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#05

PARIS
OCT | NOV | DÉC 2017
MAGAZINE
D’INFORMATION
TRIMESTRIEL

TEHERAN Au cœur des dy na miques fra nco-ira niennes

SOCIÉTÉ
La mode
iranienne à
la conquête
des marchés
internationaux

VU D’IRAN
L’Iran et le
recyclage

CULTURE
Le théâtre
français en Iran

VILLE-MONDE

L’ESPRIT
L 18637 - 5 - F: 9,90 € - RD

ENTREPRENEURIAL
EN IRAN
ÉDITO 1

© Jean-Claude Voisin
L'IRAN DE DEMAIN
LES JEUNES GÉNÉRATIONS AUX
COMMANDES DES ENTREPRISES
Par Jean-Claude Voisin,
rédacteur en chef

es dernières élections municipales et prési- Shahla Yaribakht s'est vue proposer la direction artistique

L dentielles de mai dernier ont montré la part de


plus en plus importante que prend la femme dans
du dernier festival Fadjr de la mode à Téhéran. Elle lance
également avec Alfred Mahdavy, et en coopération avec
la société active iranienne et cela dans tous les l'Université polytechnique Amir Kabir de Téhéran, une
domaines: économie, politique, sportif, administratif. Si le nouvelle fi lière mode. Mahmoud Taleghani est lui aussi un
deuxième gouvernement Rohani a réduit la présence fémi- pionnier, lui qui, avec la complicité du CNRS français et de
nine en son sein, la place des femmes dans la politique a l'écomusée alsacien d'Ungersheim, a lancé voilà une dizaine
véritablement explosé. Aux élections municipales de mai d'années le plus beau musée de maisons traditionnelles en
dernier, sur 270000 candidats, elles étaient 18000 à se por- bois de la côte nord de l'Iran. Tous ces acteurs cités sont
ter candidates. Ainsi au sein du conseil municipal de Téhé- francophones et participent au rayonnement de la langue
ran elles sont désormais 6 sur 21 membres. À Mashad et et de la culture française en Iran dans un faire-ensemble
Ispahan, elles sont deux sur une quinzaine de membres. profitable aux deux nations. Notre nouvelle rubrique des
Dans le très traditionnel Sistan-Balouchistan, elles sont Grands Rendez-Vous illustre l'intensité des relations et cela
415 élues dans les nouveaux conseils municipaux. La Haute dans tous les domaines, musique, transports, numérique,
fonction publique leur est désormais ouverte : ambassa- littérature, etc. Actuellement, ces relations sont particu-
drices, gouverneurs de province, sous-préfètes, directrices lièrement marquées par l'ouverture des marchés. Chacun
générales dans les ministères… Notre reportage dans le sait que le financement des projets reste une préoccupation
monde de l'entreprise illustre cette détermination des géné- tant en Iran qu'en Europe, et notamment en France, du fait
rations de jeunes filles, parfois formées à l'étranger, qui des sanctions américaines et des représailles qui pèsent
reviennent pour participer au développement de l'Iran. sur nos établissements bancaires. C'est pourquoi le Minis-
Même le théâtre fait l'éloge de la femme iranienne, tel le tère français de l'Économie et la BPI cherchent des solutions
dernier spectacle de Ghotbedine Sadeghi, «Morvarid». Cet pour aider nos investissements en Iran. Pedro Novo, de la
esprit d'entreprise, d'action, nous le retrouvons chez les Ira- BPI, nous donne quelques clés dans le grand entretien qu'il
niens et Iraniennes expatriés qui eux aussi reviennent s'in- a bien voulu accorder à ParisTéhéran.
vestir dans ce nouvel Iran, qui s'ouvre au monde. Ainsi

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


2 SOMMAIRE

SOMMAIRE

3 MOIS DANS LE MONDE SOCIÉTÉ


Guerre froide en Corée 04 La mode iranienne 38
à la conquête des marchés internationaux
TOURISME
DIASPORAS
L’Iran s’ouvre au tourisme 12
François Ozsvath 50
VILLE-MONDE Hamid Pascal Saie 51
L’esprit entrepreneurial en Iran Mohammad Ghavi-Helm 52
Romain Kéraval 23
Mojgan Amdjad 24 GRANDS RENDEZ-VOUS
Lida Eslami 26 Inauguration du bureau de coopération 56
médicale, scientifique et universitaire
Maryam Marashi 28
franco-iranienne
Negin Kashi 30
Relations France-Iran : l’heure du bilan 58
Tajli Mizan 32
Rencontre avec le Dr. Abbas Akhoundi 59
Mohammad Molazem 34 Le Centre culturel iranien de Paris
Les entreprises françaises du numérique 60
en Iran : opportunités et difficultés
France-Iran : regards croisés sur la 62
pratique du droit
L’Ambassadeur de France répond aux 63
chefs d’entreprise

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


SOMMAIRE 3

DOSSIER CULTURE
Les déchets en question 64 Le théâtre français en Iran 102

HUB PORTFOLIO
Le recyclage en Iran 82 Le musée du patrimoine rural du Guilan 112

SOCIÉTÉ RETOUR D’IRAN


La place du français dans les écoles d’Iran 91 La musique classique française au bord 118
du Golfe persique

Directeur de la publication et de la rédaction : Olivier Breton. Rédacteur en chef : Jean-Claude Voisin. Rédacteur en chef adjoint : Adrien Simonnot-
Lanciaux. Directeur de l’édition iranienne : Dr. Mahmoud Mohammadi. Ont collaboré à ce numéro : Mohammad-Rahim Ahmadi, Lili Alouki-Bakhtiari,
Shahrzad Boroumand, Quentin Bultez, Catherine Dorganc, Ahmad Kamiabi-Mask, Alireza Khalili, Mehdi Mahmoudi, Natasha Milanian, Fatemeh Shademan,
Daniel Vernet. Direction de production/création : Richard Galrão, Élise Chosson, Marie-Charlotte Brière. Service abonnements : All Contents Presse -
Tel. : +33 (0)1 44 26 26 06, adrien.simonnot@allcontents.com - Photo de couverture : © Book City. Rédaction en France : 23 bis rue de Turin, 75008 Paris
- ISSN 2552-8815.
Imprimerie : Imprimerie Loire Offset – ParisTéhéran est publié par All Contents Presse France, SARL au capital de 90 000 euros
SIRET : 507 452 084 00019.

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TROIS MOIS DANS LE MONDE

GUERRE FROIDE
EN CORÉE Par Daniel Vernet

ais que veut donc Kim Kim Jong-un. Son programme mili-

M Jong-un? Difficile de se
mettre dans la tête du
taire est trop avancé pour qu’il y
renonce. Tout au plus pourrait-il
jeune dictateur accepter un moratoire. Pas dans
nord-coréen − 34 ans, dont quelques l’immédiat. Quand il aura atteint
semestres passés dans un collège un stade suffisant pour disposer vis-
en Suisse −, qui en 2011 a succédé à à-vis des États-Unis d’un moyen de
son père Kim Jong-il, lui-même fils dissuasion – dans l’hypothèse la
de Kim Il-sung, fondateur de cette plus optimiste – voire au pire de
dynastie communiste. Patiemment, chantage.
il se construit un arsenal de missiles Les connaisseurs de la région
balistiques et de têtes nucléaires qui accordent à Kim Jong-un, malgré
défient les interdictions de la com- ses propos provocateurs, ses fou-
munauté internationale. Il n’a pas cades et sa brutalité à l’égard de ses
beaucoup d’amis. Les derniers proches qui se mettent en travers
étaient les Chinois et les Russes, de sa route, un certificat de ratio-
mais il est en train de les perdre par nalité. Comme ses prédécesseurs,
Daniel Vernet est président du ses provocations répétées. le troisième des Kim veut avant tout,
site boulevard-exterieur.com, La Chine comme la Russie, qui sont disent-ils, assurer sa survie et celle
collaborateur de slate.fr des voisines de la Corée du Nord, de son régime, le dernier véritable
et de telos-eu.com. misent sur la stabilité dans la pénin- système communiste de la planète.
Ancien correspondant à Bonn, sule. Elles n’ont pas plus d’intérêt Les précédents de Saddam Hussein
Moscou et Londres, il a été que les Américains ou les Japonais, et de Kadhafi l’ont renforcé dans sa
directeur de la rédaction sans parler des Coréens du Sud, de conviction que seule la possession
et des relations internationales voir une nouvel le puissa nce de l’arme nucléaire le mettait à l’abri
du journal Le Monde. nucléaire émerger en Asie. Il est de la subversion impérialiste. L’ar-
cependant trop tard pour arrêter mée américaine n’est pas loin, sur
5

TROIS MOIS DANS LE MONDE

le 38 e parallèle qui symbolise la nord-coréenne, voire de son grand menace «du feu et de la furie»
ligne de démarcation entre la Corée voisin chinois qui le soutient à bout (Donald Trump) n’ont jusqu’alors
du Nord et celle du Sud. de bras, tout en mettant en œuvre impressionné le dictateur de
S’il respecte les principes de l’équi- les sanctions décidées par l’ONU. Pyongyang. Il poursuivra vers la
libre de la terreur qui a prévalu pen- Le président chinois Xi Jinping n’ap- montée aux extrêmes jusqu’au jour
dant la guerre froide entre les deux précie guère que la petite Corée où ses adversaires seront convain-
«Grands», de 1949 à 1989, Kim vienne perturber son grand dessein cus, à tort ou à raison, qu’il a la
Jong-un usera de sa capacité stratégique en Asie. L’accroissement volonté et les moyens de mettre ses
nucléaire comme d’une arme poli- de l’influence chinoise suppose une menaces à exécution. Sans qu’il lui
tique pour obtenir des concessions stabilité globale propice aux avan- soit nécessaire de passer à l’acte.
d’abord des Américains, qu’il vou- cées économiques et militaires. C’est du moins un acte de foi en la
drait pouvoir chasser de la région, L’Amérique est désemparée. Ni la pertinence de la dissuasion.
bien au-delà de la péninsule négociation, ni les sanctions, ni la
© SIPA
6

TROIS MOIS DANS LE MONDE

© SIPA
Une femme, avec au loin les tours de Doha, capitale du Qatar. Le petit émirat, riche en ressources gazières, est
l’objet d’un blocus de la part de ses voisins émiratis et de l’Arabie Saoudite. Il est officiellement accusé de soutenir
le terrorisme, mais les dirigeants saoudiens et leurs alliés lui reprochent surtout d’entretenir de bonnes relations
avec l’Iran, dont la puissance grandissante dans la région, les inquiète.

Lula da Silva, l’ancien président brésilien, se verrait


bien de nouveau à la tête du plus vaste État
d’Amérique latine à l’occasion de l’élection
présidentielle de 2018. Il est toujours aussi
populaire parmi ses partisans, comme ici lors d’un
meeting du PT, le Parti des travailleurs. Mais il est
sous le coup d’une inculpation pour corruption qui
© SIPA

pourrait l’empêcher de se présenter.


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TROIS MOIS DANS LE MONDE

Theresa May a perdu sa majorité à la Chambre


des communes après les élections du 9 juin.
Affaiblie, la Première ministre britannique a du
mal à définir une stratégie pour les
négociations en vue du Brexit, prévu en 2019.
Les atermoiements et les contradictions
du gouvernement de Sa Majesté agacent
les autorités bruxelloises, et en premier
lieu Michel Barnier, représentant
des Vingt-sept pour le Brexit.

© SIPA
© SIPA

Les relations entre la Première ministre polonaise Beata Szydlo et la chancelière Merkel ne sont pas au beau fixe.
Il en va de même avec les autres dirigeants européens, à l’exception du nationaliste hongrois Viktor Orban.
Emmanuel Macron a eu des mots très durs à l’égard du gouvernement de Varsovie, fin août, à l’occasion d’une
tournée en Europe de l’Est. Les Européens reprochent au gouvernement polonais de mettre en danger l’État de droit
par des réformes institutionnelles qui ruinent la séparation des pouvoirs, un des principes de base de l’UE.
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TROIS MOIS DANS LE MONDE

Sous forme de plaisanterie, Vladimir Poutine a dit regretter


d’avoir décoré de l’ordre de l’amitié le secrétaire d’État
américain Rex Tillerson alors que celui-ci était le patron d’Exxon
Mobil. Les relations russo-américaines se sont en effet
dégradées après l’expulsion de diplomates russes des
États-Unis suivie en représailles de l’expulsion de diplomates
américains de Russie. Touchés par un ordre de fermeture,
les employés du consulat russe de San Francisco déménagent.
Et Donald Trump est toujours empêtré dans l’enquête sur le rôle
de la Russie dans sa campagne, bien que lui-même n’ait pas été
jusqu’à présent personnellement mis en cause.
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Kirill Serebrennikov, un des metteurs en scène les plus célèbres


de Moscou, a été arrêté puis placé en résidence surveillée. Il est
accusé d’avoir détourné des fonds destinés à son théâtre, le
Centre Gogol, mais les observateurs sont convaincus qu’il s’agit
en fait d’un procès politique. En mai, un ballet consacré à
Noureev et mis en scène par Serebrennikov avait été
brusquement interrompu après la première. Raison officielle :
l’œuvre n’était pas convaincante. Motif inavoué :
propagande homosexuelle.
© SIPA
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TROIS MOIS DANS LE MONDE


© SIPA

Faut-il garder dans les parcs et les avenues les statues des héros sudistes qui ont combattu
pendant la guerre de Sécession pour le maintien de l’esclavage ? La décision du maire de
Charlottesville (Virginie) de déplacer la statue équestre du général Robert Lee a provoqué des
manifestations de l’extrême droite, des suprémacistes blancs et des groupes néonazis. Une jeune
femme a été tuée par une voiture qui a foncé dans la foule des protestataires antiracistes.
Donald Trump n’a pas contribué à l’apaisement en renvoyant dos à dos les deux groupes.
10

TROIS MOIS DANS LE MONDE

© SIPA
Une maison est en flammes dans le village de Gwandu Zara, dans le nord-est de la Birmanie,
région habitée par les Rohingya, une population musulmane qui se bat pour ses droits contre
le gouvernement central dominé par les bouddhistes. Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix,
qui joue un rôle essentiel dans la transition démocratique en Birmanie, ne s’oppose pas
à la répression menée par les militaires.
11

TROIS MOIS DANS LE MONDE

La vie semble revenue à la normale sur les Ramblas de


Barcelone moins d’un mois après l’attentat à la voiture
bélier qui a fait quinze morts le 17 août. L’attaque a
été revendiquée par Daech. Par ailleurs, les Catalans
se préparent pour le référendum sur l’indépendance
qui devait lieu début octobre. Le scrutin est violemment
combattu par le gouvernement central de Madrid qui
le considère comme illégal.
© SIPA
© SIPA

Irma, un cyclone de force 5, avec de vents atteignant 350 km/h a dévasté les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy
avant de se diriger vers Saint-Domingue, Cuba et la Floride. S’il n’est pas possible d’incriminer directement le réchauffement
climatique, les scientifiques estiment que la hausse de la température des océans favorise l’apparition de tels phénomènes
inconnus jusqu’à maintenant par leur ampleur et leur puissance.
12

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L’un des 20 sites du Patrimoine mondial en Iran, les moulins


à eau sassanides de Shustar, dans l’ouest de l’Iran, cl JCV

TOURISME
En 2016, l'Iran représenta la première
destination étrangère touristique des
Français, avec une progression de + 177%,
plaçant ainsi la France en première place
des touristes étrangers sur les 18 derniers
mois.
Par Jean-Claude Voisin
© Jean-Claude Voisin

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14 TOURISME

L’IRAN
S’OUVRE AU
TOURISME

En 2016, l’Iran représenta la première


destination étrangère touristique des
Français, avec une progression de + 177 %,
plaçant ainsi la France en première
place des touristes étrangers sur
les 18 derniers mois.
Par Jean-Claude Voisin

UN PAYS AU PATRIMOINE périodes sont accessibles, laissant découvrir


EXCEPTIONNEL les influences nombreuses dont s’est imprégné
Qui oserait contester la qualité et la densité du l’Iran ancien, nœud incontournable sur la route
patrimoine de l’antique Perse, dénommée ainsi de la soie. Venant d’Égypte, de Mésopotamie,
par les Grecs, puis Iranshar (le pays des Aryens) de Chine, d’Inde, des steppes mais aussi du
par les Sassanides, Perse de nouveau à la monde gréco-romain, byzantin, chaque période
conquête arabe et enfin depuis 1935, de nouveau
Iran. Toutes les périodes sont présentes sur le
sol de cet immense territoire : des abris troglo-
dytes de Meman dans la province de Kerman CHAQUE PÉRIODE A CAPTÉ PUIS
jusqu’aux édifices contemporains de Téhéran, A S S IMIL É D E S C O NN A I S S A N C E S
de Mashad, de Shiraz (Musée d’art moderne, T EC H N I Q U E S , A R C H I T EC T U R A L E S ,
tombeau de Ferdowsi, immeubles ou structures D ÉC O R AT I V E S , E S T HÉ T I Q U E S .
de création contemporaine…). Toutes les

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TOURISME 15

© Jean-Claude Voisin
Durant la belle saison, chaque point d’eau est l’objet de convoitises pour établir le pique nique, institution sacrée en Iran.

a capté puis assimilé des connaissances tech- forgea le mythe de la Perse ancienne, achémé-
niques, architecturales, décoratives, esthé- nide principalement (6ème-5ème siècle avant notre
tiques. ère). Les fouilles de Suze, les écrits du couple
Bien entendu, chacun pense à Persépolis, long- Dieulafoy, de Ghirshman et de Godard construi-
temps conté dans nos magazines people à une ront cette mythologie.
époque où le régime cherchait à développer un
vaste plan de communication international UNE POLITIQUE OFFICIELLE DE
pour développer le tourisme. Mais en France MISE EN VALEUR DES SITES
particulièrement, depuis le 20ème siècle qui avait Si le travail d’inventaire et de protection contre
hérité de la fièvre culturelle de l’expédition de les pillages a été lancé depuis près de 20 ans,
Bonaparte en Égypte, des générations d’archéo- c’est véritablement depuis ces dernières années
logues, d’architectes vont notamment rappor- que l’État iranien se préoccupe véritablement
ter croquis, photos et objets précieux qui de la protection et de la mise en valeur de son
alimenteront nos plus grands musées. Ainsi se patrimoine, comprenant tous les enjeux que ces

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16 TOURISME

potentialités pouvaient offrir pour un dévelop-


pement touristique des territoires. Sous l’au-
torité d’un service, le Miraas’e Faranghi, des
équipes s’affairent pour recenser, étudier, pro-
téger et mettre en valeur les milliers de sites
inscrits au patrimoine national. Publications
scientifiques, colloques, fouilles se développent.
Des plans d’aménagements des accès, des che-
minements, des restaurations, des mises en
valeur nocturnes se développent de façon expo-
nentielle. Dès les premiers mois de la jeune
République islamique, un premier site apparaît
sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco
grâce à une convention signée peu avant par
l’ancien régime : Persépolis, dénommée en Iran
Takht’e Jamshid (le trône de Jamshid, héros
légendaire) entrait dans l’immortalité. Depuis,
grâce aux équipes du Miraas’e Faranghi, et
notamment ces dix dernières années sous la
conduite du Dr. Talebian, ce sont au total 22
sites qui fi gurent sur la liste et une vingtaine
qui font l’objet d’une instruction.
Accompagnant ces mesures, l’État a bien saisi
les enjeux des accès et des aménagements. Per-
sépolis reste le site emblématique mais, de mois
en mois, de très nombreux autres sites bénéfi-
cient de nouveaux aménagements et mises en
valeur, y compris nocturnes. Les éditions de
documentation, souvent en persan, à l’usage
des Iraniens, fleurissent à un rythme inégalé.
On y présente les richesses patrimoniales ou
naturelles des villes, bourgades et régions.

SENTIMENTS ET RÉFLEXIONS
CHEZ LES VISITEURS
Aujourd’hui, ce que découvrent les visiteurs de
l’Iran, avant de pénétrer sur ses sanctuaires de
l’Humanité, c’est déjà une société et des
infrastructures. C’est, de tous les voyages que
j’ai eu la chance d’accompagner, ce qui ressort
comme bilan après deux semaines de périples
à travers le pays. Nombreux sont ceux qui m’ont
dit : «Nous étions venus pour découvrir la Perse
et nous avons rencontré l’Iran».
Ce qui surprend le touriste étranger, c’est cette
propension de l’Iranien à venir vers l’autre.

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TOURISME 17

© Jean-Claude Voisin

La cérémonie du thé, indispensable dans l’acte d’accueil

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18 TOURISME

Les touristes, en groupe ou individuellement, d’Inde et de Turquie. Les grands hôtels offrent
sont très vite abordés par des étudiants, des de plus en plus des buffets variés, grâce aux-
familles, les invités d’un mariage en voyage, qui quels il est possible de goûter à la cuisine régio-
quémandent, de la manière la plus élégante, na le, au x mu ltiples sor tes de pa in, en
l’honneur d’un selfie. Cette pratique, inconnue accompagnant le tout d’un dough (yaourt
voilà dix ans, fait partie à présent du quotidien. malaxé avec de l’eau, très rafraichissant l’été),
Visitant l’Iran, il ne faut pas s’en off usquer, bien la boisson nationale.
au contraire. Vous faites honneur à l’Iranien De toutes ces mesures, les Iraniens restent les
car par ce geste vous redonnez une fierté per- premiers bénéficiaires. Ils représentent près
due lors de toutes ces années de boycott et de de 90% des touristes. Chaque weekend, ils sont
mise à l’index international du pays, diabolisé des milliers à partir en famille, ou avec leurs
par certains. Ce fut durement ressenti par la amis, à partir à la découverte de leur Histoire.
population, qui se sait l’héritière de grandes C’est l’occasion de magnifiques balades, de
civilisations et d’une nation qui n’a jamais fait pique-niques joyeux. Lors des fêtes de Nowrouz,
preuve de conquête depuis la dynastie sassa- le 21 mars et les jours qui suivent, ce sont des
nide, et qui, sur la route de la soie, a toujours millions d’Iraniens qui deviennent touristes à
grandi au contact des visiteurs. Si le persan travers le pays.
reste la langue dominante, l’anglais est maîtrisé En conclusion, l’Iran, dans ce domaine, comme
par les étudiants, par bon nombre de commer- dans de nombreux autres, est en passe de fran-
çants et de chauffeurs de taxi, beaucoup plus chir un nouveau pas, ce qui accentue les jalou-
fréquemment qu’en France. sies et les cra i ntes de ses voi si n s du
Un séjour en Iran, c’est aussi l’occasion de Moyen-Orient qui comprennent que l’Iran, en
découvrir une cuisine elle aussi marquée par dehors de la manne pétrolière, a de nombreux
les influences extérieures, venues d’Afrique, atouts à sa portée. © Jean-Claude Voisin

Les Iraniens adorent sortir ;


ici les activités nautiques à
Ispahan, sur le Zayandey Rud.

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20

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Tajli Mizan devant la boutique Safir

V ILLE-MONDE
L’esprit
entrepreneurial
en Iran
Par Jean-Claude Voisin, Shahrzad Boroumand
et Natasha Milanian
Traduction du persan par le Dr. Mehdi Mahmoudi
et le Dr. Ahmad Kamiabi Mask

23
Romain Keraval – Business France
24
Mojgan Amdjad – Book City
26
Lida Eslami - Herampey
28
Maryam Marashi – Zanjireh Omid
30
Negin Kashi – Arg’e Jadid
32
© Jean-Claude Voisin

Tajli Mizan – Palladium


34
Mohammad Molazem – Barbad

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AVEC DES
CONVICTIONS
LES IDÉES
VONT PLUS LOIN

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de 1000 décideurs

Présent dans une dizaine de pays grâce


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au débat public depuis 1985.

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monde d’aujourd’hui.

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VILLE-MONDE 23

© RK
IN T R ODUCT ION

ROMAIN KERAVAL
Business France
i l’entrepreneuriat était tradition- Toutes ces organisations offrent ensemble un

S nellement le fait du bazar en Iran,


les formes qu’il revêt aujourd’hui ont
environnement propice au financement initial,
à la domiciliation de bureaux, et in fine à la trans-
subitement évolué grâce au dévelop- formation de start-ups en entreprises viables et
pement exponentiel des infrastructures de rentables.
réseaux et de la téléphonie mobile depuis 2013,
et l’appropriation immédiate de l’ère numérique L’Iran s’illustre particulièrement dans la
par les Iraniens. Le déploiement de la fibre recherche et la création d’entreprises dans des
optique à l’échelle nationale, une population à domaines de pointe, tels que les biotechnologies
60% âgée de 35 ans et moins, et la croissance et les nanotechnologies, pour lesquels la rédac-
des achats en ligne stimulent le développement tion d’articles scientifiques, le dépôt de brevets
des outils numériques. Un niveau d’éducation et la création de start-ups sont importants. En
élevé associé à l’existence de filières scientifiques parallèle, l’expansion des technologies IT dans
reconnues, encouragent aussi l’émergence toutes les activités (Miras Tech, Fanap, Tosan,
d’entreprises innovantes. etc.) accompagnent la transformation digitale
de l’économie en profondeur et l’émergence de
Cet essor repose sur un écosystème dynamique solutions innovantes.
favorable à l’entrepreneuriat, composé de
l’Iran Entrepreneurship Association dirigée par La prochaine étape pour l’Iran devrait être l’in-
Hamidreza Ahmadi, et d’une petite constellation ternationalisation de ses innovations et l’ouver-
de fonds de capital-risque (Sarava, DMOND, etc.), ture progressive de son économie, conditions
d’accélérateurs et d’incubateurs (MAPS, Ava- sine qua none pour retenir les entrepreneurs(ses)
tech, Shezan, etc.), bénéficiant aussi du soutien et développeurs(ses) les plus brillants. Business
des autorités, notamment de la Vice-Présidence France, implanté en Iran, y explore d'ailleurs
en charge des sciences et des technologies, quotidiennement les synergies possibles entre
et des universités publiques (Sharif, Université les opérateurs économiques français et iraniens
de Téhéran, Parc technologique de Pardis, etc.). dans tous ces domaines.

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24 VILLE-MONDE

© Book City
Mojdan Amdjad dans les rayons de Book City-Shahr-e Ketab

INTERVIEW

MOJGAN AMDJAD
DIRECTRICE DU SIÈGE CENTRAL
DE LA CHAÎNE BOOK CITY-SHAHR-E KETAB
La jeune directrice du siège de Shahr-e Ketab à Téhéran a suivi un parcours
marqué par son engagement pour le monde culturel. Après un master en
psychologie et une licence en gestion, cette jeune femme devint pendant dix ans
conseillère pour l’enseignement et la psychologie dans les lycées auprès du
Ministère de l’Éducation. Parallèlement, elle a travaillé avec des éditeurs et
dirigé une société créant des sites web. Elle dirige actuellement le site central
de la chaîne Book City-Shahr-e Ketab, l'équivalent de nos magasins Fnac.

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VILLE-MONDE 25

ParisTéhéran - Pouvez-vous nous présenter m’encourage. En Iran, les femmes occupent une
cette grande chaîne de distribution ira- place de plus en plus prépondérante dans la
nienne? société. Un nombre de plus en plus important
Mojgan Amdjad - Notre société n’est pas de femmes accède aux fonctions de maires,
seulement une chaîne de distribution. Outre la comme à Rasht, sur les bords de la mer Cas-
distribution de l’édition, de la musique, pienne, de conseillères municipales, de dépu-
des fi lms, des jeux éducatifs, de la papeterie et tées. Dans notre propre chaîne, quatre
des produits digitaux, nous proposons aussi à responsables de magasins sont des femmes.
notre public des animations-rencontres Dans le domaine social et artistique, les femmes
autour d’un(e) auteur, d’un(e) artiste, de musi- agissent fortement. Dans les administrations,
cien(ne)s. Nous avons aussi notre propre mai- leur part est en plein développement.
son d’édition, tant d’ouvrages que de musique.
Cette chaîne semi-privée possède 60 boutiques, PT - Quelle est votre clientèleet quelles sont
avec une trésorerie et une gestion autonomes. les tendances du moment?
40 de ces boutiques sont localisées dans la MA -Là-aussi, les femmes représentent la part
capitale, les autres dans les principales villes la plus importante de notre clientèle (60%), la
de l’Iran, qui regroupent environ 600 salariés. plupart de niveau universitaire. Elles ont sou-
L'établissement fut créé en 2000 et nous pos- vent entre 20 et 30 ans. Côté tendances, les
sédons aussi un département import-export livres pour enfants connaissent un grand déve-
pour nos relations avec l’étranger. loppement. L’édition se partage entre romans
iraniens et littérature étrangère traduite. Du
côté de la France, nos meilleurs ventes en livres
traduits sont Anna Gavalda, Christian Bobin,
Romain Gary, sans laisser pour compte les
E N IR A N , L E S F E MME S O C C U P E N T grands classiques toujours en vogue : Balzac,
U N E P L A C E D E P LU S E N P LU S Hugo, Flaubert... L’intérêt pour la musique se
PRÉPONDÉR ANTE DANS L A SOCIÉ TÉ. partage entre les enregistrements pop et la
musique traditionnelle iranienne.

PT - Quels sont vos projets pour les pro-


PT - Quelles sont vos responsabilités chaines années?
actuelles? MA -Nous souhaitons en premier lieu récon-
MA - Je dirige le magasin central, avec 70 col- cilier le public avec la lecture. Voilà cinq ans,
laborateurs et collaboratrices, et une moyenne nous avons établi un prix du livre pour enfants
d’âge de 25 ans. Les employées représentent « La Tortue Volante ». En 2017, c’est un Fran-
60% de nos effectifs. Je supervise également çais, Jean-Louis Mourier, qui fut lauréat. Le
une succursale dans le nord de la capitale. Je livre est un élément essentiel dans le dévelop-
partage aussi la co-direction du développement pement de notre société, qui, par tradition, a
de la chaîne. J’anime notamment les ren- toujours été cultivée mais qui, comme ailleurs
dez-vous culturels réguliers proposés à nos dans le monde, aurait tendance à s’en éloigner.
clients et je dirige les éditions de la maison. Nous faisons désormais de l'e-commerce et
vendons des e-books, avec actuellement 1000
PT - Est-il arrivé que votre carrière soit ouvrages formatés. Nous devons étendre ce
freinée parce que vous êtes une femme ? domaine et Internet sera dans les prochaines
MA -Bien au contraire, on me protège et on années le deuxième pilier de nos activités.

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


26 VILLE-MONDE

INTERVIEW

LIDA ESLAMI
DIRECTRICE DE L'AGENCE HERAMPEY
Toute jeune directrice de l’agence d’architecture et d’urbanisme
Herampey à Téhéran, Lida Eslami anime une équipe de 50 jeunes
professionnels. Cette agence, fondée voilà 27 ans par l'architecte
Dr. Mohammad Mehdi Mahmoudi, formé aux méthodes occidentales,
regroupe aujourd’hui une belle équipe, de toutes confessions
religieuses et dont la moyenne d’âge est de 30 ans. Les femmes y
occupent 70 % des emplois : elles y sont ingénieurs civils, mécaniques,
électriques, architectes, urbanistes, paysagistes.

ParisTéhéran - Quand avez-vous intégré


l’agence Herampey? C E Q U I M E P L A Î T L E P LU S , C ' E S T
Lida Eslami - J’y suis entrée voilà 13 ans. D E T R AVA IL L E R À L A V I S IB IL I T É
À l’époque, j’étais stagiaire et étudiante du Dr. DE NOTRE AGENCE.
Mahmoudi à l’Université de Téhéran. Ma spé-
cialité de paysagiste avait retenu son attention.
Aujourd’hui, je partage mon temps entre travaille pour l’avenir de l’agence. J’insiste pour
l’agence et l’Université Azad de Téhéran, où je que tous travaillent ici dans un esprit d’équipe.
termine mon doctorat, C'est ce qui fait la force de notre agence. Ma
présence dans une entreprise avec une telle
PT - Vous voici depuis deux ans directrice proportion de femmes peut en outre être consi-
de cette agence. Cela a-t-il changé vos rela- déré comme un atout.
tions avec vos collègues?
LE - En effet, cette nouvelle responsabilité m’a PT - Vous êtes arrivée à l’agence voilà 13
amenée à prendre une certaine distance. Je n’ai ans. Pourquoi aviez-vous été retenue par
plus d’amis mais uniquement des collègues, son directeur de l'époque ?
tous situés au même niveau relationnel. Aupa- LE - Le Dr. Mahmoudi me connait bien. J’ai été
ravant, je pensais à ma carrière ; à présent je son étudiante, puis j’ai intégré l’agence. Puis je

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


VILLE-MONDE 27

© Mohammad Mehdi Mahmoudi


Lida Eslami

suis devenue membre du Conseil d’adminis- le centre ancien de Téhéran et les interactions
tration. Le Dr. Mahmoudi a probablement pu, entre les 12 grands ports iraniens. Et ce qui me
au cours de toutes ces années, mesurer et appré- plaît le plus dans mes novelles fonctions, c’est
cier mon sérieux, mon implication, ma méthode de travailler à la visibilité de notre agence.
et mon sens de l'animation.

PT - Comment arrivez-vous à concilier votre


vie professionnelle et votre vie familiale?
LE - Cela ne pose pas de problème. Je suis

13
à l’agence de 8h30 à 15h30, ce qui me permet
de rentrer récupérer mon fils à la sortie de
l’école. D'ailleurs, cela me permet aussi de tra-
vailler pour mon doctorat.
Cela fait 13 ans que Lida Eslami
PT - Quel est le projet qui vous a le plus
enthousiasmée jusque-là? a rejoint l'agence Herampey.
LE - Ce n’est pas le projet mais les projets inter-
disciplinaires que l’agence a eu à conduire sur

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28 VILLE-MONDE

INTERVIEW

MARYAM MARASHI
FONDATRICE DE ZANJIREH OMID
© Maryam Marashi

Les enfants aidés par Zanjireh Omid

Partenaire de l’ONG française La Chaîne de l’Espoir,


l’ONG iranienne Zanjireh Omid est dirigée par sa fondatrice Maryam
Marashi, qui en quelques années a su faire de cette organisation
une structure unique en Iran.

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


VILLE-MONDE 29

© Maryam Marashi
ParisTéhéran - Qu’est-ce qui vous a amené
à ouvrir ce centre médical et apporter des
soins aux enfants défavorisés?
Maryam Marashi - En 2006, j’ai découvert
que ma fi lle avait une déformation de la colonne
vertébrale. Je connaissais de réputation le
docteur franco-iranien Keyvan Mazda à Paris.
Nous sommes alors allés en France et ma fi lle
a pu avoir un corset. Sur place, j’ai pris
conscience qu’il existait une grande différence E N TA N T QUE F E MME E T MÈ R E ,
dans la qualité du traitement médical entre la J E C O N S I D È R E T O U S L E S E NFA N T S
France et l’Iran. Quand le docteur Mazda m’a C O MME ME S P R O P R E S E NFA N T S .
dit qu’il allait se rendre à Kaboul, je lui ai
demandé s'il était possible de faire également
quelque chose pour les enfants iraniens. Il m’a
rappelée peu de temps après et j’ai rencontré MM - Oui, et presque toutes les directrices sont
Alain Deloche, le fondateur de l’association La mes amies. Beaucoup d’associations caritatives
Chaîne de l’Espoir. Cette rencontre a initié la sont mises en place par des femmes. D’après
mise en place de notre association en Iran et plusieurs études psychologiques, les femmes
nous avons signé un accord de coopération en sont plus à même de penser aux détails, plus
2007. J’avais alors 32 ans. sensibles et plus adaptées aux missions huma-
nitaires. Elles peuvent aussi, plus que les
PT - Avez-vous rencontré beaucoup d'obs- hommes, faire plusieurs choses en même temps.
tacles pour en arriver là?
MM - Oui, bien sûr ! Au départ, beaucoup me PT - Avez-vous un message à faire passer
disaient qu’il était presque impossible pour une aux femmes sur l’esprit d’entreprise?
femme de créer une telle association. Mais je MM - Oui : toute femme doit être fière d’elle-
me sentais forte et j’avais confiance en moi. Mon même. Nous avons de nombreuses capacités et
but était clair, je savais où j’allais : en tant que nous devons les utiliser dans la vie. On dit sou-
femme et mère, je considère tous les enfants vent que le rôle d’une femme se cantonne à la
comme mes propres enfants. J’essaie de leur famille mais c’est faux : elle peut et doit se réa-
donner accès aux meilleurs docteurs, aux meil- liser aussi dans la vie professionnelle. Je me
leurs traitements. Suivre mon idéal me donne suis mariée à 16 ans, j’ai eu deux enfants mais
du courage et de l’énergie, et il en faut ! j’ai continué mes études en parallèle et j’ai
ensuite commencé ma carrière dans l’huma-
PT - Êtes-vous en contact avec d’autres asso- nitaire. Je n’ai jamais arrêté, il suffit d’être orga-
ciations créées par des femmes? nisée et déterminée.

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


30 VILLE-MONDE

INTERVIEW

NEGIN KASHI

© DR
CHEF DE L’UNITÉ
FRANCOPHONE DE
L'AGENCE ARG’E JADID
L’établissement de tourisme iranien Arg’e Jadid,
filiale du groupe du même nom fondé en 1997, compte
aujourd’hui 70 salariés, sa propre compagnie d’autocars
de tourisme, sa chaîne d’hôtels et sa compagnie d’assurance.
Le département consacré aux touristes francophones
est animé depuis quatre ans par une toute jeune
responsable, Negin Kashi.

ParisTéhéran - Quel est votre parcours nation avec les collègues des autres directions
professionnel? crée une dynamique. La plupart des collabora-
Negin Kashi - Je m’étais tout d’abord destinée teurs de notre entreprise ont entre 26 et 32 ans.
à l’enseignement du français. J’ai préparé pour
cela un master à l’Université Tahbiat’e Modares PT - Quelle est la tendance du tourisme
de Téhéran, puis j’ai enseigné quelque temps actuellement?
dans des instituts de langues privés. Mais le NK - Depuis la signature de l’accord sur le
développement du tourisme m’a attiré et cette nucléaire, nous avons vu par exemple le nombre
nouvelle responsabilité me convient tout à fait de touristes français tripler. Cela me paraît très
car elle me rapproche de la France, de sa langue prometteur. Dans les 12 derniers mois, nous
et de sa culture. avons accompagné 1200 touristes venus de
France, sachant que nous avons cinq mois
PT - Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce idéaux pour le tourisme, compte tenu du climat
travail ? des diverses provinces.
NK - Déjà le fait de faire connaitre mon pays
et de faire partager nos richesses. La coordi- PT - Selon vous, quelle est la place de la

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


VILLE-MONDE 31

© Jean-Claude Voisin
Negin Kashi (debout) et ses collaborateurs

femme dans la société iranienne?


NK - Je constate que depuis quelques années,
notre position dans la société est de plus en plus
comfortable. Ici, 80% des employées sont des
jeunes femmes. Dans la société en général, notre
place est reconnue et respectée.
D E P U I S L A S I G N AT U R E D E
L'A C C O R D S U R L E NU CL É A IR E ,
PT - Dans le cadre de vos fonctions, quels
N O U S AV O N S V U L E N O M B R E D E
sont les soucis auxquels vous avez dû faire
T O U R I S T E S F R A N Ç A I S T R IP L E R .
face ?
NK - Sur les derniers mois nous avons dû régler
des problèmes d’interventions chirurgicales,
un décès, des chutes et des fractures. Mais tout
a pu être réglé en toute sérénité.

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32 VILLE-MONDE

© Jean-Claude Voisin
Tajli Mizan en interview pour ParisTéhéran

INTERVIEW

TAJLI MIZAN
DIRECTRICE DES VENTES ET
DU MARKETING DU GROUPE PALLADIUM

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


VILLE-MONDE 33

Après des études en Iran puis un MBA en Malaisie,


Tajli Mizan dirige depuis plus de trois ans le
département vente et marketing du groupe

© Jean-Claude Voisin
Palladium. Ce centre commercial regroupe 150
boutiques de grandes marques internationales,
dont des marques françaises, et abrite 150 bureaux.
2000 personnes y travaillent au quotidien, dont 750
pour le seul groupe Palladium. Après avoir démarré
avec deux collaborateurs, Tajli anime actuellement
une équipe de 35 personnes.

ParisTéhéran - Votre parcours est étonnant auraient vite fait de m’accuser de tous les stra-
car après des études à l’étranger, vous déci- tagèmes pour arriver là où je suis. Mais ma posi-
dez de revenir en Iran. Pourquoi ce choix ? tion est soutenue par le PDG. Les salaires des
Tajli Mizan - En effet, et ce malgré la présence cadres féminins sont identiques à ceux des col-
de ma famille en France ou aux États-Unis. lègues masculins. Je dirais aux jeunes Iraniens
Lorsque j’étudiais en Malaisie, plusieurs offres qu’ici tout est possible, qu'il suffit de le vouloir,
m’avaient été faites pour l’étranger. Mais à de croire à ce que l’on fait, d'aimer son travail.
l’occasion d’un retour en Iran lors des fêtes de
Norouz, j’ai été présentée au PDG de Palladium. PT - Les centres commerciaux, dénommés
Son esprit et sa démarche m’ont plu et j’ai décidé «malls» en Iran, fleurissent depuis ces der-
(alors que mon doctorat n’était pas terminé) nières années dans le nord de la capitale.
d’accompagner le développement du groupe. N’y a-t-il pas une concurrence acharnée?
J’avoue que depuis ces quatre ans, je suis com- TM - En effet, elle est très forte. De notre côté,
blée et enthousiaste. nous avons réalisé une étude de marché avant
de nous lancer et avons pris le parti de la qualité
PT - Comment vous affirmez-vous en tant des marques et d’un accompagnement dyna-
que femme dans le groupe, et dans une mique de l’espace. J’insiste sur cet aspect
société islamisée traditionnelle? «intelligent», base de notre travail et résultat
TM - Je travaille de 13 à 14 heures par jour. Je d’une grande réf lexion. Certains sont plus
me lève à 5h trois jours par semaine pour aller grands que nous mais ils ont du mal à remplir
faire du sport et arriver au bureau à 8h. J’y reste leurs espaces. Je crois que l’image de notre
jusqu’à 20h. Les autres jours, j’arrive à 7h. Être «mall» est plutôt flatteuse.
femme à ce poste n’est pas simple. Dans une
société traditionnelle, les mauvaises langues

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34 VILLE-MONDE

INTERVIEW

MOHAMMAD MOLAZEM
DIRECTEUR ET FONDATEUR DE BARBAD
Située dans une zone industrielle et artisanale à 30 kilomètres de Shiraz, la
capitale du sud iranien, au début de la plaine de Mardasht et non loin du site
légendaire de Persépolis, la fabrique de pianos Barbad se révèle comme un
exemple de l’esprit d’initiative iranien. Fondée voilà plus de deux ans, cette
jeune entreprise qui emploie 50 salariés, dont une moitié de femmes, est
dirigée par un jeune chef d’entreprise local et se dit déjà prête à partir à la
conquête des marchés émiratis et européens.

ParisTéhéran - Comment vous est venue maison. Et dans ma tête je me disais qu'un jour, je me construi-
cette idée de développer une industrie du rais ce piano que je ne pouvais pas m’offrir. Puis pour gagner
piano en Iran? ma vie, j’ai choisi le marketing-management à l’université
Mohammad Molazem - Lorsque j’étais jeune, sans oublier cette idée qui me trottait toujours dans la tête.
j’étais passionné par le piano. J’ai très vite voulu J'ai alors commencé, il y a 17 ans, par importer trois pianos
apprendre à jouer de cet instrument. Malheu- de Russie, puis d’Azerbaïdjan et de Géorgie, que j’ai vendus
reusement, notre milieu familial ne nous per- assez vite car il n’y avait pas de vendeurs sur le secteur. Cela
mettait pas d’acquérir un tel instrument à la m’a encouragé. Ce furent ensuite cinq pianos, puis dix... J’ai

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


VILLE-MONDE 35

J ’A I E U L’IDÉ E D’IMP O R T E R L E S P IÈCE S


E T DE L E S A S S E MBL E R E N IR A N .
M O N O B J E C T I F R E S T E D E FA B R I Q U E R
E N T IÈ R E ME N T N O S P I A N O S S U R P L A C E .

Je l’ai invité à venir à Shiraz et il a pu conseiller mes colla-


borateurs pendant quelques heures. Nous sommes convenus
d’une assistance durable afin de monter en qualité notre pro-
Les équipes du site de duction et d’atteindre un niveau de qualification européen.
© DR

production de Barbad Nous abandonnerons peu à peu l’importation de pièces


chinoises pour nous réorienter vers les pièces françaises et
allemandes. Grace aux compétences de Joël Jobé, j’espère
bientôt développer un département spécialisé dans la res-
alors ouvert un petit magasin à Shiraz. Puis vint le temps des tauration de pianos anciens en Iran. Rien n’existe ici dans ce
sanctions internationales, l’interdiction d'importer des pianos domaine.
mais pas des pièces détachées. J’ai alors eu l’idée d’ importer
les pièces et de les assembler en Iran. Mon objectif reste de PT - Que représente aujourd’hui la maison Barbad?
fabriquer entièrement nos pianos sur place. MM - Je suis très fier car nous avons actuellement une dou-
zaine de magasins à travers l’Iran. Mes 50 salariés sont moti-
PT - Comment avez-vous pu trouver la main d’œuvre vés. J’encourage l’enseignement et l’écoute du piano en
qualifiée sur place, alors qu’il n’existe aucune fabrique sponsorisant de nombreux concerts. J’ai récemment accepté
de pianos en dehors de la vôtre? de porter l’idée de Layla Ramezan, formée au Conservatoire
MM - Dès le début j’ai immédiatement envoyé un collabora- supérieur de Paris, installée à présent à Lausanne avec son
teur se former en Chine, puis un autre en Allemagne. À leur mari français, lui-même clarinettiste et musicologue, de lan-
retour, ils ont eux-mêmes formé plusieurs autres camarades. cer un concours international de piano à Shiraz . Les lauréats
reçoivent alors une invitation à participer en France, grâce
PT - Que représente à ce jour votre production? à Layla Ramezan, à un grand festival international de musique
MM - Nous fabriquons en moyenne deux pianos chaque jour, mais aussi à des masterclass au Conservatoire supérieur de
mais tout dépend de leur gamme. À l'automne 2016, j’ai orga- musique de Paris.
nisé un salon spécialement dédié au piano. En une semaine
nous avions écoulé 200 pianos. Du jamais vu ! Même la télé- PT - La création à Shirazd’une telle fabrique, unique en
vision iranienne a parlé du phénomène ! Notre atelier est éga- Iran, est-elle le fruit du hasard?
lement capable de monter des pianos de référence MM - Je ne le crois pas car Shiraz reste la ville par excellence
internationale, comme ceux de la marque Blüthner de Leip- des arts et de la culture. Voyez comme nous vénérons nos
zig. Nous sommes les seuls dans tout le Moyen-Orient. grands poètes Hafez et Saadi. La ville a toujours été un foyer
culturel de premier plan.
PT - Comment envisagez-vous l’avenir?
MM - Je souhaite développer notre diffusion mais aussi notre PT - Et pourquoi cette marque «Barbad»?
production à l’étranger, aux Émirats Arabes Unis, tout comme MM - Barbad était un grand musicien à la Cour des rois
en Europe. Récemment, grâce à Layla Ramezan (voir Sassanides, considéré comme un pionnier des écritures mélo-
ParisTéhéran #3), j’ai fait la rencontre de l’accordeur-res- diques. Ses recherches musicologiques innovantes ont tra-
taurateur français Joël Jobé, connu dans la monde entier. versé les siècles, et de plus il était de notre région du Fars.

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


L’agence All Contents Presse lance ET
aujourd’hui une plateforme originale,
une passerelle d’ouverture sur NEWSLETTER
le monde : VILLES MONDE. Son but
est de connecter la France et d’autres
pays aux niveaux culturel, économique,
politique et sociétal.

Forte de son expérience à la fois dans


le print média que dans le web, l’agencee
All Contents se lance dès 2009 dans un
projet de grande envergure : la presse.
À travers quatre sites et magazines, et
SITE WEB
un réseau de franchises dans le monde La plateforme Web ParisMonde
(Pékin, Téhéran, Casablanca, Beyrouth, rassemble les différents sites
et dispositifs et aborde en détail
Buenos Aires, etc.), VILLES MONDE est les dossiers thématiques
le portail pour les Français de l’étranger et diplomatiques, telle que la
et une source d’informations pour les thématique des Smart Cities.
étrangers vivant en France. Le site met également en avant
les fiches villes et pays.

APPLICATIONS
Chaque site dispose également
d’un site mobile avec des
fonctionnalités précises,
tels qu’un agenda ou encore
des espaces publicitaires
spécifiques.

120 000
visiteurs mensuels sur son
réseau de sites internet

10 villes en 2017
14 000
abonnés mensuels
aux newsletters
PARISALGER PARISBERLIN PARISMILAN
ParisAlger propose Considéré comme le seul Dernier né des magazines
de décrypter la France magazine franco-allemand All Publishing, ParisMilan
et l’Algérie d’aujourd’hui et d’envergure européenne, vous dévoilera le dessous
d’apporter un regard croisé ParisBerlin a fêté des actualités économiques
sur les deux pays son 100e numéro en 2014. qui font débat des deux
et leur relation. cotés des Alpes.

PARISTÉHÉRAN
PARIS PARISMONTRÉAL
PARIS
Avec la sortie de son ParisM
ParisMontréal analyse
premier numéro
premie dynamisme des
le dyna
octobre 2016,
en octo échanges entre deux
échang
ParisTéhéran informe
ParisT territoires aux nombreux
territoi
chaque trimestre ses points communs et
lecteurs sur les relations
lecteur pourtant si différents.
pourta
franco-iraniennes.
franco Le magazine
mag entend
Informez-vous sans plus
Inform contribuer à une meilleure
contrib
attendre sur les actualités
attend compréhension mutuelle
compr
de ce pays
p passionnant ! et propose
prop tous les trois
mois son
s regard
sur les relations
franco-québécoises.
franco

PARISCASABLANCA PARISTUNIS
PARIST
Lancé en 2016, le Le magazine
maga ParisTunis
magazine ParisCasa décrypte les relations
offre un regard croisé entre la France
sur la France et le et la Tunisie,
Tun six ans
Maroc. Découvrez sans après
p la Révolution.
attendre les contenus Économie, culture,
Économ
économiques et société... des contenus
société..
culturels des deux pays ! qui proposent
prop un
nouveau regard sur
pays.
deux pay
38

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


39

Les trois meilleures stylistes de sixième festival Fadjr de la mode :


Mme. Bolandi, Mme. Moslemi et Mme. Teymouri

SOCIÉ TÉ
La mode iranienne
à la conquête des
marchés internationaux
L’Iran (et avant lui, la Perse) a développé
depuis des millénaires le goût des beaux
habits, des tissus précieux, des broderies et
des brocarts. Des fresques de Persépolis aux
tapis sassanides, les savoir-faire se sont
transmis de génération en génération. Durant
plus de 1500 ans, la route de la soie a permis
aux créations et fabrications iraniennes de
conquérir de vastes marchés, de la Chine à
l’Occident romain. Actuellement concurrencé
par les marchés chinois et turc, l’Iran veut se
donner les moyens de reconquérir les
marchés perdus. La France est associée
à ce pari. Le 6eme festival Fadjr de la mode
de Téhéran, présidé par M. GHobadi, a ouvert
© 2017, Christian Poulot

ses portes 2017 sous le signe de la


coopération avec la France.
Par Jean-Claude Voisin

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


40 SOCIÉTÉ

L’UNIVERSITÉ
POLYTECHNIQUE
AMIR KABIR
INTENSIFIE
SES RELATIONS
AVEC LA FRANCE
Fondée au milieu du XIXe siècle, l’École
Polytechnique de Téhéran, qui prend le nom
de son fondateur, grand vizir du souverain
perse de l’époque, s’est largement ouverte
à la France dès sa création.
De très nombreux enseignants français
dispenseront des cours au XIXe siècle et au
début du XXe siècle. Désignée depuis peu par
le Ministère des Sciences comme
coordonnatrice des actions de coopération
internationale pour toutes les universités
iraniennes, l’Université polytechnique a
décidé d’intensifier sa coopération avec le
monde académique français dans plusieurs
ParisTéhéran - Vous êtes directeur de la
directions, notamment dans les métiers coopération scientifique et internationale
de l’habillement. L’ancienne proximité entre au sein de l’École Polytechnique. Comment
Shahla Yaribakht, styliste franco-iranienne expliquez-vous la signature de ce nouvel
et l’École, n’y est pas étrangère. accord de co-tutelle avec l’École Mod'Art
de Paris, pour une formation de haut niveau
dans le domaine de l’industrie textile?
Que représente la filière «Textile» à l’Uni-
versité Amir Kabir?
Dr. Amir Golroo - Notre section «Industrie
de l’habillement» forme des ingénieurs du tex-
tile, principalement orientés vers les fi lières
techniques : technique des fibres, chimie des
couleurs… Notre coopération avec l’industrie

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


SOCIÉTÉ 41

© Christian Poulot
À l'École Polytechnique Amir Kabir de Téhéran

textile iranienne, telle la grande maison Hago-


pian, permet à nos étudiants diplomés de trouver N O T R E T R A D I T I O N MIL L É N A IR E
immédiatement des débouchés. DU TISSAGE, DES MOTIFS E T DE
L' H A B IL L E ME N T E S T R E S T É E V I VA N T E
PT - Que représente l’industrie textile À T R AV E R S L'A R T I S A N AT
aujourd’hui en Iran? T R A D I T I O NNE L , T R È S A C T IF.
AG - Au Moyen-Orient, la Turquie reste le prin-
cipal producteur de produits textiles manufac-
turés. En Iran, notre tradition millénaire textile contemporain dans le domaine de
du tissage, des motifs et de l’habillement est l’habillement cherche sa voie. Notre accord avec
restée vivante à travers l’artisanat traditionnel, Mod’Art va dans ce sens.
très actif. Les régions de Yazd, Ispahan, Shiraz
et Kerman possèdent encore de très nombreux PT - Quelles sont vos relations actuelles
artisans du textile, mais le développement du avec l’Europe?

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


42 SOCIÉTÉ

AG - L’École Polytechnique fait partie du réseau


AUTEX, aux côtés de la Belgique (Université C’EST POUR NOUS UN OBJECTIF
de Gant), de la Grèce(TEI Piraeus) et de la Rou- S T R AT ÉG I Q U E Q U E D E F O R M E R
manie(IASI). Notre rapprochement avec la DES INGÉNIEURS M ANAGERS
France nous replace dans la grande tradition P O UR L’IND U S T R IE T E X T IL E
de l’école. IR A NIE NNE DE DE M A IN .

PT - Que va vous apporter cette coopération


avec Mod’Art? après la licence permettra de former des jeunes
AG - Actuellement, nos ingénieurs sont peu ingénieurs sur deux ans. La première année se
formés aux métiers du management et du mar- déroulera en Iran mais avec une participation
keting, là où Mod’Art excelle. C’est pour nous ponctuelle d’enseignants français, qui prépa-
un objectif stratégique que de former des ingé- reront nos étudiants à leur deuxième année en
nieurs managers pour l’industrie textile ira- France. Même si la formation à Mod’Art peut
nienne de demain. Nous nous réjouissons de se dérouler en anglais, nous ferons tout pour
cette coopération avec la France, référence dans développer les connaissances du français pour
le domaine de l’habillement. La formation MBA une meilleure intégration de ces étudiants lors
prévue dans un premier temps sur deux ans de leurs études en France.

Ouverture du sixième festival de la mode, avec Shahla Yaribakht et Alfred Mahdavy

© Christian Poulot

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


SOCIÉTÉ 43

© Yegan Mazandarani
Interview dans les locaux de Mod'Art

SHAHLA
MAZANDARANI-YARIBAKHT,
TRAIT D’UNION ENTRE
LA FRANCE ET L’IRAN

ssue du monde du textile d'Ispahan ment de la mode dans les pays du golfe Persique.

I - et de plusieurs générations de cou-


turières -, Shlahla Yaribakht crée en
Mais c’est en Iran et avec l’Iran que Shahla sou-
haite approfondir son désir de mettre le savoir-
1996 à Paris sa propre marque, faire français et parisien au service de la mode.
Scheyda1. Ainsi, elle fut plongée dès son enfance
dans cette atmosphère des tissus, des dessins ParisTéhéran - Depuis quand songez-vous
que la Perse a su faire évoluer au gré des modes à vous investir en Iran?
au fil des millénaires. Shahla Yaribakht - Depuis mon départ d’Iran,
Attirée depuis toujours par les sociétés, leurs je suis toujours revenue régulièrement, ne
rapports à la mode et au vêtement, Shahla Yari- serait-ce que pour rendre visite à ma mère à
bakht a cherché à bâtir des ponts entre la France, Ispahan. En 2007, j’ai été associée à une opéra-
qui l’a accueillie et formée, et d’autres cultures, tion significative : comment habiller les Occi-
plus particulièrement celles des mondes ara-
bo-musulmans. Ainsi, depuis plusieurs années, 1
Découvrez le parcours complet de Shahla Yaribakht
la styliste-développeuse supervise le déploie- dans ParisTéhéran n°1 (octobre-décembre 2016).

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


44 SOCIÉTÉ

©Christian Poulot
Un workshop autour de l'habillement animé par Mod'Art

dentales qui voulaient faire du surf sur les côtes d’approche et les résultats de cette école, qui sait
iraniennes du golfe Persique. Ce fut mon premier s’adapter à chaque culture.
projet de conciliation et d’harmonisation entre
nos modes occidentales et les codes de la Répu- PT - Quels sont les enjeux d’une telle
blique islamique. Puis, en 2011, j’ai été invitée coopération?
par le gouvernement iranien avec d’autres créa- SY - Je constate qu’actuellement l’Iran importe
teurs mondiaux issus de la diaspora iranienne. 80% de ses matières textiles alors que ce pays
Cette année, les responsables m’ont sollicité pour produisait voilà encore un siècle de la soie, de la
donner au festival de mode de Fadjr une dimen- laine, des tissus travaillés de toute sorte... Notre
sion tout particulièrement internationale. objectif est d’inverser la tendance, ce qui redon-
nerait à l’Iran, cité dans le monde entier en
PT - Comment voyez-vous le développement matière de mode millénaire, sa juste place. Mais
de la mode en Iran? pour cela, il manque les outils modernes en
SY - Après une analyse du tissu industriel et matière de technique, de communication, de
artisanal du monde de la mode, de la confection, management. Ici, les nouveaux métiers de ce
de la création et de la production, j’en suis arrivée secteur sont encore à découvrir. Ce pays a des
à définir le premier besoin : celui de la formation. potentialités énormes, avec notamment une
J’ai de suite pensé à notre célèbre école supé- vraie volonté de s’investir et de créer. Les jeunes
rieure Mod’Art, probablement l’établissement générations sont enthousiastes, pleines d’idées.
le mieux adapté aux besoins de l’Iran. J’ai déjà J’aimerais ainsi, au pays de Cyrus - drapé dans
eu personnellement de nombreux stagiaires de d’élégantes étoffes voilà 2500 ans - après mes
plusieurs écoles, mais ceux de Mod’Art ont retenu 37 ans de carrière en France, rapporter à mon
mon attention. Je connais ainsi les méthodes pays ce que je lui dois.

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


SOCIÉTÉ 45

© Christian Poulot
RENC ON T RE AV EC…

ALFRED MAHDAVY
Conseiller aux affaires internationales de Mod’Art
ParisTéhéran - Fondateur de Mod’Art en PT - Quels sont les avantages pour l’Iran
2000, que pouvez-vous nous dire des spé- d’un partenariat avec votre établissement?
cificités de votre école supérieure? AM - Mon appartenance aux deux cultures m’a
Alfred Mahdavy - Depuis sa création cet éta- déjà incité à répondre favorablement à l’invi-
blissement a essaimé sur tous les continents. tation du Ministère de la Culture iranien et du
Nous avons actuellement des franchises ou des département «Mode» de sa direction d’Ershad.
fi liales en Chine, au Pérou, en Russie, en Hon- J’ai, comme de nombreux Iraniens, rêvé d’un
grie, en Inde, au Vietnam... Cela représente 600 retour dans mon pays tout en bâtissant un pont
étudiants en France et 2000 dans le monde. avec la France. Je savais que l’Iran avait une
Les fondements de l’école restent ceux de la for- tradition textile. Le challenge que m’a présenté
mation aux métiers de la création mais aussi Shahla Yaribakht m’a de suite plu. La concur-
aux dizaines de métiers qui accompagnent les rence actuelle de la Turquie et de la Chine
créateurs, comme par exemple le management appelle un réexamen de la situation nationale.
des indicateurs de la mode et du luxe. Mod’Art peut apporter des réponses aux
carences dans la formation des gestionnaires
PT - Quels sont les niveaux de formation? de la mode en Iran.
AM - Nous recrutons, selon les branches, du
bac à bac +4, en partenariat avec les universités PT - Comment pensez-vous démarrer cette
de Toulouse et de Perpignan. Cette école asso- coopération?
cie l’enseignement théorique à beaucoup de AM - Nous pensons avec nos confrères de
pratiques sur le terrain. Tous nos programmes l’École Polytechnique Amir Kabir de Téhéran
pour la France et le reste du monde sont bâtis aboutir à un double diplôme. Les futurs ingé-
à Paris mais ensuite toujours adaptés aux nieurs entameront leur première année de MBA
cultures locales ou nationales. à Téhéran puis poursuivront leur deuxième

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


46 SOCIÉTÉ

année à Paris et leur stage de fin de cycle en


France.

PT - Vous êtes venu en Iran avec une délé-


gation de Mod’Art très ciblée?
AM - En effet, compte tenu des enjeux et des
besoins analysés par Shahla Yaribakht, m’ont
accompagné Nathalie Broun, responsable du
développement international pour la zone Asie
et chargée du développement pédagogique au
Vietnam ; Christian Poulot, professeur de mode

© Christian Poulot
digitale, consultant en stratégie marketing
mode ; et Cécile Mutith, spécialiste des ten-
dances.
Nous avons animé deux ateliers à l’usage des Lors du festival de la mode au Talar-e Vahdat de Téhéran
enseignants et des étudiants d’Amir Kabir mais
aussi ouverts à des industriels, des créateurs.
Ils ont rassemblé une quarantaine de partici-
pants et ont porté sur le branding et la digital L A CONCURRENCE ACTUELLE DE
fashion. Nous avons été agréablement surpris L A T U R Q UIE E T DE L A CHINE
par le nombre et la qualité des questions ainsi A P P E L L E U N R É E X A ME N D E
que par l’enthousiasme et l’espoir en l’avenir L A S I T U AT I O N N AT I O N A L E .
que portaient tous les participants.

Une réunion avec au fond de la table Hamid


Ghobadi, directeur de la sixième édition du
festival de la mode à Téhéran. À droite, les
stylistes lauréates et Mehdi Afsali, responsable
et secrétaire de la division internationale.
©Christian Poulot

À gauche, Mme. Berkshekli directrice du musée


Islamique de Malaisie, Maryam Imanieh,
Shahla Yaribakht et Alfred Mahdavy.

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


20%
DES PERSONNES SOLLICITÉES
NE PEUVENT PAS AIDER
CET HOMME PARCE QUE
PAS CETTE FOIS MAIS PROMIS
LA PROCHAINE.
- © CORENTIN FOHLEN.

HEUREUSEMENT, 100% DES PERSONNES SOIGNE


INTERROGÉES PEUVENT DONNER 7J/7 ET AUSSI
24H/24 SUR MEDECINSDUMONDE.ORG L’INJUSTICE
HEUREUSEMENT, 100% DES PERSONNES SOIGNE
INTERROGÉES PEUVENT DONNER 7J/7 ET AUSSI
24H/24 SUR MEDECINSDUMONDE.ORG L’INJUSTICE
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PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


49

Le sanctuaire de Fatima Ma’soumeh à Qom

DIA SPOR A S
Artistes, universitaires, entrepreneurs :
portraits d’Iraniens installés en France et
de Français établis en Iran, qui présentent
leur parcours et partagent leur vision des
liens entre les deux pays.
Témoignages recueillis par Jean-Claude Voisin
et Quentin Bultez

50
François Ozsvath

51
Hamid Pascal Saie
© Jean-Claude Voisin

52
Mohammad Ghavi-Helm

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


50 DIASPORAS

FRANÇOIS OZSVATH

Juré de Masterchef

© DR

près une enfance à Versailles, de la cuisine iranienne, étonnamment riche d’une

A François Ozsvath vit de nombreuses


années à Metz. Père de deux fi lles,
région à l’autre. Les légumes et les fruits de saison
sont d’une qualité inégalable, et permettent des
Aurore et Chloé, notretouche-à-tout recettes variées et surprenantes. Je pense au petit
fait tous les métiers pour enfin monter les éche- lait déshydraté, le kashk, qui est dilué dans cer-
lons de la gastronomie et devenir premier maître taines recettes. Il s'agit d'une vieille tradition qui
d’hôtel au Cercle des Ministres européens, au remonte à l’époque du nomadisme mongol. Cela
Luxembourg. En 2012, c’est le grand virage, le a un goût très particulier pour un Occidental. Je
départ pour l’Iran à l’appel d’un restaurant réputé pense aussi aux dolmehs, ces légumes fourrés avec
de Téhéran pour réorganiser le service. Le départ un mélange de viande et d’herbes, qui auront tous
s'organise grâce à son épouse iranienne : «Sans leur spécificité selon qu'ils soient d’Azerbaïdjan,
Sayeh, je n’aurais jamais pu m’intégrer aussi vite du désert ou du littoral du golfe Persique. Mais
ni rencontrer les personnes qui m'ont guidées dans l’évolution de la société m’attriste car comme par-
cette installation, dont Thierry Joulin, alors Pré- tout dans le monde, l’engouement pour la civili-
sident des Conseillers du Commerce Extérieur. sation du fast food a envahi l’Iran, la malbouffe,
À mon arrivée, ce qui m’a de suite impressionné, le hamurger-frites-coca s’installe. Les jeunes se
c’est la gentillesse des gens, leur courtoisie, leur gavent de sodas chimiques, hyper sucrés alors que
politesse envers l’étranger et probablement encore l’Iran produit d'excellents fruits et jus de fruits,
plus vis-à-vis des Français». Intégré à l’équipe ou encore le dough, boisson traditionnelle au
de la chaîne Hyperstar, il découvre, aux étapes yaourt battu dans l’eau, autrement plus diététique
des succursales, la diversité de l’Iran. « Les pay- et adapté aux saveurs d’ici . Ne parlons pas des
sages, le climat, la musique traditionnelle, les sauces de plus en plus grasses ! Paradoxalement,
grands déserts de sable et de pierre, les montagnes le pays s’ouvre aussi à une cuisine de qualité qui
vertigineuses, l’agriculture, les véritables quatre vient du Japon, de Chine, d’Italie et de France,
saisons, les chaleurs torrides de Téhéran en été quoiqu'encore timidement, mais le train est sur
et le ski à deux pas de la capitale l’hiver. Mais pour les rails».
moi, noyé dans la cuisine, ce sont aussi les saveurs

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


DIASPORAS 51

HAMID PASCAL SAIE

Artisan menuisier

© DR

ien qu’Hamid Pascal Saie estime que son histoire quitter pour suivre sa bien-aimée au Canada, alors que ses

B soit «insignifiante au regard de la Grande Histoire


de l’Immigration», elle mérite d’être contée.
parents s’opposent à cette union. C’est avec l'aide de l’am-
bassadeur de France en Iran, qu’il rencontre lors d’une mis-
Aujourd’hui artisan menuisier à Bordeaux, rien sion, qu’Hamid Pascal traverse la frontière turque, à pieds
de tout cela n’était écrit : Hamid Pascal a construit son propre et sans papiers, bravant le froid et l’inconnu. Arrivé à Ankara,
récit en écoutant ce que lui dictait son cœur. il est reçu par l’ambassadeur français en Turquie, prévenu
Il porte dans ses deux prénoms sa double origine fran- de son arrivée par son homologue en Iran, qui lui délivre un
co-iranienne. Né en Iran d’une mère française, ensei- passeport tricolore. Notre aventurier peut quitter la Turquie,
gnante, et d’un père iranien, professeur de sciences non sans peine, direction le Canada, où son destin l’attend.
politiques à l’Université de Téhéran, sa double nationalité Mais enjamber le monde ne sera pas suffisant : après un an
lui permet d’être différent. Une différence positive, qu’il passé entre Vancouver et San Francisco, il finira par
revendique car elle lui permet de «vivre une vie exception- apprendre que celle qu’il attendait ne le rejoindrait jamais.
nelle» : être français et iranien lui ouvre de nombreuses «Une déchirure» qui va rapidement prendre des allures de
portes. Après quelques années passées en internat en renaissance. Repoussant la solitude, il tombe amoureux de
France, loin de la guerre Iran-Irak, Hamid Pascal revient celle qui deviendra se femme et la mère de ses deux enfants.
en Iran pour poursuivre ses études. Mais notre étudiant C’est donc avec elle qu’il traverse à nouveau l’océan pour
est un manuel, voilà pourquoi, en parallèle de la formation s ‘établir à Bordeaux, comme artisan menuisier. Hamid
en traduction qu’il entame à l’Université de Téhéran pour Pascal a beau avoir traversé le monde, il ne s’est jamais
«faire plaisir» à ses parents, il débute un cursus de sculp- éloigné de ses aspirations manuelles. Lorsqu’il évoque son
ture dans une école d’art au sein du Palais Sa’dabad. «Une lien à l’Iran, qui reste fort, il exprime un besoin de «ressen-
expérience exceptionnelle, un espace de liberté rare» qui tir» son pays d’origine, «de le faire partager à ses enfants».
lui permet d’être en phase avec ses aspirations. Hamid «L’Iran est un pays qui se visite avec le cœur», conclut-il.
Pascal vivait «une vie confortable, au sein d’un milieu pri-
vilégié». Mais le cœur a des raisons que la raison ignore.
Amoureux d’une grande pianiste iranienne, il décide de tout

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


52 52 DIASPORAS

MOHAMMAD GHAVI-HELM

Percussionniste
rrivé en France en 1973, Mohammad

A Ghavi-Helm est tombé tout jeune


dans le monde musical. Il termine
ses diplômes de flûte et percussions
au Conservatoire de Téhéran et joue déjà dans
l’Orchestre Symphonique de Téhéran avant de
partir pour l’Angleterre, afin de parfaire sa for-
mation. Il n’y reste que deux mois avant de déci-
der de venir plutôt en France, où, lui dit-on, la
maîtrise de la langue passera après les qualités
musicales. Aujourd'hui, il y vit toujours.
«Ma rencontre à l’Opéra de Paris avec Sylvio
Gualda va durablement déterminer ma carrière
en France. Sylvio enseigne au Conservatoire de
Versailles. C’est là que je franchirai les différentes
étapes jusqu’au Certificat d’aptitude qui me per-
mettra d’enseigner dans des conservatoires puis
bientôt de diriger le CRC de Lucé, en Eure-et-
Loir». Mohammad Ghavi-Helm n’abandonne

© Ghavi-Helm
cependant pas ni ses origines, ni sa culture.
Auprès de grands maîtres de la musique tradi-
tionnelle iranienne, en particulier Mohammad
Reza Lotfi, il fera des tournées en France, en difficultés culturelles. Je ne suis pas Français plus
Allemagne et aux États-Unis. «Je n’ai pas eu de qu’avant et je n’oublie pas mes origines. Il est pro-
difficultés d’intégration probablement grâce au bable que ma façon d’aborder les choses me vienne
milieu artistique dans lequel j’évoluais. J’ai pu de mes racines orientales. Aller vers l’autre m’a
jouer ici autant de la musique contemporaine apporté beaucoup d’amis parmi mes collègues et
occidentale que de la musique traditionnelle ira- mes élèves». Mohammad Ghavi-Helm parle avec
nienne. J’ai ainsi pu m’accomplir dans cette pas- enthousiasme des jeunes de son pays, ouverts
sion et ceci m’a permis de surmonter de possibles sur le monde : «Je suis optimiste pour l’avenir,
malgré les difficultés de toutes sortes qu’ils
connaissent, les jeunes Iraniens ont une telle
M A L G R É L E S D I F F I C U LT É S D E T O U T E S énergie, ils vont réussir à surmonter tout cela».
S O R T E S Q U ’IL S C O NN A I S S E N T, L E S Mohammad se remémore les musiciens
JE UNE S IR A NIE N S ON T UNE T E L L E européens et américains de l’orchestre de
É NE R GIE , IL S V O N T R É U S S IR À Téhéran et ajoute : «L’Iran est un pays comme
SURMONTER TOUT CEL A . les autres et tous ceux qui y passent le com-
prennent vite».

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


© Gaston BERGERET

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54

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


55

Inauguration du Bureau de Coopération Médicale,


Scientifique et Universitaire franco-iranienne, en présence
de Françoise Sénémaud, ambassadeur de France en Iran

GR A NDS
RENDE Z-VOUS
56
Inauguration du Bureau
de Coopération Médicale, Scientifique
et Universitaire franco-iranienne

58
Relations France-Iran : l’heure du bilan

59
Rencontre avec le Dr. Abbas Akhoundi
Le Centre culturel iranien de Paris

60
Les entreprises françaises du numérique
en Iran : opportunités et difficultés

62
France-Iran : regards croisés
sur la pratique du droit
© Farhad Heshmati

63
L’Ambassadeur de France répond
aux chefs d’entreprise

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


56 GRANDS RENDEZ-VOUS

INAUGURATION
DU BUREAU DE COOPÉRATION
MÉDICALE, SCIENTIFIQUE
ET UNIVERSITAIRE
FRANCO-IRANIENNE
Le 9 juillet 2017, le Bureau de Coopération Médicale, Scientifique
et Universitaire franco-iranienne, situé au sein de l’université
de Shahid Beheshti (SBMU) à Téhéran, a été inauguré par
François Sénémaud, Ambassadeur de France en Iran, en présence
du Dr. Ali Asghar Peyvandi, Président de l’Université,
du Dr. Mohsen Asadi Lari, Vice-Ministre iranien de la Santé,
et du Dr. Farhad Heshmati, coordinateur de la coopération.

es plus hauts responsables des for- coopération médicale et scientifique franco-

L mations formations médicales en


Iran ont assisté à cette cérémonie,
iranienne, hématologue à l’AP-HP, qui assurera la fonction
de coordinateur nationale de cette coopération. Ce bureau
parmi lesquels le Dr. Asghari, pré- d’envergure nationale est chargé de coordonner et de
sident de l’Université médicale d’Ispahan, le développer la coopération entre les établissements de soins
Dr. Ghanei, Directeur de l’Institut Pasteur d’Iran, et de recherche ainsi que les universités médicales iraniennes
le Dr. Pourfathallah, Directeur de l’Établisse- et les organismes français.
ment iranien du sang (IBTO), et le Dr. Gourabi, Tous ont salué la qualité de la coopération médicale
directeur de l’Institut Royan. Une délégation franco-iranienne et ont émis le souhait d’approfondir ces
française était également présente, composée relations. Cet évènement a d'ailleurs été évoqué et félicité
du Dr.  Veber, Directrice de la délégation au sein du Conseil des ministres iranien.
aux relations internationale de l’Assistance À événement exceptionnel, mesures exceptionnelles :
Publique Hôpitaux de Paris, du Pr. Poyart, Chef pour commémorer cette inauguration, la Poste d’Iran a édité
du pôle de biologie de l’hôpital Cochin, un nouveau timbre à l’effigie du bureau. Une prochaine étape
du Pr. Jeunemaître, Vice-Doyen de la faculté dans la coopération médicale se fera à travers l’invitation
de médecine René Descartes, et le Pr. Panah, qui a été adressée par les autorités iraniennes à la ministre
Chef de service des maladies infectieuses française de la santé, le Pr. Agnès Buzin, pour une visite en
de l’hôpital Lariboisière. Iran. L'invitation d’une délégation de hauts responsables
Cette initiative, soutenue par le Ministère français peut être proposé: présidents d’universités,
iranien de la Santé et le président de l’Université médecins déjà en coopération avec l’Iran, industriels du
Shahid Beheshti, a été réalisée par le domaine de la santé...
Dr. Heshmati, président de l’Association de

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


GRANDS RENDEZ-VOUS 57

© Farhad Heshmati

L'Ambassadeur de France en Iran, François Sénémaud, et le Président de l'Université de Shahid Beheshti, le Dr. Ali Asghar Peyvandi

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


58 GRANDS RENDEZ-VOUS

RELATIONS FRANCE-IRAN :
L’HEURE DU BILAN
Après cinq années passées en France, l'Ambassadeur
de la République islamique d'Iran, Ali Ahani, quitte la France.
Ce grand connaisseur de l'Hexagone a été reçu par le MEDEF
devant une centaine de chefs d'entreprises, pour confier ses
analyses après 12 années de présence dans le pays.

© DR
l y a près de cinq ans et demi, quand j'ai eu le pri- Rohani, Président de la République islamique d'Iran, en date
«
I vilège d'être nommé pour la troisième fois de ma
carrière Ambassadeur de la République islamique
du 28 janvier 2016, a marqué un nouvel essor dans les rela-
tions entre les deux pays. En deux ans, l'Iran et la France ont
d'Iran en France, j'ai retrouvé avec plaisir ce pays été témoins du quadruplement des échanges commerciaux,
où j'avais déjà exercé les fonctions d'Ambassadeur une pre- de la signature de près d'une cinquantaine de protocoles d'ac-
mière fois sous la présidence de François Mitterrand, après cord politiques, économiques, culturels et universitaires, de
avoir négocié la reprise des relations diplomatiques entre la formation de la première commission mixte économique,
l'Iran et la France. Je le fus une deuxième fois sous la prési- de très nombreuses visites ministérielles réciproques, de la
dence de Jacques Chirac, puis de Nicolas Sarkozy. Quand mise en place d'un véritable dialogue parlementaire ponctué
j'ai présenté mes lettres de créances à François Hollande par des visites officielles des présidents du Sénat et de l’As-
(NDLR : le 18 juillet 2012), les relations entre nos deux grands semblée nationale française, ainsi que de nombreuses visites
pays se trouvaient dans une phase particulièrement délicate de délégations de parlementaires, sans oublier l'organisation
après plusieurs années de tensions et de malentendus, avec de la première session commune entre les commissions des
le dossier nucléaire en toile de fond. En l'espace de quelques Affaires étrangères des deux parlements, de l'explosion du
années, les efforts communs de toutes les parties ont permis, nombre de touristes français et iraniens visitant l'autre pays,
pas après pas, avec patience et sagesse, et en se basant sur et de l'apparition de nouvelles et vastes perspectives de coo-
les intérêts nationaux réciproques et le respect mutuel, de pération dans différents domaines d'intérêt commun. Ce fut
normaliser les relations entre l'Iran et la France et de aussi le début d'un dialogue politique prometteur et à haut
reprendre le fil du dialogue et de redémarrer les échanges niveau en vue de trouver des solutions aux crises régionales,
politiques. Le point culminant de ce processus fut atteint à de favoriser la paix et la stabilité, et de lutter en commun
la date symbolique du 14 juillet 2015 avec la conclusion de contre les fl éaux de l'extrémisme et du terrorisme, qui ont
l'Accord nucléaire entre la République islamique d'Iran et les endeuillé les deux grandes nations iranienne et française, et
pays dits du groupe 5 + 1 (la France, l'Angleterre, les États- représentent aujourd'hui une menace vitale pour tous les
Unis, la Chine et l'Allemagne). Avec cet accord, l'obstacle pays du monde. En quittant la France, j'estime que les rela-
majeur au développement et à l'approfondissement des rela- tions historiques qui lient nos deux grandes nations méritent
tions entre l'Iran et la France (dont les échanges diploma- un niveau de proximité et de coopération autrement plus
tiques ont débuté en février 1715, soit très exactement 300 élevé, afin que la France devienne le premier partenaire éco-
ans avant la date de l'accord nucléaire) a été levé. Ainsi, un nomique et industriel de l'Iran en Europe. »
nouveau chapitre s'est ouvert entre nos deux grandes nations
et la visite officielle en France de Son Excellence Hassan

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


GRANDS RENDEZ-VOUS 59

© Catherine Dorgnac
RENC ON T RE AV EC

LE DR. ABBAS AKHOUNDI


AU MEDEF
Par Catherine Dorgnac, Centre français des affaires de Téhéran

e Centre français des affaires de Téhéran (CFAT) ferroviaire, maritime et aérien et de présenter au Ministre

L a reçu le Dr. Abbas Akhoundi, Ministre iranien


des Transports, de la Planification urbaine et du
leur expertise dans ces secteurs.
Le gouvernement iranien entend en effet moderniser et étendre
Logement, le 22 juin 2017 au siège du MEDEF, à les réseaux routier et ferroviaire du pays. Le Ministre a notam-
l’occasion de sa visite au Salon du Bourget. ment évoqué le projet de ligne à grande vitesse entre Téhéran
Cette rencontre a permis à la quarantaine d’entreprises et Ispahan. De nombreuses opportunités existent également
présentes, PME comme grands groupes, de prendre connais- pour les opérateurs français dans le domaine du transport
sance des priorités du gouvernement iranien dans les domaines urbain (métros, tramways et réseaux de bus).

LE CENTRE CULTUREL IRANIEN


DE PARIS
© DR

© DR

Les relations culturelles furent mises à l’honneur au début Le 4 juillet, la célèbre fondation téhéranaise Dr. Mahmoud
de l’été au Centre culturel iranien (CCI) de Paris. Le 9 juin, Afshar honorait Gilbert Lazard de son prix annuel. C’est la
un colloque, sous le patronage d'Ahmad Djalali, Ambassa- deuxième fois que des chercheurs français, iranologues, sont
deur d’Iran auprès de l’Unesco, réunissait chercheurs ainsi récompensés. Le premier fut le professeur Charles-
iraniens et français, parmi lesquels Leili Anvar et Francis Henri de Fouchecourt en 2011, présent lors de cette cérémo-
Richard, pour évoquer les influences du grand poète Saadi nie patronnée par l’Ambassadeur Ali Ahani et Sayyed
dans l’œuvre de Victor Hugo. Ce colloque faisait suite à Mostafa Mohaghegh Damad, de la Fondation Afshar. Ce prix
d’autres, qui avaient analysé les relations entre Saadi et récompense chaque année un chercheur iranien ou étranger
Cervantes, Pouchkine, Confucius… Un partenariat réunit pour son travail sur la langue persane et l’iranologie. Les
le CCI et les Instituts Saadi et Char’e Ketab de Téhéran, Français brillent d'ailleurs particulièrement par l’intensité
et le Groupe Hugo de l'Université Paris VII. de leurs travaux relatifs à la culture iranienne.

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


60 GRANDS RENDEZ-VOUS

LES ENTREPRISES FRANÇAISES


DU NUMÉRIQUE EN IRAN
OPPORTUNITÉS ET DIFFICULTÉS
Organisée par le Centre Français des Affaires de Téhéran au siège du MEDEF,
une rencontre réunissait une vingtaine de responsables des entreprises du
numérique engagés la plupart depuis trois ou quatre ans en Iran.

© Centre Français des Affaires de Téhéran

hacun a insisté sur les données éco- celui des États-Unis. Selon le représentant de la

C nomiques et sociétales positives


qu’offre l'Iran: 80 millions d’habi-
société EY, « l’Iran n’a rien a envier à d’autres
pays plus développés, dans les domaines de la fibre
tants, quatrième au classement mon- et des télécommunications». Le secteur du numé-
dial en matière d’engineering, un nombre rique offre de multiples opportunités et s’ouvre
d’ingénieurs formés chaque année identique à largement aux investisseurs étrangers, davan-

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


GRANDS RENDEZ-VOUS 61

nos banques familiales Delubac, Wörmser et


L' IR A N N'A R IE N À E N V IE R À D'A U T R E S d’autres autrichiennes et suédoises savent tra-
PAY S P LU S D É V E L O P P É S D A N S L E S vailler avec l’Iran, les grandes banques cotées
D O M A INE S DE L A F IBR E E T DE S aux États-Unis n’osent pas encore s’engager,
T É L ÉC O MM U NI C AT I O N S . refroidies par les amendes colossales infligées
à la BNP Paribas et au Crédit Agricole. Mais le
système finira par s’ouvrir. Les participants,
tage que le secteur des télécommunications, qui d’une seule voix, constataient la nécessité pour
reste avant tout étatique. Depuis la signature de l’Europe de s’organiser pour faire face à de telles
l’Accord sur le nucléaire, le gouvernement ira- pratiques. Le Ministre français, récemment
nien a considérablement développé son contrôle nommé, a déjà été interpellé sur ce sujet qui ne
de l’emploi et la maîtrise de l’inflation. Les consé- l’a pas laissé indifférent.
quences dans le domaine des communications
sont parlantes : 170% de progression sur la vente Les participants ont insisté sur la volonté de
de téléphones portables et l’émergence d’un mar- l’État iranien d’encourager la culture entrepre-
ché des M.T.M. (méthodes d’aide au calcul des neuriale, héritière de l’esprit de la route de la soie.
coûts). Le taux de pénétration de l’internet est Si les classes moyennes sont éduquées, l’on doit
de 90%, avec plus de 70% de clients potentiels. souligner de grands différences culturelles entre
La 3G et la 4G sont en plein développement. Le nos pays. Là-bas, la notion de travail en équipe
nombre des smartphones est estimé actuelle- n’existe pas. Ce qui était le cas en France voilà
ment à 40 millions, il devrait atteindre 52 mil- 40 ans. L’Iran, fermé sur lui-même du fait des
lions d’ici 2020. Si, en 1990, il fallait entre un an sanctions, n’a pas suivi le développement des
à deux ans pour obtenir une ligne téléphonique méthodes et des normes actuelles. Il faudra ainsi
fi xe, aujourd'hui leur obtention est presque ins- compter sur le temps pour combler ce retard,
tantanée. 32 millions de lignes fixes sont en ser- même si le mouvement est bien en marche.
vice. L’ouverture des Iraniens au digital, la
stabilité et la sécurité du pays sont autant L’Iran c’est l’Asie : la confiance dans l’interlo-
d’atouts pour les entreprises françaises. Le cuteur y est incontournable. L’Iran est patient,
Directeur Général de Nexterra SaS rappelait que même si par ailleurs, quand il a compris son
l’Iran, lors du Sommet de Davos, avait clairement intérêt, il veut tout, tout de suite. Cependant,
annoncé sa détermination à devenir un leader pour le PDG de Sisteer, «il ne faut jamais déce-
dans le secteur du business intelligent. Déjà le voir son interlocuteur même si l’acquis de la
cloud computing, le Big Data, l’internet des objets, confiance demande un temps certain. L’aide d’un
l’intelligence artificielle, l'e-commerce, la télé- go between semble indispensable. L’Iranien anti-
médecine, sont vivement encouragés par le gou- cipe peu. L’humilité, tant avec les entrepreneurs
vernement et des centres se développent dans qu’avec les autorités locales, doit être de mise».
tout le pays. Et le Président de la task force numérique du
MEDEF de conclure : «Les opportunités sont
Il est aisé de constater que les sanctions ont pro- nombreuses dans le domaine du numérique pour
fité aux Chinois, qui se sont engouffrés dans ce une coopération franco-iranienne. Ne les lais-
vaste marché à la place des Occidentaux, qui eux sons pas passer» !
s’en retiraient. Comme le soulignait un repré-
sentant de la société ACOME, alors que les Euro-
péens, et les Français en particulier, sont peu
présents, les Américains sont là via leurs filiales
turques; tout en bloquant les Européens par des
représailles sur le secteur bancaire ! Même si

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


62 GRANDS RENDEZ-VOUS

FRANCE-IRAN
REGARDS CROISÉS SUR
LA PRATIQUE DU DROIT

© DR
Kourosh Shamlou, au centre, lors de la conférence organisée par la Société de législation comparée

’Iran a récemment commencé à les juges à combler les lacunes de la loi en suivant

L ouvrir ses ports commerciaux et éco-


nomiques aux pays étrangers,
les principes du droit musulman. Par conséquent,
il existe pour le droit iranien deux sources dif-
notamment européens. Lors de son férentes d’inspiration : une source religieuse tout
retour sur la scène économique et juridique inter- d’abord, puis une source provenant du droit
nationale, après presque deux décennies étranger, précisément du droit français.
d’absence, la carence de colloques juridiques Ainsi, suite à une série de conférences organisée
entre les deux pays, permettant de connaître ce à Téhéran sur le droit français, l’organisation
système d’une part, et d'une coopération intel- d’un ensemble de conférences à Paris avec la
lectuelle avec la France d’autre part, est devenue présence de juristes et d’intellectuels iraniens
alarmante. semble être d’un intérêt tout particulier afin de
Le législateur iranien, en essayant de moderni- porter un regard riche et critique sur les deux
ser et de faire évoluer la législation iranienne, systèmes juridiques. C’est ce qui a poussé la
est resté fidèle au droit islamique, fondement de Société de législation comparée (SLC) à orga-
sa société. La Constitution iranienne invite donc niser cet événement à Paris le 12 juin 2017.

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


GRANDS RENDEZ-VOUS 63

L’AMBASSADEUR DE FRANCE
RÉPOND AUX CHEFS
D’ENTREPRISE
Comme chaque année, durant la « Semaine des Ambassadeurs », il est
de coutume que l’Ambassadeur de France vienne présenter ses analyses
de la situation économique de l’Iran devant un parterre d’une centaine
de représentants des grands groupes réunis au siège du MEDEF à Paris.
L’Ambassadeur François Sénémaud n’a pas dérogé à la règle.

'Ambassadeur a démarré cette ren-

L contre en exposant les composantes


essentielles de la conjoncture éco-
nomique iranienne des débuts du
deuxième gouvernement Rohani. Il a rappelé que
l'application de l'Accord sur le nucléaire se veut
prometteuse tant pour l'Iran que pour les Euro-
péens et la France. D'ailleurs, comme l'a rappelé
le Président Macron aux ambassadeurs, la
France tient à tenir tous ses engagements en la
matière. Il en va de même pour la question de la
sécurité au Moyen-Orient, même si la montée
de certaines tensions dans la région suscite des
inquiétudes. Les sanctions américaines freinent
l'engagement de certains opérateurs écono-

© DR
miques, et le gouvernement français cherche à
mettre en place des garanties et des prêts à l'ex-
portation afin de lever cet écueil, même si l'OFAC
(Office of Foreign Assets Control, l'équivalent du
Trésor américain) a accordé de nouvelles
licences ces derniers mois. Les échanges bila-
téraux France-Iran ont bondi ces 18 derniers tion entre la France et l'Iran se veut irréversible,
mois, avec +235% dans les exportations, dont selon l'Ambassadeur François Sénémaud.
162% au seul semestre 2017. Les importations Du 18 au 20 septembre, le MEDEF et son bureau
ont aussi explosé en raison de notre retour dans à Téhéran ont organisé une importante déléga-
l'achat du brut iranien et ont atteint le niveau de tion de chefs d'entreprises, qui ont pu prendre
2007. Les échanges dans les domaines de l'agri- la mesure du développement du pays, notamment
culture, de la recherche, de la culture ont repris sur les zones de Téhéran et d'Ispahan, troisième
de plus belle. Ce mouvement positif de coopéra- ville du pays.

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


64

+ 70 %
c’est l’augmentation du volume
de déchets urbains ménagers
produits dans le monde d’ici 2025
Source : Banque mondiale 2012
65

DOSSIER
LES DÉCHETS EN QUESTION
Longtemps relégué aux conséquences
nécessaires de notre consommation,
les déchets sont aujourd’hui devenus
une question clé pour assurer
un développement durable des villes.
Stocker ou brûler les rebuts de notre
consommation ne sont plus des solutions
satisfaisantes car elles impliquent
une pollution devenue insoutenable
pour la santé publique et la planète
tout entière. Devant l’accumulation
des ordures urbaines, il y a urgence
à trouver des solutions alternatives
et entrer dans l’ère de la raison.
Des solutions qui impliquent que tous
les acteurs de la ville jouent le jeu…
Dossier réalisé par Pascal Beria
© Alisons Adventures / Caters / Sipa
66
DOSSIER

LA VILLE
SOUS LES ORDURES
Plus une ville se développe, plus elle génère des déchets résiduels.
Des déchets qui deviennent aujourd’hui bien encombrants. Mal gérés,
ces déchets municipaux risquent de voir les principaux centres urbains
ensevelis sous leur propre production de détritus. Face à cet enjeu,
la ville s’organise et cherche à trouver des solutions pour démontrer
que la production de déchets n’a rien d’une fatalité.

bien des égards, la ville peut être com- devenue la principale productrice mondiale, sur-

À parée à un organisme vivant. Tour


à tour centre nerveux, muscle, cœur
passant en cela les États-Unis. Si elle continue
son développement à la même cadence, elle en
ou réseau de circulation sanguine. produira deux fois plus que les États-Unis en
C’est «un grand organe central battant furieu- 2030. À ce rythme, les principales villes du
sement» comme l’avait qualifiée Zola dans son monde devraient rapidement se retrouver étouf-
roman Le Ventre de Paris. Mais à l’instar de cet fées sous leurs propres déchets.
organe gonflé et insatiable que nous décrit l’au-
teur, la ville est aussi un corps producteur de ses LES ORDURES : UN ENJEU
propres déchets. Selon une étude de la Banque DE MODERNITÉ
mondiale1, 1,3 milliards de tonnes de déchets Il n’en a toutefois pas toujours été ainsi. On peut
solides étaient produits par les villes en 2012. considérer que la gestion des déchets est un enjeu
Un volume qui devrait atteindre 2,2 milliards encore émergent dans le monde. Pourtant, il y a
de tonnes en 2025, soit 70% d’augmentation sous déjà urgence. Il y a encore une génération, les
la pression conjuguée du développement démo- ordures produites dans les villes étaient majo-
graphique et de l’urbanisation galopante. À tel ritairement composées de matières organiques,
point que le taux de production de déchets est et par conséquent recyclables. La notion de
aujourd’hui devenu un indice de développement déchets est en fait réellement apparue dans les
économique. Plus une ville ou un pays est riche, années 50 dans les pays développés, avec la crois-
plus la production de déchets est forte. On estime sance des industries agroalimentaires, de la
que les pays membres de l’OCDE sont aujourd’hui grande consommation et des produits domes-
à l’origine de la moitié de la production des tiques, grands pourvoyeurs de conditionnements
déchets dans le monde. En 2004, la Chine est et de packagings destinés au rebut. Les années 70
67
DOSSIER

ont vu émerger, en même temps qu’une prise de


conscience environnementale, la nécessité de
traiter ce que nous mettions à la poubelle. En L’industrie dématérialisée,
1975, l’Europe promulgue une première direc- première productrice
tive2 relative au retraitement des déchets, suivie de déchets dangereux
en 1976 par les États-Unis qui mettent en place Le numérique aura réussi à vendre
une loi fédérale3 organisant le traitement des aux yeux du monde l’utopie d’une
ordures ménagères et des déchets dangereux. industrie dématérialisée et respectueuse
Ces textes ont eu pour bénéfice de poser les fon- de l’environnement. On sait désormais
dements permettant de qualifier les déchets, qu’il n’en est rien. Smartphones, écrans
distinguant d’ores et déjà ce qui est du ressort LCD, cartes électroniques contiennent des
du domestique et de la production industrielle. matières aussi peu recommandables que
Ils établissent surtout la notion de responsabi- le plomb, l’argent, le zinc ou l’aluminium
lité en matière de production de déchets, posant et des polluants toxiques comme l’arsenic,
notamment le principe fondamental de pol- le mercure, le lithium ou le cadmium.
lueur-payeur. Mais ils n’empêcheront pas la pro- Autant de composants dangereux s’ils
lifération d’un volume grandissant de rebut de ne sont pas recyclés selon des procédures
la consommation. Il y a à peine une dizaine d’an- strictes. En 2014, 41,8 millions tonnes
nées, chaque individu produisait 0,64kg de de déchets d’équipements électriques
déchet par jour. Aujourd’hui, ce volume est porté et électroniques (DEEE) ont été produits.
à 1,2kg par personnes. L’étude menée par la Moins d’1 déchet électronique sur 6
Banque mondiale estime qu’en 2025, nous en a été correctement recyclé.
serons à 1,42kg produit par chaque individu dans
les villes. Une augmentation en volume qu’il faut
indexer à la croissance rapide du nombre de cita-
dins, qui devrait passer de 3 milliards aujourd’hui
à 4,3 milliards en 2025. Globalement, la produc- devenu un des principaux postes de dépense de
tion de déchets évolue donc à un rythme encore la ville, évalué entre 20% et 50% d’un budget
plus rapide que celui de l’urbanisation. municipal. La plupart du temps, une mauvaise
gestion peut coûter bien plus cher en matière de
DES DÉCHETS QUI COÛTENT CHERS santé publique et de coûts pour la collectivité.
La question de la gestion des déchets devient donc Mais encore faut-il avoir les moyens d’entre-
centrale pour le développement d’une ville prendre cette gestion qui nécessite la mise en
durable et implique une prise de conscience place de conteneurs, d’un système de tri sélectif
urgente des acteurs de la ville qui, seule, ne suf- et de collecte par camion, le choix de sites de
fira toutefois pas. Elle engage également une res- retraitement, de stockage ou d’incinération. Des
ponsabilisation des citoyens et des industriels coûts de prise en charge qui devraient passés de
dans leurs méthodes de production et de consom- 205,4 milliards de dollars aujourd’hui à 375,5
mation. «Si les citoyens ne s’investissent pas dans milliards en 2025, toujours selon l’étude de la
la gestion des déchets de leur ville, aucune tech- Banque mondiale. Une dépense qui n’est pas à la
nologie au monde ne peut résoudre le problème», portée de toutes les villes ni de tous les citoyens.
précise un récent rapport de l’ONU. Si la produc-
tion des déchets est donc un indicateur de déve-
loppement d’une ville, sa mauvaise gestion peut
aussi rapidement devenir un frein à ce même (1) What a waste : a global review of solid waste
management – 2012
développement. Partagé entre la collecte et le (2) Directive 75/442/CEE relative aux déchets
traitement, le coût de gestion des déchets est (3) The Ressource Conservation and Recovery Act (RCRA)
68
DOSSIER

ENGAGER LA DYNAMIQUE DU TRI de la totalité des émissions mondiales de méthane


Aujourd’hui, plus de la moitié de la population et l’incinération des déchets seraient à l’origine
mondiale n’a toujours pas accès à un service orga- de la production de 5% des gaz à effet de serre.
nisé de traitement des déchets ménagers. Si les Des chiffres conséquents auxquels il faut rajou-
pays les plus développés parviennent à collecter ter les impacts locaux en matière de pollution des
98% de leurs déchets, seuls 41% le sont dans les sols et des nappes phréatiques.
pays les plus pauvres. Et de fait, 40% des détritus
produits dans le monde terminent leur vie dans
des décharges à ciel ouvert qui aujourd’hui P LU S D E L A M O I T I É D E L A P O P U L AT I O N
débordent. Selon le Programme des Nations unies M O N D I A L E N ’A T O U J O U R S PA S A C C È S
pour l’environnement (PNUE), 90% des déchets À UN SERV ICE ORGANISÉ DE TR AITEMENT
solides urbains produits dans la zone Asie-Pa- DE S DÉCH E T S M É N A G E R S .
cifique finissent en décharge sauvage. À Bombay,
12% de ces déchets sont incinérés en pleine ville.
De manière indirecte, la gestion des déchets LA POUBELLE, ÉLÉMENT
devient un nouveau symbole de l’inégalité entre D’ATTRACTIVITÉ DE LA VILLE
pays riches et pays pauvres. Comme souvent, la La capacité à traiter convenablement la produc-
dynamique du tri oscille entre le cercle vertueux tion de détritus ménagers et urbains est donc
et vicieux. Une ville qui ne réserve pas les moyens une condition sine qua non à la qualité de vie et,
nécessaires pour mettre en place un service de par conséquent, à l’image et l’attractivité d’une
traitement efficace de ses déchets verra sa popu- ville. Et in fine à sa capacité à se développer dura-
lation tentée de se débarrasser de ses ordures et blement et à occuper une place importante sur
alimenter les décharges sauvages. Avec des coûts l’échiquier mondial. «Sans une bonne gestion
de retraitement devenant d’autant plus insur- des déchets solides, vous ne pouvez pas
montables pour la ville que ces détritus s’accu- construire des villes qui soient à la fois durables
mulent et des conséquences lourdes en matière et agréables à vivre, avertit Ede Ijjasz-Vasquez,
d’impacts sanitaires, sociaux et environnemen- directeur principal du pôle mondial d’expertise
taux. Selon l’étude de la Banque mondiale, les en développement social, urbain et rural et rési-
seules décharges à ciel ouvert généreraient 12% lience de la Banque mondiale. Le problème ne

L’invention de la poubelle
La question du retraitement des déchets urbains ne date pas d’hier. À la fin du XIXe siècle, alors
même que Paris se transformait sur les plans du baron Haussmann, les ordures ménagères qui
s’entassaient dans les rues de la ville devenaient un problème. Le 24 novembre 1883, le préfet
Eugène Poubelle publie un arrêté préfectoral instaurant le ramassage des déchets par
l’intermédiaire d’un ou plusieurs « récipients communs qui seront déposés le matin, à la porte de
la maison pour recevoir les résidus de ménage de tous les locataires et qui seront remisés aussitôt
après le passage des tombereaux d’enlèvement ». Ce ramassage prévoyait dès sa création un tri
sélectif séparant les déchets ménagers, les débris de vaisselle et les résidus de coquillages. Déjà,
à l’époque, l’invention du préfet Poubelle entraîna la colère des chiffonniers privés de travail ainsi
que l’attaque virulente de nombreux élus et de la presse de l’époque. Le 16 janvier 1884, un article
du Figaro fustige la « boîte Poubelle », coupable de creuser encore la misère des chiffonniers.
Notre poubelle était née.
69
DOSSIER

se résume pas à trouver des solutions techniques.


Il faut aussi raisonner en termes d’impacts sur
le climat, sur la santé et sur la sécurité, et
prendre en compte les aspects sociaux.» Au
même titre que la limitation de la consomma-
tion des énergies fossiles, le traitement des
déchets doit donc être initié par une volonté
politique susceptible d’enclencher la dynamique,
mais aussi et surtout par une prise de conscience
citoyenne qui est parfois difficile à inculquer
dans les villes ou l’urbanisation est avant tout
une question de survie. Nos déchets
dans l’espace
LA GUERRE DES ORDURES
Loin d’être une seule préoccupation locale, la Tous nos déchets ne se ressemblent pas.
gestion des détritus est donc devenue une ques- La règlementation distingue
tion fondamentalement globale. Par son impact traditionnellement ceux issus
sur l’environnement d’abord, mais aussi son de la consommation domestique et de la ville
influence sur les relations internationales. À de de ceux produits par l’activité industrielle,
nombreuses reprises, les pays riches ont été accu- qui englobe notamment les rejets gazeux
sés de considérer une partie des pays du sud et les eaux usées. Parmi eux, la gestion
comme une poubelle pour leurs déchets les plus des déchets radioactifs occupe un cas à part.
encombrants. Et souvent également les plus Une fois toute l’énergie tirée de l’uranium,
toxiques. En 1989, la Convention de Bâle sur le que faire des déchets résiduels à haute
contrôle des mouvements transfrontaliers de activité et à vie longue ? Une question
déchets dangereux a permis de mettre en place qui divise politiques, industriels et citoyens.
un cadre légal et contraignant pour l’exportation Certaines solutions proposent
de ces rebuts, mais n’aura jamais empêché la pro- un enfouissage dans une couche géologique
lifération du trafic de ces produits de plus en plus profonde, stable, et le plus possible étanche.
coûteux à retraiter localement. Parmi eux, les D’autres favorisent le stockage
déchets électroniques, les batteries, les boues en mer, comme ce fut le cas de manière
toxiques, les rebuts métalliques. En 2006, le un peu sauvage dans les premières années
navire Probo Koala révélait dramatiquement de développement du nucléaire.
l’envergure et les implications écologiques et Une dernière solution fait état d’un envoi
sanitaires de ces trafics. Le bateau, en provenance des déchets les plus radioactifs dans
des Pays-Bas, avait déchargé en toute illégalité l’espace, notamment à destination du Soleil.
400 tonnes de résidus d’hydrocarbures dans 17 Un scénario encore futuriste mais
décharges à ciel ouvert près d’Abidjan, en Côte déjà plausible.
d’Ivoire. Chargés d’hydrogène sulfuré, ces boues
toxiques seront à l’origine de milliers d’empoi-
sonnements et de la mort de 17 personnes en
même temps que de la démission du Premier
ministre ivoirien et la mise en cause d’un certain
nombre de pays comme les Pays-Bas et la France.
Une catastrophe et un scandale politique dont la
Côte-d’Ivoire continue à subir les conséquences
sanitaires plus de 10 ans après mais qui n’a pas
© DR
70
DOSSIER

pouvoirs publics et citoyens. Ainsi, durant l’été


2015, Beyrouth a été le cadre d’une «crise des
poubelles» qui fut l’expression du ras-le-bol de
la population face à l’incapacité du gouvernement
libanais à accompagner la fermeture de la plus
grande décharge du pays. Une crise significative
qui donna lieu à des manifestations violentes
mais fut surtout l’expression d’un mécontente-
ment citoyen général face aux accusations de
corruption des dirigeants politiques et à leur
incapacité à résoudre les questions de pénurie
d’eau et de coupure d’électricité dans le pays. Un
révélateur de la faillite du pouvoir politique en
place et de la paralysie institutionnelle qui per-
dure encore aujourd’hui, sans solution probante
pour le traitement des déchets accumulés. Une
situation qui n’a rien d’une anecdote, puisque
les rues de Rome connaissent à peu près la même
© Tschaen /Sipa

situation en raison notamment de l’incapacité


du pouvoir à moderniser le système de retraite-
La grève des poubelles : nouveaux moyens de pression montrant ment et aux dérives mafieuses de l’organisme en
bien la dépendance des villes vis-à-vis de leur système charge de la collecte des ordures. Et l’histoire se
de collecte et de tri des déchets.
répète au Caire, à Naples, Bengalore ou Marseille
avec toujours, en toile de fond, la contestation
du pouvoir en place. D’une certaine manière, les
empêché le trafic de s’intensifier et même de se implications en matière sanitaire ont transformé
sophistiquer. En août 2017, une opération d’en- les ordures produites par les villes en symbole
vergure mondiale menée par Interpol a permis du mécontentement de sa population.
de révéler 85 sites où avaient été entreposés plus
d’un million et demi de tonnes de déchets illégaux RÉDUIRE, RÉUTILISER, RECYCLER :
à destination de l’Afrique et de l’Asie. Une opéra- LA RÈGLE DES 3R
tion qui aura aussi révélé l’existence d’un véritable Ces événements montrent à quel point la ques-
réseau criminel international, dont le trafic tra- tion des ordures est aujourd’hui au centre des
verse des pays comme l’Égypte, le Portugal, le enjeux de développement des villes et pose une
Maroc, l’Espagne ou les États-Unis. Un com- équation difficile à résoudre : si leur richesse se
merce illicite relancé par le coût grandissant du mesure au volume de production de leurs détri-
traitement des déchets et les fi lières présentes tus, comment faire en sorte qu’elles ne finissent
dans les pays les plus pauvres, pour qui ce travail pas ensevelies sous leurs propres déchets? Les
présente un filon rentable mais souvent risqué. moyens pour lutter contre l’accumulation des
Un raisonnement faisant en tous les cas passer déchets restent encore aujourd’hui finalement
les profits avant les questions de santé publique assez traditionnels et surtout très empiriques.
et de protection de l’environnement. Il s’agit tout d’abord de passer dans une ère de
consommation plus raisonnable et de réduire
LE CHANTAGE AUX ORDURES drastiquement la quantité des rebuts destinés
Plus localement, les déchets sont aussi les déclen- au stockage ou à l’incinération. Cela passe par
cheurs de véritables «conflits» d’ordures, sou- une responsabilisation des industriels et à une
vent révélateurs de l’état des relations entre modification des usages visant à limiter l’utili-
71
DOSSIER

sation d’objets à usage unique, comme les bou- la ville le tri sélectif, le recyclage et le compostage
teilles en plastique ou les emballages jetables. de leurs déchets organiques. Des initiatives
Ces moyens reposent ensuite sur une consom- qui ont permis à San Francisco d’atteindre
mation plus raisonnable et une réutilisation des aujourd’hui 80% de déchets recyclés et lui per-
produits. La société a aujourd’hui majoritaire- mettent d’ambitionner sereinement les 100%
ment conscience que les matières premières ne pour 2020. Une première pour une ville déve-
sont disponibles qu’en quantité limitée. Produits loppée de presque un million d’habitants. En
électroniques, pièces détachées, rebuts métal- Europe, Milan donne le même exemple avec 54%
liques, produits de consommation courante de ses ordures ménagères aujourd’hui retraités
peuvent souvent être réparés, reconditionnés et un objectif de 65% fixé pour 2020. Le but étant
voire valorisés et mis à la disposition du reste d’arriver à recycler 100% des déchets en 2030.
de la population plutôt qu’envoyés à la déchet- Des chiffres rendus possibles grâce à l’implica-
terie. C’est le terrain des ferrailleurs, chiffonniers tion des citoyens dans le tri et la collecte des
et ceux qui prônent le zéro gâchis. Cette écono- déchets organiques. Des expériences locales qui
mie parallèle joue un rôle fondamental dans la font aujourd’hui école un peu partout dans le
plupart des pays en développement, où entre 15% monde et tendent à démontrer que la production
et 20% des déchets produits sont valorisés par de détritus n’est plus à considérer comme une
des micro-entreprises et des ateliers de recondi- fatalité mais comme une responsabilité de cha-
tionnement. Elle le devient aussi dans les pays cun. Reste que sa limitation repose ni plus ni
les plus riches, où nombre de start-up ont com- moins sur un changement de modèle de société
pris que le déchet pouvait aussi être une source que toutes les villes ne sont pas prêtes à opérer…
de création de valeur et alimenter le circuit de
l’économie circulaire. Enfin, les moyens reposent
sur les techniques de recyclage des produits qui
seront convertis ou transformés en compost ou
en énergie. Un principe vertueux qui encourage
une certaine forme de créativité et l’émergence
de solutions industrielles innovantes. L’ambition
visée étant que plus aucun déchet ne termine sa
vie dans une décharge polluante ou un inciné-
rateur émetteur de gaz à effet de serre.

ZÉRO DÉCHET : UNE UTOPIE ? Un sac à dos lourd à porter


Utopique? Pas forcément. Certaines villes ont Le concept de sac à dos écologique permet
décidé de s’attaquer de front à ce fléau contem- de comprendre l’impact environnemental
porain. San Francisco ambitionne d’atteindre d’un objet avant même qu’il n’ait été utilisé.
le zéro déchet à horizon 2020. Lancée au début Transposé aux déchets, ce sac à dos est
des années 2000, cet objectif est d’abord porté rempli de tout ce qu’il a été nécessaire
par une volonté politique de la municipalité à de recycler pour gérer le cycle de vie
laquelle il a fallu associer les entreprises de d’un produit. À titre d’exemple, une brosse
construction, les commerces, les restaurateurs, à dents générerait finalement 1,5 kg
les hôteliers et les habitants de la ville. Entre de déchets alors qu’un simple téléphone
méthodes incitatives et taxation de ceux conti- portable atteindrait 75 kg. Lourd
nuant à utiliser des matériaux non recyclables, dans une poche !
(Source : Institut Wuppertal)
la ville a aujourd’hui banni les sacs et les bou-
teilles plastiques et étendu à tous les acteurs de
72
DOSSIER

«On ne peut pas forcer le changement,


mais on peut l’inspirer»
Si nous produisons près de 2 milliards de tonnes de déchets par an, il faut quand même
reconnaître que nous en sommes tous plus ou moins responsables. Un certain nombre
de citoyens engagés ont décidé de prendre le mal à la racine et démontrer que produire
des déchets n’a rien d’une fatalité. Parmi eux, Béa Johnson fut la première à lancer le
mouvement « zero waste ». Cette Franco-Américaine vivant au nord de San Francisco fait
peu à peu changer les consciences dans le monde entier en prouvant qu’un mode de vie
zéro déchet n’était pas forcément synonyme de sacrifice. Et que polluer moins était avant
tout une question de responsabilité citoyenne.

Vous vous êtes engagés, vous et votre famille, dans un Après une dizaine d’années de pratique, est-ce
mode de vie visant le zéro déchet depuis une dizaine toujours vécu comme une démarche ou cela fait-il
d’années maintenant. Quel a été l’évènement partie de votre vie de tous les jours?
déclencheur initial de cet engagement? Ça a été compliqué au départ. Perdre d’anciennes habitudes
Le déclic a été la recherche d’une vie simple. C’est à la suite ne se fait pas du jour au lendemain. Notre plus gros challenge
d’un déménagement que nous nous sommes aperçus que la a été de trouver un équilibre. Aucun guide n’existait lorsque
plupart des biens matériels que nous avions stockés au garde- nous avons commencé à adopter ce mode de vie. Il a donc
meuble ne nous avaient pas du tout manqué. Lorsque nous fallu tester tout un tas de choses comme me laver les cheveux
avons trouvé la maison de nos rêves, nous avons donc fait le avec du bicarbonate, fabriquer mon pain, mon beurre, mon
choix de nous désencombrer de 80% de ces biens. Cette
démarche de simplicité volontaire nous a permis de nous
L E P O U V O IR E S T D A N S L E S M A IN S
éduquer sur les problèmes d’environnement dont on avait
DU CITOYEN.
entendu parler. Ce qu’on a découvert nous a fortement attristés
en pensant au futur que nous étions en train de créer pour
nos enfants. C’est là que nous avons trouvé notre motivation
pour changer notre façon de faire. Notre objectif initial était fromage. Je me suis rapidement aperçu que si c’était amusant
avant tout d’expérimenter un mode de vie plus responsable d’apprendre à faire ça, ce n’était pas viable sur le long terme.
et plus écologique. Je suis un jour tombé sur le terme «zero J’ai donc laissé tomber ces extrêmes et j’amène désormais
waste», qui était à ce moment-là d’avantage utilisé pour mon sac de pain à la boulangerie et des bocaux en verre à la
décrire des pratiques industrielles de fabrication ou de ges- fromagerie parce qu’ils fabriquent des produits bien meilleurs
tion des déchets municipaux. Ce n’était pas un terme qui que je ne saurais le faire. Le zéro déchet n’est pas un projet à
concernait les pratiques ménagères. Ça a été le déclencheur court terme, mais un mode de vie. Aujourd’hui, c’est devenu
qui m’a donné envie de pousser les choses au maximum pour complètement normal et automatique. Ça fait partie de notre
ne produire aujourd’hui qu’un bocal de déchet par an. quotidien. Ce n’est plus un sujet pour nous.
73
DOSSIER

Selon vous, est-ce aux citoyens, aux politiques ou aux loppe rapidement et qui vise un mode de vie américain. J’y
industriels d’engager la dynamique du zéro déchet? suis allée pour dire que nous, aux États-Unis, on s’est plantés.
Pour aspirer à une société zéro déchet, il faut nécessairement Il est nécessaire de faire marche arrière dans nos manières
que tous les acteurs soient sur la même longueur d’onde. Mais de consommer. En Afrique, je suis allée dans un centre de
j’estime toutefois que c’est au citoyen de faire le premier pas. recyclage à Johannesburg. J’ai été étonnée de voir qu’ils pou-
C’est lui le plus important. Acheter, c’est voter. Les fabricants vaient recycler et composter tout autant que ce que je peux
produisent ce que les citoyens achètent. Or, acheter de la nour- faire à San Francisco. Pour ce qui me concerne, la méthodo-
riture en vrac, c’est une façon d’investir dans un futur diffé- logie que je propose repose sur cinq règles. Refuser ce dont
rent. Des centaines de magasins de vrac ont été inspirés par vous n’avez pas besoin, réduire son volume de consommation,
mon livre ou des conférences que j’ai pu donner. Certains réutiliser en bannissant tout ce qui est jetable, recycler et
supermarchés voient qu’il existe un intérêt des consomma- composter tout ce qui reste. Elles sont applicables n’importe
teurs pour le vrac et se mettent donc à en proposer. Un citoyen où dans le monde.
seul a le pouvoir de créer une communauté et peut contribuer
à faire un truc énorme. Si j’avais écouté les gens lorsque je Selon vous, quel pourrait être le déclencheur d’une
me suis lancée, le mouvement du mode de vie zéro déchet prise de conscience globale de cet enjeu lié aux
n’aurait jamais démarré. Aujourd’hui, on a pu inspirer des déchets?
milliers de personnes et lancer un mouvement global. Tout On ne peut pas forcer le changement, mais on peut l’inspirer.
un tas de gros fabricant voit très bien que cette prise de Ce mouvement global n’a pas été créé en montrant du doigt
conscience est générale. Aujourd’hui, ils s’interrogent et ils ce que les autres font de mal ou en mettant la pression sur les
s’adaptent. Le pouvoir est dans les mains du citoyen. pollueurs. Je ne prétends pas dire à qui que ce soit comment
vivre sa vie. Je souhaite juste parler du positif. Casser des a
Il y a aujourd’hui un mouvement plus général en priori liés à ce mode de vie zéro déchet. Beaucoup s’imaginent
matière de valorisation des déchets, auquel participe que ça coûte plus cher, que ça prend plus de temps, ou qu’il
un grand nombre d’entreprises et de start-up. Selon faut être des hippies pour vivre ce mode de vie. On a pu prou-
vous, ce mouvement partage-t-il le même esprit que ver tout le contraire et inspirer beaucoup de gens.
votre démarche?
Le zéro déchet, ce n’est pas recycler plus. C’est ne plus avoir
à recycler grâce à la prévention des déchets. La ville de San
Francisco, par exemple, vise le zéro déchet d’ici 2020. Leur
objectif n’est en fait pas du 100% zéro déchet, mais du 100%
recyclage. Ils ne veulent pas que les habitants réduisent leurs
déchets, ils veulent qu’ils continuent à consommer pour pou-
voir faire de l’argent sur leur recyclage. J’estime que le meil-
leur déchet est celui qui n’existe pas et que l’on n’a donc pas
à recycler. Ça ne fait pas partie du même mouvement.

Selon vous, cette tendance est-elle mondiale? Tous


les pays sont-ils aujourd’hui préparés à produire cet
effort vers le zéro déchet?
La problématique des déchets est différente dans le monde.
Aux États-Unis ou en Europe, elle est liée à la quantité qui
est consommée. Dans d’autres pays plus défavorisés, la ques- Béa Johnson est auteur et conférencière
tion est davantage liée à la collecte. Dans tous les cas l’enjeu sur le thème du « zero waste », visant un
est de parvenir à éduquer le citoyen pour lui faire comprendre mode de vie sans gaspillage ni production
l’impact de ses gestes sur l’environnement. On m’a invité à de déchets. Son livre Zero Waste Home
donner des conférences au Brésil pour présenter le zéro déchet est traduit en 17 langues.
comme un mode de vie du futur. C’est un pays qui se déve-
74
DOSSIER

LE DÉCHET
à la conquête du monde
Déchets, rebuts, détritus, ordures, reliquats, résidus. Quel que soit
le nom qu’on donne au contenu de notre poubelle, son volume est
en croissance constante depuis plusieurs années. Des chiffres
éloquents qui montrent à quel point il est urgent de passer à l’action.

2,2
de tonnes de déchets seront produits dans
milliards

les villes en 2025 Source : Banque mondiale 2014

LES PAYS QUI GÉNÈRENT LE PLUS DE DÉCHETS MUNICIPAUX


en kilogrammes
751
725 712
647
614
587
530 525
494 484
455
407 403
358 354
k

se

l ie

ne

l ie
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ce

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ni

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Ca
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an

Au
at

Pa
le

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Ét

Al

ya
D

Co
Ro

Source : OCDE 2013


75
DOSSIER

RÉPARTITION DE LA PRODUCTION PRODUCTION DE DÉCHETS URBAINS


DE DÉCHETS URBAINS DANS LE MONDE PAR REVENUS DANS LE MONDE

5% 6%
5% Afrique Revenus faibles
Asie du Sud

6%
Afrique du
Nord et
Moyen-
Orient 44 % 46 %
Pays de 29 % Hauts
l’OCDE Revenus revenus
moyens
7%
Europe et
Asie centrale

12 % 19 %
Amérique latine 21 % Revenus
et Caraïbes Asie et Pacifique supérieurs

Source : Banque mondiale 2012 Source : Banque mondiale 2012

TYPOLOGIE DES DÉCHETS URBAINS LES DÉCHETS URBAINS, KESAKO ?


DANS LE MONDE

DÉCHETS DE LA COLLECTIVITÉ
18 %
Autres

Feuilles des arbres Cageots de marché Balais


46 % Fleurs Cartons Arrosage
4% Organiques
Métal Tondeuses Caniveaux
Égouts

DÉCHETS MÉNAGERS

5% Déchets
Déchets de routine
Verre occasionnels

10 %
Plastique Sacs à gravats Poubelles Piles
Sacs à végétaux Cartons Ampoules
Pots de peinture Bouteilles Emballages
17 %
Verre
Papier

Source : Banque mondiale 2012 Source : Commissariat général au développement durable


76
DOSSIER

1 seconde
DANS UN MONDE DES DÉCHETS

130000 kilos 1,3 kilo 1,6 kilo 220 millions


de déchets industriels de déchets électroniques de chargeurs de briquets jetables
sont produits et électriques sont jetés de téléphones partent sont produits
à la poubelle

15000 16000 1447 serviettes 635


bouteilles sacs plastiques hygiéniques couches-culottes
en plastique sont vendues sont distribués sont jetées jetables sont utilisées

Source : Planetoscope

RECYCLER POUR DÉSENGORGER

99%
1 boîte de conserve
contient 25 % d’acier recyclé
des ressources prélevées
dans la nature deviennent des
déchets en moins de 42 jours
Source : Walter Stahel, directeur de l’Institut
de la durée, Genève

12,7

215 boîtes de conserve 670 canettes en aluminium millions de tonnes de matière


permettent de fabriquer permettent de fabriquer plastique sont illégalement
un chariot de supermarché un vélo déversées dans l’océan
chaque année
Source : Suez environnement Source : Interpol
77
DOSSIER

TOUTE UNE VIE DE DÉCHET


Avant de jeter quelque chose dans la nature, ayez conscience du temps nécessaire
pour qu’il se dégrade naturellement

2à4 1à5
semaines mois

Papier toilette Trognon de pomme

Mouchoir
6 à 12 en papier
mois

Allumette Papier journal Brique de lait


1à5
ans

Mégot de cigarette Ticket de métro Gant ou chaussette en laine Papier de bonbon


5 à 10
ans

10 à 50
ans

50 à Canette en aluminium Huile de vidange Chewing-gum


100 ans

Boîte de conserve Polyst yrène Canette en acier Pneu 100 à


500 ans

Sac en plastique Couche jetable Pile Briquet plastique

Bouteille + de
en plastique 1000
ans

Bouteille en verre
78
DOSSIER

Valorisation des déchets


NOS POUBELLES VALENT DE L’OR
L’ennui, avec les déchets, tient essentiellement au fait visant à obtenir, à partir des
qu’ils n’ont aucune valeur. Personne n’en veut. Alors déchets, des matériaux réutilisables
ou de l’énergie». En 2016, l’industrie
ils s’entassent et pèsent lourdement sur les dépenses
du recyclage employait 1,5 million
des villes qui tentent de trouver des solutions pour de personnes dans le monde et pro-
s’en débarrasser. Et si la solution était avant tout de duisait un chiffre d’affaire estimé
leur trouver une utilité ? Un scénario pris très au à 160 milliards de dollars2. Le seul
sérieux par un certain nombre d’entreprises qui marché de la collecte et du recyclage
des déchets électroniques repré-
voient, dans nos poubelles, une ressource pour
sente un volume d’affaire estimé à
alimenter un marché émergeant… 14,7 milliards de dollars pour l’an-
née 20143. Des chiffres qui n’ont plus
rien de commun avec l’indigence de
ceux des chiffonniers qui œuvrent
n Europe, plus de 240000 tonnes de des déchets est depuis longtemps dans nos rues. Certaines industries,

E nourriture fi nissent chaque jour à


la poubelle1. Dans le même temps,
99% des ressources prélevées dans
un moyen de subsistance pour une
population vivant de la transforma-
tion de nos rebuts. Même si les
sous la contrainte ou par intérêt
économique, ont fait du recyclage
un élément clé de leur développe-
la nature à l’échelle mondiale sont jetés moins chiffres sont difficiles à connaître, ment. Ainsi, 40% de la production
de 42 jours plus tard et viennent nourrir les 2 mil- elle est une activité économique mondiale d’acier et plus de 50% de
liards de tonnes de déchets municipaux annuels reconnue et une profession pour ces celle du papier sont aujourd’hui
qui s’entassent dans nos poubelles. En cause : «nettoyeurs» des rues. Récolter les issus du recyclage4. Preuve qu’en
leur utilité. Si le déchet n’a aucune valeur, c’est produits invendus dans les pou- matière de valorisation, les déchets
avant tout parce qu’il ne sert à rien ni à personne. belles des supermarchés pour les ont encore beaucoup à nous livrer…
Créez de l’utilité, vous créerez de la valeur. C’est réexploiter est même devenu une
la base de l’équation économique qui explique, forme de militantisme pour une LE DÉCHET AU CŒUR
aujourd’hui, l’empilement des plastiques et la population de «glaneurs» qui D’UNE ÉCONOMIE
saturation des décharges du monde entier. Qu’en cherche autant à subsister qu’à com- RESPONSABLE
serait-il si on inversait ce calcul? Si on ne consi- battre le gaspillage induit par nos «Les déchets représentent la pre-
dérait plus le déchet comme une charge, mais modes de consommation. mière mine de matières premières
plutôt comme une ressource? du XXIe siècle, et elle se trouve chez
UNE INDUSTRIE nous, dans les pays développés»,
LA VALEUR DES DÉCHETS FLORISSANTE estime Antoine Frérot, PDG de
Car cette valeur, elle existe. Même si parfois il L’activité de valorisation de nos Veolia5. «En moyenne, le recyclage
faut aller la chercher au fond de nos poubelles. déchets est encadrée, en France, par emploie de six à vingt fois plus de
Des zabbālīn du Caire aux chiffonniers de Cal- un texte de loi datant de 1992 qui main-d’œuvre que le traitement de
cutta en passant par les ferrailleurs de Casa- précise qu’elle couvre «le réemploi, déchets classique et contribue à la
blanca ou les biffins de Montreuil, la valorisation le recyclage ou toute autre action création d’emplois non délocali-
79
DOSSIER

ment durable, est à l’origine du prin- pauvres en revendant aux entre-


cipe d’économie bleue, s’inspirant prises locales de recyclage les bou-
de la dynamique des cycles de la teilles en plastique récoltées dans
nature et cherchant à favoriser les les rues. Et contribue dans le même
ressources locales pour créer de la temps à lutter contre la pauvreté.
valeur. «Le concept de déchet Même combat pour Cophenol, qui
n’existe pas dans la nature. Quand transforme les déchets de café en bio
une feuille morte tombe de l’arbre, charcoal, un charbon à usage agri-
elle se transforme en humus pour cole utilisé dans les pays émergents.
le sol», précise-t-il.
VALORISER :
UN MONDE D’INNOVATION UN ENGAGEMENT
Autant de discernements qui L’engagement pour une industrie
semblent frappés du sceau du bon plus responsable, plus intégrée à
sens et contribuent, il faut le recon- son environnement est souvent le
naître, à alimenter un peu plus le moteur du projet entrepreneurial
mythe de l’écolo utopiste. Ces prin- de ces start-up. Une démarche qui
cipes ont pourtant quitté depuis commence à intéresser les plus
longtemps la sphère des bonnes grandes industries. Au premier
© DR

intentions pour se frotter à celle, plus semestre 2017, Suez Environne-


Le tri et la valorisation des déchets : un enjeu essentiel pour
un développement durable des villes rude, du marché. L’économie bleue ment inaugurait une place de mar-
inspire notamment les industries ché met t a nt en relat ion les
innovantes. Nombre de start-up producteurs de déchets organiques
sables.» Le marché de la valorisation des déchets créent leur propre marché en cher- et les méthaniseurs avant d’annon-
serait donc un nouveau filon pour nos économies chant à transformer ce dont per- cer l’ouverture d’une première
alimentées à la surconsommation. Mais il
demande de repenser notre manière de penser,
de consommer et de produire si on veut éviter E N M AT IÈ R E D E VA L O R I S AT I O N , L E S D É C H E T S
de retomber dans les excès du XXe siècle. «Le ONT ENCORE BE AUCOUP À NOUS LIV RER…
système linéaire “prendre, faire, disposer’’, qui
épuise les ressources naturelles et génère des
déchets, est une profonde erreur qui peut être son ne ne veut plus. La très serre de tomates chauffée par valo-
positivement remplacée par un modèle vertueux, technologique société américaine risation énergétique des déchets
dans lequel les déchets n’existeraient pas en tant Agilyx a ainsi développé un procédé ménagers. Des initiatives qui vont
que tel mais seraient une matière première pour permettant de transformer le plas- dans le bon sens : celui d’une réex-
un prochain cycle», nous dit la navigatrice Ellen tique usagé en pétrole synthétique ploitation systématique de nos res-
MacArthur, aujourd’hui à la tête de la fondation pouvant être intégré dans la fabri- s ou r c e s . M a i s s er ont - e l le s
qui porte son nom. Un principe fondateur d’une cation des carburants. La jeune suffisantes pour parvenir à enrayer
économie circulaire, respectueuse de la nature, entreprise française Love your la spirale infernale de prolifération
qui n’annihile pas la notion de déchet mais en wastedéleste, pour sa part, les res- des déchets que nous continuons
fait l’élément fondamental d’une dynamique ver- taurants et les cantines de leurs à produire?
tueuse cherchant à éviter tout prélèvement sup- déchets organiques encombrants
plémentaire et transformation des matières pour produire de l’énergie par métha-
(1) Source : FAO
premières. «La société moderne cherche à accu- nisation. Et lutter au passage contre (2) Source : Bureau International de la
muler les choses et n’en fait rien par la suite», le gaspillage alimentaire. The Plas- Récupération et du Recyclage (BIR)
(3) Source : ABI Research
avertit Gunter Pauli. Cet ancien industriel belge, tic Bank, jeune pousse canadienne, (4) Source : Suez Environnement
considéré comme le Steve Jobs du développe- rémunère la population des quartiers (5) Source : La Tribune 13/04/2016
80
DOSSIER

Le septième continent

UN OCÉAN D’ORDURES
La production des déchets n’est pas qu’une question urbaine. Décharges en plein air,
trafics internationaux et mauvaises habitudes individuelles ont eu tendance à faire
de nos océans une solution un peu trop commode pour se décharger de nos déchets
et des responsabilités qui en incombent. Depuis quelques années, ces pratiques
remontent à la surface à grande échelle. Formé par les courants marins, un septième
continent de matières plastiques émerge au milieu du Pacifique. Avec des impacts
désastreux sur les écosystèmes. Mettant en évidence l’urgence d’intervenir avant
d’avoir rempli les océans de nos propres détritus.

ous les fleuves vont à la mer, et la mer ne se rem- mimétisme, puisque des zones d’accumulation

T plit point», nous dit la Bible. À force de considé-


rer nos océans comme d’abyssaux réceptacles
océaniques ont désormais été constatées dans
chacun des océans de la planète.
à nos déchets, on en finirait presque par contre-
dire les Textes. Car la mer se remplit jour après jour, iné- LE PLASTIQUE C’EST DRAMATIQUE
luctablement, de nos productions industrielles qu’elle a Premier au rang des accusés: les matières plas-
désormais bien du mal à digérer. Déjà soumis à la fonte des tiques qui se sont généralisées depuis les années
calottes glaciaires, aux pollutions d’hydrocarbures, l’océan 50 et constituent 90% des déchets flottants sur
endure déjà un trop grand nombre de nos excès. Il doit faire les océans du globe. Des chercheurs américains
face aujourd’hui à l’émergence d’un 7e continent qui n’est ont estimé à 9,1 milliards de tonnes le volume de
pas recensé dans les manuels scolaires. Nos déchets plastiques produits dans le monde depuis un peu
remontent à la surface, formant un amas de 3,4 millions de plus de 100 ans. En 2012, cette production était
km 2 de détritus divers naviguant au gré des courants du de 288 millions de tonnes, soit une augmentation
Pacifique Nord et se nourrissant de jour en jour de tout ce de 620% par rapport à 1975. Si le plastique a
que nos activités humaines ne veulent plus. Près de six fois aujourd’hui conquis tous les pans de notre pro-
la taille d’un pays comme la France. Baptisé la «grande pou- duction industrielle, c’est notamment grâce à sa
belle du Pacifique», ce gigantesque vortex alimenté par les capacité à durer. Une qualité bien embarrassante
courants marins circulaires aurait déjà triplé de volume une fois relâché dans l’environnement. On estime
depuis sa découverte à la fin des années 90. Une Atlantide à plus de 500 ans le temps nécessaire pour qu’une
de plastiques, qui tient plus du monstre marin se nourris- bouteille en plastique soit pleinement dégradée.
sant de nos déchets et s’approchant dangereusement de nos Une durée difficile à concevoir à l’échelle d’une
côtes. Et dont l’appétit insatiable aurait aussi la capacité de production industrielle devenue myope. En atten-
81

dant, les plastiques s’accumulent et ce sont


269000 tonnes de déchets et plus de 5000 mil-
liards de débris de toutes tailles1 qui flottent
désormais sur nos flots. 88% de la surface des
océans seraient aujourd’hui pollués par des
microfragments de matières plastiques d’une
taille inférieure au millimètre2. Avec une densité
parfois 10 fois supérieure à celle du plancton dans
certaines zones particulièrement contaminées.

UNE BOMBE ÉPIDÉMIOLOGIQUE


Bien évidemment, les conséquences sont

© GraphicObsession
majeures en matière d’environnement. Car si
les matières plastiques se désagrègent sous l’ef-
fet conjugué de la houle et des UV, leur structure
cellulaire reste identique et certains consti-
tuants comme le bisphénol, les phtalates ou le
PCB se retrouvent disséminés un peu partout
sous forme de microparticules potentiellement
Thilafushi, l’enfer au paradis
pathogènes et ingérées par toutes sortes d’es-
pèces marines, du plus gros mammifère au On connaît les Maldives pour son archipel et ses eaux turquoises.
plancton. Une bombe à retardement épidémio- Elles sont aujourd’hui confrontées à un enjeu aux conséquences
logique pour toute la chaîne alimentaire dont le beaucoup moins paradisiaque. L’État insulaire de 400 000 habitants
dernier chaînon, doit-on le rappeler, est l’homme. voit chaque année débarquer plus de 800 000 touristes attirés par
ses plages et son sable blond. Et autant de déchets produits
SAUVONS NOS OCÉANS ou importés dans leurs bagages. Chaque jour, les 330 tonnes
Cette situation n’est pas près de cesser d’être d’ordures récoltées par bateau poubelle dans l’ensemble
inquiétante. D’abord, parce que, malgré les de l’archipel sont acheminées vers l’île de Thilafushi. Des déchets
chiffres astronomiques annoncés, les scienti- entassés à ciel ouvert, se déversant régulièrement dans la mer
fiques ont constaté que 99% des déchets écoulés ou incinérés directement sur cette « île poubelle », sans
dans les océans restaient impossibles à recenser retraitement, tri ni protection d’aucune sorte. Une véritable bombe
et devaient, de ce fait, être éparpillés quelque à retardement écologique quand on sait que la montée des eaux
part. Ensuite, parce que le volume de plastique liée au réchauffement climatique doit un jour ou l’autre submerger
déversé dans les océans continue de croître. ces îles et faire disparaître les Maldives et ses poubelles sous les
Estimé entre 5 et 13 millions de tonnes en 20103 mers. Une double sanction qui pourrait arriver plus rapidement
pour les seuls déchets ménagers et municipaux, qu’on ne pense…
il pourrait être multiplié par 10 d’ici 2025 si rien
n’est fait pour éduquer les populations et mettre
en place des méthodes de collecte efficaces dans
les pays qui n’en ont pas encore. Il y a urgence (1) « Plastic Pollution in the World’s Oceans » PLOS One, 2014
(2) « Plastic debris in the open ocean » – US National Academy
avant qu’on fi nisse défi nitivement noyés sous of Sciences 2015
un océan de déchets. (3) « Plastic waste inputs from land into the ocean », Science 2015
82

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


83

Des containers de recyclage dans la ville d’Amol

V U D’IR AN
Mobilisation de la société civile,
développement touristique : deux
raisons qui poussent les autorités
iraniennes à réagir à la dégradation
de l'environnement.
Par Jean-Claude Voisin
© Mehdi

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


84 VU D’IRAN

Déchets au-dessus d'un kiosque à Nishapur

Comme tous les pays émergents, l'Iran doit faire face


à la masse considérable de déchets liés au développement
de sa consommation. Passant en 30 ans de 30 à 80 millions
d'habitants, le pays voit la masse et la variété de ses
déchets amplifier de façon dramatique. Pour autant, l'Iran
réagit : la sensibilisation et la mobilisation de la société civile,
dans le métro, dans les écoles, la création d'ONG contribuent
à la naissance d'initiatives.

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


VU D’IRAN 85

7 200 000
le nombre de tonnes de déchets produits
annuellement en Iran (dont 70 à 75% de
matières organiques convertibles en
compost, 20 à 25% de matières sèches
recyclables, 5 à 10% d'autres déchets)
© Sonia Sevilla

Doté de richesses naturelles sans pareilles,


l’Iran a subi, au cours du 20 e siècle, d’impor- L' IR A N A S U BI D'IMP O R TA N T E S
tantes dégradations de sa faune et de sa flore, D É G R A D AT I O N S D E S A FA U N E E T
dont un grand nombre furent irréversibles. Tout D E S A F L O R E , D O N T U N G R A ND
ce qui ne peut être recyclé est généralement N O MBR E F U R E N T IR R É V E R S IBL E S .
enterré et provoque une pollution environne-
mentale. Si des politiques visant à protéger le
milieu naturel ont été progressivement élabo- international au cours des dernières années et
rées, elles ont du faire face à de nombreuses l’importante mobilisation de la société civile
contraintes internes et externes, qui les ont sur ces questions laissent entrevoir un chan-
souvent reléguées au second plan, face à des gement de fond. En outre, la prise de conscience
préoccupations politiques et économiques du potentiel touristique lié aux atouts naturels
de court terme. Cependant, les engagements de l’Iran a motivé la mise en place de tout un
multiples conclus par l’État iranien au niveau lot de politiques coordonnées, visant à pro-

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


86 VU D’IRAN

mouvoir tant bien que mal, et malgré la présence


d’innombrables obstacles, un développement
«durable».
À Téhéran, depuis 2008, de grandes campagnes
de sensibilisation sont régulièrement organi-
sées à l’initiative de la municipalité pour sen-
sibiliser la population de la capitale à la culture
du recyclage. La direction de la politique des
femmes a été pionnière. Des cycles d’ateliers
sont régulièrement organisés dans les 22 dis-
tricts de la ville. On en compte environ 500 par
an. Ses responsables, Mme. Shahrnevesht et
Mme. Rasoulzadeh, s’appuient sur les ména-
gères iraniennes afin que le cycle de limitation
des déchets et la culture du recyclage se déve-
loppent dans les esprits des consommateurs.
Masoumeh Ebtekar, Vice-Présidente de la
République , alors membre du conseil munici-
pal de la capital, affirmait dès 2013 que des
études avaient été menées sur le réseau d’égouts
de Téhéran et que de bonnes mesures avaient
été prises pour traiter les déchets et utiliser le
gaz résultant pour la production d’électricité.
Par ailleurs, une nouvelle usine de traitement
des eaux usées a vu le jour à Téhéran. La créa-
tion d’un grand nombre d’espaces verts vise
également à réduire le taux de CO2 dans la capi-
tale de 15  millions d’habitants, durement
atteinte par la pollution. Un haut responsable
de la mairie de Téhéran a déclaré que 90% du
parc Velayat dans le sud de Téhéran sera trans- Accumulation de déchets au-dessus d'une rivière, près d'Amol

D E G R A ND E S C A M PA G N E S
DE S E N S IBIL I S AT I O N S O N T
R ÉG U L IÈ R E ME N T O R G A NI S É E S prévention. Dans toute la ville, la municipalité
À T É HÉ R A N DE P U I S 2 0 0 8 . a développé le tri sélectif des ordures ménagères
avec des équipes qui passent chaque jour et
trient sur place les poubelles collectives ins-
tallées dans chaque îlot urbain : tri du verre, du
formé en espaces verts équipés de systèmes plastique, du bois, des métaux, du carton. Mais
d’irrigation appropriés. La direction générale l’organisation de la collecte des déchets n’est
des industries et activités humaines de la mai- pas si uniforme. Si à Téhéran, 57 % des maté-
rie a mis en place depuis 2011, et ce dans tous riaux recyclés ont été collectés par les services
les arrondissements de la ville, des ateliers de porte-à-porte, 34 % des ménages sont desservis
formation à destination des entreprises et pour par des programmes de collecte de tri de bor-
les sensibiliser aux bases de la pollution et à sa dure et 9 % par des centres de rachat. Dans la

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


VU D’IRAN 87

lations. Dans la province orientale du Sistan-


Balouchistan, la prise de conscience est
exemplaire. On y voit les jeunes élus conscients
des problèmes mais souvent désemparés devant
les méthodes et moyens à mettre en œuvre.

LES ENTREPRISES FRANÇAISES


SUR LE TERRAIN
Aux côtés du groupe Suez, d’autres entreprises
françaises spécialistes des traitements et du
recyclage des déchets étudient les mesures
à prendre et les systèmes à mettre en place.
Du 25 au 27 octobre 2015 déjà, une quinzaine
de chefs d’entreprises françaises du monde de
la chimie, à l’initiative de l’Union des Industries
Chimiques de France, se rendait en Iran.
Au-delà des aspects concernant le développe-
ments des industries chimiques, pétro-
chimiques et la production de pesticides, les
préoccupations en matière de recyclage ont été
abordées. Le savoir-faire français en matière
de gestion des déchets industriels, de recyclage
ou d’économie circulaire est devenu leader au
plan mondial et les Iraniens l’apprécient. Les
nombreuses et régulières visites officielles des
responsables iraniens de l’environnement à
leurs collègues français ces dernières années
en sont la démonstration. En 2016, lors du
Forum de Davos (Suisse), Antoine Frérot , PDG
© Mehdi

de Véolia, déclarait au journal La Tribune: « Il


y a des choses intéressantes à faire en Iran. Le
marché iranien nous intéresse, ne serait-ce que
pour nos activités très classiques en matière
d’accès à l’eau potable des villes, de même que
pour notre expertise en matière de traitement
ville de Mahabad, environ 37 % des ménages des déchets.»
séparent leurs déchets recyclables des déchets Toujours en 2016, le bureau de Business France
abandonnés avant de l’acheminer à l’équipage de Téhéran, dirigé par Romain Keraval, orga-
de collecte des déchets et les vendent aux sec- nisait un colloque réparti en deux ateliers, dont
teurs ambulant et informel. Dans la province l’un abordait la problématique du traitement
de Mazandaran, sur la côte Nord, la collecte des déchets, orienté vers les municipalités en
dans toutes les villes est effectuée par les recherche d’alternatives écologiques respon-
municipalités, à l’exception de Noshahr, où 20 % sables dans le domaine de la collecte et de la
des déchets sont collectés par le secteur privé. gestion des déchets. Les autorités réfléchissent
Dans les régions, de jeunes générations d’élus à réorganiser cette fi lière.
s’émeuvent de la pollution et ont conscience Si les entreprises françaises regardent de près
des problèmes futurs que connaîtront les popu- cet immense marché, les Iraniens ne sont pas

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


88 VU D’IRAN

restés inactifs. Arash Haidarkhani dirige une employés et produit 200000 tonnes de papier
entreprise iranienne spécialisée dans le trai- recyclé par an. Les papiers et cartons recyclés
tement et le recyclage des déchets ménagers et viennent de tout l’Iran. C’est l’exemple le plus
industriels. Il exporte même son savoir-faire abouti en matière de recyclage. 
en Algérie. Néanmoins, le traitement des
déchets hospitaliers reste encore hasardeux.

UN EXEMPLE HISTORIQUE :
L’ENTREPRISE GEMAYEL L E S F R A N Ç A I S R EG A R D E N T D E P R È S C E T
Voilà peu s’éteignait, à Téhéran, Louis Gemayel, IMME N S E M A R C HÉ M A I S L E S IR A NIE N S
l’inventeur du recyclage en Iran. Ce fi ls de com- NE S O N T PA S R E S T É S IN A C T IF S .
merçant libanais y est né en 1928. Audacieux,
il reprenait à 17 ans, en 1945, la première usine
du pays, et à ce jour, la plus grande usine de trai-
tement du papier d’Iran, créée en 1942 par son
père. Il poursuit en Iran le savoir-faire de la
famille Gemayel de Bickfaya. Louis repris
ensuite l’ensemble de l'entreprise, qui connais-
sait alors des difficultés. Il importe une carton-
nerie de France et redonne un souff le à
l’entreprise. Il part ensuite se former à Grenoble
afi n d’être plus performant. En 2017, installée
sur 120000 mètres carrés dans le sud-est de
la capitale, l’usine Karizek SA compte 3000
© Mehdi

Pollution au plastique,
près d'Amol

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90

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


91

SOCIÉ TÉ
La place du
français dans
les écoles d’Iran
Longtemps langue des élites et de la cour,
le français se reforge une place en Iran,
aux côtés de l’allemand et de l’italien,
tout de suite après l’anglais. Le français
est enseigné du jardin d’enfants à
l’université. L'ambassade de France
supervise une « École française »
accueillant les enfants des expatriés
français ou des diplomates francophones.
Des écoles bilingues privées privilégient
ou encouragent également le français,
telles Âftab Azarin ou Madani, et de
nombreux instituts privés dispensent
des cours de français.
© Jean-Claude Voisin

Par Jean-Claude Voisin

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92 SOCIÉTÉ

L'ÉCOLE MATERNELLE
« LES LUTINS »
L’AMOUR DE L’IRAN
À LA FRANÇAISE

De jeunes élèves de l'école maternelle "Les Lutins" de Téhéran

© Jean-Claude Voisin

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


SOCIÉTÉ 93

lottie dans les quartiers chics du nord français dans la capitale iranienne et complète l’autre éta-

B de la ville, coincée par les immeubles


qui ne cessent de grignoter le tissu
blissement d’éducation, «l’École française», placée directe-
ment sous l’autorité de l’Ambassadeur de France.
urbain ancien fait de jolies villas, la
coquette maison d’Huguette Delefortrie-Saie
et de son mari, professeur d’université, abrite L E S E NFA N T S S O N T T O U S D E PA R E N T S
depuis 1981 l’école maternelle «Les Lutins». IR A NIE N S , P E U O U PA S F R A N C O P HONE S .
C’est là qu’Huguette se bat depuis près de 40 ans
pour inscrire sa passion pour la France et l’Iran
dans le paysage éducatif de la capitale iranienne.
La fermeture en 1979 du lycée Razi, célèbre lycée
français de Téhéran, dans lequel Huguette ani-
mait les petites sections, permet à notre dyna-
mique assistante, sur les insistances des parents, TÉMOIGNAGES D’ANCIENS ET
d’ouvrir sa propre école. Au départ seule, D’ANCIENNES « PENSIONNAIRES »
Huguette étoffe l’équipe d’encadrement avec de
jeunes diplomées, dont Laleh qui l’accompagne SARAH SE SOUVIENT DE SES TROIS ANS
depuis près de trente ans. Licenciée en France Je voudrais vous parler de mes meilleures années, là où je n’ai
en sciences de l’éducation, Laleh est revenue en eu que de bonheur. J’avais trois ans et mes parents, malgré
Iran puis a rejoint Huguette. Peu à peu les tout l’amour qu’ils avaient pour moi, n’ont pas pu rester
rejoignent Maryam, Maryamjan et Lyda. ensemble. Sensible et timide, je me suis retrouvée à l’école des
Certaines sont issues de l’ancienne école Jeanne Lutins. Une femme exceptionnelle et ravissante (Huguette
D’Arc, tenue par les sœurs de la Charité, bien Saie) m’a ouvert ses bras et m’emmena dans une jolie petite
connue dans la capitale pour son excellence. classe. À ce moment-là une gentille maîtresse arriva. Elle s’ap-
Après avoir accueilli jusqu’à 100 élèves, l’école pelle Laleh, me pris dans ses bras et demanda aux enfans qui
résonne aujourd’hui des enthousiasmes de 24 voulait devenir mon ami. C’est là que le bonheur commença
petits lutins et lutines. Les enfants, tous de dans ma vie. Et puis l’école, c’est aussi la bonne odeur du café
parents iraniens, peu ou pas francophones, se français, le grand sourire de Madame Saie en rentrant à l’école
répartissent dans deux sections : les 3-4 ans et chaque matin, les fêtes de Noël et les carnavals avec les beaux
les 4-6 ans. Moneli, Aras, Liliane, Armand, déguisements. Ce sont tous des souvenirs inoubliables que je
Niloufar, Mazou et Samia ânonnent « Y a une garderai toujours en moi. Je me rappelle aussi d’une journée
pie dans le poirier», spécialement préparée pour où nous avons préparé une salade de fruits dans la grande cui-
la fête traditionnelle de Norouz, qui accueille à sine de Madame Saie, chaque enfant ayant apporté quelque
l’école les mamans et le célèbre Hadji Ferouz, chose pour y participer. Nous avions tout préparé et commen-
personnage mythique de cette fête ancestrale cions à déguster la salade quand, tout d’un coup, tout le monde
iranienne. cria ! Au lieu du sucre, nous avions mis du sel dans la salade...
Présents à l’école par demi-journée, les enfants J’ai toujours essayé de rester en contact avec cette école, même
abordent leurs premiers pas vers le français avant en grandissant .Mon rêve à moi, c’était de devenir enseignante
d’entrer dans les écoles gouvernementales, où à l’école des Lutins et tous les soirs avant de dormir, je pensais
ils sont repérés pour leur maintien et leur édu- à ce beau rêve qui a finalement été exaucé à 18 ans. Pendant
cation. Ce qui fait la fierté de la directrice. Cer- des années, j’ai appris énormément de choses, pas seulement
tains parents s’initient au français afin de au sujet du travail, mais aussi de l’art de vivre. Madame Saie
pouvoir accompagner leurs enfants dans l’ap- reste une deuxième mère pour moi, tout comme ma maîtresse,
prentissage de cette langue, qui a abandonné sa Laleh, et ses autres gentilles collègues. Il ne faut pas non plus
place de première langue étrangère au profit de oublier le rôle des petits enfants dans ce bonheur, qui me don-
l’anglais. L’école, véritable lieu de vie et d’échange nait toujours l’envie de travailler dur sans jamais être fatiguée.
à caractère privé, reste un beau creuset pour le Sara Salimi, Montréal

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94 SOCIÉTÉ

À l'École des Lutins

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SOCIÉTÉ 95

© Jean-Claude Voisin

Huguette Saie et l'une de ses classes

YAS REVIENT SUR SON ENFANCE


C’est à l’âge de trois ans que j’ai commencé à apprendre la langue
française à l’École des Lutins, petit paradis où les enfants
peuvent s’initier à la langue française dans une ambiance tota-
lement francophone. Je suis resté trois ans à l’École,
où j’ai acquis une solide base de la langue ainsi qu’un accent
correct. Aujourd’hui, j’ai 22 ans, je parle le français comme
une seconde langue maternelle et je l’enseigne dans un institut
de langues !
Yas Fariad, Téhéran

LILI ET SES SŒURS


Mes années à l’école maternelle Les Lutins restent parmi les
plus joyeuses de ma vie. Tout en ayant appris le français à un
jeune âge, j’ai noué des relations d’amitié qui durent encore
aujourd’hui. La scolarisation de mes trois sœurs cadettes à
l’École des Lutins m'a permis de bâtir une connexion solide et
© Jean-Claude Voisin

durable avec Madame Saie et l’école. Ceci m’a aidé à façonner


une grande partie de ma vie.
Lili Razavi, États-Unis

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96 SOCIÉTÉ

RAMIN SE REMÉMORE LA MAISON


J’ai une vision féérique de cette maison, son jardin plein de IL NE FA U T PA S O U BL IE R
fleurs, fraîche et douce les matins de printemps, le salon où L E R Ô L E D E S E NFA N T S
l’on se rassemblait pour regarder des films, les salles de classes... D A N S CE B O NHE UR .
C’est là que j’ai été entouré par la culture française, que j’ai
croisé le Père Noël et colorié des œufs de Pâques.
J’entends, juste en y pensant, Frère Jacques et Sur le Pont
d’Avignon. Cette maison, pleine de chansons et de jeux, fut
pour moi un petit coin de paradis où j’ai rencontré mes pre-
miers amis.
Ramin Garavi, Paris

Les enfants de l'École des Lutins avec le personnel enseignant

© Jean-Claude Voisin

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SOCIÉTÉ 97

LE FRANÇAIS
À L’UNIVERSITÉ
Interview de Dr. Mohammad-Rahim Ahmadi,
Président de L’Association iranienne de langue et littérature françaises

réée en 2004, l’association a pour objectif de réu-

C nir tous les départements de français des uni-


versités iraniennes. Actuellement, elle compte
270 membres issus des universités d’État et des
universités libres : enseignants de français, étudiants en mas-
ter et en doctorat. Tous les départements de français en Iran
(estimés à 17) sont plus ou moins représentés au sein de
l’AILLF. Outre les universités de Téhéran, on y retrouve les
les universités des grandes villes de l’Iran, telles que celles
de Mashad, Tabriz, Ispahan, Shiraz, Hamedan, Ahwaz, et
très bientôt celles de Kerman, Qazwin et Yazd.
L’objectif, comme le rappelle son président, le Dr. Mohammad
Rahim Ahmadi, reste la dynamisation de l’enseignement du
français en Iran. Des colloques internationaux et nationaux

© Ferdowsi University of Mashad


organisés en partenariat avec les départements de français
depuis la création de l’Association en 2004 y contribuent
largement. L’AILLF et l’Université Al Zahra accueillaient
en juillet dernier le premier colloque international sur «L’en-
vironnement dans les littératures française et persane».
Une plateforme internationale, dénommée IFProfs, permet
L'Université Ferdowsi à Mashad
à tous les enseignants de français à travers le monde de dia-
loguer et d’échanger leurs expériences. L’Iran vient d’y adhé-
rer : l’AILLF et l’IFT (Institut Français de Téhéran) vont
mettre sur pied la plateforme IFProfs Iran. L’AILLF est
membre actif de la Fédération Internationale des Professeurs
de Français (FIPF) : dernièrement, une dizaine de membres
de l’Association a participé au quatorzième Congrès mondial
des Professeurs de Français, qui a eu lieu à Liège, en Belgique. U NE P L AT E F O R ME IN T E R N AT I O N A L E ,
Le Président et le Vice-Président de l’AILLF ont participé I F P R O F S , P E R ME T À T O U S L E S
en septembre dernier au Congrès régional de la Commission ENSEIGNANTS DE FR ANÇAIS
Asie-Pacifique (CAP) de la FIPF et au colloque international À T R AV E R S L E M O N D E D E D I A L O G U E R
intitulé «L’écologie du français», qui ont eu lieu à Kyoto, au E T D ' É C H A N G E R L E U R S E X P É R IE N C E S .
Japon.

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98 SOCIÉTÉ

L’ENGAGEMENT
DU MONDE ASSOCIATIF
« LES COURS DU VENDREDI »
Créée au début des années 90 par Dominique Torabi, cette association
de droit français, dirigée actuellement par Myriam Goetz-Rahgoshay a
pour vocation d’accueillir des enfants binationaux.

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SOCIÉTÉ 99

ctuellement, cette association de droit français sidez cette association depuis une dizaine

A accueille des enfants de 7 à 17 ans de milieux non


francophones mais désireux de compléter les
d’années. Comment définir les objectifs de
l’enseignement dispensé tous les vendredis
cours de français qu’ils suivent dans leurs éta- ? Qu’est-ce qui singularise l’enseignement
blissements scolaires, ou leur français entendu ici et là, mais du français au sein des «Cours du Ven-
échappant à une véritable maîtrise de l’écrit et de la lecture. dredi»?
L’engagement des enseignantes, comme des enfants, est exem- Myriam Rahgoshay-Goetz - En premier lieu,
plaire car les parents souhaitent eux-mêmes accompagner je soulignerais l’engagement et la motivation
leurs enfants dans l’apprentissage du français : une évolution extraordinaires de nos 13 enseignantes, cer-
intéressante de la place du français en Iran. taines ayant fréquenté la célèbre école Jeanne
d’Arc de Téhéran.
ParisTéhéran - Myriam Rahgoshay-Goetz, vous pré- Nous avons développé et diversifié nos

Les bénévoles de
l'association
© MR

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100 SOCIÉTÉ

méthodes d’apprentissage en mettant l’accent et acteur de ses apprentissages. On peut aussi l’adapter à la
sur des activités plus ludiques qui, en réduisant progression suivie par l’enseignante.
l’anxiété, permettent de soutenir l’attention de Notre pédagogie collaborative, qui prend en compte la per-
nos élèves, qui travaillent dans un état d’esprit sonnalité, l’âge et les besoins des enfants, a pour objectif pri-
positif et réceptif. Leurs fautes de langage ne mordial de stimuler l’enthousiasme et la motivation de ceux
sont plus des fautes à sanctionner mais des qui sacrifient trois heures de leur seul jour de congé hebdo-
étapes du jeu, vecteur de communication puis- madaire au lieu de lézarder ou de regarder un film à la maison.
sant, favorisant les échanges et les interactions Nos programmes ne sont pas improvisés et nous tenons à
des élèves entre eux. Le jeu est pour nous un outil terminer chaque année le programme annoncé, en multi-
complémentaire, un facteur de motivation por- pliant les exercices de pratique de la conversation courante
teur de sens, qui permet de rendre l’élève actif en français durant tout le cours, parallèlement à une initia-

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


SOCIÉTÉ 101

tion à la culture française. Les résultats sont là : l’Association concevez-vous l’enseignement au sein de
remporte très souvent le Prix de la Francophonie organisé l’Association?
annuellement par l’Ambassade de France. Les objectifs sont Haleh Lessan Pezechki - La plupart de nos ensei-
suivis avec intérêt par les parents, qui souhaitent envoyer gnantes sont là depuis plus de 10 ans. Elles viennent
ensuite leur enfant terminer ses études en France ou le pré- de l’ancienne école Jeanne d’Arc, de l’École Fran-
parer aux tests de français du DELF, pour lequel nous obte- çaise ou de l’Université de Téhéran avec un master
nons 100% de réussite. ou un doctorat en FLE (français langue étrangère).
J’aimerais insister sur un aspect qui illustre l’at-
PT - Haleh Lessan Pezechki, vous êtes la conseillère mosphère qui règne au sein de notre équipe : le taux
pédagogique de l'association depuis plus de 15 ans. d’absentéisme. Celui-ci est proche de zéro, tant chez
Comment recrutez-vous vos enseignantes? Comment les enseignantes que chez les apprenants. Cela en
dit beaucoup sur les motivations de chacune et
chacun. Enfin, l’association est un lieu où l’on
apprend les règles du vivre ensemble et le respect
de l’autre.

PT - À l’université, les fi lles représentent


près de 90% des étudiants en français. Qu’en
est-il ici?
HLP - Huit élèves dans une classe de 11 sont des
filles. Ceci s’explique déjà par le fait qu’à Téhéran,
les crèches, les maternelles et les établissements
primaires qui proposent un enseignement de fran-
çais sont en majorité des écoles de filles, privées
ou gouvernementales. De nouveaux établisse-
ments pour garçons vont aussi bientôt proposer
le français. Enfin, le Guide suprême, l’Ayatollah
Khamenei, constatant la primauté de l’enseigne-
ment de l’anglais comme première langue étran-
gère a proposé une seconde langue étrangère,
comme le français, l’italien ou l’allemand.

L E S OB JEC T IF S S O N T S U I V I S AV EC
IN T É R Ê T PA R L E S PA R E N T S ,
QUI SOUHAITENT EN VOYER
E N S U I T E L E U R E NFA N T T E R MINE R
De jeunes élèves lors SES É TUDES EN FR ANCE.
des cours du vendredi
© MR

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102

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


103

Le Mariage Forcé de Molière, mis en scène en 2012


par Dariush Moaddabian

CULTURE
Le théâtre
français en Iran
104
Théâtre français :
l’héritage Davoud Rashidi

105
Le théâtre français sur les grandes
scènes de Téhéran

106
Ghotbedin Sadeghi : l’amour de l’Iran
et le théâtre français

108
Le théâtre français contemporain :
un engouement en Iran

109
L’enseignement du français
passe aussi par le théâtre

111
© Amir Khotdami

Le festival étudiant du théâtre


francophone : un tremplin ?

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


104 CULTURE

IRAN

© Farhad Rachidi

THÉÂTRE FRANÇAIS :
L’HÉRITAGE DAVOUD RASHIDI
PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017
CULTURE 105

isparu le 6 août 2016 à Théran, à l’âge de 83 ans, adulé par les étudiants en théâtre, il était un

D Davoud Rashidi, icône du théâtre iranien, incarne


le développement du théâtre français en Iran.
ambassadeur engagé de la francophonie et de la
francophilie. Une foule immense de gens de
Davoud Rashidi est un nom incontournable de théâtre, d’étudiants, d’amis et d’anonymes
la scène iranienne. Engagé dès sa jeune enfance dans la fran- accompagnèrent jusqu’à sa dernière demeure
cophonie grâce aux séjours d’un père diplomate lui-même celui dont Ali Reza Koushkgalari dira «c’était
francophone, Davoud Rashidi a toujours été au contact de la notre Monsieur Ibrahim du théâtre iranien».
culture française : école primaire française Saint-Joseph
d’Izmir (Turquie), école Saint-Louis de Téhéran, lycée
Lakanal à Bourg-la-Reine (première partie du baccalauréat),
lycée français de Bruxelles (deuxième partie du baccalau-
réat), études de sciences politiques et de théâtre à Genève.
Dans sa carrière professionnelle, Davoud Rashidi a toujours
mis en avant le répertoire théâtral français. Malgré une vie
active encore très remplie et sollicitée, il se montrait toujours
disponible aux demandes d’intervention de l’ambassade de
France à Téhéran, à l’occasion d’évènements francophones.
Il participait ainsi activement à la Résidence de France à une
soirée-hommage à Charles-Henri de Fouchécourt, ainsi que,
dans le cadre du Salon du Livre de Téhéran, à une conférence

© Farhad Rachidi
lecture du Service Culturel autour de l’œuvre de Yasmina
Reza. Davoud Rachidi n’a jamais caché son amour pour la
France, pour sa culture. Respecté par les autorités iraniennes,

LE THÉÂTRE FRANÇAIS
SUR LES GRANDES
SCÈNES DE TÉHÉRAN
ls sont de plus en plus nombreux, carrière de footballeur, il est repéré par Vadim qui lui donne

I metteurs en scène et étudiants, à


s’intéresser au théâtre français.
un rôle dans l’un de ses films et l’inscrit dans une école d’art
dramatique. Ali Raffi, découvre le théâtre, s’inscrit à la Sor-
Citons parmi eux les maîtres Ali bonne et travaille avec Vitez et Debauche», comme le rappelle
Raffi. Avec son verbe pesé, ses tournures Mohamed Kacimi. Citons également Ghotbedin Sadeghi,
élégantes prononcées dans la langue de Molière, Mohammad-Reza Khaki, tous deux formés en France, mais
il occupe de façon magistrale la scène théâtrale aussi Ali Reza Koushkegalari, Homayoun Ghianézad, Wahid
téhéranaise. Premier diplomé du Conservatoire Ghahbani, Leili Rashidi, Sohrab Salimi et Ali Sarabi.
d’art dramatique de Paris, Ali Raffi est «natif L’Iran, pays du cinéma et de la photographe se tourne vers la
d’Ispahan. Ce doyen qui a la gueule de Jean photographie de théâtre avec Mehrdad Motedjali, Hassan
Marais, est un pur germanopratin. Envoyé en Taheri, Reza Raziani, Noushneh Djafari ou encore Amir
France dans les années soixante pour y faire une Khodami.

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


106 CULTURE

GHOTBEDIN SADEGHI :

© Majid Javani
L’AMOUR DE L’IRAN ET
LE THÉÂTRE FRANÇAIS
origine kurde, Ghotbedin Sadeghi, s’inscrit pre- l’aéroport d’Orly, ses amis français le pressent

D’ mier de sa classe de licence à la Faculté des Beaux


Arts de Téhéran, ce qui lui vaut l’obtention d’une
de rester. Charles-Henri de Fouchécourt l’invite
à entrer au CNRS : «Ma vie est en Iran», déclare-
bourse pour des études à l’étranger. Malgré son t-il. Il commence son enseignement à l'Univer-
anglais impeccable et des encouragements pour aller vers sité de Téhéran, démarre sa longue série de mises
les États-Unis ou la Grande-Bretagne, il choisit délibérément en scène.
la France. Il devra apprendre le français. Son amour pour la
culture française, les enseignements du théâtre de Molière, ParisTéhéran - Qu’est-ce qui vous a conduit
les cours de Richard Monnot, le font gravir les échelons uni- vers le théâtre français?
versitaires jusqu’à son doctorat à Paris III. C'est en 1985 qu’il Ghotbedin Sadeghi - Depuis le coup d’état de
choisit de rentrer au pays, en plein conflit Iran-Irak. Jusqu’à Mossadegh en 1953, les milieux intellectuels

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


CULTURE 107

vont se détourner des États-Unis et de la Grande- français fait l’objet de très nombreuses traductions. Moi-même
Bretagne. Ils regardent vers la France. Ce qui je dirige une collection dédiée au théâtre (NDLR : les éditions
m’intéresse dans le théâtre français, c’est aussi Ghâtreh) qui donne une grande place au théâtre français, tant
bien la forme que le fond. Par exemple, dans Les avec des traductions qu’avec des publications d’ouvrages
Fourberies de Scapin de Molière, cette concur- français de référence sur le théâtre en général (voir encadré).
rence entre les jeunes dans le besoin et les vieux, Molière est à reprendre. Je voyais qu’ici le public ne compre-
riches, qui attirent les fi lles, c’était l’Iran de ma nait pas Molière. Ayant assisté à des mises en scène de Molière
jeunesse. Une situation, un choc dans notre réalisées par Antoine Vitez, ce fut une révélation. Je compris
société d’alors, un miroir de la société en sorte. que cette incompréhension venait des traductions. Avec Sar-
Dans Médée, Jean Anouilh met en scène la reven- tre, Camus, Gide, Ionesco, Beckett, Giraudoux, Duras, l’in-
dication féminine, qui était très forte dans les telligentsia iranienne se retrouvait derrière les mythes
années 80 en Iran. En jouant Médée ici en Iran, évoqués, cette notion du combat, des mouvements sociaux,
je voulais mettre en avant la femme iranienne de la politique contemporaine, de la culture sociale que le
courageuse, déterminée. Le théâtre reste le seul public adore en Iran. On renouait ainsi avec la grande tradi-
endroit public où l'on s’oxygène. tion des relations culturelles entre la France et l’Iran. En 2017,
ce qui attire le public, étonnamment jeune au théâtre, ce sont
PT - Quelle place le théâtre français occupe- les analyses microcosmiques, les relations intimes entre amis,
t-il dans l’Iran d’aujourd’hui? Quels auteurs à l’intérieur du couple, les rapports affectifs. L’Iran, peut-être
suscitent le plus d’intérêt? aussi l’Occident, connaît une période de crise sur le plan affec-
GS - C’est déjà un théâtre de prestige. Mais les tif. Eric-Emmanuel Schmitt répond à ces angoisses, inter-
traductions des classiques ne sont pas excel- pelle. C’est l’un des auteurs modernes probablement le plus
lentes. En revanche, le théâtre contemporain joué en Iran. Sa façon d’analyser les rapports humains a
quelque chose d’universel.

PT - Quelle est la place du théâtre francophone?


GS - Le public qui connaît le français et qui vient au théâtre
est faible. Dariush Moadabian s’est essayé ces dernières
années à monter des pièces en français mais ce ne sont que
deux ou trois représentations. C’est la même chose pour le
théâtre en anglais. Les traductions permettent de toucher
un très large public. Chaque année, le festival international
de théâtre Fadjr programme deux ou trois compagnies
françaises. On vient alors voir ces pièces par curiosité, pour
découvrir un théâtre français à travers ses mises en scène
mais qui dans sa version originale reste peu comprise par le
public.

Les éditions Ghâtreh de Téhéran ont traduit et publié


jusqu’à lors 400 oeuvres de théâtre dont 40 % se
rapportent au théâtre français ; outre les traductions
d’œuvres, une cinquantaine de volumes se rapportent
aux études françaises sur l’histoire du théâtre
© Akhtar Tajik

(« Géopolitique de l’Iran », 2015).

OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017 | PARISTÉHÉRAN


108 CULTURE

LE THÉÂTRE
FRANÇAIS
CONTEMPORAIN
UN ENGOUEMENT

© Mohammad Reza Khaki


EN IRAN
epuis une dizaine d’années, un grand nombre de un atmosphère de soupçon et de doute très tou-

D pièces de théâtre françaises d’auteurs contem-


porains ont été traduites en persan, et jouées dans
chant entre les deux.

plusieurs villes d’Iran. Olivier Py, Joël Pommerat, PT - Comment êtes-vous venu au théâtre
Yasmina Reza, Jean-Marie Besset, Véronique Olmi, Mateï français?
Visniec, Eric-Emmanuel Schmitt sont à l’affiche. Aujourd’hui, MRK - Ma formation de maîtrise du théâtre à
ces pièces sont montées avec un grand succès. Le professeur l’Université Paris VIII à Saint-Denis, puis de
Ahmad Kamiabi-Mask, dans les années 80-90, traduisait doctorat à Paris III, m’a familiarisé avec le fran-
l’œuvre intégrale d’Eugène Ionesco puis Dariush Moadabian, çais et la culture française, que j’ai plaisir à par-
MohammadReza Khaki, Shahla Haeri, Tinouch Nazmjou, tager ici avec mes compatriotes. Même si
Asghar Nouri... D’autres traducteurs grâce à leurs traduc- l’enseignement du français est plus important
tions donnent accès aux lecteurs iraniens. Les traductions qu’on veut bien le dire, il se pratique peu en Iran,
du théâtre moderne viennent compléter les classiques dont et je pense que le théâtre est un excellent moyen
Molière sonna les premières heures en Iran. pour faire connaître la culture et la langue fran-
Mohammad Reza Khaki est un professeur et metteur en scène çaise. Pour cette raison, je suis un fidèle du fes-
amoureux du théâtre français. Il a déjà monté plusieurs pièces tival étudiant du théâtre francophone, et je le
dont les œuvres de notre grand scénariste et dramaturge soutiens. J’ai l’intention de remonter prochai-
Jean-Claude Carrière, dans les grandes salles de la capitale. nement pour la deuxième fois « Le circuit ordi-
naire» au mois de juillet-août 2017 au théâtre
ParisTéhéran - Pourquoi cette passion pour les œuvres Iranshahr. Et j’envisage également de monter la
de Jean-Claude Carrière? pièce «Incendies», le chef-d’oeuvre de Wajdid
Mohammad Reza Khaki - J’avoue que je deviens un incon- Mouawad, que je viens de traduire récemment
ditionnel de Jean-Claude Carrière. Je viens de monter deux du français en persan.
de ses pièces au Théâtre de la Ville. J’apprécie leur montage,
la trame, et je les trouve très bien faites. Les sujets contem- PT - Comment expliquez-vous ce grand inté-
porains abordent des aspects de la vie de tous les jours dans rêt du public iranien pour le théâtre français?
des non-dits très intéressants. Dans «Le circuit ordinaire», MRK - Déjà la connaissance des œuvres théâ-
qui est resté 30 jours sur scène à Téhéran en 2010, Carrière trales françaises est une constante en Iran. Les
fait dialoguer deux personnages des services spéciaux et crée grands classiques, avec en tête Molière, ont été

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CULTURE 109

souvent traduits, lus et appréciés. Les auteurs français des


années 1980-90 sont aussi traduits en persan.

PT - Comment expliquez-vous ce grand désir des jeunes


Iraniens pour le théâtre?
MRK - La majorité des Iraniens, en particulier les jeunes,
se trouve devant un choix entre les différentes valeurs de la
mondialisation, du modernisme, de la culture nationale, et
de la tradition. La plupart d’entre-eux sont toujours à la
recherche d’une identité et d’une vie nouvelle dans leur propre
pensée. C’est pourquoi ils veulent non seulement lire et étu-
dier de nouveaux textes (nouvelles, romans, poésies…) qui
les emportent vers de nouveaux horizons ; mais ils ont aussi
un appétit féroce pour le théâtre et le cinéma, l'envie de créer
leur monde imaginaire, de jouer différents personnages, et
ainsi de se mettre dans la peau d’autrui.

L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS
PASSE AUSSI PAR LE THÉÂTRE
nseignés à l’Institut français de de pratiquer la langue mais j’y vois aussi un usage artistique

E langue par Raheleh Teherani depuis


2006, les ateliers «le français par le
et socio-culturel d’une langue étrangère. C’est pour chacun
un défi : «je suis capable d’utiliser ce que j’ai appris». Deuxiè-
théâtre» illustrent une façon dyna- mement, l’art est une ouverture sur le monde. L’étudiant s’ouvre
mique d’apprendre le français par l’étude et le à l’autre, c’est pour lui un moyen de rencontre, comme par
jeu. À l’Université de Téhéran, les étudiants en exemple nos spectateurs français ou francophones qui assistent
français participent chaque année à des inter- aux représentations. C’est aussi un moyen de se structurer
prétations d’œuvres modernes. Hamid Reza dans les ressources de la langue française et de développer
Shairi, professeur de linguistique et de sémio- nos idées, nos interactions, et de sortir du cadre académique.
tique à l’Université Tarbiat Modares de Téhéran, Enfin, c’est aussi une activité interactionnelle. Une concilia-
anime depuis 1996 des actions dynamiques dans tion autour de l’université et de la société. Les études univer-
le cadre du théâtre amateur-étudiant. sitaires «enferment» l’étudiant, qui reste coupé de la société.
Il s’agit de mettre fin à cette rupture.
ParisTéhéran - Pourquoi monter des pièces
en français avec vos étudiants alors que le PT - Qu’apportent ces expériences à vos étudiants dans
public francophone est très réduit en Iran? le goût pour le français?
Hamid-Reza Shairi - Fort de mon expérience HRS - En premier lieu, l’amour de la langue. Tous les
dans le monde universitaire, je vois trois objectifs étudiants qui ont fait du théâtre sont devenus passionnés par
recherchés à travers cette initiative. Le premier la langue de Molière. Ils avouent avoir compris le secret de la
objectif, c’est la didactique. Le théâtre donne au langue. C’est l’âme de la langue que nous vivons. Pour d’autres,
français un aspect pratique. Non seulement la joie monter sur scène, c’est aussi la fierté de maitriser cette langue.

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110 CULTURE

© DR
Le deuxième festival de théâtre francophone étudiant

PT - Quel public touchez-vous? Le Bourgeois Gentilhomme, joué au Théâtre de


HRS - Le premier public visé est celui des francophones la Ville. Puis ce fut aussi notre participation au
d’Iran. Des Français, des étudiants en français, des collègues Festival International de Théâtre Fadjr avec
enseignants de français qui viennent d’autres villes pour nous deux représentations pour 300 personnes cha-
voir. Puis c’est aussi un public non francophone qui vient par cune, sans oublier notre invitation en 2005 au
curiosité et qui se retrouve «converti» au français. Le théâtre, Festival Molière au Château de Versailles avec
c’est une forme de séduction, «une relation sympathique avec Le Médecin Malgré Lui. La demande iranienne
la langue». Enfin ce sont des artistes ou des spécialistes du pour les langues étrangères se trouve de plus
théâtre qui viennent observer le travail de la mise en scène en plus partagée entre le français, l’allemand
de textes français. et l’italien. Mais le français reste la plus pré-
pondérante après l’anglais. Mon plus gros souci
PT - Depuis le début de votre expérience, assistez-vous actuellement est le manque d’étudiants mas-
à une évolution chez les étudiants? Dans le public? culins. Les fi lles sont de plus en plus majori-
HRS - Depuis ma première en 1996, il y a eu des hauts et ta ires da ns les sections de fra nça is à
des bas. De grands moments comme en 2012, dans une des l’Université. La motivation joue aussi un rôle.
salles de l’Opéra de Téhéran, lorsque nous avons donné Le Les apprenants de français se demandent à quoi
Mariage Forcé sur une mise en scène de Darius Moadabian. cela va leur servir: l’enseignement, l’émigration,
À cette occasion, ce sont d’anciens étudiants, qui sont venus l’embauche par des sociétés françaises?
me rejoindre pour le plaisir de remonter sur scène et de
retravailler un beau texte en français. Nous avons attiré
plus de 1 500 spectateurs avec une quarantaine de repré-
sentations. Notre première mise en scène fut, en 1998,

PARISTÉHÉRAN | OCTOBRE | NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2017


CULTURE 111

LE FESTIVAL ÉTUDIANT
DU THÉÂTRE FRANCOPHONE
UN TREMPLIN ?
epuis 2016, l’Association Iranienne Dupuy, Marc Fayet, Jean Tardieu, Roland Dubillard, ou

D de Langue et Littérature Française


(AILLF) organise un festival étu-
encore Albert Camus.
L’université Shahid Beheshti de Téhéran était l’hôte de ce
diant de théâtre francophone. Cette festival. Membre du jury, Khalid Tamer, président de la
année, les départements de français de sept Commission internationale du théâtre francophone à
universités iraniennes participaient à la deu- l’Organisation Mondiale de la Francophonie, rappelle les
xième édition et présentaient, sous la modéra- raisons de sa venue et les conséquences pour les étudiants
tion de Nahid Shahverdiani de l’Université de iraniens : « la volonté de jouer en Iran est méritoire et
Téhéran, 14 pièces d’auteurs français comme l’Organisation mondiale de la francophonie a décidé
d’auteurs iraniens, traduits en français. Parmi d’apporter son soutien, qui se manifestera aussi par l’octroi
elles, L’Histoire de Bijen et Manije, extraite du de bourses l’an prochain». En 2018, les organisateurs songent
célèbre Livre des Rois de Ferdowsi, mais aussi à ouvrir le festival à d’autres pays. La Pologne et la Belgique
des extraits de Jean-Paul Allègre, Jean-Jacques ont déjà annoncé leur participation.

© DR

Le deuxième festival de théâtre francophone étudiant

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112 PORTFOLIO

L’ARCHITECTURE
TRADITIONNELLE
EN BOIS EN IRAN
Le musée du patrimoine
rural du Guilan
Considéré à juste titre comme le plus bel exemple
d’écomusée de tout le Moyen-Orient, le Musée du Guilan,
sur les bords de la Caspienne, est né en 2005 de la volonté
d’un homme, Mahmoud Taleghani, professeur émérite
de l’Université de Téhéran et enfant du pays, avec
le soutien de l’Organisation iranienne du Patrimoine
culturel, d’Artisanat et du Tourisme, et sous le patronage
de l’UNESCO. Il est aujourd’hui l’un des musées les plus
fréquentés d’Iran et n’a rien à envier aux grands musées
d’Ungersheim et du Bollenberg, dont il a adopté
la méthode d’approche.
Par Jean-Claude Voisin

est le plus grand musée vivant à ciel ouvert d’Iran. sine, agriculture, mais aussi expositions, animations quo-

C' Dédié à la culture rurale de la région côtière du


Guilan, située au sud-ouest de la mer Caspienne,
tidiennes et grands événements, dans un cadre naturel, avec
ses jardins botaniques, ses rizières et champs de thé, son
le musée du patrimoine rural du Guilan off re marécage et sa rivière.
une image authentique d’un riche patrimoine presque oublié. Face au dépérissement progressif du patrimoine architec-
Ce village-musée, le premier en son genre en Iran et dans tural du Guilan, Mahmoud Taleghani, en coopération avec
la région du Moyen-Orient, fait vivre le patrimoine rural et le Musée alsacien d’Ungersheim, a mis en œuvre le projet
l’architecture vernaculaire dans son milieu d’origine. de ce musée. En mai 2005, une première maison rurale vieille
En parcourant ce vaste musée, le visiteur pourra découvrir de plus de 100 ans a été reconstruite à l’endroit du musée
et apprécier le patrimoine d’exception du Guilan, qui se se situant au cœur du parc forestier du Saravan.
dévoile sous de multiples formes : habitats, artisanat, cui- Le Musée se compose aujourd’hui de neuf villages, dont

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PORTFOLIO 113

© IICAR
Le complexe d’habitation Montazeri comprenant la maison, le grenier à blé et le four à pain, représentant un village de la plaine du Guilan

chacun représente un style architectural et un type d’ha- regarder, se reconnaître, et rechercher l’explication du
bitat en fonction du lieu géographique et des conditions cli- territoire auquel i l est at taché, joint à cel le des
matiques. populations qui l’y ont précédé, dans la discontinuité
Les bâtisses exposées au musée ont été démontées pièce ou la continuité des générations.
par pièce pour être ensuite remontées et reconstruites tout Enfin, dans un pays de désert, la préservation d’une tradition
en préservant et ravivant l’esprit qui les a jadis animées. fondée sur l’usage du bois dans la construction est un
L’architecture rurale du Guilan est typique de l’architecture défi en soi.
en bois, unique en Iran, et s’avère être une architecture
durable, respectueuse de l’environnement, pouvant inspi-
rer le développement durable en Iran.
Ce musée est un miroir dans lequel tout un chacun peut se

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114 PORTFOLIO

© IICAR
L’entrée principale du musée

La maison Torbi, typique


de villages de basse
© IICAR

montagne du Guilan

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PORTFOLIO 115

© IICAR
© IICAR

La maison Mirsar, typique de villages de la plaine du Guilan Farchaj pour faire sécher les feuilles de thé

Le marécage symbolisant la
mer Caspienne, autour duquel
ont été reconstruits des
© IICAR

villages côtiers

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116 PORTFOLIO

© IICAR
La maison Moradi, typique de villages de la plaine centrale du Guilan

© IICAR

La maison Pourmehr, typique de villages de la plaine du Guilan

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PORTFOLIO 117

© IICAR

Vue aérienne de l’entrée principale.

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118 RETOUR D’IRAN

LA MUSIQUE
CLASSIQUE FRANÇAISE
au bord du
Golfe persique
Le pianiste Thomas Tacquet

Tout a commencé par des rencontres. D’une part entre Amir


Tafreshipour, aujourd’hui compositeur et professeur en Iran, et
Lia Roques, ténor, durant leurs études au Trinity College de Londres.
De l’autre, entre Lia, Anne-Céline Herbreteau (mezzo-soprano)
et Thomas Tacquet (pianiste et chef de chœur), lors de projets
musicaux professionnels menés à Paris.

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RETOUR D’IRAN 119

E N S I X J O U R S , N O U S AV O N S D O N N É
À N O U S T R O I S P LU S D E 4 0 H E U R E S
DE MA STERCL A SSES.

Saëns...), ainsi que des œuvres de compositeurs


iraniens contemporains, lors de trois concerts :
deux à Téhéran (dont l’un en partenariat avec le
Club Francophone de Téhéran), et un à Khor-
ramshahr». Mais surtout, ce fut pour nos solistes
l’occasion de faire partager, par des cours, leur
expérience professionnelle de musiciens recon-
nus (Thomas Tacquet, pianiste, travaille notam-
ment à Paris pour le chœur philharmonique de
Radio-France ou la maîtrise de Notre-Dame ;
Anne-Céline et Lia assurent plusieurs produc-
tions d’opéras par an et participent régulièrement
à des chœurs professionnels) : « En six jours, nous
avons donné à nous trois plus de 40 heures de
masterclasses, afin de transmettre à un maximum
de pianistes classiques et chanteurs lyriques ira-
niens en formation notre vision de ces arts. Cela
fut facile tant l’accueil des auditeurs, des étudiants
et des organisateurs iraniens était chaleureux :
une volonté commune de découvrir, d’apprendre,
de partager était sans cesse visible, tant à Téhéran
qu’en Abadan. Une envie de construire ensemble
un monde culturel commun».
© Thomas Tacquet

irigeant une école de musique renommée à Téhé-

D ran (Ark School of Music) et enseignant également


à l’université de Téhéran, Amir Tafreshipour s’est
associé pour l’occasion à Ehsan Marashipour,
directeur d’une école de musique et du Centre Culturel en
Abadan. Un projet mêlant pédagogie et concerts, entre les
deux villes et avec la participation de ces trois musiciens
français, s’est alors monté début avril 2017.
«Ce fut l’occasion de présenter au public iranien du répertoire
classique français inspiré par l’orientalisme perse de la fin du
XIXe siècle (Roses d’Ispahan de Gabriel Fauré, sur un poème
© DR

de Lecomte de Lisle, les mélodies persanes de Camille Saint-

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