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COURS 3
Temps
II. Temps
Le terme temps est ambigu en français, car il peut désigner le concept de temps ou les
formes grammaticales qui l’expriment1. On conceptualise le temps à travers la tripartition
passé/présent/futur, où la notion de présent est le repère fondamental qui coïncide avec le
moment de l’énonciation. Le passé est ce qui précède le repère fondamental, le futur est ce qui
le suit. « La catégorie du temps a pour caractéristique essentielle de lier le moment de
l’action, de l’événement ou de l’état de choses dont il est question dans la phrase, au moment
de l’énonciation (c’est-à-dire « maintenant ») » (citation de J. Lyons 19702, p. 234).
Normalement, en tout cas en français, les formes grammaticales du temps renvoient à la
tripartition conceptuelle esquissée ci-dessus, comme d’ailleurs leurs noms l’indiquent : par
exemple le passé simple situe le procès dans le passé, le présent dans le présent, le futur
simple dans l’avenir. Mais le temps dénoté et le temps grammatical ne coïncident pas
nécessairement car le temps dénoté ne dépend pas uniquement du temps grammatical : il est
une propriété de la phrase où la forme verbale apparaît et, d’une façon plus générale, de
l’énoncé. C’est dans ce sens que P. Imbs (1968, p. 11) fait la distinction entre détermination
interne du verbe et détermination externe :
La détermination temporelle apportée par le verbe lui-même, qui s’exprime par des
morphèmes grammaticaux : désinences, auxiliaires (=détermination interne) peut être
complétée (spécifiée, ex. 1) ou modifiée par d’autres déterminations temporelles, exprimées
par d’autres mots dans la phrase : adverbes de temps par exemple (=détermination externe)
(ex. 2-4) :
(2) Jean part maintenant (=il est en train de partir, coïncidence avec le moment de la parole)
(3) Jean part demain matin (valeur de futur, certitude)
(4) Jean quitte le restaurant à l’instant (valeur de passé proche)
De même, dans un système conditionnel, l’imparfait (qui se charge d’une valeur modale) ne
situe pas le procès dans le passé ce qui est dû à la structure de la phrase :
« (Il s’ensuit que) l’actualisation totale (de la temporalité) est l’œuvre commune à la fois des
morphèmes verbaux et des autres éléments d’actualisation que contient la phrase. C’est donc
1
Voilà pourquoi les grammairiens français ont proposé le terme de « tirroir verbal » pour renvoyer aux formes
temporelles verbales, et « temps » est utilisé pour le concept, le temps extralinguistique.
2
John Lyons 1970, Linguistique générale (introduction à la linguistique théorique), Larousse.
1
Temps, mode, aspect ; L3 Lettres Modernes, Valenciennes, V. Mostrov, vassil.mostrov@gmail.com
« (…) tout l’énoncé contribue à la localisation temporelle, qui n’est pas assurée par le seul
verbe » (GMF, 2009 : 517, remarque)
La symétrie entre le passé et l’avenir, représenté sur l’axe des temps, n’est qu’apparente. Le
point de l’énonciation semble constituer un seuil inverseur, séparant symétriquement le passé
et l’avenir. Mais, en fait, passé et avenir n’ont pas le même statut : le passé est le seul lieu
possible de la réalité, de « ce qui a été », alors que l’avenir est le lieu de l’imaginaire, du
possible. Cette différence conceptuelle a des conséquences linguistiques : les temps du passé,
en français, sont plus nombreux, pour référer de façon plus détaillée à ce qui a été, alors que
peu de temps servent à exprimer le futur ; d’autre part, le temps verbal futur se charge de
valeurs modales (probabilité, éventualité) en fonction de la perception de l’avenir, ce qui
amène certains linguistes (comme on l’a déjà dit) à considérer le futur comme un mode.
→ Constatez cette asymétrie en regardant le tableau de Bescherelle
A ce propos, il est intéressant de citer P. Imbs (1968 : 3) qui décrit le passé, le présent et
l’avenir d’une façon presque émotionnelle :
« Un passé n’est pas seulement cette tranche de temps qui est derrière nous, il est aussi
quelque chose d’acquis et qu’on possède comme un bien. L’avenir n’est pas seulement cette
tranche de temps qui est devant nous, il est aussi l’inconnu qui vient, que l’on attend ou que
l’on redoute (cf. le futur en tant que mode). Le présent, entre les deux, n’est pas seulement ce
qui reste du temps quand on en a retranché le passé et l’avenir ; il indique aussi une présence
actuelle, brutale, incontestable. »
Les formes personnelles du verbe ont pour fonction de localiser le procès dans le temps,
celui-ci étant une sorte de réplique abstraite de l’espace (à, en, dans, jusque, étant des termes
identiques pour désigner des relations spatiales et temporelles) :
à Paris / à 17 heures
les enfants sont en classe / c’était en décembre
entrer dans sa chambre / cela lui arriva dans son enfance (=pendant), dans une minute (idée
d’avenir)
Branches qui pendent jusqu'à terre / travailler du matin jusqu’au soir
3.1.1. Le temps indivis ne comporte pas de division en passé, présent et futur : c’est un temps
omnitemporel qui comprend toutes les époques du temps et se confond avec la notion
d’éternité. C’est le présent qui est approprié à l’expression de l’omnitemporel, dans les
énoncés définitionnels ou dans les proverbes par exemple :
2
Temps, mode, aspect ; L3 Lettres Modernes, Valenciennes, V. Mostrov, vassil.mostrov@gmail.com
Dans ce type de localisation, les divisions temporelles exprimées par le verbe sont toujours
centrées autour d’un point d’origine. Autrement dit, elles expriment toujours des relations :
une action est passée par rapport au présent ou au futur, etc.
- Ou bien on prend pour point de départ (=origine) le moment de la parole (=le moment de
l’énonciation) et, dans ce cas, de part et d’autre de ce présent « réel » (appelé parfois absolu)
sont situés le passé et le futur (voir définition de temps ci-dessus)
(passé) (futur)
Paul est arrivé hier. Il est maintenant à la banque et partira demain pour Paris.
(origine-présent coïncidant avec le moment de l’énonciation)
- Ou bien, par un effort d’imagination, on transporte l’origine des temps soit au passé, soit au
futur, le passé et le futur devenant alors les repères par rapport auxquels les événements sont
localisés. Dans ce cas de figure, les catégories du passé et du futur deviennent celles de
l’antérieur et du postérieur :
Quand il aura achevé sa tâche, il estimera sans doute qu’il faudra la reprendre
(antérieur du futur) (origine-futur) (ultérieur du futur)
On est donc en présence d’un système primaire (origine : présent d’énonciation) et de deux
systèmes secondaires (origine : passé ou futur). Les trois systèmes combinés donnent la figure
suivante (P. Imbs 1968 : 14) :
☼ Remarque : ce type d’opposition concernant l’origine des temps se rencontre aussi dans les
adverbes temporels :
• hier / aujourd’hui / demain (indicateurs déictiques qui se situent par rapport au moment de
l’énonciation, aujourd’hui coïncidant avec ce moment)
• la veille / ce jour-là / le lendemain (indicateurs qui ne peuvent être compris que par
référence à des repères donnés de façon explicite dans le texte, ce jour-là pouvant être un tel
repère)