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© Brigitte Enguerand
La représentation en appétit !
n° 18 février 2007 RÉSUMÉ DE LA PIÈCE
Le Retour au désert fait partie de ces textes passé que cette femme arrive à cet ultime
qui marquent longtemps après qu’on les a rendez-vous avec son frère. Accompagnée de
refermés. C’est tout d’abord les voix de ses ses deux enfants, Fatima et Édouard, Mathilde
personnages qui résonnent dans nos têtes, se présente dans la maison familiale, qu’elle a
nous rappelant tout à la fois la douleur l’exis- héritée de son père « César Serpenoise », mais
tence humaine, la difficulté d’être frères et toujours occupée par Adrien, sa femme Marthe,
bien sûr notre propre inconséquence vis-à-vis enferrée dans sa solitude éthylique, et son fils
de la guerre. Bernard-Marie Koltès signe ici Mathieu qui veut « être un héros ». C’est donc
une « pièce de bagarre », comme il aimait à animée par un désir de vengeance que cette
l’appeler, où il oppose une Algérie meurtrie par femme arrive, accompagnée de ses deux enfants
la guerre et une France gangrenée par les mal- Fatima et Mathieu, dans la maison familiale
versations et l’organisation secrète. Mathilde désormais occupée par son frère. Nous assis-
est revenue sur les traces de son enfance, tons progressivement à la chute de la maison
de sa jeunesse pour régler ses comptes avec Serpenoise, tiraillée entre une histoire intime
son frère Adrien « l’année de la Libération », conflictuelle et une Histoire collective meurtrie
comme Bernard-Marie Koltès le précise dans par la guerre. À mi-chemin entre le vaudeville
Cent ans d’histoire de la famille Serpenoise, s’en et la tragédie, Le Retour au désert lève le voile
était débarrassé en l’accusant « d’avoir couché sur de douloureux secrets, longtemps étouffés
avec les Allemands ». C’est donc animée par par la bonne conscience d’une bourgeoisie sur
un désir de régler ses comptes avec son propre le déclin.
LE PARATEXTE
S’il peut être intéressant de laisser les élèves avec l’ennemi, autrement dit « collaboration
découvrir le jour de la représentation l’his- horizontale ». Mathilde revient dans sa ville
toire du Retour au désert et ses nombreux natale, « quinze années » plus tard, pour
n° 18 février 2007 rebondissements, il nous semble en revanche régler ses comptes avec son passé de femme
indispensable de mener en amont une étude déshonorée, « désignée à la foule,[…] mon-
précise sur le contexte de la pièce et d’insis- trée du doigt,[…] accusée de trahison ».
ter sur deux époques, la Seconde Guerre mon- « Condamnée à l’exil », elle reconnaît le pré-
diale, jamais évoquée explicitement dans le fet et le punit, « même si le temps a passé ».
texte mais auquel renvoie, dans l’imaginaire Mais le point commun entre ces périodes his-
collectif, l’épisode de la tonte de femmes à la toriques, c’est qu’elles sont toutes deux pla-
Libération et bien sûr la guerre d’Algérie avec cées sous le signe du secret, du silence. « Un
l’Organisation de l’armée secrète. secret ne doit pas être dit », affirme Fatima
Bernard-Marie Koltès situe tout d’abord sa pièce dans la scène 3 de l’acte I. Le rapport que
dans les années soixante, entre novembre 1960, l’homme entretient avec l’Histoire est indis-
début de l’Organisation de l’armée secrète, et sociablement lié, chez Koltès, à un non-dit
1962, date des accords d’Évian. Plusieurs indi- qui est à l’origine soit d’une injustice, l’humi-
ces sont disséminés dans le texte pour garantir liation publique de Mathilde, soit d’un crime,
l’explosion du café
de Saïfi et dispa-
rition énigmatique,
onirique, d’Édouard,
double troublant de
Koltès qui sait sa
mort imminente.
Et c’est dans l’exploi-
tation de procédés
proprement fantas-
tiques, comme l’ap-
parition de la défunte
Marie Rozérieulles,
que Koltès lève le
voile sur ces silences
étouffés par la grande
Histoire. En effet, dès
le début de la pièce,
© Brigitte Enguerand à l’acte I ; scène 3,
Fatima avoue à sa
ce contexte historique. Nous trouvons tout mère Mathilde qu’elle a vu « quelqu’un dans
d’abord l’appartenance d’Adrien à l’Office d’ac- le jardin, quelqu’un dont [elle] n’ose pas dire
tion sociale, appellation utilisée par les col- le nom, car ce quelqu’un [le lui] a interdit ».
lecteurs de fonds, en France, au profit de l’O. L’apparition de Marie est placée sous le signe de
A.S. ou bien encore l’explosion du café arabe l’angoisse comme en témoigne le bouleversement
de Saïfi. L’irruption du parachutiste noir dans physique de la jeune fille totalement défigurée,
la pièce rappelle enfin « la nuit sanglante de « [le secret] te gonfle la figure, il te sort
Metz », le 24-25 juillet 1961 lorsque des para- par les yeux ». Fatima est comme envoûtée,
chutistes se sont attaqués au quartier algérien ensorcelée, par cette vision. Force est donc
de la ville. À la suite de ce funeste épisode, le de constater que Bernard-Marie Koltès se sert
Général Massu, est rappelé d’Algérie pour prendre du fantastique comme contrepoint à la grande
les fonctions de gouverneur militaire de la Histoire, ce flottement entre le rationnel et
ville. C’est pendant cette époque de tension l’irrationnel lui permettant de faire éclater,
et de malversations que se retrouvent Adrien, de rendre visibles les secrets du passé et les
riche industriel du nord-est de la France et lâchetés de la famille. C’est enfin un moyen
Mathilde qui revient d’Algérie. d’affirmer une liberté d’expression, que l’on
La deuxième grande référence historique retrouve chez Shakespeare, et qui brave les
est liée à la Libération, lorsqu’éclate le scan- attentes communément admises du théâtre
dale des femmes tondues pour complaisances contemporain.
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C’est dans le cadre d’une temporalité cir- un désir effréné de reconnaissance qui se
conscrite, le temps d’une grossesse, que manifeste soit par une fuite anticipée en
Koltès convoque ces deux grandes époques Algérie soit par un engagement précipité
n° 18 février 2007 de l’Histoire de France. Il choisit les cinq dans l’armée. Quoi qu’il en soit, c’est pendant
prières quotidiennes de la prière musulmane ce laps de temps assez court que le drama-
pour raconter un peu moins d’une année de turge réunit sous le même toit l’histoire pas-
la famille Serpenoise. D’une part, le drama- sée où résonne temporellement la Seconde
turge indique les moments de la journée car Guerre mondiale et spatialement la guerre
pour lui l’heure influe sur l’humeur des hom- d’Algérie. La pièce s’articule véritablement
mes. D’autre part, Ce choix temporel cristal- autour de ces deux échos historiques qui,
lise, concentre la tension dramatique autour à quelques exceptions près, ne sont jamais
de dix-huit épisodes reliés les uns aux autres explicités. Il nous semble que Bernard-Marie
sans aucune logique rationaliste ni psycho- Koltès, en évitant tout discours docte et
logique. Par ailleurs, Le Retour au désert est appuyé, pousse le spectateur à se position-
traversé, comme sous-tendu par un senti- ner, à remplir cette page blanche que nous
ment d’urgence et de peur qui anime tous évoquions ci-dessus.
les personnages, à commencer par celui de Dans cette perspective historique, il nous
paraît enrichissant de faire lire aux
élèves Combat de nègre et de chiens,
pièce que Koltès écrit en 1983,
après le voyage qu’il fait en Afrique.
C’est par la représentation d’un
chantier de construction que le
dramaturge montre la violence d’un
peuple colon à l’image du contre-
maître Cal qui tue un ouvrier sous le
coup de la colère. Pourtant, comme
pour Le Retour au désert, Koltès refuse
de voir Combat de nègre et de chiens
comme une pièce historique, encore
moins comme une fable néocolonia-
liste. En confrontant trois hommes,
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le contremaître, le frère du mort et
le chef de chantier, et une femme,
Maame Queuleu dont les premiers mots sont une Française venue pour épouser ce dernier,
« Aziz, entre, dépêche-toi[…] Les rues sont Koltès parvient, en effet, à rendre un « ter-
dangereuses. Entre vite. » L’obsession de ritoire d’angoisse et de solitude » et ainsi à
la perte anime, chez tous les personnages, atteindre « l’universel ».
Pistes de travail
n° 18 février 2007
Écouter et susciter les échanges
Après la représentation et les jours qui suivent, il nous semble important de recueillir les émotions
des élèves en organisant des moments d’échanges au sein du cours. La pièce est en effet suffi-
samment violente pour susciter chez eux des impressions et des interrogations auxquelles il faudra
donner une forme, sinon un sens. L’enjeu de cet échange sera enfin de confronter leur expérience
de spectateur à la théâtralité du texte ainsi qu’à la mise en scène proposée par Muriel Mayette.
b Demander aux élèves quel élément struc- ments de décor, un escalier qui renvoie au hall,
ture toute la mise en scène ? Pourquoi ? Quel un arbre décharné et un mur, objet de haine
effet produit cet élément de décor ? et de convoitise par excellence. L’escalier et le
Muriel Mayette, dans l’entretien qu’elle accorde mur renvoient chacun à une distinction entre
à Pierre Notte pour le dossier de presse, évoque l’intérieur et l’extérieur. Pour ce qui est des
la notion de contre-réalisme pour qualifier l’écri- accessoires, ils sont également peu nombreux,
ture de Koltès. Par ce néologisme, elle revendi- puisque ne figurent sur scène qu’un lit pour
que une forme de poétisation et d’épure qui va désigner l’espace de la chambre, la valise de
à l’encontre d’une représentation fondée sur des Mathilde, une échelle et une chaussure. Pour
effets de réel. Selon le metteur en scène, l’enjeu paraphraser Muriel Mayette, nous pourrions dire
du Retour au désert est ce point d’équilibre à que « la dimension humaine [du décor] provient
trouver entre des situations concrètes et une de la poésie de toutes les contradictions » entre
théâtralité shakespearienne. Pour ce faire, Yves le mur comme seul décor et la toile peinte repré-
Bernard, le scénographe, utilise très peu d’élé- sentant un ciel bleu nuageux.
b Inviter les élèves à décrire les dispositifs toujours le même, seule change sa hauteur.
scéniques successifs : comment passe-t-on Ce décor, qui confère aux scènes une unité
d’une scène à l’autre ? visuelle, se prête au jeu des comédiens. Décor
Le mur est exploité « jusqu’au bout de ses de construction, il est une machine à jouer,
possibilités », étant tour à tour le mur d’enceinte concrète et onirique qui n’a pas la même valeur
du jardin, le mur de la chambre à coucher et pour chacun des personnages, protection contre
le mur d’extérieur de la terrasse de café. C’est la jungle pour certains, prison pour d’autres.
b Inviter les élèves à s’interroger sur le rôle Coté jardin, se dresse un arbre, nu pour ne
de la toile peinte. pas indiquer de saison ; il s’agit du « noyer »
Le bleu du ciel permet, au contraire, par le derrière lequel apparaît le spectre de Marie, qui
jeu des lumières, une déclinaison du jour, de rappelle tout à la fois l’espace du dehors et
l’aube à la nuit en passant par le crépuscule. l’épigraphe. C’est par la confrontation de ces
Cette toile peinte ouvre un espace onirique, deux espaces , intérieur et extérieur, que naît la
que cloisonne le mur à des hauteurs variables. poésie scénographique du Retour au désert.
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La comédie féroce
Le Retour au désert, écrit pour Jacqueline Maillan il se dévoile peu à peu, et se livre intimement.
et Michel Piccoli, offre une place à de vrais Et le comique permet à Koltès d’aborder des
numéros de clowns. Koltès crée des duos de sujets profondément douloureux, il permet de
personnages qui ne parviennent pas à se par- rire du malheur, d’en être protégé, distancé. La
ler, qui ne savent pas être ensemble, et les simplicité du système est désarmante, d’autant
situations, qui semblent d’une simplicité réelle, plus que ce système réunit des protagonistes
sont exploitées longtemps, s’étendent. Elles d’une complexité profonde ; et tous sont faits
nous permettent peu à peu, sur la durée, de de contradictions. Leur dimension humaine pro-
comprendre d’autres choses plus graves, plus vient de la poésie de toutes ces contradictions.
intimes. Et la forme clownesque cède le pas à Koltès écrit une pièce comique car il sait que
un sens caché, profond. Quand l’une des figures le théâtre ne peut toucher les gens que s’il
refuse de répondre aux questions d’un autre n’est pas ennuyeux, complaisant ou simplement
personnage, pourtant très insistant, en expli- convenu. Il haïssait l’ennui au théâtre, au point
quant qu’il ne veut pas aborder son intimité, qu’il avait renié ses premières œuvres.
Le contre-réalisme
Le Retour exploite des situations d’ordre banal, de la parole. Nous travaillons tous à trouver
quotidien. Mais il ne s’agit jamais pour Koltès l’équilibre. Car les corps doivent être vérita-
d’écrire une pièce réaliste. La pièce ne fait blement dessinés, il y a en eux une théâtralité
jamais appel à la psychologie. Koltès préfère shakespearienne. Sur le plateau, nous nous
le rythme rapide, chaotique. Il opte pour des emparons du strict nécessaire. Un lit unique
phrases complexes, construites en spirales, qui représente une chambre, et l’art de l’acteur
se développent depuis un détail pour arriver consiste à tout nous faire voir et comprendre.
au cœur du sujet. La rapidité du rythme doit Nous allons exploiter chaque chose jusqu’au
l’emporter, mais les personnages, s’ils parlent bout de ses possibilités : qu’il s’agisse d’une
beaucoup, ne doivent jamais devenir des figures valise, d’une échelle, d’une chaussure, d’un
à paroles, des créatures bavardes avec des mots escalier, d’un mur… Cela relève aussi de l’art
plein la bouche. Je veille à ralentir le rythme du clown.
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Koltès vient de traduire Le Conte d’hiver de œuvre, son étrangeté. Koltès, sur tous les sujets,
Shakespeare, il est sous l’influence du souffle nous « désinstalle ». C’est son projet : nous
élisabéthain. Son écriture exploite des procédés désinstaller par sa langue, par la construction
n° 18 février 2007 comiques qu’il a étudiés par ailleurs dans de ses phrases, par des situations poussées
le vaudeville ou dans le théâtre classique, à l’extrême, par des changements de styles
notamment dans les grandes comédies de Molière. permanents. L’émotion n’est jamais frontale. Elle
Il use de tous les procédés. On passe de la passe par le rire et la distance. Koltès n’est ni
fantaisie onirique du Songe d’une nuit d’été à un didactique ni complaisant, il ne se positionne
comique de répétition digne des grandes pièces pas en juge, il ne dénonce pas la lâcheté, le
de boulevard. Cette liberté et cette profusion racisme, la souffrance, la bêtise, ou l’incapacité
de styles et de tons font la singularité de son à dire l’amour. Il les raconte en poète.
La subversion comique
« Il [Koltès] ne supportait pas
que l’on qualifie ses pièces de sombres
ou désespérées, ou sordides.
Il haïssait ceux qui pouvaient le penser.
Il avait raison, même si parfois c’était plus facile,
dans l’instant, de les monter ainsi.
Elles ne sont ni sombres ni sordides,
elles ne connaissent pas
le désespoir ordinaire, mais autre chose
de plus dur, de plus calmement cruel
pour nous, pour moi. »
Patrice Chéreau, Le Monde, 19 avril 1989
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b Comme les élèves le remarqueront aisément, la mise en scène du Retour au désert laisse
une place au rire présent dans l’écriture de Bernard-Marie Koltès. Muriel Mayette révèle ainsi,
comme nous le verrons ci-dessous, la richesse et la singularité du texte qui ne cesse de varier
de styles et de registres dans un art de la rupture absolument maîtrisé.
Le comique Moliéresque
b Inciter les élèves à retrouver le carac- propre à la comédie d’intrigue. Pour ce faire,
tère profondément moliéresque du Retour il introduit le personnage de Mathilde, figure
au désert. Les amener à comparer la pièce du parasite par excellence, dans une famille
de Koltès à des comédies telles que Le bourgeoise, bien pensante. Cette intrusion a
Tartuffe où un homme détruit l’équilibre pour effet de faire éclater toutes les structures,
d’une famille. familiales et symboliques, comme le mur, sur
Il est enfin intéressant de montrer comment lesquelles cette famille s’est construite.
Koltès réinscrit au cœur de sa pièce la structure
Le comique de répétition
b Inviter les élèves à relever les différentes Henri Bergson dans Le Rire. « Ce qu’il y a
répétitions sur lesquelles repose le jeu des de risible […], c’est une certaine raideur de
acteurs. Demander aux élèves de jouer des mécanique là où l’on voudrait trouver la sou-
extraits de la scène 2 de l’acte I. Sur quel plesse attentive et la vivante flexibilité d’une
effet repose le retardement et les nom- personne. » Le rire, autrement dit « cette
breuses récidives du salut entre Mathilde et mécanique plaquée sur du vivant » éclate dès
Adrien ? De quel genre théâtral ce comique la scène d’exposition où Mathilde et Adrien
de répétition relève-t-il ? ne cessent de répéter le même salut, incapa-
Il s’agit de montrer aux élèves la dimension bles tous deux de se plier aux convenances.
mécanique du rire, ainsi que l’a démontré
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b Comment caractériser le jeu des acteurs ? clownesques tellement ils sont coupés, distants
Quels rapports entretiennent-ils ? Pourquoi l’un de l’autre. La dimension comique est
suivent-ils un schéma de répétition ? également suggérée par la répétition et la
n° 18 février 2007 On sait que Le Retour au désert est une pièce longueur des scènes qui entraîne un jeu frôlant
écrite pour Jacqueline Maillan et Michel Piccoli, parfois le non-sens. Les salutations entre
deux acteurs que tout oppose, à commencer par Mathilde et Adrien sont répétées à quatre
l’univers de référence, le théâtre de boulevard privé reprises, empiétant tout l’acte I, scène 2.
pour l’une et le théâtre subventionné pour l’autre. Bernard-Marie Koltès fait durer les situations
En choisissant ces comédiens diamétralement jusqu’à les vider de leur sens, pour ne garder
différents, Koltès accentue l’incommunicabilité que cette pulsion de vie et de domination que
des personnages qui en deviennent parfois nous avons déjà évoquée.
b À quelle esthétique renvoient les costumes ? caractère réaliste aux vêtements. Marie Beltrami
Pourquoi ce choix ? a voulu des corps très dessinés dans un décor
Les costumes sont inspirés de la bande dessinée volontairement assez dépouillé. Cette manière
et conçue par Marie Beltrami qui a travaillé de dessiner les corps confère aux costumes
notamment avec Jean-Paul Goude pendant vingt une valeur symbolique. Marie, vêtue d’une
ans. Pour le choix des lignes des costumes, on longue robe de mariée, est du côté de la Vierge
peut établir un parallèle avec la bande dessinée Marie quand Fatima, affublée d’un tutu et d’un
d’Hergé. Le choix des matières (tulle, panne collant rayé, est du côté de la jeunesse rebelle
de velours), des motifs sur les costumes (la Les notables sont quant à eux caricaturés
djellaba), les lignes très structurées à la notamment par leurs costumes qui leur donne
manière de la ligne claire d’Hergé, retirent tout un côté Dupond/Dupont propre à Tintin.
Le registre de langue
b Inviter les élèves à repérer les différents professeurs de montrer aux élèves la dimen-
registres de langue présents dans le texte. sion écrite de ce discours en attirant leur
Quelle est la métaphore filée qui caractérise attention sur toutes les écarts de langue que
le personnage d’Adrien ? Bernard-Marie Koltès opère (« bonne ville » à
Koltès utilise une langue du quotidien qui la place de « chère bonne ville », l’antéposi-
frappe à la fois par sa simplicité et son carac- tion du verbe dans la question, l’utilisation
tère écrit. Derrière un registre apparemment des virgules qui segmentent la troisième
courant, se cache une parole en perpétuel phrase de manière peu habituelle). D’autre
décalage avec la norme. C’est l’ordre des mots part, il mélange du français à quelques répli-
qui produit dans Le Retour au désert cet écart ques en arabe, quinze au total dans l’acte I,
entre la langue parlée et la langue écrite. scène 1 et l’acte V, scène 15. On rappelle pour
Dans la scène d’exposition par exemple, anecdote que c’était Jacqueline Maillan qui
Adrien s’adresse par la première fois à sa sœur avait demandé à Koltès de lui faire dire trois
et lui dit : « Mathilde, ma sœur, te voici de phrases en arabe, « À la première, ils ne com-
nouveau dans notre bonne ville. Es-tu venue prendront pas, disait la comédienne ainsi que
avec de bonnes intentions ? Car, maintenant s’en souvient Koltès dans son entretien avec
que l’âge nous a calmés un peu, on pourrait Michel Genson pour Le Républicain lorrain, à
tâcher de ne pas nous chamailler, pendant le la deuxième ils comprendront que je parle
cours temps de ton séjour. » Il s’agit pour les arabe, et à la troisième ils rigoleront ».
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La critique sociale
« S’il faut parler de marginaux en termes de violence, ce sont eux [les Français moyens].
Les vrais tarés, les vrais gens bizarres, ce sont les bourgeois de la province.
J’ai voulu montrer que c’étaient les autres qu’on ne considère pas comme des marginaux,
qui sont des fous, des assassins. »
Bernard-Marie Koltès dans un entretien accordé à Klaus Gronau et Sabine Seinfert
pour Die Tageszeitung, le 25 novembre 1988.
b Inviter les élèves à s’interroger sur la critique sociale présente dans la mise en scène. Par
quels moyens Muriel Mayette fait-elle du Retour au désert une comédie satirique brocardant
la petite bourgeoisie de province ?
Muriel Mayette brocarde la petite bourgeoisie dans la direction des acteurs, Bruno Raffaelli
de province en montrant la violence exacerbée gifle son fils sur la main dans un geste pro-
entre les personnages déjà présente dans le fondément humiliant parce que pleinement
texte. Une scène ouvertement violente est assumé. Du côté de la mise en scène, Muriel
évidemment celle de la dispute entre Adrien Mayette accentue surtout le côté stéréotypé
et son fils qui lui avoue son désir de partir à des habitants de la ville chez Plantières,
la guerre pour devenir « extraordinaire ». Le Borny et Sablon. Tous trois sont accoutrés à
père assène l’argument des pieds plats quand la manière des Dupond/Dupont chez Hergé,
Mathieu défend une vision romantique de la affublés de cravates modulables et de gestes
guerre. La conversation entre les deux hommes mécaniques, presque chorégraphiques. Les
perd tout contenu, toute réalité jjusqu’à ce notables de province, véritables pantins, sont
qu’Adrien en vienne au poing et batte son fils. alors totalement vidés de leur dignité et de
Le metteur en scène gomme toute psychologie leur humanité.
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La mise en scène du Retour au désert marque élèves sur les manières de mettre en scène la
les esprits, comme on l’aura compris, par ses violence, à commencer par les actes de torture
ruptures de jeu. Nous passons de séquences tra- très lourds dans la mémoire collective. Faut-il
n° 18 février 2007 giques à des scènes où le comique est volontai- tout montrer ? Ou bien alors la suggérer soit par
rement outré, frôlant souvent la bouffonnerie. un ustensile du quotidien, comme le couteau de
Dans cette perspective, montrer les change- cuisine électrique, soit par l’explosion du café ?
ments de style constants du texte vise à révéler Le cinquième acte est tout à fait significatif
l’art de funambule de Koltès. Les comédiens de de cette esthétique. Après l’explosion du café
la troupe soulignent par leur jeu l’absence de Saïfi, le spectre de Marie, joué par Catherine
fraternité entre les personnages, leur incom- Sauval, revient sur scène au milieu de Sablon
préhension mutuelle et leur profonde solitude. soutenant Mathieu et Édouard blessés et Adrien
Plusieurs séquences emblématiques pourront avouant à ses trois compères, interprétés d’une
attirer l’attention des élèves sur ce mélange manière clownesque par Alain Lenglet, Michel
des registres, comme la scène de la tonte du Vuillermoz et Pierre Louis-Calixte, qu’il savait
juge Plantières par une Mathilde brandissant un son fils présent dans le café. C’est de ce maels-
couteau de cuisine électrique ou bien encore tröm qu’éclate la critique sociale de la bour-
celle de l’explosion du café Saïfi. Il serait inté- geoisie incapable de dire ses sentiments face à
ressant dans cette perspective d’interroger les la mort d’Aziz, face au sort de l’Autre.
Conclusion
À l’issue de notre étude avec les élèves, nous d’écritures différentes sans jamais en lais-
sommes tout à fait en droit de nous interroger ser une dominer les autres. Éclate ainsi,
sur la redéfinition du genre théâtral que propose sur la scène grâce au formidable travail de
Bernard-Marie Koltès dans Le Retour au désert. Muriel Mayette, un rire caustique et déran-
Le dramaturge, comme on l’a vu dans la pre- geant qui permet de creuser des situations
mière partie de ce dossier, compose un théâtre particulièrement douloureuses opposant l’his-
des passions, en confrontant l’histoire collec- toire publique et l’histoire intime. C’est de
tive, marquée par deux guerres successives, et ces contradictions, de ces tensions que naît la
l’histoire individuelle, profondément blessée poésie proprement neuve de ce spectacle. Libre
par ces conflits. Mais au lieu d’exprimer, de ensuite au spectateur de combler les intersti-
faire éclater ces passions par la crainte et ces de cette parole volontairement ouverte où
la pitié, principes fondateurs de la tragédie s’est jouée la fraternité des hommes.
classique, l’auteur choisit d’utiliser des formes
Rebonds et résonances
Sur les sources d’inspiration de Koltès pour Le Retour au désert :
Littérature
Musique
Le raï avec Cheb Khaled (Koltès a un projet de scénario sur le raï en 1988).
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Cinéma
Bonaparte, Youssef Chahine, avec Patrice Chéreau dans le rôle titre (Koltès se rend en Égypte
pour ce tournage).
© Brigitte Enguerand
Nos remerciements chaleureux à Muriel Mayette et à toute l’équipe de la Comédie-Française qui a permis
la réalisation de ce dossier dans les meilleures conditions.
Tout ou partie de ce dossier sont réservés à un usage strictement pédagogique et ne peuvent être reproduits
hors de ce cadre sans le consentement des auteurs et de l’éditeur.