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Bulletin d’études orientales

Tome LVII | 2008


Années 2006-2007

Manfred KROPP, Results of contemporary research


on the Qur’an. The question of a historio-critical
text
Beirut, Orient-Institut der DMG/Würzburg, Ergon Verlag (“Beiruter
Texte und Studien”, 100), 2007, 198 p. ISBN: 389913543-1.

Anne-Sylvie Boisliveau

Éditeur
Presses de l'Institut français du Proche-
Orient
Édition électronique
URL : http://beo.revues.org/146 Édition imprimée
ISBN : 978-2-35159-260-8 Date de publication : 1 janvier 2008
ISSN : 2077-4079 Pagination : 211-215
ISBN : 978-2-35159-038-4
ISSN : 0253-1623

Référence électronique
Anne-Sylvie Boisliveau, « Manfred KROPP, Results of contemporary research on the Qur’an. The question of
a historio-critical text », Bulletin d’études orientales [En ligne], Tome LVII | Janvier 2008, mis en ligne le 13
novembre 2009, consulté le 03 octobre 2016. URL : http://beo.revues.org/146

Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.

© Institut français du Proche-Orient


COMPTE-RENDU 211

RESULTS OF CONTEMPORARY
RESEARCH ON THE QUR’AN. THE
QUESTION OF A HISTORIO-
CRITICAL TEXT

Manfred KROPP

Beirut, Orient-Institut der DMG/Würzburg, Ergon


Verlag (“Beiruter Texte und Studien”, 100),
2007, 198 p.
ISBN: 389913543-1.

Cet ouvrage collectif rassemble les textes, Les contributions présentées sont d’inégale
en anglais et en français, de spécialistes du longueur : celles de M. Sfar, L. Conrad, J.
Coran ayant participé à un atelier portant Goody et F.C. Muth sont brèves, celles de
sur les résultats de la recherche coranique F. Déroche, S. Noja Noseda et F. Quinsat
contemporaine, lors du World Congress of plus longues, et celle de C. Gilliot très
Middle Eastern Studies (WOCMES) développée. Elles traitent aussi de divers
organisé à Mayence en septembre 2002. domaines :
Comme le précise M. Kropp dans son in-
Etude des manuscrits coraniques, relation
• Etude
troduction, il s’agissait de saisir les idées et
entre l’oral et l’écrit :
inspirations apportées par les études
coraniques récentes et de les orienter vers - François DEROCHE (EPHE Paris) :
un projet d’édition critique des textes sacrés « Beauté et efficacité : l’écriture arabe au
accompagnés d’un commentaire historique. service de la révélation », p. 17-31.
Le but était également d’établir les études - Sergio NOJA NOSEDA (anciennement à
coraniques en tant que discipline autonome Milan) : “Parerga to the volumes of
dans le cadre de la littérature comparée, de « Sources de la Transmission manuscrite
l’histoire, etc., au-delà de l’hégémonie des du Texte coranique » thus far published
savants musulmans et des spécialistes de and in course of publication”, p. 157-174.
 
religions comparées1 . - Jack GOODY (anciennement à Cambridge) :
“Does the refinement of the writing
1. « The aim must be to establish Qur’ânic studies as and overcome the proclaimed sole authority and
an autonomous area in the field of comparative guardianship arrogated by scholars of Islam and of
literature, history and other disciplines, and to ignore comparative religions. » M. Kropp, Preface, p. 2-3.
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system allow us to draw conclusions about de façon générale, et d’autre part des idées
the decline of the oral transmission?”, visant à une édition critique du Coran.
p. 139-146.
IDÉES POUR LA RECHERCHE SUR L’HISTOIRE DU
• Lexicologie, rapports avec la poésie
TEXTE CORANIQUE
ancienne et les langues sémitiques :
Avant de présenter ces idées, mentionnons
- Franz-Christoph MUTH (Francfort/M.,
la contribution de M. Sfar, qui, en fin
Mayence, Munich) : “Reflections on the
d’ouvrage, propose une classification des
relationship of Early Arabic Poetry and
études coraniques en quatre types
the Qur’ân: meaning and origin of the
d’approches : historique / linguistique /
Qur’ânic term flayran ab®b¬la according to
fonctionnelle / anthropologique. On
Early Arabic Poetry and other sources”,
comprend mal pourquoi la « doctrine
p. 139-156.
coranique sur le Coran », décrite comme
- Françoise QUINSAT (CNRS) : « Le Coran
traitant des éléments suivants : « dérivé d’un
et la lexicographie historique de l’arabe »,
original céleste ; texte évolutif (abrogation) ;
p. 175-191.
principe divin des erreurs et manipulations
Comment doivent se développer les
• Comment possibles dans la transmission (provenant
études coraniques ? Que doit faire l’historien de Dieu, du Démon ou du Prophète) » (Sfar
(notamment) ? Comment procéder à une p. 193), se trouve dans le cadre de l’approche
édition critique du texte coranique ? « historique ». Toutefois, l’approche
fonctionnelle mentionnée est intéressante et
- Manfred S. KROPP ( OIB , Mayence) :
est peut-être aujourd’hui insuffisamment
“Preface”, p. 1-8.
exploitée par les spécialistes du Coran.
- Lawrence I. CONRAD : “Qur’ânic studies : L. Conrad (p. 14), C. Gilliot (p. 33-34) et
a Historian’s Perspective”, p. 9-15. M. Kropp (p. 2) soulignent également
- Claude G ILLIOT ( IREMAM , Aix-en- l’importance qu’il y a à faire des études
Provence) : « Une reconstruction critique coraniques, une œuvre scientifique et
du Coran ou comment en finir avec les universitaire, rationnelle, conduite avec ana-
merveilles de la lampe d’Aladin ? », p. 33- lyse critique des sources et formulations
104, suivi de « Références bibliographiques d’hypothèses, au-delà des points sensibles
et abréviations », p. 105-137. qui peuvent apparaître. Et ces trois mêmes
- Mondher SFAR : « Pour une approche intervenants invitent à la collaboration de
méthodologique du Coran », p. 193-195. chercheurs de différentes disciplines, afin
de donner aux études coraniques toute leur
Plutôt que de présenter ici un résumé de
latitude.
chacune des contributions, nous avons choisi
Voici donc les points qu’il conviendrait
de rassembler les idées exprimées en deux
d’explorer dans l’histoire du texte, selon les
groupes : d’une part des idées ayant trait aux
différentes contributions de l’ouvrage :
recherches sur l’histoire du texte coranique
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- l’environnement dans lequel le Coran est - le vocabulaire étranger du Coran


né 
né : il est important d’élargir le champ (Conrad p. 13). F.-C. Muth essaie, à
d’enquête bien au-delà des limites de partir de l’exemple d’une expression
 
l’Arabie du 6e-7e siècle, laquelle n’était coranique – le mot abâbîl dans la sourate
 
pas un « désert culturel » coupé du monde 105 –, de voir comment les anciens
qui l’entourait (Conrad p. 9-10). commentateurs du Coran ont tenté de
L’environnement religieux demande s’aider de la poésie arabe ancienne pour
toujours à être mieux exploré (Gilliot p. essayer de comprendre les termes
76-86 sur la question de traductions ambigus utilisés dans le Coran.
arabes de passages bibliques à l’époque Cependant, il semble que finalement la
de MuΩammad). Par ailleurs on suggère poésie soit moins utile que la langue
l’étude de la personnalité et de l’influence syriaque (Muth, p. 156).
des possibles informateurs ou auxiliaires -  les manuscrits
manuscrits, notamment des Corans
de MuΩammad (Gilliot p. 56-62). « de style hedjazien » (Conrad p. 13),
l’histoire de la langue et de l’écriture même si leur classification comme tels
-
n’est pas traditionnelle mais vient de
arabes au moment du développement du
l’observation des orientalistes,
texte coranique, ainsi que la relation
notamment Amari (Noja Noseda p. 158).
entre oral et écrit
écrit : la tradition orale n’a
pas nécessairement aidé à résoudre les - la personnalité, le travail et le rôle des
anomalies du texte (Conrad p. 13). Pour premiers scribes du Coran
Coran. C. Gilliot se
J. Goody, c’est une société de l’écrit qui penche ainsi sur les personnalités de
a produit le Coran, car celui-ci est un Zayd b. ˘®bit « scribe de MuΩammad et
texte trop long pour être le produit d’une de la révélation, formé à l’école juive de
culture orale. De plus, c’est la culture Médine, ou même juif lui-même » p. 62
écrite qui engendre l’idée d’apprendre ss., et de Al-Na¥r b. al-º®rith, p. 66 ss.
par cœur des textes afin de pouvoir les F. Déroche (p. 22-24) essaie notamment
redire par oral ou par écrit, car seule la de répondre à la question : Pourquoi les
présence d’un écrit de référence permet scribes, en recopiant le texte coranique,
de vérifier la justesse de ce que l’on ne se sont souvent pas servi de tous les
retient. Le raffinement des systèmes signes – points diacritiques, voyelles –
d’écriture ne diminue donc pas la culture qu’ils avaient à leur disposition ?
orale, mais la renforce (Goody, p. 142 - les sources arabes anciennes, qui sont
ss). C. Gilliot étudie le développement de plus en plus nombreuses à être éditées
de l’écriture arabe et son rapport avec (Gilliot p. 44-54 et 105-120).
l’emploi du syriaque à l’époque des
débuts du Coran : « L’écriture arabe, - d’éventuels textes-sources du Coran
Anb®r et º¬ra. Des é[E]critures en (hypothèse d’un lectionnaire syriaque
syriaque ! », p. 66 ss. (Gilliot p. 86 ss.)).
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- un éventuel travail de rédaction du texte il fait l’état des lieux des sources portant sur
coranique, avec étude des recensions : les lectures coraniques et l’histoire du Coran,
mise en question du scénario classique telles que recensées par ces orientalistes, et
donnant un rôle central à ‘U˚m®n les rassemble ensuite, avec mention des
 
(Conrad p. 12) ; corrections d’al-ºa™™®™. différentes éditions, dans la première partie
- les rites et la doctrine (Conrad p.11). d’une bibliographie bien fournie mais dont
on peut regretter qu’elle ne soit pas en
À LA RECHERCHE DE L’ÉLABORATION D’ UNE caractères arabes pour les chercheurs du
ÉDITION CRITIQUE DU TEXTE CORANIQUE monde arabe (p. 105-120). La reconstruction
proposée d’un texte-source « en amont »
G. Gilliot propose que la reconstitution du
s’avère plus délicate. C. Gilliot donne des
texte coranique soit menée de façon
complémentaire dans deux directions : « en pistes à étudier pour parvenir à cette
aval » et « en amont » du texte. « Nous reconstruction, comme l’environnement de
entendons par reconstruction en aval, celle MuΩammad (informateurs, scribes,
qui se baserait sur le Coran dit othmanien présence de juifs et de chrétiens - et de leur
et sur les variantes non othmaniennes du liturgie), l’état de la langue arabe à l’époque
ductus. Par reconstruction en amont, nous et la langue du Coran, la question de la
signifions celles qui induirait et tenterait de présence de traduction arabe de la Bible (à
reconstituer un texte avant le texte, ainsi travers notamment l’étude des emprunts ou
dans l’entreprise de Günter Lüling ou de reformulation de passages bibliques ou
Christoph Luxenberg. » (Gilliot, p. 34). La empruntés aux traditions juive et
reconstruction « en aval » consisterait donc chrétienne). Tout cela, complété par l’étude
à réaliser une édition critique ayant pour linguistique du texte coranique, devrait
base le texte othmanien et signalant toutes permettre de dévoiler l’existence et le
les variantes : les qir®’®t (lectures, ou contenu d’un lectionnaire syriaque qui
variantes) autorisées et non-autorisées en pourrait être à l’origine du texte coranique
islam, les variantes dispersées dans toutes (à la suite des travaux de Mingana, Lüling
sortes d’ouvrages musulmans anciens, puis et Luxenberg). Notons que la deuxième
toutes les variantes trouvées dans les partie de la bibliographie proposée par
manuscrits disponibles. Le projet « Amari », G. Gilliot consiste en « études et sources non
qui consiste en une publication sous forme arabes » en vue du travail sur le texte
d’ouvrages ( Sources de la transmision coranique, p. 120-137.
manuscrite du texte coranique) et CD-ROM Par ailleurs, Françoise Quinsat propose de
de manuscrits anciens du Coran (Noja développer, dans le cadre de la lexicographie
Noseda, p.164), aidera grandement à la historique, l’étude des vocables utilisés dans
réalisation de ce dernier point. Dans son le Coran, notamment par la constitution d’un
article, C. Gilliot rappelle les différents inventaire des vocables des inscriptions,
projets pensés par les orientalistes (surtout papyri et manuscrits arabes anciens. Une
les anciens, comme Bergsträsser et Jeffery) collaboration entre linguistes, codicologues
en vue d’une édition critique du Coran. Puis et paléographes est nécessaire afin de mettre
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en place un « apparat critique incluant les chercheurs œuvrant en diverses disciplines


derniers travaux linguistiques, et montre leur volonté commune de
paléographiques et historiques les plus développer les recherches sur le texte
pointus, qui inclura en même temps des coranique de façon utile et coordonnée.
données sur le lexique » ainsi qu’une Ajoutons que la tentative de bilan de la
« édition du texte à plusieurs niveaux » question des origines textuelles du Coran et
(Quinsat, p. 189). des possibilités de réalisation d’une édition
En conclusion, nous dirions que l’intérêt de critique du texte coranique a le mérite de
cet ouvrage est qu’il rassemble les idées de stimuler les recherches en ce sens.

A.-S. Boisliveau, IFPO

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