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8/9/22, 18:25 Temps verbaux

LES TEMPS VERBAUX DANS LE RECIT


Deux systèmes : récit / discours
L'énonciation historique ou récit produit un énoncé d'où est absente toute référence à l'énonciation, aux paramètres de la situation de communication. L'effacement du
sujet qui énonce, qui parle, est caractéristique de l'énonciation récit ; l'énoncé semble plus généralement coupé de la situation d’énonciation.

Emile Benveniste fait ces constats pour ce mode d'énonciation : « Les événements sont posés comme ils se sont produits à mesure qu'ils apparaissent à l'horizon de
l'histoire. Personne ne parle ici ; les événements semblent se raconter eux-mêmes. Le temps fondamental est l'aoriste, qui est le temps de l'événement hors de la
personne du narrateur. »

Le discours ou énonciation discours est tout énoncé, écrit ou parlé, manifestant l'énonciation, supposant un émetteur et un récepteur (locuteur / auditeur), avec chez
le premier l'intention d'agir sur l'autre en quelque manière. L'énoncé semble alors bien ancré dans la situation d’énonciation et manifeste des traces de son énonciation.

Le système du récit, outre le couple de base passé simple / imparfait, utilise quatre autres temps principaux de l'indicatif : le plus-que-parfait, le passé antérieur, le
conditionnel présent, le conditionnel passé — on peut ne pas considérer le conditionnel comme un mode. On peut ajouter à cette liste les temps du subjonctif.
Le temps de base du discours est le présent, accompagné surtout du passé composé et du futur simple ou périphrastique (Je vais vous raconter comment...)
; on peut
y trouver tous les autres temps sauf le passé simple. Le discours ne perd jamais le contact avec le temps de référence que constitue l'énonciation.

Discours Histoire
Présent Passé simple

Passé composé
Benveniste)
(i.e. l'aoriste de

Imparfait
Temps verbaux

Plus-que-parfait
Conditionnel (comme temps : futur
Futur
dans le passé)
Première personne
 
Personnes Deuxième personne

Troisième personne

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Adverbes Ici, maintenant etc. (déictiques Là, alors, ce jour-là etc. (non
référant à la situation déictiques)
d’énonciation)

Valeur de temps et valeur aspectuelle

L'usage des temps verbaux permet de situer le procès, c.a.d. l'action exprimée par le verbe, dans une époque donnée — le passé, le présent, le futur — par rapport au
moment de l'énonciation ; mais la conjugaison exprime aussi des valeurs d'aspect : elle indique ainsi comment le locuteur envisage le déroulement du procès.

Par exemple, les temps du passé comme le passé simple, l'imparfait ou le passé composé désignent tous les trois des faits passés au moment où l'on parle, ils
renvoient à la même strate temporelle, mais selon le temps mobilisé la manière de considérer les faits passés diffère.

De même, un futur simple (Je travaillerai.) et un futur antérieur (J'aurai travaillé.) représentent deux temps verbaux différents, si l'on prend le mot « temps » au sens
de série grammaticale ou morphologique, mais ces deux « temps » évoquent une même période ou époque, celle d'un futur, à venir au moment où l'on parle. La
différence exprimée par leur emploi ne touche donc pas l'époque mais bien l'aspect : le futur simple indique un futur non accompli et le futur antérieur un futur
accompli ou achevé. On notera bien qu'une action présentée comme accomplie n'est pas forcément une action passée

Cette distinction accompli / non accompli est opérée dans tous les modes par l'opposition des formes simples et des formes composées, qu'elles soient construites
avec l'auxiliaire être ou avoir et le participe passé. L’accompli envisage le procès comme achevé au moment de l’énonciation ou de la narration ; l’inaccompli l’envisage
comme encore en cours.

Tous les temps composés ou surcomposés en français sont ainsi des accomplis, mais
- Le passé composé est un accompli du présent : le procès est envisagé comme accompli
par rapport au moment présent de l'énonciation.
- Le plus-que-parfait et le passé antérieur sont des accomplis du passé : le procès est envisagé comme accompli, achevé par rapport à un
moment du passé plus
récent.

Le maître avait terminé son travail quand les enfants arrivèrent.


Il avait terminé son déjeuner comme les élèves arrivaient.
Lorsque les élèves arrivèrent, le maître était déjà sorti.
Il partit lorsqu'il eut fini son travail.

Le plus-que-parfait note ainsi une action achevée et exprime l'antériorité par rapport au passé simple ou l'imparfait. Utilisé seul, il note une action achevée et la
présente dans sa durée :

La ville avait changé. Il ne reconnaissait plus son quartier natal.

À l’inverse, l’imparfait a plutôt tendance à fonctionner comme un inaccompli, puisque l’idée d’achèvement est étrangère à sa valeur aspectuelle.

Le maître terminait son travail quand les enfants arrivèrent.


Les enfants arrivèrent. Le maître terminait son travail.

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Un point important à comprendre est que l’accompli envisage toujours le procès par rapport à un moment plus récent :
«J’ai bien dormi.» exprime un procès passé, mais ayant encore un rapport avec le présent de l’énonciation. «J’ai bien dormi par rapport au moment où je parle. Je suis
donc reposé.».
«J'avais bien dormi.» ferait référence à l’accomplissement du procès par rapport à un (autre) moment passé plus récent, pris comme moment de référence dans le récit
(à ce moment-là; ce jour-là).

Le choix des temps verbaux correspond donc à la manière dont on veut présenter ou considérer l'action, à diverses nuances aspectuelles :

aspect de la durée ou du déroulement du procès : duratif / non duratif (momentané). Le duratif présente le procès comme continuant dans le temps (et donc
imperfectif aussi). «Je suis en train de lire. J'ai longtemps lu. / J'ai lu ce week-end.»
aspect perfectif / imperfectif (ou conclusif/ non conclusif ) : «L'année dernière, j'ai été malade. / L'année dernière, j'étais malade.» L'imperfectif présente l'action
ou la qualité objet de la prédication comme se développant dans la période concernée par l'énonciation et la remplissant.
«La pluie tombe depuis hier soir. / La neige est tombée cette nuit.»
aspect accompli / inaccompli ; on parle d'accompli quand l'action ou la qualité objets de la prédication sont antérieures à la période dont on parle : «Hier matin,
j'ai dormi. / Hier matin, j'étais en forme car j'avais dormi.» "J'ai dormi" a un aspect inaccompli car l'action évoquée se réalise pendant la période dont on parle,
i.e. la matinée en question. "J'avais dormi" est un accompli, car le procès est antérieur à la matinée.
«Il a déjà dîné.» Ici le passé composé est un accompli du présent car le sujet en question n'a plus besoin de manger au moment de l'énonciation.
NB le perfectif et l'accompli sont souvent confondus en grammaire française.
aspect global / sécant (ou encore limitatif/ non limitatif) : «Je lus la lettre. Je lus ce roman d'une traite. / Je lisais ce livre.»
«Le parlement siégea cet été-là. / Le parlement siégeait cet été-là. » Le procès global est perçu de l’extérieur, dans sa globalité, considéré comme un tout. Le
procès sécant (i.e. qui donne une vision en coupe) est envisagé de l’intérieur, depuis l’une des étapes de son déroulement, sans que soient prises en compte
les limites extrêmes.
aspect de la répétition : itératif/ singulatif ou semelfactif (le procès, perfectif, est présenté comme se produisant une seule fois). «Il t'a appelé pendant deux
heures (au téléphone). / Il t'a appelé à deux heures.» «Je me lève tôt le lundi (les lundis). / Je me lève tôt ce lundi.»
aspect inchoatif (ou ingressif) / terminatif: « Fini de rire ; j'écris ma dissertation ! » = Je me mets à l'écrire. Je commence à l'écrire. Le procès inchoatif est
envisagé dans son commencement : «Le jour se levait.» / «Il finit de manger.» L'aspect terminatif considère le procès dans son achèvement.

On peut recourir à des auxiliaires et à des formes périphrastiques variées pour exprimer des nuances aspectuelles :

Il venait de partir. / Il allait partir./ Il était en train de partir. On peut aussi recourir à des adverbes : Il vient juste de déjeuner.
Il commençait de manger. / Il achevait de manger.

Il faut ici observer que le contexte textuel joue en général un rôle important pour déterminer la valeur d'un temps verbal : la combinaison de l’aspect lexical des verbes
et des indications temporelles données par le contexte aboutit à des effets de sens. Comparer :

Elle attendait depuis trois heures devant la mairie. / Elle attendait chaque jour devant la mairie.
Il se rendait à pied à son travail, quand il tomba. / Il se rendait à pied à son travail tous les jours.
Il se rendit au bal. / Il se rendit aux bals pendant trois mois.

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L'opposition passé composé / passé simple


On considère souvent un peu simplement que le passé composé a remplacé à l'oral le passé simple, devenu archaïque, et que ce dernier ne survivrait qu’à l’écrit,
surtout dans les textes littéraires. Il est vrai que le PS dans le français parisien ou du Nord a pratiquement disparu de l'oral même si ce temps est plus vivant dans le
Midi, à substrat occitan. Mais l'opposition entre le PS et le PC repose davantage sur le système d’énonciation, sur la distinction établie par Benveniste entre le discours
et le récit.

Le passé simple relate, en effet, des procès révolus par rapport au moment de l’énonciation, il les présente comme n'ayant plus de conséquence sur le présent.
Le passé composé, même quand on l'utilise dans le cadre du récit, conserve toujours une valeur d’accompli du présent ; il présente donc le procès comme ayant
encore un impact sur le moment où l'on parle ou écrit, conservant ainsi un rapport avec la situation d’énonciation.
« J'ai pris mes lunettes. » Cela veut dire qu'au moment où je parle, je les ai encore sur moi ; je les porte. La conséquence du fait passé est encore présente, palpable
au moment de l'énonciation. « J'ai acheté une voiture il y a un an.» Il faut entendre que je la possède encore. Opposer : « Il y a dix ans, il acheta une voiture blanche.»

Raconter au passé simple ou au passé composé implique un rapport différent aux événements racontés. Le passé composé établit, maintient un lien entre le récit et la
situation d'énonciation. Le passé simple, utilisé dans les récits historiques ou mythiques, par exemple, établit bien une distance ou un effort de mise à distance : les
faits présentés renvoient
- soit à une époque mythique, comme dans les contes merveilleux ou les mythes, donc non clairement situable dans le temps,
- soit à une époque passée mais révolue, bien achevée d'une certaine manière.

Ainsi, dans une encyclopédie, un article biographique sur un mathématicien ou un physicien, quand il utilise le PC signifie clairement que l'homme et son travail sont
toujours d'actualité de nos jours, d'intérêt scientifique ; inversement, l'usage du passé simple souligne que l'intérêt des propos est surtout d'ordre historique, culturel
dans la logique du développement de la discipline. Observons aussi que pour actualiser les auteurs d'articles utilisent aussi beaucoup le basculement de la narration
au présent.

Trois exemples de l'Encyclopaedia Universalis :


- « Si remarquables qu’elles fussent, les vues de Pascal sur la géométrie projective eurent peu d’échos. Leibniz en reconnut l’intérêt, mais ne les
exploita pas, et l’ouvrage de Philipe de La Hire, Nouvelle Méthode en géométrie, publié en 1673 et qui s’appuie sur elles, n’eut qu’une faible
diffusion.»
- « Poincaré a également porté son attention sur la théorisation des phénomènes physiques tels qu’ils sont donnés dans l’expérience, dans laquelle
  il voyait un autre volet de la «physique mathématique», et qui constitue la physique théorique au sens propre. Dans ses cours et dans de nombreux
articles et communications, il s’est attaché «à passer en revue les différentes théories physiques et à les soumettre à la critique», tout en marquant
un intérêt très précis pour la physique.»
- « Cependant, la doctrine explicite de Newton, telle qu’il l’a exposée dans ses «Règles du raisonnement en philosophie» du livre III des Principia,
se présente comme une méthodologie positive dont les attendus ont été longtemps considérés comme universels pour la science.»

Le passé composé est, on le comprend clairement, le temps naturel dans un quotidien ou les médias pour rapporter les événements de l'actualité qui nous touchent
directement:

Explosion d'une voiture piégée dans le centre de Najaf: 30 morts et 65 blessés


[19/12/2004 15:19]
  NAJAF, Irak (AP) -- Trente personnes ont été tuées et 65 autres blessées dimanche dans l'explosion d'une voiture piégée dans la ville sainte chiite
de Najaf, à 160km au sud de Bagdad, selon des sources hospitalières. <...> AP et Reuter, information en ligne sur le site Web de Free à la date du
dimanche 19/12/2004.

Ainsi, le passé composé est un temps complexe, puisqu’il participe des deux systèmes énonciatifs, mêlant valeur perfective du passé simple et valeur d’accompli du
présent. Son emploi dans un récit, dans une autobiographie par exemple, doit être observé de près ; ce n'est pas l'équivalent d'un passé simple. Il faut bien évaluer le
lien avec la situation d'énonciation :
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« La Vallée-aux-Loups, près d'Aulnay, ce 4 octobre 1811.


Il y a quatre ans qu'à mon retour de la Terre-Sainte j'achetai près du hameau d'Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Chatenay une maison de
jardinier cachée parmi des collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison, n'était qu'un verger sauvage au
bout duquel se trouvait une ravine et un taillis de châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues espérances ; spatio
  brevi spem longam reseces. Les arbres que j'y ai plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de l'ombre quand je me place entre
eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protégeront mes vieux ans comme j'ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisis autant que
je l'ai pu des divers climats où j'ai erré, ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon coeur d'autres illusions.» Chateaubriand, Les
Mémoires d'outre-tombe.

Le passé composé n'est pas mélangé ici de façon incongrue avec le passé simple mais il est utilisé pour sa valeur d'aspect. Il note des faits passés dont les séquelles
sont bien palpables au moment de l'écriture, en 1811 : les arbres prospèrent et croissent. L'acte notarié et l'état psychologique du narrateur alors (4 ans avant) sont eux
mis à distance par l'emploi du PS. L'errance (i.e. les voyages de Chateaubriand) évoquée avec j'ai erré est aussi constitutive du personnage.

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L'opposition passé simple/ imparfait


1 « Le canon tonna.» « Le canon tonnait.»
2 « La guerre dura cent ans.» « La guerre durait depuis cent ans.»
3 « Il vécut à Paris.» «Il vivait à Paris.»
« Elle attendait depuis une heure devant la
4 « Elle attendit une heure devant la mairie.»
mairie.»
5 « Les députés siégèrent cet été-là.» « Les députés siégeaient cet été-là.»
6 « A huit heures, il franchit le barrage.» « A huit heures, il franchissait le barrage.»

Le choix de l’imparfait ou du passé simple dans les cas n°1 et 2 ne modifie aucunement la durée du coup de canon, bref a priori, ou de la fameuse et longue guerre de
100 ans ; de même, l'action est toujours considérée comme antérieure au moment de l'énonciation, c.a.d. passée, mais ce qui change, c'est la façon dont la durée est
considérée dans le récit.
Avec le passé simple, on établit un simple constat, on observe un événement sans prendre sa durée en considération. Avec l'imparfait, on considère l'événement, le
fait pris dans sa durée ; ses limites ne sont pas prises en compte, ni le début, ni la fin. Eventuellement même, avec le deuxième exemple, on peut pointer une forme
d'implication plus forte du narrateur, du locuteur avec l'imparfait : on peut croire qu'il estime que la guerre dure depuis trop longtemps. L'imparfait ainsi paraît plus
subjectif et le passé simple semble mettre à distance, considérer les événements avec plus d'objectivité. Dans l'énonciation historique ou récit, comme l'a souligné E.
Benveniste, les faits semblent se raconter d’eux-mêmes, sans impliquer directement le locuteur.
Dans l'exemple 5, le passé simple est limitatif : le procès exprimé est compris dans les limites de l'été ; l'imparfait, quant à lui, est non limitatif : les députés ont siégé
éventuellement avant et après l'été. L'événement avec l'imparfait est mis à l'arrière plan, il sert de toile de fond à un événement qui apparaît après, du genre : «On vota
alors la loi x...»

L'imparfait, parce qu'il permet de saisir l'action en cours, sert souvent de toile de fond, d'arrière plan aux événements exprimés au passé simple ; il signale aussi les
commentaires, permet de présenter les circonstances et d'introduire des éléments descriptifs. En français comme dans d'autres langues, la construction de la narration
met ainsi en jeu un contraste entre des formes verbales dont l’enchaînement reflète la succession des événements essentiels de la trame narrative, et d’autres
décrivant la situation, le cadre dans lequel se déroulent les événements. On constate aisément un tel contraste entre le passé simple et l'imparfait dans notre langue
pour l'énonciation récit.

Quand les enfants entrèrent, le maître téléphonait. (inclusion) / Quand les enfants entrèrent, le maître téléphona. (succession)

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Les enfants entrèrent. Le maître téléphonait. (inclusion) / Les enfants entrèrent. Le maître téléphona. (succession)
Au haut de l'escalier, il tira de sa poche une autre clef avec laquelle il ouvrit une autre porte. La chambre où il entra et qu'il referma sur-le-champ était une
espèce de galetas assez spacieux meublé d'un matelas posé à terre, d'une table et de quelques chaises. Un poêle allumé et dont on voyait la braise était dans
un coin. Le réverbère du boulevard éclairait vaguement cet intérieur pauvre. Au fond il y avait un cabinet avec un lit de sangle. Victor Hugo, Les Misérables.
Le général attaqua. Les ennemis se retirèrent. / Le général attaqua. Les ennemis se retiraient.

Comme on le voit dans ces passages, les passés simples notent la succession des événements ; les imparfaits servent à décrire le décor. Dans l'énoncé «Le général
attaqua. Les ennemis se retiraient. », l'imparfait prend même une valeur rétrospective d'explication (= parce que les ennemis se retiraient). Pour présenter les choses
de façon imagée, on pourrait dire qu'en général le temps avance avec le passé simple et stagne avec l’imparfait.

Quelquefois, le contraste entre l'imparfait et le passé simple semble suggérer une différence de durée :

La pluie tombait, une silhouette élancée apparut au coin de la rue.

Mais il faut observer que cette différence de durée n'est pas essentiellement caractéristique, car le passé simple peut exprimer lui aussi une action qui dure ou se
répète :

La guerre entre Français et Anglais dura cent ans.


Cette vie terrible dura dix ans.
Il alla aux bals durant six mois.

Les passés simples forment la charpente du récit, ils notent les actions essentielles qui se détachent de la toile de fond ; il suffit d'observer ce qui se passe quand on
résume un texte narratif ; les imparfaits, servant surtout dans les passages descriptifs ou pour noter l'arrière plan ou les circonstances, disparaissent du résumé.

Alors que l'imparfait peut noter des événements qui se répètent et prendre une valeur itérative, pour des procès limités, le passé simple note essentiellement des faits
singuliers.

Il se leva à cinq heures (ce jour-là). / Il se levait à cinq heures (à cette époque).
Colette dans Sido raconte une série de promenades dans la nature à l'aube : « Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense.
J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli
étroit de la rivière, vers les fraise, les cassis et les groseilles barbues.»

Dans l'exemple 6 du tableau donné ci-dessus, « A huit heures, il franchissait le barrage.», l'imparfait exprime un procès limité ne se produisant qu'une fois, mais il le
montre en train de se produire : on l'appelle souvent imparfait flash. On peut constater qu'au XX ème siècle, surtout, s'est développé un "imparfait narratif" appelé
encore aussi "imparfait pittoresque". On le rencontre fréquemment dans les romans policiers.

La clef tourna dans la serrure. Monsieur Chabot retirait son pardessus qu’il accrochait à la porte d’entrée, pénétrait dans la cuisine et s’installait dans son
fauteuil d’osier. Simenon, La danseuse du Gai-Moulin.

Selon plusieurs linguistes, pour qu’il y ait à proprement parler « imparfait pittoresque », il faut un verbe perfectif à l’imparfait combiné avec un complément temporel. Un
test simple pour cet imparfait narratif, c'est qu’il peut être remplacé par un passé simple, auquel cas naturellement l’effet stylistique pittoresque disparaît. L'effet de
l’imparfait provient du conflit entre l’aspect non limité de ce temps verbal et son contexte qui impose une vision limitée du procès. K. Togeby dans sa Grammaire
française, 1982, donne cet exemple d'imparfait pittoresque :

Onze ans après, il perdait la bataille de Waterloo.


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Observons avec lui qu'on aurait pu rencontrer des présentations différentes du même événement historique passé :

Onze ans après, il perdit la bataille de Waterloo. (passé simple banal)


Onze ans après, il perd la bataille de Waterloo. (présent historique)
Onze ans après, il perdra la bataille de Waterloo. (futur historique)
Onze ans après, il perdrait la bataille de Waterloo. (futur du passé).

Deux autres exemples contemporains d'emploi journalistique de cet imparfait narratif :

« Il y a 14 ans, le 26 avril 1986, un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, explosait.» Propos de Claude Sérillon dans le Journal de TV5, le
25/4/2000.
« Un impie nommé Pasolini. Voici juste vingt ans, l'écrivain cinéaste disparaissait violemment.» Titre du journal Le Monde à la date du 27/10/1995.

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Passé simple Imparfait


Valeur perfective ; aspect ponctuel Valeur imperfective ; aspect duratif
Unicité, valeur singulative (une fois) Notation d'une habitude/ répétition ; valeur itérative.
Temps du premier plan : les événements, actions qui font progresser Temps de l’arrière-plan : le décor, les éléments descriptifs ou
l'histoire. secondaires.
Temps de base dans la narration des faits Temps essentiel pour la description
Expression de la successivité Expression de la simultanéité
Tempo rapide Tempo lent

L'imparfait prend, enfin, aussi des valeurs modales particulières : il permet ainsi notamment d'exprimer une éventualité ou d'exprimer de façon polie ou atténuée un
désir, une demande.

Je voulais discuter avec vous. = Je souhaite avoir une discussion avec vous, si vous voulez bien.
Ah ! si j'étais jeune et beau ! Dans une indépendante, l'imparfait sert ainsi à exprimer le souhait.
Si j'avais un levier assez grand, je soulèverais le monde. Dans les subordonnées hypothétiques avec une principale au conditionnel, l'imparfait permet
l'expression d'un potentiel ou irréel.
L'imparfait permet enfin d'exprimer une éventualité écartée, un irréel du passé : Un geste de plus et je le frappais. = S'il avait fait un geste de plus, je l'aurais
frappé.

L'imparfait peut aussi être de concordance :

Il me dit qu'il est malade. (dit =présent) / Il me dit qu'il était malade. (dit =PS)

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Valeurs du présent dans le récit


Le présent employé dans un récit littéraire peut prendre des valeurs aspectuelles très diverses. Ses grandes valeurs d'emploi sont les suivantes :

- Le présent dit d’énonciation ou du discours : c’est le temps de base de l'énonciation discours, puisque c’est celui renvoyant au moment de l'énonciation, le «
maintenant » de l’énonciation ; c'est le temps actuel au moment de la parole ou écriture. Comme on peut le constater, ce « maintenant » varie donc constamment et ne
peut se décrypter que si l'on connaît d'une manière ou d'une autre les paramètres de la situation de communication.

Exemple dans l'autobiographie : « En traçant ces derniers mots, ce 16 novembre 1841, ma fenêtre, qui donne à l'ouest sur les jardins des Missions étrangères, est
ouverte : il est six heures du matin j'aperçois la lune pâle et élargie, elle s'abaisse sur la flèche des Invalides à peine révélée par le premier rayon doré de l'Orient : on
dirait que l'ancien monde finit, et que le nouveau commence. Je vois les reflets d'une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. » Chateaubriand, Mémoires d'outre-
tombe

Le présent, ayant selon l'expression de Gustave Guillaume « un pied dans le futur, un pied dans le passé », peut ainsi s'étendre en direction d'un passé récent ou d'un
futur plus ou moins imminent :

Je quitte à l'instant mon père. / J'arrive de Paris. J'y étais hier.


Je viens de suite. Patiente une heure. / Lé départ se fait dans une semaine.

- Le présent de vérité générale ou gnomique : c’est le temps des proverbes, des définitions, des discours scientifiques, bref, de tous les énoncés généraux
exprimant une pensée qui se veut éternelle et universelle, ou une loi présentée comme inamovible.

L'eau bout à 100 degrés. (Perle d'élève : L'angle droit bout à 90°.)
Bien mal acquis ne profite jamais.
« Le professeur, M. Vedel, enseignait aux élèves qu'il y a parfois dans les langues plusieurs mots qui, indifféremment, peuvent désigner un même objet, et qu'on
les nomme alors des synonymes. » André Gide, Si le grain ne meurt. L'absence de concordance des temps dans le discours rapporté manifeste ici explicitement
la valeur de vérité générale du fait de langue.

- Le présent de narration ou présent historique / aoristique : c’est le présent utilisé ponctuellement à la place d'un passé simple dans un récit ou d'un imparfait. Il
hérite donc de ses valeurs aspectuelles, mais il a une valeur stylistique, il sert à dramatiser, puisque l'événement raconté ainsi semble se distinguer des autres et
devenir comme contemporain au moment de la narration ; le narrateur le met en quelque sorte sous nos yeux. En fait, l'instance d'énonciation est fictivement déplacée,
décalée dans le passé.
On peut distinguer le présent de narration, local, ponctuel dans un contexte au passé simple, du présent atemporel quand tout un récit, souvent de type historique,
est conduit au présent.

  « Malgré ma patience, je commençais à désespérer, quand tout à coup je vois venir dans le sentier un gros animal dont les yeux luisaient comme
des chandelles. Le loup marchait doucement comme une bête bien repue, qui avait fait grassement sa nuit... Je le tenais au bout de mon canon de
fusil, le doigt sur le déclic et, lorsqu'il fut à dix pas, je lui lâchai le coup en plein poitrail. Il fit un saut, jeta un hurlement rauque, comme un sanglot
étouffé par le sang, et retomba raide mort. Ayant lié les quatre pattes ensemble, je chargeai ce gibier sur mon épaule, et je m'en revins à la maison
où j'arrivai tout en sueur, quoiqu'il ne fît pas chaud. »  Eugène Leroy, Jacquou le croquant. Exemple typique de présent de narration.

 « Le 5 mai 1789, le roi Louis XVI ouvre les états généraux à Versailles. (...) Le 21 septembre 1788, le Parlement de Paris, qui a mené le combat en
faveur de la réunion des états généraux, se prononce pour le maintien de la forme observée en 1614. » Le récit est conduit au présent historique.

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« Khalil habite Baghdad. Il est pauvre et malheureux. Quand les enfants l’aperçoivent ils se moquent de lui et le poursuivent en lui jetant des
pierres.
Un matin, un enfant plus méchant que les autres lui jette une grosse pierre. Khalil tombe sur le sol et reste longtemps inanimé. Quand il revient à lui,
il décide de quitter la ville. (...)» Texte cité par Michel Santacroce dans "Linguistique et multimédia".

- Le présent scénique ou présent de la description : c’est le présent utilisé à la place de l’imparfait dans le récit ; il a un effet sur le lecteur : il prend une sorte
d’atemporalité. Souvent utilisé dans une description, il ouvre une sorte de parenthèse dans la chronologie du récit.
Balzac conduit ainsi la description de la pension Vauquer dans Le Père Goriot : « Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu’il faudrait
appeler l’odeur de pension. Elle sent le renfermé, le moisi, le rance ; elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements...»

Le passage doit être suffisamment long et il s'agit de faire une scène. Ce présent de description met le décor en quelque sorte sous nos yeux ; on peut constater qu'il
ne s'agit pas d'un présent de vérité générale. Mais la description ne semble pas inscrite dans le temps ; on rapprochera cet emploi d'un présent de narration ou
historique, même si l'effet rhétorique recherché n'est pas celui de la dramatisation. Il s'agit plutôt de donner au lecteur l'impression qu'il voit les pièces de la pension.

- Dans le discours rapporté des personnages, le présent ne renvoie pas au moment de la narration, mais il inscrit dans un autre temps de référence, celui de
l'histoire passée racontée...

Exemple : Je rencontrai des dragons, et je m'engageai dans le régiment d'Almanza, cavalerie. Les gens de nos montagnes apprennent vite le
métier militaire. Je devins bientôt brigadier, et on me promettait de me faire maréchal des logis, quand, pour mon malheur, on me mit de garde à la
manufacture de tabacs de Séville. Si vous êtes allé à Séville, vous aurez vu ce grand bâtiment-là, hors des remparts, près du Guadalquivir. Il me
  semble en voir encore la porte et le corps de garde auprès. Quand ils sont de service, les Espagnols jouent aux cartes, ou dorment; moi, comme un
franc Navarrais, je tâchais toujours de m'occuper. Je faisais une chaîne avec du fil de laiton, pour tenir mon épinglette. Tout d'un coup, les
camarades disent: «Voilà la cloche qui sonne; les filles vont rentrer à l'ouvrage.» Prosper Mérimée, Carmen.

Le présent du propos des camarades du narrateur (Voilà la cloche qui sonne...) ne renvoie pas au moment de la narration par Don José, mais au passé raconté par lui.
« Les gens de nos montagnes apprennent vite...» est une vérité générale sur les mentalités basques.
« Tout d'un coup, les camarades disent...» : c'est un présent de narration ; on pourrait le remplacer par "dirent".
«Il me semble en voir encore... » a valeur de présent actuel au moment de l'énonciation fictive, quand le personnage narrateur de Mérimée est censé raconter à son
visiteur.

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8/9/22, 18:25 Temps verbaux

Représentation de Michel Santacroce, Université d'Avignon, in "Linguistique et multimédia".

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