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Recherches et Applications en Finance Islamique

‫بحوث و تطبيقات في المالية االسالمية‬


Researches and Applications in Islamic Finance
ISSN : 9052- 0224
Volume 3, Numéro 2, juillet 2019

Le traitement comptable des contrats de financement islamique :


quelles spécificités ?
Pr. Han-Madou ILBOUDO
Université Joseph KI-ZERBO,
Burkina Faso
ilboudo1@yahoo.fr

Résumé
Cet article s’intéresse à la spécificité du traitement comptable des contrats de financement
islamique, a commencé par montrer l’importance de la comptabilité dans la vie de tout agent
économique. En effet, la comptabilité dont le rôle consiste à répondre aux besoins d’informations
financières aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation, lui permet de justifier ses
situations et de collaborer en toute confiance avec ses partenaires. Une bonne comptabilité nécessite
des règles bien élaborées et c’est ce que l’AAOIFI tente depuis sa création en 1991 d’en avoir pour
une bonne gestion comptable des institutions financières islamiques. En comparaison aux normes
IFRS de la comptabilité classique, les normes FAS de l’AAOIFI tendent à mettre l’accent sur le
fond et la mesure des droits et obligations des parties prenantes en conformité avec la charia. Le cas
des contrats de Mourabaha et de Moudharaba a été sommairement présenté dans cet article, sous
forme de schémas d’écritures comptables pour chacun de ces deux contrats.
Mots clés : Comptabilité- normes comptables- charia-Mourabaha- Moudharaba

Abstract
This article, which looked at the specificity of the accounting treatment of Islamic finance
contracts, began by showing the importance of accounting in the life of any economic agent. In fact,
accounting, whose role is to respond to the needs for financial information both inside and outside
the organization, enables it to justify its situations and collaborate with confidence with its partners.
Good accounting requires well-developed rules and this is what the AAOFI has been trying since its
inception in the year 1991 to have for good accounting management of Islamic financial
institutions. Compared to IFRS standards accounting, the AAOIFI FAS standards tend to emphasize
the substance and extent of the rights and obligations of stakeholders in accordance with Sharia law.
The case of the Murabaha and Moudharaba contracts has been summarily presented in this article,
in the form of accounting records for each of these two contracts.
Key words: Accounting- accounting standards- sharia- Mourabaha- Moudharaba

Article reçu le : 10 juin 2019, accepté le : 10 juillet 2019

Citation : Ilboudo H-M. (2019), Le traitement comptable des contrats de financement islamique : quelles
spécificités ? Recherches et Applications en Finance Islamique, Volume 3, Numéro 2, pages : 189-204.

. 189
Volume 3, Numéro 2 (2019)

Introduction
Toute activité qui occasionne l’existence de flux économiques entre agents économiques
nécessite la tenue d’une comptabilité. En effet, c’est la comptabilité qui permet de suivre les
mouvements et de déterminer avec précision et fiabilité les droits et obligations nés des
transactions entre les agents économiques.
Selon le dictionnaire Larousse, la comptabilité est un « instrument fondamental de la
connaissance des phénomènes économiques par l’établissement et la tenue des comptes,
l’enregistrement et le classement des mouvements de valeurs impliqués dans une activité
économique ». La comptabilité est alors un système organisé pour la collecte, le classement,
l’enregistrement et le traitement de données chiffrées par un agent économique, dans le but de
produire et de diffuser l’information financière relative à une activité impliquant des flux
économiques.
Dans une entreprise, la comptabilité poursuit les trois grands objectifs suivants :
- suivre pour enregistrer tous les mouvements de flux économiques impliquant
l’entreprise ;
- fournir après traitement approprié les informations financières relatives à la situation
économique de l’entreprise ;
- permettre à l’entreprise de satisfaire à ses obligations légales et fiscales, notamment en
matière de production et de diffuser de l’information financière.
La comptabilité sous sa forme actuelle moderne, est apparue en Italie en 1494 avec
l’avènement de la partie double développée par Luca Pacioli dans son ouvrage intitulé «Traité
particulier des comptes et des écritures ». En effet, depuis son apparition datant de la période
de l’antiquité, les techniques et les règles pour la tenue de la comptabilité n’ont cessé
d’évoluer avec le temps. A partir du XXème siècle, l’internationalisation des marchés
(globalisation) a imposé que la comptabilité devienne un objet de droit harmonisé et lisible
par tous de la même manière et qu’elle constitue donc un langage commun.
Deux faits marquent très fortement l’évolution contemporaine de la comptabilité des
entreprises :
- d’une part, la normalisation et la réglementation de la comptabilité générale
- et d’autre part, le développement de la recherche comptable.
La comptabilité des entreprises est aujourd’hui normalisée, ce qui signifie qu’elle s’appuie
sur une terminologie et des règles communes et produit des documents de synthèse dont les
présentations sont identiques d’une entreprise à l’autre. La normalisation des comptabilités est
antérieure à la seconde guerre mondiale et procède de la volonté des Etats d’avoir des
informations homogènes sur les entreprises de façon éventuellement à exercer sur elles un
contrôle économique et fiscal.
Les efforts de normalisation comptable ont commencé bien longtemps, on peut citer par
exemple :

- dès 1900, les compagnies d’assurances américaines tenaient leurs comptabilités selon
des règles communes ;

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- en 1937, l’Allemagne promulgue le « plan Goering » qui unifie les principes et


méthodes de comptabilité, lequel plan a fortement inspiré le plan français de 1943 (qui
ne fut pas appliqué) ;
- en France, le premier plan est adopté en septembre 1947, puis révisé en 1957 et en
1982 ;
- en Afrique, on assiste à l’adoption du Plan Comptable Général de l’Organisation
Commune Africaine et Malgache (OCAM) en 1970, le SYSCOA en 1998 et le
SYSCOHADA en 2001.
Le processus de normalisation se consolide avec la création en 1973 de l’International
Accounting Standard Committee (IASC), organisme international de normalisation
comptable. Créé par les organisations comptables des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie,
de l’Allemagne, de la France, du Japon, du Mexique, des Pays-Bas, du Royaume Uni et de la
République d’Irlande, l’IASC1 compte aujourd’hui plus d’une centaine de membres répartis
dans plus de 80 pays. Appelées normes IAS (International Accouting Standard) à leur
apparition en 1973, les normes comptables internationales de l’IASB qui ont pris l’appellation
de normes IFRS (International Financial Reporting Standard) à partir de 2001 sont appliquées
un peu partout dans le monde entier pour la tenue des comptabilités des entreprises
financières et non financières.

C’est dans ce processus de mondialisation de l’application des normes IFRS que se


développe à partir des années 1970, les institutions financières islamiques (IFI) avec des
spécificités dans les principes et les instruments de financement. Les spécificités des principes
et la particularité des transactions financières islamiques recommandent la création d’un cadre
comptable spécifique. Les normes IFRS de l’IASB n’ayant pas prévu de spécificités pour les
IFI, il était nécessaire que des organisations mises en place par ces institutions puissent
combler ce vide pour le traitement comptable des opérations de financement islamique. Dès
lors, on se pose la question suivante : quelles sont les spécificités du traitement comptable des
contrats de financement islamique ?

Ce présent article essaie de donner une réponse à cette question et pour cela, les objectifs
poursuivis sont les suivants :

- Présenter brièvement le principal organe de normalisation comptable des IFI en


relevant les spécificités des règles par rapport aux règles de la comptabilité classique ;
- Proposer le schéma comptable de deux contrats de financement islamique, à savoir le
contrat Mourabaha et le contrat Moudharaba.

Pour la réalisation de cette étude de nature aléatoire sur un sujet nouveau, l’analyse
documentaire a été mise en avant pour présenter les règles comptables applicables aux
institutions financières islamiques. Le travail est organisé en deux sections, dont la première
présente brièvement les règles comptables de l’Accounting and Auditing Organization for

1
IASB depuis 2001

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Islamic Financial Institutions (AAOIFI) et la deuxième propose les schémas comptables pour
la Mourabaha et la Moudharaba.

1. Les normes de l’Accounting and Accounting Organization for Islamic


Financial Institutions (AAOIFI)

1.1 Les organes de normalisation en finance islamique

Les années 90 ont connu l’expansion de la Banque de détail islamique et la naissance de la


désintermédiation financière islamique, soit le passage d’une économie d’endettement à une
économie de marchés financiers. Durant ces années, les IFI deviennent de plus en plus
structurées, et leurs règles de fonctionnement se sont raffinées. Ainsi, on assiste à la naissance
de plusieurs organes qui se proposent d’élaborer des normes comptables des IFI parmi
lesquels on peut citer :

• Accounting aud Auditing Organization for Islamic Financial Institutions (AAOIFI), en


français Organisation de la Comptabilité et d’Audit des Institutions Financières
Islamiques (OCAIFI)
• Malaysian Accounting Standard Bord (MASB),
• Indonesian Accounting Institute (IAI)
• International Islamic Fiqh Academy (IIFA), basé à Jeddah
• Islamic Financial Services Bord (IFSB) basé à Kuala Lumpur
• International Islamic Financial Market (IIFM) à Bahreïn
• Liquidity Management Center (LMC)
• International Islamic Rating Agency (IIRA)
• International Arbitration and Reconciliation Center for Islamic Financial Institutions
(ARCIFI)
• General Council for Islamic Banks and Financial Institutions (GCIBFI), Conseil
Général des Banques et Institutions Financières Islamiques
De tous ces organes, l’AAOIFI a réussi à s’imposer comme l’organe le plus connu et dont
les normes connaissent le niveau d’application le plus répandu. Selon une enquête menée par
le groupe de travail de l’Asian-Oceanian Standar Settes Group et publiée en 2013, 64% des
répondants ont considéré que les normes FAS émises par l’AAOIFI s’appliquent dans leurs
institutions.

1.2 Présentation de l’AAOIFI

L’AAOIFI est une organisation internationale indépendante à but non lucratif. Elle a
pour mission l’élaboration et la publication des normes pour les IFI. Il s’agit surtout des
normes comptables et d’audit, des normes de gouvernance et d’éthique et des normes de la
charia. L’AAOIFI a été fondé en mars 1991 par 5 membres fondateurs: La Banque Islamique

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de Développement (BID), les banques Dallah Al Baraka, Dar Al Mal Al Islami, Al Rajhi
Bank, et Kuwait Finance House. Le dernier membre à avoir rejoint le groupe des membres
fondateurs est la Fondation malaise Al Bukhary en 2005. En tant qu’organisation
internationale indépendante, l’AAOIFI est soutenue par les membres institutionnels au
nombre de 200 provenant de 45 pays, dont des banques centrales, des IFI et autres
participants à l’industrie de la finance islamique à travers le monde entier (Bennani, 2015).
Les normes élaborées par l’AAOIFI prennent l’appellation de FAS (Financial Accounting
Standards). L’AAOIFI publie des normes charia, des normes comptables, normes de
gouvernance et des codes de déontologie. Nous nous intéressons ici aux normes comptables.

1.3 Les normes comptables de l’AAOFI

Elles sont au nombre de 27, ce sont :


FAS 1: Les obligations de présentation et d’information des états financiers des IFI
FAS 2: La Mourabaha et la Mourabaha avec ordre d’achat
FAS 3: Le financement par Moudharaba
FAS 4: Le financement par Moucharaka
FAS 5: L’information relative à la distribution des bénéfices entre les actionnaires et les
comptes d’investissement
FAS6: Les droits des comptes d’investissement
FAS 7: Le Salam et le Salam parallèle
FAS 8: L’Ijara et l’Ijara avec option d’achat
FAS 9: La Zakat
FAS 10: L’Istisnaa et l’Istisnaa parallèle
FAS 11: Les provisions et les réserves
FAS 12: Les obligations de présentation et d’information des états financiers des compagnies
d’assurance islamiques
FAS 13: Présentation des bases de fixation et d’allocation des surplus des compagnies
d’assurance islamiques
FAS 14: Les fonds d’investissement
FAS 15: Les provisions et les réserves des compagnies d’assurance islamique
FAS 16: Les transactions et opérations en monnaie étrangère
FAS 17: Les investissements
FAS 18: Les services financiers des banques islamiques présentés par les banques
traditionnelles
FAS 19: Les participations dans les compagnies d’assurance islamiques
FAS 20: La vente à terme
FAS 21: L’information relative à la transformation des actifs
FAS 22: L’information sectorielle
FAS 23: La consolidation des états financiers
FAS 24: Les investissements dans les sociétés liées
FAS 25: Les investissements dans les Sukuk, les actions et les instruments assimilés

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FAS 26: Les immeubles de placement


FAS 27 : Les comptes d’investissement

1.4 Le cadre conceptuel de la comptabilité de l’AAOIFI

1.4.1 Les utilisateurs de états financiers des IFI

Contrairement au monde occidental où la comptabilité est considérée comme un outil


de prise de décision pour les investisseurs et donc les initiés, le cadre conceptuel de l’AAOIFI
considère que les utilisateurs des états financiers des IFI ne sont pas uniquement les
investisseurs, mais également toutes les parties prenantes de ces institutions. A ce titre, il
convient de citer les actionnaires, les déposants détenteurs de comptes d’investissement ou
comptes Moudharaba, les détenteurs de comptes courants ou de comptes d’épargne, les
institutions de la Zakat et enfin les autorités de tutelle (banque centrale, régulateurs…).

1.4.2 Les objectifs de la comptabilité financière selon les normes de l’AAOIFI

Selon les normes AAOIFI, la comptabilité financière doit poursuivre les objectifs
suivants :
- déterminer les droits et obligations de toutes les parties liées ;
- participer à la protection des actifs et des droits des différentes parties liées ;
- respecter les principes de la charia au niveau de toutes les transactions financières ;
- présenter des informations utiles à tous les utilisateurs des états financiers ce qui leur
permettra de prendre leurs décisions en connaissance de cause.

1.4.3 Les objectifs des états financiers selon les normes de l’AAOIFI

Les états financiers des IFI doivent comprendre des informations sur:

- La conformité par rapport aux principes de la charia, afin de pouvoir identifier clairement au
niveau des états de synthèse les dépenses et les revenus interdits par la charia, et le cas
échéant, indiquer la manière dont ils ont été éliminés ;

- Les ressources économiques de la banque islamique afin de permettre aux utilisateurs des
états financiers d’évaluer la capacité de la banque islamique à supporter les pertes et les
risques commerciaux, et le risque inhérent à ses investissements, ainsi que le degré de
liquidités de ses actifs et ses besoins en liquidités pour faire face à ses autres obligations ;

- La méthode de calcul de la Zakat et la manière dont elle sera payée ;

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- l’estimation des flux de trésorerie qui pourraient être réalisés par la banque islamique, le
temps de réalisation de ces flux et les risques associés à leur réalisation. L’information doit
principalement aider l’utilisateur à évaluer la capacité de la banque islamique à générer des
revenus et à les transformer en flux de trésorerie, ainsi que l’existence de flux de trésorerie
suffisants pour assurer la distribution de bénéfices aux actionnaires et aux titulaires de
comptes d’investissement ;

- La mission de la banque islamique et de sa responsabilité quant à la protection des fonds, et


sa capacité à les investir à des taux de rendement raisonnables, ainsi que des informations sur
les taux de rendement des investissements de la banque en distinguant entre les revenus
revenant aux actionnaires et ceux revenant aux titulaires des comptes d’investissement ;

- La mission et les responsabilités sociales de la banque islamique.

1.4.4 Les principes comptables de l’AAOIFI

Le cadre conceptuel de l’AAOIFI s’appuie pour l’élaboration des principes comptables


sur:
- Les hypothèses de base,
- Les caractéristiques qualitatives des états financiers
- Les contraintes à respecter pour que l’information soit pertinente et fiable

1.4.4.1 Les hypothèses de base pour l’élaboration des états de synthèse

Les hypothèses de base pour l’élaboration des états de synthèse sont au nombre de quatre
selon les normes de l’AAOIFI. Ce sont :

- convention de l’entité comptable: la banque est considérée comme une unité de


comptabilisation distincte de ses actionnaires ou d’autres personnes qui ont fourni des
fonds à la banque ;
- convention de la continuité d’exploitation ;
- convention de la périodicité (libre sans excédent l’année civile ou lunaire et ce pour
les besoins de calcul et paiement de la zakat) ;
- convention de l’unité monétaire.

1.4.4.2 Les caractéristiques qualitatives de l’information comptable

Les normes de l’AAOIFI retiennent cinq caractéristiques qualitatives (ou principes


comptables) des états financiers:

- La pertinence

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- La fiabilité
- La comparabilité
- La permanence des méthodes
- La compréhensibilité (capacité à être comprises et assimilées)

1.4.4.3 Les contraintes à respecter

Pour que l’information comptable soit pertinente et fiable, certaines contraintes sont à
prendre en considération. Les normes AAOIFI en retiennent trois:

- l’importance relative ;

- le rapport coût avantages: les avantages obtenus de l’info doivent être supérieures au
coût qu’il a fallu consentir pour la produire ;

- l’information suffisante (bonne classification des rubriques et des informations


détaillées fournies en annexe).

1.4.5 Les méthodes d’évaluation de l’AAOIFI

Pour la mesure de la valeur des actifs, passifs, produits et charges, la norme FAS 1 de
l’AAOIFI retient trois valeurs possibles, le coût historique, la juste valeur et la valeur
probable de réalisation.

La juste valeur ou fair value en anglais est défini par les normes IAS/IFRS comme le
montant auquel un actif pourrait être échangé (ou un passif éteint), entre des parties dans le
cadre d’une transaction se déroulant dans des conditions normales de concurrences normales
(hors frais de cession et estimation de leur valeur d’utilité. Le coût historique correspond à la
valeur du bien au moment où il est entré dans le patrimoine. La valeur probable de réalisation
est le prix de vente estimé réalisable dans des conditions normales de vente. Cette valeur de
réalisation peut être nette en déduisant les coûts estimés nécessaires pour achever le bien et
réaliser la vente.

2 Traitement comptable des contrats de Mourabaha et de Moudharaba

Après avoir évoqué les règles générales de comptabilité financière des institutions
financières islamiques selon les normes de l’AAOIFI, nous proposons dans la présente section
les schémas d’écritures comptables de deux contrats de la finance islamique, à savoir le
contrat Mourabaha et le contrat Moudharaba. Les schémas comptables de tous les principaux
produits de finance islamique seront abordés dans une série d’articles. Le choix de la
Mourabaha et de la Moudharaba pour ce tout premier article sur le sujet s’explique par le fait
que la Mourabaha reste à l’heure actuelle, le produit le plus disponible au niveau des IFI

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(Ilboudo, 2019). Pour le choix de la Moudharaba, il est considéré comme le plus ancien
contrat de l’esprit de la finance islamique dont la pratique remonte à la période préislamique.

2.1 Traitement comptable de la Mourabaha

En rappel, l’opération Mourabaha se déroule selon les étapes suivantes:

- Le client choisit un bien à financer


- Le client fait une demande de financement à la banque
- La banque acquiert le bien auprès d’un fournisseur
- Le fournisseur livre le bien à la banque
- La banque revend le bien au client
- La banque livre le bien au client
- Le client règle le prix de vente à la banque
Conformément à la norme FAS 2 de l’AAOIFI, la comptabilisation des opérations
Mourabaha passe par cinq phases distinctes :

- La promesse de vente
- L’acquisition du bien par la banque
- L’avance client et/ou dépôt de garantie
- L’arrêté comptable
- La conclusion ou dénouement du contrat
- Le paiement du prix de vente

La promesse de vente est comptabilisée en hors bilan dans un registre ouvert à cet
effet
L’acquisition du bien par la banque

La possession du bien par la banque est une étape incontournable et obligatoire, qu’elle
soit physique ou juridique ou documentaire. Le principe en finance islamique est qu’on ne
peut pas vendre ce qu’on ne possède pas. Cette possession est traduite au niveau des comptes
comptables comme suit :

Comptes à débiter Comptes à créditer

Stocks Mourabaha Comptes de trésorerie ou


fournisseurs

L’avance client et /ou dépôt de garantie

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Le dépôt de garantie est un montant versé à la banque par le client lors de la conclusion de
la promesse de vente. Le client précise à la conclusion de la promesse comment la banque
peut utiliser le dépôt de garantie. Deux cas peuvent se présenter:

- le dépôt de garantie est remis à la banque en tant que dépôt dans un compte courant ;

- Le dépôt est remis avec possibilité d’être utilisé par la banque dans un investissement
ou placements en attente de la vente finale, dans ce cas un contrat Moudharaba est
conclu entre la banque et le client.

Comptes à débiter Comptes à créditer

Comptes de trésorerie Dépôt de garantie contrat Mourabaha ou Fonds


d’investissement Moudharaba

Si le contrat final Mourabaha est conclu et le client souhaite que son dépôt soit
transformé en avance sur le prix à payer, on n’a l’écriture suivante :

Comptes à débiter Comptes à créditer

Dépôt de garantie Mourabaha Avance et acompte sur opération


Mourabaha

Si le client souhaite que le dépôt lui soit restitué, on a :

Comptes à débiter Comptes à créditer

Dépôt de garantie Mourabaha Comptes de trésorerie

Arrêté comptable

A chaque arrêté comptable un inventaire physique doit être établi et une évaluation du
stock est effectuée. Une écriture de dépréciation de stock doit être comptabilisée si la banque
constate une perte probable de valeur de son stock.

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Cette vérification est à effectuer aussi pour les créances clients Mourabaha. Si valeur probable
de réalisation est inférieure à la valeur comptable, on a une dépréciation à comptabiliser
comme suit:

Comptes à débiter Comptes à créditer

Dotations aux provisions pour dépréciation de Dépréciation des stocks de biens Mourabaha
stocks Mourabaha
Et/ou
Et/ou
Dépréciation des créances clients Mourabaha
Dotations aux provisions pour dépréciation des
clients Mourabaha

Dénouement du contrat (vente par la banque)


- Au moment de la vente
Constatation du produit et de la créance ou trésorerie

Comptes à débiter Comptes à créditer

Comptes de trésorerie Ventes de biens et services Mourabaha

Et/ou

Clients Mourabaha

Eventuellement Régularisation du compte de profit (contrat sur plus d’un exercice


comptable)

Comptes à débiter Comptes à créditer

Profits/ Mourabaha Produits constatés d’avance/ Mourabaha


(partie du profit qui ne concerne pas
l’exercice)

Sortie du stock

Comptes à débiter Comptes à créditer

Variation de stocks Stocks

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 Encaissement de chaque tranche (exercices ultérieurs)

Comptes à débiter Comptes à créditer

Comptes de trésorerie Créances clients Mourabaha

Eventuellement Régularisation du compte de profit (contrat sur plus d’un exercice comptable)

Comptes à débiter Comptes à créditer

Profits constatés d’avance Quote-part de l’exercice sur profit


Mourabaha

En comparant ce traitement comptable à ce qui serait fait dans la banque conventionnelle, on


allait avoir pour cette dernière la comptabilisation d’un emprunt suivi de son remboursement
avec des intérêts comme produits pour la banque. Les écritures d’achat du bien financé ne
figureront que dans la comptabilité du client bénéficiaire.

2.2 Traitement comptable de la Moudharaba

Les normes FAS 3 (financement Moudharaba) et FAS 6 (droits des titulaires des
comptes d’investissement et assimilés) fixent les règles concernant le processus comptable lié
à la Moudharaba.

La Moudharaba est un partenariat à but lucratif entre le capital d’un rab al maal et le
travail d’un Moudharib. Les caractéristiques de contrat stipulent que:

- le ratio de partage des bénéfices entre rab al maal et moudharib est convenu d’avance ;

- les pertes, autres que celles survenues en raison de la négligence ou de la mauvaise


gestion du moudharib sont prises en charge par le rab al maal, étant entendu que le
moudharib perd la rémunération de son travail.

Mise à disposition des fonds par la banque

Comptes à débiter Comptes à créditer

Comptes de financement Comptes de trésorerie


Moudharaba

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Arrêté comptable

A la fin de chaque exercice social, les capitaux investis dans les financements moudharaba
doivent être évalués pour s’assurer ou non de leur dépréciation. Plusieurs cas peuvent se
présenter:

• il n’existe pas de pertes, il n’y a aucune écriture à passer ;


• si une perte partielle du capital est constatée avant la date d’effet du contrat, deux cas
se présentent:
Si la perte n’est pas due à la négligence du Moudharib,

Comptes à débiter Comptes à créditer

Pertes/ Financement Moudharaba Comptes de financement Moudharaba

Si la perte est due à une négligence du Moudharib.

Comptes à débiter Comptes à créditer

Créances/ comptes de financement Comptes de financement Moudharaba


Moudharaba suite à une perte

Fin du contrat qui prend fin le même exercice

- Le résultat est un bénéfice

Comptes à débiter Comptes à créditer

Comptes de trésorerie Comptes de financement Moudharaba


(capital+bénéfice)
Et
Ou
Profits/ Investissement Moudharaba
Créances sur financement Moudharaba
(en encore encaissé)

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- Le résultat est une perte non due à la négligence du Moudarib

Comptes à débiter Comptes à créditer

Perte/ Investissement Moudharaba Comptes de financement Moudharaba

Et/ ou

Comptes de trésorerie (somme restante)

- Le résultat est une perte imputable à la négligence du Moudarib

Comptes à débiter Comptes à créditer

Créances Moudharaba (montant du capital) Comptes de financement Moudharaba

Contrat sur plus d’un exercice social

A la clôture d’un exercice comptable, il convient d’évaluer si les fonds Moudharaba ont
réalisé des profits ou des pertes:

- en cas de profits, la quote-part de la banque est estimée à hauteur des bénéfices à


distribuer et enregistrée dans ses comptes ;

- en cas de perte, la quote-part des pertes de la banque doit être enregistrée dans ses
comptes

Dans la banque conventionnelle, on allait procéder à la comptabilisation de l’emprunt suivi de


son remboursement avec paiement des intérêts comme produits pour la banque. Les
transactions liées à l’investissement des fonds sont prises en compte seulement dans la
comptabilité de l’emprunteur.

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Conclusion

La comptabilité a un rôle important à jouer dans la vie de toute organisation ayant un


patrimoine à gérer et surtout entretenant des rapports d’échanges avec d’autres agents
économiques. La comptabilité qui fait partie des sciences de gestion se tient par application
des règles élaborées par des instances habiletés à l’image des normes IFRS de l’IASB pour la
comptabilité classique.

La spécificité des principes et des mécanismes de financement islamique, a


recommandé l’adoption de normes comptables spécifiques. C’est ainsi que la plupart des
institutions financières islamiques se réfèrent aux normes FAS de l’AAOIFI pour le
traitement comptable des différents contrats de financement islamique. Cet article s’est
intéressé à une présentation générale des règles comptables issues du cadre conceptuel de
l’AAOIFI avant de tracer les schémas d’écritures comptables de deux produits courants de la
finance islamique que sont la Mourabaha et la Moudharaba. Précisons toutefois que toutes les
institutions financières islamiques n’appliquent pas les normes comptables AAOIFI.
Ainsi, pour comptabiliser la Mourabaha, il y a lieu de constater en hors bilan la
promesse du client et d’enregistrer successivement en écritures comptables l’achat du bien par
la banque, éventuellement le dépôt de sincérité fourni par le client, la livraison du bien à la
banque par le fournisseur, la vente du bien par la banque au client et le paiement du prix par le
client aux différentes échéances. Des écritures d’arrêté comptable relatives à l’ajustement du
compte de profit et éventuellement des dépréciations des stocks Mourabaha et créances
clients, peuvent être constatées dans certains cas.
Pour la Moudharaba, les écritures comptables concernent essentiellement la remise des
fonds du Rab-al-maal, le paiement des fonds et part de profit par le Moudharib. A côté de cela
des écritures d’arrêté comptable pour la régularisation de pertes sont à passer en cours de
contrat et en fin de contrat pour certains cas.
La suite de ce travail sera, la proposition des schémas d’écritures pour tous les
principaux contrats de financement islamique.

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Bibliographie

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islamiques, novembre 2017
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