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académie de paris
Pièce (dé)montée
Les dossiers pédagogiques « Théâtre » et « Arts du cirque » du réseau SCÉRÉN en partenariat
avec l’Odéon, Théâtre de l’Europe. Une collection coordonnée par le CRDP de l’académie de Paris.
n° 100
Un Tramway
janvier 2010
Théâtre et cinéma
[page 6]
D’après
Tennessee Williams La tragédie en question
[page 10]
Mise en scène
Krzysztof Warlikowski
La représentation en appétit !
n° 100
janvier 2010
Traduire, adapter
Mettre au jour l’adaptation par le jeu parallèle entre la mort et le désir, que les élèves
b Afin de favoriser le dévoilement du texte, peuvent questionner, est établi. L’envie mani-
inviter les élèves par groupes de six à proposer festée par Stella de rejoindre Stanley peut aussi
n° 100 une mise en scène du début de la pièce. être évoquée, la classe ayant la possibilité de
janvier 2010 Le professeur aura pris soin de donner trois versions s’exprimer concernant l’union des jeunes mariés
différentes du même extrait (cf. annexe 5) sans et l’arrivée de Blanche dans leur quotidien.
le dire aux élèves afin de faire jaillir ultérieu-
rement écarts, ressemblances et significations. Le b Confronter les hypothèses de lecture aux
contact est limité entre les groupes, de telle sorte illustrations associées au spectacle à quelques
que tous pensent travailler le même texte. mois d’intervalle (cf. annexe 1).
Chaque groupe ayant présenté son travail, les La coexistence de ces deux images permet
élèves découvrent points communs et diffé- d’envisager la création artistique comme une
rences et tentent de les interpréter. La notion recherche, laquelle présuppose un mouvement.
d’adaptation peut être introduite.
b Après avoir comparé les deux images,
Questionner le(s) titre(s) et les illus- inviter les élèves à identifier les personnages
trations et à interpréter de possibles relations.
b Engager une discussion autour du titre de la Les propositions devront être justifiées.
pièce. Faire deviner aux élèves lequel des textes S’il est difficile dans la première illustration de
pourrait se nommer Un tramway, quel autre Un distinguer les deux sœurs représentées de manière
tramway nommé désir. Commenter la portée enfantine, Blanche, devenue adulte, semble pou-
métaphorique du titre original à cette occasion. voir être plus facilement repérée dans la seconde.
Nous attendons de la classe qu’elle se montre Elle y occupe la place centrale et semble être celle
capable d’argumenter ses choix. Le texte de autour de qui les autres s’organisent. La jeune
Wajdi Mouawad portant au départ le même titre femme, qui aurait évincé sa sœur, se retrouverait
que la version originale, les élèves n’ont pas à en contact direct avec Stanley. Ce dernier, assis
redouter de « mauvaise réponse ». Le professeur à califourchon, est tourné vers elle, maintenu
y verra surtout l’occasion d’élargir l’horizon par le collier auquel il se suspend. Cet équilibre
d’attente des élèves et d’évoquer le changement précaire peut être rattaché à une possible relation
de titre du spectacle. de séduction. Le décolleté plongeant de Blanche
Le tramway est explicitement nommé « Désir » pourra alors être commenté, ainsi que la position
dans l’adaptation contemporaine, où il est le de celle qui pourrait être Stella. Dissimulée par
pendant d’un autre nommé « Cimetière ». Un la robe de sa sœur, elle serait celle qui garde le
© ÉLÉMENT-S © ÉLÉMENT-S
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silence. Ce personnage féminin aux traits peut- de la réalité. Cette notion sert de point d’appui
être plus adolescents pourrait aussi, de manière à la réflexion menée ensuite avec les élèves
générale, renvoyer à l’enfance ou tout au moins lesquels sont invités à interpréter l’univers
au passé, peut-être celui de Blanche, un passé quotidien introduit au début de la pièce dans
aux yeux baissés, blessé. les traductions antérieures à notre adaptation.
n° 100
janvier 2010 Comparer différentes traductions b Après avoir repéré que l’adaptation de
Les trois extraits travaillés en amont sont Paule Beaumont semblait le plus réaliste,
maintenant confrontés à la version originale. voire naturaliste, tenter de montrer que le
Cette activité pourra être menée conjointement réalisme, caractéristique en partie de l’écriture
par les professeurs de lettres et d’anglais. de Williams, peut n’être qu’apparent.
La mention d’un ciel « turquoise » (présente dans
b Comparer le début de la pièce et observer la version originale et la traduction de Jean-
le rapport qu’entretiennent les trois textes Marie Besset), le lyrisme associé et la dimension
français avec la pièce américaine. métaphorique du pourtour de l’appartement à
Les élèves s’apercevront aisément que le texte travers l’association du fleuve à une bête mugis-
le plus fidèle, malgré quelques suppressions, est sante peuvent être convoqués afin de montrer
celui paru à L’Avant-Scène. A contrario, on pourra le glissement hors des frontières de la réalité 1.
observer la façon dont Paule de Beaumont L’environnement extérieur devient subjectif voire
recentre immédiatement l’action à l’intérieur de fantasmagorique lorsqu’il fait écho aux démons
l’appartement dont elle détaille l’organisation intérieurs de Blanche, le dehors devenant à la fin
et gomme les indications relatives à l’environ- de la pièce une jungle.
nement extérieur. Le terme « négresse » (plutôt
que « femme noire ») pourra être commenté, « The night is filled with inhuman voices
le professeur précisant que cette traduction, like cries in a jungle. »
pourtant la plus communément lue aujourd’hui,
est quelque peu datée. A streetcar named desire,
Penguin books, scène 10, p. 95
La classe peut d’ores et déjà observer que le
texte servant d’appui au spectacle présente de L’aspect véritablement poétique de la pièce de
grandes libertés par rapport au texte original. Tennessee Williams, induit en grande partie
Le titre de la section renvoie bien au nom de par les didascalies, est enfin mis en exergue
la rue de La Nouvelle-Orléans, mais les auteurs et pourra être confronté après le spectacle
conservent uniquement les personnages de à la mise en scène polonaise. Les différents
Blanche et d’Eunice. Aucune didascalie ne men- monologues de Blanche introduits au début de
tionne par ailleurs la nature de l’environnement chaque scène permettront peut-être de favoriser
et une citation ouvre ce prologue. Il s’agit d’un un certain lyrisme.
poème de Claude Roy qui semble à l’orée du
texte, encore énigmatique. De plus, contraire-
ment au texte original, Blanche est sur scène
dès le début de la pièce.
Avant de confier la réalisation du film à autrement dit « il est chargé d’examiner des
n° 100 Elia Kazan, Tennessee Williams écrit Un tramway scénarios en souffrance, de les remontrer et
janvier 2010 nommé Désir pour le théâtre. Monté par le de les retaper » 2.
même Elia Kazan à Broadway en 1947, la pièce Ce dialogue entre le cinéma et le théâtre
connaît un vif succès. Le précédent triomphe oriente les spectateurs que nous sommes,
de l’auteur reposait sur un processus inverse Un tramway nommé Désir étant d’abord pour
puisque La Ménagerie de verre, initialement nombre d’entre nous le film ayant immortalisé
conçue comme un scénario, a été adaptée Marlon Brando et Vivien Leigh.
pour le théâtre dans un second temps. La Si la pièce est marquée par l’univers cinémato-
réécriture semble donc pouvoir caractériser graphique, il semble en aller de même avec le
la genèse d’Un tramway nommé Désir (dont le travail de Krzysztof Warlikowski dont l’univers,
film d’abord censuré connaît d’ailleurs plusieurs selon Piotr Gruszczynski 3, est « imprégné de
versions) et, plus généralement, cette période cinéma ». Nous nous proposons donc d’analyser
de la carrière de l’auteur. Notons à ce sujet maintenant les interférences possibles entre
que Tennessee Williams a signé un contrat de théâtre et cinéma afin d’appréhender la mise
« rewriter » en 1943 à la Metro Goldwyn Mayer, en scène à venir d’Un tramway nommé Désir.
À l’issue de cette réflexion sur le rapport théâtre- b Afin que la recherche soit motivée, mettre
cinéma 7, nous souhaitons mettre en évidence en place le jeu de rôle suivant : vous habitez
le rôle du comédien dans son incarnation du New York et rêvez de devenir acteur. Vous
n° 100 personnage et envisager sa relation au public. voulez suivre les mêmes cours que Marlon
janvier 2010 Interrogé par Piotr Gruszczynski, Krzy- Brando à l’époque d’Un tramway nommé Désir.
sztof Warlikowski, s’exprime de la façon Renseignez-vous sur l’école d’aujourd’hui et
suivante : sur celle d’hier.
Une recherche rapide sur internet devrait faire
jaillir le nom de l’Actor’s Studio associé à celui
« Les acteurs aussi pleurent, ils ne se de Brando. Les élèves devraient pouvoir repé-
donnent pas en spectacle de manière rer ensuite le site officiel de l’école. Une page
professionnelle mais blessent chaque fois intéressante propose les trois portraits photo-
une partie intime d’eux-mêmes qui entrera graphiques associés de Constantin Stanislavski,
en résonance avec le public. » Elia Kazan et Lee Strasberg : www.theactorsstudio.
org/studio-history/ [consulté en janvier 2010].
Théâtre écorché, p. 159.
b Approfondir éventuellement la recherche
L’acteur trouverait en lui une vérité afin de de manière plus traditionnelle autour du
créer un dialogue avec les spectateurs. Cette metteur en scène russe.
part intime dévoilée sur le plateau semble être
le fait d’un croisement entre la sensibilité de Jouer selon le « Système »
l’acteur et celle du personnage. Si ce détour par l’histoire du théâtre et du
cinéma, présente un intérêt d’ordre culturel, il
Cette importance du vécu personnel de l’acteur peut servir d’appui à des moments de pratique
dans sa construction du personnage paraît, dans théâtrale, utiles à la compréhension de la pièce
une certaine mesure, pouvoir être mise en de Tennessee Williams.
relation avec l’un des aspect de la méthode
de Stanislavski. Ce rapprochement opéré avec b Proposer à la classe de lire un extrait
toutes les nuances nécessaires 8 semble malgré (cf. annexe 7) provenant de la première
tout intéressant dans la mesure où Elia Kazan scène de l’adaptation.
a été l’un des fondateurs de l’Actor’s Studio On peut disposer les bureaux de la classe afin
(cf. annexe 4). Le jeune Marlon Brando 9, à de créer l’impression d’une lecture à la table.
l’origine comédien de théâtre, y a été formé. On attend des élèves qu’ils se familiarisent avec
Un tramway nommé désir marque son entrée le texte. Blanche et Stella se retrouvent après
triomphale dans le paysage cinématographique plusieurs années.
américain du début des années 1950. La classe reprend l’adaptation qu’elle soumet
à une étude minutieuse. La façon de parler
b Commenter la présence du gros plan rendu des personnages fera l’objet d’une réflexion.
possible par la captation d’images lors du pré- Les participants incarnent les personnages,
cédent spectacle de Krzysztof Warlikowski, ils prêtent leur corps et leur voix au texte de
(A)pollonia. l’auteur. Nous mettrons en avant l’aspect heurté
L’intensité émotionnelle y est d’autant plus du dialogue. Blanche ne répond pas toujours
forte qu’elle est répercutée par cette vision à aux questions et tient des propos qui peuvent
la fois très rapprochée et multiple. Ici, théâtre parfois paraître ambigus.
et cinéma se rencontrent.
b Mettre le texte de côté et laisser les élèves
Découvrir une école d’art dramatique improviser la même scène en se demandant
célèbre ce qu’ils feraient à la place des personnages.
7. Le professeur pourra mettre à profit Nous souhaitons amener les élèves à situer
le numéro que Théâtre Aujourd’hui
réservé à cette question,
les origines théâtrales de la formidable école b Afin de rendre la classe sensible à cette
(n° 11, « De la scène à l’écran »). d’acteurs américains qu’a été l’Actor’s Studio. question de la mémoire émotionnelle, propo-
8. Interrogé à ce sujet, Piotr Gruszczynski L’étude du film d’Elia Kazan sera l’occasion ser en prolongement une activité d’écriture
précise bien que le travail commence à la d’évoquer Constantin Stanislavski, mais aussi mobilisant le vécu des élèves.
table avant d’être une recherche sur le corps.
de réfléchir ensemble aux moyens dont dispose Vous évoquez un objet qui vous a marqués.
9. Ce dernier joue déjà le rôle de
Stanley dans la pièce de théâtre un metteur en scène pour faire jaillir sur Ce document reste personnel et sert de point
mise en scène par Elia Kazan. scène l’émotion. d’appui à l’activité théâtrale suivante : vous
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incarnerez le personnage d’Amanda dans La – Le dernier festival de Cannes porte son
Ménagerie de verre. Cette dernière porte une empreinte...
ancienne robe et ressuscite le passé heureux
qui est le sien lorsqu’elle était encore une b Après que les élèves ont établi la filmo-
jeune fille (cf. annexe 8). graphie de la comédienne, tenter de faire
n° 100 Cette découverte d’Amanda pourra être réinvestie apparaître certains de ses choix artistiques.
janvier 2010 après le spectacle afin de montrer les ressem- En fonction des élèves, le professeur pourra
blances que ce personnage, tourné vers un Sud prévoir la diffusion de quelques courts extraits
radieux presque irréel, entretient avec Blanche. de films (Une affaire de femme par exemple,
réalisé par Claude Chabrol, où Isabelle Huppert
Confronter le parcours d’une comédienne interprète le rôle d’une faiseuse d’anges à la fois
à son rôle froide et aimante, ou encore Violette Nozière
b À ce stade du travail, informer les élèves où la mort et l’amour à nouveau se répondent
qu’une actrice célèbre de cinéma va interpréter dans l’univers cru d’un fait divers). Il apparaît
le rôle de Blanche. On peut éventuellement que la comédienne a interprété plusieurs person-
demander à la classe d’imaginer de quelle nages de femmes complexes et troubles que
comédienne il pourrait s’agir. nous pourrons mettre en perspective avec celui
Cette question (dont les réponses demandent à de Blanche dans la pièce.
être justifiées) permet de repérer quelles sont les
représentations des élèves en matière cinéma- Au terme de cette étude, nous souhaiterions
tographique. Le professeur peut ensuite guider la aborder le dernier aspect de cette réécriture
classe en dévoilant peu à peu des indices : à travers la dimension tragique de la pièce de
– Cette actrice a incarné un personnage célèbre Tennessee Williams que le metteur en scène
de la littérature française du xixe siècle. Krzysztof Warlikowski souhaite mettre au jour
– Elle a joué dans plusieurs films de Claude Chabrol. sur la scène de L’Odéon.
La tragédie en question
« Je voyais une femme assise sur une chaise en train d’attendre vainement quelque chose,
peut-être l’amour. La lumière de la lune brillait à travers la fenêtre, suggérant la folie »
Tennessee Williams, cité dans l’article que consacre l’Encyclopædia Universalis au film.
Cette vision augurale semble conférer à la pièce une dimension tragique. Blanche serait cette
femme, la fable étant ici l’artifice nécessaire au dévoilement d’une vérité plus universelle.
« La tragédie chez Williams, ou plutôt comme il le dit justement lui-même, "la pièce à intention
tragique" évolue le plus souvent vers une sorte de mort dans la vie, une dérive à la Tchekhov ».
« Orphée sous les tropiques ou les thèmes dans le théâtre de Tennessee Williams »,
Le Théâtre moderne depuis la deuxième guerre mondiale, éditions du CNRS
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b Proposer à la classe répartie en groupes initial de la pièce (Blanche’s chair on the moon)
d’illustrer dans l’espace l’image décrite par n’est pas encore donné afin de ne pas trop
Tennessee Williams évoquée ci-dessus : « Je influencer la recherche des élèves.
voyais une femme assise sur une chaise [...] En restant aux abords du texte, cette activité
suggérant la folie ». évite une révélation prématurée de l’histoire et
n° 100 Les élèves devront ancrer le personnage dans un permet d’engager une discussion sur la question
janvier 2010 décor. Ils ont à leur disposition les chaises de la du genre. Pour étayer la réflexion des élèves,
classe et les fenêtres. Ils pourront choisir de le titre initial qui n’avait pas été mentionné,
ne disposer qu’une seule chaise ou plusieurs en ainsi que sa version définitive sont dévoilés.
fonction de l’effet qu’ils veulent produire sur
les spectateurs qu’ils ont à charge de placer. Les b Quel pourrait être selon eux le genre
élèves décideront de l’endroit où se trouve théâtral de la pièce qu’ils vont voir ?
la chaise (lieu réel ou métaphorique, la terre En fonction du niveau de la classe, les termes
ou la lune). La fenêtre pourra être masquée, un « drame » et « tragédie » éventuellement redé-
coin sombre éventuellement privilégié. Le titre finis pourront être introduits dans la question.
« Il va de soi que c’est le Poète ou le Fou qui sera dévoré : lui qui tendait à incarner le verbe,
ou la poésie, est ainsi offert en holocauste aux puissances de l’acte. »
11. Cf. le dossier Pièce (dé)montée
consacré à Incendies p. 10 : http://crdp.
ac-paris.fr/piece-demontee/pdf/incendies_
« Orphée sous les tropiques ou les thèmes dans le théâtre de Tennessee Williams »,
total.pdf [consulté en janvier 2010] Le Théâtre moderne depuis la deuxième guerre mondiale, éditions du CNRS
12. Dans Théâtre écorché p. 92, 139, 160...
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Blanche est bien l’incarnation sur scène du rêve Dans l’autre séquence (56’36 – 00’46) qui
et de la poésie, quoique mutilés. Cet antagonisme s’adresse peut-être à un public plus âgé, nous
est rendu sensible par le réseau métaphorique découvrons la rencontre entre Blanche et le
établi dans la pièce autour de la lanterne jeune homme. Précisons d’ailleurs que cette
chinoise et l’image des casseroles à la queue du scène (correspondant à la fin de la scène 5
n° 100 cerf-volant 13. Blanche veut enchanter la réalité dans le texte original) a été conservée par
janvier 2010 mais cette aspiration à l’ailleurs est aussitôt Krzysztof Warlikowski et que l’employée de
contrariée. Le rêve était rongé depuis le départ l’Evening Star fait partie des rares personnages
comme les murs de cette maison familiale par secondaires à demeurer dans l’adaptation. Le
les dettes. Blanche en vient à être cette reine passage dure quatre minutes environ.
désuète d’un bal dont la musique ne joue plus. La position initiale de Blanche assise dans un
fauteuil pourra être associée à l’activité théâtrale
b Proposer à la classe une nouvelle analyse proposée en amont. La présence de la musique,
filmique. celle évoquant le souvenir en particulier, crée
Il s’agit de montrer de quelle façon le person- une ambiance presque irréelle.
nage de Blanche tente de s’évader de la réalité
par le langage. Deux extraits du film (fidèles à
« La pièce se passe dans la mémoire et n’est
la pièce) peuvent être proposés aux classes en
donc pas réaliste. La mémoire se permet
fonction de l’âge et du niveau des élèves.
beaucoup de licences poétiques [...] car elle
La première rencontre entre Blanche et Mitch
a son siège essentiellement dans le cœur. »
(33’09 – 37’22) semble peut-être mieux convenir
à des collégiens mais l’étude est bien sûr envisa- Extrait de La Ménagerie de verre,
geable au lycée. L’extrait que l’on peut retrouver nouvelle traduction, p. 17
dans la scène 3 de la pièce dure quelques minutes.
Nous retiendrons les différentes allusions à la
littérature (lecture des vers de Mrs Browning, C’est plutôt la façon dont Blanche manie le
allusions à la discipline enseignée par Blanche). langage qui attire notre attention. Quatre
La sensibilité de Blanche aux objets (l’étui en éléments peuvent être relevés : l’abonnement
argent que Mitch protège d’ailleurs dans une aux étoiles, la personnification du briquet, la
housse, la lanterne) est d’autant plus perceptible perception du temps, l’analogie entre le jeune
qu’elle s’inscrit dans un univers vétuste (murs homme et le prince des Mille et une nuits. Le
lézardés mis en relief par une lumière rasante) glissement hors de la réalité et peut-être des
et prosaïque (mention du « petit coin »). Le conventions est traduit à l’écran par l’avancée
montage attirera particulièrement notre atten- progressive de Blanche perçue en gros plan à
tion. Il vise à rendre compte de l’antagonisme la fin de la séquence. Blanche tente d’abord
entre Blanche (ainsi que Mitch, ici vêtu d’un de retenir le jeune garçon par les mots.
costume) et les personnages masculins attablés Elle manie une langue imagée, poétique qui
en bras de chemise pour jouer au poker. La déplace le cadre de la réalité et rend possible
délicatesse de la conversation, quoique contre- le baiser final. Le plan montrant son visage
balancée par la naïveté de Mitch, contraste blessé après une plaisanterie relative au par-
fortement avec la brutalité de l’échange entre fum est particulièrement significatif. L’élan
les hommes. Le gros plan montrant le visage vers l’autre rendu possible par le langage vient
de Mitch vociférant tandis que l’on aperçoit de se briser. Le visage s’effondre. La venue de
Blanche, en plongée, rendue floue, sera com- Mitch clôture enfin la séquence. La révérence
menté dans ce sens-là. La manière enfin, dont et la réplique en français peuvent être asso-
Blanche se nomme et l’allégorie qui en résulte ciées à ce même désir d’évasion hors d’une
pourra faire aussi l’objet d’un temps d’étude. La réalité prosaïque quoique plus théâtral ici.
mise en place de la lumière puis de la musique Krzysztof Warlikowski a d’ailleurs conservé et
par la jeune femme achève cet enchantement. développé ces références au mythe romantique
français en introduisant dans son adaptation
ce qui pourrait être un résumé de la pièce de
« Blanche : It’s a French name. It means
Dumas fils, La Dame aux camélias.
woods and Blanche means white, so the
13. « Kiefaber, Stanley et Shaw ont two together means white woods. Like an
attaché une vieille boîte de conserve à Réécrire consisterait donc à rendre plus
orchard in spring ! »
la queue de mon cerf-volant », Blanche saillants pour le public d’aujourd’hui certains
s’adressant à Mitch, Un tramway nommé aspects présents dans le texte original ou sa
désir, scène 9, traduction de Jean-
A streetcar named desire,
Marie Besset, p. 113. Cette image a Penguin Books, p. 33-34. version filmique.
disparu de l’adaptation.
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académie de paris Après la représentation
Pistes de travail
n° 100
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Souvenirs
De retour en classe, le professeur mobilise la sont réalistes mais leur assemblage ne l’est
mémoire des élèves. pas. Plusieurs lieux cohabitent et créent une
certaine étrangeté.
b Inviter la classe à s’exprimer librement
suite à la représentation. b Demander aux élèves quels autres élé-
L’enseignant se montrera attentif à la nature des ments peuvent participer à cette impression
premiers commentaires exprimés. Il est probable d’étrangeté (les costumes par exemple ou le
que les élèves verbalisent dans un premier temps traitement particulier du son).
des éléments concernant la scénographie. Une opposition semble être créée entre la
L’univers visuel du metteur en scène est en tenue que porte Blanche dans le couloir vitré et
effet très riche et novateur, notamment quant celles qu’elle arbore au dehors. Face au monde,
à l’utilisation des nouvelles technologies. Des Blanche, construit son apparence. Elle porte
adolescents devraient s’y montrer sensibles, une perruque blonde ainsi que de nombreuses
souvent attentifs à la dimension matérielle et élégantes tenues. Lorsqu’elle se retrouve
d’une représentation théâtrale. seule, elle revêt une simple combinaison noire.
Sans perdre sa féminité, la jeune femme semble
b Lister le matériel relevant des nouvelles beaucoup plus vulnérable. Moments de repli et
technologies nécessaire à la mise en scène d’élan vers l’autre se succèdent, que soulignent
d’Un Tramway. les changements de costume, et suggèrent
La classe devrait pouvoir repérer sans difficulté les l’ambivalence du personnage. Le traitement du
nombreuses caméras, le vidéoprojecteur (de taille son n’est pas quant à lui, exempt d’une certaine
plutôt impressionnante d’ailleurs), des ordinateurs étrangeté. Les personnages s’expriment souvent
(en régie mais aussi sur scène où l’appareil portable sur un fond sonore, dont les tonalités graves
est équipé d’une webcam), les micros placés au rendent parfois l’ambiance inquiétante.
niveau du visage des comédiens, et le dictaphone. À l’issue de cette remémoration chorale, le
professeur peut, s’il le souhaite, aborder avec
b Comparer la scénographie avec celle qui la classe l’histoire de la pièce.
avait été imaginée en amont.
La classe qui savait que la scène pouvait être b Résumer l’histoire d’Un Tramway sans avoir
un bowling sera peut-être surprise de constater recours à la parole : pour cela, les élèves
que cet espace est aussi celui d’un appartement proposent à la classe un enchaînement de
ou encore, plus ponctuellement, d’une piste de cinq images arrêtées reprenant les moments
danse. Krzysztof Warlikowski et sa scénographe, importants de la pièce. On limite à deux le
Malgorzata Szczesniak, ont en effet conçu un nombre de participants pour chaque posture.
lieu ouvert, éclaté, combinant plusieurs univers. Les élèves se placent les uns après les autres
Le lit en avant-scène évoque la chambre mais sans parler. Certains choix devront être faits
qu’aucune cloison ne sépare du salon repré- dans le but d’illustrer la fable. La contrainte
senté par une table basse, un canapé, quelques devrait les amener à synthétiser.
chaises et une lampe. Le couloir vitré placé
sur des rails donne à la salle de bain une place b Demander au groupe spectateur de légender
importante : elle traverse toute la largeur de chaque partie du tableau ainsi créé.
la scène. L’espace vacant situé au-dessous est La discussion qui suit vise à confronter les
occupé par des quilles. L’univers du bowling intentions des participants initiaux au sens
est bien présent (on peut voir un couloir obtenu qu’élaborent les élèves restés assis.
véritable équipé d’un système permettant le On peut imaginer que la première et la dernière
retour automatique des boules) mais il n’est posture puissent être dédiées au seul personnage
pas traité de manière univoque. Les éléments de Blanche. La jeune femme presque toujours
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présente change fréquemment de costumes ou de Claude Roy, ou encore du spectateur. Les
accessoires évoquant ainsi le temps qui passe. élèves peuvent être amenés à s’éloigner d’une
Isabelle Huppert, variant de nombreux registres, lecture en lien avec les singularités présentes
réalise ici une véritable performance. (ou évoquées) dans la pièce et montrer Blanche
Le nombre imposé de participants devrait amener en proie à une masse (plutôt masculine). Une
n° 100 la classe à sélectionner parmi les cinq autres approche moins naturaliste peut révéler sept
janvier 2010 personnages ceux qui selon elle, jouent un rôle images différentes du personnage ou encore,
particulièrement important. Il est possible que l’ambivalence de Blanche, en martyre dissolue.
les élèves souhaitent figurer Blanche à chaque On pourra convoquer ici la superposition à
fois. Nous tenterons alors de mettre en évi- l’écran du visage de la jeune femme et de l’icône
dence l’importance des relations établies entre opérée par le metteur en scène.
l’héroïne et son entourage. Chaque nouveau
personnage semble exister en partie à travers le b En prolongement, proposer aux élèves
lien qui l’unit à Blanche. une photographie prise lors des répétitions
Cet échange mené avec la classe confronte fina- (cf. ci-dessous) et leur demander d’identifier
lement l’histoire (qu’il fallait à l’origine résumer) les personnages.
et le symbole véhiculé par chaque image arrêtée. Les élèves reconnaîtront aisément cinq des
Or la mise en scène, comme nous avons pu le personnages de la pièce mais s’interrogeront
dire précédemment, ne prend pas le parti pris du sur la présence de l’homme aux mains levées.
réalisme. Le récit est fragmenté, la fable rame- Certains devineront peut-être qu’il s’agit du
née à sa plus simple expression, l’essentiel étant metteur en scène Krzysztof Warlikowski. Ce
peut-être pour Krzysztof Warlikowski de montrer dernier pourrait être cette présence autre convo-
la solitude et l’égarement de Blanche, sensibles quée dans l’activité précédente. Des hypothèses
dès le début de la pièce. pourront alors être émises en ce qui concerne
la façon dont l’artiste polonais travaille avec ses
b Diviser la classe en groupes de sept (nombre acteurs. Sa présence sur le plateau, sa gestuelle
de personnages + 1) et proposer un tableau et l’énergie qu’il semble déployer peuvent naître
vivant susceptible de symboliser la pièce. de l’observation de la photographie. Il est vrai
Le nombre de participants excède ici celui des que le metteur en scène monte sur le plateau
personnages présents dans la pièce. Les élèves pour incarner à son tour les personnages. Près
devront donner du sens à cette contrainte et de lui, le comédien dit le texte, comme s’il
donner corps au symbole souhaité. Cette septième devenait momentanément la voix de cet autre
présence pourrait être celle du mari défunt de corps. Comme on a pu l’entendre depuis la salle
Blanche ou, moins probable, du père évoqué au de L’Odéon, Krzysztof Warlikowski très inspiré,
début et à la fin de la pièce à travers le poème « cherche » et pour cela, il joue.
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janvier 2010
Cette large part accordée à l’interprétation perçoit son reflet dans la vitre arrière du couloir.
du spectateur est véhiculée en partie par le Elle est par ailleurs filmée dans l’intimité de ses
n° 100 dispositif scénique, à la fois visuel et sonore. préparatifs, un écran projette cette image. Le
janvier 2010 duo Blanche-Stanley visible au premier plan est
b Proposer aux élèves le mot « superposition » imprimé sur le verre où il se reflète. Le regard
et les inviter à noter sans se censurer tout du spectateur en constant mouvement, met en
ce qui se présente à eux concernant la mise relation ce qui se déroule directement sous ses
en scène d’Un Tramway. Un échange s’en suit yeux avec les images filmées ou reflétées. Une
qu’alimente cette prise de notes. ambiguïté peut en outre s’instaurer entre ce qui
Nous retrouvons d’une part différents maté- est reflété et ce qui se devine derrière la vitre
riaux qui rendent possibles le reflet : le verre translucide. La lumière joue un rôle majeur dans
tout d’abord, présent sur toute la largeur de la ce dispositif. Elle est un écran supplémentaire
scène grâce à l’emplacement d’un long couloir qui module l’espace à volonté.
vitré mais aussi en avant-scène sur les côtés,
de manière à mettre les loges du théâtre de b Proposer aux élèves une nouvelle image du
L’Odéon au deuxième plan 17. Avant les répéti- spectacle (cf. ci-dessous) et leur demander
tions, on pouvait voir les employés du théâtre d’identifier ce qui relève de la transparence
lustrer ces vitres avec précaution pour rendre ou du reflet.
absolue la transparence. Plusieurs bandes de La silhouette que l’on devine en arrière-plan à
miroir sont disposées par ailleurs au sol et gauche de la photographie peut être identifiée
délimitent les pistes du bowling. Ces dernières comme étant celle de Stella. L’angle de vue
reflètent non seulement les personnages mais adopté par le photographe ne permet pas ici
grâce aux éclairages, créent des bandes verticales de savoir s’il s’agit d’un reflet ou d’une ombre
claires et vibrantes. assise sur les toilettes de l’autre côté de la vitre.
Sous l’effet d’un éclairage particulier, les parties La coexistence des deux banquettes blanches
latérales du couloir de verre deviennent parfois visibles à droite de l’image sera convoquée, les
translucides. La vitre révèle ou au contraire élèves se rappelant certainement de ce recours
dissimule. Nous pourrions renvoyer ici à de à un deuxième salon, comme reflet du premier.
nombreux passages tels que la première rencontre Or, il y a bien réplique à l’identique de tout le
entre Blanche et Stanley. Stella se trouve dans mobilier. L’effet est saisissant, la perte des
la salle de bain dissimulée mais le spectateur repères très réussie tant la superposition du
reflet véritable au second salon est efficace.
Stanley se retrouve plusieurs fois dans cet espace
double. Il se détache du groupe et marquerait
ainsi sa résistance à l’égard de Blanche.
Si images réelles et reflets se superposent,
il en va de même dans le traitement du son.
Comme nous l’avons déjà signalé, les comédiens
sonorisés parlent souvent sur un fond musical.
Les voix paraissent parfois être sur le même
plan que la musique. Le recours ponctuel à un
dictaphone accentue cette séparation apparente
entre le comédien et sa voix.
Afin de rendre sensible cet autre procédé de
superposition, nous convoquerons la première
scène entre Blanche et Stella. Deux musiques
très différentes se succèdent : l’une, douce,
fait entendre un piano, l’autre électrique, une
guitare. Nous entendrons les deux simultané-
17. La fosse a été recouverte afin qu’une
ment ainsi que le cri d’Isabelle Huppert associé
plus grande profondeur puisse être à la mention de l’alcool (« Il me traverse le
disponible. Cette nouvelle configuration corps », Un Tramway, scène 1). Ce recours à
de l’espace est à mettre en relation avec différents plans sonores (comme un écho au
cette idée de superposition. Plusieurs
plans sont en effet nécessaires à dispositif scénique) contribue à traduire le
l’obtention de ces différentes couches. © pascal victor – odéon théâtre de l’europe malaise de Blanche.
18
crdp
académie de paris
b Afin de rendre cette question de la super- au regard de la parole devront faire l’objet
position et du croisement des significations d’une réflexion. À l’issue de la présentation des
plus sensible, nous proposons plusieurs travaux, nous tenterons de faire entendre les
éléments aux élèves répartis en groupes : spectateurs qui avec leurs propres références,
quelques fragments extraits de la pièce 18, unifient un ensemble hétérogène.
n° 100 une chaise et un extrait musical 19. Une mise La scène durant laquelle Blanche, sous le lit,
janvier 2010 en scène intégrant ces différentes données évoque son mari défunt sera convoquée à l’issue
devra être proposée à la classe. de cette réflexion : le couple formé par Mitch et
La pluralité des propositions traduit l’importance le jeune homme est un écho au souvenir, le corps
des choix effectués par le metteur en scène et des danseurs se superposant au monologue,
du sens qu’il leur donne. Les phrases pourront tandis que le jeune homme maquillé de blanc
être distribuées à plusieurs élèves-comédiens semble être le fantôme chancelant du jeune
et un dialogue mis en place, certaines pour- poète décédé. Le spectateur est amené à combiner
ront aussi être regroupées, totalement ou en ces trois temps pour reconstruire l’histoire. La
partie. Quant à la musique, si les conditions le parole ne suffit plus à elle toute seule à dire
permettent, le volume mais aussi la répartition ce qui se passe au-dedans des personnages.
Images
n° 100
janvier 2010
Nous souhaiterions ici interroger plus particuliè- rectangle lumineux aux dimensions variables,
rement la scénographie de Malgorzata Szczesniak, la scène devenant alors un espace proche de
fidèle alliée de Krzysztof Warlikowski. l’abstraction 24. Il est celui que l’on réserve aux
monologues de Blanche, celui où elle s’abstrait,
b Visionner une nouvelle fois l’extrait se retrouve séparée et paradoxalement exposée.
d’(A)pollonia, disponible sur le site du festival Le corps de la comédienne, dont la voix sono-
d’Avignon 22 et comparer la scénographie avec risée semble détachée, est alors intégré à la
celle d’Un Tramway. À quoi voyez-vous que le composition scénique. Il deviendrait la partie
metteur en scène travaille dans ces spectacles du tableau ainsi créé (lorsque Blanche au corps
avec la même scénographe ? disparu dans un ample vêtement blanc appa-
Les élèves repéreront facilement plusieurs points raît par exemple derrière la vitre, les gestes
communs : l’espace de projection, la présence désincarnés).
au sol de miroirs, les néons qui se découpent
sur un fond noir, les cellules transparentes et b Soumettre à la classe les propos de
leurs sanitaires. Piotr Gruszczynski :
On questionnera la permanence du verre. Il rend
visibles les comédiens qui s’y trouvent mais les « On peut facilement observer que l’espace
isole. L’enfermement est alors sensible. Révélés construit par Warlikowski avec son insépa-
à tous, pris au piège dans cette prison de verre rable scénographe Malgorzata Szczesniak,
anonyme, les personnages crient leur solitude. est un lieu hostile à l’homme. Il est
La froideur des sanitaires, formes blanches difficile de s’y sentir à l’aise ou de s’y
érigées sur un sol que l’on devine froid, installer. Il n’y a pas de place confortable
accentue le malaise. Un lien pourrait être fait ou accueillante. Le microcosme de la
ici avec la série du plasticien Ernest Pignon- scène réfléchit, ainsi, la nature du monde
Ernest, intitulée Derrière la vitre (Lyon, 1996). ou, plutôt, le point de vue des créateurs
22. Disponible sur www.festival-avignon.
On y retrouve la même vitre du lieu public, le sur cette nature. Le monde n’est pas un
com/editions/fr/2009/spectacles/bdd/ même désarroi 23. lieu favorable à l’homme. »
event_id/67/video_id/1595
[consulté en février 2010]
Dans Un Tramway, le couloir de verre occupe
23. Cf. site officiel de l’artiste, Dans Alternatives théâtrales, 81,
www.pignon-ernest.com/p/cabine.html toute la largeur. Cette forme allongée n’est pas
La Scène polonaise, p. 40.
[consulté en février 2010] réaliste et s’oppose en cela au salon que crée
24. Ce rapprochement opéré avec le mobilier. Il semble d’ailleurs que l’éclairage
toutes les nuances nécessaires renvoie
essentiellement à la sobriété et à la favorise parfois un effacement des repères en Dans quelle mesure cette réflexion peut-elle
géométrie des formes lumineuses. lien avec la réalité pour ne laisser que ce s’appliquer à la mise en scène d’Un Tramway ?
21
crdp
académie de paris
b Inviter les élèves à se rendre sur le site b Faire réfléchir les élèves, éventuellement
internet du théâtre de L’Odéon afin de à l’écrit, au théâtre de Warlikowski comme
découvrir le metteur en scène polonais que « théâtre de la déchirure » 27.
Krzysztof Warlikowski a assisté au début de Les remarques relatives à la scénographie
sa carrière 25. pourront être réinvesties ici.
n° 100 Ces derniers pourront être conduits dans un
janvier 2010 second temps à effectuer une recherche docu- Pour conclure cette étude, nous souhaitons
mentaire sur Krystian Lupa 26. Si le caractère rendre les élèves acteurs et les amener à donner
européen du parcours de Krzysztof Warlikowski du sens aux choix scénographiques comme
peut être pointé du doigt, son œuvre pourra outils de narration.
aussi être replacée dans le contexte artistique
polonais contemporain : b Demander aux élèves de jouer à trois
comédiens la scène déjà proposée en amont
(cf. annexe 10).
« N’oublions pas que Lupa se trouve à Il s’agit ici de créer dans l’enceinte de la
l’origine de cette renaissance de la scène classe deux espaces distincts. L’un des deux
polonaise. Il en fut l’initiateur. [...] La sera décroché, hors temps, l’autre quotidien.
Pologne revient ainsi à ce dont nombre Les répliques (qui peuvent être données sur
de ses artistes connurent l’attrait : le des bandelettes de papier sans que le nom des
nihilisme et la pensée anarchiste, réunis personnages ne soit mentionné) pourront être
par le même constat d’une absence de agencées différemment (déplacées ou regrou-
tout système de valeurs rassurantes. » pées). Les élèves s’interrogeront sur ce qui
relève du dialogue ou du monologue.
Propos de Georges Banu, dans Alternatives
théâtrales 81, déjà cité, p. 3-4. b Même consigne mais les élèves travaillent
cette fois sans aucun texte. Ils improvisent à
partir du thème de la déchirure.
Comité de pilotage
Michelle BÉGUIN, IA-IPR de Lettres chargée Responsable de la collection
du théâtre dans l’académie de Versailles Jean-Claude Lallias, Professeur agrégé,
Jean-Claude LALLIAS, Professeur agrégé, conseiller Théâtre, département Arts
conseiller Théâtre, département Arts et Culture, CNDP
et Culture, CNDP
Patrick LAUDET, IGEN Lettres-Théâtre Responsabilité éditoriale
Sandrine Marcillaud-Authier, Lise BUKIET,
chargée de mission lettres, CNDP CRDP de l’académie de Paris
n° 100
janvier 2010
24
crdp
académie de paris Annexe 2 : e
ntretien avec Piotr Gruszczynski, dramaturge
d’Un Tramway
Dans votre livre Théâtre Ecorché, on peut lire et Clorinde) y participe par ailleurs. Un nouveau
n° 100 que Krzysztof Warlikowski est moins enclin, contexte est apporté au trio que forment
janvier 2010 contrairement à la démarche qui est la sienne Blanche, Stella et Stanley. L’aspect strictement
dans le domaine de l’opéra, à monter des pièces familial est dépassé.
de théâtre à l’étranger. Quelle place occupe
donc cette nouvelle création dans le parcours Cela semble pouvoir rejoindre les propos de
du metteur en scène ? Krzysztof Warlikowski selon lequel un metteur
Piotr Gruszczynski – Cette production est le en scène est avant tout un artiste qui s’exprime.
fruit d’une coopération entre le Nouveau Théâtre Le rôle de nouvelles traductions est alors majeur
de Varsovie et L’Odéon. Le spectacle répond au puisqu’il permet d’actualiser le texte.
désir d’une comédienne, Isabelle Huppert, qui a P. G. – Oui, tel était déjà le cas lors du
voulu travailler avec Krzysztof intéressé depuis précédent spectacle, (A)pollonia, basé sur
longtemps par l’œuvre de Tennessee Williams, et un collage de textes différents. Un nouvel
jouer Blanche dans la pièce. ensemble est finalement créé dont le metteur
en scène serait l’auteur. Ici, dans le cas d’Un
Peut-on voir un rapport entre le choix d’acteurs Tramway, les nombreuses coupes, les ajouts
d’origines différentes et les personnages de la ou déplacements créent ce nouveau texte
pièce ? dont Krzysztof Warlikowski fait apparaître le
P. G. – Dans Un tramway nommé désir, les sens profond, caché le plus souvent. Ceci lui a
personnages vivent tous aux États-Unis, mais d’ailleurs valu au début de sa carrière de nom-
selon Krzysztof, Stanley n’y est pas né. Il est breuses critiques : on lui reprochait de travailler
immigré de la première génération. Entourée contre le texte. Selon moi, il y est fidèle, au
par ces nombreux étrangers (joués par des contraire. Il s’agit en réalité de trouver la voie
acteurs qui le sont aussi), Blanche, qui elle, pour atteindre le spectateur d’aujourd’hui, faire
parle un français parfait, se retrouve face aux en sorte que l’œuvre ne reste pas un objet litté-
barbares. Le spectateur le ressent physiquement raire et devienne un événement théâtral.
grâce au choix des comédiens (Andrzej Chyra
par exemple qui est polonais, dans le rôle Quelle est l’histoire de la traduction d’Un
de Stanley, Renate Jett, autrichien, qui joue tramway nommé Désir en Pologne ? En a-t-on
Eunice, Cristian Soto, chilien, le jeune garçon). accentué comme peut-être en France, l’aspect
naturaliste ? Je pense à l’adaptation française
L’attente du public vis-à-vis du specta- de Paule de Beaumont disponible chez 10/18.
cle est importante. Si la renommé de P. G. – Le texte a été traduit en polonais dans les
Krzysztof Warlikowski et celle d’Isabelle Huppert années cinquante et publié dans la revue men-
expliquent en grande partie cet enthousiasme, suelle Dialogue. Cette traduction est aujourd’hui
celle de la pièce de Tennessee Williams n’y est complètement dépassée. L’auteur pense faire
probablement pas étrangère. Quels sont d’après entendre la voix supposée des immigrés de ces
vous les enjeux de la réécriture d’un texte et années-là, ceux qui étaient censés être violents
de celui-ci en particulier ? et alcooliques. Le traducteur se montre par
P. G. – Nous avons suivi plusieurs orientations. ailleurs très allusif, censurant d’une certaine
Il s’agissait dans un premier temps d’épurer le façon le texte. Le stalinisme vient de s’achever
texte. La version originale en effet est beaucoup mais il est encore présent, notamment dans ce
plus bavarde. Elle nous semble par ailleurs trop regard porté sur la pièce. Il existe aussi une
réaliste, encombrée de nombreux détails. Selon nouvelle traduction d’Un tramway nommé Désir
Krzysztof, au début de la pièce Blanche arrive qu’un acteur du Nouveau Théâtre vient de réali-
aux enfers. La rue des Champs-Élysées existe ser, Jacek Poniedzialek. Jacek a déjà travaillé
bien à la Nouvelle-Orléans, mais le metteur en avec Krzysztof sur la traduction des Purifiés de
scène l’interprète comme étant le lieu célèbre Sarah Kane et celle de Krum. Wajdi Mouawad
de la mythologie grecque, réservé aux héros a lui aussi traduit la version intégrale du texte
défunts. Il ne s’agit pas d’une simple adresse. mais en français. L’adaptation d’aujourd’hui est
Le début de notre recherche a donc consisté le fruit du croisement de ces différents regards.
à faire apparaître la structure tragique de la
pièce. L’ajout par Krzysztof Warlikowski de deux Si Blanche apparaît comme une héroïne de
autres textes (Salomé et Le Combat de Tancrède tragédie, on peut être surpris à la lecture par le
25
crdp
académie de paris
personnage d’Eunice. Dans le prologue, elle est Comment Krzysztof Warlikowski travaille-t-il
celle qui répond à toutes les questions et semble avec ses comédiens ?
déjà connaître Blanche, comme si elle était une P. G. – Le travail intellectuel est mis en avant
sorte de pythie venue de l’antiquité. et précède l’approche physique. En Pologne,
P. G. – Oui, le personnage dégage vraiment il existe une longue période faite de discus-
n° 100 quelque chose d’inquiétant. Cette dimension est sions et de lectures en amont des répétitions.
janvier 2010 de plus en plus importante dans le travail. Cette Le corps intervient ensuite bien entendu, les
femme sait tout, en tant que propriétaire de acteurs restent charnels.
l’immeuble elle a peut-être même déjà assisté à
des événements similaires chez ses locataires. À Dans votre ouvrage, vous dites que l’univers
la fin, quand Blanche doit partir, Eunice apporte du metteur en scène est fortement imprégné
le raisin, mais c’est Stella qui dit l’avoir lavé. de cinéma. Dans quelle mesure cette remarque
Lorsqu’elle évoque sa mort imaginaire, Blanche peut-elle s’appliquer à cette nouvelle création ?
dit qu’elle succomberait pour avoir mangé du P. G. – C’est un peu tôt pour répondre mais il y
raisin qui n’était pas propre. Il semble donc aura bien sûr des projections vidéo. Le théâtre au
qu’Eunice soit celle qui apporte le poison, Stella même titre que les autres domaines artistiques
celle qui l’utilise, et Blanche à sa façon, celle dévore les nouvelles technologies. Nous avons
qui accepte d’être tuée. On pourrait penser que bien entendu regardé le film très célèbre ainsi
cette allusion au raisin n’est qu’un détail, mais que de nombreux autres dont Tennessee Williams
elle révèle au contraire une vérité importante. a fait le scénario mais l’univers y est différent. La
présence de l’actrice de cinéma très renommée,
Face aux nombreuses citations relevant de Isabelle Huppert, est aussi à prendre en compte,
l’intertextualité, le lecteur a parfois l’impres- mais je ne sais pas comment Krzysztof va jouer
sion d’être face à une énigme à résoudre. Je avec ces différents éléments.
pense notamment à la citation du poème de
Claude Roy au début du prologue. Quel rôle auriez-vous aimé jouer dans la pièce ?
P. G. – C’est la dernière ligne qui est importante P. G. – Blanche bien sûr ! Tout le monde veut
ici : « Que papa te traduira ». On a beaucoup jouer Blanche ! Plus sérieusement, je crois que
parlé entre nous de possibles relations inces- l’on peut beaucoup plus s’identifier au personnage
tueuses entre le père et ses filles, l’enfance aujourd’hui qu’à la fin des années quarante. Il
étant enfermée dans les mots de papa. Ce dont correspond à l’époque désaxée qui est la nôtre.
je suis sûr en revanche, c’est que le texte doit
garder des zones d’ombre pour être intéressant. Entretien réalisé par Cécile Roy au théâtre
de L’Odéon, le 28 novembre 2009
26
crdp
académie de paris Annexe 3 : résumé de l’histoire
632 Elysian Fields. Nouvelle-Orléans. Une prévoyait de l’épouser. Cette union l’aurait
n° 100 femme vient de descendre du tramway. Elle aidée à faire taire l’image obsédante de son
janvier 2010 cherche sa sœur. Voici Blanche. Blanche et ses mari décédé.
robes légères, ses perles de pacotille et son Un homme vient briser cet élan, Stanley Kowalski,
diadème usé. Blanche et sa malle, remplie de son beau-frère. Cet homme brut et direct
lettres et de souvenirs. renverra Blanche à ses fantômes, révélant à
Plusieurs mois vont s’écouler. Une nouvelle tous ses nombreuses liaisons et les raisons
vie aurait pu commencer pour la jeune femme de son renvoi du lycée. Fragile, elle ne résistera
venue trouver refuge chez sa sœur Stella. Elle pas à son dernier assaut, laissant aux yeux
y rencontre Mitch, un ouvrier sentimental, qui de tous sa raison à quai.
Pour comprendre l’origine de l’Actor’s Studio, physique est par ailleurs très important 30, afin de
il faut se souvenir d’un comédien et metteur rendre possible l’accès à cette vérité intérieure.
en scène russe du début du xxe siècle du nom Stanislavski s’interrogeait sur la possibilité
de Stanislavski (cf. numéro 87 d’Alternatives d’une « grammaire » du comédien.
théâtrales et numéro 10 de Théâtre Aujourd’hui, Cette approche ne s’est pas contentée de révo-
L’Ère de la mise en scène). Dans la lignée de lutionner les pratiques théâtrales russes du
Meyerhold (inventeur du terme « studio » et début du xxe siècle. L’aventure s’est poursuivie
défenseur de l’improvisation) et en réaction aux États-Unis par l’intermédiaire d’un émigré
au Théâtre d’art de Moscou figé selon lui dans polonais du nom de Richard Boleslavski suivi de
« un naturalisme stérile » 28, il envisage le Maria Ouspenskaïa. Après avoir gravité autour
théâtre comme un art de plus en plus autonome, de ce nouveau théâtre russe, ils fondent à New
affranchi de la littérature, et crée alors en 1906 York, en 1923, The Laboratory Theatre. Le « Lab »
ce qu’il nomme le « Système » avant de fonder vient de voir le jour. S’ils se montrent fidèles à la
le premier Studio en marge du Théâtre d’art. démarche de Stanislavski, ils accentuent l’impor-
Il est l’auteur d’une méthode mettant l’acteur tance de la mémoire affective du comédien.
au centre du processus artistique. À la fin du Elève de Boleslavski et de Maria Ouspenskaïa,
travail à la table, le comédien abandonne quel- Lee Strasberg crée enfin l’Actor’s Studio en col-
ques temps le texte afin d’activer sa mémoire laboration avec Elia Kazan. Nous sommes en
affective : il doit se mettre à la place du 1946. Le processus semble être plus que jamais
personnage par le biais de l’improvisation. Le tourné vers l’acteur qui doit fuir l’artifice et
texte est ensuite retrouvé en vue de la création être vrai. Une génération de comédiens, depuis
de ce que Stanislavski nommait le « troisième rendus célèbres, voit alors le jour : James Dean,
être » 29, puis, le metteur en scène reprend la Antony Quinn, Paul Newman, Warren Beatty,
main et s’attache à créer un ensemble. Le travail entre autres, et Marlon Brando.
Le living-room, au centre de la scène, est vide. STANLEY, lançant à Stella un paquet de viande
Une séparation fictive, entre les deux pièces, est taché de sang.
simplement constitué par un encadrement de Attrape !
porte en plein cintre. Un rideau est suspendu
sous un vasistas cassé qui donne sur la rue et STELLA, attrapant le paquet.
coulisse sur une tringle ou un simple fil de fer Oui...?
pour séparer les deux pièces.
STANLEY
À droite, dans le living-room, une porte basse Viande !
donne sur un porche à ciel ouvert. Tout de (Stanley et Mitch sortent par la porte de droite.)
suite, à droite, un escalier en spirale, mène à
l’appartement du dessus. Une grosse négresse STELLA, courant à la porte avec son paquet.
languide est assise sur l’escalier, s’éventant avec Stanley ! Où vas-tu ?
une feuille de palmier, ainsi qu’Eunice Hubbel,
locataire de l’appartement du dessus. Celle-ci STANLEY, loin.
mange des cacahuètes et lit Confidences. Jouer aux boules.
L’extérieur d’un bâtiment d’habitation de deux jamais très loin d’un mauvais piano où la fierté
étages, à l’angle d’une rue de La Nouvelle- déliée de doigts bruns trouve à exprimer son
n° 100 Orléans. Cette rue, dénommé Champs-Élysées vague à l’âme. Ce Blue Piano donne le tempo de
janvier 2010 Elysian Fields, entre la voie ferrée et le fleuve, la vie telle qu’elle court dans les rues de par ici.
se trouve dans un quartier pauvre, et pourtant,
à l’image de tant de quartiers correspondants, Deux femmes, l’une blanche et l’autre de
dans d’autres villes américaines, elle n’est pas couleur, prennent le frais sous le porche. la
dénuée d’un certain charme un peu voyou. Les Blanche est Eunice, qui habite l’appartement
bâtisses sont pour la plupart, des structures du premier, la Noire est une voisine, car La
de bois peintes en blanc, défraîchies, avec des Nouvelle-Orléans est une cité cosmopolite où
escaliers extérieurs branlants, des passages les races se mêlent assez librement, du moins
suspendus, et elles arborent des corniches dans la vieille partie de la ville. Par-dessus la
décoratives et des pignons ornés. Des escaliers musique du Blue Piano, on attend les voix des
en bois peint (blanc écaillé) mènent aux deux gens qui s’interpellent dans la rue.
entrées de l’appartement du premier et de celui
du rez-de-chaussée. La tombée de la nuit, dans Deux hommes débouchent du coin de la rue,
les premiers jours de mai. Le ciel autour du Stanley et Mitch. Ils ont dans les vingt-huit,
bâtiment est d’un bleu très tendre, presque trente ans et sont en bleu de travail. Stanley
turquoise, qui donne à la scène un halo de lyrisme tient à la main son blouson de bowling et un
et nuance l’impression de décrépitude. On pour- paquet taché de sang qui vient de la boucherie.
rait presque sentir l’haleine chaude du fleuve Ils s’arrêtent au pied de l’escalier.
brun derrière les entrepôts, avec leur entêtant
remugle de bananes et de café. La musique d’un STANLEY : (appelant) Hé ! Oh ! Stella !
orchestre noir provenant d’un bar tout proche Stella apparaît au balcon du premier étage. Elle a
donne une atmosphère sonore correspondante. dans les vingt-cinq ans, et des origines sociales
Dans ce coin de La Nouvelle-Orléans, on n’est manifestement différentes de celles de son mari.
STANLEY : Attrape !
STELLA : Quoi ?
STANLEY : La viande !
Il lui lance le paquet qu’elle se débrouille pour
attraper tout en protestant. Essoufflée, elle éclate
de rire. Stanley et Mitch sont déjà au coin de la rue.
STANLEY : Au bowling.
« Si tu trouves sur la plage EUNICE : C’est un vrai bordel mais quand c’est
n° 100 Un très joli coquillage rangé c’est un petit paradis.
janvier 2010 Compose le numéro
Océan 0 0 BLANCHE : Paradis... !
Et l’oreille à l’appareil
La mer te racontera EUNICE : Vous êtes la sœur de Stella ?
Dans sa langue des merveilles
Que papa te traduira. » BLANCHE : Oui.
Dans l’adaptation
STANLEY : Je savais pas que tu étais en ville. STANLEY : Pas ma tasse de thé. Tu campes ici ?
T’es de quel coin ?
BLANCHE : Je ne sais pas...
BLANCHE : Belle Rêve.
STANLEY : C’est bon. T’en fais pas. Tu trouveras
STANLEY : Pas dans mon coin, ça. Ça te gêne si pas plus brut que moi. T’as pas déjà été marié ?
je me mets à l’aise ?
BLANCHE : Si.
BLANCHE : Je vous en prie.
STANLEY : Et ?
STANLEY : Être à l’aise c’est mon credo.
BLANCHE : J’ai mal !
BLANCHE : C’est le mien aussi.
Extrait d’Un Tramway d’après Un tramway
STANLEY : T’es prof, c’est ça ? nommé Désir de Tennessee Williams, texte
français de Wajdi Mouawad, novembre 2009,
BLANCHE : C’est ça. scène 1 (fin), tous droits réservés
31
crdp
académie de paris Annexe 7 : Blanche et Stella se retrouvent
BLANCHE : (...) C’est tout à fait étonnant ici ! forêt hantée des vampires et la fin du monde » !
Tu ne me dis rien !
n° 100 STELLA : Ta fin du monde c’est le terminus des
janvier 2010 STELLA : Pour ça faudrait que tu me laisses une tramways.
petite chance.
BLANCHE : Autant dire... Bon on oublie !
BLANCHE : Voilà ! Tu sais parler ! Remue tes Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
jolies lèvres pendant que moi je vais chercher à
boire. T’as bien quelque chose à boire ici...? STELLA : Dit quoi ?
STELLA : Laisse-moi m’en occuper ! Une vodka BLANCHE : Que tu vis comme ça. Tu pourrais au
coca ? moins t’excuser, mon ange.
BLANCHE : L’eau ma chérie ! Juste une goutte STELLA : Qu’est-ce que tu racontes...
d’eau, ça suffit ! Ta sœur n’est pas encore une
alcoolo, elle est juste bouleversée, épuisée, sale, BLANCHE : Je ne me souvenais plus de tes
et elle a chaud ! Maintenant, assieds-toi et expli- silences.
que-moi tout ça ! Jamais, jamais, jamais même
dans mon cauchemar le plus épouvantable... STELLA : J’ai fini par prendre l’habitude de me
taire en ta présence.
STELLA : Ça c’est de l’eau pour toi...
BLANCHE : Ça ne t’intéresse pas de savoir pourquoi
BLANCHE : J’aurais pu imaginer... j’ai quitté l’école avant la fin du printemps ?
AMANDA : (Elle porte une robe de très jeune au mois de mai. – Avec la dentelle des arbustes
fille en mousseline jaune pâle avec une large en fleurs, littéralement inondée de jonquilles !
n° 100 ceinture de soie bleue. Elle a dans les bras un Ce printemps-là, j’avais la folie des jonquilles.
janvier 2010 bouquet de jonquilles – c’est toute sa jeunesse C’était devenu une véritable obsession.
qu’elle fait revivre.)
(fiévreusement) C’est dans cette robe que j’ai Extrait de La Ménagerie de verre,
conduit le cotillon, c’est avec cette robe que Tennessee Williams, traduction nouvelle de Jean-
j’ai gagné deux fois le concours de cake-walk Michel Déprats, Éditions théâtrales, scène 6, p. 56-57
à Sunset Hill, c’est cette robe que j’ai portée
un soir de printemps au bal du gouverneur à
Jackson ! Laura, regarde comme je tourbillon-
nais dans la salle de bal... (elle soulève sa jupe
et fait le tour de la pièce en exécutant quelques
pas de danse maniérés tout autour de la pièce.)
Je la portais le dimanche pour recevoir mes
galants ! Je la portais le jour où j’ai rencontré
ton père... Tout ce printemps-là, j’ai eu un
accès de fièvre – de malaria. Le changement
de climat de l’Est du Tennessee au Delta du
Mississippi m’avait affaiblie – j’avais tout le
temps un peu de fièvre – pas assez pour que
ce soit inquiétant – mais assez pour me donner
le tournis ! – Les invitations pleuvaient – des
réceptions partout dans le Delta ! – « Reste
couchée », disait maman, « Tu as de la fièvre » !
– mais je ne voulais rien entendre. – J’ai pris
de la quinine et j’ai continué à sortir, à sortir !
Le soir, les bals ! – L’après-midi, les longues,
longues promenades à cheval ! des pique-niques
– merveilleux ! Et cette région, si merveilleuse
1 – C’est tranquille les funérailles, les morts 7 – J’adore les histoires de perroquet.
pas toujours.
8 – Emmène-moi à l’hôpital.
2 – La tête va m’exploser.
9 – T’as de la place en masse pour passer.
3 – Les fringues c’est ma passion.
10 – Les obsèques auront lieu en haute mer.
4 – Je t’aimerai toujours.