Explorer les Livres électroniques
Catégories
Explorer les Livres audio
Catégories
Explorer les Magazines
Catégories
Explorer les Documents
Catégories
SYMBOLON
Coordinateurs
2012
Comitetul de redacţie
Director
Ionel Buşe
Redactor şef
Cătălin Stănciulescu
Redactori
Gabriela Boangiu, Marian Buşe, Dorin Ciontescu-Samfireag,
Ioan Lascu
Comitetul Ştiinţific
PREFACE 5
JEAN LIBIS
PHILIPPE RICAUD
RENATO BOCALI
VALERIA CHIORE
IONEL BUSE
MARYVONNE PERROT
GISELE VANHESE
CLAUDIA STANCATI
FRANCESCA ANTONACCI
ION HIRGHIDUŞ
GEO CONSTANTINESCU
4 | Sommaire
HYUN-SUN DANG
AUROSA ALISON
RYTHME, VIE ET PENSEE CHEZ BACHELARD. LA RYTHMANALYSE ENTRE 202
PSYCHANALYSE ET CHRONOBIOLOGIE
JULIEN LAMY
FRANCESCA BONICALZI
CATALIN STANCIULESCU
VINCENT BONTEMS
CARLO VINTI
CHAOYING DURAND-SUN
BACHELARD ET LUPASCO.
LOGIQUES, DIALECTIQUES ET MÉCANIQUE QUANTIQUE
VINCENT BONTEMS
LARSIM-CEA, PARIS
2 Ibid.
Bachelard: art, littérature, science | 253
Lupasco dans la Philosophie du non. Puis, nous montrerons que ce sont en fait
les œuvres de Bachelard, en particulier L’Expérience de l’espace dans la
physique contemporaine (1936), qui informèrent la réflexion épistémologique
de Lupasco sur la mécanique quantique exposée dans L’Expérience
microphysique et la Pensée humaine. Enfin, à la lumière de ces références
croisées, nous analyserons la brève discussion entre les deux philosophes,
qui eut lieu le 25 mars 1950, lors d’une séance de la Société française de
Philosophie, et dont l’enjeu était le statut de la logique dans la pensée
rationnelle.
Métaphysique et microphysique
Bachelard n’avait pas attendu Lupasco pour s’intéresser à la
mécanique quantique. En 1932, il publie «Noumène et microphysique»3 dans
les Recherches philosophiques. Il y met en évidence la désubstantialisation que
fait subir la microphysique à ses objets: «Il n’y a alors de propriétés
substantielles qu’au-dessus – non pas au-dessous – des objets
microscopiques. La substance de l’infiniment petit est contemporaine de la
relation»4. Il introduit alors les notions complémentaires de «noumène» et de
«phénoménotechnique» pour caractériser la physique contemporaine et il
souligne l’importance de la notion d’opérateur pour comprendre les
implications philosophiques du formalisme quantique. Ces éléments sont la
base de ses analyses ultérieures de la microphysique, que ce soit dans
L’Expérience de l’espace dans la physique contemporaine, La Philosophie du non, Le
Rationalisme appliqué ou L’Activité rationaliste de la physique contemporaine
(1953). C’est sans doute, cependant, ce premier écrit qui propose le plus
explicitement de réformer la métaphysique pour faire advenir une ontologie
adaptée à la réalité quantique. Bachelard y explique que l’objet
microphysique n’est plus une substance, une «chose» comme le supposait la
métaphysique fondée sur la physique classique étudiant des objets situés à
notre échelle, mais un noumène, une structure mathématique susceptible de
s’actualiser sous forme de particule ou d’onde en fonction du dispositif
phénoménotechnique. L’objet microphysique est une «chose-mouvement»
qui rompt la distinction ordinaire entre les catégories langagières du
substantif et du verbe, entre l’être et le devenir:
Dans le monde inconnu qu’est l’atome, y aurait-il donc une sorte de fusion
entre l’acte et l’être, entre l’onde et le corpuscule ? Faut-il parler d’aspects
3 L’article est repris dans Gaston BACHELARD, Études, Paris, Vrin, 1970, p. 11-24.
4 Ibid., p . 13.
254 | Vincent Bontems
5 Ibid., p. 12.
6Alde LUPASCOT-MASSOT, «Lupasco et la vie», Bulletin Interactif du Centre
International de Recherches et Études transdisciplinaires, n° 13, 1998. http://ciret-
transdisciplinarity.org/bulletin/b13c5.php
7 Dans ses premiers écrits, Lupasco ne distingue pas très nettement entre les notions
La dialectique ne nous sert qu’à border une organisation rationnelle par une
organisation surrationnelle très précise. Elle ne nous sert qu’à virer d’un
système vers un autre11.
Réalismes et opérateurs
Après avoir soutenu ses thèses, Lupasco étudia les travaux de
nombreux épistémologues, y compris ceux de Bachelard13. On trouve dans
L’Expérience microphysique et la Pensée humaine¸ de nombreuses références à
L’Expérience de l’espace dans la physique contemporaine (le titre même du livre
de Lupasco est peut-être inspiré de celui du Bachelard). Ces références,
censées signaler leurs points d’accord, manifestent paradoxalement la
divergence de leurs raisonnements. Quand Lupasco approuve la
caractérisation du «nouvel esprit scientifique» en tant que rupture avec la
physique du continu (équations différentielles) et découverte du discontinu
(quantum d’action), il ne se situe pas dans la même perspective que
Bachelard :
11 Ibid., p. 137.
12 Charles ALUNNI, «Relativités et puissances spectrales chez Gaston Bachelard»,
Revue de Synthèse, n°1, 1999, p. 107.
13 On sait, par exemple, qu’il fit le compte-rendu de La Dialectique de la durée, dans la
15 Ibid., p. 115-116.
16 Pour une analyse détaillée des divers «réalismes» de Bachelard, voir Michel-Élie
MARTIN, Les Réalismes épistémologiques de Gaston Bachelard, Paris, Éditions
universitaires de Dijon, 2012.
17 LUPASCOT 1941, p. 120.
260 | Vincent Bontems
21 BACHELARD 1937, p. 108. Cette citation ne figure pas dans l’ouvrage de Lupasco.
Logiques et contradictions
Même si les accusations de Mathieu sont sans fondement, on peut se
demander si la lecture de Lupasco n’aurait pas incité Bachelard à envisager
la réforme de la logique, c’est-à-dire à formuler une logique non
aristotélicienne adaptée au formalisme de la mécanique quantique. Le
chapitre V de La Philosophie du non («La logique non-aristotélicienne») est
tout entier consacré à cette question alors que le nom de Lupasco n’y
apparaît pas.
Bachelard n’avait cependant nullement besoin de se référer à
Lupasco pour développer son raisonnement. Dès 1928, il émettait déjà la
conjecture d’une pluralité des logiques en fonction des exigences à la fois
mathématiques et expérimentales des divers domaines physiques définis en
fonction de leur échelle d’application: «À chaque ordre de grandeur, sa
physique, et peut-être sa logique»24. Quand il reprend cette question dans La
Philosophie du non, il le fait à la lumière de son analyse de la non-localité de
l’objet microphysique dans l’espace des phases: «l’espace de l’intuition
ordinaire où se trouvent les objets n’est qu’une dégénérescence de l’espace
fonctionnel où les phénomènes se produisent»25. Puis, il indique la solidarité
entre les intuitions du sens commun et la logique ordinaire en tant que
«physique de l’objet quelconque», c’est-à-dire selon la définition de la
logique par son ami Ferdinand Gonseth. Il souligne qu’il existe déjà toute
une variété de tentatives d’élaborer des logiques non-aristotéliciennes
trivalentes (se référant aux travaux d’Olivier Reiser). S’il ne mentionne pas
Lupasco, c’est qu’il distingue deux statuts possibles du principe d’identité
que ce dernier confondait dans sa critique: il y a, d’une part, ce qu’il nomme
le postulat de tautologie, qui stipule que le même mot à toujours le même
sens et qui est indispensable à tout raisonnement, et, d’autre part, le postulat
d’identité, qui pose la permanence de l’identité d’un objet. C’est seulement
ce second statut, c’est-à-dire la portée ontologique implicite du principe
d’identité, qu’il faut réviser pour comprendre la mécanique quantique: «une
physique heisenbergienne devrait dialectiser le postulat d’identité»26. C’est
donc un principe de logique appliqué, en tant que postulat physique, qui est
révisé et non le principe d’identité en tant que fondement de la logique. La
réforme de la logique qui est alors envisagé n’est pas celle de Lupasco, mais
l’élaboration d’une logique trivalente telle qu’esquissée par Paulette
Destouches-Février dans le prolongement des travaux de Tarski, où des
propositions incompatibles peuvent être appliquées au même objet en étant
tenues pour vraies séparément. La troisième valeur de cette logique
trivalente n’est plus alors A et non-A à la fois mais la valeur «absurde», c’est-
à-dire ni A ni non-A. Enfin, Bachelard insiste sur la «modestie» de cette
élaboration comparée à la complexité de la construction mathématique de la
mécanique quantique, car «une organisation logique est une simple
distribution du vrai et du faux. Elle n’est pas une construction toujours en
action comme les mathématiques ou la physique»27. Par ailleurs, quand il
s’interroge sur des applications possibles de la logique non-aristotélicienne
hors du domaine de la microphysique, Bachelard se garde de faire référence
à Lupasco, il convoque plutôt la sémantique générale d’Alfred Korzybski. Si
l’on a suivi ce raisonnement, on comprendra que le compliment de
Bachelard à l’égard de Lupasco portait bien uniquement sur sa conception
de la dialectique (et en prescrivant des limites à celle-ci) et nullement sur sa
conception de la logique.
C’est ce point que met en lumière la vive discussion qui eut lieu lors
de l’intervention de Bachelard devant la Société française de philosophie sur
le thème «De la nature du rationalisme». Cette conférence est devenue
fameuse, en particulier parce que Bachelard y fit état de la séparation entre
les versants «diurne» (l’épistémologie) et «nocturnes» (la poétique) de son
26 Ibid., p. 116.
27 Ibid., p. 125-126.
Bachelard: art, littérature, science | 263
œuvre. Mais elle fut surtout pour Bachelard l’occasion de réaffirmer que «le
rationalisme est nécessairement ouvert»28 et de défendre un «rationalisme
dialectique» à propos duquel il précisait d’emblée qu’il «ne peut être
automatique et ne peut pas être d’inspiration logique»29. Une telle remarque
était peut-être adressée à Lupasco, qui figurait dans l’assistance. En tout cas,
la discussion qui eut lieu entre les deux hommes confirma leur désaccord
sur la nature de la dialectique et surtout sur le statut de la logique. Lupasco
posa deux questions à Bachelard: «Pourquoi préfère-t-il le mot rationalisme
au mot logique?» et «s’il s’agit de modifier les fonctions du rationnel, qu’est
ce qui constituera les critères du rationalisme?»30. On comprend sans peine
l’intention qui guide ces deux interrogations: si au lieu de «rationalisme»
dialectique, il était question de «logique» dialectique, Lupasco pourrait faire
valoir sa logique du contradictoire comme étant la clef de voûte des analyses
épistémologiques de Bachelard; ce moteur dialectique est d’autant plus
nécessaire, à ses yeux, qu’il permet à son système de s’auto-justifier, tandis
que le rationalisme bachelardien ne se justifie qu’a posteriori, en fonction des
progrès des sciences. Les réponses de Bachelard sont des fins de non-
recevoir et, son collègue ne cessant de l’interrompre, elles deviennent même
assez cinglantes.
Bachelard récuse toute velléité de fonder l’épistémologie sur une
discipline aussi abstraite que la logique formelle: «Le terme de logique est
particulièrement vide, lui, particulièrement léger, particulièrement
formaliste. Et, par conséquent, si l’on fait de la logique, il y a précisément
une activité qui consiste à s’installer dans un formalisme absolu» et il ajoute,
ce qui est probablement une critique implicite de la démarche de Lupasco,
«si vous faites de la logique sans précisément faire vœu de formaliser, vous
ne faites pas de la logique au sens propre du terme»31. La position adoptée
par Bachelard peut surprendre: n’est-il pas lui aussi favorable à une pluralité
des logiques? – Il fait même preuve d’un rigorisme qu’on ne lui reconnaît
guère sur cette matière en identifiant la logique formelle comme la seule qui
vaille: «c’est en logique moderne que je parlerai»32. On en comprend la
raison quand on se réfère à son intervention aux «Entretiens d’été»
d’Amersfoort en 1938 («La Psychologie de la raison»), où il confrontait sa
30 Ibid., p. 71.
31 Ibid., p. 72.
32 Ibid.
264 | Vincent Bontems
33 Ibid., p. 30.
34 Ibid., p. 72.
35 Ibid.
Bachelard: art, littérature, science | 265
36 Ibid., p. 73.
37 LUPASCO 1941, p. 297-298.
266 | Vincent Bontems
38Sur les origines de la philosophie du non chez Einstein, Enriques et Gonseth, voir
Vincent BONTEMS, «Les philosophes du non. Gaston Bachelard, Federigo Enriques et
Ferdinand Gonseth», Cahiers d’histoire de la philosophie, 2013.