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Odadata D-13-31

L’exercice du contrôle des sociétés anonymes en droit


OHADA
par
DJAHA Konan Francis
Doctorant en Droit privé option droit économique
djahafrancis@yahoo.fr

Actualités Juridiques, Edition économique n° 2 / 2011, p. 133.

Avant l’indépendance, une importante partie du droit français – tels le droit commercial et le
droit des sociétés – avait été étendue à de nombreux pays africains. C’est ce qui a poussé le
professeur Jacqueline OBLE-LOHOUES à affirmer que, le droit positif en matière
commerciale était constitué du Code de commerce français, des lois modificatives intervenues
en France jusqu’en 1960 et quelques textes pris par les Etats africains.1

Après l’indépendance, la plupart des pays2 avaient conservé ce droit tel quel, sans réellement
l’adapter à l’évolution des situations économiques et des besoins des entreprises.3

L’on se trouvait en Afrique, dans une situation d’insécurité à la fois juridique et judiciaire.
L’insécurité juridique se traduisant par la vétusté des textes dans certains Etats, et l’insécurité
judiciaire découlant de la dégradation de la manière dont était rendue la justice.4

Il est donc indéniable que cette balkanisation juridique5 et l’insécurité judiciaire constituaient
une entrave réelle au développement économique de ces pays. Car les investisseurs, par
manque et perte de confiance, les fuyaient.

L’harmonisation des systèmes judiciaires était donc nécessaire pour restaurer la confiance des
investisseurs, faciliter les échanges entre les pays et développer un secteur privé performant.

Nous comprenons aisément l’engouement qu’a suscité la signature du Traité OHADA pour
les 16 Etats membres,6 le 17 octobre 1993 à Port-Louis.7

1
Jacqueline OBLE-LOHOUES, « Les innovations dans le droit commercial général », Petites affiches, 13 oct.
2004, n° 205, p. 8.
2
Seuls le Sénégal, la Guinée, le Mali et Madagascar, s’inspirant largement du droit français et précisément, de
la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, ont élaboré de véritables codes.
3
Jean PAILLUSSEAU, « Le droit de l’OHADA, un droit très important et original », La semaine juridique,
n° 5 supplément à La semaine juridique n° 44 du 28 oct. 2004, p. 1.
4
KIRSH Martin, « 10e anniversaire de la signature du Traité concernant l’harmonisation du droit des affaires
en Afrique », Penant, oct.-déc. 2003, n° 845, p. 389.
5
Ph. TIGER, Le droit des affaires en Afrique : OHADA, Que sais-je ?, P.U.F., 2001, p. 20.
6
L’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) regroupe : le Bénin, le
Burkina Faso, le Cameroun, le Centrafrique, les Iles Comores, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la
Guinée, la Guinée -Bissau, la Guinée Equatoriale, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo. En outre,
la République Démocratique du Congo (RDC) a expressément manifesté sa volonté d’adhérer à l’OHADA
très prochainement, le Ghana a également montré son intérêt pour ce système.

1
Ce Traité, comme l’affirment son préambule et son article 1er, a pour objet la mise en place en
Afrique, d’un droit des affaires harmonisé, moderne, simple et adapté aux nouvelles réalités
économiques et sociales.

C’est ce qu’a entrepris de faire le législateur OHADA, à travers l’institution de plusieurs


Actes uniformes, dont huit sont à ce jour entrés en vigueur.

Par ordre chronologique, ces Actes se rapportent respectivement au droit commercial général,
au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, aux sûretés,8 aux
procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution,9 aux procédures collectives,10
au droit de l’arbitrage,11 à la comptabilité12 et aux contrats de transport de marchandises par
route.13

La société anonyme objet de notre étude est réglementée par l’Acte Uniforme portant Sociétés
Commerciales et Groupement d’Intérêt Economique (AUSCGIE) et est le moyen de réunir
des capitaux et d’associer des épargnants à la réalisation d’une activité industrielle,
commerciale et artisanale, sans leur faire courir un risque illimité.14

On peut définir la Société Anonyme comme la société dont le capital est divisé en actions et
constituée entre des actionnaires qui ne supportent les pertes qu’à concurrence de leurs
apports.

L’article 4 al. 1er de l’AUSCGIE dispose : « la société anonyme est le résultat d’un contrat par
lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d’affecter à une activité des biens en
numéraires ou en nature en vue de profiter de l’économie qui pourrait en résulter ».

Cependant, il faut relever à ce niveau que, dans certains cas, la société peut être le résultat de
la volonté d’une seule personne, selon les articles 5 et 385 al. 2 AUSCGIE ; il s’agit de la SA
unipersonnelle, qui ne comprend qu’un seul actionnaire.

La SA a été conçue à l’intention des grandes entreprises, ce qui explique que le formalisme lié
à sa constitution ou à son fonctionnement soit plus lourd que dans d’autres types de société.

Malgré ce formalisme, il existe de très nombreuses sociétés anonymes.

La SA est organisée à l’image d’un Etat, soumis au principe de la séparation des pouvoirs.15

7
Ile Maurice.
8
Ces 03 premiers Actes uniformes ont été adoptés par le Conseil des Ministres à Cotonou au Bénin, le 17 avril
1997. Ils sont entrés en vigueur le 1er janvier 1998.
9
Adopté le 10 avril 1998 à Libreville au Gabon, et entré en vigueur le 10 juillet 1998.
10
Adopté le 10 avril 1998 à Libreville au Gabon, et entré en vigueur le 1er janvier 1999.
11
Adopté le 11 mars 1999 à Ouagadougou au Burkina Faso, et entré en vigueur le 11 juin 1999.
12
Adopté le 23 mars 2000 à Yaoundé au Cameroun, la première partie de cet Acte uniforme, relative aux
comptes personnels des entreprises, est entrée en vigueur le 1er janvier 2001. La deuxième partie, relative
aux comptes consolidés et combinés, est entrée en vigueur le 1er janvier 2002.
13
Adopté le 22 mars 2003 à Yaoundé au Cameroun, et entré en vigueur le 1er janvier 2004.
14
J.-F. Bulle et M. Germain, Pratique de la société anonyme, 1991. in Y. Guyon, Droit des affaires, tome 1,
12e éd., Economica, n° 276, p. 275.
15
Y. GUYON, op. cit., n° 279, p. 280.

2
L’organisation de la société anonyme comprendra donc nécessairement, une Assemblée
Générale (AG) des actionnaires, qui est l’organe souverain et pourra se réunir de façon
ordinaire ou extraordinaire. Cette assemblée va nommer des organes d’administration et de
direction.

On doit également trouver dans la SA, des organes qui exécutent, à l’égard des tiers, les
décisions prises par les organes de gestion.

Enfin, sont désignés des organes de surveillance et de contrôle, rendus nécessaire par
l’effacement des actionnaires, trop nombreux pour pouvoir s’intéresser directement à la
gestion.

L’impérativité de ce type de hiérarchie des organes et de séparation des pouvoirs a été rappelé
par la Cour de cassation française, dans l’arrêt MOTTE rendu le 04 juin 1946.16

Une autre caractéristique de la société anonyme réside dans son caractère démocratique. Ce
sont les actionnaires qui vont nommer et révoquer les dirigeants, comme le parlement nomme
et renverse le gouvernement dans un régime parlementaire.

Les dirigeants désignés, notamment l’Administrateur général, le Président du Conseil


d’Administration (PCA) ou encore le Directeur général (DG), doivent prendre les décisions
dans l’intérêt de la société, des actionnaires, des créanciers et des salariés. A cet égard, ils
disposent en vertu de l’AUSCGIE, des pouvoirs les plus étendus pour engager la société.

Cependant, la SA ayant été créée dans l’intérêt commun des actionnaires, les décisions des
dirigeants doivent pouvoir s’y conformer.

Malheureusement, il n’est pas rare de constater de nombreux abus dans la gestion effectuée
par des dirigeants.

Ces raisons ont conduit à l’adoption d’une reforme de société. Reforme qui consiste à
attribuer à l’Administrateur général, Directeur général ou Président directeur général, les
fonctions de direction, tandis que le conseil ne s’occupe en principe que de la surveillance, de
la gestion de la société. Grâce à cette nouvelle forme de direction de la SA, il devrait être
possible de mieux dissocier direction et contrôle, car les conséquences de la mauvaise gestion
n’épargnent pas davantage les partenaires sociaux, notamment les actionnaires, qui
enregistrent des pertes significatives consécutives à la dépréciation de leurs actions, et les
travailleurs, qui perdent également leurs emplois.

Il s’agissait de tenir compte de la dissociation croissante entre propriété de la société et


gestion de la société.

La particularité et les conséquences dommageables des actes de mauvaise gestion pour l’ordre
public et pour la société ont amené le législateur à consacrer spécialement des mécanismes
traitant du contrôle.

Ce contrôle est destiné à veiller à la bonne application des règles relatives à l’administration et
à la gestion de la société anonyme.

Mais, de quelle forme de contrôle s’agit-il ?

16
Cass. Civ. 04 juin 1946, S, 1947, L, 153, note Barbry ; JCP, 1974, II, 3518, note Bastian.

3
Une équivoque doit être levée au sujet de la notion de contrôle.

Dans le Larousse de poche,17 le terme de contrôle reçoit plusieurs sens. Outre celui de
vérification, on peut en retenir deux autres : « action de contrôler, de surveiller quelqu’un ou
quelque chose, examen minutieux » et « action, fait de contrôler quelque chose, un pays, un
groupe, son comportement, fait d’avoir sur eux un pouvoir, une maîtrise ».

Il y a donc deux sens pour le terme de contrôle : le « contrôle surveillance » et le « contrôle


maîtrise ». Ces divers sens trouvent à s’appliquer en droit. En effet, dans le Vocabulaire
Juridique du doyen CORNU,18 on retrouve trois sens : vérification, maîtrise et surveillance,
les deux derniers ayant une application particulière en droit des sociétés.

Ces dernières appréhensions de la notion de contrôle ne sont pas aussi indépendantes l’une de
l’autre qu’elles peuvent le paraître. Ceux qui disposent du « contrôle maîtrise », les
actionnaires majoritaires et donc, les organes qu’ils désignent, disposent finalement du
pouvoir de diriger les affaires sociales. Ce pouvoir peut être plus ou moins absolu, en fonction
de l’importance des capitaux détenus et des alliances qui peuvent exister entre les
actionnaires. Par ailleurs, les organes chargés classiquement du « contrôle surveillance » sont
également élus.

Par conséquent, les organes de surveillance émanent du cercle des contrôleurs, qui sont ceux
qui finalement, dirigent la société, par le biais des organes de gestion, puisque ce sont les
actionnaires majoritaires qui vont les désigner.

La surveillance pourra donc être détournée à leur profit.

La loi française du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales19 organisait un contrôle
interne à la société, exercé personnellement par les actionnaires ou délégué par ceux-ci à des
commissaires aux comptes.

Cependant, ce système a rapidement révélé son inefficacité pratique, car il reposait sur un
postulat inexact : la présence des actionnaires aux assemblées.

Par ailleurs, récemment, de nombreux scandales financiers tels Enron, Tyco, Vivendi, BCC,
pour ne citer que ceux-ci, ont révélé que le contrôle exercé dans ces sociétés aurait dû être
défaillant, pour qu’il soit ainsi possible de cacher les détournements qui avaient eu lieu.

C’est ici, au « contrôle surveillance », qui se rapproche le plus de la signification originaire du


mot lié à la notion de censure,20 que nous nous intéressons.

Ainsi, la question essentielle est la suivante : le dispositif juridique actuel offre-t-il les
assurances d’indépendance des acteurs du contrôle des Sociétés Anonymes ?

Même s’il existe dans les SA avec ou sans conseil d’administration, des organes de contrôle
qui ont pour but de surveiller la gestion de la société, ces organes sont désignés par

17
Larousse de Poche, 2007, voir contrôle, p. 180.
18
CORNU G., Vocabulaire Juridique, 3e édition, Association Capitant, PUF, 1992, voir Contrôle, p. 236-237.
19
Loi n° 1867-07-24 du 24 juillet 1867.
20
DJIAN Y, Le contrôle de la direction des sociétés anonymes dans les pays de marché commun, SIREY,
1965, p. 2, n° 3.

4
l’assemblée générale. Or, cette dernière est contrôlée par les actionnaires majoritaires qui, par
la même occasion, choisissent les organes de gestion.

La Société Anonyme connaît principalement deux ordres de contrôle : l’un, interne, l’autre,
externe. Ces contrôleurs sont nommés par l’Assemblée Générale des actionnaires comme
indiqué plus haut.

Ils apparaissent comme des mandataires des actionnaires, à qui il revient au premier chef de
contrôler l’action des dirigeants, bien que le législateur de l’OHADA ait favorisé leur
information, les actionnaires ne sont pas toujours en mesure de comprendre la masse de
documents qui leur sont fournis, documents mis à leur disposition par les dirigeants de la
société.

Ceci explique pourquoi le contrôle des actionnaires est dévolu en grande partie aux organes
externes ou internes de la SA.

Alors que le contrôle effectué par l’organe interne est plus large, le contrôle effectué par
l’organe externe, le commissaire aux comptes, se circonscrivait en principe, comme son nom
l’indique, à la comptabilité.

Le contrôle des comptes sert d’outil à l’organe interne comme à tous ceux qui souhaitent
suivre la gestion d’une société : actionnaires, dirigeants, tiers, créanciers, administrations, par
exemple.

Par ailleurs, la revalorisation du rôle des actionnaires a conduit à un renforcement de leurs


droits individuels, ce qui leur permet d’exercer un contrôle à la fois préventif, par
l’instauration de nouveaux moyens de contrôle au plan interne (Chapitre I), mais également,
au plan externe (Chapitre II).

CHAPITRE I : LE CONTROLE INTERNE


La SA est dotée d’une structure complexe, hiérarchisée et pour l’essentiel, d’ordre public.21

La loi met en place, dans l’intérêt des actionnaires et des tiers, des organes de direction et de
contrôle dont elle définit impérativement le fonctionnement et les attributions.

La répartition des pouvoirs délestés, et en particulier, la place prépondérante des dirigeants


sociaux, se justifient par les nécessités pratiques d’un sondage des tâches utiles à la gestion,
au financement, à la pérennité et au développement dans l’entreprise.

Les principes de séparation des pouvoirs et de hiérarchie des organes ont été rappelés par
l’arrêt MOTTE rendu par la Cour de cassation, le 04 juin 1946.22

Selon la Haute juridiction, ces principes s’imposent aux actionnaires, qui ne sauraient y
déroger.

Car le contrôle est donc opéré aussi bien pour les actionnaires que pour la société elle-même,
ainsi que pour ses créanciers.

21
voir art. 2 AUSCGIE.
22
Cass. civ., 4 juin 1946, op. cit.

5
Cependant, bien que cette mission figure expressément dans les textes, est-elle opérée de
façon efficace ?

L’AUSCGIE a défini les missions du Conseil d’Administration. En effet, l’article 435


dispose : « Le conseil d’administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en
toutes circonstances au nom de la société. Il les exerce dans la limite de l’objet social et sous
réserve de ceux expressément attribués par le présent Acte uniforme aux assemblées
d’actionnaires.

Le conseil d’administration dispose notamment des pouvoirs suivants : 1°) il précise les
objectifs de la société et l’orientation qui doit être donnée à son administration ; 2°) il exerce
un contrôle permanent de la gestion assurée, selon le mode de direction retenu, par le
président directeur général ou par le directeur général ; 3°) il arrête les comptes de chaque
exercice. Les dispositions des statuts ou de l’assemblée générale limitant les pouvoirs du
conseil d’administration sont inopposables aux tiers ».23

On voit donc que, le Conseil d’Administration est investi d’un pouvoir institutionnel de
contrôle. Mais, malgré les règles impératives relatives à la mission du Conseil
d’Administration, il remplit sa mission de surveillance avec une efficacité assez relative, d’où
la présence de l’Assemblée Générale des actionnaires ; là encore, le contrôle s’avère limité.

Le législateur a reconduit ce mode de contrôle, en y ajoutant trois grands apports au profit des
actionnaires, à savoir : l’enrichissement des documents sur lesquels porte le droit
d’information des actionnaires, la possibilité pour les actionnaires, de recourir au juge en cas
de refus de leur communiquer les documents requis,24 et la possibilité pour eux, de requérir
l’inscription à l’ordre du jour d’une Assemblée Générale d’un projet de résolution.25

Mais, les plus importants et modernes seront ici exposés : à savoir, la procédure d’alerte et
l’expertise de gestion (Section I), sans toutefois occulter leurs limites (Section II).

SECTION I : L’instauration de nouveaux moyens de contrôle


Il s’agit de la procédure d’alerte et de l’expertise de gestion.

Paragraphe I : La procédure d’alerte


L’actionnaire dispose, en permanence, d’une prérogative d’information décrite par les
articles 525 et 526 AUSCGIE. Ce droit à l’information va se réaliser par l’exercice d’un droit
de communication. En vertu de ces dispositions, tout actionnaire peut, à toute époque, mais

23
A titre de jurisprudence comparée : Etats-Unis, Intangibilité des pouvoirs du conseil d’administration et
nullité des modifications statutaires à une majorité qualifiée. Le conseil d’administration (board of
directors) ne peut pas être dépouillé de ses pouvoirs au profit du président ; la décision qui investit le
président des pouvoirs du conseil est nulle, en conséquence, le président ne peut se prévaloir de la
modification statutaire qui l’a investi de ces pouvoirs, pour agir au nom de la société afin d’empêcher sa
dissolution demandée par les autres associés, pour expiration de la durée de la société (Roach & The Legal
Center, Inc. v. Bynum, Supreme Court of Alabama, 403 So. 2d 187 (1981)).
France, Caractère collégial du conseil d’administration. En tant qu’organe collégial, le conseil
d’administration dispose de pouvoirs ou autorisation qui sont conférés indépendamment de la personnalité de
ses membres et qui sont transmis aux nouveaux administrateurs régulièrement nommés (CA, Paris, 13-4-
1934 : Sem. Jur. 1934. 846).
24
voir art. 528 AUSCGIE.
25
voir art. 520 AUSCGIE.

6
dans le respect de l’intérêt social, consulter au siège social les documents suivants : les
comptes annuels des trois derniers exercices et le cas échéant, les comptes consolidés ; la liste
des administrateurs ou des membres du directoire ; les rapports de gestion des organes
sociaux établis lors des trois dernières exercices ; les procès-verbaux et feuilles de présence
des Assemblées tenues dans la même période.

Tout refus de la société d’accéder à la demande faite par un actionnaire expose celle-ci à être
condamnée au paiement des dommages-intérêts.

De plus, l’associé qui n’aurait pu exercer son droit à l’information peut solliciter, en référé,
une mesure d’injonction judiciaire sous astreinte, ou la nomination d’un mandataire chargé de
procéder à la communication.26

Ce droit d’information permanent est utile, car il permet les comparaisons. Au même titre,
pendant toute l’année, tout actionnaire peut poser des questions écrites aux dirigeants, sur tout
fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, en application de l’article 526-3e
AUSCGIE.

Les actionnaires ont le droit de contrôler la gestion de la société. Aussi, ont-ils le droit à
l’information relativement à cette gestion.

Mais, l’information de l’actionnaire peut également se réaliser de façon occasionnelle et


préalablement à la tenue d’une assemblée. L’AUSCGIE a considérablement renforcé ce droit,
en instituant un dispositif d’alerte tendant à attirer l’attention des dirigeants sociaux sur
certains faits. Ainsi, les actionnaires, individuellement, peuvent, deux fois par exercice,
déclencher la procédure d’alerte, en posant par écrit des questions. Le dirigeant questionné
doit obligatoirement y répondre, et le commissaire aux comptes être informé des questions et
des réponses.27

La procédure d’alerte constitue une innovation fondamentale dans le droit des SA, par son
ampleur et par son audace.28

Audacieuse, car le « plus petit » des actionnaires pourra se permettre d’user de cette
procédure, en posant des questions.

A la différence du régime de la procédure d’alerte mis en œuvre par le commissaire aux


comptes, qui sera présenté ultérieurement, la loi ne permet pas aux actionnaires de saisir le
Conseil d’Administration ou le Conseil de surveillance, ni l’Assemblée Générale, si les
réponses à leurs questions ne leur donnent pas satisfaction.

Paragraphe II : L’expertise de gestion


Comme le souligne à juste titre M. H-D Modi Koko BEBEY,29 l’institution de l’expertise de
gestion est l’une des innovations les plus marquantes de la réforme du droit des sociétés
commerciales en Afrique. Elle répond au souci premier de garantir une information fiable et

26
Art. 528 AUSCGIE.
27
Art. 158 AUSCGIE.
28
Alain FENEON, « La mésentente entre les actionnaires dans les sociétés régies par l’Acte uniforme de
l’OHADA » in Penant n° 846, juillet-septembre 2004, pp. 265-279.
29
H-D Modi Koko BEBEY, « La réforme du droit des sociétés commerciales de l’OHADA » ; Rev. Soc. avril-
juin 2002,255.

7
nécessaire aux actionnaires minoritaires. Cette procédure, qui sort du contexte traditionnel de
l’information des actionnaires, s’intègre dans une procédure judiciaire. Il s’agit là, sans doute,
d’un moyen de faire respecter les droits des actionnaires minoritaires par une action
judiciaire.30

Les articles 159 et 160 de l’AUSCGIE ont non seulement organisé l’information légale, mais
également, prévu les cas où elle s’avérait insuffisante. Elle a donc les moyens d’information
supplémentaires des actionnaires. De plus, parfois, les dirigeants se montrent réticents à la
divulgation de certaines informations. Cette mesure était également vue dans la loi de 1966
sur les sociétés commerciales en France, comme un moyen de protection des minorités. Cette
disposition est destinée à prolonger le contrôle des commissaires aux comptes, auxquels toute
immixtion dans la gestion est interdite.

L’intérêt de cette expertise est l’obtention d’informations sur la gestion de la société, qui
permettront aux demandeurs d’apprécier l’opportunité de certains actes de gestion. La société
est le siège d’une multiplicité d’intérêts parfois divergents, qu’il importe de gérer au mieux,
pour un fonctionnement meilleur de l’entreprise.

L’expertise de gestion est un nouveau procédé de contrôle des sociétés anonymes, qui s’ajoute
à celui déjà existant par les commissaires aux comptes, avec lequel il ne fait pas double
emploi.31

A la différence de l’administrateur provisoire, qui est une création des juges, l’expert de
gestion est une création de la loi.32

La nomination d’un expert de gestion est subordonnée à un ensemble de conditions de fond


bien délimité. La recevabilité de la demande devrait s’apprécier au regard de la société, du
demandeur et enfin, des opérations de gestion en cause.

Nous examinerons tout d’abord, la qualité pour agir (A), ensuite, la mission de l’expert (B).

A.- La qualité pour solliciter une expertise de gestion


Alors que le législateur français, dans les articles L225-231et L223-37 du Code de commerce,
consacre l’expertise de gestion respectivement aux sociétés par actions et aux sociétés à
responsabilité limitée, l’AUSCGIE va plus loin que la loi du 24 juillet 1966, qui a inspiré ses
rédacteurs. Il institue une mesure d’application générale aux sociétés commerciales, sans
distinction aucune.

Ainsi donc, quel que soit le type de société,33 une expertise pourra être exercée.

Le droit de demander la désignation d’un expert est accordé à un ou plusieurs actionnaires. En


effet, à la différence de la législation française, qui donne qualité pour agir à d’autres
requérants, comme le Ministère public, le comité d’entreprise ou encore la Commission des

30
Alain FENEON, « Les droits des actionnaires minoritaires dans les sociétés commerciales de l’espace
OHADA » ; Penant 2002.153.
31
voir HOUIN, R.T.D. Com. 1970, p. 728 et 1972, p. 108.
32
Maurice COZIAN. Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, 20e éd., Litec, p. 192,
n° 400.
33
Sociétés de personnes et sociétés de capitaux.

8
Opérations de Bourse (COB),34 le législateur africain a estimé qu’il fallait réserver cette
prérogative aux seuls associés minoritaires.

Les actionnaires, pour avoir la qualité requise, doivent représenter au moins le cinquième du
capital social. Dans le cas contraire, il ne peut y avoir de demande d’expertise.35 Cependant,
les actionnaires peuvent se grouper sous quelque forme que ce soit, pour atteindre ce
minimum, selon l’article 159 AUSCGIE. La demande d’expertise est portée devant le
président de la juridiction compétente du siège social, qui pourra le cas échéant, désigner
l’expert.

Et elle devra être portée sur une ou plusieurs opérations de gestion36 et non sur la gestion de la
société dans son ensemble, c’est-à-dire un audit, ni sur la régularité des comptes sociaux.37 De
plus, la demande doit revêtir un critère sérieux38 et elle « n’est pas subordonnée à la preuve

34
Devenue avec la loi n° 2003-706 du 1er aout 2003 de sécurité financière, l’Autorité des Marchés Financiers.
35
Qualité pour agir : cinquième du capital social
Si l’article 159 AUSCGIE permet de solliciter une expertise de gestion, le ou les demandeurs doivent détenir
au moins le cinquième du capital social (TRHC Dakar, ord. réf. n° 901, 9-8-1999 : Hassane Yacine c/ Société
Nattes Industries, Ibrahima Yazback et autres, www.ohada.com/ohadata J-02-198, obs. J. ISSA-SAYEGH).
Un associé ayant des parts sociales représentant plus d’un cinquième du capital social peut demander avec
succès, une expertise de gestion des comptes. Partant, l’ordonnance qui accède à cette demande ne peut être
querellée (CA Abidjan, n° 376, 2-3-2004 : METALOCK PROCESS-CI SARL c/ TOURREGUITART
JORGE CLUSSELA, www.ohada.com/ohadata J-04-489); il en est de même pour des demandeurs « détenant
plus de la moitié du capital (TRHC Dakar, ord. réf. n° 1671, 23-12-2002 : Abdoulaye NDIAYE c/ Ndiouga
LO, www.ohada.com/ohadata J-03-186).
De même, un associé ou plusieurs associés ne peuvent demander une expertise de gestion, que s’ils
détiennent, seul ou en se groupant, un cinquième (soit 20%) du capital social. Un associé ne détenant que 8%
du capital social ne peut former une telle demande (CA Abidjan, Ch. civ. & com., 5e ch. A, n° 10, 2-1-2001 :
Polyclinique Avicenne c/ Bassit Assad, www.ohada.com/ohadata J-02-113, obs. J. ISSA-SAYEGH). Jugé
que l’expertise de gestion doit être ordonnée, dès lors qu’elle a été demandée par un associé détenant 49% du
capital social, qui se plaint de n’être pas informé de la vie sociale et doute de la sincérité et du sérieux des
résolutions prises en assemblée (TR Niamey, ord. réf. n° 245, 22-10-2002 : Abass HAMMOUD c/ Jacques-
Claude LACOUR et Dame Evelyne Dorothée FLAMBARD, www.ohada.com/ohadata J-04-80).
Compétence supplétive du juge des référés
L’article 159 AUSCGIE ne prévoyant pas expressément la compétence du juge des référés pour décider une
expertise de gestion, celui-ci ne peut être saisi qu’en cas d’urgence, selon l’article 257 du Code (sénégalais)
de procédure civile (TRHC Dakar, ord. réf. n° 901, 9-8-1999 : Hassane Yacine c/ Société Nattes Industries,
Ibrahim Yazback et autres, www.ohada.com/ohadata J-02-198, obs. J. ISSA-SAYEGH).
36
Ne sont pas considérés comme des actes de gestion : la détermination de la rémunération du gérant d’une
société à responsabilité limitée par l’assemblée des associés ; elle le devient lorsque le gérant, par décision
unilatérale, prend l’initiative sans vote de l’assemblée, de s’attribuer un complément de rémunération
(gratification : Cass. com. 30-5-1989 : JCP.1990. II n° 21405, note Marteau-Petit).
Les actes relevant de la compétence des assemblées, ainsi le rachat des actions d’une société par les salariés
de celle-ci (Cass. com. 19-11-1991 : Bull. Joly 1992, p. 66 note Le Cannu), l’apport partiel d’actif soumis au
régime des scissions (Cass. com. 12-1-1993 : RJDA 2/93 n° 123 et CA Paris 4-9-1998 : Bull. Joly 1999,
p. 250 note Lucas).
En revanche, ont été qualifiés d’actes de gestion : les conventions réglementées, même déjà soumises à
l’assemblée générale des actionnaires (CA Versailles, 27-2-1997 : RJDA 7/97 n° 916 som. ; CA Paris, 205-
1998 : RJDA 11/98 n° 1237 ; CA Paris, 25-4-2002 : Dr. Sociétés 2002 n° 177 ; de même, Cass. com. 9-2-
1999 : RJDA 4/99 n° 426 relatif à une société à responsabilité limitée mais transposable) :
- les contrats d’approvisionnement conclus avec une autre société, principal fournisseur de la société et
l’associé majoritaire de la société à responsabilité limitée (Cass. com. 9-2-1999 : RJDA 4/99 n° 426).
37
Com. 29 novembre 1983, Rev. Soc. 1984. 314, note CHARTIER.
38
Paris, 09 décembre 1994, RJDA 6/95 n° 728.

9
que les organes sociaux aient méconnu l’intérêt de la société et détourner leur pouvoir de sa
finalité », car l’expertise tend justement à l’établissement de cette preuve.39

Une fois la demande d’expertise acceptée, le juge « détermine l’étendue de la mission et les
pouvoirs des experts ... ».40 Quant au choix, il est laissé à l’arbitrage du juge.

B.- La mission de l’expert


La mission de l’expert est assez librement définie par le juge. La personne désignée en tant
qu’expert n’est pas un mandataire de la minorité d’actionnaires demandeurs, chargée
d’enquêter pour le compte de celle-ci, sur la gestion de majorité, si l’expert est désigné par le
juge à la demande de la minorité des actionnaires. Il doit cependant accomplir la mission dans
l’intérêt de tous les actionnaires.

C’est pour toutes ces raisons que l’on a préféré le terme d’expertise pour la mission de
l’expert. La mission de l’expert consiste à compléter l’information des partenaires, de
mauvaises gestions ou plusieurs opérations de gestion dont la conformité à l’intérêt social est
douteuse. L’expertise, comme nous l’avons déjà évoqué, n’est pas une mesure de contrôle
subsidiaire. Elle vient plutôt en appoint au rôle du commissaire aux comptes, dont les
actionnaires ne reçoivent aucune information imparfaite, d’autant plus qu’il lui est interdit de
s’immiscer dans la gestion sociale et d’en apprécier ainsi l’opportunité.

L’expert, dans le cadre de sa mission, peut effectuer toutes investigations41 nécessaires auprès
des tiers, fournisseurs et clients de la société, à condition que l’opération à contrôler
corresponde à des accords avec ces tiers.42

La mission confiée à l’expert ne peut avoir un caractère général et imprécis, portant sur
l’ensemble du fonctionnement et de la gestion de la société.43

En ce qui concerne l’étendue de sa mission, elle relève, selon l’article 160, de la compétence
du juge. Malgré les pouvoirs que peut lui accorder le juge, l’expert peut se heurter à des
difficultés tenant à la résistance ou au refus des dirigeants sociaux de voir mener les
investigations.

En pareille circonstance, l’expert devra normalement s’adresser au juge qui l’a désigné, pour
obliger la société à mettre fin à cette réticence et permettre ainsi à l’expertise de se poursuivre.
A la fin de ses investigations, l’expert doit mettre les résultats par écrit, qui feront l’objet de
diffusion, en ce sens qu’ils ne sont pas destinés au juge. Ils sont plutôt adressés, selon
l’AUSCGIE, au demandeur, c’est-à-dire à l’actionnaire ou au groupe d’actionnaires qui a

39
voir Com. 15 juillet 1987 : Bull. IV, n° 193.
40
voir art. 160 AUSCGIE.
41
L’expert peut effectuer toutes investigations nécessaires auprès des tiers, fournisseurs et clients de la société,
à condition que l’opération à contrôler corresponde à des accords avec ces tiers (CA Paris, 27-11-1979,
inédit).
L’expertise, comparable à une expertise judiciaire, doit être conduite en la présence des parties ;
l’expert peut cependant effectuer seul des contrôles de la comptabilité, sans information du
demandeur, mais à la condition que le rapport final renferme toutes les informations utiles à la ou les
opérations de gestion concernées (Cass. com. 26-11-1996 : RJDA 3/97 n° 368).
42
C.A. Paris, 27 novembre 1979, inédit.
43
Cass. com. 25 mars 1974, JCP, 1974. II. 17853, note CHARTIER, Rev. Sociétés 1975, 98, note HEMARD in
Dominique VIDAL, Droit des sociétés, 5e éd., LGDJ, n° 762, p. 373.

10
introduit l’instance, aux organes de gestion, de direction ou d’administration. Il va sans dire
que l’expert adresse directement son rapport au demandeur, à la différence du droit français,
qui oblige l’expert à déposer au greffe son rapport. Le greffier en assure la communication, le
rapport est adressé au demandeur, au Ministère Public, au comité d’entreprise, aux dirigeants,
le cas échéant, à la COB, et doit en outre être annexé à celui établi par les commissaires aux
comptes, en vue de la prochaine assemblée générale.44 Notons par ailleurs, qu’un arrêt a
décidé que l’expert ne peut se faire assister ni représenter par tel collaborateur de son choix.45
Et il doit se dérouler selon le principe du contradictoire, sans pour autant que l’expert ait à
communiquer, au cours de l’expertise, toutes ses constatations dans la comptabilité et les
documents remis en consultation par la société.46 Il convient de préciser que le rapport
d’expertise est normalement sanctionné par un vote à l’assemblée ; il peut, par ailleurs,
donner lieu au déclenchement d’une action an abus de majorité ou en responsabilité civile. Il
peut même déboucher sur une responsabilité pénale contre les dirigeants sociaux, s’il est
révélé des faits délictueux.

Pour terminer, il convient de noter que l’expertise est le couronnement de toutes les actions de
contrôle applicables dans la SA.

Elle est l’instrument qui vient étayer tous les soupçons de mauvaise gestion ou les cas
d’irrégularité déjà relevés par les organes sociaux. Toutefois, elle n’est pas sans limites. Son
utilité est plus que manifeste en raison de la diversité et de la contradiction des intérêts en
présence dans la société.

SECTION II : Les limites des nouveaux moyens


Les mécanismes de prévention consistent, en amont de la cessation des paiements, à repérer
tout indice de crise susceptible d’enliser le fonctionnement de l’entreprise et de le résoudre le
plus tôt possible.

Pour ce faire, il existe deux procédures majeures, comme susmentionné, permettant la


réalisation de cet objectif : la procédure d’alerte et la procédure d’expertise de gestion. Ces
deux procédures dont l’utilité ne fait pas de doute, comportent toutefois des limites.

Paragraphe I : La procédure d’alerte


Les actionnaires ne jouent pas un rôle de proue dans la prévention des difficultés des
entreprises. Ils sont « les parents pauvres de la prévention des difficultés ». Cette situation est
étonnante, car l’intérêt des associés à la bonne marche de l’entreprise n’est plus à démontrer.47

Cependant, ils peuvent tout de même mettre en œuvre l’alerte et l’expertise de gestion, en cas
de nécessité. Ces procédures permettent aux associés, d’attirer l’attention des dirigeants sur
une gestion anormale. Seulement, plusieurs raisons peuvent nous amener à douter de leur
efficacité, que ce soit au niveau de l’alerte ou de l’expertise.

Les associés ont le droit de s’informer de temps à autre sur la gestion de la société. Ils peuvent
à cet effet, consulter au siège social, dans les limites fixées par la loi, tous les documents et
pièces comptables susceptibles de leur fournir des renseignements exacts sur la situation de
44
Dominique VIDAL, op. cit. n° 764, p. 374.
45
Orléans, 22 novembre 1971, JCP 1972, II, 17154, note GUYON.
46
Cass. com. 26 nov. 1996. Dr. sociétés, janv.1997, n° 13, note VIDAL.
47
GUYON (Y), Droit des affaires, t. 2 préc., p. 61.

11
l’entreprise. Ils ont donc en principe, une parfaite connaissance des difficultés qui peuvent
affecter l’entreprise. A l’instar des commissaires aux comptes, ils peuvent valablement
demander des explications aux dirigeants, lorsqu’ils relèvent des faits de nature à
compromettre la continuité de l’exploitation. C’est le droit d’alerte des associés, prévu aux
articles 157 et suivants de l’AUSCGIE, et dont la possibilité de mise en œuvre a été largement
restreinte par le législateur.

En effet, il se caractérise par son caractère facultatif (A) et limitatif (B).

A.- Le caractère facultatif


Facultatif, car tout associé ou tout actionnaire peut adresser par écrit, des questions au gérant
ou au principal dirigeant de la SA, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de
l’exploitation. Ces dispositions des articles 157 et 158 de l’AUSCGIE comportent certes des
innovations louables, mais il n’en demeure pas moins que son caractère facultatif constitue
l’une de ses principales limites.

En effet, des articles précités, il ressort que les associés ont simplement la faculté et non le
devoir de déclencher l’alerte. Cette faculté se traduit clairement par l’utilisation dans ces
articles, du verbe « pouvoir » et non « devoir ». C’est dire qu’à la différence des commissaires
aux comptes, les associés ne sont pas obligatoirement tenus, en cas de constat des indices de
difficulté, de mettre en branle la procédure d’alerte. On peut alors penser qu’ils ne se
préoccuperont véritablement de l’alerte que, lorsqu’ils sentiront leurs intérêts véritablement
menacés ou alors, dans les sociétés où il n’existe pas de commissaires aux comptes.

La conséquence logique de cette faculté est que les associés ne pourront en aucun cas voir
leur responsabilité engagée, en cas d’abstention. Tout au plus, pourraient-ils, en cas de dégâts,
subir personnellement des remords. Inversement, leur responsabilité ne pourra être engagée
pour alerte non fondée. Aussi, peut-on craindre des actions menées par simple complaisance
ou de manière irresponsable. C’est certainement pour éviter des actions superflues que, le
législateur a limité les possibilités d’alerte par les associés, ce qui n’est pas de nature à
favoriser son efficacité.

B.- Le caractère limité


Limité, car les difficultés peuvent apparaître dans l’entreprise à tout moment de sa vie. Tout
comme les faits « de nature à compromettre la continuité de l’exploitation » peuvent se
manifester toutes les fois qu’un acte inopportun est posé par les dirigeants, ou encore lorsque
l’environnement juridique ou économique de la société est négativement influencé.

Ils ne sont donc pas a priori, appelés à être numériquement limités. Or, contrairement aux
commissaires aux comptes, qui doivent déclencher l’alerte toutes les fois que la situation de
l’entreprise est préoccupante, les associés ne peuvent exercer leur pouvoir d’alerte que deux
fois par exercice. Au-delà, l’associé n’est plus recevable à poser par écrit des questions aux
dirigeants, sauf à l’occasion des assemblées générales. Cette limitation des pouvoirs de
contrôle de la société par les associés est assez curieuse, quand on sait que dans plusieurs
sociétés, il n’existe pas de commissaires aux comptes chargés d’assurer un contrôle suivi des
comptes.

Les associés n’ont donc pas « les mains libres » comme les commissaires aux comptes en
matière d’alerte. A la différence de ces derniers, qui ont le pouvoir d’inviter les dirigeants de

12
la société anonyme à faire délibérer le conseil d’administration ou l’administrateur général à
se prononcer sur les faits relevés en cas d’insatisfaction,48 les associés n’ont nullement cette
possibilité. Bien plus, le commissaire aux comptes peut établir un rapport spécial qui est
présenté à la prochaine assemblée générale, en cas d’inobservation par les dirigeants, de leurs
obligations face à l’alerte, ou si en dépit des décisions prises, la continuité de l’exploitation
reste compromise. Toutes choses que l’associé ne peut décider dans le cadre de l’exercice de
son droit d’alerte. Tout au plus, devra-t-il obligatoirement passer par le commissaire aux
comptes, s’il veut aboutir à de tels résultats. Ceci résulte de ce qu’il est tenu d’adresser une
copie de la question et de sa réponse au commissaire, s’il en existe. On peut donc penser que
les commissaires aux comptes ont un droit de regard sur les résultats de l’alerte obtenus par
les associés, dans la mesure où ils ne convoqueront le conseil d’administration ou l’assemblée
générale qu’après s’être assurés de la réalité de la menace.

En définitive, la procédure d’alerte par les actionnaires est d’une efficacité limitée. Il est à
craindre qu’elle ne permette, en fin de compte, à l’associé que de prendre acte, en montrant
qu’il a eu connaissance des difficultés qu’a rencontrés l’entreprise à un moment donné.
L’efficacité de l’alerte est donc finalement très restreinte au même titre que l’expertise de
gestion.

Paragraphe II : L’expertise de gestion


L’AUSCGIE a institué une nouvelle mesure d’information d’une importance capitale :
l’expertise de gestion. Elle constitue à côté de l’alerte, une mesure supplémentaire de
détection des difficultés des entreprises, reconnue aux associés. Elle présente cependant de
nombreuses limites, rendant difficile sa mise en œuvre, qu’il conviendrait de mettre en
exergue.

Elles sont liées à l’intrusion des tiers dans la société (A) et à l’absence de célérité de la
procédure (B).

A.- L’intrusion des tiers dans la société


L’un des inconvénients majeurs de l’expertise de gestion, est qu’elle entraîne une intrusion
flagrante de la justice dans la société. Le juge dispose en la matière, d’une faculté totale
d’appréciation. Mais, il ne doit en aucun cas se faire juge des opérations de gestion critiquées
et de l’évolution financière de la société.

Il doit se borner à apprécier s’il y a lieu ou non de faire droit à la demande. Après avoir
désigné l’expert, il se charge ensuite de circonscrire l’étendue de sa mission. A l’évidence, eu
égard au caractère flexible de la notion d’opération de gestion, le juge sera porté à l’étendre à
souhait, et en fonction des circonstances.

A l’instar du juge français, nul doute que par ses décisions, il apportera plus de précisions au
domaine de l’expertise de gestion.49

48
voir article 155 AUSCGIE.
49
En France, certaines décisions du juge ont été taxées d’audacieuses par la doctrine. Ce fut notamment le cas,
quand la Cour de cassation a admis que la mission de l’expert s’étende selon le cas, à plusieurs sociétés d’un
même groupe (voir Cass. Com. 10 mai 1988, Bull. Civ. IV, n° 160, p. 111, cité par CHARTIER (Y), Droit
des affaires : sociétés commerciales, t.2, PUF, 1985, p. 337.

13
Pour l’accomplissement de cette mission, l’expert dispose d’un droit d’accès à tous les
documents de la société qui peuvent lui être utiles. Le secret des affaires ne lui est donc pas
opposé. Par conséquent, bien que l’expert soit lui-même astreint au secret professionnel, les
risques d’indiscrétion ne sont pas à négliger.

Dans la même logique, il convient de relever avec la jurisprudence française que, l’expertise
de gestion « peut nuire au crédit de la société par le doute qu’elle fait planer sur une
opération sociale ».50 La mesure est en effet rapidement connue du public, de par
l’intervention des autorités judiciaires.

Par ailleurs, la procédure d’expertise de gestion se caractérise souvent par sa lenteur.

Quid de l’absence de célérité de la procédure ?

B.- L’absence de célérité de la procédure


De l’article 159 précité, il ressort que la demande d’expertise est adressée au président de la
juridiction compétente du siège social. Cette prescription est à n’en point douter, destinée à
permettre à la mesure d’être prise rapidement. Cela peut aisément se comprendre, dans la
mesure où la gestion déplorée par les associés peut être de nature à se dégrader rapidement.
Curieusement cependant, le législateur n’a cru devoir expressément soumettre la demande
d’expertise de gestion à la procédure d’urgence. Pour que le juge statue en référé, il revient à
l’associé de prouver l’existence de l’urgence. A défaut, le président du tribunal saisi, pourra se
déclarer incompétent et renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir.51

Une institutionnalisation expresse de la procédure de référé en la matière aurait permis


d’écarter tout doute dans l’esprit des associés et surtout, des juges.

Quand bien même le juge de référé est saisi, les décisions n’interviennent pas assez
rapidement. Une analyse de la jurisprudence dans l’espace OHADA révèle que les décisions
interviennent souvent une année après l’introduction de la demande. Dans une espèce soumise
à la Cour d’appel d’Abidjan, l’exploit avait été formé le 12 janvier 2000, en contestation
d’une décision qui en premier ressort, rejetait l’expertise de gestion, la décision du juge
d’appel n’intervint finalement que le 02 janvier 2001.52

L’arrêt ayant infirmé la décision du premier juge, on est en droit de se demander quel est
l’intérêt de la mesure prise un an après la demande.

Dans les autres cas, la décision intervient plus d’un mois après l’introduction de la demande.53

L’expertise de gestion est donc en réalité une procédure assez longue, alors que toutes les
procédures de détection des difficultés doivent être rapides.

50
Paris, 12 janvier 1977, JCP, 1978, II, 1823, note CHARTIER.
51
voir Tribunal régional hors classe de Dakar, ordonnance de référé n° 901, du 9 août 1999, affaire Hassane
Yacine c/ Société Nattes Industries, Ibrahim Yazback et autres, http://wwvv.ohada.com/ohadata J-02-198.

52
voir CA d’Abidjan, cinquième chambre civile, arrêt n° 10 du 02 janvier 2001, affaire Polyclinique Avicenne
c/ Bassit Assad, http://www.ohada.com/ohadata J-02-113.
53
voir Tribunal régional de Niamey, où la décision a été rendue le 22 octobre 2002 en faveur d’une demande
introduite le 09 septembre 2002 ; CA d’Abidjan, arrêt n° 376 du 02 mars 2004, affaire Matalock Process-CI
SARL c/ Tourreguitart Clussela, http://www.ohada.com/ohadata J-04-489.

14
En définitive, le caractère restrictif de ces techniques de détection des difficultés des
entreprises ne permet de contrer qu’une partie des difficultés que connaît l’entreprise. Le plus
souvent, compte tenu de la nature des organes destinés à user de ces mesures, la détection
n’est véritablement mise en œuvre que lorsque les signes des défaillances sont déjà visibles.
Pourtant, l’aspect invisible peut être plus profond. Il est donc nécessaire, pour une plus grande
appréhension des signes tant visibles qu’invisibles des difficultés qui pourraient affecter
l’entreprise, que le système soit nettement amélioré. D’où la présence d’un contrôle externe.

CHAPITRE II : LE CONTROLE EXTERNE


La gestion d’une société anonyme se trouve, comme nous l’avons déjà évoqué, au carrefour
d’intérêts parfois divergents. Elle n’intéresse pas que les actionnaires. Ainsi, la nécessité
d’exercer un contrôle technique réalisé par les professionnels se fait sentir. C’est en se sens
que le législateur OHADA a renforcé le contrôle, en plus du contrôle interne, plus
précisément, le contrôle de la gestion exercé par le PCA, un autre contrôle à été institué
appelé contrôle externe. Il attache une importance particulière à l’institution de commissaires
aux comptes et frappe de nullité toute délibération prise à défaut de désignation du
commissaire aux comptes.54

Dans les SA, la désignation d’un commissaire aux comptes est obligatoire.55

A la suite du constat de l’implication des commissaires aux comptes dans plusieurs scandales
financiers, la loi du 1er août 2003 de sécurité financière en France a renforcé les exigences
pesant sur les contrôleurs.

Les commissaires aux comptes sont des professionnels chargés de contrôler la comptabilité de
la société, de la certifier, et plus généralement, de vérifier que la vie sociale se déroule dans
des conditions régulières.56

L’approbation des comptes établis par le Conseil d’Administration, relève de l’assemblée des
actionnaires. Or, ceux-ci ne sont pas en mesure, en raison de leur manque de temps et de
compétences, de s’assurer que les comptes constituent une image fidèle des affaires sociales ;
c’est pourquoi, un spécialiste a été chargé par la loi, de vérifier les comptes au nom de
l’assemblée.

L’utilité de l’organe de contrôle que constitue le commissaire aux comptes est indéniable. Elle
se constate à plusieurs niveaux.

D’abord, il n’est pas douteux que le contrôle soit organisé dans l’intérêt des actionnaires. Par
ce moyen, ceux-ci sont mis dans la possibilité, lors des assemblées générales, de voter
l’approbation ou le rejet des comptes, en connaissances de cause. Par la même occasion, ils
peuvent également se fier aux informations fournies par les dirigeants, puisque certifiées par
un professionnel. Ceci revêt un intérêt tout particulier pour les actionnaires minoritaires, qui
sont facilement enclins à soupçonner les dirigeants de méconnaître leurs intérêts au profit de
la majorité.

54
Art. 701 AUSCGIE.
55
Art. 694 AUSCGIE.
56
Art. 710 et 716 AUSCGIE.

15
Le contrôle présente aussi un intérêt certain pour les dirigeants. Ceux-ci peuvent puiser dans
ses rapports et observations, des enseignements précieux sur leurs erreurs, lacunes,
maladresses de gestion et d’établissement des comptes sociaux, et de là, trouver les moyens
de redresser la situation.

Le contrôle des comptes est aussi précieux pour les salariés, dans la mesure où, ils inclineront
plus volontiers à faire confiance à l’appréciation des comptes et la légalité des opérations de la
société par un professionnel extérieur, qui engage sa responsabilité personnelle, qu’aux
dirigeants eux-mêmes. Il en sera encore ainsi pour les partenaires extérieurs de la société (les
tiers). C’est par exemple les banquiers, les fournisseurs, les clients, bref, tous les
cocontractants apprécieront les comptes sociaux qui leur sont communiqués après la
certification du commissaire.

Le contrôle est enfin utile pour l’épargne publique. En effet, celle-ci ne peut s’investir dans
les sociétés, que dans la mesure où les épargnants ont confiance en la sincérité et la régularité
des comptes.

Ainsi, le fait que les documents aient été certifiés par un commissaire aux comptes, leur
confère une force considérable.57

Il ne faut pas confondre le commissaire aux comptes, qui vérifie les comptes, avec le
comptable salarié, qui les établit, ou avec l’expert-comptable, qui les révise.

Le commissaire aux comptes n’est pas non plus un organe de gestion, ce qui le différencie du
conseil d’administration. Il ne doit donc pas s’immiscer dans la gestion de la société. Les
rapports du commissaire avec la société sont institutionnels, puisque les compétences qui lui
sont reconnues par la loi ne sont pas négociables. Il n’est pas chargé d’accomplir des actes
juridiques, mais seulement des opérations matérielles de vérification ; il n’est pas librement
révocable par l’assemblée générale qui l’a élu, et il est responsable vis-à-vis de la société,
mais également à l’égard des tiers.

On doit trouver au moins un commissaire aux comptes dans toute SA, quelle que soit
l’importance de son capital. Le commissaire aux comptes est donc un organe de contrôle
externe de la SA ; il convient alors, de s’interroger sur l’efficacité de cet organe.

L’accroissement du contrôle interne s’est fait suivre de celui du contrôle externe ; en


réglementant avec plus de rigueur le statut du commissaire aux comptes (Section I) et en lui
conférant de nouvelles missions (Section II).

SECTION I : Le perfectionnement du statut du commissaire aux comptes


La désignation du commissaire aux comptes est toujours obligatoire dans la société. Mais,
contrairement au passé, seuls les experts comptables agrées par l’ordre ivoirien peuvent
exercer les fonctions de commissaires aux comptes.58

Les célèbres affaires telles Enron, Tyco ou France Télécom ont montré les faiblesses d’un
système qui était précisément censé empêcher leur survenance. L’analyse de ces affaires met
en cause les auditeurs légaux.

57
Art. 711 AUSCGIE.
58
voir art. 695 AUSCGIE.

16
C’est pourquoi, désormais, ceux qui exercent ces fonctions ont une indépendance accrue
(Paragraphe I), et leur nomination est soumise à de nouvelles règles (Paragraphe II).

Paragraphe I : L’indépendance du commissaire aux comptes, gage d’un contrôle


rigoureux
Le commissaire aux comptes est défini comme « un organe neutre et indépendant appelé à
vérifier que les informations d’ordre comptable émises par la société sont dignes de foi
(...) ».59

Il est donc un professionnel extérieur et indépendant à la société.

Cette indépendance est le fondement de tout contrôle efficace des comptes car, comme le
souligne Yves CHAPUT, « le commissaire est rémunéré pour critiquer éventuellement ceux
qui l’ont désigné ».60 D’où la nécessité de confier la mission de contrôle des comptes à des
professionnels indépendants, qui ne sont pas en état de subordination à l’égard des décideurs
choisissant de s’adresser à eux. La loi impose aux commissaires, de signaler l’irrégularité
qu’ils découvrent au cours de leur mission ; elle doit en contrepartie, les garantir contre les
mesures de rétorsion que risquent de prendre les dirigeants mécontents. De plus, les
affirmations qu’émettent les commissaires aux comptes font autorité à l’égard d’un grand
nombre de personnes : dirigeants, actionnaires, créanciers sociaux, salariés, administrateurs.

Cette mission nécessite donc de la part des commissaires, à la fois indépendance et


objectivité.

Pour garantir son indépendance, sa liberté et sa crédibilité, l’OHADA édicte des


incompatibilités aux articles 697 et suivants AUSCGIE.

Ce sont, d’une part, les incompatibilités générales (A), et d’autre part, les incompatibilités
spéciales (B).

A.- Les incompatibilités générales


Les incompatibilités générales ou encore les incompatibilités directes se fondent d’une part,
sur l’idée que le contrôleur et le contrôlé ne sauraient être la même personne.

Le contrôleur ne saurait aussi donc être choisi parmi les dirigeants de la société, sinon le
contrôle serait illusoire. Car, l’AUSCGIE61 prescrit que les fondateurs, apporteurs, dirigeants
sociaux de sociétés possédant le dixième du capital de la société ou dont celle-ci possède le
dixième du capital ne peuvent exercer les fonctions de commissaire aux comptes. Dans cette
même veine et par souci d’extension, le commissaire aux comptes ne peut être nommé
administrateur général, administrateur général adjoint, directeur général ou directeur général
adjoint des sociétés qu’il contrôlait moins de cinq années après la cessation de sa mission de
contrôle de ladite société.62 A l’inverse de l’article 699, l’article 700 AUSCGIE énonce que,
les personnes qui ont été administrateur, administrateur général, administrateur général
adjoint, directeur général ou directeur général adjoint, ainsi que les gérants ou salariés d’une

59
GARAUD (E), Jurisclasseur commercial, Fasc. 1085 : Commissaires aux Comptes, 2002, p. 3 n° 1.
60
CHAPUT (Y), Le commissaire aux comptes, partenaire de l’entreprise, Presses Sciences Po / CREDA, 1999.
61
voir article 698 AUSCGIE.
62
voir article 699 AUSCGIE.

17
société ne peuvent être nommées commissaires aux comptes, moins de cinq années après la
cessation de leur fonction dans ladite société.

D’autre part, il faut empêcher que le contrôleur soit sous la dépendance du contrôlé ; ne
peuvent donc être nommées commissaires aux comptes, les personnes qui reçoivent de la
société, une rémunération quelconque.63

Cependant, cette incompatibilité connaît quelques exceptions. En effet, elle n’est pas
applicable aux rémunérations correspondantes à des activités complémentaires effectuées à
l’étranger, ou à des révisions opérées dans les sociétés du même groupe. Elle ne s’applique
non plus aux rémunérations consécutives aux activités d’enseignement se rattachant à
l’exercice de la profession, celles octroyées pour l’emploi chez un autre commissaire aux
comptes ou chez un expert comptable.

B.- Les incompatibilités spéciales


Concernant les incompatibilités spéciales ou les incompatibilités indirectes, elles empêchent
de contourner l’incompatibilité directe, par le recours à un conjoint, un proche ou un associé
exerçant dans une même société professionnelle de commissaires aux comptes.64

Selon l’incompatibilité fondée sur le lien de parenté ou de l’alliance dont fait mention
l’article 698 paragraphe 2 de l’AUSCGIE, ne peuvent être commissaires aux comptes, les
parents et alliés, jusqu’au quatrième degré. Il semble logique d’admettre ici que,
l’incompatibilité procédant de l’alliance cesse, dès lors que le mariage qui produisait
l’alliance a été dissout soit par le divorce ou par le décès de l’époux.

Il faut souligner que ces incompatibilités sont d’interprétation stricte, leur méconnaissance
entraîne la nullité de la désignation et expose le commissaire à des sanctions pénales.

Le commissaire aux comptes est en principe désigné par l’AGO ; cependant, celle-ci est
généralement dominée par les dirigeants qui proposent la désignation ou le renouvellement du
commissaire chargé de contrôler. Cette anomalie, qui est susceptible de porter atteinte à
l’indépendance des commissaires, est difficile à éviter, à moins d’instaurer un contrôle
judicaire systématique des désignations.

Quant à la cessation des fonctions, différentes mesures sont également prises pour assurer
l’autonomie des contrôleurs. La durée de leur mandat est fixée à six exercices, et ils sont
indéfiniment rééligibles par l’assemblée générale des actionnaires.

De plus, c’est seulement par décisions de justice qu’un commissaire aux comptes peut être
révoqué avant l’expiration normale de ses fonctions, la révocation ad nutum étant exclue. De
cette façon, le juge peut contrôler la légitimité des motifs avancés par le demandeur, la
révocation ne peut donc intervenir de façon arbitraire, sur simple volonté des dirigeants. Elle
suppose une faute ou un empêchement.

Il ressort de l’art. 731 AUSCGIE que, l’action en révocation ou en relèvement peut être
intentée soit par les dirigeants, soit par l’assemblée générale, soit par des actionnaires
minoritaires représentant au moins cinq pour cent du capital social.

63
voir article 698 paragraphe 4 AUSCGIE.
64
voir Bull. Com. Nat. des commissaires aux comptes, 1985, 258.

18
Le commissaire aux comptes peut encore faire l’objet d’une récusation,65 cette dernière
permet d’écarter un commissaire suspecté de manque de compétences ou surtout,
d’impartialité et d’indépendance à l’égard des actionnaires majoritaires et des dirigeants.

Paragraphe II : L’adoption de nouvelles règles de nomination du commissaire aux


comptes
L’Acte uniforme fixe le seuil du nombre de commissaires aux comptes pouvant être désignés
dans une société anonyme. Ce nombre varie selon le type de société anonyme. Dans la SA ne
faisant pas appel public à l’épargne, il doit être désigné un commissaire au comptes et un
suppléant. Quant aux sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne, elles sont tenues
d’avoir au moins deux commissaires aux comptes et deux suppléants.66 L’institution du
commissaire aux comptes suppléant est nouvelle. Il s’agit pour l’essentiel, de remédier à la
défaillance du titulaire du poste,67 vu l’importance de la présence du commissaire aux
comptes dans la société.

Comme pour les administrateurs, le mode de désignation du commissaire aux comptes varie
selon que la société se trouve en période de formation ou qu’elle a déjà été formée.

A la constitution de la société, les premiers commissaires aux comptes sont désignés dans les
statuts ou par l’assemblée générale constitutive, pour une durée de deux exercices sociaux.

En cours de vie sociale, la nomination des commissaires aux comptes relève de la compétence
de l’assemblée générale ordinaire. La durée du mandat dans ce cas, est de six exercices
sociaux. Le législateur africain, à la différence de son homologue français, a préféré six au
lieu de trois exercices.

Comme autrefois, le commissaire aux comptes peut être désigné judiciairement. Cependant,
l’initiative de la demande en justice n’est plus ouverte à tout intéressé, mais est plutôt réservée
aux seuls actionnaires.

Désormais, au lieu des administrateurs, c’est le président du conseil d’administration, le


président directeur général, ou l’administrateur général qui sera dûment appelé à l’occasion de
la demande.68 Par ailleurs, encourent une sanction pénale, les dirigeants sociaux qui n’auraient
pas provoqué la désignation des commissaires aux comptes de la société, ou ne les auraient
pas convoqués aux assemblées générales.69

Traitons maintenant des nouvelles missions du commissaire aux comptes.

SECTION II : Les nouvelles missions du commissaire aux comptes

65
La récusation représente la contre-épreuve de l’indépendance du commissaire aux comptes, une procédure
implicite de vérification, par chacun des partenaires de l’entreprise sociale, que le commissaire désigné
présente toute garantie d’indépendance. Dominique VIDAL, Droit des sociétés, 5e éd., LGDJ, n° 645
pp. 329-330.
66
voir article 702 AUSCGIE.
67
voir articles 728 et suivants AUSCGIE.
68
voir article 708 AUSCGIE.
69
voir article 898 AUSCGIE.

19
La mission primordiale des commissaires aux comptes consiste à vérifier la pertinence des
comptes de l’exercice tels qu’ils ont été arrêtés par les dirigeants et tels qu’ils seront soumis à
l’approbation de l’assemblée des actionnaires.

Ils sont investis d’une mission permanente de contrôle de la situation comptable et financière
de la société, à l’exclusion de toute immixtion dans la gestion, comme l’énoncent les Actes
uniformes portant sur les sociétés commerciales, à l’art. 712. Ils doivent donc, à toute époque
de l’année, s’assurer de l’absence d’anomalies dans la vie sociale traduite en chiffres ; ce qui
les amène à contrôler la régularité, la sincérité, la fidélité des comptes sociaux, à vérifier les
valeurs et écritures comptables de la société, et enfin, à examiner la pertinence et la
concordance avec les comptes annuels, des informations figurant dans le rapport des
dirigeants ou les documents adressés aux associés.

Le commissaire aux comptes doit donc vérifier que les comptes de l’exercice sont réguliers,
sincères et propres à donner une image fidèle de l’entreprise.

La régularité est la conformité aux différentes dispositions législatives et réglementaires


générales et plus particulièrement, celles applicables à la comptabilité.

Il est question principalement, pour le commissaire aux comptes, de relever le non-respect


d’obligations classiques imposées par le droit des sociétés, telles que la convocation des
assemblées, la publication des comptes, l’établissement de documents prévisionnels.

L’exemple qui illustre cela est le rapport de commissaire aux comptes de la BCDI, dans
lequel le commissaire, ERNST & YOUNG, a constaté qu’il y a eu la non-conformité aux
instructions de la BNR ; notamment, la Banque n’avait pas respecté l’instruction 05/2000 de
la BNR.

Cette dernière exige que les banques et les institutions financières maintiennent au maximum,
un ratio de 75 % entre les valeurs nettes des immobilisations corporelles et incorporelles, ainsi
que les titres de participation et les fonds propres bruts. La Banque n’a pas également dans les
trois derniers exercices déclarés, des dividendes, à cause de la constitution des réserves.70

En somme, le commissaire doit s’assurer que les comptes ont été dressés conformément aux
dispositions de la loi comptable71 et du plan comptable général (SYSCOA-OHADA),72
complétés ou modifiés, le cas échéant, par les directives des plans comptables professionnels
et les dispositions fiscales en vigueur.

Les comptes ne doivent pas comporter d’omissions. Le commissaire doit s’assurer qu’ont été
respectés trois grands principes :
• la prudence, qui est définie comme l’appréciation raisonnable des faits, afin d’éviter
le risque de transferts, sur l’avenir, d’incertitudes présentes susceptibles de grever le
patrimoine et les résultats de la société ;
• la spécialisation des exercices, qui interdit d’enregistrer les charges et produits sur
une autre année comptable que celle les ayant vus naître ;

70
ERNST & YOUNG, Rapport des auditeurs indépendants aux membres de la banque, in Rapport annuel de la
BCDI S.A, 2003 ; voir www.winne.com/rwanda/too2.html.
71
Il s’agit du règlement relatif au droit comptable dans les Etats de l’UEMOA du 1er janvier 1998.
72
Système Comptable Ouest-Africain et les Actes uniformes portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises du 1er janvier 2001.

20
• enfin, la constance des méthodes, qui s’oppose à tout changement intempestif, d’un
exercice à l’autre, de la présentation des comptes ou techniques d’évaluation retenues
pas la société.

La sincérité est l’expression claire de la situation sociale, dont l’établissement a été opéré avec
bonne foi et loyauté.

Les dirigeants, soucieux de traduire la réalité, ont dû procéder à des évaluations correctes et
ont apprécié raisonnablement les risques comme les dépréciations.

La sincérité amène à préciser les règles qui ont été suivies dans l’établissement des documents
comptables, en attirant l’attention sur les résultats, parfois inhabituels, auxquels elles peuvent
aboutir.

Les comptes sincères ne sont donc pas forcement des comptes exacts, mais ce sont des
comptes établis de manière claire, avec loyauté et bonne foi.

Enfin, les comptes sociaux doivent donner une image fidèle des résultats de l’exercice et de la
situation de la société. L’information fidèle est celle qui ne dénature pas la situation de
l’entreprise, qui en donne une représentation cohérente et permet donc de bien mesurer les
risques financiers courus par la société. La régularité, la sincérité et la fidélité ne sont que le
reflet d’une situation qui peut être bonne ou mauvaise. Une société peut avoir des comptes
inexacts, tout en dégageant des bénéfices, ou des comptes exacts et être à la veille d’une
cessation des paiements.

Il doit cependant, examiner plus soigneusement les comptes qui révèlent des anomalies et
effectuer des vérifications d’autant plus approfondies que l’organisation comptable de la
société laisse à désirer.

Par ailleurs, le commissaire vérifie également la sincérité des informations que renferment les
rapports présentés à l’assemblée, par les organes de direction. Le contrôle porte uniquement
sur les indications ayant un caractère comptable ou financier. Pour l’essentiel, le commissaire
s’assure que les chiffres mentionnés dans le rapport sont en adéquation avec les données
apparaissant dans les comptes annuels. Le commissaire contrôle aussi les documents émanant
des dirigeants, destinés à être envoyés aux associés.

Ensuite, le commissaire certifie que les comptes sont sincères, réguliers et donnent une image
fidèle de la situation de la société.

La certification confère aux comptes, une force probante non négligeable. Les tiers peuvent
faire confiance à des comptes certifiés par un commissaire, alors que des comptes seulement
arrêtés par les dirigeants n’auraient qu’une fiabilité réduite.

Toutefois, le commissaire n’étant tenu que d’une obligation de moyens, la mise en jeu de sa
responsabilité nécessite la preuve que ses contrôles n’ont pas été menés avec la diligence
attendue d’un bon praticien.

Le commissaire doit refuser de certifier, lorsqu’il a constaté des irrégularités graves l’ayant
persuadé que les dirigeants veulent présenter à l’assemblée générale, des comptes qui donnent
une image profondément altérée de la situation de l’entreprise. Il est tenu d’indiquer les motifs
qui l’on amené à ne pas certifier.

21
Le commissaire présente un rapport à l’assemblée des actionnaires, appelée à se prononcer sur
les comptes de l’exercice. Ce rapport a une valeur indicative : l’assemblée peut approuver les
comptes alors que le commissaire les estime irréguliers.

Outre cette mission de contrôle des comptes et d’informations destinées aux associés, le
commissaire aux comptes se voit attribuer par les Actes uniformes, diverses autres missions.

L’Acte uniforme ne charge pas seulement le commissaire de certifier les comptes et les
informations communiquées aux associées. Il lui attribue des missions diverses, qui n’ont pas
toujours un aspect uniquement comptable ou financier. Ceci a l’avantage d’aboutir à un
contrôle plus global, mais risque également de détourner le commissaire de l’essentiel.

Ces missions nouvelles sont de différentes sortes : l’information, l’alerte, les contrôles.

Grâce aux renseignements recueillis dans l’exercice de leur mission de contrôle, les
commissaires remplissent une mission d’information. Ils doivent informer à titre principal,
l’assemblée générale des actionnaires, à laquelle ils présentent des rapports sur la situation de
la société et certains aspects de la vie sociale. Pour cela, les commissaires aux comptes
doivent être convoqués à toutes les assemblées d’actionnaires.

Ils y présentent deux types de rapports :


• le rapport général, qui est celui par lequel les commissaires relatent, à l’intention de
l’assemblée générale annuelle, l’accomplissement de leur mission de contrôle des
comptes ;
• mais, ils sont en outre tenus de présenter des rapports spéciaux sur certaines
situations au sujet desquelles la loi entend attirer particulièrement l’attention de
l’assemblée, et dont l’examen déborde la simple mission de contrôle des comptes. Il
s’agit, notamment, du rapport sur les conventions passées entre la société et un
administrateur, un directeur général, du rapport sur l’exercice du droit de
souscription, au cas d’augmentation du capital social, si les actionnaires sont invités
à renoncer collectivement à leur droit, du rapport sur le projet de réduction du capital
social, de transformation de la société, ainsi que du rapport sur l’ouverture d’options
d’achat ou de souscription d’actions ou de certificats d’investissement.

Par ailleurs, en vertu de l’article 716 AUSCGIE, il doit signaler, à la plus prochaine
assemblée générale, les irrégularités qu’il a relevées au cours de l’accomplissement de sa
mission.

Cependant, le commissaire n’a pas normalement pour rôle, d’informer les actionnaires, cette
mission incombe aux dirigeants. Il se borne donc à contrôler la qualité des informations
données par les dirigeants et à attirer l’attention des actionnaires sur certains faits qui risquent
de fausser les comptes, notamment les conventions conclues entre la société et ses dirigeants,
la modification des modes de présentation des comptes, le montant des sommes versées aux
personnes les mieux rémunérées.

En sortant de son rôle pour juger de l’opportunité de la gestion, le commissaire commettrait


une ingérence dans la conduite de la politique sociale, susceptible de justifier son relèvement.

Si le commissaire aux comptes n’a pas rédigé de rapport, il s’ensuit une nullité obligatoire
statuant sur les comptes de l’exercice.

22
Le commissaire aux comptes remplit également une mission d’information à l’égard des
dirigeants : il doit porter le résultat de ses investigations à la connaissance des dirigeants
sociaux.

Dans la continuité de cette mission d’information, le commissaire aux comptes a une mission
d’alerte (paragraphe I). A côté de cela, il contrôle aussi l’égalité entre les actionnaires
(paragraphe II).

Paragraphe I : La mission d’alerte


S’il constate des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, il doit
déclencher une procédure d’alerte73 destinée à provoquer des mesures de redressement.

Nous étudierons d’abord le déroulement de cette mission (A), puis ensuite, les limites (B).

A.- Le déroulement de cette mission


Cette procédure se déroule en quatre temps : il commence par alerter le président du conseil
d’administration. A cette étape, l’alerte a encore un caractère confidentiel.

A défaut de réponse satisfaisante, le commissaire porte l’affaire devant le conseil


d’administration.

Si la situation ne se redresse pas, le commissaire établit un rapport spécial qu’il présente soit à
la prochaine assemblée générale, soit à une assemblée spécialement convoquée par lui à cet
effet.

Si ces mesures restent sans effet, le commissaire informe le président du tribunal. Le


commissaire engage sa responsabilité civile, s’il s’abstient de déclencher la procédure
d’alerte, alors qu’il existe une menace de défaillance économique étayée par des faits précis.

Dans l’hypothèse de mauvaise foi, si le commissaire déclenche la procédure dans le dessein


de porter préjudice à la société ou en sachant que la continuité de l’exploitation n’était pas
menacée, il serait responsable.

Le commissaire a également une mission de surveillance.

Il s’assure que les modifications des statuts s’opèrent dans des conditions régulières.

Notons que cette mission n’est pas sans limites.

73
La procédure d’alerte peut être à la fois déclenchée par les commissaires aux comptes, comme par les
actionnaires.
S’agissant des commissaires aux comptes, elle n’est pas la condition sine qua non à la prise de toute mesure
d’urgence (Cotonou, n° 178/99, Affaire Dame Karamatou IBUKUNLE c/ société CODA-BENIN et autres).
Il s’agit là, dans le cas des SA, d’une obligation du commissaire aux comptes similaire à celle prévue à
l’art. 150 pour les autres sociétés ayant un commissaire aux comptes sur lequel, d’une manière générale, pèse
la responsabilité du déclenchement de la procédure d’alerte. Dans cette mission, le commissaire aux comptes
doit tenir compte non seulement des états financiers établis par la société, mais aussi, de tous les autres
événements susceptibles d’exercer une influence déterminante sur l’évolution de l’entreprise. Tel était le cas
dans une procédure contentieuse en instance (T. Com. Lille 05-05-1987 : Rev. Jur. Com. 1987.225 note
Derrida).
En plus du commissaire aux comptes, les actionnaires peuvent déclencher la procédure d’alerte en posant des
questions au PCA ou au PDG ou encore, à l’administrateur général.

23
B.- Les limites
En effet, en plus des fonctions traditionnellement reconnues aux commissaires aux comptes,
le législateur OHADA a mis à leur charge, une tâche supplémentaire et non des moindres,
consistant à déclencher l’alerte au sein des sociétés où ils exercent leur mandat. Cet
élargissement de leurs fonctions s’est logiquement accompagné d’un renforcement de leur
indépendance vis-à-vis tant des autres organes de la société que de la société elle-même. La
procédure d’alerte émanant des commissaires aux comptes est organisée de manière
différente, selon qu’on se trouve dans une société anonyme ou non.74 Le commissaire aux
comptes déclenche l’alerte lorsqu’il relève « tout fait de nature à compromettre la continuité
de l’exploitation ». Mais, comme on peut le constater, ce critère tel qu’énoncé n’offre pas
toutes les précisions souhaitées, tout comme cette procédure d’alerte prise globalement recèle
de nombreuses imperfections.

On ne peut nier que le recours à ces mesures préventives traduit déjà un état de
dysfonctionnement de l’entreprise. Toutefois, ce dysfonctionnement est encore naissant.
L’idéal serait d’user de ces mesures à bon escient, et surtout en temps opportun, pour éviter le
pis.

De nombreuses difficultés découlent de l’imprécision des critères de mise en œuvre. Mais,


avant de les mentionner, il conviendra d’abord de rechercher le sens même du critère.

Des dispositions des articles 150 et 153 AUSCGIE, il ressort que le commissaire aux comptes
demande des explications soit au gérant, soit au président du conseil d’administration ou au
président directeur général ou à l’administrateur général, sur tout fait de nature à
compromettre la continuité de l’exploitation, qu’il a relevé lors de l’examen des documents
qui lui sont communiqués ou dont il a connaissance à l’occasion de l’exercice de sa mission.
Ainsi, que ce soit dans les sociétés anonymes ou dans les sociétés autres qu’anonymes,
l’alerte est déclenchée par le commissaire aux comptes, lorsqu’il relève « tout fait de nature à
compromettre la continuité de l’exploitation ». A cet effet, il est tenu d’attirer l’attention des
dirigeants sur le danger encouru.

Mais quel est le véritable sens de cette notion ?

Le législateur n’a pas cru devoir préciser davantage ce critère. Il s’en est tenu à une formule
très souple susceptible de se dilater à l’excès. Il convient cependant, de s’accorder avec la
doctrine que, ce critère d’origine comptable a une double dimension, car présentant à la fois
un aspect économique et financier.75 On peut ainsi relever comme éléments y découlant,
l’accumulation de mauvais résultats, les emprunts exorbitants ou non justifiés, l’inscription
inquiétante des privilèges et nantissements, des injonctions de payer à répétition, une
trésorerie négative, et même des conflits sociaux. Tout ceci implique une analyse des
difficultés propres auxquelles l’entreprise fait face, ou du contexte particulier dans lequel elle
vit.

74
Dans tous les cas, l’alerte est déclenchée par une demande adressée par lettre recommandée avec demande
d’avis de réception, au dirigeant social concerné. Ce dernier est tenu de répondre par le même procédé, et
dans sa réponse, il doit donner une analyse de la situation et le cas échéant, les mesures envisagées. Ensuite,
dans les sociétés anonymes, la procédure peut connaître une autre phase, si le commissaire aux comptes
constate que l’exploitation demeure compromise. Il peut ainsi aller jusqu’à convoquer de toute urgence, une
Assemblée Générale des associés. cf. art. 153 à 156 de l’AUDSCGIE.
75
voir les imperfections des moyens de détection www.google.com.

24
Le fait considéré ne doit pas obligatoirement compromettre la continuité de l’exploitation,
mais être simplement de nature à le faire. Mais, il faut que le fait soit tout de même
suffisamment grave pour affecter la continuité de l’exploitation, et que le risque soit en
mesure de se réaliser dans un avenir prévisible. Ne sont pas ainsi pris en compte des faits qui,
de par leur caractère improbable ou lointain, ne peuvent en l’état actuel de la situation de la
société, affecter sérieusement son exploitation. Il en sera ainsi par exemple, d’une insuffisance
des investissements en matière de recherche ou encore, d’un niveau technique insuffisant de
l’encadrement.

De toute évidence, un indice du critère pris individuellement ne saurait justifier l’alerte. Son
déclenchement suppose en réalité, l’existence conjointe des deux faisceaux d’indices que sont
le « fait » considéré et la capacité pour ce fait, de « compromettre la continuité de
l’exploitation ». Il n’est cependant pas nécessaire qu’il y ait plusieurs faits, comme en France.
Un seul fait suffit, à condition d’être de nature à compromettre l’exploitation.

Le commissaire aux comptes est donc appelé à agir avec tact et finesse, car une mauvaise
appréciation de la situation peut provoquer des difficultés imparables.

Si la démarche choisie par le législateur est plus « scientifique et plus rationnelle », il n’en
demeure pas moins qu’elle n’est pas très féconde. Certes, cette formule offre au commissaire
aux comptes, une liberté d’action considérable, mais ce dernier ne doit agir que dans le cadre
strict de l’exercice de sa mission. L’essentiel reste qu’il agisse en se conformant à l’esprit du
texte.76 Il doit s’assurer que le fait allégué est réellement de nature à nuire à la continuité de
l’exploitation. L’absence de précision du critère lui impose de se référer à sa conscience, à son
expérience ou tout simplement à son intuition. Ce qui pourrait l’impliquer accidentellement
dans la gestion de la société.

Mais, on peut toujours se demander si le commissaire aux comptes a l’obligation de


rechercher systématiquement les faits devant donner lieu à l’alerte, ou alors, s’il doit
simplement porter à la connaissance des dirigeants, les seuls faits relevés à l’occasion de ses
fonctions normales. Il serait mieux de retenir une interprétation large, car une interprétation
restrictive priverait l’alerte d’une partie de son utilité.77 Pourtant, le législateur africain semble
bien relier l’alerte aux connaissances qu’a le commissaire aux comptes à l’occasion de
l’exercice de sa mission.78 Or, le commissaire aux comptes est un tiers79 à la gestion de la
société. Il lui est formellement interdit de s’immiscer dans la gestion de celle-ci. Le droit
d’alerte doit donc être concilié avec le principe de non-immixtion des commissaires aux
comptes dans la gestion.

En principe, l’exercice du droit d’alerte, s’il élargit la mission du commissaire aux comptes,
ne constitue pas une immixtion. C’est pourquoi ce dernier doit s’abstenir de proposer la
moindre solution, une fois l’alerte déclenchée. A défaut, il s’immiscerait dans la gestion.
Toutes ces garanties sont cependant fragilisées par le caractère vague du critère de mise en
œuvre de l’alerte, en ce sens qu’il offre un très grand champ d’action au commissaire aux
comptes. En effet, il bénéficie d’un pouvoir d’appréciation très large quant à l’opportunité de
l’alerte. En plus, certaines missions légales du commissaire aux comptes sont très proches

76
voir les articles 150 et 153 de l’AUSCGIE.
77
GUYON (Y), Droit des affaires, t. 2, préc. p. 56.
78
voir art. 150 et 153 précités.
79
voir NJOYA NKAMGA (B), Les interventions des tiers dans la gestion des sociétés commerciales, mémoire,
DEA, Dschang, FSJP. 2000.

25
d’une immixtion dans la gestion, notamment la convocation de l’Assemblée Générale, en cas
de carence des dirigeants. C’est la raison pour laquelle une partie de la doctrine estime que
l’exercice de l’alerte implique nécessairement une immixtion du commissaire aux comptes
dans la gestion. On assiste en effet, à une dérive de ses fonctions de contrôle des comptes vers
la surveillance de la gestion. Son devoir d’alerte le conduit inévitablement à apprécier la
gestion. Bref, l’Acte uniforme précité consacre implicitement un droit de regard et
d’appréciation de la gestion par le commissaire aux comptes.80

Par ailleurs, la détermination de la date de déclenchement de l’alerte est particulièrement


délicate. Si l’alerte est trop tardive, elle risque de ne pas pouvoir redresser une situation
définitivement sans issue. En effet, les commissaires aux comptes agiront très souvent quand
la situation est déjà profondément dégradée. Ils ne feront alors que constater la cessation des
paiements ou annoncer l’imminence de celle-ci. L’alerte, à l’instar de la prévention en
général, perdra ainsi de sa fonction première, qui est de veiller et ne pas être surpris par les
difficultés, afin d’avoir le temps de réagir aisément et d’organiser la défense ou la résistance.

Le critère de mise en œuvre de l’alerte tel que formulé par le législateur, exige une prudence
dans son utilisation. A défaut, il pourra causer des difficultés nouvelles à l’entreprise qu’il est
censé protéger. Ce qui traduit déjà les nombreuses imperfections de ladite procédure.

Paragraphe II : Contrôle de l’égalité entre les actionnaires


L’assemblée des actionnaires est le cadre normal d’expression des actionnaires, et c’est au
cours de cette assemblée, que les décisions sont censées intervenir dans l’intérêt collectif des
actionnaires.

Mais, ce droit ne peut être valablement exercé qu’à condition qu’il existe une relative égalité
entre actionnaires. La finalité du principe de l’égalité est de faire en sorte que l’intérêt
collectif soit autonome, conforme à l’intérêt des actionnaires. De même, il doit être conforme
à l’objectif de dynamisme économique et de progrès de la société, gage de la satisfaction de
tous les partenaires de l’entreprise. Face à cet enjeu capital, il est plus que nécessaire de
veiller à la présence du principe d’égalité des actionnaires.

Dans le but d’assurer à l’actionnaire, la constance, la stabilité et une meilleure certitude du


risque social, le contrôle du commissaire aux comptes a été élargi à l’ensemble de la vie
sociale. Il faut entendre par là, l’ensemble de la vie juridique de la société.

Le commissaire aux comptes est chargé par le législateur OHADA, de veiller à ce que
l’égalité entre associés soit respectée81, c’est-à-dire que les parts sociales ou actions d’une
même catégorie ouvrent droit à des prérogatives identiques.

Ceci amène également le commissaire aux comptes à signaler dans son rapport, les pratiques
qui lui semblent constitutives d’abus de majorité.

Par ailleurs, il veille à l’observation des dispositions régissant les actions que les
administrateurs sont tenus de détenir. Ces divers contrôles se limitent à la régularité de
l’opération envisagée ou de la situation de la société.

80
ANOUKAHA (F), CISSE (A), DIOUF (N), NGUEBOU TOUKAM (J), POGOUE (P-G) et SAMB (M),
OHADA, Sociétés commerciales et GIE, Bruylant, 2002, p. 171.
81
voir l’article 714 AUSCGIE.

26
Le commissaire aux comptes a encore l’obligation de révéler au Procureur de la République,
les faits délictueux dont il surprend l’existence au cours de l’accomplissement de sa mission.
Ce devoir empêche de retenir à la charge du commissaire qui l’acquitte, une violation du
secret professionnel. C’est une obligation générale, qui s’applique à tous les faits significatifs
et délibérés en relation avec la vie de la société et la mission du commissaire, y compris les
infractions qui ne causent pas un dommage à la société. Le commissaire n’a pas besoin de
qualifier les faits délictueux.

Le commissaire aux comptes opère donc un contrôle a priori uniquement comptable, mais, en
raison de l’élargissement de ses missions d’une part, et de la limite parfois difficile à
percevoir entre contrôle de la régularité et contrôle de l’opportunité, il peut être amené à
opérer un certain contrôle de la direction. De plus, ces missions supplémentaires tendent soit à
faciliter le contrôle par d’autres acteurs, juge ou actionnaires, soit à un contrôle plus global.

Cependant, une fois encore, celui-ci va être d’une efficacité relative.

L’interventionnisme des actionnaires est de nature à améliorer les performances de la société.

Mais, si les actionnaires constatent que les dirigeants ne gèrent pas la société de façon
correcte, conformément à l’intérêt social, ou s’ils constatent des fautes de gestion, il faut
également leur permettre de réagir, sinon, leurs constatations resteront sans suite. C’est
pourquoi, pour que le contrôle soit efficace, il doit pouvoir donner lieu à des mesures de
sanctions. L’arme la plus efficace qui vient à l’esprit pour sanctionner un dirigeant est son
remerciement, c’est-à-dire sa révocation. Cependant, cette révocation n’est pas à la portée de
tous ; seulement des actionnaires majoritaires pourront, lors de l’assemblée générale l’obtenir.
Les actionnaires minoritaires quant à eux, ont la possibilité d’exercer un certain nombre
d’actions de nature à leur permettre de faire pression sur les dirigeants pour que ceux-ci
n’échappent pas à tout contrôle. De telles actions pouvant être coûteuses et subordonnées à la
détention d’une fraction minimale du capital, la loi et la jurisprudence ont reconnu des
dispositifs tels que les associations d’actionnaires ou les pactes d’actionnaires82 et pour en
faciliter l’exercice.

En définitive, l’utilité de la mise en place d’un dispositif de contrôle de l’action des dirigeants
de la société anonyme est indéniable.

Sans être exclusif, le contrôle des commissaires aux comptes se révèle comme étant la pièce
maîtresse du mécanisme juridique de contrôle organisé par le droit OHADA. Ainsi, il reste le
cœur battant de l’obligation légale de contrôle, ce qui nécessite de sa part, une plus grande
indépendance. Ne nous le cachons pas, il est souvent difficile d’être indépendant vis-à-vis de
celui qui a procédé à la nomination.

En outre, il ne serait pas inutile d’instituer un organe agissant et fonctionnant selon les mêmes
modalités et attributions que l’Autorité des Marchés Financiers (AMF)83 en France.

__________

82
CA Ouagadougou, chambre commerciale, arrêt n° 037/09 du 19 juin 2009, Société Atlantique Télécom et
Société ETISALAT c/ Société Planor Afrique et Société TELECEL, ohadata J-10-214.
83
Créée par la loi n° 2003-706 de sécurité financière du 1er août 2003, l’Autorité des marchés financiers (AMF)
est issue de la fusion de la Commission des Opérations de Bourse (COB), du Conseil des Marchés Financiers
et du Conseil de Discipline de la Gestion Financière (CDGF). Au service de la protection de l’épargne,
l’AMF est une autorité publique indépendante qui réglemente et contrôle les marchés financiers.

27
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