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(Nouveaux Actes Sémiotiques 1) Jacques Fontanille (Ed.) - Le Discours Aspectualisé-John Benjamins Publishing Company (1991) PDF
(Nouveaux Actes Sémiotiques 1) Jacques Fontanille (Ed.) - Le Discours Aspectualisé-John Benjamins Publishing Company (1991) PDF
aspectualisé
Actes du colloque
«Linguistique et Sémiotique I»
tenu à l'Université de Limoges du 2 au 4 février 1989
sous la direction de Jacques FONTANILLE
Préface de
Algirdas Julien GREIMAS et Jacques FONTANILLE
PULIM / BENJAMINS
Limoges / Amsterdam / Philadelphia
1991
SOMMAIRE
Bernard POTTIER.
L'aspect dans l'événement 17
Gérard GONFROY,
Enquête sur la préhistoire de la notion d'aspect verbal ... 25
Zlatka GUENTCHEVA,
L'opposition perfectif/imperfectif
et la notion d'achèvement 49
Lene FOGSGAARD,
Aspectualité et véridiction dans le système
copulatif espagnol, imperfectivité et perfectivité
à propos de SER/ESTAR 67
Claude ZILBERBERG,
Aspectualisation et dynamique discursives 83
Francesco MARSCIANI,
Problèmes d'aspectualisation dans deux
définitions de la «vergogna» 115
Jacques FONTANILLE,
Aspectualisation, quantification, et mise en discours 127
Jean PETITOT,
Le schématisme morphodynamique de l'aspectualité 177
Jean-Claude COQUET,
Temps ou aspect? Le problème du devenir 195
HORS COLLOQUE
Michel COLIN,
Logique d'intervalle et relations temporelles
dans la bande-image 215
Pierre BOUDON,
Un principe monadologique pour la
représentation des connaissances 225
Avant-propos
1. Aspect/aspectualité/aspectualisation
Comme le fait remarquer G. Gonfroy, la question de l'aspect est
strictement liée à la linguistique du verbe et du syntagme verbal, et
il n'est pas très heureux de confondre trop de phénomènes différents
sous une seule appellation. On retrouve ici la difficulté qu'il y a à
passer d'un phénomène (à la fois linguistique et discursiD à un objet
(morphologique vs cognitif vs sémiotique) ; saisi sous divers angles
théoriques et méthodologiques, l'aspect se révèle recouvrir aussi
bien des morphèmes que des opérations, une catégorie qu'une
dimension. Sans préjuger de l'homogénéité ou de l'hétérogénéité de
la problématique, il paraît sage de fixer provisoirement quelques
termes :
- l'«as pect» pourrait être réservé à la catégorie morpho
sémantique utilisée dans la description du verbe et du syntagme
verbal ;
- l'«as pectuaté» recouvrirait alors l'ensemble de la configura
tion sémantico-syntaxique qui sous-tend et déborde à la fois l'aspect
proprement dit : l'aspectualité est à ce titre une des dimensions du
discours ;
- l'«as pectualisatïon» désignerait une procédure, un ensemble
d'opérations qui aboutirait à l'aspectualité comme résultat ; à ce
titre, elle concerne l'économie générale de la théorie, et plus parti
culièrement les relations du continu et du discontinu.
De fait, de nombreuses observations morphologiques (appar
tenant en principe au champ de 1'«aspect») révèlent l'existence
d'une problématique englobante (celle de 1'«aspectualité») : par
exemple, l'interprétation «aspectuelle» de certains pré
déterminants du nom (J. Fontanille, Z. Guentcheva, G. Gonfroy,
Cl. Zilberberg, citant eux-mêmes G. Guillaume, R. Martin ou
7
2. Aspects et aspect
A trop généraliser ou étendre le champ de l'aspect, on rencontre
vite l'usage courant de ce terme en langue naturelle, à savoir la
multitude des aspects d'une situation, d'un objet, d'un lieu, d'une
personne. Cette extension du domaine n'est pourtant pas illégitime,
car, comme le montre P. Boudon, elle repose sur un noyau défini
tionel commun : la quantification, la pluralisation des figures du
monde au moment de leur saisie perceptive. L'aspect reconnu dans
les procès, l'aspectualité prise en charge par les figures du temps, de
l'espace et de l'acteur, ne seraient alors à ce compte qu'un cas
particulier d'un phénomène beaucoup plus général et, somme toute,
d'une grande banalité.
Banalité n'est pas, en l'occurrence, trivialité, car, à inclure la
question de l'aspect et de l'aspectualité dans celle, plus générale, des
«aspects» du monde naturel, de ses figures et de ses configurations,
on ajoute deux difficultés majeures : la première tient au fait que
l'aspectualisation n'affecterait plus seulement la composante
syntaxique, mais aussi la composante sémantique (cf les «temp-
lums» de Boudon) ; la seconde tient au fait que l'aspectualisation
devient alors le titre d'un problème épistémologique, sollicitant un
pan entier de la théorie de la connaissance, et en particulier la ques
tion des points de vue et de l'observateur (L. Fogsgaard, J. Fonta-
nille).
3. Du continu et du discontinu
L'extension du champ de réflexion amène plusieurs auteurs à
formuler quelques concepts, à convoquer quelques «méta-
8
[ A →B ] est la discontinuisation;
[ B →C ] est la discrétisation;
[ C →D ] est la syncrétisation;
[ D→A' ] est la continuisation.
5. Temps et aspect
Il aurait été présomptueux et irréaliste d'attendre de cette
rencontre une résolution des problèmes posés par la relation entre
l'aspect et le temps, dès lors qu'après un siècle de recherches
linguistiques actives en ce domaine, on n'y est toujours pas parvenu.
Il faut observer toutefois qu'en termes d'aspectualité et de tempora
lité, et grâce au potentiel explicatif des opérations d'embraya
ge/débrayage, la question se pose différemment. Les différentes
communications auront permis au moins de confronter un grand
nombre de positions et de distinctions :
- temps impliqué/temps expliqué (G. Guillaume, chez G. Gon-
froy);
- durée interne/temps déictique (Z. Guentcheva, C. Van
Schoonevelt);
- temps interne des sujets/temps interne des objets et des
phénomènes (F. Marsciani, J. Petitot, Cl. Zilberberg);
- temps de l'expérience/temps de la représentation (P. Boudon,
J.-Cl. Coquet, G. Gonfroy).
G. Gonfroy fait observer à plusieurs reprises, dans les grammaires
médiévales sur lesquelles il enquête, une confusion entre temps
verbal et temps des philosophes; à la lecture de l'ensemble des
contributions, on constate qu'il faudrait en fait distinguer quatre
acceptions du « temps » :
- le temps physique, dont le devenir représente, selon J. Petitot,
l'action dans les états de choses;
- le temps linguistique, fondé, comme le rappelle J.-Cl. Coquet,
sur le présent (et la présence) du sujet du discours;
15
6. De l'epistémologie à l'axiologie
C'est pourquoi la réflexion sur l'aspect débouche si souvent sur
la théorie de la connaissance; ce qui, pour Cl. Zilberberg est en
l'occurrence inévitable, puisque l'aspect traite, entre autres, des
relations entre la prédication et la référence. Que ce soit pour
opposer la perception et la conceptualisation (J.-Cl. Coquet), les
opérations cognitives et leur codage (C. Van Schoonevelt), la
compétence cognitive et l'activité perceptive du spectateur du film
(M. Colin), le solipsisme méthodologique et l'écologisme (J. Petitot),
le débat sur l'aspect, le temps et le devenir retrouve les grandes
questions de l'épistémologie contemporaine... et classique : la théorie
sémiotique repose-t-elle sur une théorie de la perception ou de la
cognition ? les structures sémiotiques sont-elles de pures construc-
16
A.-J.GREIMAS
J. FONTANILLE
L'aspect dans l'événement
Positions de base
1. - Une même démarche sémantique peut être appliquée à tous les
niveaux de la construction du signe. Du morphème (lexème ou
grammème) au texte, en passant par la lexie ou la phrase, pour nous
limiter aux étapes universelles, les composantes de l'analyse du sens
sont de même nature, bien que leur complexité diffère.
Quelques exemples :
Conclusions
1. - Tout schème analytique figurant un événement peut être saisi
par l'énonciateur sous quatre classes de visées, qui se manifesteront
dans la langue naturelle à travers des signes très divers.
23
Bernard POTTIER
Université de Paris-Sorbonne
Enquête sur la préhistoire
de la notion d'aspect verbal
Verbum est pars orationis cum tempore et persona sine casu out
agere aliquid aut pati aut neutrum significans (4).
(4) Ed. Holtz, II, 12, 632, 5-6 : «Le verbe est une partie de discours avec
indication de temps et de personne, mais sans indication de cas, et exprimant
activité, passivité ou ni Tun ni l'autre (neutre)». (Sauf mention contraire, les
traductions sont de notre fait ).
(5) Ibid., 6-7.
(6) V. éd. Holtz, Ars Min., 4,591 sqq.
29
(7) Ars Mai., II, 12, 637, 12 sqq : «Trois temps caractérisent le verbe :
présent, passé et futur : présent, comme lego; passé, comme legi; futur, comme
legam. Mais le passé offre trois variétés : imparfait, parfait, plus-que-parfait :
imparfait, comme legebam; parfait, comme legi; plus-que-parfait, comme legeram.
C'est pourquoi il y a cinq temps dans le mode du verbe : présent, prétérit impar
fait , prétérit parfait, prétérit plus-que-parfait, futur ».
30
(8) V. infra p. 42
(9 ) Thurot, Notices et extraits de divers manuscrits latins pour servir à l'his
toire des doctrines grammaticales au Moyen Age, Paris, 1868, p. 182. «Qu'est-ce
qu 'un verbe ? C'est une partie de discours qui exprime activité ou passivité, avec
modes, temps, formes et personnes verbales, mais sans cas.»
(10) Ibid., p. 184. «Combien existe-t-il de temps à l'indicatif ? Cinq.
Lesquels ? Le présent, le prétérit imparfait, etc.»
31
(11 ) Ibid., p. 182. «Je ne dis pas, contrairement aux anciens, que le verbe
consignifie la durée, mais plutôt qu 'il consignifie le temps relativement au moment
de l'action. En disant «j'ai couru», on désigne principalement l'acte même de
courir, mais, secondairement, le moment de l'action. »
(12) Gramere (éd. de 1562), p. 49; la formule sera reprise dix ans plus tard
dans sa Grammaire (éd. de 1572 ), p. 74.
(13) P. 243.
32
(21 ) Thurot, op. cit., p. 178; Reperta sunt itaque yerba ad designandum quid
de altero dicitur et primo propter actionem et passionem.
(22 ) On mesurera la complexité et la subtilité de la conception du verbe chez
les Modistes en se reportant au chapitre consacré par I. Rosier à cette partie de
discours. V. op. cit. supra n. 21, pp. 117-123.
(23 ) Grammatica Speculativa, éd. Bursill-Hall, ch. XXV, 48, p. 214.
(24 ) Cité et traduit par I. Rosier, op. cit., p. 119.
35
(25 ) Ch. XXVII, 52, p. 220. « Ce verbe est se trouve inclus dans tout verbe,
en tant que racine, pour ainsi dire, de tous les verbes ; c 'est pourquoi la composi
tion est inhérente à tous les verbes, et c 'est à cause d'elle que le verbe, distant du
sujet, entre en combinaison avec lui ».
(26 ) V. Thomas d 'Erfurt, ed. cit., ch. XXVIII, 55, p. 224 : sed modus, ut est
accidens verbi, est qualitas compositionis, qua verbum inclinatur ad suppositum.
36
(33 ) Ibid.
(34) Ibid., p. 333.
(35 ) Ibid.
(36) Ibid.
(37) Ibid.. p. 337.
39
(46) Par exemple : présent tupto et imparfait etupton; parfait tetupha et plus-
que-parfait etetuphein; aoriste etupsa et futur tupso.
(47 ) V. Grammatici Graeci, II, 2.
(48 ) V. « Zur Tempuslehre des Apollonios Dyskolos » in Glotta 56, 1978, pp.
273-394. L'article de J. Lallot cité supra complète et nuance le point vue exprimé
dans cette contribution (v., en particulier, pp. 51-69 ).
(49 ) Lallot, art. cit., p. 52.
42
(54) Proprium est verbi actionem sive passionem significare. (Ed. Keil,
Grammat ici Latini, 2 , 4 , 18 ).
(55) Verbum est pars orationis cum temporibus et modis, sine casu, agendi vel
patiendi significativum. (Gram, lat.,8, 1, 1 ).
(56) L'immense compilation toulousaine (1332-1356) nous est parvenue sous
trois rédactions différentes ; nous nous contenterons de citer ici la rédaction longue
en prose. Malheureusement, l'édition Gatien-Arnoult (Toulouse-Paris, s.
d. [ 1840-1843 ] , 3 t . , 365, 431 et 409 p.) ne répond plus aux exigences scien
tifiques modernes et nous contraint à recourir au texte de notre propre édition, en
voie d'achèvement. La concordance avec l'éd. Gatien-Arnoult sera indiquée,
chaque fois qu 'elle est possible.
44
parmi les plus conservatrices, n'en offre pas moins un système dif
férent, des structures analytiques ayant largement remplacé les
structures synthétiques du latin. La prégnance des modèles latins, en
l'occurrence Priscien, est considérable. On en jugera par la défini
tion (57), ainsi que par les accidents du verbe, directement hérités de
Priscien (58). L'étude des temps, outre qu'elle témoigne plaisamment
de la confusion des signifiés de temps (59), n'est pas exempte de
notations aspectuelles, du moins pour les tiroirs du passé. Mais, une
nouvelle fois, la transposition mécanique du système latin conduit à
une absurdité : donnant la même étiquette, preterit perfag, au passé
simple yeu amey et au passé composé yeu hay amat (60), il neutralise
leur oppositon aspectuelle pour ne retenir que la valeur d'extensif,
au sens guillaumien du terme, (cauza passada non ha gayre ) . Mais
confronté à la réalité discursive, lorsqu'il examine la combinatoire
des temps, il perçoit que le passé simple et le passé composé, qui
offrent, en système, pour la langue occitane, une opposition aspec
tuelle claire (tensif vs extensif ) ne peuvent commuter. C'est encore
Priscien qui lui fournit la solution; de même que le parfait latin peut
se charger de la valeur d'aoriste ou de parfait, de même le preterit
perfag peut offrir deux significatz (61); il ne voit pas que dans un
(57 ) Verbs es una partz d'oratio, significans actio o passio, am mos («modes»)
et am temps. (= G.-A., II, p. 230).
(58 ) Devetz saber qu'en lo verb son segon romans. VII. acciden, sos assaber
gendres, temps, mos, especia, figura, persona e nombres. (= G.-A., II, p. 232). «Il
faut savoir que le verbe, en occitan, connaît sept accidents, qui sont le genre, le
temps, le mode, l'espèce, la figure, la personne et le nombre ».
(59) Segon cors de natura no son mas tres temps, le pre zens, le preterit e.l
futurs. Enpero en lo verb son .v. temps : le pre zens, le preteritz imperfagz, le preteritz
perfagz, le preteritz plusqueperfagz e.l futurs. Et enayssi le preteritz temps es partitz
en tres membres : en preterit imperfag, perfag e plusquepergfag. (= G.-A., II, p.
238).
«Le prétérit parfait exprime un événement passé il y a peu, mais accompli,
comme j'aimai et j'ai aimé [ amiey est une simple variante morphologique de
amey ] , tu as aimé, il aima et // aimé.»
(60) Le prete ritz perfagz significa cauza passada non ha gayre e complida,
coma yeu amey et hay amat o amiey et kay ornat, tu amiesi et has amat, cel amet et
ha amat. (= G.-A., II, p. 238).
«Le prétérit parfait exprime un événement passé il y a peu, mais accompli,
comme j'aimai et j'ai aimé [ amiey est une simple variante morphologique de
amey ] , tu aimas et tu as aimé, il aima et il a aimé . »
(61 ) DE LA CONBINATIU DEL PRETERIT IMPEREAG DEL INDICATIÜ
AM LOS AUTRES TEMPS.
Le preteritz imperfagz del indicatiu s'ajusta am si meteysh en totas aquetas
45
(64) Bull, Soc. Ling. de Paris 42, p. 84. Cité par R. Martin in Temps et
aspect, p. 48, n. 106.
(65) V. l'introduction des actes du colloque de Metz, La notion d'aspect
(18-20 mai 1978 ), publiés par J. David et R. Martin, p. 8.
47
400
Aristote
200 Denys le Thrace
100
Varron, De lingua latina
0
Apollonius Dyscole
Techne attribuée à Denys le Thrace?
400 Donat, Ars minor, Ars maior
500 Priscien, Institutiones...
Gérard GONFROY
Université de Limoges
L'opposition perfectif/imperfectif
et la notion d'achèvement
tuels varient d'un auteur à un autre (2) et l'aspect tel qu'il est envi
sagé actuellement dans les études englobe toute une variété de
distinctions qui «ne devraient peut-être pas du tout être appelées
aspectuelles » (Leinonen - 1984 :239).
S'il existe des fluctuations aussi profondes entre les linguistes, il
est indispensable de s'interroger non seulement sur les raisons qui
les provoquent, mais aussi sur la méthodologie à adopter pour
arriver à circonscrire la notion d'aspect. Et la première question qui
se pose est de savoir si l'aspect est une catégorie notionnelle qui,
dans certaines langues seulement, a une expression grammaticalisée.
Il est bien connu que les faits slaves ont été d'une très grande
importance dans le domaine aspectuel puisque dans de nombreuses
études linguistiques la notion même d'aspect est identifiée à l'oppo
sition entre le perfectif et l'imperfectif des langues slaves. Aussi,
dans les pages qui suivent, nous évoquerons de façon succinte les
raisons qui ont conduit à ces fluctuations en examinant les termes de
perfectif et d'imperfectif utilisés dans les études sur l'aspect. Ensuite,
à partir d'éléments qui paraissent mériter d'être retenus, nous pré
senterons la notion d'achèvement et nous nous interrogerons sur sa
pertinence pour la construction de la notion d'aspect.
1. L'opposition perfectif/imperfectif
Pourquoi aucun consensus ne s'est-il dégagé dans l'emploi des
termes de perfectif et d'imperfectif ? Nous y voyons principalement
les raisons suivantes :
l'action (l'imperfectif)».
La notion de 'tout indivisible' n'a pas été véritablement définie.
Implique-t-elle l'achèvement de l'action ? Est-elle équivalente à la
notion de 'totalité' puisque l'imperfectif est défini comme ne
renvoyant pas à la notion de totalité (Maslov - 1959 ; Bondarko -
1971 : 11 sq ). Pour Forsyth (1970 : 11) «l'expression d'une action
comme un 'tout indivisible' implique certainement dans un certain
sens 'achèvement' (completeness), mais pas nécessairement son
'achèvement actuel'.
Même s'il paraît relativement plus facile de définir un invariant
pour la forme perfective, l'association de façon biunivoque d'une
valeur sémantique unique à chaque terme de l'opposition s'avère, en
règle générale, chose difficile car chaque forme morphologiquement
aspectuée présente des emplois variés et complexes.
Devant l'ambiguïté des termes perfectif/imperfectif, on voit
apparaître ceux de perfectivité et d'imperfectivité dans les travaux
des slavistes. Citons B. Comrie :
et plus loin :
(6) Holt (1942) a bien mis en évidence les deux tendances tranchées de son
époque : d'un côté, les linguistes - de loin majoritaires - pour qui l'aspect étant
une qualité du procès, se constitue en catégorie grammaticale distincte de celle du
temps (Delbruck) ; d'un autre côté, les linguistes pour qui temps et aspect sont
deux faces d'une même notion (Koschmider, Guillaume ).
56
2 . La notion d'achèvement
au fait que le processus a atteint son terme («70 maisons ont été
peintes entièrement dans un intervalle de trois jours») et qu'au-delà
de ce terme, il ne peut pas être continué. Les langues slaves ont
grammaticalisé ces deux types d'interruption du processus au niveau
de la forme verbale.
Nous nous plaçons dans un cadre théorique où la notion de
changement est considérée comme fondamentale pour la description
des phénomènes aspecto-temporels dans les langues. Si l'on accepte
cette notion, tout énoncé dénote alors soit une situation statitive,
soit une situation dynamique : une situation renvoie à un état, une
situation dynamique renvoie soit à un processus, soit à un événement
(9). Par conséquent, état, processus et événement doivent être
considérés comme des concepts de base. Mais pour bien comprendre
le concept d'événement, il est nécessaire d'introduire deux autres
concepts, à savoir le concept d'achèvement et le concept d'ac
complissement.
Un processus est une situation dynamique. Il est conçu comme
une certaine transformation qui s'opère à partir d'un état initial et
qui est orienté vers un état final. Construit comme une succession
d'états instantanés non identiques entre eux et donc temporellement
orientés, le processus est lié intimement à la notion de changement.
Pris au cours de son développement, le processus se présente comme
non accompli. Ainsi, l'énoncé bulgare :
(9) Sur les notions d'état, processus, événement, voir l'article de J.-P.
Desclés (1989), ainsi que (Desclés et Guentchéva - 1987 ; 1989 ; Guentchéva et
Desclés- 1982).
58
qui nécessitent une explication. Pour notre part, nous pensons que le
problème réside essentiellement dans la notion de transitivité. En
effet, comme l'a signalé B. Pottier lors de ce colloque, cette notion
n'est pas claire. La notion de transitivité sémantique devrait être
définie comme une transformation affectant un objet et effectuée par
un agent. Or dans les deux contre-exemples cités il n'y a aucune
transformation de l'objet puisque la transformation affecte en réalité
le sujet lui-même.
En ce qui concerne des langues comme le français ou le finnois
où la notion d'achèvement n'est pas grammaticalisée comme dans les
60
qui s'oppose à
b. Nielin vetta
swallow-Past-I water-Part.
«I swallowed the water»
(10) Holt (1942 : 63) a remarqué à juste titre que le point capital pour
l'opposition slave perfectif/imperfectif est l'existence de verbes imperfectifs
secondaires. En ce qui concerne les imperfectifs bulgares, S. Ivančev (1971 : 24
ss. ) montre en introduisant le trait sémantique de 'complexivité ' qu 'à l'opposition
morphologique perfectif/imperfectif correspondent deux oppositions sémantiques :
dans un cas, le couple perfectif/imperfectif s'oppose par le trait complexivité/non
complexivité, dans le deuxième cas chaque membre du couple est porteur du trait
de complexivité ; la première opposition est caractérisée comme lexico-
grammaticale ; la deuxième comme purement grammaticale. En ce qui concerne le
russe, de son côté J. Forsyth (1970 : 43-46 ; 163-165) montre clairement la fai
blesse de certains arguments avancés en faveur d'une paire aspectuelle perfectif
dérivé-imperfectif secondaire dans certains triplets du type chat' - procitat' - pro-
cityvat' « lire ».
62
3 . Conclusion
En guise de conclusion, nous mentionnerons quelques points
essentiels de différence entre les notions d'achèvement et
d'accomplissement que nous proposons et les termes d'achèvement et
d'accomplissement introduits par Z. Vendler (1967) :
Vendler propose quatre termes, à savoir 'activities', 'accomp
lishments', 'achievements', 'states' qui lui servent à distinguer quatre
types de classes de verbes. Or, un verbe peut fonctionner non seu
lement avec la valeur d'état, mais aussi avec celle de processus et il
suffit d'apporter pour cela une légère modification dans le contexte
(Mourelatos - 1981 : 196 ; Timberlake - 1985). Il suffit de prendre les
verbes understand et know qui sont classés par Vendler comme
verbes d'état, mais qui dans les deux exemples suivants marquent au
sens de Vendler le premier 'l'activité' et le second 'l'achèvement' :
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200.
64
Zlatka GUENTCHEVA
CNRS - Université de Paris VII
Aspectualité et véridiction
dans le système copulatif espagnol
Imperfectivité et perfectivité
à propos de SER/ESTAR
Je pose pour les énoncés avec SER un jugement qui a une valeur
véridictoire d' «évidence». L'effet de valorisation discursive est la
«neutralité» comme pour un discours dépersonnalisé. Quant à
l'aspectualité et à la temporalité, l'énoncé procède à la suspension de
leur présence discursive. Les effets de quantification sont de totali
sation.
'essentiel/accidentel'
70
'permanent/transitoire*.
'imperfectif/perfectif,
Cette vision s'avère trop simpliste, selon moi. Il est vrai que
l'aspect est une des conditions, un des présupposés de la véridiction.
C'est-à-dire qu'un énoncé aspectualisé sous-tend l'énoncé modalisé
véridictoirement. Ainsi conçue, la conceptualisation aspectuelle peut
rendre service et appartient en effet à une analyse copulative. Mais
ceci ne signifie pas que le modal est un simple supplément de carac
tère pragmatique.
71
Il faudrait nuancer un peu. Dans (a) le dit état n'est pas imper
fectif dans le sens d'une situation verbale sans limites marquées,
puisque nous avons un adverbial circonstanciel temporel de limita
tion : Toda quella noche, et que nous avons aussi un passé défini :
FUE. Le système d'aspect est croisé par un autre système, le système
copulatif, qui dit : SER cortés.
A l'intérieur de l'aspect perfectif, la relation entre Juan et sa
courtoisie est indiquée comme «trait de nature». C'est-à-dire, Juan
est conforme à l'image qu'on se fait de lui et de la courtoisie ou à la
bonne norme. C'est cela qu'on appelle l'imperfectif, je suppose. Rien
n'empêche qu'un énoncé de SER indique un état limité et qu'un
changement est envisagé comme possible. A l'intérieur de cet état,
SER signale que la relation entre actant et lieu est totalisée. Elle a un
caractère de définition et représente un être stable.
Le chorème
Pour essayer de répondre aux questions soulevées au paragraphe
précédent, je proposerai une figuration chorématique du champ
copulatif. Je pense que l'approche chorématique sera intéressante
pour la problématique générale de l'aspectualité.
Cependant, je me limiterai au thème plus restreint de l'attribu
tion, là où le chorème offre un appareil précieux.
Il paraît clair que SER/ESTAR comme lexèmes inscrits dans le
code de la langue manifestent deux états ontiques différents pour
leur actant. Ceci se trouve déjà indiqué dans la terminologie clas
sique :
SER ESTAR
essentiel accidentel
absolu contingent
qualité état
SER :
(3) Las cimas, según las horas del dia, ERAN blancas, grises y azu
ladas de acero.
Dans cet exemple il s'agit bien d'un changement temporel de
phases pour les sommets «segun las horas del dia». Mais ceci n'est
pas décisif. Il y a autre chose, et même quelque chose qui semble
plus fort que la perspective d'une mise en phase d'un procès. Dans
l'exemple, l'instance vérifïcatoire d'un regard, qui a la fonction de
mettre en phase, est suspendue au profit d'un registre narratif
dépersonnalisé «olympique», de «récit», qui nous raconte que
chaque heure donne sa couleur au sommet, qu'il y a une relation
fixe, codée.
(5) A los años, toda la mar ES azul. Hasta que no la veas negra,
jurarás que ES azul.
Le jugement est un croire, attribué à un homme jeune, sans
expérience, qui imagine (poétiquement) une couleur omniprésente,
démentie par celui qui parle.
ESTAR :
(9b) Este cepillo ESTA para limpiar las paredes (o para lo que tú
quieras ) .
Dans (9a) la modalité est déontique : il y a prescription.
Dans (9b) il y a alternative possible, simple localisation.
Remarques finales
Si j'ai pris le détour du système copulatif et du jugement attri
butif dans la discussion sur l'aspectualité, c'est à cause de l'étroite
relation qui existe entre véridiction et aspectualité. C'est la relation
qui m'a paru intéressante à relever, et qui peut être mise en évi
dence, si l'on accepte la description géométrique. Celle-ci peut
s'avérer une bonne méthode pour penser la continuité entre aspect
et véridiction.
Pour ESTAR une conceptualisation aspectuelle fonctionne assez
bien et peut servir de plate-forme pour une élaboration des diffé
rents effets de sens et constructions syntaxiques avec ESTAR.
Quant à SER, cela est plus difficile et le rendement de l'analyse
aspectuelle, en tout cas d'allure traditionnelle, ne semble pas très
élevé. Plusieurs grammairiens parlent carrément de l'atemporalité de
SER, ce qui est un symptôme du fait que le jeu entre SER et ESTAR
ne se laisse capter que partiellement comme différence aspectuelle.
Exemples d'illustration :
(la) Toda aquella noche Juan FUE muy cortés conmigo.
(Ib) Toda aquella noche Juan ESTUYO muy cortés conmigo.
Pendant toute la nuit Juan m'a fait des politesses.
(3) Las cimas, según las horas del día, ERAN blancas, grises y
azuladas de acero.
Selon les heures de la journée, les sommets étaient blancs, gris
et bleus d'acier.
(5) A los veinte años, toda la mar ES azul. Hasta que no la veas
negra, jurarás que ES azul.
Quand tu as vingt ans, la mer entière est bleue. Tant qu'on ne
la voie pas toute noire, on est prêt à jurer qu'elle est bleue.
(7) Antes Juan ERA muy religo so. Desde su accidente ES ateo.
Avant Juan était très religieux. Depuis son accident, il est
devenu athée.
Bibliographie
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déc. 1987, Arhus, pp. 89-94. La charpente modale du sens. Poetica et
analytica, avril 1988, Arhus. «Normes et méta-normes dans
l'énonciation». Urbino, juillet 1988.
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copulas». Journal of the Linguistic Association of the Southwest, 4
(4), 1982, pp. 413-421.
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Passé simple et imparfait». Le texte comme objet philosophique.
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lona 1961 (8. édit.).
JOHNSON, Marion R. : « A unified Temporal Theory of Tense and
Aspect». Syntax and Semantics, vol. 14, Tense and Aspect, pp. 145-
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Lingua 54 (1981), pp. 165-210.
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Syntax and Semantics, vol. 14, Tense and Aspect, pp. 191-213. (Edit.
Tedeschi/Zaenen, Academic Press, 1981).
Lene FOGSGAARD
Université d'Aarhus (Danemark)
Aspectualisation et dynamique
discursives
Les mots isolés, tels que nous les trouvons dans les dictionnaires
et dans les traités de philologie, sont des abstractions qui, sous
cette forme, n'ont que peu de rapport avec la véritable vie du
langage.
O. Jespersen
demandes (3).
Sous ces conditions, nous envisageons la description comme un
dispositif hiérarchique, ou stratifié, en mesure, par là-même,
d'assigner à telle caractéristique (ou telle classe de caractéristiques)
une place, un rang, ou bien encore une valeur. Il nous paraît que la
description d'une fonction devrait, pour se connaître en somme elle-
même, viser l'une des trois possibilités suivantes : la consistance,
l'universalité ou la généralité. Les dénominations étant forcément
expédientes, seules importent les relations associant entre elles ces
trois approches :
perfectif vs imperfectif
limites vs degrés
en appariant normalement :
A lire les bons auteurs, la distinction qui émerge est celle qui
confronte :
démarcation vs segmentation
et attribue respectivement :
(9 ) J. Holt, op. cit., p. 29. Il est loin d'être certain, ainsi que l'indique Holt,
que l'aspect soit indépendant du sujet parlant. P. Fabbri a suggéré que le perfectif
et l'imperfectif pourraient renvoyer à des régimes de débrayages incomparables :
pour le perfectif, le sujet observateur se placerait «à distance» du procès,
l'embrasserait, tandis que pour l'imperfectif il serait comme immergé «dans» le
procès, et de ce fait n'en distinguerait ni le début ni la fin. Cette interprétation
recoupe l'opposition des catégories utilisées par Hjelmslev pour rendre compte de
l'aspect à savoir l'opposition :
ponctuel (perfectif) vs massif (imperfectif)
Qu 'est-ce qui empêche de faire du ponctuel la limite du perfectif et corrélativement
du massif la limite de l'imperfectif ? Mais l'essentiel n 'est peut-être pas là : que
l'on catalyse un sujet observateur, comme le demande P. Fabbri, ou non, le
perfectif et l'imperfectif (niveau N1 ) sont approchés par rapport aux notions de
limites (N2 ), lesquelles demandent leur transfert, leur projection sur N3, niveau
où la démarcation, génératrice des limites, et la segmentation, génératrice des seuils
et des degrés, tantôt composent (régime participatif), tantôt s'opposent (régime
antagoniste). Indiquons que seules les définitions schématiques doivent être envi
sagées : au-delà les distinctions aspectuelles tombent bientôt dans le byzantinisme :
la fin du commencement coïncide-t-elle avec le début de la durativité ? La fin de
la durativité coïncide-t-elle avec le commencement de la fin ?... Mais ces jeux,
vains en eux-mêmes, sont, peut-être, l'image en creux de la poïétique de la
langue. (Nous examinerons plus loin, en 2. 5., jusqu 'à tel point il est possible de
refuser de voir dans les paires imperfectif/perfectif ou massif/ponctuel des primi
tives ).
(10) L. Hjelmslev, Essais linguistiques, op. cit., p. 140.
89
En effet :
(11 ) Une démarche comparable à celle qui est tentée ici a été conduite pour
la dimension cognitive par J. Fontanille et M. Hammad. La typologie des sujets
observateurs proposée par J. Fontanille distingue, ou plus exactement gradue
l'assistant, le spectateur et le focalisateur : dans l'ordre indiqué, c'est par abstrac
tion que le spectateur se dégage de l'assistant, que le focalisateur se dégage du
spectateur; selon l'ordre inverse, le focalisateur, simple épure actantielle, reçoit des
investissements actoriels de plus en plus denses quand il est manifesté comme
spectateur puis comme assistant. (In Sémiotique 2, op. cit., pp. 155-156).
90
I. 3. Aspect et méta-langage
La question du méta-langage ne peut pas ne pas se poser, avec
l'embarras prévisible. Si le méta-langage recueille les «mots qui
parlent des mots», ces «mots» appelleront à leur tour une analyse
ou une description laquelle, à son tour... aussi longtemps qu'un arrêt
ne décrètera des «indéfinissables» et annulera le fait que ces
«indéfinissables» valaient précisément, dans le moment précédent,
comme «définissants». L'aspect permet d'envisager une autre
approche : si nous supposons la description de l'aspect valide et que
l'aspect soit bien une des composantes du méta-langage, alors la
teneur du méta-langage d'une part, son principe d'autre part, se
trouvent sensiblement déplacés.
(15) «L'une des cases de la zone sémantique est choisie comme pivot du
système. Un seul sert à désigner exclusivement le pôle choisi comme pivot; les
autres cas se groupent autour de lui tout en offrant une figuration extensionale
complexe ou neutre par rapport à ce premier terme.
Le pôle choisi comme base du système peut être n'importe laquelle des trois
cases dans l'échelle significative. Le système peut présenter l'orientation positive,
négative ou neutre.» (In L. Hjelmslev, La catégorie des cas, Munich, E. Fink
Verlag, 1972, p. 112). Voir également la note précédente.
(16) C'est assurément la théorie de la marque qui est en cause, à un détail
près : la théorie de la marque sera expliquante si elle est d'abord expliquée.
94
(19) Selon Hjelmslev : «il n'existe pas de formation universelle, mais seu
lement un principe universel de formation.», in Prolégomènes, op. cit., p. 98.
(20 ) Eu égard à la typologie, elle-même triadique, des sujets cognitifs avan
cée par J. Fontanille, l'homologation est partiellement possible, mais délicate. Elle
est possible si Ton prend comme repère le sujet de l'hyper-savoir et en le défi
nissant comme celui qui voit bien l'application de l'orientation sur l'information,
comme celui qui perçoit ce «deux en un» et qui comprend que l'information est
97
une demande et l'orientation une réponse. Elle reste délicate dans la mesure où les
sujets cognitifs débrayés le sont, dans notre perspective, d'abord sur la base de leur
contribution.
(21) Cf. sur ce point Cl. Zilberberg, «Pour introduire le faire missif», in
Raison et poétique du sens, op. cit., pp. 97-113.
98
des plages qui dans le cas de l'aspect ont reçu les noms d'inchoativité,
durativité et terminativité. Dans le cas de l'aspect, la forme sémiotigue
procède tout autrement : la perfectivité n'est plus une case parmi
d'autres, mais le terme intensif, celui dont la signification est stable,
ou stabilisée, parce qu'elle respecte les limites de la case qui est la
sienne du fait de l'orientation, en face du terme extensif dont la
signification s'étend sur les autres cases. Le paradoxe de l'aspect
ressortit, pour le cas examiné, au fait que le terme étendu du point
de vue de la forme scientifique, la perfectivité pour autant qu'elle
dénote le procès achevé, se trouve être le terme étroit du point de
vue de la forme sémiotique. Forme scientifique et forme sémiotique
sont ici dans un rapport de chiasme.
(22) Il nous semble que les discussions qui ont lieu autrefois à propos du
carré sémiotique auraient gagné à être formulées en termes de hiérarchie
fonctionnelle et que, pour le dire succinctement, on demandait à l'information de
produire des valeurs qui ressortent à l'orientation.
99
Saussure Hjelmslev
Dans ce cadre duel, ce théâtre, les relations, l'ambiance sont toutefois assez dif
férentes. La position de Hjelmslev est la plus simple à appréhender : la forme
scientifique témoigne de la puissance de la forme sémiotique dans le cadre d'une
sémiosis donnée. Par contre, la position de Saussure se laisse malaisément cerner et
dépend des textes que l'on retient d'abord : le CLG ne nous apprenant pas grand-
chose à ce sujet - peut-être précisément parce qu'il n'est pas de la main de Saus
sure... mais ceci est une autre histoire - il nous faut nous tourner vers les autres
textes et, à cet égard, nous nous en tiendrons au constat suivant :
- le Mémoire, dont certainement Hjelmslev est le seul continuateur du point
de vue théorique, ne veut connaître que la forme sémiotique, la définition
fonctionnelle qui transcende les affinités substantielles inventoriées par la descrip
tion phonétique et détache, par exemple, / i / et / u / de / a / pour les rapprocher
fonctionnellement parlant - de /r / , /m / et /n / ;
- les Principes de phonologie et les manuscrits vont, eux, dans une direction
opposée : les espèces émanées de la forme scientifique et classées selon leur degré
d'aperture sont prises en charge par les catégories syllabiques issues du jeu de
l'implosion et de l'explosion. Et c 'est ici que la formulation s'avère ambiguë : ces
catégories syllabiques ne sont pas tributaires des espèces, mais envisagées en elles-
mêmes, pour elles-mêmes, elles sont ce qu'elles peuvent être, c'est-à-dire néces
saires.
(25 ) L. Hjelmslev, Nouveaux essais, Paris, P .U .F., 1985, pp. 69-80.
101
- de la perfectivité à hauteur de N1 ;
- de la démarcation à hauteur de N2 ;
- de l'indivisibilité à hauteur de N3.
durée exprimée est posée comme indivisible, parce qu'elle est dirigée
par la célérité.
- l'imperfectivité à hauteur de N1 ;
- la segmentation à hauteur de N2 ;
- la divisibilité à hauteur de N3 - laquelle devient ainsi le
répondant de l'imperfectivité comme de celui de l'itérativité.
Claude ZILBERBERG
Paris
Deux questions sur
l'aspectualisation des blocs
I. Le matériel
Nous reprenons le matériel et quelques données qui résultent de
l'analyse narrative et discursive des compositions que les jeunes
Brésiliens rédigent au titre de l'une des épreuves de l'examen
d'entrée à l'Université (1), ceci pour essayer de répondre à deux
questions concernant l'aspectualisation discursive des textes :
(2) Il faut remarquer que la fête, en même temps qu'elle rompt la durée de
la routine à la maison, installe une nouvelle durée :
(4) Cf. Claude Zilberberg, Essai sur les modalités tensives, Amsterdam,
Benjamins, 1982.
112
III. Aspectualisation et
contexte psycho-socio-culturel
Pour déterminer les rapports entre l'organisation aspectuelle des
conditions et le contexte psycho-socio-culturel nous nous appuyons
sur deux études sémiotiques de la culture brésilienne effectuée par
J.L. Fiorin (6). Fiorin définit la culture brésilienne, c'est-à-dire
l'image que les Brésiliens ont d'eux-mêmes et de leur culture, par la
conciliation de termes contraires ou par la neutralité qui nie les
deux. La culture brésilienne, selon l'auteur, est, en général, dite une
culture «baroque», justement parce qu'elle se caractérise par
l'englobement des termes contraires : supérativité vs. infériorité,
identité vs. altérité, unité vs. pluralité, individualité vs. sociabilité,
intériorité vs. extériorité, etc. Le thème de l'éclectisme est alors
reconnu comme un des traits du «caractère national». Il permet de
rapprocher et même d'englober dans un élément commun, des
personnes, des événements, des groupes différents et encore des
traditions sociales et politiques divergentes.
Fiorin examine l'image que les Brésiliens construisent de leur
culture comme un terme complexe qui, au niveau fondamental du
parcours génératif de la signification, subsume les éléments
contraires. La relation est euphorique, et non les termes polaires. On
valorise positivement la complexité du rire et de la gravité, du
travail et du loisir, de la liberté et de la réglementation, de l'excès et
de l'insuffisance, du logique et de l'absurde, de la cordialité et de la
violence.
Au niveau des structures narratives, l'auteur souligne que les
rapports entre les sujets sont plutôt contractuels que polémiques. Les
relations intersubjectives sont conçues, dans la culture brésilienne
dominante, comme des contrats ou des échanges. Les thèmes (et les
termes) les plus fréquents du vocabulaire politique du Brésil sont la
conciliation, l'accord, le pacte.
1) Devoto-Oli :
« Il profondo e amaro turbamento interiore che ci assale quando ci
rendiamo conto di aver agito o parlato in maniera riprovevole».
(Le profond et amer trouble intérieur qui nous assaille lorsque nous
nous rendons compte d'avoir agi ou parlé de façon répréhensible).
2) Zingarelli :
«Turbamento e timore che si provano per azioni, pensieri o parole
che sono o si ritengono sconvenienti, indecenti, indecorose e sim. e
che sono o possono essere causa di disonore o rimprovero».
(Trouble et crainte que l'on éprouve pour des actions, des pensées ou
des mots qui sont ou que l'on considère comme inconvenants,
indécents, indignes etc. et qui sont ou peuvent être cause de
déshonneur ou reproche).
Ponctualité Durativité
des réalisations VS de la
sémiotiques compétence
Francesco MARSCIANI
Université de Bologne
Aspectualisation, quantification,
et mise en discours
Ces emplois de discours réalisent les quatre saisies suivantes sur les
cinétismes de langue :
130
(1 ) Cf. Greimas et Fontanille, Des états d'âme aux états de choses, Essais de
sémiotique des passions, à paraître 1991, Le Seuil.
132
Le nombre et l'être
Dans L'Art romantique, à propos de Victor Hugo, Baudelaire se
demande :
Le conflit discursif
On connaît en général très bien les poèmes de l'homogénéité
reconquise : Correspondances, Harmonie du soir, entre autres, où le
parcours du sujet discursif seul est manifesté, occultant celui de
l'anti-sujet; on connaît aussi les procédés mis à la disposition de ce
parcours : correspondances, synesthésies et symbolisation; Cl.
Zilberberg a montré en outre, dans Une lecture des « Fleurs du Mal»,
le rôle essentiel du terme complexe et de ses divers équilibres dans
l'écriture de Baudelaire. Mais on s'est moins intéressé aux poèmes
qui manifestent à la fois le parcours et les procédés de l'anti-sujet et
du sujet, c'est-à-dire le conflit discursif; Tout entière en offre pour
tant une belle illustration :
Le Démon, dans ma chambre haute, Quel est le plus doux.» - O mon âme!
Ce matin est venu me voir, Tu répondis à l'Abhorré :
Et, tachant à me prendre en faute, «Puisqu'en Elle tout est dictame,
Me dit : «Je voudrais bien savoir, Rien ne peut être préféré.
faisait que défendre le statu quo. Mais dans les termes mêmes de sa
défense, le sujet discursif admet la pluralisation, et l'existence des
parties (les quelque chose), éventuellement mises en relation (les
nombreux accords ) entre elles. L'état euphorique d' harmonie pré
suppose lui-même l'existence de parties différentes, et un processus
d'homogénéisation qui les aurait réunies en un accord global : une
syntaxe est en cours, et ce n'est pas simple résistance au faire
démoniaque, mais transformation du résultat de ce faire.
Les procédés communément affectés à l'homogénéisation chez
Baudelaire sont tous ici présentés. On repère tout d'abord, sur
l'isotopie musicale, 1' accord et 1' harmonie, qui introduisent, dans le
processus même de la réunification du corps, des règles d'aspectua-
lisation. La cohabitation des contraires dans un terme complexe se
remarque dans :
Le modèle sous-jacent
A partir de l'aspectualisation de l'acteur examinée jusqu'ici, et
qui présente l'avantage, paradoxalement, d'être moins bien connue
que l'aspectualisation temporelle, et donc de n'être pas encore dotée
de catégories spécifiques qui feraient écran à la connaissance de la
procédure sous-jacente, on peut envisager de généraliser les résultats
obtenus. L'aspectualisation reposerait donc à la fois sur une
composante quantitative et sur une composante polémique; la
composante quantitative est dotée d'une syntaxe discontinue et
dialectique; la composante polémique est dotée d'une syntaxe
continue, tensive, résultant des variations d'équilibre entre les
forces dispersives et cohésives. On obtient, grâce à la composition de
ces deux dimensions, un modèle qui conjugue le continu et le
discontinu. Mieux qu'un long discours, une représentation gra
phique, sans aucune prétention mathématique, permettra d'y voir
plus clair :
140
Pour finir
Comme bien des fonctionnements discursifs l'aspectualisation
résulte de la composition de plusieurs variables : ici, celle du quan
titatif et du conflictuel dans les opérations de débrayage et
d'embrayage, appliquées à la conversion des transformations
discursives en procès, et des actants en acteurs. Il est à remarquer, à
cet égard, que l'aspectualisation, bien qu'elle procède de l'em
brayage, ne se confond pas avec lui : d'une part la question de
l'aspectualisation n'épuise pas celle de l'embrayage, et d'autre part,
l'aspectualisation fait appel à un principe continu et tensif qui
n'appartient pas en propre au niveau discursif, mais qui doit être
postulé dans la théorie sémiotique dès les pré-conditions de la
signification, et antérieurement à la catégorisation elle-même.
Quoi qu'il en soit, l'aspectualisation apparaît ici prise dans les
contraintes de l'énonciation : pour être énoncés, un procès ou une
figure doivent obligatoirement être ou bien focalisés, ou bien
aspectualisés; s'ils sont aspectualisés, c'est qu'on a fait le choix de
manifester telle ou telle composante dans la perspective (et dans
143
Jacques FONTANILLE
Université de Limoges
L'aspect et le temps verbaux
en tant que composants
de la structure linguistique
I. Introduction
Les caractéristiques des catégories purement linguistiques de
l'aspect et du temps que j'entends présenter ici sont fondées sur une
analyse sémantique du russe contemporain dont le début date de
plusieurs dizaines d'années. Au fil des années, ces recherches m'ont
de plus en plus convaincu que les relations entre des unités
morphologiques, qu'elles soient grammaticales ou lexicales, sont
fondées sur des oppositions binaires privatives. L'une des unités, à
savoir l'unité marquée, comporte un trait sémantique qui manque à
l'autre unité; cette autre unité, l'unité non-marquée, est neutre à cet
égard et ne précise pas l'information annoncée par le trait séman
tique qui caractérise l'unité marquée.
I I . Conclusions préalables
De plus, des analyses approfondies ont abouti aux quatre
conclusions suivantes, tout à fait essentielles.
146
: signifie : correspond à
les lignes horizontales indiquent l'énoncé
pour la Pluralité et la Démarcativité les pointillés indiquent un ensemble non-infini
pour l'Annulation et l'Objectivité les pointillés indiquent l'annulation
les hachures indiquent que le référent est identifié d'avance
(Préidentité [ ou Préidentité impliquée dans les traits suivants ] )
ville de Limoges consistait en une liste des plans de vol qui guiderait
les avions vers elle. Les traits sémantiques ne donnent guère une
description d'un segment quelconque de la réalité extérieure, mais
ils décrivent la procédure même aboutissant à l'identificatiion d'un
tel segment de la réalité extérieure. Les traits sémantiques n'ont rien
à voir avec la réalité extérieure, sauf le trait commun à tous, qu'ils
aboutissent à un acte d'identification de n'importe quel élément de la
dite réalité. Ceci relève du fait que la perception aboutit à un acte
d'identification. Par conséquent, les traits sémantiques ont en
commun la référence à l'acte même d'identification de n'importe
quel élément de la réalité exogène. La référence à l'acte d'identifi
cation est l'ultime invariant de la signification puisque cet acte
même est le seul invariant que toutes les significations de la langue
humaine ont en commun (4).
II. 3. Hiérarchie
Chacun de ces six traits sémantiques indique une procédure
différente par laquelle on peut identifier un certain ensemble de
segments de la réalité extralinguistique. Cependant, ces traits
constituent un ordre hiérarchique dans la mesure où le trait suivant
implique le trait précédant. Par exemple, l'annulation implique la
vérification; cf. fig. 1. Or, cette hiérarchie est fondée sur une reco
dification de l'acte d'identification. L'acte d'identification amène la
recodification (figure 3 page suivante).
Par exemple, dès que le trait conceptuel de la pluralité est
instancié, nous avons affaire à une pluralité distincte, donc à une
pluralité limitée. Ce sous-ensemble possédera une nouvelle propriété
qui est le résultat de l'acte même d'identification. Cette nouvelle
propriété, qui signifie une pluralité limitée, est recodifiée et élevée
au rang de trait sémantique. Ainsi l'acte d'identification mettant en
oeuvre le trait de la pluralité est recodifié de sorte qu'il aboutisse à
un nouveau trait sémantique, à savoir le trait de la démarcativité (5).
(6) H.R. Maturana, F.J. Varela, Autopoiesis and Cognition (Boston Studies
in the Philosophy of Science, 42), Dordrecht, 1980; C.H. van Schooneveld,
« Praguean Structure and Autopoiesis : Deixis as Individuation », in Proceedings of
the First International Roman Jakobson Conference : «New Vistas in Grammar :
Invariance and Variation», October 10-13, 1985 (à paraître); Y. Tobin, «Three
Sign-Oriented Theories : A Contrastive Approach », in Descriptio Liinguistica,
Tuebingen, 1987, p . 60.
152
un groupe identificationnel
un groupe transmissionnel
un groupe identificationnel singulatif
un groupe transmissionnel singulatif.
(11) C.H. van Schooneveld, «The Semantics and Syntax of Russian Pro
nominal Structure », Proceedings of the XIith International Conference on Compu-
tational Linguistics (COLING XII), Budapest, August 1988, Budapest, 1988, pp.
705-707; idem, «The Semantics of Russian Pronominal Structure», American
Contributions to the Tenth International Congress of Slavists, Sofia, September 1988;
Linguistics, (Columbus, Ohio, 1988), pp. 401-414.
(12) C.H. van Schooneveld, «Praguean structure...»; idem, «Baudouin de
Courtenay 's Methodological Premisses for the Investigation of Language and their
Relation to Present-day Linguistics», Jan Niecislaw Baudouin de Courtenay a
lingwistyka swiatowa, Wroclaw, 1989, pp. 11-16.
(13) E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, t. 2, Paris, 1966, pp.
80-85 ; J. Simonin-Grumbach, « Pour une typologie des discours », Langue Discours
Société, pour Emile Benveniste, Paris, 1975, pp. 85-121.
(14) C.H. van Schooneveld, «Programmatic Sketch of a Theory of Lexical
Meaning», Quaderni di Semantica, vol. IV, n°1, Bologna, 1983, pp. 129-130;
154
o"" : vérif'
plur"" : vérif'
dém"" : dém',obj'
préid"" : vérif (accusatif).
plur" ' plur" ' plur" ' plur" ' plur" ' plur" ' plur"
dém" ' dém" ' dém" ' dém" ' dém" ' dém" ' dém" '
préid" ' préid" ' préid" ' préid" ' préid" ' préid" ' préid"
vérif" ' vérif' ' vérif' ' vérif" ' vérif' ' vérif" ' vérif' '
annul" ' annul" ' annul " ' annul" ' annul" ' annul" ' annul" '
obj" ' obj" ' obj" ' obj" ' obj" ' obj" ' obj" '
Figure 4
157
Cf. figure 6. Pour des raisons de clarté, tous les autres traits sémantiques possibles ont été supprimés.
tandis que dans l'aspect perfectif c'est l'énonciation qui s'insère dans
le complémentaire du signifié. Pour aboutir à la signification du
perfectif, il suffit de compter l'énonciation parmi les actions ima
ginaires qui forment la toile de fond du référent; pour aboutir à la
signification du prétérit (dont notamment dans l'usage hypothétique,
le référent peut être imaginaire) il faut d'abord avoir identifié
l'énonciation effective comme un élément avéré de la situation
énonciative et la prendre en considération comme composant latent
constaté de l'énoncé, et ensuite il faut la rejeter comme telle en
l'excluant de l'énoncé; l'identifiabilité de l'énonciation comme
référent (énoncé) est niée. L'énonciation devient donc imaginaire.
Sur le plan grammatical, nous avons exactement affaire au même
trait sémantique, à savoir l'annulation, qui distingue la préposition
hors de la préposition en. Hors est marqué par l'annulation; en est à
cet égard la préposition non-marquée. L'annulation considère la
position en comme une position avérée, la rejette par la suite et la
remplace par son complémentaire.
Dans les deux catégories, celle du prétérit et celle de l'aspect
perfectif, on peut nettement distinguer entre les deux stratifications
sémantiques : la préidentité singulative transmissionnelle (préid""),
qui donne l'encadrement, et les traits identificationnels (dém' et
annul', respectivement) qui s'insèrent dans ce cadre et qui indiquent
le traitement du matériau lexical dans le cadre de la préid"", cadre
qui réunit l'énoncé (le matériau lexical) et l'énonciation effective. La
démarcativité (préid""/dém; l'aspect perfectif) délimite le référent
de son complémentaire. D'autre part, l'annulation (préid""/annul';
le prétérit) exclut le présent, comme énoncé imaginaire (codai) iden
tifié pendant l'énonciation, de l'énoncé. La figure 6 sert à illustrer le
mécanisme sémantique du prétérit.
C'est encore la préidentité singulative transmissionnelle
(avec la préidentité identificationnelle, marque de la conjugaison
(préid""/préid') qui identifie le présent, c'est-à-dire l'énonciation
comme faisant partie potentielle de l'énoncé, pendant l'énonciation.
Il faut donc distinguer l'énonciation comme acte des locuteurs ou
plutôt l'identification de l'énonciation, de l'énonciation identifiée,
qui peut être un composant de l'énoncé. Ce sont donc les traits
identificationnels sous le cadre de préid"" qui créent une énoncia-
tion énoncée.
Je crois donc que la distinction entre temps verbal et aspect est
tout à fait nette.
0"" plur"" dém"" préid"" vérif"" annul"" obj""
(lex) (formation (parties du (signification (accord) (accord) (accord)
des mots) discours) grammaticale)
Cf. figure 5. Pour des raisons de clarté. tous les autres traits sémantiques possibles ont été supprimés.
Figure 6 : le préterit.
163
164
X. Ma conclusion
Premièrement. Les traits sémantiques qui caractérisent l'aspect
et la catégorie de temps sont des invariants que l'on retrouve dans
tout le système grammatical, voire par toute la structure sémantique
de la langue russe. Ce que je me suis efforcé de mettre en relief c'est
que du point de vue de la structure sémantique, il n'y a rien de
surprenant dans les significations invariantes de l'aspect perfectif et
du prétérit et à plus forte raison dans les significations des deux
catégories opposantes non-marquées, c'est-à-dire l'aspect imperfectif
et le présent grammatical. Le perfectif et le prétérit sont tous deux
marqués par des traits conceptuels qui se retrouvent ailleurs dans la
même structure linguistique et en font partie intégrante.
Deuxièmement. A mon sens, beaucoup de linguistes sont trop
défaitistes. La science cherche des régularités. Cherchez et vous
trouverez. Dès maintenant, les faits sémantiques de la langue sont,
dans une certaine mesure, calculables.
2. Noème et morphologie
B. Pottier se réfère, dans son article Linguistique et intelligence
artificielle (1), au langage gestuel étudié par Yau (2), qui avait fait
remarquer que la valeur/fini/ se mime par «mains étendues, paumes
inférieures s'écartant toujours»; B. Pottier prolonge l'observation en
ajoutant que le phénomène s'explique par un noème, une représen
tation mentale prenant la forme générale d'un parcours abstrait :
3 • Formes et catastrophes
Ainsi, là où la syntaxe superpose, la sémantique juxtapose;
sinon, il n'y a pas de noème. Il est évident que par rapport au faire,
commencer le précède et finir le suit. Cet ordre est temporel :
4 . La signification symbolique
Mais il faut ici considérer un troisième facteur (à côté de la
forme normative et la forme transitive, qui commandent respec
tivement le caractère mono-catastrophique ou bi-catastrophique), à
savoir leur signification symbolique. Les états actifs qui peuvent
s'interpréter comme des opérations par lesquelles «on fait quelque
chose à quelqu'un» se globalisent de la même manière que les actes
de parole : le performatif promettre n'admet pas de «commen
cement» ni de «fin», sauf en position descriptive (et encore); on
promet, ou on ne promet pas, le sens de ce faire est unitaire et
temporellement ponctuel, sans être pour autant mono
catastrophique (sinon, ce serait un état, comparable à s'inquiéter,
chanter, sauter ); les deux bornes se rapprochent plutôt jusqu'à
former un temps identique à celui de l'énonciation matérialisée. Les
faire à signification symbolique intègrent leurs gestes en un seul
mouvement significatif qui prend la même valeur qu'un acte
langagier. On peut dire qu'il s'agit du temps de l'intention. La
signification symbolique est intentionnelle, elle relie son destinateur
et son destinataire le temps d'un éclair, qui est celui du passage d'un
«message» pragmatique. Si un faire possède à la fois une forme
transitive et une signification symbolique, ses deux limites se rap
prochent ou s'écartent selon que le contexte sélectionne la lecture
symbolique ou la lecture transitive (la transitivité désigne la trans
formation d'un autre état non intersubjectif).
Donner est un exemple de cette instabilité : même «donner
raison à quelqu'un» est transitif (accepter quelque chose), alors que
«donner un cadeau à quelqu'un» est clairement symbolique. Par
conséquent, on n'a pas :
6. Noème et géométrie
En nous résumant, nous pouvons inscrire ce qui précède dans la
noématique discrètement proposée par B. Pottier. Le «tunnel»
gestuel et géométrique contient entièrement le contenu de l'état dont
la forme temporelle est normative et monocatastrophique ; c'est donc
son entrée, tensive, qui constitue la limite, et sa sortie est égale à
l'entrée : tensive ou détensive, c'est une frontière simple entre ce qui
appartient à l'état et ce qui ne lui appartient pas. Or, pour les états
7. La vibration du temps
Notre idée est alors la suivante : Vaspectualité exprime notre
sensibilité catastrophique. Si nous «pensons» ou sentons le cours des
choses en «termes» de flèches traversant des frontières, ces flèches
peuvent apparaître plus ou moins «droites», plus ou moins «vi
brantes» dans leur rapport dramatique à la frontière qu'elles tra
versent. La valeur aspectuelle marquée serait celle qui signale
l'existence d'une vibration de ce type; alors que la valeur non-
marquée suggère un comportement straight, llano, simple et linéaire,
sans détours.
Un état normatif «arrive» par un futur (où il est encore
impossible), un présent (où il est déjà possible), pour s'« installer »
dans un présent-passé rétrospectif où l'on « est depuis un moment »
(«Je m'inquiète depuis quelque temps...»). Ces segments temporels
correspondent aux séries modales ou, dans la terminologie de M.
Greimas, aux modes d'existence, que nous venons de préciser
pour E 2 (virtuel : futur; actuel : présent; réalisé : présent-passé
rétrospectiD, mais nous pouvons simplifier la représentation en
marquant la zone d'actualisation qui sépare la virtualité de l'état
réalisé comme une frontière pour ainsi dire épaissie :
(9 ) Il se mit à crier.
(10) Il s'arrêta de crier.
8. A s p e c t u a l i t é et o r g a n i s a t i o n inter-
propositionnelle : l'attente
(2) Ibid.
179
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Cf. Petitot. (1985 a ) , (1985 b ) , (1986 c ) , (1987), (1989 b ) , (1989 d ) ,
(1989 c ) , (1989 f ) , (1989 g ) .
180
I I I . Le statut de l'aspectualité
Médiatrice entre le pôle logique d'une syntaxe actantielle et le
pôle topologique d'une esthétique transcendantale, l'aspectualité
constitue une instance pivot. Son statut est bimodal, régi par une
sorte de principe de complémentarité logique - topologique. Pour des
raisons relevant de l'histoire des idées, il est devenu habituel de
privilégier le logique au détriment du topologique. Le logico-
symbolique est projeté en profondeur et l'on «monte» par paliers
successifs vers une superficialité topologique (discursive). Cette
démarche n'est pas propre à la sémiotique. C'est de façon très
générale que, dans les théories cognitives, linguistiques et discur
sives, on suppose qu'il existe au niveau profond des structures pri
mitives formelles, relationnelles et abstraites, et que, à travers une
suite de niveaux successifs de représentation et d'opérations de
construction (prédication, modalisation, aspectualisation, focalisa
tion, thématisation, catégorisations, quantifications, qualifications,
etc.), on en arrive aux niveaux superficiels de la manifestation. Dans
de telles approches, les opérations aspectuelles apparaissent comme
une insertion des relations formelles dans l'espace et dans le temps,
ce qui permet de situer spatio-temporellement la représentation
prédicative construite par l'énoncé et, par là-même, de référer des
«états de pensée» internes à des «états de choses» externes (6). Le
topologique et le dynamique y opérent donc de façon superficielle.
En profondeur règne la perspective essentiellement discontinue et
discrète de l'être et du faire, être et faire relativement auxquels le
devenir naturel n'est qu'un simple supplément (7).
(11) Cf. Gibson (1979) et Marr (1982). Pour des précisions, cf. Petitot
1990a.
(12) Fodor-Pylyshyn (1981). Cf. également Petitot 1990a pour une discus
sion.
185
(13) Nous avons longuement analysé ces problèmes dans un certain nombre
de travaux. Cf. en particulier Petitot (1985 a ) , (1985 b ) , (1989 b ) , (1989 e ) ,
(1989 f ) .
186
travers une forme. Or les entéléchies sont des signes - mais ce sont
des signes qui ne s'adressent à aucun sujet, des signes dont l'inter
prétant n'est pas un sujet mais la nature elle-même (14). C'est cette
dimension sémiotique sans sujet, immanente à la nature, que la
phéno-physique déploie en sémiophysique. Ce faisant, elle confirme
partiellement l'hypothèse écologique d'un fondement naturel objec
tif du sens.
(14) Je remercie Robert Marty et Antonio Machuco pour ces précisions sur
l'aristotélisme de Peirce.
187
types très différents de systèmes cognitifs (15). Les premiers sont les
systèmes périphériques modulaires. Ils ont pour fonction de trans
former les informations neuronales périphériques fournies par les
transducteurs (la rétine par exemple) en représentations possédant
un format propositionnel adéquat pour les calculs symboliques
mentaux. Ce sont des transducteurs compilés, fonctionnant auto
matiquement et de façon strictement ascendante (« bottom-up » : du
périphérique vers le central) comme des réflexes computationnels.
Ils sont spécifiques et informationnellement cloisonnés (c'est-à-dire
insensibles aux croyances, aux connaissances, aux attentes, etc., du
sujet). Ils formulent des hypothèses et effectuent des inférences non
démonstratives permettant aux stimuli sensoriels proximaux d'être
transformés en représentations sur des objets distaux. Mais il existe
également des systèmes cognitifs centraux, qui sont non modulaires,
non spécifiques, non cloisonnés, descendants, interprétatifs (et donc
sensibles aux croyances, connaissances, attentes, etc.). Dans la
mesure où il n'existe aucun contrôle nomologique de leur
fonctionnement, ils ne sont pas, selon Fodor, traitables scientifi
quement : c'est le problème du holïsme sémantique. Ils sont «iso
tropes» (toute croyance, toute connaissance, toute attente sont
partiellement pertinentes pour l'interprétation et le traitement de
sortie des modules) et «quiniens» (l'ensemble des croyances, etc.
influe sur chaque traitement, etc.) (16).
Un des aspects du problème du holisme sémantique est que ce
qui est significatif dans l'environnement pour le sujet cognitif (au
trement dit l'interaction sujet/environnement) n'est pas nomologi-
quement légalisable (ne peut pas être dérivé des lois de la nature) et
que, par conséquent, une psychologie scientifique (donc nomolo
gique) ne peut pas inclure une référence constitutive aux structures
du monde extérieur. La seule réalité objective est la réalité physique
au sens physicaliste du terme. Elle agit causalement sur les automa
tismes computationnels des transducteurs et des modules. Ensuite,
au niveau des systèmes centraux, seule la forme syntaxique des
représentations agit causalement. La signification n'est pas objet de
science, sauf en ce qui concerne une sémantique formelle dénotative.
Jean PETITOT
E.H.E.S.S. Paris
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et Théorie des catastrophes, (J. Petitot ed.), 345-376, Genève, Edi
tions Patino.
193
(10) Notons d'ailleurs que, selon le Dictionnaire, les deux aspects ne sont pas
au même niveau puisque la « détensivité » surdétermine la relation entre l'inchoatif
et le duratif (la «tensivité» surdéterminant la relation entre le duratif et le
terminatif). La postposition de la détensivité fait donc doublement problème :
absence de hiérarchie apparente entre les aspects et abolition de la relation entre
inchoatif et duratif.
201
par objectivation sur le même plan que les autres temps qui l'enca
drent symétriquement, a perdu dans l'opération toute sa spécificité.
Ou bien, autre vision symétrique qui n'accorde pas davantage de
caractère propre au présent, des formes d'antériorité ou de posté
riorité se subordonnent à des formes de même niveau temporel, par
exemple un antérieur de présent à un présent : « quand il a écrit son
texte, il sort». La succession n'a pas de caractère temporel en soi,
mais la référence à la structure déjà connue passé-présent-futur
permet l'intégration dans le paradigme temporel. Ainsi quelle que
soit l'hypothèse, le «temps» est considéré comme homogène,
c'est-à-dire composé de segments de même nature, disposés sur une
ligne, et symétrique; comme fléché, orienté généralement du passé
vers le présent et du présent vers le futur. Son statut est donc bien
celui d'une unité de raison. C'est un temps « objectivé » (16).
Une organisation aussi achevée ne laisse pas d'inquiéter. Elle a
tout l'air de l'artefact d'une culture dont l'instance, le centre orga
nisateur, est le «schématisme logique» dénoncé par Nietzsche, la
Raison. Or, bien entendu, cette figure du tiers actant n'est pas la
seule imaginable (17). Il suffit de se tourner vers d'autres langues
pour observer des combinaisons toutes différentes. Dans son article
de 1965 (p. 75), Benveniste, s'appuyant sur Sapir, cite le cas d'un
dialecte de la langue chinook (nord-ouest de l'Amérique du Nord) où
un fort déséquilibre est institué entre le passé (trois formes) et le
futur (une forme). On est tenté de penser qu'un tel système verbal
porte les traces d'un jugement de valeur sur le temps. «Impossible
de connaître le temps sans le juger», avançait Bachelard. La pré
valence du passé a ceci de particulier en effet dans cette société
indienne que trois temps sont reconnus : un pour le passé immédiat,
un autre pour le passé lointain. Mais c'est peut-être le dernier qui est
l'attracteur le plus puissant dans la mesure où il manifeste une
tension vers l'origine. La langue a en effet créé une forme pour
noter le passé mythique, autrement dit pour situer l'événement dans
le «temps où les hommes et les animaux n'étaient pas encore
distincts» (18).
(16) Voir les propositions parallèles de J.F. Bordron sur une représentation
tridimensionnelle du temps (le présent, l'axe de symétrie passé/futur, Taxe de
succession), in «Transitivité et symétrie du temps. Préliminaires à une sémiotique
du temps», Travaux du Cercle Linguistique de Copenhague, vol. XXII, 1989.
(17) Le tiers actant est, par définition, doté d'un pouvoir transcendant; voir
notre article cité, p . 97 ; ici-même, la note 14 et plus bas, note 24.
(18 ) C. Lévi-Strauss, Didier Eribon, op. cit., p. 193.
204
(23) Dans Le Discours et son sujet, op. cit., qui est en partie fondé sur cette
ambivalence, le sujet est doté de «jugement»; le non-sujet en est dépourvu. Voir
l'acte d'assertion, note 14.
(24 ) Le prime actant n 'est pas nécessairement tributaire du tiers actant dans
la sémiotique discursive et subjectale ; voir le mythe de Prométhée, in Le Discours
et son sujet, I, p . 51.
207
(25 ) « Saint Augustin », Les Dossiers H, Paris, éd. L'Age d'Homme, 1988.
(26) Benveniste le souligne : «insérer» ne veut pas dire «situer» : «Autre
chose est de situer un événement dans le temps chronique, autre chose de l'insérer
dans le temps de la langue », 1965, p . 73.
208
Marcel réalisait son voyage à Venise. Sous ses yeux en effet, l'étoffe
miroitait et, «au fur et à mesure que [ s ] on regard s'y avançait»,
le bleu profond «se changeait en or malléable, par ces mêmes
transmutations qui, devant la gondole qui s'avance, changent en
métal flamboyant l'azur du Grand Canal» (28). Pour le sujet qui tout
à la fois enregistre et provoque la déformation continue des objets,
l'homologie est claire : l'univers de Venise est comparable à celui de
Guermantes, comme la robe de Fortuny l'est au vitrail de Gilbert
(29). Par ailleurs, c'est dans le devenir-présent que se produit l'alté
ration progressive de l'objet (et, implicitement au moins, la modi
fication correspondante du sujet). Ce temps n'est autre que celui de
la «pure durée», décrit par Bergson, composé de «changements
qualitatifs qui se fondent, qui se pénétrent, sans contours précis,
sans aucune tendance à s'extérioriser les uns par rapport aux autres,
sans aucune parenté avec le nombre». A l'inverse du temps chro
nique qui est homogène et donc mesurable, celui-ci est «hétérogé
néité pure» (30).
Il y a une autre manière d'accéder à la « pure durée » que par la
perception des couleurs. Si nous prenons comme référentiel le temps
chronique, nous dirons que l'expérience est quasi instantanée. Les
changements de forme sont évidemment éphémères. Mais le pro
blème n'est pas là. Ces moments, aussi brefs soient-ils, échappent,
parce qu'ils sont qualitatifs, à toute mesure. C'est encore ce que nous
enseigne le leitmotiv de l'histoire de la «madeleine». Le voir qui
était en action dans l'expérience du vitrail ou de la robe cède la
place au toucher. Les deux modes perceptifs bénéficient d'un régime
temporel différent, comme si l'expérience corporelle était plus
profondément engagée dans le toucher que dans la vision. Marcel le
note en une phrase : la vue de la petite madeleine ne lui avait rien
rappelé avant que la gorgée mêlée des miettes du gateau n'eût touché
son palais. Le corps, il est vrai, enferme «dans mille vases clos» les
Jean-Claude COQUET
Université de Paris VII
Logique d'intervalle
et relations temporelles
dans la bande-image
I. Introduction
On a souvent remarqué, Metz notamment, que les relations
temporelles au cinéma étaient principalement construites, contrai-
rement à la langue, sur la base de relations parataxiques, que la
bande-image était relativement pauvre en ce qui concerne les opé-
rateurs formels marquant des relations de dominance comme les
relations de cause à effet ou les relations de succession ou de simul-
tanéité temporelles. Cela ne veut bien entendu pas dire que le « lan-
gage » cinématographique est plus « pauvre » que le langage verbal
par rapport à l'expression de ces relations, mais plutôt que le spec-
tateur a une compétence « cognitive » lui permettant d'associer à ces
relations parataxiques de plans des constructions sémantiques
beaucoup plus riches.
Dans la mesure où un film dure un certain temps et où il est
constitué d'un certain nombre de plans, dont la première propriété
est qu'ils sont un intervalle continu d'une certaine durée, la première
définition qui vient à l'esprit est celle qui consiste à dire que le film est
une succession d'intervalles temporels. Comme à la fin d'un plan il y a
216
YYYYYY
avant < > XXXX
joint m mi XXXXXXXX
chevauche 0 oi XXXXXXXXXXX
co-start s si XXX
égal XXXXXX
inclus d di XXX
co-finish f fi XXXX
X Y relations possibles
X XX X >
s f1d2 e
Dans la deuxième configuration, on aura alors s < f1, mais e < d2:
X X X X >
s f1 e d2
220
XX XX >
se f1d2
X X X X >
f1 s d2 e
XX XX >
f1d2 se
Pour la quatrième configuration, on aura :
X XX X >
f1 se d2
où là encore s < ou = e.
2) x >< x >
s f1d2 e
4) x x >> >
s e f1d2
6) << x X------->
f1d2 s e
I l l
pl1/1 pl2/1
e1
e2
La relation entre ces deux représentations est maintenant relati-
vement simple; pl 1/1 et pl2/1, en tant que plans ayant une certaine
durée filmique sont des intervalles fermés, interprétés comme
représentant des intervalles ouverts.
Michel COLIN
Un principe monadologique
pour la
représentation des connaissances
1.1. Ces éclats (au sens où eidos signifie en grec aspect et forme)
constituent ce que j'appelle une « aspectualité», soit autant de
singularités liées caractérisant un objet ou phénomène.
Exemple : le « feu ».
Nous pouvons saturer le sens de ce phénomène au moyen des
singularités suivantes :
«flamme» «cendre» «étincelle, brandon, éclair» «calcina-
tion » « substance inflammable » (bois, étoupe,...).
Tous ces aspects constituent ensemble une conjonction-
disjonction comme processus temporel, une présence virtuelle ou une
virtualité actualisable sous tel et tel de ses aspects.
226
TABLEAU 1
Règnes :
minéral - végétal - animal
Spécifiquement :
morphologie végétale
Différenciation végétale
(arbres, fougères, mousses,...)
bassin fluvial,
réseau hydrographique
rivière :
lit, morphologie de flux
description -fabrication
action - judication
instances narration
affabulation
4. Conclusions
J'aimerai terminer cette présentation sur la nature du templum,
pierre d'angle de cet édifice.
Il est semblable à la monade leibnizienne comme atome (au-
tomate, cellule) défini de manière autonome tout en présupposant un
ensemble sous-jacent dans lequel il prend place pour être interpré-
table; nous l'avons constaté à propos de la notion de «paysage».
Les écarts différentiels sur lesquels il fonctionne - qu'ils relèvent
d'une aspectualité ou d'une axiologie - ne sont pas semblables au
fonctionnement des traits distinctifs figés dans des matrices taxino-
miques se rapportant à la définition d'un lexique. Si nous avons bien
un dictionnaire de templums, ce n'est pas tant l'aspect énumératif et
arbitraire des entrées lexicales qui importe que leurs renvois mutuels
des uns aux autres. Cette circularité sous-jacente, ce «jeu du
dictionnaire» présenté comme définitionnel mais qui est en fait
interprétatif par rapprochement, correspond bien à un principe
monadologique que nous opposerons ici à un principe génératif (1) :
alors que dans ce dernier on opère à partir d'axiomes premiers
développés par règles de dérivation, puis des règles de conversion
de niveau à niveau, cheminant ainsi du simple au complexe (ou du
profond au superficiel), dans le premier, nous avons une totalité
donnée d'emblée (dont nous ne nous soucierons pas du mode
d'émergence) et c'est à partir de cette multiplicité active et passive
qu'un réseau d'inférences peut être établi selon les niveaux d'instan-
tiation exposés auparavant.
Notons à leur sujet qu'il ne s'agit pas d'une hiérarchie mais d'une
hétérarchie puisque «description» et «affabulation» peuvent se
boucler l'un sur l'autre.
Si dans le principe génératif le problème central est celui de la
conversion de niveau à niveau (avec l'enrichissement que cela pré-
suppose à chaque passage : d'où vient-il, puisque le contexte ne peut
intervenir?), dans celui d'une monadologie, nous rencontrons le pro-
blème d'une divergence au sens où la totalité étant donnée, du
nouveau apparaît à son insu. Sinon, il n'y a pas d'événement; rien ne
bouge, au sens où le temps n'est qu'une reproduction intégrale. C'est
Pierre BOUDON
Université de Montréal (Canada)
Achevé d'imprimer le 20 février 1991
à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Limoges
Dépôt légal : février 1991
N° d'ordre dans la série des travaux de l'Imprimeur : 064