère. Éclairé d’un
sourire, le visage de la Vierge transmet l'amour, la tranquillité et le calme.
Finalement, dans cette peinture nous voyons aussi une plante typique de la nature colombienne, qui
est appelée populairement « fleur du paradis ». Elle sort de l’oreille de Marie car elle rappelle doucement
l’appartenance à un territoire vierge, initial, natal.

56
« L'artiste peignait des zones colorées qu'il juxtaposait soigneusement, en opposant parfois plusieurs
couches pour obtenir le ton voulu. Le perfectionnement de la technique à l'huile lui permettait de peindre des glacis transparents
sur des sous-couches, obtenant ainsi la profondeur de coloris propre à la peinture flamande. Dans la Déposition de croix de
Rogier, par exemple, le bleu profond et lumineux de la robe de la Vierge est dû à deux couches de lapis-lazuli, un pigment très fin
et extrêmement onéreux, recouvrant un fond moins cher et moins intense en azurite. Chaque couche peinte devait sécher avant que
l'artiste passe à la suivante. Il lui fallait un temps considérable pour peindre un tableau, et pour des raisons économiques il était
intéressant d'en avoir plusieurs en chantier simultanément. Quand une couche de couleur était prête, le peintre ajoutait quelques
petits détails ainsi que les rehauts lumineux, ce qui représentait encore un travail considérable si l'on tient compte par exemple du
nombre de touches minuscules nécessaire pour rendre un brocart d'or. »
KEMPERDICK Stephan, Rogier Van der Weyden, 1999, Bookmaker, Paris, 2000, édition originale de
Könemann Verlagsgesellschaft, Cologne, 1999, pour l'édition française p. 40.
57
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres » dans DE GAND RY Michel,
DE PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 212.

54
VIERGE LATINE

Vierge latine, huile sur bois, 40 x 27 cm, 2005-2006.


55
Si nous suivons la pensée de l’historien de l’art, David Freedberg, la Vierge incarne la combinaison
la plus parfaite d’amour maternel et de sexualité juvénile. Selon Freedberg, Marie a été, en effet, durant des
siècles « la plus belle des femmes de la terre et la figure ultime de la maternité ». 58
Dans cette nouvelle représentation, l’image féminine a des traits qui suggèrent un désir à la fois
spirituel et charnel. Malgré cela, le fait de se trouver devant une représentation de la vierge, confère au
tableau un caractère sacré, interdit.
La figure est ainsi représentée comme l’archétype de la femme pure mais aussi désirable, ce qui
produit, d’autre part, un étrange contraste entre l’élément non corporel et spirituel de la représentation et les
qualités matérielles, sensuelles et physiques du tableau. 59
Cette vierge est du type Galactrophousa ou vierge nourricière, symbole de la Nature.
Nous pouvons repérer, à l'arrière-plan du tableau, un lac. Dans la mythologie Chibcha (ancienne
population précolombienne native de la région de Bogotá) la déesse Bachué était sortie d’un lac sacré – La
Laguna de Iguaque – portant dans ses bras un enfant. Au fil du temps, l’enfant grandit et se maria avec
Bachué. C’était le premier mariage chibcha. Bachué et son fils voyagèrent à travers le monde et leur union
fut prolifique. Une fois âgés, après avoir peuplé la terre, ils revinrent dans le lac, tout en exhortant leurs
enfants de maintenir la paix. Par la suite, ils se transformèrent en serpents et disparurent dans l’eau.
Il y a, ici, un caractère œdipien dans cette relation entre la femme et l’enfant, mais nous pouvons
aussi remarquer le symbole de l’eau comme source primordiale de la vie. Dans le tableau, le lac pourrait
aussi être compris comme l’océan. L’architecture à gauche est celle d’une maison européenne de couleur
rougeâtre et pourrait nous faire penser à une maison alsacienne.

58
FREEDBERG David, Le Pouvoir des images, éditions Gérard Monfort pour la traduction française,
titre original : The power of images, studies in the history and theory of response, Chicago et London, The University of Chicago
Press, traduction de l'américain par Alix Girod, 1998, p. 351.
59
La Sainte Thérèse et l’ange, de Gian Lorenzo Bernini, illustre la dualité entre le désir charnel et
l’ascension spirituelle. Sur la représentation de Bernini, le visage de la figure centrale demeure dans une concentration liée à une
extase à la fois mystique et sexuelle.
56
SÉRIE DE CHRISTS SUR FOND NOIR

Série de Christs sur fond noir, huile sur bois,


40 x 27 cm, 2006.

Dans cette série de Christs, les positions des mains et les gestes des figures ont un sens qui n’est ni
explicite ni spécifié. Ils encadrent divers états de la recherche, différentes questions silencieuses. Une
communication entre l’image et le spectateur ne se donne jamais à partir de la parole produite mais à travers
le silence et la contemplation. Avec ces gestes, nous parlons de l’arrêt de tout discours oral.

57
Série de Christs sur fond noir, huile sur bois,
40 x 27 cm, 2006.

Cette série de Christs n’illustre pas une narration spécifique. Debray comprend l’apport du
Christianisme à la peinture précisément en dehors du simple fait d'illustrer la doctrine et plutôt comme un
paradigme instaurateur, c’est-à-dire constitué avant la doctrine ou même venant la remplacer. « Le Medium
est le message », nous indique Debray, « c’est en propre la révolution catholique ». 60 61

60
DEBRAY Régis, Vie et Mort de l’image, éditions Gallimard, Paris, 1992, p. 98.
61
L’imitation du Christ, l’imitatio Christi devient sur le tableau, imitation par la matière de l’immatériel.

58
Série de Christs sur fond noir, huile sur bois,
40 x 27 cm, 2006.

Dans l’élaboration de l’œuvre picturale, l’artiste insuffle la présence qui l’habite, une existence vive
et réelle, fournie par un élan vital : la même impulsion du Père originaire qui imprime la vie à ses créatures.
De manière analogue, cette série montre le souhait d’une reproduction. Dans le chemin pénible et
joyeux de la représentation, s’effectue la naissance des tableaux, fils du peintre.
Ces représentations apparaissent ainsi comme des entités à part et indépendantes du créateur. En
effet, elles ont une autonomie qui est celle d’un langage de signes propres. L’image est à la ressemblance de
l’auteur : le tableau est un miroir. Ces images sont en outre des nouveaux nés qui s'affranchissent de
l’autorité paternelle par leur autonomie et par leur indépendance.

59
Série de Christs sur fond noir, huile sur bois,
40 x 27 cm, 2006.

62
Chaque personnage apparaît sur un fond neutre et sombre. Nous pouvons découvrir ici un une
alternance entre l’image-symbole et l’image-reflet.

62
Les tableaux Vierge à l’enfant, Vierge latine et Lamentation montrent aussi cette caractéristique.

60
Série de Christs sur fond noir, huile sur bois,
40 x 27 cm, 2006.

Hélène Mund, secrétaire scientifique de l’Institut Royal du Patrimoine Artistique


à Bruxelles, nous indique : « L’image du "gros plan narratif", propice à la méditation car elle rapproche le
dévot de la scène figurée, est largement exploitée dans la seconde moitié du XVe siècle. » 63
Sur les sujets des tableaux religieux, au XVe siècle en Flandres, Marie Lievens nous dit, d’autre part :

63
MUND Hélène, « La copie » dans DE GAND RY Michel, DE PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE
Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai, Belgique, 2000, p. 135.

61
« Le peintre peut aussi isoler une figure du Christ de son cadre historique pour mieux centrer sur elle
l’attention : ainsi sont nées des images de dévotion, comme, par exemple, le Christ couronné d’épines de
Bruxelles, d’Albert Bouts, et le Christ à la colonne de Memlinc, de la collection du Dr. Miguel Mateu, à
Barcelone. D’autres tableaux de dévotion s’écartent des images narratives par leur présentation : les
personnages montrés à mi-corps y sont rapprochés les uns des autres afin d’accentuer l’effet dramatique de
la scène. » 64
Harbison nous indique également : « Certains ordres religieux traditionnels, en particulier féminins,
sacrifient néanmoins à une pratique de plus en plus courante caractéristique de la piété laïque en Europe du
Nord : l'usage de peintures pour stimuler et rappeler le cheminent de l'expérience religieuse. » 65
D’autre part, l’inclusion de bijoux suspendus au cou des figures est, dans cette série, une clé du
refoulement. En effet, les formes des bijoux renvoient à l’orfèvrerie des cultures précolombiennes et
préchrétiennes. Sur ce point, nous pourrions penser à l’imposition de valeurs culturelles et à ce qui devient
ornemental pour le monde occidental.
Les t-shirts noirs peuvent s’associer, en outre, au recouvrement actuel d’un corpus théologique
toujours en voie d’actualisation. 66

64
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres » dans DE GAND RY Michel,
DE PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 191.
65
HARBISON Craig, La Renaissance dans les pays du Nord, Flammarion, Paris, 1995, édition originale :
The art of the northern Renaissance, traduit de l'anglais par Dennis Collins, pour l'édition française p. 94.
66
D’autre part, dans cette série de Christs, les traits des visages correspondent au modèle flamand du XVe
siècle. Pour correspondre aux caractéristiques physionomiques du Christ, pour peindre le portrait du Messie, Jean Van Eyck s’est
basé « sur la description de Jésus qui aurait été envoyée au sénat romain par Publius Lentulus, le prédécesseur de Ponce Pilate,
lettre dont le texte était bien connu au Moyen Âge. Il décrit les cheveux partagés par une raie médiane et tombant sur les épaules,
sombres et couleur de vin. La barbe est abondante, de même couleur que la chevelure, et bifide. La lettre de Lentulus insiste sur la
beauté du visage… »
VÉRONEE-VERHAEGEN Nicole, « Le portrait » dans DE GAND RY Michel, DE PATOUL Brigitte
et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai, Belgique, 2000, p. 235.

62
L'OURSE

L’ourse, huile sur bois, 27.5 x 19.5 cm, 2005.

63
Revenons ici au jardin. L’ours, roi de la forêt, symbolise, dans ce travail, l’aspect dangereux du cœur,
l’instinct et la puissance incontrôlés de l’animal qui bondit. Il apparaît en opposition - mais aussi lié par le
cou - à la transmutation spirituelle qui est représentée par le champignon dans la tête du personnage.
L’habit blanc est ici symbole de maladie et de convalescence et pourrait correspondre à l’état après
un voyage difficile.
D’autre part, l’incontinence du personnage est celle d’une polarité entre l’activité et le repos, polarité
liée à la possibilité de retenir ou d’expulser. Si nous pensons à l’ourse (au féminin) nous voyons à nouveau
la constellation symbolique de la mère.
En autre, Jung nous indique : « Tout comme le dragon et le lion, l’ours représente l’aspect dangereux
de la prima materia. » 67

67
JUNG Carl, Psychologie et Alchimie, éditions Buchet – Chastel, Paris, 1970, traduit de l’allemand et
annoté par Pernet Henry et Cahen Roland, pour l’édition française p. 245.
64
TRIPTYQUE DE SAINT GEORGES ET LE DRAGON

Triptyque de Saint Georges, huile sur bois, 27 x 80 cm, 2007-2008.

Saint Georges représente la détermination, le courage et la volonté de domination sur l’animal. La


volonté d’agir correspond dans ce travail au désir de maîtriser aussi bien la destinée future que le passé.
Ce chevalier affronte son enfance qui est symbolisée par le jouet représentant un dinosaure mais il
fait également face aux périls économiques futurs qu’il sera amené à rencontrer en tant qu’artiste.

65
Pour réussir l’échange social, les deux volets du triptyque parlent de la fortune, de la nécessité de
communication et de l’argent. C’est un échange culturel, qui doit être vu toujours sous l’optique de
l’amusement, comme le symbolisent les têtes des morses des personnages des deux côtés.
En effet, dans le panneau droit, une transaction est effectuée par deux étrangers, qui sont des
animaux proches de l’homme (le loup et le chien). Mais, cet échange se voit altéré par l’arrivée d’un
troisième animal, plus rare et déguisé : le morse.

66
Nous trouvons aussi dans les deux panneaux extérieurs une référence à l’échange économique ce qui
nous fait penser au métier artistique qui doit être payé d’une manière juste. Il y a, ainsi, un commentaire
ironique et caché sur la difficulté de vivre de l’art.

67
A un autre niveau de l’analyse, une relation entre gravité et humour apparaît ici par le décalage formé
entre l'expression sérieuse de réalisation technique et le caractère risible de la représentation des animaux.
Dans ce travail, il ne s'agit pas de représenter une plainte mélancolique traditionnelle ou
apocalyptique présente dans quelques-unes de nos peintures mais de voir maintenant les contradictions avec
l'humour.
L’ironie accompagne ainsi la souffrance, ce qui, au niveau populaire, peut être identifié comme une
caractéristique de la mentalité latine.
Cette caractéristique est également reprise par la littérature attachée au Réalisme Magique. L'accord
intime entre une pensée ironique – qui permet de sortir des parcours habituels par les astuces de la moquerie
– et une pensée sérieuse qui édifie le travail pictural constitue un vecteur primordial dans la construction de
cette composition.

Au niveau de l'exégèse, il pourrait s’agir ici d'une transfiguration par laquelle un être humain se
hausse au sommet de lui-même à partir de la compréhension propre d'une « in – transcendance ».
Dans une approximation novatrice de la vision gothique, certaines peintures de notre travail dénotent
ainsi la primauté du risible.
Or, le sourire exprime ici une méfiance vis-à-vis du ton sérieux de la foi et il est aussi lié non pas à la
souffrance christique mais à la confiance dans l'avenir.
D'autre part, dans les volets latéraux, la présence du morse et son attitude expressive pourraient aussi
parler du rire dans le monde populaire.
Une certaine sensibilité proche du picaresque espagnol se découvre ici dans ce travail. A gauche et à
droite, le morse devient prudent dans la transaction effectuée. Cependant, il maîtrise bien son attitude
irrationnelle et son désordre. La transaction illustre la position humoristique du peintre face à ses propres
besoins matériels. Au-delà de la négation des charges économiques, ces images d’échange représentent
aussi un avertissement contre les péchés de l’avarice et de l’usure.

68
TRIPTYQUE DE JOB OU TRIPTYQUE DU VIEUX SAGE

Triptyque de Job, huile sur bois, 27 x 80 cm, 2007-2008.

Le panneau central de ce triptyque reprend la composition Crainte amoureuse, que nous avons déjà
analysée plus haut.
Nous reprenons à droite la composition d’un autre tableau : Cactus, duquel nous avons aussi parlé
précédemment. Nous avons également ajouté une figure de la mort en bas à droite pour équilibrer l’image
avec la figure rédemptrice qui se trouve en haut à gauche. Cette image du cactus interroge toujours la
résurgence et la revalorisation d’un archétype universel : le couple formé par le « bien » et le « mal ».
Jung signale qu’une prémisse chrétienne sur le mal dit « qu’il possède personnalité et substance
parce qu’il est le diable ou Lucifer. »…« En outre, il est l’adversaire du Christ : en corrompant le couple
paradisiaque par le peccatum originale, le Diable introduisit la corruption dans la création et rendit
nécessaire l’incarnation de Dieu comme moyen de rédemption. »
« Mais si le Diable a le pouvoir de révoquer en doute le sens de la création divine ou même de la
comprendre et si Dieu ne l’empêche pas d’exécuter cette néfaste activité et s’en remet à la décision absolue
de l’homme, notoirement sot, inconscient et facile à détourner de son chemin, il faut bien qu’en dépit des
assurances contraires, l’esprit du mal représente un facteur d’une puissance pour ainsi dire incalculable. » 68
La prise en compte de cette puissance comme vecteur pour la création artistique est séduisante, de la
même manière que la puissance du bien est revitalisée à l’heure actuelle, car le clair ne peut exister sans
l’obscur, l’amour sans la haine, la vie sans la mort, le temps sans l’espace ou le mal sans le bien.

68
JUNG Carl, Les sept sermons aux morts et autres textes, éditions de l’Herne, Paris, 1996.

69
70
Job subit avec résignation la perte de ses biens. En effet, dans cette peinture, nous le voyons
conscient de cette perte : l’un des collaborateurs du démon défait Job de son aspirateur électrique, ce qui
correspond à la défaite de toute aspiration, aspirations révolutionnaires, aspirations propres à un âge
déterminé, aspirations à la reconnaissance de l’artiste, aspirations légitimes d’être dans l’actualité.
Job supporte les réprimandes des autres diables, sans renier la foi de Dieu, qui l’observe tel un
spectateur en haut, au milieu des anges. La lettre « D » en bas de la figure allongée fait référence à la
première lettre de notre nom et aussi à celle de « Dieu ».
Ajoutons que, dans une expression artistique qui correspond à la manifestation d’une réalité
transcendante, la structure ambivalente du sacré, – à la fois attirante et repoussante, « maudite ou sainte »,
bienfaisante et dangereuse – fait de l’œuvre d’art, le produit d’une tension entre des tendances opposées.
Le résultat plastique est ainsi une sorte de transaction et en même temps une manière d’exprimer la
tension même.
Au niveau symbolique, il resterait à voir le volet gauche du retable, qui donne le nom au triptyque.
Ici Job, ou le juste, est l’archétype primordial de l’homme dont la foi est mise à l'épreuve par Satan,
avec l’autorisation de Dieu.

Job 1:9-12

« Yahvé dit alors à Satan " As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’a point son pareil sur la
terre : c’est un homme intègre et droit, qui craint Dieu et s’écarte du mal ! ". Et le Satan de
répliquer à Yahvé : " Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? Ne l’as-tu pas entouré d’une haie, ainsi
que sa maison et tout ce qu’il possède alentour ? Tu as béni toutes ses entreprises, ses troupeaux
pullulent dans le pays. Mais, étends la main et touche à tout ce qu’il possède et je gage qu’il te
maudira en face ! "
" Soit ! dit Yahvé au Satan, tout ce qu’il possède est en ton pouvoir. Evite seulement de
porter la main sur lui. " Et le Satan sortit de devant Yahvé. » 69

Finalement le champignon apparaît comme un élément disproportionné sur ce panneau. C'est un


champignon du genre Amanite tue-mouches (Amanita muscaria), célèbre pour être souvent représenté dans
les illustrations de livres pour enfants mais aussi pour ses possibilités hallucinogènes. Il existe la croyance
que le fruit de l’arbre était un champignon et grâce à l’hallucination produite par ce fruit, les ancêtres de
l’Homo Sapiens ont acquis la capacité de raisonner.
Dans la composition, le champignon naît du sexe du vieux sage pour indiquer aussi des sentiments de
culpabilité ou de bien-être confondus et non nécessairement sexuels mais qui, finalement, ont quelque chose
de morbide.

69
La Bible de Jérusalem, les éditions du Cerf, 29, boulevard Latour-Maubourg, Paris VIIe, 1990, p. 653.
71
TRIPTYQUE DE L’ARBRE DE LA VIE OU DE L’ENFANTEMENT

Triptyque de l’Arbre de la vie, huile sur bois, 27 x 80 cm, 2007-2008.

Dans le panneau gauche de ce triptyque, nous voyons à nouveau le couple d'amoureux, présent aussi
dans un tableau déjà cité. Les deux figures sont dans un état de jeu, qui est celui de la tendresse et de la
rêverie diurne des enfants. Derrière eux, sortant de la terre, quelques figures se réveillent et naissent à la vie.
Jérémie 2, 2

« Ainsi parle Yahvé : je me rappelle l’affection de ta jeunesse, l'amour de tes


fiançailles, alors que tu marchais derrière moi au désert dans une terre qui n'est pas
ensemencée. » 70

70
Ibid. p. 1162.

72
Dans le panneau central apparaît l’arbre de la vie, l’un des symboles cabalistiques les plus
importants du Judaïsme. Dans cette peinture, l’arbre représente le développement et le désir de s’établir,
pour approfondir ses racines et pour faire partie intégrante d’une société.
Les fiançailles ayant conduit à la vie en famille, le développement de l’existence s’exprime par des
besoins représentés par les fruits de l’arbre, dans ce cas des appareils électroménagers, des objets nécessaires
dans la société actuelle et procurés par elle. Ils sont toutefois des objets secondaires venant cacher la
spiritualité, en la remplaçant par le pouvoir d’achat. Les âmes du purgatoire élèvent ses bras, dans une
compétition qui est celle de l’individu qui cherche à posséder un niveau social digne. Il s’agit bien sûr de la
course pour le pouvoir et le luxe.

73
Rappelons également que l’arbre de la vie représente les lois de l’univers qui sont, en même temps,
mondaines et transcendantes.
Finalement il reste le futur : l’enfantement dans le panneau droit nous évoque une vision
apocalyptique comme en témoigne la citation tirée de l’Apocalypse 12, 1-2 : « Un signe grandiose apparut
au ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête. »
71

La procréation est aussi liée au désir inconscient de retour à l’état embryonnaire : « Et ce n'est pas
Adam qui se laisse séduire mais la femme qui, séduite, se rendit coupable de transgression. Néanmoins, elle
sera sauvée en devenant mère, à condition de persévérer dans la foi, la charité et la sainteté. » 72 Première
Epître à Timothée 2, 14-15.

71
Ibid. p. 1791.
72
Ibid. p. 1716.
74
75
ATTACHEMENT

Attachement, huile sur bois, 27.5 x 19.5cm, 2006-2008.

La nature de ce tableau est assez complexe. Il parle de l’échange culturel, de l'adoption par les
populations occidentales des divinités orientales et de l'intégration des personnages symboliques de nature
divine, hier distants, aujourd’hui proches à travers la globalisation : terrain politique (le geste du bras qui
entoure), économique (la couronne de l’enfant) et sexuel (le geste de toucher).
Ce travail parle de la connaissance des divinités lointaines, des richesses de l’Orient qui doivent être
atteintes par l’Occident grâce au voyage de Colon.
Ce tableau parle aussi des contacts culturels toujours propices à l'échange et qui ouvrent la voie au
partage de nouvelles traditions à découvrir.

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CHRIST ET EXTRATERRESTRE

Christ et extraterrestre, huile sur bois, 27.5 x 19.5 cm, 2006-2007.

Le voyageur venu des étoiles est souvent un symbole de Dieu. Dans le film américain E.T. de 1982,
l’extraterrestre est un botaniste qui voyage pour connaître d’autres mondes.
Cette scène est placée en bas d’une montagne rouge, peut-être la planète Mars ou même Crypton. Le
personnage du film, ayant de pouvoirs curatifs, observe le Christ avec innocence et le signale avec son doigt
soigneur.
E.T. rappelle aussi l’enfance, le jeu. Sa place, à côté de la croix, produit un contraste spatial et
temporel entre l'Amérique et l'Europe, l'histoire et la fiction. A un autre niveau, le tableau nous fait penser à
une culture dénaturée, déracinée, toujours incohérente et ouverte aux influences externes, extraterrestres,
comme la culture colombienne, occidentale et américanisée.
77
SŒURS DES GLOBES

Sœur des Globes, huile sur bois, 39.5 x 26.8 cm, 2007.

Un téléphone gravite autour de la figure en prière au premier plan, ce qui nous fait penser à la
communication avec la divinité au moyen de la téléphonie cellulaire. Pour une personne du passé, le
téléphone portable pourrait être compris comme utile pour la transmission de pensée et finalement pour la
télépathie.
Les globes dans le ciel en forme d’abeilles ont une finalité apaisante. C’est la joie de la fin de l’hiver
et l’arrivée du printemps. La mémoire USB comme pendentif parle de la récupération de l’histoire et aussi
de la dépendance des hommes vis-à-vis de celle-ci.
78
LAMENTATION

Lamentation, huile sur bois, 26.5 x 40 cm, 2007.

Cette peinture renferme la lamentation et l’adoration de la figure de l’enfant. La religieuse qui est
représentée soutient dans sa main une petite reproduction de l’image du divin enfant, une figure que nous
trouvons actuellement avec une certaine fréquence dans les milieux populaires en Amérique latine.
L’expression de la figure de cette nonne est celle du recueillement et de l’affliction et son sentiment peut se
conjurer uniquement à travers la foi et l’espoir que dégage aussi la même image. 73

73
« Les Primitifs flamands ont fréquemment inclus dans leurs tableaux la représentation d’images peintes,
sculptées ou même brodées. Ainsi, sur le Retable des Sept Sacrements de Rogier van der Weyden à Anvers, on peut distinguer,
derrière le Calvaire visible au premier plan, un retable en bois décoré d’un certain nombre de figurines sculptées et une effigie en
ronde-bosse de la Vierge à l’Enfant assise, qui occupe un habitacle doté de volets peints. De même, sur le diptyque votif de l’abbé
De Hondt à Anvers (1499), dû au Maître de 1499, on aperçoit, en petit, l’image d’un diptyque peint. Et à l’arrière-plan
d’un panneau votif du Maître des Portraits Baroncelli représentant Sainte Catherine de Bologne invoquée par trois dévots (à
Londres, Institut Courtauld) se trouve une chapelle dont l’autel s’orne d’un retable peint. Il est possible d’y reconnaître notamment
l’effigie de saint Jacques. On pourrait aussi citer les orfrois figurés de la chape de saint Donatien sur la Madone au chanoine van
der Paele de Jean van Eyck : y apparaissent notamment saint Pierre et saint Jean.
79
Conclusions

Pour Nicole Véronee-Verhaegen, Van Eyck « comme un magicien, évoque une autre réalité,
mystérieuse et pleine à la fois de vérité et de symboles. » 74
Marie Lievens nous dit aussi :

« Pour le Moyen Âge, tout peut devenir symbole. Si l’ange de l’Annonciation apparaît à la Vierge dans une
chambre à coucher, c’est par allusion au thalamus virginis, ou chambre nuptiale, celle des noces mystiques de la
Vierge et du Roi des rois. Et le lit évoque la mystique des épousailles, très répandue alors, par laquelle l’âme s’unissait
à Dieu. Le plus ancien exemple repéré semble être l’Annonciation du Retable de Sainte - Colombe de Rogier van der
Weyden. Il n’est pas jusqu’aux vêtements liturgiques des anges qui ne soient des symboles eucharistiques. Tenues de
diacres, aubes ou chapes en font les assistants de la grand-messe solennelle célébrée éternellement par le Christ depuis
le moment de son Incarnation. » 75

À la fin du Moyen Âge, l’artiste représentait des textes sacrés, des idées théologiques ou mystiques.
Sur les sources d’inspiration du XVe siècle en Flandres, le passage suivant de Marie Lievens-de Waegh est
intéressant :

« Il semble qu’il y ait eu un échange constant entre les images, les visions et la littérature mystique qui en
découle, comme les Méditations du Pseudo - Bonaventure, alias Jean de Caulibus (XIVe siècle), les Révélations de
sainte Brigitte de Suède (v.1303-1373) ou la Vie du Christ de Ludolphe de Saxe (v.1300-1378), qui fut Dominicain,
puis Chartreux. » 76

De la même manière, l’enrichissement des compositions de cette période – surtout de celles traitant
la vie de Christ et de la Vierge – est dû à une tolérance aux apports des Evangiles Apocryphes, comme celui
de Saint Thomas qui est réputé pour être très visuel et pittoresque. 77
De la même manière, la Légende dorée du Dominicain Jacques de Voragine (v.1230-1298) était une
source primordiale, pour caractériser visuellement l’iconographie picturale de la fin du Moyen Âge.

***

Dans notre travail, nous avons recours à des signes reconnaissables de la tradition religieuse. Mais,
par l’action collagiste, une nouvelle mise en relation des images choisies sert davantage à masquer un
soubassement de rapports symboliques intérieurs. Nous parlons des relations parfois éloignées des contenus
religieux traditionnels ou institutionnels.
L’éloignement narratif des sources bibliques au profit d’un monde personnel correspond à la
recherche d'un espace intérieur, sous l’apparence d’un imaginaire traditionnel. 78

MARTENS Didier, « L’illusion du réel » dans DE GAND RY Michel, DE PATOUL Brigitte et VAN
SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai, Belgique, 2000, p. 264.
74
VÉRONEE-VERHAEGEN Nicole, « Le portrait » dans DE GAND RY Michel, DE PATOUL Brigitte
et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai, Belgique, 2000, p. 230.
75
LIEVENS-DE WAEGH Marie - Léopoldine, « Les sujets des œuvres » dans DE GAND RY Michel,
DE PATOUL Brigitte et VAN SCHOUTE Roger, dir., Les Primitifs Flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, Tournai,
Belgique, 2000, p. 211.
76
Ibid. p. 188.
77
Pour pouvoir réaliser leurs commandes les artistes s'inspiraient des textes apocryphes car ils étaient
parfois beaucoup plus descriptifs que les canoniques.
78
Cet éloignement écarte suffisamment nos travaux de ceux des artistes du XVe siècle, qui
suivaient, docilement, les demandes théologiques dans la plupart des cas.
80
Avant tout, le monde que nous voulons donner à voir appelle une réception contemplative. Dans
cette contemplation, le spectateur est amené à imaginer une interprétation symbolique des œuvres. Les
images invitent à prendre part à l’événement montré et à participer de celui-ci. C’est une communication à
plusieurs niveaux.
Le symbole est toujours une traduction, une suggestion qui vient d'ailleurs, des états limites, de notre
inconscient ou des réalités surnaturels. Nous pensons surtout à la lecture des images qui doit passer par un
état de rêve éveillé dans lequel, comme nous l'avons dit précédemment, les contradictions n’existent pas.

Agneau, huile sur lin, 2005.

Dans ce livre, pour montrer les peintures effectuées, nous avons entrepris une interprétation poétique
et sommaire. Nous avons essayé de ne pas épuiser le sens qui peut se dégager des œuvres réalisées. Nous
avons essayé d’ouvrir des pistes vers d’autres significations des travaux. D’ailleurs, par la polyvalence et la
richesse des symboles, il n’y aura pas d’antagonisme si l’interprétation du lecteur contredit la nôtre.

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