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psychanalyse (Paris)
TOME XVI
1952
TOUS DROITS RESERVES
XIVe Conférence
des Psychanalystes
de Langue française
Paris, Ier novembre 1951
Le problème du transfert
Rapport théorique
par DANIEL LAGACHE
PREMIÈRE PARTIE
difficultés, nous avons trouvé des guides, sans parler des oeuvres de
Freud, dans l'histoire de la technique à partir de 1925, retracée par
Fenichel dans ses Problèmes de Technique Psychanalytique (1941) et
dans les parties historiques de l'article qu'Ida Macalpine a récemment
consacré au développement du transfert (1950). Les recoupements des
lectures et des conversations nous donnent l'impression, ou l'illusion,
que cette partie de notre rapport n'a pas négligé d'aspect essentiel de la
question. Il va de soi que nous n'avons abordé la clinique et la technique
que sous l'angle du problème théorique dont l'étude nous était confiée.
I. — LE TRANSFERT DANS LA MÉTHODE CATHARTIQUE (BREUER)
ET DANS L'ANALYSE CATHARTIQUE DES SYMPTOMES (FREUD)
(1882-1895)
Toute psychothérapie repose sur la relation du patient et du théra-
peute. En vertu de ce principe, une étude historique du transfert
devrait remonter aux origines de la psychothérapie. L'expérience
montre que de telles recherches sont plus souvent divertissantes
qu'utiles. Aussi bien la théorie de l'hypnose et de la suggestion, subor-
donnée au développement du concept de transfert, ne s'est éclairée que
lorsque la psychanalyse a été suffisamment avancée dans cette voie. Il
suffira donc à notre propos, et il lui sera fort utile, de se reporter à l'ère
prépsychanalytique où l'analyse cathartique des symptômes de Freud
succéda à la méthode cathartique de Breuer.
En lisant la description la plus simple de la méthode cathartique,
il apparaît que les symptômes pouvaient être supprimés en ramenant
le patient à l'état psychique dans lequel le symptôme était apparu pour
la première fois : « Dans cet état, écrit Freud, reviennent à l'esprit du
patient des souvenirs, des pensées et des impulsions qui étaient sortis
de sa conscience ; dès qu'il les avait relatés au médecin, accompagnant
cette expression d'une émotion intense, le symptôme était surmonté
et c'en était fini de son retour » (1904, p. 264). La répétition d'une
expérience antérieure est, à la lettre, un trait commun de la méthode
cathartique et du transfert psychanalytique ; la polarité de l'expérience
vécue et de la reconnaissance du souvenir, de l'émotion et de l'intellect,
thème-principal de l'histoire de la technique psychanalytique, est déjà
contenue dans la catharsis (1). Mais Breuer n'avait pu découvrir les
des processus mentaux impliqués dans cette situation, de manière à amener une libération à la
faveur d'opérations conscientes. » Mais Freud ajoute à la page suivante : « A l'époque du
traitement hypnotique, la remémoration prenait une forme très simple. Le patient se remettait
dans une situation antérieure, qu'il ne semblait jamais confondre avec la situation présente », etc.
(souligné par nous, FREUD, 1914, pp. 366-367).
8 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
par lui ». Ainsi elle agit une partie essentielle de ses souvenirs et de ses
fantasmes au lieu de la remémorer dans le traitement. Les allusions
nombreuses et claires au traitement que contient aussi le second rêve
se rattachent à une signification essentielle de l'existence de Dora :
« Les hommes sont si détestables que j'aimerais mieux ne pas me
marier. C'est ma vengeance. » L'unité de sens de la vie de la patiente
et du transfert apparaissent ainsi en pleine lumière : « Si les motivations
cruelles et vindicatives, qui dans la vie de la patiente avaient déjà été
employées à maintenir ses symptômes, sont transférées sur le médecin
au cours du traitement, avant qu'elle ait eu le temps de s'en détacher
en les rattachant à leurs sources, alors il n'y a pas lieu de s'étonner que
la condition du patient ne soit pas affectée par les efforts thérapeutiques.
Car, comment la patiente pourrait-elle prendre une vengeance plus
effective qu'en démontrant sur sa propre personne l'impuissance et
l'incapacité du médecin ? »
Ces textes freudiens montrent deux choses : la première, que dès
cette époque, Freud est en possession des idées essentielles concernant
le transfert ; la seconde, que tout en concevant la vaste portée psycholo-
gique du concept de transfert, Freud se maintient au plus près de l'expé-
rience clinique et thérapeutique : le transfert est présenté comme une
perturbation associative, qui empêche l'accès des souvenirs refoulés ;
c'est une « fausse connexion », une « mésalliance » ; en d'autres termes,
Freud semble s'imposer, en ce qui concerne l'élaboration théorique du
concept de transfert, des restrictions qui sont déjà dépassées dans
certains travaux psychanalytiques antérieurs à 1910.
S. FERENCZI (1909)
(1) On en trouve une autre indication dans un teste de Gradiva : « C'est par une récidive
amoureuse que se produit la guérison, à condition d'englober sous le nom d'amour toutes les
composantes si variées de l'instinct sexuel, car les symptômes contre lesquels le traitement est
entrepris ne sont que des résidus de combats antérieurs contre le refoulement ou le retour
du refoulé ; ils ne peuvent être résolus et balayés que par une nouvelle marée montante de la
même passion. Toute cure psychanalytique est une tentative de libérer l'amour refoulé, amour
refoulé ayant trouvé, dans un symptôme, pour pauvre issue, un compromis. Nous saisirons
mieux encore la conformité complète avec les processus de guérison décrits par le romancier
dans sa Gravida en ajoutant que, au cours de la psychothérapie analytique, la passion réveillée,
qu'elle soit l'amour ou la haine, prend ainsi chaque fois pour objet la personne du médecin »
(FREUD, 1907, p. 203 ; référence indiquée par le Dr Y. Blanc).
LE PROBLEME DU TRANSFERT 15
(1) Freud ne parle pas ici de refoulement secondaire, mais ce ternie exprime bien sa pensée.
LE PROBLEME DU TRANSFERT 17
transfert. Tout converge ainsi vers une situation où tous les conflits
doivent être traités sur le plan du transfert : « C'est le terrain sur lequel
la victoire doit être gagnée, l'expression finale d'une guérison durable
de la névrose. Il est indéniable que la subjugation des manifestations de
transfert apporte les plus grandes difficultés au psychanalyste ; mais il
ne faut pas oublier que ce sont elles, et seulement elles, qui rendent
l'inestimable service d'actualiser et de manifester les émotions amou-
reuses enterrées et oubliées ; car en dernier ressort, nul ne peut être
mis à mort in absentia et in effigie » (1912, p. 322).
Le transfert psychanalytique exprime donc, en dernière analyse,
un conflit entre le patient et le médecin : « Les sentiments inconscients
cherchent à éviter la reconnaissance que réclame la cure ; ils visent au
contraire à la reproduction, avec tout le pouvoir d'hallucination et la
méconnaissance du temps caractéristiques de l'inconscient. Juste comme
dans les rêves, le patient donne cours et réalité à ce qui résulte de l'éveil
de ses sentiments inconscients ; il tend à décharger ses émotions sans
tenir compte de la réalité de la situation. Le médecin requiert de lui
qu'il mette ces émotions à leur place dans le traitement et dans l'histoire
de sa vie, qu'il les soumette à une considération rationnelle, et qu'il les
apprécie à leur réelle valeur psychique. Cette lutte entre le médecin et
le patient, entre l'intellect et les forces de l'instinct, entre la reconnais-
sance et l'aspiration à la décharge, s'accomplit presque entièrement sur
le terrain du transfert » (1912, pp. 321-322).
La résistance de transfert n'a évidemment de sens que dans une
situation analytique où le médecin veut ramener le patient à la réalité
et à la raison ; l'attitude thérapeutique et interprétative constitue ainsi,
pour le patient une source de frustration et de régression. Une explica-
tion du transfert qui aurait fait jouer son rôle à l'entourage et à la
technique psychanalytique était selon nous tout à fait possible dans le
cadre général des conceptions de Freud sur la fixation, la frustration et
la régression. Certaines expressions de Freud donnent à penser qu'il va
mettre en cause la situation psychanalytique ; cherchant comment la
résistance de transfert fait ainsi complètement perdre le sens de la réa-
lité dans la relation du patient avec le médecin, il les trouve « dans la
situation psychologique où l'analyse a placé le patient » (1912, p. 321).
Mais d'autres nécessités incitaient Freud, dans l'explication du transfert,
à ne pas prendre en considération le rôle de la technique psychanaly-
tique ; de longue date, les psychanalystes ont eu la préoccupation de
s'absoudre de la responsabilité du transfert : le transfert existe dans les
autres psychothérapies, avec cette différence qu'on ne l'analyse pas et
PSYCHANALYSE 2
18 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) La précarité du résultat était en rapport avec le fait que le transfert, et surtout le trans-
fert négatif, n'était pas analysé, comme le montre un passage de l'Introduction à la psychanalyse,
pp. 481-482 : « J'ai vu une fois se reproduire tel quel un état très grave que j'avais réussi à
supprimer complètement à la suite d'un court traitement hypnotique ; cette récidive étant sur
venue à une époque où la malade m'avait pris en aversion, j'avais réussi à obtenir une nouvelle
guérison et plus complète encore, lorsqu'elle fut revenue à de meilleurs sentiments à mon égard ;
mais une troisième récidive s'était déclarée, lorsque la malade me fut de nouveau redevenue
hostile. "
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manière la plus nette. Certes, le psychanalyste est actif dans ses deux
tâches essentielles, rendre conscient le matériel refoulé et découvrir les
résistances ; est-ce suffisant ? Il serait naturel de mettre le patient dans
la situation mentale la plus favorable à la solution du conflit ; ce que le
patient peut réaliser dépend en partie de circonstances extérieures dont
l'influence converge sur lui ; on ne peut faire aucune objection à
l'activité du médecin, pour autant qu'elle consiste à altérer cette combi-
naison de circonstances en intervenant de façon adéquate. C'est là
ouvrir une voie nouvelle dans la technique analytique. Sans tenter
d'introduire à une nouvelle technique en voie de développement,
Freud se contente d'énoncer le principe qui sera probablement l'idée
directrice dans l'étude de ce nouveau problème : « Le traitement
analytique devrait être mené, autant que possible, dans une condition de
privation — dans un état d'abstinence. » L'abstinence ne veut dire ni la
privation de toute satisfaction, ce qui serait impossible, ni l'abstinence
sexuelle, mais « quelque chose qui a beaucoup plus à faire avec les
dynamiques de la maladie et de la guérison ». Nous traduirons inté-
gralement le paragraphe suivant : « Vous vous souviendrez que c'était
une frustration qui avait rendu le patient malade, et que ses symptômes
lui servent de gratifications substitutives. Au cours du traitement, il est
possible d'observer que toute améliorationde sa condition réduit la vitesse
à laquelle il guérit et diminue l'énergie instinctuelle qui le propulse vers
la cure. Mais cette force instinctive propulsive est indispensable à la
cure ; sa diminution met en danger notre but, le rétablissement de la
santé du patient. Quelle est la conclusion qui s'impose inévitablement à
nous ? Si dur que ce soit à entendre, nous devons veiller à ce que les
souffrances du patient, à un degré d'une manière ou d'une autre efficace,
ne cessent pas prématurément. Quand les symptômes ont été disséqués
et que chacun a été ainsi dévalué, les souffrances du patient deviennent
modérées ; alors, nous devons susciter une privation assez éprouvante,
sur quelque autre point sensible ; autrement, nous courons le risqué de
ne jamais réaliser de nouveaux progrès, sinon des progrès tout à fait
insignifiants et transitoires » (pp. 396-397). Dans les pages suivantes,
Freud expose les applications essentielles de la règle d'abstinence :
1° En dehors du traitement, à mesure que les symptômes disparaissent,
le patient fait usage de sa colossale faculté de déplacement pour chercher
de nouvelles satisfactions substitutives, dans lesquelles s'échappe
l'énergie nécessaire à la cure ; ces escapades peuvent être graves,
lorsqu'elles gratifient la culpabilité et le besoin de punition qui attachent
si fortement à leur névrose bien des névrosés. « Dans toutes ces situations,
20 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Transfert et Sur-Moi
Cette conception nouvelle de la topique ou structure de l'appareil
psychique, Freud l'expose en 1923 dans «Le Moi et le Ça » ; mais c'est plus
particulièrement dans « Psychologie collective et analyse du Moi » (1921)
qu'il en montre l'incidence, sinon sur le transfert en psychanalyse, du
moins sur le transfert tel qu'il se présente dans l'amour, dans l'hypnose,
et dans la vie sociale.
Un travail antérieur avait déjà souligné l'idéalisation de l'objet
d'amour. Parlant des cas extrêmes, Freud estime que « toute la situation
peut être résumée dans cette formule : l'objet a pris la place de ce qui
était l'idéal du Moi » (Essais de psychanalyse, p. 136). Si, par ailleurs,
(1) Cf. Essais de psychanalyse, p. 47. Nous ne suivons pas ici la traduction de Jankélévitch.
(2) Dans les Remarques sur l'interprétation du rêve (1923), FREUD apporte une précision au
rôle de la compulsion de répétition dans le transfert : «... Ici, nous pouvons ajouter que c'est le
transfert positif qui donne cette assistance à la compulsion de répétition. Ainsi une alliance
a été faite entre le traitement et la compulsion de répétition, une alliance qui est dirigée en pre-
mière instance contre le principe de plaisir mais dont le but ultime est l'établissement du prin-
cipe de réalité. Comme je l'ai montré dans le passage cité, il arrive seulement trop souvent que la
compulsion jette par-dessus bord les obligations de cette alliance et ne se contente pas du retour
du refoulé purement sous la forme d'images du rêve " (C. P., V, 146-147).
LE PROBLEME DU TRANSFERT 29
(1) Dans Psychologie collective et analyse du Moi, l'épreuve de la réalité est une fonction du
Moi Idéal. Ultérieurement,comme il est dit, Freud la restituera au Moi. Mais il est resté classique
d'admettre que le Moi, dans l'épreuve de la réalité, n'était pas indépendant du Sur-Moi. Un
résultat de la cure est de lui faire conquérir cette indépendance.
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(1) Cf. Anna FREUD, Le Moi et les mécanismes de défense, pp. 19-20 : « C'est dans la situation
analytique seulement qu'il nous est donné d'observer nos patients, c'est-à-dire dans un état
endopsychique artificiel. La puissance relative des instances se trouve modifiée au profit du Ça
soit par l'état de sommeil, soit par l'observance de la règle analytique fondamentale ; et un peu
plus loin, pp. 20-21 : « Le fait de rendre conscient ce qui était inconscient, l'influence du traite-
ment sur les rapports réciproques du Ça, du Moi et du Sur Moi dépendent manifestement de la
situation analytique qui est artificiellementcréée et qui rappelle celle de l'hypnose où l'activité
des instances du Moi se trouve ainsi diminuée. »
LE PROBLEME DU TRANSFERT 31
(1) Cité par STRACHEY, 1934, p. 133. Disposantd'une édition probablement différente, nous
n'avons pas retrouvé ce texte.
(2) Int. J. of Psychoan., III, 1922, p. 521.
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c'est sur cette base que le patient se fait son allié dans la lutte contre les
résistances.
Ces motivations contenues déjà dans le désir de guérison sont
renforcées par les satisfactions reçues au début du traitement ; il y a le
plaisir à parler (séduction magique du psychanalyste), tout en gardant
son secret ; les satisfactions narcissiques inhérentes à l'attention du
psychanalyste et à la nécessité de rentrer en soi-même ; la satisfaction
intellectuelle ; et enfin, le besoin de décharge et la tendance à faire des
aveux, toutes satisfactions qui peuvent se changer en résistances.
Grâce à l'appoint de ces expériences, le transfert remplace le désir de
guérison et se met au service de l'analyse de résistance.
On entre alors dans ce que d'autres ont appelé « lune de miel
analytique ». L'analyste intervient en tant que protection contre le
danger. La relation est analogue à celle de l'hypnotisé et de l'hypnoti-
seur : à la façon de l'hypnotisé, le patient se soumet à la volonté de
l'analyste dans la lutte contre les résistances. L'analyste n'est plus
assimilé seulement au Moi magique mais au Moi Idéal. Il est libidinisé,
et il libidinisé le Sur-Moi. Il joue un rôle de médiateur entre le Sur-Moi
et le Ça. D'où la disparition fréquente des états d'angoisse les plus
violents. L'analyste s'est, suivant le langage de Nunberg, glissé dans le
Moi, et c'est de l'intérieur qu'il exerce une influence.
Cet heureux état de choses ne peut persister. Il est fatal que les
résistances augmentent, parce que l'analyse devient de plus en plus
profonde, et à cause de la frustration. Les résistances se manifestent
par l'inertie pulsionnelle, sur la base de l'automatisme de répétition.
Le traitement est en péril. Presque toujours, le sens profond de cette
situation est donné par le besoin d'être aimé. Et c'est dans ce besoin
d'être aimé que le traitement en péril trouve un secours qui, dans la
description de—Nunberg, apparaît presque miraculeux : le patient
remarque que l'analyste ne s'intéresse plus à lui ; il est stimulé par la
crainte de perdre l'analyste, et l'activité du Moi arrive à vaincre l'inertie
pulsionnelle.
Ces conceptions ont été sévèrement critiquées par Wilhelm Reich ;
il reproche à Nunberg de considérer la prise de conscience comme une
abréaction, de faire de l'automatisme de répétition un mécanisme
primaire, alors que « l'attraction de l'inconscient » est liée au blocage
des voies naturelles de la décharge sexuelle ; surtout, il montre chez
Nunberg la négligence de l'analyse des résistances et du transfert
négatif, dont il fait lui-même les pivots d'une conception plus neuve,
plus forte, et en tout cas, plus claire (Reich, 1933, PP- 15-19)-
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(1) En 1927, Sterba a consacré un article surtout clinique au problème technique du trans-
fert négatif latent. Il attribue sa méconnaissance au narcissisme du psychanalyste « toujours
prêt à accepter les compliments et prêt à refouler les critiques » (d'après R. DE SAUSSURE, Revue
française de Psychanalyse, 1927, pp. 762 763).
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paraissent avoir influencé ceux qui dans la même période ont écrit sur
le transfert. En dépit de ses déviations ultérieures, Reich reste un de
ceux qui ont le plus contribué à la théorie et à la pratique du traitement
psychanalytique.
L'École anglaise : Strachey (1927-1934)
Les premières contributions de l'École anglaise à la technique sont
les leçons publiées en 1927-1928 par Glover et en 1930-1931 par Ella
Sharpe. Fenichel les a caractérisées (1941, pp. 107-108) en signalant
leur orientation plus technique que théorique et plus clinique que
normative. Nous aurons l'occasion de revenir sur l'essentiel des concep-
tions de Glover (1) et nous nous arrêterons pour le moment aux pages
qu'Ella Sharpe a consacrées au transfert.
La plus grande part de ce qu'elle dit est à la fois excellent et
classique. On trouve cependant des indications originales mais dont la
portée théorique n'a pas été développée. Au passage Sharpe signale
l'influence « du contact spécialement conditionné », par l'exclusion des
contacts avec la réalité, qui apporte le champ le plus libre à l'imagination
du patient, comme au travail du psychanalyste. Dans ce champ se
développe avec l'analyste une relation spéciale, qui est le transfert.
Sharpe critique les expressions usuelles, « transfert », « négatif », « posi-
tif », qui ne font pas droit à la richesse et à la spécificité des émotions
analytiques et infantiles : « Amour, haine, horreur, dégoût, culpabilité,
peur, méfiance, besoin de soutien, honte, repentir, fierté, désir,
condamnation, convoient réellement une signification. Ils ont du sens
pour nous ; mais qu'est-ce que « transfert » comme explication de ce
que nous sentons ? » (1950, p. 56). Une autre tendance intéressante
consiste à formuler le transfert en termes de « rôles » ; dans le transfert,
le patient attribue au psychanalyste des rôles qui changent sans cesse,
soit empruntés à la vie réelle présente et passée, soit empruntés à la vie
imaginaire du Sur-Moi, du Ça, et du Moi (p. 55). L'analyse du transfert,
dans la conception très large que s'en fait Sharpe, n'est pas un travail
séparé ; c'est « le travail » par excellence (p. 56). Elle signifie principale-
ment trois choses : 1° Trouver quel rôle joue l'analyste ; 2° Illuminer
le passé, à la fois réel et imaginaire, en termes de reviviscence dans
l'analyse et dans les conflits quotidiens ; 3° Mettre en lumière, à travers
leurs projections sur l'analyste, le Ça, le Moi, le Sur-Moi.
(1) Nous n'avons pas pu nous procurer les leçons de GLOVER sur la Technique ni les volumes
de l'Int. J. of Psychoan., où elles ont été publiées en original (années 1927-1928).
42 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
FENICHEL.
Strachey reprit sous une autre forme les vues qu'il avait déjà
exposées en 1934. Le psychanalyste s'offre au patient comme un bon
objet dont l'introjection se fait au moment des interprétations trans-
férentielles : l'objet des pulsions du Ça se révèle comme conscient
de leur nature et ne ressentant à leur sujet ni angoisse ni colère (p. 144).
BERGLER
(1 ) Ceci rejoint la Sagessedes Nations, selon laquelle parler d'amour, c'est déjà faire l'amour.
48 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Dans certaines limites (D. L.)- Sinon Nunberg se trouverait en contradiction avec Rado
(1925, pp. 40-41) ; celui-ci remarque que toutes les suggestions ne sont pas acceptées par l'hyp-
notisé, dont le Sur-Moi, par conséquent, n'est pas entièrement supplanté par le Sur-Moi parasite
de l'hypnotiseur ; il est « équipé d'une certaine force de résistance contre la perte de pouvoir » ;
ainsi, les suggestions criminelles ne sont pas acceptées par l'hypnotisé.
PSYCHANALYSE 4
50 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
BlBRING
(1) Il était naturel que le livre d'Anna FREUD, Le Moi et les mécanismes de défense, publié la
même année, n'inspirât pas davantage les rapporteurs, eût il été mis en circulation avant le
Congrès, ce que nous ignorons.
52 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
d'enfants doit être « tout plutôt qu'une ombre » (p. 42) ; il est donc un
mauvais objet de transfert. En dépit de ses mouvements positifs ou
négatifs envers l'analyste, l'enfant continue ses réactions anormales
dans sa famille. L'analyste doit être en relation avec celle-ci. Lorsque
ce n'est pas possible, l'analyse ne dispose que d'un matériel de rêves
et de rêveries, et rien n'apparaît sur le transfert. Cependant, l'absence
de névrose de transfert tient à des conditions extrinsèques et non
intrinsèques ; le moyen d'amener une névrose de transfert serait de
séparer l'enfant de sa famille et de le placer dans une institution
appropriée ; après un certain temps, une névrose de transfert apparaî-
trait (pp. 43-45). Au total, on peut conclure que les conditions qui,
suivant Anna Freud s'opposent au développement de la névrose de
transfert chez l'enfant, se complètent : les objets primitifs des conflits
de l'enfant sont encore présents dans son entourage et ils ne sont pas
intériorisés par la formation définitive du Sur-Moi.
La controverse devait se poursuivre pendant plus de vingt ans.
Nous ne suivrons pas le détail de la longue contribution de Melanie
Klein au Symposium de 1927 à la Société britannique de Psychanalyse.
Elle y critiqua de très près les principes et la technique d'Anna Freud.
En préconisant une phase préparatoire et une action éducative, en cher-
chant à atténuer le transfert négatif et à obtenir un transfert positif, Anna
Freud fait tout pour qu'une situation proprement analytique ne puisse
pas s'établir ; elle utilise l'anxiété et la culpabilité de l'enfant pour se
l'attacher, au lieu de les « enrôler » dès le début en vue du travail analy-
tique ; le vrai travail analytique consiste à analyser le transfert négatif,
ce qui renforce le transfert positif, renforcement lui-même suivi d'une
recrudescence du transfert négatif ; dans une autre de ces formulations
« circulaires » qu'elle affectionne, Melanie Klein montre comment la
résolution analytique de l'anxiété libère l'imagination, dont le dévelop-
pement motive à nouveau l'anxiété, comment encore la libre association
et l'expression verbale surviennent non pas fortuitement mais dans des
conditions analytiquement déterminées. Cette conception de la tech-
nique de l'analyse infantile est liée à une conception différente du dévelop-
pement, et par suite de la structure de la personnalité de l'enfant et du
« champ psychanalytique » : même un enfant de 3 ans a laissé derrière
lui la part la plus importante de son complexe d'OEdipe ; il est donc
déjà loin des objets qu'il a désirés originellement et qu'il a intériorisés ;
les objets d'amour actuels sont des images des objets originels ; d'où la
possibilité du transfert dans une analyse où le rôle de l'analyste est
dans ses principes le même que dans l'analyse des adultes. Et en effet,
54 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
une haine semblable envers la mère, mais que nous devons comprendre
la réaction inamicale ultérieure à partir de la structure de tout le carac-
tère. On tient compte de la relation avec la mère dans la formation du
caractère, mais on tient compte aussi de la combinaison de tous les
autres facteurs déterminants de l'enfance. Le passé est, d'une façon ou
d'une autre, compris dans le présent. Pour formuler brièvement la
substance de cette discussion, je dirai que ce n'est pas une question de
« présent contre passé », mais de processus de développement contre
répétition » (pp. 152-153).
Le meilleur argument de Freud en faveur de la compulsion de
répétition est le transfert ; mais cet argument, comme les autres, est
discutable (p. 138). Karen Horney ne méconnaît nullement l'importance
thérapeutique de la relation du patient avec le psychanalyste. Ce
qu'elle combat, c'est une interprétation exclusivement ou abusivement
génétique de cette relation, qui se bornerait à constater qu'une attitude
du patient vis-à-vis de l'analyste est construite sur un modèle infantile.
Un tel genre d'interprétation présente trois inconvénients techniques :
1° L'interprétation génétique d'une attitude transférentielle ne met
pas en évidence sa fonction dans le champ psychologique présent ; par
exemple, interpréter un transfert positif comme la répétition de l'amour
envers la mère, ne suffit pas à montrer au patient que son masochisme
ou son besoin de fusion avec autrui sont des moyens de sécurité ;
2° L'analyse peut devenir improductive, les motivations actuelles
ayant été insuffisamment analysées ; 3° La structure personnelle
actuelle est insuffisamment élaborée, tel trait étant rapporté au passé
avant de l'être à la structure actuelle. Ainsi, pour le transfert comme
pour les autres situations, c'est la structure entière de la personnalité
qui décide si et quand un individu se sent attiré par les autres.
Horney admet cependant une certaine spécificité des émotions
transférentielles : l'attachement, ou plutôt la dépendance, survient
plus régulièrement ; d'autres émotions semblent plus fréquentes ou
ou plus aiguës dans l'analyse ; des gens par ailleurs bien adaptés peuvent,
dans l'analyse, se montrer ouvertement hostiles, méfiants, possessifs,
exigeants (1939, p. 163). La question se pose donc de savoir s'il y a
dans la situation analytique des facteurs qui précipitent de telles
réactions. L'atmosphère de tolérance, le défoulement des souvenirs
infantiles y contribuent, et surtout la règle d'abstinence, de la même
façon que, selon Freud, d'autres frustrations précipitent des régressions..
L'explication personnelle de Karen Horney est que, dans l'analyse, le
patient ne peut pas se servir efficacement de ses défenses habituelles ; leur
XE PROBLEME DU TRANSFERT 59
(1) «Sans ajustement à la situation présente » est une restriction discutable ; l'ajustement
à une situation présente n'exclut pas l'utilisation d'habitudes antérieures ; c'est encore là un
fait de transfert. De plus, en formulant ainsi la définition du transfert en général, French se
prive d'un élément précieux pour différencier du transfert la névrose de transfert.
60 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) French recommande au thérapeute de donner, le cas échéant, des explications sur les
procédés analytiques qui déconcertent le patient (p. 86).
LE PROBLÈME DU TRANSFERT 61
normale ; il doit apporter au patient l'aide que celui-ci est venu chercher ;
parfois il doit agir, soit pour éviter (p. 80), soit pour créer (p. 82)
certaines réactions ; la meilleure tactique est souvent de jouer un rôle
différent de celui des figures parentales et pathogènes ; par sa propre
attitude et par ses interprétations, le thérapeute acheminera le
patient vers une « expérience correctrice » (1946, p. 53 ; Alexander,
(1) Aumoment où nous écrivons ces lignes, nous n'avons pas encore pu nous procurer
l'ouvrage de JUNG, Die Ubertragung, publié en 1946. Nous utilisons un article de Baudouin, 1951.
XE PROBLÈME DU TRANSFERT 63
(1) En admettant, bien entendu, que la séquence transfert positif-transfert négatif soit
la règle générale en analyse.
(2) C'est l'interprétation d'Ida Macalpine. En fait, on se borne généralement à admettre
que le patient réagit d'une manière infantile et structure la situation analytique en conséquence.
LE PROBLEME DU TRANSFERT 65
7° Résolution du transfert.
La résolution du transfert a été considérée comme une sauvegarde
contre la suggestion, et comme la preuve que celle-ci ne jouait pas
dans l'analyse. Ida Macalpine doute que « la résolution du transfert
soit comprise dans tous ses aspects » (p. 534), surtout dans ses aspects
terminaux ; sa résolution finale se place dans une période vague après
la terminaison de l'analyse, et elle échappe ainsi à l'observation. Ceci
n'a pas pour but de nier la différence essentielle entre le transfert
hypnotique et le transfert psychanalytique, mais, de montrer seulement
que la résolution du transfert analytique n'est pas un concept exempt
de toute ambiguïté.
Et c'est sur ces considérations qu'Ida Macalpine termine : il est
entre l'hypnose et l'analyse une différence sans ambiguïté. Dans
l'hypnose, le transfert est une relation mutuelle ; l'hypnotisé transfère,
mais il est aussi objet de transfert, « il est transféré » (transferred to) ;
cette interaction a amené Freud à décrire l'hypnose comme un « groupe
de deux », et cela est vrai de beaucoup de psychothérapies. Dans
l'analyse, le patient n'est pas objet de transfert : « L'analyste doit
résister à toute tentation de régresser, il reste neutre, à distance, specta-
teur, il n'est jamais un co-acteur. L'analysé est induit à régresser et à
« transférer » seul en réponse à l'entourage infantile » (p. 535). Le
transfert n'est pas la relation de l'analyste et de l'analysé, mais la
relation de l'analysé à l'analyste. Une analyse n'est pas la formation
d'un groupe de deux. « La psychanalyse peut être définie comme la
seule méthode psychothérapique dans laquelle une régression infantile
unilatérale — le transfert analytique — est induite chez un patient...
analysée, élaborée, et finalement résolue » (p. 536). Ainsi se trouve
résolu, dans les termes de la théorie, le problème de l'originalité de
l'expérience analytique.
Ida Macalpine n'a pas abordé dans tous ses aspects le problème de
la genèse du transfert ; dans la disposition au transfert, il y a plus que
l'aptitude à s'adapter par régression à un entourage infantile. La thèse
du rôle positif de l'entourage analytique n'est pas complètement
neuve : on en trouve des éléments chez Jung, chez Karen Horney,
chez Alexander, et chez Freud lui-même, à condition de le lire avec
assez d'attention. Il reste qu'elle l'a élucidée et développée avec une
netteté et une rigueur sans précédent. De plus, contrairement à ce qui
se passe chez certains devanciers, elle n'en tire à aucun moment une
critique de la technique analytique, ni les principes d'une révision ;
LE PROBLÈME DU TRANSFERT 69
(1) Il semble que ce soit là pour Nunberg une façon nouvelle de voir ou de présenter les
choses ; tout au moins l'identité des perceptions ne figure-t elle pas à l'index des Allgemeine
Neurosenlehre. Ne disposant pas d'une édition allemande de La science des rêves, nous n'avons
pu retrouver dans la traduction de MEYERSON l'équivalent littéral de « Wahrnehmungsiden-
titât » ; le sujet est abordé par FREUD dans divers passages, en particulier dans le chapitre VII
de La science des rêves, section II : La régression (pp. 527 542).
(2) Nunberg insiste beaucoup sur la projection, parce qu'il conçoit le transfert en termes de
distorsion de la perception ; lors de sa communication, il fut argumenté par Hartmann et
Loewenstein, qui, d'après Nunberg, voyaient dans le déplacement d'affect l'essentiel du trans-
fert. Cette discussion est sans objet si l'on voit dans le transfert une conduite globale ; le dépla-
cement et la projection ne s'excluent pas, ce sont seulement différentes façons de voir. Pourtant
le déplacement nous semble toucher davantage au dynamisme du transfert, pour autant que
nous concevons nous-même les choses en termes de conduite plutôt qu'en termes de perception.
Nunberg nous paraît dépendant d'un appareil conceptuelplus traditionnel.
(3) Nunberg paraît embarrassé pour choisir entre la projection et l'identification. L'exis-
70 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
tence d'un but commun à l'analyste et à l'analyse entraîne une première identification. Le déve-
loppement de la situation active la reviviscence des identificationsplus profondes de l'analysé
avec les parents ; par projection, l'objet inconscient et archaïque est retrouvé dans le monde
extérieur ; s'agit-il de projection ou d'identification (c'est-à-dired'introjectionD. L.) ? Nunberg
croit devoir recourir ici à l'effacement des limites du moi, au transitivisme, au sentiment océa-
nique. Nous ne voyons là qu'une difficulté de langage en rapport avec les équivoques du terme
« identification ». La succession des faits est la suivante : l'objet intérieur est le produit d'une
identification de premier ordre ; il est projeté sur l'analyste, ce qui constitue, si l'on veut, une
identification de second ordre, et plus exactement une projection, ou encore une identification
« idiopathique » (d'autrui à soi), selon le terme de Scheler, tandis que l'identification de l'enfant
à ses objets primitifs est une identification hétéropathique (de soi à autrui).
(1) On manque de données pour discuter l'interprétation de Nunberg. Dans la mesure où la
persévération de la patiente est inadéquate au présent et à la réalité, il est difficile de ne pas la
considérer comme une réaction névrotique et transférentielle dont nous ne pouvons que conjec-
turer le sens.
LE PROBLEME DU TRANSFERT 71
(1) Le principal texte auquel se réfère Melanie Klein est le suivant : « En premier lieu, la
composante orale de l'instinct trouve satisfaction en s'attachant à la satisfaction du désir de
nourriture, et son objet est le sein de la mère. Puis elle se détache, devient indépendante et en
même temps auto-éroh'qtie, c'est-à-dire qu'elle trouve un objet dans le corps propre de l'enfant »
(FREUD, Psycho-Analysis, 1922, C. P., V, p. 119).
,
LE PROBLEME DU TRANSFERT 73
Orientations et problèmes
Cette revue des travaux des quinze dernières années n'en épuise
certes pas la littérature, et il pourrait être fécond, à la faveur de lectures
étendues, d'en dégager les implications concernant le transfert. Nous
nous sommes bornés à quelques sondages, en nous guidant sur les
références directes au transfert. En rassemblant ce matériel, on arrive
à se faire une idée cohérente des tendances et des problèmes qui dis-
tinguent la pensée psychanalytique d'aujourd'hui :
1° La définition du transfert et des concepts connexes n'est pas
exempte de confusion, malgré les efforts de quelques auteurs (Alexander
74 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
NUNBERG (Hermann), The will to Recovery (1926), Int. J. Psa., VII, 1926,
pp. 64-78.
BURROW (Trigant), Le problème du transfert, The British Journal of Medical
Psychology, 1927-1928 (référence non vérifiée).
FREUD (Anna), Contribution à la théorie de l'analyse infantile (1927), in Le
traitement psychanalytique des enfants, Presses Universitaires de France,
1951, pp. 65-78.
GLOVER (Edward), Lectures on Technique in Psycho-Analysis, Int. J. Psa.,
VIII, 1927, pp. 311-338 and 486-520, IX, 1928, pp. 7-46 and 181-218.
KLEIN (Melanie), Symposium on Child Analysis (1927), in Contributions to
Psycho-Analysis, 1948, p. 152.
LOEWENSTEIN (R.), Le transfert affectif, L'évolution psychiatrique, t. II, 1927,
pp. 75-90.
REICH (Wilhelm), Zur Kritik der Deutung und der Widerstandanalyse, Int.
Ztschs. Psa., XIII, 1927, pp. 141-159. Analyse par R. DE SAUSSURE, Revue
fse de Psychan., 1927, 759-763.
SAUSSURE (R. DE), Sur la technique de la psychanalyse freudienne, Évolution
psychiatrique, t. I.
STERBA (Richard), Uber latente negative Ubertragung, Int. Ztschr. Psa., CIII,
1927, pp. 160-165 (analyse par R. DE SAUSSURE, Revue française de Psycha-
nalyse, vol. I, 1927, pp. 762-763).
WULFF (N. W.), Phobie bei einem anderthalbjahrigen Kinde, Int. Z. für
Psychoanalyse, XIII, 1927.
FERENCZI (Sandor), Das Problem der Beendigung der Analysen (1928), Int.
Z. Psychoanal., 14, I.
LOEWENSTEIN (R.), La technique psychanalytique, Revue française de Psycha-
nalyse, 1928, pp. 113-134.
NUNBERG (Hermann), Probleme der Therapie, Intern. Zeitschrift für Psychoan.,
Bund XIV, 1928.
REICH (Wilhelm), Uber Charakteranalyse, Inter. Ztschr. Psa., XIV, 1928,
pp. 180-196.
KLEIN (Melanie), Personification in the Play of Children (1929), Int. J. Psy-
choan., 1929. Republié dans Contributions to Psycho-Analysis, p. 215.
REICH (Wilhelm), Der genitale und der neurotische Charakter, Int. Ztschr. Psa.,
XV, 1929, pp- 435-455.
REIK (Theodor), New ways of Psychoanalytic Technique, Int. J. Psa., 1933,
pp. 321-339-
BURLINGHAM (Dorothy), Mitteilungsdrang und Geständniszwang, Imago,
Bd XX, 1934.
JEKELS (L.) et BERGLER (E.), Transference and love (1934), The psychoanalytic
Quarterly, vol. XVIII.
STERBA (Richard), The fate of the Ego in Analytic Therapy, Int. J. Psa., XV,
1934, pp. 117-126.
STRACHEY (James), The nature of the therapeutic action of psychoanalysis,
Int. J. Psa., XV, 1934, pp. 127-159.
78 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
DEUXIÈME PARTIE
(1)Nous aurons plus d'une fois recours au vieux concept psychologique d'habitude. D'une
manière générale, il nous paraît commode de l'employer en psychanalyse et utile d'en définir
les rapports avec les concepts proprement psychanalytiques, comme par exemple les concepts
de complexe ou de fixation. Le concept psychologique d'habitude introduit l'idée de la répé-
tition d'actions automatiques et inconscientes. L'opposition de l'habitude au souvenirrappelle,
dans la théorie du transfert, l'opposition de la répétition agie et de la remémoration pensée.
LE PROBLÈME DU TRANSFERT 85
tudes commence dès la naissance, et, dès les premiers jours, les psycho-
logues ont pu mettre en lumière l'intervention de l'apprentissage,
c'est-à-dire des modifications durables de l'organisme et de ses réponses
qu'introduisent ses expériences et ses conduites mêmes (Piaget, 1936 ;
Carmichael, 1946, pp. 371 et suiv. ). Au cours des séances de psychana-
lyse comme au cours de la vie, le patient puise dans son répertoire
d'habitudes ; or, qui dit habitude dit automatisme ; au surplus, la
formation et l'évolution de ces habitudes sont oubliées et se perdent
dans le passé individuel.
Reprenons les exemples invoqués.
« Dire bonjour » est une habitude sociale qui peut revêtir toutes sortes de
modalités individuelles : style verbal, mimique vocale, mimique gestuelle ;
le dépouillement qui réduit cette conduite à une habitude sociale est au terme
et non pas à l'origine du développement , l'apprentissage de ce rite social est
souvent conflictuel : bien des enfants refusent de dire bonjour, bien des parents
tâchent de les y contraindre , tel patient, qui dit bonjour d'une voix étranglée,
ne disait jamais bonjour lorsqu'il était enfant ; en bref, la manière de dire
bonjour est un trait de comportement figé dont une analyse systématique
conduirait à des déterminations individuelles d'ordre génétique.
L'utilisation rationnelle de la situation analytique comme moyen d'aide et
de guérison emploie de nombreuses habitudes relatives aux rapports inter-
personnels , l'aptitude à s'exprimer librement, à se confier, à demander de
l'aide s'est constituée sur la base d'expériences particulières. Ou bien elle
constitue une compensationà des expériences de frustration des mêmes besoins ;
en pareil cas, elle recouvre un « transfert négatif latent » qui se révélera tôt ou
tard.
Il est rare qu'une résistance narcissique, suscitée par des interprétations
perturbatrices, n'apparaisse pas à la longue comme un transfert de défense.
Lorsque l'analyse se constitue comme une « grande atmosphère » d'une
qualité émotionnelle rare, c'est souvent sur la base d'élans juvéniles ou d'émois
infantiles renouvelés c'est moins un « commencement » qu'un « recommence-
,
développement
ment », ou un de ce qui n'avait été qu'ébauché (1).
(1) La notion de « recommencement » (new beginning) a été élaborée par M. Balint (commu-
nication personnelle). Ici, nous pensons également aux vues de Ferenczi et Rank sur les expé-
riences seulement ébauchées dans l'enfance.
(2) Elles sont anachroniques, parce qu'elles répètent une habitude passée au lieu de s'ajuster
au présent ; elles sont irrationnelles, parce qu'elles ne correspondent pas aux rapports réels qui
découleraient normalement de la relation du patient et du psychanalyste.
86 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) L'observation analytique montre que l'interprétation correcte d'une résistance ne suffit
généralement pas à la faire disparaître ; tôt ou tard, la même résistance se manifeste, soit sous la
même forme, soit sous une autre forme ; cette difficulté technique est classiquement considérée
comme devant être résolue par le « durcharbeiten » (working through, élaboration). Sur ce
point, nous voudrions ajouter quelques remarques personnelles. Le fait de signaler au patient
une résistance ou toute autre manifestation suffit souvent pour la faire disparaître ; nous
pensons qu'en général il s'agit d'un type de résistance pour lequel nous avons forgé le terme
" phénomène d'Eurydice » (cf. Maine de Biran : " C'est Eurydice, dont le souffle de vie s'évanouit
au simple regard » — nous citons de mémoire). La disparition provisoire de la résistance est
explicable par son échec ; mais elle reparaît tôt ou tard ; cette réapparitionnous paraît compa-
rable à « la récupération spontanée " des réactions conditionnelles ou des habitudes éteintes
transitoirement par absence de renforcement. Le point le plus important est que, suivant la
Sagesse des Nations, « on ne détruit que ce qu'on remplace » ; seul le développementd'habitudes
nouvelles assure l'élimination des vieilles habitudes de défense ; on peut observer dans cer-
taines analyses une période d'oscillation entre les habitudes nouvelles et les habitudes anciennes,
dont le retour est précipité par la frustration. La notion de la destruction des défenses par le
développement d'habitudes nouvelles nous paraît un supplément nouveau à la théorie de la
destruction des défenses par l'élaboration.
(2) Allusion à certaines idées sur l'amour développées par la phénoménologie existentielle
(Boss, 1949, pp. 27-34). Une interprétation dans ce sens de l'expérience analytique nous paraît
faire droit à des implications de la règle de libre association ; la séance de psychanalyse offre
au patient une chance « d'exister librement » ; cette vue n'est en rien infirmée en tenant compte
des limitations que l'entourage analytique apporte aux moyens d'expression.
(3) La difficulté signalée réside dans le fait que l'on entend le transfert le plus souvent dans
le sens de la répétition d'habitudes anciennes, mais assez souvent aussi dans le sens de dépla-
cement d'énergie instinctuelle, sans références à des événements ou à des habitudes histori-
quement déterminés (Abraham, 1908).
LE PROBLÈME DU TRANSFERT 87
Extension du transfert
24. L'examen de l'extension du concept de transfert comporte
deux points : le contenu de ce qui est transféré, et les objets sur lesquels
se fait le transfert.
25. Classiquement, un transfert au sens psychanalytique est un
déplacement d'affects amicaux, hostiles ou ambivalents.
26. Cette répartition doit être considérée comme une répartition
théorique et générale. Elle indique la direction de l'attitude ou de la
après cette évocation, il se sent détendu, et voici ce qu'il exprime : hier il était
avec la jeune fille à qui il fait la cour ; elle s'est dérobée à des attouchements
intimes, lui disant que son sexe était comme une plante fragile, qu'elle avait
peur d'être meurtrie, abîmée. Donc, l'ecmnésie anxieuse de la circoncision
implique qu'il joue, sur le divan et par rapport à l'analyste, quelque chose
comme le rôle de la jeune fille ; comme elle avec lui, il redoute une agression
et une mutilation sexuelle. D'autre part, lorsqu'il est auprès de la jeune fille, il ne
réussit que pour autant qu'il joue le rôle du psychanalyste ; il l'explique ration-
nellement par l'efficience de la technique psychanalytique : « Ses résistances
tombent en même temps que les miennes. » La dynamique de la situation
triangulaire apparaît donc assez clairement, il désire l'abandon complet d'une
femme, non seulement pour satisfaire ses besoins sexuels, mais surtout pour
se valoriser et évincer un rival ; cette entreprise suscite la crainte d'une punition
de la part de l'analyste, considéré comme lésé, d'où l'épisode aigu d'angoisse de
castration sur le divan ; ce danger est réduit en tentant d'amadouer le psycha-
nalyste par sa dépendance et sa docilité, d'où des fantasmes de passivité homo-
sexuelle ; la défense contre le rôle féminin s'exprime au contraire dans la
réaction persécutive. Enfin, l'alternance entre le rôle de l'analyste par rapport
à la jeune fille et le rôle de la jeune fille par rapport à l'analyste permet une
restitution symbolique de la femme au rival lésé : lorsqu'il est avec la femme,
il s'efface en s'identifiant au psychanalyste ; lorsqu'il est avec le psychanalyste,
en s'identifiant à la jeune fille, il la met à la disposition du psychanalyste. En
résumé, l'introduction de la jeune fille dans le champ psychanalytique constitue
une défense contre la passivité masochique et féminoïde, et permet une drama-
tisation complète des polarités du conflit oedipien.
Une femme de 30 ans, non mariée, dont l'indépendance et l'activité neu-
tralisaient avec succès les besoins de dépendance, se gaussait de jeunes femmes
de sa connaissance infatuées de leur analyste ; le début de son analyse donne
un coup de fouet à un flirt, sans participation émotionnelle marquée de sa
part; comme elle avait subi des échecs amoureux et sexuels, l'incidence de
cette liaison devait d'après elle permettre d'élucider ses difficultés. En fait,
le développement des tensions intra et extra-analytiques se poursuivit avec un
parallélisme remarquable : le jeune homme s'avéra presque impuissant, et elle
reprochait au psychanalyste son inactivité et son incapacité technique ; en se
donnant les apparences de la bonne volonté, elle faisait tout ce qu'elle pouvait
pour le paralyser ; avec l'effritement de son aventure, le conflit transférentiel
atteignit un paroxysme. A la fin de son enfance et pendant son adolescence,
elle avait entretenu des rêveries dans lesquelles elle était protégée et aimée par
un grand frère, représentant à la fois un alter ego et un substitut du père,
lequel avait déçu, en même temps que la mère mais plus que la mère, son besoin
d'être aimée et protégée. Dans un rêve, contemporain de l'analyse, elle atten-
dait dans le salon de l'analyste, en même temps qu'un père qui accompagnait
sa petite fille ; elle-même entrait en relation avec un frère cadet de l'analyste,
plus jeune, plus grand et plus beau.
Compréhension du concept de transfert
31. Dans les définitions courantes, le transfert est défini par la
répétition, dans l'analyse et en dehors de l'analyse, d'attitudes émotion-
nelles inconscientes acquises au cours de l'enfance dans l'entourage
du patient et en particulier dans sa relation avec ses parents.
32. Les auteurs ne précisent généralement pas dans quel sens
LE PROBLEME DU TRANSFERT 91
(1) Dans notre pratique, nous nous référons à ce type d'intervention par le terme « inter-
prétation de confrontation ».
(2) La conduite instrumentale prend souvent la forme d'une conduite variable de tâton-
nement, ou d'essais et erreurs l'échec motivant le patient à essayer tour à tour de différents
moyens pour parvenir à l'objet-but. Dans le transfert psychanalytique, ces conduites instru-
mentales sont principalement les moyens d'action sur autrui que le patient puise dans l'arsenal
de ses relations avec ses parents.
(3 ) Le « sens » est un être à la fois abstrait, en tant que la compréhensionl'extrait des données
de la conduite et de l'expression, et concret, en tant qu'il s'agit d'une réalité immanente à la
conduite et inséparable de sa matérialité.
92 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1)Cette façon de voir se rapproche de celle que nous avons décrite chez Silverberg, 1948,
p. 310 : « Le transfert est un dynamisme qui peut survenir à l'intérieur d'une relation et ne peut
constituer une relation tout entière. »
LE PROBLEME DU TRANSFERT 93
Position du problème
45. Selon la théorie classique de la spontanéité du transfert, le
transfert est l'effet d'un ensemble de déterminants personnels connotés
par « la disposition au transfert ». Identifiée d'abord chez les hystériques,
puis considérée comme un trait névrotique commun, la disposition au
transfert a été rapidement reconnue chez les sujets normaux. L'univer-
salité de la disposition au transfert n'est pas limitée par l'existence des
névroses « narcissiques » où le transfert prend une forme ambivalente
ou négative. La spontanéité du transfert n'est pas contredite par le
fait de reconnaître que le transfert utilise des circonstances réelles ou
que.sa forme est influencée par les particularités de l'analyste et de
l'entourage analytique.
94 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Disposition au transfert
48. Le transfert est, au moins en partie, l'effet d'une disposition au
•transfert. La meilleure preuve est le caractère individuel et variable
des manifestations de transfert, à la fois dans leur étendue, leur inten-
sité et leur qualité. On peut encore citer le fait que des manifestations
de transfert bien définies peuvent précéder la mise en train de la cure
psychanalytique.
49. La nature de la disposition au transfert a été conçue différem-
ment par Freud, selon deux théories que l'on propose d'appeler la
théorie dynamiste et la théorie mécaniste.
50. La théorie dynamiste correspond à la position de Freud dans
Dynamique du transfert (1912). La disposition au transfert est la tension
inhérente aux tendances refoulées. Elle implique la persistance d'un
conflit infantile non résolu, constitué suivant la séquence frustration,
refoulement, régression, fixation. La situation analytique, selon un
mécanisme qui intervient également dans la vie courante, fournit aux
tendances et aux fantasmes refoulés, à la libido introvertie, un matériel
sur lequel elle peut s'actualiser. La répétition dans le transfert est une
répétition motivée par des besoins, conforme au principe de plaisir-
déplaisir.
51. La théorie mécaniste correspond à la position de Freud dans
Au delà du principe de plaisir (1920). Le conflit infantile a abouti à un
échec et à une blessure narcissique. Seul son refoulement est conforme
au principe de plaisir-déplaisir, sous la forme de la défense du Moi.
La répétition dans le transfert est par conséquent contraire ou tout au
moins étrangère au principe de plaisir. Si le sujet répète, ce n'est pas
motivé par des besoins spécifiques qui se répètent, c'est poussé par un
LE PROBLEME DU TRANSFERT 95
par sa bonne conduite et sa soumission, à se faire apprécier plus que son frère.
Son mariage avait été, presque consciemment, un essai pour trouver un père
et pour se faire revaloriser par l'amour d'un homme, essai qui avait échoué
et l'avait enfoncée dans son masochisme. Il apparut de plus en plus clairement
que sa soumission dans l'analyse avait entre autres fonctions celle de regagner
l'amour et la préférence du père. A une étape plus avancée, le transfert amena
la reviviscence d'émois infantiles, d'expériences d'une vitalité intense, qui lui
avaient donné l'impression de ressentir des émotions que les autres ne ressen-
taient pas ; la culpabilité afférente à la rivalité avec le frère l'avait amenée
à ne jamais en parler à sa mère et à les refouler.
Un exemple simple et classique comme celui-ci illustre bien, pensons-nous,
l'idée que les suites de la blessure narcissique de l'enfance, l'insécurité person-
nelle, l'humiliation sont des motifs puissants pour le développement du trans-
fert. L'analyse est inconsciemment abordée comme l'expérience vitale qui va
résoudre le grand problème de l'existence. Le développement et l'analyse du
transfert mettent progressivement en évidence l'identité foncière de sens entre
l'expérience analytique et les expériences vitales ; le « projet existentiel » est.
le même. Cette façon de voir donne également le sens de certains échecs par-
tiels ; dans tel cas, l'analyse n'a été entreprise que pour rassurer le narcissisme
du sujet en renforçant son système de défense. C'est au fond la constatation à
laquelle aboutit Freud dans le post-scriptum du cas Dora.
L'implication du moi dans la motivation profonde du transfert justifie
encore des rapprochements avec les recherches de Kurt Lewin et de son école
sur les variations du « niveau d'aspiration » en fonction des expériences de
succès et d'échec.
Pour terminer, indiquons encore que certaines différences dans la formula-
tion de ces vues tiennent à ce que la multiplicité des termes fait perdre de vue
la parenté profonde, voire l'identité de certains concepts. Certains diront que le,
transfert est motivé par les tendances et les fantasmes refoulés, d'autres par la
tension des besoins inhérents aux conflits non résolus, d'autres par les trau-
matismes, d'autres par les anxiétés. Il ne s'agit pas là d'idées mais de formula-
tions différentes, que l'on peut rapprocher en ne perdant pas de vue la défini-
tion économique du traumatisme, comme une condition de l'organisme où
l'excitation l'emporte sur les possibilités de décharge.
Freud a écrit plusieurs fois que le patient, dans son besoin de transférer,
s'attachait à des détails réels. Cette remarque n'entame pas la spontanéité du
transfert : même dans le cas où les détails réels seraient déformés au minimum
par le patient, le seul fait qu'ils sont perçus constitue un premier degré de
projection ; le patient n'y a fait attention que parce qu'il est motivé ; de même,
dans les expériences de projection, les sujets ne perçoivent des aliments sur les
tableaux qu'on leur montre que dans la mesure où ils ont faim (Abt et Bellack,
1950).
Il est également classique d'admettre que les caractéristiques personnelles
de l'analyste jouent un rôle dans les modalités du transfert. Théoriquement,
et empiriquement dans de nombreux cas, le transfert se développe sans être
gêné par les particularités réelles de l'analyste. Aux stades initiaux, l'ordre
d'émergence des imagos dépend davantage de la personne et du sexe de l'ana-
lyste. Dans certains cas, la persistance du transfert négatif en rapport avec
le sexe de l'analyste est une indication pour un changement d'analyste, le
nouvel analyste étant de sexe différent.
Conduite Conduite
« autoritaire » « démocratique »
Laissez-faire
Toute détermina- 1. Toute question de I. Toute liberté pour
1.
tion de politique par le politique est matière de décision du groupe ou
moniteur. discussion et de décision des individus, sans par-
pour le groupe, encoura- ticipation du moniteur,
gé et aidé par le moni-
teur.
2. Techniques et éta- 2. Perspective d'acti- 2. Le moniteur four-
pes de l'activité dictées vité établie pendant la nit des matériaux variés ;
par le moniteur ; un période de discussion ini- si on le lui demande, il
seul point est réglé cha- tiale. Les étapes gêné- fournira des informa-
que fois : les étapes fu- raies vers le but du grou- tions supplémentaires,
tures demeurent tou- pe sont esquissées ; en II ne prend pas autre-
jours vagues pour une cas de besoin, le moni- ment part à la discus-
large part. teur suggère deux ou sion.
trois techniques parmi
lesquelles le groupe peut
choisir.
3. Le moniteur, ha- 3. Les membres sont 3. Absence complète
bituellement, assigne à libres de travailler avec de participation du mo-
chaque membre son tra- un camarade de leur niteur.
vail et ses camarades choix ; la division des
d'équipe. tâches est laissée au
groupe.
4. Le « dominateur »j 4. Le moniteur est 4. Rares commentai-
est personnel dans ses « objectif » ou « réaliste » res sur les activités du
éloges et ses critiques dans ses éloges et ses cri- groupe, sauf sur deman-
du travail de chaque tiques, et essaye d'être, de ; aucune tentative
membre, mais reste en en esprit, un membre ré- pour interférer avec le
dehors de la participa- gulier, du groupe, sans cours des événements,
tion active du groupe pour cela accomplir une
excepté dans la démons- trop grande part du tra-
tration. Il est amical vail.
ou impersonnel plutôt
qu'ouvertement hostile.
Traduit deLEWIN, LIPPIT et WHITE, Patterns of aggressive behaviour
:
in experimentally created " social climates » (modèles de conduite agressive
dans des climats sociaux déterminés expérimentalement). Journal of Social
Psychology, vol. 10, 1939.
Le tableau représente les trois types de conduite adoptés par les moni-
teurs (leaders) dans les groupes (clubs) étudiés au cours de l'expérience.
Remarques générales
61. Les causes du transfert montrent le transfert en tant qu'il est
motivé, les effets du transfert en tant qu'il est motivant.
La motivation est une modification de l'organisme (état de tension et de
dissociation) qui met l'organisme en mouvement jusqu'à ce que la motivation
soit réduite. La motivation du patient connote les transformations de la dispo-
sition au transfert par l'entourage analytique, transformations auxquelles il
répond par des conduites de transfert. Or ces réponses transférées modifient
elles-mêmes la personnalité du patient, qui se trouve ainsi dans une condition
différente pour accomplir ce qui lui est. demandé, c'est-à-dire de s'exprimer
en se conformant à la règle fondamentale. En ce sens, le transfert est motivant ;
par exemple, classiquement, c'est le transfert positif qui rend le patient acces-
sible aux interprétations et le fait renoncer à ses résistances. C'est là un effet
du transfert, tandis que la disposition au transfert ou l'entourage analytique
sont des causes du transfert. Le problème du transfert en tant qu'effet et du
transfert en tant que cause n'ont jamais été bien distingués.
102 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
of their life). Ils font ployer la réalité, pour ainsi dire, dans le transfert. Quel-
quefois les répétitions sont utiles à l'analyse, quelquefois elles rendent l'analyse
difficile. Elles forment alors certains types de résistance. Freud a dit une fois
que dans les résistances le patient révèle son caractère. Un exemple très simple
peut illustrer ce fait.
« Un patient montra dès le début une bonne volonté et une compréhension
étonnantes. Ses associations venaient aisément, il sortait d'importants souvenirs,
et ainsi de suite. Les choses allèrent de cette façon pendant assez longtemps ;
cependant, l'analyse ne fit pas de progrès, jusqu'à ce qu'il apparut que sa mère
avait accoutumé de lui demander de raconter tout ce qu'il pensait et faisait
pendant la journée. Notre patient lui confia toutes ses pensées jusqu'à une
époque avancée de son adolescence. C'était pour lui un grand plaisir de bavar-
der avec elle : elle s'asseyait sur le bord de son lit, et, à travers sa légère chemise
de nuit, il pouvait voir les contours de son corps, en particulier ceux de ses
seins. Il prétendait tout lui raconter, mais il gardait pour lui le secret de ses
fantasmes sexuels. Développant dans son analyse une conduite similaire, il
prétendait dire la vérité ; en fait, il essayait de duper son analyste comme il
avait dupé sa mère. Dans ses relations avec les gens, il était sincère, mais
réservé et méfiant, de telle façon qu'il n'avait jamais eu d'amis vraiment
intimes. C'était un solitaire. »
Les concepts classiques de transfert positif et de transfert négatif s'appli-
quent facilement à cet exemple. Dans la première phase, le transfert positif
manifeste a dissimulé un transfert négatif latent, qui est devenu à son tour
manifeste avec l'apparition des résistances. L'interprétation de Nunberg met
en lumière l'ambivalence : « Il essayait de duper son analyste comme il avait
dupé sa mère. » Le « sens » de cette conduite transférentielle semble être une
défense hostile. Le concept d'effet de transfert permet de présenter les choses
d'une manière non pas incompatible mais un peu différente, qui est suggérée
par les lignes de Nunberg qui précèdent l'exemple. Dans le champ psychana-
lytique, le patient doit acquérir des habitudes nouvelles, dont le sens général
est formulé par l'apprentissage de la règle fondamentale. Par ce trait, la cure
psychanalytique, dans l'exemple de Nunberg, place le sujet dans une situation
exceptionnellement semblable à celle des conversations avec la mère. Le trans-
fert des habitudes anciennes a des effets positifs et des effets négatifs. Les
effets négatifs sont d'abord latents. Ils deviennent prédominants et manifestes
lorsque l'habitude de cacher à sa mère ses fantasmes sexuels interfère avec
l'apprentissage de la règle fondamentale : c'est exactement l'interférence asso-
ciative des expérimentalistes (1), qui entraîne une conduite transférentielle
inadéquate à la situation présente et réelle.
65. Les effets négatifs du transfert sont des résistances.
Cette proposition ne fait aucune difficulté. Nunberg lui-même appelle
successivement les mêmes résultats « difficultés de l'analyse » et « résistances ».
Dans son exemple, nous n'avons pas assez de données pour une analyse fine
de la conduite. On peut cependant dire ceci : si le patient, dans la situation
originelle, ne disait pas tout à sa mère, c'est-à-dire s'il ne lui communiquait pas
ses fantasmes sexuels, c'était sous l'action de motifs de défense de l'ordre de
l'anxiété et de la culpabilité ; déjà à cette époque, des habitudes acquises inter-
(1) Par une coïncidence qui repose sur l'identité profonde des phénomènes, le terme « inter-
férence associative » conviendrait parfaitement pour désigner les effets négatifs du transfert
sur l'application de la règle de « libre association ».
104 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
V. — ÉVOLUTION DU TRANSFERT
Généralités
84. Parmi les problèmes du transfert, la question de son évolution
est une de celles qui restent les plus vagues et les plus difficiles. On
trouve peu de vues générales, et l'analyse systématique des observations
LE PROBLEME DU TRANSFERT 109
(1) Dix huit cas personnels se répartissent à peu près également entre la structuration très
rapide ou rapide, la structuration de rapidité moyenne, et la structuration lente ou très lente.
Parmi les traits en corrélation avec la rapidité, nous trouvons l'intensité des émotions, la sou-
mission masochique chez la femme, très souvent la défense contre le masochisme féminoïde chez
l'homme. Parmi les facteurs de lenteur, nous trouvons, rarement, un narcissisme quasi psycho-
tique, plus souvent l'angoisse et l'inhibition, la défense contre les affects, très souvent la névrose
de caractère avec une bonne adaptation vitale.
110 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE.
(1) D'une manière générale, le mode d'action de l'interprétation nous paraît une question
peu étudiée et encore mal connue.
LE PROBLEME DU TRANSFERT III
frustration par la règle d'abstinence : les tendances activées dans le transfert
sont identifiées et comprises sans être satisfaites ; elles ne peuvent être que
remémorées ; la frustration contraint le patient à une régression plus profonde :
souvent, par exemple, le transfert maternel remplace le transfert paternel.
Ida Macalpine, surtout, a mis en relief la frustration des tendances transférées
comme déterminant des régressions transférentielles de plus en plus profondes.
Pour Strachey, l'interprétation du transfert est essentiellement « muta-
tive », c'est-à-dire qu'elle fait constater au patient la différence entre l'objet
imaginaire et l'objet réel. A notre avis, cet auteur a trop de confiance dans
l'efficacité de ce type d'interprétation, que nous appelons pour notre part
« interprétations par confrontation ». Pour nous, les interprétations efficaces
sont celles qui mettent en évidence la signification fonctionnelle des conduites
interprétées.
Voici quelques vues personnelles. D'une manière générale, une habitude
est renforcée si elle réussit, affaiblie si elle échoue. Une interprétation adéquate
équivaut à un échec de l'habitude de défense ; théoriquement, elle affaiblit
donc le transfert de défense, mais pour un temps seulement. En effet,
une habitude affaiblie par absence de renforcement peut reparaître, selon
le mécanisme bien connu de la « récupération spontanée » ; elle reparaît sous
la même forme ou sous une forme équivalente ; une nouvelle interprétation
est nécessaire. La psychologie expérimentale de l'évolution des habitudes four-
nit ainsi les éléments d'une théorie plausible de l'élaboration (durcharbeiten).
En utilisant les mêmes éléments, on peut formuler deux hypothèses supplé-
mentaires :
1° Lorsque l'élaboration des habitudes de défense les a suffisamment
affaiblies, les conditions économiques sont telles que la récupération spontanée
d'habitudes très anciennes devient possible ; d'où les effets positifs du
transfert ;
2° Des habitudes nouvelles se développent sur la base des habitudes
anciennes récupérées ; leur développement achève la destruction des habi-
tudes de défense (interférence reproductive). Les habitudes nouvelles sont
renforcées par leurs effets soit dans l'analyse, soit en dehors de l'analyse. On
observe parfois nettement une phase d'oscillation entre les habitudes de défense
et les habitudes nouvelles.
(1) S. Kacht observe que, lorsqu'on rencontre un ancien analysé dans le monde ou que, long-
temps après l'analyse, il vient consulter son psychanalyste, la rencontre se structure selon les
modalités du transfert, typiquement sur le type de la relation d'enfant à parent (communication
verbale). Cette observation suggère deux remarques. En premier lieu, le fait que la rencontre se
structure selon d'anciennes habitudes n'entraîne pas que la névrose de transfert n'ait pas été
liquidée ; il est impensable que l'analysé puisse traiter son analyste sans utiliser ses habitudes.
En second lieu, la persistance des habitudes anciennes est en rapport avec le fait que des habi-
tudes nouvellesne se sont pas développées ; dans le cas de l'analyse didactique, le développement
de relations professionnelles et amicales a une actiondestructivesur la relation de transfert ; tout
au moins, elle n'utilise et ne développe que certaines modalités du transfert analytique.
PSYCHANALYSE 8
114 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
B) Le transfert
Dans la psychothérapie d'enfants la notion de névrose de transfert
est dépassée par cette notion beaucoup, plus générale du transfert qui,
comme le montre le rapport de Lagache, peut avoir une valeur utile.
Nous nous associons pleinement aux conclusions de Mme Ida Macal-
pine sur l'importance de l'atmosphère psychanalytique dans la création
du transfert. Il y a pour l'enfant une valeur magique à cette réunion
entre lui et un adulte qui a une attitude nouvelle pour lui. Soulignons
d'ailleurs, que le jeu aussi apporte ses frustrations. Dans cette perspec-
tive le rôle de la verbalisation est dépassé par des perspectives qui pour-
raient être beaucoup plus larges. Nous pensons qu'on devrait étudier
ici les déconditionnements et les reconditionnements que peut créer la
psychothérapie infantile lorsqu'on envisage ses fondements basés sur la
notion du rôle, dont la valeur thérapeutique devra être précisée.
Intervention de M. BÉNASSY
Dans un rapport aussi dense, il est difficile de discuter autre chose
que quelques points de détail.
Beaucoup d'affirmations ne sauraient être rejetées ou approuvées
sans une méditation approfondie.
1. La classification en effets positifs et négatifs du transfert, semble
mettre surtout l'accent sur ce qui est utile, ou nuisible à la marche de
l'analyse, en définitive sur le malade.
Cette vue est-elle plus féconde que la classification classique qui
semble empruntée à la biologie : un transfert est à peu~près comme un
tropisme positif ou négatif; ce qui met l'analyste au centre du tableau ?
On peut se demander si la première classification ne risque pas
d'apporter dans l'analyse un point de vue normatif, ce qui est incompa-
tible avec une conception scientifique de la psychanalyse.
La classification classique donne à l'analyste la conviction qu'il est
au centre' des préoccupations du malade. Cette attitude n'aide-t-elle pas
en définitive l'analyse à progresser comme j'aurais tendance à le croire?
2. J'ai été fort heureux de retrouver appliquée au transfert sous la
plume de Lagache la distinction qu'avaient précisée Hartmann et Kris
en 1945, après d'autres sans doute, entre l'aspect dynamique et l'aspect
génétique de la psychanalyse.
Cette distinction permet de voir le problème avec plus de clarté.
Car l'aspect dynamique du transfert est couramment accepté par
les psychologues et les psychanalystes dissidents. Je pense à Lewin
LE PROBLEME DU TRANSFERT 119
d'une part, à Jung et à Karen Horney d'autre part et en effet cet aspect
est à peu près démontrable expérimentalement.
L'aspect génétique, j'aimerais mieux dire historique, est particulier
à la psychanalyse, et surtout à la psychanalyse freudienne. C'est une
hypothèse que nous proposons au malade, et qui n'a d'autre vérification
que la psychanalyse tout entière du malade (moi-même dans un essai
de démonstration de la preuve je n'ai guère démontré que l'aspect
dynamique).
Certes cette hypothèse est féconde, mais cette fécondité tout en
entraînant la conviction n'est pas une preuve absolue de sa véracité.
Jung, Karen Horney et Alexander ne font pour ainsi dire pas inter-
venir l'interprétation historique.
J'ai assisté à la Tavistock Clinic à des séances de psychanalyse de
groupe où notre ami Ezriel, qui se réclame de Lewin n'interprétai-
jamais que l'aspect dynamique actuel, du transfert, et dans des controt
verses amicales, il soutenait que ce point de vue était suffisant, et que
l'interprétation n'avait pas besoin d'être historique, le malade était
capable de trouver tout seul cet aspect. Vous avez entendu Lebovici
qui soutient à peu près le même point de vue quand il s'agit de la psy-
chanalyse d'enfants.
Personnellement je suis bien persuadé que l'interprétation histo-
rique rassure le malade et lui permet de structurer beaucoup plus rapi-
dement son passé vécu. Cependant il est remarquable qu'on puisse
douter de l'utilité même de l'interprétation historique.
3. Je voudrais encore signaler l'intérêt qu'il y a à suivre Lagache
lorsqu'il insiste sur l'importance dans le transfert de l'interaction dis-
position individuelle — environnement psychanalytique.
Je crois ce point de vue très fécond, mais il me semble qu'on doit
aller aussi loin que possible dans cette systématisation. Il est très juste
de concevoir que l'O (le malade) est dans un environnement psychana-
lytique qui comprend à la fois le psychanalyste et la situation analytique
créée par le psychanalyste ; dans ce milieu l'O (le malade) tente à la fois
de s'accommoder à cet environnement et de le modifier.
Mais il faut aussi se souvenir que le psychanalyste est lui aussi un O,
dans un environnement qu'il a créé et qu'il crée lui-même à chaque
instant, dont le malade fait partie. Il essaye de maintenir cet environ-
nement tel quel, et d'empêcher le malade de le modifier, afin de le forcer
à s'y adapter.
Le champ de forces serait essentiellement la somme, si je puis dire,
algébrique de ces poussées de signes contraires, et je crois que nous
120 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
deux cas dont il était question plus haut et qu'en français nous pourrions
peut-être appeler « actes de transfert ».
Freud, dans son analyse de Dora (9), écrit : « On peut dire que,
généralement, la production de nouveaux symptômes cesse pendant
la cure psychanalytique. Mais la productivité de la névrose n'est
nullement éteinte ; elle s'exerce en créant des états psychiques parti-
culiers, pour la plupart inconscients, auxquels on peut donner le nom
de transferts. »
Le transfert, dont c'est ici le sens étroit, est ainsi apparenté au
symptôme névrotique, et son économie et sa dynamique sont les mêmes
que celles du symptôme névrotique que Freud, en 1926, définit ainsi :
« Conséquence du processus de refoulement, le symptôme est le signe
et le substitut d'une satisfaction instinctuelle restée en suspens » (11).
Le moteur du transfert sera cette satisfaction instinctuelle restée en
suspens et qui demande à se satisfaire'par le transfert mieux que par
le symptôme, car il aura sur celui-ci l'avantage d'offrir l'espoir d'une
réelle décharge de tension.
La névrose tout court tend ainsi à devenir une « névrose de transfert »
et la pression de cette tendance est signifiée, chez le patient, par une
« disposition au transfert » sous l'empire de pulsions insatisfaites, non
liées, en quête d'investissements.
En ce qui concerne la relation du transfert à l'hypnose, on peut
dire que cette dernière crée et exploite au maximum un état de trans-
fert amoureux comme Freud l'a expliqué dans sa Psychologie collective
et analyse du Moi (16). Il y dit que « le rapport hypnotique consiste en
un abandon amoureux total à l'exclusion de toute satisfaction sexuelle ».
Ces pulsions instinctuelles à but inhibé sont inconscientes mais elles
sont décelables dans les fantasmes et dans les rêves, et ce sont elles qui
tendent, par leur « disposition au transfert » à produire, en analyse, le
phénomène du transfert.
Mais, en partie aussi, ces pulsions échappent au refoulement sous
des formes déguisées et ont accès dans la conscience qui les tolère et où
elles peuvent être éprouvées librement sous la forme de sentiments
tendres. Le Moi conscient ignore absolument leur origine et leur but
primitif; il ignore que ces dérivés sont les véhicules potentiels des pul-
sions dont ils sont les émissaires. La somme de ces pulsions tolérées par
la conscience et admises à chercher un objet de décharge sous une
forme sublimée peut s'appeler, descriptivement, une « déposition à
Rattacher » qui se nourrit encore à une deuxième source que nous
verrons lors de l'examen du point de vue structural.
126 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Anna Freud, dans son travail sur Le Moi et les mécanismes de défense (6)
distingue le transfert de pulsions et le transfert de défenses. Il s'agit
ici de l'origine des affects éprouvés dans le transfert, suivant qu'ils
traduisent les pulsions refoulées du « Ça » — ou les défenses opposées par
le Moi à leur décharge. Dans l'espoir d'obtenir la décharge, par le
transfert, des tensions créées par le refoulement, le Moi du sujet colla-
bore à l'analyse, le transfert est positif. Cette tendance favorable est
renversée lorsque le Moi déclenche ses défenses contre les pulsions.
Sous l'influence de ces opérations, le transfert devient négatif, hostile,
ou tout au moins ambivalent.
Les choses seraient ainsi relativement simples s'il ne fallait tenir
compte de quelques complications. En effet, nous venons de voir
le « transfert positif » devenir hostile du fait des efforts de refoulement
entrepris par le Moi contre la prise de conscience. Or, ce transfert
négatif est une résistance à l'analyse, généralement la première à se
faire sentir, et qui se répète tout au long du traitement. Le Moi y
emploie et y révèle l'arsenal de ses moyens de défense, du refoulement
à tous les mécanismes particuliers que nous connaissons.
Un patient manifestera, par exemple, de la passivité s'il combat
INTRODUCTION A L'ETUDE DU TRANSFERT 127
ainsi son agressivité — une absence marquée d'affects s'il isole — des
sentiments ou des propos contradictoires alternants s'il annule — des
crampes, des douleurs, des paresthésies, des sensations de chaleur ou
de froid, toute espèce de troubles physiques, s'il réagit sur le mode
somatique — ou il aura des obstructions dans le cours des associations
d'idées, des paroles vides de sens, des coq-à-l'âne, des silences prolon-
gés, des retards aux séances, des désirs de s'en aller ou d'arrêter la cure,
une raideur de tout le corps, s'il se défend par le refoulement.
Mais le transfert comporte une autre résistance, une résistance
intrinsèque, imparfaitement nommée résistance de transfert et qui
serait mieux désignée par les termes : la résistance du transfert.
Nous avons vu que le transfert, au sens étroit, était comparable à
un symptôme et qu'il désignait un phénomène survenant au cours de
l'analyse : les états affectifs refoulés, au lieu de répondre aux efforts
appliqués à les rendre conscients, n'étaient pas remémorés, mais
éprouvés comme actuels à l'égard de l'analyste. Le transfert au sens strict,
est le substitut d'une prise de conscience. Jusqu'à l'apparition de ce phéno-
mène, la « disposition au transfert » due à la tendance des pulsions refou-
lées à chercher à se détendre par l'investissement d'objets, la confiance
affectueuse du transfert positif au sens limité, jointe au désir de soulager
les souffrances que lui faisait subir sa névrose, étaient, pour le patient,
des facteurs d'attachement au traitement qui donnaient un sens positif
à ses relations avec son analyste et — les manifestations de défense du
Moi mises à part — dans l'ensemble, sinon pour les mêmes raisons,
l'analyste et l'analysé travaillaient dans le même sens.
Maintenant, leurs chemins vont s'écarter. Le patient éprouve des
affects, il veut les « vivre » par rapport à l'analyste, il n'a plus d'autre
intérêt. C'est pourquoi le travail de l'analyse, qui vise à rendre conscient
ce qui est inconscient, rencontre là une résistance majeure. Ce phéno-
mène d'actualisation du transfert des pulsions instinctuelles refoulées
pourrait se comparer à une cristallisation que l'analyste, par l'inter-
prétation, veille à tenir modérée ; et il est de fait, qu'en y prenant garde,
il est rare de se trouver soudainement confronté par la prise en masse
du transfert. Le plus souvent, le processus s'amorce et se déroule par
de petites cristallisations et Freud (18) a indiqué l'instant où l'on pou-
vait voir le phénomène in statu nascendi : c'est au moment d'un silence
inhabituel, d'un blocage inattendu des associations d'idées (blocage
qui n'est pas l'oeuvre du Moi se servant d'un système de défense spé-
cifique, comme, par exemple, l'inhibition chronique de la pensée, ou
l'isolement, caractéristiques de la névrose obsessionnelle). A ce moment,
128 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
l'on peut rétablir à coup sûr le courant des associations d'idées en inter-
prétant le silence comme étant l'effet d'une pensée interférente concer-
nant la personne de l'analyste.
La « résistance du transfert » se produit toujours avec plus ou moins
d'intensité suivant les cas. Mais comme l'actualisation des pulsions
refoulées ne s'opère pas sans être soumise au champ d'influence des
défenses du Moi, c'est un compromis entre le Moi et les pulsions qu
va se manifester, comme dans un symptôme névrotique. Et si l'on
rencontre bien des transferts de pulsions pures, dans l'hystérie sur-
tout — la résistance du transfert s'organisera sous la forme d'une
névrose de transfert.
Pendant un court moment, parfois pendant des jours, le malade
sous l'influence de la résistance du transfert, cesse de coopérer : il suit
mal, ou il ne suit plus, la règle de l'association des idées ; il se détourne
des buts de l'analyse ; comme on l'a dit, s'il accepte d'être soigné, il
ne se soucie plus d'être guéri. Les manifestations cliniques de l'actua-
lisation du transfert peuvent être très discrètes mais, au plus fort des
accès, l'analysé est tout entier sous l'empire de ses sentiments. Il est
rebelle à toutes les interprétations et votre neutralité l'irrite. S'il aime,
il vous l'avoue ; il désire recevoir des marques d'affection et s'applique
à en donner : tout ce que vous faites est bien, tout ce que vous dites est
bon ; s'il hait, sa passion l'incite à tout critiquer, il cherche à vous
prendre en faute — votre quartier, la couleur de vos murs, vos façons
lui déplaisent : tout lui est bon pour être désagréable ; ou s'il éprouve
de la culpabilité, de la honte ou de l'angoisse, c'est vous qu'il met en
cause et votre insensibilité vous est reprochée, quand vous n'êtes pas
tout bonnement taxé d'impéritie !
C'est à ces occasions que certains patients produisent des « actes
de transfert » : l'affect n'est plus simplement éprouvé au lieu d'être
remémoré, il est agi sous une forme affectueuse ou hostile. Je ne décrirai
pas tout ce qu'un patient peut faire, depuis la malade (mettons que
ce soit l'une de deux soeurs qui, petite, se sentait la moins aimée) qui
se lève et arpente votre bureau en exigeant impérieusement, sous peine
de ne plus remettre les pieds chez vous, l'assurance que vous la préfé-
rez à toutes vos autres clientes, jusqu'au malade furieux qui jette par
terre vos coussins et menace de tout casser, quand il ne va pas jusqu'à
briser quelque objet. Ce sont des actes de transferts singuliers, qui ne
doivent pas fausser le tableau d'ensemble parce que leur côté specta-
culaire les distingue. En général, l'acting out est plus discret, comme,
par exemple, celui de cette patiente — déjà depuis un certain temps en
INTRODUCTION A L'ÉTUDE DU TRANSFERT 129
dit-il, « je suis distrait par cette voix de femme que j'imagine être celle
de votre femme. Je vous avoue que je ne m'occupais plus de l'analyse,
que j'étais tout attentif à cette voix, à tâcher de saisir, quelque bribe
de ce qu'elle disait, et que je ne pouvais pas me détacher du désir de
l'écouter ».
En faisant même abstraction de tout le matériel analytique précé-
demment recueilli, on peut voir comment le patient s'engageait dans la
situation oedipienne à ce moment précis de l'analyse, en faisant un
transfert bifide simultanément sur deux personnages : son analyste
vis-à-vis duquel, s'organisait son hostilité, encore que sous une forme
infléchie — et sur la voix (personnifiant ma femme) qui avait capté
toute son attention et dont il ne pouvait détacher son désir.
Je viens de dire que le patient du précédent exemple avait rapporté
une pensée qui lui était venue en dehors de la séance, pendant qu'il
attendait. Ce détail invite à prendre garde aux réactions du transfert
qui se produisent à l'extérieur de l'analyse — exclusion qui est une
forme de résistance très commune — soit qu'il s'agisse de dérivations
sur d'autres personnes vis-à-vis desquelles le patient ressent ou agit
ce qu'il éprouve en fait à l'égard de son analyste, soit qu'il isole ses
sentiments en refoulant leur expression pendant la séance et qu'il les
éprouve juste avant ou juste après le rendez-vous. Bornons-nous à cette
dernière situation : au plus près de l'exclusion de l'analyse, une part
importante du transfert se joue sur le palier, et chaque analyste en a
de nombreux exemples.
— Soit une première séance à la rentrée de vacances : le patient,
dont l'attitude rigide, pauvre en affects, sert à combattre des pulsions
hostiles qu'il s'est défendu d'éprouver jusqu'ici, sonne à la porte.
On tarde à lui ouvrir ; il sonne à nouveau. La séance s'amorce, parti-
culièrement creuse : il ne sent rien, il ne pense à rien, et ainsi de suite.
Ce n'est qu'en le poussant que j'arrive à savoir qu'il avait eu une réac-
tion de transfert entre les deux coups de sonnette ; le temps d'un éclair,
il pensa que j'avais été mis à mal dans un accident, même que j'étais
peut-être mort. Ce sentiment correspondait et remplaçait la remémo-
ration d'une situation réelle de son enfance.
— Ou bien cet autre cas : j'ai fait savoir à l'avance à une patiente
la date de mon départ pour quelques jours à Pâques. Elle reste appa-
remment indifférente, mais elle commet un lapsus au cours de ses
associations d'idées ultérieures : « Quand avez-vous dit que vous
veniez ? », dit-elle soudain. A la séance suivante, elle est légèrement
hostile, ce qu'elle exprime d'abord en me disant que j'ai l'air fâché.
134 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
son père qu'il ne voit, que quelques heures par semaine et qu'il désire
beaucoup accompagner : « Papa, si maintenant ta maman va à la ferme
et que ton papa va dans le bois, et que tu es un petit garçon de 4 ans,
— qu'est-ce que tu fais ? » Le père propose une solution conciliante
et demande : « Et toi, qu'est-ce que tu fais ? — Je fais comme papa »,
répond l'enfant rasséréné.
Nous avions laissé le patient re-projetant sur son analyste les imagos
qu'il avait introjectées, pour voir que ces imagos redevenaient les objets
des pulsions instinctuelles dont elles avaient été auparavant investies
dans l'enfance, et qu'elles se nouaient en un complexe d'OEdipe — et
pour examiner le comportement de transfert de l'analysé vis-à-vis de
l'analyste dans ces circonstances ; nous avons constaté qu'il se conduisait
comme un enfant, et l'histoire s'était imposée du petit garçon imitant
Itout naturellement le comportement de son père qui le tirait d'embarras.
Ce n'est évidemment pas pour dire que l'attitude d'un adulte soit pué-
rile s'il cherche les conseils de quelqu'un à qui il se fie : c'est même
souvent le contraire, car nous connaissons le névrosé incapable d'accep-
ter le moindre avis. Mais, chez l'enfant, il y a autre chose qu'un confor-
misme utilitaire. L'enfant de tout à l'heure faisait une réelle identi-
fication comme il l'avait montré par d'autres signes, et c'est ce
phénomène-là qui est le nouvel aspect du transfert qui nous
occupe.
Au déclin du complexe d'OEdipe, les pulsions instinctuelles objec-
tales reviennent au mode primaire de l'identification qui aboutit à la
création du Surmoi (13). Et si nous avons vu l'analysé projetant ses
imagos et les investissant — nous voyons aussi qu'il est en même temps
occupé tout autant à réintrojecter ces imagos pour obéir aux besoins
narcissiques d'identification. Il en est dans l'analyse tout à fait ce que
Freud avait dit du couple hypnotiseur-hypnotisé, qu'il formait une
« foule à deux » où le Moi remplace son Moi Idéal par un objet exté-
rieur (16).
L'analyste est l'objet de constantes introjections de la part de l'ana-
lysé, d'abord — évidemment — sous laorme même où il est vu du
fait des projections d'imagos antérieures, puis, peu à peu, avec plus de
réalité. De ce fait, l'analyste se trouve devenir une annexe de l'appareil
psychique de l'analysé, un Surmoiparasite comme le disait Rado en 1924.
Si la projection d'imagos permet au Moi du sujet de prendre conscience
de ses relations avec son Surmoi et d'amender les impératifs archaïques
régissant leur commerce, Strachey (27) — adoptant les vues de
Melanie Klein sur l'introjection des bons et des mauvais objets — pense
I36 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) My analyst could sce right throtigh your analyst ! (Dessin de Cobean, 1951.
INTRODUCTION A L ETUDE DU TRANSFERT I37
que d'autres plus adroits — les mêmes qui, au début, n'étaient « pas si
bien que vous », eussent sans doute évitées.
Le transfert narcissique se manifeste encore en fin de traitement.
Lorsque le terme de l'analyse est envisagé, vous observerez parfois,
entre autres réactions du patient, une appréhension plus ou moins
grande à la pensée qu'il ne vous verra plus et qu'il va rester seul. Cette
crainte indique, sans doute, que vous êtes toujours investi d'une cer-
taine quantité de libido objectale mais plus encore, à ce moment, qu'une
part des pulsions transformée par régression en besoin narcissique
d'identification, loin d'être tarie, cherche encore telle quelle, à se
dépenser sur vous.
La résistance au transfert narcissique est l'homologue des « acci-
dents » que nous allons d'abord envisager. Bien que rares, ceux-ci
s'observent chez certains sujets à des moments où leur Moi est sous
l'empire d'un besoin d'identification béant. Ces patients ne deviennent
pas seulement des prosélytes fougueux, mais ils subissent quelque chose
qui ressemble à une expérience mystique. La psychanalyse est leur
foi : elle a pris la place de leur Moi Idéal et les conduit tout entiers.
Puis, brusquement ou peu à peu, leur enthousiasme cède et ils traver-
sent une phase de dépression.
Un accident de transfert narcissique virant à la résistance, sera
celui du patient sortant de sa première séance dans un état de joie
délirante, et que vous ne verrez que deux ans plus tard lorsqu'il revien-
dra vous dire qu'après avoir passé une nuit dans un état d'exubérance
déchaînée, il a pris peur d'être le jouet d'un maléfice.
Un autre résistera plus délibérément, comme ce patient qui se
défendait en diable de vouloir être qui que ce soit : « Vous autres, vous
êtes tailleur, gendarme, concierge, vous êtes architecte, avocat, profes-
seur, médecin ; vous êtes rivés à votre personnage, vous êtes figés, vous
êtes perdus ; moi, je-ne suis personne ! Je suis encore libre et vivant ! »
Le besoin narcissique d'identification à l'analyste se trouve dans
tous ces cas évidemment chargé d'une certaine quantité de libido
objectale qui n'a pas pu être désexualisée et qui se confond avec lui.
Chez l'homme, les pulsions homosexuelles y trouveront un champ
électif d'expression. La femme y trouvera, outre ses satisfactions homo-
sexuelles, un champ d'expression de ses pulsions génitales hétéro-
sexuelles dont les buts se calquent sur le désir narcissique d'incorpo-
ration de l'analyste ; si bien qu'il n'est pas facile à discerner, dès l'abord,
lorsque les femmes témoignent de leur résistance en disant qu'elles
craignent le transfert amoureux, ce qui tient à leur peur de l'effraction
138 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
génitale (perte du pénis) et ce qui tient à leur crainte d'un avatar tel
que Valéry (28), l'a ainsi chanté :
Toute ma nature est un gouffre !
Hélas ! Entrouverte aux esprits,
J'ai perdu mon propre mystère /...
Une Intelligence adultère
Exerce un corps qu'elle a compris.
Cette crainte de l'avatar, vue comme une peur de l'envahissement, a
été le sujet de la communication de Mlle Anna Freud, cet été de 1951,
au Congrès d'Amsterdam. Elle y a parlé d'un malade impuissant qui
avait dans la vie et envers elle une attitude tout à fait négative, dont elle
avait analysé avec soin les tendances homosexuelles passives. Mais son
patient n'en continuait pas moins à fuir tout rapport affectif positif
à son égard, jusqu'à ce que, un jour, il ait pu lui dire qu'il aimait les
fleurs qu'elle avait dans son bureau. « Pourquoi avez-vous eu peur de
m'-en parler jusqu'ici ? » lui demanda-t-elle, « Parce que — lui répon-
dit-il — si je disais que je les aime, j'éprouverais le besoin d'en acheter
de pareilles, mais alors ce seraient vos fleurs et ce serait vous dans ma
chambre et je me sentirais envahi ! » Mlle Anna Freud nous dit qu'elle
comprit alors qu'il y avait dans ce cas quelque chose de plus que la
crainte de l'effraction sexuelle due au but passif des pulsions — quelque
chose qui était comme une crainte de se perdre dans une identification
totale, que son malade éprouvait comme une terreur de l'envahissement.
(1)Bien entendu les projections du Ça se retrouvent aussi pour partie dans les transferts
d'imagos du Surmoi, du fait que le Surmoi est non seulement l'héritier des imagos parentales,
mais aussi celui du Ça qui l'anime par les pulsions oedipiennes qu'il lui abandonne.
140 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
moins, l'attitude décrite n'est pas un artéfact : elle ne fait que dramatiser
ces projections faites couramment sur l'analyste qui le font voir comme
quelqu'un qui invite à la satisfaction de tous les instincts, et qui,
lui-même, s'y livre sans frein.
Si l'analysé peut jouer le rôle de son Surmoi, il peut aussi prendre
le rôle d'autres personnes auxquelles il s'est identifié comme le montrera,
je l'espère, l'exemple suivant de l'identification à une victime :
— La malade, qui avait passé la quarantaine, très améliorée dans
sa conduite sociale par deux traitements analytiques précédents, l'un
et l'autre bien conduits — continuait néanmoins de souffrir de céphalées
et d'une crainte névrotique des hommes qu'elle justifiait par des douleurs
génitales très vives au cours du coït. Elle fit d'emblée un transfert posi-
tif, elle associait bien et se donnait très assidûment à la cure. Ses résis-
tances apparurent d'abord sous la forme d'une recrudescence de ses
céphalées, puis d'un sentiment pénible au cours de la séance où elle
ressentait comme l'imminence d'une intervention chirurgicale par quoi
il fallait qu'elle passât pour guérir. Puis elle en vint à se morfondre
d'être une malade très ennuyeuse à laquelle il était, impossible de
s'intéresser : elle s'attendait à ce que je lui dise de partir sous le prétexte
qu'elle ne valait pas la peine qu'on s'occupât d'elle. En cherchant la
signification de ce sentiment, il apparut tout de suite qu'être sans
attraits intellectuels et ne pas présenter d'intérêt voulait dire n'être ni
belle, ni capable d'inspirer du désir.
Mais pourquoi le transfert de ses pulsions erotiques prenait-il cet
aspect négatif ? Après lui avoir montré qu'on pouvait prendre ce qu'elle
ressentait dans un sens actify comme quelque chose qu'il fallait qu'elle
éprouvât dans un certain but — ce fut le moment de lui faire part
de mes suppositions, qu'elle faisait une identification à sa soeur cadette,
une infirme pour qui l'amour charnel devait rester lettre morte du fait
d'une malformation congénitale que la chirurgie n'avait pas pu réduire.
Cette interprétation s'imposait, non seulement par l'histoire de la
patiente, mais par ses réactions de transfert, par un détail de sa vie
présente qui aurait pu d'abord paraître fortuit et par ses rêves dont je
ne citerai, parmi beaucoup d'autres, que celui-ci : la rêveuse se regardait
dans un miroir quand elle en vit sortir et venir vers elle son image
qui prit alors le corps difforme d'une naine myxoedémateuse tout à fait
horrible à voir. Elle parla du myxoedème comme d'une « déficience
congénitale » (ayant été elle-même traitée pour une hyperthyroïdie,
elle avait eu la curiosité de se renseigner dans des ouvrages médicaux).
Quand son rêve fut rapproché de son attitude de" transfert (où elle se
142 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
S'il est une question sur laquelle les auteurs sont unanimes, c'est
celle de la nécessité du transfert positif pour la bonne marche du traite-
ment. Citons au hasard :
— Freud : « Du côté du patient, certains facteurs rationnels jouent
en notre faveur : le besoin de guérir issu de ses souffrances, l'intérêt
intellectuel que nous parvenons à susciter chez lui pour les théories
et les découvertes de la psychanalyse, mais par-dessus tout, cependant,
le transfert positif à notre égard » (7).
— Ou Federn, à propos de l'analyse de schizophrènes : « Sans trans-
fert positif notre influence est nulle » (3).
— Ou Bibring, parlant de résistances au transfert dans certains cas
défavorables : « Il ne se forme pas de transfert à prédominance positive,
basé sur la confiance et sans l'aide duquel nous ne pouvons pas vaincre
la névrose de transfert dans ses manifestations constamment chan-
geantes » (1).
144 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
ce qui se passe en elle ; montrer que ce qui est éprouvé a un sens actif ;
commencer par ce qui est le plus proche de la conscience ; interpréter
les défenses avant les pulsions ; et, enfin, interpréter au bon moment
— ce qui est évidemment l'art que la pratique seule enseigne et où
jouent « l'empathie » (Einfùhlung) et le doigté de l'analyste, avec pour-
tant cette règle que Freud avait établie dès 1913 sur le moment oppor-
tun de l'interprétation du transfert en particulier : « attendez », disait-il,
« qu'il se manifeste comme une résistance à la marche de l'analyse » (10).
Lors de l'examen de la naissance du transfert, il a été dit que cette
résistance se signifiait par l'arrêt des associations d'idées. Mais l'ana-
lyste a une autre source d'information sur l'émergence des résistances :
celle qu'il trouve dans l'analyse des rêves. Relisons l'analyse de Dora
où sa résistance apparaît quand elle rêve qu'elle sort en hâte de la
maison en feu. Voici deux autres exemples :
— Une malade associe abondamment ; elle est très heureuse de ses
séances et se déclare infiniment soulagée. Mais elle rêve « qu'elle est
sur la scène d'un théâtre : elle a oublié son texte et relève le col de son
manteau sur un côté de son visage qu'elle détourne du public ». On y
voit que la résistance sous-tend déjà son plaisir à communiquer ses
pensées. Sa proxilité en analyse masque la crainte de se laisser réelle-
ment voir, et aussi la crainte de m'entendre parler, ce qui actualise,
dans le transfert, une obsession de sa petite enfance : « Mes parents
vont savoir ce que je pense et vont me dire que je vais mourir. »
— Un jeune homme a commis quelques larcins au préjudice électif
de femmes auxquelles il s'était attaché. Il coopère très positivement au
traitement, enchanté qu'on s'occupe de lui, et voudrait avoir des
séances deux fois plus longues — quand il rêve qu'un détective est sur
sa trace ; mais heureusement, comme à Colin-Maillard, l'homme a les
yeux bandés. -Je lui interprète son jeu de cache-cache avec moi, qu'il
corrobore aussitôt par un nouveau rêve où il tient un morceau de
savon ; par associations d'idées, ce savon se révèle avoir pour but de
rendre le parquet glissant, excellent moyen, dit-il, pour faire tomber
quelqu'un. Derechef, j'interprète que c'est moi qu'il veut faire trébu-
cher et qu'il me craint et m'en veut sous toute sa cordialité. Le transfert
vire alors, devient franchement hostile et — tout en venant ponctuel-
lement à ses séances — le patient fait des crises de rage contre l'analyse,
puis bientôt contre ses parents et particulièrement contre sa mère
(femme toujours en voyage dont il est le fils illégitime) jusqu'à ce que,
tout à la fin, dans un torrent de larmes, il éprouve, comme un aveu,
sourdre en lui les premiers vrais sentiments de tendresse.
148 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
BIBLIOGRAPHIE
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in Inter. Journal, vol. XV, nos 2 et 3, 1934.
28. VALÉRY (Paul). La Pythie (Charmes, N. R. F., 1922).
Intervention du Dr PASCHE
déjà dans les accusations mêmes de Mme K...). Avec ce secret nous
serons menés en effet :
Au troisième renversement dialectique, celui qui nous livrerait la
valeur réelle de l'objet qu'est Mme K... pour Dora. C'est-à-dire non
pas un individu, mais un mystère, le mystère de sa propre féminité,
nous voulons dire de sa féminité corporelle — comme cela apparaît sans
voiles dans le second des deux rêves dont l'étude fait la seconde partie de
l'exposé du cas Dora, rêves auxquels nous prions qu'on se reporte pour
voir combien leur interprétation se simplifie avec notre commentaire.
Déjà à notre portée nous apparaît la borne autour de laquelle notre
char doit tourner pour renverser une dernière fois sa carrière. C'est
cette image la plus lointaine qu'atteigne Dora de sa petite enfance (dans
une observation de Freud, même comme ici interrompue, toutes les
clefs ne lui sont-elles pas toujours tombées dans les mains ?) : c'est Dora,
probablement encore infans, en train de suçoter son pouce gauche,
cependant que de la main droite elle tiraille l'oreille de son frère, plus
âgé qu'elle d'un an et demi (voir p. 47 et p. 20).
Il semble qu'on ait là la matrice imaginaire où sont venues se couler
toutes les situations que Dora a développées dans sa vie — véritable
illustration pour la théorie, encore à venir chez Freud, des automa-
tismes de répétition. Nous pouvons y prendre la mesure de ce que
signifient maintenant pour elle la femme et l'homme.
La femme c'est l'objet impossible à détacher d'un primitif désir oral
et où il faut pourtant qu'elle apprenne à reconnaître sa propre nature
génitale. (On s'étonne ici que Freud ne voie pas que la détermination de
l'aphonie lors des absences de M. K... (voir p. 36) exprime le violent
appel de la pulsion erotique orale dans le « seule à seule » avec Mme K...,
sans qu'il soit besoin d'invoquer la perception de la fellatio subie par le
père (voir p. 44), alors que chacun sait que la cunnilinguus est l'artifice le
plus communément adopté par les « messieurs fortunés » que leurs
forces commencent d'abandonner.) Pour accéder à cette reconnais-
sance de sa féminité il lui faudrait réaliser cette assomption de son
propre corps, faute de quoi elle reste ouverte au morcellement fonc-
tionnel (pour nous référer à l'apport théorique du stade du miroir), qui
constitue les symptômes de conversion.
Or pour réaliser la condition de cet accès, elle n'a eu que le seul
truchement que l'imago originelle nous montre lui offrir une ouverture
vers l'objet, à savoir le partenaire masculin auquel son écart d'âge lui
permet de s'identifier en cette aliénation primodiale où le sujet se
reconnaît comme je...
160 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
11
différent. « Ce n'est pas grand-chose qui est sorti », dit-elle, et c'est au
début de la suivante qu'elle prendra congé de lui.
Que s'est-il donc passé dans la scène de la déclaration au bord du lac,
qui a été la catastrophe par où Dora est entrée dans la maladie, en
entraînant tout le monde à la reconnaître pour malade — ce qui répond
ironiquement à son refus de poursuivre sa fonction de soutien pour leur
PSYCHANALYSE / •
162 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
\
commune infirmité (tous les « bénéfices » de la névrose ne sont pas au
seul profit du névrosé) ?
Il suffit comme dans toute interprétation valable de .s'en tenir au
texte pour le comprendre. M. K... n'a eu le temps que de placer quelques
mots, il est vrai qu'ils furent décisifs : « Ma femme n'est rien pour moi. »
Et déjà son exploit avait sa récompense : une gifle majeure,-celle-là
même dont Dora ressentira bien' après le traitement le contre-coup
brûlant en une névralgie transitoire, vient signifier au maladroit : « Si
elle n'est rien pour vous, qu'êtes-vous donc pour moi ? »
Et dès lors que serait-il pour elle, ce fantoche, qui pourtant vient de
rompre l'ensorcellement où elle vit depuis des années ?
Le fantasme latent de grossesse qui suivra, cette scène, n'objecte pas
à notre interprétation : il est notoire qu'il se produit chez les hystériques
en fonction même de leur identification virile.
C'est par la même trappe où il s'enfonce en un glissement plus
insidieux que Freud va disparaître. Dora s'éloigne avec le sourire de
la Joconde et même quand elle reparaîtra Freud n'aura pas la naïveté de
croire à une intention de retour.
A ce moment elle a fait reconnaître par tous la vérité dont elle sait
pourtant qu'elle n'est pas, toute véridique qu'elle soit, la vérité dernière
et elle aura réussi à précipiter par le seul rnana de sa présence l'infortuné
M. K... sous les roues d'une voiture. La sédation de ces symptômes,
obtenue dans la deuxième phase de sa cure, s'est maintenue pourtant.
Ainsi l'arrêt du procès dialectique se solde-t-il par un apparent recul,
mais les positions reprises ne peuvent être soutenues que par une
affirmation du moi, qui peut être tenue pour un progrès.
Qu'est-ce donc enfin que ce transfert dont Freud dit quelque part
que son travail se poursuit invisible derrière le progrès du traitement et
dont au reste les effets « échappent à la démonstration » (p. 67) ? Ne peut-
on ici le considérer comme une entité toute relative au contre-transfert
défini comme la somme des préjugés, des passions, des embarras, voire
de l'insuffisante information de l'analyste à tel moment du procès
dialectique. Freud lui-même ne nous dit-il pas (voir p. 105) que Dora
eût pu transférer sur lui le personnage paternel, s'il eût été assez
sot pour croire à la version des choses à lui présentée par le
père ?
Autrement dit le transfert n'est rien de réel dans le sujet, sinon
l'apparition, dans un moment de stagnation de la dialectique analytique,
-des modes permanents selon lesquels il constitue ses objets.
Qu'est-ce alors qu'interpréter le transfert ? Rien d'autre que de
INTRODUCTION A L'ÉTUDE DU TRANSFERT 163
remplir par un leurre le vide de ce point mort. Mais ce leurre est utile,
car même trompeur il relance le procès.
La dénégation dont Dora eût accueilli la remarque venant de Freud
qu'elle lui imputait les mêmes intentions qu'avait manifestées M. K...,
n'eût rien changé à la portée de ses effets. L'opposition même qu'elle
eût engendré aurait probablement engagé Dora, malgré Freud, dans la
direction favorable : celle qui l'eût conduite à l'objet de son intérêr réel.
Et le fait qu'il se fût mis en jeu en personne comme substitut
de M. K..., eût préservé Freud de trop insister sur la valeur des propo-
sitions de mariage de celui-ci.
Ainsi le transfert ne ressortit à aucune propriété mystérieuse de
l'« affectivité », et même quand il se trahit sous un aspect d'émoi, celui-ci
ne prend son sens qu'en fonction du moment dialectique où il se produit.
Mais ce moment est peu significatif puisqu'il traduit communément
une erreur de l'analyste, fût-ce celle de trop vouloir le bien du patient,
dont Freud lui-même bien des fois a dénoncé le danger.
Ainsi la neutralité analytique prend son sens authentique de la
position du pur dialecticien qui, sachant que tout ce qui est réel est
rationnel (et inversement), sait que tout ce qui existe, et jusqu'au mal
contre lequel il lutte, est et restera toujours équivalent au niveau de sa
particularité, et qu'il n'y a de progrès pour le sujet que par l'intégration
où il parvient de sa position dans l'universel : techniquement par la
projection de son passé dans un discours en devenir.
Le cas de Dora paraît privilégié pour notre démonstration en ce que,
s'agissant d'une hystérique, l'écran du moi y est assez transparent pour
que nulle part, comme l'a dit Freud, ne soit plus bas le seuil entre
l'inconscient et le conscient, ou pour mieux dire, entre le discours
analytique et le mot du symptôme.
Nous croyons pourtant que le transfert a toujours le même sens
d'indiquer les moments d'errance et aussi d'orientation de l'analyste,
la même valeur pour nous rappeler à l'ordre de notre rôle : un non agir
positif en vue de l'orthodramatisation de la subjectivité du patient.
Intervention de M. NACHT
Si l'on jette un regard d'ensemble sur ce qui vient d'être dit, il
semble qu'on puisse en dégager les points suivants :
1) Ce que Freud nous a enseigné sur le transfert non seulement
reste valable, mais demeure la base solide de nos connaissances sur le
sujet ;
164 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Réponse de M. LAGACHE
Après avoir remercié les membres de la Conférence de l'accueil
qu'ils ont bien voulu faire à mon Rapport, je répondrai à ceux qui sont
intervenus dans la discussion.
M. Bénassy a commencé par mettre en doute l'utilité de certaines
formulations ; il donne comme exemple « effets positifs » et « effets
négatifs » du transfert ; de telles expressions auraient selon lui l'inconvé-
nient de détourner l'attention de l'analyste, et de la centrer sur le
patient. Ce qui m'a amené à cette proposition, ce sont certaines équi-
voques inhérentes à l'emploi des termes « transfert positif » et « transfert
négatif» ; en dépit'de l'usage quotidien que l'on en fait, et que j'en fais
moi-même, ils ne désignent pas, je crains, des concepts tout à fait clairs ;
en particulier, le contenu idéique et émotionnel manifeste n'est pas
toujours un signe valable du sens réel du transfert. En outre, les termes
que j'ai employés ont l'avantage de rattacher à la relation analytique
des manifestations et des transformations qui, en première analyse,
en paraissent indépendantes ; j'en ai donné des exemples ; le résultat
serait donc le contraire de celui que paraît craindre M. Bénassy. D'ail-
leurs, ces effets portent principalement sur, la liberté d'expression du
malade, sur ses difficultés et ses progrès dans l'application de la règle
fondamentale, c'est-à-dire le mode essentiel de sa relation avec l'ana-
lyste.
La deuxième objection perte sur la distinction entre le moment
dynamique et le moment génétique de l'interprétation du transfert ;
l'aspect dynamique, dit M. Bénassy, est accepté de tout le monde ;
l'aspect historique, bien particulier à Freud, serait une hypothèse dont
la validité n'est pas prouvée. En exposant cette façon de voir, M. Bénassy
constate au fond les transformations qui se sont accomplies depuis
vingt-cinq ans dans la façon de concevoir la technique de l'interprétation.
J'irais moins loin que lui dans ce sens. Il reste vrai que souvent, une
interprétation dynamique correcte libère des souvenirs oubliés, ou bien
que les conflits et les significations en cause s'inscrivent dans un contexte
passé, par exemple à la faveur d'un rêve ; ainsi, l'analyste peut être
remplacé par une figure qui a fait partie de l'enfance du patient. Il est
vrai aussi que cette réduction au passé n'est pas toujours possible,
lorsque la référence historique en cause consiste en expériences à peine
ébauchées, avortées, qui n'ont pu laisser la place à des souvenirs pro-
prement dits. La conséquence technique de tout cela est que nous
sommes moins empressés qu'on ne l'a été jadis à tenter une réduction
168 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
La dynamique du transfert(I)
par SIGMUND FREUD
traduit par Anne BERMAN
(1) Paru d'abord dans le Zentralblatt fiir Psychoanalyse II, 1912, puis dans la 4e série des
Recueils de petits écrits sur la théorie des névroses.
(2) Zentralblatt.
(3) Défendons-nous ici contre le reproche injustifié d'avoir nié l'importance du facteur inné
(constitutionnel) en faisant ressortir le rôle des impressions infantiles. Un semblablereproche
émane de l'étroit besoin de causalité de l'homme qui, en dépit de la banale réalité, se satisfait
d'un seul facteur causal. Si la psychanalysea tant parlé des facteurs « accidentels » de l'étiologie
et si peu des constitutionnels, c'est parce qu'elle avait quelque chose de neuf à dire au sujet des
premiers tandis qu'elle n'avait rien à ajouter à ce qu'on savait déjà sur les seconds. Kous
refusons d'établir une opposition essentielle entre les deux séries de facteurs étiologiques et
admettons plutôt l'existence d'une action des deux dans la production des résultats observés.
Ce sont les xal .qui déterminent le destin de tout être humain, rarement, voire
jamais, l'une seulementde ces deux forces. Le rôle étiologique relatif de chacune doit être évalué
dans chaque cas particulier et chez tout individu. Dans une série qui comporte des degrés
variables des deux facteurs, il y a nécessairement des cas extrêmes. Suivant l'état de nos connais-
sances, nous apprécieronschaque fois le rôle respectif de la constitution et des événements vécus
et conserverons le droit de modifier notre jugement à mesure que nous y verrons plus clair.
Et d'ailleurs la constitution elle-même ne serait-elle pas la résultante de tous les événements
fortuits qui ont influencé la série infinie de nos ancêtres ?
LA DYNAMIQUE DU TRANSFERT 171
(1) Symbole und Wandlungen der I,ibido, Jahrbuch jiir Psychoanalyse, III.
I72 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Je veux parler des associationsqui ne se présentent réellement pas et non de celles que
l'analysé tait par suite d'un simple sentiment de déplaisir.
(2) Aus guter Familie, 1895.
(3) Bien que certaines affirmations de Jung donnentl'impression qu'il considérait cette intro-
version comme caractérisantla démence précoce et n'étant pas aussi observable dans d'autres
névroses.
LA DYNAMIQUE DU TRANSFERT I73
(1) Il serait commode de dire que la libido a réinvesti les « complexes » infantiles, ce qui serait
inexact ; seule se justifierait l'expression : les parties inconscientes de ces complexes. L'extra-
ordinaire complexité du sujet que nous traitons exige l'étude d'un certain nombre de problèmes
dont la solution semble indispensable à qui veut être capable de parler en termes précis des
processus psychiques décrits ici. Ces problèmes sont les suivants : délimitation respective de
l'introversion et de la régression, intégration de la doctrine des complexes dans la théorie de la
libido, rapports de l'imagination avec lé conscient, l'inconscient et la réalité, etc. Je n'ai pas
besoin de m'excuser d'avoir résisté à la tentation de résoudre ici ces questions.
174 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
personne même qui en est l'objet. Une pareille obligation fait naître des
situations à peine concevables dans la vie réelle et pourtant c'est juste-
I. — LE CONCEPT DU TRANSFERT
Le concept est à la fois un indice et un instrument. Il nous permet
de saisir, de déterminer un élément et de le placer dans une nouvelle
connexion. Cela se présente différemment, selon l'instrument utilisé,
de même que l'on perçoit différemment le coeur qui bat si l'on se sert
du stéthoscope ou si l'on recourt à l'électrocardiographe. Les concepts
ne sont donc pas les choses elles-mêmes, mais des moyens d'approche
de ces choses.
Il importe que les concepts « soient déterminés... par des relations...
aux choses » (S. FREUD). Ils ne façonnent pas seulement les éléments
mais ils sont aussi façonnés par ceux-ci. Bien choisis et bien appliqués,
les concepts peuvent s'adapter à l'objet et se perfectionner, tout comme
le pouvoir de résolution d'un microscope de Zeiss a beaucoup augmenté,
comparé à celui des instruments de Leeuwenhoek. Mais il peut aussi
arriver que les concepts s'émoussent, deviennent indécis. Ils obscur-
cissent et défigurent alors bien plutôt au lieu d'élucider, d'organiser.
Tandis que les modifications d'un instrument sont apparentes,
la transformation d'un concept passe souvent inaperçue, ou bien ne
se rerriarque qu'après coup. On constate parfois une imperfection
d'un conce.pt, qui va s'accentuant ; S. FREUD en faisait la remarque,
en 1914, à propos de la notion du « complexe » ; et pourtant, on ne
saurait renoncer à ce « terme commode et souvent indispensable ».
Ainsi, le « complexe d'OEdipe », par exemple, s'est maintenu ; mais la
notion de 1900 n'est pas encore celle du « complexe d'OEdipe complet »
ou « plus complet » de 1923.
L'utilité d'un instrument n'est pas une garantie de son application
(4) R. LAFORGUE, Verdrângung und Skotomisation, /. Z. Psa., vol. XII, 1926, p. 54.
LE PROBLÈME DU TRANSFERT l8l
de façon captative, prenante, secondairement de façon plus « oblative ».
Prendre et donner sont les pôles opposés de notre comportement social.
Personne n'aura rien à objecter si on qualifie de « narcissique » un
bébé rassasié, bien à son aise, qui ne s'intéresse pas ou guère à son
entourage, mais se complaît dans un état d'auto-contentement. Mais
on oublie trop facilement qu'il n'est pas capable de se procurer par
lui-même ce bien-être, qu'il doit principalement aux soins maternels.
Et même si l'on considère le sucement des doigts, etc., bref, la compen-
sation auto-érotique, ce serait confondre cause et effet que de placer
dans ce contentement, cette satisfaction, la genèse captative derrière
le résultat narcissique. Une jeune salamandre qui sort du frai peut être
narcissique ; elle en est tout à fait réduite à elle-même et se suffit à
elle-même. Mais un « soon politikon » (Aristote), un être sociable,
ne se suffit pas à lui seul. Et, de même que l'homme ne vit pas que de
pain, il serait erroné de vouloir limiter au physique la tendance captative
de l'homme au début de la vie. Il s'agit d'un désir bien plus général,
d'une exigence et d'une cupidité libidinales, qu'il n'y a aucune raison
de séparer des tendances agressives ; il réunit bien plutôt les deux sortes
d'instinct et sa réalisation comporte le calme de même que le plaisir.
Je m'abstiendrais de ces remarques critiques si l'on n'entendait
toujours répéter à nouveau que le nourrisson est un être narcissique ;
qu'on l'appelle égocentrique, ce qui correspondrait bien mieux au
comportement impliqué par sa nature. Et pour ce qui concerne l'asso-
ciation ou le mélange d'instincts de cet égocentrisme primaire, on fera
bien de s'en tenir à l'intuition d'un « daimonion » assez indifférencié,
dont Wilhelm BUSCH, se référant à PLATON, parle ainsi : « Der gute und
der böse Dàmon empfangen uns bei der Geburt, um uns zu begleiten.
Der bôse Dâmon ist meist der stârkere und gesùndere; er ist der heftige
Lebensdrang. Der gute Dâmon abert winkt zurûck, und gute Kinder
sterben frûh » (« Le bon et le mauvais démons nous accueillent à
notre naissance pour nous accompagner. D'ordinaire, le mauvais
démon est le plus fort et le mieux portant ; c'est lui qui représente la
violente pulsion vitale, tandis que le bon démon fait signe à l'enfant de
revenir en arrière, aussi les bons enfants meurent-ils jeunes. ») On
sait que dans l'Almanach de Psychanalyse de 1930, ce passage si intuitif
d'une lettre de Busch figure sous -le titre « agression ». Cela est unila-
téral, mais il serait tout aussi unilatéral de considérer la pulsion vitale
humaine comme un phénomène purement libidinal. Afin d'éclaircir
le comportement du tout jeune enfant, l'analyste doit faire son appren-
tissage chez les .mères et les pédiatres ayant un bon don d'observation.
182 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) S. BERNFELD, Psychologie des Säuglings, Springer,Berlin, 1925, p. 88 (A. Graber s'exprime
d'ailleurs de façon semblable) : « C'est pourquoi, afin d'indiquer ce qui est encore obscur, nous
désignerons provisoirement par instincts E. le groupe des instincts de conservation, des instincts
égocentriques ; le R rappelle aussi bien l'état de repos, l'absence d'excitation, le « repos-plaisir »,
le « calme plaisir », que la régression, la tendance régressive, forme que revêt de plus en plus
nettement la tendance conservatrice à mesure que le nouveau-né devient plus âgé. » Et plus
loin, p. 119 : « II est commode, et jusqu'à un certain point justifié, de qualifier en principe de
libidinaux tous les processus entranten jeu dans les phénomènesde perception et de reproduction,
mais l'état des connaissances actuelles ne permet pas d'affirmer qu'il en est indubitablement
ainsi. » — Disons que l'ouvrage de BERNFELD parut cinq ans après celui de S. FREUD, Jensetts des
Lustprinzips (1920) et deux ans après Das Ich v.nd das Es (1923) du même auteur. ï,& première
de ces deux oeuvres de Freud annonce une théorie de Éros-Thanatos, qui se trouve exposée
dans la deuxième.
(2) S. FREUD, Weitere Ratschlàge znr Technik des Psychoanalyse. Cf. aussi : Zur Dynamik
der Vebertragting, 1912.
LE PROBLÈME DU TRANSFERT 183
(1) Cf. p. ex. l'étude de FERENCZI, Gedanken ûber das Trauma, I. Z. f. Psâ., vol. XX, p. II,
1934-
I84 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) S. FREUD, Die endliche und die unendliche Analyse, /. Z. F. Psa., vol. XXIII, fasc. 2,
1937. Le texte original n'est pas souligné, p. 214. (Analyse terminée et Analyse interminable,
trad. Anne BERMAN, Revue Française de Psychanalyse, n° 1, 1939.
LE PROBLÈME DU TRANSFERT 185
(1)F. STIRNIMANN, Das erste Erleben des Kindes, éditions Huber & Co. Frauenfeld, I,eipzig,
1933 (une édition ultérieure a paru en hollandais), p. 62.
186 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Référé partiellement dans l'étude de H. CHRISTOFFEL, Einige Fôtale und fruhslkindliclie
f
Verhaltensweisen, /. Z. Psa. « Imago, vol. XXIV, fasc. 4, 1940. spéc. pp. 454 60.
(2) M. PFAUNDLER, Uebernatûrliche und ùber rationelle Sâuglingspflege, Siïddcttfsche Monals-
hejle, 1909, p. 310.
LE PROBLÈME DU TRANSFERT 187
(1) G. SCHWTNG, Ein Weg zur Seele des Geisteskranken, Éditions Rascher & Co, Zurich, 1940.
(2) Der Untergangder«Titanic»(Erlebnisseeines Geretteten),Basl. Nachr., 1927,nos 102-107.
l88 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Alice BALINT, Handhabung d. Uebertragung auf Grund der Ferenczischen Versuche,
/. Z. f. Psa., vol. XXII, 1936, p. 47.
PSYCHAXALYSE 13
194 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
...
Je veux être un scélérat, et l'ennemi des vaines joies de cette vie...
Et d'autre part il dit que précisément les femmes « se croient souvent
infantilement préjudiciées, et frustrées, « raccourcies » sans leur faute,
parce que mises au monde sans sexe masculin ». ' .
Il est exclu que le besoin d'amour infantile inassouvi puisse se
compenser jamais en le reportant sur des débiteurs ultérieurs. Et là
« Suppenlogik... » dont nous parlions précédemment n'arrive que passa-^
gèrement à l'atténuer. Comment le diminuer lege artis ? Comment
obtenir chez ces « frustrés » que nous sommes peut-être tous la faculté
active d'aimer ? Il semble absolument impossible d'atteindre ce but
si on attribue simplement l'amour à « un appauvrissement du moi en
libido en faveur de l'objet » (2). Nous estimons que cette définition
doit être complétée. Elle ne s'adapte pas tout à fait à l'amour et d'ailleurs
ce qui est un peu différent, elle est censée s'appliquer à l'état d'être
épris. Si nous sommes pauvres et donnons du fonds de notre indigence,
nous devenons plus pauvres encore. Toutefois, si l'habile inscription
« Qui paie s'enrichit », qui orne un mur de
l'hôtel de ville de Bâle
pour encourager les contribuables, renferme une part de vérité, ce
paradoxe conviendrait à coup sûr bien davantage encore aux choses
«
de l'amour. Communément, il y a plus de bonheur à prendre qu'à don-
(1) Alfred GROSS, Zur Psychologie des Geheimnisses, Imago, 1926, XXII, 2.
(2) S. FREUD, Wege der psychoaualytischenThérapie, I. Z. j. Psa., 1919, V.
(3) H. NUNBERG, Allgemeine Neuroscnlehrc auf Psa. Grundlagc, H. Huber, Berne-Berlin,
1932.
LE PROBLEME DU TRANSFERT 197
(1) A. BAUNT, Liebe zur Mutter und Mutterliebe, /. Z. f. Psa., 1939, XXIV, 43.
198 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) M. BALINT, Zur Kritik der Lehre von den prâgenitalen Libido-organisationen, /. Z. f.
Psa., 1939, cf. spéc. p. 537.
(2) S. FREUD, Jenseits des I,ustprinzips, Inlern. Psa. Verlag, Vienne, 1920.
LE PROBLÈME DU TRANSFERT I90.
(I) W. STEKEL a parlé, il y a un certain nombre d'années déjà, de la « tache aveugle » créée
par le transfert. (Slreifziige durch die Umwelten von Tieren und Menschen, Berlin, 1934). Il
dit : « X'image recherchée (Suchbild) détruit l'image actuelle (Merkbild). J II s'appuie sur
divers exemples, dont le suivant : « J'étais depuis un certain temps l'hôte d'un ami, et l'on
posait chaque jour une cruche d'eau devant moi, au repas de midi. Un jour, le domestique
ayant brisé la cruche, la remplaça par une carafe. Au repas, je cherchai la cruche et ne vis pas
la carafe. Ce ne fut que lorsque mon ami m'assura que l'eau se trouvait à sa place accoutumée
que... des éclats divers formèrent la carafe. » — W. KÔHLER (Psychologische Problème, Berlin,
1933) mentionne une expérience psychologique au cours de laquelle on dérangea exprès les
r
LE PROBLÈME DU TRANSFERT 201
(rapport s-o) est restée insatisfaite, incomplète, que son cours a été
gêné, qu'elle n'a pu se développer normalement. Il en résulte que des
rapports s-o1, o2, o3... ox restent sous la forme s-o. Le transfert est donc
un nouveau rapport sous forme principalement ou purement pri-
maire (i). C'est un phénomène régressif opiniâtre. Il exprime une fixa-
tion qui peut avoir des motifs subjectifs (structure du Moi, mélange
d'instincts — presque identique au tempérament — rapports conscients
relatifs) et des motifs-objectifs (comportement des parents, d'objets
d'autrefois). Il convient de considérer séparément la motivation du
transfert par sa forme.
Ce que nous considérons d'ordinaire comme un transfert peut être,
mais n'est pas nécessairement un rapport primordial. Il ne s'agit pas tou-
jours d'un cliché, d'une copie. Nous avons à faire aussi bien à des
transferts de formes primaires du de « prèformes » de relations qu'à
des réactions se produisant par suite du cours perturbé de ces
relations.
Le rapport primaire est particulièrement représenté par une relation
captative. Il ne faut pas considérer le transfert sous l'angle du complexe
d'OEdipe avant d'examiner l'unité primordiale, plus ou moins troublée,
du rapport enfant-mère, de l'unité-duo (Dualeinheit) (A. et M. BALINT,
Rotter). Aussi peut-on ici et là remarquer une modification de la
technique psychanalytique, en ce sens que l'on observe davantage le
comportement, les gestes de l'analysé, à côté de ce qu'il dit et avant ce
qu'il dit. Ceci suppose une connaissance plus approfondie qu'auparavant
des modes de comportement du tout petit enfant. On peut en quelque
sorte parler d'une forme plus active de l'analyse, car si l'analysé est rendu
attentif à sa mimique, etc., il arrive à des synthèses partielles qui lui
seraient inaccessibles autrement.
Une patiente peut par exemple exprimer inconsciemment de la rage et
de la résistance envers le psychanalyste alors qu'elle ne ressent elle-même que
de la peur. Une autre réagira après chaque séance d'analyse par le sentiment, qui
persiste pendant une demi-journée, d'être abattue. Ce n'est qu'une fois qu'on
personnes examinées. Après quoi ces personnes, gênées dans la résolution des problèmes posés
durent recommencer les mêmes tâches. Lors de la reproduction, sur 32 personnes, 26 indiquèrent
plus de tâches non terminées que de tâches terminées. « La majorité totale de la reproduction
des tâches inachevées sur les tâches achevées s'élevait à 90 %. »
(1) FERENCZI a le premier, en 1909 (loc. cit.), représenté l'élément transféré comme quelque
chose d'insatisfait, et le transfert comme un désir maniaque. Selon lui, les « valences non rassa-
siées », agissant à partir de refoulements détendus, cherchent à s'ancrer particulièrement sur la
personne de l'analyste. Dirigées selon une technique judicieuse, ces valences ne tardent pas à
faire passer la personne de l'analyste de l'imago à un catalyseur qui ramène bien vite
l'intérêt du malade à sa source primitive, enfin comblée.
202 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
lui a montré qu'elle est le propre artisan de ce fait qu'elle découvre ses propres
tendances combatives. La sensation de froid et les accès de grelottementpeuvent
être l'expression du sentiment de solitude, etc. Bref, dans l'analyse du transfert,
le langage du corps vient compléter la communication orale sous la forme de la
règle fondamentale.
(1) O. RANK, Die Don Juan-Gestalt, Intern Psa. Veilag, Leipzig, Vienne, Zurich, 1924.
(2) Dans le Casanova de Stefan ZWEIG se trouve un intéressant parallèle avec la légendaire
figure de don Juan, qui se trouve en quelque sorte proche des Exceptions de S. FREUD, des
offensés offenseurs, et des Agressifs d'AICHHORN. Casanova : « Les quatre cinquièmes de la
jouissance consistèrent toujours pour moi à rendre les femmes heureuses. » Don Juan : au
contraire du bien-aimé Casanova, un très haï ! « Don Juan est hidalgo, noble, Espagnol, et
même dans la révolte, de sentiment catholique. En tant qu'Espagnol pur sang, tout son senti-
ment tourne autour de l'honneur, en tant que catholiquedu moyen âge, il obéit inconsciemment
à la conception de l'Église, que tout ce qui est sensuel est « péché ». A travers cette perspective
transcendante du christianisme, l'amour illégitime est quelque chose de diabolique, d'opposé à
Dieu, de défendu (et n'eu a que plus d'attrait par là). Aussi rien n'est-il plus absurde que de
représenter don Juan, l'ennemi mortel du sexe féminin, comme amoroso, comme l'ami des
femmes, comme l'amant ; car jamais il n'est m' à leur égard par un amour ou une inclination
réelle ; c'est la haine primordiale de l'homme, du mâle, qui le pousse démoniaquement vers la
femme. Lorsqu'il prend, il ne tend qu'à vouloir lui ravir ce qu'elle a de plus piécieus, l'honneur...
C'est un conjuré engagé dans une sorte de vendetta étemelle contre la femme. ><
LE PROBLEME DU TRANSFERT 203
RESUME
quoi un bref résumé de mes conclusions sur les stades les plus précoces
du développement intéresse mon sujet.
La première forme d'angoisse est de nature persécutive. Le travail
intérieur de l'instinct de mort, dirigé selon Freud contre l'organisme,
suscite la peur de l'annihilation, et c'est la première cause de l'angoisse
persécutive. En outre, dès après la naissance (je ne m'occupe pas ici
des processus prénataux), des pulsions destructives contre l'objet
excitent la peur du talion. Ces sentiments persécutifs endogènes sont
intensifiés par des expériences extérieures pénibles : dépuis les premiers
jours, la frustration et le malaise suscitent chez l'enfant le sentiment qu'il
est attaqué par des forces hostiles. Par suite, les sensations vécues par
l'enfant à la naissance, les difficultés de s'adapter à des conditions
entièrement nouvelles donnent naissance à l'angoisse persécutive. Le
soulagement et les soins donnés après la naissance, en particulier les
premières expériences d'alimentation, sont senties comme provenant
de forces bonnes. En parlant de « forces », j'use d'un terme plutôt
adulte pour désigner ce que l'enfant conçoit vaguement comme des
objets, bons ou mauvais. L'enfant dirige ses sentiments de satisfaction
et d'amour vers le « bon sein », ses pulsions destructives et ses sentiments
de persécution vers ce qu'il ressent comme frustrant, c'est-à-dire le
« mauvais sein ». A ce stade, les processus de scission (splitting) sont à
leur plus haut point : l'amour et la haine, aussi bien que les aspects
bon et mauvais du sein, sont dans une large mesure tenus séparés l'un
de l'autre. La sécurité relative de l'enfant est basée sur la transformation
du bon objet en un objet idéal qui le protège contre l'objet dangereux
et persécutif. Ces processus,(c'est-à-direla scission, la négation, l'omni-
potence et l'idéalisation) sont prévalents pendant les trois ou quatre
premiers mois de la vie (ce que j'ai appelé « position paranoïde-schi-
zoïde »). Par ces voies, dès un stade très précoce, l'angoisse persécutive
et son corollaire, l'idéalisation, influencent les fondements des relations
objectales..
Les premiers processus de projection et d'introjection, inextrica-
blement liés aux émotions et aux angoisses de l'enfant, mettent en train
les relations objectales ; par la projection, c'est-à-dire en déviant la
libido et l'agression sur le sein de la mère, la base de relations objectales
est établie ; par l'introjection de l'objet, avant tout du sein, les relations
aux objets intérieurs viennent à l'existence. Mon emploi du terme
« relations objectales » est basé sur là thèse "suivante : que dès le début
de la vie post-natale, l'enfant a une relation avec la mère (quoique
centrée primitivement sur le sein), relation imprégnée des éléments
206 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(i ) C'est un trait essentiel de cette relation, la plus précoce de toutes les relations objectales,
qu'elle est le prototype d'une relation entre deux personnes dans laquelle n'entre aucun autre
objet. C'est d'une importance vitale pour les relations objectales ultérieures ; il est vrai que
sous cette forme exclusive, elle ne dure peut-être pas plus qu'un très petit nombre de mois :
les fantasmes relatifs au père et à son pénis, fantasmes qui mettent en train les stades précoces
du complexe d'OEdipe, introduisent la relation-à-plus qu'un objet. Dans l'analyse des adultes et
des enfants il arrive que le patient vive des sentiments d'extrême bonheur par la reviviscence
de cette relation exclusive avec la mère et son sein. De telles expériences suivent souvent
1'anaryse des situations de jalousie et de rivalité dans lesquelles est impliqué un 3e objet, en
dernière analyse le père.
LES ORIGINES DU TRANSFERT 207
(1) Dans la même page, Freud suggère, toujours en se référant à ces premières identifications,
qu'elles sont une identification directe et immédiate gui se situe plus tôt que tout investissement
objectai. Cette suggestion semble impliquer que l'introjection va jusqu'à précéder les relations
objectâtes.
LES ORIGINES DU TRANSFERT 209
avec les relations objectales. Cette façon de comprendre m'a fait appa-
raître beaucoup de phénomènes sous un jour nouveau.
Je formulerai maintenant la conclusion sur laquelle repose cette
communication: je soutiens que le transfert a ses origines dans les mêmes
processus qui aux stades les plus précoces déterminent les relations
objectâtes. En conséquence, dans l'analyse, nous aurons à revenir encore
et encore aux fluctuations entre les objets, aimés et haïs, extérieurs et
intérieurs, qui dominent la première enfance. Nous ne pouvons appré-
cier pleinement les connexions entre les transferts positifs et négatifs
que si nous explorons l'interaction précoce entre l'amour et la haine,
et le cercle vicieux de l'agression, des angoisses, des sentiments de~
culpabilité et de l'accroissement de l'agression, aussi bien que les aspects
variés des objets sur lesquels ces conflits d'émotions et d'angoisses
sont dirigés. D'un autre côté, par l'exploration de ces processus
précoces, je me suis convaincue que l'analyse du transfert négatif,
qui a reçu relativement peu d'attention dans la technique psychana-
lytique (I), est une condition préalable de l'analyse des niveaux plus
profonds de l'esprit. L'analyse du transfert positif aussi bien que du
transfert négatif et de leurs connexions est, comme je l'ai soutenu
pendant beaucoup d'années, un principe indispensable du traitement
de tous les types de patients, enfants comme adultes. J'ai justifié cette
vue dans la plupart de mes écrits depuis 1927.
Cette approche, qui dans le passé a rendu possible l'analyse de
très jeunes enfants, s'est dans les dernières années avérée très féconde
pour l'analyse des schizophrènes. Jusque vers 1920 on a soutenu que
les schizophrènes étaient incapables de transfert et ne pouvaient par
suite être analysés. Depuis lors, l'analyse de schizophrènes a été tentée
avec des techniques variées. Toutefois, sous ce rapport; les changements
d'opinion les plus radicaux sont survenus plus récemment et sont en
connexion étroite avec une meilleure connaissance des mécanismes, des
angoisses et des défenses qui opèrent dans la première enfance. Depuis
qu'on a découvert quelques-unes de ces défenses, développées dans les
relations objectales primaires à la fois contre l'amour et la haine, le fait
que les schizophrènes sont capables de développer tant un transfert
positif qu'un transfert négatif a été pleinement compris ; cette découverte
est confirmée si, dans le traitement des schizophrènes, nous appliquons
d'une manièreconséquente le principe qu'il est aussi nécessaire d'analyser
(I) Cette technique est illustrée dans l'article de H. SEGAL, Quelques aspects de l'Analyse
d'un Schizophrène {Int. J. Ps.-A., vol. XXXI, 1950), et les articles de H. ROSENFELD, Notes
sur la Psychanalyse du Conflit du Surmoi dans un cas de Schizophrénie aiguë (Int. J. Ps. A.,
vol. XXXII.1,1952) et, Phénomènes de transfert et analyse du Transfert dans un cas de Cata-
tonie aiguë (ibid.).
212 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
de transfert. Car le patient est voué à traiter les conflits et les angoisses
revécus dans sa relation avec l'analyste par les mêmes méthodes
qu'il a employées dans le passé. Ce qui veut dire qu'il se détourne de
l'analyste comme il a tenté de se détourner de ses objets primitifs ;
il essaye de scinder sa relation avec l'analyste, en le stabilisant soit
comme une bonne, soit comme une mauvaise figure ; il reporte quel-
ques-unes des émotions et attitudes vécues par rapport à l'analyste
sur des personnes de la vie courante, et c'est là une part du « passage à
l'acte » (acting out) (I).
Dans le cadre de mon sujet, j'ai- surtout discuté les plus précoces
parmi les expériences, les situations et les émotions dont provient'4e
transfert. Mais sur ces fondations sont bâties les relations objectales
ultérieures et les développements émotionnels et intellectuels qui
réclament l'attention de l'analyste non moins que les plus précoces ;
c'est dire que notre champ d'investigation couvre tout ce qui se trouve
entre la situation courante et les expériences les plus précoces. En fait,
il n'est possible de trouver accès aux émotions et aux relations objec-
tales les plus précoces qu'en examinant leurs vicissitudes à la lumière des
développements ultérieurs. Ce n'est qu'en liant et reliant les expériences
ultérieures avec les expériences antérieures et vice versa (ce qui implique
un travail pénible et patient) qu'il est possible d'explorer leur interaction
d'une manière conséquente et que le présent et le passé peuvent se
rencontrer dans l'esprit du patient. C'est là un aspect du processus
d'intégration qui avec le progrès de l'analyse vient à embrasser la tota-
lité de la vie mentale du patient. Quand diminuent l'angoisse et la
culpabilité et que l'amour et la haine peuvent être mieux synthétisés,
les processus de scission (splitting), une des défenses fondamentales
contre l'angoisse, diminuent aussi ; corrélativement, le Moi gagne en
force et en cohérence ; le clivage entre les objets idéalisés et les objets
persécutifs diminue ; les aspects fantastiques des objets perdent de
leur force ; et tout cela implique que la vie imaginaire inconsciente,
moins nettement divisée de la partie consciente de l'esprit, peut être
mieux utilisée dans les activités du Moi, avec pour conséquence un
enrichissement général de la personnalité. Je touche ici aux différejices
— et non plus aux similitudes — entre le transfert et les premières
(1) Par moments, le patient peut essayer de fuir du présent dans le passé, plutôt que de
réaliser que ses émotions, ses angoisses et ses fantasmes sont maintenant en pleine activité
et centrés sur le psychanalyste. A d'autres moments, comme nous le savons, les défenses sont
principalement dirigées contre la reviviscence du passé en relation avec les objets originels.
214 REVUE .FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
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Int. J. Ps. A., XXXI.
Du transfert
par RENÉ LAFORGUE
(I) Voir dans ce même numéro le Rapport du Pr LAGACHE sur le transfert, fait à la réunion
des Psychanalystes de Langue française à Paris, en novembre 1951.
216 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
tique, ont des caractères variés : tantôt positifs, tantôt négatifs, selon
le travail exigé du malade, les épreuves qu'il est obligé d'affronter et le
degré d'indépendance qu'il réalise, pendant la cure, par rapport au
médecin.
Nous pouvons dire qu'en principe l'égo infantile doit apprendre,
par le transfert, à se hisser à la hauteur de l'égo adulte normal, en se
servant de l'analyste comme d'un guide (I) qui l'aiderait à opérer une véri-
table révolution de sa personnalité. Durant ce processus, qui ne se fait
pas sans qu'une grande dépendance ne s'établisse entre l'égo du malade
et celui de l'analyste, le premier se modifie et se renforce par le trans-
fert, en .apprenant à lutter contre les instances de sa personnalité qui
lui sont contraires. Grâce à l'action de l'analyste, le névrosé s'intègre
l'énergie dépensée souvent en pure perte dans une lutte plus ou moins
stérile et désordonnée contre lui-même. Il va de soi que les réactions
du malade à l'égard de l'analyste, c'est-à-dire son transfert pendant la
cure, peuvent varier à l'infini dans un sens ou dans l'autre. Ses réactions
peuvent être déterminées par l'influence de son super-égo ; elles
peuvent également provenir de son égo qui, suivant les stades de
la cure, suit l'analyste avec enthousiasme ou se trouve en révolte ouverte
contre lui.
Les réactions dues au transfert ont donc deux points de départ :
I. L'égo et le travail de gestation que représente pour lui la cure psycha-
nalytique ; 2. Le super-égo hostile au développement de l'égo, dont l'ana-
lyste affronte les mécanismes psychologiques en les démontant les uns
après les autres, pour reconstituer leur histoire. Il part des derniers
acquis et remonte, pas à pas en arrière, vers ceux du premier stade de
la vie et de la maladie de l'individu, pour les corriger dans la mesure
où elles se sont révélées comme pathologiques. C'est en cela que consiste
l'action de l'analyste en prise avec le transfert qu'il s'agit de comprendre
pour pouvoir l'analyser. C'est en corrigeant l'égo, et sa façon de réagir
én face du super-égo, qu'on opère une guérison.
Nous avons vu que, dans ce -processus, l'action du psychanalyste
est de deux ordres. Il sert d'éclaireur pour reconnaître le terrain dans
lequel se cache l'ennemi qui assaille le malade, et il joue le rôle d'infor-
mateur, dans la mesure où il rend compte et analyse les difficultés à
surmonter dans la lutte contre le mal. Mais il sert également de guide
et d'exemple à un égo névrosé et arriéré dans son développement,
(i) Voir le dernier chapitre de Clinique psychanalytique, éd. Denoël, 1937, chapitre consacré
à la question.
DU TRANSFERT " 219
(1) Voir les études du Dr Ernst SPEER sur la psychologie du contact dans : Dcr Arzf dcr
Persônlichkeit, G. Thieme Verlag Stuttgart, 1949.
(2) Voir également BIENENFELD, Die Religion lier religionslosen Juden, Saturn Verlag,
Vienne, 1937.
220 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
en tant que guide devant servir d'exemple dans le combat ? C'était d'ail-
leurs l'avis de Ferenczi qui critiquait l'attitude trop réservée de Freud
pendant la cure psychanalytique. Nous avons eu maintes fois l'occasion
de discuter de la question dans des conversations amicales. Ferenczi
me citait toujours les idées de Grodek à ce sujet, ce dernier mettant
l'accent sur l'exemple donné par le comportement du psychanalyste
et les initiatives qu'il prenait.
En ce qui concerne Freud, sa modestie, jointe à son super-égo,
ne le poussait-elle pas à méconnaître le rôle de sa propre personnalité
dans la bonne marche du traitement dont il attribuait les résultats
presque uniquement à l'action de ses explications analytiques. Le
Pr Lagache insiste très justement sur l'exemple donné par Freud en
tant qu'homme par ses recherches. Freud ne se laisse jamais rebuter par
les difficultés qu'il rencontre, s'efforçant toujours de ne pas réagir
d'une façon personnelle aux injures et aux déceptions qui ne lui ont
pas été ménagées, essayant patiemment de comprendre les causes des
difficultés. Il a su dominer ses doutes et n'a jamais refusé le combat,
il connaît la vertu de l'épreuve et de la souffrance et il sait même, dans
certaines conditions, recommander l'abstinence. En donnant l'exemple
du sacrifice, il prend sur lui, par l'intermédiaire du transfert, en vertu
d'une sorte de messianisme qui est bien dans la tradition de sa race,
tous les maux dont souffre son malade. L'impression que tous ceux
qui ont connu Freud personnellement ont conservée de lui n'est-elle
pas celle de la grandeur exceptionnelle d'un homme qui a osé s'aven-
turer, presque seul à son époque, dans l'enfer des névroses, dans les
ténèbres de l'inconscient, affrontant avec dédain le qu'en-dira-t-on
du bourgeois ? Quant à moi, je puis affirmer que l'exemple qu'il m'a
donné m'a aidé autant que sa science qui, à elle seule, ne m'aurait
pas permis de résister aux épreuves que j'ai dû personnellement affron-
ter, pour servir efficacement la cause de la psychanalyse, en contribuant
à l'introduire en France et en la développant par mes études sur la
névrose familiale, le super-égo individuel et collectif, la relativité de la
réalité et par ma lutte contre le scientisme.
Beaucoup d'analystes ne sont pas encore arrivés à se faire une idée
claire de ce sujet épineux : la bonne liquidation du transfert. Il est évi-
dent que l'égo du malade, libéré de ses entraves au fur et à mesure qu'il
se développe, entre en compétition avec l'égo de l'analyste qui s'était,
en quelque sorte, substitué à lui aussi longtemps qu'il était défaillant.
Sur le plan de l'inconscient du malade, la compétition avec l'analyste
se traduit par le travail qui lui permet de faire face à son propre super-
DU TRANSFERT 221
(i) Voir Psychopathologiede l'Echec, chap. VI consacré au rêve, Payot, -Paris, 1950.
222 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
entre deux parents qui se sont disputés à cause d'elle, n'a pas une
véritable confiance dans l'objectivité de son analyste. Un confrère,
présent à la discussion, accepta immédiatement de se prêter à l'expé-
rience, malgré les hésitations de mon interlocutrice qui eut d'abord
peur de faillir à la règle en faisant intervenir un confrère à côté d'elle.
Mais, en même temps que sa propre peur, elle., comprit subitement le
véritable drame de sa malade, caché derrière ses obsessions.
Cette dernière, ayant été réclamée avec véhémence par sa mère
au cours du divorce, a des scrupules, semble-t-il, à avouer qu'elle pour-
rait vouloir opter pour son père, ou inversement. Elle refuse de prendre
parti dans la dispute, ou plutôt elle ne sait pas quel parti prendre, son
super-égo, ou sa conscience, l'obligeant à rester en dehors du conflit.
Elle reproduit ce conflit avec l'analyste divorcée, à qui elle prête les
.mêmes sentiments qu'à sa mère. La question, vue sous cet angle,
devrait permettre de surmonter la difficulté.de la malade, en analy-
sant ses scrupules à l'égard de l'analyste sur laquelle elle aurait trans-
féré ses réactions, causées par le divorce des parents. Celles-ci étaient
restées inintelligibles à l'analyste qui avait elle-même divorcé en obte-
nant la garde de son enfant. Il est certain qu'il n'était pas facile
de comprendre quel drame se cachait derrière les obsessions de cette
jeune fille, drame auquel l'analyste n'aurait pas voulu non plus tou-
cher, de crainte d'aborder des problèmes dont il était difficile de
parler.
Ce sont des cas de ce genre qui nous montrent combien facilement
la psychanalyse peut être utilisée comme moyen de résistance, en
~
(1) Ce travail fut lu eu forme abrégée au Congrès des Psychanalystes français de Paris,
octobre 1951. Sur la théorie du transfert il n'y a rien à ajouter à l'exposé si brillant et complet
du Dr Lagache. \
(2) The Psycho-Analysis of Children. The International Psycho-Analytical Library, n° 22,
1932,
LE TRANSFERT ET LE CONTRE-TRANSFERT 231
(1)Le pédiatre qui l'a envoyé avait fait tous les examens ; il n'y avait aucun défaut orga-
nique (Dr Delio Aguilar).
232 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
choses que ta mère a mises en toi et qui ont fait de toi une petite fille
sans machine à parler (1). »
Pendant que je parlais, elle mit ses mains sales dans sa bouche et
les suça en me regardant pour voir si je la grondais. Après elle suça
la partie propre de sa main en souriant, bien qu'elle fût toujours très-
angoissée (2).
Je lui dis : « Ici, toi et moi, nous allons voir très doucement pourquoi
tu ne peux pas parler, pourquoi tu souris tout le temps, même lorsque
tu es très triste et angoissée, pourquoi tu as peur de moi et de ta mère. »
C'était déjà la fin de sa séance et avant de s'en aller, elle baisa le
divan et sortit très rapidement et sans me regarder. Elle n'avait pas
osé m'embrasser, mais son geste indiquait déjà qu'elle se sentait soulagée.
Le fait qu'elle avait demandé à uriner au moment où j'interprétais
ses doutes à propos de ses difficultés pour parler fut d'un très grand
intérêt et m'éclaira beaucoup lorsque je trouvai, bien des mois après,
que ses troubles de langage étaient apparus comme conséquence de la
deuxième grossesse de la mère et en rapport avec le commencement de
l'apprentissage urinaire et fécal. C'est pour cela qu'il est très important
d'observer ce que fait l'enfant avant et après d'aller uriner ou déféquer,
parce que ce comportement dénonce à ce moment-là des angoisses très
profondes.
Je donnerai maintenant le détail de la situation traumatique à la
suite de laquelle s'arrêta l'évolution du langage de cette enfant et qui se
révéla pendant ses séances de jeux, lorsqu'elle répéta dans le transfert
ses relations d'objets avec sa mère.
Lorsqu'elle eut 7 mois, sa mère fut enceinte d'un autre enfant et
sur le conseil de son médecin arrêta brusquement son allaitement.
Cette situation fut exprimée par l'enfant dans plusieurs jeux et se
traduisit dans la situation analytique par la méfiance qu'elle me mon-
tra : elle craignait que je prenne les trésors cachés dans son tiroir
individuel pour les donner à d'autres enfants.
Elle commençait presque toutes les séances par une inspection de
ses trésors et montrait une grande envie de regarder les tiroirs des
autres enfants pour savoir s'ils avaient plus de choses qu'elle. Elle
(1) Machine en espagnol veut dire également parole :l'on dit « parler comme une machine »,
quelle machine ». « Elle a abîmé sa machine » pour exprimer qu'on a été obligé de se taire ou
« Tu n'as plus de machine », lorsqu'on se tait.
(2) Pendant les séances suivantes, il fut plus évident qu'elle pensait que sa mère lui avait
donné des mauvaises choses qui avaient détruit son intérieur et c'était pour cela qu'elle était
malade.
234 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
volait aussi parfois des objets destinés à tous les enfants, pour les
mettre dans son tiroir individuel.
J'interprétai qu'elle avait l'impression que toute petite, sa mère
l'avait privée de son lait pour le donner à ses soeurs et pensait que l'amour
et la nourriture qui lui venaient de sa mère lui avaient été volés pour
« faire » ses soeurs. C'est pourquoi elle avait beaucoup souffert de
la naissance de Diane et de celle de Monique, et souvent elle aurait
voulu prendre tout ce qui leur appartenait pour se venger. Elle pensait
que moi aussi je la privais de bonnes choses pour les donner aux autres '
enfants et elle voulait se venger d'eux et reconstituer l'intérieur de son
corps utilisant ce qui appartenait aux autres en leur volant leurs trésors.
Sous l'effet des interprétations précédentes,que j'avais faites peu à peu,
à la suite de nombreuses séances, elle apporta de sa maison une poupée
que l'on pouvait alimenter par la bouche et qui urinait. Elle commença
par soigner cette poupée avec tendresse et affection, elle lui donnait
tout ce qu'il y avait de meilleur, la couchait à la fin de chaque séance,
l'embrassait tendrement et la réveillait chaque fois qu'elle revenait.
Mais la situation changea subitement pendant une séance où elle
prit de la peinture et se mit à salir et à tacher la poupée, qui devint
de plus en plus laide et de plus en plus sale à chaque séance. Elle la
couchait par terre, lui présentait et lui retirait à la fois le biberon sans
la laisser manger. Elle avait choisi la salle de bains pour tous ses sup-
plices et s'en allait de la séance sans la coucher dans le lit qui était
dans le tiroir individuel. Elle la laissait par terre et nue.
Pendant toute la séance elle m'obligeait à me tenir dans la
chambre à côté pour, selon son idée, m'empêcher de venir au secours de
la poupée. Quant à moi, étrangère à tout ce qui se passait, elle m'obligea
à regarder sans montrer de pitié pour la poupée ni la nettoyer, me
faisant jouer le rôle de la mère qu'elle avait imaginée tout à fait indif-
férente (absente) lorsqu'elle avait fait son apprentissage urinaire et
fécal, essayant de dominer par le contrôle omnipotent et l'action ce
qu'elle avait souffert passivement. A la même époque elle me montra
une méfiance grandissante : elle scrutait la chambre en cherchant des
signes de la présence d'autres enfants, par exemple elle regardait une
petite tache sur la table et me demandait qui l'avait faite et pourquoi
je recevais la responsable de la tache (i).
(i) Ici, elle eut recours au mécanisme que Melanie Klein appelle « identification projective »
et moyennant quoi elle essaya de changer la situation originelle. A ce moment du transfert elle
avait commencé à parler mais très confusément.
LE TRANSFERT ET LE CONTRE-TRANSFERT 235
(1) Ce petit mot veut dire en même temps « j'ai une chose », « je vois une chose »,
je retrouve
«
ou je revois une chose », qui est un des premiers mots que disent les enfants ; ce mot est en
espagnol, une contraction de « acâ esta » « il est ici ».
236 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
La mère était une femme très belle, très narcissiste, pour laquelle
l'enfant était une source perpétuelle de blessures dans sa rivalité avec
sa propre mère. Au lieu du beau garçon qu'elle avait rêvé d'exhiber à
sa mère dont elle dépendait étroitement, elle avait eu ce petit enfant
maigre, pâle, avec de grands yeux effrayés.
Au lieu d'un enfant propre et bien élevé, elle avait « ce petit Pierre
qui « urinait » et « caquait » par terre comme un « petit chien » et de
plus disait des mots effroyables et était tout le temps malade ». Elle
était déçue et vexée lorsque sa mère faisait constamment des réflexions
sur son peu d'habileté à élever son fils et elle déchargeait sur lui sa
rage et sa frustration. Le père était un homme très sympathique et
affectueux bien qu'un peu passif et très soumis à sa femme qui était
jalouse. Il était une vraie mère pour l'enfant, le consolait, le caressait
et le gâtait sauf quand lui-même voulait être avec sa femme et que
l'enfant l'en empêchait.
Pour la mère, la maladie de son fils était une blessure à son narcis-
sisme, en outre, elle était vexée de confier son enfant à une autre femme
pour le soigner. Le père avait des sentiments beaucoup plus normaux
et voulait guérir son enfant.
L'enfant avait été conçu quelques mois après le mariage. La mère
qui était frigide pensait que cette grossesse précoce avait entravé le
cours normal de ses relations avec son mari. Elle eut beaucoup de
vomissements et elle était très nerveuse.
Après la naissance, elle pensa que les préoccupations continuelles
que lui donnait l'enfant et ses maladies qu'il lui fallait supporter,
l'avaient empêchée de parvenir à une compréhension physique et
psychique avec son mari.
L'accouchement avait été normal. Elle ne donna le sein à Pierre
que pendant quelques jours. Elle eut d'abord des crevasses, puis un
abcès qui empêchèrent l'allaitement maternel.
Même les premiers jours, elle avait très peu de lait et l'enfant
eut faim jusqu'au moment où le pédiatre conseilla d'ajouter un biberon.
Au moment où l'abcès se forma, elle arrêta subitement l'allaitement et
ne donna plus que le biberon au bébé. L'évolution corporelle de
l'enfant fut assez normale : il était régulièrement suivi par un pédiatre,
mais à un moment donné, il commença à avoir des troubles de sommeil,
des insomnies, et des crises de pavor noctumus.
Les angines apparurent lorsque l'enfant eut environ 11 mois.
Les parents n'avaient pas gardé un souvenir très précis de l'époque à
laquelle commencèrent ses angines, et ils pensaient que l'enfant était
LE TRANSFERT ET LE CONTRE-TRANSFERT 239
lui donner, l'enfant s'était levé et lui avait dit : « Docteur, avec cela vous
n'allez pas me guérir, mais seulement avec Mme Pichon et ses jouets. »
Les parents furent très étonnés de cette observation et du fait que l'en-
fant se souvenait même de mon nom, car depuis le jour de leur dernière
visite, ils n'avaient pas parlé de moi à la maison.
Après être revenus de leur premier point de vue, ils me demandèrent
de psychanalyser l'enfant. Mais malheureusement pour lui, à cette
époque, j'étais en train de déménager et il dut attendre un mois avant
d'être reçu. De plus, au moment où il commença à être analysé, la
chambre d'analyse n'était plus la même.
Au lieu de celle qu'il avait connue, sale et détruite (elle avait subi
plusieurs années de travail) et des jouets en assez mauvais état, il
trouva une jolie chambre toute neuve avec plus de jouets neufs que
démolis. Il manquait plusieurs anciens jouets que je n'avais pas apportés,
car je les avais cru trop abîmés pour être utiles.
Lorsque Pierre entra, il recula effrayé, en me disant : « Je ne te
connais pas. » Il faut souligner que la chambre était au premier étage,
que j'étais allée le chercher à la salle d'attente et qu'il était monté très
volontiers avec moi.
Son angoisse se produisit lorsqu'il fut entré dans la chambre et
il voulut immédiatement s'en aller avec sa mère.
J'ai donné l'interprétation suivante du fait : « Il avait peur que
de même que la chambre avait pu changer, je puisse moi aussi avoir
changé et être devenue dangereuse. » Il ne répondit pas, mais ' me
demanda pourquoi il n'y avait pas ici le vieux train tout détruit et
brûlé que j'avais auparavant et pourquoi je n'avais plus la vieille bassine
avec laquelle il avait joué au cours de la première séance.
C'était avec cette bassine qu'il avait fait ses inondations et le vieux
train était pour lui la représentation de ma tolérance à ses pulsions
agressives.
Je voudrais faire ici une remarque, qui me paraît digne d'être
soulignée, au point de vue technique. Apparemment l'enfant, dans sa
première séance, n'avait pas fait attention aux jouets, puisqu'il ne
s'était occupé que de l'eau et" du sable, mais il avait gardé le souvenir
global de la chambre et de ce qui s'y trouvait, puisqu'il avait remarqué
dans un coin le vieux train détruit et brûlé qui représentait pour lui
la permission que je lui donnais d'exprimer son agressivité.
C'est pourquoi l'endroit où l'on analyse les enfants doit être conçu
et réservé uniquement et entièrement pour ce genre d'analyse.
Après m'avoir demandé de lui rendre le vieux train et la bassine,
LE TRANSFERT ET LE CONTRE-TRANSFERT 241
(1) C'est intéressant de signaler qu'il avait la même difficulté pour l'introjëction des aliments.
244 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
une perte d'une nature tout à fait spéciale puisque c'était une perte
avec remplacement, fut saisie par l'enfant d'une façon tout à fait
inconsciente. Je pense aussi qu'il doit y avoir une perception olfactive
très spéciale de la grossesse à son début que l'enfant saisit d'une façon
immédiate (de la même façon qu'il réagit à la menstruation). Il n'est
pas possible de donner des arguments ici, car ce serait trop m'éloigner
de mon sujet que de montrer comment l'enfant exprime sa connais-
sance de la grossesse de sa mère dans son jeu et comment il la projette
immédiatement à la situation transférentielle (1).
Cette seconde grossesse de sa mère, réveilla chez Pierre ses senti-
ments les' plus agressifs contre sa mère et contre moi-même dans le
transfert. Il en vint à une agression physique, me jetant des jouets
à la figure, m'insultant, agression que j'interprétais non seulement
comme sadisme mais aussi en termes de masochisme : « se châtier et
rester abandonné ». Il fit des tentatives de suicide où l'on voyait se
dramatiser la lutte pour projetter à l'extérieur ses impulsions agressives
afin de se préserver et où l'on voyait la peur qu'il ressentait que l'objet
détruit ne se vengeât sur sa propre personne.
La confirmation qu'il eut d'une nouvelle grossesse de sa mère,
les suites de son essai de féminisation, c'est-à-dire une infection qui
lui causait de violentes brûlures quand il urinait et qu'il prenait pour
une punition de cet essai, l'avaient réellement mis dans une'situation
d'angoisse croissante.
Dans une des séances de cette époque, il chantait, caché dans un
coin : « Elle ne m'aime pas parce que je suis très mauvais, je veux
mourir. »
(1) Dans mon travail analytique avec les enfants, j'ai été frappée du fait que les enfants
les plus petits savaient que leur mère était enceinte avant même qu'elle eût confirmationdu fait.
Ainsi dans certains cas, l'enfant a dramatisé l'avortement volontaire ou non de la mère,
quelques jours après avoir exprimé les anxiétés que lui causait la grossesse.
Ce fait m'étonna et je me mis à chercher, dans tous les cas une confirmation. Je parle ici
seulement des cas où l'enfant n'avait eu aucune source d'information dans la vie quotidienne et
où, ouvrant à l'hnproviste une parenthèse dans le cours du sujet de son analyse, pendant une
séance, il exprimait sa crainte d'une nouvelle grossesse de sa mère, crainte qui se révélait exacte.
Presque régulièrement ces enfants commençaient leur séance par vouloir connaître toute
la maison, alors que pendant des mois ils n'en avaient pas eu la moindre curiosité.
lorsque la scrutation de la maison ne pouvait pas entrer dans le cadre du traitement, ils
commençaient à examiner chaque coin de la chambre, découvrant des choses que jamais ils
n'avaient remarquées. Par exemple, ils demandaient à voir les tiroirs individuels d'autres
enfants, ils voulaient savoir ce qu'il y avait dedans, ils regardaient d'un air soupçonneux des
taches ou des brûlures qui existaient depuis toujours, mais auxquelles ils n'avaient pas fait
attention avant.
D'autres demandaient des nouvelles de mes enfants sans qu'il y eût de trait d'union entre
cette question et les sujets des séances antérieures.
246 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
quelques jours après si je les avais encore et dans quel état ils étaient.
Lorsqu'il constata que tous ces jouets étaient intacts, il exprima la plus
grande joie et m'embrassa à plusieurs reprises (1). a
On voit bien qu'il avait transféré immédiatement sa situation
par rapport à sa mère dans la situation analytique. C'est pourquoi
il a commencé à être jaloux des enfants qui venaient se faire traiter
par moi et à détruire tous les jouets collectifs, tout en prenant grand
soin de ceux qui figuraient dans son tiroir individuel.
Souvent aussi à cette époque, il voulait des jouets collectifs pour
les mettre dans son tiroir personnel.
Il voulait également rester plus longtemps pour prendre l'heure
des autres ou venait avant son heure pour les épier.
J'ai essayé de donner un aperçu, sinon complet du moins suffi-
samment clair des réactions affectives de l'enfant et des vicissitudes
de son transfert en fonction de l'action exercée en lui par des situations
et des sentiments présents ou passés, intérieurs ou extérieurs. J'ai voulu
également montrer comment les faits de la vie réelle (une grossesse de
la mère, une défense de parler, une visite de son père, etc.), produisent
chez l'enfant des réactions catastrophiques (essais de suicide, mutila-
tion, arrêt de langage) au moment où les faits de la vie réelle coïn-
cident avec des situations intérieures terrifiantes. Cette coïncidence
explique que souvent, bien qu'on ne puisse changer les circonstances
extérieures de la vie de l'enfant, le changement intérieur que produit
le traitement engendre un nouveau mode d'adaptation de l'enfant à la
vie réelle. Ce changement interne fait que l'enfant est plus capable
d'élaborer les événements de la vie réelle qu'auparavant quand ils
étaient imprégnés d'hostilité par la projection de sa propre agressivité.
L'enfant conçoit alors son entourage comme moins dangereux, et il
peut arriver à s'adapter à la réalité. Mais au cours du traitement
l'enfant passe par des situations d'angoisse croissante, qui le poussent à
agir d'une façon dangereuse pour lui-même ou à créer des difficultés
à son entourage.
L'interprétation de l'origine de ces situations par rapport à la mère
et au père, et à l'entourage et à la personne même de l'analyste ainsi
que ses premières angoisses et les défenses qu'elles éveillent permettent
de soulager ses angoisses et de continuer le traitement (2).
,
(1) Le tiroir individuel et son contenu deviennent pour l'enfant le représentant de son
intérieur.
(2) L'enfant comme l'adulte a tendance à agir le transfert hors de la séance au lieu de le
vivre au cours de celle-ci. Il faut donc interpréter son acting-out. Voici un exemple : Une petite
248. REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE -
fille de 10 ans était en traitement analytique à cause de certaines inhibitions chaque jour plus
difficiles à surmonter, surtout au point de vue scolaire. En outre ses parents avaient observé
en elle une tendance chaque jour plus évidente à l'isolement et à l'autisme.
Au moment où le transfert fut pour elle une cause de péril, comme l'avait été son amour
pour sa mère qui lui avait fait subir une grande désillusion, elle se montrait très inexpressive
pendant les séances ; elle s'ennuyait et répétait ces jeux monotones auxquels nous sommes
habitués pendant le traitement de l'enfant en période de latence. Mais, à la maison, elle se
montrait de plus en plus audacieuse et parlait à sa mère ouvertement de sujets sexuels.
La vie familiale devint très difficile : par exemple pendant le déjeuner, devant les autres
enfants plus petits, elle disait à sa mère : « Tu sais que ce n'est pas la cuillère que tu suces, ce
n'est pas du lait que tu veux boire, c'est du lait de mon père que tu veux. »
J'interprétais sa conduite comme une tentative pour forcer sa mère à interrompre le traite-
ment, en même temps qu'une compulsion à avouer les choses qu'elle savait mais qu'elle conti-
nuait à juger mauvaises et défendues.
Je lui ai montré le rapport entre le sentiment de culpabilité parce qu'elle connaissait les
choses sexuelles, ses difficultés pour apprendre à l'école et sa conduite qui était l'expression de
son angoisse de voir renaître en elle les pulsions étouffées avec tant d'effort et la crainte qu'elle
avait de s'abandonner à m'aimer dans le transfert et d'être ensuite déçue, comme elle avait été
déçue par sa mère dans un moment très difficile de sa vie.
1,'effet de l'interprétationfut qu'elle osa exprimer dans les séances ses craintes et son amour
d'une façon plus claire au lieu de l'agir dans la vie familiale.
Sa tendance à l'acting-oiit fut ainsi dissoute.
LE TRANSFERT ET LE CONTRE-TRANSFERT
,
249
Dans plusieurs cas, les analystes d'adultes font aussi des analyses
d'enfants avec des résultats très utiles pour leur formation.
La situation différente de chaque analyste d'enfants détermine une
grande variété de situation de contre-transfert.
Je ne veux signaler que les cas les plus clairs.
Pourquoi y a-t-il si peu d'analystes hommes dans la psychanalyse
d'enfants ?
Je pense que le fait de prendre le rôle maternel, qui est beaucoup
plus évident quand on analyse un enfant que lorsque l'on analyse un
adulte, est ce qui éloigne l'homme d'un travail qui éveille en lui les
angoisses de sa situation passive-féminine, sa rivalité avec sa mère et'
ses fantasmes de prendre sa place et de voler ses enfants, situation dont
j'ai déjà parlé.
Les candidats hommes que j'ai eus sous contrôle vivaient le trans-
fert de l'enfant avec plus d'angoisse que les candidats femmes. Certains
d'entre eux éprouvaient l'angoisse suivante : « Si quelqu'un ouvre
la porte et qu'il me voit jouer ainsi avec un enfant, pourrait-il penser
que je suis un efféminé, un homosexuel ?' »
Souvent aussi ils craignaient, pendant leur participation à une
séance de jeu, que leur attitude puisse donner à penser qu'ils étaient
détraqués, fous, c'est-à-dire, châtrés.
Ces réactions étaient également différentes suivant qu'eux-mêmes
avaient ou non des enfants. L'analyse du contre-transfert qui était
né de cette rivalité avec la femme facilitait dans le premier cas leurs
relations avec leurs propres enfants.
Les analystes femmes vivent le transfert de l'enfant et leur contre-
transfert envers lui ou envers la mère différemment selon la solution
qu'elles ont trouvée à la maternité. On peut distinguer les cas suivants :
i) L'analyste a des enfants bien portants ;
2) L'analyste a des enfants mais qui sont malades ;
3) Elle n'a pas d'enfants :
a) Soit parce qu'elle pouvait en avoir mais n'en voulait pas
encore ;
b) Soit parce qu'elle ne pouvait pas en avoir en raison de l'âge,
d'une maladie ou de sa situation sociale.
Les réactions émotives en rapport avec le transfert de- l'enfant
et avec le déclenchement de pulsions d'amour ou d'agression, et le
contre-transfert avec la mère, variaient dans tous les cas chez les
candidats qui n'avaient pas fini leur analyse selon leur situation devant
LE TRANSFERT ET LE CONTRE-TRANSFERT 253
manière sadique que celui-ci s'est vu poussé à les traiter. Cette relation
est certainement la première des réalités primitives de l'enfant.
« Ce n'est pas une exagération de dire que, dans la première réalité
de l'enfant, le monde est un sein, et un ventre occupés d'objets dange-
reux, dangereux en fonction des propres pulsions qui poussent l'enfant
à attaquer le monde. Si pour le cours normal du développement le
moi se relationne graduellement aux objets externes en accord avec
une échelle de valeurs réelles, pour le psychose, en échange, le monde
(ce qui équivaut aux objets) est valorisé d'accord avec le niveau originel,
c'est-à-dire que pour le psychotique le monde continue à être un
ventre peuplé d'objets dangereux. Si on me demandait de donner en
quelques mots une généralisationvalable pour les psychoses, je dirais que
la principale série d'entre elles correspond à des défenses contre les prin-
cipales phases du développement du sadisme. »
Dans la même année en.étudiant l'importance de la formation du
symbole pour le développement du moi, elle démontre avec un matériel
clinique ces situations mais c'est dans son article sur « les mécanismes
schizoïdes » qu'elle réunit ses idées à ce sujet. Nous allons extraire
quelques aspects qui nous intéressent ici en relation avec le transfert.
Dans la première enfance, surgissent les angoisses caractéristiques des
psychoses qui poussent le moi à développer des mécanismes de défense
spécifiques trouvant dans cette période le point de fixation de toutes
les perturbations psychotiques. Les angoisses primitives, les mécanismes
de défense du moi de cette époque, exercent une profonde influence dans
tous les aspects du développement (moi, surmoi, relations d'objets).
Les relations d'objets existent depuis le commencement de la vie,
de même que la dissociation de l'objet et l'interjeu entre Pintrojection.
et la projection, entre les objets et les situations internes et externes.
Dès le commencement, la pulsion destructive est dirigée vers
l'objet qui s'exprime premièrement dans des fantaisies d'attaques
sadiques orales contre le sein de la mère et après s'étend au corps ; de là
surgissent les angoisses paranoïdes produites par le désir de voler au corps
de la mère ce qu'il contient de bon et de mettre en elle ses excréments
(pulsions sadiques anales), avec le désir d'entrer dans son corps pour
pouvoir le contrôler de dedans. Ceci est d'une grande importance dans
le développement de la paranoïa et de la schizophrénie, et forme la
base d'un mécanisme décrit par Melanie Klein (« identification pro-
jective ») dont je parlerai après. Des défenses typiques, face à ses
anxiétés paranoïdes, apparaissent : la dissociation de l'objet, des pulsions
du moi de l'objet, l'idéalisation, la négation de la réalité, interne et.
PSYCHANALYSE 17*
260 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
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Note sur le transfert
par MELITTA SCHMIDEBERG (New-York)
(traduit de l'anglais par D. LAGACHE; revu par l'auteur)
Le gérant : J. LEUBA.
PREMIERE CONFÉRENCE
DES
PSYCHANALYSTES DE LANGUES ROMANES
(XVe Conférence des Psychanalystes de Langue française)
ALLOCUTION PRONONCEE
AUX OBSÈQUES DU DOCTEUR JOHN LEUBA
le 13 mai 1952
par G. RICHARD
Je parle en ami, au nom de ses amis.
Serai-je digne de le faire en leur nom ?
qui fait encore autorité. Dans un charmant récit, paru dans notre revue
et qu'il a intitulé La batrachomyomachie (1), Leuba nous a dépeint un
peu de l'atmosphère dans laquelle il grandit. En un style vif, très
personnel, évocateur et poétique, il y décrit un monde d'étangs, d'algues,
de bois, peuplé de centaines de petits animaux, bruissant dans l'ombre
ou la lumière dorée ; et il nous dit comment, tout jeune naturaliste, il
fait la connaissance de ce monde un peu fantastique et toujours mer-
veilleux et y découvre la première conscience de lui-même.
Toute sa vie, il restera cet observateur passionné de la nature et il
l'aimera d'un amour insatiable. A la fin de ses études, sa curiosité se
tourne d'abord vers la géologie : il devient, à Neuchatel, l'assistant du
Pr Schardt, dont il épousera'la fille plusieurs années plus tard. C'est
l'époque des longues courses en montagne, le marteau de prospecteur
à la main ; son esprit n'est pas seul inlassable : Leuba est doué d'une
constitution physique souple, alerte et d'une extraordinaire endurance.
Puis il revient à ses premières amours, aux plantes et aux animaux qui
enchantèrent son enfance ; grâce à son intérêt et à sa mémoire prodi-
gieuse, il décroche, en se jouant, le doctorat en Sciences naturelles.
Mais voilà qu'il tombe malade. On erre sur le diagnostic. Il veut prendre
part dans ce débat et fait, à Genève, ses études de médecine,. Devenu
docteur, la guerre de 14-18 le trouvé en France, volontaire dans les
hôpitaux ; on lui décerne la médaille des épidémies. En 1925, il vient à
Paris, où il travaille d'abord aux Éditions Armand Colin et contribue
lui-même à leur Collection scientifique dont il s'occupe : il y fait
paraître, en effet, une Introduction à la géologie, petit chef-d'oeuvre d'une
clarté si grande, que c'est encore aujourd'hui un texte classique qu'il a
fallu rééditer plusieurs fois.
Au cours des années 28-30, Leuba fait connaissance avec la Psycha-
nalyse et c'est pour lui une révélation ; désormais et jusqu'à ses derniers
jours, il va se vouer entièrement à elle. Et ce n'est pas un mince témoi-
gnage rendu à cette science, si jeune encore à l'époque, que l'adhésion
totale de ce savant dans sa pleine maturité. Pendant ces nouvelles études
qu'il fait, pour son analyse didactique, auprès du Dr R. Loewenstein,
Leuba, après avoir été plusieurs années l'assistant du Dr Lamy, travaille
dans un laboratoire de recherches médicales et se fait recevoir, à nou-
veau, docteur, cette fois-ci de la Faculté de Médecine de Paris.
A partir de maintenant, il vit parmi nous et fait partie de nos sou-
venirs. Rappelons-le-nous d'abord à la Société psychanalytique de Paris,
dont il est, tôt, en 34, le secrétaire dévoué et, bientôt un maître recherché.
Le cheveu blanc, léger — si loin qu'on l'ait connu — l'oeil vif et bleu, il
est, toute la période d'avant-guerre, la cheville ouvrière de notre groupe,
qu'il présidera plus tard de 46 à 48. Il garde, dans ses fonctions, son
naturel enjoué, son esprit souvent malicieux. Mais que l'on se trouve
dans l'embarras, il ne vous ménage jamais ni son attention ni son temps
et il s'emploie de toutes ses forces et de tout son coeur à tâcher de vous
être d'un utile conseil. Vous voilà chez lui, en demandeur ou en ami. Il
vous accueille d'un clair et joyeux salut. C'est, par chance, un jour où il
veut vous régaler d'une de ces « fondues » mémorables qu'il prépare
lui-même, rituellement, comme un élixir, suivant une savante recette.
Sur les étagères prospèrent ses plantes grasses, auxquelles il donne des
soins délicats. Ou c'est pendant l'occupation : tandis qu'il assaisonne
la tomate qu'il vient de choisir pour vous dans le minuscule potager qu'il
cultive sur son balcon, il vous conte l'un de ses inépuisables souvenirs
de naturaliste avec une mémoire ébouriffante des noms de lieux, de
plantes et d'insectes, d'un ton alerte, primesautier, espiègle même
parfois. Ou bien il vous fera part de ses observations ou des problèmes
qu'il se pose touchant à la psychanalyse. Artiste — il avait un réel don de
dessinateur — il excellait à la description d'un cas, d'un caractère,
d'une situation, qu'il percevait avec une intuition très sûre et l'on
retrouve ce talent dans ses écrits psychanalytiques. Un peu méfiant de
tout appareil théorique, il a, je crois, donné le meilleur de lui-même dans
les observations qu'il a publiées et je pense, notamment, à son vivant
rapport sur La famille névrotique et les névrosesfamiliales (1). Quel livre,
qu'il projetait d'écrire, ne nous aurait-il pas donné, fruit d'un si riche
engrangement, si cet homme infatigable ne devait être, en pleine
force, frappé dans son corps par un mal cruel ?
Infatigable ? Il fallait le voir, pendant la guerre de 39-44, dans sa
soixantième année, filant à bicyclette de son domicile à l'hôpital
Sainte-Anne ou au poste de secours de la mairie du 16e, dont il était le
médecin volontaire et où, à chaque alerte — et il y en eut des centaines —
il se rendait infailliblement. La Croix de Guerre qu'il reçut était bien
méritée.
Mais la maladie le guettait. Déjà plusieurs fois meurtri dans sa
chair par diverses interventions chirurgicales, sa santé déclina et il dut
subir, en janvier 1950, âgé de 66 ans, la résection de son poumon droit.
Avant l'opération, son état de fatigue était tel qu'on pouvait craindre
le pire. Mais c'est alors que John Leuba montra le métal de son carac^"
tère. A proprement parler, il cria « Non » à la mort et tendit toute son
énergie à la défaire dans un combat de chaque instant. Et nous avons
assisté, émerveillés, à une convalescence, sans doute lente mais si
certaine qu'il put, huit mois plus tard, reprendre son travail à un
rythme presque normal.
Cependant, s'il avait fait reculer la mort, il restait irrémédiablement
blessé et tenu si constamment sur la brèche qu'il fut impuissant à se
refaire des réserves ; et quand, rentré en Suisse, une infection qu'il
avait longtemps jugulée prit le dessus, il succomba, très doucement,
dans un grand soupir où il se laissait aller, ayant accepté qu'il en fut
ainsi.
John Leuba s'était attaché une compagne admirable qui l'entoura
jusqu'au bout d'un dévouement sans défaillance ; toujours présente,
sans cesse efficace, elle fit front, souvent elle-même au seuil de l'épuise-
ment. Qu'elle sache qu'elle restera toujours indissociablement liée au
souvenir de notre ami (1).
(1) Quelques mots lus à la réunion de la Société psychanalytique de Paris, le 20 mai 1952.
Quelques mécanismes inconscients
révélés par le test de Rorschach
par RUTH BÉJARANO-PRUSCHY
positif sont en général plus libres devant le test que ceux qui croient
être dominés par elle, même si le comportement de celle-ci n'est pas tel.
L'observation de ce phénomène permet d'inférer de leurs conduites
habituelles vis-à-vis des femmes. Elle montre aussi qu'il faut tenir
compte, dans l'interprétation des calculs, des répercussions que peut
avoir notamment un transfert négatif. Si les sujets sentent cette situa-
tion d'examen comme infériorisante, l'agressivité qui se révélera dans
le test peut être plus grande que celle vécue par les sujets dans la vie
réelle, vis-à-vis des hommes et même vis-à-vis des femmes, dans une
situation normale. Nous dirons même qu'elle est aussi plus grande que
celle qui est extériorisée dans la situation d'examen. Les sujets sont
contraints de freiner leur agressivité, puisque leur avenir dépend de
l'examinatrice et que celle-ci, cherchant à les mettre à l'aise, n'offre
guère de prise. Cette agressivité comprimée se libère alors dans les
projections du Rorsçhach.
Voici un exemple de projection du transfert à propos duquel il
nous a été possible de déceler les différents déterminants.
Un médecin nous présente un jeune licencié es lettres, fréquentant
des milieux de psychologues et qui se plaignait que personne n'ait
jamais voulu lui faire un Rorsçhach. Devant notre étonnement, il
prétendit qu'on ne voulait pas le tester parce qu'il n'avait pas de quoi
payer son examen, alors qu'il avait pourtant besoin de connaître ce test
pour préparer son agrégation. Nous lui avons alors proposé de le lui
faire passer « gracieusement », et il se montra à la fois réjoui et étonné.
Voici quels furent ses dires à la planche V : « Des pinces, assez désa-
gréables, pas un animal sympathique. On se demande vraiment ce
qu'il y a là-dessous..., ça fait comme des bosses. On voudrait enlever
pour voir ce qu'il y a en dessous. Dès le début j'ai eu l'impression que
ça recouvre quelque chose. Peut-être du vice qui se cache volontaire-
ment là-dessous ; si ce n'est pas malheureux... Il se trouve qu'il y a
quelque chose en dessous... Mais peut-être simplement quelqu'un qui
couve ses petits. »
A l'interrogatoire, le sujet nous confia que ces pinces sont comme
des pinces à sucre : « Il ne faut pas y entrer, il ne faut pas se laisser
glisser là dedans, vous vous faites pincer. On va disparaître comme dans
un gouffre. »
Cette interprétation extrêmement riche exprimait d'abord la mé-
fiance. Méfiance qu'il avoua par la suite : il trouvait louche qu'on lui
fît passer un examen « à l'oeil », cela devait cacher quelque chose.
Le sujet ne sachant pas à quoi s'en tenir donne donc cette projection
LE TEST DE RORSCHACH 281
Dans ce cas, on peut dire que le milieu est pratiquement créé par la
planche elle-même. Une très grande majorité des sujets testés y décèle
deux personnages, donc une situation à deux, qu'ils interprètent en
projetant des rapports divers. Mais certains sujets parviennent précisé-
ment à supprimer ce rapport entre deux personnes distinctes.
Nous avons obtenu à plusieurs reprises, à la planche III, des
réponses symétriques à contenu un peu particulier. Par exemple : « un
homme qui se regarde dans une glace ». Lorsque nous demandons aux
sujets d'expliquer ce qu'ils ont vu, ils sont en général ennuyés et
bredouillent : « Il y a deux hommes qui sont plutôt l'image virtuelle
l'un de l'autre », ou « des hommes tels qu'on les verrait si on regardait
l'image de l'un dans une glace ». Ils se- rendent compte que quelque
chose dans leur interprétation n'est pas exact.
Il s'agit dans ces réponses toujours d'une personne et de son double,
ou d'une sorte d'alter ego. Nous avions émis l'hypothèse qu'elles pou-
vaient exprimer une attitude narcissique ou une sorte de dédoublement
de soi, voire les deux.
Une autre réponse, quoique un peu différente, mais qui, par cer-
tains côtés peut être rangée dans la même catégorie, nous fournit cer-
taines explications sur les mécanismes qui peuvent déterminer de tels
contenus.
Un homme nous dit à la planche III : « deux jumeaux, à droite et à
gauche, en habit de soirée ».
A l'interrogatoire, nous essayons d'avoir des renseignements sur
ces jumeaux. Le sujet en a connus lorsqu'il était jeune, mais il n'en a
ni dans sa famille ni parmi ses connaissances actuelles.
Invité à parler sur les jumeaux, il finit par nous dire : « Si j'avais des
enfants, je trouverais intéressant d'avoir des jumeaux. Les jumeaux sont
deux êtres qui sont très proches l'un de l'autre, quoique étant un peu
différents, et qui ont une mentalité curieuse. Il y a une certaine har-
monie et un équilibre du fait qu'ils se ressemblent beaucoup. Je trouve
cela sympathique et le considère comme une réussite de la nature. En
général ils sont attachés l'un à l'autre. » Un silence suit, puis notre sujet,
vieux Parisien célibataire de 46 ans enchaîne subitement : « Parfois je
me parle comme si j'étais deux. Quand je suis découragé, alors je
m'adresse la parole, et l'un encourage l'autre. J'aurais voulu avoir un
frère jumeau. »
Nuance amusante, le sujet ayant passé une des années les plus heu-
reuses de sa vie en Angleterre, l'encourageur parle en anglais et s'inter-
pelle lui-même : « Hello boy ! »
LE TEST DE RORSCHACH 285
il n'en existait pas deux dont on aurait pu dire que les types de réso-
nance intime se ressemblaient en quoi que ce fût.
Il semblaitdonc apparemment que les résultats du Rorschach étaient
inutilisables pour la sélection professionnelle, puisqu'on ne constatait
aucune homogénéité dans les résultats.
Ceci semblait confirmer les conclusions d'A. Kurz, professeur au
Collège de Pensylvanie, qui ont été exposées au lecteur français dans
le numéro de janvier-juin 1949 du Travail humain, sous le titre : « Une
expérience pour éprouver le test de Rorschach. » L'auteur conclut
que le test de Rorschach n'a pas de valeur au point de vue sélection
professionnelle, étant donné que l'on ne constate aucune corrélation
entre les Rorschach des candidats d'une même profession, les pro-
nostics exprimés et la réussite professionnelle ultérieure.
Parmi nos protocoles d'ingénieurs en organisation, il y avait en effet
tous les types de résonance intime, allant des introversifs jusqu'aux
extratensifs purs, en passant par des totalement coartés et des ambié-
quaux très dilatés.
D'une façon générale, on rencontrait peu de FC ni de F(C), qui
sont habituellement l'indice d'une bonne capacité d'adaptation à
autrui. Nous ne trouvions rien d'homogène non plus en recherchant du
côté de la formule secondaire, du type d'appréhension, du H % ou
du % d'objet ; rien non plus en partant de l'attitude décrite par
M. Lagache : certains sujets pouvaient se laisser aller à une attitude
ludique devant le test, alors que d'autres en étaient incapables.
Nous fallait-il conclure, comme M. Kurz, que l'application du
Rorschach était sans valeur et sans utilité dans des examens de sélec-
tion professionnelle ?
Tel n'était pas notre avis, car le Rorschach apportait beaucoup
pour la connaissance de chaque sujet.
Toutefois on ne pouvait dire d'aucun de ces ingénieurs, dont la
réussite s'avérait certaine, qu'il eût atteint un équilibre réel ; et même
aucun n'était capable, si l'on s'en remet aux protocoles, de contacts
bons, libres, naturels et adaptés.
Nous examinions alors tout particulièrement les facteurs de pertur-
bations. Partant d'un protocole qui contenait 4 refus sur 10 planches,
on pouvait constater que tous les protocoles, sans exception, contenaient
des indications de choc. Les chocs couleurs étaient les plus fréquents et,
parmi les chocs couleurs, on trouvait assez fréquemment le choc à la
planche X, que Zulliger a relevé comme choc à retardement.
Cet auteur pense, en gros, que ce choc est dû au fait que l'individu
288 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
AVANT-PROPOS
I. — CONTRE-TRANSFERT
Il n'y a pas d'analyse parfaite et complète, il n'y a pas d'analyse
finie. Si poussée que soit la « didactique » (dans certains pays elle va
jusqu'à cinq ans), elle ne peut toujours amener le sujet à une résolution
totale de ses conflits. Si certains deviennent de l'histoire ancienne et
même s'effacent de la mémoire, d'autres, simplement objectivés, sont
mis sous le contrôle de la volonté qui lutte plus efficacement contre des
tendances gênantes ou nuisibles, en les surveillant en quelque sorte.
Enfin, il reste encore parfois une catégorie de petits conflits non revécus
ni rendus conscients', qui échappent au contrôle et donnent heu à
divers mécanismes de défense, dont la projection (dans ce qui nous
intéresse, sur le patient), et la compensation par l'attitude contraire (i).
Au premier chef, les tendances agressives méritent qu'on s'y arrête.
En effet, au même titre que les pulsions erotiques, elles forment le fond
des éléments le plus souvent refoulés parce que non acceptés par le Moi,
comme dangereuses. Si l'analyste n'est pas suffisamment dégagé de cette
lutte intérieure et le laisse tant soit peu transparaître dans le contre-
transfert, il sera aussitôt dans l'impossibilité d'analyser d'une façon
efficace les tendances hostiles du patient, qui les camouflera soigneuse-
ment et se retranchera d'autant plus dans une attitude de défense plus
ou moins passive. Ceci dans les bonnes conditions, celles où le malade
a pu rester en traitement, car il arrive que la pression soit trop forte et
que le patient fuie éperdument sans demander son reste, tellement il se
sent peu en sécurité. Au premier rang de ces tendances agressives, ou
en tout cas ressenties comme telles par l'inconscient du sujet, se placent
les besoins dévorateurs de l'analyste. Ceux de mes collègues qui, comme
moi, avaient « bon appétit », ont constaté les difficultés qu'ils avaient
à garder un client au début de son traitement. L'expression « ferrer le
poisson », employée par l'un de nous, montre bien, et le désir du pêcheur
d'embrocher sa victime, de la passer à la casserole, et le sentiment du
malade qui fuit avec la même rapidité du désespoir un danger que son
intuition aiguisée lui a fait comprendre et exagérer.
Si la « proie » a consenti à venir dans le vivier analytique, elle servira,
par ses apports, à satisfaire l'analyste en lui apportant, sous forme de
paroles et d'argent, « de quoi se mettre sous la dent ». S'il se montre
(I) Il est d'ailleurs d'expériencecourante que l'analyse se continue par elle-même longtemps
après la terminaison des séances, et aussi que l'analyste progresse encore grâce aux expériences
affectives de ses propres patients, vécues avec eux. Il s'agit encore une fois ici de « learning »,
d'acquisition d'ordre émotionnel autant qu'intellectuel.
ERREURS DES APPRENTIS ANALYSTES 295
à tirer : aurait-on pu éviter les six mois de silence fort pénibles pour la
patiente et relativement perdus pour l'analyse, en l'envoyant à quel-
qu'un lui présentant comme modèle un schéma corporel plus acces-
sible, moins écrasant pour elle, cependant que ses inhibitions seraient
acceptées avec plus de sérénité intérieure que je n'ai pu le faire. Le
succès, bien que partiel, semble cependant montrer que l'on doit
pouvoir faire surmonter ces difficultés au sujet, mais est-ce qu'on ne
peut espérer économiser des efforts de part et d'autre ?
Dans la situation contraire, un sentiment de grande affinité me
paraît être un facteur d'accélération. C'est du moins ceci et non pas la
proverbiale chance des commençants, qui a paru au Dr Schlumberger
l'élément décisif d'une cure de sept mois que j'ai accomplie et qui a été
contrôlée par lui en 1948.
Il s'agissait d'une jeune fille de 17 ans, très angoissée (peur de
mourir, « idées noires ») à structure phobique, tempérament hypoma-
niaque. Bien qu'il y eut d'autres éléments favorables à la guérison (la
jeunesse, l'intelligence du sujet, peu cultivée mais développée, et son
« tonus mental » élevé malgré l'état dépressif) l'analyse suivit une route
à peu près rectiligne et à une allure accélérée, grâce au fait que je la
précédais presque toujours dans ses associations, sans beaucoup me
tromper. Je n'avais pas encore appris la prudence et j'interprétais à
tour de bras. Mais chacune — ou presque — de mes interprétations
tombait dans un terrain fertile et faisait germer des foules d'asso-
ciations. L'affinité (comme on le voit, plus affective que culturelle) était
si grande que nous eûmes en même temps, la même nuit, un rêve
presque similaire : elle, rêvant d'elle, et moi, rêvant également d'elle,
dans la même situation et réagissant pareillement. (Inutile de dire qu'elle
n'en a jamais rien su !...) La question qui se pose dans un pareil cas est :
ne risque-t-on pas, plus que dans d'autres situations, de s'endormir dans
une apparente facilité, de projeter sur le malade des conflits différents
et même étrangers à celui-ci, d'entraîner le contre-transfert dans les
domaines du narcissisme à deux. ?
L'identification au malade de la part de l'analyste est évidemment
aidée grandement par ces circonstances et présente divers inconvénients.
La neutralité analytique est menacée directement, l'identification se
faisant sur le mode régressif, et si le transfert positif est établi facilement,
le transfert négatif est presque irrémédiablement inatteignable. L'ana-
lyste ne représente plus une réalité sereine, mais un « double » narcis-
sique, qui permet la fuite dans un monde à part, ou qui soutient le
patient dans sa recherche du plaisir.
300 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
IL — TACTIQUE
lement avec le patient, chose que s'était permise notre analyste (de
rares fois !) en oubliant que l'attitude de l'analyste peut jusqu'à un
certain point varier avec les cas, qu'une analyse didactique n'est peut-
être pas absolument identique à une analyse thérapeutique du moins
en ce qui concerne les rapports ultérieurs de maître à élève, et enfin,
notion qui nous apparaît parfois en dernier, que le maître peut aussi
faire des erreurs !...
Nous mettons plus de temps que nous croyons à liquider défini-
tivement notre croyance à l'effet magique de l'analyse. L'interprétation-
reine, dissolvatrice des « complexes » n'est pas seulement une notion
répandue dans les salons où l'on cause. Ceux parmi nous qui ont la
parole facile sont tombés dans ce piège et ont eu bien des déceptions
devant le peu de résultats obtenus. Je crois bien qu'inconsciemment
nous nous attendions un peu à ce que le malade se lève, en proie à une
agitation profonde, et se déclare guéri à jamais !... Il y a aussi un peu
l'idée exprimée plus haut de ne pas laisser l'analysé sur sa faim, de lui
en donner pour son argent. Je sais qu'il m'était difficile, au début de
ma carrière d'apprentie, de faire face sans culpabilité aux reproches
que je trouvais un peu fondés de faire payer bien cher des séances où
je ne faisais pas grand'chose !...
L'analyse du contenu avant celle des résistances semble procéder
de plusieurs causes : la plus visible est encore l'ignorance ou le manque
de flair sur lequel nous reviendrons plus loin. Le contenu manifeste
est évidemment ce qui intéresse le plus le malade, ne serait-ce qu'au
point de vue anecdotique, et l'interprétation des pensées libres et surtout
des rêves deviendrait vite, comme l'a dit le Dr J. Leuba, «un petit jeu de
société ». De même les rapprochements à tout prix, souvent tirés par
les cheveux que font les débutants, semblent provenir du désir, là
encore, de ne pas laisser le patient « nager ».
Il m'a été donné de constater combien les malades comprennent vite
le jeu et s'amusent à faire d'eux-mêmes des parallèles qui ressemblent
à des associations comme une mouche à un papillon. On ne peut
ensuite le leur reprocher, puisqu'on leur a donné le mauvais exemple...
Un autre travers, signalé par le Dr Lagache, est ce qu'il appelle la
« propagande ». Il consiste en des explications ou des critiques adressées
au malade au sujet d'une attitude soi-disant non-analytique, au heu
d'une analyse sereine de ce qui, en somme, n'est qu'une résistance.
J'ai souvent peiné ou cabré des patients en leur disant en substance :
« Vous trichez, vous ne suivez pas la règle. » D'autres vont jusqu'à leur
faire une sorte d'exposé de ce qu'est la vraie analyse, de ce qu'on attend
PSYCHANALYSE 20
.
302 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
d'eux. Tout ce qui n'est pas « association libre » ou rêve est écarté,
reproché presque au malade, tandis qu'on l'attire activement dans la
voie des souvenirs d'enfance ou des aveux... peu spontanés.-
Dans le même ordre d'idées, on peut mettre les interprétations
tendancieuses, c'est-à-dire au fond, celles qui prennent les désirs de
l'analyste et de son sujet pour des réalités. Je me suis laissée aller à
cette faiblesse trop souvent pour rie pas reconnaître que c'est là chose
courante, d'autant plus qu'on ne s'en méfie pas toujours au moment
où on le fait. Ainsi, je me suis souvent laissée mener par les indignations
ou les querelles de mes patients et, bien que je me sois gardée d'en rien
laisser paraître, je n'ai pas eu, il s'en faut, l'attitude de neutralité
nécessaire. Sans aller jusqu'à exciter le faible dans sa révolte contre les
forts, on risque, par le ton de sa voix ou la tournure d'une phrase, de
soutenir une querelle stérile et d'ailleurs souvent éphémère. J'ai pu
me rendre compte de cette tendance à s'identifier à la victime dans
l'analyse des enfants, surtout quand il s'agissait d'avoir des rapports
avec les parents. Je ne pouvais m'empêcher d'y faire transparaître .une
légère agressivité que ceux-ci ne manquaient pas de sentir. Ils m'appa-
raissaient inconsciemment comme les opprimeurs des faibles que nous
étions, les enfants et moi. L'interprétation tendancieuse peut aussi
être trop optimiste : le malade désire vivement des signes de progrès
ou de guérison et... l'analyste aussi. La complicité des deux fait voir
dans un rêve « fabriqué » à cet usage, ce qu'on désire ardemment y
trouver. Un patient homosexuel rêve qu'il voit deux grosses femmes
jouer très bien de la musique (le jeune homme est musicien) et par
contre, il cherche à pénétrer analement un homme, squelettique et
répugnant et, finalement, y renonce. A la fin du rêve, il refuse de suivre
des camarades qui veulent l'entraîner et s'aperçoit avec étonnement
que ceux-ci ne lui manquent pas, et qu'il est bien mieux seul. Mon
patient, très pressé de guérir, y voyait là un signe que non seulement
il pouvait se passer de l'amitié des hommes, mais que les rapports
physiques avec eux le dégoûtaient, donc il allait cesser de les désirer.
Entraînée par ce bel optimisme, j'ajoutai que pour la première fois,
dans ses rêves, quelque chose de bon venait des femmes, si laides
qu'elles fussent, et je laissai complètement de côté toute la partie néga-
tive, de culpabilité, dans ses rapports masculins. Elle se montra bientôt,
dans une séance ultérieure, où j'apparaissais d'ailleurs sous les traits
du juge qui enlève et « soigne » (à la manière forte !) les enfants qui
s'adonnent aux drogues dangereuses. Chez ce grand narcissiste, l'homme
squelettique était une projection de lui-même, puni de cette façon
ERREURS DES APPRENTIS ANALYSTES 303
la ruse n'est pas si grossière, et plus d'une fois je me suis aperçue que
mon patient m'avait emmenée loin de ses résistances, alors qu'il était
trop tard pour revenir sur une interprétation. Le plus souvent c'est en
me montrant sous les traits d'une femme bonne, douce, ayant toutes
mes caractéristiques physiques qu'il tentait de m'empêcher de me
retrouver dans un adjudant grincheux ou une vieille femme punitive
et ridicule. De même que l'on peut patauger longtemps dans les relations
pénibles et compliquées des patients avec leur entourage (mère, père,
mari, etc.) tant qu'on n'a pas compris qu'il s'agissait d'une manoeuvre
identique, destinée à noircir les proches, pour « blanchir » plus complè-
tement l'analyste. Ainsi les rapports positifs, rassurants, sont préservés.
De même,- j'ai mis longtemps à comprendre que les impulsions de géné-
rosité d'une obsédée couvraient une forte agressivité orale et anale
fortement refoulée ou même déplacée sur la personne de Dieu. En
effet, si coupable qu'elle se sentait dans ses fantasmes blasphématoires,
elle avait fini par dire qu'elle s'attaquait aux puissants car elle risquait
moins de leur faire du mal. En fait, surtout, Dieu étant immortel,
elle ne risquait pas de le tuer. Pour la même raison, elle s'attaquait
aux morts, tandis qu'elle prenait un luxe de précautions pour éviter
de me faire une peine même légère... Dans tout ceci, le rodage, le flair
des analystes rompus aux exercices subtils d'un sens « paranoïaque » du
transfert sont irremplaçables. Même quand le médecin a perdu cette
gêne à se mettre en cause qui vient d'une imparfaite liquidation des
défenses contre l'exhibition et la crainte de ses réactions de contre-
transfert, il lui reste un manque d'aisance et de sûreté qui ne dispa-
raîtra qu'avec le métier.
Une règle utile mais pas absolue est celle qui consiste à observer
l'ordre chronologique à rebours, c'est-à-dire à analyser le matériel actuel
avant celui du passé, à se référer aux éléments de plus en plus anciens,
plutôt que de plonger sans transition dans la petite enfance du sujet.
Ceci s'applique surtout à un genre de zèle décrit plus haut qui .consiste
à suggérer des associations au sujet, à interpréter à tout prix, et à vouloir
aller trop vite. Il m'est arrivé d'interpréter un rêve qu'un jeune homme,
présentant une inhibition au travail intellectuel, m'avait apporté après
trois mois d'analyse, directement sur le plan oedipien. Il s'agissait
d'une voiture appartenant à son père, que ce dernier conduisait fort
mal dans le rêve. Dans la réalité, le jeune homme en avait « hérité »
parce que son père se trouvait trop vieux pour conduire. Mais j'avais
tout simplement oublié que le rêve qui ridiculisait son père et même
pouvait le mettre en danger, n'était pas dénué d'angoisse, et que, s'il
ERREURS DES APPRENTIS ANALYSTES 305
renforcer une résistance (« si elle ne le dit pas, c'est qu'elle est choquée,
c'est que c'est tabou »).
Je me suis aussi souvent demandé si une interprétation qu'on est
obligé de répéter souvent n'affaiblit pas son action, quel que soit le
sujet. Le ton de doute vient de ce que j'ai utilisé la méthode qui consiste
à interpréter par exemple une résistance ou un comportement réaction-
nel typique aussi souvent que l'occasion s'en présente, avec des succès
variables. Parfois le malade « réalisait » et, soit répétait mon. interpré-
tation comme si elle venait de lui, soit tout simplement montrait qu'il
avait vraiment enregistré en liquidant son symptôme ; mais parfois
aussi, j'avais l'impression qu'il se paraît de cette interprétation comme
d'un ornement et cela finissait par faire un impressionnant attirail,
mais nullement utile à son progrès. Une étiquette fait un excellent
bouche-trou et nos patients ne demandent qu'à utiliser tout ce que nous
leur présentons à cette fin. Il est .bien évident que le moment de récep-
tivité optima est impossible à déterminer par des recettes, et que c'est
peut-être là plus que dans tout autre domaine, qu'on s'aperçoit à quel
point la psychanalyse est un art.
J'ai mis un paragraphe pour l'interprétation dynamique d'un
matériel statique car elle permet parfois d'obtenir la mobilisation
d'actions figées, comme gelées, chez des patients au Moi très faible
devant leurs pulsions. Je l'avais bien appliqué au matériel des analyses
infantiles, en permettant aux enfants d'animer les personnages de leurs
dessins et de leur modelage, mais ce n'est que beaucoup plus tard que
j'eus l'idée, après Aime Dolto, de l'appliquer aux adultes, avec des
résultats intéressants.
Ainsi, je comparerai un rêve apporté il y a trois ans par un malade
schizoïde qui avait un matériel très pauvre, à celui apporté par une
jeune femme hystérique et frigide depuis peu, il y a quelques mois.
Le premier rêve qu'un homme est assis près de son ht et le regarde
tristement. Aucune association, aucun commentaire ne me permet
de savoir ce que ce rêve signifie. Je sais que son père a été souvent
malade, mais ce n'est même pas lui qui me l'a dit. Il faudra plusieurs
mois pour qu'il se mette à faire des rêves mouvementés, où un homme
le poursuivra et le menacera, alors que je crois que j'aurai pu écourter
cette période en l'incitant à animer cette image immobile. Le deuxième
est fait par une femme très malheureuse avec un mari sadique et qui
venait de se réfugier dans la défense passive de la frigidité. Elle voit
une pièce très large où elle se trouve seule. Une large baie vitrée la
sépare d'un endroit sombre où brillent quelques points rouges. Ce sont
ERREURS DES APPRENTIS ANALYSTES 309
des yeux de loups. De temps en temps, l'un d'eux saute sur la vitre et
menace ma patiente de sa gueule ouverte. Peu ou pas d'associations
sinon que les loups lui rappellent des voyous d'un autre rêve, voyous
qui étaient associés à son mari.
Je lui demande à quoi sert la vitre. — Elle dit que c'est un rempart
fragile contre le loup. Je lui dis alors : « Supposons que le loup saute
très fort contre la glace, et la brise... qu'arriverait-il ? » (à noter que le
rêve n'était que très modérément angoissant, ce qui m'a permis de
briser ainsi une défense déjà « fragile »), la patiente répondit vivement :
« il bondirait à travers la brèche et me dévorerait », puis, un temps
d'arrêt : « peut-être se blesserait-il aux éclats de verre ». Elle ajouta
que le verre était froid et coupant, puis partit sur son mari et l'attitude '
III. — STRATÉGIE
religions, promis aux hommes après la mort. Mais depuis que, selon le
mot de Nietzsche, Dieu est mort, ou plutôt, dirions-nous plus véridi-
quement, s'est affaibli sous le poids des ans, des réformateurs sociaux
ont projeté le paradis sur terre, bien que toujours dans l'avenir, sous
forme de sociétés nouvelles où l'égalité régnant enfin, tous les hommes
seraient heureux.
Le problème qui se pose à notre temps, où un monde nouveau
semble en gestation, est par suite le suivant : jusqu'à quel point est-il
possible — mieux que par les anciennes religions — cette fois par des
institutions sociales nouvelles, de modifier, d'améliorer la nature de
l'homme, le « gorille lubrique et féroce » de Taine, afin de faire régner
sur terre concorde et bonheur ?
Et c'est ici que l'ethnographie, alliée à la psychanalyse, peut projeter
sur la sociologie quelques lueurs.
Des ethnographes ont été sur le terrain étudier d'autres formes que
les nôtres de sociétés. On connaît les belles observations de Malinowski
sur les Trobriandais, chez lesquels il séjourna des années. Il crut
pouvoir inférer de l'étude de ces sociétés matrilinéales, où l'oncle
maternel tient économiquement la place du père, l'absence, dans ces
tribus, du complexe d'OEdipe, et l'on sait le parti que nos réformateurs
surent tirer de ces travaux. Tel Wihelm Reich dans Der Einbruch der
Sexualmofal. Par ailleurs, Freud, Jones, s'opposèrent à ces conclusions
et montrèrent que le complexe d'OEdipe des petits Trobriandais
n'était que déplacé sur l'oncle maternel.
Depuis, Géza Rôheim alla séjourner, des années aussi, chez les
Papouas, puis chez les Arandas d'Australie centrale et put établir, par
ses observations si nourries de faits, la présence du complexe d'OEdipe
jusque dans les tribus qui nient, en apparence, la paternité réelle du
père, attribuée aux mythiques churungas, phalliques symboles des
ancêtres.
La signification de la scène primitive et de ses diverses modalités
pour modeler la psychosexualité et la psychosocialité des diverses
tribus que Rôheim put étudier, a aussi corroboré pleinement les
316 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Toujours est-il que, parmi nous, les dits civilisés, la façon dont, sur
le plan collectif, les hommes cherchent périodiquement à se débarrasser
de l'oppression des pères, .ne semble pas infirmer le caractère oedipien
du psychisme humain.
Des peuples reconnaissent, des siècles durant, l'autorité d'un chef,
prince, roi, empereur. Les sujets sont loyaux, le servent, obéissent à ses
commandements, à ses défenses. Mais voilà qu'au cours des siècles leur
soumission diminue sous des facteurs divers : privations, misère,
défaites, qu'ils lui attribuent plus ou moins justement ; instruction,
clartés plus grandes permettant de juger le chef. Un meneur conduit le
peuple à l'assaut, renverse le chef, parfois on le tue. Le peuple s'acclame
lui-même, il proclame bruyamment sa liberté. Mais du sein du peuple a
émergé un nouveau chef, ou celui qui mena l'assaut, ou quelque autre.
Il s'arroge le pouvoir à son tour, le peuple se soumet au héros de sa
liberté, sans voir que ce faisant il s'aliène cette liberté même. A la
révolution succède la restauration, à la horde des frères révoltés, une
nouvelle horde du père. Car le père, quoi qu'on fasse, ressuscite
toujours, il s'avère immortel.
Et la dure autorité paternelle, sous cette nouvelle forme, n'est pas
supprimée. Elle engendre à nouveau la révolte des opprimés, 'à laquelle
il n'est pas d'autre contre-attaque de la part du père ressuscité qu'une
oppression renforcée. L'agression n'a pas disparu de la face du monde,
et l'État qui, suivant Marx et Engels, devra mourir de sa belle mort
dans le paradis terrestre à venir, est loin d'être encore mort...
mort, il n'écrivit plus que deux opéras : Le comte Ory en 1828 où l'on
trouve quelques-unes des plus élégantes et charmantes mélodies qu'il
ait jamais écrites et Guillaume Tell, également composé en 1828, mais
représenté seulement en 1829. Nous avons déjà fait mention de cette
oeuvre et du fait extraordinaire que, juste un an après la mort de la
mère du musicien et alors que celui-ci n'était âgé que de 37 ans, cet
opéra marqua la fin de sa carrière de compositeur d'opéras. Bien des
années plus tard, en 1842, à la fin de la dernière répétition du Stabat
Mater, Rossini s'esquiva, s'affala sur une chaise' et contemplant le
portrait de sa mère accroché au mur, fondit en larmes.
Toute sa vie durant Rossini prisa, à l'exemple de sa mère. Le code
suivant lequel il lui apprenait l'échec d'un de ses nouveaux opéras nous
offre un amusant exemple de leur excellente entente. Il se contentait, en
pareil cas, de lui envoyer le dessin d'un flacon (fiasco). Décrivant un jour
sa mère à l'un de ses amis, il dit qu'elle portait sur son visage une expres-
sion de douceur véritablement angélique et Toye conclut : « Le sentiment
le plus poignant que connut jamais Rossini fut, sans doute possible, son
adoration pour sa mère. .»
Rossini se maria deux fois, d'abord en 1822, avec Isabelle Colbran,
322 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Toutes les études qui peuvent être lues sur cette question apportent
des enseignements théoriques très riches, mais à vrai dire ne four-
nissent aucun critère pratique pour déceler les Moi forts, ceux qui jus-
tifient le traitement analytique. Freud dans l'article cité plus haut a
lui-même été très pessimiste sur les possibilités de prévision d'un Moi
fort. Reich dans son livre sur L'analyse du caractère montre comment
l'analyse du caractère c'est-à-dire des mécanismes de défense intégrés
à la structure caractérielle met en évidence « l'armure caractérielle »
des sujets, indice des Moi forts. Mais son livre extrêmement riche
d'aperçus techniques ne nous apporte pas de grand secours pour l'ana-
lyse clinique du Moi fort. Anna Freud (4), dans Le moi et les mécanismes
de défense distingue deux types de structure du Moi dans les névroses :
dans l'un l'angoisse est liée à la peur du Surmoi ; le Moi est fort, l'analyse
est indiquée. Ce sont ces cas où le masochisme moral, par culpabilité
oedipienne est au premier plan de la dynamique de la névrose. Dans
d'autres cas l'angoisse est d'origine instinctuelle ; le Moi est submergé
LES INDICATIONS DE LA PSYCHANALYSE 331
par le Ça. Il est faible. L'analyse a peu de chance de réussir. Nunberg (5)
a longuement étudié la force et la faiblesse du Moi : il les définit en
fonction de deux critères, le narcissisme et la sensibilité au déplaisir.
Mais ses conclusions sont très négatives car ces deux facteurs à la fois
renforcent et affaiblissent le Moi. Le narcissisme en effet est un facteur
de force du Moi qui grâce à lui résiste à l'agression ; mais dans cette
même mesure le Moi narcissique sensible à toute blessure, est affaibli
par la moindre atteinte vécue comme agressive. De même la sensibilité
au déplaisir du Moi est un facteur ambigu dans l'étude de sa force :
un Moi fort doit en effet ressentir le moindre déplaisir comme signal
anxiogène ; mais sa sensibilité est en même temps une preuve qu'il ne
le supporte pas.
Ainsi ce remarquable article de Nunberg, malgré son très grand
intérêt théorique, n'apporte pas d'arguments cliniques vraiment utili-
sables dans la différenciation des Moi forts et des Moi faibles. Nous vou-
drions citer ici quelques lignes extraites de l'article de Nacht (6) sur
le rôle du Moi dans la thérapie : « Un Moi fort est celui qui n'a pas peur
des pulsions émanant de l'inconscient élémentaire, qui se laisse pénétrer
par elles pour laisser les unes s'épanouir et se réaliser lorsqu'elles sont
compatibles avec le principe de réalité ; les autres — celles qui sont en
contradiction avec ce principe — il'les transformera en vue de leur
adaptation relative à la réalité. En outre, la force du Moi se mesure à la
résistance dont il est capable de faire preuve en cas d'insatisfaction
pulsionnelle ou de déplaisir. Cette réceptivité physiologique devant
l'inconscient lui permet de renforcer constamment sa structure par
l'appoint renouvelé de l'énergie vitale représentée par le courant des
pulsions. Un Moi fort semble donc destiné à devenir de plus en plus
fort. Le Moi faible par contre, craintif devant les pulsions, cherche de
plus en plus à se protéger contre elles, comme si elles devaient le mettre
en danger... » Ces quelques notations sur la définition du Moi fort
invitent encore à tenter d'en préciser les critères cliniques. En l'état
actuel, il nous paraît seulement possible de présenter quelques
tableaux cliniques au cours desquels le Moi nous a paru spécialement
faible et l'analyse souvent incertaine dans ses résultats.
BIBLIOGRAPHIE
Une bibliographie complète des ouvrages traitant des indications et contre-
indications de la psychanalyse ne saurait être présentée.
Ici seront citées les références directesutilisées au cours de l'exposé ci-dessus.
(1) LOEWENSTEIN (R.), Le traitement psychanalytique des troubles de la
puissance sexuelle chez l'homme. Revue française de Psychanalyse,
t. VIII, n° 4, 1935.
(2) REICH (W.), Charakter Analysis, Org. Institute press, New York.
(3) FREUD (S.), Analyse terminée et Analyse interminable, Revue française de
Psychanalyse, 1939.
(4) FREUD (A.), Le moi et les mécanismes de défense (trad. Anne BERMAN),
Presses Universitaires de France, Paris.
(5) NUNBERG (H.), Practice and Theory of Psychoanalysis, Nervous and mental
disease monography, N. Y., 1948.
(6) NACHT (S.), De la pratique à la théorie psychanalytique, Presses Universi-
taires de France, Paris.
(7) GUEX (G.), La névrose d'abandon, Presses Universitaires de France, Paris.
(8) KLEIN (M.), Psychoanalysis of children, The Hogarth Press, Londres.
(9) FENICHEL (O.), The psychoanalytic theory of neurosis, Norton, N. Y. (Trad.
française à paraître aux Presses Universitaires de France.)
Intervention de M. F, Pasche
sur les indications
et contre-indications
de la. psychanalyse
(i) Un conflit peut être dit : pathologique, s'il est à la fois méconnu du sujet quant à ses
sources, stérile, nocif et douloureux.
336 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
effet, quelle que soit l'origine d'une névrose, c'est le désaccord actuel du
sujet avec soi qui le définit essentiellement comme névrosé. Celui-ci
lutte contre lui-même et c'est pour triompher de lui-même, rétablir la
paix en lui-même qu'il fait appel à la psychanalyse classique. C'est dire
que celle-ci n'a pas de raison d'être chaque fois qu'il s'agit soit d'un
conflit avec le milieu, soit d'une anomalie de conduite sans conflit
véritable. En d'autres termes la technique classique consistant à analyser,
dans le transfert, les divers affrontements, « pulsion-défense », il nous
faut écarter tous les cas où la défense est absente ou négligeable.
Si les malades psychosomatiques d'Alexander le sont devenus du fait
de la société, ils ne doivent pas être traités selon la méthode classique
— Alexander nous le montre bien en appliquant une méthode toute
différente. Ceci est également vrai pour le tuberculeux en évolution si,
comme nous le croyons, ce sont les traitements réellement infligés par
l'objet qui le livrent à l'infection.
Quant aux conduites qui révèlent un accord parfait entre le « moi »
et les pulsions et qui procurent ainsi des bénéfices primaires substantiels
de tous ordres, on ne voit pas très bien sur quoi le psychanalyste pourrait
s'appuyer pour changer un patient qui, malgré les apparences et ses
protestations, ne lui demande guère plus qu'une attestation de bonne
volonté à produire aux proches ou à la société. C'est évidemment le cas
de nombreux pervers catalogués, non de tous, mais aussi de parasites
nantis, de riches oisifs, de « mauvais caractères », de maîtres-chanteurs
familiaux auxquels il est trop avantageux de s'en tenir à la même
politique-pour en changer jamais.
En un mot l'absence de conflit ou la seule existence d'un conflit
entre le sujet et son milieu contre-indiquent la psychanalyse classique.
Il faut noter que l'anamnèse quand elle nous révèle des traumatismes
réels, intenses et prolongés suffit à nous faire prévoir de faibles défenses.
Ce ne sont pas les seules contre-indications, les autres nous appa-
raîtront en répondant à la deuxième question.
Que peut-il recevoir du médecin ? Nous avons vu plus haut que le
malade ne peut tirer profit de la cure que s'il souffre d'un conflit dont
il est le siège, il faut ajouter maintenant qu'il doit aussi, déjà, en être le
témoin point trop partial afin de pouvoir en devenir l'arbitre. Il ne faut
pas qu'il soit tout entier divisé, il doit rester en quelque sorte au-dessus
du combat, en dehors, aux côtés du psychothérapeute. Disons plus
prosaïquement qu'il doit comprendre les interprétations de celui-ci. Le
psychanalyste est un miroir, un écran, mais si le malade peut y projeter
ce qu'il veut, il doit néanmoins entendre correctement les sons émis
INDICATIONS ET CONTRE-INDICATIONS DE LA PSYCHANALYSE 337
reste pour nous une inconnue et demeure toujours une inconnue dans
l'étude psychosomatique.
Freud a parlé de « saut ». Les tentatives auxquelles nous assistons
de localisation du « sautoir » n'empêchent nullement qu'à nos yeux
— mais je souligne cette forme de compréhension par nos yeux — il y
ait quelque chose qui ressemble à un « saut ».
On voit en effet la névrose, on voit le problème somatique, on
voit encore l'énergétique commune, mais on ne voit pas très bien com-
ment s'établit le passage d'une qualité d'énergie à l'autre. On s'en
passe en thérapeutique ; le hiatus est toutefois indéniable et fait poser
la question : « Ne peut-on pas dire qu'il existe une névrose et des
céphalalgies ? »
Poser cette question c'était cependant, apparemment, essayer de
séparer ce qui était joint, c'était tenter de ramener à une conception,
disons-le, dualiste, ce qui était uni. X
Or, et c'est là surtout que le problème prend de la valeur, les
travaux du Docteur Nacht qui va jusqu'à parler de masochisme « orga-
nique », ont montré bien avant que je ne m'intéresse aux études psycho-
somatiques, une façon de voir à laquelle je me range entièrement.
Le Docteur Nacht nous rappelle d'ailleurs dans un de ses exposés
sur la médecine psychosomatique, que « l'influence freudienne a sup-
primé le concept de dualité psyché et soma » et le mot et est en italique
dans son texte.
La réponse que je fis au Docteur Nacht fut ce jour-là, d'ailleurs,
aussi curieuse que la question posée, puisque exprimée en ces
termes : « Oui, au fond, on pourrait dire qu'il y a une névrose et des
céphalalgies. »
On peut, je crois, en conclure qu'existe là, dans cette querelle sans
objet, un piège, une difficulté, soulignée certes depuis lontemps, mais
relativement mal approfondie et qui, pourtant, mérite de l'être.
Cette difficulté réside, pour moi, tout d'abord dans un problème
capital de vocabulaire, de langage, ensuite dans un problème personnel
à l'esprit de chaque observateur.
Nous allons essayer de voir les choses de façon plus précise à l'aide
d'un exemple clinique classique, celui de l'ulcère de l'estomac.
Lorsqu'on examine un ulcéreux, on est en présence de quatre
ordres importants de faits : ' -
I) Des faits d'ordre social. Ils sont dans la situation familiale de
l'enfance, et la base même de la genèse de la névrose. Ils constituent.
LE PROBLEME PSYCHOSOMATIQUE 34I
I
Il est inutile, je crois, d'insister sur le rôle de la fonction visuelle au
moment capital du stade du miroir et sur l'importance que l'individu
conférera dès lors à ce qu'il croira être la preuve de la réalité des faits,
alors qu'il ne s'agira que d'une représentation, d'une image entachée
d'illusion et d'erreur.
La disparition de l'objet du champ visuel, qu'il soit le sein, la mère,
les matières fécales, le pénis, l'objet d'amour, reste une des bases
essentielles de la névrose aux divers stades de son évolution et, en même
temps, de sa genèse. La croyance en la participation de l'individu au
monde sur le mode objectai visuel révélé à partir du miroir est un fait
capital dont Lacan a montré les modalités.
Passé ce stade, le fait d'accepter l'existence d'une réalité non visuelle
revient sans doute, inconsciemment, pour la majorité des hommes, à
nier l'exactitude de leur corps, à le minimiser ou à en accepter le
morcellement.
Je crois qu'en ce point se situe un obstacle que nous ne franchissons
jamais complètement et qui constitue un des foyers de la non-accepta-
tion de la réalité des relations psychosomatiques.
Lorsqu'on examine, en effet, dans une perspective d'ensemble, les
divers domaines scientifiques et qu'on juxtapose leurs objets on est
frappé par une différence essentielle dans la qualité respective de ces
objets, celle de la possibilité de leur représentationvisuelle, schématique,
graphique, sous une forme autre que celle du langage écrit, encore plus
rigide que le discours, dont pourtant nous connaissons déjà la dange-
reuse inflexibilité.
Dans certaines études physiques ou chimiques, par exemple, les
images, les schémas gardent toute leur valeur, et correspondent si
exactement à la réalité de l'objet qu'ils visent, qu'il est possible d'aller
jusqu'à prévoir ce que sera la confrontation de deux objets, leur mou-
vement d'ensemble, à savoir le rapport physique ou le composé
chimique. La bombe atomique était ainsi connue avant d'exister.
Dans les études biologiques, aussi élémentaire que soit leur objet,
l'unicellullaire par exemple, toute image, tout schéma, toute représen-
tation graphique n'a déjà plus qu'une valeur très réduite. L'objet, la
cellule, est devenu lui-même mouvement, fonction, ensemble de
LE PROBLEME PSYCHOSOMATIQUE 347
par exemple.
Le travail consiste à étudier l'objet, l'unité, la forme spatiale en
cause, l'oeil si nous voulons, d'un point de vue morphologique statique,
puis fonctionnel, puis analytique de ses unités constituantes et des mou-
vements, des fonctions qui intéressent ces dernières, puis des relations
de l'oeil avec l'unité supérieure, l'individu particulier dont l'oeil est un
des constituants. Il s'agit, bien sûr, de découpages artificiels mais chaque
découpure, chaque partie, correspond à une image définie, anatomique
d'abord et secondairement physiologique.
Les rapports de l'unité principale : l'oeil pour l'ophtalmologie avec
ses unités constituantes et avec l'unité supérieure qu'elle constitue en
partie, est l'objet essentiel de l'étude.
Jusqu'à présent, les sciences se basent donc sur des objets volumé-
triquement définis et sur les rapports entre ces objets, rapports de
cellule à tissu, de tissu à organe, d'organe à homme, entité spatiale. Je
dis tout de suite que le fait de remplacer le mot organe par le mot
fonction ne change rien aux difficultés narcissiques de l'observateur.
Mais la psychosomatique, qui englobe d'ailleurs les objets d'étude
de la psychanalyse, se présente sous un aspect différent de celui des
sciences que nous avons énumérées tout à l'heure.
En effet, si elle consiste en partie dans l'étude du somatique, des
instincts et de ce que nous avons appelé les infrastructures du ça, elle
s'étend de l'autre côté, à travers le psychisme, jusqu'aux rapports de
l'individu avec une partie du monde extérieur.
Or, ni le psychisme, ni le monde extérieur ne reposent sur des
objets limités dans l'espace, et notre tendance à rechercher systéma-
352 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
III
J'irai vite en ce qui concerne le troisième point.
Devant la maladie, les sciences médicales ont une position a priori
différente selon qu'il s'agit de la médecine dite générale, de la psychiatrie
classique, ou de la médecine psychosomatique.
La maladie est toujours considérée en dernière analyse, c'est-à-dire
inconsciemment d'emblée pour l'individu, comme la perte d'un objet
résultant du morcellementdu corps. Nous voyons là la liaison étroite avec
les formules narcissiques que nous avons envisagées.
La médecine classique prend, devant la maladie, l'attitude de
rechercher un facteur pathogène extérieur à l'individu malade. La
maladie est le résultat d'une attaque venant du dehors, causée par des
agents physiques, chimiques ou biologiques, dont le niveau évolutif est
toujours inférieur au niveau évolutif de l'homme.
La psychiatrie classique a deux attitudes :
La première est celle de la médecine générale : l'agent extérieur
crée le désordre fonctionnel ou lésionnel qui sous-tend la maladie
mentale et en reste la cause.
La seconde prend le mouvement en sens inverse, dans une pers-
pective évolutive : l'organisation sociale est pathogène et crée la maladie
mentale mais l'ensemble reste cantonné dans un domaine dont le corps
semble exclu.
La médecine psychosomatique est habituellement conçue comme
dérivant de cette seconde attitude psychiatrique. Le point de départ
est émotionnel (et l'émotionnel naît du social), et la maladie, la régression,
va jusqu'à atteindre le corps de l'individu dans son fonctionnement puis
LE PROBLEME PSYCHOSOMATIQUE 355
RÉSUMÉ
BIBLIOGRAPHIE
DUCHÊNE (H.), Rapport de Discussion, Section VI, Premier Congrès Mondial
de Psychiatrie, Paris 1950, Hermann & Cie, éd., 6, rue de la Sorbonne,
Paris.
FREUD, Essais de Psychanalyse, Payot, Paris, éd.
FREUD, Métapsychologie, Gallimard, Paris, éd.
LACAN (J.), Le stade du miroir comme formateur de la fonction du « Je »,
Revue française de Psychanalyse, oct.--déc. 1949.
LOEWENSTEIN (R.), Des pulsions vitales ou somatiques, Rev. fr. de Psych.,
janv.-mars 1950.
NACHT (S..), Introduction à la Médecine Psycho-Somatique, L'Évolution
psychiatrique, 1948, fasc. 1.
MARTY (P.), Aspect psychodynamique de l'étude clinique de quelques cas de
céphalalgies, Rev.fr. de Psych., 1951, n° 1.
Discussion à propos de l'exposé
du Dr Pierre Marty
Intervention de Mme MARIE BONAPARTE
On n'échappe pas au narcissisme La psychosomatique elle-même
!
Intervention de M. HELD
Nous félicitons chaudement le Dr Marty pour sa belle conférence
et pour la subtilité avec laquelle il a su monter du terrain clinique
spécialisé, que nous connaissons surtout par notre pratique hospitalière
vieille déjà de plusieurs années, jusqu'aux sommets les plus vertigineux
de la connaissance en tant que telle. Nous l'avouons sincèrement :
jusqu'ici nous n'avions guère envisagé l'application au domaine de la
médecine psychosomatique d'une méthodologiequi s'avère si nécessaire
quand on aborde les grands problèmes de la biologie et de la psychologie
aussi bien concrète qu'analytique dans leurs aspects épistémologiques.
Dès lors on peut se demander si, pour reprendre le titre même de
l'exposé qu'on vient de nous faire, les difficultés narcissiques rencontrées
par l'observateur en psychosomatique ont une spécificité propre ou s'il ne
s'agit là que d'un fait d'ordre très général. Or il semble bien que dans
les sciences réputées les plus exactes apparaissent des difficultés iden-
tiques. Bien rares sont les théories, les expériences, où n'intervient pas
l'affectivité du sujet observant, et singulièrement son narcissisme.
Dans la théorie des nombres (existe-t-il des êtres mathématiques
DISCUSSION A PROPOS DE L'EXPOSÉ DU Dr PIERRE MARTY 359
Intervention de M. A. HESNARD
Puisque M. Marty (qui mérite tous nos compliments pour le
brillant parti qu'il a tiré de sa détection, du préjugé narcissique chez
l'observateur de l'objet psychosomatique), a revendiqué, derrière ses
audaces philosophiques, sa fidélité à la clinique, c'est en clinicien que je
formulerai une observation : ainsi que je l'ai rappelé au Congrès des
Aliénistes de Rennes et dans un travail paru récemment dans les
Cahiers de Psychiatrie de Strasbourg, une confusion existe au sujet de
la médecine psychosomatique. Il est des maladies courantes, ressor-
tissant indiscutablement à la pathologie générale, qui succèdent à une
accumulation de causes déprimantes, à des facteurs affectifs tels que les
deuils, les échecs surtout, à des circonstances morales accidentelles, et
cela chez des individus qui n'ont jamais manifesté antérieurement de
névrose ni même de « constitution » névrotique ou de « caractère »
névrotique. Non seulement parce que la Clinique l'affirme, mais que,
lorsqu'ils sont soumis à une analyse approfondie, on ne reconstitue chez
eux aucun autre conflit que ceux qu'il est possible de trouver, parfai-
tement supportés, chez les sujets dits normaux.
Il est cependant, chez ces individus, des facteurs génétiques de la
nature de ceux qu'étudie la psychanalyse. Mais, lorsqu'on peut les
déceler (ce qui est parfois impossible), ils remontent à une période
extrêmement précoce du développement — comme certains traumas,
chocs ou événements perturbateurs du comportement dans les mois
(ou même jours) qui suivent la naissance. La pathologie digestive est
particulièrement riche en faits de ce genre. N'étant pas fixées par la
mémoire des images, ce sont des conduites somatiques ou viscérales
qui démontrent par leur reviviscence chez l'adulte (apparemment
normal) leur nature psychique. Donc l'irréalité du dualisme Psyché-
Soma, survivance mythique du dualisme métaphysique Ame et Corps.
Je me suis trouvé, à l'occasion de la récente réunion des psychanalystes
de langue française, entièrement d'accord à ce sujet avec notre collègue
de Londres, Mme Macalpine, dont l'expérience porte d'ailleurs surtout
sur les dermatoses. Elle m'a signalé d'autres cas dans lesquels la maladie
physique est une sorte de langue organique qui exprime les conflits
acquis actuels de l'adulte, et cela en l'absence de toute névrose classique
et en particulier de tout signe pouvant faire parler de conversion
hystérique.
Ce langage du corps, tantôt ayant un sens par rapport aux conflits
actuels, tantôt ayant perdu son sens passé (datant d'une époque végé-
362 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
toute valeur pour le sujet, qui l'abandonne aussitôt. Ainsi Dora tousse
parce que, en toussant, elle imite son père atteint d'une affection pul-
monaire : Je suis la fille de papa, j'ai un catarrhe comme lui... (1). Elle
souffre d'une appendicite, mais la prétendue appendicite avait ainsi
...
réalisé un fantasme d'accouchement... (2). Elle se plaint d'une névralgie
faciale droite, et cette pseudo-névralgie équivalait donc à une auto-
punition, à un remords au sujet de la gifle donnée jadis à M. K... (3).
Ainsi les symptômes corporels apparaissent-ils comme un effet dont le
conflit serait la cause, mais il serait plus correct de dire : l'amour ne
cause pas à proprement parler sa toux, celle-ci exprime symboliquement
le fait qu'elle aime son père d'une certaine façon. Plutôt que d'un
rapport de cause à effet, il s'agit d'un rapport d'expression (signe) à
sentiment (signifié), d'un rapport compréhensible, et si « conversion » il
y a, elle apparaît comme celle d'une expression en une autre expression.
Il y a bien certes l'inflammation des bronches ou la fièvre de l'appen-
dicite, mais Freud ne soutient pas qu'il y ait, là non plus, rapport
causal; dans un cas l'origine avait certainement été un insignifiant
...
catarrhe réel... (4) dans l'autre la fièvre fut alors organique, due,
...
par exemple, à l'une de ces fréquentes influenzas sans localisation par-
ticulière... (5).
L'observation d'un malade atteint d'ulcère gastrique ou d'hyper-
tension essentielle est, on en conviendra, difficile à rapprocher d'un
semblable cas. La résistance du syndrome au traitement est en effet
très différente : alors qu'une psychanalyse est longue, le traitement
psychosomatique souvent est relativement abrégé ; alors que la dispa-
rition du symptôme est immédiate dans l'hystérie de conversion lorsque
le refoulement cesse, celle du trouble psychosomatique est progressive,
parfois longue à se produire, susceptible de rechutes et d'aggravations
temporaires. A de telles différences devant le traitement doivent
correspondre de profondes différences de structure : ainsi le symptôme
psychosomatique peut-il disparaître complètement sans avoir révélé
aucune signification compréhensible. Les publications psychanalytiques
donnent à ces problèmes des solutions ambiguës, parfois même contra-
dictoires : on soutiendra ici que le vieux dualisme esprit-corps est
dépassé, mais on continuera à utiliser là le mot « conversion » qui
Nous venons de voir qu'il était difficile de définir ce que nous appe-
lons maladie psychosomatique, sans être obligés de la situer d'emblée
par rapport au trouble à la fois psychique et corporel que nous connais-
sons le mieux : l'hystérie de conversion. Pouvons-nous tenter de ramener
à ce type pathologique relativement bien élucidé tous les troubles
psychosomatiques ? Non, et les différences de structures que laissait
prévoir le comportement différent des symptômes devant le traitement,
Alexander nous les confirme : Certaines émotions se trouvent écartées de
la conscience, par suite d'un refoulement ; les excitations nerveuses qui
leur correspondent ne pourront s'exprimer telles quelles par la voie
normale qu'est l'activité volontaire ; elles emprunteront néanmoins
(sous une forme différente) ces mêmes voies de l'innervation volon-
taire, des mouvements d'expression et des perceptions sensorielles.
Nous parlerons alors d'hystérie de conversion. Mais si ces impulsions
réprimées et déviées viennent à modifier, stimuler et inhiber les fonc-
tions végétatives (empruntant alors le système nerveux autonome)
nous parlerons de syndrome psychosomatique. La distinction est claire
et satisfaisante, et nous ne pourrions reprocher à son auteur que de ne
pas l'avoir utilisée davantage en la systématisant. Cela lui eût permis de
mieux distinguer les syndromes psychosomatiques d'autres structures
pathologiques voisines, et, nous le verrons plus loin, d'alléger son livre
d'éléments tout à fait étrangers à son objet. Alexander, constamment
préoccupé par la recherche des contenus spécifiques, ne souligne
pourtant pas un fait important : l'hystérie de conversion exprimerait,
dans la règle, un conflit génital, oedipien, donc relativement tardif dans la
vie de l'individu, tandis que les troubles organiques résulteraient plutôt
de fixations pathogènes prégénitales, donc plus archaïques. Il s'agit
(1) On remarquera notamment que la traduction française est préfacée par un derma-
tologiste, le Dr DE GRACIANSKY.
368 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
bien là de contenu spécifique, et, qui plus est, du seul peut-être qui ne
soit pas contesté. Alexander le connaît d'autant mieux qu'il est le
premier à l'avoir noté ; il l'a écrit par ailleurs, regrettons qu'il n'y fasse
pas allusion dans son chapitre « Hystérie de conversion, névroses
d'organes, et troubles organiques psychogènes ». En parler l'eût peut-
être amené à nous faire remarquer ceci qui nous semble très important :
l'hystérie de conversion, nous le verrons plus loin, est une conduite ;
pour qu'il y ait conduite à proprement parler, il faut d'une part une
maturité suffisante du système de relation, d'autre part que l'organisme
forme un tout différent de la somme de ses parties organiques. Ce fait
permettrait, dans l'histoire de l'individu, de situer la constitution des
structures psychosomatiques avant le stade du miroir de Lacan.
(1) Angel GARMA, cité et discuté par M. FADT, Revue française de psychan., 1951, n° 3, p. 352.
372 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(I) F. Pasche aboutit à des conclusions analogues à propos des tuberculeux pulmonaires,
voir référence, n. 2, p. 382. P. Marty a tenté d'établirentre gastritiques et ulcéreux une distinction,
'dans leurs comportements respectifs qui correspondrait, pensons nous, à une variation quan-
titative du besoin de dépendance par rapport aux mécanismes de défense. (Communication
au Congrès de Psychiatrie de roso.)
(2) Il est à remarquer aussi que la maladie psychosomatique, en obligeant l'entourage à
prodiguer soins et attentions, satisfait le besoin de dépendance plus que ne ferait la névrose,.
« LA MEDECINE PSYCHOSOMATIQUE » D'ALEXANDER 373
se trouve pas tout à fait dans le psychique qui devait la contenir exclu-
sivement : elle est finalement dans une coïncidence, dans la rencontre
par hasard de deux éléments hétérogènes, l'un psychique, l'autre
somatique. S'il en est ainsi, ce livre écrit pour montrer l'existence d'une
médecine psychosomatique, démontre au contraire son inexistence de
fait en tant que discipline originale. Cela n'est pas très satisfaisant, et
Alexander l'a senti : l'essentiel du fait psychosomatique qui n'est ni
dans le psychique, ni dans le somatique, ne serait-il pas dans l'arti-
culation de l'un sur l'autre ? Une phrase le laisse espérer : « La spéci-
ficité du fait psychosomatique réside dans un trouble de la division du
travail du système nerveux. » Mais cette petite phrase qui pouvait
contenir la solution du problème, reste sans suite. La métaphore
mécaniciste qu'elle représente laisse supposer que cette particularité
essentielle se situerait plutôt dans le' domaine physiologique (ce qui
contredit à nouveau l'hypothèse de départ). Cette division du travail
résulte-t-elle d'une malformation anatomique, congénitale, du système
nerveux (ce qui, après tout, ne serait pas absurde) ou bien est-elle
fonctionnelle et acquise, et dans ce cas comment et pourquoi ? L'opti-
misme d'Alexander en ce qui concerne les résultats thérapeutiques
inclinerait à choisir la deuxième hypothèse, mais tout cela, il faut le
dire, est dans notre pensée, non dans le livre.
•
(1) ll est entendu cependant que les « agressions » du milieu doivent être comprises dialec
tiquement : elles peuvent être le sens que l'organisme donne à l'action du milieu quand celui-ci
-répond à sa propre agression.
(2) Article cité plus haut.
(3) F. PASCHE, Cours (inédit) sur, la médecine psychosomatique.
37^ REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
...
tatives consiste dans le trouble de la division du travail du système
nerveux » (p. 57). Le travail, les conducteurs, les fils mal isolés, les
courts-circuits, tout cela n'est que métaphore ingénieuse certes, mais
dont il convient de se méfier : entraînés loin des significations, de la
compréhension, bref de la psychologie, faisons-nous pour autant de la
bonne physiologie ? Ce n'est pas certain. Quant à la synthèse espérée,
mieux vaudrait avouer qu'elle n'est pas encore à notre portée, si toutefois
elle doit l'être jamais.
Contentons-nous donc de rassembler les éléments solides dont nous
disposons, ils sont peu nombreux, mais suffisants comme base de
travail. Il y a d'abord les faits indiscutables : certains syndromes
présentent une évolution qui apparaît nettement liée aux fluctuations de
la vie affective du sujet. Ces syndromes, toujours atténués par les
traitements pharmacodynamiques, le sont aussi par la psychothérapie.
Le mécanisme de ce dernier effet thérapeutique ne répond pas, dans la
règle, à celui de la psychanalyse classique au cours du traitement des
névroses ; il ne s'agit donc pas de névroses au sens freudien du terme.
Pas plus que nous ne comprenons le mode d'action de ces psycho-
thérapies, nous ne savons ce qu'elles doivent être (Alexander, celui des
élèves de Freud qui les connaît probablement le mieux et les pratique
avec succès ne le sait pas lui-même ; dans le cas contraire, il nous
l'aurait expliqué, mais il n'y a réussi ni dans son livre, ni dans ses
conférences plus récentes, ni au cours d'entretiens particuliers).
Nous savons aussi, de plus, que les syndromes psychosomatiques
proprement dits, les seuls devant être considérés comme tels, ne
concernent pas les organes de la vie de relation, mais seulement les
viscères ; ils se limitent donc strictement aux territoires sous la dépen-
380 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Cette tendance répond au besoin qu'a la médecine moderne de reconstituer de grandes
synthèses, en réaction à cette diversification a l'infini des syndromes qui caractérisa les progrès
(considérables) de la médecine depuis le XIXe siècle. Exprimer ce besoin de synthèse en termes
d'immunologie (l'allergie) en termes d'histopathologie (maladies du collagène) ou en termes
d'endocrinologie (le syndrome général de l'adaptation) revient sensiblement au même : ce que
nous dirons ici à propos de l'allergie, pourrait se traduire aussi bien selon la terminologie de
Selye. H nous semble cependant que le concept d'allergie exprime plus clairement le phéno-
mène de la sensibilisation paradoxale spécifique, conséquence des expériences antérieures du
sujet. Selye parlerait là de modification du stress en rapport avec les « antécédents de stress »
du malade, notion beaucoup moins élucidée.
PSYCHANALYSE ' 25
382 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) On peut soutenir, par exemple, que l'allergie se ramène à l'anaphylaxie, ou qu'il s'agit
par contre, de deux phénomènes différents. Cette notion d'allergie n'a pas trouvé sa place
définitive entre celles d'immunité et d'anaphylaxie; l'expérimentation animale vient aussi
quelquefois contredire la pathologie humaine. Une théorie cellulaire et une théorie humorale
s'opposent encore.
(2) R.. MELCHIOR, Allergie et troubles vasomoteurs de la muqueuse nas. et sinus., Acta.
medica belgica, p. 36.
(3) Ouvr. cit., p. 19.
384 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
variables, mais que jamais l'un des deux groupes ne pouvait suffire à tout expliquer. 11 est à
remarquer, en ce qui concerne les facteurs acquis, que le social n'intervient pas seulement sous
la forme significative ou sous celle de conditionnements montés durant la vie de l'individu,
il habitue aussi l'organisme à certaines conditionsde vie. Il est probable en effet que le « confort »
de la civilisation moderne, tendant à diminuer constamment les efforts d'adaptation, il s'en
suive chez ses « bénéficiaires » une exagération de la sensibilité, de la réactivité de leur système
de régulation chargé du maintien de l'homéostasie : on sait que des animaux élevés dans une
étuve à 360 ne résistent pas au moindre refroidissement. Melchior cite le fait que des Japonais
sont dans une proportion notable sensibles au rhume des foins en Californie, alors que cette
affection est pratiquement ignorée dans leur pays, en présence des mêmes allergènes. Melchior
y voit une influence climatique ; peut-être est-ce également une conséquence du changement
dans les conditions de vie.
Premiers résultats d'une enquête
concernant la psychanalyse
par SERGE MOSCOVICI
stagiaire au C. N. R. S.
REMARQUES MÉTHODOLOGIQUES
(1) Le terme de sujet » implique par trop les idées d'expérience, d'individualisation et de
«
pureté psychologique pour qu'il puisse être employé dans l'étude des opinions.
388 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
deux études ont été entreprises selon cette méthode : celle de K. Mer-
ton [4] et celle du Social Science Research Council [5]. Méthodologi-
quement la façon de procéder dans ces deux recherches est sujette à
critique. Toutes deux n'ont pas tenté autre chose qu'une combinaison
de techniques. Dans la première, le sondage est soumis à l'enquête libre
et ne sert qu'à vérifier la nature de certaines hypothèses. Dans la seconde,
•
les deux techniques mesurent indépendamment le même univers d'opi-
nion. Or, le problème n'est pas de mesurer la même opinion par deux
voies différentes, mais : a) D'éclaircir les conditions d'une même ques-
tion objet d'opinion ; b) D'analyser toute la gamme de manifestations
de cette opinion en tant qu'interaction psycho-sociale. Dans la première
alternative les deux séries de résultats sont combinées et dans la seconde
ils sont convertis. Pour que les deux techniques n'en forment qu'une,
toute combinaison des résultats implique nécessairement leur conver-
sion, et il est certain que leur poids relatif dans tel ou tel aspect d'une
question n'est pas le même.
C'est cette unification qui a constitué une des préoccupations
méthodologiques constantes de notre recherche ; il ne fait pas de doute
pour nous que dans l'étude des problèmes psycho-sociaux cette méthode
deviendra d'un usage beaucoup plus courant.
-
Le lecteur ne doit pas croire que l'introduction de la méthode
intensive signifie un retour à la libre fantaisie et à l'intuition vague de
l'enquêteur. Qui dit méthode intensive dit méthode qualitative et
quantitative. A la fois rigoureuse et féconde elle nous permet d'enrichir
nos connaissances — malgré certaines critiques qu'on serait en droit de
lui faire quant à la fidélité et à la validité des résultats — sans les
subjectiver.
Au rapport mécanique et artificiel d'objet-informateur à objet-
enquêteur tel qu'on le rencontre dans les enquêtes par sondage, elle
substitue un rapport plus concret objet-sujet, mais où l'enquêteur
maîtrise les « médiations et les motivations » [6] qui interfèrent dans
la situation et les analyse.
L'intuition dans la mesure où elle intervient s'annonce comme une
démarche intellectuelle rapide qui permet de comparer le cas indivi-
duel à des rapports généraux et ceux-ci à celui-là ; les éléments de cette-
intuition doivent être nets (choisis) et opérationnellement définis.
c) La population sur laquelle porte l'enquête dont la publication
des résultats fait l'objet du présent article est constituée par des étu-
diants de l'Université de Paris.
L'échantillon ,pour l'enquête libre a été de 140 et pour le sondage
390 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
Sexe H. F. H. F. H. F. H. F.
(1)Le sondage a été effectué par 4 équipes d'étudiants en Psychologie sociale dirigées par
3Ime Vollmann et par MM. Hurtig, I,achouque et Vhichon.
392 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
RÉSULTATS DE L'ENQUÊTE
I. — Connaissance de la psychanalyse
a) Source des connaissances. — On affirme couramment que presque
tous les étudiants font connaissance avec la psychanalyse en classe de
Philosophie. Pourtant ceci n'est pas certain, car nombreux sont ceux
qui s'y intéressent avant, et la littérature ou les spectacles leur enseignent
la conception freudienne plus tôt. Le- sondage nous montre que les
études sont indiquées comme source du contact le plus significatif
avec la psychanalyse seulement dans 46 % des cas. En ordre décrois-
sant viennent : la conversation (22 %), la littérature (17 %), les spec-
tacles (9 %) et la presse (9 %).
Si parmi les étudiants en lettres ou en médecine, les études viennent
(1) Nous ne voulons pas dire par cela qu'elle est formulée n'importe comment, mais simple-
ment que nous lui avons donné la forme la plus objective possible, sans prétendre, ainsi qu'on
le fait d'habitude, que cette formulation est la formulation objective.
RESULTATS D' UNE ENQUETE CONCERNANT LA PSYCHANALYSE 393
devenue, pour le public visé par l''enquête, une « image sociale », objet
d'opinion, au même titre que le relativisme, le communisme, etc.
Les termes qui ont une fréquence sociale assez grande ne sont pas
ceux qui expriment un principe fondamental dans la psychanalyse
— par exemple conflit, malgré sa fréquence linguistique générale —
mais ceux pris et « refabriqués » par celle-ci, contenant un fort élément
de situation sociale : complexe, refoulement, etc.
Fig. n° 4
rapport aux autres (27 %) montre le plan double sur lequel on situe
l'analyste et l'ambiguïté à son égard. Dans la plus grande partie de ces
images (55 %), toutes deux sont positives ; néanmoins, on trouve
dans 31 % des cas une image idéale positive associée à une image
réelle négative et vice-versa, et dans 14 % toutes deux sont négatives.
«
Images ° réelles
Images ° idéales
Images Images neutres
i jumelées
Positives Négatives Positives Négatives Réelles Idéales
27 % 19 % 9 % 38 % 4 % 11 % 2 %
Fig. n° 5
puissante qui lui fait saisir le côté intime de l'analysé, tandis qu'entre
l'analysé et l'analyste les seuls rapports sont des rapports verbaux.
Entre ces deux niveaux, l'un qui traduit la pénétration de l'analyste
et l'autre la défense de l'analysé, il y a une solution de continuité, le
passage de l'un à l'autre n'étant guère perçu.
Cette contradiction dans la perception des relations entre l'analyste
et l'analysé se traduit par les résultats fournis par les réponses aux
trois questions suivantes :
I) La position de l'analyste par rapport à celle de l'analysé est-elle
celle d'un :
io,5 % 37 % 29 % 23,5 %
3) Le contact entre l'analyste et l'analysé est-il :
33 % 31 % 36 %
28-30 o % 34 % 66 %
25-27 24,5 - 24,5 - 51
22-24 32 - 33 - i 35 -
19-21 47 - 36 - 17 -
Fig. n° 6
Population totale o % - 5 % 44 % n % o % 40 %
Hommes
Femmes
.
o-
o-
8-
4- 51-
34-
5-
15-
0-
o-
36 -
47 -
Fig. n° 7
Raisons
. ...
„Curiosité ,
Refus
personnelles
F... 34 % 52 % 14 %
Seul H... 37 - 24 39
34
48 I3 _ 39
Marié
F •• 25 25 ~ ' 50 ~
H __ 50 _ l6 _
Fig. n° 8
Hommes 64 % 45 %
Femmes ....
64 %
36 - 55 - 36 -
Fig. n° 9
Il semble donc que ce sont les étudiants qui vivent seuls qui mani-
festent le plus le désir de se faire analyser pour des raisons personnelles.
Ces résultats nous permettent également de supposer que les besoins,
en l'absence de tout fait probant sur la valeur d'une opinion diffusée,
peuvent se substituer à celle-ci. De plus, une preuve négative ne change
410 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) Il
y a lieu de souligner ici que l'opinion concernant l'analyse est étroitement condi-
tionnée par l'opinion (ou plutôt le préjugé) sur ceux qui se font analyser. Parce que le besoin de
se faire analyser vient dans les cas où il y a échec, le recours à l'analyse est identifié à un aveu
de faiblesse. On estime qu'il faut résister à la nécessité de se faire analyser. Celte résistance n'est
pas motivée individuellementniais socialement. C'est une « résistance d'orgueil ». On veut bien
croire que l'analysé peut faire « peau neuve », mais on préfère que ce soit la peau des autres.
RÉSULTATS D'UNE ENQUÊTE CONCERNANT LA PSYCHANALYSE 4II
suivante : tandis que l'analyste est assez souvent vu comme un médecin,
la psychanalyse n'est pas vue comme une partie de la médecine ou
comme ayant des relations étroites avec celle-ci.
Si le but thérapeutique est indiqué dans 53 % des réponses pour le
questionnaire intensif (et 53,8 % pour le sondage), il n'en reste pas
moins que d'autres buts métaphysiques, scientifiques, doctrinaux, peu-
vent être assignés à la psychanalyse.
Ce manque d'opposition au rayonnement de la doctrine psychana-
lytique ne veut pas dire absence d'opposition à sa diffusion par n'im-
porte quel moyen. Sa vulgarisation est considérée comme de loin beau-
coup plus dangereuse que la vulgarisation de tout autre courant, et cela
à cause du pouvoir qu'on lui attribue de déclencher des projections à
caractère névrotique. Dans le milieu étudiant, ce ne sont pas tant les
films que certaine revue ou les livres de certains auteurs qui sont
estimés dangereux. Les films, la presse ou les émissions radiophoniques
sont jugés simplement déformants.
L'utilisation des concepts analytiques dans la critique littéraire,
l'essai biographique, la poésie, l'art, est mal vue, et rencontre une
adhésion réservée. Souvent ce n'est pas la théorie analytique qui est vue
comme « nocive » mais-sa propagation par des agents peu qualifiés. Cette
opposition a encore une raison précise : le caractère « sexuel » de l'expli-
cation analytique. Le rôle du facteur sexuel dans la doctrine freudienne
est assez méconnu (32 %) et généralement repoussé par ceux qui le
reconnaissent. (« On exagère le rôle de la sexualité »)' ou bien l'argumen-
tation suivante est avancée : « Même si cette explication — par la,
sexualité — est la plus vraie, elle n'est pas la meilleure. » Meilleure doit
être pris au sens d'utilité sociale. Certains étudiants dans les branches
artistiques expriment leur crainte qu'elle ne stérilise la personnalité
(à cause du rôle de la sublimation : « Baudelaire aurait-il existé s'il avait
été analysé ? »)
- L'opinion n'est donc pas toujours une connaissance vague ou un
rejet de la vérité, mais aussi une reconversion croissante de celle-ci
en termes de finalité sociale, c'est-à-dire un déplacement du terrain
sur lequel on fonde son objectivité. Un tel déplacement ne s'attaque
nullement aux termes mais à leur relation, et nous pouvons dire que
l'opinion qui se forme à partir d'un contenu qu'on qualifie de scienti-
fique ne consiste pas tant dans la modification des termes de ce contenu
que dans celle de' leur relation. Pour cette raison, nous serions peut-être
en droit de dire que les analystes qui cèdent à la tentation du « subjec-
tivisme » ou du « moralisme » pour des raisons philosophiques ou reli-
412 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(I) Il faut croire, ou du moins espérer, que l'analyse « hiérarchique », pour emploj'erl'expres-
sion de J. Stoetzel, qui a été développée par Guttman, apportera une solution à l'étude de
l'intensité des attitudes et des opinions.
PSYCHANALYSE 27
414 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
directe. Nous croyons pour notre part qu'un tel procédé n'est pas
toujours heureux, car on fait appel à une projection trop directe, et
parfois cela provoque des réponses-standard qui ne correspondent pas
au jugement, lequel, lorsqu'il s'agit de prendre une décision, objective
la réponse subjective.
Un petit essai que nous avons fait a montré, au moins dans le cas
de l'opinion que nous étudions, qu'il est préférable, pour connaître
l'attitude, de questionner sur l'efficacité de l'objet plutôt que sur la
position directe à son égard.
Nous avons posé à 892 étudiants la question suivante :
Croyez-vous que la psychanalyse puisse modifier la personnalité ?
oui, non, sans opinion.
Si oui : en mal, en bien.
Les résultats ont été :
Oui Oui Oui Oui
(sans qualifications) (en mal) (en bien) (en bien et en mal)
6 % 10 % 26 % 17 %
Refus
Non Sans opinion de répondre
26 % 10 % 5 %
/o
La comparaison des résultats du sondage avec les réponses à la
question libre : la psychanalyse est-elle utile et efficace ? Pourquoi ?
montre qu'il s'agit en réalité de l'appréciation de l'efficacité de la
psychanalyse. La dispersion des résultats fait ressortir qu'il n'y a pas
une attitude cristallisée envers la psychanalyse, et la cause de ceci, il
faut la chercher dans la méconnaissance par le grand public des résul-
tats qu'elle a obtenus.
Se fait-on dans la population étudiante une opinion unique sur la
psychanalyse ? Tout ce qu'on peut conclure, c'est que ni les différences
statistiques ni les différences qualitatives ne sont significatives, et que
les écarts rencontrés ne sont que des variations autour d'une même
opinion.
Nous avons essayé de brosser avec les résultats obtenus un tableau
de la représentation qu'on se fait de la psychanalyse. Tableau forcément
incomplet, car de nombreuses données d'ordre théorique et des corré-
lations entre facteurs restent à analyser. Les résultats sont-ils fidèles ?
La comparaison des diverses épreuves nous permet de penser qu'ils le
r
RÉSULTATS D'UNE ENQUÊTE CONCERNANT LA PSYCHANALYSE 415
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Willey, 1947.
Le psychodrame selon Moreno(l)
par ARMAND MULLER (Lausanne)
devenir, les autres n'ont pas même besoin de faire cet effort. Une armée
de Philistins chargeait Samson. On l'admirait et or» le craignait sans
raison. Il n'est pas plus fort que nous, puisque tout n'est qu'une question
de complexes, de cheveux longs. Chacun est capable de se laisser pousser
les cheveux. »
Ce ton satirique et don quichottiste, Moreno le cultive tout au long
de son exposé, et alors même qu'il se fait fort d'annoncer l'imminent
déclin de la psychanalyse, on chercherait en vain dans son ouvrage un
chapitre où l'auteur s'attacherait à réfuter systématiquement les thèses
des psychanalystes. Sa réfutation se borne à affirmer la valeur de sa
théorie psychodramatique du comportement humain. Dans un accès de
générosité il avoue que la psychanalyse peut rendre quelques menus
services dans une infime minorité de cas. Car pour le reste, le psycho-
drame est là ! Il suffit.
On peut affirmer, après avoir lu l'aventure singulière du psycho-
thérapeute Moreno, que ce génie bientôt universellement reconnu,
puisque d'après lui ses méthodes et ses théories sont insensiblement
assimilées par les psychanalystes eux-mêmes, on peut affirmer que dès
avant sa naissance il était destiné à embrasser la carrière du psychodrame.
A l'âge de 4 ans 1/2 Moreno montrait déjà ses dispositions de futur
psychodramaturge : ses parents habitaient une maison sise au bord
du Danube bleu. Le petit Moreno, profitant de l'absence prolongée de
ses parents, invita un jour ses camarades à venir jouer avec lui, dans sa
maison. Au milieu d'une pièce vide se trouvait une grande table de
chêne et notre futur psychodramaturge proposa aux enfants de se
joindre à lui dans un jeu qu'il intitulait : Dieu et ses anges. Toutes les
chaises disponibles de la maison furent amenées dans la pièce, et
entassées les unes sur les autres par-dessus la table, elles représentaient
les différents niveaux menant au Paradis céleste. Il y avait une dernière
chaise située à la hauteur du plafond. Le petit Moreno y grimpa aidé
de ses camarades qui, plus modestes, se contentèrent d'occuper les
sièges réservés aux anges du paradis. Les enfants se mirent à chanter et
à battre des ailes avec leurs bras. Au bout d'un moment l'un d'entre
eux s'écria : pourquoi ne voles-tu pas Moreno ? Moreno tendit les
mains en avant et se retrouva bientôt sur le sol avec un bras fracturé. Ce
fut sa première séance privée de psychodrame où il jouait à la fois le
rôle de directeur et de sujet.
Sans vouloir attacher trop d'importance à cette expérience très
suggestive du point de vue psychanalytique, elle illustre bien cette
tendance à la domination qui se retrouve chez la plupart des esprits
LE PSYCHODRAME SELON MORENO ' 419
LE SUJET
On lui demande d'être lui-même. Le patient dramatisera sa vie
quotidienne avec une facilité relative. Il jouera son rôle selon l'inspi-
ration du moment. Deux facteurs sont ici d'une importance capitale :
la spontanéité et la dramatisation. Le sujet invente un rôle, reproduit
une scène du passé, joue un problème du présent, recrée sa vie sur
scène ou dramatise des épreuves futures.
On donne également au patient la possibilité de confronter les
personnages qui participent à ses exploits mentaux. Ces personnes
peuvent être réelles ou fictives. La mise en train psychologique du
malade est stimulée par des moyens divers : la présentation de soi, le
soliloque, l'interpolation d'une résistance,. le renversement des rôles,
l'électro-choc, etc.
La situation psychodramatique exige un maximum d'engagement
vis-à-vis d'autres sujets et objets.
422 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
LE DIRECTEUR
LE PUBLIC
se révèle sur scène avec ses qualités et avec ses défauts, avec sa gaucherie,
et son extravagance. La spontanéité est source de catharsis, de libération
intérieure de tensions intolérables. La spontanéité permet une décharge
affective, elle permet au sujet-acteur d'aller au centre du problème qui
le préoccupe.
Tout l'effort de Moreno porte sur une rééducation de la spontanéité.
Car la spontanéité, si elle libère le sujet de ses conflits en lui facilitant
une. extériorisation de sa vie affective perturbée, est en même temps une
force créatrice. Il existe une relation très étroite entre la spontanéité et
l'acte créateur. Pour Moreno Dieu est la forme même de la spontanéité.
C'est en se fondant sur l'idée du « moment » créateur que Moreno. base
sa démonstration de l'existence de Dieu. L'existence de Dieu apparaît
comme une forme a priori du facteur s (s = spontanéité).
Il est toutefois surprenant d'apprendre par la bouche même de
Moreno, que la spontanéité est indépendante de l'intelligence. Moreno
base cette constatation sur l'expérimentation d'un test de spontanéité
ainsi que sur l'observation du jeu de ses sujets pendant l'action psycho-
dramatique. Des études statistiques font ressortir le fait que l'augmen-
tation du facteur s n'entraîne pas forcément une augmentation du Q. I.
Cette constatation s'impose, mais Moreno n'en donne aucune explica-
tion valable. Comment le pourrait-il lui qui, au lieu d'analyser objec-
tivement les caractéristiques de la spontanéité, son étiologie, sa portée
psychologique actuelle et présente, comment le pourrait-il, lui qui fait
de la spontanéité un mystérieux facteur s donné a priori, une force
rendant compte de l'activité créatrice se manifestant non seulement sur
le plan psychique, mais également sur le plan somatique comme chez le
nouveau-né, par exemple, qui organise la croissance de son corps, de
ses organes vers leur nouvel usage en faisant appel à ce mystérieux
facteur s, responsable du processus d'adaptation auquel l'enfant est
obligé de se soumettre à chaque nouvelle étape de son évolution.
Comment Moreno pourrait-il éclairer notre lanterne, puisqu'il se
préoccupe davantage de savoir si le facteur s se rencontre chez l'animal
et comment il est possible de le concilier avec les principes delà conser-
vation de l'énergie ; puiqu'il fait de son facteur s le pendant de l'élan
vital qui a fait la gloire de Bergson.
Le méli-mélo métaphysico-scientifico-religieux de Moreno est la
conséquence de ce geste dicté par l'amour-propre et le besoin de
grandeur qui le fit rejeter en bloc toute la théorie psychanalytique
patiemment élaborée par d'authentiques savants. Moreno n'est pas un
savant; en lisant son ouvrage, un mot nous hante à chaque fin de
424 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
chapitre... Car il est tout de même singulier que dans cet ouvrage qui
se veut scientifique et échafaudé sur un matériel expérimental considé-
rable, n'apparaisse pas un seul cas de malade dont il nous aurait donné
l'anamnèse détaillée et complète, un seul cas soigneusement analysé et
commenté qui pourrait servir à nous orienter dans ce dédale d'idées
extravagantes. C'est tout l'inverse que l'on constate chez Freud et ses
disciples. Ici la théorie explicative s'offre comme une interprétation aussi
rationnelle et rigoureuse que possible, de toute une série de faits
expérimentaux.
Moreno met la charrue devant les boeufs, et dès les premières pages
de son traité donne libre cours à ses impulsions icono'clastes, renversant
effrontément ces dieux freudiens auxquels il se compare sans leur
ressembler le moins du monde d'ailleurs.
Et il n'y a rien de plus démoralisant que de devoir prendre au
sérieux l'argumentation d'un monsieur si présomptueux, si sûr de lui
qu'il nous donne l'impression de rééditer une nouvelle Bible mosaïque
devant laquelle une seule attitude demeure possible, l'attitude du oui
et amen-merci avec trois génuflexions.
Si Moreno avait essayé d'intégrer ses découvertes à la théorie
psychanalytique freudienne, il n'aurait pas eu de peine à comprendre
les mécanismes psychologiques qui rendent compte de la signification
dynamique de la spontanéité dans le jeu dramatique.
En effet, l'exhortation à la spontanéité renouvelée à chaque instant
du jeu par le directeur de théâtre thérapeutique, reproduit assez exacte-
ment l'exhortation du psychanalyste qui demande au malade d'associer
spontanément les idées lui traversant l'esprit. L'association spontanée
d'idées sur le divan analytique, est le pendant de l'action spontanée sur
une scène de théâtre psychodramatique. Cette disposition particulière
de l'esprit facilite l'incursion des préoccupations inconscientes dans le
champ de la conscience ; le contrôle qu'exerce la raison raisonnante, la
conscience morale, la peur du qu'en dira-t-on, est réduit à un minimum
dans la mesure où le sujet s'efforce de laisser libre cours à son flux de
pensées et à ses velléités d'action, sans faire intervenir ses facultés de
jugement. Tant que le sujet surveille ses propos et ses gestes, il sera
sous la juridiction du Moi conscient ; dès que la surveillance se relâche,
il se trouvera déjà en partie sous la juridiction des instances inconcientes.
Contrairement aux affirmations de Moreno, le sujet qui verbalise sur
un divan analytique n'est nullement passif dans son comportement. Il
vit les scènes auxquelles il fait allusion. Certes, il les vit en pensée, avec
le concours de son imagination. Mais personnene nous fera croire qu'une
LE PSYCHODRAME SELON MORENO 425
ques telle que le ça, le moi, le surmoi, dans la mesure où des éléments
conflictuels s'insèrent à l'un ou l'autre de ces niveaux psychiques et
viennent perturber l'équilibre général de la personnalité.
La liquidation des conflits affectifs se fait, comme en psychanalyse
normale individuelle, par voie de transfert et d'abréaction. Le directeur
du théâtre thérapeutique et ses auxiliaires créent autant de situations
transférales qu'il y a de rôles à jouer. La situation transférale permet la
reviviscence du conflit et son abréaction (catharsis). L'incursion des
éléments refoulés, source de conflit, dans le champ de la conscience et
dans le champ d'action dramatique, est facilitée par la spontanéité de
l'expression psychodramatique, spontanéité d'association d'actes, de
situations et de souvenirs qui est le pendant de l'association libre,
règle d'or du traitement analytique individuel.
Il faut considérer le psychodrame comme une variante de la psycho-
thérapie de groupe, et à ce titre il mérite l'attention de tous les psychana-
lystes. Grâce à la mobilité des situations transférales et aux possibilités
accrues 'd'abréactions de conflits affectifs, grâce aux stimuli importants
que constituent l'attitude, l'exemple, l'encouragement des participants
eux-mêmes, les psychanalystes devraient envisager, à titre d'essai,
l'éventuelle association des psychothérapies de groupe (le psychodrame
y compris) avec la méthode psychanalytique individuelle classique.
Les Américains semblent avoir enregistré de bons résultats dans
cette voie nouvelle qui s'offre à la psychanalyse.
Le psychodrame est également une méthode d'avant-garde per-
mettant d'augmenter le rendement des oligophrènes et de certains
malades mentaux.
Par contre, la théorie psychologique de Moreno doit être considérée
comme une curiosité intellectuelle, vu les circonstances particulières qui
ont présidé à son édification.
En outre, il est certain que la psychanalyse individuelle est la seule
technique actuellement connue permettant au sujet de pénétrer aussi
profondément dans la compréhension des mécanismes ayant déterminé
son comportement moral, social, intellectuel, spirituel, pathologique.
C'est la seule méthode thérapeutique, c'est également la seule méthode
d'introspection pouvant satisfaire les exigences d'un esprit vraiment
humain, c'est-à-dire désireux de comprendre l'essence des choses ou
ce qui s'en rapproche le plus.
Moreno se glorifie d'opposer à la psychologie de l'enfant telle qu'elle
apparaît chez les behavioristes, les gestaltistes et les psychanalystes, la
conception optimiste, exaltante de l'enfant, dérivée du point de vue le
LE PSYCHODRAME SELON MORENO 429
PSYCHANALYSE 28
Compte rendu du IXe Congrès annuel
de l'« American Psychosomatic Society »
(Chicago, 29 et 30 mars 1952)
par le Dr PAUL LABBÉ, Clinical Assistant
(Université d'Illinois, Département de psychiatrie, Chicago)
Deux cents à trois cents médecins venus de tous les coins des États-
Unis et du Canada ont passé à Chicago deux des premières journées
de ce printemps. ïls ont discuté avec sagesse, science, et passion aussi,
des relations réciproques du Corps et de l'Esprit vues à travers une
quinzaine de communications scientifiques.
H. K. Fischer, H. Freed, C. Orchinik ont exposé, en premier lieu,
le résultat de leurs recherches de Psychochirurgie. Dans la ligne de la
chirurgie fonctionnelle du système nerveux central inaugurée, il y a
déjà quinze ans, par Egaz Moniz, avec ses interventions sur le cortex
frontal, ces chercheurs ont effectué des destructions électives de cer-
taines structures du Diencéphale. Le plus souvent, il s'agissait du noyau
dorso-médian du thalamus et ou de la partie latéro-postérieure de
l'hypothalamus. Leur technique consiste à atteindre les régions inté-
ressées, sous le contrôle d'un appareil stéréotaxique, à l'aide d'aiguilles
à électro-coagulation.
Les malades qui ont été soumis à ce traitement ont été étudiés
pré- et post-opératoirement à de nombreux point de vue, afin d'obtenir
une documentation aussi multidimensionnelle que possible : tests
d'intelligence et de personnalité, examen clinique par un psychiatre
et un neurologue, E. E. G., épreuves fonctionnelles du système nerveux
végétatif, telles que réflexe oculocardiaque, épreuve à l'atropine de
Danielopolu, etc.
Malheureusement, la documentation recueillie par ces méthodes
et les résultats thérapeutiques obtenus jusqu'à présent, sont très
variables et, si nombre de patients ont bénéficié indubitablement de
ce traitement psychochirurgical, celui-ci n'a pas encore acquis le degré
de prédictibilité requis pour son application en dehors de l'expéri-
mentation.
COMPTES RENDUS 431
pendant des périodes de trois à six ans par la stérilité dite fonctionnelle
de leur mari et l'insuccès de fécondations artificielles. Il s'agit pour les
deux partenaires, d'un problème psychologique compliqué qui résulte
réellement de multiples interactions entre eux et qui constitue un réel
cercle vicieux. Cet état de choses a pu cependant être fortement amélioré
par un traitement psychothérapeutique intensif.
Le Dr Shapiro, urologue, est intervenu pour rapporter, du point
de vue des maris, deux cas personnels analogues et attirer l'attention
des psychiatres sur les problèmes de la stérilité dite fonctionnelle chez
l'homme. Après l'échec de toutes les thérapeutiques chimiques et
physiques qui ont été proposées pour agir sur la stérilité relative de
l'homme, ces deux clients dont il a pu examiner personnellement le
sperme, ont récupéré leur capacité reproductrice en même temps que
s'opéraient des changements importants dans leur vie.
C'est ensuite S. G. Margolin qui a exposé ce qu'il appelle la Psycho-
thérapie anaclitique, forme de traitement psychosomatique destiné
spécialement aux grands malades organiques chroniques dont les
troubles ont, pour une part importante, une origine émotionnelle :
certains patients souffrant gravement de colite ulcéreuse, d'iléite
terminale, d'ulcère gastroduodénal, d'asthme, etc.
Parmi les facteurs qui ont influencé l'orientation de ses efforts
thérapeutiques, l'auteur a cité, entre autres, la constatation faite depuis
bien longtemps déjà que certains sujets atteints de psychose voient
celle-ci subir une atténuation soudaine ou une rémission à l'occasion
de troubles organiques, le fait que certains malades atteints de troubles
dits psychosomatiques deviennent psychotiques à l'occasion de la
disparition de ceux-ci — disparition spontanée, ou par traitement
médical, ou par hypnose, ou en cours de psychothérapie, ou par enlè-
vement chirurgical de la région symptomatique — le fait que l'examen
psychométrique de certains de ces malades montre parfois un tableau
psychologique identique à celui des malades mentaux atteints de
psychose, le fait que certains de ces patients ont un comportement
souvent extrêmement primitif et infantile, tout cela a conduit l'auteur
à essayer de soigner des grands malades, en s'inspirant des techniques
qui ont été préconisées récemment pour le traitement de certains
schizophrènes et de certains troubles mentaux de l'enfant. Il s'agit de
laisser délibérément s'épanouir les tendances infantiles et passives des
sujets et de s'en servir pour rééduquer ceux-ci rationnellement.
C'est dans ce but qu'on tend à établir la relation la plus étroite
entre le médecin et ses patients. Les soins et traitements, que leurs
COMPTES RENDUS '. 433
exposé, le plus important m'a paru être celui d'Ernest Kris (New York)
rappelant que le traitement psychanalytique constitue un processus
dialectique, où, dans des mesures évidemment fort différentes, le
psychanalyste et son patient s'influencent mutuellement.
L'atmosphère libérale de ce Congrès et les thèmes des discussions
m'ont convaincu de la fécondité et du succès du mouvement psychana-
lytique en Amérique. Loin d'être enfermés dans une tour d'ivoire,
éphémère protectrice d'une orthodoxie que des adversaires incompré-
hensifs auraient voulu voir imposer par S. Freud à ses disciples et
continuateurs, les psychanalystes américains s'efforcent d'apporter le
concours de leurs techniques et de leurs connaissances à leurs contem-
porains pour résoudre les problèmes d'actualité.
LES LIVRES
semble ne pas bien voir que la libération tardive de la virilité incluse que
comporte la ménopause est parfois salutairement ressentie par la femme.
Il traite ensuite du prurit vulvaire, cette affection si pénible qu'elle engendre
parfois des tentations de suicide. Abraham conseillait dans ce cas la psycho-
thérapie. Mais Besold expose que ce prurit s'édifie souvent sur une base orga-
nique, le craurosis vulvae, et qu'actuellement, depuis la connaissance des
hormones, un traitement hormonal approprié en vient vite à bout.
Besold critique ensuite les thèses psychogénétiques relatives à la rétro-
version utérine et aux divers prolapsus. Il dit n'avoir jamais, à ces cas, observé
de facteurs psychogénétiques. Si un prolapsus du col peut simuler un pénis,
le complexe de virilité d'une femme n'est pourtant pas susceptible de l'engen-
drer ! Tout au plus symboliquement d'en profiter. Ici Besold résume succinc-
tement à ce propos un cas de Rickman, celui d'une femme de 26 ans, mariée
depuis six ans qui, à la suite de couches présenta un syndrome complexe de
constipation, d'agression violente pendant le coït et d'éventuelle défécation,
de dyspareumie et de prolapsus uteri, avec descente du col jusqu'à la vulve.
Besold écrit que seul le retour à la normale, la psychanalyse une fois achevée,
l'eût convaincu de l'origine psychogénétique de ce prolapsus. Mais Rickman
ne nous en a rien dit.
Certes, le surinvestissement psychique de semblables cas est fréquent et,
à son tour, le psychique peut agir sur le physique déjà constitué. C'est un
« cercle infernal » dont il n'est pas toujours aisé médicalement et psychana-
lytiquement, de sortir.
De même des douleurs de reins si fréquentes chez les femmes.
Le chapitre des frigidités arrête longuement notre auteur. Il compare ses
propres statistiques, d'après lesquelles 33 % des femmes seraient inadaptées
au coït normal, à celles d'autres auteurs. Puis, il distingue, parmi ces troubles
de la fonction qu'il oppose à l'eupareunie, la dyspareunie, c'est-à-dire le coït
douloureusement ressenti ; l'anaphrodiasie, ou insensibilité totale aux approches
du mâle ; le vaginisme, spasme empêchant tout rapport, la frigidité, terme
qu'il réserve à l'anesthésie vaginale avec conservation de l'érogénéité clitori-
dienne. C'est cette dernière dysfonction, dit-il, qui est la plus fréquente
— ainsi que Freud d'ailleurs l'avait déjà noté.
W. Reich a souligné l'importance de la possibilité orgastique pour la
santé physique et psychique. Kehrer a prétendu que les contractions de
l'utérus seraient à l'origine de l'orgasme, conception contre laquelle s'élève
Besold, les femmes hystérectomisées étant, comme l'on sait, tout aussi capables
d'orgasmes que les autres !
Besold croit que l'orgasme et la sensibilité clitoridienne étant intimement
liées, la masturbation infantile qu'il pense, comme Freud,. essentiellement
clitoridienne dans l'enfance, est indispensable à l'établissement ultérieur de
l'eupareunie. Mais vu « l'allergie populaire » existant encore contre la mastur-
bation, on la pourchasse encore trop, et Besold se rallie pour condamner cette
attitude ascétique aux vues de Schaetzing, exposées en 1950 devant la Société
de Gynécologie de Berlin.
Il signale qu'il semble y avoir d'ailleurs des individus comme des peuples
qui sont amis ou ennemis du clitoris (comme je l'avais signalé dans mes Notes sur
l'excision qu'il semble dans une note en me citant confondre avec l'infibulation).
Puis il cite le travail de Hitschmann et Bergler sur la frigidité, avec les
divers pronostics favorables ou non que ces auteurs posent, suivant qu'elle
est d'origine hystérique ou obsessionnelle.
Il rappelle aussi les observations de Van der Velde et de Kemper et rap-
porte 5 cas traités par lui-même qu'il étiquette ainsi :
LES LIVRES 445
1) Frigidité facultative ;
2) Orgasme clitoridien ;
3) Vaginisme ;
4) Frigidité « pseudo obligate » (je ne comprend pas ce terme) ;
5) Frigidité absolue.
Besold dit avoir guéri ces 5 cas. La première après 3 séances en trois
semaines. La seconde après 8 séances en deux mois. La troisième après deux
mois et demi d'analyse. La quatrième après 4 séances en quatre semaines. La
cinquième après 22 séances en neuf mois. Ce qui donne à penser que Besold
ne fait pas de véritables analyses, mais des « psychothérapies orientées », comme
nous disons, par des connaissances analytiques.
Besold conclut ce chapitre sur la frigidité en observant que les cas favorables
sont ceux où la femme elle-même cherche secours, et non ceux où le mari
l'amène à la cure. Ce qui semble aller de soi ! La solidité du moi est une condi-
tion favorisante. Mais Abraham avait depuis longtemps fait remarquer que les
plus défavorables des cas sont ceux où la frigidité s'édifie sur un complexe
de virilité accentué. Ceci n'est pas pour surprendre, vu l'élément de bisexualité
constitutionnelle alors présent.
L'auteur traite des facteurs psychiques éventuels influençant l'ovulation et
nie que l'orgasme favorise ce phénomène rythmique. Il insiste sur l'indépen-
dance de la fécondité et de l'euparémie. Il étudie ensuite les troubles survenant
pendant la grossesse, vomissements gravidiques et « envies », et les attribue
primitivement à des réactions organiques secondairement surinvesties de signi-
fication psychique. Des auteurs ont prétendu que la façon dont l'accouchement
s'accélère ou se ralentit serait en rapport avec l'érotisme uréthral ou anal, ceci
semble à Besold assez douteux. Il croit par contre à la possibilité de certaines
« grossesses nerveuses » et de la constipation éventuellement engendrée pour
simuler une grossesse.
Quant au traumatisme de la naissance mis en honneur par Rank, il semble
sans rapport, dit notre auteur, avec la présence ou l'absence de propension
ultérieure à l'angoisse ainsi que les cas d'enfants nés par opération césarienne
ou par forceps le démontrent. Les premiers devraient en être libres, les seconds
la présenter au plus haut degré, ce qui n'est pas le cas.
Convient-il, demande alors notre auteur, d'employer régulièrement l'anes-
thésie pour atténuer les douleurs de l'enfantement ? Il pense que l'anesthésie
devrait être réservée à certains cas et non employée indifféremment dans tous
car, vu le masochisme essentiel de la femme, on ne saurait la priver, dit-il, trop
complètement de l'événement douloureux mais éminent dans son existence
qu'est l'accouchement.
Besold traite enfin des psychoses puerpérales, de celles de type schizophré-
nique survenant sur un terrain approprié, puis des mélancoliques. Il rapporte
ces dernières à un désir certes toujours anormal de suppression de l'enfant.
RÉUNIONS ET CONGRÈS
Le gérant : J. LEUBA.
(I) Nous ne discuterons pas ici cette hypothèse, pour ne pas compliquer cette discussion.
Mais il convient de faire toutes les réserves sur cette proposition et sur les phénomènes décrits
sous ce nom, qui contient peut-être en lui-même une antinomie.
TRAITEMENTS D'ENFANTS 455
a une importance plus grande avec les enfants qu'avec les adultes. Notre
collègue argentine expliquait par divers mécanismes que peu d'hommes
se destinassent à la psychanalyse d'enfants.
Mais il nous paraît beaucoup plus important de comprendre pour-
quoi les femmes sont si souvent attirées par ce travail, car les justifi-
cations que l'on trouve à ce fait statistique sont loin d'être satisfaisantse.
Nous ne pouvons affirmer que les éléments personnels facteurs de cette
vocation soient à chaque fois complètement maîtrisés.
Ida Macalpine qui rend bien compte des phénomènes que nous
observons, s'exprime en ces termes : « Tandis que la tâche de l'analysé
est de s'adapter à l'ambiance infantile par régression, celle de l'analyste
est de résister à une telle adaptation. »
Il ne faut donc pas que le désir de s'occuper d'enfants cache celui
de céder précisément à une telle adaptation.
Fenichel pense qu'un mode courant de contre-transfert est de
confondre le passé et le présent. L'étude du langage du psychanalyste
nous paraît très importante pour contrôler ce phénomène. Le texte
des interprétations apporte souvent une justification à l'opinion de
Fenichel. Il faut se méfier des interprétations au présent, prêtant à
l'enfant des pensées actuelles précisément impensables actuellement.
De telles interprétations sont souvent à l'origine du passage à l'acte.
Si l'intemporalité est une caractéristique de l'inconscient sur laquelle
Lacan insiste dans son enseignement, la reconnaissance dans le présent du
passé en tant que tel, est un temps essentiel du traitement et la syntaxe
employé par l'analyste prend avec l'enfant une importance considérable.
Certains psychothérapeutes qui ont comme principe de ne point
donner d'interprétations agissent cependant de même en faisant asso-
cier à leur manière (même au conditionnel) et entraînent dans un monde
fantasmatique non confrontable leur malade à leur suite.
D'autres sous le prétexte d'employer un langage compréhensible
pour l'enfant se servent de tournures infantiles avec excès, et s'identi-
fiant complètement avec l'enfant, rivalisent avec lui sur le plan de la
régression.
Il arrive souvent que l'enfant sollicite le psychothérapeute et lui
demande de jouer avec lui. La neutralité analytique — si elle est réelle
et ne cache pas d'agressivité — n'empêche généralement pas l'enfant
de jouer en attribuant au psychothérapeute un rôle et ce dernier peut
facilement ramener sur un plan strictement verbal le matériel exprimé
sans « jouer le jeu » (Fenichel).
Mais certains jouent avec, l'enfant, interviennent activement et
TRAITEMENTS D'ENFANTS 467
Je vais exposer, dans une première partie, le cas qui est à l'origine
de ce travail. Dans une seconde partie, une étude plus profonde des
facteurs ayant contribué au choix des symptômes somatiques sera
entreprise.
René vient me consulter pour impuissance. Celle-ci est survenue
brusquement il y a trois ans. A cette époque, il avait été l'objet
d'avances amoureuses de la part d'une jeune femme. Après hésitation,
il accepte de la rejoindre dans sa chambre et là, pour la première fois
de sa vie, il lui est impossible d'avoir la moindre relation sexuelle
avec sa partenaire. A partir de ce moment-là, René acquiert la convic-
tion absolue que c'est fini, plus jamais il ne sera capable d'avoir un
coït avec une femme. Il sombre alors dans une attitude dépressive,
coupée de violents accès de colère dirigés surtout contre sa mère.
Les études qu'il a poursuivies jusque-là aisément deviennent extrême-
ment difficiles à mener à bien. Il consulte médecin sur médecin, suit
de multiples traitements, notamment des traitements hormonaux. Il
accuse ces traitements d'avoir provoqué chez lui une excitation anale
qui le terrifie, car explique-t-il, cela prouve qu'il devient pédéraste.
Il avoue alors avec une grande expression de culpabilité et de honte qu'il
se masturbe et que souvent, pour provoquer l'érection, il est obligé de
se livrer auparavant à une masturbation anale.
René a 38 ans. Il est le deuxième d'une famille de trois enfants :
son frère aîné a cinq ans de plus que lui et sa soeur est sa cadette de deux
TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES 469
ans. Il nous décrit son père comme un individu faible et falot, complète-
ment effacé devant sa mère, véritable dragon domestique. De nom-
breuses scènes éclatent continuellement entre ses parents, scènes qui
mettent René dans un état d'excitation nerveuse dont il a extrêmement
peur : « J'ai peur de devenir fou à ces moments-là », et il est pris alors
d'un violent tremblement.
Sa vie sexuelle, telle qu'il me la décrit à cette première entrevue,
se résume en une masturbation qui a commencé vers l'âge de 5 ans
et qui n'a jamais cessé. A 16 ans, il se met à fréquenter les maisons
closes avec assiduité, cela d'ailleurs avec de forts sentiments de culpa-
bilité car il était très religieux à cette époque. Il a également des contacts
avec une jeune bonne qu'emploient ses parents ; cela dure jusqu'à son
service militaire. Il explique que ce choix de partenaires était dû à son
extrême timidité devant les jeunes filles de son milieu. Lors de son
service militaire, il fait la connaissance d'une jeune fille qui devient
sa maîtresse. Cela lui donne grande confiance en lui et apporte une
grande amélioration ultérieure à son comportement et ce, jusqu'à
l'incident survenu il y a trois ans.
René est grand. Il est vêtu avec soin d'une façon très classique. Il est
exagérément poli et déférent, se levant sitôt que je me lève, attendant
en retrait, dans une attitude de profond respect, que j'ouvre la porte
avant de passer. Tous ses gestes recherchent l'estime et l'approbation.
Il a terminé ses études, menées facilement jusqu'à sa maladie,
péniblement par la suite. En principe une situation publique brillante
lui est réservée dans l'avenir.
Un traitement psychanalytique est fixé, à raison de 4 séances par
semaine. Il me demande alors avec beaucoup de gêne s'il pourra se
marier pendant ce traitement et il m'apprend seulement qu'il est
fiancé. Ces fiançailles, d'après ce qu'il en dit, ont été décidées à la suite
d'une consultation médicale au cours de laquelle le médecin l'a assuré
que ses troubles disparaîtraient s'il se mariait. Les vacances suivantes
il a fait la connaissance d'une jeune fille à laquelle il s'est fiancé. Un
nouveau médecin consulté lui conseilla un traitement psychanalytique
et lui déclara qu'il était presque criminel de se marier dans son état, ce
qui provoqua chez René une profonde anxiété. Comme la question de
René tendait surtout à savoir s'il devait rompre ses fiançailles dès à
présent, je lui répondis que tout cela le regardait et qu'il réglerait cette
question comme il l'entendrait.
Les premières séances furent marquées par une longue exposition
des craintes de René : il craignait une impuissance définitive ; il lui
PSYCHANALYSE 31
470 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
semblait d'ailleurs que ses organes génitaux étaient devenus plus petits,
un médecin lui avait dit que ses réflexes crémastériens étaient faibles
ce qui témoignait d'une insuffisance sexuelle. Il mit aussi en avant ses
craintes d'être homosexuel et relata alors un épisode de son enfance :
à l'âge de 10 ans, il avait passé des vacances chez un camarade un
peu plus âgé que lui ; ils avaient eu ensemble des rapports homo-
sexuels à type de coït anal dont le rôle actif était tenu alternativement
par l'un et l'autre partenaire. René se souvenait avec gêne qu'il préfé-
rait le rôle passif. Par la suite, le souvenir de cette préférence l'avait
angoissé et lui avait fait penser qu'il ne serait jamais viril. Il accusa
alors le médecin qui lui avait fait des séries de piqûres, de l'avoir remis
dans cet état. Je lui fis remarquer que c'était lui qui, dans sa relation
avec le médecin en question, avait repris cette attitude et qu'il était
en train de la reproduire avec moi en ne parlant que de son impuis-
sance et de son homosexualité. J'ajoutai que, s'il jugeait nécessaire
d'avoir ce comportement, c'était certainement pour se défendre contre
l'apparition d'une autre attitude qu'il estimait dangereuse en ma
présence. René répondit par une bordée d'injures destinée à son
camarade et au médecin piqueur. Je lui fis remarquer alors que, s'il
affichait consciemment cette conduite homosexuelle soumise, c'était
pour se défendre contre cette attitude plus violente. René déclara
alors qu'il se sentait plus calme depuis qu'il était à Paris, qu'il avait
cessé toute pratique religieuse ; cela lui rappelait le temps de son
service militaire, temps pendant lequel il avait pu connaître la
jeune fille dont il m'avait déjà parlé. Je lui soulignai que, dans les
deux cas, ce calme apparaissait quand il se trouvait éloigné de ses
parents. Après cette remarque, René se souvint de toutes les affres de
conscience que ses désirs sexuels avaient provoquées lorsqu'il était
adolescent. Ces affres revêtaient un caractère religieux : « S'il avait des
désirs sexuels, Dieu le punirait en provoquant des disputes entre ses
parents. » Il ajouta qu'à cette époque il aurait souhaité être impuissant.
Je lui montrai de nouveau comment cette apparence d'impuissance
était destinée à masquer l'agressivité contenue dans la représentation de
ses parents se disputant. A cette époque, il apporta son premier rêve :
« Il est chez lui et fait du feu dans la cheminée, mais le feu prend des
proportions formidables ; il s'efforce en vain de l'éteindre et se réveille
angoissé. » Il exposa alors toute sa culpabilité venant du fait que ses
parents payaient le traitement ce qui devait être pour eux un gros
sacrifice. Il dit alors qu'il se sentait très déprimé et qu'il resterait défini-
tivement impuissant. Je lui rappelai l'interprétation que je lui avais
TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES 4711
qu'il était pédéraste, que c'était moi qu'il aimait, niant par là son amour
pour sa mère et se défendant contre la réaction agressive qu'il avait
ressentie en interprétant mon intervention comme une présence s'inter-
posant entre lui et sa mère. René me raconta alors que, au cours des
altercations fréquentes qui opposaient son père à sa mère, et dont il
était témoin, il ne pouvait plus se contenir : il volait au secours de son
père, l'écartait, et prenant fait et cause pour lui, reprenait la dispute
avec sa mère. A plusieurs reprises ces disputes avaient dégénéré en
échanges d'arguments frappants. Mais, déclara-t-il, c'était pour soutenir
son père et non pour le remplacer. Et de nouveau René déclara se
sentir homosexuel. Dans la rue les hommes le regardaient et s'aper-
cevaient qu'il n'était qu'un pédéraste. Il rêva et même eut des fantasmes
dont le thème était le suivant : « Sa fiancée le trompe, sa fiancée est une
putain qui reçoit des tas d'hommes. » Puis il fit ce rêve : « Le camarade d'en-
fance avec lequel il a eu des relations homosexuelles lui donne un cigare,
René le prend, tout en dissimulant qu'il a dans sa poche un cigare bien
plus gros. » Je lui montrai alors que la mise en avant de ses sentiments
homosexuels était destinée à me démontrer que le désir de remplacer
son père auprès de sa mère était erroné, que ce n'était pas de l'agres-
sivité mais de l'amour qu'il ressentait pour son père. Je lui expliquai
comment son rêve venait le confirmer : recevoir un cigare de son camarade
symbolisait le coït anal qu'il avait pratiqué dans son enfance avec lui et,
dans cette attitude, il préservait son propre pénis à condition de le
cacher, autrement dit en ayant l'air d'être homosexuel et châtré, c'est-à-
dire impuissant. Il me fut facile de lui montrer comment il adoptait
le même système de défense vis-à-vis de moi et que notamment, dans
son rêve, le personnage de son camarade me représentait. J'étayai cette
interprétation en lui rappelant les sensations anales ressenties à la
première interprétation mettant en lumière son désir d'éliminer son
père, sensations reproduisant d'ailleurs une attitude de défense déjà
expérimentée devant d'autres médecins. J'ajoutai en outre que le
cigare qu'il dissimulait représentait le rapt du pénis paternel, et qu'en
résumé, son rêve exprimait toutes les défenses dissimulant son désir
de me châtrer comme il avait voulu châtrer son père ; ce désir était
ressenti comme dangereux car il pouvait entraîner sa castration par
moi, comme il avait craint autrefois d'être châtré par son père. Pour
la première fois, René réagit à cette interprétation par une céphalée.
Par la suite, ce nouveau système de défense prit de l'ampleur et s'ins-
talla dans sa vie courante : il ne pouvait plus lire ni étudier, il se sentait
parfaitement abruti et ne comprenait plus rien, notamment tout ce
TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES 473
que je lui disais. Je lui fis remarquer comment cette attitude avait
succédé à la précédente et combien il était probable qu'elle était des-
tinée au même but ; que d'ailleurs cette défense ressemblait à la précé-
dente avec un déplacement à sa tête : il faisait comme s'il n'avait plus
de tête pour se punir de l'agressivité ressentie contre moi ; mais cette
agressivité réapparaissait dans son symptôme : il réussissait ainsi à
annuler tout ce que je lui disais, rendant ma tête inutilisable. De nou-
veau, je lui montrai que cette auto-punition, tout en satisfaisant ses
sentiments de culpabilité, lui permettait de se protéger d'une punition
venant de moi puisqu'il avait pris les devants. Il me déclara alors avoir
pensé, en me voyant ainsi faire travailler ma tête, que je pourrais bien
devenir fou. C'était un sentiment et une grande crainte qu'il avait
ressentis pendant son adolescence : « Trop penser à des sujets érotiques
devait provoquer la folie. » Il déclara ensuite qu'il mettait en opposition
les connaissances intellectuelles et les pensées erotiques, les unes
détruisant les autres. Je lui demandai alors ce qu'il entendait par
« devenir fou ». C'est, répondit-il, se mettre à faire des choses en dehors
de soi, malgré soi, sous l'empire d'une force étrangère. Je lui montrai,
alors que les connaissances intellectuelles étaient pour lui le symbole
de ce qui venait de l'extérieur, en l'occurrence de moi en ce moment,
et que cela lui interdisait de prendre conscience de ce qui venait de lui,
c'est-à-dire de ses désirs érotiques et de ses réactions agressives. Avoir
mal à la tête c'était, tout en ayant l'air de s'atteindre, une façon de
m'atteindre en atteignant sa fonction intellectuelle. C'était aussi un
moyen de se défendre contre la castration, car la folie telle qu'il la
décrivait représentait une aliénation d'une partie de lui-même, puisque
cette « force étrangère » venait de ses désirs erotiques. La pensée que
je pourrais devenir fou n'était alors que le substitut de son souhait
agressif de me châtrer, de me voir « perdre la tête » donc le pénis, afin
de lui permettre d'accéder à des relations sexuelles. Je lui rappelai
comment tous ces mécanismes s'étaient déroulés à la suite de mon
interprétation destinée à lui montrer son désir inconscient de vouloir
prendre la place de son père, et comment toutes ses réactions à mon
égard pouvaient se ramener à la reproduction de ses difficultés vécues
dans son enfance avec son père. Par la suite René fit de sérieux progrès,
tant dans le traitement, où il commença à interpréter ses réactions,
que dans la vie quotidienne. Son travail s'améliora et, dans un bal,
il fit la connaissance d'une jeune fille avec laquelle il eut des relations
sexuelles. Quand il me rapporta ce fait, il mit surtout en avant des
motifs de mécontentement : « Cela n'avait pas été aussi satisfaisant
474 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
V
à la rentrée, que cela imposerait encore des. sacrifices financiers à ses
parents et qu'il n'oserait pas les leur demander. Il se sentait de nouveau
très déprimé et malade. Je lui fis remarquer qu'il reprenait l'attitude
qui lui semblait la plus susceptible de l'aider à obtenir une aide :
celle de l'enfant accroché aux jupons qui permettait d'obtenir l'amour
et l'assistance, attitude de défense contre une conduite plus virile qui,
pensait-il, le ferait rejeter par son père et sa mère alors qu'il avait
encore besoin d'eux. J'ajoutai que c'était aussi à moi qu'il exhibait
son état dépressif et que c'était un moyen destiné à me conserver.
C'est en se rendant malade (le lumbago) qu'il avait rendu de la force
à son père et à moi-même, sa guérison prenant le sens de ma destruction
et la crainte d'être détruit lui-même en retour.
.
Le traitement fut repris à la rentrée. René déclara alors que des
obligations professionnelles impératives l'empêcheraient de poursuivre
le traitement plus de trois mois. Les raisons qu'il donnait étaient
parfaitement objectives. Il considérait cette limitation avec appréhen-
sion. Je lui répondis qu'à mon point de vue rien ne permettrait d'affir-
mer que le traitement ne serait pas terminé à ce moment-là. Il fit la
relation de ses vacances, mettant en avant les nombreux progrès de sa
conduite, notamment dans son comportement avec ses parents. Puis
il apporta ce rêve : « Il se bat avec un indigène qui veut lui prendre
sa bicyclette. » Très gêné, il dit alors que l'indigène lui faisait penser
à un juif et qu'il s'était demandé si je n'étais pas juif. La bicyclette lui
rappelait sa motocyclette qu'il avait laissée chez sa fiancée. Pendant
qu'il associait, il sentit de nouveau une douleur s'installer dans la
région lombaire. Il interpréta lui-même son rêve et sa douleur dans un
sens oedipien. Je repris son interprétation, lui montrant à nouveau sa
castration motrice pour se défendre contre ses réactions agressives ;
mais je me méfiai, pensant que son interprétation pouvait être elle-
même une défense et je lui demandai pourquoi il avait substitué une
silencieuse bicyclette à sa bruyante moto. La douleur lombaire qui
n'avait été que transitoire fut alors remplacée par une violente colique
et il me demanda l'autorisation de se rendre aux toilettes. Il me fut
facile de lui montrer l'équivalence de cette seconde manifestation avec
la première. Cela ramena un souvenir : étant tout petit, il avait entendu
ses parents avoir des rapports sexuels. Il avait réagi à cette audition
par l'émission d'une selle. Il raconta également sa crainte, plus tard, lors
de son adolescence, d'avoir envie d'aller aux w.-c. quand il se trouvait
en public, notamment quand on le présentait à des jeunes filles. Je
lui fis remarquer qu'il ressentait son excitation sexuelle dans ces cas-là
TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES 477
sur le même mode que lorsqu'il avait entendu ses parents, avec les
mêmes solutions et aussi les mêmes défenses, défenses d'où dérivaient
toutes celles que nous avions vues auparavant quand il mettait en
avant ses sensations anales, témoins d'après lui de son homosexualité
et de son impuissance. Pendant cette période ses progrès furent remar-
quables. Alors que l'année précédente son patron le prenait pour un
fainéant, il lui confiait maintenant des affaires délicates et prenait
souvent son avis.
René fit, à cette époque, la connaissance d'une jeune fille qui devint
sa maîtresse ; mais il éprouva encore, pendant les premiers rapports
sexuels qu'il eut avec elle, le besoin de se mettre dans une position qui
lui permettait de surveiller son pénis. Il abandonna cette surveillance
par la suite. Puis il entreprit de me faire une longue démonstration
tendant à prouver la frigidité de sa partenaire. Il attribuait cette pré-
tendue frigidité à sa propre incapacité à satisfaire complètement sa
maîtresse. En fait, rien ne lui permettait objectivement de se livrer à de
telles affirmations et, comme je lui en faisais la remarque, il reprit de
plus belle sa démonstration.
Il associa le besoin de regarder son pénis à une lecture qu'il avait
faite, dans laquelle un homme craignait que son sexe ne fût dévoré par le
vagin de sa partenaire. Je lui soulignai qu'il se servait de la prétendue
frigidité de sa partenaire avec un double but : mettre en avant une
certaine incapacité destinée à masquer et à minimiser à mes yeux la
réalisation de ses désirs sexuels d'une part et d'autre part, en supposant
que cette jeune fille était frigide, se persuader qu'elle ne s'intéressait
pas à son pénis, ce qui le rassurait. Je lui rapprochai tout ce matériel
de son premier rêve dans lequel il craignait d'allumer un feu qui le
consumerait, idée qui se retrouvait dans l'autre rêve où il voyait un
éclair qui le paralysait. Dans le cas présent, en pensant qu'il n'allumait
aucun feu chez sa partenaire, il pouvait satisfaire ses désirs, se protégeant
ainsi de la crainte d'un retour de flamme risquant de le détruire.
René se sentait très coupable de cette liaison à cause de sa fiancée
et il se rendait compte que la présence de ses sentiments de culpabilité
entraînait une forte baisse de ses désirs sexuels ; il interprétait lui-même
ce comportement comme une répétition de ses attitudes envers sa
mère ; pour être aimé d'elle il fallait être asexué. A cette époque le
nombre de séances hebdomadaires fut ramené de 4 à 3. Le matériel
de type anal qui était déjà apparu quelques séances auparavant se
précisa : en embrassant son amie il avait l'impression d'exhaler une
mauvaise odeur et depuis la colique éprouvée au milieu d'une séance il
478 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
les deux associations, mais il soutint qu'il n'en voyait aucune. Une
aventure qui lui arriva à cette époque réactiva cette question. Dans un
bal, il fit la connaissance d'une jeune fille qui accepta rapidement de le
suivre à l'hôtel. Tout se passa d'abord très bien jusqu'au moment où
cette jeune fille lui dit qu'elle avait pris avec lui un plaisir intense et
que d'ailleurs elle aimait beaucoup faire l'amour. Il entendit ces décla-
rations avec panique et ne ressentit plus alors aucun désir d'avoir de
nouveaux rapports avec elle. Lorsqu'il me raconta cette histoire, il était
très déprimé ; cette aventure lui rappela encore le conte dans lequel
un homme avait peur de voir son pénis dévoré par le sexe de la femme.
Il fit alors la remarque qu'il avait du mal à s'imaginer les « parties
génitales » (sic) de la femme. Il se les représentait comme « quelque
chose d'immobile », comme une image. Il finit par dire que tout cela
le dégoûtait. D'ailleurs, il avait la tête vide et ne saisissais pas ce que
je lui disais. Puis il me dit que, sans arrêt, il repensait au rêve du méde-
cin aux grandes dents et que, chaque fois, cela lui faisait peur. Je lui
fis remarquer que ce rêve avait été fait juste après sa mise à deux
séances et devant sans doute exprimer des réactions à cette frustration.
Puis je lui donnai cette interprétation ; le médecin et l'infirmière si
bien pourvus en dents représentent tous deux sa mère ; mais le médecin
a un pénis et la femme n'en a pas ; il se sent impliqué dans ce manque
puisqu'il a alors peur de perdre le sien, craignant semble-t-il une
vengeance, ce fait apparaissant dans sa crainte de l'appétit sexuel
dévorant des femmes. D'autre part l'association qu'il avait faite avec le
rêve de la dent branlante à laquelle adhérait un morceau de chair
montrait sa défense contre l'idée d'avoir coupé avec ses dents ce bout
de chair. La dent branlante représentait le rejet de cette dangereuse
réalisation. Je lui rappelai son besoin de surveiller son pénis pendant
le coït, sa difficulté à évoquer les organes génitaux féminins, lui souli-
gnant le terme « parties » qu'il avait employé, terme qui s'appliquait
ordinairement à l'homme, comme s'il voulait rendre ce qu'il pensait
avoir pris. Je lui résumai ainsi la situation : devant la limitation du
temps de son traitement, je n'avais pas augmenté les séances, mais au
contraire je les avais progressivement diminuées ; cela avait réactivé
une agressivité violente qui avait été vécue auparavant contre sa mère,
à l'occasion de frustrations, sous la forme archaïque du désir de la
dévorer, et que plus tard l'absence de pénis de la mère avait été inter-
prétée comme le résultat de cet appétit, ce qui lui avait fait craindre
la vengeance maternelle. Il lui était alors nécessaire de faire comme
s'il n'avait aucun appétit d'aucune sorte. En me montrant à moi qu'il
TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES 4811
RÉSUMÉ
toute saine à cet égard) où se déroula son enfance. Ce ne sont là, ajoute-
t-il, que des suppositions ; en revanche, on peut tenir pour certain que
Socrate n'acquit la maîtrise sur ses penchants sensuels qu'au prix
d'un pénible combat intérieur.
Je ne puis m'étendre davantage sur les considérations de Gomperz,
notamment au sujet des rapports de Socrate avec son père et sa mère
(que le philosophe désigne comme une sage-femme « très capable et
respectable »), de ses préoccupations d'ordre moral, de son empire
sur soi-même, et surtout de l'ascendant qu'il exerçait sur les jeunes
gens dont il aimait à s'entourer et qui sentaient en lui l'autorité d'un
père — un père dont la grandeur morale et la laideur physique devaient
d'ailleurs offrir un saisissant contraste.
En ce qui concerne Platon, le Pr Kelsen a publié une étude minu-
tieuse et d'un grand intérêt. A son avis on ne peut comprendre ni
l'homme, ni son oeuvre, si l'on ne prend pas en considération la passion
particulière qui l'animait : l'amour platonique. C'est bien d'amour
« homosexuel » qu'il s'agit au sens le plus strict du mot, et non pas
d'une métaphore exprimant la parenté qui unit deux amis intimes,
l'un maître, l'autre disciple. « Que l'Eros de Platon ne soit pas ce qu'on
appelle aujourd'hui l'amitié, mais repose sur une base manifestement
sensuelle même dans sa forme supérieure et spiritualisée — qu'il
s'agisse bien d'un Eros sexuel jouant le rôle principal dans sa vie et
son enseignement — voilà ce qu'on ne peut pas sérieusement mettre
en doute. »
Les constantes références à des textes précis de Platon donnent à
l'article de Kelsen la valeur d'une véritable démonstration. Ajoutons
qu'aucune femme n'a joué un rôle quelconque dans l'existence de
Platon, à l'exception de sa mère dont il faudrait peut-être voir un por-
trait dans l'un de ses ouvrages (selon Wilamowitz-Moellendorff, cité
par Kelsen). En revanche, c'est l'attrait du corps masculin, l'ardeur
passionnée pour les jeunes gens qui transparaît sans cesse dans l' « amour
platonique ».
Kelsen estime que le facteur principal de la sublimation chez
Platon est à rechercher dans la pression morale qu'exerçait l'opinion
publique à Athènes. On a déjà vu que les moeurs homosexuelles,
la pédérastie, étaient importées des États doriens ; mais sur le sol
athénien elles devaient se heurter, même dans la classe aristocratique
de Platon, pense Kelsen, à une opposition beaucoup plus forte qu'on
ne l'admet en général. Néanmoins il semble que Platon — qui n'a
jamais songé à fonder une famille et dont le penchant vers l'homo-
506 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
.
sexualité paraît avoir été plus exclusif que celui de Socrate — ait eu à
soutenir un combat intérieur plus difficile.
Son idéal de la chasteté, Platon l'a trouvé réalisé par Socrate, dont
la réputation était de n'avoir jamais commis aucun acte impur avec
des jeunes gens, malgré le commerce constant qu'il entretenait avec
eux. C'est cela, précisément, qui explique le lien affectif si fort et si
profond qui attachait Platon à son maître et qui le remplissait d'admi-
ration pour lui. Comme lui, Platon invoquait les forces de la raison
dans la lutte contre Éros, même s'il ne parvint pas, dans sa vie person-
nelle, à la même maîtrise. Comme lui, il était fasciné par des problèmes
moraux, la vertu, le bien, la justice, l'amour spiritualisé — autant de
préoccupations qui, pour le psychologue, reflètent par leur intensité
l'existence de conflits intérieurs et l'incessant effort à les résoudre.
D'autre part, si l'on veut comprendre la possibilité d'une sublimation
des tendances érotiques refoulées en un intérêt pour la chose sociale
— intérêt avant tout pédagogique et politique dans le cas particulier —
il faut se rappeler les profondes connexions instinctuelles que l'analyse
découvre chez les invertis (ceux du type « actif » comme l'étaient
certainement Socrate et Platon) entre la tendance à « aimer les garçons »
et le désir de les « dominer ». On retrouve d'ailleurs là, à mon avis, un
reste de l'agressivité primitive dont il a été question plus haut. En
effet, « ce que veut Socrate, le petit bourgeois, c'est humilier les jeunes
aristocrates qui s'assemblaient autour de lui ; aussi vante-t-il l'humilité
comme une vertu »... « Toute l'attitude d'esprit de Socrate, pour autant
que nous pouvons la reconstruire d'après les écrits de Platon et de
Xénophon, écrit Kelsen, révèle ce désir de puissance sur les hommes. »
Sans doute cette passion ne s'exprimait-elle que sous forme intel-
lectuelle ; mais l'un des traits principaux de la dialectique socratique
était bien de « confondre l'adversaire ». (N'en est-il pas de même
dans nos joutes politiques du XXe siècle, peut-être avec moins de
finesse ?) Quant à Platon, on ne le considère plus de nos jours comme
un philosophe théoricien plongé dans la science pure et la méditation.
« On sait aujourd'hui, écrit encore Kelsen, que Platon était par toute
sa nature un politicien davantage qu'un théoricien. On l'appelle main-
tenant un « conducteur d'hommes », un « caractère impératif » ; on
voit surtout en lui « l'éducateur et l'innovateur ».
Pour finir revenons, après cette incursion dans un lointain passé,.
à notre cas de' psychopathologie contemporaine. L'étude de deux
célèbres invertis de la Grèce antique nous a permis de voir de façon
assez nette, comme au moyen d'un verre grossissant, les rapports
CAS D'HOMOSEXUALITE MASCULINE 507
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Note. — Cet article a été traduit en anglais (An analytic session in a case
of male homosexuality) pour paraître dans le volume publié à New York en
l'honneur de Madame la Princesse Marie Bonaparte.
Le
« Mythe de l'enfant rôti »(I)
robe de mariée de la dame, suivant une version, et leur dit qu'elle leur
a préparé une grande surprise. Elle les invite à passer à la salle à manger_
où elle va leur servir un mets spécial. Ils entrent et se trouvent devant
un spectacle affreux. Au milieu de la table, mise avec beaucoup de soin,
ils voient, sur un grand plat, leur enfant, rôti avec des pommes de terre
autour. La malheureuse mère devient folle aussitôt. Elle perd la parole
et personne ne l'a plus entendu dire un seul mot depuis ce jour. Le
père qui, d'après certaines versions, est un militaire, sort son revolver
et tue la bonne. Puis il prend la fuite et l'on ne sait plus rien de lui.
Suivant des informations postérieures, le drame s'expliquerait par
le fait, inconnu du ménage, que la bonne était une psychotique, échappée
peu avant d'un asile. Il y a d'autres versions du même événement, qui
diffèrent dans les détails. Le mari souvent est médecin. Il ne prend pas
la fuite après avoir tué la meurtrière, mais se suicide... D'après certains,
le bébé n'avait pas quelques semaines, mais venait juste d'avoir 6 mois.
Ce bruit a toutes les caractéristiques observées par Marie Bonaparte
dans les mythes modernes. D'abord toutes les personnes qui racontent
le fait disent l'avoir appris d'autres qui connaissent très bien les prota-
gonistes. On m'affirma plusieurs fois aussi que tout le drame avait
paru dans les journaux, mais personne ne l'avait lu personnellement. Et
presque tous étaient prêts, dès l'abord, à croire vraie la tragédie qu'ils
me racontaient.
L'histoire paraît très curieuse, peut-être trop pour que nous puis-
sions maintenir notre affirmation que son contenu latent correspond à
une situation psychologique commune à tout le monde. Car s'il en était
ainsi, elle serait apparue sous cette forme ou sous une forme analogue
avec beaucoup plus de fréquence. Cherchons donc s'il existe d'autres
récits dans lesquels un enfant est servi comme mets à ses parents.
Voyons d'abord la mythologie classique. Le matériel sur ce sujet est
abondant, et la légende la plus connue et la plus proche de notre
« mythe moderne » est celle de Tantale.
Tantale, roi de Lydie, et gendre de Jupiter servit aux dieux, pour
mettre à l'épreuve leur divinité, le corps dépecé de son propre fils,
Pélops. Seule sa femme, Cérès, déesse de la fertilité, distraite par la
douleur d'avoir perdu son fils, mangea de ce terrible mets. Jupiter
rendit la vie à Pélops et lui mit une épaule d'ivoire pour remplacer
celle qu'avait mangée sa mère Cérès. Il précipita Tantale dans le Tartare
et le condamna à souffrir une faim et une soif dévorantes. On le repré-
sente au milieu d'un fleuve dont les eaux s'enfuient dès qu'il veut en
approcher ses lèvres, sous des arbres fruitiers dont les rameaux se
LE « MYTHE DE L'ENFANT ROTI » 511
l'araignée a sucé tout son sang. Nous pouvons dire déjà, pour l'interpré-
tation de ce rêve, que les trois petits cochons — connus comme trois
frères par les dessins animés de Walt Disney — représentent la rêveuse
et ses deux soeurs cadettes, tandis que l'araignée, comme on le trouve
généralement dans les rêves et dans le matériel folklorique, représente
la mère.
L'analyse de tout ce matériel va nous aider à comprendre notre
mythe moderne. Nous avons déjà souligné une situation qui apparaît
dans tous les cas : la possibilité qu'on mange un enfant. Quelquefois
ce crime est accompli, d'autre fois, la protagoniste est frustrée dans son
intention perverse. Mais qui représente la protagoniste ? Qui essaie
d'accomplir le crime anthropophagique? En un mot : qui est le criminel ?
Dans le mythe de Tantale, c'est le père qui tue le fils, mais la seule
à parachever le crime en mangeant de ce mets horrible est Cérès, la
mère. Dans Blanche-Neige la marâtre fait tuer la princesse et veut
manger son coeur. Dans Hänsel et Gretel, la situation est plus voilée,
puisque la marâtre allègue sa pauvreté et son incapacité à nourrir les
enfants, pour atteindre son but, qui est de les exposer au danger d'être
mangés par la sorcière. C'est une autre image de la mauvaise mère qui
refuse de nourrir les enfants.
Dans le mythe des îles Marquises, les Vehini-hai, ou femmes
sauvages, font disparaître l'embryon du corps de la mère ou mangent
les petits enfants.
Freud a montré que dans notre inconscient règne la loi cruelle et
inflexible du Talion, « oeil pour oeil, dent pour dent ». C'est-à-dire que
comme punition de nos méchancetés nous attendons toujours qu'une
autre personne nous fasse ce que nous avons fait en réalité ou en imagi-
nation. Mais les crimes que réalisent les Vehini-hai est justement celui
que les enfants de deux sexes, poussés par la jalousie commettent, dans
leurs fantaisies inconscientes, sur la mère enceinte ou sur ses petits
enfants, les frères cadets, quand ils veulent les voler et les tuer. D'où
l'on peut déduire que la fillette, devenue grande, quand elle attend
son propre enfant, redoute la vengeance de sa mère et la transforme en
la femme sauvage du mythe, qui vole et dévore ses enfants.
Nous avons déjà donné l'interprétation du rêve de l'araignée et des
trois petits cochons : la mère mauvaise est représentée par l'araignée et
les trois petits cochons sont la rêveuse-enfant et ses deux soeurs.
Pendant que, dans le rêve, elle observe la scène tragique, elle s'identifie
avec le petit cochon victime de l'araignée. Elle rêve donc que sa mère
la tue, en suçant son sang.
LE « MYTHE DE L'ENFANT ROTI » 513
(1) Nous pouvons ajouter une autre observation clinique de contenu analogue ; celle d'un
symptôme de conversion hystérique. Une femme qui nourrissait son enfant de quelquessemaines
sent un jour, brusquement, une douleur spasmodique dans les seins, qui va s'intensifiant
jusqu'à devenir intolérable. La douleur disparaît brusquement quand elle la met en rapport
avec un événement survenu quelques heures plus tôt. Elle avait reçu une lettre de sa mère
dans laquelle celle-ci lui disait qu'elle se voyait dans l'obligation d'accepter l'aide économique
que sa fille lui avait proposée longtemps avant. Ce que la patiente exprimait au moyen du
symptôme, c'est qu'elle était disposée à donner le sein à son bébé, auquel elle s'identifiait, mais
non à nourrir sa mère. Le faire serait comme se laisser manger par elle, et elle exprima cette
situation et protesta contre elle par sa douleur, qui disparut quand elle prit conscience de sa
signification.
514 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) On m'a raconté il y a quelque temps qu'une dame, pas du tout avare en général et fort
riche, sortait chaque matin du placard de la cuisine un sac plein de morceaux de sucre. Elle
comptait soigneusement pour chaque personne de sa nombreuse domesticité les morceaux qu'ils
avaient le droit de manger pendant la journée. Puis elle les donnait à la cuisinière et remettait
le reste sous clef. Tout d'abord, je fus choquée par cette attitude tellement en contraste avec le
niveau économique et le train de vie de cette famille. Puis je pus comprendre que probablement
la mère de cette bonne dame avait dû la traiter de la même façon, quand, petite, elle lui deman-
dait des bonbons ou d'autres friandises de peu de valeur.
LE « MYTHE DE L'ENFANT ROTI » 515
transformée en son contraire. Ce n'est pas lui qui veut manger sa mère,
mais c'est son fils — représentant de son enfance — qui sert d'aliment
à Cérès.
Blanche-Neige tombe comme morte, après avoir mangé la pomme
empoisonnée que lui offre la marâtre, c'est-à-dire qu'elle est punie
pour sa gloutonnerie, pour avoir voulu manger le sein de sa mère
hostile.
Dans Hänsel et Gretel, les enfants sont chassés de la maison à cause
de leur voracité (on ne peut plus les nourrir) et la sorcière les surprend
et les punit quand ils mangent une partie de sa maison. La maison, elle
aussi, constitue un symbole matériel bien connu.
Dans le mythe des Vehini-hai, la faim de l'enfant puni n'apparaît
pas. Mais nous savons que les mères des îles Marquises refusent le sein
à leurs enfants et les nourrissent d'aliments grossiers. Elles provoquent
par conséquent, de violents désirs cannibales et vengeurs des enfants
et ces désirs trouvent plus tard à se réaliser dans l'anthropophagie
pratiquée sur l'ennemi vaincu.
Au cours du traitement psychanalytique de la jeune homosexuelle
dont nous avons reproduit le rêve, on vit clairement ses fortes tendances
orales de caractère agressif dirigées contre sa mère.
Etant donnée la similitude des situations, nous pouvons déduire
que dans notre mythe moderne aussi le crime primitif est la faim
dévorante de l'enfant, faim que l'abandon de la mère a rendue plus
intense. La tragédie se produit quand la mère s'est absentée en compa-
gnie du père.
Le criminel serait donc, toujours, l'enfant lui-même, et son senti-
ment de culpabilité fait que, par la suite, il porte en lui-même l'image
d'une mère-sorcière, avec des désirs cannibales et mauvais à son égard.
La persistance de cette image chez ceux qui entendirent notre « mythe
moderne » explique leur crédulité naïve. A une certaine époque de notre
enfance, nous avons tous éprouvé des désirs cannibales à l'égard du sein
de notre mère. Le psychanalyste, Abraham, fut le premier à découvrir
qu'en même temps que les premières dents, c'est-à-dire, à 6 mois, il
surgit chez l'enfant des désirs sadiques de mordre et de mâcher le sein
maternel, liés aux tendances d'amour. Nous attirons l'attention sur le
fait que dans une version de notre mythe l'enfant venait précisément
d'avoir 6 mois. Prendre des aliments, aussi bien le lait maternel que
des aliments d'autre sorte, signifie pour lui dévorer sa mère, et cet acte
acquiert deux significations différentes. Il incorpore sa mère parce que,
à cause de son amour pour elle, il veut la porter en lui, mais il la détruit
516 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
avec ses dents, parce qu'il la hait et la craint, en projetant sur elle sa
propre agressivité. Ces tendances agressives sont renforcées par chaque
expérience douloureuse de l'enfant et par toutes les frustrations qu'il
souffre de la part de la mère. Le petit enfant projette sa faim sur la
mère et la ressent comme si elle le mangeait et le détruisait de l'intérieur ;
comme une agression qu'elle lui inflige délibérément et comme une
punition pour sa voracité. Donc, la bonne qui prépare le nourrisson
comme un mets qu'elle servira aux parents représente la mère qui
veut calmer sa propre faim avec la chair de son enfant au lieu de lui
offrir le sein.
Jusqu'à maintenant, nous ne nous sommes occupés dans notre
mythe que de la relation mère-enfant sur le plan oral. Mais le père
aussi apparaît en scène. Les protagonistes du drame sont : le père,
médecin suivant une version, militaire suivant une autre, la mère et la
bonne. Nous croyons que les deux professions assignées au père n'ont
pas surgi par hasard, mais qu'elles correspondent à la situation inté-
rieure qu'exprime le mythe. Un militaire est un personnage important,
autoritaire, quelque chose comme un président ou un roi, c'est-à-dire
correspondant à l'image que la petite fille se fait de son père. Le médecin
est un homme devant lequel il n'existe pas de secret sexuel ni de prohi-
bition. Il sait tout, et il est autorisé à examiner notre intimité physique.
Il a donc un rôle analogue à celui du père dans les rapports sexuels
avec la mère. Voyons maintenant la situation de la petite fille en face
de ses parents unis. A un certain âge, elle s'éprend de son père et veut
occuper la place de la mère. Elle éprouve une violente jalousie, elle
la déteste et souhaite l'éliminer. C'est une autre raison encore pour que
la fillette craigne la vengeance de sa mère et la voie comme mauvaise.
En outre, s'il naît d'autres enfants, elle le vit comme une trahison de
la part des parents et dirige toute sa haine et toute sa jalousie sur le
nouveau venu (1). Elle devient susceptible, elle se sent mise à l'écart
et traitée comme Cendrillon.
Nous avons exposé que sur le plan oral la bonne de notre mythe
représente la mère mauvaise, sur laquelle l'enfant projette ses propres
désirs cannibales. Sur le plan oedipien, le rôle de la bonne est autre :
elle représente la fillette rancunière et amoureuse de son père. La
situation de rivalité avec la mère est exprimée plus clairement dans la
version du mythe qui montre la bonne vêtue de la robe de noces de la
(1) Une fillette de 4 ans, qui vient d'avoir un petit frère, demande à son père : 0 Comment
fait-on pour arrêter le coeur au bébé ? En appuyant fort, ça suffit ? »
LE « MYTHE DE L'ENFANT ROTI » 517
PSYCHANALYSE 34
A propos de Chronos, Eros
et Thanatos(1)
PSYCHOLOGIE ÉTYMOLOGIQUE
par le Dr LOGRE
(1) Marie BONAPARTE, Chronos, Eros, Thanatos, Imago Publishing, Co., Ltd., London, 1952 ;
et Presses Universitaires de France, Paris, 1952.
A PROPOS DE CHRONOS, EROS ET THANATOS 519
I. — CHRONOS
L'auteur, qui fait vivre sous nos yeux l'effort instinctif de l'être
humain pour lutter contre le temps, — pour fuir « cet ennemi vigilant
et funeste », comme disait Baudelaire, — évoque, après le paradis de
la vie intra-utérine où le temps n'existe pas, le paradis presque aussi
parfait de l'enfance où il existe à peine. Rappelons que le mot « Paradis »,
comme le mot « Eden » qui s'y associe et le complète, désigne un
« enclos » (paradaiza, mot iranien), un séjour de « volupté » (c'est le sens
propre du mot hébreu Eden), bref un lieu de délices où l'on ne perçoit
que la joie de vivre sans fin, la libido toute pure à l'exclusion du
temps (1).
Une autre façon de réaliser ce que l'auteur appelle, d'un mot pitto-
resque, le « saut de carpe » hors du temps, est le recours naturel au
sommeil et au rêve : je me permets de noter, à titré de contre-épreuve,
qu'en fait on ne s'ennuie jamais dans le rêve, l'ennui étant, par définition,
la prise «en haine » (in odio) du temps qui s'écoule sans intérêt. Il en
va de même pour la rêverie, ce « rêve éveillé ». Quant à l'amour (que
Lucrèce rapprochait du rêve), c'est une autre façon de vaincre le temps,
non seulement par la procréation qui perpétue la race, mais, dans le
monde intérieur, par la volupté qui engendre l' « extase » (ek-stasis ou
« station hors de soi » et, par conséquent, hors du temps) ; l'orgasme
lui-même est un « ravissement », un « transport », où l'être individuel a
l'impression de participer, dans un éclair de jouissance infinie, à l'éter-
nité de la race. L'intoxication, apparentée au rêve, provoque une
illusion analogue, soit que la vie se réduise, comme dans l'euphorie
volatile de l'éther, à la perception de l' « instant » (le temps qui « s'arrête
en » un point : in-stare), soit qu'elle s'éternise, comme dans l'opium
qui, selon Baudelaire, « allonge l'illimité, approfondit le temps ».
L'échappée mystique, où le simple mortel arrive à se fondre, en un
acte d'amour, avec l'Éternel, est la suprême extase. Enfin la gloire,
notamment la gloire artistique et littéraire qui peut, en ce monde,
assurer par la seule expression du désir la satisfaction de tous les rêves,
— puissances richesse, amour, — la gloire a moins de vertu après la
mort : elle protège un temps contre l'oubli, sorte d' « oblitération »
(oblitare) ou d' « effacement » qui fait disparaître peu à peu les traits
(1) Ou peut noter que le séjour du bonheur s'efforce d'échapper à l'espace comme au
temps, de se restreindre en un lieu circonscrit, fermé ou isolé, — un «pourpris », c'est-à-dire une
enceinte, — un enclos, un jardin, une oasis, une « île fortunée ».
522 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
de notre face dans la mémoire des hommes. Survie hélas avant tout !
II. — EROS
Dans le chapitre sur Eros, Marie Bonaparte a étudié surtout l' « ambi-
valence » amoureuse. Cette ambivalence, définie par le double jeu,
l'activité contradictoire d'un sentiment relatif à un même objet,
s'explique en amour, — comme l'avait fort bien vu le poète Lucrèce, —
par un besoin de communion ou plutôt d' « assimilation », le désir instinc-
tif de rendre l'être aimé « pareil à soi » (adsinilis), d'en faire pour ainsi
dire la chair de sa chair et l'âme de son âme. Mais il n'y a, pour assimiler
(1) Sauf en ce qui concerne l'aiguille des secondes qui, pour la vue, — comme le carillon pour
l'oreille, — rend la fuite du temps perceptible, inexorablement. On sait que le mot désignant
l'horloge antique, la clepsydre (de Kleptein, voler et hudôr, eau) signifiait la « voleuse d'eau »,
en raison de l'écoulement « furtif » du liquide par un orifice étroit : le temps, qui « fuit » comme
un voleur ou comme un vase percé, capte et soutire en quelque sorte « goutte à goutte » les
instants de notre vie.
A PROPOS DE CHRONOS, EROS ET THANATOS 523
III. — THANATOS
Les parties génitales sont appelées tour à tour, selon les circons-
tances et les interlocuteurs, « parties nobles » et « parties honteuses » :
c'est un des multiples traits de l'ambivalence qui caractérise la psycho-
logie sexuelle. Mais, dans ce cas, les deux termes de l'ambivalence
— la honte et la fierté — n'ont entre eux que des relations très simples
d'antagonisme : ils se combattent sans pactiser. Dans le sado-masochisme,
au contraire, les deux éléments du couple affectif — le plaisir et la
peine — ont des rapports tout différents, beaucoup plus complexes,
et pour ainsi dire « sexualisés » : non contents de coexister en s'opposant,
comme des poids sur les deux plateaux d'une balance, ils ont une
propension manifeste à s'attirer, à s'aimanter, à se joindre et se
conjoindre, à s' « imprégner » (impregnare, mot à signification sexuelle,
désigne un état « pré-natal » — pre nascere — une « grossesse » qui
modifie l'être -tout entier par une sorte d'inoculation et d'injection
diffuses). Ainsi le plaisir se charge de peine et la volupté de douleur,
ils sont tout mêlés l'un à l'autre et ne peuvent se passer l'un de l'autre :
la volupté, pour jouir, a besoin de souffrance, — provoquée ou subie
(sado-masochisme) (1).
(1) Reprenant ici un mot très heureux, que René Laforgue applique à l'angoisse, on peut
dire qu'il y a, dans le sado-masochisme, « érotisation » de la douleur.
526 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(1) La syphilis.—maladie générale qui nécessite une effraction des téguments — s'inocule
avec la complicité de la Vénus sanglante — ou d'Eros carnifex — (excoriations, déchirures,
petites plaies génitales).
(2) Dans le monde des poissons, par exemple, où le frai — fécondation externe — remplace
l'accouplement, on entrevoit à quel point la psychologie sexuelle peut être modifiée par cette
différence fondamentale.
528 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
inerte qui ne sentît rien ». Il faut qu'il y ait, au contraire, une souffrance
aussi vive que possible ; il faut que la victime sache qu'elle est tour-
mentée et qui est le bourreau ; que lui-même assiste et prenne part
au tourment. Il faut que les partenaires se sentent vibrer ensemble et
l'un par l'autre, dans leur interpsychologie adverse et pourtant soli-
daire : « alliance conflictuelle », où nous retrouvons, mais portée à son
comble de malignité, l'ambivalence foncière de l'union entre les
sexes (1).
(1) Anna Freud, pour exprimer cette sympathie et cette compassion, emploie une formule
riche de sens : « l'identification de l'agresseur à l'agressé », celui là se mettant, pour ainsi dire,
à la place de l'autre, comme s'il n'existait plus qu'une seule et même personne. (Le mot identi-
fication est de Freud.) Mais il s'agit, dans ce cas, d'une identification discordante, avec repré-
sentation Imaginative conforme, et très intense, de la douleur, mais retentissement affectif
contraire, bien que très intense lui aussi (transmutation de la douleur en volupté).
530 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
vitale qu'il fait couler le sang. Et la défloration n'est pas plus une vraie
blessure que l'accouchement n'est, aux yeux du médecin, une maladie
véritable, en dépit de la douleur et des cris. Recherche de l'infini,
— comme les autres formes d'amour, mais avec des moyens plus dan-
gereux, — le sado-masochisme ne peut être qu'un échec, une sanglante
caricature de l'oeuvre unitive d'Eros, l'imitation bassement humaine,
fourvoyée et dépravée, d'un Dieu.
Deux conceptions du sado-masochisme sont possibles : est-il dû
à une erreur tragique de l'amour lui-même qui, par le mauvais versant,
le côté cruel de son ambivalence, peut conduire à la mort au lieu
d'engendrer la vie ? Est-il dû, selon une hypothèse de Freud, à l'inva-
sion de l'amour par une force étrangère et contraire à l'amour, un
« instinct de mort » chargé de rétablir, par involution destructive, « le
repos que la vie a troublé ? »
En tout cas, le sado-masochisme, qui corrompt la sociabilité humaine
jusqu'à renverser le sens normal de la compassion et changer l'amour
en haine, a quelque chose de « satanique » (Satan vient d'un mot
chaldéen qui signifiait « haïr »). C'est lui, d'ailleurs, le sado-masochisme,
qui officie dans les « Messes noires », au cours d'agapes sanglantes et
sous les espèces d'une communion avec la douleur, le mal et la mort.
PSYCHANALYSE 35
Essai sur la peur (I)
par le Dr NACHT
" La conscience fait de nous tous
des lâches, "
SHAKESPEARE.
gistrer l'alarme donnée par la peur et neutraliser d'autre part les ten-
dances agressives par une inhibition motrice salutaire : il ne touchera
pas au couteau.
Tandis que chez l'obsédé, ni la peur ni les tendances agressives
qu'elle signale ne peuvent être supportées directement, être prises en
charge par la conscience : les réactions de défense interviennent pour
les réprimer et les camoufler. Si les conduites .nous apparaissent ici
moins évoluées, c'est que l'organisation du moi l'est également et que
celui-ci se révèle aussi inapte à enregistrer la peur qu'à faire face au
danger qu'elle signale. Il y a chez l'obsédé d'une part une faiblesse du
moi qui découle d'une organisation moins évoluée, d'autre part, des
tendances agressives plus fortes qu'un « moi » insuffisamment armé ne
peut maîtriser. D'où l'apparition de réactions de défense plus puis-
santes qui protégeront le moi à la fois contre la peur et contre le danger
des tendances agressives, mais qui, en même temps, donneront à ces
dernières une possibilité déguisée de se satisfaire.
Si le phobique arrive, au moins partiellement, à neutraliser son
agressivité, l'obsédé, lui, ne peut que la détourner des voies d'expres-
sions directes, et la déguiser afin de la manifester à travers des symp-
tômes (1). C'est que le stade évolutif et la structure de l'obsédé
impliquent une force plus grande des pulsions agressives en même
temps qu'une aptitude régressive plus marquée à y puiser de la satis-
faction. Sans vouloir pousser plus loin une investigation qui nous éloi-
gnerait de notre sujet, retenons cependant ce qui se dégage des com-
portements que nous venons de décrire, car nous allons y trouver la
réponse à la question que nous nous posions tout à l'heure : l'origine
de la peur apparaît, liée à la pulsion agressive. C'est la force de cette pul-
sion qu'elle a pour fonction de signaler comme un danger menaçant le sujet.
Cette rencontre est, à mon avis, un fait CONSTANT. Mais ici, d'autres
questions se posent.
On est tenté, en premier lieu, de se demander pourquoi les tendances
agressives envers autrui seraient perçues par le sujet comme un danger
le menaçant lui-même. En outre, la peur pourrait bien semble-t-il,
signaler des dangers autres que celui-là. Freud n'avait-il pas soutenu
jadis que l'angoisse était la conséquence directe de l'insatisfaction
libidinale ?
La psychanalyse nous démontre que la poursuite de la satisfaction
remonte à la nuit des temps. « OEil pour oeil, dent pour dent » dit l'An-
cien Testament. Et Jésus-Christ lui-même ne dit-il pas : « Celui qui
frappe par l'épée périra par l'épée. »
Si l'on veut mesurer toute la force de l'interdit pesant sur l'agres-
.
sivité et la complexité du cycle : « frustration, agressivité, peur », il faut
revenir à certaines réactions ayant marqué le développement de la per-
sonnalité dans la toute première enfance. Lorsque l'enfant vient au
monde, et pendant de longs mois, son existence est régie uniquement
par les lois élémentaires de tout ce qui vit : il a des besoins qui doivent
trouver satisfaction sans quoi sa vie est en péril. Son psychisme reflète
alors uniquement cette existence végétative, organique, et se réduit
,
à ce que j'appelle l'inconscient élémentaire, désigné couramment par
le « ça » dans la littérature psychanalytique.
Vous savez comment peu à peu, au contact du milieu extérieur et
de la réalité environnante, d'autres fonctions psychiques vont appa-
raître, à mesure que s'opérera la maturation de certains systèmes neuro-
logiques. Ces fonctions nouvelles vont constituer ce qu'on appelle le
moi, dont le rôle consistera à s'interposer entre l'inconscient élémen-
taire (le « ça » ) et le milieu extérieur.
Mais il faudra longtemps — des années — avant que le moi ne soit
apte à remplir d'autres fonctions et que l'être humain puisse satisfaire
à ses propres besoins. Pendant des années, seul de son espèce, le petit
homme ne pourra rien par lui-même et vivra dans un état de complète
dépendance vis-à-vis de son entourage. C'est cette dépendance exces-
sive qui marquera l'homme à tout jamais ; c'est là le point de départ
d'une peur qu'il sera seul à connaître parmi les êtres vivants, car à la
peur naturelle des dangers extérieurs s'ajoutera la terreur qu'il aura
de lui-même et de ses propres réactions.
Revenons à l'évolution du moi, dont les fonctions vont se multi-
plier du fait de la maturation progressive du système nerveux d'une
part, et d'autre part, de l'intégration d'expériences vécues (ou si l'on
veut, de réflexes conditionnés). Ainsi le moi va s'affermir, acquérir la
possibilité de contrôler les pulsions et aussi de les satisfaire.
C'est l'exercice de ce contrôle qui rendra l'enfant « sage », discipliné,
et fera plus tard de lui un homme « raisonnable », adapté.
Mais si favorablement que s'opère son développement, l'être humain
ne pourra éviter qu'un écart persiste toujours entre l'inconscient inca-
pable de changement, et le moi qui s'enrichit de fonctions nouvelles,
les consolide, bref qui s'achemine vers ce que nous appelons la
maturité.
542 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
jetée par l'enfant sur sa mère la lui fait apparaître comme dangereuse,
redoutable. Et comme dans les mois qui suivent la naissance, les liens qui
le lient à cette mère sont principalement oraux, il peut avoir la sensation
de s'incorporer cette mère au même titre que la nourriture qu'elle lui
donne. De là aggravation des conflits, car cette mère redoutable, il la
portera désormais en lui, en quelque sorte, ce qui redoublera sa peur.
Et comment pourrait-il lui vouloir du mal sans s'en faire à lui-même
puisque objet et sujet sont à présent confondus ?
Il est difficile d'apprécier jusqu'à quel point ces mécanismes déve-
loppés par Melanie Klein jusqu'à former la trame de toute la vie phantas-
mique du nourrisson, correspondent à une réalité vécue et si les « objets »
introjectés par le nourrisson sur ce mode deviennent, en quelque sorte,,
des êtres habitant l'être.
Quoi qu'il en soit, l'enfant est placé devant la nécessité de réprimer
toute tendance agressive envers celle dont il a absolument besoin pour
vivre. Mais la tension provoquée par l'insatisfaction et la frustration
persiste. Bien plus : elle se trouve accrue du fait que l'énergie provoquée
par l'inhibition de l'agressivité est bloquée. Là interviennent évidem-
ment certains facteurs constitutionnels, tels que la force de l'instinct,
la capacité organique de supporter un état de tension, éléments essen-
tiellement variables d'un être à un autre et qui rendront très différents,
selon leur dosage, les effets suscités par les mêmes causes.
Mais quelles que soient ces variations, les' mécanismes décrits ci-
dessus marqueront profondément le moi, donc toute la personnalité.
C'est là qu'il faut trouver l'origine de l'ambivalence affective qui
imprègne plus ou moins toutes les conduites humaines et au coeur
desquelles on retrouve encore la peur.
En outre, cette agressivité qui ne peut trouver d'issue à l'extérieur
dégage une énergie qui, au lieu d'être intégrée et utilisée par le moi,
est inhibée puis retournée contre lui. Nous avons là la racine même du
masochisme moral (1). Dans l'immédiat, la peur de l'agressivité — ou
la peur et l'agressivité refoulées — ont des effets d'une extrême impor-
tance : les fonctions du moi s'épuisent à éliminer une énergie pulsion-
nelle qu'elles ne peuvent intégrer, et qui finit par les désorganiser. Leur
action est perturbée tant en ce qui concerne la réponse aux exigences
(I) Tant que les premiers rudiments du moi existent seuls, l'entourage, la mère, se pro-
longent en eux, et il y a identification immédiate entre l'enfant et la mère. Durant cette phase,
l'agressivité non extériorisée imprègne directement le sujet et constitue ce que j'appelle le
masochisme organique distinct du masochisme moral qui résulte d'un infléchissement de
l'agressivité.
544 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
(I) Le rôle des interprétations rue semble être ici surtout d'écarter les résistances qui
s'opposeraientà ce que le sujet vive entièrement ces expériences nécessaires.
ESSAI SUR LA PEUR 549
PSYCHANALYSE 36
Le problème des guérisseurs
par GEORGES PARCHEMINEY
dans son existence, et ceci d'autant plus que l'individu aura épuisé
toutes les ressources de la science médicale ; la croyance à un pouvoir
surnaturel au delà des possibilités de la médecine lui sera d'autant plus
facile à être admise, qu'à ce moment la croyance du groupe au faiseur de
miracles entraînera peu à peu sa propre conviction. Nous trouvons ici
tous les éléments psychologiques nécessaires à une régression du psy-
chisme au stade de la pensée magique : l'individu perdant son auto-
nomie psychique, n'étant plus qu'un élément du groupe.
Il importe peu que nous trouvions différents modes d'action théra-
peutique : qu'il s'agisse de passes magnétiques, d'imposition des
mains, de transmission de mystérieux fluides, d'incantations, etc., tous
ces procédés existent depuis le début de l'humanité et en dépit des
hypothèses pseudo-scientifiques qui cherchent à les expliquer, il ne
s'agit que de procédés archaïques invariables.
Mais ce serait une erreur de conclure à l'inanité de ces procédés,
à une absence de tout résultat thérapeutique concret ; nous sommes
en effet habitués à considérer les domaines de l'esprit et du corps comme
deux entités distinctes, sans interpénétration, ni réaction de l'une vis-à-
vis de l'autre.
Nous savons toutefois, que dans l'art médical le facteur psycho-
logique appelé « confiance» est loin de jouer un rôle négligeable, mais
en fait quelles sont les limites et les possibilités de ce facteur ? Dans
quelles situations privilégiées peut-on observer de telles réactions ?
Or, ces effets thérapeutiques d'ordre psychologique présentent
leur maximum d'efficience, quand les forces inconscientes axées sur
la croyance magique entrent en jeu.
L'étude des guérisons dites magiques sortirait du cadre limité de
cet article : nous avons signalé plus haut que Mauss dans sa Théorie de
la magie avait mis en relief l'action de facteurs psychiques inconscients.
Plus récemment l'éminent sociologue Lévi-Strauss, dans un impor-
tant travail, a pu retracer in extenso toutes les phases d'une action sha-
manistique ayant rapport à la guérison d'une parturiente dont l'accou-
chement normal s'avérait impossible. La description de toute la scène
où l'on voit le shaman et la malade revivre tout le déroulement du
processus morbide (ceci en faisant intervenir l'action de génies malé-
fiques) puis le retour à la normale, constitue un véritable tableau de
clinique expérimentale de magie, et l'auteur conclut en disant que tout
se passe comme si l'on se trouvait en présence d'une véritable manipu-
lation psychique d'organes. Ce document pris sur le vif présente un
très grand intérêt scientifique et peut nous aider à comprendre ce qui
554 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
B) RELATIONS, OPÉRATIONS
est évidente, serait en effet inexplicable si elle devait être induite des
faits constatés par le savant. Mais est-elle inexplicable si on se reporte
à la « construction du réel » chez l'enfant ? Pour un enfant, il y a des
sensations agréables privilégiées, il y a des situations affectives fonda-
mentales (alimentation, présence de la mère, ...) sur lesquelles se
construit le moi ; ces sensations, agréables, ne sont pas permanentes ;
mais l'enfant désirerait qu'elles le fussent ; il est insatisfait, bien sou-
vent, de leur fugacité. N'est-il pas concevable, dans ces conditions,
qu'un schème de frustration influence, en quelque sorte, le dévelop-
pement de l'intelligence ? Les sensations, écrit E. Meyerson (57),
« vont et viennent, mais surtout elles reviennent, sinon absolument
identiques, du moins suffisamment semblables pour qu'il soit possible
de les constituer en un système tel que celui du monde des objets,
pour qu'il y ait avantage à constituer ce système en vue d'une action des-
tinée à nous procurer des sensations agréables et surtout à nous en éviter
de pénibles » (c'est nous qui soulignons). Ainsi E. Meyerson explique
génétiquement la formation de la notion d'objet : « C'est cette expérience
et cette attente du retour qui, transformées en une fiction de persis-
tance, créent l'objet » (pp. 574-76).
Le goût des invariants, chez le mathématicien, pourrait être une
compensation de la labilité des circonstances : ayant été frustré de
l'objet « libidinal », le moi hypostasie, ensuite, une stabilité qui servira
de support à ses explications. La notion de transformation se ratta-
cherait aussi à l'instinct de récupération de l'enfant, qui désire retrouver
des objets, sortis par exemple de son champ visuel, ou déformés par
perspective. Les déformations ou transformations seraient valorisées
parce qu'elles ont constitué, dans la perception du bébé, l'une des
manières de perdre (mais non définitivement) les objets. .
lement au complexe d'OEdipe. Dans les dessins d'un enfant fort inhibé,
« fils d'un homme remarquable », M. C. Baudouin (4) décèle un « motif
insistant » : « Celui d'un objet de grande taille voisinant avec un objet
semblable de petite taille, à peu près homothétique, qu'il semblait
écraser de sa puissance : la grande maison et le petit garage, le grand
arbre et le petit arbre, etc. Plusieurs de ces couples comportaient un
symbolisme phallique évident... Les fantaisies de castration les plus
classiques mêlaient leur jeu-à celui-là » (II, p. 38).
Opérations. — Dans d'autres observations, Mme M. Klein (42)
mentionne des facteurs inconscients intervenant à propos des opéra-
tions arithmétiques : la division, signifiait pour « Fritz » une division
du corps maternel ; et la confusion du quotient et du reste était due,
chez cet enfant, aux sentiments de culpabilité liés à ces « parts » de
viande saignante. L'inhibition intellectuelle disparut du jour au lende-
main lors de l'élucidation de la cause affective (p. 79).
« Lisa » ne comprenait pas la division d'un très grand nombre par
un grand nombre plus petit (surtout en cas de reste non nul). La
grandeur du nombre exerçait une influence, car la division représentait
pour l'enfant une division du corps maternel (grand).
De même, la compréhension, de. l'algèbre pourra dépendre de
certains mécanismes affectifs : il est curieux de découvrir chez certains
enfants la signification affective précise de certaines équations. Ainsi
« Lisa » ne comprenait que les équations à I inconnue : la « seconde
inconnue » représentait pour elle le second pénis (superflu) dont elle
voulait se débarrasser afin de posséder un parent pour elle seule :
la seconde inconnue représente, en quelque sorte, la semence mysté-
rieuse ; tandis que l'équation à I inconnue, plus accessible, représen-
terait, selon Mme Klein, l'équation faeces = pénis (p. 80).
7. Jusqu'à présent nous n'avons envisagé que des valorisations
inconscientes relatives aux rudiments des mathématiques, et nous les
avons empruntées à des observations portant soit sur des enfants — et
la plupart atteints de troubles intellectuels — soit sur des névrosés.
Aussi pourrait-on être tenté d'en inférer que de telles valorisations
sont la marque d'un état infantile ou régressif. Rien encore ne prouve
qu'elles existent chez les individus bien doués en mathématiques ni
chez les mathématiciens proprement dits. Aussi convient-il de préciser
le rôle qu'elles semblent jouer dans la psychogenèse, en essayant de
situer le cas du développement intellectuel normal par rapport aux
cas de développements anormaux.
Que l'on doive ou non rattacher toute inaptitude intellectuelle ou
570 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
tue pas, ainsi que fait le temps, écrit Mme M. Bonaparte (II). Il peut
être au contraire quelque chose d'ami, il est comme notre atmosphère ;
nous y respirons, nous nous y déplaçons, nous y voyageons, nous nous
enivrons de la pauvre amplitude d'espace qui, autour de notre minime
planète, nous est accordée » (p. 64).
12. Toute valorisation d'un être mathématique, être créé par l'esprit,
ne correspondrait-elle pas à une sublimation de fixations contempo-
raines du stade de la différenciation du moi et du non-moi, par introjec-
tion et projection ?
Une dualité entre deux plans de pensée caractérise, d'après R. Daval
et G. Guilbaud (18), la pensée mathématique. « L'objet mathématique
exprime le travail créateur qui le fit naître... Le produit de l'opération...
est cette opération même, mais objectivée : l'objet de la construction,
c'est la construction elle-même... Il y a construction dans la mesure
même où une opération se projette en un objet... » (p. 139). « La création
de l'objet se présente comme la condensation d'un travail mathéma-
tique. » « L'objet mathématique se distingue, semble-t-il, de l'objet-
chose, en ce qu'il est l'expression explicite du travail créateur qui le
fit naître ; l'objet-chose est offert à notre contemplation, mais sa création
nous reste mystérieuse » (pp. 134-5).
Cette connexité des deux plans de pensée mathématiques ne serait
elle pas en rapport avec la connexité des deux thèmes affectifs de
relations que Mme Klein considère comme fondamentaux dans la
théorie des instincts de la première enfance (42) : relations de l'enfant
avec le corps de la mère et avec son propre corps ? Les réactions d'an-
goisse qui troublent ces relations leur portent des atteintes solidaires,
et toute atténuation de l'angoisse se soldera par un effet favorable
dans l'un et l'autre domaine (p. 263).
L'objet mathématique nous est donné comme un « dedans », il
spatialise un travail intérieur : il rend visible — acceptable — des
détails qui sont intérieurs (en tant que démarche) et extérieurs
(en tant que résultat), mais qui toujours appartiennent à l'esprit, sont
sa propriété, légitime car rigoureuse. La connaissance permise et mathé-
matisée se trouve alors être aussi bien intérieure qu'extérieure, c'est
une connaissance mixte, une connaissance par correspondance entre
le moi et le monde, et qui sera exactement la même sur les deux plans,
associés l'un à l'autre comme des complémentaires dans la formation
de l'image du moi et du monde.
On s'expliquerait assez bien, de ce point de vue, que les questions
les plus controversées parmi les mathématiciens soient les questions
VERS UNE PSYCHANALYSE DES MATHÉMATIQUES ? 577
d'un nombre irrationnel qui soit pour ainsi dire immortel (échappant
à la mort sériatrice) (p. 193). Ces traits se retrouveraient dans la folie
qui affecta Cantor à la fin de sa vie, et en particulier dans certaines
de ses idées maîtresses (pp. 194-99).
Le domaine de la Théorie des ensembles semble spécialement propice
à ce genre d'études : aussi bien, les différents mathématiciens adoptent-
ils à l'égard de l'infini des attitudes variées, attitudes que l'on doit à
la rigueur considérer comme psychologiques (55). Selon I. Hermann
(35), la théorie des ensembles serait même régie par des lois compa-
rables à celles qui régissent les représentations inconscientes : l'équi-
valence de la partie au tout, par exemple, qui caractérise les ensembles
infinis, caractérise également la « pensée magique ». Et le parallé-
lisme est loin d'être fortuit, car les ensembles infinis échappent à la
représentation, et s'apparentent à un modèle mental de « fuite des
idées » tandis que l'inconscient produit des représentations qui tendent
à se répéter indéfiniment, et qui possèdent plusieurs traits des ensembles
infinis ; une certaine indépendance quant à la réalité extérieure carac-
térise les lois de l'inconscient, comme celles des ensembles : les lois
des ensembles refléteraient donc l'inconscient d'une manière assez
fidèle (p. 224). En conséquence, il serait possible d'étudier psychana-
lytiquement les attitudes adoptées par des mathématiciens ou des
logisticiens comme B. Russell, Brouwer, Hilbert. Selon I. Hermann,
l'oeuvre logistique de B. Russell serait caractérisée par la notion d'inter-
diction ; les antinomies sont évitées grâce à des procédés conjuratoires ;
le type affectif correspondant serait celui du phobique, et les relations
d'inceste, d'endogamie, joueraient le rôle de modèles inconscients pour
les relations mathématiques ou logistiques du système de rationalisation,
comportant une hiérarchie de types. L'axiome de réductibilité serait
construit sur le modèle d'un symptôme névrotique de genre hystérique.
L'intuitionnisme de Brouwer se rattacherait à un ' type affectif
d'ambivalence, comme la névrose obsessionnelle. Le doute, l'exigence
inassouvie d'un signe indubitable de définition, conduisant à l'abandon
du principe du tiers-exclu, en seraient les traits saillants. L'intui-
tionnisme résoudrait donc le problème des antinomies sur un mode
de « zwangneurose ».
Quant au formalisme de Hilbert, il résout le même problème sur
un mode schizoïde, conférant au symbole une valeur d'existant. Le
système est fermé sur lui-même, il est imperméable à la contradiction
extrinsèque ; les mots et signes s'enchaînent formellement et non selon
une signification objective (35).
586 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
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LES REVUES
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le développement d'une période d'exploration initiale, qui a pour objet l'en-
semble des habitudes de conduite (ici, Kris se réfère à Bibring) ; il tend à
mettre en évidence une défense, et non un contenu du Ça ; ceci fait, les conte-
nus du Ça émergent. Tel est le mode d'approche qu'a systématisé et guidé la
psychologie du Moi.
Dans la Troisième Partie, Kris discute la question classique des rapports du
« planning » et de l'intuition. Le progrès des connaissances a augmenté les
possibilités de précision, en même temps qu'il nous a rendu plus conscients de
certains problèmes, dont Kris formule quelques-uns. L'opposition du « plan-
ning » et de l'intuition lui paraît désuète, la vraie question est de savoir à quel
moment les processus de pensée préconsciente prennent le dessus et déter-
minent les réactions de l'analyste ; les divergences techniques se ramènent à des
attitudes individuelles différentes ; certains sont gênés par une formulation trop
explicite ; d'autres ont besoin de faire le point de temps en temps ; d'autres
enfin ont tout le temps besoin de savoir où ils en sont. Si on pose que la distance
optimale à partir de la pleine conscience est une partie de l'équation personnelle
du psychanalyste, la contribution des processus préconscients acquiert une
importance considérable. Elle garantit d'abord la spontanéité de l'analyse, et
certains effets de surprise sur la valeur desquels Kris s'avoue hésitant. Sans
aller jusque-là, on a raison de croire à la valeur constructive de l'intuition ;
Kris donne un exemple dans lequel une formulation nouvelle de l'interpré-
tation (« besoin d'amour » au lieu de « demande d'amour») permit de toucher
juste ; la nouvelle formulation procédait de l'intuition et non de la compré-
hension consciente. En général, conclut-il, les progrès de l'analyse ont reposé
sur les interactions du « planning » et de l'intuition. Souvent, un coup d'oeil
dans la direction de l'auto-analysejoue un rôle important dans son intervention.
Les relations de l'attention, de l'intuition et de l'auto-analyse ont été magistra-
lement décrites par Ferenczi.
D. L.
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DES
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(XVe Conférence des Psychanalystes de Langues romanes)
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Les Revues 590
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