Vous êtes sur la page 1sur 9

INALCO

/ Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM5


Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018
CM 5 - Le monde arabe en 1900

Dans le CM2 ont été vues les transformations politiques et administratives de l’Empire
ottoman, engagées par le pouvoir central. Ces transformations ont un impact sur la société
ottomane (I) ; elles suscitent aussi des interrogations profondes sur le monde arabo-
musulman, sur le rapport à l’Occident et les emprunts à y faire ou non. Comment moderniser,
qu’emprunter à l’Europe sans pour autant perdre sa spécificité, sa personnalité propre ? (II).
Dans ce contexte de foisonnement intellectuel et en réponse aux choix politiques des
gouvernants (Empire ottoman ou puissances coloniales), les premiers nationalismes émergent
(III).

I. La société ottomane au tournant du siècle


A) Population et migrations
Connaissance plus précise de la population grâce aux 1ers recensements de type moderne
1905-06 : 20,8 millions. Vers 1900, 10 M d’arabophones dans l’Empire ottoman.
Accroissement naturel paraît faible. L’augmentation de la pop est due en bonne part au
phénomène de l’immigration.
Population musulmane fuyant l’expansion russe et exode des musulmans des Balkans. On
estime à 1,5 millions l’afflux des musulmans des Balkans en Anatolie après 1876. Au total
entre 1854 et 1908, on estime leur nombre à 3 millions venus du Caucase, Crimée, Kuban
(sud de la Russie) et des Balkans.
En 1878, mise en place d’une Commission des réfugiés pour organiser leur établissement Ils
s’installent dans des zones peu peuplées de Roumélie, d’Anatolie, de Syrie le long des
nouvelles voies ferrées, à proximité de la nouvelle frontière russe1. « Réinvention de
l’Anatolie comme entité turque et musulmane » (Bozarslan)
è Un Etat de + en + musulman
è À la même période (1854-1908), 200 à 300 000 émigrants (Grecs, Arméniens et
Arabes) essentiellement chrétiens.

Début d’une immigration juive à partir des années 18802. En 1882, 1ère colonie agricole
fondée par les Amants de Sion. En 30 ans, la proportion de l’élément juif en Palestine est
passée de 5 à 10%3.

B) Les profondes transformations des campagnes


L’Empire demeure un Etat essentiellement agricole. La population agricole représente environ
75 à 85% du total.

Phénomène de sédentarisation des nomades : Pendant tout le XIXe siècle, l’Empire ottoman
cherche à sédentariser les tribus nomades des Bédouins, turkmènes, kurdes, à travers
l’Anatolie ou la Syrie. Les Bédouins constituent une des grandes craintes des paysans
(villages pillés). Ils menacent aussi les routes et les caravanes. La sédentarisation progressive
des bédouins permet de rétablir la sécurité, de lever plus efficacement l’impôt et de relancer
l’agriculture ottomane.


1 Pour accroître dans cette zone sensible l’élément musulman de la population.
2 Jusque vers 1880, pop juive de Palestine compte environ 24 000 personnes.
3 1908 : 80 000 juifs en Palestine.

1
INALCO / Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM5
Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018
Le statut des terres se transforme ; changements notamment après 1858 avec le nouveau Code
foncier qui entend mieux définir les propriétés (pour améliorer la perception de l’impôt)4.
Constitution de grandes propriétés qui s’accompagne de l’émergence d’un prolétariat rural,
développement d’une agriculture d’exportation à côté d’une agriculture de subsistance qui
demeure.
-En Cilicie et dans la région d’Izmir
-En Égypte au XIXe siècle se constitue une classe de grands propriétaires. Ils incluent les
membres de la famille du khédive, des fonctionnaires turco-égyptiens et des notables ruraux.
Structure très inégalitaire : en 1894, les propriétés de plus de 50 feddan considérées comme
« grande propriété » dans la structure foncière égyptienne, représentent 44 % des terres et sont
détenus par 1,3 % des propriétaires ; les petites propriétaires détenteurs d’un lopin de moins
de 5 feddan représentent 83,3 % des propriétaires et possèdent 21,7 % des terres.
-Dans le Croissant fertile, de grands propriétaires acquièrent les terres délaissées à la suite des
attaques des bédouins ou abandonnées par des paysans endettés.
-Dans l’Algérie colonisée (pas dans l’EO cependant), après la période de dépossession
foncière, les Européens tendent à quitter les campagnes et à s’urbaniser. La période qui suit
(début XXe s.) est celle d’une lente reconquête du foncier par les grands propriétaires
algériens.

L’État ottoman encourage la modernisation de l’agriculture grâce à des experts, à la


création des fermes modèles, à l’assainissement des terres. Politique en faveur des cultures
d’exportation - à lier à l’amélioration des communications - : coton, mûrier (pour la soie),
figues, tabac, raisins secs. Un ministère de l’agriculture est créé en 1846. La création de
banques agricoles (la première date de 1888) favorise aussi le développement de nouvelles
cultures et supplante les usuriers.

Les évolutions du monde agricole se traduisent par une hausse des rendements agricoles, d’où
une meilleure alimentation des populations rurales, le recul des famines5 et des épidémies =>
période de croissance démographique
Ex : L’Egypte a connu, sous le règne du khédive Ismâ‘îl, la dernière période de famine de son
histoire. L’éradication de ce fléau est liée à l’amélioration des transports à l’intérieur du pays,
ce qui favorise les échanges inter-régionaux notamment de denrées alimentaires, et à
l’augmentation des superficies cultivées permise par le développement de l’irrigation. En
revanche, les progrès en matière d’hygiène et de santé restent encore limités.

Toutefois, qd Jurjî Zaydan se rend en Palestine à la veille de la 1GM, il est fasciné par le
modernisme des exploitations juives et déplore l’endettement des paysans ottomans. Il reste
de forts handicaps à la campagne : impôts lourds, outillages défectueux, manque de capital,
sous-peuplement masculin des campagnes en Anatolie du fait de l’enrôlement militaire. La
vie y est difficile. L’exode rural se nourrit de l’accroissement démographique mais aussi de
l’endettement des paysans. >> Fascination pour la ville.

C) Croissance et transformation des villes


4 Il réaffirme la propriété de l’Etat sur les terres miri mais celles-ci sont cédées en possession privée aux

particuliers moyennant le versement d’une taxe de tapu, (c’est aussi le nom du document qui atteste de la
prise de possession de la terre). Les droits de possession peuvent être transmis aux héritiers directs et
après 1867 aux collatéraux jusqu’au 7ème degré. Les terres peuvent être vendues moyennant autorisation
des autorités.
5 Gde famine de 1873-74

2
INALCO / Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM5
Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018
Croissance spectaculaire des villes portuaires. De grandes villes comme Istanbul, Izmir ou
Salonique sont rattachées à l’Europe par de nombreuses liaisons maritimes (ce qui favorise la
migration des Juifs).
Beyrouth passe en un siècle de 6 000 à 140 000 habitants.

Sinon, le taux d’urbanisation n’évolue guère sur le siècle : il serait passé de 17 à 22 % (1800-
1914). L’exode rural explique en partie la croissance de la population urbaine, notamment
mouvement des réfugiés vers les villes (qui fondent de nouveaux quartiers comme le quartier
bosniaque d’Ankara), mais également la croissance démographique générale.

Les villes changent de physionomie : pavage des rues, éclairage urbain, égout
Faubourgs résidentiels font leur apparition avec rues en damier
Ismâ‘îl procéde à « la toilette du Caire ». Il laisse la vieille ville densément peuplée, aux
ruelles étroites (300 000 habitants), et édifie un quartier totalement nouveau, entre les
murailles de la ville ancienne et les berges du Nil, qui doit répondre aux critères de
l’urbanisme moderne : éclairage public au gaz dès 1865. En 1882, Le Caire compte 70
kilomètres de rues éclairées. Les conduites d’eau commencent à être posées à partir de 1865 :
un réseau moderne de bornes fontaines se développe et remplace les anciens porteurs d’eau.

Construction de bâtiments qui abritent les nouvelles institutions : les casernes, les écoles, les
gares, les bâtiments administratifs, les théâtres, mais aussi des jardins publics sur le modèle
européen.
Ex 1. La place Mehmed Ali à Alexandrie inaugurée en 1860 (Okelle : immeubles modernes à
plusieurs étages)
Ex 2 : La touche parisienne au Caire. D’anciens collaborateurs d’Haussmann sont sollicités
pour reproduire au Caire ce qu’ils ont réalisé à Paris : Pierre Barillet-Deschamps, concepteur
du bois de Boulogne, fait de l’Azbakiyya un parc « à l’anglaise » sur le modèle du parc
Monceau avec rivière, vallonnements et grotte pour laquelle il demande l’aide du créateur des
grottes des Buttes-Chaumont.

Apparition d’un prolétariat urbain dans les grandes villes de l’Empire

Bilan : De nombreux clivages socio-économiques subsistent, que les réformes n’atténuent


guère. Société duale des Tanzîmât, avec d’un côté, la masse de pauvres dans les villes et les
campagnes. De l’autre côté ceux auxquels les réformes ont profité : les milieux européens,
négociants, grands propriétaires « indigènes », formation d’une classe moyenne, souvent
marqués par un mode de vie occidentalisé. Ex : à Alexandrie dans les années 1870, le costume
occidental tend à se diffuser chez les hommes des classes aisées, supplantant le caftan
traditionnel tandis que les fonctionnaires ont déjà adopté la stambouline, redingote noire
boutonnée jusqu’au menton.).
Vêtement et coiffure définissent à la fois une attitude face à la modernité et une identité. Alors
que certains adoptent le costume européen et le chapeau, les « Vieux-turbans » restent
résolument attachés au costume traditionnel. Entre les deux, les « porteurs de tarbouche »
(coiffure masculine de feutre rouge) qui se considèrent comme des « gens de leur temps » par
opposition aux traditionnalistes.

Transformations qui suscitent des réactions. Tension entre ouverture et réaction à


l’« occidentalisation »

3
INALCO / Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM5
Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018
II. Un renouveau intellectuel et politique : Nahda et réformisme [ppt]

Parmi ceux qui sont impliqués à des degrés divers dans le processus de changement, l’idée
d’une réforme s’enracine : au-delà du champ politique, la question est débattue dans les
milieux intellectuels. Des questions fondamentales sont soulevées : quelle est la bonne
société, la norme qui devrait guider l’œuvre de réforme ? Cette norme peut-elle découler des
principes de la loi islamique ou faut-il se tourner vers les pratiques et les enseignements de
l’Europe moderne ? Y a-t-il une contradiction entre les deux ?6

Période de la Nahda = terme souvent utilisé dans le sens de « Renaissance » ou plutôt


« Réveil » qui implique le mouvement, le passage d’une phase léthargique à une phase
dynamique dans les domaines culturel et religieux, pour désigner l'éclosion d'une modernité
arabe à l'époque des réformes ottomanes.
Ce mouvement intellectuel se focalise sur les questions de langue, de religion et
d’identité (concepts clés du nationalisme). Le projet est alors plus culturel que politique. Ce
mouvement est né en Égypte et en Syrie dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Il tente
notamment d’expliquer les raisons de la puissance de l’Europe. La Nahda a introduit l'idée
d'un renouveau de la civilisation et d'un réveil des Arabes en tant que nation.

A – La place nouvelle de l’intellectuel


À partir des années 1840, avec l'essor de l'imprimerie, la plus grande diffusion des livres et de
la presse, les idées de démocratie, de liberté, de droits de l'homme se répandent.
Importance des traductions d’ouvrages français et anglais Dès 1836, le cheikh Rifaat Al-
Tahtawi dirige une école de langues en Egypte7.
Rôle de l’éducation et de la presse (journal et revue) qui diffusent les idées nouvelles. Place
particulière de l’Egypte qui jouit d’une grande liberté d’expression pdt la période britannique.

Souvent formées dans des établissements étrangers de haut niveau, des élites turques et arabes
s'approprient la culture et les savoir-faire occidentaux. Elles maintiennent une tradition de
plurilinguisme, de cosmopolitisme, mise au service de la nation ottomane.

Ex : Jurjî Zaydân (1861-1914) incarne la figure de l’adîb, de l’homme de plume détenteur


d’une large culture humaniste. C’est l’un des auteurs les plus prolifiques de la période. Il fait
prendre conscience de l’existence d’une nation qui rassemble les arabophones et a derrière
elle une longue histoire faite de renouveaux successifs de civilisation.
A travers son œuvre, c’est tout le processus d’émergence du nationalisme arabe que l’on voit
en marche. Avant 1908, l’arabisme est essentiellement culturel. La centralisation jeune turque
et les menaces de ruine économique dans un contexte de guerres incessantes font naître
ensuite un mouvement revendicatif dans les provinces arabes. L’année 1914 est celle de la
rupture : la question de l’indépendance arabe est posée.8

B- Le renouveau de la langue arabe


La Nahda a une composante littéraire.
Réédition de textes classiques
Production de textes nouveaux : articles de presse, romans, pièces de théâtre, récits de voyage,
encyclopédies.

6 Hourani, p.69
7 Idées d’avant-garde, influencé par la Révolution française.
8 A-L. Dupont, p.33-34

4
INALCO / Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM5
Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018
La langue arabe est modernisée et simplifiée, pour la rendre plus aisée à manier et lui
permettre d’exprimer de nouvelles idées ; elle est enrichie par la création de néologismes.
Exemple : Butrus al-Bustâni (1819-1883) issu d’une famille maronite (donc catholique),
formé dans un séminaire puis auprès des missionnaires protestants. Selon lui, la langue arabe
doit exprimer les concepts de la pensée moderne et des emprunts à l’Europe sont nécessaires
pour rattraper le retard de l’Orient. Ses travaux mettent en avant l’amour de la patrie : il est
sujet du sultan mais sa patrie, c’est la Syrie. Insiste sur la liberté religieuse et sur l’égalité.

>> Moderniser la langue pour avoir accès à la science et à une nouvelle façon de penser.
>> Beaucoup font partie de l’intelligentsia arabe chrétienne. Mais il existe également un
réformisme musulman

C- Réformisme religieux et engagement politique


Un certain nombre de penseurs estiment qu’il est nécessaire de réformer l’islam pour lui
permettre d’aborder le monde moderne. Cette réforme, envisagée comme une sorte de
protestantisme musulman, exemple délibérément invoqué9, est conçue notamment comme un
retour à l’Islam des premiers temps, celui du Prophète et des 4 premiers califes. Ce
mouvement est désigné sous le nom de réformisme musulman (Islâh : réforme).

Des penseurs comme Jamâl al-Dîn al-Afghâni (1839-1897) ou Muhammad ‘Abduh (1849-
1905) prônent une « purification » de l’islam par le retour à l’esprit des textes
fondamentaux, à savoir le Coran et la Sunna. Il s’agit de se débarrasser des interprétations des
oulémas traditionnels – notamment ceux de la mosquée al-Azhar au Caire – pour retrouver le
sens originel du message coranique et l’adapter aux temps modernes.
Muhammad ‘Abduh enseigne à al-Azhar à partir de 1877 ; il prône l’ijtihâd10 individuel :
ceux qui ont un certain savoir doivent moderniser l’interprétation du Coran afin de répondre
aux questions sur lesquelles les textes sont trop vagues. >>Les réformistes musulmans, dans
leur diversité, entendent ainsi affirmer la compatibilité de l’islam et de la modernité.

Ces penseurs promeuvent, par l’islam, un nouveau type d’engagement dans la société.
C’est une des caractéristiques de Jamal al-Dîn al Afghanî. Il appelle à l’union des
musulmans contre la mainmise européenne. Dans Le Lien indissoluble, périodique fondé en
1884 et rapidement interdit en Égypte, al-Afghâni et ‘Abduh prônent l’unité islamique – celle
de l’Umma – comme moyen de résister aux ambitions impérialistes européennes. Unité moins
autour du respect de la loi islamique que de la solidarité entre croyants.

Bilan: La Nahda recouvre divers mouvements d’émancipation : émancipation de la pensée et


des sujets qui accèdent à la dignité de citoyens, de la « nation arabe » en contexte ottoman ou
colonial, des femmes aussi.

Trans : Dans un contexte de foisonnement intellectuel, les volontés autonomistes se font de


plus en plus sentir. C’est aussi le résultat de la politique d’organisation des communautés
initiée en 1856. Des revendications émergent chez les Kurdes, les Arméniens, les maronites
du Mont-Liban, etc.
Le règne d’Abdülhamid II puis la période des Jeunes Turcs favorisent la politisation de ces
mouvements et entraînent une opposition plus active à l’autorité ottomane.


9 Laurens
10 Esprit de libre examen

5
INALCO / Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM5
Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018
III- La montée du sentiment national

Nationalisme : Mouvement d'individus qui prennent conscience de former une


communauté politique en raison des liens (linguistiques, historiques, culturels,
ethniques) qui les unissent et qui peuvent vouloir se doter d'un État souverain.
L’identification à un groupe ethnico-linguistique territorialement défini devient alors la
base de cette communauté politique.

A) L’affirmation des millet et l’échec de l’ottomanisme


Avec les Tanzîmât, est proclamée l’égalité de tous les sujets devant le sultan et en même
temps que se renforcent les communautés (CM2) 11. Ces communautés gagnent en autonomie
et sont dotées d’organes juridiques spécifiques : elles gèrent leurs écoles, leurs tribunaux,
leurs impôts.
>> loin de diminuer le fait communautaire, les réformes ottomanes et la protection
européenne le renforcent
Les millet (= communauté confessionnelle) : terme qui change de sens au XIXes et sert
désormais à désigner les communautés non-musulmanes (alors qu’avant il pouvait désigner
aussi des populations musulmanes, Kurdes par exemple). Ce terme est traduit par « nation »
par certains diplomates qui se font les défenseurs de leurs revendications12.

La transformation du statut des chrétiens et des juifs bouleverse la société ottomane :


désormais égaux, s’affirmant sur le plan démographique (croissance démographique au
Levant est d’abord le fait des Arabes chrétiens), ils sont parfois plus riches grâce à leur rôle
dans le commerce avec les Européens. Ils échappent de plus en plus souvent à la loi ottomane
grâce aux capitulations dont les consuls usent et abusent.
La progression numérique des non-musulmans – au moment où l’Empire se recentre sur un
espace musulman - est vécue comme une menace.
Avoir en tête qu’ici le facteur socio-économique est aussi important que les questions
confessionnelles.

Ex : La communauté arménienne connaît à partir du milieu du siècle un réveil culturel ; le


milla (millet) arménien produit en 1863 un Règlement organique arménien. Les Arméniens ne
se définissent plus seulement par un territoire13, mais par un sentiment d’appartenance
commune, un sentiment national.
Pour le sultan, la question arménienne14 menace l'intégrité territoriale de l'Empire et offre aux
puissances européennes des occasions d'intervenir. Il convient donc d'étouffer les germes de
nationalisme chez les Arméniens.


11 Renforcement des communautés qui se dotent de constitution (avant l’empire lui-même) : les Grecs-

orthodoxes en 1860-62, les Arméniens en 1863, les juifs en 1864. Ces constitutions définissent la
répartition des pouvoirs entre les laïcs et le clergé. La communauté religieuse devient une entité non
territoriale douée de droits religieux, politiques et culturels.
12 La France fait du catholicisme oriental un instrument de son influence dans le monde ottoman ; la GB

défend le millet protestant et cherche à représenter d’autres minorités, les Druzes et les juifs notamment.
13 D’ailleurs séparé entre les parties russe et ottomane et de plus en plus reconfiguré par l’immigration de

musulmans (Kurdes et Turcs) dans la région occidentale.


14 La communauté arménienne connaît à partir du milieu du siècle un réveil culturel marqué par le

développement d'un réseau d'écoles modernes, l'envoi de jeunes Arméniens en Europe, la multiplication
des livres et des journaux édités en arménien.
Règlement organique arménien qui prévoit l’élection de représentants afin de gérer la communauté de
manière plus démocratique.

6
INALCO / Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM5
Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018
Une 1ère réponse dans l’utilisation de l’immigration : les réfugiés venus de Russie permettent
de renforcer les éléments musulmans, en particulier le long de la frontière
Les années 1895-1896 sont deux années de violence, de massacres. On évalue à 250 000 le
nombre de victimes arméniennes. 100 000 exilés

B- Jeunes Turcs et montée du sentiment national arabe


1- la politique des Jeunes Turcs
L’opposition hamidienne se constitue dans une atmosphère de censure, d’espionnage et de
délation mais aussi de ferveur nationaliste.
En 1889 le 1er groupe d’opposition au régime parmi des étudiants de l’Ecole de médecine
militaire de Constantinople. Le comité recrute parmi les officiers et les oulémas à travers
l’empire. Le mouvement jeune-turc se diffuse aussi en dehors de l’empire. Répression très
forte contre ce mouvement à partir de 1896. Ces Ottomans libéraux font partie de la nouvelle
élite, civile et militaire, qui a baigné dans l’esprit des réformes des Tanzîmât. >> Rupture de
l’union entre le sultan et l’élite (notamment turque).
En 1902 se réunit le « 1er congrès des Jeunes Turcs » à Paris. Affirme son opposition au
despotisme, appelle à l’égalité de tous les citoyens, veut le maintien de l’intégrité de l’empire
et le rétablissement de la Constitution. 1907, fusion avec le comité de Salonique qui compte
qq 15 000 membres -> Comité Union et Progrès
Soulèvement de l’armée de Macédoine en 190815, Abdlühamid II annonce alors le
rétablissement de la constitution et la tenue d’élections. La liberté de la presse est restaurée.
Les élections de novembre 190816 donnent la majorité des sièges du parlement aux candidats
du Comité Union et Progrès. Les Turcs, minoritaires dans l’Empire sont les plus représentés
au Parlement17.
Une rupture se fait alors entre les Jeunes-Turcs d’origine turque et les autres
composantes du mouvement.
Les JT veulent en finir avec les tendances particularistes, autonomistes, voire séparatistes des
communautés. >> fermeture des associations et des clubs, obligation de service militaire pour
les non-musulmans, centralisation du système éducatif, langue turque dans les écoles et les
tribunaux

La volonté de centralisation et de turquification du pouvoir entrainent de vives réactions


dans les milieux arabes. Les notables dénoncent le nationalisme turc exclusif.

2- Nationalisme arabe en gestation


La radicalisation du mouvement arménien après 1878 est liée en grande partie à l'analyse qui a été faite
par les intellectuels arméniens de l'indépendance bulgare : celle-ci a été obtenue avec l'appui de l'Europe,
mais surtout grâce aux méthodes violentes des « comités » révolutionnaires bulgares. À partir des années
1890, deux partis indépendantistes et révolutionnaires travaillent activement pour l’indépendance.
Paradoxe : Arméniens occupent une place importante dans le personnel politique attaché au Palais ou à la
Porte (y remplacent les Grecs) au moment même où la conscience de leur identité nationale se fait plus
aiguë
15 Lors d’un congrès organisé à Paris en décembre 1907, les Jeunes-Turcs s’accordent sur le recours à la

résistance armée, le refus de l’impôt, la grève et sur une intensification de la propagande au sein de
l’armée pour parvenir à l’insurrection. Constitution de cellules révolutionnaires parmi les officiers d’active
servant en Macédoine.
16 Scrutin de liste à deux niveaux ; système de gds électeurs. Suffrage concerne les hommes >25 ans
17 Sur 288 députés, 147 sont turcs, 60 arabes, 27 albanais, 216 grecs, 14 arméniens, 10 slaves, 4 juifs. Les 2

fils du Sharif de La Mecque, Faysal et Abdallah, sont députés au parlement ottoman

7
INALCO / Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM5
Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018
NB : La naissance du nationalisme arabe en tant que conscience nationale et politique est un
processus lent qui s’affirme à travers différents penseurs et mouvements au XIXe siècle avant
de donner lieu à un projet séparatiste durant les années 1910.
Dans la seconde moitié du siècle, de nombreux penseurs développent l’idée que la décadence
de l’islam s’explique par l’éviction des Arabes et la prise du pouvoir (politique aussi bien que
religieux) par les Turcs Ottomans. -> Le nationalisme arabe est lié au mouvement réformiste
musulman
La prise de conscience de l’arabité se forge également en réaction à la tendance panturque
qui suit la révolution de 1908. Dans le Bilâd al-Shâm, les Arabes sont moins intégrés dans
l’administration – qu’à l’époque d’Abdülhamid II. L’opposition au CUP recrute dans le
milieu fonctionnaire et dans celui des jeunes membres de familles de notables qui se
destinaient aux emplois publics (dont les débouchés se trouvent réduits).

À partir de 1909, organisations clandestines revendiquent l’autonomie des provinces arabes


et s’opposent au nouveau régime. Notamment, 2 sociétés aux objectifs nationalistes, al-
Qahtaniya (vers 1909 par Aziz al-Masri et Mahmud Chawkat, qui devient plus tard al-Ahd
(vers 1914) et Al-Fatat18.

En juin 1913, un Congrès général arabe se tient à Paris regroupant différentes organisations
nationalistes chrétiennes ou musulmanes (la Ligue de la patrie arabe, al Fatat, le Parti de la
décentralisation, al Ahd). Les 200 délégués participant à ce congrès demandent des réformes
au sein de l’Empire ottoman. Ils revendiquent, en particulier, le droit des Arabes de participer
à l'administration centrale, la reconnaissance de la langue arabe comme langue officielle des
pays arabes, un régime décentralisateur dans les vilayets syriens et arabes. Ces demandes sont
encore relativement modérées et restent essentiellement laïques.

Ces nationalistes subissent une forte répression de la part du gouvernement Jeunes-Turcs19.


Certains nationalistes, notamment syriens, se tournent vers la famille hachémite (qui protège
les Lieux Saints) dans l’espérance d’organiser un soulèvement contre les Turcs. D’autres se
tournent vers la France et la GB pour obtenir la réalisation de leur objectif politique (CM6).

>> Grande diversité de ces courants. Hésitation aussi entre une tendance panarabe (Syrie
est alors souvent synonyme d’arabe dans ces année-là) et un nationalisme territorialement
plus resserré.

C) S’unir contre l’occupant (occidental) : les nationalismes égyptien, tunisien


et algérien
Les nationalismes égyptiens, tunisiens et algériens sont confrontés à la domination
européenne au quotidien et s’expriment dans le cadre d’une entité politique territorialement
délimitée. Des « nationalismes de terroir », nationalismes locaux.

Le nationalisme égyptien émerge en réaction à la présence britannique. Le jeune khédive


Abbâs Hilmî (1892-1914) tente, sans succès, de s’opposer frontalement à l’ordre britannique.
C’est sous des formes plus souterraines qu’il continue de soutenir la lutte pour l’indépendance
de l’Egypte, en préparant la résurgence de l’esprit national.
Il soutient Mustafa Kâmil (1878-1908) qui professe l’existence d’une nation égyptienne qui
veut prendre en main, seule, son destin. Il plaide pour la prise de conscience par les habitants

18 Sur 498 officiers arabes de l’armée ottomane, 315 sont membres d’al-Ahd en 1914.
19 Rupture avec l’arrestation d’un des chefs du nationalisme arabe, Aziz Ali al-Misri en fév 1914

8
INALCO / Initiation /L1 : Histoire du monde arabe et du Moyen-Orient (ALI1A50C) CM5
Anne-Claire Bonneville et Chantal Verdeil
2017-2018
d’Egypte de leur attachement commun à leur pays : « Mon pays, à toi mon amour et mon
cœur, ma vie et mon existence, mon sang et mon âme, ma parole et mon cerveau, tu es la vie
et pas de vie sans toi, O Egypte »
En 1906, l’incident de Dinchawây a pour conséquence d’accroître l’audience, encore
restreinte, des nationalistes. Au milieu de juin 1906, des officiers britanniques en manœuvre
entre Le Caire et Alexandrie établissent leur campement non loin du village de Dinchawây ; 5
ou 6 d’entre eux profitent de la journée pour organiser une partie de chasse aux pigeons qui
tourne au désastre (émeute villageoise). 52 Egyptiens sont déférés devant un tribunal
d’exception, accusés de rébellion. Le procès est vite expédié et les sentences sont
excessivement sévères : 4 condamnations à la pendaison et des peines allant des travaux
forcés à perpétuité à la flagellation publique. Le procès et sa conclusion soulèvent
l’indignation générale.
Ahmad Lutfî al-Sayyid (1872-1963), le « maître de sa génération », développe à son tour ses
idées sur la nation égyptienne dans le quotidien al-Jarîda (le Journal) qu’il fonde en 1907. Le
patriotisme est un lien d’amour et de fidélité que tout Egyptien doit entretenir avec l’Egypte.
Ce loyalisme est ouvert à toutes les composantes de la population quelle qu’en soit l’origine
géographique et sociale, l’appartenance religieuse ou le niveau d’éducation, mais il est
exclusif de toute autre allégeance nationale ou religieuse.
En 1910, l’assassinat du Président du conseil Butrus Ghâli déclenche une répression de
grande ampleur du mouvement national.

Dans la partie du Maghreb colonisée (Algérie et Tunisie), les soulèvements armés


s’essoufflent. Se forment progressivement des organisations politiques nationalistes qui, au
départ, ne contestent pas frontalement l’autorité coloniale française : ce sont les « Jeunes
Tunisiens » qui s’associent à Tunis, en 1907, et les « Jeunes Algériens » à Alger, peu avant la
première guerre mondiale
Citadins, ils viennent de milieux sociaux favorisés, lettrés ayant reçu une éducation française.
Les Jeunes Algériens : À l’origine, des Algériens éduqués à l’école française, se regroupent
en 1903 en une Association de jeunes Français musulmans. Ils créent plusieurs journaux avant
la première guerre mondiale. Partisans de l’assimilation ; revendication d’égalité politique ;
veulent une atténuation de la fracture entre les 2 pop de l’Algérie. Leur mot d’ordre : «
Progrès, développement de l’enseignement, droits politiques ». L’abolition du code de
l’indigénat est leur première revendication ; également représentation parlementaire en France
métropolitaine et la pleine citoyenneté, sans devoir pour autant renoncer à leur statut
personnel religieux.

>>Ce sont des organisations politiques réformatrices : elles ne visent pas le retrait des
Français mais font confiance à la France pour arbitrer en faveur des colonisés contre les
appétits des populations civiles européennes présentes dans les colonies. À cette date, ils
n’abordent pas du tout la question de l’indépendance mais demandent l’accès à l’éducation,
aux emplois publics, élargissement des droits politiques, etc.

Conclusion :
À la veille de la première guerre mondiale, émergence de nombreux projets émancipateurs à
base nationaliste : contre la politique autoritaire d’Abdühamid II puis contre la turquification
conduite par les JT ; contre les ingérences occidentales, voire contre l’occupation coloniale.
La guerre puis la chute de l’EO génèrent de multiples attentes dans les différentes
communautés et notamment parmi les Arabes chrétiens et musulmans.

Vous aimerez peut-être aussi