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PLAN :

Analyse, d'un point de vue sonore, de la dernière séquence de Blow-up de Michelangelo Antonioni,
(1967).

INTRODUCTION :

Thomas, photographe, prend en photo un couple dans un parc. Après avoir développé le film, il va
s'apercevoir qu'il a été témoin d'un meurtre. Il agrandit son cliché, jusqu'à ce que le grain de la photo
rende abstraite toute interprétation. La reproduction de la réalité tend ici à l'abstraction.
L'histoire de Blow-up pourrait se résumer ainsi : il s'agit d'une enquête policière se métamorphosant
en intrigue optique et sonore.
La dernière séquence de Blow-up illustre le basculement de Thomas dans le monde de l'illusion, il
renonce à l'idée que l'image est révélatrice d'une certaine réalité.

Dans les années 60, Michelangelo Antonioni se déclare contre la musique de film ( "Positif",
n°30,juillet 1959) :
"Je déteste la musique dans le film. Si je le pouvais, si les producteur me laissaient faire, je mettrais
seulement une piste sonore de bruits" .
Puis dans les "cahiers du cinéma" ( n°112, oct. 1960 ) :
"Je suis plutôt opposé au commentaire musicale...La musique se fond rarement avec l'image, le plus
souvent, elle ne sert qu'à endormir le spectateur et à l'empêcher d'apprécier clairement ce qu'il voit."
Antonioni utilise peu la musique au profit des bruits et des silences. Comme nous le verrons la
musique est présente au générique sur le mot fin, c'est alors une mélodie au rythme vif qui
n'accompagne pas l'image.
Les recherches acoustiques des futuristes, des bruitistes ( dont Luigi Russolo est le précurseur, il
rédige un manifeste en 1913 intitulé "l'art des bruits" prônant l'intrusion du bruit dans la musique)
intéresse M. Antonioni, ainsi que les recherches de Pierre Schaeffer (créateur de la musique concrète)
datant de 1966, année de la réalisation du film. La créativité sonore du cinéaste s'est enrichie de par
l'influence de ces divers mouvements.
Par divers citations de Robert Bresson, tirées de "Notes sur un cinématographe", nous verrons aussi
que Antonioni a obéis à certaines de ces directives. Notamment celles-ci me permettant d'introduire la
première partie :

"le cinéma sonore a inventé le silence"


"Sois sûr d'avoir épuisé tout ce qui se communique par l'immobilité et le silence"
"Bâtis ton film sur du blanc, sur le silence et l'immobilité"

(visionnage de la séquence)
• PREMIERE PARTIE :
L'orchestration du Silence, la temporalisation.

L'aphorisme de Bresson éclaire un juste paradoxe : il a fallu l'intrusion de bruits et de voix pour que
leur arrêts et interruptions creusent Ce Silence ( alors que dans les films muets tout suggérait des
bruits).
Dans cette séquence le silence résonne dans l'espace vide, il étire le temps de l'action. A noter qu' il
ne s'agit pas ici d'absence de bruits, ce n'est pas "un vide neutre" (Michel Chion) c'est ici le "négatif
d'un son", le "produit d'un contraste".
Cette impression de silence est très bien orchestré par Antonioni. Nous pouvons découper la
séquence en trois partie, à la manière d'une partition de musique. La partie centrale arrive brusquement,
elle amène un "brouhaha" énorme conduit paradoxalement par les mimes, puis elle disparaît
progressivement comme engloutit par le silence. L'entrée en scène des mimes illustre l'aphorisme de
Bresson qui dit que le cinéma parlant à amené le silence. Cette partie est encadrée par deux sous-
séquences silencieuses. Ce sont des bruits ténus, naturels, associés à l'idée de calme (auquel nous
renvoi le comportement du personnage quasi immobile, sa gestuelle, sa lenteur dans ses déplacements,
les plans fixes, ...). Ces sons n'attirent pas notre attention, et ne sont audibles qu'à partir du moment où
d'autres bruits se font plus bruyants ( l'entrée dans le champ de la voiture). On se rend compte alors du
silence passé, le silence à venir dans la troisième partie devient plus angoissant.
Ces deux parties semblent être vidées de toutes substances, le silence les enveloppe. Nous
remarquons effectivement des sons en creux : - l'absence des bruits de pas du personnage.
- l'absence des rebondissements de la balle de tennis absente.
Le "silence" ici n'est pas un son ambiant, nous le verrons dans la deuxième partie, c'est un bruit
fondamental ( bruit continu dans lequel tous les autres bruits du film seront engloutit ou tendent à
s'apaiser) de masse complexe ( pas d'aigu ni de grave). On entend des bruits de feuillage, le souffle du
vent, des jappement de chiens, dans la troisième sous séquence on distingue aussi des sifflements
d'oiseaux.
Le son exerce une temporalité à l'image ( effet de temporalisation), il la sculpte. On éprouve ici un
étirement temporelle, le temps semble plus long que dans la réalité. Tandis que le "brouhaha" brise ce
sentiment pour introduire paradoxalement les mimes ( symbole du cinéma muet et burlesque ), le
silence explose de la même manière que leur gestuelle qui éclate de la voiture.
Les deux parties silencieuse de la séquence se déroulent dans deux espaces différents. L'un confiné,
l'autre plus ouvert, plus aéré. Cela devrait impliquer une résonance différente de ces deux silence, or
elle est la même.

➱Le bruit n'est effectivement pas un son territoire mais un son interne subjectif.

•• SECONDE PARTIE :
L'état d'esprit du personnage révélé par le bruit fondamental et par les sons en creux.

Nous remarquons tout d'abord que Thomas se fond dans l'espace qui l'entoure, les plans d'ensembles
Nous remarquons tout d'abord que Thomas se fond dans l'espace qui l'entoure, les plans d'ensembles
noient le personnage quasiment figé dans le cadre. Le bruit fondamental étouffe les bruits de ses pas
(son en creux). Dans la première partie les gros plans, associant généralement le personnage aux sons
entendus, sont absents . Antonioni cherche à tromper le spectateur, notamment dans le passage où
Thomas est accroupi sous l'arbre:

Thomas est accroupi, il regarde en l'air, filmé en plongé - la caméra nous montre un détail de l'arbre
en contre plongé, le bruit du feuillage se fait plus intense - (à ce moment nous pensons que la caméra
nous montre ce que voit Thomas), mais le plan suivant en plongé nous montre le personnage debout
regardant à un tout autre endroit. Le deuxième plan nous indique l'état d'esprit dans lequel se trouve
Thomas ➞ la perte de l'image, rendue abstraite par l'agrandissement, ainsi que la perte du cadavre, qui
n'est plus dans le parc, troublent Thomas.

Tout va basculer avec l'entrée en scène des mimes. Thomas va d'abord observer la partie de tennis
imaginaire. Le bruit fondamental du feuillage reste dominant. Les sons en creux vont être dessinés par
la caméra et par les mimes. Ensuite la balle va s'échapper du terrain, Thomas va accepter de la renvoyer
aux joueurs, il passe de l'autre coté du miroir. Nous sommes en point d'écoute subjectif, (c'est la
représentation visuelle en gros plan de Thomas, qui associée simultanément à l'audition d'un son, situe
ce son comme entendu par le personnage montré, ici l'image crée le point d'écoute). Cela nous
permettant de comprendre que :

➱le personnage accepte de voir et d'entendre l'invisible.


••• TROISIEME PARTIE :
Voir l'invisible, le monde de l'illusion.

1-Les mimes : retour au langage du cinéma muet et burlesque (gestuelle). "Où il n'y a pas tout,
mais où chaque regard, chaque geste à des dessous" (R. Bresson).

Au début du cinéma parlant on privilégie le langage au détriment des bruits. Dans les années 70,
l'arrivée du son dolby favorisera un cinéma sensoriel, ayant un sentiment aiguë de la matérialité des
choses. En 1966 le cinéma de Michelangelo Antonioni se situe du côté de cette matérialité, sonore et
visuel. Les bruits deviennent indices de réalité et de matérialité. La parole n'est plus centrale, Antonioni
renoue avec le cinéma muet en introduisant les mimes. A plusieurs reprise la mime qui joue au tennis
s'adresse à Thomas par des gestes, elle lui fait signe de renvoyer la balle, elle lui exprime sa désolation
face à la balle qu'elle n'a pas rattrapé (haussement d'épaule, expressivité du regard...).
Les mimes créent un monde imaginaire, auquel Thomas n'as pas accès tout de suite : le bruit
fondamental domine lorsque la caméra fixe le personnage ( ces yeux sont froncés). La réalité est
bousculée par les gestes rythmés des deux joueurs se renvoyant une balle absente. Les gestes des
joueurs vont finir par hypnotiser Thomas, il va renvoyer la balle de tennis imaginaire aux mimes, après
avoir déposé son appareil photo sur la pelouse. Par ce geste, il dépose ce qui lui tenait lieu de regard et
renonce à avoir un rapport objectif aux choses qui l'entoure, il fait une distinction entre la réalité et
l'apparence.

➯Il accepte l'illusion.

2-Le terrain de tennis : cube de l'illusion.

Le terrain de tennis est ici à considérer comme un cube renfermant un son en creux, celui de la balle
absente. Lorsque la caméra est à l'intérieur du cube, les bruits de pas des joueurs peuvent être assimilés
aux rebondissements de la balle imaginaire sur les raquettes ( Cf : plan sur les deux personnages, le
type est de dos). Cette simulation ne se fait entendre qu' à l'intérieur du cube, une fois sorti du terrain la
caméra nous montre Thomas les yeux froncés, qui cherche à comprendre l'incompréhensible, les bruits
de feuillages se font alors plus intense et les pas s'effacent comme engloutit par le bruit fondamental.
Lorsque la balle heurte le grillage, le cube va se fissurer pour laisser sortir la simulation des bruits de
balles, par les pas des joueurs. La caméra est à l'extérieur du cube, derrière Thomas, amusé, qui perçoit
les bruits de pas. La balle passe ensuite par dessus le grillage, le cube est complètement brisé. Le bruit
de la balle absente se met alors à rythmer le regard de Thomas, le son entendu est, à ce moment là, un
son interne subjectif (entendu par un pers imaginairement ), le gros plan associe le visage au son
entendu. Le son en creux se transforme en image négative.
La caméra prend le parti pris de nous montrer l'invisible, elle suit la balle absente de son objectif :
"Ce qu'aucun oeil humain n'est capable d'attraper, aucun crayon, pinceau, plume de fixer, ta caméra
l'attrape sans savoir ce que c'est et le fixe avec l'indifférence scrupuleuse d'une machine" Robert
Bresson.

➯Cette invisibilité devient abstraction. La pelouse se transforme en monochrome vert ( Antonioni a


fait repeindre la pellicule pour ce passage ), les sons s'inscrivent eux aussi dans cette abstraction, de par
leur matérialité.
•••• QUATRIEME PARTIE :
Son et matière.

Georges Didi Huberman, écrit dans "l'homme qui marchait dans la couleur" à propos des
installations de James Turell (sculpteur de lumière, réalisant des monochromes sous forme
d'installation) :
"L'artiste est inventeur de lieux. Il façonne, il donne chair à des espaces improbables, impossibles ou
impensable : fable topique. (...) La sculpture de Turell, ses installations, sont ici présentées comme une
fable de cheminement sans fin. En sorte que regarder une oeuvre d'art équivaudrait à marcher dans un
désert. Le lieux de la marche est un monochrome. L'absence de toute chose."
Dans Blow-up, la caméra nous montre l'invisible, de ce fait elle crée une abstraction sonore (les sons
en creux) et visuelle (le monochrome).

1- Le son doit être "matière abstraite", il se matérialise dans l'image.

"Il faut que les bruits deviennent musique" écrit R. Bresson, dans les années 50. Mais bien avant lui
en 1913, Luigi Russolo publie un manifeste futuriste : ' L'art des bruits' , prônant l'intrusion du bruit
dans la musique. Cette évolution de la musique est parallèle à la multiplication grandissante des
machines. Les Bruitistes combinent des bruits de tramway, d'auto, de foules criardes. "Il faut que ces
timbres de bruits deviennent matière abstraite pour qu'on puisse forger avec eux l'oeuvre d'art (...) Le
bruit doit devenir un élément suffisamment abstrait afin qu'il puisse atteindre la transfiguration
nécessaire de chaque élément premier naturel en abstrait élément d'art".
Le son est montré par Antonioni comme matière à modelé. Le plan rapproché de la main du joueur
de tennis, tenant la raquette absente, associé au bruit de pas et simulant le bruit du rebondissement de la
balle imaginaire, présente la main comme créatrice de son, elle le modèle. Le geste est ici acte
créateur. Antonioni travaille avec les bruits, avec le silence, il recherche une certaine matérialité, un
sens aigu des choses et des êtres.
Dans la première sous séquence, le plan en contre plongé nous montrant un détail du feuillage n'est
pas ce que voit Thomas, ici le son s'est matérialisé dans l'image. Le son du feuillage n'est pas un son
territoire, il est révélateur de l'état d'esprit du personnage, qui éprouve le leurre au travers du réel et du
concret.

➯La représentation matérielle du son (plan du feuillage) affole l'image, le son sculpte l'image.
2-Le son anime l'image (espace et personnages).
"Images et sons comme des gens qui font connaissance en route et ne peuvent plus se séparer" R
Bresson.

Le son va circuler dans l'image. Il suppose le mouvement, implique un déplacement et injecte de la


durée à l'image. Il connecte des petits morceaux d'espace (succession de plans fixes).
Le son vient combler où accentuer le vide de l'image, pour capter l'attention du spectateur. Pour
mettre en mouvement les images Antonioni introduit un son invisible, mais visibilité de cet invisible.
La fixité des plans, la quasi immobilité des personnages, du à la lenteur de leur déplacement, à la
place qu'ils occupent dans le cadre ( Thomas est souvent au centre) amènent l'image du côté de la
photographie. Le son va mettre en mouvement celle-ci. Le souffle du vent sculpte la chevelure et les
vêtements des personnages. Il étire le temps. Le son interne subjectif de la balle imaginaire, à la fin de
la séquence, rythme le regard de Thomas.

➯Le son à valeur d'illustration de l'abstraction dans laquelle se trouve Thomas, perte de la réalité.
CONCLUSION :

La séquence se termine par un plan éloigné en plongée, arrivant brusquement, la silhouette de


Thomas se dessine isolée au centre de la pelouse verte, il est une tâche se rajoutant à l'abstraction du
monochrome initial.

➯introduction du personnage dans le monde abstrait.

Puis par un fondu il disparaît lentement, le monochrome réapparaît. Surgit alors brusquement le
mot "The END", effet de rupture, le passage d'un plan rapproché frontal ( de Th.) à un plan éloigné en
plongée, marque ici l'introduction d'un regard autre : celui du film sur lui même, il se réfléchi en tant
que réflexion optique et sonore. Le bruit fondamental est la métaphore de la projection du film. Après
avoir éliminé le personnage, le film se présente à l'état pure et se confronte à "l'énigme du vert" ( le
miroir).

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