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Florence Dupont - Les Monstres de Seneque
Florence Dupont - Les Monstres de Seneque
Couverture :
Conception graphique : Rampazzo & Associés
Photo : masque tragique du Ier siècle, Museo Capitalino, Rome.
© Dagli Gati/Gianni Dagli Orti
Chronologie
Le code ludique
L E RITUEL
Voilà mis en place les éléments essentiels des jeux du cirque : liés à la fin
de la guerre, consacrés à la dépense de richesses imprévues et excessives
qui ne seront jamais réinjectées dans l’économie romaine mais dévorées en
quelques jours avec ivresse et excès, ces jeux sont une fête de la
consommation paresseuse avec cette coloration étrusque qui ajoute une
pointe de mollesse exotique. Le récit historique est une projection dans le
temps des éléments constitutifs des jeux et évidemment il a peu de chances
de renvoyer à une quelconque réalité.
Les siècles passent, puis en 369 av. J.-C.(28), la Peste frappe. Ce n’est pas
le première fois que Rome subit ce Fléau divin, signe d’une rupture entre
les hommes et les dieux. Les prêtres chargés des expiations s’affairent, mais
aucun piaculum connu ne se révèle efficace. On va chercher en Étrurie un
remède nouveau, et l’on en ramène des spectacles scéniques qui sont
présentés à Rome à l’intérieur des Jeux Romains, seule façon de pouvoir les
offrir aux dieux.
Donc pour la première fois à Rome on donnait des jeux où le spectacle
— ludicrum — au lieu d’être des exhibitions de sportifs était une exhibition
de danseurs devant un mur de scène. On connaît assez mal ces pantomimes
étrusques, que la république romaine aurait importées à cette occasion, mais
assez pour savoir que les Étrusques organisaient des spectacles sportifs et
des spectacles de danse(29). Ces spectacles étaient, comme les jeux romains,
« ludiques », et non agonistiques comme les concours grecs : il s’agissait
d’exhibitions faites par des profesionnels pour le seul plaisir du public. Il
n’y a chez les concurrents aucune recherche d’excellence ni de prestige, pas
plus que ces spectacles ne sont des manifestations civiques.
L’origine des jeux scéniques ainsi rapportée par les historiens romains a
peu de chance d’être historique, d’autant que d’autres versions coexistent à
propos de cette Peste qui impliquent que le théâtre existait déjà, avant son
importation d’Étrurie(30). Encore une fois l’important n’est pas la réalité de
l’événement mais son sens. D’une part en introduisant les spectacles
étrusques comme rituel expiatoire les historiens soulignent que les danses
de pantomimes ont le même effet que les spectacles du cirque et sont partie
intégrante du rituel ludique. D’autre part qu’il ait été ou non d’abord
étrusque, le théâtre romain a d’évidentes parentés avec lui. Peut-être en
était-il ainsi de tous les spectacles italiques, à moins que, plus simplement,
le théâtre ait fait partie des nombreuses institutions romaines qui viennent
des Étrusques, en relation avec la souveraineté, comme les insignes du
pouvoir, ou la cérémonie du triomphe, car les jeux relèvent du même dieu,
Jupiter Capitolin. Après tout Rome a appartenu un temps à l’aire culturelle
des Toscans.
Mais l’affaire n’est sûrement pas simple, car, par exemple, alors que les
Romains affirment que le mot désignant l’acteur, histrio, viendrait de
l’étrusque ister, nous savons que l’acteur en étrusque se disait thanasa(31).
En devenant « scéniques » les jeux définissaient une nouvelle réception
d’un nouveau spectacle. Le terme grec theatron caractérise le théâtre
comme le lieu où l’on voit, où le public doit regarder le masque de l’acteur
pour savoir qui parle, un roi, un messager, une femme(32). Le terme latin
caractérise le théâtre par le lieu où se donne le spectacle, la scaena, ou mur
de scène. Le grec skènè distinguait l’édifice, la baraque construite face au
public, derrière l’orchestra, décorée de peintures en trompe-l’œil, devant
laquelle jouaient les protagonistes de l’orchestra elle-même où jouaient les
choristes. La scaena italienne, étrusque et romaine, reste un mur de scène
décoré en trompe-l’œil, une façade illusoire, mais l’orchestra est désormais
occupée par le public. Cette façade semble ouvrir sur un autre monde, c’est
une surface plate à deux dimensions derrière laquelle il n’y a que l’envers
du décor. Les danseurs qui se produisent devant cette scaena, entrent par
une porte percée au milieu, ils semblent sortir de ce monde irréel. Ils sont
des images qui s’en détachent, entrent dans une troisième dimension et
donnent du relief et une réalité au décor peint.
Cette naissance du théâtre, une image qui s’anime pour donner une vie
illusoire et éphémère à un envers fictif et inaccessible, marquera toujours la
tragédie. Cependant ces premiers jeux scéniques ne sont pas encore des
pièces de théâtre, car les pantomimes ne dansent pas sur un canevas, une
histoire, il n’y a pas encore de fabula.
En 240 av. J.-C. la même procédure se reproduit. Le sénat décide
d’inclure dans les jeux scéniques de cette année-là, pendant les Jeux
Romains, des représentations de théâtre grec. Ces jeux s’appelleront ludi
graeci. Une telle décision prouve que les Romains perçoivent le théâtre
grec de leur époque comme un rituel expiatoire, sur le modèle des jeux
italiques, et font donc appel à un rituel étranger conformément à la
tradition, chaque fois qu’on a besoin d’un nouveau piaculum.
On connaît le nom du premier poète dramatique romain, il s’agit de
Livius Andronicus, un esclave grec, originaire d’Italie du sud et affranchi
par le noble Livius Salinator. En commandant à Livius Andronicus des jeux
grecs, le sénat ne lui demandait pas d’écrire les premières tragédies
romaines, mais de donner à voir aux Romains, dieux et hommes, du théâtre
grec. C’est lui qui le premier élabora le code de transcription afin de rendre
intelligibles aux spectateurs romains les tragédies grecques.
Après lui ce code va être utilisé par les autres poètes dramatiques, sans
qu’ils y apportent de grands changements, les contraintes rituelles restant
les mêmes. On écrit des multitudes de tragédies car le nombre des jours de
jeux ne fait que s’accroître, et il faut une œuvre nouvelle à chaque fête ; les
textes s’empilent dans les archives du collège des poètes, lus
essentiellement par les nouveaux poètes dramatiques, à des fins techniques.
C’est pourquoi ces textes disparaîtront pour la plupart. Quelques-uns
servent aussi dans les écoles à l’enseignement de la rhétorique, nous
verrons pourquoi(33) ; les fragments utilisés, ensuite cités par les orateurs,
survivront seuls.
L E CODE LUDIQUE
Ce code créé par Livius Andronicus réussit à traduire les récits tragiques
grecs à l’intérieur de la culture des jeux. Ce qui n’était pas une mince
affaire. Nous avons vu précédemment(34) que les ludi créent temporairement
une communauté indistincte qui se réjouit ensemble, une fois que ses
membres se sont débarrassés de toutes les contraintes et interdits de la vie
ordinaire, ainsi que des distinctions sociales, qu’ils se sont libérés
symboliquement de leurs « liens », ils sont soluti. Les Romains aux jeux
« se détendent ». Par conséquent la même détente caractérise la tragédie
romaine et son écriture. Car une chose était impossible, montrer au public
romain un théâtre « sérieux ».
Dans la culture romaine, le repos — otium —, la détente ne consistent
pas à ne rien faire, à rester immobile et avachi(35). La fatigue, la peine —
labor — ne sont pas l’exercice de la force, une consommation d’énergie,
mais une tension du corps et de la volonté vers un but. Ainsi pour se reposer
convient-il de garder la même activité mais de ne plus avoir de but. On joue
à la balle ou avec les mots, on se promène à l’aventure, on danse les figures
de l’escrime sans plus chercher à atteindre son ennemi. Le moyen devient
une fin. C’est ce que nous appelons le ludisme.
Car les jeux allient la licentia avec cet esthétisme ludique où le plaisir et
la détente consistent à danser le monde comme le ludion dans la procession
des jeux, danse la guerre. Gratuité du geste et virtuosité technique. Le
cocher dans le cirque ne court pas après son adversaire pour le tuer, il ne
cherche même pas à le vaincre, il veut donner un beau spectacle et faire une
belle course ; le public sera content, et lui, aura une belle récompense.
Il en est de même du théâtre et de la poésie dramatique. Les poètes et les
acteurs doivent donner un beau spectacle sans chercher à convaincre ou à
édifier moralement. Ce sont des danseurs de mots, des musiciens du sens.
Le poète est à l’orateur ce que le ludion est au soldat, c’est un virtuose des
techniques de parole mais lui ne s’en sert pas pour combattre au forum et
convaincre les juges, il ne fait qu’exhiber sa virtuosité. D’une façon
générale tout l’art d’un poète dramatique va consister à exploiter les
potentialités de l’image et de la parole publique, à être par conséquent un
explorateur de la rhétorique et de la peinture.
Chapitre II
L A MÉTAPHORE DU TISSAGE
… d’avoir le premier tramé les mots des chansons éoliennes sur des airs italiens, qui en sont la
chaîne.
Les tragédies représentées sur les scènes romaines — fabulae — ont pour
arguments des récits mythologiques grecs — fabulae(48). La coïncidence
linguistique rappelle que la tragédie grecque à Rome, par opposition à la
pantomime étrusque qui l’avait précédée, est tissée d’un argument, un fil
conducteur narratif, une histoire(49) :
Liuius post aliquot annis qui ab saturis ausus est primus argumento fablam serere
Livius qui, quelques années plus tard, osa le premier introduire une histoire en tressant ensemble
grâce à un argument des pots-pourris musicaux.
H ISTOIRES DE NOURRICE
H ISTOIRES DE PHILOSOPHES
On peut donc dire que les Romains ne « croient » pas à la mythologie
grecque, et leurs dieux non plus. Ni les uns ni les autres ne sont engagés par
ces histoires rocambolesques. Mais en même temps la mythologie fait partie
de leur vie, elle fait partie intégrante de la réalité romaine de chaque jour, ce
sont des images, des statues, des histoires présentes dans toutes les têtes. Un
avocat peut s’y référer en quelques mots au cours d’un procès, chacun
comprendra. Cicéron dans le Pro Caelio, compare Clodia son adversaire, à
Médée l’empoisonneuse et l’appelle la « Médée du Palatin(60) », comme les
journaux ont appelé, au temps de son procès, Landru le « Barbe-bleue de
Gambais ». La mythologie aussi bien que l’histoire fournit aux Romains des
exempla, des images exemplaires connues de tous et qui servent de
références communes sans que les auditeurs se posent la question de leur
vérité. L’histoire est certes plus couramment utilisée pour fournir des
figures édifiantes — Regulus, Scipion, Paul-Émile ou Cornelia, la mère des
Gracques — même si elle a ses canailles inoubliables comme Catilina. La
mythologie est surtout riche en personnages terrifiants par leur cruauté ou
leurs souffrances excessives. À Médée l’empoisonneuse, il faut ajouter
Atrée le tyran sanguinaire, Oreste le fou, Hécube la douloureuse, Thyeste le
cannibale, Œdipe l’incestueux parricide.
Les orateurs utilisent la mythologie pour la violence des images. Mais les
philosophes sont aussi grands amateurs d’exemples mythologiques, sans se
soucier des anathèmes socratiques. Dans les Tusculanes, sorte de Traité des
passions stoïcien, Cicéron multiplie les figures pathétiques issues de la
mythologie et pour ce faire il cite des poètes dramatiques. Quand il veut
étudier la douleur, tous ses exemples viennent de la tragédie : Mélanippe,
Niobè, Hécube, la nourrice de Médée, hurlent et gémissent à chaque
chapitre. La mythologie appartient tellement à la réalité romaine qu’elle
peut ainsi servir de matière première à l’étude des passions humaines dont
elle offre en quelque sorte des exemples paroxystiques.
Cicéron en agissant de cette façon ne fait que reprendre une pratique qui
était déjà celle des philosophes grecs, et même des scientifiques. Ainsi les
auteurs de traités médicaux n’hésitent pas à puiser dans la mythologie des
cas pathologiques qu’ils présentent à côté de « vrais » malades. Le pseudo-
Aristote(61) étudiant la mélancolie, c’est-à-dire la pathologie d’un excès de
bile noire, cite pêle-mêle Oreste, Héraclès, Platon, Socrate, Alexandre. Les
héros mythologiques, tout le monde en tombe d’accord, n’ont jamais existé,
mais leurs images sont suffisamment vraies pour témoigner de la nature
humaine.
L’Antiquité connaissait aussi un autre emploi de la mythologie, bien
différent mais qui prouve encore une fois la nécessité d’offrir une place à
ces récits dans la réalité du monde des hommes. Il s’agit de l’allégorie(62).
Les premiers philosophes, ceux qu’on appelle les présocratiques, Pythagore
et Héraclite, entre autres, qui refusaient les mythes des poètes, n’y voyant
que mensonges, proposèrent d’y trouver des significations symboliques. Il
fallait comprendre « un autre discours(63) » que ce qui semblait être dit,
découvrir un sens caché. Ce sens caché n’a rien de mystérieux, c’est
généralement une banalité. À leur suite se développèrent l’allégorie
physique avec Démocrite, l’allégorie morale et psychologique avec
Anaxagore, morale et physique avec Prodicos, pour ne citer que les plus
connus. Ainsi, pour Anaxagore, Zeus est l’intelligence, Athéna l’habileté.
Pour Démocrite, Athéna est appelée Tritogeneia — « à la triple géniture »
— parce qu’elle est le symbole de l’air et que l’air change de nature trois
fois par an, au printemps, en été et en hiver. Mais Démocrite dit aussi
« qu’Athéna est la raison et qu’elle enfante une triple progéniture : bien
réfléchir, exprimer dans une belle formule ce qu’on a pensé ; le réaliser
correctement ». Prodicos le sophiste mêle la morale et la physique. Pour lui
Déméter est le pain, Dionysos est le vin, Poséidon l’eau, chaque substance
utile à l’homme se retrouve dans une divinité. Ailleurs Prodicos va plus loin
en allégorisant des récits, il fait d’Héraclès à la croisée des chemins l’image
de la condition humaine sollicitée par le vice tentateur et l’austère vertu.
L’allégorisme va se développer pendant toute l’Antiquité et se nourrira de
toutes les interprétations. Chaque école tire la mythologie à elle. Les
Stoïciens font d’Héraclès un héros de leur sagesse, les Cyniques voient en
Ulysse, celui qui se fait inviter partout, un clochard sans scrupule, un
menteur qui leur ressemble. L’exégèse romaine, qu’on a vue à l’œuvre chez
Ovide ou Plutarque, empruntera des éléments à la tradition allégorique.
Avec le temps s’installe une sorte de vulgate allégorique où chacun puise et
qui sert à l’enseignement moral des enfants comme à la formation de
figures de rhétorique. Héraclès à la croisée des chemins devient un lieu
commun. Les poètes disent systématiquement Dionysos pour le vin, Cérès
pour le pain, etc.
La mythologie grecque chez les poètes romains est un langage vide qui
leur offre toute sorte d’exploitations esthétiques grâce à la complicité
culturelle du public. La seule contrainte est celle de la tradition. Les héros
mythologiques sont associés à des histoires trop connues pour être
modifiées, et à des passions recensées et incontournables. Chacun connaît
ce que va, ce que peut dire chaque personnage en fonction de la situation.
Les enfants des écoles ont pratiqué l’éthopée et la suasoire, ils ont eux-
mêmes écrit en prose, parfois en vers, les plaintes de Médée, la colère
d’Atrée, le désespoir de Didon, ils savent plaider la cause d’Énée quittant
Carthage, celle de Pyrrhus demandant le sacrifice de Polyxène, ils savent
comment doivent leur répondre Didon ou Agamemnon.
Mais la grande différence entre la tragédie et cette activité pédagogique
qui ne vise qu’à préparer à l’éloquence, est que la tragédie va plus loin
parce qu’elle est un spectacle. Les héros tragiques ne sont pas des mortels
un peu plus agités que les autres, ce sont des hommes en proie à des
passions qui les entraînent hors de l’humanité : ce sont des surhommes, des
personnages effrayants, les héros tragiques sur les scènes romaines se
métamorphosent en monstres(64). Et c’est cette métamophose qui donne sa
raison d’être au spectacle. À Rome le voir est toujours supérieur au dire(65).
Écrire une tragédie, c’est donc manipuler des histoires, des personnages,
des situations, des passions, des accents déjà connus de tous. Chacun
connaît aussi les interprétations moralisantes ou philosophiques du malheur
de Jason et de l’amour de Phèdre, il n’attend pas de révélations sur le sujet,
en revanche il les reconnaîtra au passage. Le poète n’innove pas, et
personne n’attend de lui qu’il innove. En revanche le public veut une
performance nouvelle, comme on attend d’un équilibriste un nouveau
numéro où il sera encore meilleur, prendra encore plus de risques.
DEUXIÈME PARTIE
Furor
Thyeste tragédie exemplaire
La danse du furieux
Multiples douleurs
La parole du furieux
Je ferai revenir
Le Crime odieux
La déesse sauvage qui lèche goulûment son sang
La Profanation et l’Errance
La Folie qui se bat contre elle-même
La Folie ! Voici ma sombre complice
Voici celle qui servira ma Douleur.
N EFAS
Le nefas, en dehors des théâtres, bien qu’il reste un crime humain est un
crime extraordinaire et se distingue du crime ordinaire, scelus, par le fait
qu’il est inexpiable. Cela signifie qu’aucun châtiment, aucune justice, ne
peuvent équilibrer la faute commise et en quelque sorte l’annuler de telle
sorte que le coupable châtié puisse réintégrer l’humanité. Même s’il est
puni par la justice des hommes, rien ne peut s’arranger entre lui et les dieux,
aucune expiation n’est possible qui lui permettrait de rester au sein de la
collectivité humaine sans la menacer de souillure.
Passant de la vie réelle à la tragédie, le nefas échappe globalement au
droit. Objets de la réprobation morale universelle, les héros criminels
restent impunis ; certains aspirent à la punition : afin de se libérer de la
souillure qui les accable, Thésée, Œdipe souhaitent vainement être écrasés
sous la colère des dieux vengeurs, tandis que d’autres savourent leur
infamie. Ainsi les héros seront éternellement liés au crime commis, auquel
désormais ils s’identifient, ce qui est leur façon de retrouver le statut de
héros mythologique. Ils deviennent définitivement le sujet du crime que
raconte la fable. Il n’y a pas d’après. Ni châtiment ni oubli.
Le temps s’arrête à la fin de la tragédie, et avec le temps s’arrête
l’histoire. Le héros criminel s’immobilise dans une image finale, comme
sur un tableau. C’est ainsi que se terminait, par exemple, la mise en scène
de Médée par Gilles Gleize(70) : Médée semblait emportée dans les airs,
brandissant une épée, au milieu des nuages, sans que rien ne bouge
réellement, encadrée par la porte du palais ; on aurait cru un tableau
baroque. Atrée et Thyeste, à la fin de la tragédie, posent pour l’éternel
affrontement de la colère et de la douleur, couple fraternel et maudit. L’un
savoure sa victoire, en contemplant l’autre avec son ventre où s’agitent ses
fils qui n’en sortiront jamais. La symétrie des deux dernières répliques,
correspond à cette dernière image d’un duel figé(71) :
THYESTES
Vindices aderunt dei
His puniendum uota te tradunt
ATREVS
Te puniendum liberis trado tuis
THYESTE
Les dieux reviendront et me vengeront
Mes malédictions t’ont livré aux dieux
Pour qu’ils te punissent et te tourmentent
ATRÉE
Et moi je t’ai livré à tes fils
Pour qu’ils te punissent et te tourmentent.
L’histoire s’arrête sur un crime, sans aucune autre conclusion. Aussi les
metteurs en scène contemporains ont du mal à trouver une esthétique de fin.
Car la clef du dénouement n’est pas dans les formules finales qui offriraient
comme une moralité de la fable en conclusion. On se tourmenterait à tort en
cherchant ce qu’a bien voulu dire Sénèque avec ces dieux qui reviendraient
et vengeraient Thyeste, comme on chercherait en vain une profession
d’athéisme dans les paroles de Jason à la fin de Médée(72) :
IASO
Per alta uade spatia sublimis aetheris
Testare nullos esse qua ueheris deos
JASON
Va
Parcours le ciel et les espaces légers de l’éther
Va témoigner partout où tu iras
Que les dieux n’existent pas.
D OLOR
LA FURIE
La folie est là, ta folie
Donne à chacun dans la maison sa part d’héritage
Ta folie
Distribue-la
Qu’à leur tour ils se mettent en branle
Qu’ils se haïssent les uns les autres
Et boivent leur sang
La maison a senti que tu la pénétrais
Touchée par un intouchable
Elle a frémi d’horreur.
Avant de passer dans ce monde mythologique, le héros douloureux doit
être possédé par un furor qui lui vient de ses ancêtres en même temps qu’il
est le prolongement de son dolor exacerbé.
F UROR
D’autre part les passions romaines, comme l’indique leur nom latin —
motus animi —, ne sont pas des « pathè », des « passions » grecques, des
sentiments passifs. Toute passion romaine est une réaction à
l’environnement.
Mais il convient que ce cheval bondissant, cette vitalité de l’homme ému
par la vie même, soit dirigé par le mors de la volonté, de l'animus, lui-même
sous l’empire de la mens, qui lui rappelle les catégories et les valeurs de la
civilisaion commune. Sans la rection de la mens, l'animus insuffle au corps
une agitation désordonnée. On reconnaît ici le modèle de la vie politique
dans la cité, où la mens comme le sénat exerce sa fonction de consilium —
conseil —, où le pouvoir exécutif des magistrats supérieurs est assumé par
l’animus, le corpus étant le corps social.
La folie est donc la perte de contrôle de la mens sur l’animus qui va être
en proie à une agitation incontrôlée et insensée, à des passions étranges, car
c’est la mens qui donne le sens, c’est-à-dire à la fois l’intention et la
dimension symbolique d’une réaction. Totale et passagère chez le furieux,
elle est relative mais définitive chez l’insanus.
Le furor est une catégorie uniquement romaine, même si elle sert à
accueillir, en les transformant, des catégories de la culture grecque
présentes dans les tragédies athéniennes. Ainsi, dit Cicéron, les Grecs
traduisent le terme furor par μελαγχολία. Et Cicéron s’insurge contre cette
équivalence qui selon lui confond insania la maladie avec le furor. Car
l’étymologie de μελαγχολία en fait le symptôme d’un excès de bile noire et
désigne ainsi la folie par ses origines physiologiques. Il y a bien d’autres
origines possibles, dit-il, au furor, « un excès de colère — iracundia —, de
peur — timore — ou encore de douleur — dolore, suscitent — mouetur —
le furor ». Et il cite quatre héros de la mythologie tragique grecque :
Athamas, Alcméon, Oreste et Ajax, tous les quatre victimes
d’hallucinations et présentés par le pseudo-Aristote comme des
mélancoliques(100).
Nous voici donc au cœur de la folie tragique. Le furor, la perte
temporaire de la mens, peut être, en dehors des théâtres, provoqué par un
excès de douleur, de peur ou de colère qui amène le furieux à agir en dépit
des règles de la société, de la morale et plus généralement de l’humanité.
Non par perversité ou par faiblesse de caractère, mais par accident. La
personnalité d’un homme n’est pas mise en cause par un accès de furor, pas
plus que par une crise d’épilepsie, le mal sacré. Mais quand il faut donner
des exemples de furieux c’est dans le théâtre grec que Cicéron va les
chercher, ce qui prouve qu’il y avait coïncidence pour les Romains entre le
furor tragique et le furor hors des théâtres.
Si ce furor romain ne relève pas d’une interprétation physiologique,
comme le revendique Cicéron, c’est qu’il s’agit d’abord d’une catégorie du
droit, présente dans le plus ancien code, la loi des douze tables(101), où le
furor est un cas d’incapacité juridique : « Si furiosus escit… » le furiosus
étant frappé d’incapacité temporaire.
Certes tout ce développement cicéronien sur le furor est intégré à un
débat philosophique sur les passions qui ne nous concerne pas ici — il
s’agit de savoir si le sage est ou non accessible aux passions, et il n’est donc
pas directement question de l’humanité normale, socialisée et passionnée.
Mais le témoignage indirect est pour nous précieux puisqu’il permet de
reconstituer la représentation romaine commune du mécanisme des
passions, et en particulier du surgissement du furor. Or nous voyons un
furor causé par un dolor excessif, ou la crainte et la colère. Nous retrouvons
schématisées quelques situations sociales élémentaires des civilisations
anciennes. Le dolor, issu d’un chagrin qui n’a pas rencontré ou n’a pas
voulu rencontrer l’écho social et affectif qui lui aurait apporté la consolation
et l’aurait engagé sur la voie de la guérison, va déboucher sur le furor. Cette
consolation, en cas de deuil naturel, consiste à recevoir suffisamment de
témoignages de sympathie et de commisération ; en cas de malheur causé
par quelqu’un d’autre, se consoler suppose qu’on se venge avec l’accord et
parfois l’aide du groupe auquel l’offensé douloureux appartient. L’homme
ou la femme douloureux qui cherchent à réintégrer l’espace social d’où ils
se sont volontairement retirés pour manifester leur dolor, et qui y échouent,
pour une raison ou une autre, deviennent des furieux, en décrochant
temporairement d’un système de représentation qui leur répète indéfiniment
qu’il ne les entend pas dans leur douleur et donc les exclut. Le furor est une
folie de la solitude morale.
En se démarquant de la physiologie aristotélicienne, Cicéron refuse une
analyse psychologique de la folie tragique. Dans ce texte fameux sur la
mélancolie, le héros tragique comme les grands hommes de l’histoire, Ajax
comme Alexandre, sont des maniacodépressifs, passant de l’abattement à
l’excitation, à cause d’un excès de bile noire, humeur chaude et sèche, dans
leur organisme, excès qui constitue leur caractère, la megalopsuchia. Là où
la mélancolie prend donc en charge la perversion d’un mécanisme culturel
du chagrin qui débouche soit sur le deuil soit sur la vengeance, pour
enraciner ce mécanisme dans la physiologie de l’homme, Cicéron conserve
un modèle juridique et revendique, contre une philosophie de la nature, une
philosophie de la culture.
Ainsi le noyau sémantique du furor tragique romain a été développé par
le droit, avant d’entrer au théâtre, et cela de façon distincte du discours
médical(102). Innombrables sont, dans la littérature juridique romaine(103), les
allusions au furor, qui permettent de reconstruire la façon dont les Romains
se représentaient un furiosus. Une fois posée l’irresponsabilité du furiosus
en matière pénale, et son incapacité générale en matière juridique pendant
et uniquement pendant ses crises de furor, les juristes proposent des
comparaisons afin de les justifier.
En ce qui concerne l’irresponsabilité pénale il y a un crime fameux, celui
d’Ælius Priscus, qui a été l’objet de nombreux commentaires de la part des
empereurs Marc-Aurèle et Commode et, à leur suite, de juristes(104). Cet
Ælius Priscus avait tué sa mère dans un accès de furor. Le parricide ne sera
pas condamné car il est tenu pour inconscient de son acte, à cause d’une
mentis alienatione, et en outre, dit Marc-Aurèle, il est assez puni par sa
fureur. Pour protéger ses proches et l’homme lui-même, on pourra
l’enchaîner si l’on pense qu’il risque de recommencer ses folies. Il y a donc
trois considérations différentes : en droit Ælius Priscus est jugé
irresponsable, d’un point de vue moral il est puni par le furor qui le fait
souffrir, ce qui est une façon d’ajouter tardivement une justification éthique
à l’ancienne tradition juridique romaine, enfin indépendamment de tout
jugement la prudence consiste à éviter les effets néfastes de la violence du
furieux.
L’irresponsabilité du furieux est souvent commentée par les juristes : il
est dit que les victimes du fou le seraient de la même façon d’une tuile ou
d’un animal. Un furieux est comme un muet, un sourd, un enfant, une
femme, un homme endormi ou saisi de langueur, un absent, un mort(105).
D’une façon générale, il ne comprend pas, ne perçoit pas, est insensible
« sensum non habet », « non intellegit(106) », il est incapable de communiquer
avec son environnement.
Ces commentaires juridiques semblent être en accord avec la
représentation commune du furor. Dans une satire, destinée au plus grand
nombre, Horace(107) imagine un furiosus promenant en litière une ravissante
agnelle qu’il entoure de soins paternels. Il l’appelle « mon poussin », la
couvre de bijoux et veut la marier à un homme de bien. Et pour son lecteur,
qui a d’abord ri à la pensée qu’un homme puisse confondre une brebis
élevée dans ses étables et sa propre fille, Horace ajoute qu’il n’y a pas de
différence entre ce bon bourgeois romain que sa famille va faire déclarer
furiosus devant le préteur pour l’interdire juridiquement et le confier à un
curateur, et Agamemnon qui sacrifie sa fille aux dieux, au lieu d’une
agnelle. La confusion est la même. Et le poète conclut que la folie n’est pas
simplement l’égarement inconscient, d’Oreste ou d’Ajax, le crime conscient
aussi est folie quand il trahit la même méconnaissance des valeurs
fondamentales de l’humanité(108) :
Qui species alias ueris scelerisque tumultu
permixtas capiet, commotus habebitur atque
stultitiane erret, nihilum distabit, an ira
Celui qui prendra pour vraies des représentations étrangères à la vérité et rendues confuses par le
tumulte des passions criminelles, celui-là on le tiendra pour dérangé, que la cause en soit la débilité
ou la colère, il n’y a aucune différence à faire.
LE COURTISAN
Tu n’as pas peur de l’opinion publique ?
Les gens ne seront pas d’accord
ATRÉE
Voici pourquoi le pouvoir royal est un bien souverain
Le peuple est soumis par la force
Obligé de supporter tout ce que fait son maître
Obligé même de l’acclamer.
ŒDIPE
Un roi n’a pas à craindre d’être détesté
Ou alors il n’a rien compris au pouvoir :
La terreur est la gardienne des trônes.
C’est pourquoi le héros tragique construit son furor par le paradoxe. Face
à un interlocuteur, nourrice ou courtisan, qui lui oppose les préceptes de la
morale commune sous forme de maximes, il prend systématiquement le
contre-pied et retourne les formules qui lui sont proposées. Il donne ainsi un
contenu à son isolement, un langage à son refus de communication. Car le
furieux est bien comme ce sourd-muet du droit, absent aux autres. Toujours
au bord du borborygme.
Seconde présence du droit : l’irresponsabilité du furieux juridique, dont
tous les crimes, même le parricide, échappent au châtiment des hommes,
fait le lien chez le furieux tragique avec l’auteur du nefas. Il n’est pas pour
autant châtié par les dieux au sens juridique du terme, car il n’y a aucune
peine qui puisse équilibrer sa faute. On l’a vu, l’auteur du nefas est rejeté de
la société des hommes, son seul avenir est la démence ou le suicide.
Comme l’écrit Marc-Aurèle, il est assez puni par sa fureur même. Car le
drame du furieux est qu’il cesse un jour d’être furieux, il se retrouve
coupable mais non responsable, souillé d’un crime qu’il n’a pas voulu et qui
va s’attacher à lui, à jamais. On entend chez un grand nombre de héros
tragiques, cette douleur du crime jamais expié(110). Thyeste, Thésée, Hercule,
Œdipe interpellent les dieux en les suppliant de les punir, vainement(111).
THESEVS
Dehisce tellus, recipe me, dirum chaos
[…] Non mouent diuos preces
at si rogarem scelera, quam proni forent
THÉSÉE
Terre, fends-toi
Prends-moi, noir Chaos
Prends-moi […]
Les dieux restent insensibles à mes prières
Les dieux n’écoutent que les vœux criminels
Et s’empressent de les satisfaire.
TANTALE
Qui ? Qui m’a arraché du fond des Enfers ?
Qui m’a sorti du malheur ?
J’avais la bouche ouverte
Tendue vers la nourriture qui s’offrait
Ma bouche s’est refermée sur du vide
Tout avait disparu
Qui ? Quel dieu mauvais ramène Tantale devant sa maison ?
On a trouvé pire
Pire que mourir de soif auprès d’une fontaine
Pire que la faim dévorante, éternelle.
ATRÉE
Pourquoi restes-tu abasourdi à ne rien faire ?
Il est temps de t’y mettre
Reprends courage !
Regarde Tantale, regarde Pélops
Oui j’ai besoin d’eux pour agir
Ils seront mes modèles.
ATRÉE
Mère et sœur de Daulis
Insufflez-moi votre courage !
Notre cause est la même
Assistez-moi
Et dirigez ma main.
Le courtisan face à cet orage passionnel reconnaît qu’Atrée est au-delà de
la vengeance humaine.
SATELLES
Maius hoc ira est malum
LE COURTISAN
Ce n’est plus de la colère, ce n’est plus de la vengeance.
ATRÉE
Oui, je suis au-delà
Dans ma poitrine une armée frappée d’épouvante
Gronde et déferle du fond de moi
Je suis emporté
Où vais-je ? je ne sais pas
Je suis emporté…
Je ne sais pas ce que c’est
Mais c’est grand
Trop grand pour un cœur ordinaire
Ma poitrine se gonfle
Ce n’est plus une aventure humaine
Mes mains s’éveillent, elles vont agir
Je ne sais pas ce que c’est
Un exploit de géant.
Et ce n’est qu’en passant par la comparaison, exemplar, avec d’autres
nefas connus que le héros reconnaît et invente son propre nefas. La fama
mythologique lui sert désormais de langage. Il intériorise grâce au furor
cette autre mémoire qui se substitue à sa mens humaine ; une autre
souveraineté va s’exercer sur son animus et diriger ses passions. Il est
volontairement possédé.
Le furor extra-théâtral était toujours un accident, un malheur
involontaire. Certes les Romains admiraient ceux qui savaient suffisamment
maîtriser leurs passions pour éviter ces accidents. Mais parfois le furor
frappait même le sage, sans prévenir et sans qu’il y eût faute humaine. Dans
la tragédie, le furor se tranforme en événement voulu par le héros qui
manipule son dolor afin d’accéder à cette fureur qui va lui permettre
d’inventer et de réaliser le nefas. Ce qui change tout. Les héros tragiques
sont aussi des monstres de volonté. Quand ils sentent décliner le furor et
revenir la mens, le sens commun des valeurs, ils excitent leur douleur, en
insistant sur ce qui fait mal, en répétant inlassablement les injustices qu’ils
ont subies. Ainsi Médée, au moment de tuer ses fils, ayant reconnu dans ce
massacre le crime suprême qui fera sa gloire « ultimum agnosco scelus »
(923), soudain sa mens lui revient et lui rend le sens de la pietas : elle voit
cet infanticide avec des yeux humains, l’évidence de l’horreur la
bouleverse, le furor a disparu :
MEDEA
Cor pepulit horror, membra torpescunt gelu
pectusque tremuit. Ira discessit loco […]
Melius a demens furor
incognitum istud facinus ac dirum nefas
a me quoque absit […]
Ira pietatem fugat
iramque pietas. Cede pietati dolor.
MÉDÉE
Mon cœur horrifié a battu la chamade
Je suis glacée, je ne sens plus mon corps, ma poitrine a tremblé
La colère cède la place […]
Erreur et folie
Je n’irai pas jusque-là
Jusqu’à cet acte inouï
Ce meurtre impossible
Ce crime de nuit […]
La colère repousse l’amour maternel
L’amour repousse la colère
Douleur cède à l’amour d’une mère.
Alors elle se rappelle qu’elle est exilée par Jason, que son époux qui lui
doit tout la chasse pour épouser la fille du roi et sauver sa vie à lui, en la
perdant, elle :
MEDEA
urguet exilium ac fuga
Iamiam meo rapientur auulsi e sinu
flentes, gementes exulis ; pereant patri
periere matri. Rursus increscit dolor
et feruet odium…
MÉDÉE
D’un instant à l’autre on va me chasser
D’un instant à l’autre je vais devoir partir
Et on les arrachera de mes bras pour me jeter dehors
Ils pleureront, ils gémiront
Qu’ils meurent pour leur père
Pour leur mère ils sont déjà morts
La douleur revient et grandit
La haine bouillonne.
ATRÉE
Maintenant je me félicite de ce que j’ai fait
Maintenant je suis vainqueur
J’ai remporté la palme
J’avais perdu mon temps et gaspillé mon crime
Si tu ne souffrais pas autant
Maintenant il me semble
Que des fils me naissent
Maintenant je crois
Que ma femme m’est restée fidèle.
Ce scénario simple en trois étapes est présent à l’état pur dans deux
tragédies romaines : Thyeste et Médée. Ce qui explique peut-être le succès
de ces deux fabulae tragiques à Rome, utilisées des dizaines et des dizaines
de fois. Dans les deux tragédies le passage du scénario au spectacle se fait à
peu près au moyen des mêmes scènes, ce qui donne une idée de ce que
devait être la codification tragique à Rome. Chaque étape de l’action se dit
ou se montre de la même façon quelle que soit la fable.
Voici comment cela se passe dans Thyeste. Le dolor initial frappe les
deux frères. Des deux fils de Pélops héritiers du trône de Mycènes, l’un,
Atrée, règne légitimement, l’autre, Thyeste, est en exil, après avoir
frauduleusement pris la place de son frère.
Le dolor de Thyeste peut trouver sa résolution dans le monde humain.
Certes il est dans un état lamentable, il se meurt indéfiniment de chagrin et
de dénuement(117) :
ATREVS
Aspice ut multo grauis
squalore uultus obruat maestos coma
quam foeda iaceat barba.
ATRÉE
Comme il est répugnant
Rongé de crasse, couvert de barbe
On ne voit plus son visage sous ses longs cheveux en désordre.
Mais il lui suffirait de retrouver sa position parmi les hommes aux côtés
de son frère et son malheur cesserait. On célébrera alors le retour de l’exilé,
situation classique dans le monde romain.
Le dolor d’Atrée est tout autre et ne peut trouver de résolution parmi les
hommes. Certes il règne, mais la trahison de son frère fait planer un doute
sur la légitimité de ses fils, car Thyeste pour dérober le fétiche royal, le
bélier à la laine d’or qui confère la souveraineté à celui qui le possède, a
séduit la femme d’Atrée et était son amant à l’époque où ses fils naissaient.
Lequel des deux frères est leur père ? Atrée vit un enfer. Si ses fils sont de
lui et qu’il les renie, il se prive de descendance et commet une impiété.
Mais si ses fils sont de son frère, il place sur le trône la dynastie de
l’usurpateur. Pour mieux comprendre le piège où il est enfermé, il faut se
rappeler que le pouvoir n’est rien si les générations à venir ne le
commémorent pas, dans une civilisation où la seule survie après la mort est
celle que vous donne la gloire. Un roi se doit d’avoir des fils qui lui
ressemblent, qui lui succéderont et le prolongeront en célébrant son
souvenir par leur seule existence. Se perpétuer dans la mémoire des
hommes est la seule façon de se rapprocher de l’immortalité des dieux.
C’est ce dolor exacerbé qui va conduire Atrée au furor, et lui faire
renouer avec ses ancêtres furieux, Pélops et Tantale, afin de conquérir une
autre gloire, une autre immortalité dans la mémoire des hommes sans avoir
besoin de fils.
Atrée construit son furor dans un monologue, d’abord en fouettant son
dolor, afin de perdre tout sentiment de pietas(118) :
ATREVS
Excede Pietas si modo in nostra domo
unquam fuisti. Dira Furiarum cohors
discorsque Erinys ueniat et geminas faces
Megaera quatiens ; non satis magno meum
ardet furore pectus, impleri iuuat
maiore monstro
ATRÉE
Amour, respect
Si jamais vous avez habité notre maison
Amour, respect
Disparaissez
Qu’entrent à votre place
La bande noire des Furies
L’Érinys des querelles
La Mégère qui agite un flambeau dans chaque main
La folie s’allume dans mon cœur
Il faut que ce feu grandisse
Le plaisir d’être possédé
Par un monstre qui grossit, grossit !
ATRÉE
Regarde Tantale, regarde Pélops
Oui j’ai besoin d’eux pour agir
Ils seront mes modèles.
ATREVS
Animum Daulis inspira parens
sororque ; causa est similis
ATRÉE
Mère et sœur de Daulis
Insufflez-moi votre courage
Notre cause est la même.
ATRÉE
Et toi tu ne sais que pleurnicher
Où est-elle la fameuse colère d’Atrée ?
LE COURTISAN
Quelle sera donc l’arme de cette douleur sans mesure ?
ATRÉE
Thyeste lui-même
LE COURTISAN
Ce n’est plus de la colère, ce n’est plus de la vengeance.
Pour accomplir son sacrifice humain, suivi d’un banquet cannibale, Atrée
fait preuve d’une parfaite maîtrise de soi. On comprend bien ainsi que
l’exaspération des passions n’est qu’un point de départ pour devenir autre.
Le héros tragique ne commet pas un crime passionnel. Atrée furieux se
manipule froidement comme la Furie manipule Tantale dans le prologue à
coups de fouet.
D’abord il fait revenir son frère, et dans la scène de réconciliation, il est
parfaitement vrai ; absent à lui-même, il n’est plus cet homme que nous
voyions dans les premières scènes. Comme dans un film de science-fiction,
un être venu d’un autre monde s’est infiltré parmi les hommes. Certes Atrée
n’a pas de masque en caoutchouc pour cacher un visage vert ou des oreilles
pointues et velues de Martien, aucun indice ne vient rappeler qu’il est autre,
un monstre à peau d’homme. La coïncidence est parfaite entre l’homme et
le monstre, le seul signe de la monstruosité d’Atrée est son absence totale
de sentiments. Il n’a plus de haine, il est au-delà.
Ensuite Atrée accomplit, en observant scrupuleusement les règles, le
sacrifice impossible et égorge rituellement ses neveux puis fait manger leurs
chairs à leur père. Aucune émotion ne vient troubler sa décision, aucun
retour de pietas qui exigerait de lui qu’il ranimât son dolor comme cela
arrive à Médée tuant ses enfants. Atrée est parfaitement froid et
insensible(123) :
NVNTIVS
Mouere cunctos monstra, sed solus sibi
immotus Atreus constat
LE MESSAGER
Ces prodiges auraient arrêté n’importe qui
Atrée lui continue imperturbable.
ATRÉE
C’est un jour de fête
Mon frère
Célébrons-le ensemble
D’un même cœur !
ATRÉE
Maintenant il me semble
Que des fils me naissent
Maintenant je crois
Que ma femme m’est restée fidèle.
Car les générations se sont bloquées dans le ventre de Thyeste, dont les
fils ne sont pas devenus des chairs comestibles, ils bougent dans le ventre
de leur père dont jamais ils ne descendront au sens strict. Ils ne se
sépareront jamais de lui, et n’auront jamais de fils à leur tour.
Quant à Atrée, il a obtenu la gloire éternelle, dont Thyeste l’avait frustré.
Le dolor final est celui de Thyeste. Ce n’est plus le modeste chagrin de
l’exil, mais un dolor de la même qualité que celui qui tenait Atrée au début
de la tragédie, ils ont échangé leurs rôles. La machine à produire des
monstres est prête à repartir. Passé d’un dolor humain à un dolor tragique,
Thyeste est prêt pour le furor et un nouveau nefas, comme il le raconte dans
le prologue de l’Agamemnon(126). À son tour Thyeste invente et commet un
nefas, il conçoit un fils avec sa propre fille, la seule épouse possible pour lui
désormais. Le mélange des générations est à son comble et cet horrible
bâtard sera Égisthe, monstre fabriqué par son père dans le seul but de le
venger plus tard.
Si la réalisation du scénario est assez simple dans Thyeste ou Médée,
ailleurs elle peut devenir très complexe, car il s’agit pour le poète de
négocier le tissage de la fabula et du scénario tragique. La rhétorique
permet au poète une arithmétique des passions afin de retrouver le dolor
initial chez tous les personnages héroïques. Ensuite il peut jouer sur les
deux registres de ce dolor, l’humain et le tragique, afin de permettre à
certains héros de rester à l’écart du nefas et de l’action. Par exemple le
dolor d’Iole, dans Hercule sur l’Œta, n’évoluera jamais vers un furor.
Le nefas lui aussi a diverses formes et suppose une autre mathématique,
celle de l’horreur multipliée grâce à l’émulation mythologique. Le modèle
de la gloire sert à penser le crime.
Tableau comparé de la réalisation du scénario dans Thyeste et Médée.
Thyeste Médée
dolor Atrée : dolor excessif Médée : dolor excessif Jason :
initial Thyeste : dolor humain dolor humain
furor Atrée Atrée et le courtisan Médée Médée et la nourrice
dolor/furor
nefas Piège tendu à Thyeste Piège tendu à Créon Cadeau
Sacrifice et banquet nuptial magique et meurtre des
cannibale fils
dolor final Thyeste : dolor excessif Jason : dolor excessif
victoire Atrée : annulation du temps Médée : annulation du temps du
généalogique mariage
Chapitre V
Du scénario au spectacle
et
Equidem uel mediocrem orationem commendatam uiribus actionis adfirmarim plus habituram esse
momenti quam optimam eadem illa destitutam
Pour ma part je n’hésiterais pas à affirmer qu’un discours même médiocre mais soutenu par une
action vigoureuse aura plus d’efficacité que le meilleur discours réduit à lui-même.
Il [Gracchus] disait ces mots, tous les témoins en sont d’accord, avec un tel regard, de tels accents et
de tels gestes que même ses adversaires ne pouvaient retenir leurs larmes.
Lorsqu’Antonius défendant Aquilius déchira la tunique de son client et montra les cicatrices des
blessures qu’il avait reçues à la poitrine pour sa patrie, il ne se fia pas à son plaidoyer mais il frappa
les regards du peuple romain.
Il faut qu’un orateur soit bien convaincu de son insuffisance pour croire que cette peinture muette
sera plus éloquente que ses paroles.
commente Quintilien.
Quoi qu’il en ait été des réticences de certains, la rhétorique romaine
assignait au visible une efficacité pathétique plus grande qu’à la parole en
faisant de l’émotion le sommet de l’art oratoire. « La systématicité de sa
propre logique conduit ainsi la rhétorique à cette extrémité où le dicible
parvient à sa plus haute réalisation jusqu’à se fondre dans le visible, et où la
parole ne peut assurer sa finalité qu’en s’abolissant dans le silence(133) ». Ce
qui évidemment n’est pas sans conséquences pour l’art dramatique à Rome,
puisque la poésie dramatique est l’accomplissement formel de l’éloquence,
et coupe la tragédie romaine de la tradition aristotélicienne.
La Poétique d’Aristote faisait du spectacle — hopsis — au théâtre un
accessoire vulgaire(134). À Rome, au contraire, de même que le corps visible
de l’orateur romain est au centre de l’éloquence, le corps spectaculaire de
l’acteur est au centre de la tragédie romaine, et l’esthétique théâtrale a partie
liée avec les arts plastiques, la peinture et la sculpture.
Puisque l’actio rhétorique est transportée du tribunal au théâtre, la parole
dramatique est une oratio qui certes ne s’adresse pas à un tribunal ou à une
assemblée politique mais au public des jeux ; ainsi un monologue tragique
n’est-il pas une conversation du personnage avec lui-même, une parole
intérieure que le public entendrait grâce à une extériorisation artificielle,
mais une oratio du héros destinée aux spectateurs afin de leur faire partager
le sentiment qui le possède. La théâtralité propre à l’art oratoire est
détournée au profit de la scène : les moyens de l’actio rhétorique visant à
susciter l’émotion — mouere — n’ont plus pour but la persuasion, ils
deviennent une fin en soi, — comme l’implique ce que nous avons appelé
le ludisme scénique(135). Par conséquent Atrée en colère contre Thyeste —
iratus Atreus —, face au public romain, utilise les mêmes moyens que
Cicéron en colère contre Catilina face au sénat, à cette différence près :
Cicéron voulait convaincre le sénat de condamner Catilina en leur faisant
partager son indignation, tandis qu’Atrée veut seulement communiquer aux
spectateurs sa colère. Au théâtre les Romains savourent le plaisir ludique
des mots sans s’embarrasser d’une enquête de vérité débouchant sur un
jugement(136). Personne ne leur demande de condamner Atrée. Sa culpabilité
— le mot est faible — est acquise depuis toujours. Chacun jubile de le haïr
si fort, en le voyant si méchant. Le public est là pour voir les monstres, non
pas pour les juger.
Utilisée par les histrions, hommes que leur statut infâme libère de toute
modération, l’action rhétorique au théâtre est du même coup libérée des
limites que le pudor assignait à l’orator(137). Le pudor est la dignité, la
réserve qu’un statut social élevé impose aux Romains. L’orateur par
exemple, toujours de bonne naissance — sinon sa parole serait sans autorité
—, se doit donc de ne pas chanter son discours, bien que la musicalité de la
langue puisse donner à la parole une plus grande force d’émotion ; il ne doit
pas non plus se trémousser comme un danseur(138). Son action oratoire est
tendue entre deux exigences contradictoires, celle de conserver son autorité
sociale qui implique une posture grave et un ton neutre, et celle d’utiliser au
mieux les capacités émotives du geste et de la voix. L’acteur au contraire,
qui n’a aucune autorité sociale et n’en a pas besoin, peut développer jusqu’à
l’hypertrophie les potentialités de son corps mis en scène. C’est pourquoi la
formation de l’acteur n’est pas celle de l’orateur ; elle se limite à la danse et
la musique ; il s’exerce à la souplesse et à la plasticité physique, et travaille
son souffle, son timbre, et le chant.
Donc la critique traditionnelle a raison de dire que la tragédie romaine est
rhétorique, mais il ne faudrait pas que ce jugement soit entendu comme
péjoratif. Rhétorique de nos jours signifie artificiel, pompeux et
boursouflé ; pour les Romains la rhétorique est l’art de s’adresser à une
foule, d’installer une présence physique, d’emplir l’espace, d’agir avec les
auditeurs en les faisant vibrer aux rythmes de sa voix.
L ES POSTURES DE PASSION
Qu’y a-t-il de plus misérable mais aussi de plus affreux et de plus dégoûtant qu’un homme écrasé de
chagrin, qui gît par terre, inerte ?
Un malaise assez proche atteint le public à la vue d’un héros immobilisé
par la peur. Car la peur comme le chagrin est un pourrissement — tabes —
de l’âme, de la volonté. Et pour illustrer son affirmation, Cicéron cite la
figure de Tantale — allusion à une tragédie perdue — paralysé de terreur
sous un rocher menaçant de lui tomber dessus.
Cette gestuelle des passions est indissociable d’une codification du
costume qui ne se distingue pas des signes du corps. Les haillons de
l’homme en proie au chagrin renvoient à un corps dévasté par cette passion.
Aétès l’inconsolable, roi déchu de Colchide, père malheureux de Médée qui
lui a volé la Toison d’or pour la donner à Jason, parle ainsi de lui-même(143) :
Refugere oculi corpus macie extabuit
Lacrimae peredere umore exsanguis genas
Situm inter oris barba paedore horrida atque
Intonsa infuscat pectus inluuie scabrum
[…] ce geste des acteurs qui exprime le texte […] en le faisant voir.
À chaque passion correspondent naturellement un visage, une gestuelle et une musicalité propres.
Car le corps tout entier de l’acteur, et non seulement sa bouche, est un
instrument de musique ; son attitude physique, définie par une plus ou
moins grande tension en fonction des passions émet en conséquence des
sonorités différentes, que ce soit par la hauteur, le timbre ou le rythme :
Corpusque totum hominis et eius omnis uultus omnesque uoces, ut nerui in finibus ita sonant, ut motu
animi cuique sunt pulsae.
Tout le corps de l’homme, chaque expression de son visage, chaque ton de voix, résonnent comme
les cordes d’une lyre, selon la passion qui les frappe.
Car les tons de la voix sont comme les cordes d’une lyre plus ou moins tendue, qui lorsqu’on les
touche donne un son différent : grave ou aigu, bref ou long, fort ou faible […] À partir desquelles on
peut former des sons divers : doux, rude, serré, prolongé, tenu, piqué, modulé, saccadé, montant ou
descendant.
Ces diverses sonorités sont à la disposition de l’acteur, comme les couleurs sont à la disposition du
peintre, lui permettant des variations.
Un accès de colère doit prendre un ton de voix particulier, aigu, haletant, haché :
« Mon frère en personne me pousse dans l’état de misère où je suis, à mâcher mes fils… »
La crainte a son ton propre, une voix sourde, traînante, qui s’exténue en fin de phrase :
« Je suis assiégé de tous côtés, par la maladie, l’exil, le manque.
L’épouvante me rend stupide et inerte. C’est terrible
Ma mère me menace, elle va me torturer, elle va m’étrangler.
Personne ne serait assez fort, personne ne serait assez sûr de lui
Pour ne pas trembler, ne pas blémir de peur ».
Puis vient la violence, elle aussi présente dans l’Atrée, car elle est proche
de la colère, même si elle caractérise plus spécialement les tyrans.
Aliud uis, contentum, uehemens, imminens quadam incitatione grauitatis
« Iterum Thyestes Atreum adtractum aduenit
Iterum iam adgreditur me et quietum exsuscitat
Maior mihi moles, maius miscendum est malum
Qui illius acerbum cor contundam et comprimam ».
La violence a son ton propre, une voix haute, un rythme impétueux, la menace s’entend dans
l’avalanche précipitée de sons sourds et désagréables
« De nouveau Thyeste s’approche d’Atrée qu’il a attiré à lui De nouveau il me cherche et me tire de
ma torpeur pacifique
Il me faut une grosse machine, un mal plus grand
Pour émousser l’agressivité de son cœur, et l’écraser ».
Malheureusement les deux dernières passions, jubilation et ennui,
empruntent leurs exemples à des tragédies perdues.
Aliud uoluptas, effusum, lene, tenerum, hilaritum ac remissum
« Sed sibi cum tetulit coronam ob coligandas nuptias
Tibi ferebat ; cum simulabat se sibi alacri dare
Tum ad te ludibunda docte et delicate detulit »
La jubilation a son ton propre, les sons coulent en abondance ; doux, tendres, joyeux, mous.
« Mais quand elle eut posé sur sa tête la couronne qui unit les mariés
Elle l’a posée sur la tienne ; en feignant de se la donner en riant
Par jeu elle te l’a passée, c’était une ruse tendre ».
L’ennui a son ton propre, sans accent douloureux suscitant la pitié, avec une mélodie monocorde
grave, sombre et lente
« C’était au temps où Pâris épousait Hélène en injustes noces
Moi-même j’étais enceinte, le jour s’approchait de mon accouchement
Au même moment Hécube met au monde son dernier enfant, Polydore ».
Celle qui parle ici pourrait être Andromaque, pour qui évoquer ce temps
où Troie était encore une ville heureuse, où les enfants naissaient dans la
paix, est une plainte monotone au milieu de la cité en ruines.
On remarquera que les passions associées à ces figures mythologiques
sont toujours des réactions à des situations socialement définies,
intelligibles pour tous. Elles ne renvoient pas à une psychologie du
personnage qui serait une donnée individuelle, un caractère indépendant de
tout contexte social. Une épouse abandonnée comme Médée est en proie
« normalement » au chagrin — aegritudo —, un époux trahi comme Atrée
ou Thésée est « normalement » en proie à la colère — ira —, le traître
menacé d’être découvert comme Égisthe, « normalement » en proie à la
peur — metus —, et le tyran exerçant son pouvoir, comme Atrée,
« normalement » en proie à l’orgueil — superbia. Toutes les nourrices des
princes font preuve de miseratio, elles ont toutes pitié des malheurs de leurs
anciens nourrissons.
Les circonstances qui suscitent les passions des personnages, qu’elles
renvoient au quotidien du spectateur, comme la mort d’un enfant, ou
qu’elles appartiennent à un imaginaire collectif, comme les ruses du tyran,
relèvent toutes d’un « savoir partagé » par le public et les poètes, un savoir
non problématique où l’imaginaire et le vécu se fondent dans un système
général de représentation des passions. Qui douterait qu’un tyran soit
orgueilleux et méprisant, qu’une mère verse des larmes désespérées sur le
cadavre de ses enfants, qu’une nourrice ne cherche à consoler celle qu’elle a
nourrie jadis ?
La rhétorique théâtrale des passions et du corps éloquent suppose donc
une esthétique de l’évidence, de la redondance, du sens exhibé. Le
monologue d’un personnage ne saurait être une enquête sur lui-même, une
exploration verbale des replis de son âme, un effort pour retrouver une
vérité cachée. Et si bien souvent un héros se torture lui-même, s’il fouille
dans sa blessure pour se faire encore plus mal, comme Médée qui remâche
sans fin les trahisons de Jason, son but n’est pas de se mettre à la question,
de découvrir un inconscient à sa douleur : Médée cherche au contraire à
aggraver ses souffrances pour se quitter elle-même, s’oublier, oublier
qu’elle est une mère humaine, et devenir une furieuse. La tragédie n’opère
pas une descente dans les tréfonds de l’humanité, grâce à la rhétorique des
passions, celle-ci est au contraire une façon de la quitter. L’exaspération du
dolor et du furor se réalise grâce à des moyens rhétoriques, bien connus des
Anciens. C’est ainsi que le héros en ressassant ses souffrances, en répétant
le nom de celui ou de celle qu’il a perdu(e), qui l’a trahi, en usant de
l’emphase, de l’hyperbole, fouille et creuse dans ses blessures. Les figures
de rhétorique contribuent ici à l’action, ce ne sont pas des ornements en
plus.
L ES POSTURES DE COMMUNICATION
Tu es l’épouse de Thésée
Ta race est noble,
Tu descends de Jupiter(156)
car elle va lui donner un consilium, comme tout inférieur peut le faire à son
supérieur en lui rappelant ce qu’il se doit à lui-même, en étant pour lui un
miroir. Le conseiller sert entre autres choses, à un grand, de substitut du
regard social, il le prévient contre l’image négative qu’il pourrait offrir et
lui rappelle les règles de la vie civilisée. C’est pourquoi le conseiller
multiplie les sententiae, maximes de la morale commune. La nourrice en
use largement(157) :
quisquis in primo obstitit
pepulitque amorem tutus ac uictor fuit
ou encore
Quisquis secundis rebus exultat nimis
fluitque luxu, semper insolita appetit
et
Quod non potest uult posse qui nimium potest
Je te supplie
Garde-moi comme esclave, garde-moi avec toi
Protège-moi
Pitié pour une veuve !
ATRÉE
Mon royaume peut accueillir deux maîtres
THYESTE
Tu es mon frère
Le mien, le tien, je ne fais pas de différence
ATRÉE
Qui refuse les dons de la Fortune
Quand elle les verse sur lui en abondance ?
THYESTE
Celui qui sait d’expérience
Que la Fortune aussi bien se renverse
Remportant ses cadeaux
ATRÉE
À ton frère tu refuses l’occasion de se couvrir de gloire ?
THYESTE
La gloire tu l’as déjà
Moi je pense à ma propre gloire
Ma décision est inexorable
Je te dis non
Je crache sur le pouvoir et le trône
ATRÉE
Si tu refuses ta part
Je renoncerai à la mienne
THYESTE
Je prends la couronne
Mais je n’en accepte que le titre et le prestige
La justice, l’armée et ma personne
Seront soumises à ton autorité souveraine
LA NOURRICE
La voici titubante
Comme une possédée
Une de ces Bacchantes qui ont le dieu en elles
Ces folles qui courent dans la neige
Sur le Pinde et les montagnes de Nysa
La voici comme ces femmes
Galopant sans but
Le corps disloqué
Avec sur le visage tous les signes de la fureur
Les joues enflammées
Un souffle profond et haletant
Une voix puissante
Ses larmes ruissellent
Elle rit
Elle passe d’un extrême à l’autre.
MÉDÉE
Malheureuse
Tu voudrais savoir jusqu’où laisser aller ta haine
Prends modèle sur l’amour
Moi
Je vais supporter sans rien dire ces noces royales
Ce jour s’écoulera comme un autre
Ce jour qu’un ambitieux a tant appelé de ses vœux
Et qu’un autre ambitieux lui a offert
Les mots font voir ce que le spectateur ne peut pas voir, comme les
détails sur le visage de Médée car l’acteur est masqué ; ses larmes, ses
grimaces, ses yeux furieux appartiennent à cette image acoustique attachée
au spectacle tragique depuis les tragédies grecques. Le spectacle ici
décompose le furor en deux scènes complémentaires, l’une décrite, l’autre
réalisée. La concurrence artistique ne crée pas une redondance.
L’addition des deux modes de spectacle est fréquente au moment de la
représentation du nefas(178). Ainsi le sacrifice du Thyeste est décrit, le banquet
sacrificiel représenté sur scène, sans qu’il faille chercher de justification
pratique. On pourrait en effet objecter qu’il est difficile de montrer sur
scène un sacrifice ; or dans Œdipe la consultation des entrailles de deux
animaux sacrifiés a lieu justement devant le public.
Par la narration, le personnage réussit à provoquer une vision chez le
spectateur-auditeur, qui se superpose à sa perception visuelle du moment. Il
ne voit plus ce qu’on lui montre, il voit ce qu’on lui dit. Quand le poète
réussit son numéro d’illusion, le public est ravi, car il faut bien du talent
pour transformer les mots en choses.
Ce talent est aussi celui de l’acteur, qui use alors d’un art très différent de
celui dont il a besoin dans les autres scènes. Effare !(179), « Raconte ! » Le
messager est toujours sollicité par les autres personnages. Comme le public,
ils aiment ces intermèdes qui font oublier le reste. Plus c’est long, meilleur
c’est. Pour eux le messager va se faire conteur, il n’est plus qu’une voix,
son corps est un porte-parole. Il devient invisible, dans la mesure où ses
gestes ne sont plus que les auxiliaires de la narration. La musique s’arrête.
Les auditeurs s’installent commodément. Les mots qui racontent
envahissent l’espace. Ils dessinent le tableau que tous, les spectateurs et les
personnages, regardent.
L’art du conteur, c’est d’être le conte incarné. Moment de plaisir pur pour
tout le monde, intermède entre deux grands airs passionnés. Effare !
« Raconte ! », le messager prend son temps, il détaille, afin que les
auditeurs savourent son histoire. Même s’ils la connaissent et justement
parce qu’ils la connaissent, les détails et les couleurs font toute la
différence. Comment aujourd’hui la leur racontera-t-on ?
La nature du spectacle change : les émotions du narrateur ne sont que
celles d’un témoin qui revit la scène et non pas celles d’un personnage
engagé dans l’action. Elles sont au service du conte uniquement. Que ce
soit le sacrifice du Thyeste, la mort d’Hippolyte, la tempête d’Agamemnon,
la mort de Polyxène, le spectacle des mots est un intermède pictural. Sinon
pourquoi consacrer des vers et des vers à décrire la bête marine qui a
terrorisé les chevaux d’Hippolyte(180) :
La bête était énorme
Avec la tête et le cou d’un taureau
Un cou bleu, une crinière de cheval
Une tête verte, des oreilles droites et velues
Et puis un regard changeant
Tantôt des yeux de taureau sauvage
Tantôt de bête marine
Lançant des flammes ou s’adoucissant d’un éclat bleu…
LE CHŒUR
Elle a peur, elle a honte
Mais le malheur l’emporte.
LE CHŒUR
Mais les premiers mots effleurent ses lèvres
c’est qu’elle a rejoint la cohorte des furieuses thébaines ; elle court comme
Agavè a poursuivi son fils Penthée dans les montagnes pour le déchirer à
pleines mains(189) :
CHORVS
Iocasta uaecors qualis attonita et furens
Cadmea mater abstulit gnato caput
sensitque raptum
LE CHŒUR
C’est Jocaste hors d’elle
Une vraie femme de Thèbes
Une de ces folles
Une inspirée
Une qui a déchiqueté la tête de son fils
Et regarde horrifiée son trophée
Elle voit
Elle comprend.
JOCASTE
Comment te parler ? Comment t’appeler ?
Fils ? Tu ne veux pas ?
Tu es pourtant mon fils
Tu as honte d’être mon fils
Malgré tout, malgré toi
Fils
Réponds.
ŒDIPE
Œdipe tu as maintenant ton vrai visage
L ES STATUES PARLANTES
CASSANDRE
Hécube la maîtresse des Phrygiens
La mère de tant de rois
Hécube n’avait donc enfanté
Que pour nourrir des bûchers
Hécube connut une fin étrange
Elle prit la forme d’un chien sauvage
Et se mit à aboyer
Écumant de rage
Parmi les ruines de sa ville
Hécube survit à Troie, à Hector, à Priam
Hécube se survit à elle-même
Ovide décrit comment l’excès de douleur rend muettes ses héroïnes et les
métamorphose en pierres, en arbres ou en animaux pleureurs. Ici il s’agit de
Procnè changée en rossignol(194) :
dolor ora repressit
uerba quaerenti satis indignantia linguae
defuerunt nec flere uacat
Commencer par une passion ou une autre, c’est choisir une ouverture
musicale, une tonalité générale : ainsi il y a des tragédies de la fureur,
comme Thyeste, ou des tragédies de la douleur comme Les Troyennes. Ce
qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de fureur dans Les Troyennes ni de
douleur dans Thyeste, il s’agit d’une couleur générale, d’une tonalité
majeure.
L ES PROLOGUES DOULOUREUX
HÉCUBE
Vous… Regardez-moi, regardez Troie […]
Murailles écroulées
Poutres calcinées
Voici sa beauté gisante […]
Le ciel sur Troie s’est éteint
Sombre marée fumante
Pâle nuée de cendres
Le jour se voile de deuil.
HÉCUBE
Les pleureuses ont cessé leur chant
Femmes de la prison
Mon peuple en déroute
Frappez-vous le cœur !
Qu’on entende vos mains claquer
Vos plaintes monter !
qui suppose une musique rythmée par les mains qui frappent la poitrine des
femmes du chœur, accompagnant des chants plaintifs. Le latin lamenta —
qui sert aussi à traduire le grec thrènos — désigne à la fois, et sans les
distinguer, les cris et les chants du deuil — des sonorités aiguës,
comparables à des gloussements de poule(199). Si l’on se reporte à la
rhétorique des passions(200), c’est l’attitude du corps des pleureuses qui
conditionne la tonalité de leurs chants ; le gémissement aigu et brisé vient
de la tension de leur gorge, de leurs bustes pliés qui leur coupent le souffle.
En se frappant la poitrine, elles font entendre un bruit sec de claquement, et
déclenchent un gémissement purement physique qui s’épanouit en chant
plaintif(201).
Mais la douleur d’Hécube n’a pas encore pris la forme rituelle du deuil,
elle est le malheur qui s’exhibe en une posture de passion. Elle n’est encore
qu’une vieille sordida, squalida, qui émerge de ses loques puantes au milieu
des ruines et des chants aigus des Troyennes. Elle offre son malheur en
spectacle et elle témoigne. Le performatif testor indique à la fois qu’elle
parle comme « témoin » et qu’elle le fait en présence des dieux et des morts
qu’elle « prend à témoins ».
La douleur d’Œdipe est d’une tonalité identique à celle d’Hécube. Le roi
de Thèbes se dresse douloureux au milieu de sa ville et s’offre en spectacle
dans sa douleur, à la fois victime et coupable(202) :
Fecimus caelum nocens
et
Sperne letali manu
contacta regna, linque lacrimas, funera,
tabifica caeli uitia quae tecum inuehis
Va-t’en
Laisse ce royaume pourri
La main de la mort t’a touché
Laisse ces larmes, ces funérailles
Quitte ce ciel
Cette infection qui t’accompagne
Et emporte-la avec toi.
Et voilà
La nuit recule, la nuit s’enfuit
Le Soleil revient
Le Titan vacillant secoue sa crinière étincelante
Il n’en tombe que brumes et cendres
Sombre lumière d’un flambeau funèbre.
J’ai peur
J’ai peur d’une chose horrible
Une chose dont il ne faut pas parler
et
cuncta expauesco
Cette terreur qui le tient depuis qu’il a consulté l’oracle de Delphes, qui
est la peur du nefas, du crime tragique, est donc la passion qui torture
Œdipe en ouverture de la tragédie sur des accents lancinants ; mais malgré
la panique qui le ravage, Œdipe est debout, immobile, comme un récif battu
par les vagues.
La seule réaction à cette situation est signalée par un performatif en fin
de monologue, correspondant à une posture de supplication :
Adfusus aris supplices tendu manus
Prosterné je suis là
Devant l’autel
Je tends les mains
Je supplie.
Œdipe s’est donc effondré sur le sol, en face de l’autel des dieux du
palais, qu’il touche de ses bras tendus, et sa parole gémissante est devenue
prière.
Ces deux prologues douloureux débouchent sur deux actions totalement
différentes, en fonction de la scène suivante à laquelle ils s’articulent. Dans
Les Troyennes le chant douloureux d’Hécube va se fixer et s’amplifier dans
un rituel funèbre auquel elle associe les femmes du chœur. Ce rituel est la
réaction d’Hécube à sa douleur, elle lui donne une forme socialisée, dont les
excès et, nous le verrons, les perversions vont faire en sorte que ce deuil, au
lieu d’être la première étape d’un retour à la vie, soit le premier acte d’une
guerre entre les femmes de Troie et leurs vainqueurs grecs. Dans Œdipe, au
contraire, Jocaste intervient pour interrompre les supplications et les
gémissements d’Œdipe. Elle le remet debout, fait cesser ses prières sans
réussir à changer la passion du roi, et donc la tonalité du spectacle(209). Le
premier chœur détaille le tableau de Thèbes rongée par la Peste qu’avait
esquissé le douloureux Œdipe et quand, à la scène suivante, il voit arriver
Créon, de retour de Delphes où il a consulté l’oracle, il a cette même
silhouette terrorisée et tremblante(210) :
Horrore quatior…
Je tremble
L’angoisse me fait battre le cœur.
L A DANSE DU FURIEUX
Arme-toi de colère
Prépare-toi à une lutte à mort, un combat de furieuse.
MÉDÉE
On se raconte déjà l’histoire de tes noces
Médée répudiée doit devenir légendaire.
Dans ce prologue Médée allie la tenue de deuil et les gestes du furor. Elle
est à la fois répugnante et inquiétante. Créon, en la voyant s’approcher de
lui, n’a qu’une peur, qu’elle le touche(213).
La gestuelle du furor est facile à reconstituer, c’est celle d’abord de
l’égarement d’un corps disloqué, non maîtrisé socialement, comme chez
ceux qu’on appelle aujourd’hui des « handicapés mentaux », puis peu à peu
le héros retrouve une gestuelle, une nouvelle discipline, il danse. C’est la
danse de Jocaste qui vient parler à son fils-époux(214), la danse de Phèdre qui
essaie son nouveau corps d’Amazone chasseresse, la danse de Déjanire qui
a vu Iole, la concubine de son mari(215). C’est une danse qui reprend la
plastique des statues des Ménades et des peintures des vases, le corps tordu,
les bras au-dessus de la tête, popularisée aussi par les pantomimes.
Mais la danse des furieux mime en plus l’incertitude, la quête, car cette
agitation désordonnée est la recherche d’un nouveau corps. Ce corps
nouveau émerge progressivement du chaos, après que le héros a trouvé un
nouveau rythme sur une nouvelle musique. Le corps nouveau crée son
langage, la parole émerge à son tour, musicale et articulée. La parole
furieuse est efficace, celle de Médée est un carmen magique(216):
NVTRIX
Sonuit ecce Bassano gradu
canitque mundus vocibus primis tremuit
LA NOURRICE
Mais elle vient
J’ai entendu son pas
Elle titube comme une démente
Elle chante
Aux premiers accents
Le ciel a frémi.
La danse du furor sous sa forme la plus pure est celle de Tantale dans le
prologue du Thyeste. Le fantôme qui surgit des Enfers est un grand
douloureux ; il est d’abord en posture de deuil, ce qui est l’habitus attendu
des fantômes et des morts : hirsutes, sauvages et gémissants. Ce dolor qui
est son châtiment éternel, Tantale ne songe qu’à l’accroître, cherchant ainsi
un impossible apaisement, mais il refuse d’en faire un furor qu’il
communiquerait à ses descendants. Seule l’intervention de la Furie va
transformer ce dolor extrême en furor, ce qui esthétiquement se réalise
grâce à la danse. Tantale en lui obéissant n’obéit pas à une violence
physique, à la peur de la douleur ; la Furie en agitant son fouet fait danser
Tantale et c’est par la danse qu’elle le rend furieux. Tantale danse sur une
musique de flûte, c’est la flûte des morts, la musique des fous. Il chante.
Puis quand le furieux parle, il cesse de danser, son furor se concentre
dans ses mots. Il est au plus fort de la tension et de la maîtrise de soi. Toute
son énergie est dans sa voix ; celle-ci atteint ainsi une puissance magique, le
furieux est parfois un magicien, plus souvent une magicienne, comme Atrée
au sacrifice, comme Médée ou Déjanire, qui changent le vin en sang. La
voix du furieux est alors tonnante et implacable, c’est celle du fantôme
d’Achille dictant sa volonté aux Grecs(217) :
Impleuit omne litus irati sonus
IOLE
Je n’ai qu’une poitrine
Pour la faire résonner sous les coups de mon deuil
Dieux du ciel
Faites de moi une roche pleureuse
Une Niobè dans les montagnes turques
Faites de moi un peuplier au bord du Pô…
L A PAROLE DU FURIEUX
LE COURTISAN
Tu n’as pas peur de l’opinion publique ?
Les gens ne seront pas d’accord
ATRÉE
Voici pourquoi le pouvoir est un bien souverain
Le peuple est soumis par la force
Obligé de supporter tout ce que fait son maître
Obligé même de l’acclamer
LE COURTISAN
La soumission et la peur te font applaudir
Mais la soumission et la peur te font haïr
Celui qui veut que son peuple l’admire pour ce qu’il est
Celui qui aspire à une gloire authentique
Voudra être acclamé par des hommes
Non par des bouches
ATRÉE
Il est trop facile d’être acclamé pour ce qu’on est
Même un homme ordinaire peut y réussir
Mais être acclamé pour ce qu’on n’est pas
Voici la vraie puissance
Faire vouloir au peuple ce qu’il ne veut pas.
Ce jeu avec la langue, que les Romains appellent des lusus et qu’on
retrouve dans les banquets, a la saveur d’un divertissement. Mais il sert
aussi au furieux à construire son anti-monde où toutes les valeurs sont
inversées : la haine remplace l’amour, l’impiété la piété, l’injustice la
justice, et le nefas remplace le fas.
SATELLES
Vbi non est pudor
nec cura iuris, sanctitas, pietas, fides
instabile regnum est.
ATREVS
Sanctitas, pietas, fides
priuata bona sunt ; qua iuuat reges eant.
LE COURTISAN
Un royaume où il n’y a ni morale ni justice
Ni respect des hommes et des dieux
Ni religion ni confiance mutuelle
Ce royaume s’effondrera bientôt
ATRÉE
La religion, le respect des hommes et des dieux
La confiance mutuelle sont des vertus bonnes
Pour ceux qui n’ont pas le pouvoir
Un roi ne doit être conduit que par son plaisir
LE COURTISAN
Au fond de ton cœur il n’y a donc plus le moindre amour
Plus le moindre respect pour ta famille
ATRÉE
Amour, respect
Si jamais vous avez habité notre maison
Amour, respect
Disparaissez
Qu’entrent à votre place
La bande noire des Furies
L’Érinys des querelles
La Mégère qui agite un flambeau dans chaque main
La folie s’allume dans mon cœur
Il faut que ce feu grandisse
Le plaisir d’être possédé
Par un monstre qui grossit, grossit !
ATRÉE
Jadis au pays des Odryses
Un palais fut le théâtre d’un repas cannibale
Ce fut un crime bien horrible
Non quelqu’un y a pensé avant moi
Sous ce masque emprunté, il voit à l’avance la scène du crime et c’est
devant ce tableau qu’il médite et calcule(229) :
ATREVS
Tota iam ante oculos meos
imago caedis errat, ingesta orbitas
in ora patris
ATRÉE
Devant mes yeux flotte une image
C’est la scène du meurtre
C’est le repas
Le père qui mâche son malheur et avale ses enfants.
ATRÉE
Courage !
Quelle est cette peur qui te reprend ?
Tu t’arrêtes au moment de passer à l’action
Allons, un peu d’audace !
Dans ce crime, l’essentiel, le pire
C’est lui qui le fera.
Les grands furieux doivent lutter sans cesse, même Atrée, pour conserver
intact leur furor, par une ascèse permanente, un violent effort sur eux-
mêmes(230). Ils sont traversés par une double volonté, celle de l’homme et
celle du furieux ;
PHAEDRA
Sic cum grauatam nauita aduersa ratem
propellit unda, cedit in uanum labor
et uicta prono puppis aufertur uado.
PHÈDRE
Je suis un marin qui rame à contre-courant
Sur une barque trop lourde
J’ai beau forcer
Mon bateau dérive dans le courant
Inutile de louvoyer.
PHÈDRE
La nuit
Épuisée de fatigue
Terrassée par les drogues
Les tourments ne me lâchent pas
Le mal grandit, le mal grossit
Le feu bouillonne en moi
Et déborde comme les laves qui fusent du ventre des volcans
Fini la tapisserie
Les fils s’échappent de mes mains
J’ai perdu le goût de la religion
Assez de prières, assez de processions !
Moi
Je voudrais courir
Je voudrais débusquer le gibier
Et le forcer
Brandir au bout de mon bras fragile
Un lourd javelot de fer.
Elle découvre par le plaisir — iuuat — la posture qui lui convient, avec
laquelle coïncide son furor, qui lui rend l’harmonie du corps. Elle est enfin
guérie de son corps disloqué par le refus et une agitation inquiète à la
recherche de sa danse.
Puis, à cette gestuelle de chasseresse elle donne un sens mythologique,
elle reconnaît dans ce corps de sauvageonne, le furor de sa mère Pasiphaë
amoureuse d’un taureau ;
Quo tendis anime ? Quid furens saltus amas ?
fatale miserae matris agnosco malum
peccare noster nouit in siluis amor
À quoi rêves-tu ?
Quel est cet amour furieux des forêts ?
Faut-il y reconnaître la tare héréditaire
Les affreuses tendances de ta mère ?
Car chez nous on découvre les plaisirs coupable dans la sauvagerie des bois
Elle trouve sa place dans les amours furieuses de ses ancêtres,
descendantes du Soleil(232) :
nulla Minois leui
defuncta amore est, iungitur semper nefas
MÉDÉE
Jamais ne cessera ma fureur
Jamais ne faiblira ma rage de vengeance
et qui lui donne la force d’agir sur l’ordre divin des choses(236) :
MEDEA
Faciet, hic faciet dies
quod nullus unquam taceat : inuadam deos
et cuncta quatiam
MÉDÉE
De ce jour je ferai un jour à jamais mémorable
Jour de profanation
Jour de chaos
S’il est difficile d’inventer son nefas, il l’est encore plus de le réaliser. La
paralysie, l’absence peuvent à chaque instant saisir un furieux. Si Atrée
exécute son crime, sans un regret, sans un mouvement de recul, Médée,
elle, a le bras qui retombe avant de tuer ses fils, Phèdre s’évanouit en
voyant Hippolyte auquel elle doit parler. Ce qui les aide et les soutient, ce
sont les gestes d’une ritualité pervertie : la magie, le sacrifice ou le deuil.
Les séquences d’invention du nefas sont des successions discontinues de
scènes ou de fragments de scènes, avec des va-et-vient qui entretiennent le
suspense. Le héros est tantôt un furieux avec toute son étrangeté, tantôt un
pauvre humain douloureux, effrayé par son double, cet autre lui-même
furieux. L’alternance est entre un corps bourré d’énergie — que la tension
de la volonté peut seule maîtriser par la danse, le calcul et la mémoire — et
un corps tremblant et gémissant, épuisé par une agitation vaine, replié sur
lui-même, qui bouge de moins en moins.
Cette alternance des deux corps et des deux identités se fait par des
ruptures brutales, elle explique des changements soudains chez les
personnages, le passage d’une attitude à son contraire, sans transition. Les
Romains l’admettent facilement, car ils ont en référence le modèle du furor
juridique, qui commence et s’arrête brutalement sans raison et sans
séquelle. Le public contemporain a plus de mal à le comprendre.
Un exemple fameux de ce retournement a plongé les philologues dans
une perplexité irritée. Phèdre, après avoir progressé dans son furor
amoureux, au cours de la première scène avec la nourrice, refusant
d’entendre les conseils qu’elle lui donne et ses paroles de consolation,
avance à grands coups de paradoxes. Puis la nourrice se met en posture de
suppliante, elle la touche physiquement, lui fait toucher son corps, ses seins,
ses cheveux. Elle réussit ainsi à la faire revenir parmi les hommes. Phèdre
sort de son rève de furieuse des forêts, et retrouve brutalement le sens de
l’honneur, avec de belles paroles édifiantes(237) :
PHAEDRA
Non omnis animo cessit ingenuo pudor
Paremus altrix. Qui regi non uult amor
uincatur. Haud te fama maculari sinam
PHÈDRE
Une âme bien née ne perd jamais totalement le sens de l’honneur
Je t’obéis nourrice
Cet amour rebelle, cet amour hors-la-loi sera maté
L’opinion ne me traînera pas dans la boue
Je ne lui en donnerai pas l’occasion.
MÉDÉE
Maintenant, oui maintenant
J’ai retrouvé mon sceptre, mon frère, mon père
La toison du bélier d’or a regagné l’Arménie
Mon royaume m’est revenu avec ma virginité perdue
Dieux enfin vous m’êtes favorables
Jour de fête
Jour de noces
Marche, continue
Tu as réalisé un crime…
Je l’ai fait
Une jouissance s’empare de moi
Une vague de plaisir me submerge malgré moi
Elle grandit.
MÉDÉE
Je suis comblée, maintenant tu es là
et tu assistes au spectacle.
MÉDÉE
Ce garçon va subir le même sort sous tes yeux.
Elle veut que Jason la regarde, elle, pour qu’il la « reconnaisse », qu’il
soit témoin de sa puissance retrouvée, de cette puissance magique qu’elle
avait mise à son service tant qu’elle était son épouse. Le regard douloureux
de Jason est le miroir où elle contemple son triomphe.
MEDEA
Lumina huc tumida alleua
ingrate Iason. Conjugem agnoscis tuam ?
MÉDÉE
Jason lève tes yeux gonflés de larmes
Jason tu m’avais oubliée
Reconnais maintenant ton épouse.
ATRÉE
Maintenant je me félicite de ce que j’ai fait
Maintenant je suis vainqueur
J’ai remporté la palme
J’avais perdu mon temps et gaspillé mon crime
Si tu ne souffrais pas autant
Maintenant il me semble
Que des fils me naissent
Maintenant je crois
Que ma femme m’est restée fidèle.
Œdipe aveugle veut échapper au monde des voyants. Ne pas voir, ne pas
être vu, sont équivalents dans l’Antiquité. Œdipe espère ne plus être pris en
tenaille entre son propre regard et le regard des autres, il espère sortir du
spectacle et de la douleur. Statue vivante de son aveuglement, il coïncide
avec lui-même, avec son double nefas, l’inceste et le parricide, redoublés
par son refus de les voir(243) :
ŒDIPVS
Iam iusta feci, debitas poenas tuli
Inuenta thalamis digna nox tandem meis
ŒDIPE
J’ai rendu la justice
J’ai payé le prix
Je me suis inventé une nuit à la hauteur de mes noces.
ŒDIPE
Qui ? Qui m’arrache à mes ténèbres ?
Mes ténèbres, mes voluptés.
THÉSÉE
Pauvre folle ! Pourquoi maintenant cet émoi ?
Pourquoi cette désolation ? Pourquoi cette épée ?
Sais-tu que tu pleures et cries sur le corps d’un ennemi ?
C’est la danse d’une furieuse, sur une musique de planctus, les coups qui
frappent sa poitrine, et de cris. Une sorte de deuil grotesque.
Après avoir appelé sur elle les châtiments divins(247) :
PHAEDRA
Me, me profundi saeue dominator freti
inuade…
PHÈDRE
C’est moi, dieu des profondeurs
C’est moi tyran brutal
C’est sur moi qu’il faut te jeter.
PHÈDRE
Thésée ! Thésée le fléau !
Quand tu reviens chez toi le danger approche
Chacun de tes retours veut une victime
Ce fut ton père
Ce fut ton fils.
PHÈDRE
Nous n’avions pas le droit d’unir nos cœurs,
Mais nous avons eu des trépas jumeaux.
PHÈDRE
Ma poitrine s’est ouverte sous les coups de la justice
Ce repaire obscène
Mon sang a lavé les restes
D’un homme parfait.
En faisant cette libation funèbre, en lui faisant boire son sang, elle
entraîne Hippolyte dans les Enfers. Elle se lie à lui comme Polyxène dans
Les Troyennes est liée à Achille en étant égorgée sur le tombeau du héros
grec. Ces noces de sang sont un nefas récurrent de la mythologie tragique
romaine.
Thésée la regarde, regarde les restes d’Hippolyte et ce spectacle pour lui
est la pire des souffrances.
Cette technique de sortie explique pourquoi, à la fin des Troyennes, les
morts d’Astyanax et de Polyxène sont mises en scène par les Grecs(251). Les
guerriers vainqueurs et les survivants troyens de la guerre se réunissent
autour du lieu de la mise à mort, la campagne forme une sorte de théâtre où
le public s’installe. La même émotion les étreint à la vue des deux jeunes
gens qui jouent si bien leur mort. La guerre est finie. Les ennemis d’hier, en
formant un public, se sont fondus en une communauté ludique. Les
Troyennes à qui le messager décrit l’événement, sont les spectatrices de ce
spectacle terrible de l’oubli. Mais les crimes commis contaminent les
acteurs du spectacle, les Grecs, et le récit de ces deux nefas annonce leur
vengeance à venir.
Même Hercule sur l’Œta utilise ce code spectaculaire, bien qu’en le
détournant. La seconde moitié de la tragédie, près de 1 000 vers, est une
variation à partir du tableau final attendu. Dans la première partie, Déjanire
la furieuse a inventé le nefas, la tunique magique qui doit annuler les effets
du temps et lui rendre l’amour d’Hercule. Cette tunique empoisonnée,
comme sont empoisonnés les cadeaux de Médée, est un piège mortel,
comme la tunique offerte par Clytemnestre à Agamemnon. Hercule, brûlé
jusqu’à la moëlle des os par le poison du centaure Nessus, se liquéfie sans
mourir et perd ses forces. On l’apporte sur scène, il n’a plus de peau, tous
ses viscères sont à nu, c’est un spectacle horrible, tas de chair saignante. Sa
mère Alcmène est là qui le regarde et pleure. Ce pourrait être le tableau
final.
C’est alors que commence la seconde partie de la tragédie. Le grand
douloureux transforme son dolor en furor(252) :
ALCMENA
Dolor iste furor est
ALCMÈNE
Ta douleur s’est transformée en fureur.
Il changea de visage.
celui que lui prêteront ses statues devant ses temples quand il sera divinisé,
le visage qui apparaît à Alcmène dans le theologeion, pour lui annoncer
qu’il est dans le ciel au milieu des dieux d’en haut(254) :
HERCULES
Quid me tenentem regna siderei poli
caeloque tandem redditum planctu iubes
sentire fatum ?
HERCULE
Je suis enfin au royaume céleste
Je trône dans la voûte étincelante
J’ai été rendu au ciel dont je venais
Alors pourquoi me faire sentir par tes lamentations de pleureuse que je suis mort ?
À corps et à crimes
Phèdre
Œdipe
Agamemnon
Les troyennes
Hercule furieux et Hercule sur l’œta
Hercule furieux
Agamemnon
Œdipe
Le deuil
Les Troyennes
Agamemnon
Phèdre
Hercule sur l’Œta
La magie
Chapitre IX – Les viscères de Médée et les arcanes de la mémoire
La chair obscène des héros
Les lieux de la mémoire
T HYESTE
ATRÉE
Je sais pourquoi tu pleures
Tu enrages de t’être fait prendre de vitesse
Ce crime je te l’ai volé
Ce n’est pas ces nourritures cannibales qui t’angoissent
Non ce qui te serre la gorge
C’est de ne pas me les avoir fait manger
Ce fut toujours ton intention
Préparer un repas de ce genre
Et le servir à ton frère sans qu’il s’en aperçoive
Tu allais te jeter sur mes fils
Avec la complicité de leur mère
Mais une chose t’a arrêté
Une seule
Tu les suspectais d’être nés de toi.
M ÉDÉE
P HÈDRE
PHÈDRE
Crète, grande Crète, pourquoi ?
Tu as la maîtrise des vagues
Tes navires par centaines montent la garde autour de l’océan
Sillonnant de leurs éperons les routes de la mer
Jusqu’aux rivages de Syrie
Pourquoi m’as-tu livrée en otage ?
Pourquoi m’as-tu envoyée dans cette famille odieuse ?
Pourquoi m’as-tu mariée à un ennemi ?
Et maintenant ma vie de femme se consume dans le malheur et dans les larmes
Mon époux s’évade
Le voici parti à vagabonder
Thésée comprend les lois du mariage à sa façon
HIPPOLYTE
À quelle eau me purifier ?
J’irai me jeter dans le Don
Je me jetterai dans les eaux sauvages de la Caspienne
Mais toutes les vagues de l’Océan ne pourront me laver de tant de pourriture
Forêts vierges où êtes-vous ?
Thésée, en utilisant les vœux dont son père divin, Neptune, lui avait fait
don jadis, s’inscrit dans une lignée mythologique, en répétant d’autres nefas
accomplis précédemment(263). En invoquant Neptune, et en lui demandant de
châtier Hippolyte, il invente la fin du nefas. Il sort du temps humain et
devient un douloureux éternel qui sans fin cherchera les restes de son fils,
comme Thyeste sans fin sentira ses fils remuer dans son ventre.
Le nefas de Phèdre est donc composé de l’amour sauvage et incestueux
d’Hippolyte et Phèdre, de la mise à mort d’Hippolyte par Thésée, enfin du
suicide de Phèdre sur les restes d’Hippolyte. Le spectacle du nefas
commence avec la rencontre de Phèdre et d’Hippolyte, le premier aveu, et
finit avec le second aveu de Phèdre, les deux ont lieu sur scène. Entre les
deux s’est intercalé le long récit de la mort d’Hippolyte.
Le dialogue de Phèdre et d’Hippolyte est l’affrontement de deux
sauvageries mythologiques qui ne peuvent s’aimer. Car si la sauvagerie,
dans l’imaginaire romain, donne aux femmes un érotisme déchaîné, au
contraire en virilisant excessivement les hommes, elle les coupe de
l’érotisme. Les femmes sauvages sont des louves, c’est-à-dire des
prostituées, les hommes-loups vivent en bandes de chasseurs célibataires.
Hippolyte a horreur des femmes non par caprice particulier, mais parce
qu’il se veut un sauvage habitant des forêts.
La sauvagerie de l’un et l’autre est présente et visible sur scène par le
déguisement et la danse. On a dit précédemment comment Phèdre trouvait
l’apaisement dans un costume d’Amazone chasseresse(264). Hippolyte aussi
est travesti en chasseur mythologique. Telle est la fonction du prologue de
Phèdre, et sa nature particulière : installer dans l’espace tragique le furor
sauvage d’Hippolyte(265). En effet Phèdre s’ouvre sur un monologue qui n’est
ni le dolor d’un des héros, ni le furor d’un dieu ou d’un fantôme venus d’un
autre monde. L’écriture en strophes lyriques prouve que ce prologue, à la
différence des autres prologues des tragédies de Sénèque, était chanté par
un chanteur pendant que l’acteur dansait la scène. Techniquement cette
danse est une pantomime où l’acteur mime successivement les différentes
techniques et les différents moments de la chasse : le sanglier rabattu dans
un filet et tué à l’épieu, les oiseaux attrapés à la glu ; il y a le départ à
l’aube, dans la rosée froide, la traque avec les chiens, le retour avec le gibier
sanglant. Hippolyte donne des ordres à ses camarades chasseurs avant de
partir, dans le petit matin. Il les envoie parcourir tout le territoire de
l’Attique, puis avant de s’engager lui-même dans cette expédition il adresse
une prière à Diane déesse de la chasse afin qu’elle leur soit favorable, ce qui
est normal.
Ce qui l’est moins, et qui est même très inquiétant, c’est le personnage
que joue Hippolyte. Ce chasseur n’est pas un fils de famille, un sportif venu
de la ville. C’est un chasseur excessif, qui, du moins en paroles, transforme
toute l’Attique en un territoire de chasse, où ne vivent que des bergers. Les
villes, les terres cultivées, toute forme de civilisation sédentaire a disparu.
Ses premières paroles sont ambiguës, ce sont celles d’un chef qui lance ses
compagnons à l’attaque sans qu’on sache s’il s’agit d’une expédition
militaire ou d’une chasse ; ils vont parcourir le pays en y semant la
terreur(266) :
HIPPOLYTVS
Ite umbrosas cingite siluas
summaque montis iuga, Cecropii
HIPPOLYTE
Allez dans la nuit encercler les forêts
Allez encercler les sommets
Enfants de Cécrops.
HIPPOLYTE
Et la charrette qui rapporte la chasse
Grince sous la masse du gibier
Les babines des chiens
Dégoulinent de sang
La horde revient triomphante aux cabanes
En un long cortège barbare.
La Diane qu’il prie n’est pas une divinité des hommes civilisés ; son
espace, ce sont les confins de l’univers habité, elle règne par la violence sur
des peuples sauvages et mystérieux(268) :
HIPPOLYTVS
Quicquid solis pascitur aruis
situe illud Arabs diuite silua
siue illud inops nouit Garamans
uacuisque uagus Sarmata campis
siue ferocis iuga Pyrenes
siue Hyrcani celent saltus
arcus metuit, Diana, tuos.
HIPPOLYTE
Pour l’imaginaire romain, un chasseur des confins est pire qu’un barbare,
c’est un homme sauvage, qui vit comme une bête au milieu des bêtes, qui
ne fait pas la différence entre la chasse et la guerre, car il ne fait pas la
différence entre les animaux et les hommes. Ce type de chasseur appartient
à un imaginaire de l’ailleurs, qui le situe hors de l’espace habité. La
sauvagerie extrême des confins donne donc ses couleurs dans Phèdre à une
sauvagerie mythologique qui est celle de l’Amazone, mère d’Hippolyte, et
qui rencontre celle de Pasiphaë, la mère de Phèdre.
La danse d’Hippolyte puis la prière à Diane sont celles d’un chef
sauvage, d’un homme-loup qui, s’il régnait sur l’Attique, la transformerait
en désert, en forêt vierge. Mais cette valeur idéologique du prologue que
nous déduisons des paroles attribuées à Hippolyte est le développement
verbal d’une évidence spectaculaire. Le public romain reconnaît
immédiatement en Hippolyte, dès qu’il le voit, un chasseur sauvage des
confins. Car il l’a déjà vue ailleurs, cette danse du roi barbare qui règne sur
ses sujets comme sur du gibier, soit au cirque dans les uenationes, où des
gladiateurs reproduisent de grandes chasses mythologiques ou pseudo-
historiques — chasses d’Hercule ou d’Alexandre — soit au théâtre dans des
pantomimes à sujets mythologiques. Costumes barbares aux vives couleurs,
musiques étranges et, au cirque, présence d’animaux exotiques, lions,
panthères et aurochs, ont inscrit dans la mémoire des Romains des images
définitives.
Au corps sauvage et dansant d’Hippolyte ouvrant la tragédie, correspond
le tableau final de son corps mutilé, incomplet, hideux, ramené dans la
civilisation. Hippolyte n’est beau qu’en homme-loup. La danse d’Hippolyte
est de la même nature tragique que les danses du furor ; mais un furor que
n’a précédé le spectacle d’aucun dolor, ou encore de la même nature que la
danse de Tantale. Il réalise ainsi son corps mythologique, comme le font
ailleurs Médée ou Déjanire.
La première partie du nefas est possible, c’est-à-dire la rencontre entre
les deux sauvageries d’Hippolyte et de Phèdre, parce que Diane sert
d’intercesseur. Elle incarne les deux faces de la sauvagerie, la masculine et
la féminine(269) :
HIPPOLYTVS
Ades en comiti diua uirago
cuius regno pars terrarum
secreta uacat
HIPPOLYTE
Viens à mes côtés !
Sois mon compagnon !
Déesse virile !
Déesse des terres vierge !
Elle est la divinité des confins et de la chasse, en cela elle est la déesse
des hommes sauvages, mais elle est aussi, sous le nom d’Hécate, la lune, la
déesse de la magie amoureuse, car une légende raconte que la lune s’est
éprise du jeune Endymion, un berger, et descendit sur terre, séduite. Depuis,
les magiciennes l’attirent dans des bassines d’eau pour qu’elle favorise les
amours difficiles. Hécate, astre nocturne, est une déesse des femmes
amoureuses. C’est pourquoi la nourrice lui fait, elle aussi, une prière(270) :
NVTRIX
Inflecte mentem : toruus, auersus, ferox
in iura Veneris redeat. Huc uires tuas
intende : sic te lucidi uultus ferant
et nube rupta cornibus puris eas,
sic te regentem frena nocturni aetheris
detrahere nunquam Thessali cantus queant
nullusque de te pastor ferat
Ades inuocata, iam faue uotis dea
LA NOURRICE
Hécate brise-le
Que sa brutalité, que ses dégoûts
Que sa violence
Se soumettent aux lois de Vénus !
Voilà ta cible
Bande tes forces !
Puisses-tu réussir
Et garder toujours pur ton éclat !
Puisses-tu déchirer les nuages
Et ton croissant rester intact !
Que jamais les sorcières et les entremetteuses ne te fassent descendre du ciel
Que jamais sur la terre ne t’attirent leurs incantations !
Que jamais sur la terre un berger ne t’attire
Que jamais un berger ne te séduise !
Viens à mes côtés, déesse je t’invoque
Exauce mon vœu.
Œ DIPE
L’une de ces tragédies complexes est Œdipe. Malgré les apparences, cette
tragédie obéit au même scénario tragique que les autres pièces de Sénèque.
La seule différence tient à ce que le nefas a été commis, du moins en partie,
avant que ne débute l’action scénique. Mais comme nul ne le sait au début
de la pièce, c’est comme si ce nefas n’existait pas encore, pour ceux qui
vont devenir ses sujets, Œdipe et Jocaste. Donc l’invention du nefas va
coïncider avec la découverte des crimes commis par Œdipe, le parricide et
l’inceste. Dire le nefas ou l’accomplir revient au même, comme nous
l’avons déjà vu à propos de Phèdre, à condition que la formulation du crime
pour devenir performative soit ritualisée. Ce qui n’est pas vraiment étonnant
dans une civilisation où un prodige, un monstrum, n’existe que s’il est
reconnu pour tel par les autorités religieuses et politiques, au cours d’une
procédure langagière.
Œdipe, dans son prologue douloureux, dit sa crainte de commettre le
nefas annoncé par l’oracle de Delphes. En apprenant qu’il l’a déjà commis,
il coïncide enfin avec lui-même, avec son être mythologique et pour donner
une réalité à cette nouvelle identité enfin retrouvée, il se fait la tête
d’aveugle qui lui convient si bien. Il a, à la fin de la tragédie, la même
jouissance du nefas accompli qu’Atrée ou Médée(273) :
ŒDIPVS
Bene habet, peractum est…
Iuuant tenebrae…
Vultus Œdipodem hic decet.
ŒDIPE
Très bien, tout est accompli
C’est fini…
Ténèbres, délicieuses ténèbres…
Œdipe tu as maintenant ton vrai visage.
ŒDIPE
Deux fois
Je suis deux fois parricide
Mes crimes dépassent mes espérances
Ma mère est morte à cause de moi
Morte de mes crimes
Apollon menteur
Mon destin avait deux noms affreux
Le parricide et l’inceste
Mon destin où est-il ?
Je l’ai dépassé.
A GAMEMNON
CLYTEMNESTRE
Je souffre trop pour supporter d’attendre
Le feu court dans mes veines et brûle mon cœur
La peur et la douleur m’enfoncent leurs aiguillons
La haine bat dans ma poitrine
Et la jalousie
Mais son dolor n’est pas assez grand pour lui faire oublier totalement son
pudor humain(277), « son sens de l’honneur se réveille et se révolte » —
pudor rebellat.
La nourrice qui ensuite lui sert de butoir, lui permet de raviver son dolor :
elle remâche le souvenir de sa fille Iphigénie sacrifiée par Agamemnon, ce
nefas dont elle a été victime et qui fait d’elle une grande douloureuse(278).
Mais son furor reste encore trop faible, elle échoue à inventer le nefas.
Face à Égisthe qui est en position de furieux et donc la met en position de
porte-parole de l’humanité, son furor disparaît et son pudor l’emporte(279) :
CLYTAEMNESTRA
Surgit residuus pristinae mentis pudor
CLYTEMNESTRE
Un reste de moralité me revient et revit
Mon esprit d’autrefois.
CASSANDRE
Sa femme veut qu’il quitte ce costume étranger
« C’est celui de son ennemi
Qu’il revête plutôt le vêtement
Qu’elle a tramé et tissé de sa main
Qu’il enfile la tunique de sa fidèle épouse »…
Agamemnon enfile la tunique
La robe de mort
Qui le livre au couteau qui se cache
Il ne peut sortir ni la tête ni les bras
Le voici enfermé dans un cul de sac…
Clytemnestre saisit la double hache
La fille de Tyndare, la folle.
CASSANDRE
L’un et l’autre illustrent brillamment
La tradition criminelle de sa famille
Il est le fils de Thyeste, elle est la sœur d’Hélène.
Tout y est du nefas, y compris la ruse, car Clytemnestre a accueilli
Agamemnon en épouse fidèle et parfaite, et lui a offert cette tunique, tissée
pour lui en son absence. Tout y est du nefas, sauf son invention.
C’est le rôle de Cassandre, Cassandre la furieuse. Le terme est employé
dans cette pièce, uniquement pour elle, sauf une fois pour Clytemnestre
tuant Agamemnon, comme on vient de le voir, et pour Agamemnon lui-
même au moment du meurtre. Les trois personnages se répartissent ainsi les
différentes fonctions du héros tragique dans le nefas. Égisthe est le fils
monstrueux de Thyeste, l’héritier mythologique du furor dynastique.
Clytemnestre prépare le piège et accomplit la scène de ruse. Elle le
réinstalle dans sa position d’époux et de roi d’Argos, comme Atrée avait
réinstallé son frère Thyeste, enfin c’est elle qui le tuera(282). Cassandre, elle,
en arrivant à Argos, captive d’Agamemnon, d’abord au comble du dolor(283) :
CASSANDRA
Vicere nostra iam metus omnis mala
CASSANDRE
Je ne crains plus rien
Nos malheurs m’ont débarrassée de la peur
CASSANDRE
Encore une fois
Les aiguillons de la folie m’éperonnent
Pourquoi ?
AGAMEMNON
Aujourd’hui est un jour de fête
CASSANDRE
Naguère à Troie
Ce fut aussi un jour de fête
AGAMEMNON
Allons prier aux autels
CASSANDRE
Devant un autel
Mon père est tombé
Mort
AGAMEMNON
Prions Jupiter
Tous les deux ensemble !
CASSANDRE
Prions Jupiter
Protecteur des cours !
CASSANDRE
Courage, redresse-toi
Ta folie n’est plus inutile
Écoute ce qu’elle te dit et prends ce cadeau qu’elle t’offre
Nous sommes vainqueurs,
Nous les Phrygiens, nous les vaincus
Hourrah ! Troie ressuscite.
L ES TROYENNES
PYRRHUS
Il hésite encore ?
Tout d’un coup tu répugnes à ce qui faisait tes délices
Tu penses peut-être qu’il est inhumain de sacrifier la fille de Priam au fils de Pélée ?
Mais toi, tendre père, n’as-tu pas égorgé ta propre fille à Hélène ?
Je ne te demande pas de changer tes habitudes.
Pour que son père échappe à l’oubli, Pyrrhus veut attacher son nom à un
nefas comme si la gloire humaine était trop peu sûre. Une épopée peut
disparaître, mais pas la haine dans le cœur des hommes, elle est le
monument le plus solide du souvenir. Achille-Pyrrhus ne croit pas à
l’éternité poétique(291).
Achille est un bien étrange fantôme ; même si esthétiquement son
apparition ressemble à celle de Laïus, il n’appartient pas aux Enfers mais
vient exiger sa part de butin comme un vivant. D’ailleurs son apparence
n’est pas celle d’un fantôme, il a encore la stature d’Achille le victorieux(292),
alors qu’un mort apparaît ordinairement sous la forme d’un homme en
deuil. Achille est un grand furieux, et son adversaire est un autre fantôme,
celui d’Hector, qui lui aussi a gardé les apparences de la vie, mais chez lui
ces apparences sont celles de la défaite : il sort de son tombeau en grand
douloureux, vaincu par Achille(293). Les deux grands morts de la guerre sont
deux acteurs du nefas, mais ils ne sont pas les premiers.
Pourquoi, en effet, ces deux héros morts et enterrés, pourvus chacun d’un
tombeau, reviennent-ils se mêler aux vivants et donner leurs ordres ?
Pourquoi n’apparaissent-ils pas en prologue ? Parce qu’ils ne déclenchent
pas eux-mêmes l’action tragique, il a fallu une première intervention
magique pour les mettre en mouvement : c’est Hécube qui dans le prologue,
en détournant le rituel de deuil dédié à Priam, a déchaîné les forces du
nefas. Son dolor a précédé celui d’Achille. La vieille reine de Troie ne
pourra jamais assez pleurer la foule des morts troyens, tous ses enfants tués,
et son époux Priam égorgé par Pyrrhus. Ce dolor excessif lui donne un
furor immédiatement efficace. Elle s’en remet à Hector pour arrêter le
temps et plonger les acteurs de la guerre de Troie dans un deuil perpétuel,
qu’ils soient Grecs ou Troyens. Hécube, parce qu’elle ne se métamorphose
pas en chienne hurlante, devient par son dolor excessif la grande furieuse
des Troyennes.
Le nefas commence donc à se préparer dès le début de la tragédie quand
Hécube fait revenir les morts, par des moyens magiques qui la rapprochent
de Déjanire et de Médée. Elle installe sur l’ancien territoire de Troie un
espace de morts-vivants où cohabitent les fantômes et les Troyennes en
deuil. On en est revenu au temps où Hector et Achille s’affrontaient. Le
combat recommence, tombeau contre tombeau, avec la même issue, les
Troyens sont vaincus, à cette différence près que dans le monde des furieux
les valeurs s’inversent, que la victoire est une défaite, et vice-versa : la
victoire d’Hector mort se fera au prix de la mort du nouvel Hector vivant,
son fils Astyanax(294).
Comment comprendre, en effet, la mort d’Astyanax, second volet du
double nefas ? Achille ne l’a pas exigée ; le devin Calchas annonce qu’elle
est nécessaire au départ des Grecs et le fantôme d’Hector vient l’annoncer à
Andromaque. Comme si chacun des deux grands morts agissait par enfant
interposé. Andromaque après l’apparition d’Hector ne se comporte plus en
veuve mais en « épouse d’un mort » — cineris socia(295). Elle installe son fils
dans la demeure de son père, son tombeau(296). Astyanax n’est plus un
orphelin, c’est le fils d’un mort, avalé par une famille de morts-vivants
avant même qu’Ulysse ne vienne le réclamer. Quand Ulysse la somme de
lui livrer Astyanax — sinon, dit-il, il détruira le tombeau d’Hector —
Andromaque a à choisir non pas entre son fils et son époux, mais entre un
vivant et un mort, entre rester dans un deuil impie ou en sortir, être épouse
ou veuve. Autrement dit, comme toutes les héroïnes tragiques, elle a à
choisir entre le furor et l’humanité. Andromaque en livrant finalement
Astyanax insiste longuement sur la ressemblance du fils et du père(297).
Astyanax est un nouvel Hector, mais un Hector vivant qui remplacera son
père et le commémorera en reproduisant son image et en répétant ses
exploits. C’est cette mémoire des morts par les vivants qu’Andromaque
sacrifie à la mémoire pétrifiée d’un monument. C’est elle qui invente la
mort d’Astyanax comme nefas.
Le nefas donne lieu à deux spectacles parallèles : l’un dans le camp grec,
donc dehors, qui revient sur scène par le récit du messager, l’autre sur
scène, dans l’espace endeuillé des captives ; c’est la préparation des deux
victimes ; la toilette nuptiale de Polyxène, habillée par Hélène, et les adieux
d’Andromaque à Astyanax, sa toilette funèbre. Le duel entre Andromaque
et Ulysse se fait sur le modèle des affrontements entre un furieux et un
représentant de l’humanité. C’est ainsi qu’Andromaque construit par le
paradoxe sa décision finale de furieuse, sauver un mort plutôt qu’un vivant.
Andromaque cherche péniblement la posture, passant sans cesse du dolor
au furor, le furor finit par l’emporter, elle voit le fantôme d’Hector agiter ses
armes et lancer des flammes(298).
Les ultimes sujets du nefas seront finalement toute l’armée grecque et
toutes les captives troyennes : les femmes ont réussi à opposer leurs
souffrances à la cruauté des hommes et leurs souffrances l’emportent grâce
à leur alliance avec les morts. Les Grecs partiront, mais ils partiront pour
leur malheur, en emmenant les captives, tous pollués par le nefas.
H ERCULE FURIEUX ET H
ERCULE SUR L’ŒTA
HERCULE
Maintenant arrête
Mon père arrête et retire tes mains
Incline-toi
Tu es valeureux mais soumets-toi à la volonté de ton père
Ce sera le treizième exploit d’Hercule
Nous allons vivre…
AMPHITRYON
Cette main je la prends
Je la serre avec amour
C’est cette main qui va m’aider à marcher
Cette main je la poserai sur mon cœur malade
Elle va me guérir et m’apaiser.
HERCULE
Maintenant je vais célébrer ma victoire
En offrant à mon père et aux dieux du ciel
Un sacrifice
Je vais conduire à l’autel
Les victimes qui leur sont dues
Et je les égorgerai.
AMPHITRYON
Mon fils avant de sacrifier
Lave-toi les mains
Elles sont pleines de sang humain
Purifie-toi du meurtre de Lycus.
Ce à quoi Hercule répond qu’il veut faire libation aux dieux du sang de
ses ennemis, et transformer son tyrannicide en sacrifice à Jupiter :
HERCVLES
Vtinam cruore capitis inuisi dis
libare possem ! Gratior nullus liquor
tinxisset aras ; uictima haut ulla amplior
potest magisque opima mactari Ioui
quam rex iniquus
HERCULE
Je voudrais offrir aux dieux ce sang humain
Qu’ils boivent le sang de mon ennemi
Ce sang versé sur l’autel
Mieux que toute autre libation leur dirait ma reconnaissance
Je ne pourrais pas trouver plus belle victime pour l’offrir à Jupiter
Qu’un tyran injuste.
DÉJANIRE
Ce sera un très grand crime
Le plus grand
Je l’avoue
Mais c’est celui que m’ordonne ma douleur
LA NOURRICE Tu mourras
DÉJANIRE Je mourrai
Mais je mourrai l’épouse d’Hercule
Je resterai unie à sa gloire.
ALCMÈNE
Maintenant je vais revenir à Thèbes
Pour y construire un temple en l’honneur de cette divinité nouvelle
Que je célébrerai par un chant rituel.
L E SACRIFICE
T HYESTE
TANTALE
Voici l’ancêtre qui n’avance plus
Qu’est-ce qui se passe ?
Il est planté là debout comme un abruti
Tournant la tête dans tous les sens
Il ne sait pas où aller.
Atrée, après avoir serré son frère entre ses bras en signe d’égalité(320),
rétablit la répartition entre senes et iuuenes :
ATREVS
os quoque senum praesidia tot iuuenes meo
pendete collo
ATRÉE
Vous aussi, jeunes gens,
Vous qui serez autant de gardiens de notre vieillesse
Pendez-vous à mon cou !
H ERCULE FURIEUX
Le nefas d’Hercule furieux est un sacrifice perverti mais d’une façon bien
différente de celui du Thyeste, et sans que ce sacrifice soit suivi d’un
banquet sacrificiel. Comme on l’a vu précédemment(333), Hercule commence
à sacrifier, sur scène, à Jupiter, mais refuse de laver ses mains dégoulinantes
de sang humain. C’est à ce moment-là qu’il est pris de délire(334). Auparavant
il a invoqué, pour accompagner Jupiter comme destinataires seconds du
sacrifice, Pallas et Bacchus, Apollon et Diane, tous fils de Jupiter mais non
pas de Junon ; il offre son sacrifice aux bâtards de Jupiter et à leur père. Il
fait venir des bœufs gras, apporter l’encens pour la praefatio. C’est alors
que tout se trouble, Hercule est saisi de délire.
Mais le sacrifice est commencé et c’est au sein de ce sacrifice qu’Hercule
massacre ses enfants à coups de flèches comme un chasseur. Il y a donc une
double perversion, dans le choix des victimes et dans la façon de les tuer.
Malgré son délire, il reste dans le contexte sacrificiel, car il dédie ses
victimes à Junon(335) :
HERCVLES
Tibi hunc dicatum maximi coniunx Iouis
gregem cecidi : uota persolui libens
te digna et Argos uictimas alias dabit
HERCULE
Épouse du grand Jupiter
Je te dédie ce troupeau de victimes
J’ai accompli la promesse que je t’avais faite
Et cela de mon plein gré
Comme il se doit
Comme je le devais
Argos t’offrira d’autres victimes.
AMPHITRYON
Tu n’as pas fini mon fils
La divinité n’est pas encore satisfaite
Le sacrifice n’est pas encore terminé
Il reste encore une victime
Me voici à côté de l’autel
Je présente ma nuque à la hache
J’attends le coup avec soumission
Frappe rituellement.
Hercule pourra ainsi consulter la volonté des dieux dans ses entrailles et
voir s’ils sont satisfaits — nondum litasti. Amphitryon se place à côté de
l’autel, comme une victime avant le coup fatal, il tend la nuque usant d’un
verbe (« macta ») du langage sacrificiel signifiant « offrir en sacrifice ».
Le spectacle construit dans cette scène est complexe. Au début règne le
calme liturgique ; les flûtes et les gestes d’Hercule ont dessiné un espace
sacré, qui se maintient intact jusqu’à ce qu’Hercule dise « Jetez l’encens
dans la flamme »(337). C’est à l’intérieur de cet espace que le délire d’Hercule
va se mettre en branle. On peut imaginer que les flûtes continuent à jouer
mais sur un autre mode, celui de la folie. D’abord ses visions lui font croire
qu’il est à la tête d’une armée de Géants partis à la conquête du ciel.
Hercule mime une danse guerrière, dérisoire parce que sans adversaire,
pantomime pitoyable et ridicule. Puis vient la seconde partie du délire,
violemment contrastée avec la précédente, le spectacle du nefas proprement
dit, le massacre de sa famille. Hercule est devenu une machine à tuer, qui
n’entend pas, ne voit rien. Il les extermine méthodiquement comme un
robot. Aussi maîtrisé qu’au début de la scène, il accomplit de sang-froid et
consciemment ce sacrifice humain. La musique sacrificielle a repris. À la
fin il s’écroule endormi(338). Le spectacle s’arrête sur une coupure brutale.
A GAMEMNON
Œ DIPE
TIRÉSIAS
D’habitude les signes sont plus clairs
La colère des dieux n’avance pas ainsi le visage couvert
À quoi rime ce jeu de cache-cache ?
D’où leur vient cet humour gêné ?
Le furor use toujours d’une autre langue. Aussi les dieux ne peuvent-ils
communiquer avec les hommes, car ce qu’ils auraient à dire sort de la
communication ordinaire, réglée par les rituels religieux, comme la
communication entre les hommes est réglée par les rituels sociaux. Les
dieux ne peuvent pas donner des monstra connus et intelligibles, car ces
prodiges normaux supposeraient qu’une expiation est possible et que les
événements restent dans le cadre de l’ordre du monde. Les dieux ne peuvent
pas plus dire le nefas tragique qu’ils ne peuvent l’empêcher. Seul un
fantôme furieux, Laïus sorti des Enfers, pourra, à la scène suivante, dire
toute la vérité.
Pourtant Tirésias continue. Il ordonne à Mantô de jeter sur les victimes la
mola salsa, la farine salée(349). Puis les bêtes sont tuées. Là encore rien de ce
à quoi Tirésias s’attend n’a lieu. Les signes se multiplient,
incompréhensibles. Chaque question de Tirésias est posée à Mantô sous la
forme d’une alternative et la réponse de Mantô est toujours à côté(350). Mais
le plus horrible est encore à venir. Tirésias ne posera même plus de
question. Mantô décrit ce qu’elle voit à l’intérieur du ventre de chacune des
victimes. Le mâle est entièrement pourri, les veines sont blêmes au lieu
d’être rouges, elles charrient du sang corrompu. L’animal était mort de
l’intérieur avant d’être sacrifié, et au lieu qu’un beau cruor jaillisse des
veines au moment où la bête est égorgée, au lieu que le sacrificateur manie
des viscères bien frais et encore palpitants, un sang corrompu et noirâtre
ruisselle sur des chairs livides, déja gangrenées. C’est un sacrifice-fiction.
Cette inversion du cru et du pourri se retrouve dans l’anatomie anti-
naturelle de la génisse. Elle a le cœur à droite, le poumon rempli de sang, et
non d’air, l’utérus est déplacé, les intestins sont dépourvus de péritoine, un
fœtus s’y trouve contre toute attente. Enfin, comble d’horreur, les victimes
ressuscitent au moment où le sacrificateur leur sort les entrailles du ventre,
elles s’attaquent à lui et cherchent à s’échapper.
Sacrifice impie où l’on égorge des animaux impossibles, morts avant
d’être tués, charognes vivantes, mais qui une fois tués se mettent à courir.
Le nefas est tout entier dit dans cette natura uersa(351), cette nature
bouleversée. Ce sacrifice impie est lui-même signe d’une autre impiété, la
double impiété commise jadis par Œdipe. Car l’ordre humain et l’ordre
naturel sont un seul et même ordre garanti par les dieux.
Ce sacrifice divinatoire est donc muet, comme le serait toute autre
technique humaine de divination(352). Elles ne peuvent dire la perversion
tragique. Il faudra faire appel à un rituel déjà pervers en soi, qui relève de la
magie, la nécromancie.
L ES AUTRES SACRIFICES
Le sacrifice est présent à peu près dans toutes les tragédies, mais ne sert
pas toujours de noyau pour l’invention du nefas. Ainsi le même objet, une
tunique-piège, donné dans le même contexte que dans Agamemnon, sert à
interrompre un sacrifice sans le pervertir dans Hercule sur l’Œta. Dans Les
Troyennes, le mariage de Polyxène avec un mort se fait par un sacrifice
perverti, un sacrifice funéraire accompli sur le tombeau d’Achille(353) :
AGAMEMNO
Quis iste mos est quando in inferias homo est
impensus hominis ?
AGAMEMNON
Quelle est cette coutume ?
Depuis quand fait-on des sacrifices humains sur la tombe d’un homme ?
L E DEUIL
Dans la tragédie romaine le deuil est aux femmes ce que le sacrifice est
aux hommes. Lorsque les femmes touchent au sacrifice pour se
l’approprier, c’est toujours dans une procédure magique, ce qui suppose une
perversion initiale(356).
Les larmes des femmes sont efficaces, et leur perversion redoutable et
très spectaculaire. Le deuil anime les corps et fait chanter les bouches, avant
même qu’il y ait théâtre. Un deuil, à la différence du sacrifice, n’a pas
besoin d’être raconté et sa transgression est immédiatement intelligible.
La mort frappant une famille plonge ses membres dans le deuil, elle en
fait des lugentes, en quelque sorte des morts-vivants(357). La famille
endeuillée crée autour d’elle un espace impur, visible et audible afin
d’éviter aux autres la souillure. La maison est signalée par des branches de
cyprès, arbre funeste. Venant de l’intérieur on entend des flûtes, des
trompettes et des lamentations de femmes. Les lugentes portent un vêtement
sombre, cessent d’entretenir leur corps, ce qui leur donne une allure de
fantômes et de clochards à la fois, spectacle hideux et répugnant. Le mort
au contraire, lavé et parfumé, est vêtu de ses plus beaux atours, et il
s’oppose aux vivants de sa famille en inversant les caractéristiques des
lugentes. Le mort est beau comme un vivant, les vivants sont laids comme
des morts. Les femmes endeuillées sont défigurées, elles ont le visage irrité
par les larmes, déchiré à coups d’ongles, la poitrine nue, les cheveux
dénoués. Leurs plaintes redisent sans cesse le nom du mort, afin de
proclamer quelle douleur provoque son absence. Leur but n’est pas de
chanter ses louanges mais de faire résonner son nom dans le monde des
vivants jusqu’à ce qu’il soit installé dans son monumentum. À ce moment-là
l’inscription funéraire sur le tombeau prendra le relais de leurs lamentations
et les passants en lisant son nom se chargeront de la mémoire du mort. Pour
l’instant son nom hurlé est comme une griffure et réveille la douleur. Il
participe à cette ascèse de la souffrance qui est le devoir des pleureuses.
L’espace du deuil est dangereux pour les vivants. La pollution de la mort
est incompatible avec l’exercice du pouvoir politique, elle fait horreur à
Jupiter, dieu de la souveraineté. L’exhibition du corps nu et sanglant des
pleureuses est une obscénité qui force les hommes à détourner la tête par
pudor(358). Le deuil a le pouvoir de rassembler dans un espace commun, celui
des morts-vivants, les vivants et les morts, en cela il est une puissance de
désordre. En prolongeant le deuil, en l’étendant dans l’espace, il est
possible d’arrêter le temps, de faire revenir les morts, de figer une cité dans
un présent éternel.
L T
ES ROYENNES
Les Troyennes sont une tragédie du deuil. Nous avons dit précédemment
qu’Hécube déclenchait l’action en détournant le deuil de Priam, afin de
réveiller les deux grands morts de la guerre de Troie, Achille et Hector(359).
Nous allons voir comment elle y réussit.
Hécube commence par installer un vrai rituel de deuil pour Priam, le roi
de Troie, qui vient d’être tué lors du sac de la ville(360). Le chœur des captives
troyennes répond à ses injonctions en affirmant qu’il connaît parfaitement
son rôle. Elles ont dix ans d’expérience et ont pleuré tant de morts pendant
la guerre.
Cependant, d’emblée, Hécube a donné une dimension inhabituelle à
l’espace du deuil : il s’étend à toute la Troade, jusqu’à ce lieu
mythologique, aux confins du pays, le mont Ida (où Pâris avait donné à
Vénus la pomme d’or, prix de sa beauté, en échange de quoi il avait reçu de
la déesse Hélène de Sparte), et depuis la Troade il englobe l’univers
entier(361). Car le deuil d’Hécube pleure un destinataire impossible, non un
homme, mais une ville. Ce sera vraiment un deuil extraordinaire, comme le
répète le chœur.
Les ordres donnés par Hécube reprennent d’abord un à un les gestes
traditionnels du rituel : « Soluite crinem » — « dénouez vos cheveux »(362).
Elles doivent avoir des chevelures sauvages, souillées de cendre.
D’ordinaire la cendre est celle du foyer éteint de la maison du mort. Ici il
s’agit des cendres de Troie incendiée par les Grecs(363).
Puis les pleureuses doivent détacher le haut de leurs tuniques afin d’être
nues jusqu’à la taille(364). Cette nudité partielle est indispensable pour
célébrer le rituel, mais cette « libération » du corps est dite en termes
généraux de « liberté », ce qui n’est pas innocent pour un groupe de
prisonnières. Car le deuil, qui est leur seul moyen d’agir en tant que femmes
pendant une guerre, est aussi leur seule issue vers la liberté : elles vont
combattre les Grecs, comme si elles n’étaient pas vaincues et prisonnières.
Elles revendiquent cette nudité impudique, qui est une des inversions
rituelles du deuil (car le pudor est le propre des femmes), comme la
caractéristique des captives. Ayant perdu leurs maris, livrées aux caprices
des vainqueurs dont elles seront les concubines, elles n’auront plus jamais
droit au pudor.
Une fois que le deuil a envahi la scène, occupée par la danse des
pleureuses, la musique et les chants, Hécube prononce le nom du mort
destinataire du rituel :
HECVBA
Hectora flemus
HÉCUBE
C’est Hector que nous pleurons.
Le nom résonne comme un coup de tonnerre, car Hector est inhumé, son
tombeau est visible sur la scène. Pour pleurer Troie, célébrer ce deuil
impossible, Hécube recommence les funérailles d’Hector, et donc le ramène
dans l’espace des morts-vivants.
À peine a-t-elle prononcé ce nom que les pleureuses déchaînées se
griffent le visage, se fouettent la poitrine afin de faire couler leur sang et
abreuver ainsi la tombe du mort. En répétant les gestes normaux de l’ancien
funus, faire couler le sang pour le mort, dans le cadre du nouveau funus
pervers, elles font aujourd’hui des libations de sang humain(365) : le nefas a
commencé. Dix ans après, c’est le même deuil, les mêmes larmes, les
mêmes gestes, les mêmes blessures, mais la répétition pervertit ce deuil.
Donc le spectacle se construit ici sur une opposition entre des gestes
rituels justes et des paroles injustes, sur une opposition entre le voir et le
dire.
Ensuite Hécube semble revenir à un deuil normal, elle appelle les
Troyennes à pleurer Priam(366) :
HECVBA
Vertite planctus, Priamo uestros
fundite fletus satis Hector habet
HÉCUBE
Mais en voilà assez pour Hector
À Priam maintenant
Pour lui
Vos larmes et vos plaintes.
HÉCUBE
À un autre !
Donnez vos larmes à d’autres deuils !
Femmes d’Ilion
La mort de Priam n’est pas si désolante
Heureux Priam !
Criez en chœur « Heureux Priam ! »
CHŒUR
Heureux Priam
Heureux celui qui meurt
Entraînant un monde dans sa catastrophe
Et puisque les hommes ne pouvaient plus défendre la ville par les armes, les femmes la défendirent
par des prières et des larmes.
Comme les Romaines qui formèrent une longue colonne marchant sur
l’armée de Coriolan « ingens mulierum agmen », les Troyennes sont un
peuple(372), elles sont le nouveau peuple de Troie.
Après cette première scène de rituel perverti, vient une superbe scène,
difficile à restituer aujourd’hui, car elle suppose l’existence d’un rituel
funèbre bien connu du public : Andromaque et Hécube vont tout faire pour
maintenir intact cet espace funeste, par de nouvelles perversions rituelles en
relation avec le deuil.
Une fois qu’elle a livré Astyanax à Ulysse, afin de rester la fidèle épouse
d’Hector mort sans devenir sa veuve(373), Andromaque obtient du roi grec
quelques instants pour prendre congé de son fils. Mais ses adieux sont ceux
que l’on fait à un mort, alors qu’elle s’adresse à un vivant(374) qu’elle a déjà
mis au tombeau. Astyanax est un mort-vivant depuis qu’il a habité le
monument funéraire de son père. Il ne peut pas mourir, il peut seulement
entrer dans l’espace mythologique et, grâce au nefas, obtenir la gloire par sa
mort. Andromaque pervertit donc le rituel funèbre, du moins la partie
consistant dans les adieux au mort. Adieux qui ne devraient d’ailleurs pas
avoir lieu, car il n’a pas l’âge(375). Elle enterre le jeune homme qu’il ne sera
jamais. Elle l’appelle comme dans une conclamatio, mais sans dire son
nom : il est encore trop jeune. Elle y ajoute une laudatio funebris, un éloge
funèbre célébrant les exploits qu’il n’accomplira jamais. Enfin elle lui
ferme les yeux comme s’il était mort. Puis elle lui parle comme à un
messager funèbre qui ira retrouver son père. Astyanax partant pour le camp
grec est un être pollué par le deuil des femmes auquel il participe, car il est
lui aussi un mort-vivant.
Après son départ, le chœur reprend ses chants funèbres, qui avaient
recommencé à la fin de la scène, au moment des adieux d’Andromaque, et
avaient été suscités par eux(376). Ils continuent jusqu’à l’arrivée d’Hélène.
Elle vient chercher Polyxène pour la marier à l’ombre d’Achille, et donc la
sacrifier sur son tombeau. Dans la tradition romaine, un mariage interrompt
automatiquement le deuil d’une famille. Mais le nefas qui va être commis
dans le camp grec, le sacrifice humain répétant le sacrifice d’Iphigénie, rend
inutile désormais le deuil perverti d’Hécube, puis d’Andromaque ; il a fait
son office(377) :
HECVBA
Perge mactator senum
Maculate superos caede funesta deos
Maculate manes
HÉCUBE
Continue sacrificateur de vieillards
Profanez les dieux du ciel
Par un sacrifice humain
Profanez les morts.
CHŒUR
Douceur
Douceur du chagrin au milieu d’un peuple en larmes
Douceur des plaintes dans le concert d’un monde éploré
Douceur de ma douleur
A GAMEMNON
Cassandre dans Agamemnon est aussi une captive troyenne, et elle aussi
détourne son deuil pour participer au nefas, en passant par le furor. Mais la
procédure de perversion est différente dans la mesure où la tragédie doit
intégrer un élément de la fabula ; Cassandre est une prophétesse possédée
par Apollon(379).
Cassandre a débarqué en Grèce avec les captives troyennes qui forment
le chœur de la tragédie(380) et le sinistre cortège du roi vainqueur. Elles ont
entonné un chant funèbre et attendent de Cassandre qu’elle dirige leurs
lamentations comme Hécube dans Les Troyennes(381) :
CHORVS
Quid nunc primum, dolor infelix
quidue extremum deflere paras ?
LE CHŒUR
Mais maintenant
Douleurs et sorts mauvais
Sur qui verser mes premiers pleurs
À qui réserver mes dernières plaintes ?
CASSANDRE
Femmes de Troie
Retenez vos larmes
Le temps viendra de pleurer la ville
Aujourd’hui célébrez chacune
Les deuils de votre maison
Gémissez sur vos morts
Moi mes chagrins m’appartiennent
Je ne partage ma défaite avec personne
Épargnez-moi vos lamentations
Je me chargerai seule de nos malheurs communs.
CASSANDRE
Elles arrivent
Les sœurs blafardes, les femmes en guenilles
Elles agitent leurs fouets sanglants
Leur main gauche brandit une torche à demi consumée
Elles arrivent
Avec leurs faces verdâtres
Et boursouflées
Une sombre robe de deuil
Flotte sur leurs corps décharnés
CASSANDRE
Le vieux Dardanos
L’ancêtre
Saute de joie
Et approche à nobles enjambées.
P HÈDRE
THÉSÉE
Mais je viens d’entendre comme une rumeur plaintive
Holà ! Quelqu’un ! Qu’est-ce qui se passe ?
Deuils, larmes, malheurs
Et sur le seuil pour m’accueillir
Le chant d’une pleureuse
Voilà bien comme il faut recevoir un voyageur qui sort droit des Enfers.
Il est accueilli comme le revenant qu’il est, épuisé, le pas tremblant, à
moitié mort, avec ses joues livides, sa saleté repoussante ; ces apparences
de deuil constrastent avec sa posture royale(384).
La nourrice est là sur le pas de la porte qui se lamente, Phèdre en
vêtement de deuil, la face voilée, repliée sur son silence, signale ainsi à tous
sa volonté de mourir(385). Ici le deuil de Phèdre est seulement un piège, un
rituel social, la manifestation codifiée d’un dolor, pas encore un rituel
perverti. Il prépare le mensonge, la fausse accusation d’Hippolyte pour viol.
La vraie perversion aura lieu plus tard lorsqu’Hippolyte sera mort.
Alors seulement, devant les restes du jeune homme, le fantôme et la
fausse endeuillée deviennent de vrais lugentes, par la mort du fils-amant.
Phèdre sur le cadavre d’Hippolyte pleure comme une mère et une
épouse(386) :
THESEVS
Quis te dolore percitam instigat furor ?
Quid ensis iste quidue uociferatio
planctusque supra corpus inuisum uolunt ?
THÉSÉE
Pauvre folle ! Pourquoi maintenant cet émoi ?
Pourquoi cette désolation ? Pourquoi cette épée ?
Sais-tu que tu pleures, que tu cries sur le corps d’un ennemi ?
PHÈDRE
Mon sang a lavé les restes d’un homme parfait
Il a coulé en libation pour son ombre souterraine
H Œ
ERCULE SUR L’ TA
PHILOCTÈTE
Mais qu’est-ce qui arrive ?
Je vois une femme
Une pleureuse
Elle porte sur son cœur l’urne contenant les restes du grand Hercule
Ses cheveux défaits sont souillés de poussière
Elle pousse des gémissements
C’est Alcmène.
ALCMÈNE
Appelle le genre humain
Qu’il répète ta plainte et tes coups.
ALCMÈNE
Tu es donc un dieu
Tu as ta place dans le ciel
Pour l’éternité
J’en crois tes triomphes
Maintenant je vais revenir à Thèbes
Pour y construire un temple en l’honneur de cette divinité nouvelle
Que je célébrerai par un chant rituel.
L A MAGIE
MÉDÉE
Voici le manteau de Créüse
Empoisonne-le
Dès qu’elle en sera revêtue
Qu’une flamme rampante pénètre au fond de ses moelles et les brûle
Enferme une ardeur obscure dans l’éclat fauve de l’or
Un feu invisible qui couve
Je veux y cacher le cadeau de Prométhée
Le feu volé au ciel
Et qu’il paya de son ventre bourgeonnant
Il m’apprit l’art d’enfouir les braises sans les éteindre.
LE MESSAGER
C’est là le plus extraordinaire de ce drame
L’eau nourrit le feu
Et plus on combat le brasier plus il brûle avec force
Il retourne nos armes contre nous.
MÉDÉE
Si dans mon ventre peut se trouver encore quelque fœtus
Je m’ouvrirai le corps d’un coup d’épée
Et j’arracherai l’embryon.
JOCASTE
Ici, c’est ici
Que tu dois enfoncer ton arme
Dans ce ventre vorace et fécond
Où mari et fils
Tu l’as porté, tu l’as subi.
Déjanire provoque son fils Hyllus, elle lui demande de la frapper, soit au
ventre(407) :
DEIANIRA
siue maternum libet
inuadere uterum, mater intrepidum tibi
praebebit animum
DÉJANIRE
Si tu préfères m’éventrer
Ta mère s’offrira consentante.
THYESTES
Qu’est-ce qui secoue mon ventre et se révolte ?
Quelque chose est en moi
Une chose frémissante
Je me sens gros d’un fardeau qui s’impatiente
De ma poitrine sortent des soupirs
Mais ces soupirs ne sont pas les miens.
THYESTES
Leur chair remue en moi
L’horreur enfermée dans mon ventre
Se débat en vain pour sortir.
CASSANDRE
Le coup était maladroit
Un lambeau de chair retient encore la tête
Qui pend et inonde le torse de sang
Voilà
La tête est tombée avec un grognement
Eux ne le lâchent pas
Il se jette sur son cadavre et le déchire
Elle participe à cette boucherie en lardant sa chair de coups.
Ce qui nous semble une violence gratuite, est à Rome une cruauté
symbolique. Il s’agit de faire de ce mort une statue hideuse, d’autant plus
repoussante qu’on verra ses viscères au grand jour, spectacle obscène,
image visible du nefas.
Quand Œdipe sculpte son masque de mort, son visage de nefas, il ne se
contente pas de se crever les yeux, comme chez Sophocle, il s’arrache les
globes oculaires(412) :
NVNTIVS
Scrutatur auidus manibus uncis lumina
radice ab ima funditus uulsos simul
euoluit orbes
LE MESSAGER
Il fouille les orbites avec les ongles
Et d’un seul coup il arrache tout
Les deux globes roulent à terre.
LE MESSAGER
Ses mains restent agrippées au fond des orbites
Il gratte et griffe les cavités
Mais il ne reste plus rien
Il ne peut plus se faire de mal
Le pauvre fou qui veut souffrir.
LE MESSAGER
Son visage ruisselle de larmes répugnantes
De sa face mutilée
De ses veines ouvertes coulent des flots de sang.
Le corps d’Hippolyte, lui, tout entier réduit à des restes affreux, est
découpé morceau après morceau par le récit du messager. Celui-ci insiste
sur son visage défiguré à force de rebondir de ronces en rochers, sur sa
beauté perdue(414) :
NVNTIVS
auferunt dumi comas
et ora durus pulchra populatur lapis
peritque multo uulnere infelix decor
hocine est formae decus ?
LE MESSAGER
Ses cheveux restent accrochés aux ronces
Son visage est réduit en bouillie sous les chocs
Sa beauté périt
Hachée de mille blessures…
Est-ce ainsi que finit la beauté ?
HERCULE
Mon père reconnais-tu Hercule ?
HERCULE
Je me suis écorché vif
Mes chairs sont à nu
Mais le mal s’est caché plus profond.
ALCMÈNE
D’où t’est venu le mal ?
Comment a-t-il pénétré tes muscles et tes os ?
HERCULE
C’est une tunique qui m’a empoisonné
Une tunique que cette femme m’avait donnée.
PHÈDRE
Le feu embrase mon cœur et l’affole
Incendie sauvage au tréfonds de mon corps
Le désir couvait, il court dans mes veines
Et me ravage la chair.
L ES LIEUX DE LA MÉMOIRE
DÉJANIRE
Ce philtre ne doit jamais être exposé à la lumière
Il doit rester dans une obscurité totale
Sinon la puissance du sang s’évanouira
Et il perdra son pouvoir.
Ce lieu obscur doit être un lieu secret ; cette mémoire réifiée doit être à la
disposition des seuls furieux. Médée aussi a un trésor caché qu’elle n’ouvre
qu’en état de furor ; elle a enfermé dans une grotte profonde tous ses
poisons venus de son passé et qu’elle avait « oubliés » quand elle avait
réintégré l’humanité(424). Elle doit, elle aussi, les réactiver par des
incantations et une cuisine de sorcière(425).
Il y a des lieux de mémoire, cachés comme les objets au regard des
hommes et à l’abri de la lumière du soleil. Atrée accomplit son sacrifice
dans une forêt préhistorique, secrète, au cœur du palais royal(426) :
NVNTIVS
in multa diues spatia discedit domus
arcana in imo regio recessu iacet
LE MESSAGER
Il y a un dédale somptueux de salles et de couloirs
Mais au fond de ce dédale
Il y a un lieu interdit
Un réduit secret
Le repaire du roi.
ŒDIPE
Il me revient quelque chose
Une vague silhouette sur les sentiers de ma mémoire.
ANDROMAQUE
Le bruit de ses armes
Un flambeau qui s’agite
Vous le voyez, Grecs
Vous le voyez ?
C’est Hector
Suis-je vraiment seule à le voir ?
Cette étude a voulu montrer que les tragédies de Sénèque étaient des
spectacles, et d’abord des spectacles, que leur action ne progressait que par
le moyen du spectacle, celui des corps, de la musique et des mots. La
conjugaison des différentes ritualités avec la plastique des passions, issue de
l’action rhétorique, ainsi qu’avec les lusus, les jeux de mots,
divertissements propres aux loisirs des Romains, est la matière première de
ce ludisme musical romain qui forme la chaîne des « jeux grecs » où vient
se tramer la fabula.
Faut-il en plus chercher une signification à ce théâtre tragique ? La
finalité des jeux ne l’impose pas, mieux encore elle suppose qu’au théâtre la
tragédie reçoive un accueil consensuel. Or cette fin n’est-elle pas en
contradiction avec une interprétation philosophique ou morale de la fabula
qui ne saurait faire l’unanimité ? Par conséquent si l’on veut à toute force
chercher du sens dans une tragédie, il ne peut être que multiple, discontinu,
polyphonique afin que chacun puisse y trouver ce qui lui convient ; ce sens,
ces sens, ne peuvent être présents que par surcroît, sans être nécessaires à la
réception de cette tragédie, ni même à son analyse. Il ne saurait non plus
être question de déchiffrer dans le texte d’une tragédie une signification
privilégiée à laquelle l’auteur donnerait le poids de son autorité.
En fait, du sens est bien présent au cours de la tragédie, immédiatement
intelligible, sans qu’on ait besoin de se livrer à des contorsions
herméneutiques, mais du sens qui correspond à des visions partielles et
simplement humaines des événements. On lit des fragments de discours qui
parsèment la pièce, mais ils sont systématiquement en deçà de l’action
tragique.
Prenons un exemple, celui de Phèdre. On y rencontre une succession
d’amorces d’interprétation : chacune de ces exégèses est toujours
fragmentaire ; il faut souligner en outre leur extrême banalité. Il y a la
nourrice qui face à Phèdre déroule une série d’idées reçues et de propos
convenus sur l’amour. En voici quelques exemples. Elle explique d’abord
comment il est possible de résister à une passion, et ajoute que Phèdre n’a
pas suivi la bonne méthode(436) :
NVTRIX
quisquis in primo obstitit
pepulitque amorem tutus ac uictor fuit
qui blandiendo dulce nutriuit malum
sero recusat ferre quod subit iugum
LA NOURRICE
La victoire et le salut attendent ceux qui résistent
au premier assaut et repoussent la passion
Mais si tes complaisances entretiennent ta délicieuse
maladie. Il sera trop tard pour te révolter contre un maître que tu auras déjà servi.
LA NOURRICE
L’Amour, un dieu ?
Voilà bien un conte que les débauchés ont inventé
pour couvrir leurs exploits, c’est trop facile
Vénus envoie son fils parcourir le monde
Et lui, le doux enfant, nous larde de ses flèches
C’est un bien grand pouvoir pour un si petit dieu
Seul un esprit délirant a pu concevoir de pareilles sottises
Imaginer ce dessein de Vénus et son archer divin.
Puis elle s’attaque, dans des termes qui sont ceux de la satire
traditionnelle, à l’hypocrisie des classes supérieures et à leurs caprices
d’enfants gâtés. L’amour de Phèdre ne serait que la dépravation d’une
princesse qui s’ennuie(438) :
NVTRIX
Quisquis secundis rebus exultat nimis
fluitque luxu semper insolita appetit…
Cur sancta paruis habitat in tectis Venus
mediumque sanos uulgus affectus tenet
et se coercent modica ? Contra diuites
regnoque fulti plura quam fas est petunt ?
LA NOURRICE
L’humanité cherche toujours du nouveau
Une soif morbide de jouissances ronge le cœur des favoris de la Fortune…
Pourquoi les simples citoyens ont-ils des amours simples ?
Pourquoi les hommes ordinaires savent-ils se modérer
Tandis que les rois et les banquiers ne rêvent que
débauches et perversions ?
LA NOURRICE
Les gens que savent-ils de la vérité ?
Ils acclament les bandits et lapident les saints.
CHŒUR
Hercule
A déserté la guerre
Le fils d’Alcmène
A déposé son arc
Il a retiré sa grande peau de lion
Hercule a passé des émeraudes à ses doigts
Il a ramassé ses cheveux dans une résille
Il a lacé sur ses jambes des rubans dorés
Il a chaussé de fines bottines jaunes
Hercule a troqué la massue pour la quenouille
Et fait vrombir le rouet
Les Perses et les riches Levantins
Ont vu tomber la peau de lion
Ils ont vu ces épaules qui avaient porté le monde
Se draper de voiles transparents.
CHŒUR
Toi la Nature qui enfantas les dieux…
À quoi bon ce souci de l’éternité cosmique
À quoi bon veiller sur les routes de l’éther ?…
Les hommes de cœur sont persécutés
Les justes croupissent dans la misère
Les débauchés font leur chemin jusqu’à la pourpre
Le vice donne le pouvoir.
À quoi bon la morale ?
L’honneur est un mirage trompeur
HIPPOLYTE
Ce qu’il aime
C’est fouler la rive d’un ruisseau sinueux
Dormir doucement sur un lit de mousse
Ou à même la terre
Dans les éclats d’une cascade
Ou le murmure d’une source filtrant au milieu des fleurs.
Bibliographie
Bibliographie
Les tragédies de Sénèque sont citées, pour le texte latin, dans l’édition de la
collection Loeb, London, Cambridge, Massachussets, 1968, et pour le
texte français dans l’édition de l’Imprimerie Nationale, collection « Le
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Giuseppe CAMBIANO, Le Retour des Anciens, Belin, Paris, 1994.
Pascal CHARVET et Anne-Marie OZANAM, La Magie. Voix secrètes de l’Antiquité,
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Monique CLAVEL-LÉVÊUQE, L’Empire en jeux, CNRS, Paris, 1984.
Florence DUPONT, L’Acteur-roi, Belles Lettres, Paris 1985.
« Le prologue de la Phèdre de Sénèque », REL n° 69, 1991, pp. 124-135.
« Ludions, lydioi : les danseurs de la pompa circensis. Exégèse et discours
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le monde estrusco-italique, EFR, 1993, pp. 189-210.
L’orateur sans visage. Essai sur l’acteur romain et son masque, PUF, Paris,
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Françoise FRONTISI-DUCROUX, Du masque au visage, Flammarion, Paris, 1995.
Fritz GRAF, La Magie dans l’Antiquité gréco-romaine. Idéologie et pratique,
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Jacqueline LICHTENSTEIN, La Couleur éloquente, Flammarion, Paris, 1989.
Nicole LORAUX, Les Mères en deuil, Le Seuil, Paris, 1990.
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John SCHEID et Jesper SVENBRO, Le Métier de Zeus, La Découverte, Paris, 1994.
William J. SLATER (ed.), Roman Theatre and Society, Ann Arbor, 1996.
Jean-Pierre VERNANT et Pierre VIDAL-NAQUET, Mythe et tragédie en Grèce
ancienne, Maspero, Paris, 1972.
Paul VEYNE, Sénèque. Entretiens. Lettres à Lucilius, Coll. Bouquin, Robert
Laffont, Paris, 1993.
NOTES
Note 1
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Note 2
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Note 3
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Note 4
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Note 5
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Note 6
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Note 7
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Note 8
La pantomime est une sorte de tragédie lyrique, réduite aux grands airs
héroïques.
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Note 9
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Note 10
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Note 11
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Note 12
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Note 13
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Note 14
Cicéron, Orator 67-68. Cicéron ne dit pas que la poésie soit vide de
sens, mais que ce sens est toujours subordonné aux deux fins
susnommées.
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Note 15
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Note 16
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Note 17
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Note 18
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Note 19
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Note 20
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Note 21
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Note 22
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Note 23
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Note 24
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Note 25
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Note 26
Tite-Live, I, 9.
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Note 27
Tite-Live, I, 35.
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Note 28
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Note 29
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Note 30
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Note 31
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Note 32
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Note 33
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Note 34
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Note 35
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Note 36
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Note 37
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Note 38
Scheid-Svenbro 1994, pp. 152 sq. et, sur le tissage langagier à Rome,
« Paroles tissées », in Paroles romaines, Presses Universitaires de
Nancy, 1995.
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Note 39
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Note 40
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Note 41
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Note 42
Elle est appliquée pour la première fois en 488 et disparaît en 417 av.
J-C.
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Note 43
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Note 44
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Note 45
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Note 46
53a.
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Note 47
Dans Œdipe roi il se crève les yeux avec les fibules d’or du manteau
de Jocaste.
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Note 48
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Note 49
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Note 50
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Note 51
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Note 52
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Note 53
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Note 54
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Note 55
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Note 56
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Note 57
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Note 58
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Note 59
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Note 60
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Note 61
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Note 63
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Note 64
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Note 65
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Note 66
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Note 67
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Note 68
On retrouve ces mêmes allégories sortant des Enfers dans Œdipe 590
et 652, scène V.
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Note 69
Thyeste 24, 83-86 et 101 : hunc, hunc furorem diuide in totam domum,
scène I.
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Note 70
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Note 71
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Note 72
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Note 73
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Note 74
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Note 75
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Note 76
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Note 77
Cicéron, De leg. II, 20. Scheid 1985, pp. 23 sq., à qui nous avons
emprunté les deux récits liviens : Tite-Live, XXIX, 8-9 et XLII, 3 et
28.
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Note 78
Scheid, p. 32.
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Note 79
Pour une analyse détaillée tragédie par tragédie, cf. infra chap. VII.
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Note 80
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Note 81
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Note 82
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Note 83
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Note 84
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Note 85
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Note 86
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Note 87
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Note 88
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Note 89
Loraux 1990, p. 55
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Note 90
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Note 91
Tite-Live, I, 26.
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Note 92
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Note 93
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Note 94
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Note 95
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Note 96
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Note 97
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Note 98
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Note 99
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Note 100
Problemata XXX.
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Note 101
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Note 102
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Note 103
Tous les textes ont été recueillis dans la thèse de Dalila Akka, La Folie
à Rome dans l'Antiquité, Université de Paris VII — Lariboisière Saint-
Louis, 1991.
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Note 104
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Note 105
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Note 106
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Note 107
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Note 108
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Note 109
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Note 110
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Note 111
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Note 112
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Note 113
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Note 114
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Note 115
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Note 116
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Note 117
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Note 118
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Note 119
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Note 120
Veyne 1993, p. 105. Ira comme toutes les passions romaines recensées
par la rhétorique a un sens beaucoup plus étendu que pour nous la
colère : « Sénèque appelle colère des traits caractériels que nous
appelons dureté, cruauté, fermeture à autrui. D’autres fois la colère
dont il parle est une attitude politique ou un fait de psychologie
collective : nous ne dirions pas que l’antisémitisme nazi et Auschwitz
sont l’effet d’une colère de Hitler ».
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Note 121
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Note 122
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Note 123
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Note 124
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Note 160
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Note 163
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Note 164
Fratres désigne en latin les fils du même père, sans que la mère soit
précisée ; on ne parle pas de « demi-frère » ; pour indiquer un frère
ayant même père et même mère, on dit frater germanus. Phèdre 631-
633, scène VII.
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Note 165
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Note 166
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Note 170
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Note 200
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Note 201
Tout ce processus est impliqué par les termes plangor ou planctus, cf.
Cicéron, Orator 131 où les lamenta et plangores emplissent le forum
par la volonté d’un avocat.
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Note 202
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Note 203
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Note 204
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Note 205
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Note 254
Hercule sur l’Œta 1940-1942, scène XI. Le theologeion est une niche
dans le mur du théâtre où apparaissent les dieux.
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Note 255
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Note 256
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Note 270
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Note 271
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Note 272
Pour une analyse complète, cf. infra, chap. VIII, sous-partie « Phèdre
».
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Note 273
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Note 274
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Note 275
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Note 276
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Note 277
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Note 278
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Note 279
Agamemnon 288, scène IV. Ici nous gardons l’attribution des répliques
données par le manuscrit A, qui fait disparaître le personnage de la
nourrice, totalement inutile car il serait le doublet de Clytemnestre.
C’est ausi l’avis de Heldmann, 1974, pp. 121-122.
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Note 280
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Note 281
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Note 282
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Note 283
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Note 284
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Note 299
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Note 300
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Note 301
Hercule furieux a 1 344 vers et Hercule sur l’Œta 1 996. Une tragédie
de Sénèque a 1 000 vers environ.
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Note 302
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Note 314
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Note 315
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Note 316
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Note 317
Thyeste 421 et 429, scène IV. Genitor est le nom que lui donnent ses
fils avec mépris et que nous avons traduit par « l’ancêtre ».
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Note 318
Thyeste 510-511, scène V. Une belle image d'amplexus est la statue des
quatre empereurs, les deux César et les deux Auguste, à Venise.
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Note 319
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Note 320
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Note 330
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Note 331
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Note 332
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Note 333
Cf. supra, chap. VII, sous-partie « Hercule furieux et Hercule sur l’Œta
».
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Note 334
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Note 355
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Note 356
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Note 358
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Note 359
Cf. supra, chap. VII, sous-partie « Les Troyennes ». Cette étude doit
beaucoup au travail de Pierre Letessier, Le Corps et la voix dans Les
Troyennes de Sénèque, maîtrise de latin, Paris IV, 1992-1993.
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Note 360
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Note 385
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Note 386
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Note 387
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Note 388
Pour une analyse détaillée de cette seconde partie d’Hercule sur l’Œta,
voir Florence Dupont, « Apothéose et héroïsation dans Hercule sur
l’Œta de Sénèque », in Entre hommes et dieux. Lire les polythéismes 2,
dir. Annie-France Laurens, Besançon, 1986, pp. 99-106
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Note 389
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Note 390
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Note 391
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Note 392
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Note 393
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Note 394
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Note 395
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Note 396
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Note 399
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Note 400
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Note 412
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Note 413
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Note 414
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Note 415
Hercule sur l’Œta 796 gemitus, 798 clamore, 806 flentem, scène V.
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Note 416
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Note 417
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Note 418
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Note 419
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Note 420
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Note 422
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Note 423
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Note 424
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Note 425
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Note 426
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Note 427
Œdipe 372, scène IV, cf. supra, chap. VII, sous-partie « Phèdre ».
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Note 428
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Note 429
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Note 430
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Note 431
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Note 432
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Note 433
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Note 434
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Note 435
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Note 436
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Note 437
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Note 438
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Note 439
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Note 440
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Note 441
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Note 442
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Note 443
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Note 444
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Note 445
Ce détour par la fiction est indispensable car la loi, dès qu’elle définit
un crime pour le châtier, l’insère à l’intérieur de l’humanité ; cf. Yan
Thomas, « À propos du parricide. L’interdit politique et l’institution du
sujet » in L'inactuel. Psychanalyse et Culture, 1995, pp. 167-174.
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Table of Contents
Page de titre
Copyright
Présentation
Introduction – Le théâtre de Sénèque a-t-il été écrit pour la scène ?
Un problème mal posé
Des tragédies destinées à la recitatio et donc jouables
Le cri, le rire et le corps morcelé
Première partie – L’enjeu rituel des spectacles tragiques à Rome
Chapitre I – Les jeux romains
Theatrum, scaena, ludi, fabulae
Le rituel
Chronologie
Le code ludique
Chapitre II – Musique ou paroles ? Les problèmes de la traduction
La métaphore du tissage
D’Œdipe roi à Œdipe
Chapitre III – La mythologie grecque à Rome
Histoires de nourrice
L’indifférence des dieux
Histoires de philosophes
Deuxième partie – De l’homme au monstre : le trajet spectaculaire du héros
tragique
Chapitre IV – Dolor, furor, nefas : le scénario d’une métamorphose
Nefas
Dolor
Furor
Thyeste tragédie exemplaire
Chapitre V – Du scénario au spectacle
L’actio rhétorique au théâtre
Les postures de passion
Les postures de communication
Le spectacle des mots
Chapitre VI – La construction du héros par lui-même
Les statues parlantes
Les prologues douloureux
La danse du furieux
Multiples douleurs
La parole du furieux
La cruauté des regards
Troisième partie – À corps et à crimes
Chapitre VII – Catalogue des crimes tragiques
Thyeste
Médée
Phèdre
Œdipe
Agamemnon
Les troyennes
Hercule furieux et Hercule sur l’œta
Chapitre VIII – Les rituels pervertis
Le sacrifice
Thyeste
Hercule furieux
Agamemnon
Œdipe
Les autres sacrifices
Le deuil
Les Troyennes
Agamemnon
Phèdre
Hercule sur l’Œta
La magie
Chapitre IX – Les viscères de Médée et les arcanes de la mémoire
La chair obscène des héros
Les lieux de la mémoire
Conclusion – Le sens par surcroît
Annexes
Bibliographie