Vous êtes sur la page 1sur 69

MA VIE MISSIONNAIRE

Denys BELLUT

Ma vie
missionnaire
« VERBA VOLANT SCRIPTA MANENT »
(Les paroles s’envolent, les écrits demeurent) 1
MONTFERRIER - 2010
J’ai bien souvent pensé écrire mes souvenirs, mon
autobiographie. En effet ceux qui m’écoutaient
raconter ce que j’avais vécu ici ou là me disaient :
« Tu devrais écrire tout cela... »
Entre 1993 et 1997 j’ai été nommé responsable de
cette maison de retraite de Montferrier. J’en ai
profité pour commencer ce travail de mémoire
pensant qu’à 68 ans mes supérieurs avaient l’in-
tention de me maintenir à ce poste jusqu’à l’âge de
la retraite définitive. Il en fut tout autrement ;
au bout de trois ans ils me demandèrent
si j’acceptais de retourner au Bénin.
C’est avec joie que j’acceptais, j’avais alors 71 ans.
Mais mon séjour ne dura que deux ans et demi ;
en rentrant en congé après le décès rapide et
imprévu de Mgr Isidore de Souza, je compris
que notre place de missionnaire n’était plus
au Bénin. Je me mis donc à la disposition
de Mgr Jean Bonfils, alors évêque de Nice,
et S.M.A. lui-même.
C’est sans aucune hésitation qu’il m’admit dans
son diocèse comme prêtre auxiliaire.
Je suis resté 8 ans dans ce diocèse.
En 2007 je décidais de rejoindre Montferrier ;
c’était en octobre et trois mois plus tard
je fêtais mes 82 ans.
Cette fois j’ai tout mon temps, mes paroissiens
de Puget-Théniers, ma dernière résidence,
m’ont offert un ordinateur;
alors je peux m’organiser pour me mettre
à l’informatique et rédiger mes souvenirs.
Excellente initiative !
Mais c’est la troisième fois que je m’y remets.
Est-ce l’âge, la méthode à suivre, le plan du récit,
la paresse ?... Quand on est totalement libre
on traîne, on regarde la télé, on se laisse vivre...
Toujours est-il qu’à ce jour
ça n’a pas beaucoup avancé !
Nous voici en février 2009
et je décide de m’y mettre sérieusement.
MA VIE MISSIONNAIRE
Petit à petit j’ai élaboré mon plan que je construis la famille nous y autorisait les uns après les autres à
autour de mon histoire personnelle. la demande de nos parents. Evidemment messe
Le voici : dominicale, communion et confirmation puis
- Ma famille jusqu’en 1938 l’Action Catholique : Croisade eucharistique, JOC
- Ma vocation et ma formation dans nos séminaires pour Yves, Enfant de Marie pour les filles, puis
- Ma vie en mission Michel : Cœur-Vaillant. Quant à moi ce fut le
- Ma vie en France : congés et séjours à Paris et à séminaire.
Montferrier - Ministère dans le diocèse de Nice Tous ceux qui fondèrent un foyer se marièrent
à l’Eglise ; moi prêtre, Geneviève religieuse.
Papa était fils et petit-fils d’ajusteur, fier de l’être,
MA FAMILLE nous racontant, termes techniques à l’appui,
On naît dans une famille, on y grandit, on y comment il avait appris à limer. Il travaillait à l’arsenal
reçoit une éducation jusqu’à la maturité, on la quitte de Puteaux (l’APX) comme son père (pépère Bellut)
alors pour en fonder une nouvelle ou pour vivre et son grand père que nous n’avons pas connu. A
selon un idéal particulier, vocation ou célibat. C’est l’image de son père, papa suivit à l’arsenal une
du moins la conception européenne, ou au moins formation de dessinateur industriel, et comme lui il
française de la famille, bien différente de celle que devint chef de bureau, ingénieur dessinateur.
l’on trouve en Afrique ; la grande famille englobe Papa s’est lancé en politique, ou plus exactement
les oncles et tantes, les grands parents, tous les le curé de la paroisse, l’abbé Muller, l’y a poussé. Il
ascendants, c’est en quelque sorte l’ethnie qui a une lui dit un jour : « Monsieur Bellut, vous devriez vous
grande importance pour la vie de la famille restreinte présenter aux élections municipales ; il est bon que
des parents et enfants. C’est ce que j’ai connu au des chrétiens participent à la vie de leur
Dahomey-Bénin au cours des quarante ans que j’y commune. » Papa devait avoir la trentaine. C’était
ai vécu. Mais fermons cette parenthèse et revenons l’époque du socialisme et du communisme qui venait
à la maison ! de naître. Il prit donc contact avec le maire sortant,
Ma famille qu’est-elle pour moi ? Le regard que un homme de droite je pense, et fut parmi les élus ;
j’ai posé sur elle a évolué tout au cours de ma vie il devint même adjoint au maire. Il n’a jamais été un
suivant les circonstances, l’âge, l’éloignement homme de droite mais un catholique social,
Quand on vit en famille, on ne se pose pas de s’inspirant des encycliques de Léon XIII (Rerum
question, tout au moins dans l’enfance, mais le jour novarum) et de Pie X (quadragesimo anno), du Sillon
où l’on s’en sépare c’est alors qu’on l’apprécie ; du de Marc Sangnier. C’est pourquoi il adhéra au PDP
moins ce fut mon cas. Je n’avais pas 13 ans lorsque (parti Démocrate Populaire) qui deviendra après
je suis entré au petit séminaire à Pont-Rousseau près guerre le MRP (Mouvement Républicain Populaire).
de Nantes. Cette rupture brusque dès le début de Il était un “battant” ne craignant pas de prendre la
l’adolescence me l’a fait découvrir et apprécier. parole en public, de participer aux campagnes
Famille exceptionnelle comme on en trouve peu, électorales, de porter la contradiction aux orateurs
surtout dans la région parisienne, en banlieue : communistes, se présentant comme seuls
- famille nombreuse, onze enfants défenseurs de la classe ouvrière et du prolétariat.
- famille profondément chrétienne Lui pouvait s’afficher comme ouvrier, chrétien et
- maman au foyer (ce qui à l’époque était courant) Les neuf aînés
- papa ouvrier, devenu cadre par la suite, militant
chrétien, ouvrier et, après la guerre militant familial,
- famille modeste où « l’on joint difficilement les
deux bouts » mais dans laquelle on a des principes,
en particulier l’école chrétienne.
Aller dans une école libre c’est coûteux mais
papa et maman ont toujours regardé cela comme
prioritaire. Nous avons fait notre communion privée
avant d’aller au catéchisme car nous avions un Denys

enseignement chrétien de base et, comme l’avait


demandé le pape Pie X, notre curé connaissant bien
4
MA VIE MISSIONNAIRE
père de famille nombreuse et non pas comme Avec mes parents
simple théoricien d’une idéologie. Il faisait parti de
l’équipe de rédaction du Courrier de Nanterre
hebdomadaire de la municipalité, continuellement
en lutte contre l’Eveil de Nanterre organe
communiste. Il avait une bonne plume même s’il
n’avait fait que des études primaires, style clair, à la
portée de tous et toujours respectueux des
adversaires, même quand ceux-ci se montraient
virulents pour ne pas dire insultants.
Quel avait été son parcours ? Aîné de trois
enfants (deux sœurs Suzanne et Louisette), il avait
perdu sa maman à la naissance de la dernière ; il
avait alors 14 ans. Elevé par son père (Pépère Bellut
que nous aimions beaucoup à cause de sa
gentillesse et de ses talents culinaires, il aimait nous
gâter) un brave homme sans aucune conviction
chrétienne. Je pense que c’est sous l’influence de
sa maman que papa a eu une éducation chrétienne,
alla au catéchisme, fit sa communion solennelle
comme de coutume à l’époque. Le soir même son
père lui dit, à ce qu’il nous a raconté : « Maintenant
que tu as fait ta communion, c’est fini ! » le petit Larousse est son grand-père. Alors des
Quelque temps après, en colonie de vacances, Delsarte, on en a entendu parler ! Pépère François,
il a fait connaissance de l’abbé Massenet dont il nous lui, est effacé et n’a pas droit à la parole. La famille
parla souvent comme celui qui lui fit découvrir Delsarte est de droite, pour ne pas dire d’extrême
l’Evangile et le Christ. Ce fut pour lui une vraie droite, Action Française, disciple de Maurras, Croix
conversion ; il reprit le chemin de l’Eglise, la pratique de Feu avec De Laroque etc...
religieuse régulière en cachette de son père. Sa Je me demande comment papa, militant
devise sera désormais, et pour toute sa vie : démocrate chrétien et simple ouvrier, ait pu avoir
« Cherchez le royaume de Dieu et sa justice, tout gain de cause près de mémé et se marier avec sa
le reste vous sera donné par surcroît. » fille. Je crois que la volonté de papa et l’amour
partagé par maman, leur foi profonde et leur prière
Mobilisé en fin de guerre de 1914 (en 1918 il
ont réussi à l’emporter. D’ailleurs mémé n’avait pas
avait 20 ans), il remarque au patronage de la
une tendresse bien particulière pour son aînée et,
paroisse de Suresnes où il vient aider en encadrant
par voie de conséquence, pour nous ses enfants,
les jeunes, une jeune fille discrète qui s’occupe des
auxquels elle préférait nos cousins. Si c’est avec joie
plus petits (les morveux délaissés de tout le monde,
que nous nous rendions rue des Damattes à Puteaux
comme il nous disait), Claire Portzert, âgée de
chez pépère Bellut pour y passer un dimanche et
18 ans. C’est le coup de foudre !...
nous régaler d’un bon repas avec rôti de bœuf cuit
Il fait des démarches près de sa famille ; il se à point, c’était un vrai pensum d’aller avenue
trouve que son père, François Portzert, travaille lui Georges Clemenceau chez mémé certains
aussi dans un bureau à l’arsenal de Puteaux et dimanches après-midi comme le demandaient les
connaît le père de papa. Cela facilite les démarches. convenances. Maman était dans ses petits souliers,
Ils se marient en 1920. craignant toujours que l’un ou l’autre ne fit ou ne
La famille Delsarte, dont est issue madame dit quelque chose qui lui déplût. La discussion entre
Portzert, (qui deviendra pour nous : “mémé”) est papa et nos oncles devenait vite politique : Action
une grande famille : Georges Bizet est le grand-oncle Française d’un côté avec Maurras comme prophète
de mémé, Maxime Réal-Delsarte, sculpteur contre démocrates, christianisme social et
réalisateur en particulier de la Jeanne d’Arc de encycliques des papes. Nous, après avoir obtenu
Rouen, est un cousin par alliance, et François d’écarter avec beaucoup de délicatesse les rideaux
Delsarte, pédagogue réputé dont le nom est dans de la fenêtre, nous regardions passer les autos et
5
MA VIE MISSIONNAIRE
autobus sur l’avenue. Quel soulagement quand n’avons jamais vu papa et maman se disputer le
papa, sur un signe discret de maman, décidait que moins du monde. Maman était vigilante mais
nous retournions à la maison. discrète, et ne rapportait jamais les sottises que nous
Voila donc le cadre de la famille. Les relations aurions pu faire, à papa qui était autoritaire et avait
ont évidemment évolué avec l’âge et les circonstan- la main leste. Pour nous c’était dans l’ordre des
ces. Pépère Bellut ayant rejoint Suzanne et ses en- choses !
fants pendant la guerre, en Algérie, mémé et Odette Pour être plus exact et ne pas parler au nom de
s’étant installées à Chaville adoptant Bernadette fille tous les frères et sœurs, je dois préciser que parmi
d’Yves devenu veuf à sa naissance, les autres frères nous il y a eu plusieurs “générations”. La différence
de maman Daniel, Serge et Emmanuel s’étant d’âge entre Blandine et Cécile est de 24 ans (1921-
mariés et installés chacun de leur côté, c’était la 1945). Le nombre d’enfants, l’âge des parents, les
dispersion les relations se distendirent, chaque fa- situations diverses et en particulier la guerre de
mille mène sa vie de son côté, c’est tout naturel. 1939-1945, me font distinguer entre ceux d’avant
Mais revenons en arrière, aux débuts de la famille guerre, les cinq aînés Blandine, Yves, Agnès, moi
fondée par papa et maman. En 1946 papa fit éditer et Geneviève ; puis ceux de la guerre : Michel né en
un petit opuscule de 78 pages, un témoignage qu’il janvier 1930 et Odile en avril 1932. Luc serait en
intitula : « Une grande et belle famille ? Oui... mais charnière : né en avril 1934 il a 5 ans à la déclaration
est-ce encore possible? ». Il le signa du de guerre et 11 ans en 1945. Jean est né en
pseudonyme : Jean Héand, prénoms de son décembre 1936 et Pierre juste avant la débâcle de
grand-père. Dans son avant-propos il écrit : 1940. Cécile est née après la guerre le 25 juillet
« L’auteur des pages qui suivent est père de onze 1945 ; elle avait deux neveux Marie-Geneviève et
enfants... Il se marie en 1920, au retour du régiment, Jacques et maman était âgée de 45 ans.
avec 500 F. d’économies. 500 F pour monter son L’éducation ne fut donc pas la même pour les
ménage... Les possibilités budgétaires sont alors de cinq premiers qui ne s’en sont pas plaint alors que
610 à 630 F chaque mois, salaire de l’ouvrier les suivants ont été ballottés par suite des
d’usine qu’est le chef du nouveau foyer : 100 F événements, ont changé plusieurs fois d’école, ont
pour le loyer, 100 F pour le crédit immobilier, 133 F vécu à Bargny papa n’y venant que le week-end.
pour le crédit des draps et du linge. Restent Pendant leur adolescence ils vécurent au milieu
péniblement 300 F pour vivre... et un bébé est né... d’une jeunesse contestataire, préconisant la mixité,
On mange de la viande, on boit du vin, une fois absolument contraire aux principes chrétiens d’avant
par semaine, le dimanche... mais la Providence guerre et d’après lesquels, même dans les
veille. Puis vient la promotion. D’ouvrier qualifié mouvements d’Action-Catholique, il y avait toujours
on passe dans les cadres etc. On n’a jamais d’argent séparation entre garçons et filles. Papa et maman
devant soi parce qu’il faut tout entier le consacrer qui avaient plus de 45 ans devaient admettre ces
aux enfants... Ecole ! Cinq simultanément nouvelles idées à contre coeur car elles étaient
fréquentent l’école libre et la cantine. Mais c’est favorisées par le clergé lui-même. Michel me suivit
une dépense sacrée, payée pour ainsi dire en à Pont-Rousseau en 1943, Yves était au STO
priorité... On ne va jamais au spectacle. Ça coûte (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne en
cher et ça disperse. Mais quand les premiers enfants 1943, Blandine et Agnès étaient mariées. Yves suivit
ont grandi, on va chaque année en vacances, à la de peu à son retour après la fin de la guerre. Michel
campagne, dans l’union et la joie de tous. La famille quitta le petit séminaire, Odile ne tarda pas à se
s’épanouit. » marier et Geneviève était entrée chez les Oblates de
Voila ce que j’ai découvert lorsque je l’ai quittée, l’Eucharistie en 1946. La famille s’était totalement
cette famille, à 13 ans en rentrant au petit séminaire. transformée même si la rue des Plaideurs restait un
Je sais maintenant que papa et maman ont eu bien centre d’attraction pour tous, surtout les petits
des soucis pour élever tous ces enfants mais nous enfants. Puis Michel partit travailler au Gabon et Luc
n’avons jamais eu à nous plaindre, nous n’avons se maria à son tour. Moi-même je ne me trouvais
jamais manqué de l’essentiel et nous vivions heureux en famille que pendant les vacances. Ne restaient
entre nous, nous contentant de ce que nous avions. plus que Jean jusqu’à son service militaire, Pierre et
Il y avait bien des chamailleries enfantines comme Cécile qui était plus proche de ses neveux Marie-
entre tous les frères et soeurs mais l’intervention des Geneviève, Jacques, Marc, Paul, Véronique, Patricia
parents et l’éducation chrétienne y remédiait. Nous etc...
6
MA VIE MISSIONNAIRE
La famille n’était plus ce qu’elle avait été ; plus je revenais à la maison durant mes vacances ou mes
que trois enfants à la maison et bientôt plus que congés.
deux, Pierre et Cécile, encore écoliers puis Après cette vue panoramique de ce que fut la
collégiens. vie de la famille à Nanterre jusqu’à mon entrée au
Papa et maman ont souffert de cette évolution, petit séminaire et ma formation préparatoire à ma
de cette remise en cause de tous les grands principes vie missionnaire, j’aimerais revoir en détail ce que
qu’ils avaient pratiqués et essayé d’inculquer à leurs fut son histoire à partir de 1936. Le Front Populaire
aînés et que les plus jeunes remettaient en question (Communistes unis aux Socialistes) remporta les
soutenus par l’ambiance générale de l’après guerre élections municipales. Papa se retrouva dans une
et qu’une grande partie du clergé paroissial opposition active en s’occupant toujours du Courrier
partageait volontiers. D’ailleurs tout cela aboutit, en de Nanterre. Mais cela ne dura pas très longtemps :
1968, à cette “chienlit” dont parla de Gaulle, à la guerre est déclarée en septembre 1939, puis c’est
l’abandon de la pratique religieuse que nous l’invasion allemande en mai 1940, et le changement
déplorons encore aujourd’hui. de régime. La France est coupée en trois : l’Alsace
Quant à moi je suivais un autre chemin, hors et la Lorraine sont annexées le reste divisé entre
de la famille, chemin qui était tout à fait en zone occupée, toute la côte Atlantique et de la
conformité avec l’éducation reçue à la maison et Manche, le nord de la Loire jusqu’à la Saône et la
qui se fortifiait par les études secondaires, la frontière Suisse. La troisième République se saborde
formation spirituelle que je recevais au séminaire, et donne au maréchal Pétain la responsabilité de
puis au noviciat et au grand séminaire. Je me tenais signer l’armistice. Il crée l’Etat Français qui s’installe
au courant par l’échange de courrier avec papa et à Vichy et dirige la zone non occupée, dénommée
maman, les vacances en famille. Je retrouvais alors plus couramment zone libre.
une famille éclatée, frères et sœurs mariés, prenant L’attitude des français devant ce chamboulement
à leur tour leurs responsabilités pour éduquer leurs a été bien différente chez les uns et les autres. Je
enfants. Les temps avaient changé mais nos parents pense pouvoir dire que la signature de l’armistice a
restaient toujours une référence imitée par les aînés été pour tous un soulagement même si c’était une
et parfois critiquée par les autres. Personnellement, humiliation : nous qui nous disions les plus forts :
avec le recul dans le temps et la distance j’ai toujours « Nous vaincrons car nous sommes les plus
admiré papa pour ses convictions personnelles, sa f o r t s ! » proclamaient de grandes affiches
foi, sa pratique chrétienne. Maman était beaucoup placardées sur les murs avec une planisphère
plus effacée, mais tout à fait en accord avec lui et représentant la France et l’Angleterre avec leurs
me le disant lorsque nous parlions seul à seul quand colonies occupant des territoires immenses. En un
Ordination

7
MA VIE MISSIONNAIRE
mois les Allemands avaient mis la France à genoux papa. Tous ses soucis étaient la famille : vivre et
et les anglais étaient retournés chez eux, alors autant même simplement survivre car la vie devenait de
arrêter la guerre le plus vite possible. Les allemands plus en plus difficile. Nous étions en vacances à
restaient nos ennemis dont nous aurions raison un Andelaroche au moment de la déclaration de la
jour ou l’autre, mais pour le moment il fallait guerre. Dès que ce fut possible, après l’invasion
continuer à vivre. Il y avait bien un général, nommé allemande et que les trains se remirent à fonctionner
ministre de la guerre dans le dernier gouvernement nous avons rejoint Nanterre, courant septembre.
qui s’était enfui à Londres et qui avait fait une Nous avons vu les premiers soldats allemands à la
proclamation au lendemain de l’armistice à la radio ligne de démarcation, à Moulins ; impression bizarre
anglaise, le 18 juin : « La France a perdu une bataille, et sentiment d’être devenus des prisonniers. Puis
elle n’a pas perdu la guerre ! » mais c’était un inconnu on s’y est fait ; ils avaient des surnoms : doryphores,
pour la grande majorité des français qui apparaissait frisés, fritz, fridolins. Papa n’aimait pas le terme
comme un illuminé demandant que les militaires et “boches” trop insultant à son goût et il n’était pas
les patriotes le rejoignent à Londres pour former question de l’employer à la maison.
une armée française au côté des Anglais. D’autres Il reprit son travail à l’arsenal.Yves, qui avait
irréductibles, surtout des militaires constituèrent des terminé son apprentissage, s’était trouvé un emploi
groupes secrets, surtout en zone libre, pensant que dans une imprimerie. Blandine et Agnès aidaient
Pétain avait des accords secrets avec de Gaulle pour maman à la maison, les autres en âge scolaire
préparer une revanche : on les appelait les allaient à l’école à Puteaux comme auparavant et
résistants, parfois les terroristes, à cause de leurs les trois derniers restaient à la maison. Quant à moi
incursions dans les fermes ou dans les villes pour j’étais retourné en quatrième à Pont-Rousseau qui
se procurer argent et ravitaillement. Ils trouvaient fut réquisitionné par les allemands en janvier 1941
que de Gaulle ne pouvait rien faire depuis Londres pour être transformé en hôpital militaire ; le petit
alors qu’eux pouvaient lutter sur place contre séminaire fut transféré rue du Ballet en pleine ville
l’ennemi. Il y avait parmi eux beaucoup de de Nantes. Le ravitaillement devint de plus en plus
communistes recherchés par les allemands et le difficile, surtout en ville ; les allemands
gouvernement Pétain qui avait interdit le parti. Mais réquisitionnaient céréales, animaux de boucherie,
la majorité des français acceptait le nouveau les importations étaient bloquées. Plus d’huile, plus
gouvernement et l’Etat Français remplaçant la de matières grasses, plus de vêtements ni de
IIIe République qui avait été incapable de mener la chaussures etc... Nous recevions des cartes de
guerre qu’elle n’avait pas préparée et était la cause rationnement pour le pain, le sucre, le beurre, la
de la défaite. viande, les chaussures, les habits. Papa se débrouille
Et papa dans tout cela ? Pour lui il n’était plus avec Yves pour aller à vélo dans la campagne
question de politique ; il attendait d’y voir plus clair. chercher ce qu’on veut encore bien leur vendre en
Nous avions un gouvernement qui continuait tant cachette. Puis commencent les bombardements
bien que mal d’administrer la France, occupée ou anglais. C’est alors que papa recherche un logement
non occupée. L’administration était en place, les à la campagne où la vie sera plus paisible et le
mairies fonctionnaient avec des municipalités ravitaillement plus facile.
soumises à l’autorité occupante ; les municipalités
de gauche, surtout communistes, avaient été
dissoutes et remplacées par des neutres qui géraient
les communes : état civil, ravitaillement, voirie etc.
Plus question de politique en zone occupée et bien
souvent il fallait s’adresser à la kommandantur pour
obtenir certaines autorisations. En zone libre on
voyait encore le drapeau français avec la francisque
et surtout un peu partout, mairies, écoles,
monuments publics, un immense tableau du
Maréchal, sauveur de la France. Plus de partis
politiques, plus de mouvements d’action
catholique : tous pétainistes ! Bargny, le château
Tout cela n’était évidemment pas du goût de
8
MA VIE MISSIONNAIRE
Il finit par trouver à Bargny dans l’Oise, une M. Comtesse, celui de Puteaux, M. Barthélémy, et
maison assez grande où un fermier, M. Triboulet celui de Suresnes, M. Sellier, pour accepter le poste
(père de Suzy qui se mariera avec Yves en 1946) de Conseiller Départemental de la Seine. Ces trois
loge quelques ouvriers agricoles. Mais la maison est maires socialistes, donc opposés aux Démocrates
vaste, à Bargny on l’appelle “le château”, et papa la avant guerre, connaissaient bien papa et
meuble de bric et de broc en achetant des meubles l’estimaient, bien qu’adversaires. D’ailleurs ce poste
d’occasion à des ventes aux enchères qui ont lieu n’avait rien de politique, il consistait à administrer le
dans le coin. département, Paris et les arrondissements de
Toute la famille émigrée, s’installe, s’organise, St Denis et de Sceaux, pour le ravitaillement, la
cultive un potager, établit un poulailler, élève un ou voierie, la santé, la famille etc. Donc représenter la
deux cochons nourris grâce au son fourni par la France face à l’occupant. Une seule chose faisait
ferme et les betteraves ramassées sur les routes au hésiter papa : il devait faire serment au Maréchal. Il
moment de la récolte ou les céréales et les pommes posa la question : « Dois-je faire le serment au
de terre glanées dans les champs. La ferme nous maréchal Pétain ou au chef de l’Etat ? » : question
donne du blé écrasé, qui, une fois tamisé, fournit la subtile que les autres ne s’étaient pas posée mais
farine avec laquelle nos ménagères fabriquent du qui avait une grande importance pour lui qui ne
pain cuit au four de la cuisinière. On mange à sa voulait à aucun prix être regardé comme pétainiste.
faim ce qui est très apprécié par tous en particulier Il était prêt à rendre service à ses concitoyens mais
ceux qui viennent de Paris ou la banlieue. Blandine n’avait jamais voulu pratiquer le culte de la
est alors mariée, mère de deux enfants, habite à personnalité.On lui répondit que ce n’était qu’une
Suresnes mais ne tarde pas à rejoindre Bargny. Papa formalité. Il accepta donc, surtout que les
et Yves qui travaillent passent la semaine à Nanterre émoluments attachés à la fonction amélioreraient
et rejoignent la famille tous les vendredis soir pour sérieusement la situation financière de la famille. Il
repartir au travail le lundi matin avec Agnès ou se rendait donc à l’hôtel de ville de Paris, avec sa
Geneviève. Elles tiennent la maison et font la cuisine vieille bicyclette, chaque fois qu’il y avait une réunion,
alternativement pour les travailleurs. Puis papa au moins une fois par semaine.
propose à la cousine Geneviève d’envoyer à Bargny Cela dura jusqu’en 1944. Pétain vint à Paris en
Marie-José et Annick pour qu’elles profitent des mars et fut accueilli triomphalement par une foule
avantages qu’on y trouvait. Tous ceux qui ont vécu enthousiaste... Quatre mois plus tard, le 25 août
là-bas en ont gardé un très bon souvenir de la vie c’était au tour du général de Gaulle le libérateur !...
au “château de Bargny”. Personnellement je l’ai La girouette avait tourné, d’ailleurs beaucoup
apprécié pendant les vacances où je rejoignais tout pensèrent alors qu’il y avait une certaine connivence
le monde. entre les deux hommes et qu’il y aurait réconciliation
J’étais donc à Pont-Rousseau que j’ai rejoint en après la fin de la guerre. On connaît la suite. Papa,
octobre 1940 pour la classe de quatrième. En qui était avec nous en vacances à Bargny, voyant
Janvier 1941 nous avons dû rejoindre la rue du que les alliés approchaient de Paris nous quitta pour
Ballet, en pleine ville de Nantes, dans un ancien retourner à Nanterre estimant qu’il devait assumer
collège des frères des Ecoles Chrétiennes. Mes liens ses responsabilités et ne pas sembler s’être enfui
avec la famille c’est le courrier que je reçois de pour ne pas être arrêté comme “collaborateur”. Il
maman, Blandine ou Agnès. Parfois de papa qui, s’est rendu à l’hôtel de ville de Paris pour voir
outre les nouvelles, me donne des conseils ou ses comment les choses tournaient, tout étonné de voir
impressions sur la situation. J’ai gardé une grande des FFI poursuivre des Allemands et vice versa, se
partie de ce courrier reçu durant tout mon séminaire mitraillant mutuellement, l’obligeant à se mettre à
jusqu’à mon ordination et même en Afrique. Je suis l’abri en rentrant dans les porches des immeubles.
sans doute celui qui est le plus au courant de la Arrivé à destination il fut encore plus surpris de voir
pensée de papa sur les événements, le déroulement un homme en armes avec un brassard FFI lui
de la guerre. Il a été sollicité par ses amis du PDP barrant l’entrée et lui disant : « Circulez ! ! — Mais,
qui militaient dans la résistance mais a refusé de se je viens à la réunion ! — II n’y a pas de réunion ! »
joindre à eux estimant que sa situation de père de Papa réalisa alors que la situation était sérieuse,
famille nombreuse ne l’autorisait pas à courir de enfourcha son vélo et revint à Nanterre. C’était la
tels risques. libération. Il pensa qu’il n’avait plus qu’une chose à
Par contre il fut sollicité par le maire de Nanterre, faire : attendre que l’on vienne l’arrêter comme
9
MA VIE MISSIONNAIRE
collaborateur. Personne ne vint ; alors il fit comme Une série d’événements importants se déroula
tous les voisins, se procura un drapeau tricolore alors : Vatican II, mai 1968, qui furent des épreuves
qu’il mit à la fenêtre et le lendemain prit son vélo lourdes à porter pour papa et maman qui se
pour nous rejoindre à Bargny. montrèrent toujours exemplaires dans leur fidélité
Là encore toute une aventure ; traversée de Paris à l’Eglise.
libéré, route de Soissons, les résistants, au Bourget, En 1970 ils fêtèrent leurs noces d’or. Tous les
lui déconseillent de continuer, c’est le “no mens frères et sœurs se cotisèrent pour leur offrir, par
land”. Un peu plus loin des allemands dans le fossé anticipation un beau cadeau : un voyage au
avec une mitrailleuse, des fusils : « Halte ! ». Papa Dahomey où ils passèrent Noël 1969 et le jour de
est emmené au PC interrogé, s’explique, est mis en l’an avec moi. J’étais alors supérieur régional et je
garde à vue une demie journée, récite pas mal de devais organiser un peu partout des réunions S.M.A.
chapelets est relâché et nous arrive à Bargny. Tout en vue des assemblées de Rome et de Lyon. Je les
le monde saute de joie et demande comment il a ai donc emmenés avec moi et nous avons pu
réussi à arriver. « Allons d’abord à l’église, j’ai promis parcourir tout le pays du nord au sud.
qu’on y réciterait une dizaine de chapelet avant La célébration des noces d’or eut lieu en mai, à
tout. » C’est ce que nous avons fait, puis papa nous Sainte Marie-des-Fontenelles, présidées par
raconta son épopée. Mgr Guilhem, évêque de Laval et ancien curé de la
Par la suite il dut passer à l’épuration, tribunal paroisse. Je concélébrai (fis l’homélie) avec les
populaire de la résistance qui déterminait si l’accusé anciens curés, vicaires, et prêtres amis. Au vin
avait été un collaborateur, mais on ne put rien lui d’honneur papa, intarissable orateur, dans un
reprocher et l’affaire fut close. Il comprit alors qu’il discours plein d’émotion, remercia le Seigneur, de
était inutile de vouloir se lancer à nouveau dans la toutes les grâces reçues, en particulier d’avoir
politique où on le traiterait “d’ancien collabo”, même épousé maman avec laquelle il avait élevé une belle
si le PDP renaissait de ses cendres en devenant le famille dont ils étaient fiers. Il termina, comme le
MRP Il préféra se lancer dans l’action familiale, vieillard Siméon, par son “Nunc dimitis…”.
adhéra à la FFF (Fédération des Familles de France). (Maintenant Seigneur, tu peux laisser ton serviteur
Membre du bureau national il en devint président partir en paix…) Il ne se doutait pas que Dieu le
et, à ce titre, il fit parti de L’UNAF (organisme reconnu prendrait au mot. Un cancer se déclara et il mourut
comme partenaire officiel du ministère de la Famille). deux ans plus tard. Maman le suivit le 1er Octobre
Il en fut même vice-président. 1974 ; tous deux moururent âgés de74 ans.
L’âge avançait, en 1958 papa eut ses 60 ans et Une page était tournée. A ce jour 17 février 2009
donc la retraite. La famille s’était éparpillée : Blandine les descendant directs de nos parents : enfants,
et Yves avaient construit à Rueil, Agnès était à petits-enfants, arrière-petits-enfants et arrière- arrière
Mareuil, moi au Dahomey, Geneviève chez les petits-enfants sont au nombre de 188...
Oblates, Michel, qui avait quitté Pont-Rousseau, avait ... BELLE FAMILLE !
fait une formation mécanique auto dans un garage.
Après un séjour au Gabon revint en France, se maria
avec Marie- Jo. Ils s’installèrent à Yerres dans La famille aux 40 ans de mariage

l’Essonne. Odile, Mano et leurs enfants se trouvaient


à Varrèdes. Luc se maria après son service militaire,
s’installa à Nanterre puis à Rueil et enfin à Caudebec
en Caux où il avait trouvé du travail. Enfin Jean et
Pierre se marièrent à leur tour. Cécile, devenue
infirmière, restait seule, rue des Plaideurs, avec papa
et maman.
Papa, toujours en forme et dynamique, donna
sa démission des mouvements familiaux et se trouva
une nouvelle activité en Seine-Maritime, à Goumay
en Bray, comme directeur d’une imprimerie et d’un
hebdomadaire local, l’Eclaireur Brayon. Il s’y rendait
chaque semaine deux ou trois jours.
10
MA VIE MISSIONNAIRE
VOCATION – FORMATION Il est évident que l’exemple de nos parents et
l’éducation que nous recevions à la maison, la
fréquentation du catéchisme, de l’école chrétienne,
Petit séminaire - Pont-Rousseau
de la Croisade Eucharistique, tout, favorisait
Ma vie a bifurqué en septembre 1938 à mon l’éclosion d’une vocation. D’ailleurs Geneviève qui
entrée à l’Ecole Apostolique du père Dorgère, nom me suivait de deux ans, s’est sentie elle-même, toute
officiel du petit séminaire des Missions Africaines - jeune, attirée par la vocation religieuse et s’est
Pont-Rousseau, près de Nantes. C’était le chemin engagée à vie.
normal pour aboutir à la réalisation de ma vocation Je n’ai aucun souvenir précis de l’âge que j’avais
missionnaire. quand j’ai fait mon choix de devenir prêtre et
D’où m’est venue cette vocation ? Quand ? missionnaire, mais je suis certain que j’étais déjà
Comment ? Je me suis souvent posé ces questions décidé lorsque j’ai fait ma communion solennelle et
sans pouvoir y répondre de façon précise. reçu la confirmation en 1935. J’avais alors 9 ans et
demi.
Comme je l’ai dit, l’ambiance familiale ne pouvait
qu’encourager ce choix mais sans me pousser le
moins du monde. Au contraire, papa et maman se
posaient quelques questions en voyant mon
caractère qui leur rappelait celui de mon oncle, frère
de maman, qui avait désiré être prêtre, avait porté
la soutane et avait finalement renoncé durant le
grand séminaire. J’étais enfant de chœur et chaque
matin papa, qui allait à la messe, me réveillait pour
que je l’accompagne. C’était la messe de 6 h 30, j’y
La vocation est quelque chose de mystérieux. communiais et je revenais à la maison pour déjeuner
Bien des enfants disent : « Quand je serai grand je et partir ensuite à l’école de Puteaux avec mes frères
ferai ceci ou cela » ; bien peu réalisent leur souhait et sœurs.
qui est plutôt une utopie. Ils ont bien des Autre souvenir qui me montre comment ma
changements d’orientation en cours de route. vocation s’est précisée et affermie. Si nous n’avions
Beaucoup de ceux qui se sentent appelés à la pas la TSF (encore chose rare à l’époque, quant à
vocation religieuse, le sont dès leur jeune âge, la télévision ça n’existait pas) nous allions à la salle
souvent avant l’adolescence ; je l’ai constaté en des fêtes de la paroisse pour voir des films, des
questionnant des confrères, des religieuses. Les représentations théâtrales ou des conférences. Des
motivations sont souvent étonnantes au départ, mais religieux nous parlaient de leurs congrégations
se précisent peu à peu au cours de la formation où (enseignants, moines, hospitaliers ou
l’on découvre combien cet idéal est exigeant. Un de missionnaires...). Un certain dimanche celui qui est
nos prédicateur de retraite nous a dit : « Le sacerdoce venu était un simple missionnaire qui revenait
n’est pas une voie de garage pour ceux qui d’Afrique. Lui il y était réellement allé ! Il nous a fait
recherchent la tranquillité, la sécurité, pour les une conférence avec des projections où on le voyait
paresseux ! » Pour aboutir il faut toujours de la entouré de ses chrétiens devant son église et les
persévérance dans un milieu favorable. Dans notre cases couvertes de paille ! Voilà ce que je voudrais
environnement actuel, du moins en France, dans être ! J’ai été très impressionné. Est-ce ce jour-là
notre monde permissif, engendré par les que j’ai reçu la vocation ? Ce père, auquel je n’ai
événements de 1968, beaucoup de jeunes pleins pas parlé, je pense que c’était le Père Duhil qui
de générosité osent rarement s’engager à vie. Suivre revenait de Côte-d’Ivoire et devint procureur à Paris,
un appel de Dieu demande une ascèse, une avec lequel je fis connaissance par la suite après
discipline de vie. Cela dans le sacerdoce ou la vie être rentré à Pont- Rousseau.
religieuse, mais aussi dans le mariage chrétien ; c’est Mon choix définitif date de 1935. J’étais dans
peut-être ce qui explique que beaucoup hésitent à ma dixième année, en CM1, et je revenais de l’école
fonder un ménage chrétien en recevant le sacrement avec Michel et nous arrivions à la maison, au
du mariage qui suppose lui aussi un engagement carrefour de la rue de la Source. Nous croisons un
à vie. militaire en uniforme bleu horizon, képi et bandes
11
MA VIE MISSIONNAIRE
molletières ; il nous croise puis revient sur ses pas meilleurs et les plus chauds. Demain (ma fête,
et me demande si je ne suis pas un des enfants de la Saint Denys) j’aurai une pensée toute
chœur de Ste Bernadette, la chapelle qui était spéciale pour toi, pour ton avenir, pour ta
derrière chez nous. Je lui réponds affirmativement. vocation sacerdotale et missionnaire, si le
Il me dit alors : bon Dieu le veut... Je suis passé à Nantes le
24 septembre ; on a triplé les bâtiments...
- Que veux-tu faire plus tard ? pense donc 225 élèves au lieu de 80, lorsque
- Je veux être prêtre ! j’y étais... »
- Ah, bon. En France ? Une autre du 12 octobre 1938, expédiée de
- Non, je veux être missionnaire, aller en Afrique, Lyon, alors que le Père Mercier se préparait à partir
chez les Noirs ! pour Marseille et le Dahomey :
- Alors ça, c’est formidable ! Moi aussi, je veux « Mon cher Denys, Un simple mot pour te
être prêtre, missionnaire et aller chez les noirs en dire combien j’ai regretté de n’avoir pu te voir
Afrique. Où habites-tu ? avant de partir. Il convenait pour ma famille,
Je lui montre la maison. que je passe à Paris... Du moins ai-je eu le
- Eh bien, dis à ton papa que demain soir je plaisir de passer à Nanterre. J’ai rencontré
toute la famille, dimanche matin. Evidemment,
vais aller le voir.
on a beaucoup parlé de Denys, du voyage et
Arrivé à la maison, je n’ai rien dit à personne, de ses débuts là-bas. Je vois que tu es bien
Michel non plus d’ailleurs... mais le lendemain soir en train, maintenant. L’épreuve est passée. Tu
au retour de l’école “mon militaire” était là, discutant te prépares à l’Afrique... Oui, mon petit Denys,
avec papa. Il s’était présenté à lui, qui se demandait travaille, prie, sacrifie-toi pour les Chers Noirs
ce que pouvait bien vouloir ce jeune militaire. que tu aimes déjà, j’en suis sûr. Ils attendent
C’était l’abbé Victor Mercier, séminariste des beaucoup de toi... et nous autres aussi, tes
Missions Africaines, qui faisait son service militaire aînés en terre païenne...Notre cérémonie du
Départ aura lieu vendredi soir, 17 h 30 sous la
au Mont Valérien dans le 8è des transmissions. Il
présidence du cardinal Gerlier. Il y aura foule,
venait à la messe tous les dimanches à Ste foule... Nous sommes douze partants comme
Bernadette avec quelques camarades pratiquants les apôtres !... Ne m’oublie pas dans tes
et m’avait reconnu dans la rue comme un des prières... Allons, au revoir, sois un bon et saint
enfants de chœur. Evidemment, la maison lui fut séminariste, déjà un apôtre, un missionnaire.
ouverte et il se trouva sur place une nouvelle famille. Je t’embrasse bien cordialement en N.S.
Son service terminé il retourna au grand séminaire Victor Mercier.
du 150 cours Gambetta à Lyon, fut ordonné prêtre Je ne le reverrai qu’au Dahomey dès mon
le 6 janvier 1938. Il resta très attaché à la famille ; il arrivée, fin septembre 1951. Quelles retrouvailles !
partit en mission au Dahomey en octobre 1938, y Nommé professeur au collège Aupiais où la rentrée
passa la guerre et revint en France en 1945 alors n’avait lieu que le 1 er octobre, je profitais des
que j’étais déjà entré au noviciat à Chanly. Nous ne quelques jours de vacances scolaires qui restaient
nous sommes retrouvés qu’en 1951, au Dahomey pour aller le voir dans sa mission d’Agoué, une des
où je fus nommé moi-même, pour mon premier plus anciennes du Dahomey fondée dès 1865
séjour, comme professeur de cinquième au collège environ. Vieille bâtisse coloniale, rez-de-chaussée en
Aupiais. Je suis allé lui rendre visite à Agoué où il briques, à l’origine salles de classes, l’étage en bois
était supérieur de la mission. avec véranda circulaire. En face la cocoteraie qui
Providentiellement mon chemin était tout tracé. avançait jusqu’à la plage, à 200 m. Les circonstances
J’entrerai aux Missions Africaines, en commençant ont voulu que je devienne Supérieur Régional en
par le petit séminaire, dès que j’aurai obtenu mon 1966. Il était alors devenu vicaire à Comé, puis à
Certificat d’études, ce qui eut lieu en 1938. 60 ans il a demandé à revenir en France. Le moral
J’ai retrouvé dans mes archives une lettre de n’était plus très brillant car il se sentait vieillir. En
l’abbé Mercier datée du 8 octobre 1937 : 1993 je l’ai retrouvé dans notre maison de retraite
« Merci de ta petite carte d’Ivors ; je l’ai où je suis resté trois ans comme supérieur. Nos
reçue très tard. Je me trouvais alors en colonie chemins se sont séparés à nouveau car je suis
de vacances près de Mende, on a sans doute retourné à la paroisse du Sacré-Cœur de Cotonou.
oublié de me la faire suivre... Reçois donc, mon Revenu moi-même définitivement en France en
petit ami, mes souhaits de bonne fête les 1999 je l’ai retrouvé à l’occasion de passages à
12
MA VIE MISSIONNAIRE
Montferrier mais il était en mauvaise santé, avait réputation d’homme sévère qui était l’ancien
perdu la mémoire, ne me reconnaissait pas. Il est supérieur d’Offémont) auquel il déléguait la plupart
décédé à Montferrier le 11 février 2004 (c’était la de ses fonctions par suite de la difficulté qu’il avait à
veille de mon 53è anniversaire d’ordination) il était parler ; il devait avoir une maladie du larynx.
âgé de 90 ans. C’est à moi que l’on a demandé de D’ailleurs il fut remplacé en 1939, affecté à la procure
présider ses obsèques. de Marseille, où je devais le revoir en 1951 lorsque
Le 24 septembre 1938 papa et maman je partis pour la première fois en mission. Il s’est
m’accompagnèrent jusqu’à Pont-Rousseau. C’était montré ce jour là d’une gentillesse exceptionnelle
un samedi ce qui permettait à papa de disposer de envers moi, alors qu’il s’était fait, auprès des
sa journée mais la rentrée effective n’avait lieu que confrères qui devaient avoir recours à ses services
le lundi. Enfin je réalisais mon désir le plus profond : pour débarquer ou embarquer, la réputation d’être
devenir missionnaire. Ce jour m’est resté en un vieux ronchon ! Sans doute se souvenait-il de
mémoire. Nous avons pris le train pour Nantes à la mon arrivée à Pont-Rousseau.
gare d’Orsay car papa avait choisi de passer par Papa et maman ont pris congé assez vite,
Orléans. Cette gare n’existe plus, elle a été prétextant l’heure du train, nous nous sommes
transformée en musée et les départs se font depuis embrassés, ils ont pris le chemin de la sortie et j’ai
celle d’Austerlitz, mais la SNCF venait tout juste suivi le Père dans un couloir qui me parut
d’être créée et regroupait tous les anciens réseaux : interminable, sans me retourner. C’est alors que j’ai
Nord, Est, PLM, PO, Etat et Midi. C’était mon premier ressenti la rupture. Je n’avais pas 13 ans et la famille,
grand voyage. Je me souviens de la Loire que nous c’était fini !... Du moins ce fut mon impression ; je
avons longée, des vignes rencontrées à partir me trouvais perdu dans cette immense maison
d’Angers. Arrivés à Nantes un frère nous attendait comme un oiseau pris au piège et mis encage. Papa
avec la Peugeot 202 du séminaire car papa avait et maman m’ont dit par la suite qu’ils n’étaient pas
prévenu le Supérieur de notre arrivée et il avait eu sortis immédiatement, étaient revenus pour me voir
la gentillesse de nous envoyer la voiture. disparaître au bout de ce long couloir : ils avaient le
Arrivés au séminaire le frère nous a accompagné cœur bien gros. Papa m’avait dit, avant de quitter la
au parloir, salle austère badigeonnée à la chaux, maison rue des Plaideurs: « Si tu ne te plais pas là-
meublée de quelques chaises et d’une table bas, écris moi “tout va bien et je pense souvent à
centrale ; le Frère partit chercher le Supérieur. Papa tonton Yves’’ (celui qui avait été séminariste) ; dans
et maman restaient silencieux et moi tout bizarre, les 24 h je reviens te chercher. » Je ne m’en
regardant cette salle qui me parut froide. Le Père souvenais plus mais papa me l’a rappelé plus tard
Supérieur arriva, la quarantaine, bossu, la barbe d’un lorsque nous nous remémorions cette journée
blond tirant sur le roux, la voix éraillée, s’efforçant éprouvante. Personnellement je voulais tenir le
de paraître aimable. Il fit connaissance et, sentant coup : je m’étais engagé, il n’était pas question de
l’émotion des parents qui se séparaient de leur revenir en arrière. Pendant huit jours j’eus un cafard
enfant, le premier à quitter la famille pour être en terrible, cela ne m’était jamais arrivé. Le soir je
“pension” à 400 km de la maison, les tranquillisa pleurais en silence dans mon lit avant de m’endormir.
en leur disant : « N’ayez pas crainte, il sera très Avoir quitté la famille était pour moi un déchirement
bien ici et dans trois mois il retournera à la maison indescriptible.
pour Noël. » (pieux mensonge, les premières Je suis heureux d’avoir conservé la
vacances étaient à Pâques, en avril). correspondance de la famille tout au long de ma
Ce Père, Marius Micoud, était bon en réalité. Il vie et j’ai profité de mon temps libre pour la classer
prenait la direction du petit séminaire, dénommé et la parcourir. Voici quelques lettres ou extraits qui
officiellement : Ecole Apostolique du Père Dorgère, datent de cette époque et m’ont fait revivre cette
qui regroupait tous les petits séminaristes du nord séparation de la famille.
de la France, ceux du premier cycle (de la sixième à La première en date est d’Agnès ; elle est du
la quatrième) et ceux du deuxième cycle qui se 26 septembre :
trouvaient auparavant à Offémont, dans 1’Oise. Les « Mon cher Denys, tu me manques un peu,
travaux d’agrandissement venaient de se terminer, mais je me console en pensant que tu nous
ce dont parle le père Mercier dans sa lettre citée écriras de temps en temps... Papa et maman
plus haut. Le père Micoud était assisté du directeur m’ont dit qu’en te séparant d’eux tu as eu la
le Père Directeur (Barathieu 56 ans alors, à la larme à l’oeil, ce qui est tout à fait normal chez
13
MA VIE MISSIONNAIRE
un enfant et même chez une personne abbé Massenet me l’a dit souvent quand j’étais
puisque papa l’avait aussi, presque et que jeune : “Le Bon Dieu nous prends, nous attire
maman se retenait et en sortant s’est laissée d’abord à lui avec des confitures, comme des
aller à son petit chagrin... Agnès. enfants, après il nous traite comme des
P.S. en ce moment nous sommes tout près hommes” ».
de la guerre et maman a vu sur le journal qu’on Tu t’es réjoui de partir au séminaire, tu étais
va distribuer des masques à gaz. » tout joyeux à ton départ et pendant le voyage,
Même date, de maman : il n’était pas possible que tu n’aies pas de
peine ; sans peine, sans douleur il n’y a pas
« Mon cher petit Denys, voila déjà deux de mérite et le Bon Dieu a besoin que nous
jours que tu goûtes à ta nouvelle vie... je méritions, d’abord pour aider au rachat des
voudrais être de huit jours plus vieille pour avoir âmes ensuite pour nous former, pour nous
tes impressions sur ta vie de nouveau fortifier nous-mêmes. Je pourrais dire :
pensionnaire. Remarque que je ne doute pas “console-toi, les Pères avec qui tu es seront
un seul instant de ce que tu nous diras, tu as une seconde famille pour toi et puis, nous, tes
trop désiré être missionnaire pour te laisser parents, nous sommes toujours là pour que tu
décontenancer par les changements qui vont puisses épancher ton cœur, tu n’es pas seul
s’opérer dans ta nouvelle vie. Je sais très bien et abandonné” tout cela est vrai, très vrai, mais
que d’ici huit jours, avec ta facilité d’adaptation, je préfère te le dire : sois sûr que le Bon Dieu
tu t’imagineras être à Pont-Rousseau depuis t’aime, veut ton bien et sait mieux toucher les
longtemps... Travaille bien, là tu es dans le cœurs qu’aucun être humain. Aie donc en Lui
calme, tu n’as rien qui puisse te déranger la confiance la plus absolue. Tu nous dis que
comme chez nous avec tes petits frères. Ta tu es allé samedi dire une dizaine de chapelet
maman qui t’embrasse bien fort, Claire. » à la chapelle et que cela t’a consolé car tu étais
De papa, le 27 septembre, trois jours seulement triste : sois sûr que c’est le moyen le plus direct
après notre séparation : d’être heureux.
D’ailleurs je suis persuadé que quand tu
« Mon cher Denys, je rentre d’une petite
recevras cette lettre il y aura longtemps que
réunion et il est onze heures du soir, je suis
tout cela sera oublié parce que bien d’autres
donc bien tranquille pour venir bavarder avec
choses auront occupé ton esprit et nous avons
toi. Nous avons bien reçu ta première lettre de
hâte de lire ta prochaine lettre où tu nous fera
dimanche où tu parles bien à coeur ouvert et
participer à l’emploi de ton temps et à
cela nous a fait plaisir de recevoir dès
l’organisation de ta vie. Dis nous également si
aujourd’hui de tes nouvelles. Je note que, si
tu as besoin de quoi que ce soit, nous te
samedi tu as été un peu triste, cela allait déjà
l’enverrons. Ici tout le monde pense beaucoup
mieux dimanche et que tu t’habituais à la vie
à toi et, ta maman et moi nous avons décidé
de séminaire. J’ai noté surtout cette phrase :
d’ajouter à notre prière du soir une invocation
“Quand on veut être missionnaire il faut savoir
à Ste Thérèse, patronne des missions, à ton
faire des sacrifices”. Vois-tu mon cher Denys
intention. Demain je vais à la messe et
tu es entré samedi dans ta vie d’homme, à partir
également vendredi jour de sa fête. J’aurai une
de cette date tu n’es plus tout à fait un enfant
pensée toute spéciale à ton intention.
et les soucis, les petits ennuis de toute vie vont
commencer pour toi. Crois-en mon expérience, Au revoir donc mon cher Denys, tu es en
le Bon Dieu sait parfaitement mesurer pour ce moment celui de mes enfants auquel je
chacun la part de peines qu’il peut supporter pense le plus et je te redis toute mon affection.
et II envoie des petits ennuis (chacun doit Ton père qui t’embrasse et te souhaite bon
porter sa croix). Il donne aussi à chacun la courage.
force de les supporter et des consolations
intérieures que rien ne remplace. Je suis sûr
Mon cher petit Denys.
que déjà tu t’es fait à la situation et que tu as
accepté ce petit changement de vie avec Il reste un peu de place aussi j’en profite
beaucoup de générosité. Ne t’étonne pas, toi pour venir t’embrasser et te dire combien nous
qui n’as jamais eu le cafard d’avoir connu un avons été tous heureux de recevoir de tes
peu cette sale bête samedi. Vois-tu, ça aussi nouvelles ce matin. Ta maman qui t’embrasse
c’est dans l’ordre. Le Bon Dieu procède bien fort.
toujours ainsi avec les âmes qu’il aime. Le bon Claire. »
14
MA VIE MISSIONNAIRE
Et les lettres se succèdent : de maman le compte de l’heureux résultat de sa manière de
29 septembre 1938 procéder puisque nous n’avons pas été gagnés
« Je viens de recevoir ta deuxième lettre par ton ennui tandis que tu as retrouvé ton
et vois-tu avant de l’ouvrir j’ai compris que mon humour.
petit Denys devait avoir quelque chose de pas Tu vois, grâce à cette lettre si franche, où
normal. Je ne me suis donc pas trompée, je tu épanchais ton cœur un peu triste nous nous
crois bien deviner que... ce n’est pas le frisson sommes tenus auprès de toi par la pensée et
que tu es parvenu à avoir, mais que c’est cette par la prière et nous avons un peu “forcé” la
autre chose que tu n’as jamais connue, cette grâce puisque tu es redevenu toi-même avant
vilaine bête que l’on a surnommée... le “cafard”. le délai qui es, parait-il, habituel en pareille cas
Te rappelles-tu que nous t’avions prévenu, et que monsieur l’abbé Beaunier estimait à
c’est la première séparation, et puis aurions- deux mois.
nous du mérite si nous n’avions que la joie, toi Puisque tu nous as parlé des “affaires
d’être missionnaire et nous de savoir que le étrangères” en nous disant que tu avais appris
Bon Dieu a choisi parmi vous un de ses que ça avait été mal, je t’en toucherai deux
apôtres ? Ce sont les premières petites mots maintenant que c’est fini. Nous avons été
épreuves qui nous arrivent, car nous de notre très, très près de la guerre. Le samedi 24 où
côté avons aussi souffert en pensant que tu nous t’avons quitté nous sommes rentrés le
passerais par là. Mais c’est un petit effort à soir par un train qui ramenait aussi les
faire pour surmonter cela et la joie apparaîtra réservistes rappelés le matin. Il y en avait dans
plus grande après.... Tu as dû recevoir une notre compartiment de 1re classe déclassée en
lettre de moi et une de papa, plus celle d’Agnès 2è, car ils devaient prendre les rapides. Lundi
ce qui te prouve que tu es toujours présent et mardi cela allait assez mal mais le pire fut le
par la pensée parmi nous, car vous avez beau mercredi. Je t’avais écrit ma dernière la veille
être nombreux vous avez chacun votre place mais sans t’en parler car j’avais à t’entretenir
particulière. » de tes affaires personnelles. Donc le mercredi
étant allé à la messe de 6 h 30, je vis l’abbé
Ont signé ensuite tous les frères et sœurs.
Reynas monter à l’autel, se retourner avant
Les lettres se succédaient venant des uns et des de dire sa messe et nous adresser ces
autres : le 30 septembre, de Blandine, le 4 octobre paroles : “II n’y aura que cette messe
de Michel, Odile et Luc, puis à la même date de aujourd’hui : M. le Curé est parti dire au revoir
Maman et Agnès. Tout cela a dû donner le tournis à sa mère en Bretagne et M. l’abbé Pernot a
au supérieur qui contrôlait tout le courrier, au départ été mobilisé hier soir.” Tu juges si cela a jeté
comme à l’arrivée, comme prévu dans le règlement un froid. Je sors après la messe et vois
à l’époque. M. Moulin qui me dit qu’Hitler a lancé un
ultimatum pour l’après-midi à 2 h ! En cas de
Voici, in extenso, la lettre de papa du mercredi mobilisation tous les prêtres de la paroisse s’en
5 octobre, donc dix jours après mon entrée. allaient, M. Moulin aussi et M. le Curé avait
« Ta lettre d’hier nous a tant fait plaisir que songé à remettre un certain nombre de
je t’écris moi aussi bien que maman l’ait déjà charges à M. Couquiaut, à M. Glaisner et à
fait hier. Aussi je risque fort de ne te dire que moi-même. Heureusement, l’après-midi la
des choses que tu sais déjà ! Tant pis, quand nouvelle arrivait à Paris d’une réunion à Munich
tu seras tout à fait habitué tu ne recevras pas de Hitler, Mussolini, Daladier et Chamberlin.-
si souvent qu’en ce moment sans doute des Tout s’est arrangé rapidement- Je n’entre pas
lettres de Nanterre. Le Père supérieur, si tu te dans des détails qui ne peuvent pas
souviens, ne tenait pas tellement à un échange t’intéresser. Sache seulement que la guerre a
de correspondance nombreuse car il craint été arrêtée d’une façon très visiblement
que cela ne distraie les jeunes gens de leurs miraculeuse et qui a ému beaucoup
études. Pour toi et pour nous le Père a été d’incroyants. M. Cassier a été tout retourné
très bon puisque ta deuxième lettre, celle de (prie beaucoup pour lui car il est sur le bon
mardi 27 septembre, assez triste de ta part, chemin). J’ai fait remarquer à mes collègues
étant passée par ses mains n’a pas été retenue de bureau, le matin où ça allait si mal, que
par lui comme c’est l’usage. Au contraire il nous c’était ce jour là la St Wenceslas patron de la
a joint sa carte nous disant sa confiance que Bohême et le lendemain la St Michel patron de
nous ne nous laisserions pas gagner par la la France. J’avais ajouté le surlendemain fête
contagion de ton cafard. Il peut se rendre de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, ce n’était
15
MA VIE MISSIONNAIRE
pas tout à fait exact, ce n’était que La vie que nous menions à l’époque au petit
l’anniversaire de sa mort. séminaire était plutôt spartiate ; jugez-en vous-
Toujours est-il que ce sont ces trois jours- mêmes : lever à 5 h coucher à 21 h. Le matin
là que la guerre a été écartée par une méditation et messe précédent une étude d’une
intervention miraculeuse. En effet il est demi-heure pour apprendre les leçons. Petit
impossible de comprendre qu’Hitler, si têtu dans déjeuner composé d’une panade (que nous
son orgueil, ait subitement accepté de causer appelions du nom évocateur de “soupe aux
et il est de même incompréhensible que mollards”) accompagnée d’une tartine de pain et
l’entente se soit faite en une dizaine d’heures
de compote de pomme que nous terminions sur la
alors qu’on prévoyait plusieurs jours.
cour de récréation car le temps nous était compté.
Remercions donc le Bon Dieu et la Ste La matinée, deux heures de classe, une demie-heure
Vierge qui en cette année mariale ne nous
d’étude suivie d’une heure de classe qui nous menait
abandonnent pas- Confiance pour l’avenir. Ce
à 11 h 45 et l’examen particulier (exercice spirituel
matin j’ai vu M. le Curé et lui ai fait part de ta
bonne humeur retrouvée. Il en a été très connu des spécialistes de la formation donnée dans
content. les séminaires). A midi nous quittions la chapelle
Nous n’avons toujours pas de nouvelles du
pour le réfectoire. Le repas était copieux et
Père Mercier mais si je ne le vois pas à la fin satisfaisant pour quelqu’un qui n’était pas un
de la semaine je téléphonerai à la procure pour gourmet ou un enfant gâté (pour moi, pas de
en avoir et ce jour là (quand il viendra) nous problème) : les patates, fayots, nouilles et lentilles je
penserons encore plus à toi. Au revoir, mon connaissais déjà. De la viande on en avait tous les
cher Denys, travaille bien, sois toujours joyeux. jours, donc plus souvent qu’à la maison. Tout cela
Tu vois que j’avais raison en te disant que le m’a profité et six mois après, quand je suis retourné
Bon Dieu ne nous charge que des fardeaux à la maison pour les vacances de Pâques, tout le
que nous pouvons supporter. Tache également monde s’est extasié sur l’arrondissement du
de faire venir, dimanche prochain, dans tes personnage. L’après-midi, après une récréation
trois-quarts d’heure (hebdomadaires où nous d’une demie heure, étude préparatoire à la classe
étions autorisés à faire notre correspondance) d’une heure, goûter (une tartine de pain sec sauf
tout ce que tu as à nous dire et que nous
jeudi et dimanche où nous avions droit à une barre
attendons de toi.
de chocolat squelettique comme je n’en avais jamais
Ton père qui t’embrasse affectueusement ». vu nulle part ailleurs) petite récréation suivie d’une
longue étude d’au moins deux heures pour faire
La vie à Pont-Rousseau nos devoirs. La journée se terminait à la chapelle :
Je me suis étendu sur mon entrée et mes pre- chapelet et visite au St Sacrement. Dîner : soupe,
miers jours au petit séminaire car ils m’ont marqué patates ou fayots, alternés suivant les jours, jamais
profondément. Cette rupture m’a permis de réali- de surprise de ce côté et comme dessert une
ser combien j’étais attaché à ma famille, papa, ma- cuillerée à soupe de compote de pomme. Prière du
man, frères et sœurs. Celui qui quitte la maison alors soir après une courte récréation et au lit. Voilà donc
qu’il est déjà mûr, pour le service militaire autrefois, la vie de famille qu’on m’avait annoncée en
ou pour fonder un foyer lui-même, ressent sans remplacement de celle que j’avais menée à la
doute un changement profond mais je ne pense maison. J’allais oublier que nous avions promenade
pas qu’il ressente une telle souffrance suite à un de trois à quatre heures chaque jeudi après midi,
arrachement prématuré. Enfant on a encore be- de trois heures le dimanche suivie des vêpres et
soin d’une affection familiale dont on est privé dans bénédiction du St Sacrement.
un internat, même si c’est pour une bonne cause, Voilà, en gros la vie que nous menions durant
fut-elle de devenir missionnaire ! L’échange de cour- toute notre formation secondaire. Ceux qui tenaient
rier dont j’ai fait quelques citations, car il y a eu beau- le coup prouvaient qu’ils avaient l’étoffe qu’il
coup d’autres lettres, non seulement de papa et convenait pour devenir un jour missionnaire. Nous
maman, mais de tous, frères et sœurs qui tenaient pouvions choisir notre directeur spirituel parmi les
à me dire leur affection et que je leur manquais, en professeurs, mais il y en avait un officiel qui en
est la preuve. Bien souvent je me suis posé la ques- portait le titre et dirigeait méditation et examen
tion : aurais-je le courage de recommencer con- particulier. Il dirigeait pratiquement tous les
naissant l’épreuve ressentie alors ? séminaristes. Il était vieux, 58 ans ! N’avait jamais
16
MA VIE MISSIONNAIRE
été en mission... était petit (surnommé Pépin, un séminariste exemplaire spirituellement ou
comme Pépin le Bref) et totalement rasoir. Deux ans intellectuellement, mais toujours dans la bonne
plus tard, heureusement, on lui adjoignit un jeune moyenne, dans le peloton !
père qui me parut plus à mon goût (le père Boulo) Je parle du petit séminaire que j’ai connu mais,
que je choisis comme directeur, ce qui n’eut pas le par la suite, la formation des profs s’est améliorée
gré de plaire à celui que j’avais auparavant ; il me le et certains ont été poussés dans leurs études, vu
fit ressentir ! leurs aptitudes, à la sortie du grand séminaire pour
devenir des professeurs plus valables pour
Les études l’enseignement soit dans la SMA en France, soit en
Nous n’avions pas un corps professoral Afrique où nous avions aussi petits séminaires et
spécialisé. Tous nos professeurs étaient des collèges.
membres de la SMA, donc désirant aller en mission La vie de notre séminaire a d’ailleurs été
et non pas être professeurs. Il y avait donc des genres perturbée par la situation de l’époque : guerre
bien différents quant à l’âge, la pédagogie, la déclarée en septembre 1939, invasion allemande
psychologie, la santé etc. Nous ne nous serions pas en mai 1940. Les Naudières (nom du lieu dit où se
permis de juger leurs capacités, c’étaient nos profs, situait le séminaire) furent réquisitionnées par l’armée
mais, avec le recul, la connaissance que j’ai faite allemande pour être transformées en hôpital
d’eux, plus tard en tant que confrères, je me suis militaire, ce qui nous obligea à nous installer dans
aperçu que certains étaient là sans aucune aptitude un ancien collège désaffecté appartenant aux Frères
pour l’enseignement. Certains s’y trouvaient car on des Ecoles Chrétiennes, rue du Ballet en pleine ville
ne savait pas trop où les mettre, d’autres à cause de de Nantes. Nous y sommes restés trois ans. Par suite
leur famille, de leur santé délicate qui n’aurait pas des bombardements de l’aviation anglaise et
supporté le rude climat de nos missions d’Afrique. américaine nous avons dû émigrer de nouveau,
Il était préférable pour eux de se trouver dans une cette fois à la campagne en Maine-et-Loire à 10 km
communauté importante plutôt qu’en compagnie au sud d’Ancenis. La section des petits dans le
d’un seul confrère, on les avait donc nommés à Pont- château de la Foucaudière (St Laurent des Autels)
Rousseau où ils pouvaient bien rendre quelque et nous, les grands (je faisais ma première) au
service, surveillance ou matières secondaires dans château de La Colaissière (St Sauveur de
une petite classe. Dans le second cycle, chez les Landemont). C’est après la Libération, que nous
“grands”, c’est-à-dire à partir de la troisième, les avons pu récupérer Les Naudières pour la rentrée
professeurs avaient un niveau supérieur, les titulaires d’octobre 1944. Tous ces changements successifs
avaient le baccalauréat. Nous pouvions avoir ont demandé bien des adaptations imprévues qui,
d’anciens missionnaires, d’âge mûr, des jeunes après le recul des ans, me paraissent
sortant du grand séminaire en attente d’un départ providentiellement heureuses pour l’esprit de la
en Afrique dans quelques années, certains s’étaient communauté et son ouverture sur l’extérieur.
formés sur le tas et donnaient satisfaction ; ils y D’ailleurs c’est la France, l’Europe et le monde entier
avaient fait leur trou et s’y trouvaient bien, à la qui changèrent d’allure à la suite de cette guerre.
satisfaction des supérieurs qui n’avaient pas le Une nouvelle page se tourne, nouveau chapitre...
problème de devoir les remplacer. Les résultats
étaient corrects, ni moindres ni meilleurs que dans
Château de La Colaissière
les autres séminaires comparables. Chaque année,
après les vacances, on s’apercevait que l’effectif de
la classe diminuait. D’après les photos que j’ai
retrouvées, de 30 en sixième nous n’étions déjà plus
que 19 en quatrième. C’était une proportion
convenable, l’élimination était le fait de la difficulté
à mener cette vie quasi monacale, à supporter
l’éloignement de la famille, le choix d’une autre
orientation ou l’incapacité de poursuivre des études
dans les conditions où nous nous trouvions.
Personnellement je continuais à vouloir devenir
missionnaire, je progressais même si je n’étais pas
17
MA VIE MISSIONNAIRE
le NOVICIAT - séminaires, étaient connus, mais notre statut
devenait bien différent. J’ai eu l’impression en
le GRAND SEMINAIRE arrivant au noviciat qu’on nous considérait comme
des adultes, j’étais dans ma vingtième année.
Chanly 1945-1947 L’ambiance était bien différente de celle des
Grand Séminaire 1947 -1951 Naudières. La maison se trouvait en Belgique, dans
les Ardennes, en bordure du village. Le pays était
Je viens de terminer mon petit séminaire aux agréable, mais l’hiver était rude. Chacun disposait
Naudières. En 1938 nous étions trente à entrer en d’une chambre, ce qui donne une certaine
sixième. De ceux-là nous n’étions plus que douze à autonomie. La guerre était achevée ; alors qu’en
entrer au noviciat. Certains avaient abandonné, France les restrictions se faisaient encore ressentir,
d’autres avaient redoublé. En classe de seconde, en Belgique nous avions l’impression que tout était
quatre autres élèves, provenant de nos petits redevenu normal : plus de rationnement, les
séminaires de Chamalières et de Baudonne, s’étaient boutiques étaient bien achalandées et comme nous
ajoutés à nous. Puis à Chanly trois Belges provenant devions porter des soutanes il n’y eut aucun
de celui de Ave, les Alsaciens et Lorrains de problème pour les confectionner.
Haguenau. Enfin un groupe assez important Le noviciat nous préparait à la vie que nous
provenant de différentes origines, collèges, petits mènerions dans la SMA, société missionnaire, mais
séminaires de différents diocèses et vocations non des religieux dans le sens du droit canon, nous
tardives etc. complétèrent le groupe, si bien que ne faisons pas les trois voeux mais un simple serment
notre promotion comptait en définitive trente-cinq d’obéissance : partir en mission en Afrique lorsque
novices. Ceux qui avaient accompli leur première nos supérieurs nous y enverraient. Donc vie de
année à Martigné-Ferchaud vinrent nous rejoindre, prière, formation spirituelle et intellectuelle
si bien que le noviciat comptait au total une (philosophie scholastique). A cela s’ajoutait un temps
cinquantaine de candidats à l’entrée aux Missions- important de travail manuel : jardinage, entretien
Africaines. de la ferme, le tout en silence (relatif, bien
Entrer au noviciat c’est opter clairement pour le qu’obligatoire !) Il y avait des moments de détente :
sacerdoce en vue des missions. Le conseil provincial récréations matin et soir, sortie hebdomadaire. En
avait étudié la situation de chacun avant de nous somme une vie bien équilibrée : deux heures de
admettre. Ceux qui provenaient de nos petits cours par jour et, à l’occasion, des conférences
données par des missionnaires en congé. Nous
Chanly étions tenus à rester vingt-deux mois sans
interruption, hors cas de force majeure, pour
pouvoir remplir les conditions nécessaires à
l’admission au serment. Si ces conditions de vie
peuvent paraître austères, je ne connais pas de
confrères qui aient gardé un mauvais souvenir du
temps passé à Chanly et la vie m’y parut plus facile,
malgré la durée, que celle de Pont-Rousseau.
Pour la petite histoire, moi, parisien de banlieue,
je fus affecté à l’entretien de l’écurie et des vaches
(enlever le fumier, mettre le foin...) Ça me plaisait
beaucoup ! Peut-être le supérieur, (qui m’avait affecté
à cette tâche avec un certain humour) s’en aperçut-
il, et au bout d’un an il me fit rejoindre les autres
novices sous les ordres du chef des travaux, Patient
Redois qui me précédait d’un an depuis les
Naudières et qui, après un séjour au Dahomey fut
nommé supérieur du noviciat. Par la suite il devint
le premier évêque de Natitingou où il fit un excellent
travail puis donna sa démission pour laisser la place
à un évêque africain.
18
MA VIE MISSIONNAIRE
Le grand séminaire à chaque ordination cette question : « A quand mon
150 cours Gambetta – LYON tour ! » II finit par arriver : nous avon été ordonnés
par le cardinal Gerlier le 2 février 1951. Papa, maman
C’est en octobre 1947 que nous avons rejoint et tous mes frères et sœurs étaient là. Je célébrai
le “150” pour nos quatre années de théologie. Je ma première messe chez des sœurs de Vaise le
commençais à voir le bout du tunnel. Neuf ans lendemain et, à Ste Marie des Fontenelles à Nanterre,
d’écoulés depuis mon entrée de 1938 ! Plus que le jour de Pâques.
quatre années de théologie et l’idéal serait atteint : Enfin, avant le départ en vacances courant
l’Afrique !... Les étapes marquaient le parcours : juillet, le Supérieur Provincial nous appela dans son
serment à la rentrée, tonsure en fin de première bureau, tous ensemble (nous étions vingt-cinq de
année. Les “mineurs” (portier, lecteur, exorciste, la province de Lyon) et annonça nos affectations.
acolyte : disparus depuis la reforme post-conciliaire) Pour moi : « Père Denys Bellut vous êtes mis à la
au cours de la deuxième année. Le sous-diaconat disposition du vicaire apostolique de Ouidah ! »
qui, à l’époque, était l’engagement définitif au célibat Puis à tous : « Mettez-vous en relation avec votre
et à la récitation du bréviaire (une heure et demie évêque pour qu’il vous donne ses directives ! »
par jour ! Heureusement le concile et la réforme
liturgique qui en découla en réduisit le temps de Notice explicative :
moitié) en fin de troisième année. Au début de la Correspondance avec la famille.
quatrième nous étions ordonnés diacres et, enfin En classant mes archives je me suis aperçu que
prêtres ! la correspondance avec la maison avait été abon-
dante de septembre 1938 à juin 1940. Ce fut alors
Nous avons eu la chance d’étudier la théologie l’exode, l’invasion allemande et les bouleverse-
après la guerre, à une époque où l’Eglise ouvrait ments de la guerre. Ce fut Blandine, puis Agnès
les yeux sur le monde, le remue-ménage provoqué qui me donnèrent des nouvelles ; elles se mariè-
par tous ces conflits, le mélange des peuples, les rent et maman continua dans la mesure du possi-
nouvelles idées philosophiques et théologiques, tout ble car elle était très prise et seule à s’occuper de la
cela nous fit profiter d’un enseignement nouveau. maison. Les études, pour les jeunes se prolongeaient
Nous avons eu des professeurs qualifiés comme par suite de la réforme de l’enseignement. Gene-
Eschlimann pour l’écriture sainte, Dalbin pour le viève elle-même m’a peu écrit. Le courrier s’est sans
dogme qui abondaient dans le sens du renouveau, doute espacé... ou bien il a été égaré quand je suis
ce qui ne plut pas aux autorités ! Mais quelques parti en Afrique et que j’ai laissé dans une malle
années plus tard (en 1963-65) ce fut le Concile : tout ce que je n’emportais pas là-bas ? Toujours est-
une nouvelle conception de l’Eglise dans le monde il que je ne retrouve pas trace de la correspondance.
Il ne me reste que ma mémoire, rien de concret
contemporain ; la théologie que nous avions suivie
comme documents écrits. J’en déduis que, petit à
était conforme à cet esprit !
petit, ma vie était ailleurs, différente et tout orien-
Ces quatre années parurent longues, bien sûr, tée vers l’avenir. Néanmoins je garde un souvenir
car nous aspirions à en voir la fin et nous nous posions admiratif et affectueux de mes parents.

Noviciat Chanly

19
MA VIE MISSIONNAIRE
Revenons aux archives : la première lettre de
papa que j’y retrouve date du 29 janvier1947.
Je suis alors à Chanly, en deuxième année de
noviciat.
Cette lettre peut aussi donner une certaine ex-
plication. En voici des extraits :
« Nous avons reçu aujourd’hui ta lettre du
26 courant toute pleine de récriminations parce
qu’on ne t’écrit pas. Nous comprenons
parfaitement ton impatience et ton attente mais
tu as compris aussi la raison qui nous fait
reculer toujours : le manque de temps. Depuis
l’époque où nous étions à Bargny (et que
parfois je me prends à regretter) j’ai plus
d’occupation pour mon travail. J’ai repris mon
action extérieure (et en raison de l’action
communiste sur le terrain familial c’est un
nouveau champ de bataille qu’il ne faut pas
abandonner) Quand à maman elle est seule
ici à faire tout le travail alors qu’elle avait à
cette époque deux grandes filles Agnès et 12 février 1951
Geneviève à la maison. Ajoutes à cela qu’en
ce moment nous sommes comme stérilisés par
partout dans les magasins de détail et a pro-
le froid, car nous manquons de moyens de
duit un très bon effet psychologique, mais en
chauffage et maman a dû se cantonner dans
fait bien des produits avaient été majorés offi-
la cuisine séparée de la salle à manger par un
ciellement, avant, de 20 ou 30 %, Mais les gros-
drap et un tapis tendus. Nous y sommes tous
sistes n’appliquent peut-être pas la baisse. En
tassés le soir ce qui n’est pas approprié à
tout cas les producteurs agricoles ne semblent
s’isoler pour écrire comme je le faisais souvent
pas se décider à la baisse et à nouveau on
dans mon bureau. Voici donc mon plaidoyer
commence à manquer de tout. Plus de viande
terminé. Je pense que tu ne nous refuseras
ni de charcuterie, peu de poisson. Légumes
pas l’absolution - Amen !
verts assez rares à cause de la saison. Pom-
Comme tu nous poses un tas de questions,
mes de terre très rares. Pour nous, nous nous
je vais les prendre dans l’ordre... Et mainte-
en sortons car il n’y a que maman et Odile à
nant je vais te parler un peu politique. Tu te
midi, nous mangeons les enfants et moi à la
souviens des luttes électorales MRP, commu-
cantine) et nous avions fait provision de pata-
nistes. Après l’élection du Conseil de la Répu-
tes grâce à Jean Hermant. Ça ne va donc pas
blique (ex-sénat) Bidault a démissionné car il
très bien comme tu le vois... »
était chef du gouvernement provisoire. Tho-
rez n’a pas été élu par la chambre président Papa continue sur la politique et conclut :
du gouvernement Bidault non plus. On était « Tout cela nous laisse bien loin du
dans l’impasse. C’est alors que Vincent Auriol gouvernement énergique et à vues suivies
(Président de l’Assemblée Nationale) a inventé qu’il faudrait pour remettre la France sur pied.
Blum. Celui-ci à la faveur de sa déportation a C’est la faiblesse du régime démocratique
beaucoup évolué, (il parait qu’il a été collègue surtout qu’il n’y a pas unité de pensée dans le
d’un évêque à ce moment là) ; il est admis par pays. En France actuellement il y a deux
tous... Blum a fait alors un ministère homogène, groupes égaux capables seulement de se
c’est-à-dire composé des seuls socialistes en neutraliser. Comment nous en sortirons nous ?
déclarant qu’il n’irait pas plus loin que l’élec- Ce gouvernement de médiocrité arrivera- t-il à
tion du président de la République. Ce minis- réaliser quelque chose de bien, ou bien irons-
tère aurait pu se contenter d’expédier les af- nous de chute en chute vers une inévitable
faires courantes, mais Blum a fait plus : il a dictature dont l’expérience prouve qu’elle ne
brusquement décrété une baisse de 5 % sur mène à rien. C’est le secret de la Providence.
tous les articles vendus, à appliquer immédia- Travaillons avec confiance et attendons la
tement (le 1 er janvier) et annoncé une autre suite. Nous sommes au moins sûrs qu’au bout
pour le 1 er mars. Cette baisse est appliquée de notre vie il y a l’autre... et cela suffit ! »
20
MA VIE MISSIONNAIRE
LA MISSION fièvres qui avaient eu raison de nos prédécesseurs !
En fait, le père Micoud, procureur de Marseille, et
Cher confrère, mon ancien supérieur lors de mon entrée en
Le Conseil provincial vous a désigné pour sixième, nous a dit que l’on ne fournissait plus qu’un
le Vicariat de Ouidah, où vous êtes mis à la casque colonial en liège (à porter sous le soleil,
disposition de S. Ex Mgr Parisot, Vicaire impérativement de 9 h du matin à 5 h de l’après
Apostolique. midi si l’on ne voulait pas de risquer une insolation,
Au R.P. Denys Bellut. Lyon le 21 juin 1951 dite “coup de bambou”, et de risquer une mort à
Le secrétaire : Peyvel peu près certaine dans les quelques jours à
Le Provincial : Noël Boucheix suivre !...), une ceinture de flanelle contre les
Nanti de cette nomination officielle, très refroidissements la nuit et une chaise longue pour
administrative et sur le conseil du supérieur nous installer confortablement sur le pont du navire
Provincial j’écrivis à Mgr Parisot. Voici sa réponse : et nous reposer des fatigues de notre ministère
Ouidah le 27juillet 1951 apostolique (avec modération !) une fois en mission.
Cher Père Bellut J’ai été très heureux Au cours du mois de juillet, alors que j’étais en
d’apprendre votre nomination au Vicariat de vacances en famille dans la Meurthe-et -Moselle, une
Ouidah. Les confrères d’ici, qui vous lettre du Conseil Provincial me prévint que ma place
connaissent m’ont dit beaucoup de bien de était retenue sur un cargo mixte de la compagnie
vous et des autres jeunes missionnaires qui Fabre-Freyssinet, le Foch qui faisait son voyage
vont nous arriver en renfort… J’espère que inaugural et partait de Marseille le 31 août. Les valises
vous serez heureux parmi nous et que vous y
furent vite bouclées ; je rejoignis les confrères qui
ferez beaucoup de bien. Le Conseil Vicarial
devaient embarquer sur le même bateau, au 150.
du 21 juillet vous a affecté au collège de
Cotonou. Nous étions une douzaine à destination de la Côte
Le R.P. Gaillard, directeur, pourra si vous d’Ivoire et du Dahomey, cinq à destination de
lui écrivez, vous dire quel cours vous aurez à Cotonou, un ancien qui avait déjà fait un séjour là-
faire. Je pense que vous n’aurez pas tellement bas, le père Clément Cadieu, le père Maurice Grenot
de travail que vous ne puissiez avoir des loisirs qui quittait le diocèse de Dijon pour les Missions
pour apprendre la langue du pays et faire du
ministère à Cotonou ou dans la banlieue. Pour
ce qui est du trousseau, il était autrefois fourni
par la Maison Mère (aujourd’hui Maison
Provinciale) : les soutanes blanches sont
confectionnées sur place, on nous donnait
autrefois : quatre chemises coton flanelle, trois
pantalons, deux paires de bas, une ceinture
de flanelle, un casque, une couverture, une
paire de souliers.
A bientôt, cher Père Bellut, bonne santé,
bonnes joies, bonnes grâces. Je vous
embrasse et vous bénis de tout cœur.
+ Louis Parisot
Je vous serais reconnaissant, d’aller voir
à Nanterre, avenue Clemenceau, 257, dans
un magasin d’alimentation, la famille Chevin.
Ce sont de proches cousins. Vous leur
donnerez de mes nouvelles, qui sont bonnes,
et leur direz que vous venez au Dahomey. »
J’ai tenu à recopier intégralement cette lettre
parce qu’elle donne bien à la fois le caractère
paternel de Mgr Parisot et le pittoresque de l’époque
où l’on maintenait les anciennes traditions de fournir
un trousseau aux jeunes missionnaires en partance
pour la première fois vers ces pays tropicaux et leurs
21
MA VIE MISSIONNAIRE
Africaines et avait une dizaine d’années d’ordination. qu’on appelait “tôle ondulée”, ondulations formées
Les trois autres Marcel Mahy, Paul Dupuis et moi- par les trépidations des roues des voitures, ou en
même partions pour la première fois. Nous bourbier au cours de la saison des pluies. Nous
découvrions le voyage au long cours, avec ses sommes allés prendre un camion de transport à
agréments et ses inconvénients, le mal de mer pour Cotonou dans lequel s’entassent les voyageurs et
certains, mais ce ne fut pas mon cas. leurs bagages. Le départ fixé à 8 h 30 eut lieu vers
Durant le voyage nous avons fait escales à 10 h, « C’est l’habitude ! » me dit le père Cogard,
Casablanca, Dakar, Conakry, Sassandra, Abidjan, « on est en Afrique ! » Premier arrêt à Cadjéhoun,
Takoradi, Lomé et enfin Cotonou. Voyage plus long village où se trouve le collège Aupiais à un quart
que de coutume car certaines escales furent d’heure du départ. Et ainsi de suite de village en
l’occasion de réceptions à bord des personnalités village avec arrêt d’au moins un quart d’heure
du pays pour l’inauguration du nouveau bateau ; chaque fois
nous arrivions le matin et ne partions que tard dans A Grand Popo arrêt pour passer le bac qui
la nuit. Nous sommes restés 48 h à Abidjan et nous traverse le Mono. Une fois sur l’autre rive il ne reste
sommes allés au petit séminaire de Bingerville où plus que 19 km jusqu’à Agoué. Nous y sommes
nous avons rencontré des confrères que nous arrivés vers 17 h. Chaleureux accueil du père Mercier
connaissions, dîné avec eux et même passé la nuit. bien sûr. Nous sommes restés une journée qui nous
Le débarquement à Cotonou était encore permit de découvrir cette vieille mission, une des
pittoresque car il n’y avait pas de port, mais un simple premières du Dahomey, la cocoteraie qui l’entoure,
wharf, sorte de jetée métallique qui dépassait la barre la plage. C’est là que je vins ensuite passer les
(triple vague qui déferle sur la plage). Le bateau vacances durant mon premier séjour comme
restait au large, à quelques encablures, et des professeur au collège Aupiais.
baleinières faisaient le va et vient depuis le wharf
pour amener passagers et marchandises. C’est une Collège Aupiais
grue qui descendait dans une petite caisse à quatre
Professeur au collège n’était pas l’idéal que j’avais
sièges (le “panier à salade”) les voyageurs, avec plus
rêvé comme travail missionnaire ! Mais je ne m’en
ou moins de délicatesse, suivant l’état de la mer et
plaignais pas. Plutôt professeur ici qu’en France. Et
le roulis du paquebot. La manœuvre recommençait
puis c’était généralement le chemin classique : un
à l’extrémité du wharf où les passagers étaient
premier séjour dans une communauté SMA, dans
accueillis par ceux qui étaient venus à leur rencontre.
un séminaire ou au collège ; c’était un test qui
Le père Francis Verger, qui me précédait d’un permettait de nous acclimater et à nos supérieurs
an au séminaire, était venu m’accueillir pour d’apprécier nos aptitudes. On nous répétait
m’emmener au collège Aupiais. Il était avec le père volontiers ce dicton : « Tu sors du séminaire avec
Cogard (un “grand” quand je suis rentré en sixième). de bonnes idées, mais ici, pendant ton premier
Après une année au petit séminaire de Ouidah il séjour ou au minimum ta première année, écoute,
venait d’être affecté au collège. Je me trouvais déjà regarde et tais-toi ! Par la suite tu verras !... Tu
en pays de connaissance. pourras donner ton avis ! »
Débarqué le 19 septembre je disposais d’une Je fus chargé de la classe de cinquième ; en
dizaine de jours avant la rentrée et je décidai d’aller tant que titulaire j’enseignais le français, le latin, la
jusqu’à Agoué pour revoir le père Mercier, que je religion et l’histoire comme tous les titulaires de
n’avais plus jamais vu depuis qu’il était venu à la classe. Je me suis souvenu de mon entrée en 6è où
maison en 1937. C’est lui qui était curé de cette le professeur venait nous chercher jusqu’à l’étude
paroisse. Le père Cogard se fit un plaisir de pour nous accompagner dans notre classe. C’est
m’accompagner. Agoué se trouve à une centaine avec une certaine crainte que nous nous y rendions
de kilomètres de Cotonou sur la route du Togo et il nous demandant quelle pouvait bien être son
suffit actuellement d’une heure et demie pour s’y humeur du jour (nous l’avions surnommé
rendre en auto, mais à l’époque il n’y avait pas de Cerbère !). C’est en racontant ce souvenir à mes
route goudronnée, (sauf 6 km à Cotonou depuis le élèves que je me présentais pour leur dire que mon
camp militaire jusqu’au pont de la lagune). Toute le rôle était de les instruire, de les éduquer mais dans
reste n’était que de la piste de terre, poussiéreuse un esprit de famille et non dans la crainte d’un
durant la saison sèche, qui se transformait en ce professeur intransigeant. La discipline était
22
MA VIE MISSIONNAIRE
nécessaire en classe mais avec un dialogue toujours deux établissements ont toujours obtenu les
possible. Je dois reconnaître que les élèves étaient meilleurs résultats et leur réputation est solidement
très disciplinés, certainement beaucoup plus qu’en établie : sortir des collèges des Soeurs et des Pères
France, ils étaient pourtant nombreux, une trentaine. est une sérieuse référence.
Le collège était alors à ses débuts. Il avait été
fondé en 1947 par le père Julien Gaillard, prêtre du AUMONERIE MILITAIRE
diocèse de Rennes qui était venu au Dahomey pour Dans le début du premier trimestre, Mgr Parisot,
entrer dans la SMA. Après quelques années passées comme il en avait l’habitude avec les nouveaux
au séminaire de Ouidah comme professeur, ce qui arrivants, vint me rencontrer au collège pour faire
lui servit de noviciat, il fut chargé de la fondation connaissance avec moi. Il me demanda si je me
d’un collège de garçons. plaisais au Dahomey.
Il s’installa provisoirement dans des bâtiments - Bien sûr, Monseigneur. Je suis heureux d’avoir
ayant appartenu aux sœurs NDA et où se trouvait été envoyé en Afrique dès mon ordination ; d’ailleurs
aussi la procure. Monseigneur Parisot lui demanda je ne suis qu’un “bleu” je ne dois donc pas me
de chercher un terrain assez vaste, proche de plaindre !
Cotonou. Il le trouva à Cadjéhoun, alors village, - Pourquoi dites-vous cela ? Vous avez un
devenu maintenant quartier de Cotonou. Il se lança problème ?
dans la construction grâce à des subventions du - Non, Monseigneur, mais en me faisant
FIDES, organisme financier officiel français qui se missionnaire je ne pensais pas devenir professeur
chargeait, après la guerre, d’équiper les colonies dans un collège.
en structures administratives, écoles, hôpitaux,
- Vous préféreriez être dans le ministère ?
dispensaires etc. C’est pour la rentrée de 1951 que
- Bien sur ! Mais, je suis très bien ici et l’équipe
le collège s’installa dans les nouveaux bâtiments
est très sympathique !..
alors que les travaux se poursuivaient tout autour
des bâtiments déjà achevés que nous utilisions pour Monseigneur avait enregistré. Il m’écrivit de
les classes, les études, le réfectoire et le dortoir. Ouidah le 18 janvier 1952 :
Cher Père BELLUT.
Le corps professoral se composait du Directeur,
le Père Julien Gaillard âgé de 37 ans, de Théophile L’évincement par l’autorité militaire du
Cogard ( 31 ans), directeur de discipline, Candido P. Mittaine nommé aumônier de la garnison de
Cotonou, pour le motif qu’il ne réside plus à
Troconiz espagnol, le plus âgé, 41ans, que j’avais
Cotonou, l’insistance avec laquelle cette même
eu comme professeur de math en première, Lazare
autorité demande la désignation d’un autre
Shanu, Bernard Dossou et Romain Daï tous les trois aumônier, l’importance au point de vue
dahoméens, le Père Kellner de la province de apostolique de cette charge, m’ont fait jeter les
hollande et le Frère Jean-Louis Guénolé chargé des yeux sur vous, et c’est votre nom que je viens
travaux et de l’aménagement enfin moi le plus jeune, de donner au bureau du Commandant Militaire.
26 ans qui venais d’arriver. En plus de professeur Vous aurez à constituer un dossier dont le
de cinquième je fus désigné comme responsable
des sports. Je m’occupais de l’équipe de foot ayant Mgr Parisot
pratiqué moi-même ce sport durant tout mon
séminaire. Regardés de haut par les élèves du lycée
Victor Ballot de Porto-Novo et du collège technique
de Cotonou nos adversaires, nous avons fini par les
battre l’un et l’autre en 1955 et nous avons enlevé
la coupe du Gouverneur Noutary, ce qui fit la fierté
de tous nos élèves.
Mais la réputation du collège vint surtout de la
qualité de son enseignement et des résultats
obtenus aux examens, à l’exemple du cours
secondaire Notre-Dame des Apôtres fondé un an
avant le nôtre et dirigé par les sœurs. Je crois
qu’après quelques années de fonctionnement ces
23
MA VIE MISSIONNAIRE
même bureau vous indiquera les différentes Cotonou en 1955
pièces. Comme ministère : le service religieux
à assurer chaque dimanche, au camp militaire,
la visite des malades et, à vos temps libres,
des foyers de soldats.
Connaissant votre besoin de vous donner,
et en vous donnant, de donner le Christ,
j’espère que vous accepterez avec plaisir votre
nomination. Et déjà je vous en remercie.
Veuillez, cher père Bellut, agréer mes très
affectueusement dévoués et obligés
sentiments.
+ L.Parisot
Je reçus ensuite de Dakar une lettre de
l’aumônier permanent pour toute l’AOF, le père J’organisais pour eux avec l’agrément de l’autorité
Robert Dugon : « 1er mars 1952- Votre nomination militaire et des camions de l’armée des sorties les
est sortie depuis trois jours et a été envoyée à Niamey week-ends pour faire découvrir le pays à tous ces
pour Cotonou. » français qui, les dimanches et jours de fête, ne
savaient pas comment occuper leur temps.
Le milieu militaire m’était totalement étranger ; Célibataires. C’était en plus pour moi une occasion
en effet par suite de la guerre et de l’occupation de contact. Quant aux simples tirailleurs,
allemande ma classe, 1945, n’avait pas été appelée dahoméens, togolais ou autres originaires de l’AOF
sous les drapeaux ; on nous avait simplement pré- c’était déjà pour moi un premier ministère comme
venus que nous aurions à accomplir des périodes je le rêvais depuis longtemps.
qui n’eurent jamais lieu. Cela ne représentait pour
moi aucun problème. Il me fallait mettre sur pied
l’aumônerie militaire qui n’avait jamais existé jus-
Bilan de mon premier séjour : collège Aupiais
qu’alors. Je me suis présenté au colonel comman- « J’entends dire : heureux le missionnaire,
dant militaire et aux officiers supérieurs du BAD heureux le glorieux confesseur, heureux le généreux
(Bataillon Autonome du Dahomey) qui avait un martyr ! Et moi je dis : heureux celui qui marche et
camp militaire à Cotonou et des garnisons à Oui- qui reste où le Seigneur l’appelle ! » (Mgr de Brésillac
dah, Parakou et Kandi. Il dépendait de la brigade dans “Mes pensées sur les missions”-N° 17, DMF,
de Niamey commandée alors par le colonel Massu p.87)
qui gravit les échelons par la suite durant la guerre II est évident que si l’on m’avait donné le choix
d’Algérie et se rendit célèbre en 1968 lorsque De d’un poste au Dahomey je n’aurais pas pensé au
Gaulle se rendit le consulter en Allemagne... collège Aupiais ! Avec le recul et en lisant les écrits
Je célébrais la messe tous les dimanches au de notre fondateur, je crois que ce premier séjour
mess des officiers jusqu’à ce que l’on m’attribuât du 19 septembre 1951 au 30 mai 1955 a été
un autre lieu plus vaste dans un magasin du camp providentiel et comme un complément de formation
plus proche des cases des tirailleurs et des missionnaire. Ces quatre ans m’ont permis de
logements des sous-officiers européens. Je découvrir le pays, les confrères qui travaillaient en
découvris assez rapidement un catéchiste, Jacques brousse, leur ministère et leurs difficultés. Je me
SodabiI, militaire lui-même et ancien catéchiste de suis aussi adapté au climat chaud et humide du pays.
la région d’Allada. Puis j’embauchais une jeune fille Je partis en congé le 31 mai 1955, cette fois-ci
de la paroisse St Michel que m’indiqua le Père par avion, car, en tant que professeur il me fallait
Francis Verger qui l’avait dans son groupe de JOCF. impérativement être présent fin septembre, pour la
Elle se chargea du catéchisme des femmes, épouses rentrée, alors que normalement après un séjour de
des tirailleurs. C’est ainsi que je commençais mon quatre ans j’aurais pu rester cinq mois en France. Il
ministère au Dahomey : apprentissage “sur le tas” ! me fallait bien accepter même si j’avais perdu
Mes paroissiens étaient de genres bien différents : quelques kilos ; le principal était de revenir au
officiers, la haute classe (!), les sous-officiers Dahomey.
beaucoup plus simples et abordables, les engagés Le père Gaillard m’écrivit, à la suite d’un conseil
ou appelés français, très peu pratiquants. de l’évêque, qu’il y avait eut des changements dans
24
MA VIE MISSIONNAIRE
le vicariat. Il fallait étoffer le corps professoral du l’avenue Mgr Steinmetz quelques maisons privées.
collège qui avait maintenant un cycle complet, et En un peu plus de 50 ans Cotonou a bien
même faire appel à des professeurs laïcs diplômés. évolué. Sur le territoire que nous desservions la
En conséquence, pas mal de branle-bas et j’étais population a sans doute décuplé. Il y a actuellement
nommé vicaire à la paroisse Notre-Dame de (2009) 30 paroisses (sur le territoire que nous
Cotonou. J’en étais très heureux et j’écrivis à desservions) et 62 prêtres sans inclure des
Mgr Parisot pour lui dire ma satisfaction. aumôniers d’oeuvres, de l’hôpital etc. Alors il serait
difficile de vouloir comparer. C’est en 1958 que le
NOTRE-DAME DE COTONOU Dahomey obtint son indépendance interne et en
octobre 1955 à juillet 1958 1963 l’indépendance totale. En 1955 c’était encore
J’arrive à la paroisse de Notre-Dame de Cotonou une colonie française faisant partie de l’AOF (Afrique
dès le début d’octobre. Il n’y a alors que trois Occidentale Française).
paroisses sur la ville desservant aussi les villages Mais revenons à Notre-Dame ! J’arrivais dans
environnants : Notre-Dame fondée en 1901 dessert une paroisse qui avait eu beaucoup de curés depuis
Agbato, Minontchou, Agblangandan, Agbalilamè, la fin de la guerre. Le père Grando, le dernier
Ekpè et Djeffa ; Saint Michel fondé en 1937 par le supérieur SMA, était rentré en France malade et
père Henri Poidevineau (encore curé), dessert était décédé en 1944. Son successeur fut un prêtre
Awansouri, Cadjéhoun, Godomey, Zogbo, du diocèse de Toulouse, le père Fournier, qui avait
Cocotomey et Cococodji ; enfin St Jean-Baptiste des velléités de devenir missionnaire et d’entrer dans
fondé récemment, en 1955, par l’abbé Bernard la SMA. Il demanda à faire un stage en Afrique et
Dossou , notre ancien économe du collège . fut envoyé dans le vicariat apostolique de Ouidah.
Le curé de Notre-Dame est donc le père Ibaretta, Monseigneur Parisot le nomma curé de Notre-Dame,
(45 ans), je suis son vicaire, (dans ma trentième pensant que cette paroisse de ville, où le ministère
année) et il y a aussi un prêtre résident, le père était assez semblable à celui qu’il avait exercé en
Alexandre Desbois âgé de 60 ans. France, serait celle qui lui conviendrait le mieux. Il
eut comme vicaire l’abbé Lazare Shanu, jeune prêtre
Le curé de St Michel est le père Poidevineau
dahoméen originaire de Porto-Novo. Le père
(51 ans) qui a deux vicaires, le père Joseph Daniel
Foumier y fit un séjour et retourna dans son diocèse
(49 ans) et Francis Verger (32 ans) ainsi qu’un prêtre
où il reprit son ministère de prêtre diocésain. Il n’était
auxiliaire, le père Le Port (65 ans) qui avait été curé
pas favorable à la fondation d’une station secondaire
de Notre-Dame de Porto-Novo, dont il avait achevé
à Akpakpa où les Protestants étaient déjà installés.
l’église Notre-Dame. Il s’était retiré à St Michel où il
C’était un nouveau quartier, au-delà du pont de la
continuait à rendre bien des services, messes et
lagune à l’est de Cotonou, où commençait à
confessions.
s’implanter une population assez importante. Il
Enfin le père Dossou (40 ans prêtre diocésain) devait devenir la zône industrielle et commerciale
fondait la paroisse St Jean-Baptiste. Il utilisait une de Cotonou.
classe de l’école comme église et logeait dans un C’est le père Paul
presbytère provisoire. Ferlandin qui fut désigné
Nous n’étions donc que huit prêtres pour pour remplacer le père Four-
desservir la ville et les villages environnants. Cotonou nier. Il était d’un tempéra-
comptait alors environ 150.000 habitants ; il y avait ment bien différent : mis-
encore bien des cases en bambous couvertes de sionnaire de base, originaire
paille. Le centre ville seul était construit en dur et du diocèse de St Brieuc.
comprenait l’église, l’état-major, l’intendance, la Après un court séjour en
mairie, le wharf et ses hangars, des maisons de Egypte il fut rappelé en
commerce assez sommaires, la gare et ses logements France à la déclaration de la
Paul Ferlandin guerre et démobilisé en
pour le personnel européen, le pavillon du
gouverneur, dont la résidence était à Porto-Novo, 1942. Il fut nommé, pour quelque temps, surveillant
la poste et quelques bâtiments administratifs, les rue du Ballet (où j’étais alors en classe de troisième)
écoles, un hôpital (portant le simple titre et envoyé au Dahomey, où il fut affecté à la pa-
d’ambulance) tenu par des médecins roisse Notre- Dame de Porto-Novo. A mon arrivée
militaires, un dispensaire et une maternité. Sur en 1951 il était déjà à Notre-Dame de Cotonou en
25
MA VIE MISSIONNAIRE
remplacement du père Fournier ; j’allais le voir de Ce fut le père Jean Huet que Monseigneur
temps en temps puisque je l’avais connu à Nantes désigna comme nouveau curé. Confrère charmant,
et l’avais trouvé très sympathique. alors vicaire du père Bothua à Ste Anne de Porto-
Son vicaire était l’abbé Zadji, originaire Novo, ce qui lui tenait lieu de noviciat car il venait
d’Abomey ; il avait été ordonné en 1950. Le père de quitter le diocèse de Rennes pour entrer aux
Ferlandin aimait la brousse et s’était beaucoup Missions Africaines. Le père Lazare Shanu avait quitté
investi sur le quartier d’Akpakpa.. Il y avait là un la paroisse et été nommé professeur au collège
assez vaste territoire planté de palmiers, qui Aupiais en fondation dans les bâtiments voisins de
commençait à se peupler petit à petit, c’était une la procure. Le père Huet se trouvait à Notre- Dame
extension de Cotonou où il y avait un petit noyau de avec le père Alexandre Desbois , en résidence à la
chrétiens. Ils avaient demandé au curé de fonder paroisse car ses paroissiens de Sokponta avaient
une station secondaire où ils pourraient avoir la refusé qu’il revienne à son ancien poste après son
messe le dimanche. Mais le père Fournier n’y était congé vu sa sévérité et ses méthodes d’un autre
pas favorable. Les chrétiens s’adressèrent donc à âge !... Il avait refusé tout autre poste et la seule
l’évêque qui pensa que c’était une bonne idée. Le solution était de le renvoyer en France. Mais une
père Fournier lui répondit qu’il ne voyait pas l’utilité fois à Notre-Dame en attente d’un bateau il s’y ancra
d’aller là-bas perdre son temps pour une poignée et n’assura comme ministère que la messe du matin
de paresseux qui n’avaient pas le courage de passer et les confessions du samedi soir. L’abbé Joseph
le pont pour aller à la messe le dimanche. Zadji, jeune vicaire, remplaçait l’abbé Shanu, était
Le père Ferlandin, lui, en missionnaire très indépendant et se souciait très peu du curé. Le
dynamique et prévoyant l’avenir, adopta cette père Huet ne se sentait pas à son aise dans cet
proposition pensant qu’Akpakpa pourrait devenir environnement peu sympathique: vicaire très
une future paroisse et qu’il était temps de trouver indépendant et père Desbois insupportable le
un terrain assez vaste pour cette nouvelle création. critiquant continuellement ; il en avait même peur !
Monseigneur l’encouragea. Le père Ferlandin trouva Sa consolation ce fut aussi Akpakpa ; il s’y attacha
un paroissien, M. Tékou, qui lui prêta une partie de et fut adopté par les chrétiens qui espéraient de
son terrain où il construisit une paillote servant de nouveau trouver en lui un futur curé. Il commanda
chapelle provisoire. En vue de l’avenir des démarches même un hangar métallique qu’il destinait à devenir
furent entreprises auprès de l’administration pour la future église. Mais il était en fin de séjour, d’une
obtenir un terrain; mais tous ceux qui furent santé fragile, proche de la dépression à cause de sa
proposés étaient déjà occupés. Finalement ce sont Avec le Père Ibaretta
les paroissiens eux-mêmes qui se groupèrent autour
de M. Dominique de Souza, se cotisèrent pour
acheter un vaste terrain, plutôt marécageux, qu’ils
présentèrent au nouveau curé. Le père Ferlandin
s’investit beaucoup avec des volontaires pour le
délimiter et le mettre en état. Il y fit construire une
paillote qui servirait de chapelle provisoire avec
l’espoir secret de devenir le fondateur de la nouvelle
paroisse. Il eut pas mal de palabres avec M. Tékou
qui ne voulait pas que la chapelle soit transférée de
chez lui sur le nouveau terrain.
Le père Ferlandin s’épuisa au travail, commit
sans doute des imprudences et fut enlevé par une
typhoïde foudroyante le 23 mars 1952, il n’avait que
41 ans. Lors de son enterrement Mgr Parisot dit
« C’est Akpakpa qui a tué le père Ferlandin »
soulignant ainsi qu’il s’y était épuisé à la tâche. Mais
cette parole fut interprétée de façon malheureuse,
vu les démêlés que le père Ferlandin avait eus au
sujet du transfert de la mission sur le nouveau terrain
avec M. Tékou, et que l’évêque ignorait.
26
MA VIE MISSIONNAIRE
situation, il rentra en congé et prolongea son séjour choisirais ! Je le mis assez rapidement à l’aise. Dès
en France pour se rétablir totalement. mon arrivée il m’expliqua mon rôle : le vicaire était
C’est alors que le père Ibaretta devint curé à directeur de l’école, donc veillait à l’exactitude des
son tour et dut supporter son vicaire et l’ancien maîtres, à la discipline et à l’enseignement donné
combattant de la guerre de 14 qui n’en manquait aux élèves.
pas une pour se payer sa tête ! J’étais déjà au collège Pour le ministère, nous étions de permanence
Aupiais, c’était en 1954. Je partis pour mon premier à tour de rôle chaque semaine pour la prédication
congé. Après un séjour de quatre ans (comme je du dimanche et la célébration de la grand’messe.
l’ai écrit plus haut) j’aurais dû avoir cinq mois de Je m’occuperai de la chorale et des mouvements
congé puisque j’étais maintenant dans le ministère. d’action catholique des jeunes. Mon prédécesseur
J’écrivis donc à Mgr Parisot pour lui demander de ne s’était occupé sérieusement ni de l’école, ni des
ne revenir qu’en novembre. Voici sa réponse : mouvements ou de la chorale. Il avait délégué ses
Ouidah 29 août 1955 - Cher père Bellut pouvoirs au “grand Maître”, le doyen des moniteurs
Je reçois aujourd’hui votre lettre du 26 et organiste de la chorale. Mon prédécesseur était
courant. Il est vrai, en effet, que vous êtes souvent en visite et aimait faire salon. Assez
nommé vicaire à Notre-Dame de Cotonou, en démagogue il recevait volontiers les maîtres en
remplacement du père Zadji nommé au petit organisant des repas à la moindre occasion. A cet
séminaire. Vous l’y remplacerez aussi comme effet il avait acheté vaisselle et couverts, et tout le
directeur de l’école paroissiale, charge qui, le nécessaire pour ses réceptions. En conséquence la
dimanche, devra vous faire modifier l’horaire caisse de l’école était vide ; il n’y avait que les
de votre messe, au camp militaire, (une heure contributions scolaires, perçues avant mon arrivée
et demie après celle des enfants). Cette charge par le père Segurola, ce qui me permettrait de verser
réclame aussi « quam primum » votre présence la première paye ; pour la suite je recevrai les
à Notre-Dame. subventions pour le deuxième trimestre en janvier
Je ne puis donc vous accorder le et, en attendant le père Ibaretta me dit qu’il me
supplément de congé que vous demandez. fournirait le nécessaire sur la caisse de la paroisse.
Votre zèle d’apôtre, votre amour de l’Afrique J’aurai donc à veiller particulièrement sur la bonne
vous donnera la force d’accepter les sacrifices
marche de l’école, la discipline et les finances.
qui vous sont demandés.
Veuillez agréer, cher père Bellut mes très La deuxième chose qui le gênait c’est que je
affectueusement dévoués sentiments. n’étais qu’à mi-temps à la paroisse ayant toujours à
+ L. Parisot remplir mon rôle d’aumônier militaire. Chaque
dimanche un professeur du petit séminaire de
J’arrivai donc début octobre. Le père Ségurola Ouidah viendrait assurer mon service à la paroisse,
qui venait d’être nommé professeur au collège à la demande de Monseigneur pour me permettre
Aupiais, était venu courant septembre tenir de continuer mon ministère au camp militaire.
compagnie à Ibaretta, son compatriote, et assurer
Enfin il m’expliqua ce qu’il avait souffert du père
la rentrée de l’école en faisant les inscriptions et en
Desbois qui soutenait le vicaire contre lui. Il me fallait
recevant les contributions scolaires. Zadji prenait ses
me méfier de lui si je ne voulais pas qu’il me prenne
vacances avant de rejoindre le petit séminaire de
en grippe et que je le laisse parler à son aise.
Ouidah.
J’ai toujours supposé que le père Ibaretta me Je lui répondis que, pour moi, un vicaire n’avait
regardait arriver comme vicaire avec une certaine d’ordre à recevoir que de son curé et donc je ferai
appréhension : je m’étais fait ma réputation et il ce qu’il me demandera de faire. Je le remerciais de
m’avait connu pendant plusieurs années au petit me tranquilliser pour les finances ; je m’efforcerai
séminaire de Pont-Rousseau et depuis mon arrivée de les gérer de mon mieux et il pourrait les vérifier à
au Dahomey, comme professeur au collège Aupiais son aise. Je n’avais d’ailleurs aucune intention de
et aumônier militaire. Il était originaire du pays continuer sur les traces de mon prédécesseur. Je
basque espagnol, de famille de paysans, il n’avait tenais à prendre les choses en main, à vérifier par
aucune ambition et aurait préféré la brousse ; moi-même la bonne marche de l’école tout en
toujours sur la défensive vis à vis de ses confrères respectant “l’aura du grand maître”.
de la paroisse et de St Michel, il devait se demander Quant au père Desbois, dont je connaissais la
ce qu’il pourrait attendre de moi et quel camp je réputation, il ne me faisait pas peur et je ne me
27
MA VIE MISSIONNAIRE
gênerai pas pour le remettre à sa place quelle que que j’étais sûr que je pouvais compter sur la bonne
soit sa réaction ; j’étais assez grand pour me diriger volonté de chacun d’eux.
moi-même, et lui, mon curé, pouvait compter sur Tout marcha pour le mieux, la coopération avec
moi, il avait d’avance mon soutien total. le curé ne rencontra aucun problème. Il aimait
Pour ce qui était de l’aumônerie militaire cela parcourir les villages et pouvait donc quitter le centre
m’avait beaucoup plu car c’était pour moi une en me faisant totalement confiance. Je pris l’école
occasion d’exercer un ministère ; mais je ne voyais en main et la chorale que je dirigeai moi-même, car
pas pourquoi Monseigneur tenait à ce que je j’aimais bien le chant.
demeure à ce poste, quelque gloriole que je puisse Petit à petit tout prit un nouveau rythme, ce qui
en tirer. Maintenant que j’étais à plein temps dans le ne fut pas du goût de tous mais tranquillisa le curé.
ministère paroissial j’étais prêt à donner ma Il profita de mon soutien pour mettre un peu d’ordre
démission et l’évêque pourrait désigner un dans le fonctionnement de la paroisse. Il renvoya,
remplaçant parmi les confrères professeurs du par exemple le sacristain qui s’était fait pourtant une
collège. Ce qui fut fait à l’étonnement de tout le solide réputation de saint homme. Il était tous les
monde, à l’édification de Monseigneur et au matins à l’église à 6 h, servait la première messe à
soulagement du père Ibaretta. Durant mon second laquelle il communiait, passait la matinée à l’église.
séjour je ne mis plus les pieds au camp Compérat, Que pouvait-il faire ainsi ? De plus, ce qui étonnait
c’est le père Cogard qui me succéda au poste le curé : il accueillait beaucoup de femmes et de
d’aumônier. jeunes filles à la sacristie où elles restaient longtemps
Les maîtres de l’école m’accueillirent gentiment alors qu’elles n’avaient rien à y faire. Les quêtes
avec un petit discours pompeux du grand maître semblaient faibles en fonction de l’assistance du
exprimant l’espoir que je continuerais, à l’exemple dimanche. C’est le sacristain qui avait le privilège de
de mon prédécesseur, à organiser de temps en les compter. Le père Ibaretta, lui demanda donc de
temps des réunions « où ils puissent mettre la main lui remettre les quêtes qu’il ferait compter sous ses
dans le plat ! ». Je répondis que le curé m’avait yeux, dans son bureau par les enfants de chœur. Il
donné ses consignes, expliqué la situation se plaignit à un membre du conseil paroissial.
catastrophique des finances laissées par mon Scandale ! Comment pouvait-on soupçonner un
prédécesseur et que mon premier soucis serait de si saint homme, sacristain depuis bien des années
les équilibrer. Par la suite on verrait... Je veillerai et qui avait toujours eu la confiance des curés
personnellement à la bonne marche de l’école tout précédents !
en m’appuyant sur les conseils du grand maître et Un paroissien, libanais généreux, pensait lui aussi
que le sacristain n’était qu’un hypocrite pas très
Général de Gaulle
honnête. Il fit un test : un dimanche il mit un billet
de 25 F, en prévint le curé et lui demanda de bien
vérifier qu’il s’y trouvait. Quand les enfants
comptèrent, pas de billet, d’ailleurs il n’y en avait
jamais ! Il était clair que le sacristain écrémait la quête
et les billets ne sortaient pas de la sacristie, du moins
pour le presbytère. Le curé demanda donc aux
personnes qui faisaient la quête de la déposer dans
le chœur au vu et su de tout le monde, il irait la
prendre lui-même. Nouveau scandale ! Il traitait le
sacristain de voleur ! Une délégation du comité
paroissial, se portant garante de l’honnêteté du
sacristain, protesta avec véhémence : c’était de la
diffamation d’agir ainsi. Le curé tint bon. Un jour la
sœur, qui s’occupait d’entretenir le linge d’autel,
trouva des billets de banque entre les nappes d’autel
qu’elle rangeait : c’était la cache du sacristain. Le
renvoi fut immédiat malgré les protestations. Le curé
révéla au comité les preuves qu’il avait trouvées et
les quêtes doublèrent.
28
MA VIE MISSIONNAIRE
C’est alors que les langues se délièrent et l’on nomma comme premier évêque, en 1958, Mgr Noël
apprit que les femmes qui venaient le consulter à la Boucheix alors vicaire apostolique du delta du Nil ;
sacristie le considéraient comme un saint ayant des il donna sa démission dix ans après et fut remplacé
pouvoirs spéciaux et des prières efficaces. Elles lui par Mgr Vincent Mensah, dahoméen mais de race
demandaient des prières pour se faire aimer, contre mina (originaire d’Agoué).
les ennemis, les mauvais esprits... Jamais le père Au début nous ne nous sommes pas aperçus
Ibaretta n’aurait osé prendre une telle décision de grands changements dans notre ministère, c’était
auparavant par crainte de son vicaire, soutenu par pour nous une simple modification administrative.
le père Desbois. Quant à moi il me tint au courant Le Cardinal Tisserand, doyen du Sacré-Collège, fut
sachant que j’étais de son côté. Cet épisode illustre désigné pour venir installer l’Archevêque de
ce que fut notre collaboration et me servit de leçon Cotonou. Mon curé fut heureux que je sois avec lui
pour l’avenir. pour les préparatifs. Ce fut évidemment une
Nous avons vécu ensemble deux événements cérémonie solennelle avec la présence du
exceptionnels dans la vie de la paroisse : la Gouverneur, les autorités civiles, militaires et
nomination de Mgr Parisot comme archevêque et religieuses (y compris protestantes, traditionnelles
l’arrivée de son auxiliaire Mgr Bernardin Gantin. et musulmanes). Le cardinal lut le décret officiel et
remit le pallium au nouvel archevêque.
Le vicariat apostolique de Ouidah
devient Archevêché de Cotonou Monseigneur Bernardin GANTIN
Le Dahomey était encore pays de mission, Mgr Parisot était âgé de 71 ans en 1956. Après
comme toutes les colonies française de l’époque. avoir couru la brousse comme simple missionnaire,
Le pape Pie XII décida d’établir des diocèses en il fut chargé de fonder le séminaire Ste Jeanne d’arc
mission là où l’Eglise était déjà bien implantée avec de Ouidah qu’il dirigea. Nommé vicaire apostolique
des prêtres du pays en nombre suffisant et des pour remplacer Mgr Steinmetz qui se retirait en
séminaires pour les former. Il décida donc que le 1934, il se sentait fatigué. Il pensait aussi à l’avenir
vicariat apostolique deviendrait Diocèse de Cotonou. de l’Eglise du Dahomey et demanda un auxiliaire.
Par la suite il institua d’autres autres diocèses : Porto-
Novo, Abomey, Parakou et Natitingou.
Notre-Dame de Cotonou devenait cathédrale et
Mgr Parisot archevêque. Le diocèse de Porto-Novo
était institué et en attente d’un évêque.
Les autres diocèses : Abomey, Parakou et
Natitingou suivirent de peu. Mgr Chopard, préfet
apostolique de Parakou, fut remplacé par Mgr Van
den Bronk de la province de Hollande qui quittait la
Gold Coast pour laisser la place à un évêque
ghanéen.
Le père Patient Redois fut nommé évêque de
Natitingou. Il était supérieur du noviciat de Chanly
après avoir fait un séjour à Djougou.
Pour Porto-Novo les candidats étaient nombreux
dans le clergé originaire de cette région, mais il fallut
attendre plusieurs années pour que Rome nomme
un évêque dahoméen car le régionalisme était à
l’ordre du jour. Mgr Gantin, alors auxiliaire de
l’archevêque de Cotonou, fut pressenti mais, par
suite des protestations du clergé goun, Rome
désigna un administrateur qui ne fut autre que
Mgr Gantin devenu Archevêque de Cotonou en
remplacement de Mgr Parisot qui avait démissionné
en 1960. Du fait de cet état d’esprit du clergé, Rome
29
MA VIE MISSIONNAIRE
s’organisa, protégée par les gendarmes de la garde
présidentielle en grande tenue mais dès que
Mgr Gantin fut descendu du véhicule pour se mettre
à la suite du clergé, ce fut une ruée générale, comme
nous l’avions prédit, à laquelle le service d’ordre de
la garde présidentielle ne put résister. Des évêques
perdirent leur mitre, des sœurs leur voile et certaines
même leurs chaussures. Le pire était à craindre ; je
pus rapidement entrer dans l’église en passant par
la sacristie et, aidé de nos marguilliers, fermer le
portail pour éviter que certains ne fussent écrasés.
Le père Ibaretta, en homme pratique, était monté à
Ce fut l’abbé Gantin qui fut désigné. Il était alors à la mission pour en interdire l’entrée et assista au
Rome depuis deux ans préparant un diplôme de spectacle depuis l’étage. Le père Durand à l’extérieur
théologie; il avait été ordonné prêtre en janvier 1951, hurlait de toutes ses forces sans aucun résultat !
avait été professeur au petit séminaire Ste Jeanne Puis il disparut on ne sait où, vexé de voir son
d’Arc à Ouidah pendant trois ans et n’était âgé que autorité totalement ignorée.
de 35 ans. Ce fut le premier évêque africain et le La situation était paradoxale : presque personne
plus jeune de tous les évêques d’alors. Cette dans la cathédrale à part Mgr Gantin, deux ou trois
nomination provoqua une joie énorme au Dahomey. évêques, quelques prêtres et religieuses, certains
C’est le père Durand, doyen des prêtres africains, laïcs qui avaient réussi à s’infiltrer. A l’extérieur une
qui fut chargé d’organiser les festivités. Il était alors foule déchaînée, hurlante et joyeuse en même
curé de Bohicon, prêtre depuis 31 ans. Il avait établi temps, une “pagaille sympathique” comme dit un
son plan pensant que l’on devait accueillir le nouvel confrère. Goutte à goutte, par la porte de la sacristie,
évêque devant une cathédrale vide et entrer en je réussis à faire entrer les évêques, prêtres,
procession. Nous avions déjà une certaine religieuses que je pus atteindre grâce aux membres
expérience depuis la remise du pallium à Mgr Parisot du service d’ordre et la cérémonie assez brève vu
où, par crainte d’une ruée de la foule, nous avions les circonstances, se déroula dans une cathédrale
rempli l’église et mis chacun à la place qui convenait à moitié vide !... Le problème était la sortie de
dès avant la cérémonie. Ainsi tout s’était déroulé Monseigneur qui risquait de se faire écraser par la
dans le calme. L’abbé Durand ne voulut rien entendre foule enthousiaste qui l’attendait au portail de la
et, fort de son autorité bien connue, nous assura cathédrale. J’imaginais un stratagème : entouré de
qu’il était capable lui-même de mettre bon ordre à quelques gardes du corps, nous sommes sortis par
tout et d’organiser une belle entrée solennelle. Ce la sacristie et atteignîmes la mission par la cour de
fut une catastrophe ! L’armée avait mis à la l’école et montâmes à l’étage par l’escalier de service.
disposition de Mgr Gantin un “command car” A la surprise de tous le nouvel évêque apparut sur
conduit par un sous officier français en civil. le perron, là où personne ne l’attendait, mais où
Monseigneur était debout assisté de deux prêtres tout le monde pouvait le voir et l’acclamer ! Triomphe
africains ; une foule immense accompagnait l’élu. sans aucun risque qui dura le temps voulu...
Le père Durand et le maire de Cotonou l’attendaient
sur l’esplanade de la cathédrale. La procession Ma vie à Notre-Dame.
Mon séjour à Notre-Dame fut une expérience
exceptionnelle. C’était mon premier poste en pa-
roisse. Je devais me former sur le tas. Le père
Ibaretta me laissa libre de m’organiser comme je
l’entendais. Nous partagions le ministère ordinaire
chacun prenant sa semaine de permanence alter-
nativement : grand’messe du dimanche et sermon,
visite des malades, confessions, communions et
sacrement à domicile sur demande, confessions du
samedi après-midi. Le vicaire était responsable de
30
MA VIE MISSIONNAIRE
l’école (douze classes de garçons, les sœurs en ayant « Je pense que ce sera l’un des nous deux qui
autant pour les filles). Je veillais à l’exactitude des fondera la nouvelle paroisse à Akpakpa. Je vais
maîtres et des élèves, à la discipline et l’enseigne- profiter de ce que je dispose de la caisse de Notre-
ment. Chaque mercredi je réunissais à l’église les Dame pour entreprendre la construction d’une nou-
filles et les garçons des cours moyens, pour le con- velle église qui pourra par la suite être transformée
trôle des connaissances et donner des explications. en presbytère. Venez avec moi pour déterminer le
Je faisais les classes de chant pour la chorale lieu qui conviendra le mieux pour cela. »
deux soirs par semaine de 19 h à 20 h et les réu- C’est ainsi que nous avons tracé l’emplacement
nions des Routiers le dimanche après-midi. Puis, à de l’église provisoire, appelée à devenir presbytère
la demande d’une sœur NDA professeur au col- dans quelques années quand on en ferait une défi-
lège des filles, nous avons lancé les guides sur la nitive plus vaste. C’est actuellement “le sanctuaire”
paroisse pour tout Cotonou. J’étais aussi aumônier où se fait l’adoration perpétuelle.
des Ames Vaillantes et des Enfants de Marie. Le curé C’est alors que les nouvelles structures se mirent
de son côté visitait les villages et moi j’avais la charge en place. Mgr Parisot profita de la présence de son
de l’école d’Akpakpa qui venait d’être fondée en auxiliaire pour prendre son congé en France en juin
1955 et où chaque année on devait ouvrir une nou- 1957. Le père Bothua fit de même et fut remplacé
velle classe. par le père Henri Barrotin, vice régional et en même
Nous avons eu un nouveau supérieur Régio- temps curé de Sakété. Quand à son tour le père
nal, le père René Bothua. Il avait été nommé à la Ibaretta quitta la paroisse en juillet Mgr Gantin me
suite des assemblées, générale et provinciale. Son demanda d’assurer l’intérim. L’abbé Noudéhou qui *******
rôle avait pris de l’importance. Alors qu’auparavant avait été ordonné prêtre en décembre 1953 et avait
le Régional assumait aussi un ministère en paroisse, été nommé alors professeur au petit séminaire de
il était généralement curé, il devait désormais se Ouidah, fut nommé vicaire. Il prit ses vacances et
consacrer uniquement à sa fonction, résider hors me rejoignit pour préparer la rentrée en septembre.
paroisse et avoir sa maison propre, maison d’ac- Je lui transmis alors mes responsabilités de vicaire
cueil pour les confrères SMA. Il devait les visiter ré- et assumai celles de curé, tout en me demandant
gulièrement dans leur mission, au moins une fois pour combien de temps j’occuperai ce poste. Je
par an. posai la question à Mgr Gantin qui resta très évasif.
Je continuai donc la construction de l’église
Le père Bothua s’installa d’abord à la procure, d’Akpakpa car le père Ibaretta était un bon
qui avait quelques chambres de passage, puis il gestionnaire et avait laissé une caisse en excellent
préféra Notre-Dame où le père Ibaretta l’accueillit état. Le fameux hangar qu’avait acheté le père Huet
bien volontiers. Nous vivions donc en communauté pour la future église avait été mis en place par le
et avons vite sympathisé. Il rendait service à la pa- père Ibaretta contre la volonté des paroissiens qui
roisse quand il n’était pas en déplacement pour rem- espéraient toujours le retour du père Huet. Sachant
plir son rôle dans l’ensemble du Dahomey. C’est lui enfin qu’il devait se reposer assez longtemps en
qui assurait généralement la messe à Akpakpa le France pour retrouver sa santé et qu’il ne reviendrait
dimanche et, vu l’assistance qui s’y rendait réguliè- probablement pas à Cotonou dans l’immédiat, c’est
rement, il pensait lui aussi qu’il faudrait envisager sur moi qu’ils jetèrent leur dévolu. La nouvelle église
une nouvelle paroisse dans ce secteur. Il connais- recouverte était encore inachevée : le sol n’était pas
sait les sentiments des paroissiens qui, déçus deux cimenté et les finances ne me permirent pas de
fois par suite de la mort de Ferlandin et le départ de construire le choeur. Je bouchai donc l’extrémité
Huet, espéraient que je serais bientôt chargé de cette avec des tôles de récupération et l’on commença à
fondation. célébrer la messe le dimanche dans ce nouveau
Le père Ibaretta, de son côté, s’occupait des bâtiment en toute sécurité même à la saison des
stations secondaires où il était plus à son aise qu’en pluies. Petit à petit je fis connaissance avec les
ville. Il s’y rendait souvent en pirogue car elles se paroissiens, en particulier Dominique de Souza qui
trouvaient sur le bord du lac. Son séjour devait se avait été à l’origine de la fondation, depuis le père
terminer en juillet 1957 : il était arrivé en 1952 pour Fournier et ses successeurs. C’était madame de
Porto-Novo avant de succéder au père Huet à Co- Souza et ses filles qui préparaient le repas le
tonou. Quelques mois avant son départ qui devait dimanche pour le père qui venait célébrer la messe.
avoir lieu en juillet, il me dit : Ils m’apprécièrent et je fis rapidement la
31
MA VIE MISSIONNAIRE
rumeurs qui couraient il posa clairement la
question : « Vous désirez avoir un curé, mais serez-
vous capables de le nourrir, de le faire vivre ? »
La réponse fut évidemment affirmative.
Monseigneur ne fit aucune promesse, d’ailleurs, lui,
auxiliaire ne pouvait pas fonder unenouvelle paroisse
en l’absence de l’archevêque.
La publication des nominations causa une
grande déception, une fois de plus, chez les
chrétiens d’ Akpakpa qui se voyaient encore laissés
de côté. Personnellement je tournais la page et me
consolais en pensant que je ne tarderais pas à me
trouver en pleine brousse comme je l’avais désiré
depuis mon enfance.
Quelques jours seulement après ce fameux
conseil, Mgr. Parisot et le père Bothua débarquaient
du bateau. La première question que me posa le
Supérieur intérimaire à Notre-Dame Régional fut celle-ci :
« - II parait qu’il y a eu des nominations, tu vas
connaissance de toute la famille; je passais de temps à Akpakpa ?
en temps à la maison et je compris bien vite que - Non !
j’étais à mon tour l’élu des paroissiens pour la - Alors qui est nommé ?
fondation de la quatrième paroisse de Cotonou à - Personne !
Akpakpa. - Ah, ça alors, c’est un peu fort ! Ça ne se passera
C’est alors que les événements se précipitèrent. pas ainsi ! »
Mgr Parisot et le père Bothua étaient déjà sur le
Connaissant l’attente des chrétiens et les
bateau du retour quand Mgr Gantin réunit le conseil
nombreuses fois où ils avaient été déçus en voyant
diocésain pour les nominations de la rentrée. Etait-
repoussée la fondation, il était décidé à intervenir
ce en accord avec l’archevêque ou un coup de force
auprès de l’archevêque.
pour imposer sa volonté ? Je me le suis toujours
demandé. Nouvel auxiliaire, l’archevêque déjà âgé, Personnellement je continuais d’assumer ma
le vicariat apostolique devenu diocèse, il était logique charge. L’abbé Durand ne devait rejoindre son
que Mgr Parisot se retirât et laissât la succession à nouveau poste qu’en janvier 1958 à l’arrivée du père
son auxiliaire dans un avenir assez proche. La Ibaretta. Ayant laissé passer quelques jours pour
paroisse Notre-Dame devenue cathédrale, il était que Mgr Gantin eut mis au courant l’archevêque de
dans l’ordre des choses que le curé fut un son administration pendant son congé, je suis allé
dahoméen. Et c’est ce qui se produisit. le voir pour lui dire : « Vous m’avez nommé supérieur
L’abbé Moïse Durand, curé de Bohicon, doyen de la mission de Zagnanado ; je suis tout prêt à y
des prêtres africains fut nommé curé de la aller. Quand pensez-vous que je doive m’y
cathédrale. Le père Ibaretta le remplacerait à rendre ? » Mgr Gantin me répondit : « Vous devez
Bohicon à son retour et moi-même, à ma grande remplacer le père Malo qui va partir en congé et sa
surprise et contre toute attente, nommé curé de date de départ n’est pas encore fixée ; et puis il
Zagnanado (village de Mgr. Gantin à 150 km de vous faudra mettre l’abbé Durand au courant de la
Cotonou). Mon vicaire, l’abbé Achille Noudéhou, gestion de la paroisse Notre Dame. D’ailleurs... il
devenait curé de Comé, dans le Mono sur la route n’y a rien de moins sûr que cette nomination ! »
de Lomé. Je compris alors qu’il avait dû y avoir quelques
J’avais pourtant tout fait pour intéresser explications au sommet, et qu’il y aurait des
Mgr Gantin à l’avenir d’ Akpakpa.l’avais invité à venir modifications au programme !
un dimanche célébrer une messe dans la paillote En janvier 1958 l’abbé Durand Moïse arrivait
qui servait encore de chapelle. Il choisit le jour du donc comme annoncé. Agé 63 ans il avait eu un
Christ Roi fin octobre 1957. Etant au courant des parcours exceptionnel. Il était l’un des premiers sé-
32
MA VIE MISSIONNAIRE
minaristes avec Mouléro, Kiti et Ayatomey au petit trois autres en voie de construction et l’église déjà
séminaire Ste Jeanne d’Arc de Ouidah dont la fon- utilisable quoiqu’inachevée. Il y avait aussi ce hangar
dation avait été décidée par Mgr Steinmetz et con- que j’envisageais d’utiliser comme presbytère. Je dis
fiée au père Parisot. Le séminaire dut être fermé en donc à Monseigneur : « Peut-être pourrait-on profiter
1914 à cause de la guerre, d’où manque de per- de ce que j’aie du matériel et de la main-d’œuvre
sonnel par suite de la mobilisation des missionnai- sur place pour aménager ce bâtiment en presbytère
res qui rejoignirent la France. Les séminaristes re- si vous avez l’intention de fonder prochainement
joignirent leurs familles ou se mirent à la disposi- un nouvelle paroisse ?
tion de la Mission comme catéchiste. Durand trouva « Bien sûr ! » me répondit-il tout en me laissant
du travail puis se maria et eut, m’a-on dit, une fille. dans une certaine incertitude quant au choix du futur
Sa femme mourut à la suite de l’accouchement. Il fondateur... Les semaines s’écoulèrent, le travail
décida ensuite de retourner au séminaire et avançait. Le père Bothua, qui assurait la messe le
Mgr Steinmetz l’envoya à St Priest au séminaire des dimanche à Akpakpa, écoutait les doléances des
vocations tardives de la SMA pour achever ses étu- paroissiens qui me réclamaient et leur laissait bon
des. Ensuite il fit sa théologie avec les séminaristes espoir que ça ne tarderait pas. Un conseil épiscopal
des Mission Africaines, demanda à être ordonné au eut lieu fin mai et je reçus la nomination que
Dahomey, ce qui lui fut refusé. Il en garda une cer- l’archevêque m’adressa le 31 mai. (Je signale que
taine rancœur. Il fut ordonné à Lyon en 1931 et, à Monseigneur à commis une petite erreur
son retour au Dahomey, chargé de fonder la mis- d’orthographe en écrivant : à Kpakpa (qui signifie
sion de Bohicon. Il avait alors 36 ans. Il se lança “canard” en fon) au lieu de à Akpakpa nom du
dans l’apostolat et dans la construction d’une église, quartier.)
immense pour l’époque, mais ne put en faire que
les fondations. C’est le père Ibaretta qui réalisa le
reste après son retour en 1958. C’est une des plus
belles églises du Dahomey, en granit provenant des
carrières ouvertes à Dan, non loin de Bohicon, pour FONDATION SACRÉ CŒUR
la construction de la digue du port de Cotonou et
dont un wagon, de temps en temps, restait en gare Le Sacré-Cœur D’Akpakpa
de Bohicon pour la construction de l’église du père quatrième paroisse de Cotonou 1958-1966
! (gratuitement, bien sûr !)
Ma nomination comme curé fondateur de
L’abbé Durand avait la réputation d’être la paroisse du Sacré-Cœur était l’aboutissement
autoritaire avec ses paroissiens mais aussi avec ses d’une longue préparation. Je ne reprends pas cette
vicaires. Pour eux il avait ce principe, qu’il leur histoire racontée dans un petit fascicule intitulé
annonçait dès leur arrivée : « Avec moi c’est « Les origines de la paroisse du Sacré-Cœur
soumission ou démission ! » (La petite histoire d’Akpapa ». Il date du 29-01-1974 et je l’ai préfacé.
prétend que tous ont démissionné...) Il est signé DFS i.e. Dominique Facoundo de Souza.
Pour moi il n’y eut pas de problème ; il est vrai II est bon de replacer cette fondation dans le
que je fus son premier vicaire européen et que je cadre historique de l’époque.
l’avais précédé dans la direction de la paroisse. Je
n’étais là que temporairement. J’avais aussi un Histoire de l’Église
certain humour qu’il appréciait ayant passé lui-
Le pape PIE XII meurt le 9 octobre 1958. C’est
même bien des années en France. Nous sommes
Jean XXIII qui est élu à sa place le 28 octobre1958.
même devenus des amis malgré la différence d’âge :
On parle de lui comme un pape de transition
il avait 30 ans de plus que moi. Je le mis au courant
car il est déjà âgé de 77 ans. Or trois mois après
des constructions que j’avais commencées à
son élection il annonce l’ouverture d’un concile :
Akpakpa. Il m’approuva totalement et je n’eus aucun
Vatican II, qu’il qualifie d’Aggiornimento, une
problème pour cela.
mise à jour, il faut ouvrir les fenêtres, donner
Mgr Parisot ayant repris les rênes (et, le curé me de l’air, conformer l’Eglise aux besoins de
laissant les coudées franches à Akpakpa) je l’invitais l’époque contemporaine ! La préparation de ce
à découvrir la nouvelle station. Il fut assez surpris concile demande quatre ans ; l’ouverture a lieu le
de voir ce qui existait déjà : trois classes en dur, 11 octobre 1962.
33
MA VIE MISSIONNAIRE
Jean XXIII meurt le 3 juin 1963. Paul VI lui mon départ à l’abbé Durand, qui connaissait la date
succède et relance le concile qui se terminera le fixée depuis le mois de juin, il s’écrie : « Vous n’allez
8 décembre 1965. pas m’abandonner ! » Je suis revenu partager le
Dans le diocèse de Cotonou, Mgr Parisot âgé repas de midi avec lui car c’était la fête de Notre-
de 75 ans, fatigué et malade donne sa démission ; Dame de Miséricorde, fête patronale de la paroisse,
il décède le 21 avril 1960. C’est Mgr Bernardin et j’ai rejoint mon nouveau domicile dans l’après-
Gantin qui lui succède et qui participera au concile. midi. Je jouis pleinement de mon indépendance !
Tout autour de la mission c’est la brousse, les
Histoire du Dahomey maisons les plus proches sont au moins à cinquante
Colonie française jusqu’en 1958 il accède mètres. Nous sommes en juillet, période des
comme toute les colonies d’AOF et d’AEF à vacances. L’école est vide, j’ai tout le temps de
l’indépendance interne, c’est-à-dire que le m’installer, de surveiller les travaux en cours pour
gouverneur devient président, qu’il y a une achever l’église et construire les trois nouvelles
assemblée nationale locale qui élit un premier classes. J’ai trouvé un ancien élève de Notre-Dame
ministre lequel constitue son ministère, la France qui me sert de cuisinier, il a déjà été au service d’une
conservant les Affaires étrangères, l’Intérieur et la européenne qui l’a un peu formé, mais il y aura
Défense nationale. Le pays fait partie de la bien des surprises parfois ! Il se forme sur le tas et
Communauté Française. M. Marcellin Sourou Migan comme je suis seul à table cela ne porte pas à
Apithy est élu premier ministre. Finalement en 1960 conséquence.
le pays accède à l’indépendance totale, devient Le nom de la paroisse était à l’origine : “Notre-
République du Dahomey et c’est M. Hubert Maga Dame du Sacré-Cœur” donné par une association
qui est élu premier Président. Ce passage à pieuse qui existait sur place. Puis Mgr Gantin, du
l’indépendance s’est déroulé dans le calme, fait que la paroisse mère portait déjà le nom de Notre-
l’euphorie patriotique et sans la moindre Dame, proposa “Le Bon Pasteur” nom d’une
xénophobie. paroisse suisse qui se proposait de subventionner
Ma nomination officielle comme curé d’Akpakpa les constructions. Ce fut enfin l’abbé Durand qui,
date du 31 mai, mais je reste à Notre-Dame jusqu’au avec son autorité habituelle, dit à l’évêque : « Ce
26 juillet avant de m’installer dans ma nouvelle sera le “Sacré-Cœur” comme à Montmartre ; on y
mission. J’ai aménagé le hangar acheté par le père fera l’adoration perpétuelle ! ». Akpakpa dépendait
Huet, qui voulait en faire l’église, après de savantes à l’époque de la cathédrale et je n’en étais pas encore
et astucieuses combinaisons, et que le père Ibaretta le curé ; je n’avais pas voix au chapitre. Mais par la
s’est contenté de monter pour qu’il ne reste pas à suite je m’accommodais très bien de cette
rouiller par terre. Je le divise en quatre pièces qui dénomination !...
me serviront de bureau, chambre, salle à manger En 1958, suite à l’encyclique “Fidei donum”
et oratoire pour célébrer la messe en semaine et faisant appel aux pays de chrétienté pour coopérer
conserver le Saint Sacrement avant d’avoir terminé à l’évangélisation du monde, les Sœurs de
d’aménager l’église inachevée. Quand j’annonce l’Education Chrétienne, congrégation enseignante,

Sacré-Cæur en 1958

34
MA VIE MISSIONNAIRE
se proposèrent de venir au Dahomey pour fonder Je pouvais avoir une confiance totale dans le
un collège de filles. Mgr Gantin leur demanda de père Grenot, c’était un pasteur, un gros travailleur.
s’installer à Abomey puisqu’il y en avait déjà un à Il avait de nombreuses casquettes : directeur de
Cotonou. Elles acceptèrent et fondèrent le collège l’enseignement, directeur de La Croix au Dahomey,
Ste Jeanne d’Arc. Mais désirant avoir un pied-à- fondateur et responsable national de la Légion de
terre à Cotonou elles choisirent le Sacré-Cœur où Marie. D’ailleurs il n’était curé que pour cinq mois
un terrain était libre pour des religieuses. et serait secondé par le père Bothua ; il gagnait aussi
en indépendance car il pouvait s’il le désirait, venir
La Mère Lescroard, supérieure d’Abomey me
s’installer au presbytère d’Akpakpa, loin du bruit de
demanda de construire leur maison d’habitation.
la ville de Cotonou. C’est donc après un séjour de
J’avais sur place une équipe toute trouvée et
quatre ans et demi assez fatigant, vu les différentes
continuai à faire le chef de chantier. Trois nouvelles
situations où je m’étais trouvé (vicaire, curé
sœurs arrivèrent en fin 1959 ; l’une d’elle se mit
intérimaire, à nouveau vicaire, chef de chantier et
immédiatement au travail en secondant une
fondateur de la nouvelle paroisse) que je pris le
monitrice dans l’école déjà existante à la mission.
bateau avec deux autres confrères en mars 1960.
Dès la rentrée suivante les sœurs ouvrirent leur
La santé était toujours bonne mais j’avais besoin de
propre école de filles. Petit à petit elles s’intégrèrent
reprendre quelques kilos (je n’en pesais plus que
dans la paroisse, sœur Suzanne qui tenait la maison,
63, j’en avais perdu 10 depuis mon arrivée en 1951).
était la plus proche des gens ; quelques années plus
Heureux de retrouver papa, maman et tous les frères
tard c’est sœur Monique qui organisa une chorale
et sœurs, de faire connaissance avec les nouveaux
de jeunes dans le style en vogue à l’époque, avec
neveux et nièces, de retrouver la France pour la
guitare et batterie. Elle forma aussi un groupe
deuxième fois, je profitais de ce temps de détente,
charismatique, mais j’avais déjà quitté la paroisse,
à la maison et en allant chez les uns et les autres.
c’était donc après 1966.
Mais j’eus une surprise imprévue. Je reçus une
Ayant achevé la construction des trois dernières lettre des sœurs qui m’annonçaient que le Supérieur
classes de l’école des garçons, je demandai à Régional avait décidé de s’installer sur le terrain de
Mgr Parisot de venir les bénir car elles devaient la mission d’Akpakpa et d’y construire la maison
servira à la rentrée suivante. C’était aussi lui montrer régionale, comme prévu dans les nouveaux statuts.
que la nouvelle paroisse prenait forme et l’occasion Il pourrait y accueillir les confrères de passage,
pour notre Archevêque de voir la communauté arrivant de France ou partant en congé, ceux qui
chrétienne. Il accepta donc bien volontiers de venir venaient à Cotonou pour y faire leurs achats ou qui
un dimanche pour cette célébration qui suivit la désiraient simplement se reposer. Que s’était-il donc
messe. passé ? Ni le père Bothua ni le père Grenot ne
Revenu de congé en 1955 je pouvais repartir à m’avaient écrit quoi que ce soit. J’ai eu l’explication
nouveau en 1959, mais je préférais retarder un peu par la suite car je répondis aux sœurs que tout
mon départ étant donné que je venais d’arriver à changeait pour moi et que je devrai quitter la paroisse
Akpakpa depuis moins d’un an et que j’avais en pour laisser la place au père Grenot qui, en tant
charge le chantier des sœurs. Je ne partis finalement que vice régional, devenait automatiquement curé
en France qu’en mars 1960. C’est alors le père de la paroisse de résidence du Régional.
Maurice Grenot que le père Bothua proposa à Voici l’explication : le père Grenot avait invité le
l’Archevêque pour assurer l’intérim. Je le père Bothua à faire passer les examens de baptême
connaissais bien car il était responsable de et de communion en langue fon qu’il parlait
l’enseignement catholique pour l’ensemble du couramment. Voyant le terrain assez vaste dont
Dahomey et résidait au presbytère de Notre-Dame. disposait la mission, il pensa que ce serait un lieu
Il faisait partie de notre communauté SMA : Ibaretta idéal pour y construire sa maison, se mit en contact
curé, le père Bothua Régional, Grenot directeur de avec le Provincial qui approuva. Le père Grenot ne
l’enseignement et moi-même vicaire. Il y avait aussi se sentait pas capable d’assumer ses nombreuses
le père Desbois qui n’osait plus trop intervenir cette responsabilités et d’y ajouter celle de curé du Sacré-
fois et ne faisait plus peur à personne. D’ailleurs je Cœur dont il avait eu la responsabilité pendant mon
réussis, à l’occasion de la grippe asiatique, en 1957, congé. Il décida donc, en accord avec le père
à le remettre sur le bateau en route pour Marseille Bothua, de donner sa démission de vice régional.
et La Croix -Valmer. C’est pourquoi le père Bothua, mis au courant par
35
MA VIE MISSIONNAIRE
les sœurs de ce que je leur avais écrit, s’empressa était fatigué, sans vouloir le laisser paraître. Je ne
de me tranquilliser en m’écrivant que pour moi il me doutais pas que je ne le reverrais plus ; en fait il
n’y avait rien de changé, je conservais mon poste était sérieusement malade, il dut être hospitalisé,
Je n’y comprenais plus rien ! Serions-nous deux à puis ramené dans sa famille ; il mourut à Camors,
résider avec le Régional ? Tout devint clair quand je son village, le 22 juillet 1966. Il n’avait que 60 ans
reçus une lettre du Provincial m’expliquant ce qui alors que nous avions l’habitude de l’appeler
avait été décidé en haut lieu et que le secrétaire affectueusement “le vieux Bothua”. Ce fut un choc
provincial avait oublié de me notifier : j’étais nommé pour tous les confrères du Dahomey qui l’estimaient
vice régional et restais ainsi curé de la paroisse. sincèrement et pour moi tout particulièrement qui
A mon retour de congé je retrouve donc le lui étais très proche depuis que je le connaissais, à
Sacré-Cœur et le père Grenot retourne à ses Notre-Dame puis à Akpakpa.
activités : Légion de Marie, direction de
l’enseignement primaire catholique des garçons
Le presbytère
et La Croix au Dahomey ; il a de quoi s’occuper !
La maison régionale est en construction et les
travaux vont bon train car le père Bothua s’est
adressé à l’entreprise Hersent, une grosse
entreprise française qui a bien d’autres chantiers
sur le territoire, donc personnel et matériel
importants. Le père Bothua peut déménager dès
le mois de janvier 1961. La maison est bénite par
notre archevêque Mgr Gantin.
Le père Bothua a recruté un excellent cuisinier,
Félix, qu’il avait repéré à Notre-Dame de Porto-Novo
alors qu’il faisait son apprentissage. Le régional m’a
demandé si mon boy, Joseph Soglo, pouvait venir
SUPÉRIEUR RÉGIONAL 1966-1974
à son service quant à moi j’irai prendre mes repas à Une fois de plus tout est changé dans ma vie :
la maison régionale. Tout s’arrangeait pour le mieux, je n’avais pas envisagé un tel bouleversement, les
surtout que le père Bothua était un excellent hôte, il amis et les paroissiens non plus. Pour la paroisse la
pensait que, pour faire du bon travail, il fallait avoir passation des pouvoirs ne posa pas de problème,
une bonne table. Ce fut pour moi l’occasion de faire le père Germain Flouret devenait curé et il
connaissance de tous les confrères du Dahomey connaissait déjà la paroisse depuis plus de deux ans,
qui venaient rencontrer le Régional, et restaient d’ailleurs je restais sur place, la maison régionale
volontiers quelques jours pour se détendre et faire étant sur la propriété. Je pouvais même intervenir
leurs achats. s’il avait besoin de moi pour assurer des messes ou
Les diocèses se multiplient : Celui d’Abomey fut les confessions du samedi. Aux yeux de beaucoup
érigé en 1963 avec pour évêque Mgr Lucien Agboka. de fidèles j’étais toujours le responsable…
La préfecture apostolique de Parakou où se trouvait J’assurais donc l’intérim, mais les confrères de
Mgr Robert Chopard, donna naissance à deux la SMA du Dahomey furent consultés pour la
diocèses : Parakou avec Mgr Van den Bronk, nomination d’un nouveau Régional. Peut être
hollandais, déjà évêque en Gold Coast,, et Natitingou n’avaisje pas le profil idéal de la fonction, surtout
avec Mgr Patient edois, ancien missionnaire à après un père Bothua, mais je pense que les
Djougou où il fît un séjour puis rappelé comme confrères se sont dit : « au fond avec Bellut il n’y
supérieur du noviciat de Chanly. Je le connaissais aura pas de problème, il connaît bien Cotonou et
bien puisqu’à Pont-Rousseau, en 1938 quand pourra toujours nous indiquer où aller pour nos
j’entrais en sixième, il me précédait d’un an. Ces courses et nos démarches. » C’est ainsi que je fus
deux diocèses furent érigés le 10 février 1964. désigné pour terminer le mandat du père Bothua,
Le mandat de supérieur régional fut renouvelé jusqu’en 1968.
pour le Père Bothua avec moi comme vice régional En tant que vice régional et curé de la paroisse
en 1964. Le père Bothua décida de partir en congé j’avais accueilli les nouveaux arrivants pour un an
en juin 1966, son année normale de congé mais il de formation durant lequel ils devaient étudier la
36
MA VIE MISSIONNAIRE
langue de la région où ils seraient affectés et faire participer à notre “concile”, ce qu’ils acceptèrent
connaissance du pays et des confrères. C’est ainsi de bon cœur ; ils réclamaient eux-mêmes une date
que mon premier stagiaire fut le père Maurice différente si pour une raison ou une autre nous ne
Collaudin qui fut ensuite nommé dans le diocèse pouvions pas nous réunir un lundi. C’était bon signe
de Porto-Novo. Le second ce fut Pierre Saulnier et la collaboration fut parfaite.
qui devint professeur au petit séminaire de Wando Devenu Régional, tout changeait pour moi : plus
à Porto-Novo puis curé d’Adjohon. de ministère paroissial direct, même si je restais en
Enfin j’accueillis Germain Flouret que le père contact avec les amis et aidais le père Flouret s’il
Bothua affecta comme vicaire de la paroisse du me le demandait. Les évêques avaient été prévenus
Sacré-Cœur. Nous avons vite sympathisé et nos de ma nomination et m’acceptèrent sans difficulté.
routes se sont entrecoupées par la suite : il m’a Il y avait maintenant six diocèses : quatre dans le
remplacé, puis fut nommé curé de Ste Cécile à sud avaient un évêque issu du clergé local, dans le
Cotonou ; il travailla à Sô-Tchanhoué dans les cités Nord où il n’y avait pas beaucoup de prêtres
lacustres avec le père Cogard. J’étais alors à Calavi originaires du pays mais surtout des missionnaires
donc voisin. Il m’y rejoignit, comme vicaire après SMA les deux évêques de Natitingou et Parakou
un temps de repos en France et finalement me étaient des Missions Africaines.
remplaça à mon départ pour Monferrier en 1993. Le rôle du Régional avait pris une importance
C’est là qu’il vint à nouveau avec moi pour se reposer. particulière du fait de l’évolution de l’Eglise. Nous
En fait il ne s’était jamais totalement rétabli d’un n’étions plus responsables de l’organisation de
ictère contracté sur le lac et il décéda, à l’âge de l’évangélisation cela était le rôle de l’évêque ; la
62 ans le 18 mai 1995 à Montferrier. Je n’eus qu’à Société des Missions Africaines devenait une
me féliciter de son ministère à la paroisse du Sacré- “Société de Vie Apostolique” au service des évêques.
Cœur. Il avait fait un stage dans une paroisse du Nouvelle situation qu’il fallait expliquer aux confrères
diocèse de Lyon durant son grand séminaire et en vue des modifications des Constitutions et
après son ordination ; il était rodé aux idées Directoire qui auraient lieu lors des prochaines
nouvelles postconciliaires ce qui me permit de me Assemblées Générale et Provinciale Il me revenait
mettre à jour moi aussi. d’organiser des réunions par diocèse pour étudier
les problèmes particuliers qui pouvaient se poser à
Nous avons vécu ensemble une expérience nous dans notre ministère, comme le soulignait le
pastorale enrichissante. Le curé doyen, archiprêtre Conseil provincial dans ma nomination : « …vous
de la cathédrale, prélat de Sa Sainteté le Pape, ce aurez, en plus de votre travail ordinaire de Supérieur
qui lui valait le titre de Monseigneur, j’ai nommé mon Régional à promouvoir les réflexions des confrères
ancien curé de Notre-Dame devenu “Monseigneur et à recueillir suggestions en vue des Assemblées
Durand”, vint un jour me trouver pour me supplier de 1968 et l’ “Aggiornament» de notre Société”.
d’assurer son intérim à la cathédrale car il devait se
Toutes les congrégations du monde entier
rendre en Europe pour un temps indéterminé afin
exerçant un ministère dans les diocèses devaient, si
d’y subir une opération chirurgicale. Il n’avait
cela n’était pas encore fait, signer des contrats avec
confiance qu’en moi seul, disait-il, pour assumer
les évêques locaux pour déterminer les attributions
cette responsabilité ! Il avait déjà fait appel, dans un
et responsabilités précises de chacun. Au Régional
cas semblable, à un de ses confrères mais avait
de prendre les contacts nécessaires avec les
trouvé la caisse vide à son retour... Malgré mes
ordinaires, pour indiquer la position de chacun d’eux
objections il tint bon et obtint gain de cause auprès
lors des assemblées. Le Régional devenait un
de l’archevêque qui m’envoya une nomination, assez
diplomate au rôle délicat. Aux confrères il me fallait
flatteuse.
exposer le problème auquel devait répondre la
Je plaisantais par la suite en disant que, curé SMA : d’après eux quelle devait être notre priorité
du Sacré Cœur, j’avais la cathédrale comme station au service des évêques, première évangélisation ou
secondaire. Nous avions coutume avec Flouret, ministère paroissial ? Les deux à la fois ? Les opinions
chaque lundi, de préparer ensemble la liturgie du étaient différentes, les discussions bien
dimanche suivant ; nous appelions cela notre argumentées. Dans le Nord moins de problèmes
concile ! Prenant en charge la paroisse mère, la du fait que les évêques étaient de notre Société et
cathédrale, je décidais de l’organisation avec les deux que nous étions pratiquement seuls. Il fallait
vicaires de Notre Dame et leur proposais de néanmoins prévoir l’avenir. Mais dans le Sud où il y
37
MA VIE MISSIONNAIRE
avait des paroisses bien établies dont le curé était Je dus rencontrer les différents évêques :
souvent un européen, fallait-il se retirer et laisser la Agboka à Abomey, Sastre à Lokossa et Mensah à
place au clergé local, au moins dans les paroisses Porto Novo ; toutes ces rencontres furent toujours
bien établies ? amicales, sans la moindre anicroche, mais il fallait
Les évêques africains avaient cette position : toujours se montrer diplomate. L’essentiel de mon
« Mais où est le problème ? Avec vous on ne va tout travail m’était tout tracé par les Constitutions et le
de même pas faire des contrats ! Vous êtes des Directoire ; mais son application souvent délicate.
nôtres ! Vous êtes NOS PERES DANS LA FOI ! » Et il J’avais heureusement la référence, qui m’était
fut impossible de parler contrat. Cette position comme instinctive : le père Bothua qui avait si bien
montrait bien leur estime pour nous : ils ne voulaient réussi dans son contact avec les confrères : « Si
pas faire de différence entre nous et leurs propres Bothua devait régler cela, que ferait-il ? » Après
prêtres ; mais les circonstances, l’évolution de l’Eglise ses tournées il me racontait volontiers, quand nous
locale, la diminution des vocations missionnaires en étions en tête à tête pendant les repas, les incidents
Europe, l’augmentation du nombre de prêtres rencontrés, les problèmes avec celui-ci ou celui-là,
diocésains, obligeaient à être plus réalistes, raison avec les différents évêques.
pour laquelle nous demandions de nous traiter J’appliquais les directives reçues de la Province
comme les autres congrégations venues récemment en organisant des réunions les diocèses où nous
travailler dans leurs diocèses. travaillions pour étudier les questionnaires
J’eus différents problèmes à traiter avec préparatoires aux Assemblées. Ce ne fut pas de tout
Mgr Gantin ; je le connaissais bien, nos relations repos. Nous avons indiqué les problèmes que nous
étaient très amicales. Cela n’empêchait pas que rencontrions par suite de la nouvelle situation où
parfois je doive plaider pour l’un ou l’autre confrère nous vivions du fait de l’établissement des nouveaux
et que nos points de vue ne correspondent pas diocèses et l’adaptation qui nous semblait nécessaire
exactement. Il voulait affirmer son autorité et je dans l’organisation de la Société, au niveau local,
devais prendre la défense du confrère, expliquer sa provincial et général. Je me demandais comment
façon de voir, après discussion nous prenions le père Bothua aurait traité ces problèmes lui qui
ensemble une décision ; ce n’était pas toujours n’était pas du genre à organiser de grandes
simple ! Surtout au début de son épiscopat où il se réunions, à faire un plan de réunion, un exposé
montrait souvent intransigeant… Mais un jour, après théorique. Il était très sensible et “encaissait” sans
avoir traité un problème, il me fit cette réflexion : trop réagir de peur de blesser, alors qu’il avait un
« Ce que je désire c’est que la Propagation de la Foi contact facile en tête à tête avec la plupart des
nous aide financièrement et que les Missions confrères. Je pensais parfois que son départ
Africaines nous envoient des missionnaires ! » prématuré avait peut-être été providentiel !
Pouvions-nous souhaiter plus bel hommage ? La Personnellement j’avais 40 ans (vingt de moins
pratique lui avait montré que, malgré quelques que lui !), je ne craignais pas la critique et avais la
frictions passagères, il était plus facile de traiter avec répartie facile. De plus il fallait périodiquement faire
nous qu’avec certaines congrégations arrivées des rapports, répondre aux questions posées, cela
récemment. n’aurait pas été de son goût et lui aurait causé bien
Il a toujours été très délicat vis-à-vis des des insomnies ! Mes tournées furent pour moi
confrères et ne manquait jamais de rendre visite à l’occasion de découvrir le pays, les confrères dans
nos familles, quand il venait en France, s’il savait leur cadre de travail et de parler avec les évêques
que l’une d’elles se trouvait proche d’un lieu où il se qui m’exposaient leur point de vue, ce qu’ils
rendait. Sa carrière fulgurante qui le mena au Vatican attendaient de nous.
où il devint cardinal, président de différentes L’après concile fut pour l’Eglise une période
Congrégations et finalement Doyen du Sacré délicate, de contestation pour les uns qui voulaient
Collège, le rapprocha de la SMA. Il recevait des changements parfois révolutionnaires, alors que
volontiers les confrères du Dahomey chez lui, à d’autres s’accrochaient à des coutumes obsolètes
Rome et la maison généralice était sa maison à et craignaient le moindre changement. Sur place,
l’occasion de réceptions qu’il devait faire. Finalement en mission, nous nous sentions assez éloignés de
il accepta de devenir membre honoraire des Missions tous ces bouleversements, beaucoup plus sensibles
Africaines. en France. Les échos nous arrivaient par la presse,
38
MA VIE MISSIONNAIRE
bien sûr, mais aussi par les nouveaux confrères et était professeur au grand séminaire de Ouidah,
par ceux qui revenaient de congé. La contagion nous spécialiste de la patristique, il eut l’occasion de mettre
atteignit petit à petit, il fallait bien se mettre à jour, en pratique, avec succès, les théories qu’il
mais nous étions plutôt prudents, peut-être même enseignait. C’était un gros travailleur, très bien
conservateurs. Nous apprenions les défections dans organisé, s’efforçant de connaître sa paroisse à fond.
le clergé en Europe ; sur place au Dahomey, il y en Il construisit une nouvelle église, sur un modèle qu’il
eut un peu, quelques unités. Le confrère qui se avait vu à Abidjan. Il fut un précurseur dans le travail
sentait mal dans sa peau et dans le sacerdoce, de l’inculturation, organisa avec des confrères
traitait son problème avec le Supérieur provincial dahoméens une équipe de traduction. Il fit traduire
lors d’un congé et prenait le large sans que le le missel en fon-gbé, puis les évangiles. Il travailla
régional n’ait la moindre décision à prendre. avec des spécialistes du pays à la composition de
Revenons-en à ma succession à la paroisse du cantiques sur des airs traditionnels locaux et installa
Sacré-Cœur. Lorsque je fus nommé comme sur la paroisse des chorales : Hanyé, Sèhouégnon,
régional pour terminer le mandat du père Bothua, Adjogan. De ce fait la chorale traditionnelle, que
le Provincial me demanda de désigner le père j’avais lancée, mourut de sa belle mort et ses
Flouret, mon vicaire, comme successeur. En 1967 membres vinrent se plaindre à moi. Je dus
il prenait son congé et c’est le père Pierre Trichet reconnaître que c’était lui qui avait raison car il était
qui assura l’intérim. dans la ligne de l’Eglise de l’après concile ! La chorale
“Cécilienne” fut rétablie par la suite quand il y eut
Mgr Gantin n’avait pas apprécié que la paroisse un curé Béninois ! Malheureusement l’harmonium
soit devenue ”pleno jure”. Le régional ayant là sa qui avait été mis de côté dans un débarras était
résidence, le vice régional devenait de droit curé, inutilisable, rongé par les termites !
chargé de la formation des nouveaux missionnaires
Notre fondateur, Mgr de Marion Brésillac, avait
arrivant au Dahomey. Il disait que de ce fait son
d’ailleurs écrit dans “Souvenirs de douze ans de
autorité était limitée, qu’il était obligé de confirmer
Mission” (p.290) : « On veut transformer ces peuples
une nomination qui dépendait des supérieurs SMA.
en des peuples français, anglais, italiens, portugais
En fait c’est ce qui se passait pour toutes les
ou autres, avant que de les initier franchement dans
paroisses du diocèse confiées à une congrégation,
tout ce que notre religion a de fécondité dans ses
mais nous n’avions pas de contrat, nous étions
divines institutions. Laissez donc l’Indien toujours
considérés comme du clergé local, nous “les Pères
indien, et le Chinois, chinois; et faites-en seulement
dans la foi”.
des enfants de Dieu et de l’Eglise. » C’était là le vrai
Il profita donc des changements survenus par problème et ce devait être notre premier souci, ce
suite de ma nomination et du départ en congé de que nous devions favoriser dans nos communautés
Flouret, pour le nommer à son retour curé de la chrétiennes.
paroisse Ste Cécile en remplacement du père
Francis Verger qui quittait le Dahomey. Il le remplaça LES ASSEMBLEES
par le père Michel Dujarier, fidei donum du diocèse
de Tours. Tour de passe-passe que personne ne Les Constitutions avaient été modifiées dans les
sembla remarquer : ni le Supérieur Général, Joseph années 1955, lors de l’assemblée générale. Le
Hardy ni le Provincial, Paul Falcon, ni le Régional, supérieur des confrères en mission appelé “Visiteur”
en l’occurrence moi-même ! D’ailleurs nous avions et nommé par le supérieur provincial devenait
été les premiers à contourner la
loi en nommant Flouret comme
curé alors que le vice régional,
nommé par la suite, fut le Père
Prat, curé de Ouagbo. Mais
nous n’avions pas envie
d’envenimer la situation, et nous
avons fait semblant de ne rien
remarquer.
Le père Dujarier fut
Assemblée générale 1973
d’ailleurs un excellent curé. Il
39
MA VIE MISSIONNAIRE
“Supérieur Régional”. Il était nommé, après un peu plus notre congrégation en redonnant une
consultation des confrères de la mission, par le autorité plus réelle au Général sur l’ensemble des
Provincial, nomination approuvée par le supérieur Provinces
Général. Il représentait la SMA devant les évêques En fait nous avons ressenti dès le début de
depuis que les diocèses avaient été institués. Il était l’Assemblée qu’il y avait deux groupes différents :
le lien entre les supérieurs majeurs et la hiérarchie les anglophones et les francophones. Les provinces
locale. Deux représentants des Régionaux, l’un de Lyon et de Strasbourg demandaient que l’on
anglophone, l’autre francophone, étaient élus par redonne une autorité plus réelle au supérieur
les confrères en mission, membre de l’Assemblée général, les irlandais tenaient à conserver les
Générale de Rome. C’est moi qui fus désigné pour avantages acquis par les provinciaux et que, chaque
représenter les régionaux francophones à Rome ; province, ayant son type de pastorale propre, nous
pour l’assemblée provinciale tous les régionaux en poursuivions comme auparavant. Ils ne réalisaient
étaient membres d’office. pas que notre situation avait changé et que nous
Le but de ces assemblées, qui avaient lieu tous étions au service des églises locales, donc plus
les sept ans, était avant tout d’élire un nouveau maîtres de la pastorale qui relevait des évêques.
supérieur Général et son conseil, un provincial dans Deuxième risque d’affrontement : l’élection du
chacune des provinces. Il y avait aussi certaines nouveau Général. Depuis 1937 les deux supérieurs
questions à traiter, administration, finances, mais la généraux avaient été des Irlandais (Slattery et
durée des assemblées était relativement brève, de Harrington). Les deux provinces les plus
8 à 10 jours. Cette fois-ci il fallait faire notre importantes, Lyon et l’Irlande, avaient le même
“aggiornamento”, revoir les constitutions et le nombre de délégués ; restaient l’Angleterre, fondée
directoire pour les adapter aux décisions du Concile. opportunément un ou deux ans avant l’assemblée
Dès le début de la réunion à Rome nous nous et composée surtout d’irlandais, la province de l’est,
sommes posé bien des questions pour établir le francophone, celle des Etats-Unis fondée par la
programme. La première était de fixer la date de province des l’Est, enfin la Hollande. Une solution
l’élection du Général et de son Conseil. Fallait-il la fut trouvée après un travail en coulisses : le choix se
faire dès le début, après les rapports des porta sur le père Henri Monde, de la province de
participants : général, provinciaux, régionaux pour Hollande, parlant parfaitement le français et l’anglais.
qu’ensuite le nouveau général et son conseil dirigent Il fut élu avec Joseph Hardy comme vice supérieur,
les débats ou bien fallait-il attendre la fin de un conseiller irlandais, un américain et un alsacien.
l’Assemblée, une fois les décisions prises pour que Petit à petit l’atmosphère se détendit, le mélange
ce nouveau supérieur ait le profil convenable pour s’opéra dans les différentes commissions
les appliquer ? Nous avons opté pour la deuxième (constitutions, provinces, régionaux, finances etc.).
solution, c’est-à-dire faire le point de la situation par La seconde session, en septembre, acheva les
les rapports et ensuite choisir le Général et son travaux. Tout le monde admit les réformes et surtout
conseil qui pourrait mener les débats. Vaste le besoin d’une centralisation autour du Général et
programme, nous avions envisagé un mois de travail son conseil, ce qui donna naissance au Conseil
car nous étions limités par la date des assemblées Plénier, formé du Conseil Général, des provinciaux
provinciales, déjà fixée. En fait nous avons été obligés et de deux délégués des régionaux, qui devrait se
de programmer une deuxième session qui se tint réunir chaque année pour traiter les problèmes les
au mois de septembre, après les vacances. plus importants qui se seraient présentés et faire le
Une autre question était celle des structures de point de la situation dans l’ensemble de la SMA.
la SMA. A l’origine tout dépendait du Général qui
résidait à Lyon, nous étions les Missions Africaines ASSEMBLEE PROVINCIALE :
de Lyon. Les irlandais devenus nombreux obtinrent
de fonder leur province, puis ce furent les alsaciens, Elle se tint au “150” dans un esprit très fraternel,
les hollandais et donc Lyon. Chaque Province devint prit connaissance des modifications prévues à Rome
une entité assez indépendante et la SMA une sorte par l’assemblée générale. C’est le père Paul Falcon
de fédération de provinces, chacune tenant à son qui fut élu comme Provincial avec son conseil. Il
indépendance. Les provinciaux étaient les maîtres, put ainsi diriger les débats se faire le porte-parole
le Général, notre représentant officiel sans grands de la Province à la deuxième session de Rome. Nous
pouvoirs de décision. N’était-il pas bon de centraliser avons réalisé de façon concrète les réformes
40
MA VIE MISSIONNAIRE
nécessaires à la suite du Concile Vatican II de C’est Mgr Christophe Adimou, son ancien vicaire
l’évolution de l’Eglise et de la crise des vocations. général, puis évêque de Lokossa qui fut nommé
A la seconde session de l’Assemblée générale pour le remplacer. Il était le premier évêque
nous avons achevé l’ensemble des documents, Dahoméen à être nommé sans avoir poursuivi des
approuvés un à un, puis rédigé le document final études supérieures à Rome ou en Europe, mais
des nouvelles Constitutions. Une centralisation plus c’était aussi le premier à avoir exercé un long
importante était décidée grâce au “Conseil plénier” ministère paroissial en brousse et en ville comme
annuel qui pouvait prendre des décisions vicaire ou curé. Cela lui valut l’estime des
importantes, énumérées dans les textes, ce qui missionnaires et de son clergé, il avait l’expérience
donnait plus de pouvoirs au Supérieur Général. de ce que nous vivions. Il connaissait très bien les
Cette évolution favorisa une certaine dynamique us et coutumes du pays et la religion locale : sa
nécessaire dans l’époque que nous abordions après maman avait été féticheuse et ne se fit baptiser que
le Concile. J’ai eu la chance de participer à l’une de peu de temps avant sa mort.
ces réunions, durant mon second mandat de
Régional, aux Etats Unis, en notre maison provinciale RÉTROSPECTIVE SUR MON
de Tenafly.
De retour au Dahomey, ma première tâche fut
DEUXIÈME MANDAT
d’organiser la consultation des confrères de la Ne gardant pas un souvenir bien précis de ce
région pour l’élection et la nomination d’un nouveau deuxième mandat je me suis reporté à mes archives
Régional. Je fus renouvelé dans mon mandat pour ce qui m’a rafraîchi la mémoire. En fait j’ai conservé
une durée de cinq ans, jusqu’à la future Assemblée quelques lettres qui datent de 1973-74 et qui me
Provinciale. Petit à petit l’évolution post conciliaire rappellent comment il s’est terminé.
s’opéra sans heurts majeurs, même si les rapports A la suite des assemblées et du fait de
avec les nouveaux évêques locaux occasionnaient l’établissement de nouveaux diocèses les années
des frottements inévitables entre les confrères et 1968-1973 furent des années de rodage d’un
l’ordinaire, à l’occasion des mutations, des nouveau système où les évêques, issus du clergé
modifications dans la pastorale ; certains venaient local, prenaient leurs responsabilités et parfois
me trouver ou me disaient, à l’occasion de mes
tournées : « Voici ce qu’a décidé Monseigneur ! Tu
devrais lui dire… ». Il y avait maintenant dans le
sud quatre diocèses : Cotonou, Porto-Novo,
Abomey et Lokossa. C’est surtout à Porto-Novo
(Mgr Vincent Mensah) et Lokossa (Mgr Robert
Sastre) que les problèmes se multiplièrent. Petit à
petit, les confrères sentirent qu’ils étaient plus
supportés que désirés, et, prenant de l’âge,
demandèrent à rester en France à l’occasion de leur Assemblée provinciale 1973
congé, ou de changer de mission ou de diocèse.
Au diocèse de Cotonou il y eut un grand faisaient sentir à ceux qui montraient quelques
changement : Mgr Gantin était nommé secrétaire réticences qu’ils tenaient à ce qu’on se soumette
de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la sans réserve. Beaucoup de missionnaires me firent
Foi en 1970. Il fit à Rome une carrière très comprendre que je devrais les défendre et faire
remarquée; cardinal en 1977, responsable de comprendre à l’évêque que s’il voulait s’imposer de
Justice et paix, puis de la Congrégation des évêques force nous irions ailleurs ! C’est alors que je dus
(problèmes de Mgr Lefebvre et de Mgr Gaillot) il fut user de diplomatie, voir l’un ou l’autre évêque et
élu Doyen du Sacré-Collège en 1994. Il eut l’amitié essayer de lui demander d’arrondir les angles. Il me
de Jean-Paul II. En 2002, atteint par la limite d’âge, répondait gentiment qu’il comprenait ma démarche
il se retira au Bénin. En 2008 il dut être hospitalisé mais que l’on avait mal compris ce qu’il voulait…
d’urgence à Paris il y mourut le 13 mai. Le Bénin lui Les confrères me trouvaient trop faible, ils auraient
fit des obsèques nationales exceptionnelles. Le voulu trouver dans le régional une sorte de chef
gouvernement décida de baptiser de son nom syndical défendant sa corporation ; je devais
l’aéroport de Cotonou ! absolument exiger un contrat avec les évêques !
41
MA VIE MISSIONNAIRE
Les Assemblées eurent lieu en 1973. Occasion épiscopale, toi ou Prat. Alors une question se
de faire le point sur l’application des décisions de pose : tiens-tu à remettre cela comme
1968 et pour les confrères d’exprimer leurs Régional ?... Si tu n’y tenais pas, le Conseil
critiques, leurs revendications en particulier vis-à- provincial aimerait te “récupérer” pour un poste
vis des évêques. Il y eut un grand branle bas : dans important en France dans le genre de celui
dont tu m’avais parlé.
la province de Lyon, Falcon fut remplacé par le père
Jean Bonfils. Celui-ci ne se doutait pas qu’il serait Par ailleurs, si on interprète le vote des
choisi mais la consultation des confrères l’avait mis confrères, ils manifestent une volonté de
changement. En choisissant Prat cette volonté
en tête de liste, après Falcon, je crois. Certains, le
serait en partie satisfaite. Voilà où nous en
trouvant trop personnel et pas assez au goût du
sommes de nos réflexions, et je t’assure que
temps, firent campagne contre lui. Durant ce n’est pas facile. Si un deuxième candidat
l’assemblée provinciale le travail de coulisses fut s’était détaché plus valablement, cela nous
intense, Falcon ne fut pas réélu. aurait sans doute facilité la tâche. Alors
Conformément aux constitutions, dès mon réfléchis toi-même. Jean Bonfils te téléphonera
retour au Dahomey j’organisai la consultation des le jeudi 27 entre 8 h et 8 h30 pour savoir ce
confrères pour la nomination d’un Régional en que tu en penses. Si on ne peut t’avoir le 27
octobre. Vu le délai nécessaire pour que chacun (car il parait que ce n’est pas facile pour avoir
adresse son vote au provincial, que le dépouillement Cotonou), on essaiera de t’appeler samedi 29
entre 8 h et 8 h30. J’espère que la lettre te
se fasse en réunion du conseil provincial, voici la
parviendra avant. »
réponse que je reçus de Raymond Domas, vice
provincial, datée du 20 décembre 1973 : Fraternellement. Raymond Domas.
Je ne me souvenais pas de tous ces détails précis
« …Autre question plus délicate : le choix
qui me remettent aujourd’hui dans l’ambiance de
du Régional pour le Dahomey. Nous sommes
plus qu’embarrassés… pour ne pas employer l’époque. Quand j’ai écrit plus haut qu’il y avait bien
un autre terme… ce qui était un peu à prévoir. quelques frottements parfois avec les évêques, je
Une des raisons, presque la moitié des votants pensais en particulier au diocèse d’Abomey où le
n’ont mis qu’un seul nom au second tour, alors père Desbois avait parfois maille à partir avec
qu’il est dit dans le texte, pour le second scrutin : Mgr Agboka et ne craignait pas de prendre la parole
“chaque électeur choisit deux noms parmi les en public dans les réunions du clergé pour défendre
six majoritaires (un bulletin comportant un ou les SMA, ce qui n’était pas du goût de l’évêque ! Il
deux noms est cependant valide)” est aussi m’avait lui-même fait part de cela et regardait un
valable pour le deuxième tour… mais il y a des peu Desbois comme le porte parole des mécontents,
inconvénients et nous nous en rendons comme un chef syndicaliste. Dans une lettre que
compte, car cela nous amène à avoir un Monseigneur a adressée au Provincial et que celui-
premier candidat largement majoritaire avec les
ci m’a envoyée : c’est éclairant. On voit en effet le
deux suivants assez loin derrière. Voici la
rôle que je devais avoir, l’opinion que Monseigneur
situation que je t’expose confidentiellement, car
rien n’est encore décidé. Desbois arrive avait de moi et la raison qui a poussé les confrères
largement en tête avec plus de la moitié des à vouloir un nouveau Régional. Cela explique aussi
voix sur 90 votants. Or nous avons reçu les l’étonnement de Domas (“étonnant”) devant le
réponses des évêques : ils sont unanimes (au consentement de la conférence épiscopale pour la
moins les quatre du sud) à refuser nommément candidature de Prat qui, lui aussi, n’était pas toujours
le P. Desbois. Motif : “il nous sera impossible en odeur de sainteté chez les évêques à cause de sa
de dialoguer avec lui” Dialogue impossible, franchise !
pourquoi ? Les raisons ne sont pas données, Le père Bonfils, provincial, me téléphona donc
mais elles se devinent. Nous pensons que
comme prévu, me demandant si j’avais bien réfléchi
maintenir le père Desbois serait aboutir à un
et quelle était ma position. Je lui répondis que
blocage systématique. Il nous reste donc les
deux suivants qui n’ont pas la moitié des voix j’accepterai la décision du conseil et qu’il était normal
(à peine le tiers) : toi et Prat. Tu es le deuxième de faire passer en premier lieu le désir des confrères,
suivi à quelques voix près de Prat. Je dois te surtout qu’il n’était pas ambigu. Je n’éprouvais
préciser que Prat est accepté par les évêques d’ailleurs aucune aigreur du fait qu’ils aient choisi
(étonnant !...) Mgr Adimou nous a écrit donnant un autre Régional ; il y avait bientôt huit ans que
comme acceptable, au nom de la Conférence j’occupais le poste et je ne désirais aucunement
42
MA VIE MISSIONNAIRE
continuer encore cinq ans. S’il y en avait un autre nous avions eu durant mes mandats. Je transcris la
qui veuille la charge, je lui souhaitais bon courage lettre que m’a envoyée Mgr Van den Bronk évêque
car ce n’était pas une sinécure ! Le père Bonfils fut de Parakou.
soulagé de ma réponse et me dit qu’il réunirait le Parakou le 3 janvier 1974
conseil immédiatement pour voir quoi décider. Le
lendemain nouveau coup de téléphone : « Denys, Bien cher Père.
c’est d’accord. Mais je te demande un nouveau J’ai reçu votre missive du 29-12-73 avec
service : vois Desbois et annonce lui qu’il sera votre carte : je comprenais le message dès que
nommé si Mgr Agboka ne s’y oppose pas ; puis va j’avais vu le trait d’encre effaçant l’indication
de votre fonction. Le SMA a été effacé aussi
voir Agboka pour le prévenir et tu nous donneras sa
mais je suppose que vous restez membre de
réponse. »
la Société ! Et même au conseil régional ? En
La commission fut faite immédiatement. cette qualité supposée je vous joins une petite
Monseigneur, à qui je rendis visite à Abomey dès note pour le Père Desbois dont j’ignore
que ce fut possible, me dit : « Je pense que le père l’adresse. Veuillez la lui passer après l’avoir
Desbois fera très bien ce travail. Il est dévoué et lue et avec vos explications au besoin. Car vous
prendra ses responsabilités ». Je fus étonné moi- connaissez un peu tout au Borgou et je pense
même de cette réponse sans aucune réticence et que nous avons besoin de l’aide du Régional
soulagé de pouvoir annoncer cette bonne nouvelle durant les mois à venir.
au Provincial. Entre temps je vous remercie de ce que
Au téléphone de nouveau, le lendemain vous avez fait pour ce diocèse. Cela n’a pas
toujours été facile et vous n’avez peut-être pas
« Monseigneur accepte, sans aucun problème ! ».
la satisfaction d’avoir obtenu ce que vous
Un ouf de soulagement ! désiriez. C’est pour vous dire que vos efforts
« Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ? ont été appréciés même je crois par les Pères...
– Ce que décideront mes supérieurs. ... J’espère bien venir à Akpakpa et, si
– Quoi ? possible, y rencontre le Père Desbois ? Sans
– Je répète : ce que me diront mes supérieurs ! vouloir l’assommer le premier jour je voudrais
– Eh bien, on n’est plus habitué à entendre parler tout de même l’entretenir de nos “problèmes”.
ainsi à l’heure actuelle !... Encore une fois bien sincère merci et Dieu
– Et même à venir en France ? vous aide dans votre nouveau (?) lieu de travail
– J’ai bien dit : ce que décideront mes Votre dévoué (signature).
supérieurs !
Le Provincial, Jean Bonfils, m’écrivit de Paris le
– « D’accord, compris ! »
31 décembre 1973 :
Quelques jours après, Bonfils m’annonçait que Bien cher Denys,
je devrai probablement rejoindre la maison
Après les communications téléphoniques
provinciale, qui s’était installée à Paris, rue Hidalgo,
que nous avons eues récemment au sujet de
en tant que secrétaire provincial et économe de la la nomination du nouveau Régional, je ne veux
maison. Je devais garder cela secret en attendant pas te faire attendre davantage une lettre du
la nomination officielle et rester quelque temps à conseil pour te donner quelque idée sur ton
Akpakpa pour que le nouveau Régional s’installe, avenir.
que je lui passe les consignes et qu’il aille en France Mais auparavant, je veux te dire au nom
pour la réunion du Conseil Provincial Extraordinaire du Conseil et de tous les confrères du Daho-
(COPREX), nouvelle structure instituée par la mey un très grand et très fraternel merci. Il y a
dernière Assemblée Générale, qui devait se tenir une onze ans quand je suis arrivé pour la première
fois par an et comprendre l’équipe provinciale et fois au Dahomey, tu étais déjà vice régional
les Régionaux de la Province. en même temps que curé de la paroisse, puis
tu as succédé au père Bothua, et tu as appris,
Tout cela s’est déroulé aux environs de Noël et sans perdre pour autant ton humour, ce que
début Janvier. Le père Desbois vint s’installer en c’est que d’être coincé entre les évêques, le
janvier. Je ne me souviens pas des réactions des Conseil provincial et les confrères. Je sais bien
confrères. J’en ai eu de la part des évêques à que c’est la fonction qui le veut, mais il est plus
l’occasion des vœux de bonne année. Ils me dirent que convenable d’exprimer un minimum de
leur reconnaissance pour les excellents contacts que reconnaissance à celui qui a su remplir cette
43
MA VIE MISSIONNAIRE
fonction en y mettant tout son cœur et toute Quand je me remémore cette époque, ces
sa foi. Donc, au nom de tous, grand merci ! événements : consultation des confrères pour la
Et maintenant, parlons de la suite. Nous nomination d’un Régional, nomination de Desbois,
nous sommes réunis tous les trois le 27 dé- je n’en garde aucune aigreur, aucun dépit. Je n’étais
cembre et nous avons décidé de te faire les pas au courant de la cabale montée contre moi par
propositions suivantes : certains confrères, des jeunes surtout, qui étaient
1) Tu aides A. Desbois à entrer en fonction arrivés après 1968 et avaient baigné dans la mentalité
et à expédier les affaires courantes sans doute
contestataire durant leur séminaire. Je n’étais pas
jusqu’à son retour du conseil provincial extra-
accroché à mon poste et même heureux de le quitter
ordinaire, car il y a les votes pour le vice régio-
nal et les conseillers à organiser et à dépouiller. car le régional est continuellement tiraillé entre
2) Après avoir pris le temps que tu vou- confrères et autorité, comme l’a si bien souligné le
dras pour saluer tes amis au Dahomey, nous père Bonfils.
te proposons ensuite de rentrer en France et J’étais tout à fait libre, me laissant conduire par
de prendre le poste de secrétaire général de la Providence et les supérieurs. Le Provincial me
la Province et d’économe local des “Hidalgos”. demandait de réfléchir à ses propositions : c’était
Les numéros 101 à 104 (p.4) des textes de
tout réfléchi !… j’acceptai immédiatement tout ce
l’Assemblée provinciale 73 et le Lien 112
que l’on me demandait et je crois même avoir
p.4 disent amplement ce que nous attendons
de ce secrétaire. Evidemment, ce n’est pas là répondu que s’il me choisissait pour ce poste de
une nomination, mais une proposition à laquelle secrétaire provincial c’est qu’il pensait que j’étais apte
nous te serions reconnaissants de bien à le remplir ; donc si ça ne marchait pas il n’aurait à
vouloir réagir sans tarder. Si tu acceptais ce s’en prendre qu’à lui seul.
service, tu nous enlèverais une belle épine du D’un autre côté je ne tenais pas à rester au
pied. Dahomey avec Desbois comme régional car je
3) Après avoir pris les consignes auprès
risquais d’être gênant pour lui qui avait été choisi
de Pierre Trichet (junior) et prévu avec nous
un planning de vacances pour assurer une
du fait que certains contestaient ma façon de remplir
permanence aux “Hidalgos” pendant l’été, nous ma fonction. D’un autre côté j’avais vingt-deux ans
te laisserions la possibilité de te recycler, soit de présence et, comme l’avait souligné Bonfils, il
par plusieurs sessions au cours de l’été, soit était normal que je paie mon écot à la Société en
en allant à l’Arbresle pour le stage théologi- acceptant un service en France. Je voulais aussi me
que d’octobre à décembre prochain. prouver que j’étais encore capable de remplir un
Me permets-tu d’ajouter pour être tout à rôle hors d’Afrique alors que bien des confrères se
fait clair, que nous te proposons ce poste de prétendaient incapables de se refaire à la vie
secrétaire provincial pour plus de trois ans, de européenne.
telle sorte qu’étant bien au courant des affai-
Je restai donc sur place pour accueillir mon
res tu puisses faire le lien entre notre adminis-
tration provinciale et la suivante. Tu as, je crois, remplaçant, j’annonçai par circulaire que Desbois
vingt deux ans de mission et nous croyons était nommé Régional et sur la même circulaire il
possible de te demander un bon temps de sé- indiquait la marche à suivre pour l’élection du vice
jour en Europe avant d’envisager par la suite régional, son programme pour le COPREX. Aucune
avec nos successeurs, un nouveau départ. allusion à son prédécesseur ni à l’intérim que je
Voila donc la nouvelle, comme on dit en devais assurer. D’ailleurs à son retour il réunit son
Afrique. Si, comme tu me l’as dit au téléphone, nouveau conseil auquel je ne fus pas invité, ce qui
tu es vraiment à la disposition de la Société m’a un peu chagriné. Je pensais qu’il eut été normal
pour un service, nous te remercions d’avance et fraternel de faire un petit geste de reconnaissance,
de bien vouloir accepter celui-là et nous éten- au moins symbolique. Je compris qu’on était dans
drons notre merci à ton temps de régionalat une autre mentalité, celle d’une opposition qui l’avait
où il faut croire que tu n’as pas si mal réussi
emporté sur une autorité obsolète déchue !
puisque les évêques t’auraient volontiers revu
à la même place. Quelques jours avant mon départ je reçus cette
A bientôt le plaisir de te lire. Je te prie de lettre de Joseph Hardy, notre nouveau Supérieur
croire à mes sentiments de fraternelle recon- Général que j’avais d’ailleurs connu à Pont-
naissance et sois assuré de ma prière. Rousseau où il faisait sa cinquième alors que j’étais
Jean Bonfils. en philo.
44
MA VIE MISSIONNAIRE
Rome le 8 mars 1974 je m’y opposais gentiment sous prétexte que moi
Mon cher Denis, aussi je désirais les avoir près de moi à la maison
Je ne voudrais pas te laisser quitter le régionale. Je pensais surtout que maman ne se serait
Dahomey sans te remercier pour l’excellent pas sentie à son aise et à l’étroit chez eux : la vie
travail réalisé pendant tout le temps où tu as africaine est tellement différente de celle des
occupé la charge de Régional. Je garde un européens !
bon souvenir de nos contacts mutuels au cours Voici donc cette lettre datée du 21 mars 1974 :
des cinq dernières années, spécialement
Denys,
pendant la longue tournée 69-70 où j’ai eu la
chance de connaître tes parents. Et aussi A peine es-tu en avion et que je suis encore
durant le Conseil Général Extraordinaire de en méditation au parapet que Mgr Durand est
Tenafly. Merci pour tout ce que tu nous as arrivé pour te faire ses adieux. Il a regretté
apporté en idées et en expérience. son retard, mais il m’a mis la joie au cœur à ce
point que notre séparation, si dure qu’elle soit,
Le métier de Régional est l’un des plus je n’aie pas de peine outre mesure.
difficiles dans la Société. Il est donc normal que Mgr Durand me fit une confidence que je tiens
l’homme qui l’accepte s’expose aux critiques à te transmettre ; aussitôt j’ai fait confidence à
et devienne parfois le bouc émissaire de tous Barthélémy, sauf à Etienne qui, tu dois le savoir,
les malaises et mécontentements. Pourtant j’ai est fort bavard. Tu sais, Mgr Adimou a eu
été étonné des réactions injustes et irréfléchies l’occasion de se soulager dernièrement à une
de quelques confrères à ton égard et je le leur visite du Père Desbois, il me l’a dit, je te le redis
dirai à l’occasion. Hélas ! l’hommerie est bien moi-même sachant que tu n’es pas bavard.
humaine, comme tu as dû l’apprendre au cours
Il était chez moi le nouveau Régional, eh
de tes mandats successifs. En tout cas sois
bien il est reparti rouge comme une tomate. Je
certain que ces réactions déraisonnables ne
lui disais que je suis bien au courant pourquoi
représentent en rien la pensée du Conseil
vous avez eu la confiance des collègues pour
Général sur ton action, ni non plus celle du
liquider le père Bellut. Il est question de former
Conseil Provincial si j’en crois les réactions
désormais une équipe et finie cette routine de
indignées de Jean Bonfils. En lisant le compte-
supérieur régional, et comme vous avez la tête
rendu du COPREX, j’ai vu que tu avais accepté
de syndicaliste on a songé à vous. Pour moi,
un service temporaire à la Province. Je suis
le syndicat et la Mission font deux, quoique noir
sûr que tu seras heureux de souffler un peu
je suis à la tête de l’archidiocèse du Dahomey.
et… de te ressourcer dans l’accent natal. Ta
Dès mes premières remarques ou dès que
mère sera sans doute contente de t’avoir près
dans vos dires je sens du syndicalisme, moi je
d’elle pour quelques années.
vous tiens informé que vous n’avez que vingt-
Je passerai à Cotonou après Pâques. Si quatre heures pendant lesquelles vous pouvez
tu es déjà parti je te reverrai certainement dans aller attendre soit à Lagos, soit à Lomé.
le courant de cette année à Paris. Tu penses si je suis en joie pour ces Vincent
En toute amitié. de Porto-Novo, ces Moulin, ces Ollivaud qui
Joseph HARDY assurément doivent recevoir du chef d’équipe
plutôt cette communication de la part de
Je pense tout commentaire inutile… Mgr Adimou. Si on donne vingt-quatre heures
Je partis donc, sans tambours ni trompettes mi- au chef de file qu’en dira-t-on des hommes du
mars. La première lettre que je reçus du Dahomey groupe ?
fut celle de Dominique de Souza qui avait été à Je tiens t’en aviser pour que cela ne soit
l’origine de la fondation de la paroisse d’Akpakpa. pas tard… Les pleurs ? C’est Agnès et
Il fut mon premier président du conseil paroissial, Georgine qui ont le premier prix, moi c’est
un ami ainsi que toute sa famille. Mon départ de la devant mon courrier que cela semble venir. Je
paroisse, en tant que curé, pour le poste de m’arrête donc.
Régional l’avait peiné ; mais je restais sur place et Embrassez tout le monde pour moi.
rendais de fréquentes visites à la famille. Quand papa Dominique de Souza
et maman vinrent me rendre visite en 1969-1970 il Une nouvelle page tournée ! Je vais passer
fut heureux de les accueillir et aurait aimé qu’ils quatre ans à Paris dans notre nouvelle maison
logent chez lui comme ils avaient logé, lui et sa provinciale. Je trouve une équipe sympathique :
femme, à Nanterre lors d’un voyage en France. Mais Bonfils le provincial, son assistant Domas qui est
45
MA VIE MISSIONNAIRE
du même cours que moi, Legendre conseiller et méthode. Un petit massicot, quelques serre-joints,
Grenot responsable des confrères de la Province colle à reliure suffiraient amplement pour cela et ne
dans nos maisons d’Europe et la diaspora. coûteraient pas aussi cher que de confier le travail
à l’extérieur. Accord conclu et de quoi m’occuper
MAISON PROVINCIALE pendant un bon moment.
Le travail de secrétaire ne me prenait pas
36 rue Miguel Hidalgo, beaucoup de temps : comptes rendus des réunions
Paris : mars 1974 – septembre 1978 du Conseil, courrier à distribuer et à expédier, accueil
« Songez qu’il n’y a qu’une place pour vous sur des passagers, permanence en l’absence des
la terre ; le Seigneur l’a fixée de toute éternité ; n’en responsables et me tenir au courant de la vie de la
veuillez pas une autre. » maison et de la province pour renseigner ceux qui
en avaient besoin. J’allais aussi de temps en temps
« …et moi je dis : heureux celui qui marche et
aux gares et à l’aérogare de Roissy accueillir les uns
qui reste où le Seigneur l’appelle ! » (Mgr de Brésillac
et les autres. Donc travail assez varié qui me
dans “Mes pensées sur les missions”. Citations de
convenait. Je faisais aussi le marché de temps en
Renzo Mandirola SMA dans le Bulletin N° 130)
temps avec la cuisinière, surtout pour l’aider en
Je rentrai en France et ne traînais pas en famille ; traînant le caddie !
papa était mort en août 1972 et maman, malade,
Un confrère du Dahomey arrivé en congé et me
avait rejoint Agnès et Jean à Mareuil pour se reposer.
voyant vivre dans cette maison, tout détendu,
Elle alla ensuite à la clinique de Rueil dont
retourna en mission après ses vacances et répandit
s’occupaient les Oblates de l’Eucharistie,
ce bruit : « Bellut ne reviendra pas ici, il se plaît
congrégation de Geneviève. C’est là qu’elle mourut
très bien rue Hidalgo ! » Ce confrère avait refusé un
à son tour le 1er octobre 1974. Une fois les parents
poste en France, ce qui lui paraissait impensable
disparus, nous missionnaires, nous n’avons pas de
après une dizaine d’années en mission !
domicile hors de nos communautés, même si frères
et sœurs se font un plaisir de nous accueillir C’est en 1978 qu’eurent lieu les Assemblées.
quelques jours pour les vacances. Joseph Hardy fut élu supérieur général en place du
père Monde dont il avait été l’assistant. Le père
Je rejoignis donc mon nouveau poste de
Bonfils avait fait savoir qu’il ne désirait pas renouveler
secrétaire et économe local. Le Dahomey et la
son mandat. Il fut d’ailleurs nommé secrétaire de
responsabilité de Régional me semblaient bien
l’Assemblée des Supérieurs Majeurs des
lointains ! L’ambiance de la maison provinciale était
Congrégations (masculines) des Religieux de France
excellente ; j’y retrouvais des confrères du Dahomey
créée à la suite du concile. C’est Raymond Domas
et il était fréquent que nous recevions des évêques
qui fut élu Provincial à sa place. De ce fait je n’avais
et des prêtres qui en venaient, c’était leur pied à
pas de raison de poursuivre mon séjour à Paris,
terre tout naturel lors de leurs déplacements en
comme cela était prévu pour assurer la continuité
France. De plus la maison provinciale recevait tous
au moment de la transition. Je demandais donc à
les confrères des missions durant leurs congés ainsi
rejoindre le Dahomey devenu Bénin en 1975. Il n’y
que ceux qui résidaient en France dans les différentes
eut aucun problème : l’ancien Provincial m’avait
communautés.
promis que je ne ferais qu’un séjour en France et
Ce séjour fut pour moi une occasion de changer Domas n’y vit aucun inconvénient, bien sûr !
totalement de vie. Je m’occupais surtout du matériel
en tant qu’économe. Une maison neuve a toujours
besoin d’aménagements : mobilier, placards,
étagères, peinture etc… et cela ne me gênait
aucunement car j’aimais bricoler. Le Père Bonfils,
homme d’ordre, voulut classer toutes les archives
apportées de Lyon lors du déménagement. Il me
chargea de les faire relier par des religieuses, mais
cela coûtait très cher. Je lui proposai de faire cela
Retour
moi-même car j’estimai qu’il ne fallait pas un outillage
en France pour
très important pour brocher les différents courriers, le premier congé
comptes-rendus et revues qu’il classait selon sa
46
MA VIE MISSIONNAIRE
PAROISSE SAINT ANTOINE DE ministre, qui dirigeait son gouvernement. C’était
l’indépendance interne, la France se réservant trois
PADOUE - ABOMEY-CALAVI ministères : défense nationale, finances et affaires
étrangères. Cette situation ne dura que deux ans :
15 octobre 1978- juillet 1993 le Dahomey, comme toutes les colonies, se voyait
Bref rappel historique. accorder l’indépendance totale. Donc élections
Avant de continuer mon récit, je crois qu’il est générales : députés, Président de la chambre. Celle-
bon de faire un bref rappel historique. En 1951, ci devait élire un premier ministre chargé de former
lorsque je débarquai au Wharf de Cotonou, le un gouvernement et se doter d’une constitution…
Dahomey était encore une colonie française, C’est le 1 er août 1960 que fut proclamée
depuis1895, avec Porto-Novo comme capitale, lieu l’indépendance. Les trois leaders politiques de
de résidence du Gouverneur représentant la France l’époque étaient Ahomadegbé chef de l’UDD (Union
et dirigeant, en son nom, cette colonie qui faisait Démocratique Dahoméenne) parti majoritaire à
partie de l’AOF (Afrique Occidentale Française). Les Cotonou, Ouidah, Abomey, Apithy chef du PRD
premiers missionnaires des Missions Africaines (Parti Républicain du Dahomey) Porto-Novo et Maga
avaient débarqué en 1861, donc bien avant la chef du parti représentant le Nord : Parakou,
colonisation française. Natitingou. En somme trois chefs régionalistes qui
ressuscitaient les royaumes d’Abomey (fons), Porto-
Après la fin de la guerre de 1939-1945, ces
Novo (gouns) et Nord (races voltaïques et
colonies étaient représentées à la chambre des
nigériennes). Aucune majorité absolue ne se
députés et le Dahomey avait trois sièges. Le premier
dégagea à la Chambre. Ce fut une lutte fratricide
élu avait été, en décembre 1945, le Père Aupiais,
entre les deux candidats du sud. Maga fit un accord
ancien missionnaire à Porto-Novo, devenu provincial
avec Apithy ; ils eurent la majorité absolue ; Maga
de Lyon. Il avait lutté pour obtenir une certaine
devint Président de la République et Apithy premier
autonomie des colonies d’Afrique, avait beaucoup
ministre. Cette situation ne pouvait durer ;
travaillé à l’émancipation des populations noires, en
Ahomadegbé dans l’opposition et maître de Cotonou
particulier en favorisant l’enseignement : écoles et
suscita des grèves, des manifestations pour un oui
collèges. Ce sont les dahoméens, possédant la
ou un non, réussit à retourner la population contre
nationalité française, qui lui demandèrent de
Maga (ce “Kaï-Kaï”, surnom donné aux peulhs du
déposer sa candidature. Il avait déjà 68 ans mais
nord, gardiens de troupeaux de vaches). Apithy
accepta volontiers ; sa tournée électorale au
s’allia avec Ahomadegbé. Coup d’état en 1963 !
Dahomey l’épuisa, il fut élu mais mourut avant
Nouveau Président : Apithy et premier ministre :
même de pouvoir siéger !
Ahomadegbé. Et les coups d’état se succédèrent,
En 1951 les trois députés étaient : les alliances de partis opposés ne satisfaisait
Ahomadegbé, Apithi et Maga ; il y avait aussi une personne. Le Dahomey eut le record, en Afrique,
Assemblée de l’Union Française, à Paris, où siégeait des coups d’état : cinq en 11 ans. C’était l’armée
monsieur Zinsou, élu par l’assemblée locale de qui agissait et, au bout d’un certain temps, peut-
Porto-Novo, sorte d’Assemblée Nationale dont les être sous la pression de la France (Foccart,
membres étaient élus par la population au suffrage éminence grise de De Gaulle pour les anciennes
universel. Plusieurs pères en furent membres au colonies d’Afrique, rodait par là), rendait le pouvoir
début mais bien vite ils laissèrent leurs places aux aux civils.
citoyens qui se présentèrent comme candidats. Le dernier coup d’état, organisé par trois
Quand le général de Gaulle fut élu président de capitaines originaires du pays fon au mois d’octobre
la République en 1958, la nouvelle constitution 1972 eut des conséquences beaucoup plus
française transforma les colonies en membres de importantes. Ces trois capitaines (Aïkpé, Assogba
l’Union Française (excepté la Guinée de Sékou- et Alladayè) redoutant une scission dans le pays
Touré qui choisit l’indépendance immédiate). entre Nord et Sud, choisirent comme chef du
L’assemblée locale devint Assemblée Nationale Gouvernement Militaire Révolutionnaire (GMR) un
Dahoméenne à l’image de celle de France ; les quatrième capitaine, Mathieu Kérékou, originaire de
députés furent élus par les citoyens dahoméens. Le l’Atakora et ancien aide de camp du Président
président du Dahomey était l’ancien gouverneur, Maga (!) promettant que dans les six mois ils
assisté d’un vice président, sorte de premier rendraient le pouvoir aux civils. Mais Kérékou
47
MA VIE MISSIONNAIRE
s’accrocha au pouvoir, opta en 1975 pour le lui-même à mes paroissiens qui n’ont plus de
marxisme, changea le nom du pays qui devint la curé depuis Mars. La vieille église lézardée
“République Populaire du Bénin” et le drapeau : vert n’est pas très vaste. Elle est comble et la
orné d’une étoile rouge. Il fallut attendre 1990 pour température est étouffante, première suée !...
aboutir au “Renouveau démocratique”. 1 h 1/2 de cérémonie, messe concélébrée avec
monseigneur en présence de Mgr Durand (83
Si j’ai fait ce retour en arrière c’est pour expliquer ans) qui a tenu à venir assister à la cérémonie
l’évolution du cadre où j’ai vécu, depuis mon arrivée au titre de l’amitié ; c’est le doyen des prêtres
en 1951, jusqu’en 1978 où je commençais un béninois et j’ai été son vicaire en 1958… Après
nouveau chapitre de ma vie missionnaire à Abomey- la messe vin d’honneur et même une bouteille
Calavi. de champagne !... Chants, tam-tam, danses…
J’étais Régional lors du coup d’état du GMR, à un gros brouhaha sympathique qui vous remet
la rue Hidalgo de 1973 à 1978. De là nous suivions immédiatement dans l’ambiance… Le soir je
les événements grâce à la correspondance et aux retourne à Akpakpa pour la nuit car il me faudra
médias de France (nous étions parfois mieux faire mon ravitaillement : conserves, légumes
renseignés que ceux qui étaient sur place et secs, matériel divers, lessive, eau de javel… Il
y a un gros nettoyage à faire dans cette mission
subissaient la censure ou les fausses rumeurs).
à l’abandon depuis six mois, il faudra même
Je suis revenu au Bénin le 15 octobre 1978, en tout repeindre, m’a dit monseigneur. Et ce n’est
plein régime marxiste ; il fallait toujours se méfier, pas tout, une simple mise en condition : il me
bien sûr, mais la tension avait baissé, la population faudra aussi construire une nouvelle église.
s’était adaptée à la situation, biaisait pour ne pas se L’ambiance ? Beaucoup de changement en
causer d’ennuis mais il ne fallait surtout pas critiquer quatre ans et demi de révolution mais au fond
la révolution ouvertement. les gens sont restés les mêmes et sous une
J’envoyais régulièrement des nouvelles à la apparente froideur ils cherchent à rendre
famille et j’ai retrouvé la première lettre que j’ai écrite service. Je suis allé acheter un timbre fiscal
dans un service administratif à Cotonou. Dans
de Calavi le 15 octobre 1978 qui m’a remis dans
une pièce voisine j’ai entendu : “Ce n’est pas
l’ambiance de l’époque. La voici :
la voix du père Bellut ?” J’y suis allé et les deux
Que de choses se bousculent dans ma dactylos, de mes anciennes jocistes, m’ont
tête !... Par quel bout commencer ?... Le mieux sauté au cou ; comment voulez-vous qu’on ne
est sans doute de procéder par ordre reste pas attaché à un tel pays ?... Ce qui a
chronologique. Décollage de Roissy, le 7 à changé c’est le ravitaillement : pour la
12 h 30. Un avion complet, un DC8 avec plus nourriture de base les gens trouvent tout ce
de 200 passagers. Temps splendide, vol sans qu’ils désirent mais pour les produits venant
problème au dessus de la France, de d’Europe c’est difficile et on n’achète pas ce
l’Espagne, des Baléares, de l’Algérie. Puis le que l’on cherche mais ce que l’on trouve…dans
désert, le Niger et le Nigéria. Nous arrivons à les quincailleries par exemple, on a l’impression
Lagos vers 19 h ; après 45 minutes d’escale que c’est une fin de liquidation. J’ai cherché
et 20 minutes de vol nous arrivons à Cotonou, une cafetière durant toute la semaine, je n’en
il est 20 h et il a plu ; il fait nuit et la température ai pas trouvé. Heureusement que les confrères
est supportable. Mgr Adimou, l’archevêque de m’avaient prévenu et que dans mes bagages
Cotonou est là (J’ai été bien souvent l’accueillir j’ai une caisse remplie de casseroles, cocotte
à Roissy et il a tenu à me rendre la politesse ! minute, couverts, vaisselle etc. mais je dois
des confrères de Cotonou, Jo et sa femme (mon attendre l’arrivée du bateau dans un, deux ou
ancien boy d’Akpakpa) et les “amis de trois mois !
Nanterre” (groupe formé par les familles de J’ai la chance d’avoir sur la paroisse des
ceux qui avaient rendu visite à la famille lors sœurs africaines et même le noviciat de leur
d’un stage ou un voyage en France)…Je suis congrégation. Alors elles sont aux petits soins
immédiatement replongé dans l’ambiance et pour moi, elles ont accepté de m’envoyer mes
nullement dépaysé. Le lendemain dimanche repas et m’ont demandé ce que je désirais
quelques anciens amis viennent me souhaiter manger. Je leur ai dit de me faire la même
une bonne arrivée. nourriture que pour elles, si bien que je me
Le soir à 17 h 30 je me rends en voiture à suis mis à la pâte et à la sauce pimentée et je
Calavi, ma nouvelle paroisse située à 20 km m’y habitue. Et puis cela m’évite d’avoir un
de Cotonou. Mgr Adimou tient à me présenter cuisinier, ce qui devient un luxe aujourd’hui
48
MA VIE MISSIONNAIRE
surtout à Calavi qui est une paroisse au budget européens cela ne nous effraie pas, mais pour les
fragile. indigènes, fonctionnaires, instituteurs, employés de
Je me suis installé sur place, c’est-à-dire l’administration c’est une malédiction que d’y être
que j’y ai passé ma première nuit jeudi. affecté :
J’appréhendais un peu à cause du lit, un vieux « Tu vas à Calavi ? Ils vont te bouffer ! »
lit de fer qui doit avoir au moins mon âge, genre
lit cage d’autrefois, raide comme la justice et La mission est une des plus anciennes du pays.
un matelas de crin. Ma fois, ça s’est bien passé. Elle a été fondée par le Père Douris en 1898, c’était
La nuit tombée vers 19 h 30, je dîne, puis je une station secondaire de Ouidah. Installée en plein
fume une pipe tranquillement allongé sur une pays aïzo cette mission a peu de chrétiens
vieille chaise longue sous la véranda attendant autochtones mais plutôt des « étrangers » nagots,
que la transpiration se calme un peu dans la fons, minas. Tous les supérieurs, depuis l’origine,
fraîcheur du soir, goûtant la paix africaine en n’avaient été que des européens. Il y avait bien eu
écoutant les bruits du village. C’est le moment quelques vicaires dahoméens mais ils n’étaient restés
le plus agréable de la journée où l’on peut là que deux ou trois ans. Même les supérieurs
laisser trotter l’imagination. A 21 h 30, au lit, ce européens défilèrent en grand nombre, excepté le
qui fait que je me réveille vers 5h, j’ai tout le
père Barril qui resta onze ans, y fonda une
temps de réciter du bréviaire et de me préparer
congrégation de sœurs africaines, les Petites
à la messe, précédée de l’office, chanté avec
les sœurs, à 6 h 30. Me voici tout à fait heureux Servantes des Pauvres (devenues OCPSP = Oblates
d’être revenu dans cette paroisse de campagne Catéchistes Petites Servantes des Pauvres) et le Père
où la vie est moins trépidante qu’en France ou Aujoulat qui battit les records (une trentaine d’années
même qu’à Cotonou. » en plusieurs séjours). Tous les autres supérieurs
dépassèrent rarement un séjour de trois ans. Je peux
NOMINATION A CALAVI être fier d’y être resté quinze ans, de 1978 à 1993,
me trouvant ainsi en deuxième position !
Comme je l’ai écrit plus haut, j’avais accepté de Il y avait alors sept stations secondaires dont
faire un séjour en France, après vingt-deux ans de s’occupaient trois catéchistes, une école de filles
Dahomey, mais à condition de revenir ensuite, après tenues par les sœurs et une école paroissiale de
un seul séjour. Après nos assemblées, le nouveau garçons. Mais ces écoles avaient été nationalisées
provincial, Raymond Domas, prévint Mgr Adimou, par la “Révolution Marxiste Léniniste”.
de passage à Paris, que j’étais à sa disposition pour Mgr Adimou m’envoya en France cette
le diocèse de Cotonou. Il me posa la question de nomination :
savoir où je désirais aller. Je lui répondis, comme « Cotonou 16 août 1978
au provincial en 1974 : Cher père Bellut
«– J’irai où vous me nommerez ! Vous savez vous-même que votre
– En ville ou en brousse ? nomination à la tête de la paroisse St Antoine
– A vous de décider ! de Calavi est chose virtuellement faite depuis
– Eh bien ce sera en brousse. Mais que préférez- ma lettre envoyée de Ouidah.
vous, Allada ou Abomey-Calavi ? N’ayant plus de problème autour de la
– Comme vous voulez ! question, je me suis permis de publier dans
– Vous n’avez rien contre Calavi ? “Eglise de Cotonou” votre nomination comme
curé de Calavi. Vous êtes donc impatiemment
– Ni contre Calavi, ni contre Allada !
attendu, mais il n’y a quand même pas le feu à
– Eh bien vous irez à Calavi ! ».
la maison…
Dans sa tête c’est cela qui devait déjà être décidé. A bientôt, cher père Bellut et merci encore
Connaissant le pays, je savais qu’Abomey-Calavi une fois d’avoir accepté de nous venir en aide.
n’avait pas bonne réputation et que peu de confrères Grande union de prières
souhaitaient y aller. Ce village n’est pas très éloigné C.Adimou
de Cotonou, une vingtaine de kilomètres sur la route Archevêque de Cotonou.
centrale du pays qui mène à Allada, Bohicon, Savè, La première année, d’octobre 1978 à juillet
Parakou, Kandi et le Niger. Donc ce n’est pas un 1979, je me contentais d’expédier les affaires
trou perdu ; mais sa réputation c’est d’être très courantes. Mon prédécesseur, le père Germain
fétichiste et surtout le pays des sorciers. Pour nous Boucheix, était parti, malade, en mars et c’est le
49
MA VIE MISSIONNAIRE
les instances révolutionnaires. Le président du
conseil paroissial était un directeur d’école
primaire, Pierre Lawson, dont on m’avait dit de me
méfier car il faisait partie des instances
révolutionnaires ! Quand je le découvris réellement
je m’aperçus qu’il n’avait rien d’un marxiste, bien
au contraire, que ce n’était qu’une façade, comme
c’était le cas de la plupart de nos chrétiens qui
voulaient éviter les ennuis. Le régime marxiste disait
que la religion était une affaire privée, chacun était
libre de pratiquer la sienne mais il ne devait y avoir
aucune manifestation extérieure, aucune
propagande exceptées celles du parti. Ainsi la Fête
Dieu, qui était autrefois l’occasion de la procession
du Saint Sacrement dans les rues de la ville avec
Devant l’ancienne église, en compagnie de « Chère Soeur » reposoirs, n’avait plus lieu. On se contentait de
tourner trois fois dans la cour de la mission et de
père Théophile Cogard, ancien curé, qui fondait donner la bénédiction à l’intérieur de l’église.
alors la paroisse de Sô-Tchanhoué, citée lacustre et
Les stations secondaires ensuite ; il y en avait
ancienne station secondaire de Calavi, qui venait
sept : Akassato, Adjagbo, Domegbo, Tokan,
assurer la messe du dimanche.
Houèto, Ouéga et Ouédo. Elles se trouvaient dan
La révolution avait fait des dégâts : il n’y avait un rayon assez restreint, Ouédo la plus éloignée
plus de jeunes à la messe mais uniquement des n’était qu’à 12 km de Calavi. Pour s’occuper de ces
adultes surtout des personnes âgées, les sœurs, villages il y avait trois catéchistes permanents logés
leurs novices et leurs internes. L’église, pas très et rétribués par la paroisse et desservant les villages
grande, n’était pas pleine. Les écoles ayant été prises qui les entouraient. Cette organisation existait depuis
par l’état il n’y avait plus au catéchisme que les longtemps, on peut même dire depuis l’origine de
internes des sœurs, une douzaine environ. Pour les la paroisse ; son fonctionnement était bien rôdé.
gens il n’était pas question de se compromettre vis- Nous nous réunissions au début de chaque mois
à-vis du pouvoir marxiste qui organisait souvent des pour organiser le programme des messes, du
réunions le dimanche matin pour tous. Petit à petit catéchisme, l’étude des problèmes qui se posaient
cela tomba en désuétude tout le monde se lassant, et la formation des maîtres.
y compris les responsables qui n’avaient pas
nécessairement le feu sacré ! Seul le nettoyage des Dès le mois de juin 1979, ayant une vue
rues fut maintenu les samedis matin. Une soeur d’ensemble sur la vie de la paroisse je décidai de
assurait, un soir en semaine, le catéchisme des parler franchement aux paroissiens en leur disant
adultes en langue fon (sept ou huit femmes). Elle quel était mon programme. Mon impression était
se contentait selon la vieille méthode traditionnelle, que la paroisse vivotait car le gouvernement marxiste
de rabâcher questions et réponses alternativement avait créé un climat de peur et de suspicion qui
avec ses catéchumènes pour que ça rentre dans empêchait les gens d’afficher leurs convictions. Il
ces têtes rébarbatives. me fallait leur redonner confiance en eux, leur
Dans certains villages il y avait des montrer que moi-même je n’avais pas peur et que
catéchuménats organisés, dont s’occupaient des j’étais persuadé qu’ils étaient chrétiens convaincus,
catéchistes ; cela suivait son petit train-train au rythme que donc ils devaient reprendre leur pratique
du responsable, qui assurait catéchisme et chrétienne. Je leur dis donc à peu près ceci un
célébration dominicale. La révolution s’était dimanche durant l’homélie :
organisée là aussi, mais les structures traditionnelles « Mes frères ! Voici que je suis arrivé ici depuis
gardaient leur importance, de façon discrète mais quelques mois et j’ai fait connaissance de la
réelle. paroisse. Je me plais bien parmi vous mais je me
D’octobre à juin je découvris la paroisse. Le sens obligé de faire un choix : ou bien j’achète une
centre d’abord avec ses responsables, dévoués chaise longue, j’assure le ministère que vous
bien sûr, mais méfiants, se sachant surveillés par attendez de moi, messes, sacrements passant
50
MA VIE MISSIONNAIRE
ensuite mes journées sans souci à me reposer sous interdit par le gouvernement : aucune cérémonie
la véranda ; ou bien, avec vous, nous nous mettons religieuse en dehors de l’église !... « Et pourtant ils
au travail ! Je m’aperçois que cette paroisse a vieilli, nous laissent bien accompagner les défunts au
c’est une des premières du Bénin qui a plus de cimetière ! Donc j’irai avec les enfants de choeur
80 ans. Or nous ne sommes pas capables de bénir les tombes. D’ailleurs le cimetière est envahi
remplir notre église, qui n’est pas très grande, le par les mauvaises herbes et je vais inviter les
dimanche pour la messe. Au catéchisme il n’y a paroissiens à faire le nettoyage avant la
que quelques adultes, sept ou huit, et une dizaine Toussaint ! »
d’écoliers, uniquement des filles dont 7sept viennent J’en fis l’annonce le dimanche : « Demain nous
de l’internat des soeurs, donc de Cotonou et trois de allons tous nettoyer le cimetière pour qu’il soit propre
Calavi ! pour la Toussaint. » Le lundi à l’heure prévue
Je suis venu pour travailler, donc s’il n’y a rien j’attendis les travailleurs : personne à la Mission ! Je
à faire à Calavi je ne vais pas tarder à aller trouver me rendis au cimetière avec le sacristain, le
Monseigneur pour qu’il me donne du travail secrétaire catéchiste, Eliane une bachelière
ailleurs ! La première chose que je vous demande embauchée comme professeur au CEG et logeant
c’est d’inscrire vos enfants, du primaire et du à la mission, ainsi que deux jeunes qui logeaient
secondaire, au catéchisme. Je ferai moi-même le eux aussi chez moi. Nous nous sommes mis au travail
caté aux collégiens et je demande des volontaires avec houes, coupe-coupe, râteau et brouette. Nous
pour m’aider à faire le caté aux élèves des écoles étions seuls ! Après une demi-heure trois notables
primaires, filles et garçons. Je sais très bien qu’il chrétiens vinrent nous voir : « Mon père, ce n’est
n’y a pas de mauvaise volonté de la part des parents pas à vous de faire ce travail ! – Et pourquoi ? Je
qui, envoyant leurs enfants dans les anciennes n’oblige jamais personne à faire un travail que je
écoles chrétiennes, se figurent qu’on y enseigne ne peux pas faire moi-même ! » J’avais déclenché
toujours le catéchisme ; vous savez très bien que le scandale et la honte ! Nous avons continué
cela n’est pas vrai. Notre devoir est d’y remédier en tranquillement à nettoyer… pendant une heure
faisant le catéchisme à la mission pour tous les environ.
écoliers.
La leçon avait porté, le bouche à oreille, bien
Vous devez ensuite rappeler à tous vos proches, fonctionné. En effet l’après-midi tous les élèves de
amis et voisins que je les invite à revenir pratiquer l’ex-école catholique des garçons, qui se trouve juste
leur religion, c’est le devoir des chrétiens et personne en face du cimetière, étaient au travail dans le
n’a interdit de venir à la messe du dimanche ! » cimetière avec houes et râteaux, surveillés par leurs
La réaction fut immédiate et dans la semaine maîtres. Le cimetière était propre, la honte effacée !
j’avais six catéchistes volontaires, des adultes heureux Qui pourrait nous interdire maintenant de célébrer
de voir que leur nouveau curé n’avait pas peur de les défunts et de bénir les tombes ? Ce fut fait.
parler clairement. Aussi dès la rentrée d’octobre nous J’attendis des réactions ou des remarques du
avons eu un nombre assez important d’enfants des Comité Central de Calavi, du chef de district ou du
écoles primaires et une dizaine de collégiens maire… Rien. J’avais gagné, les chrétiens étaient
auxquels je faisais le catéchisme. Evidemment fiers et j’attendais une nouvelle occasion de lancer
j’exigeais qu’ils viennent à la messe du dimanche. le bouchon un peu plus loin !
Petit à petit par suite de l’effet boule de neige, l’église C’est à l’occasion de la fête du Chrit-Roi, que je
se remplit et devint même trop petite ! La machine décidais d’organiser la procession du Saint
était relancée, les habitudes reprises et personne Sacrement. Evidemment les membres du comité
ne nous fit aucune remarque. paroissial poussèrent les hauts cris. Jamais on ne
Je décidai de tâter le terrain et d’aller un peu m’autoriserait une telle manifestation ! Je répondis
plus loin. L’habitude était demeurée, malgré le tout simplement que je n’avais pas besoin
régime marxiste, de faire les enterrements à l’église d’autorisation ; n’étions-nous pas allés fêter les
et j’accompagnais les défunts au cimetière. Je dis défunts au cimetière sans que personne ne
donc aux paroissiens que nous irions au cimetière proteste ? Donc, s’ils avaient peur d’avoir des
en procession l’après midi de la Toussaint pour bénir ennuis, nous ferions un reposoir dans le cimetière
les tombes. Aussitôt les membres du Conseil car faire trois tours de cour de la mission avec
paroissial vinrent me trouver pour me dire que c’était l’ostensoir n’avait pas grand sens.
51
MA VIE MISSIONNAIRE
pourrait-elle autoriser une telle manifestation d’une
religion rétrograde et à la suite de la démarche de
membres de la “bourgeoisie comprador” locale !
Une délégation de ces notables se rendit donc
chez le “camarade chef de district” et posa sa
demande. Refus absolu de ce personnage, haut
placé dans la hiérarchie du parti, qui remplissait le
rôle de sous préfet. Les messagers vinrent me trouver
et me racontèrent comment cela s’était passé.
Quand il nous a refusé l’autorisation demandée
nous lui avons dit :
- Camarade, lorsque vous avez besoin d’argent
Nouvelle église inaugurée en 1985 pour vos écoles, vos maternités etc., vous vous
adressez à nous et nous vous aidons. Aujourd’hui
L’affaire s’ébruita et une dame de Cotonou nous vous demandons une simple autorisation qui
(Mme Taraffe, une libanaise), ayant eu vent de mon ne vous coûte rien et vous refusez. Alors sachez que,
projet vint me trouver pour me dire qu’elle possédait d’accord ou pas, nous ferons cette procession sinon
un terrain clos sur le chemin de “L’Asile”, maison inutile de nous solliciter à nouveau !
de repos des sœurs ; elle me proposa d’y installer - Je ne peux décider de moi-même, je dois en
un reposoir. Très bien ! Notre programme fut donc référer au Comité Central !
arrêté : départ de la procession de l’église, direction - Faites comme vous devez, c’est votre affaire,
“Les Enfants Chéris” (la fameuse propriété que par mais nous sommes déterminés !
la suite Mgr de Souza acheta pour le diocèse) ; Quelques jours après ils revinrent me rendre
premier reposoir. La procession continuerait ensuite compte. L’autorisation était accordée par le Comité
jusqu’à la propriété des sœurs où il y aurait un central à condition que la circulation ne soit pas
second reposoir et la fin de la procession. Je gênée donc interdiction de circuler sur la route
déposerai le Saint Sacrement dans leur chapelle et goudronnée internationale qui traverse la ville. « Pas
le rapporterais discrètement le lendemain (si je ne question, c’est par là que se déroule toujours cette
me retrouvais pas en prison !). Le parcours procession » ! Finalement un compromis fut trouvé :
représentait un kilomètre sur un chemin peu habité, nous n’occuperions que la moitié de la route pour
la provocation n’était pas trop voyante et je pensais laisser les voitures circuler. La procession eut lieu ;
que cela ne porterait pas à conséquence. Tout se une vraie folie ! Même les païens étaient là et j’ai
déroula sans problème ; au départ de la mission il entendu une féticheuse crier : « Mahu Tin ! » (Dieu
n’y avait pas grand monde, (toujours cette peur du existe !). La statue de saint Antoine était sur un char,
risque), mais petit à petit les gens arrivèrent et il y pick-up décoré et fleuri. Nous nous sommes
avait déjà beaucoup de monde au premier reposoir. efforcés, une fois sur la grand-route, de bien
Encore une fois personne ne vint me trouver pour marcher sur la droite. Un motard de la gendarmerie
me faire le moindre reproche. précédait la procession, un second fermait la
J’avais gagné une bataille et je m’en rendis marche, mais vu l’importance de la foule ils prirent
compte l’année suivante. Des notables de Calavi, la décision d’arrêter toute circulation et nous
installés à Cotonou où ils avaient de bonnes indiquèrent du geste d’occuper toute la chaussée.
situations dans l’administration ou le commerce, Ils montraient ainsi qu’ils étaient maîtres de la
vinrent me trouver pour me dire que cette année, situation et ne se souciaient pas des consignes mais
pour la fête de saint Antoine, patron de la paroisse de la sécurité de ceux qu’ils escortaient. Nous avons
et fête de toute la ville avant la révolution, nous ainsi profité de la route entière pendant un quart
ferions la procession traditionnelle le dimanche de d’heure. Impensable à l’époque ! Les gens de Calavi,
la fête (13 juin). Ils se chargeaient de faire les surtout les catholiques, relevaient la tête. Le parti,
démarches pour obtenir l’autorisation. Je donnais ce n’était qu’une façade bien trompeuse ; j’avais
évidemment mon accord total tout en ayant un atteint mon but : rendre la confiance aux fidèles et
doute sur le succès de leur démarche. Comment je pouvais compter sur eux qui n’avaient pas hésité
l’autorité locale révolutionnaire “marxiste léniniste” à s’afficher comme chrétiens. Par la suite, à
52
MA VIE MISSIONNAIRE
l’occasion de divers problèmes, en particulier FIN DE LA REVOLUTION
d’enlèvements de jeunes filles pour les donner en
mariage, j’eus à faire des démarches auprès du chef MARXISTE
de district, un capitaine, qui devint un ami.
La révolution s’essoufflait, les critiques vis-à-vis
Cette victoire remportée à Calavi fit en quelque
du “Parti”, des instances gouvernementales ou
sorte jurisprudence et les curés des autres paroisses,
responsables locaux étaient de moins en moins
dans la brousse comme à Cotonou, obtinrent
voilées. Des tracts anticommunistes circulaient. Les
l’autorisation d’organiser des processions pour la
caisses étaient vides, les fonctionnaires se
fête Dieu ou des manifestations paroissiales.
plaignaient d’être payés irrégulièrement et de plus
Avec le recul et après avoir vécu le déroulement en plus tardivement, les banques et la poste n’avaient
des événements qui se produisirent en 1990, (retour plus de liquidités, impossible de se faire payer les
à la démocratie), je pense que, si Kérékou opta pour chèques ou de retirer de l’argent de son compte
l’instauration du communisme ce fut uniquement personnel. Blandine a conservé ma correspondance
par opportunisme, s’étant entouré de conseillers, qu’elle m’a donnée à mon, retour en France. Voici
anciens étudiants en France où ils avaient échoué ce que je lui écrivais le 6 janvier 1988 :
dans leurs études et adhéré à des partis gauchisants.
Opter pour le marxisme léniniste c’était adopter un « Ici la vie devient de plus en plus difficile
au plan financier pour les gens du pays : so-
système qui permettait de tenir tout le pays avec
ciétés nationalisées en faillite donc liquidation
des structures constituées d’arrivistes qui obtenaient
du personnel sans aucune indemnité, fonction-
une autorité à tous les niveaux du pays. Ils naires impayés depuis trois mois, denrées chè-
s’imposaient grâce à la délation et tout le monde res à cause de la mauvaise récolte… On se
courba l’échine. Sous prétexte de faux complots on demande jusques à quand cela va durer. »
arrêta tous ceux qui voulaient protester, ils furent
Je suis parti en congé de juillet au début
jetés en prison, jugés par des tribunaux populaires
novembre 1989. En Europe c’était la fin du
et condamnés à la détention (comme les anciens
communisme et la débandade dans les pays de l’Est,
présidents) et même à mort comme l’abbé Alphonse
satellites de l’URSS : Pologne, Tchécoslovaquie,
Quénum (qui ne fut jamais exécuté). Des
Autriche, Allemagne (RDA) etc. De retour au Bénin
missionnaires furent même expulsés comme le père
j’ai senti qu’on y retrouvait la même situation et que
Chenevier de Perma et Faurite de Kandi. En fait une
la fin du communisme n’allait pas tarder.
seule force organisée pouvait résister, c’était l’Eglise,
solidement implantée dans tout le pays. Elle ne fit Chaque année, un mois après la rentrée, donc
rien de spectaculaire mais Kérékou, qui en fait en novembre, l’archevêque réunissait le
n’avait rien d’un marxiste, comprit assez vite qu’il presbyterium, l’ensemble du clergé, pour le
valait mieux l’avoir avec lui que contre lui. Ceci programme de l’année et les questions diverses. Il
explique qu’il ait fermé les yeux sur certains détails. nous mit au courant de ses soucis en face de la
D’ailleurs petit à petit il s’efforça de se montrer situation politique du fait que tout semblait se
aimable avec l’archevêque, le rencontra volontiers dégrader. Devant la faillite le gouvernement fit appel
et Mgr Adimou ne quittait jamais le pays sans avertir au Fonds Monétaire International (FMI) pour
le Président car il savait que ce dernier le considérait demander un secours financier. Celui-ci demanda
un peu comme son paratonnerre ! que le gouvernement procède à un ajustement
structurel, en clair qu’il renonce au régime marxiste,
que le Bénin redevienne une démocratie.
Kérékou s’exécuta, le gouvernement approuva
et le Bénin fut proclamé : “République du Bénin”.
Le pays n’était donc plus un régime marxiste, même
si le parti communiste demeurait parti unique.
Qu’allait-il se produire maintenant ? Les ministres
étaient tous membres du parti ; allait-on les
conserver ou les remplacer ? On craignait le pire,
Repas en présence qu’allait-il se passer ? Le parti dirigeait tout, avait
du chef de district ses cellules bien installées dans toutes les régions,
les districts et les communes. L’armée était divisée :
53
MA VIE MISSIONNAIRE
les militaires dans les camps et la garde débat s’ensuivit et l’idée adoptée mais en proposant
présidentielle, politisée, bien armée était à la botte de demander l’autorisation d’une telle manifestation.
du pouvoir. C’était le ministre de l’Intérieur, Martin Je ne voyais pas comment on pourrait autoriser
Azonhiho, qui s’était attribué le titre de MISON cela ; mais le parti devant être divisé et maintenant
(Ministre de la Sécurité et de l’Orientation sans pouvoir réel, il est probable que cette initiative
Nationale) qui possédait tous les pouvoirs, Qu’allait- plut au chef de l’état qui pourrait s’appuyer sur les
il faire ? chrétiens et ceux qui se joindraient à eux pour
Monseigneur, à cette réunion du presbyterium, continuer à diriger le pays.
proposa, pour obtenir la clémence de Dieu, La manifestation se déroula sans problème et
d’organiser dans toutes les paroisses des prières de sans désordre. Elle déclancha toute une série
réparation. Je ne pus m’empêcher de demander la d’autres manifestations spontanées, moins
parole : pacifiques, avec insultes à l’adresse du président,
« Monseigneur, tenez-vous à culpabiliser vos des dirigeants et du parti. Les syndicats se
diocésains ? » débarrassèrent de leurs dirigeants membres du parti
- Que voulez-vous dire ? et imposés par lui, les fonctionnaires se mirent en
- De quoi sont-ils coupables pour leur demander grève. Kérékou voulut affronter les “vastes masses
des prières de réparation ? Depuis des années, à populaires” mais il fut insulté, reçut des cailloux et il
votre demande, ils ont constitué des groupes de dut se réfugier dans l’église St Michel pour éviter le
prière, fait des chemins de croix dans les églises, lynchage !
participé à des messes et à des adorations espérant Le parti semblait divisé, impuissant et muet. Le
que Dieu allait les protéger et ramener le pays dans gouvernement fut remanié s’adjoignant des
une situation plus conforme à l’esprit chrétien en hommes politiques et techniciens bien éloignés de
écartant les marxisme athée ! Leur demander la doctrine communiste qui avait été imposée au
maintenant de réparer c’est les traiter en coupables. pays pendant une quinzaine d’années. Les critiques
Ce sont les coupables qui doivent être furent proclamées à haute voix et l’on eut comme
démasqués ! » un vent de liberté qui risquait de tourner à l’anarchie.
Mgr De Souza, le coadjuteur, me dit à son tour : Les évêques se réunirent et firent une déclaration
« - Père Bellut, devant cette situation que pour demander aux fidèles et aux personnes de
préconisez-vous ? Que faut-il faire ? bonne volonté de réfléchir et de revenir au calme.
C’était avant Noël 1989. L’Eglise s’organisa ; un
- Je pense que nous devons nous inspirer de ce
Bureau de la Coordination des Catholiques du Bénin
qui se passe en Europe de l’Est : que nous
se chargea de faire une réunion des représentants
organisions une vaste manifestation de tous les
des conseils paroissiaux de toutes les paroisses du
chrétiens de Cotonou. Si tous les chrétiens de
diocèse le 6 janvier 1990. Il publia une déclaration,
chaque paroisse se mettent en route, en même
prise de position sans ambiguïté des laïcs
temps pour se rendre pacifiquement,
catholiques.
silencieusement, en priant au besoin pour que la
paix revienne dans le pays avec la liberté, en un Le gouvernement devant cette déliquescence
lieu déterminé, à St Michel par exemple, ce sera générale décida d’organiser une conférence
une foule immense des dizaines de milliers de nationale de toutes les forces vives de la nation qui
personnes qui seront dans les rues. Nous montrerons aurait pour but, après l’abandon du marxisme
l’influence et la puissance de l’Eglise. Ne croyez- comme idéologie du pays, de proposer une
vous pas que cela ferait réfléchir nos dirigeants ? » orientation nouvelle en remplacement de la “loi
fondamentale” mise en place par la République
Mgr de Souza s’adressa à moi :
Marxiste Léniniste en 1975.
« - Si ce soir vous deviez organiser cela à Calavi
J’ai retrouvé, dans mon courrier conservé par
quelles consignes donneriez- vous à vos
Blandine, une lettre datée du 8 mars 1990 qui
chrétiens ? »
résume bien la situation. En voici des passages :
- Les mêmes que celles qui ont été données en
« …En résumé : coup d’état militaire en
Tchécoslovaquie : défiler pacifiquement, en silence octobre 1972 dont tout le monde s’était réjoui
et sans rien casser ! » car on avait alors l’impression qu’il fallait
Je venais de jeter une pierre dans la mare. Un remettre de l’ordre dans le pays à cause de
54
MA VIE MISSIONNAIRE
tous ces politicards (Apithy, Maga et l’Etat, supprime la prépondérance du parti sur le
Ahomadegbé) se disputant continuellement le gouvernement, fait appel à toutes les “sensibilités
pouvoir sans se soucier du bien du pays. Les du pays” pour une conférence nationale qui
trois capitaines qui avaient pris le pouvoir déterminera l’avenir de la Nation et constituera un
choisirent un quatrième capitaine, Kérékou nouveau gouvernement. Cette conférence prévue
originaire du Nord, comme président de ce
pour janvier 1990 est retardée et s’ouvrira finalement
Gouvernement Militaire Révolutionnaire. Leur
le 19 février. Elle comprend environ 450 délégués
intention affichée était de remettre le pouvoir
aux civils dans les six mois ! Des rumeurs désignés par une commission gouvernementale.
prétendaient que ce serait Bertin Borna, avocat Une bonne partie des délégués représente le
originaire du nord du Dahomey qui était gouvernement : ministres, dignitaires du parti,
pressenti. Il était réfugié à Dakar et aurait été syndicalistes etc. Les autres membres de l’assemblée
l’instigateur du coup d’état. sont les anciens présidents de la république, les
En 1975, Kérékou, toujours au pouvoir, et délégués des nouveaux partis politiques qui germent
son gouvernement militaire optent pour le partout (ils sont 52 !) et des nouveaux syndicats qui
“Marxisme Léniniste, Socialisme Scientifique”. se désolidarisent du syndicat unique communiste,
C’est le parti unique, communiste, l’hymne des délégués des différents organismes “sociaux
c’est l’Internationale, syndicat unique, culturels” (santé, enseignement, justice). Les
nationalisation de l’industrie et de l’agriculture, “religieux” (animistes, musulmans, catholiques,
des assurances et de toutes les banques. protestants) ont droit à trois représentants chacun,
Essai d’endoctrinement de la population par (les catholiques un évêque, un prêtre et un laïc)
des réunions, des défilés, délation organisée,
nationalisation de toutes les écoles privées, C’est Kérékou qui ouvre la conférence ; il souffle
régime policier, slogans révolutionnaires le chaud et le froid : il faut la démocratie mais il ne
marxistes, nouveau drapeau vert à étoile quittera pas le pouvoir. Les débats sont
rouge. Vexations à l’égard de l’Eglise, intégralement diffusés en direct à la radio et tout le
arrestations arbitraires de tous ceux qui sont Bénin est à l’écoute. Le premier jour c’est une
dénoncés comme antirévolutionnaires, camp pagaille monstre et tout le monde pense que la
de prisonniers, tortures et humiliations etc. Il y Conférence va tourner court ce que désire le
a un semblant de démocratie avec élections gouvernement pour rester au pouvoir. Enfin
sur une liste unique, donc les candidats sont l’assemblée décide de constituer un présidium de
élus avec 99 % des voix. Enfin tout le système seize membres qui dirigera les débats après avoir
des démocraties populaires. proposé un programme.
C’est la faillite économique : en 1986 les Chèques Je suis à l’écoute de la radio et prends un papier
Postaux et la Caisse d’épargne sont à court de pour inscrire les noms des candidats à la présidence.
liquidité, plus moyen de toucher les mandats venus Ce sont des personnages politiques bien connus.
de l’extérieur. En 1988 c’est la Banque Nationale Après le troisième nom, une voix s’écrie dans la
qui est en faillite. Les uns et les autres, hauts salle : “Monseigneur De Souza !” Bref silence…
dignitaires du Parti se sont servis, se sont construit suivi d’une acclamation générale et
de belles maisons. Toutes les Sociétés d’Etat font d’applaudissements. Le président demande donc à
faillite les unes après les autres. Les enseignants Monseigneur s’il accepte de déposer sa candidature
(université, lycées, collèges et écoles primaires) ne comme président du présidium qui dirigera les
sont payés qu’avec un mois, puis deux et trois de débats. Monseigneur répond affirmativement. L’un
retard. C’est bientôt le tour des fonctionnaires ; seuls des candidats se lève alors et dit : « Si Monseigneur
les militaires reçoivent leur solde ! est candidat, je retire ma candidature ». Les deux
En 1988, après menaces et arrestations, le autres candidats se désistent aussi en sa faveur.
gouvernement décide de prendre contact avec la Acclamation générale. Monseigneur demande la
Banque Mondiale et le Fonds Monétaire parole et réclame que l’on procède au vote comme
International, avec les “bailleurs de fonds” des pays prévu. C’est la quasi unanimité en sa faveur.
d’Europe et d’Amérique. Tous exigent un Monseigneur demande que ceux qui n’acceptent
programme d’ajustement structurel : rien sans pas sa présidence votent aussi à leur tour.
l’abandon du marxisme ! Enfin le président Kérékou, Piteusement les membres du gouvernement et
le 7 décembre 1989, annonce que le gouvernement responsables du parti doivent lever la main : ils ne
renonce au Marxisme comme doctrine officielle de sont que seize ! Ils choisissent l’abstention !
55
MA VIE MISSIONNAIRE
Le présidium qui dirigera les débats (seize propositions ? Mgr de Souza nous a raconté
membres) est élu, mis en place Monseigneur prend comment cela s’est déroulé. Kérékou est arrivé à
les rênes de l’Assemblée…et tout change. On sort cette séance le visage renfrogné. Monseigneur l’a
de la pagaille. Un règlement est proposé, approuvé, accueilli, avec les anciens présidents, au salon
Monseigneur se montre intraitable ; les questions d’honneur pour lui laisser le temps de se détendre
orales ne doivent pas durer plus de trois minutes, et lui dire sa confiance. Puis ils sont entrés dans la
pas de faveur pour qui que ce soit pas même les salle de l’assemblée. Kérékou est monté à la tribune,
anciens présidents de la République. le secrétaire du Parti lui a remis un dossier, sans
Kérékou ne participe pas aux débats mais il doute le discours préparé à l’avance, mais il en a
intervient, s’il le désire, pendant les suspensions de sorti un autre de sa poche : le sien. Il approuvait
séance. Les représentants du gouvernement ou du toutes les décisions prises au congrès ! Toute la salle
comité central lui rendent visite tous les soirs pour a explosé de joie et chanté l’hymne national.
lui donner un compte-rendu. Mgr de Souza sait être Mais, car il y a un MAIS !... Monseigneur a dit à
diplomate et vient lui aussi, tous les soirs, voir le l’assemblée qu’il avait accepté de diriger les débats
Président au palais pour le tenir au courant de durant toute la Conférence mais qu’il n’avait aucune
l’avancée des travaux. La Conférence qui devait se intention de faire parti du HCR, ce n’était pas sa
terminer le samedi soir est prolongée jusqu’au mardi place, en tant qu’évêque il n’avait pas le droit de
dans la nuit. faire de la politique : c’était un NON définitif. Tous,
Petit à petit les participants prennent conscience même les non chrétiens, l’ont supplié d’accepter
de leur pouvoir et certains vont jusqu’à poser la de diriger cette assemblée constituante.
question de la destitution du Président Kérékou ! Le lendemain, il s’est rendu au palais du
Monseigneur comprend le danger : faire cela Président, avec le bureau de la conférence, pour
serait risquer un coup de force de la Garde faire signer les décrets et la liste des membres du
Présidentielle et aboutir au cahot, à la guerre civile. gouvernement provisoire. Kérékou a signé les
Il prend la parole, rappelle qu’il y a quelque temps décrets mais il a refusé de signer la liste du
Kérékou s’est fait élire Président au suffrage gouvernement en disant : « Je ne signe pas cela
universel. Il est donc légitimement chef de l’Etat. car il manque un nom, celui de Mgr de Souza qui
Monseigneur va plus loin : il propose que la doit être en premier comme président ! Je ne signe
Conférence vote l’amnistie pour toutes les décisions pas !... Vous représentez une force morale en laquelle
qu’il aurait prises durant son gouvernement ! seule j’ai confiance. Si vous n’acceptez pas de
L’assemblée approuve ! présider le HCR je ne réponds de rien !... »
Un projet se dégage : Kérékou restera président Devant cela Monseigneur reste perplexe et il
pour un an, le présidium se transformera en Haut accepte à deux conditions :
Conseil de la République, sorte d’Assemblée - 1° Que cette présidence dure uniquement
législative qui devra rédiger une nouvelle constitution pendant la période de transition qui doit être de
soumise à un référendum en juillet. Le présidium onze mois
sera complété par les anciens présidents, des - 2° Que Rome lui en donne l’autorisation.
techniciens (juristes) et d’un représentant de chacun Monseigneur demanda l’autorisation à
des départements. L’Assemblée Nationale l’archevêque, Mgr Adimou qui, bien gêné, lui dit de
Révolutionnaire et le gouvernement seront dissous, téléphoner au cardinal Gantin. Celui-ci, dans
l’armée retournera dans ses casernes. l’embarras à son tour lui conseilla de s’adresser au
La conférence Nationale désigne un premier président de la congrégation des évêques le
ministre, Nicéphore Soglo, qui a participé à la prévenant qu’il s’exposait à un refus total étant donné
conférence. On reprend l’ancien drapeau, l’hymne que le Pape Jean Paul II avait absolument interdit,
national traditionnel et le pays redevient “République dans un pays d’Amérique du sud, à des prêtres
du Bénin”. engagés dans la politique de continuer sous peine
Mais tout cela n’est qu’un beau projet qui doit de suspense ! Le cardinal Gantin, sans l’approuver
être approuvé par le Président de la république seul clairement, mais connaissant la situation du Bénin
garant de la légitimité. Le suspense dure jusqu’à la son pays et la prudence de Mgr De Souza lui conseilla
séance de clôture qui doit être présidée par de prendre ses responsabilités.
Kérékou ; approuvera-t-il ou rejettera-t-il ces Refuser la proposition du Président c’était
56
MA VIE MISSIONNAIRE
anéantir tout le travail de la conférence et risquer comme un simple arbitre neutre qui ne prenait pas
un coup de force des durs du Parti soutenus par la parti et se contentait de faire réfléchir les uns et les
garde présidentielle et risquer un bain de sang… autres pour aboutir le plus possible à un consensus.
Mgr De Souza accepta donc de présider le Haut Je ne me souviens pas avoir entendu de critique à
Conseil de la République et sauva le pays. son égard.
Tout se déroula comme demandé par la Il fallut régler bien des problèmes délicats
Conférence. Monseigneur présida, mais plus en comme les abus de pouvoir, les arrestations
arbitre qu’en dirigeant, une nouvelle constitution fut arbitraires, les exécutions, les détournements de
élaborée et un référendum organisé. Puis des fonds et autres excès durant les années de régime
élections démocratiques furent organisées et marxiste. Il fallut procéder à des arrestations et
Nicéphore Soglo élu parmi les nombreux candidats mettre en prison des responsables de l’ancien
qui se présentèrent. Kérékou lui-même fut candidat régime qui durent passer devant un tribunal
et obtint la deuxième place, loin derrière Soglo, mais d’exception, mais il n’y eut pas d’excès, pas de
le Nord Bénin avait voté en sa faveur ! condamnations capitales.
Même si j’ai été long sur ce fait historique de la Un référendum approuva la nouvelle
fin du régime communiste au Bénin je tiens à constitution préparée par le HCR de nombreux
rapporter un détail qui termine ma lettre à Blandine. candidats se présentèrent, ce qui dispersa les voix
dans le sud, mais au deuxième tour Nicéphore
« Chose extraordinaire qui s’est passée
durant la Conférence, certains participants ont Soglo fut élu à une forte majorité devant Kérékou,
proposé qu’on prie Dieu au début d’une seul candidat du nord. Mgr De Souza se retira
séance. Monseigneur a dit à peu près ceci : officiellement mais il était consulté par les uns et les
“Etant donné ma foi je dois vous dire que autres pour bien des décisions. Le Pape Jean-Paul
beaucoup ont ressenti, comme moi, que Dieu II lui demanda, lors d’un de ses passages au Bénin
est présent parmi nous, qu’on l’appelle du nom (je ne m’en rappelle pas la date exacte) de se retirer
que l’on veut suivant sa religion. Je vous totalement de toute activité politique, ce qu’il fit bien
propose donc, au début de cette séance, une volontiers pour se consacrer totalement à son
minute de silence, où chacun priera Dieu ministère d’archevêque de Cotonou, monseigneur
intérieurement avec ses mots à lui.” La minute Adimou ayant démissionné atteint par la limite d’âge.
a bien duré 60 secondes dans un silence
impressionnant ! On était bien loin des slogans
Le père Germain Flouret et moi avons eu la
révolutionnaires du parti qui avait gouverné primeur de la nouvelle de la démission de
pendant dix-sept ans ! » Monseigneur venu faire sa première visite pastorale
à la paroisse d’Abomey-Calavi, début 1993. Je
Et comment tout cela se termina-t-il ? Rome ne devais quitter la paroisse étant nommé supérieur
pouvant donner la moindre autorisation permettant de notre maison de retraite de Montferrier et
à Mgr de Souza d’accepter la présidence, celui-ci Monseigneur en profita pour visiter tous les villages
sachant très bien que s’il refusait ce serait la où nous allions transmettre la direction à Germain.
catastrophe, finit par accepter ce qui devait sauver Il passa une semaine avec nous et c’est alors qu’il
le pays et tous ceux qui étaient sur place nous a mis au courant de sa décision de
l’approuvèrent. Président du Haut Conseil de la démissionner de la présidence pour se consacrer
République il remplit son rôle de façon exemplaire, uniquement à son ministère.
imposant une discipline stricte, une justice
totalement impartiale, un détachement exemplaire. Retour d’Emmanuel
Un simple exemple : en tant que président on lui
fournit une voiture de fonction, une belle Mercédès
avec chauffeur. Il refusa d’abord mais le nouveau
gouvernement lui dit qu’il ne devait pas refuser étant
donné son rang et que chaque ministre en avait
une. Il utilisa cette voiture uniquement pour les
réunions gouvernementales, les réceptions et pour
l’accueil des visiteurs. En dehors de cela la belle
voiture restait au garage et Monseigneur utilisait la
sienne qu’il conduisait lui-même. Il se regardait
57
MA VIE MISSIONNAIRE
ABOMEY-CALAVI : BILAN demander quelques conseils pratiques. Sa réponse
fut brève, je résume rien : « Il n’y a rien à faire à
Octobre 1978 – juillet 1993 Calavi ! Un prêtre ne peut pas y vivre ! Je ne pouvais
y subsister que grâce à mes bienfaiteurs. » Je
Mon séjour à Calavi fut le plus long de ma vie
connaissais le père depuis bien des années et cela
en mission. Lorsque j’y suis arrivé j’avais près de
ne me désarçonna pas le moins du monde. J’ai
53 ans, l’âge le plus adapté pour diriger une
raconté plus haut comment petit à petit j’ai réussi à
paroisse. Mon parcours au Dahomey m’avait donné
remplir l’église, à en construire une nouvelle qui s’est
une certaine expérience dans des situations bien
révélée trop petite par la suite et a été agrandie par
diverses : collège Aupiais de 1951 à 1955, avec
un curé africain. Celui qui est maintenant curé et
expérience pastorale d’aumônier militaire ; vicaire
que j’ai rencontré en juillet dernier (2009) pense
et curé de Notre-Dame de 1955 à 1958 ; fondateur
l’agrandir de nouveau alors qu’il y a deux nouvelles
du Sacré-Cœur de 1958 à 1966 ; supérieur régional
paroisses !
de 1966 à 1974 ; secrétaire provincial à Paris 1974
à 1978. J’étais déjà parmi les anciens, vingt-sept Je lisais ce matin même (24.09.09) dans la
ans de sacerdoce. Mgr Adimou m’avait confié un biographie de notre fondateur, de Bruno Semplicio,
poste réputé difficile, ingrat car une des plus ce qu’il écrivait en 1844 : « …il me semble que,
anciennes paroisses du Dahomey fondée en 1898, sans un clergé local nombreux, rien ne s’opérera de
qui avait son histoire, ses traditions, mais quelque stable, aucun mouvement général ne pourra se
peu endormie. produire. » Il voyait clair ; s’il a fondé la SMA c’était
pour cela et je pense que nous avons atteint le but
La référence pour la pastorale c’était le père qu’il nous a fixé : créer un clergé local qui puisse
Joseph Aujoulat qui avait été vicaire puis curé enraciner solidement l’Eglise.
pendant une trentaine d’années en trois séjours
différents. Il avait un territoire immense comprenant
Zinvié et les cités lacustres de Ganvié et Sô-
Situation actuelle
Tchanhoué, limité par les paroisses de Cotonou, La paroisse dont je me suis occupé à Calavi de
Ouidah et Allada. Il avait eu des vicaires de temps 1978 à 1993 s’est morcelée en dix paroisses avec
en temps et finalement un prêtre auxiliaire, le père un clergé de seize prêtres. Une seule paroisse reste
Delbaere pour un bref séjour. Il partit en retaite au confiée à la SMA à Calavi, Ste Joséphine Bakhita,
cours des années 60 et mourut en 1980. mais le curé est Béninois et son vicaire un africain.
Il fut remplacé par le Père Cogard qui avait pour C’est sur cette paroisse qu’a été fondé le Centre
vicaire le père Peyle. Cogard fut chargé de fonder la Brésillac, année spirituelle où viennent tous les
paroisse du lac à Sô-Tchanhoué en décembre 1973. africains, anglophones et francophones qui désirent
Le père Peyle dut assumer la charge de curé, ce qui devenir missionnaires dans notre congrégation.
n’était pas du tout son charisme car il avait toujours Nous avons transmis le témoin et la course
été professeur au petit séminaire. De plus la continue ! (cf. Fondation Centre Brésillac)
Révolution venait de commencer et il se crut menacé
d’expulsion et se réfugia à la maison régionale.
Les adieux au Bénin...
Mgr Adimou fit assurer le ministère par des
intérimaires ou des professeurs et aumôniers venus
de Cotonou. Puis ce fut le Père Germain Boucheix,
venant du diocèse de Porto-Novo, qui demanda à
entrer dans le diocèse de Cotonou. Monseigneur le
nomma à Calavi où il resta quelque temps et
retourna en France en janvier 1978. Le père Cogard
vint alors assurer les messes dominicales jusqu’à
mon arrivée en octobre.
Tout cela explique la situation de semi
hibernation de la paroisse au moment de mon
arrivée, j’y ai fait allusion plus haut. J’écrivis au père
Boucheix pour lui faire part de ma nomination afin
qu’il me dise ce qu’il pensait de cette paroisse, lui
58
MA VIE MISSIONNAIRE
MAISON DE RETRAITE nouvelle maison construite selon les normes
officielles la Province put la faire reconnaître par la
DE MONTFERRIER DDASS. Le père Curutchet choisit Mme Guimelli
comme directrice, lui fit suivre une formation. Il
Le père Michel Loiret, régional, accompagné
fallait donc s’adapter à une nouvelle organisation,
d’André Moriceau, conseiller provincial me
supprimer l’économe et la Directrice devenait la
demandèrent si j’acceptais, après mon congé, de
responsable de toute la gestion administrative, du
rester en France en tant que supérieur de la maison
ravitaillement, du personnel. Quant à moi, supérieur,
de retraite SMA de Montferrier-sur-Lez. J’acceptais
mon rôle consistait à m’occuper des confrères, en
immédiatement, estimant qu’à 67 ans, après
particulier de la santé de chacun : visites des
quarante-deux ans de sacerdoce dont trente-huit
docteurs, hospitalisations, en liaison avec le
passés en Afrique, il était normal de quitter le terrain
personnel de santé et de tout ce qui regardait la
de mission pour rendre un service à la Société ;
bonne marche de la communauté ainsi que des
c’était sans doute la volonté de Dieu. Quitter l’Afrique
relations avec le Provincial et les autorités
à cet âge ce devait être un départ définitif : le
ecclésiastiques.
minimum du séjour était de trois ans renouvelables
deux fois. Vu mon état de santé, j’envisageais le Je réussis à me rendre à Montferrier seulement
maximum ! Ce ne serait pas à plus de 70 ans qu’on en octobre car le frère qui s’occupait de l’économat
envisagerait de me renvoyer au Bénin ! quittait son poste à regret et se vit obligé de partir
Je reçus ma nomination officielle datée du pour me laisser sa chambre. Curutchet me mit au
17 avril 1993 : courant des affaires qui me concernaient, je fis
connaissance des uns et des autres, tout
« Il est grand temps que le Conseil
Provincial vous fasse connaître officiellement particulièrement du personnel. Il y avait une
votre nomination comme supérieur de la quarantaine de confrères SMA, une douzaine de
communauté de Montferrier. Il serait bon que soeurs NDA et une dizaine de prêtres diocésains.
vous puissiez rejoindre Montferrier vers le Une fois l’ancien économe parti, le père
1er septembre ou le 1 er octobre (voir Bernard Curutchet me dit d’occuper son bureau et sa
Curutchet) de manière à prendre sa succession chambre, m’expliquant que ce serait là que je
à partir du 1er janvier 1994, pour une période
résiderai définitivement, Mme Guimelli utilisant la
de trois ans, évidemment renouvelable.
place du supérieur. Je trouvais cela assez étonnant
Vous savez que votre rôle ne sera pas
et des confrères me demandèrent si c’était moi ou
exactement le même que celui de B .Curutchet.
elle qui était le responsable. Personnellement je n’y
Mme Guimelli sera officiellement directrice de
la maison de retraite à partir du 1er janvier 1994. voyais aucun inconvénient, les deux appartements
C’est elle bien sûr qui prendra en main tout étant semblables, mais cela choquait les confrères
l’aspect du gouvernement de la maison… » de voir que le supérieur passe au second plan. Le
(Signé du Provincial François Fénéon.) changement ne se fit pas sans à-coups : la directrice
Après les baptêmes et premières communions était déjà ancienne dans la maison, au courant de
de fin d’année scolaire je partis donc en en France tout le fonctionnement, responsable du personnel
pour mon congé, je fis mon tour de famille. Elle et chargée des démarches administratives. La
était pas mal dispersée maintenant, tous les frères maison de retraite c’était “son affaire” et moi je n’y
et sœurs mariés, et certains à la retraite étaient connaissais pas grand-chose ! Chacun allait délimiter
grands parents et plusieurs avaient émigré vers le son territoire.
sud de la France ou le bord de la mer comme Yves Le provincial avait bien expliqué les fonctions
et Suzy. Je logeais à Rueil chez Blandine avant de de chacun : communauté SMA et direction de la
rejoindre mon poste. maison. Pour Mme Guimelli son rôle était de
C’est en 1979 que les confrères de La Croix remplacer Curutchet, le mien assez flou : supérieur
Valmer avaient rejoint Montferrier, il y avait donc de la communauté je m’occupais des malades
quatorze ans, et la maison fonctionnait comme hospitalisés ou devant rencontrer un médecin ; je
toutes nos communautés de France : dirigée par dirigeais les célébrations mais en dehors de cela
un supérieur assisté d’un vice supérieur ; un qu’avais-je à faire ? Je ne disais rien mais prenais
économe était responsable des comptes, du note : les confrères mécontents se plaignaient à la
ravitaillement, de l’entretien, de la cuisine etc. Cette directrice qui les recevaient volontiers et parfois me
59
MA VIE MISSIONNAIRE
tenait au courant. C’est elle qui continuait à s’occuper cela oralement lors de mon futur passage à
des allocations mensuelles et des comptes de messes Montferrier….
etc. Elle se plaignit parfois de certains qui la …Pour terminer, je voudrais simplement
dérangeaient ; je lui dis que c’était à moi de m’en dire que vous êtes condamnés à vous entendre
occuper, qu’elle devait me les envoyer. Elle ne le fit et ce n’est pas pour rien qu’on avait exigé une
jamais. rencontre quotidienne entre le Supérieur et la
Directrice. Il ne faudrait pas que tu te
Les rapports avec l’évêché au sujet des prêtres
considères comme quelqu’un ‘que l’on met sur
diocésains résidant chez nous dépendaient de la la touche’. »
SMA dont j’étais le représentant, mais c’est elle qui
Paris le 21 octobre 1994
avait accaparé ce rôle. J’attendais l’occasion
favorable pour mettre les choses au clair. Cela ne Signé François Fénéon
tarda pas lorsqu’elle prit une initiative auprès du
diocèse et demanda l’avis du Provincial par SACRE-COEUR 1997–1999
téléphone. Elle me prévint ensuite que celui-ci avait
Fin décembre 1995, je reçus uns lettre du père
répondu favorablement…
Michel Bertonneau, conseiller du supérieur
Je pris ma plus belle plume et écrivis au provincial, le père Bouchet, et chargé en particulier
Provincial pour lui relater tous les faits que j’avais de la maison de retraite et de la mission du Bénin.
notés, qui me paraissaient être de mon ressort et
Dans cette lettre datée du 20 décembre1995 il
non de celui de la directrice ; je lui soulignais en
m’écrit en particulier :
particulier qu’elle lui avait téléphoné et qu’il avait
lui-même traité le sujet avec elle alors qu’il s’agissait « … Le père Pierre Bouchet est revenu
enchanté de sa visite au Bénin. Les évêques
d’une affaire qui dépendait du Supérieur local. Quel
demandent toujours des pères, surtout pour
était donc mon rôle dans cette maison : simple former leurs prêtres à l’animation d’une
chauffeur de taxi pour accompagner les confrères paroisse, car ils manquent de pasteurs. Nous
en visite chez les docteurs ou à l’hôpital, ou bien savons au Conseil que tu souhaites repartir
supérieur, donc représentant des Missions au Bénin. Le père Provincial, lors de sa
Africaines ? tournée et de ses contacts, a constaté que les
La réponse ne tarda pas : SMA vont se faire rares dans l’avenir au diocèse
« Merci de m’avoir ouvert les yeux sur de Cotonou. C’est une région que tu connais
certains points ; il est vrai que, sans le vouloir, bien, où tu es attendu et en accord avec le
nous avons gaffé en répondant trop Régional et l’évêque, le Conseil te verrait bien
rapidement à Mme Guimelli sans passer rejoindre ce diocèse.
d’abord par toi, en ce qui concerne les relations Ton mandat de supérieur à Montferrier se
avec le diocèse. Il faut que tu saches tout de termine le 1er janvier 1997 comme tu me l’as
même que j’avais essayé de te téléphoner, mais rappelé au mois de Novembre. Mais pour que
que tu étais en train de visiter les malades. le “tuilage” puisse bien se passer avec ton
J’aurais dû patienter et attendre ton retour. successeur, le Conseil te demanderait de
Mais je pensais tellement que toute décision prolonger jusqu’au mois de juin 1997... »
importante se prenait d’un commun accord par C’est avec joie et enthousiasme que j’acceptais
toi et la Directrice. Malheureusement ce que cette proposition. La nomination effective me fut
tu écris dans ton rapport montre bien que ce envoyée quelques mois après, datée du 6 mai 1996.
n’est pas aussi clair que cela parait. Alors J’avais prévu de faire un voyage au Bénin pendant
veuille excuser ma maladresse. Après les vacances de 1996, alors que ma nomination
réflexion, je pense qu’à ta place j’aurais eu les
n’était pas encore officielle. J’écrivis à Mgr de Souza
mêmes réactions que toi.
qui me répondit brièvement ; il savait que je devais
Dorénavant, lorsque Mme Guimelli nous rejoindre son diocèse début 1997.
téléphonera pour des problèmes de ce genre,
Tout était radieux dans ma tête. Lors de mon
nous la renverrons vers toi et lui ferons
comprendre que c’est d’abord toi qui, sur place,
séjour de vacances du 24 juin au 22 juillet à Cotonou
représente les Missions Africaines et doit le père Richaud m’avait confirmé que je
défendre nos intérêts. J’ai même envie remplacerais le père Gonon comme curé du Sacré-
d’envoyer un petit mot dans ce sens à Mme Cœur que j’avais fondé en 1958, déjà 38 ans… Bien
Guimelli, à moins que tu préfères que je règle des choses avaient changé.
60
MA VIE MISSIONNAIRE
J’ai retrouvé la première lettre que j’ai écrite le VUE D’ENSEMBLE DE LA
22 janvier 1997 à Blandine pour donner mes
premières impressions deux jours après mon PAROISSE SACRÉ-CŒUR
arrivée. En voici quelques passages :
EN JANVIER 1997
« Me voici arrivé à destination : le Bénin,
Cotonou !... Je reviens dans la paroisse que La révolution de 1972–1990 avait tout
j’ai fondée en juillet 1958 (déjà 38 ans) et que bouleversé dans les structures des paroisses et des
j’ai quittée en 1966, il y a 30 ans !... diocèses. :
C’était alors un quartier neuf… la mission
- Plus d’écoles ni de collèges privés,
était isolée sur un terrain de 6 ha transformé
en marécage pendant la saison des pluies,
l’enseignement avait été nationalisé
sans voies carrossables. - Plus de mouvements d’action catholique ou
On estimait la population à 15.000 ha- de groupements divers, mais le marxisme,
bitants. “socialisme scientifique”.
Après 30 ans je me retrouve en pleine ville, Par contre, la religion restant une affaire privée,
deux avenues à quatre voies bordent la des groupes de prière avaient été lancés dans les
propriété sur deux côtés… A 15 mètres de quartiers, à domicile, ou dans les églises et les
l’église, au carrefour, des feux de signalisation chapelles. La ferveur des chrétiens s’était accrue,
où s’arrêtent puis démarrent camions, autos, on peut même dire qu’elle était devenue une forme
motos et vélomoteurs dans un tintamarre
de résistance au pouvoir marxiste.
inimaginable ! L’ensemble d’Akpakpa compte
170.000 habitants répartis en trois paroisses. Avec le Renouveau Démocratique, en 1990, les
Celle du Sacré-Cœur en compte 87.000. La paroisses s’épanouirent ; les anciens mouvements
nouvelle église, construite il y a une vingtaine d’action catholique ne se reconstituèrent que
d’années, est vaste (1.250 places assises) partiellement mais il y eut, comme dans bien des
mais trop petite le dimanche pour accueillir tous pays de chrétienté, une vague “charismatique” qui
les paroissiens malgré les quatre messes. Les regroupa surtout des adultes sous l’impulsion de
cours de catéchisme, en français ou en langues Jean Pliya.
locales, pour adultes, écoliers et collégiens
totalisent 5.500 inscrits. Tout est dans les Le père Pierre Legendre, directeur des œuvres,
mêmes proportions : mouvements, avait rassemblé les jeunes des groupes de prière
associations, chorales etc. » dans un mouvement intitulé la “Coordination des
Un des premiers dimanches qui suivit mon Jeunes” dans le but d’animer les paroisses. Il avait
arrivée, l’abbé Gilbert Dagnon, vicaire général, vint été responsable de la catéchèse, puis professeur
m’installer officiellement comme curé de la paroisse. au grand séminaire de Ouidah , enfin directeur des
Après un mot de présentation il me donna la parole : œuvres. Plutôt que de s’installer au Centre Paul VI,
« Le père Bellut va maintenant nous dire quel est il préféra venir au Sacré-Cœur, occupant la chambre
son programme. » du vicaire, ce qui lui permettait en même temps de
tenir compagnie au père Gonon et de l’aider dans
Je n’avais rien préparé à ce sujet mais dans ma
le ministère paroissial. Il fut ensuite remplacé par
tête c’était bien clair : « Je n’ai aucun programme
l’abbé Delphin Vigan qui lui aussi s’installa sur la
précis actuellement pour l’organisation de la
paroisse du Sacré-Cœur plutôt que de rejoindre le
pastorale. Si j’ai fondé cette paroisse en 1958, il y
Centre Paul VI, sa résidence prévue, sur la paroisse
a donc 38 ans, c’est une tout autre paroisse que je
St Michel.
retrouve. Je l’ai quittée en 1966 pour remplacer le
père Bothua en tant que Régional. Je dois donc A la dernière Assemblée Provinciale de Lyon un
découvrir ce qu’elle est devenue et continuer le projet missionnaire avait été envisagé pour le Bénin :
travail de mes prédécesseurs sans vouloir tout proposer à l’évêque de Cotonou une équipe SMA
chambouler selon mon goût. Ce n’est pas à 71 ans de quatre confrères qui séjournerait dans une
que l’on doit jouer les réformateurs. Je suis paroisse de Cotonou. Deux des confrères se
missionnaire et je suis bien conscient que dans peu chargeraient de la pastorale paroissiale et les deux
de temps je devrai laisser cette place de curé à un autres des enfants de la rue. Mgr Adimou adopta
diocésain. Je veillerai uniquement à appliquer les ce projet et proposa que l’équipe s’installe au Sacré-
consignes de notre évêque. » Cœur. Les membres retenus étaient : les pères
61
MA VIE MISSIONNAIRE
Christian Besnard, Louis Gonon, Germain Flouret des Jeunes s’occupait de tout : organisation, de la
et Claude Templé. liturgie, des fêtes, de la vente de charité et même
Mais les circonstances ne permirent pas de des marguilliers, prétendant qu’il y avait des jeunes
réaliser immédiatement ce projet. En effet le père parmi eux. Les jeunes, pour eux, englobaient tous
Besnard fut élu conseiller provincial et le père Flouret ceux qui avaient de 15 à 35 ans.
quitta Sô-Tchanhoué très fatigué ; il dut rester en Seul échappait à leur autorité le Renouveau
France pour un repos prolongé avant de revenir au Charismatique, ayant à sa tête un “berger” qui
Bénin. Il vint me rejoignit à Calavi en 1992 comme menait son troupeau selon les directives de M. Jean
vicaire avec la consigne de ne pas se fatiguer pour Pliya, le berger suprême. Ce renouveau
éviter une rechute. Louis Gonon remplit charismatique se réunissait dans l’église tous les
provisoirement le rôle de curé. Quant à Templé, mercredis, avait ses chants, ses danses, ses prières,
responsable de l’œuvre des enfants de la rue, il ses témoignages ; c’était une église dans l’Eglise
demanda, à son retour au Bénin, d’aller à Ouidah (pour ne pas dire une secte) inspirée des
pendant un an pour apprendre la langue fon. mouvements pentecôtistes lancés par les protestants
Le père Louis Gonon, en 1988, devint curé américains. Le curé de la paroisse n’avait rien à y
provisoire pour deux ans au maximum. En fait il faire. Mgr de Souza y était favorable pensant que
resta à ce poste huit ans et demi. Le “p’tit Louis” c’était un mouvement favorisant, d’une certaine
(comme tout le monde avait coutume de l’appeler) façon, l’action de l’Esprit Saint dans l’Eglise actuelle
avait été curé d’une petite paroisse sur le diocèse et permettant d’ouvrir l’Eglise à une expression plus
de Porto-Novo, Missérété, village sur la route de africaine de la prière. Il dut néanmoins intervenir
Sakété. Il aurait fait un bon vicaire au Sacré-Cœur pour que ces liturgies sauvages ne traînent pas trop
mais n’avait pas l’envergure du curé qu’il fallait pour en longueur et que les femmes, participantes les
diriger cette paroisse, la plus peuplée des paroisses plus nombreuses, soient rentrées à la maison à
de Cotonou. Se sachant intérimaire il ne prit aucune 21 heures afin de préparer le repas pour leur
initiative. De plus en 1990, après la Conférence famille ! Il est à noter que ce mouvement attirait
Nationale pour le Renouveau Démocratique, une foule de gens, même des non catholiques, et
l’ambiance générale du pays, à tous les niveaux, était certains pensaient qu’il valait mieux les supporter
la liberté et chacun revendiquait les droits dont il que les interdire car il était préférable qu’ils se
avait été privé sous le régime marxiste. La réunissent dans nos églises plutôt que d’aller dans
Coordination des jeunes voulait, dans une bonne les sectes, comme les Chrétiens célestes, Chérubins
intention sans doute, animer les paroisses, leur et Séraphins ou autres qui pullulaient depuis la fin
redonner un dynamisme dont elles avaient été de la Révolution.
privées. Les anciens, qui formaient autrefois le Dès mon arrivée, le père Gonon convoqua une
Conseil Paroissial, se retirèrent discrètement ou réunion du Conseil Pastoral Paroissial, ou ce qui en
n’osèrent pas reprendre leurs responsabilités, surtout restait, pour me présenter (même si j’étais connu
que le curé ne les soutenait pas. depuis longtemps à Akpakpa), comme c’était normal.
J’arrivais donc le 20 janvier 1997 dans une Quelqu’un lui demanda quelle était la situation
paroisse désorganisée. Bien des confrères, financière de la paroisse. Le père, à mon grand
connaissant la situation, me souhaitaient bon étonnement, resta totalement muet. Y aurait-il une
courage pour y remettre de l’ordre ! Le père Gonon mésentente entre le curé et se conseillers ? « Mais,
s’était laissé déborder par les jeunes de la enfin, qu’il y a-t-il en caisse ? » Nouveau silence. Je
“coordination” disait amen à toutes leurs initiatives, commençais à me demander ce qu’il se passait et
rien ne pouvait se faire sans leur approbation. Ils regardais Gonon, visage fermé, sans réaction.
formaient une structure sur l’ensemble des paroisses L’économe paroissial, Sodedji Marcellin, qui ne
de Cotonou, étaient solidaires et organisés, et bien devait pas en savoir plus que les autres, prit la parole.
des curés, en majorité des prêtres diocésains, se Il affirma qu’il n’y avait pas de problème du fait que
plaignaient de leurs initiatives qui ne la vente de charité venait d’avoir lieu et que la caisse
correspondaient pas toujours à la pastorale était dans un état satisfaisant. La réunion tourna
paroissiale. court, chacun retourna chez lui. Gonon sortit avec
Sur la paroisse du Sacré-Cœur il n’y avait plus moi et je lui posai la question : « Que se passe-t-il ?
de réunions du Conseil pastoral paroissial, le Comité Pourquoi es-tu resté muet ? » Il me répondit
des fêtes avait totalement disparu ; la Coordination simplement : « Je t’expliquerai cela demain… »
62
MA VIE MISSIONNAIRE
En fait il aurait dû y avoir 6 millions cfa en caisse avant que je n’occupe le logement du curé. J’avais
(9.150 euros, à l’époque 60.000 F français) mais il l’impression que la paroisse était tout juste tolérée
ne savait pas où ils étaient passés !... Un peu fort ! dans ce presbytère ! Il fallait m’armer de patience
Et je lui dis : « Je ne peux accepter une telle pendant les deux mois qui restaient avant que je
situation ; cette affaire se règlera devant le puisse m’installer convenablement.
Supérieur Régional. » La situation était délicate puisque j’étais curé
Le lendemain nous sommes allés voir le père mais que mon prédécesseur était encore sur place.
Richaud qui ne me parut pas tellement étonné Il ne prenait d’ailleurs aucune initiative et me laissait
(peut-être était-il au courant ?) Il me demanda la remplir mon rôle.
plus grande discrétion pour éviter tout scandale. Il Les jeunes de la coopération réalisèrent vite que
me promit d’en parler au Coprex (Conseil Provincial je ne me laisserais pas faire et que j’affirmerai mon
Extraordinaire qui se tient une fois par an avec les autorité. Je sentais que l’orage se préparait. Dans
supérieurs régionaux) pour obtenir un secours pour mes archives j’ai retrouvé des notes que j’ai écrites :
la paroisse et qu’il tâcherait de trouver des en voici une du 13 février 1997 « Akpakpa. le
bienfaiteurs qui m’aideraient. lendemain des Cendres à 19 h 15. Je suis dans
De retour à la mission Gonon m’avoua : « J’ai mon bureau. Atmosphère étouffante dans ma petite
oublié de te dire que je gardais aussi la caisse chambre, juste à côté de l’oratoire où le Renouveau-
d’Agbato qui a fait des ventes de charité depuis Charismatique, du moins les jeunes responsables
plusieurs années pour la construction de son église. prient et chantent…C’est gentil d’être ouvert à tous,
Il y avait là aussi environ 6 millions…et je ne sais mais il n’y a plus d’intimité possible chez soi et je
pas, là non plus, où ils sont passés ! » Impossible dois supporter… Ai-je été bien inspiré, à 71 ans
d’obtenir la moindre explication. d’accepter ce poste de la paroisse du Sacré-Cœur
Toujours est-il que le 3 février 1997 le père me où il faudrait remettre de l’ordre dans cette
remit 1.301.880 F CFA dont je dus déduire organisation insensée où l’on mélange paroisse,
342.500 F (Montant de dépôts divers de enfants de la rue, direction des œuvres parce que
mouvements que je m’empressai de rendre aux nous, Missions Africaines, on est ouverts et prêts à
intéressés). Cahiers de comptes ? Néant ! Lorsque tous les sacrifices ! »
le père fut parti en France, je finis par découvrir un Mon impression : j’ai atterri dans un
relevé de comptes de la banque où il avait inscrit caravansérail où l’on ne sait pas qui est qui, qui
des retraits importants sans destination. Je n’ai pas fait quoi ? J’ai l’impression que le navire va à vau
cherché à éclaircir ce mystère… on m’avait l’eau sans chef pour le diriger et que chacun fait ce
demandé d’être discret ! qu’il lui plait. »
Me voici donc à la tête d’une somme totale de C’est le Jeudi Saint 27 mars 1997 qu’éclata
959.880 F Cfa. (soit 1.463 euros). Sur ordre du l’orage ! Je trouvai dans le panier déposé devant le
Régional Gonon me remit le montant de sa retraite reposoir pour recueillir les offrandes, une lettre
de la CAMAVIC : 1 million. Donc, à peine anonyme dont voici quelques extraits :
3.000 euros pour faire tourner la paroisse, payer « …Ta trop grande rigueur éloigne plutôt
le personnel (cuisinier, secrétaires) et nourrir les sept que n’attire. Aujourd’hui, les fidèles ayant perdu
confrères qui prennent pension à la paroisse ! l’habitude de ta rigueur s’énervent et se
Prenant les rênes dès le début de février, je révoltent… » « …on a d’abord commencé par
logeais dans une petite chambre de passage en te traiter de nazi, ensuite d’Américain, puis
attendant que Louis rentre en France aux environs enfin d’Algérien venu pour détruire le
de Pâques. Toutes les pièces de l’étage étaient catholicisme. On va jusqu’à parler de
occupées comme chambres des résidents : ancien provoquer ton départ par tous les moyens…Les
curé, vicaire, stagiaire et moi-même. La salle de fidèles de ton église disent que, si tu ne
changes pas il n’y aura plus de quête, plus de
réunion avait été transformée en oratoire pour les
jigbézan (quête supplémentaire en fin de
jeunes du groupe de prières. Au rez-de-chaussée messe pour financer une œuvre, des travaux)
se trouvait le secrétariat des œuvres, la salle à plus de vente de charité… ils sont prêts à te
manger, la cuisine et la réserve, un bureau occupé faire partir avec ou sans l’appui de
par l’opticienne et le secrétariat de la paroisse. l’Archevêque qui ne serait même pas informé
Aucune salle libre qui puisse me servir de bureau de ton départ un mois avant. »
63
MA VIE MISSIONNAIRE
Une lettre du supérieur régional, datée du 8 avril un comité des fêtes (intitulé CAMAP : comité des
1997 commence en ces termes : affaires matérielles et d’aménagement de la paroisse).
« Lors de notre réunion du conseil régional, Ainsi le conseil pastoral se trouvait déchargé du
nous avons eu à jeter un regard sur la situation matériel, qui jusqu’alors l’occupait totalement, pour
de chaque confrère. Nous avons pensé utile se consacrer à la pastorale : catéchèse, sacrements,
de t’envoyer cette lettre car nous nous faisons liturgie, malades etc. Selon les directives diocésaines
du souci par rapport à tes débuts à la paroisse ce conseil pastoral était constitué des représentants
Sacré-Cœur…En effet certaines attitudes ou de toutes les couches de la population paroissiale :
paroles de ta part nous font craindre pour la jeunes, foyers chrétiens, catéchistes, marguilliers,
réussite du travail que tu es appelé à faire sur désignés par élection, et, comme membres de droit
la paroisse Sacré-Cœur… »
le curé, président, le ou les vicaires et les sœurs
Il est évident que tout cela n’était pas fait pour impliquées dans la pastorale.
m’encourager dans mon nouveau ministère, mais
Malgré les “prophéties” de la coordination des
je jugeais que la meilleure attitude de ma part était
jeunes l’église ne s’est pas vidée mais les paroissiens
de ne pas réagir et de continuer dans la direction
devinrent de plus en plus nombreux, les quêtes
que j’avais choisie. La lettre anonyme n’avait aucune
augmentèrent, la vente de charité doubla sa recette
valeur à mes yeux puisque je ne savais pas qui l’avait
dès la première année, continuant à augmenter les
écrite ; elle ne méritait pas la moindre attention !
deux années suivantes.
Celle du conseil régional n’en avais pas plus car je
me doutais bien qui avait mis le conseil au courant, Ce qui m’a fait le plus plaisir c’est un petit
sinon le conseiller qui représentait les confrères du incident : en semaine, après la messe du matin, la
diocèse de Cotonou et qui, avec une sœur de directrice de la maternité d’Akpakpa, fidèle à sa
l’Education Chrétienne, avait les confidences des messe quotidienne, s’approcha de moi pour me
jeunes dont ils s’occupaient. dire : « Mon Père, on voit ce que vous faites,
C’est au père Bertonneau, conseiller provincial continuez ! » Je réalisais alors que la majorité
à Paris particulièrement chargé du Bénin que j’écrivis silencieuse des paroissiens était heureuse d’avoir
pour le mettre au courant de toute cette affaire. Je enfin un curé qui menait la barque sans se soucier
n’eus aucune réponse ! Il n’osait sans doute pas des “gueulards” qui avaient pris le pouvoir
prendre position. Quant à moi j’étais prêt à faire auparavant. Ceux-ci continuèrent d’ailleurs et j’ai
face en continuant le travail à peine commencé : si conservé quelques-uns de leurs tracts assez peu
ma façon de faire n’était pas du goût du supérieur élogieux à mon égard mais les plus intelligents se
régional et de son conseil, s’ils n’avaient pas le retirèrent discrètement et leur président, que
courage de m’appeler pour me demander des j’estimais beaucoup car il faisait tout pour dialoguer
explications au sujet de ragots lancés par la avec moi et calmer ses fougueux partenaires, se
coopération des jeunes, ils avaient la possibilité de retira à son tour. Il est devenu religieux, prêtre, et
me renvoyer d’où je venais ! On pourrait, à l’avenir, actuellement maître des novices des frères
me juger aux résultats : c’est au fruit que l’on juge Franciscains de l’Immaculée à Bembéréké .
l’arbre.
Matériel
J’ai retrouvé dans mes archives ma lettre du
13 mai 1997 adressée à Michel Bertonneau avant Le père Gonon, parti définitivement en France
le COPREX. Elle décrit la situation que j’ai trouvée comme prévu, je décidai de m’installer dans la
en succédant à Gonon et une autre du 3 septembre chambre et le bureau du curé. Ce ne fut pas une
1997 qui confirme tout cela. Je les joins, ce qui petite affaire ; il fallait crépir le pignon de la maison
m’évite de reprendre une nouvelle narration. Je ne qui n’était pas étanche avant de nettoyer et de
retrouve trace d’aucune réponse et pourtant je tenais repeindre l’intérieur. Pour cela il fallait tout
mes archives à jour. déménager, mais aucune place de libre, toutes les
pièces étant occupées ; donc cela m’obligea à toute
PASTORALE une cascade de travaux : faire une nouvelle sacristie,
l’ancienne deviendrait oratoire et celui-ci reprendrait
J’ai reconstitué un Conseil Pastoral Paroissial, sa destination première de salle de réunion. Tout
comme prévu par les directives de Mgr De Souza, ce plan se déroula comme prévu et en trois mois
conformes au droit canon, un Conseil Financier et j’étais installé correctement, il y avait une nouvelle
64
MA VIE MISSIONNAIRE
par des murs ajourés en plaques de béton qui
permettaient une aération maximale. L’autel se
trouvait dans un angle du carré et l’entrée principale
à l’opposé, si bien que la visibilité était parfaite, aucun
pilier. Elle était surélevée, on y accédait par sept
marches, il y avait un déambulatoire de trois mètres
de large le long des grilles, qui permettait, en cas
d’assistance importante, à ceux qui se trouvaient à
l’extérieur, de pouvoir participer aux cérémonies.
Légèrement en pente, toute l’assistance pouvait
suivre facilement les cérémonies.
Mais il y avait bien des inconvénients avec ce
genre de bâtiment : très ouvert du côté des tornades,
avec le vent la pluie inondait l’intérieur et arrosait
L’église déborde... les fidèles si cela se produisait pendant les
cérémonies. Lorsque le père Dujarrier entreprit la
sacristie, un oratoire attenant à l’ancienne église et construction, c’était encore la campagne et la route
une salle de réunion. Au rez-de-chaussée je principale était celle qui aboutissait au stade. Je fis
récupérais la salle de l’opticienne que j’installais dans moi-même remarquer au père qu’il construisait juste
une autre pièce près du secrétariat de la catéchèse, sur les limites de la mission et, qu’à sa place, je
ainsi je disposais d’un bureau où se trouvait la construirais plus en retrait afin d’avoir de l’espace
bibliothèque. entre l’église et la route pour disposer d’une
esplanade devant la porte principale. Il n’en tint pas
Travaux compte, jugeant autrement. En fait, suivant le plan
d’urbanisme, un nouveau pont fut édifié entre le
La nouvelle sacristie donnait directement sur marché Dantokpa et Akpakpa, pont très large à
l’escalier qui permettait d’accéder au chœur. Mais quatre voies donnant naissance à une avenue,
les jours de fêtes solennelles il y avait procession ébauche de la liaison avec la zone industrielle et la
pour entrer par le portail principal qui donnait sur route internationale reliant le Dahomey-Bénin au
le trottoir. Il fallait donc sortir de la cour de la mission, Nigéria. Cette route longeant l‘église en croisait une
longer le mur jusqu’au grand portail de l’église.. autre aussi importante, perpendiculaire, juste sur
Impossible de marcher sur la route à cause de la l’autre côté. Des feux de croisement furent installés
circulation ; je ne comprenais pas pourquoi aucun et, comble de malheur, c’étaient des feux alternés
de mes prédécesseurs n’avait pensé à aménager une pour permettre aux véhicules de changer de
ouverture qui permette un accès direct, intérieur, direction si nécessaire. D’où un tintamarre
de la cour aux escaliers de l’église ce qui aurait facilité insupportable durant les cérémonies : camions,
le déroulement d’une procession digne de ce nom. voitures, motos s’arrêtant, démarrant, klaxonnant
J’avais commencé des travaux, il n’y avait plus qu’à continuellement. Impossible de se faire entendre
continuer avec l’équipe que j’avais sous la main. C’est dans l’église. Bien des prêtres refusaient de célébrer
ainsi que je mis le doigt dans l’engrenage !... dans ces conditions. Actuellement encore l’évêque
Cette entrée intérieure terminée nous avons se montre très réticent pour venir y célébrer.
entrepris de surélever le mur de clôture qui, du fait Enfin les paroissiens n’aimaient pas cette église,
des travaux de voierie, n’était plus assez haut. Puis il elle n’était pas à leur goût et ressemblait à un simple
était urgent et indispensable d’agrandir l’église hangar, une usine disaient-ils ! Puis elle se révélait
devenue trop petite malgré les quatre messes trop petite malgré sa capacité de 1250 places assises.
célébrées les dimanches et jours de fêtes. Deux problèmes se posaient : agrandir et insonoriser
Cette église était l’œuvre du père Dujarrier qui autant que possible.
l’avait construite sur un plan d’une église d’Abidjan. J’avais remarqué que pendant les messes, faute
Elle était assez originale, carrée, de 30 mètres de de place, une partie importante des paroissiens
côté, clôturée sur l’extérieur par des grilles décorées restaient derrière les grilles et sur les marches.
de motifs bibliques dessinés par une des sœurs de Tournés vers l’autel au début de la messe ils ne
l’Education Chrétienne de la paroisse et sur la cour pouvaient rien voir. Pendant l’homélie ils s’asseyaient
65
MA VIE MISSIONNAIRE

Sacré-Cœur :
l’église en 1996
et en 1998

sur les marches, donc tournés


vers la rue, regardant la
circulation, et restaient dans cette
position jusqu’à la fin puisque de
toute façon ils ne pouvaient pas
suivre la célébration. J’imaginais
donc que la solution serait de
construire des gradins, comme
autour d’un stade, auxquels on
accèderait par les marches de
l’entrée principale. L’architecte me dit qu’en effet ce l’initiative en mettant dans le coup le nouveau comité
serait une solution mais qui coûterait très cher et des fêtes à la place de la coordination des jeunes
qu’il serait plus économique de faire un mur de qui ne se chargerait plus que de l’organisation des
soutènement de la hauteur du soubassement qu’on jeux. Les jeunes firent grise mine, refusèrent de
pourrait remplir de sable. Une dalle de béton coulée participer puis acceptèrent mes propositions en me
au niveau du déambulatoire, en légère pente prédisant une catastrophe !... En fait la vente de
comme le reste de la nef, sur les deux côtés extérieurs 1998 doubla la recette de celle de 1997 et les quêtes
ferait l’affaire. On ôterait les grilles et l’on monterait supplémentaires (djigbé-zan) passèrent de
des murs, avec claustras pour protéger du bruit et 4.693.000 F. CFA en 1996 à 5.153.000 F. CFA en
de la pluie tout en assurant l’aération. 1997 alors que nous n’avions pas encore commencé
Evidemment je risquais d’être critiqué pour avoir l’agrandissement de l’église. Les prédictions de la
supprimé l’originalité et l’esthétique des décorations Coordination des Jeunes annonçant que j’allais vider
bibliques du père Dujarrier. Je ne voyais aucune l’église furent loin de se réaliser, bien au contraire :
autre solution et pris le risque de réaliser ce projet. vente de charité, quêtes ordinaires et
supplémentaires, denier du culte furent en
Les travaux achevés, les paroissiens furent fiers augmentation très sensible car les fidèles qui avaient
de la nouvelle allure de leur église et le père quitté la paroisse revinrent en voyant que le curé
Dujarrier, de passage, me félicita : « Très bien ! Tu avait repris les choses en main. Alors qu’en 1996 le
as trouvé la bonne solution ! » Sacré-Cœur se trouvait en sixième position des
Se lancer dans de tels travaux, vu la situation paroisses de Cotonou pour les recettes ordinaires
financière de la paroisse, me semblait risqué, mais annuelles, en 1997 elle occupait la troisième position
je compris vite qu’elle avait des moyens et que je derrière St Michel et Notre-Dame. Ces recettes
pouvais compter sur la générosité des fidèles. passaient de 4.227.423 F CFA à 7.796.915. F. La
D’ailleurs le conseil économique me poussait à participation à la solidarité (vente de charité et quêtes
l’audace. C’est pourquoi je me suis lancé dans supplémentaires pour l’aménagement) où la
l’aventure. Le financement serait assuré par la vente paroisse était septième et dernière de Cotonou avec
de charité annuelle et une quête supplémentaire, 2.547.423 F en 1996, passa là aussi en troisième
une fois par mois, appelée “djigbé-zan”. Je pris position avec 5.786.915 F. Je n’ai pas les chiffres
66
MA VIE MISSIONNAIRE
de 1998 où l’augmentation fut encore plus grande Gilbert Dagnon, qui remplissait le rôle
car nous étions en pleins travaux d’agrandissement d’administrateur et se contenta de me regarder
de l’église et les paroissiens toujours plus généreux ! partir…
Je dois, en toute justice, reconnaître que mes Tout cela aussi était dans l’ordre des choses :
successeurs du clergé diocésain continuèrent à Mgr de Brézillac considérait qu’un missionnaire était
solliciter la générosité des paroissiens et se lancèrent un pionnier au service de l’Eglise, qui va où ses su-
aussi dans des réalisations que j’appréhendais moi- périeurs l’envoient pour annoncer la Bonne Nou-
même de tenter vu l’ampleur des travaux. La velle, favoriser les vocations sacerdotales et qui se
première chose qu’on me demanda fut de paver retire quand l’Eglise est implantée grâce à un clergé
toute la cour car c’était l’inondation à la saison des local suffisant. Je pense que nous y étions arrivés et
pluies. Je demandais à souffler un peu. Je voulais que nous n’avions plus qu’à transmettre le témoin.
m’assurer que je reviendrai après mon congé en J’appris, par mes amis de la paroisse, que mon
1999… Il fallait faire un plafond dans l’église et pour successeur ne fit pas long feu, un an à peine, se
cela refaire l’ancienne toiture qui prenait de l’âge : montrant trop autoritaire, agissant comme un
frais immenses ! supérieur avec ses séminaristes. Il y eut des plaintes
Tout cela ils le firent, et bien d’autres choses : la des paroissiens et la coordination des jeunes fut à
première église fut transformée en sanctuaire pour la base de la contestation. Il fut remplacé par un
l’adoration perpétuelle, des salles de catéchisme ancien vicaire et disciple du vicaire général, porté
furent édifiées, l’école réhabilitée et un étage sur les exorcismes, voyant de la magie et des sorciers
construit pour doubler le nombre de classes, des partout, imposant les mains sur les malades pour
bâtiments d’un étage furent construit en bordure les guérir plutôt que de s’occuper de catéchèse et
de la route pour des logements et boutiques à louer de pastorale. L’évêque qui succéda à Mgr de Souza
etc… J’ai constaté tout cela à mon passage en juillet ne tarda pas à l’envoyer pour des études en France.
dernier 2009. Il le remplaça par un jeune nommé administrateur ;
La mort brutale de Mgr de Souza en mars il n’avait que quelques années de sacerdoce et fut
1999, mon départ pour la France en juillet, mon lui aussi envoyé aux études à son tour.
âge 73 ans et demi, le peu d’enthousiasme du Je suis retourné plusieurs fois, pendant les
vicaire général à solliciter mon retour, je regardais vacances, passer un mois au Bénin où je pus
tout cela comme des signes que ma vie constater l’évolution du pays et de l’Eglise en
missionnaire s’achevait. Encore en bonne santé je particulier : les paroisses se multipliaient, le clergé
ne me voyais pas aller à la maison de retraite. aussi, l’Eglise était bien implantée ; les orientations
J’étais prêt à m’engager comme prêtre auxiliaire étaient sans doute différentes des nôtres mais
dans un diocèse de France. Un nouveau chapitre correspondant à la culture du pays.
allait s’ouvrir…
En 2008 le curé, Jules Doganou récemment
nommé à la tête de la paroisse, m’invita à venir
RETOUR EN FRANCE célébrer le 29 juin le cinquantenaire de la fondation.
Ma vie missionnaire active au Dahomey-Bénin Je pense qu’il est rare que le fondateur d’une
se terminait. Ce départ définitif du Bénin ne fut pas paroisse soit présent pour ses noces d’or ! C’est
pour moi un déchirement, c’était dans l’ordre avec joie que j’acceptais d’autant plus que ce
logique des choses : j’avais eu 73 ans le 31 décembre nouveau curé avait fait un stage de neuf mois à
1998 et le séjour au Sacré-Cœur durant les trois Calavi alors que j’en étais le curé ; nous étions restés
dernières années avaient été assez éprouvantes. amis, il m’accueillit très gentiment. C’est Mgr Marcel
J’avais au moins la satisfaction d’avoir remis la Agboton, nouvel archevêque de Cotonou et mon
paroisse sur les rails, relancé la pastorale, agrandi ancien élève de cinquième au collège Aupiais, qui
l’église et remis les finances à flot. Je ne savais que vint présider la messe solennelle.
confidentiellement le nom de celui qui était pressenti Je retournai encore à Cotonou en juillet dernier
pour me remplacer. Je ne le connaissais pas et ne profitant à nouveau des vacances pour y passer un
le rencontrais pas non plus ; il avait été professeur mois avec un programme assez chargé : ordination
au petit séminaire de Natitingou et n’avait jamais d’un jeune d’une famille amie, rencontres de “mes
fait de ministère paroissial. Il n’y avait plus d’évêque enfants” de Cotonou et Calavi, des prêtres et
à la tête du diocèse, c’est le vicaire général, le père religieuses avec qui j’avais travaillé. On ne reste pas
67
MA VIE MISSIONNAIRE
une quarantaine d’années dans le ministère sans samedi soir ! J’avais été averti que le clergé et les
garder des attaches. fidèles de France ne goûtaient pas du tout les
Ces voyages me permirent surtout de constater anciens missionnaires qui leur rabattaient les
l’implantation sérieuse de l’Eglise : cette année oreilles avec leurs exploits passés…et je me gardais
l’archevêque de Cotonou a ordonné 27 prêtres pour bien dans les sermons et réunions de faire des
son diocèse et sur l’ensemble des 10 diocèses du comparaisons.
Bénin il y en eut 80 ! Le clergé local compte Les fidèles étaient assez peu nombreux et il y
actuellement plus de 800 prêtres diocésains avait beaucoup de retraités ou de vacanciers. Je
auxquels on doit ajouter 100 prêtres et 97 frères ou fis connaissance avec certains paroissiens réguliers
religieux originaires du pays. Les religieuses qui devinrent des amis qui m’invitaient volontiers.
béninoises des différentes congrégations sont Le curé me demanda, quand il me connut un peu,
environ un millier !... d’assurer l’aumônerie de la Vie Montante,
mouvement des retraités chrétiens qui se
13 JUILLET 1999, réunissaient chaque semaine avec un programme
fixé d’avance basé sur l’Evangile ou la liturgie. Les
RETOUR EN FRANCE réunions étaient très intéressantes car les
En bonne santé, je pensais être capable de participants étaient avides de s’informer et de
continuer un ministère sacerdotal plutôt que de s’instruire.
rejoindre une maison de la Province pour une Une transformation était en route dans le
occupation secondaire. Mon désir était de me diocèse depuis quelques années car, faute de
mettre à la disposition d’un évêque diocésain prêtres, il fallait regrouper les paroisses. Ce travail
comme simple prêtre auxiliaire. Je désirais était important et tous les fidèles impliqués dans la
rejoindre le diocèse de Nice dont l’évêque était Mgr mesure de leur disponibilité et de leur engagement
Jean Bonfils, notre ancien supérieur provincial de furent invités à participer à des réunions avec le
1974 à 1978. J’avais été alors secrétaire provincial, clergé pour exprimer leur avis. Le programme
nous nous connaissions très bien et il accepta s’intitulait : “Diocèse 2000”. L’évêque organisa un
immédiatement ma candidature. Je rejoignis la grand meeting où il exposa les modifications
paroisse de Mandelieu-La Napoule dont le curé, adoptées et le nouveau visage du diocèse qui
le père Neumann, m’accueillit très aimablement. passait de plus de cent paroisses à une trentaine
Il était le doyen et aussi responsable des regroupées dans de nouveaux doyennés. La
séminaristes du diocèse, regroupés à Avignon avec paroisse de Mandelieu fut réunie avec celle de
ceux des autres diocèses de la province Cannes La Bocca et deux autres de l’arrière pays
ecclésiastique et des Antilles. Je disposais d’un pour n’en former qu’une seule : saint Vincent de
appartement à La Napoule alors que le curé Lérins.
résidait au presbytère, à Mandelieu, à 5 km de chez Les curés furent changés, ceux des anciennes
moi. Il me demanda d’assurer les messes du paroisses mutés ailleurs (le père Neumann devint
dimanche à Théoule, station balnéaire à 2 km, curé d’une paroisse de Cannes) ou devinrent
d’autres messes durant la semaine et parfois de membres des nouvelles équipes sacerdotales, ce
célébrer des enterrements. Il m’invitait au restaurant qui parfois ne se fit pas sans problèmes. Le temps
tous les dimanches avec des amis, des confrères arrangea les choses (départ à la retraite pour les
ou séminaristes. C’était une situation rêvée comme plus âgés par exemple) l’évêque nomma des curés
pré-retraite, mon traitement me permettait « in solidum » dans les cas ou l’un des anciens
d’entretenir l’appartement, de faire ma cuisine et curés tenait à garder son titre etc. Pour moi je
même de faire des économies qui dépannaient les restais sur place, prêtre auxiliaire. Mon curé
uns et les autres au Bénin avec lequel je restais en changeait et ses méthodes étaient tout autres que
relation régulière. C’était la Côte d’Azur et je n’étais celles de son prédécesseur. Bien plus jeune que
qu’à dix minutes de la plage ; climat et paysages lui il tint à ce que tous les paroissiens fissent sa
merveilleux. connaissance et celle des prêtres de l’équipe. Pour
Evidemment ce n’était plus du tout le même cela il décida que nous changerions chaque
genre de ministère qu’au Bénin avec ses messes dimanche de lieu de célébration de la messe. Ce
dans des églises bondées, ses catéchismes fut un manège permanent. Dans mon cas, par
débordants, ses confessions interminables du exemple, alors qu’auparavant j’allais tous les
68
MA VIE MISSIONNAIRE
dimanches célébrer à Théoule, à 2 km, il me fallait ; un notaire s’occupait de cette affaire mais se
parfois aller à Pégomas, à 20 km, et son ex-curé, trouvait à Aix en Provence et tous les habitants de
qui demeurait dans le presbytère de Pégomas Puget considéraient que la paroisse était
parcourait 22 km pour me remplacer à Théoule. propriétaire de fait. L’appartement, laissé à
Les paroissiens, quant à eux, se plaignaient de ne l’abandon depuis deux ans, j’y fis le ménage et m’y
plus connaître leurs prêtres qui changeaient installai sans scrupule. Nous avons fait table
chaque semaine ! Belle illustration du dicton : « Le commune, le curé et moi, tous les midis, j’étais le
mieux est parfois l’ennemi du bien » ! cuistot et nous avons fait bon ménage.
Personnellement je me gardais bien de faire la Je jouais les ignorants tout en connaissant par
moindre critique, je n’étais qu’un auxiliaire qui les supérieurs, les confrères et mes collaborateurs
exécutait simplement les ordres ! les problèmes qu’il avait eus et les plaintes à son
Je suis resté à La Napoule du 30 octobre 1999 sujet auprès de l’évêque. Mgr Bonfils ne savait que
au 31 mai 2002. Je m’y suis plu ; pour un pré- faire. Ce confrère eut un accident de voiture, sans
retraité c’était l’idéal : me rendre utile en exerçant gravité, en mai 2003, fit un scandale par ses cris,
mon ministère, jouir d’une indépendance ses insultes d’où plainte, intervention des
appréciable dans un pays magnifique, au climat gendarmes, constat d’alcoolémie, garde à vue et
agréable. tribunal. Récidive quelques mois après,
En mai 2002 Mgr Bonfils me demanda si condamnation avec sursis et obligation de
j’acceptais de remplacer, pendant ses vacances, désintoxication par une cure. Mgr Bonfils en profita
un confrère SMA qui était arrivé dans le diocèse pour le remettre à la disposition de la SMA et me
depuis un peu plus d’un an et que monseigneur demanda d’assurer l’intérim. Je devins donc
avait nommé curé de la paroisse Notre-Dame du administrateur de la paroisse. Comme
Var. Je serai là comme prêtre auxiliaire, si monseigneur donna sa démission en 2005, atteint
j’acceptais, pour l’aider car la paroisse comptait par la limite d’âge, alors qu’il n’avait toujours pas
19 “clochers” depuis le remembrement de diocèse trouvé de remplaçant, je m’adressai à son
2000. De plus il était isolé dans cet arrière pays successeur, Mgr Sankalé qui ne me fit aucune
niçois et avait pas mal de problèmes avec les promesse. J’étais prêt à rester dans le diocèse
paroissiens du fait de son caractère ; ma comme prêtre auxiliaire mais non pas en exerçant
compagnie pourrait lui être bénéfique ! la fonction de curé. L’évêque semblant sourd à ma
Je ne le connaissais pas, sinon de réputation demande, j’attendis encore un an puis je prévins
par les confrères qui avaient vécu avec lui, en Côte le vicaire général, Mgr Terrancle, que je donnais
d’Ivoire, au Zaïre où en France. Nulle part il n’avait ma démission pour rejoindre Montferrier.
fait de longs séjours par suite de son caractère et C’est ainsi que le 4 octobre 2007 je rejoignis
de son penchant pour la bouteille qui le rendait les confrères retraités des CHENES VERTS notre
insupportable. Il demanda à servir dans le diocèse maison de retraite, cessant toute vie active
de Clermont-Ferrand, y resta trois ans et l’évêque missionnaire et me remémorant les souvenirs du
le remis à la disposition de la SMA. C’est alors que Dahomey-Bénin.
Mgr Bonfils, qui l’avait eu comme novice à Chanly, Baillarguet 12 mars 2010
l’accepta dans le diocèse de Nice pour l’aider à
s’en sortir. Dès son arrivée il se créa une réputation
dont j’eus des échos à La Napoule ! Malgré tout
j’acceptais la proposition de Monseigneur.
Il m’accueillit gentiment à Puget-Théniers.
J’étais son aîné de 18 ans, j’en avais 75. Faute de
place nous ne logions pas ensemble au presbytère,
appartement au troisième étage d’un bâtiment
appartenant à la commune. J’habitais en
appartement moi aussi, non loin du presbytère.
Ce logement ayant été mis à la disposition de la
paroisse par les propriétaires, décédés depuis.
Situation bizarre : j’étais en fait comme un squatter,
ni propriétaire, ni locataire. Aucun héritier connu
69

Vous aimerez peut-être aussi