MERCREDI 3 MARS 2021

77E ANNÉE – NO 23685

3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SCIENCE & MÉDECINE – SUPPLÉMENT  LE MENSONGE, UN MAL NÉCESSAIRE QUI CIMENTE LA SOCIÉTÉ

Sarkozy : les raisons d’une condamnation
▶ Déclaré coupable de cor­
ruption et de trafic d’in­
▶ Il devient le premier ex­
président de la V Républi­ e
▶ La droite, qui a dénoncé
la « sévérité » du jugement,
▶ Par­delà les tensions
entre politiques et juges, 1 ÉDITORIAL
fluence, Nicolas Sarkozy que à se voir infliger une dans cette « affaire des c’est un revers pour ceux L’ANCIEN PRÉSIDENT PRIS 
a été condamné à trois ans peine de prison ferme, écoutes », critique une qui rêvaient d’un retour
d’emprisonnement, dont et va faire appel de cette justice qu’elle qualifie de M. Sarkozy À SON PROPRE PIÈGE
deux avec sursis condamnation de « politique » PAG ES 10- 11 PAG E 33

EMMANUEL FABER CÈDE LA DIRECTION DE DANONE COVID­19
ASTRAZENECA PASSEPORT
La Haute Autorité de santé La Commission
étend sa recommandation européenne présente
pour l’usage du vaccin un projet de laissez­passer
au­delà de 65 ans vaccinal pour restaurer
PAGE 7 la libre circulation
▶ Emmanuel Faber RECONFINEMENT dans l’Union
abandonne la direc­ L’Etat envisage de reconfi­
PAG E 5

tion de Danone et en ner l’Ile­de­France le VACCIN RUSSE

conserve la présidence week­end, malgré l’oppo­ Tchèques et Slovaques
▶ Deux fonds d’inves­ sition d’Anne Hidalgo font appel à Spoutnik V,
tissement avaient fait
PAG E 6 non autorisé dans l’UE
PAG E 5
de son départ un préa­ TESTS À L’ÉCOLE
lable au redressement Alors que l’organisation HANDICAPÉS
du groupe des tests salivaires Entre confinements et
à l’école interroge, restrictions, l’épreuve
▶ Son plan de réorga­ à Périgueux, des écoliers sans fin des familles ayant
nisation mondiale les réalisent eux­mêmes un proche en institution
prévoyant jusqu’à PAG E 8 PAG E 20- 21

2 000 suppressions de
postes est maintenu
PAGE 14
Première plainte en France contre 
l’usage d’armes chimiques en Syrie
une plainte a été déposée à Pa­ Bachar Al­Assad en France pour
ris, lundi 1er mars, contre l’usage l’utilisation de ce type d’armes
des armes chimiques en Syrie. Elle contre sa population.
concerne deux attaques dans la La plainte dénonce un mode
Ghouta orientale, près de Damas, opératoire érigé en stratégie par
Lors de l’inauguration du nouveau les 4 et 5 août 2013, qui avaient fait le pouvoir pour reprendre des
siège de Danone, à Rueil­Malmaison au moins 450 blessés. territoires alors sous contrôle de
(Hauts­de­Seine), le 26 janvier. VINCENT ISORE/IP3 C’est la première fois qu’une pro­ la rébellion.
cédure judiciaire vise le régime de PAGE 2

Sports Ecoles de cinéma Violence de bandes Etats­Unis UNE CRISE SANITAIRE

Le football Loin des salles et Pour le maire
français, en crise, des tournages, les de Boussy­Saint­ La crainte  INÉDITE QUI A CHANGÉ
LE MONDE ET NOUS INVITE
en quête d’un étudiants parient Antoine, les d’une reprise  À LE RECONSTRUIRE.
autre modèle sur les séries adultes ont failli
PAGE 19 PAG E 2 6 PAGE 12
de l’inflation
Le risque d’une valse
0123 ÉDITION 2021
LE REGARD DE PLANTU des prix, avec dans la H O R S - S É R I E

foulée un resserrement
LE BILAN
▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT

monétaire, est désormais ▶ ÉCONOMIE

pris au sérieux
outre­Atlantique DU MONDE
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS
+ 1 5 PAG E S D E D É B AT S : F R A N ÇO I S D U B E T, D O M I N I Q U E E D D É ,
PAGE 16 A S L I E R D O G A N , N AT H A L I E H E I N I C H , E M M A N U E L H I R S C H , M U H A M M A D Y U N U S . . .

Chine
Les journalistes 
étrangers sous 
l’œil de Pékin
En 2020, le travail des mé­
dias internationaux s’est
compliqué. Les restric­ Une publication indispensable pour
comprendre le monde d’aujourd’hui
tions sont comparables et se projeter dans l’année 2021.
à celles qui ont suivi le
Vient de paraître chez votre marchand de journaux.
massacre de Tiananmen
PAGE 15
Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 INTERNATIONAL
0123
2| MERCREDI 3 MARS 2021

la haye ­ correspondance

C’
est le récit de « l’hor­
reur et de la peur, des
enfants qui pleurent
et des gens qui cou­
rent », « la sidération à la vue des
cadavres et le bruit des bombarde­
ments », selon des témoignages à
l’appui de la plainte déposée à Pa­
ris lundi 1er mars pour « cri­
mes contre l’humanité et crimes
de guerre ». C’est la première fois
qu’une procédure vise le régime
de Bachar Al­Assad en France
pour l’utilisation d’armes chimi­
ques contre sa population.
Elle concerne deux attaques chi­
miques commises dans la Ghouta
orientale, près de Damas, dans le
courant du mois d’août 2013. Cel­
les des 4 et 5 août 2013 sur Adra et
Douma ont fait au moins
450 blessés. Les bombardements
de la nuit du 20 au 21 août 2013
ont, eux, marqué un tournant
supplémentaire par leur violence,
faisant plus de 1 000 morts et plu­
sieurs milliers de blessés.
Parmi les survivants de ces atta­
ques qui témoignent figure une
victime franco­syrienne, épaulée
par le Centre syrien pour les mé­
dias et la liberté d’expression
(SCM), qui s’est, lui aussi, consti­
tué partie civile. Pour les plai­
gnants, représentés par les avoca­
tes Jeanne Sulzer et Clémence
Witt, la loi pénale française est ap­ Un homme tient le corps d’un enfant, victime de gaz neurotoxiques, le 21 août 2013, au lendemain d’une attaque chimique, à Douma (Syrie). BASSAM KHABIEH/REUTERS
plicable et les juridictions françai­
ses sont compétentes pour con­
naître des faits qu’ils dénoncent.

Armes chimiques : plainte inédite 
Cette plainte s’ajoute à un dossier
syrien déjà épais, dénonçant
d’autres crimes – dont des tortu­
res et des disparitions forcées –
commis par le régime, et à une

procédure similaire lancée en Al­
lemagne fin octobre 2020.
Appuyée par de nombreuses dé­
positions de survivants, de té­
moins issus du cœur même de
l’appareil de sécurité, et soutenue
par plusieurs organisations, dont
le Centre pour la documentation
des violations en Syrie (Violation
Documentation Center, VDC) qui
avait ses bureaux à Douma, la
plainte dénonce un mode opéra­
toire érigé en stratégie par le pou­
voir pour reprendre des territoires
alors sous contrôle de la rébellion.
Elle décrit les habitants courant
des toits des immeubles aux sous­
sols, pris en tenailles par les tirs
d’artillerie conventionnels et des
attaques au sarin, un neurotoxi­
que mortel, qui se répand plus bas
dans les étages. A cause de l’inten­
sité des bombardements, la fa­
mille de l’une des survivantes n’a
pas pu se réfugier sur le toit de sa
demeure pour se protéger du gaz.
Un témoin évoque les corps iner­
tes qui jalonnent sa route, les cada­
vres empilés à l’hôpital et jusque
dans la rue, les femmes, les en­
fants et les hommes qui étouffent,
se tordent, vomissent, des « per­
sonnes qui frappaient les murs »,
empoisonnées au sarin.
« Une pratique systématique »
Pour les plaignants, les éléments
contextuels, matériels et inten­
tionnels relèvent du « crime con­
tre l’humanité » tel qu’il est défini
par le code pénal. Me Sulzer es­
time que ces attaques ont été
« perpétrées en exécution d’un
plan concerté en vue d’intimider la
population civile s’opposant au
gouvernement syrien ». « Cela ne
s’est pas produit une seule fois, ce
n’est pas une erreur, c’est une prati­
que systématique », affirme l’avo­
cat syrien Mazen Darwish, prési­
dent de l’association SCM.
A l’époque, la menace d’une in­
tervention occidentale avait tour­
né court, même si l’ancien prési­
dent américain Barak Obama
avait estimé qu’une « ligne
rouge » avait été franchie. Paris
était sur le pied de guerre mais a
refusé de s’engager seule après
que Washington et Londres
eurent finalement renoncé.
Russes et Américains finissent
par trouver un accord en septem­
bre 2013, forçant la Syrie à adhérer
à l’Organisation pour l’interdic­
tion des armes chimiques (OIAC),
en France contre le régime syrien
Cette procédure vise le clan Assad pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre »
avec la promesse de supprimer
son arsenal. Une vaste opération
de destruction s’engage, financée
et conduite pour l’essentiel par
les Occidentaux. Mais le régime
ment sur l’état réel de son arsenal
– ces manquements ont été actés
en octobre par le directeur de
l’OIAC – et les attaques au baril de
chlore ou au sarin se poursuivent.
« Depuis 2013, la France s’est elle­
même placée en position de leader
sur la question des armes chimi­
ques, rappelle Jeanne Sulzer, et il
serait surprenant que la plainte
soit d’une façon ou d’une autre en­
travée. Paris a pris des sanctions
contre le régime, a entamé des ré­
formes devant l’OIAC », l’autori­
sant à enquêter et dénoncer les
auteurs d’attaques chimiques, et
non plus seulement en faire le
simple constat. « Paris a aussi créé
le Partenariat international contre
l’impunité d’utilisation d’armes
chimiques », une initiative diplo­
matique centralisant les multi­
ples sanctions. Et en septem­
bre 2020, souligne l’avocate, « Em­
manuel Macron a réaffirmé l’in­
transigeance française sur la
question chimique » devant l’As­
semblée générale de l’ONU.
« Nous essayons de créer un mou­
vement en Europe contre les armes
chimiques. Ce crime ne peut pas
être seulement l’effet d’un moment
et puis plus rien le jour d’après. S’il
n’y a pas de garanties légales que
ces crimes n’arriveront pas de nou­
veau, comment imaginer que je
puisse retourner là­bas, en Syrie,
avec mes enfants ? La justice est
une question­clé », estime Mazen
Darwish, en évoquant la plainte
déposée en Allemagne, portée par
l’ONG Open Society Justice Initia­
tive (OSJI) et l’organisation Syrian
Archive, accusant le régime d’atta­
ques chimiques en 2013 et en 2017.
Le gouvernement syrien « cons­
titue toujours une menace pour
ses propres civils, ainsi que pour la
paix et la sécurité internationale »,
assure Hadi Al­Khatib, directeur
La plainte décrit
des habitants pris
en tenaille par
les tirs d’artillerie
conventionnels
et des attaques
au sarin
de l’ONG Syrian Archive, qui col­
lecte, authentifie et analyse les
photos et vidéos postées en li­
gnes par les protagonistes de la
guerre en Syrie.
Trouver la brèche
Parallèlement, ces ONG ont remis
à plusieurs organes d’enquête na­
tionaux et internationaux un rap­
port d’une épaisseur et d’une pré­
cision inédites sur le fonctionne­
ment du programme chimique
syrien, notamment le Centre d’é­
tudes et de recherches scientifi­
ques, qui a causé la mort de centai­
nes de civils depuis 2011. Les orga­
nisations à l’origine de ces plaintes
exhortent aujourd’hui les juges
français à « enquêter conjoin­
tement sur les attaques dans la
Ghouta orientale avec le procureur
allemand ». Elles demandent aux
Français et aux Allemands de met­
tre en commun leurs moyens et
leurs preuves pour que les dos­
siers soient prêts « dès que ces res­
ponsables syriens seront finale­
ment arrêtés », dit M. Kostas, d’OSJI.
Les unités judiciaires française
et allemande spécialisées dans les
crimes de guerre coopèrent déjà
dans les mandats d’arrêt pour tor­
ture délivrés en 2018 contre Jamil
Hassan, l’ancien chef des rensei­
gnements de l’armée de l’air sy­
rienne. D’autres plaintes pour des
crimes à l’arme chimique pour­
raient être déposées devant les ju­
ges d’autres pays européens, qui,
comme la France et l’Allemagne,
peuvent ouvrir des dossiers en
vertu de la compétence univer­
selle, leur permettant de juger,
avec certaines limitations selon
les pays, les auteurs étrangers de
crimes commis à l’étranger. L’OSJI
espère que ces procédures crée­
ront un élan vers la mise sur pied
d’un tribunal spécial. Depuis des
années, des avocats, des ONG et
des diplomates tentent de trouver
la brèche qui permettrait de juger
les auteurs de crimes commis en
Syrie. L’impossible saisine de la
Cour pénale internationale (CPI)
– à laquelle Damas n’a pas ad­
héré – par le Conseil de sécurité
des Nations unies, en raison du
veto de Moscou, alliée de Damas, a
conduit les Syriens exilés, soute­
nus par des ONG et des avocats
européens, à se tourner vers les
justices européennes. Mais « en
plus d’enquêter et de poursuivre ces
crimes (…), les pays doivent coopé­
rer pour créer un tribunal interna­
tional spécial pour en juger les
auteurs », estime Mazen Darwish.
Pour l’Américain Stephen Rapp,
président de la Commission pour
la justice et la responsabilité
(CIJA), une organisation qui col­
lecte, en Syrie, les preuves des
exactions du régime, il faudrait
« que l’OIAC demande aux Etats de
prendre des mesures pour faire ap­
pliquer le traité » sur l’interdiction
des armes chimiques, violé par la
Syrie. L’organisation a déjà créé
une équipe d’enquête chargée de
désigner les auteurs des attaques
chimiques, et signé un protocole
avec le Mécanisme international,
impartial et Indépendant (IIIM),
un organe de l’ONU chargé de
centraliser les preuves des crimes
commis dans la guerre syrienne.
Paris défend une résolution,
soutenue par une quarantaine de
pays, destinée à suspendre les
droits de la Syrie au sein de l’Orga­
nisation. Elle doit prochainement
être débattue lors d’une réunion à
La Haye. L’OIAC pourrait aussi ré­
férer la question au Conseil de sé­
curité de l’ONU, néanmoins blo­
qué par le veto russe, ou à son As­
semblée générale, qui au cours des
dernières années a au contraire
adopté plusieurs résolutions.
Mais la question fondamentale
demeure celle de l’impunité.
« Quand le régime est au pouvoir
et qu’il dispose d’alliés puissants, il
est très difficile d’arrêter les princi­
paux auteurs des crimes, explique
Stephen Rapp. Un tribunal spécial
favoriserait amplement la coopé­
ration et aurait l’avantage de lever
la question de l’immunité » dont
jouissent les chefs d’Etat, dont Ba­
char Al­Assad.
Si Bachar Al­Assad est le chef des
armées et, à ce titre, le premier res­
ponsable, selon Me Sulzer et Witt,
« la majorité des ordres venait de
Maher Al­Assad » lors des attaques
de 2013. Le frère du président sy­
rien était le commandant de la
42e brigade d’infanterie, l’une des
unités de la 4e division chargée des
opérations dans la Ghouta orien­
tale, région assiégée pendant
cinq ans, jusqu’en 2018. Selon
Me Sulzer, au sein de certaines bri­
gades, des « bataillons chimiques »
spécialisés seraient chargés d’en­
treposer et de préparer les agents
chimiques. Les attaques au gaz sa­
rin d’août 2013 dans la Ghouta
orientale dénoncées dans la plain­
te, et celles perpétrées par la suite,
portent une signature militaire sy­
rienne : la présence d’hexamine et
d’hexafluorure de phosphore
dans sa composition.
A tout le moins, elle prouve que
les auteurs des attaques avaient
accès au gaz syrien. Les déposi­
tions de plusieurs témoins de
l’« intérieur » du régime complè­
tent la plainte. L’un d’entre eux af­
firme que le brigadier général Gas­
san Abbas, chef de la division 450
du Centre d’études et de recher­
ches scientifiques syrien, aurait
supervisé en personne l’arme­
ment des missiles à ogives chimi­
ques lancées sur la Ghouta orien­
tale, sous les ordres directs de Ma­
her Al­Assad. 
stéphanie maupas
LE CONTEXTE
PLAINTE EN FRANCE
Une plainte a été déposée,
le 1er mars à Paris, contre
les autorités syriennes pour
« crimes contre l’humanité »
et « crimes de guerre » en lien
avec les attaques au gaz sarin
qui ont frappé la banlieue
de Damas à l’été 2013, faisant
plusieurs centaines de morts.
Soutenue par une ONG syrienne,
le Centre syrien pour les médias
et la liberté d’expression,
elle s’appuie sur de nombreuses
dépositions de survivants
et de témoins issus de l’appareil
de sécurité syrien.
PROCÉDURES 
EN EUROPE
Après des procédures ouvertes
pour des accusations de torture,
de disparitions et de meurtres,
il s’agit des premières poursuites
engagées en France contre le
régime de Bachar Al-Assad pour
les bombardements au gaz sarin
qui ont visé la région de la
Ghouta orientale. En Allemagne,
trois ONG ont ouvert une procé-
dure similaire devant le parquet
de Karlsruhe, en octobre. Soute-
nues par des associations et des
avocats, les victimes du régime
syrien et de groupes armés
se tournent désormais vers les
justices européennes au nom de
leur combat contre l’impunité.
0123
MERCREDI 3 MARS 2021 international | 3

Affaire Khashoggi: «MBS» poursuivi en Allemagne

Reporters sans frontières porte plainte contre le régime saoudien pour « crimes contre l’humanité »

beyrouth ­ correspondant
« Dans le monde,

D
ifficile séquence pour
Mohammed Ben Sal­
man. Le prince héritier
saoudien, désigné
vendredi 26 février, par les Etats­
Unis, comme le commanditaire
de l’assassinat du journaliste Ja­
mal Khashoggi en 2018 à Istanbul,
fait désormais l’objet d’une plainte
pour « crimes contre l’humanité »,
en lien avec ce dossier. La plainte,
une première dans les annales de
la justice internationale, a été dé­
posée, lundi 1er mars, par l’ONG Re­
porters sans frontières (RSF) de­
vant le procureur général de la
cour fédérale de justice de
Karlsruhe, en Allemagne.
La saisie du parquet allemand
porte sur la persécution des jour­
nalistes en Arabie saoudite, pays
classé au 170e rang sur 180 de l’in­
dex de la liberté de la presse de RSF.
Elle repose sur le principe de com­
pétence universelle, en vigueur
outre­Rhin, qui autorise les magis­
trats d’un Etat à juger des viola­
tions des droits humains, même si
le crime a été commis en dehors
du territoire national et que ses
auteurs et ses victimes sont des
non­nationaux.
L’organisation, qui a donné la
primeur de cette information au
Monde et à trois autres quotidiens
(Washington Post, Guardian et
Süddeutsche Zeitung), cite à l’appui
de sa démarche non seulement
l’emblématique affaire Khas­
hoggi, mais aussi le cas des 34 jour­
nalistes actuellement emprison­
nés dans le royaume, le total le
plus élevé au monde après la
Chine (117). Selon l’enquête de RSF,
22 d’entre eux ont été soumis à des
mauvais traitements, 15 à des actes
de tortures et 2 à du harcèlement
sexuel. « En Arabie saoudite, les
journalistes, qui constituent une
population civile, sont victimes
d’attaques généralisées et systéma­
tiques, en application d’une politi­
que d’Etat visant à les punir ou à les
réduire au silence », soutient le
communiqué de presse de RSF, pu­
blié mardi 2 mars. Selon l’ONG, ces
critères sont constitutifs du crime
contre l’humanité dans le code pé­
nal allemand.
Fin de non-recevoir
Outre Mohammed Ben Salman,
dit « MBS », l’homme fort de Riyad,
quatre autres responsables saou­
le taux
d’impunité des
crimes contre
les journalistes
est de 98 % »
ANTOINE BERNARD
conseiller contentieux de RSF
« MBS » pour éliminer les obsta­
cles, réels ou supposés, à sa mar­
che vers le trône et étouffer toute
remise en cause de sa politique.
On trouve parmi eux des profes­
sionnels des médias, comme Fahd
Al­Sunaidi, vedette de la chaîne Al­
Majd, hostile à la diplomatie anti­
Qatar du prince héritier ; des com­
mentateurs habitués des plateaux
télévisés, comme Khaled Al­Kami,
adversaire de la normalisation
avec Israël ; des analystes écono­
miques, comme Jamil Farsi, criti­
que de la privatisation d’Aramco, la
compagnie pétrolière saoudienne,
dont « MBS » a introduit 1,5 % en
bourse ; des féministes très actives
sur les réseaux sociaux comme
Nassima Al­Sadah ; des anima­
teurs de talk­shows religieux
RSF manifeste devant l’ambassade de l’Arabie saoudite à Berlin le 2 octobre 2020, deux ans après la mort de Khashoggi. SEAN GALLUP/AFP comme Ali Al­Omari, incarnation
d’un islam tolérant…
Toute la difficulté de la procé­
diens sont identifiés comme sus­ l’asphyxie et le démembrement journalistes emprisonnés. La fin cette tragédie comme une opéra­ dure lancée par RSF consistera à
pects : Saoud Al­Qahtani, le con­ du journaliste : Maher Al­Mutreb, de non­recevoir à laquelle cette dé­ tion d’arrestation ayant mal démontrer que la répression exer­
seiller média du dauphin, maître un officier des renseignements, et légation s’était heurtée a con­ tourné, commis par des éléments cée contre ces esprits libres relève
d’œuvre de la politique de bâillon­ Mohammed Al­Otaibi, le consul. vaincu l’ONG de la nécessité de hors contrôle, à l’insu de « MBS ». bel et bien du crime contre l’hu­
nement des journalistes en Ara­ En avril 2019, dans la foulée de passer à l’action. Saoud Al­Qahtani et Ahmed Al­As­ manité. Contrairement à des idées
bie ; Ahmed Al­Assiri, le numéro cette sordide histoire, Christophe Le volumineux document de siri ont été blanchis par la justice préconçues, cette qualification pé­
deux du renseignement, accusé Deloire, le secrétaire général de 500 pages transmis au procureur saoudienne, à l’issue d’une procé­ nale n’est pas réservée aux temps
d’avoir supervisé l’assassinat de Ja­ RSF, et plusieurs de ses collabora­ allemand revient sur le parcours dure à huis clos qui a condamné de guerre (ce qui est le cas du crime
mal Khashoggi, le 2 octobre 2018, teurs s’étaient rendus à Riyad. Ils y et la mort de Jamal Khashoggi, cé­ uniquement les membres du de guerre) et ne suppose pas l’in­
dans le consulat saoudien d’Is­ avaient rencontré de hauts res­ lèbre plume de la presse saou­ commando d’Istanbul, à des pei­ tention d’éliminer un groupe (ce
tanbul ; et deux des exécutants de ponsables du royaume, à qui ils dienne, qui pourfendait, dans les nes oscillant entre vingt et qui est le cas du crime de géno­
cette opération qui a débouché sur avaient demandé la libération des colonnes du Washington Post, la sept ans de prison. cide), assure l’ONG dans sa plainte.
dérive autoritaire de Mohammed Antoine Bernard, le conseiller en
Ben Salman. Il mentionne l’en­ Etouffer toute remise en cause contentieux de RSF, reconnaît
Washington exhorte Riyad à quête d’Agnès Callamard, la rap­
porteure spéciale du Conseil des
La plainte de RSF apporte aussi
une multitude d’informations
avancer sur un terrain complète­
ment vierge. « Les crimes contre les
démanteler l’unité qui a tué Khashoggi droits de l’homme des Nations inédites sur les 34 journalistes pri­ journalistes ont un taux d’impunité
Les Etats-Unis, sur la défensive face aux critiques contre leur dé- unies sur les exécutions extrajudi­ vés aujourd’hui de liberté dans le dans le monde de 98 %, dit­il. Si l’on
cision de ne pas sanctionner le prince héritier d’Arabie saoudite ciaires, qui a mis en cause le fils du royaume. Il y a parmi eux des figu­ veut éviter que l’oubli ne se perpé­
Mohammed Ben Salman pour l’assassinat de Jamal Khashoggi, roi Salman. res de l’embryonnaire mouve­ tue, il faut prendre un risque juridi­
ont exhorté, lundi 1er mars, Riyad à prendre de nouvelles mesu- Le rapport de la direction du ren­ ment des droits de l’homme en que, écarter les murs, tracer de nou­
res, notamment contre l’escadron impliqué dans le meurtre seignement américain, que le Arabie, comme l’avocat Walid veaux chemins. » Il appartient dé­
du journaliste. Le porte-parole de la diplomatie américaine nouveau président Joe Biden a fait Aboulkheir, qui signait des tribu­ sormais au procureur général alle­
Ned Price a appelé l’Arabie saoudite à « prendre des mesures publier le 26 février, a jugé, lui nes en cascade dans la presse et a mand de décider s’il ordonne ou
supplémentaires » en faveur des droits humains, et à procéder aussi, « hautement improbable » été arrêté en 2014, du temps du dé­ non l’ouverture d’une enquête
à des « réformes institutionnelles systémiques ainsi que des mé- que l’équipée sanglante d’Istanbul funt roi Abdallah. Mais la plupart préliminaire. Il n’est tenu, à cette
canismes de contrôle pour faire en sorte que les activités et opé- ait pu être menée sans l’aval du ont été arrêtés après 2017, date du étape, par aucun délai. 
rations contre les dissidents cessent, et cessent totalement ». prince héritier. Riyad présente début des purges orchestrées par benjamin barthe

L’ONU déplore le manque d’aide pour le Yémen NIGE RIA

Libération de centaines
d’adolescentes enlevées
Les centaines d’adolescentes
1,7 milliard de dollars de dons seulement ont été récoltés pour 2021, alors que la population est en proie à la famine enlevées le 26 février dans
leur pensionnat de Jangebe
dans le nord­ouest du Nigeria
ont été libérées, a annoncé

L a déception était grande,

lundi 1er mars, aux Nations
unies face au manque de
mobilisation pour le Yémen, au
bord d’une famine généralisée.
Lors de la conférence des dona­
teurs, coorganisée par la Suède et
la Suisse en visioconférence, et à
laquelle participaient cent gouver­
nements et donateurs particu­
liers, seuls 1,7 milliard de dollars
ont été récoltés, sur les 3,85 mil­
liards de dollars espérés (environ
3,18 milliards d’euros). « Le résultat
de la réunion d’aujourd’hui (…) est
décevant, a regretté le secrétaire
général de l’ONU, Antonio Guter­
res. Des millions d’enfants, de fem­
mes et d’hommes yéménites ont
désespérément besoin d’aide pour
vivre. Réduire l’aide équivaut à une
peine de mort. »
Nouvelle dégradation
M. Guterres avait pourtant alerté
sur la nouvelle dégradation de la
situation dans le pays, qui con­
naît déjà, selon l’ONU, la pire crise
humanitaire au monde. Six ans
après le début du conflit qui op­
pose les rebelles houthistes, sou­
tenus par l’Iran, aux forces loya­
les au gouvernement yéménite,
appuyées par la coalition mili­
taire emmenée par l’Arabie saou­
dite, plus de 130 000 personnes
ont été tuées et 3,3 millions dé­
placées. « Pour la plupart des gens,
la vie au Yémen est désormais in­
supportable, a décrit le secrétaire
général de l’ONU. La période de
l’enfance est désormais un enfer.
Cette guerre est en train de faire
disparaître toute une génération
de Yéménites. »
Selon les Nations unies, plus de
16 millions de Yéménites, soit en­
viron la moitié de la population de
29 millions d’habitants, seront
confrontés à la faim cette année.
Près de 50 000 d’entre eux « meu­
rent déjà de faim dans des condi­
tions proches de la famine » et
400 000 enfants de moins de
5 ans pourraient mourir de mal­
nutrition aiguë « sans traitement
d’urgence ». La famine et les épidé­
mies de Covid­19 et de choléra
sont autant de plaies supplémen­
taires dans ce pays où l’économie
s’est effondrée, où le système de
santé a périclité et où d’innombra­
bles enfants restent privés d’édu­
cation, certains ayant même été
recrutés pour combattre.
La chute des financements de
l’aide dans le contexte de pandé­
mie – notamment de l’Arabie
saoudite et des Emirats arabes
unis, qui dénoncent également le
détournement de l’aide par les
houthistes – a aggravé la situation.
En 2020, il manquait déjà 1,5 mil­
liard de dollars sur les 3,4 milliards
requis par l’ONU, ce qui a obligé
l’organisation à supprimer l’aide
essentielle dans 300 centres de
santé et à réduire, voire interrom­
pre, plus d’un tiers de ses princi­
paux programmes humanitaires.
« Pire crise de développement »
« Nous ne faisons pas seulement
face à la pire crise humanitaire au
monde, mais à la pire crise de déve­
loppement aussi. En six ans de
guerre, le pays a perdu près de
vingt ans en développement et c’est
toute une génération qui a grandi
avec ce conflit et va en payer le
prix », estime Auke Lootsma, le di­
recteur du Programme des Na­
tions Unies pour le développe­
La chute
des financements
de l’aide dans
le contexte
de pandémie
a aggravé
la situation
ment (PNUD) au Yémen. « La fa­
mine n’est pas due au manque de
nourriture, mais à l’absence de
moyens de subsistance. Les Yémé­
nites ne peuvent acheter de la nour­
riture, qui est à 90 % importée. Il
faut compléter l’aide alimentaire
par des programmes pour dévelop­
per les moyens de subsistance,
l’agriculture et la pêche locales »,
ajoute l’humanitaire.
L’offensive lancée le 8 février par
les rebelles houthistes dans la
province pétrolière de Marib, à
120 kilomètres à l’est de la capitale,
Sanaa, pour arracher le dernier
bastion loyaliste dans le nord du
pays, fait craindre une nouvelle
crise humanitaire. Elle donne lieu
à des combats meurtriers et au
pilonnage des positions houthis­
tes par l’aviation saoudienne,
alors que plus d’un million de Yé­
ménites ont trouvé refuge dans la
province. Selon le Bureau de
coordination des affaires humani­
taires de l’ONU (OCHA), les
combats ont déjà déplacé plus de
8 000 personnes. Plus de
380 000 autres personnes pour­
raient être déplacées si les com­
bats gagnaient la ville de Marib.
Les humanitaires espèrent que
le changement de pied des Etats­
Unis depuis l’arrivée de Joe Biden à
la Maison Blanche permettra de
relancer le dialogue politique et
de mettre un terme au conflit.
La nouvelle administration a re­
noncé à soutenir l’intervention
militaire de la coalition emmenée
par Riyad et a retiré les rebelles
houthistes de la liste des « organi­
sations terroristes » pour ne pas
entraver l’acheminement de l’aide
humanitaire dans les territoires
qu’ils contrôlent et où vit la majo­
rité de la population yéménite. 
hélène sallon
mardi 2 mars le gouverneur
de l’Etat de Zamfara, Bello
Matawalle. « Le nombre
total de filles enlevées dans
l’école est de 279, elles sont
toutes ici avec nous, nous
remercions Allah », a ajouté
le gouverneur.
Les autorités avaient initiale­
ment affirmé que 317 jeunes
filles manquaient à l’appel
après l’attaque de ce pension­
nat dans l’Etat de Zamfara par
des hommes armés. Il s’agis­
sait du quatrième enlève­
ment de masse d’écoliers en
moins de trois mois dans le
nord­ouest du Nigeria, où des
groupes criminels, appelés
« bandits », multiplient les
vols de bétail à grande échelle
et pratiquent les enlèvements
contre rançon. Ces violences
criminelles ont fait plus de
8 000 morts depuis 2011 et
forcé plus de 200 000 per­
sonnes à fuir leur domicile,
selon un rapport du groupe
de réflexion International
Crisis Group (ICG), publié en
mai 2020. – (AFP.)

4 | international
Au Salvador, Bukele gouvernera sans contre­pouvoirs
Le parti du président, accusé de dérive autoritaire, devrait obtenir la majorité des deux tiers à l’Assemblée
C’
est une victoire ab­
solue pour le pré­
sident salvadorien,
Nayib Bukele. Et un
bouleversement total et inédit du
paysage électoral de ce petit pays
d’Amérique centrale, dominé de­
puis trente ans par deux partis, le
Front Farabundo Marti pour la li­
bération nationale (FMLN, gau­
che) et l’Alliance républicaine na­
tionaliste (Arena, droite).
La jeune formation du chef de
l’Etat, Nuevas Ideas, devrait rem­
porter haut la main les élections
législatives du dimanche 28 fé­
vrier, selon des résultats encore
partiels. Une majorité suffisante
pour obtenir, seule ou en coalition
avec le parti GANA (Grande Al­
liance pour l’unité nationale), qui
avait porté M. Bukele au pouvoir
en 2019, les deux tiers des sièges
de l’Assemblée nationale (AN).
Donnant ainsi au président, ac­
cusé de dérive autoritaire, les clés
pour un gouvernement sans op­
position. M. Bukele, 39 ans, cas­
quette blanche vissée à l’envers
sur la tête et blouson kaki, s’est oc­
troyé la victoire dès dimanche
soir, alors que seuls 0,09 % des
bulletins avaient été dépouillés.
Réduction du taux d’homicides
« Jusqu’ici, les attaques constantes
du président contre l’Etat de
droit ont été contrebalancées par
des contre­pouvoirs efficaces : la
Cour constitutionnelle, une presse
indépendante qui ne se laisse pas
intimider, l’Assemblée natio­
nale », analyse José Miguel Vi­
vanco, directeur pour les Améri­
ques de l’organisation Human Ri­
ghts Watch (HRW).
Avec la majorité parlementaire
des deux tiers, Nayib Bukele
pourra désormais choisir à sa
guise la composition de la Cour su­
prême, du tribunal électoral – qu’il
n’a eu de cesse d’accuser de fraude
–, changer le procureur général et
le défenseur des droits, bref, rem­
placer ses critiques les plus acer­
bes. Et, au passage, tailler une
Constitution à sa mesure pour se
présenter à la présidentielle de
2024, ce qui lui est impossible ac­
Le Parti républicain relance l’offensive contre les transgenres
Les attaques surviennent alors que le président Joe Biden multiplie les mesures visant à rétablir les protections pour les minorités sexuelles
washington ­ correspondant
S orti de sa très courte re­
traite politique, dimanche
28 février, à l’occasion
d’un rassemblement annuel de
conservateurs, Donald Trump ne
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense
– Tour A – 110 esplanade du Général de
Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX
(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-
cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont le
siège social est à 37, Boulevard du Régent,
1000 BRUXELLES - BELGIQUE, fait
savoir que, la garantie financière dont bé-
néficiait la :
SARL IMMOBILIERE OBSITAS
27 Place Saint-thiébault
57000 METZ
RCS: 445 094 808
depuis le 01/01/2007 pour ses activités de :
TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET
FONDS DE COMMERCE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Établissement
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le pré-
sent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause
la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL
IMMOBILIERE OBSITAS.
Nayib Bukele, le président salvadorien, lors d’une conférence de presse à San Salvador, le 28 février. STANLEY ESTRADA/AFP
tuellement. Surfant sur le désen­
chantement de la population face
aux deux partis historiques aussi
corrompus l’un que l’autre – les
trois présidents qui ont gouverné
le pays entre 1999 et 2014 ont été
emprisonnés ou sont en fuite –, le
charismatique Nayib Bukele s’était
présenté comme un outsider, « ni
de droite ni de gauche », incarnant
l’espoir d’un renouveau.
Deux ans plus tard, les électeurs
ont récompensé dans les urnes
son impressionnant succès dans
la réduction du taux d’homicides,
un des plus élevés au monde,
passé de 50 pour 100 000 habi­
tants en 2019 à 19 en 2020. Et
qu’importe si le média indépen­
dant El Faro a révélé que ce résul­
tat est le fruit d’un accord entre le
s’est pas contenté de dénoncer la
politique migratoire de son suc­
cesseur démocrate, Joe Biden, ou
de reprendre sa théorie du com­
plot sur le trucage supposé de
l’élection présidentielle du 3 no­
vembre. Il s’est également atta­
qué frontalement à la minorité
sexuelle des personnes transgen­
res en assurant qu’elles pour­
raient provoquer « la destruction
du sport féminin ». « Les jeunes
filles et les femmes sont exaspé­
rées de devoir désormais rivaliser
avec des hommes biologiques. Ce
n’est pas bon pour les femmes », a­
t­il affirmé, en ajoutant sans le
moindre élément factuel que « les
records qui ont duré des années et
des décennies sont maintenant
écrasés avec facilité » par des per­
sonnes transgenres.
Ces critiques sont conformes
aux mesures discriminatoires
adoptées pendant son mandat.
Au terme d’une longue lutte, l’an­
cien président était parvenu à ex­
clure les personnes transgenres
de l’armée et à supprimer à de
nombreux échelons du gouverne­
ment fédéral toute référence à
l’identité sexuelle dans laquelle el­
les se reconnaissent pour la rem­
placer par celle de leur naissance.
Il avait également nommé à des
postes de juges fédéraux plusieurs
juristes conservateurs réputés
pour leur hostilité à l’égard de
gouvernement et les gangs, en
particulier la MS13 – ce que M. Bu­
kele nie farouchement. La ges­
tion de l’épidémie due au coro­
navirus récolte, elle aussi, des
éloges, avec les 300 dollars
(250 euros) d’aide accordés aux
familles et la distribution de pa­
niers alimentaires. Même si cela a
été au prix du confinement obli­
gatoire de 16 000 personnes, po­
sitives ou pas, dans des camps in­
salubres, pendant des semaines.
Son bilan économique, après un
an de pandémie, n’est toutefois
pas des plus reluisants, avec un
produit intérieur brut (PIB) en
baisse de 9 % et les revenus fiscaux
en chute libre. Surtout, alors qu’il a
fait de la lutte contre la corruption
et le népotisme son cheval de ba­
En 2004, la lutte
contre la
reconnaissance
d’une union entre
personnes de
même sexe était
instrumentalisée
par George W. Bush
cette minorité sexuelle qualifiée
par certains d’entre eux d’auxi­
liaire d’un « plan satanique ».
Ce thème a pris la place de la dé­
nonciation du mariage gay, sanc­
tuarisé par un arrêt de la Cour su­
prême en 2015. Onze ans plus tôt,
la lutte contre la reconnaissance
de toute union entre personnes
du même sexe avait été instru­
mentalisée par le président répu­
blicain sortant, George W. Bush,
lors de la campagne présiden­
tielle de 2004. L’acceptation pro­
gressive par l’opinion publique
américaine de cette forme
d’union, dont le soutien est passé
de 42 % à 67 % de 2004 à 2020 se­
lon le baromètre de l’institut Gal­
lup, y compris dans les rangs con­
servateurs (49 % en 2020 au lieu
de 19 % en 2004), a privé le Parti
républicain de cet élément de la
« guerre culturelle » qui l’oppose
taille, ses pratiques diffèrent assez
peu de celles de ces prédécesseurs,
nommant amis ou membres de sa
famille à des postes­clés de son ca­
binet. « De nombreux marchés pu­
blics ont été attribués à des fonc­
tionnaires du gouvernement ou à
des proches du président », signale
Oscar Martinez, rédacteur en chef
d’El Faro, dont les journalistes sont
quotidiennement menacés – et at­
taqués par le chef de l’Etat.
Mais les talents de communi­
cant de celui qui s’autodéfinit
comme « le président le plus cool
du monde » et qui gouverne à
coups de tweets font la différence.
Loin d’en avoir fini avec la polarisa­
tion entre le FMLN et l’Arena,
Nayib Bukele s’est au contraire ef­
forcé de l’alimenter, « utilisant un
au Parti démocrate. Coup sur
coup, deux polémiques ont placé
la communauté des personnes
transgenres en première ligne de
ses critiques. La représentante de
Géorgie, Marjorie Taylor Greene,
devenue l’égérie d’un radicalisme
républicain mâtiné de complo­
tisme, a ainsi tenté de bloquer, le
24 février, l’adoption par la Cham­
bre des représentants de l’Equa­
lity Act, un projet de loi visant à
protéger les minorités sexuelles.
Pendant ce débat, une nouvelle
élue appartenant à la même mou­
vance, Lauren Boebert (Colorado),
a évoqué un autre sujet d’indigna­
tion récurrent de la droite républi­
caine à propos des personnes
transgenres. « Où est l’équité dans
cette législation pour les jeunes
filles à travers l’Amérique qui de­
vront regarder derrière leur dos
pendant qu’elles se changent dans
les vestiaires de l’école, juste pour
s’assurer qu’il n’y a pas un homme
dérangé qui essaie de se rincer
l’œil ? », s’est­elle interrogée.
La même semaine, au Sénat, le
républicain Rand Paul (Kentucky)
a attaqué avec virulence la pre­
mière personne transgenre qui
pourrait occuper une haute fonc­
tion fédérale. Rachel Levine, qui
s’identifie depuis une décennie
comme femme, est l’ancienne se­
crétaire à la santé de l’Etat de
Pennsylvanie, et devrait devenir
discours de haine comme stratégie
politique », considère Omar Ser­
rano, vice­recteur de l’influente
Université centraméricaine.
« Agitation populiste »
Lorsque, le 9 février 2020, il n’ob­
tient pas l’approbation d’un prêt
pour financer la lutte contre la cri­
minalité, il n’hésite pas à pénétrer
dans le Palais législatif accompa­
gné de militaires et de policiers ar­
més jusqu’aux dents. Il menace de
dissoudre l’AN, avant de s’en reti­
rer parce que Dieu lui a « conseillé
d’être patient ». « C’est un copié­
collé de Donald Trump dans sa fa­
çon de considérer comme des enne­
mis tous ceux qui s’opposent à lui,
de les insulter, et de mentir de ma­
nière pathologique », lance José
l’adjointe de celui de l’administra­
tion de Joe Biden. Le sénateur a
stigmatisé le soutien de cette der­
nière aux traitements médicaux
et chirurgicaux adoptés par les
mineurs pour correspondre à
l’identité sexuelle dans laquelle
ils se reconnaissent. Il les a assi­
milés aux mutilations génitales
qui sont définies comme des at­
teintes aux droits de l’homme.
Inconstitutionnalité
Cette offensive républicaine est
d’autant plus vive que Joe Biden
multiplie depuis son arrivée à la
Maison Blanche les mesures vi­
sant à rétablir les protections pour
les personnes transgenres. Outre
la nomination symbolique de Ra­
chel Levine, il est déjà revenu sur
l’interdiction de servir sous les
drapeaux. Le président démo­
crate a également signé un décret
exécutif réaffirmant l’inconstitu­
tionnalité d’une discrimination
basée sur l’orientation sexuelle. Il
s’est appuyé sur un arrêt histori­
que de la Cour suprême rendu
en 2020 disposant que la loi de
1964 pour les droits civiques s’ap­
plique également aux discrimina­
tions à l’emploi fondées sur les
orientations sexuelles et les iden­
tités de genre.
Les querelles idéologiques liées
aux personnes transgenres n’ont
pourtant pas toujours été fruc­
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
« C’est un copié-
collé de Trump
dans sa façon de
considérer comme
des ennemis
tous ceux qui
s’opposent à lui »
JOSÉ MIGUEL VIVANCO
de Human Rights Watch
Miguel Vivanco, de HRW. Benja­
min Moallic, chercheur au Centre
d’études mexicaines et centramé­
ricaines, y voit une « agitation po­
puliste » plus qu’une dérive autori­
taire : M. Vivanco est plus radical :
« Le président Bukele est despoti­
que et autocratique. »
Sa popularité, au­dessus de 75 %,
reste pourtant intacte. Les Salva­
doriens sont prêts à ignorer les
entorses au droit et à tolérer qu’on
s’affranchisse des institutions
pour venir à bout de la criminalité
ou de la pandémie. Ils ne sont que
28 % à se dire attachés à la démo­
cratie – contre 45 % dans le reste
de la région. « Les accords de paix,
que M. Bukele qualifie de “farce”,
ont mis fin à une guerre civile qui a
fait 75 000 morts [entre 1979 et
1992], mais la paix n’a jamais vrai­
ment commencé, explique Oscar
Martinez. Puis est venu le temps
des gangs. Notre société ne sait pas
gérer pacifiquement les conflits. »
« Les médias indépendants, la so­
ciété civile et la communauté inter­
nationale sont les seuls contre­pou­
voirs restants », pointe José Miguel
Vivanco. Donald Trump fermait
les yeux sur ses dérives autoritai­
res en échange de pouvoir mener
sa politique antimigratoire. L’ac­
cord signé en septembre 2019 sur
le renvoi des migrants a été sus­
pendu par Joe Biden dès son arri­
vée au pouvoir. « Les conditions
ont changé à 180 degrés par
rapport à Trump, se réjouit M. Vi­
vanco. C’est le dernier recours pour
éviter que le Salvador ne se conver­
tisse vraiment en dictature. » 
angeline montoya
tueuses sur le terrain électoral
pour le Parti républicain. Elles ont
ainsi coûté, en 2016, sa réélection
à un gouverneur conservateur de
Caroline du Nord, Pat McCrory. Ce
dernier avait lié son nom à un
texte qui obligeait les usagers à
utiliser les toilettes correspon­
dant à leur sexe de naissance.
Robert Jones, qui dirige le Public
Religion Research Institute
(PRRI), un observatoire indépen­
dant de Washington, souligne le
risque que comporte l’offensive
contre les personnes transgenres.
« Les Américains sont de plus en
plus susceptibles de croire qu’elles
sont aujourd’hui confrontées à de
nombreuses discriminations
dans le pays et qu’elles ont donc
besoin de protections juridiques »
comme celles prévues dans
l’Equality Act, estime­t­il. Ils sont
73 % à le penser aujourd’hui, au
lieu de 59 % en 2018, selon les en­
quêtes du PRRI. « Le Parti républi­
cain et les évangéliques blancs, qui
représentent environ un tiers de sa
base, sont de plus en plus en déca­
lage avec le reste du pays. Fait
remarquable, ces deux groupes
croient maintenant que les chré­
tiens et les Blancs sont confrontés
à autant ou plus de discrimination
que les personnes transgenres
ou les gays et lesbiennes », ajoute
Robert Jones. 
gilles paris
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
Un projet de passeport
vaccinal européen mis
sur les rails à Bruxelles
La Commission doit présenter une première
esquisse dans le courant du mois de mars
bruxelles ­ bureau européen
I l fut un temps, pas si lointain,
où l’on pouvait circuler libre­
ment au sein de l’Union
européenne (UE). C’était avant
que le Covid­19 pousse les Etats à
fermer leurs frontières, au gré de
l’évolution de la pandémie, ou à
mettre en place, de manière non
harmonisée, une batterie de me­
sures − tests PCR, quarantaine,
formulaires divers et variés… −
destinées à décourager tout
voyage « non essentiel ». Lundi
1er mars, la Commission euro­
péenne a entériné le fait que le re­
tour à la normale n’était pas pré­
vu avant plusieurs mois.
En annonçant que l’exécutif
communautaire présenterait,
en mars, une proposition législa­
tive visant à créer, pour l’été, un
passeport vaccinal commun aux
Vingt­Sept, sa présidente, Ursula
von der Leyen, a en effet acté
que le virus et ses variants
avaient, momentanément en
tout cas, eu raison de l’espace
Schengen, où le franchissement
des frontières intérieures est
censé s’effectuer sans contrôle.
« Le passeport numérique vert
[nommé ainsi en référence aux
« voies vertes » mises en place
depuis mars 2020 par les Vingt­
Sept pour faciliter la circulation
des camions aux frontières] de­
vrait faciliter la vie des Européens.
L’objectif est de leur permettre pro­
gressivement de se déplacer en
toute sécurité dans l’UE ou à
l’étranger − pour le travail ou le
tourisme », a­t­elle tweeté, répon­
dant ainsi à la demande que lui
ont faite les chefs d’Etat et de gou­
vernement européens, réunis par
visioconférence jeudi 25 février.
Sauver la saison estivale
Lors du précédent Conseil, le
21 janvier, les Vingt­Sept avaient
mandaté la Commission pour
qu’elle travaille à la création d’un
certificat vaccinal, sur le modèle
du carnet jaune de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), qui
serait reconnu par tous les pays
de l’UE et dont l’objectif était alors
de répondre à des préoccupations
uniquement médicales. Par
exemple, avait expliqué la
Commission quelques jours plus
tard, pour assurer le suivi de per­
sonnes qui auraient reçu une
première dose dans un Etat puis
la seconde dans un autre.
A l’époque, plusieurs Etats mem­
bres, au premier rang desquels
l’Allemagne et la France, s’étaient
montrés très réticents à ce que ce
certificat vaccinal ouvre des droits
plus larges, comme celui de voya­
ger. Angela Merkel et Emmanuel
Macron jugeaient alors ce débat
hautement prématuré, compte
tenu de la lenteur des campagnes
de vaccination. Ils craignaient
par ailleurs que la mise en place
d’un passeport vaccinal soit assi­
milée à une obligation de se faire
vacciner − sujet particulièrement
sensible dans l’Hexagone.
Ils rappelaient aussi qu’on ne
sait pas, à ce stade, si une per­
sonne vaccinée peut encore trans­
mettre le virus et qu’un tel dispo­
sitif pose des questions en ma­
tière de protection des données.
Sans oublier la question du traite­
ment qui devrait être réservé aux
Le « passeport
vert » permettra
d’attester d’une
vaccination, d’un
test Covid négatif
ou de la présence
d’anticorps
La Grèce et Israël
ont déjà conclu
un accord
permettant
à leurs citoyens
immunisés
de voyager
librement entre
les deux pays
personnes vaccinées avec un vac­
cin non autorisé par l’Agence
européenne des médicaments,
comme le russe Spoutnik V,
auquel la Hongrie et la Républi­
que tchèque ont déjà recours.
Un mois plus tard, la propaga­
tion des variants a contraint la
chancelière allemande et le prési­
dent français à se montrer plus
coopératifs − depuis, l’Allemagne
a fermé ses frontières avec la Ré­
publique tchèque et l’Autriche, et
considérablement restreint le
passage vers la Moselle. D’autant
que certains des pays les plus al­
lants sur le sujet − la Grèce, Chy­
pre, l’Espagne, désireux de sauver
leur saison estivale, mais aussi
l’Autriche et le Danemark, sou­
cieux que leurs citoyens puissent
partir en vacances − ont avancé de
leur côté, mettant ainsi sous pres­
sion leurs partenaires réticents.
Athènes, qui a, dès janvier, de­
mandé à l’Europe de se doter d’un
passeport vaccinal, a pris la tête de
l’offensive (pour préparer la sai­
son estivale). Les Grecs vaccinés se
voient déjà remettre un certificat
et le premier ministre, Kyriakos
Mitsotakis, a récemment conclu
un accord avec Israël permettant à
leurs citoyens immunisés de
voyager librement entre les deux
pays. Il assure réfléchir à faire de
même avec le Royaume­Uni,
deuxième champion incontesta­
ble de la vaccination.
Chypre s’est également en­
tendu avec Israël et des pourpar­
lers sont en cours entre Malte et
Tel­Aviv. Quant à la Suède et au
Danemark, ils ont annoncé la
mise en place de certificats élec­
troniques notamment destinés
aux voyages à l’étranger. En Esto­
nie comme en Pologne, les passa­
gers sont exemptés de quaran­
taine à l’arrivée s’ils peuvent
montrer une attestation de vacci­
nation. Et les compagnies aérien­
nes, dans un secteur dévasté par
la pandémie, sont également à la
manœuvre pour défendre la
cause du passeport vaccinal.
Dans ce contexte, les Vingt­Sept
sont convenus d’avancer, même
si la plupart des questions soule­
vées il y a un mois restent entiè­
res. Afin de répondre aux criti­
ques sur le caractère discrimina­
toire d’un passeport vaccinal, la
Commission assure que le « pas­
seport vert » sur lequel elle tra­
vaille permettra d’attester d’une
vaccination, mais aussi d’un test
Covid­19 négatif, ou de la présence
d’anticorps pour une personne
qui aurait été malade. Le système
« respectera la protection, la sé­
curité et le caractère privé des don­
nées personnelles », a également
promis Ursula von der Leyen, qui,
par ailleurs, admet que les « inter­
rogations scientifiques » autour de
ce dispositif devront être levées.
En réalité, le débat est loin d’être
clos et l’avenir du « passeport
vert » dépendra d’abord et avant
tout de l’avancée de la campagne
vaccinale en Europe, dont Ursula
von der Leyen affirme qu’elle per­
mettra d’immuniser 70 % de la
population adulte d’ici à l’été.
Aujourd’hui, seuls 6,4 % des Euro­
péens sont vaccinés. 
virginie malingre
Les Tchèques et les Slovaques
font appel au vaccin russe
Les deux pays, de nouveau sous pression, commandent des doses
de Spoutnik V, alors que le produit n’est pas autorisé à ce stade dans l’UE
vienne ­ correspondant régional
A
près l’Irlande ou le Por­
tugal, c’est au tour de la
République tchèque et
de la Slovaquie de dé­
couvrir comment le variant bri­
tannique peut faire flamber l’épi­
démie de Covid­19 en quelques
semaines. Presque totalement
préservés lors de la première va­
gue au printemps 2020, les deux
pays d’Europe centrale sont dé­
sormais les plus touchés de
l’Union européenne (UE).
Selon les statistiques du Centre
européen de prévention et de con­
trôle des maladies (ECDC), la Répu­
blique tchèque affiche, lundi
1er mars, le pire taux d’incidence de
toute l’UE, avec 1 120 cas pour
100 000 habitants sur quatorze
jours, et la Slovaquie le pire taux de
mortalité, avec près de 240 morts
par million d’habitants. En com­
paraison, sur la même période
(deux semaines), la France est à un
taux d’incidence de près de 400 et
de mortalité inférieure à 80.
Dans les deux pays, les témoi­
gnages alarmistes de profession­
nels hospitaliers se multiplient,
notamment dans l’ouest de la Ré­
publique tchèque où la situation
est la plus dramatique. « Nous
sommes vraiment à 500 % depuis
quelques semaines maintenant. Il
n’y a pas assez de lits de soins in­
tensifs pour tous ceux que nous
voudrions y mettre », a expli­
qué Martin Straka, chef du service
de médecine interne de l’hôpital
de Sokolov, qui a tiré la sonnette
d’alarme dès début février.
« La situation est très critique
dans la plupart des hôpitaux slova­
ques, presque toutes les places sont
prises et le gouvernement a admis
qu’il y avait du triage des malades »,
assure le mathématicien slovaque
Robert Kollar, qui fait figure d’ex­
Royaume­Uni : la campagne de vaccination
porte de premiers fruits très encourageants
L’efficacité des vaccins de Pfizer et d’AstraZeneca serait élevée, même avec une seule dose
londres ­ correspondante
L a campagne vaccinale bri­
tannique commence à por­
ter ses fruits. Public Health
England (PHE, le ministère de la
santé pour l’Angleterre) a publié,
lundi 1er mars, un bilan prélimi­
naire prouvant une efficacité cer­
taine des deux vaccins en cours
de déploiement dans le pays (le
Pfizer­BioNTech et le Oxford­As­
traZeneca) pour prévenir les in­
fections au coronavirus chez les
plus de 70 ans.
L’étude portant sur « tous les
adultes de plus de 70 ans (soit plus
de 7,5 millions d’individus), et ceux
testés entre le 8 décembre 2020 et le
19 février 2021 », montre que, qua­
tre semaines après l’injection de la
première dose, la protection con­
tre l’infection symptomatique au
SARS­CoV­2 est de 57 % à 61 % pour
le vaccin Pfizer, et de 60 % à 73 %
pour le vaccin anglo­suédois Ox­
ford­AstraZeneca. Pour la tranche
d’âge la plus fragile (les plus de
80 ans), les données suggèrent
qu’une seule dose du vaccin
Oxford­AstraZeneca ou du Pfizer­
BioNTech réduit les hospitalisa­
tions de plus de 80 % (entre trois et
quatre semaines après l’injection).
Ces données très encouragean­
tes convergent avec celles publiées
une semaine plus tôt en Ecosse
« Il n’y a pas assez
de lits de soins
intensifs pour
tous ceux que
nous voudrions
y mettre »
MARTIN STRAKA
médecin tchèque
pert le plus reconnu sur l’évolu­
tion de l’épidémie dans ce pays de
5,5 millions d’habitants dont le
système hospitalier est en mau­
vais état et souffre d’un manque
de personnel récurrent.
Le premier ministre tchèque,
Andrej Babis, a décidé de réintro­
duire, à partir du 1er mars, des me­
sures restreignant les déplace­
ments privés, comme au prin­
temps 2020. Les Tchèques ont be­
soin d’une attestation pour
pouvoir sortir de leur commune
et un couvre­feu s’applique à par­
tir de 21 heures. « Sans ces mesu­
res, on pourrait voir en République
tchèque les mêmes images qu’à
Bergame [en Italie] l’année der­
nière », a reconnu M. Babis.
La Slovaquie voisine a décidé
d’appliquer un couvre­feu simi­
laire après 20 heures, mais n’a,
pour l’instant, pas autant res­
treint les déplacements le reste de
la journée. « La situation est extrê­
mement grave », a déclaré le pre­
mier ministre, Igor Matovic.
Les deux chefs de gouverne­
ment font l’objet de vives criti­
ques pour leur gestion de la crise.
Tous deux sont de riches hom­
mes d’affaires entrés en politique
sur le tard après avoir créé des
partis politiques dits « antisys­
tème » difficilement classables.
MM. Babis et Matovic ont usé
(qui poursuit la même stratégie
vaccinale que l’Angleterre) : selon
une étude coordonnée par des
chercheurs de l’Université d’Edim­
bourg, menée entre le 8 décembre
et le 15 février, les hospitalisations
dans les quatre semaines suivant
l’administration de la première
dose ont chuté de 85 % avec le pro­
duit de Pfizer­BioNTech et de 94 %
avec AstraZeneca.
Prudence toujours de mise
Elles valident aussi la stratégie vac­
cinale britannique, jugée jusqu’à
présent risquée sur le continent
(notamment en France et en Alle­
magne) : les autorités sanitaires du
pays ont parié sur un déploiement
des vaccins le plus rapide possible,
pour le plus de monde possible,
afin de sauver des vies et de limiter
la saturation des hôpitaux. Fin dé­
cembre 2020, elles ont choisi de
prioriser l’administration de la
première dose et de n’injecter la
seconde qu’au bout de douze se­
maines. Lundi soir, plus de 20 mil­
lions de Britanniques avaient déjà
reçu leur première dose de produit
(pratiquement tous les plus de
70 ans et l’essentiel des personnels
de santé du Royaume­Uni).
Les résultats publiés par le mi­
nistère de la santé pour l’Angle­
terre montrent aussi que le vaccin
AstraZeneca, sur lequel Londres a
international | 5
d’une communication pour le
moins erratique ces derniers
mois. Le premier a ainsi reconnu
« des erreurs » pour avoir décidé
de lever trop largement les res­
trictions en décembre 2020, et la
politique du second, consistant à
tester l’ensemble de la population
sur plusieurs week­ends en no­
vembre 2020, a fait long feu. « Nos
dirigeants pensaient que les tests
de masse allaient résoudre la si­
tuation, mais cela n’a pas mar­
ché », constate le mathématicien
Robert Kollar.
Aide internationale
Les deux pays ont surtout tardé à
mettre en place des efforts de sé­
quençage du virus qui auraient
pu permettre de tirer la sonnette
d’alarme plus tôt. La Slovaquie a
par exemple subitement décou­
vert, début février, que le variant
britannique était présent dans
plus de 70 % d’un échantillon de
tests positifs choisis au hasard.
Dans la foulée, Prague et Bratis­
lava ont brutalement refermé
leurs frontières. Mais de nom­
breux travailleurs revenus du
Royaume­Uni étaient déjà rentrés
au pays avec le variant.
Désemparées, les deux capitales
font désormais appel à l’aide in­
ternationale. Des renforts médi­
caux ponctuels sont venus d’Alle­
magne ou d’Autriche et les deux
pays négocient pour y transférer
des patients. Ils devraient aussi
obtenir chacun 100 000 doses de
vaccin Pfizer supplémentaires
dans le cadre de la prochaine li­
vraison européenne.
Contrairement à ce que M. Babis
a annoncé jeudi 25 février, ces do­
ses supplémentaires ne devraient
toutefois pas provenir unique­
ment des quotas français, alors
que la campagne de vaccination
hexagonale patine également.
Pour les plus
de 80 ans, les
hospitalisations
seraient réduites
de plus de 80 %
trois à quatre
semaines après
l’injection
lourdement parié, est efficace
pour les plus âgés. Dès fin décem­
bre, le JCVI (le comité vaccinal bri­
tannique) avait autorisé son usage
pour les plus de 65 ans même si,
à l’époque, les données portant
sur ces tranches d’âge man­
quaient dans les essais vaccinaux
de phase 3. Le comité avait « consi­
déré qu’il n’était pas possible d’un
point de vue immunologique que
le vaccin fonctionne pour les moins
de 55 ans mais pas pour les plus
âgés. PHE a clairement justifié cette
approche », s’est félicité Jonathan
Van­Tam, un des conseillers médi­
caux du gouvernement Johnson,
lors d’une conférence de presse
depuis Downing Street, lundi.
« D’autres pays pourraient être
très intéressés par ces données », a
ajouté le médecin, faisant allusion
à des Etats européens qui, comme
« On veut les aider, mais on veut
une aide européenne », explique
une source gouvernementale
française.
MM. Babis et Matovic ont, par
ailleurs, brusquement tourné le
regard vers Moscou pour com­
mander en urgence des doses de
Spoutnik V. Le vaccin russe n’a
toujours pas déposé de demandes
d’autorisation auprès de l’Agence
européenne du médicament
(AEM) mais les deux dirigeants
comptent désormais l’autoriser
sur leur territoire de manière uni­
latérale, comme l’a déjà fait la
Hongrie de Viktor Orban. Igor
Matovic a accueilli une première
livraison de 200 000 doses par
avion militaire lundi soir en pro­
mettant que la Slovaquie rece­
vrait deux millions de doses au
total, au prix de 19,95 dollars
(16,60 euros) pour deux doses.
« Nous ne pouvons plus attendre
[la décision de] l’AEM alors que la
Russie n’a toujours pas déposé de
dossier. Un vaccin russe ou chinois,
ce n’est pas une centrale nu­
cléaire », a indiqué son homolo­
gue M. Babis pour écarter les criti­
ques. Début février, le Tchèque
avait pourtant fermement écarté
cette possibilité après un voyage à
Budapest, d’où son conseiller mé­
dical était revenu en estimant que
les Russes et les Chinois n’étaient
pas en mesure d’apporter une do­
cumentation aux standards euro­
péens. Mais dimanche, M. Babis a
subitement estimé que l’avis de
l’autorité médicale tchèque serait
suffisant. Cette dernière a toute­
fois renvoyé la responsabilité
d’un feu vert au ministère de la
santé. Lundi, on apprenait, par
ailleurs, que la Pologne voisine
avait ouvert des négociations
avec Xi Jinping pour se procurer
des vaccins chinois. 
jean­baptiste chastand
la France ou l’Allemagne, s’apprê­
tent à reconsidérer leur recom­
mandation vaccinale et à autoriser
le vaccin AstraZeneca pour les plus
âgés. Paris a ainsi annoncé, lundi
soir, que son utilisation serait
étendue aux personnes âgées de
65 à 75 ans présentant des comor­
bidités. M. Van­Tam « dit cela de
manière fort diplomatique », a re­
levé sur une note plus grinçante le
ministre de la santé britannique,
Matt Hancock. Les autorités du
pays ne digèrent toujours pas les
doutes formulés par Emmanuel
Macron fin janvier – le vaccin As­
traZeneca « est presque inefficace
pour les plus de 65 ans », avait lâché
le président français, à propos
d’un produit suscitant une vraie
fierté nationale au Royaume­Uni.
L’heure est pourtant toujours à
la prudence en Angleterre, alors
que le confinement strict reste de
mise (les écoles ne rouvrent leurs
portes que le 8 mars, les magasins
essentiels mi­avril). L’épidémie a
très notablement reflué (seule­
ment 5 455 cas positifs enregistrés
sur les dernières vingt­qua­
tre heures, lundi), mais le bilan
des morts reste énorme (plus de
123 000 décès depuis mars 2020)
et des cas du variant brésilien, très
infectieux, viennent juste d’être
détectés sur le territoire. 
cécile ducourtieux
 PLANÈTE
0123
6| MERCREDI 3 MARS 2021

C R I S E   S A N I TA I R E

Covid­19 : l’exécutif en quête 
de perspectives positives
Lundi, Macron a estimé qu’il faudrait « tenir » encore « quatre
à six semaines ». Dans le même temps, son entourage répète
qu’il « n’y a pas de calendrier » pour la fin des restrictions

L
es Français réclament des
perspectives, dit­on, afin de
ne pas baisser les bras
dans l’interminable crise du
Covid­19. Lundi 1er mars,
Emmanuel Macron a semblé
leur en donner à l’occasion d’un déplace­
ment à Stains (Seine­Saint­Denis). Alors
qu’un jeune homme lui faisait remar­
quer que le couvre­feu à 18 heures était
dur à supporter, le président de la Répu­
blique a lancé, selon des propos rappor­
tés par l’Agence France­Presse (AFP) : « Il
faut tenir encore quelques semaines,
quatre à six semaines. »
Une déclaration qui peut être lue
comme un message d’espoir en vue
d’une sortie de crise et, en même temps,
ressembler à une mise en garde pour les
semaines à venir. Après tout, la situation
sanitaire reste « préoccupante », selon
l’agence de sécurité sanitaire Santé publi­
que France (SPF), et la perspective du
confinement n’est pas écartée. Après une
légère baisse à la mi­février, le taux d’in­
cidence est désormais reparti à la hausse
et témoigne d’une circulation accrue du
virus, avec un peu plus de 21 000 nou­
veaux cas détectés par jour.
« UN CAP D’ESPOIR »
Mais les propos d’Emmanuel Macron, a
précisé dans la foulée son entourage,
auraient été mal interprétés. « Il n’y a pas
de calendrier », a assuré l’Elysée au
Monde, la règle de la « stratégie locale »
décidée « au jour le jour » étant toujours
de mise. Comprendre : il est impossible
de deviner avec certitude à quel niveau
se situera l’épidémie au mois d’avril.
« Le président rappelle que, hélas, sur les
quatre à six prochaines semaines, il ne
faut pas compter qu’on réduise la voilure
des mesures. Le couvre­feu et les mesures
actuelles seront un minimum, a estimé,
lundi, le ministre de la santé, Olivier
Véran, au journal de 20 heures de
France 2. Nous espérons évidemment ne
taire est prévu mercredi afin d’évaluer la
LA BAISSE DE  possibilité d’y prononcer un tour de vis
LA MORTALITÉ ET DES  supplémentaire, qui pourrait être an­
noncé le lendemain par le premier mi­
HOSPITALISATIONS CHEZ  nistre, Jean Castex.
La maire socialiste de Paris, Anne
LES PERSONNES ÂGÉES  Hidalgo, a d’ores et déjà prévenu qu’elle
DE PLUS DE 75 ANS EST  rejetait l’idée d’un confinement le week­
end pour la capitale et la petite couronne.
UN « REFLET PROBABLE  « Inhumain », a­t­elle dénoncé. Mais
l’exécutif peut difficilement rester inac­
DE LA VACCINATION »,  tif face à ce qu’Olivier Véran qualifie de
« situation de fragilité ». « Nous avons
SELON SANTÉ  effacé en une semaine deux semaines de
PUBLIQUE FRANCE baisse [de l’épidémie] », a­t­il souligné
sur France 2.
pas aller au­delà à l’échelle du pays et que, FAIRE BAISSER LA TENSION
d’ici quatre à six semaines, on puisse re­ Les conséquences de cette reprise sont
trouver davantage de liberté. » visibles à l’hôpital, où le nombre de lits
A en croire un proche, Emmanuel occupés par des malades du Covid­19
Macron évoquait en réalité « le déploie­ stagne à un peu plus de 25 000 patients,
ment du vaccin, du traitement ». « Ça avec quelque 1 300 admissions par jour. Le premier ministre, Jean Castex, et
donne un cap d’espoir », estime cette Les services de réanimation, de leur côté, le ministre de la santé, Olivier Véran
source. L’obsession de l’exécutif depuis continuent à se remplir et atteignent (au centre), dans un centre
plusieurs semaines afin de rassurer une dans certaines régions le point de satura­ de vaccination, à Paris, le 25 février.
opinion à cran. Le 28 février, dans le Jour­ tion. Cette dégradation des indicateurs CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP
nal du dimanche, le directeur général de est à lier à la diffusion des nouveaux
la santé, Jérôme Salomon, a dessiné variants plus contagieux, et notamment
pour sa part la perspective d’« avril ou le variant dit « britannique », devenu
mai », évoquant une « course contre la majoritaire dans les nouvelles contami­ ques de développer les formes graves du comorbidités, mais a peiné à trouver son
montre avec des mesures de freinage (…) nations. De quoi faire craindre une Covid­19 devrait permettre, d’ici à quel­ public en raison de ses effets secondai­
qui nous permettent de tenir pendant que explosion du nombre de cas dans les ques mois, de faire baisser la tension res et d’une supposée moindre efficacité
la vaccination se déploie ». L’objectif semaines à venir. dans les hôpitaux. « Rien que sur le mois chez les plus âgés.
étant de franchir la ligne d’arrivée sans Dans cette course, le rythme de la vacci­ de mars, nous comptons proposer une Selon M. Véran, la Haute Autorité de
avoir eu à prononcer un confinement nation apparaît comme étant de plus en première vaccination à six millions de santé considère depuis lundi son « effica­
généralisé du pays. plus crucial. La baisse de la mortalité et Français », a assuré Olivier Véran, lundi, cité » comme « remarquable », au même
Pour y parvenir, le gouvernement s’ac­ des hospitalisations chez les personnes ce qui « fera neuf millions au total depuis titre que les vaccins des laboratoires Pfi­
croche comme à une bouée à sa straté­ âgées de plus de 75 ans est un « reflet le début de la campagne ». zer et Moderna, également administrés
gie de différenciation territoriale. Après probable de la vaccination », selon SPF. Si Afin d’atteindre cet objectif, le minis­ en France. Pour les personnes pouvant
qu’un confinement localisé a été le gouvernement parvient à maintenir tre de la santé a annoncé que l’utilisa­ justifier d’un test RT­PCR positif au Co­
instauré le week­end du 28 février sur le ses objectifs, ce sont plus de 17 millions tion du vaccin du laboratoire anglo­sué­ vid­19 ces derniers mois, « une seule in­
littoral des Alpes­Maritimes et dans de personnes qui devraient être vacci­ dois AstraZeneca sera étendue aux jection suffira », a par ailleurs précisé le
l’agglomération de Dunkerque (Nord), nées d’ici à la fin avril, soit 32 % de la personnes âgées de 65 à 75 ans « avec ministre de la santé, ce qui permettra de
vingt nouveaux départements où le population adulte – pour un objectif de comorbidités » (diabète, hypertension, libérer des doses pour les autres patients.
virus circule fortement font l’objet 70 % d’ici à la fin de l’été, selon le minis­ antécédents de cancer). Il était jusque­là Ce n’est pas le grand soir, mais c’est déjà
d’une surveillance accrue de la part des tère de la santé. La stratégie vaccinale réservé aux soignants ainsi qu’aux Fran­ « une bonne nouvelle ». 
autorités. Un conseil de défense sani­ priorisant les personnes les plus à ris­ çais entre 50 et 64 ans souffrant de olivier faye et delphine roucaute

Anne Hidalgo s’oppose à un reconfinement francilien le week­end

Cette hypothèse était au cœur de réunions, lundi, entre les élus, le préfet de police de Paris et l’agence régionale de santé d’Ile­de­France

F ace à l’aggravation de l’épi­

démie de Covid­19, les ha­
bitants d’Ile­de­France, de
l’Oise et d’Eure­et­Loir vont­ils de­
voir rester chez eux chaque week­
end, comme à Nice et à Dunker­
que (Nord) ? Le projet est plus que
jamais sur la table. Avancé par le
gouvernement, il a été au cœur
des rencontres que le préfet de
police de Paris, Didier Lallement,
et le directeur de l’agence régio­
nale de santé francilienne, Auré­
lien Rousseau, ont tenues, lundi
1er mars, avec la maire de Paris et
la présidente de la région.
Le gouvernement envisage de
le mettre en place, dès samedi
6 mars, sauf amélioration
surprise de la situation, et c’est ce
schéma qui a principalement été
évoqué lors de ces réunions.
« L’hypothèse d’un confinement
réduit au week­end fait bien partie
des possibilités, mais ne constitue
pas le scénario nécessairement
privilégié et encore moins décidé, a
toutefois indiqué Matignon lundi
soir. Les décisions seront prises en
fonction du retour des concerta­
tions et de l’évolution de l’épidémie
dans les différents territoires con­
cernés. » Ce possible tour de vis
devrait s’accompagner d’une ac­
célération des vaccinations, d’un
recours accentué au télétravail et
d’une campagne massive de tests
en milieu scolaire.
Mesure « inhumaine »
Lundi, les deux femmes clés de
la région ont réagi au projet de
façon assez opposée. Valérie Pé­
cresse, la présidente (Libres !) de
l’Ile­de­France, a indiqué qu’elle
ne s’opposerait pas à un confine­
ment le week­end, si cela peut évi­
ter un confinement total. Elle a
simplement plaidé pour que les
marchés de plein air et les lieux de
culte restent ouverts le week­end
et que les commerces appelés à ti­
rer le rideau perçoivent des aides.
Anne Hidalgo, elle, a exprimé
son total désaccord. Ajouter au
couvre­feu à 18 heures durant la
semaine un confinement le
samedi et le dimanche constitue
une mesure « difficile, dure, voire
inhumaine », a­t­elle déclaré
juste après le rendez­vous. Pa­
reille mesure pèserait particuliè­
rement sur les nombreux habi­
tants qui « vivent dans des ap­
partements exigus, sans espace
extérieur, parfois à plusieurs gé­
nérations sous le même toit », a
souligné l’élue socialiste. Elle se­
rait, en outre, « assez peu efficace
sur le plan sanitaire », avait
déjà argumenté Emmanuel Gré­
goire, le premier adjoint d’Anne
Hidalgo, jeudi 25 février, sur
France Info.
Il avait alors évoqué quelques
alternatives. En particulier, un
vrai confinement de la capitale
pendant trois semaines, comme
au printemps 2020, pour casser
la trajectoire virale et « avoir la
perspective de tout rouvrir » en­
suite. Mais ce propos choc, tenu
sans en avoir parlé au préalable
aux maires d’arrondissement ni
à de nombreux adjoints, a suscité
la polémique. Après quelques
jours de confusion, la maire a
écarté l’hypothèse. « Anne Hi­
dalgo lâche son premier adjoint et
tient un discours à rebours des dé­
clarations de la fin de la semaine
dernière, a commenté, lundi, sa
principale opposante, Rachida
Dati. On ne joue pas avec la vie des
gens comme ça ! »
Lundi, la maire a proposé à l’Etat
d’autres solutions. Elle demande,
par exemple, que les cours puis­
sent avoir lieu fenêtres ouvertes,
ou dehors dès que le temps le per­
PAREILLE MESURE  restrictions. A commencer par
PÈSERAIT
SUR LES NOMBREUX  concertation », confirme­t­on à
HABITANTS  la Préfecture de police de Paris.
QUI « VIVENT DANS
DES APPARTEMENTS
EXIGUS », A SOULIGNÉ
LA MAIRE SOCIALISTE
met. Elle souhaite que les étu­
diants puissent accéder aux mu­
sées, théâtres et gymnases pour
réviser au calme. Elle propose
aussi de faire appel aux cliniques
pour désengorger les hôpitaux.
Forte tension dans les hôpitaux
Il paraît peu probable, cepen­
dant, que ces objections suffi­
sent à freiner le gouvernement.
Dans toute l’Ile­de­France, l’Oise,
l’Eure­et­Loir et dix autres dépar­
tements, la remontée de l’épidé­
mie contraint les pouvoirs pu­
blics à envisager de nouvelles
un confinement le week­end.
« Ce qui a été mis en place à Nice et
Dunkerque constitue la base de la
De fait, les mesures prises jus­
qu’à présent ont eu un impact
limité. En Ile­de­France, elles
n’ont pas permis de mettre fin à
la deuxième vague, qui tue envi­
ron 50 personnes par jour dans
les hôpitaux de la région. Le cou­
vre­feu à 18 heures n’a pas empê­
ché non plus un rebond de l’épi­
démie de plus en plus net depuis
la fin de l’année 2020. Le nombre
de cas positifs officiellement dé­
tectés chaque semaine est passé
de 104 pour 100 000 habitants
début décembre à 323 cas pour
100 000 au 25 février, soit un tri­
plement en moins de trois mois.
L’accélération de la circulation
du virus, très sensible depuis le
10 février, se traduit par une forte
tension dans les hôpitaux d’Ile­de­
France. Dans les services de réani­
mation, plus de sept lits sur dix
sont occupés par des malades du
Covid­19 et rien ne laisse prévoir
une décrue. Avec la propagation
du variant anglais, particulière­
ment contagieux, et le retour des
élèves dans les écoles, collèges et
lycées depuis lundi, les profession­
nels redoutent, au contraire, une
nouvelle flambée de l’épidémie.
« La situation pourrait devenir
alarmante dans les prochains
jours », estime Anne Hidalgo. 
denis cosnard
0123
MERCREDI 3 MARS 2021 planète | 7

▶▶▶

Le vaccin d’AstraZeneca
recommandé au­delà de 65 ans
Après un avis favorable de la Haute Autorité de santé, le ministre de
la santé, Olivier Véran, a annoncé une extension de l’usage du produit

L a Haute Autorité de santé

(HAS) l’avait clairement an­
noncé : sa recommanda­
tion de ne délivrer le vaccin d’As­
traZeneca qu’aux personnes âgées
de 18 à 65 ans était provisoire,
« faute de données suffisantes pour
les personnes de plus de 65 ans ».
Rendez­vous avait presque été
donné fin mars, avec la publica­
tion attendue d’un essai en cours
aux Etats­Unis, dans lequel les se­
niors étaient largement représen­
tés. Les experts sanitaires français
ont devancé l’appel. Dans un avis
rendu le 1er mars et publié le 2, la
HAS « considère que la place dans
la stratégie vaccinale du vaccin As­
traZeneca peut être élargie dès
maintenant aux personnes âgées
de plus de 65 ans ». Lundi soir, le
ministre de la santé, Olivier Véran,
a annoncé que les personnes
âgées de 65 à 75 ans présentant des
comorbidités pourraient désor­
mais se faire inoculer le vaccin
d’AstraZeneca.
Cette recommandation, la HAS
la rend « au regard du contexte épi­
démiologique actuel préoccupant
avec prédominance du variant an­
glais [variant contre lequel le vac­
cin d’AstraZeneca a fait la preuve
de son efficacité] », mais aussi « des
premières données en vie réelle
écossaises ». Rendues publiques le
22 février, dans une prépublica­
tion publiée sur le site de la revue
JUSQU’ICI, RIEN 
N’ÉTAIT PRÉVU POUR
LES 7,4 MILLIONS  actuelle de l’épidémie, le « M. Vac­
DE PERSONNES ÂGÉES DE  pas son plaisir. « Ces données su­
65 À 74 ANS. PAS MÊME  la semaine, salue­t­il. Elles sont
POUR CELLES PRÉSENTANT
UNE COMORBIDITÉ
moins de recul avec le second, ad­
met l’infectiologue. Mais il a été
utilisé essentiellement sur des plus
de 65 ans et l’efficacité dans cette
tranche d’âge reste très forte. » Au
pic d’efficacité, cinq semaines
après l’injection, la baisse des
hospitalisations est de 85 % chez
les 18­64 ans, de 79 % chez les
65­79 ans, de 81 % chez les 81 ans.
C’est bien sûr l’enseignement­
phare de cette étude. Certes, elle ne
dit rien sur le schéma à deux doses
prévu par le laboratoire. Mais sa
protection ne peut être que
meilleure que cette injection uni­
que, déjà performante. Elle n’ap­
porte pas non plus de données sur
la mortalité. Mais en diminuant
les hospitalisations, le vaccin la ré­
duit mécaniquement de façon
considérable. Elle ne renseigne pas
plus sur les symptômes légers.
Pourtant, le poids que les cas sévè­
cacité de ces vaccins sur le mutant
britannique, ultra­majoritaire en
Ecosse et dominant en France.
Dans le contexte d’aggravation
cin » du gouvernement ne boude
perbes sont la bonne nouvelle de
claires. Il est logique que la HAS re­
commande de les suivre. La
meilleure expérience, c’est toujours
la vie réelle. La campagne is­
raélienne avait démontré l’effica­
cité du vaccin de Pfizer. La campa­
gne écossaise le fait avec celui d’As­
traZeneca. Et de nouvelles données
anglaises, tout juste publiées, le
confirment. »
Elargir l’intervalle
De cette série d’études, la HAS tire
un autre enseignement : la néces­
sité d’élargir l’intervalle entre les
doses. C’est la stratégie qu’a choi­
sie le Royaume­Uni. La HAS l’avait
déjà recommandée, le 23 janvier.
Olivier Véran avait refusé, jugeant
le terrain mal balisé par la science.
Pour la HAS, la preuve est apportée
qu’une telle extension est possi­
ble, à six semaines pour les vac­
cins à ARN messager, jusqu’à
douze semaines pour celui
d’AstraZeneca. « Il faut augmenter
le taux de vaccination le plus vite
possible, ça pourrait nous permet­
tre de le faire », assure Mme Bouvet.

Les débuts poussifs du vaccin scientifique The Lancet et soumis

au British Medical Journal, ces
nouvelles données avaient fait
res font peser sur l’hôpital consti­
tue, de nouveau aujourd’hui, un
sujet d’inquiétude pour les autori­
« Je comprends cette position, mais
je reste réservé, réagit Alain Fis­
cher. J’y vois trop d’incertitudes.

britannique en France
réagir la direction générale de la tés sanitaires. Enfin, elle n’indique L’arrivée des variants impose de
santé. Le 24 février, elle avait de­ rien sur les variants brésilien et vacciner beaucoup, mais aussi de
mandé à la HAS « une nouvelle sud­africain, quasi absents du ter­ bien immuniser. » Le ministre
analyse » de « l’efficacité du vaccin ritoire écossais. Cependant, elle tranchera. 
Au 28 février, seul un quart des doses d’AstraZeneca a été utilisé AstraZeneca en vue d’une éven­ démontre en vraie grandeur l’effi­ nathaniel herzberg
tuelle réactualisation de la place
de ce vaccin dans la stratégie vacci­
nale contre le Covid­19 ».

A straZeneca va­t­il enfin

trouver son public ? Ac­
cessible depuis le 6 fé­
vrier aux personnels soignants de
moins de 65 ans et depuis le 25 fé­
vrier aux personnes âgées de 50 à
64 ans présentant des facteurs de
comorbidité, le vaccin du groupe
pharmaceutique britannique a
reçu lundi 1er mars le feu vert de la
Haute Autorité de santé (HAS)
pour que son injection soit « élar­
gie dès maintenant aux personnes
âgées de plus de 65 ans ».
Le ministre de la santé Olivier
Véran a indiqué que cette recom­
mandation allait permettre d’ac­
célérer les inoculations, en ci­
blant notamment les 65­74 ans
– soit 7 millions de personnes –
jusqu’ici laissées pour compte
dans le calendrier vaccinal.
Un mois après son arrivée cen­
sée accélérer la campagne de vac­
cination en France, les chiffres té­
moignent d’un démarrage pous­
sif. Au 28 février, selon les données
de Santé publique France, sur les
2,9 millions de Français s’étant vu
administrer au moins une dose de
vaccin, 275 500 en ont reçu une
d’AstraZeneca, devant Moderna
(158 000) mais loin derrière Pfizer
(2,5 millions), le premier à avoir
reçu une autorisation. Si le labora­
toire Moderna n’est qu’un « petit »
fournisseur et a été contraint de li­
vrer à la France 25 % de doses de
moins que prévu en février, en re­
vanche, il y a largement de quoi
répondre à la demande avec Astra­
Zeneca : 1 137 600 doses du vaccin
ont déjà été acheminées en
France. Soit à ce jour, une utilisa­
tion de seulement 24 % d’entre
elles, même si les deuxièmes
doses doivent être anticipées.
Avec une efficacité estimée à
62 %, moindre que les vaccins à
ARN messager de Pfizer­BioNTech
(95 %) et de Moderna (94 %), les
personnes qui y sont éligibles sont
parfois tentées de le bouder, en­
core plus depuis que des effets se­
condaires, bien que classiques
– fièvre, fatigue ou douleurs mus­
culaires et articulaires –, ont été re­
censés. Les autorités sanitaires ont
donc lancé une campagne de réha­
bilitation. « Il n’y a pas lieu de con­
sidérer que ce vaccin est un vaccin
de deuxième catégorie, il est tout à
fait efficace et a sa place dans l’arse­
nal de la vaccination », a défendu
Alain Fischer, le président du con­
seil d’orientation de la stratégie
vaccinale, le 25 février, rappelant
que son taux de protection monte
à « 82 % à la seconde dose si on res­
pecte un délai de douze semaines »
entre les deux injections.
Organisation « complexe »
« Il ne faut pas se faire d’illusions,
les 50­64 ans sont exactement
comme le reste de la population, il
va y avoir en moyenne 40 % de re­
fus si on en croit les enquêtes natio­
nales », estime Jacques Battistoni,
le président de MG France, pre­
mier syndicat chez les généralis­
tes, qui, avant la décision de la
HAS, ne se disait « pas assuré d’uti­
liser au­delà de 3 flacons avec cette
cible étroite ». Les freins ne sont
parfois pas tant du côté des pa­
tients que de la logistique, les mé­
decins généralistes ayant eu peu
de temps pour s’organiser pour
vacciner dans leurs cabinets. « Ces
quinze derniers jours, on a eu
beaucoup de demandes, notam­
ment parmi les 65­74 ans », témoi­
gne Mady Denantes, qui exerce
dans une maison de santé pluri­
professionnelle dans le 20e arron­
dissement de Paris. La vaccina­
tion y démarrera en fin de se­
maine. « Se retrouver tout seul
dans son cabinet à faire ses consul­
tations et en même temps organi­
ser la vaccination, c’est complexe »,
complète sa consœur Dora Levy.
Sur les plus de 50 000 médecins
généralistes exerçant en France,
près de 29 000 se sont portés vo­
lontaires la première semaine à
raison d’un flacon contenant 10
doses ; cette semaine, ils sont
10 000 de moins. « Soit ils n’ont
pas encore eu le temps de reconsti­
tuer une liste de patients, soit ils
ont reçu des doses supplémentai­
res et n’ont donc pas besoin de re­
passer commande dans l’immé­
diat », avance Jacques Battistoni.
De fait, Santé publique France
avait reçu pour cette première se­
maine de vaccination chez les gé­
néralistes plus de 500 000 doses
d’AstraZeneca. « Les autorités de
santé ont donc décidé de donner
2 flacons supplémentaires à cha­
cune des 11 000 officines qui les
stockent, des flacons que les géné­
ralistes ne sont souvent pas encore
venus chercher », explique Phi­
lippe Besset, président de la Fédé­
ration des syndicats pharmaceu­
tiques de France.
Les pharmaciens militent pour
intégrer dès que possible le dispo­
sitif. « 80 % des officines ont vac­
ciné contre la grippe, elles ont déjà
les locaux et les personnels formés,
elles peuvent s’y atteler du jour au
lendemain », insiste Philippe Bes­
set. Ce sera le cas « dans quelques
jours », a assuré Olivier Véran
lundi soir. 
élisabeth pineau
Les chiffres rendus publics par
l’agence sanitaire écossaise et
l’université d’Edimbourg sont, il
est vrai, spectaculaires. Les deux
institutions ont collecté et analysé
les données d’hospitalisation por­
tant sur 5,4 millions de personnes,
devient
soit la quasi­totalité du pays. Et el­
les ont comparé les 1,3 million de
personnes ayant reçu une pre­
mière injection avant le 18 février
(22 % de la population) et les
autres. Résultat : dès la deuxième
semaine suivant l’injection, les
hospitalisations amorcent une
chute. Et le phénomène ne cesse
de croître : 47 % de protection la
deuxième semaine, 60 % la troi­
sième, 70 % la quatrième, 84 % la
cinquième, avant d’amorcer un re­
cul : 61 % la sixième semaine, 58 %
au­delà.
« Une bonne surprise »
Ce constat apparaît d’autant plus
marquant qu’il touche aussi bien
le vaccin à ARN messager de Pfi­
zer­BioNTech que celui à vecteur
viral d’AstraZeneca, les deux prin­
cipaux utilisés en Ecosse. Le pro­
duit du groupe anglo­suédois fait
même légèrement mieux que ce­
lui du duo germano­américain.
« C’est une bonne surprise », confie
Elisabeth Bouvet, la présidente de
la commission technique de vac­
cination de la HAS. Avec ses deux
doses, AstraZeneca plafonnait en
effet à 70 % de protection pour
l’ensemble des symptômes, lé­
gers comme sévères, et souffrait
d’un manque cruel de données
pour les personnes âgées. « La
campagne écossaise a commencé
début décembre avec le vaccin de
Pfizer, début janvier avec celui
d’AstraZeneca, on a donc un peu
 0123
8 | planète MERCREDI 3 MARS 2021

C R I S E   S A N I TA I R E

Des tests salivaires

« là où le virus
circule le plus »
A l’école André­Davesne,
à Périgueux, la quasi­totalité des
enfants ont participé au dépistage

périgueux ­ envoyée spéciale quant que « c’est pour trouver si on

a le “corona” ». Les deux écoliers

D
ans leur salle de classe
de l’école primaire
André­Davesne de Pé­
rigueux, les élèves de
CE1 attendent patiemment. Deux
petits de CP sont venus faire une
démonstration plutôt incon­
grue : celle du test salivaire. Car ils
ont déjà fait l’expérience plus tôt
dans la matinée.
« Il ne faut pas cracher mais ba­
ver dans le tube, comme si on avait
un chewing­gum dans la bouche »,
explique une écolière. « Mais
d’abord, il faut mettre du gel [sur
les mains] et aussi à la fin », re­
prend son camarade. « On essaie
de penser à plein de choses qui font
saliver comme des bonbons ou du
citron. Et quand il y a assez de sa­
live, on vous dit “stop, c’est bon !” »,
renchérissent­ils à l’unisson.
La directrice de l’établissement,
Elodie Rocher, complète, et s’en­
quiert d’éventuelles questions.
Puis, par groupe de cinq, accom­
pagnés par leurs enseignants, les
enfants traversent la cour de
l’école pour que l’équipe de biolo­
gie médicale du laboratoire Euro­
fins mandatée puisse procéder
aux prélèvements. Selon Mme Ro­
cher, cette première matinée est
une réussite pour ces élèves – par­
fois inquiets de ne pas y arriver,
ou ravis de faire les pitres.
Seuls dix sur les 135 que compte
l’établissement n’y participeront
pas, en l’absence d’accord des pa­
rents. Clément et Sixtine, 7 ans,
tous deux en CP, sortent à la hâte
de la classe transformée en salle
de prélèvement. « C’est dur de sali­
ver ! » racontent­ils, tout en expli­
sont ensuite envoyés dans une
classe de CM1 pour raconter à leur
tour leur expérience. Là, davan­
tage de questions fusent. « Mais
moi, je ne veux pas avoir le corona­
virus », dit une petite fille. « On
aura quand les résultats ? », s’in­
quiète un petit garçon au fond de
la classe. Rassurés par leur direc­
trice, les élèves se préparent, en­
suite, à rejoindre la fameuse salle
de prélèvement.
« Une grande première »
« C’est une grande première pour
nous aussi », explique Corentin
Rochon, responsable des opéra­
tions du laboratoire Eurofins. A
ses côtés, une aide­soignante et
une infirmière expliquent aux
enfants la marche à suivre, tout
en les accompagnant pour qu’ils
parviennent à saliver dans le
tube. « Ce sont les enfants qui gè­
rent, on n’a pas le choix », ajoute
M. Rochon, qui se félicite toute­
fois que le temps de prélèvement
soit passé de 1 h 15 à « 30 à 40 mi­
nutes par classe ». Parmi les élèves
qui réalisent le test, certains re­
noncent. Mais ils sont peu nom­
breux, rassure le responsable des
opérations d’Eurofins.
Il ajoute que, depuis le lance­
ment de la campagne sur le terri­
toire de Nouvelle­Aquitaine, jeudi
25 février, les demandes de l’édu­
cation nationale augmentent
considérablement. « Au début, on
testait une école par jour. A partir
du 15 mars, ce sera deux à trois par
jour », précise­t­il. Alors, pour
faire face à la demande, le labora­
toire doit recruter. Et pour venir
Première journée
de tests à l’école
André­Davesne,
à Périgueux,
le 1er mars.
CHRISTOPHE GOUSSARD/AGENCE
VU POUR « LE MONDE »
prélever dans les écoles, le mot
d’ordre est d’avoir un bon contact
avec les enfants.
Deux autres laboratoires, Synlab
et Novabio, seront prochaine­
ment mandatés par le gouverne­
ment pour participer à la campa­
gne de tests qui seront réalisés jus­
qu’au 11 mars dans les écoles de
Périgueux, précise Alain Griffoul,
adjoint à l’inspecteur de l’acadé­
mie et présent à l’école André­Da­
vesne. « Cela va nous permettre de
casser les chaînes de contamina­
tion et d’avoir une vision sur la cir­
culation du virus », argumente­t­il.
Deux cents tests ont été réalisés
depuis le 25 février (dont aucun
positif), près de 2 000 élèves de­
vraient être testés jusqu’au
18 mars dans le département.
Prévenu deux jours avant le dé­
but de la campagne, le laboratoire
Eurofins a dû s’organiser à la hâte,
rapporte Corentin Rochon, qui
précise que celle­ci demande un
« énorme travail administratif en
amont avec l’établissement sco­
laire pour récupérer les autorisa­
tions des parents, leurs coordon­
nées, les numéros de Sécurité so­
ciale, afin, ensuite, d’éditer les co­
des­barres des tubes puis assurer
la traçabilité ».
En Nouvelle­Aquitaine, les pré­
lèvements ont débuté dans les
grandes villes comme Bordeaux
ou Périgueux, en priorité « là où le
virus circule le plus » détaille Anne
Bisagni­Faure, rectrice de Bor­
deaux et de la région académique
Nouvelle­Aquitaine. « Nous avons
travaillé en étroite collaboration
avec l’agence régionale de santé
[ARS] pour identifier les zones ur­
baines proches des laboratoires et
nous allons désormais déployer
plus loin », ajoute­t­elle.
Benoît Elleboode, directeur de
l’ARS Nouvelle­Aquitaine, se féli­
cite du lancement de ces nou­
veaux tests sur son territoire.
D’une part parce que l’acceptabi­
lité sera plus importante que
pour les tests nasopharyngés,
plus douloureux – les tests sali­
vaires ayant été jugés suffisam­
ment efficaces pour être utilisés,
même si le test est moins sensi­
ble, la charge virale étant moins
gation des variants ». Pour l’heure,
« ON ESSAIE DE PENSER  la priorité a été donnée aux écoles
primaires − regroupant mater­
À PLEIN DE CHOSES QUI  nelle et élémentaire −, où le prélè­
FONT SALIVER, COMME  vement nasopharyngé est plus
difficile à réaliser.
DES BONBONS OU  Les départements de la Dordo­
gne, de la Creuse et de la Charente
DU CITRON. ET QUAND IL  ont par ailleurs été choisis pour
Y A ASSEZ DE SALIVE,  participer à une opération pilote
auprès des élèves de tous les ly­
ON VOUS DIT “STOP,  cées généraux, professionnels et
agricoles à partir du 2 mars. « Des
C’EST BON !” » tests antigéniques vont être réali­
DES ÉCOLIERS TESTÉS sés dans les lycées et, quinze jours
après, on reviendra dans les mê­
mes établissements pour proposer
élevée dans la salive. De surcroît, des tests salivaires », explique Pa­
« en cas de positivité, on peut tout trick Dehail, conseiller médical
de suite faire un criblage pour voir du directeur général de l’ARS.
s’il y a des variants sans refaire de L’objectif de ce dispositif est
prélèvements », souligne­t­il. d’« analyser la circulation du virus
Selon lui, il s’agit également dans ces lycées et de proposer un
d’un moyen de relancer l’intérêt dépistage itératif au même en­
pour les tests « et de sensibiliser à droit, pour être capable de suivre
nouveau la population à se faire l’évolution et sortir progressive­
tester dès qu’on a des symptômes, ment les lycéens qui seraient posi­
dès qu’on a été dans des situations tifs dans la période où cette action
propices à attraper le Covid­19, sera menée ». 
pour vite s’isoler et éviter la propa­ claire mayer

Tests salivaires dans les écoles : une ambition… et des questions

Quelque 1 700 médiateurs doivent être recrutés d’ici à juin pour aider le personnel à atteindre l’objectif de 300 000 tests par semaine

L es tests salivaires proposés

aux élèves et aux ensei­
gnants volontaires permet­
tront­ils de garder les écoles
ouvertes ? C’est leur « objectif fon­
damental », a défendu le ministre
de l’éducation, Jean­Michel Blan­
quer, lundi 1er mars, lors d’un dé­
placement à Lavoncourt (Haute­
Saône), dans une école où plus de
90 % des familles ont accepté que
leur enfant soit testé en ce jour de
rentrée pour la zone C.
C’est lors de la rentrée des élèves
de la zone A, le 22 février, que ces
tests de dépistage du Covid­19,
présentés comme moins contrai­
gnants pour les enfants, ont com­
mencé à être déployés : 50 000
d’entre eux ont été mis à disposi­
tion des écoles. Une jauge portée à
80 000 ce lundi, avec l’objectif
d’atteindre « vers la mi­mars »
quelque 300 000 tests chaque se­
maine, chiffre­t­on Rue de Gre­
nelle. Soit au moins 1 million de
tests salivaires par mois – autant
que les tests antigéniques propo­
sés dans les collèges et lycées. En­
tre­temps, la zone B aura à son
tour repris les cours, le 8 mars, por­
tant à plus de 6 millions les en­
fants scolarisés dans le premier
degré.
Quelque 300 000 tests, pour
gent les enseignants. « Selon quelle
démarche scientifique ? » « Avec
quels moyens ? » Et « quelles protec­
tions ? », questionnent les infir­
mières et infirmiers scolaires.
de ces tests, renchérit Guislaine
David, porte­parole des ensei­
gnants du SNUipp­FSU. Les profes­
seurs des écoles y sont favorables,
cela fait même six mois qu’ils les ré­
de dépistage » (cadrage « diffusé
sous peu », promet­on Rue de Gre­
nelle), ainsi que des précisions sur
le rôle et les gestes à assumer par
les enseignants. Des enseignants
sant que ces recrutements s’étale­
raient jusqu’à la fin juin. Les pro­
fesseurs seront bien mis à contri­
bution, ne serait­ce que pour
obtenir l’accord des parents et
vingt fois plus d’enfants : cela peut clament, rappelle la syndicaliste, inquiets : une « notice » diffusée pour accompagner leurs élèves.
sembler insuffisant pour « casser « Dans le flou » mais ils ne sont ni infirmiers ni per­ sur les réseaux sociaux, il y a quel­ Sur le lieu, le rythme des tests, on
la chaîne de transmission du vi­ « Nous sommes dans le flou, nous sonnels de laboratoire. » ques jours, laissait entendre qu’ils sait encore peu de chose, sinon
rus », selon la formule du gouver­ ne savons pas quelle mission sup­ Les enfants du primaire auraient à superviser les opéra­ qu’ils seront d’abord déployés
nement. C’est déjà beaucoup, plémentaire va peser sur nos épau­ n’étaient testés, jusqu’à présent, tions. « Dans au moins deux écoles dans les « zones à risques », dont la
souffle­t­on sur le terrain de les », s’alarme Saphia Guereschi, qu’en cas de cluster avéré – possi­ de la Loire et du Rhône, des collè­ vingtaine de départements en
l’école, où la liste des questions porte­parole des infirmières du blement à partir de trois cas posi­ gues ont eux­mêmes fait les prélè­ surveillance renforcée. Les labos
s’allonge : « Qui va effectuer ces SNICS­FSU. « Rien ne semble avoir tifs, ou lorsqu’un variant du virus vements », assure Guislaine David. chargés des prélèvements devront
tests ? » Et « comment ? », s’interro­ été anticipé pour la mise en œuvre était identifié. Dans les collèges et Lors de son déplacement en livrer les résultats sous 24 heures
les lycées, en revanche, des tests Haute­Saône, ce lundi, M. Blan­ aux représentants légaux des élè­
antigéniques sont proposés sur la quer s’est voulu rassurant : « Cha­ ves et aux médecins scolaires. Les
Vingt à trente écoles par semaine à Paris base du volontariat depuis no­ cun est dans son métier, a­t­il souli­ écoles, elles, ne se verront com­
vembre 2020, sans qu’on ne dis­ gné, évidemment [que] les tests muniquer que le nombre de cas
Les tests salivaires pour les petits Parisiens devraient commencer pose, à ce jour, d’aucun bilan per­ sont réalisés par des personnels de positifs et pas l’identité des en­
à être déployés dans deux écoles des 10e et 12e arrondissements mettant d’objectiver leur déploie­ santé. » Autrement dit, par des per­ fants. Aux familles de se manifes­
vendredi 5 mars, a-t-on appris à l’issue d’une réunion rassem- ment. Le ministère de l’éducation sonnels spécialisés des agences sa­ ter. Plusieurs campagnes de dépis­
blant, lundi soir, des représentants de la Ville, du rectorat et de a assuré aux syndicats qu’ils dis­ nitaires de santé, mais aussi par tage devraient être menées, à in­
l’agence régionale de santé. A compter du 8 mars, des tests seront poseraient bientôt d’un « point des personnels de santé de l’édu­ tervalles réguliers, dans des éta­
proposés dans vingt à trente écoles chaque semaine (six par jour, hebdomadaire » sur ces dépistages cation nationale et des laboratoi­ blissements sélectionnés pour
environ), l’objectif étant de revenir, tous les quinze jours, dans dix académie par académie. res privés. « A partir d’aujourd’hui, mesurer la progression de la con­
d’entre elles pour assurer un « suivi », explique Patrick Bloche, Dans un communiqué daté du nous allons recruter 1 700 média­ tagion, explique­t­on au cabinet
adjoint chargé de l’éducation à la Mairie. Les tests seront pris en 28 février, le syndicat SNUipp­FSU, teurs, des étudiants en médecine, Blanquer où l’on tient toujours à
charge par des infirmiers et médecins scolaires. Les directeurs majoritaire au primaire, a de­ en pharmacie, de façon à appuyer distance, à ce stade, l’hypothèse
seront mobilisés, avec les inspecteurs, pour faire le lien avec les mandé au ministre un « cadrage ces personnels, a déclaré le minis­ d’un reconfinement scolaire. 
labos. Une quarantaine de médiateurs devraient être recrutés. clair sur le déroulé de la campagne tre sur France Inter, mardi, préci­ mattea battaglia
 FRANCE
0123
MERCREDI 3 MARS 2021 |9

Macron face au « sacrifice » de la jeunesse
Lundi, en déplacement en Seine­Saint­Denis, le chef de l’Etat a annoncé sa volonté de développer le mentorat

C’
est dur d’avoir 20 ans
en 2020. » Cinq mois
après avoir dressé le
constat d’une jeu­
nesse vivant « un sacrifice terri­
ble » avec la crise du Covid­19, Em­
manuel Macron renforce les dis­
positifs de soutien en faveur de
cette catégorie de la population.
Lundi 1er mars, lors d’un déplace­
ment en Seine­Saint­Denis, le
chef de l’Etat a annoncé sa vo­
lonté de développer le mentorat.
Un dispositif d’insertion profes­
sionnel, qui permet à un jeune de
bénéficier de l’accompagnement
d’un actif ou d’un retraité, pour
l’aider dans sa formation ou sa re­
cherche d’emploi.
« Ce que je veux, c’est que chaque
jeune qui en a besoin puisse avoir
un mentor. Et aussi qu’on offre la
possibilité à des cadres en entre­
prise, à des jeunes qui ont déjà une
expérience, d’aider d’autres jeunes,
de leur faire confiance, de les ac­
compagner, de leur apporter leur
propre exemple de vie », a déclaré
M. Macron, lors d’une visite dans
un centre de formation aux mé­
tiers industriels.
Lancée en 2018, cette mesure
peine à trouver son public. Alors
que seuls quelque 25 000 « men­
tors » existent pour l’heure, le lo­
cataire de l’Elysée veut multiplier
leur nombre par quatre, en pas­
sant à 100 000 cette année, puis
200 000 en 2022. « J’espère même
qu’on pourra aller plus loin, plus
vite et plus fort », a­t­il lancé, lundi.
L’Etat va engager 30 millions d’eu­
ros cette année pour soutenir les M. Macron, la secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse, Mme El Haïry, et la ministre du travail, Mme Borne, à Stains (Seine­Saint­Denis), le 1er mars. POOL/REUTERS
associations et les entreprises.

Enrichir le bilan social
Ce dispositif « 1 jeune, 1 mentor »
vient compléter le plan plus glo­
bal « 1 jeune, 1 solution », lancé en
juillet, qui combine des primes à
l’embauche et à la formation,
ainsi que des aides financières
aux plus précaires. Accusé par
l’opposition de ne pas en faire as­
sez pour une jeunesse fortement
touchée par la crise, Emmanuel
Macron oppose les résultats de ce
plan jeunes, doté de plus de 7 mil­
liards d’euros, qui « porte ses
fruits », selon lui. « Malgré la crise,
le niveau d’apprentissage est histo­
rique : 500 000 contrats signés
en 2020 ! », s’est­il réjoui lundi, en
soulignant que « les embauches se
sont maintenues entre août et dé­
cembre », avec 1,2 million de jeu­
nes de moins de 26 ans ayant
trouvé un emploi (CDD de plus de
trois mois ou CDI).
A travers le mentorat, M. Ma­
cron voit « vraiment un levier pour
lutter contre les inégalités, pour
lutter contre l’assignation à rési­
dence », explique un conseiller de
l’Elysée, en soulignant que la me­
sure s’adresse « en priorité » aux
jeunes issus de quartiers défavori­
sés ou de zones rurales reculées.
En faisant sa promotion, le chef
de l’Etat décline une nouvelle me­
sure de son « agenda égalité des
chances ». Une série de disposi­
tions concrètes devant incarner la
« jambe gauche » de son quin­
quennat, censée contrebalancer
sa fermeté sur le plan régalien et
son libéralisme économique. Ce
déplacement est d’ailleurs le troi­
sième consacré à l’égalité des
chances depuis le début de l’an­
née après celui à Nantes, pour pro­
mouvoir la diversité des recrute­
ments dans la fonction publique,
et un autre au siège de la Ligue in­
ternationale contre le racisme et
l’antisémitisme, à Paris, pour lan­
cer une plate­forme nationale de
lutte contre les discriminations.
En insistant sur ces sujets,
M. Macron entend enrichir le bi­
lan social de son quinquennat,
« Je le dis
aux électeurs
de gauche :
regardez ce que
nous faisons »
ÉLISABETH BORNE
ministre du travail
tout en envoyant des clins d’œil
aux électeurs de gauche, à l’ap­
proche de la présidentielle. Un
souci devenu un besoin de plus
en plus pressant, tant un chiffre
inquiète au sommet de l’Etat : se­
lon plusieurs sondages, près d’un
électeur de gauche sur deux se dit
prêt à s’abstenir en cas de duel en­
tre Emmanuel Macron et Marine
Le Pen au second tour de la prési­
dentielle. Le simple fait que Libé­
ration donne la parole à ces élec­
teurs, dans son édition de samedi,
a hérissé une partie des responsa­
bles macronistes.
Pour se prémunir de ce danger,
certains membres du gouverne­
ment issus du Parti socialiste ap­
pellent depuis plusieurs semaines
à un rééquilibrage de la ligne. C’est
notamment le cas du secrétaire
d’Etat aux affaires européennes,
Clément Beaune, convaincu que le
chef de l’Etat doit « montrer » qu’il
n’a « pas perdu » son « deuxième
flotteur ». Pas question que M. Ma­
cron apparaisse comme un candi­
dat de droite en 2022.
Contexte sécuritaire tendu
D’autres lancent dès à présent des
appels en direction de l’électorat
social­démocrate, en vantant la
somme des mesures sociales pri­
ses depuis 2017. « Je le dis aux élec­
teurs de gauche : regardez ce que
nous faisons, ne baissez pas les
bras face au FN », a exhorté la mi­
nistre du travail, Elisabeth Borne,
dimanche sur BFM­TV. « Les élec­
teurs de gauche ont encore plus de
raisons de se retrouver aujour­
d’hui dans l’action d’Emmanuel
Macron qu’en 2017 », martelait
déjà le porte­parole du gouverne­
ment, Gabriel Attal, le 8 février,
dans Le Monde.
Mais signe que le « en même
temps » reste en vigueur, s’il reste
déterminé à « réduire les inégalités
à la racine » en favorisant l’inser­
tion professionnelle, le chef de
l’Etat n’entend pas pour autant al­
ler jusqu’à élargir le bénéfice du
revenu de solidarité active (RSA)
aux moins de 25 ans. Au grand
dam de la gauche, des associations
caritatives et d’une partie de la
majorité. « Dans notre société, le
défi c’est un rapport au travail »,
avait déclaré M. Macron en dé­
cembre, au média en ligne Brut, di­
sant redouter un « système de dé­
sincitation au retour à l’emploi ».
Sa visite en Seine­Saint­Denis
intervient en tout cas dans un
contexte tendu, après la mort ré­
cente de trois adolescents dans
des violences en banlieue pari­
sienne. De quoi remettre la ques­
tion des « bandes » et les thémati­
ques régaliennes au cœur du dé­
bat public. Pour montrer qu’il
prend le sujet au sérieux, le gou­
vernement a tenu une réunion au
sommet lundi midi, en présence
des ministres de l’intérieur, Gé­
rald Darmanin, de l’éducation,
Jean­Michel Blanquer, et de la jus­
tice, Eric Dupond­Moretti. Un
nouveau plan de lutte contre les
bandes doit être adopté d’ici le
1er mai, ont­ils annoncé, à l’issue
de ce rendez­vous.
M. Dupond­Moretti, pour sa
part, a évoqué la nécessité d’une
« meilleure collaboration entre les
différents parquets généraux » et
un recours décuplé aux « interdic­
tions de paraître », afin « d’ex­
traire » des jeunes « de la bande ».
En amont de la réunion, Beauvau
a écrit jeudi à tous les préfets pour
leur demander la « réactivation du
plan de lutte contre les bandes ». De
l’insertion à la répression, Emma­
nuel Macron cherche la bonne ré­
ponse à apporter à la jeunesse. 
alexandre lemarié

Une enveloppe de 30 millions d’euros pour soutenir le mentorat

L’objectif affiché par le gouvernement est d’atteindre le nombre de 200 000 jeunes parrainés en 2022, contre 25 000 aujourd’hui

L’ Elysée ne cesse de le mar­

teler : l’égalité des chances
est « une priorité » du quin­
quennat d’Emmanuel Macron. Le
message a du mal à se faire un
chemin, mais il a encore une fois
été répété à l’occasion du déplace­
ment du chef de l’Etat à Stains, en
Seine­Saint­Denis, lundi 1er mars,
sur le thème du mentorat dans le
cadre du plan « 1 jeune, 1 solu­
tion », qui avait été lancé en
juillet 2020.
Le président de la République,
entouré d’Elisabeth Borne, la mi­
nistre du travail, et de Sarah El
Haïry, la secrétaire d’Etat à la jeu­
nesse, a annoncé une nouvelle
déclinaison de cette politique,
baptisée « 1 jeune, 1 mentor ».
L’objectif ? Atteindre le nombre de
100 000 jeunes mentorés en 2021,
puis 200 000 en 2022, contre
25 000 aujourd’hui.
Pour accompagner ce change­
ment d’échelle, l’exécutif s’engage
à soutenir à hauteur de 30 millions
d’euros cette année (qui s’ajoutent
aux 10 millions d’euros par an) les
associations spécialisées. Parmi
lesquelles l’Association de la fon­
dation étudiante pour la ville
(AFEV), Article 1, Nos quartiers ont
du talent, Télémaque, Chemins
d’avenir, Entraide scolaire amicale,
Proxité ou encore Socrate. Toutes
font partie depuis 2019 du Collec­
tif Mentorat, qui soutient 30 000
jeunes en moyenne par an et se fé­
licite de ce nouveau « plan ».
« Nous sommes très satisfaits, dé­
clare Christophe Paris, le président
du collectif et directeur général de
l’AFEV. C’est l’aboutissement d’une
démarche initiée il y a plus d’un an
et demi qui va nous permettre pour
la première fois de faire véritable­
ment levier et multiplier nos ac­
tions. » L’AFEV espère ainsi passer
de 18 000 à 40 000 mentors et
mentorés d’ici à un an.
Trois ans d’attente
Que l’on soit salarié, cadre, patron,
retraité ou inactif, chacun peut de­
venir mentor, parrain ou mar­
raine et partager bénévolement
son temps, son expérience, son sa­
voir­faire et son carnet d’adresses
au profit d’un jeune issu d’un mi­
lieu modeste – urbain ou rural, col­
légien ou à la recherche d’un em­
ploi – pendant une période
d’au moins six mois. Le coût os­
cille entre 500 euros et 1 200 euros
par mentoré (identifier les jeunes,
les recruter, former les mentors,
les mettre en relation…).
Cette annonce est la troisième
« brique » de « l’agenda égalité des
chances » du chef de l’Etat, après
une première série de mesures
consacrées à la politique de la ville
le 29 janvier, puis la promotion de
la diversité dans la haute fonction
publique et la lutte contre les dis­
criminations, le 12 février.
Cela faisait plus de trois ans que
les associations attendaient un
geste du président, qui avait pro­
mis de miser sur le mentorat et le
parrainage dès le mois de novem­
bre 2017, lors de son discours de
Tourcoing (Nord) sur la politique
de la ville. Il avait alors annoncé un
objectif de 100 000 jeunes parrai­
nés sur le quinquennat. Il avait re­
nouvelé ses intentions en
juillet 2018 lors d’une séquence ap­
pelée « La France, une chance ».
« Cette annonce a certes un peu
tardé, la crise sanitaire et ses consé­
quences sociales ont, à l’évidence,
accéléré les choses, commente
Benjamin Blavier, coprésident
d’Article 1, qui compte 2 300 binô­
mes (mentor­mentoré) par an et
souhaiterait passer à 10 000. Nous
sommes très contents de ces mesu­
res, qui font du mentorat une véri­
table politique publique de lutte
contre l’inégalité des chances. »
Le programme « 1 jeune, 1 solu­
tion » dispose d’un numéro
d’écoute pour les 16­18 ans et
d’une plate­forme. Renforcée de­
puis janvier pour répondre à la
demande des jeunes particulière­
ment touchés par les conséquen­
ces économiques de l’épidémie
de Covid­19, elle compte désor­
mais plus de 100 000 offres d’em­
ploi, 12 000 offres de stages et pro­
posera, à partir du mois d’avril,
un simulateur d’aides leur per­
mettant de calculer ce à quoi ils
ont droit ainsi qu’une rubrique
consacrée au mentorat.
Aujourd’hui, affirme l’Elysée,
7 000 entreprises – PME, ETI,
grandes entreprises (parmi les­
quelles AXA, Accenture, BNP Pari­
bas, Total…), artisans… – se sont
mobilisées autour du pro­
gramme « Les entreprises s’enga­
gent », dont 2 000 sur le dispositif
« 1 jeune, 1 solution » (elles étaient
100 en 2018). Emmanuel Macron
s’est fixé un objectif ambitieux :
l’engagement de 30 000 entrepri­
ses d’ici à l’été 2021. 
louise couvelaire
 0123
10 | france MERCREDI 3 MARS 2021

A F FA I R E   D E S   É C O U T E S

Nicolas Sarkozy
condamné à un
an ferme pour
corruption
L’ancien président de la République
a été condamné à trois ans de
prison, dont un an ferme, pour
avoir tenté d’influer en 2014 sur une
décision de la Cour de cassation

G
rave », « gravement », atteinte à la confiance publique » ; « un
« particulière gravité ». tel comportement ne peut que nuire gra­
Ces mots sont répétés vement à la légitime confiance que cha­
une dizaine de fois dans que citoyen est en droit d’accorder à la
le jugement du tribunal justice » ; « ce dévoiement portant lour­
correctionnel qui a dement atteinte à l’Etat de droit et à la
condamné, lundi 1er mars, l’ancien prési­ sécurité juridique exige une réponse pé­
dent de la République Nicolas Sarkozy, nale ferme sanctionnant de manière
son avocat Thierry Herzog et l’ex­magis­ adaptée cette atteinte à la confiance
trat Gilbert Azibert, à trois ans d’empri­ publique » : le jugement rendu lundi
sonnement dont deux avec sursis, dans 1er mars reprend, presque aux mots près,
l’affaire dite « des écoutes ». ceux de l’accusation.
Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog sont Pour le Parquet national financier
déclarés coupables des délits de « cor­ (PNF), qui jouait une large part de sa cré­
ruption active » et de « trafic d’in­ dibilité et de sa survie dans ce dossier, la
fluence », auxquels s’ajoute, pour l’avo­ décision est un soulagement. Le tribunal
cat, celui de « violation du secret profes­ écarte en effet un à un les arguments de
sionnel », assorti de la peine complé­ la défense, qui dénonçait un dossier vide
mentaire d’interdiction d’exercer son de preuves, en dépit des moyens consi­
métier pendant cinq ans. L’ancien con­ dérables déployés par l’accusation.
seiller à la Cour de cassation est pour sa Les juges considèrent que le « pacte de
part jugé coupable de « corruption pas­ corruption » ressort de la transcription
sive » et de « recel de violation du secret de dix­sept conversations téléphoniques
professionnel ». Le tribunal a précisé que interceptées de janvier à février 2014 en­
la partie d’emprisonnement ferme – un tre l’ancien président de la République et
an – serait aménagée sous le régime du son avocat sur leur ligne occulte « Bis­
bracelet électronique. muth ». Les propos interceptés suffisent
Entre les deux versions radicale­ à constituer, selon eux, « un faisceau d’in­
ment opposées de cette affaire – celle de dices graves et concordants résultant des
l’accusation y voyant le « haut spectre de liens très étroits d’amitié noués entre les
la corruption » et celle de la défense, se­ protagonistes, des relations d’affaires BENJAMIN FLAO POUR « LE MONDE »
lon laquelle il s’agit d’une « histoire renforçant ces liens, des intérêts com­
d’amitié » sans importance montée en muns tendant vers le même but, celui
dossier pénal par la « rancœur » et d’obtenir une décision favorable aux inté­
« l’acharnement » de l’institution judi­ rêts de Nicolas Sarkozy ».
ciaire à l’égard de Nicolas Sarkozy, le tri­
bunal n’a pas hésité. L’INTENTION DU DÉLIT SUFFISANTE nullement de l’élaboration d’une stra­ « lien personnel, fraternel » noué par
Il considère que Nicolas Sarkozy et Les délits de « corruption active » et de LES AUTRES AFFAIRES tégie de défense ou d’une consultation l’avocat avec Nicolas Sarkozy, les juges
Thierry Herzog ont bien tenté d’influer, « trafic d’influence » sont donc établis, juridique » mais qu’ils « révèlent des considèrent que celui­ci « a obscurci, par
en 2014, sur une décision à venir de la estime le tribunal, quand bien même la indices de nature à faire présumer la manque de distance, son discernement
Cour de cassation concernant la saisie décision de la Cour de cassation a été dé­ Bygmalion participation de Thierry Herzog à des professionnel. Ce faisant, Thierry Herzog
des agendas présidentiels dans le cadre favorable à Nicolas Sarkozy – elle a va­ Nicolas Sarkozy doit comparaî- infractions pénales ». En cela, poursui­ a dressé un pont entre deux amitiés dans
de l’affaire Bettencourt, grâce à l’entre­ lidé la légalité de la saisie de ses agen­ tre du 17 mars au 15 avril devant vent les juges, « Thierry Herzog s’est son intérêt et celui de son client en s’af­
gent prêté au magistrat Gilbert Azibert das – et le poste de Monaco, rémunéré le tribunal correctionnel pour placé hors du champ de la défense, et franchissant de ses obligations déontolo­
auprès de ses pairs, en échange de la 5 000 euros l’an, n’a pas été attribué à des soupçons de financement même du conseil ». giques et au mépris de la justice ».
promesse de lui obtenir un poste honori­ Gilbert Azibert. illégal de sa campagne en 2012. Les juges réservent les formules les
fique à Monaco. L’intention de commettre le délit suffit La justice suspecte l’UMP et SÉVÉRITÉ CONTRE THIERRY HERZOG plus cinglantes à leur ancien collègue.
« Les délits dont les prévenus ont été dé­ à le caractériser : « Ni la loi, ni la jurispru­ l’agence de communication Byg- « L’affaire Bismuth, c’est ça : un justiciable « Les faits dont s’est rendu coupable
clarés coupables ont porté gravement dence n’imposent que les informations malion d’avoir établi de fausses inquiet et un avocat affectueux », avait Gilbert Azibert sont d’une particulière
ainsi obtenues dans le cadre d’un pacte de factures au cours de la campa- affirmé l’ancien président de la Républi­ gravité, ayant été commis par un magis­
corruption soient de nature à influer sur le gne présidentielle de 2012, pour que lors de son interrogatoire le 7 dé­ trat, dont la mission était de servir avec
sort de la décision. Mais il est évident masquer un dépassement mas- cembre 2020. L’interprétation qu’en font honnêteté, loyauté, dignité et impartialité
« LES FAITS DONT qu’obtenir des informations privilégiées sif par le candidat du plafond les juges est tout autre. « Les faits dont l’institution judiciaire et non pas de se
S’EST RENDU COUPABLE  (…) permet à une stratégie d’influence de légal des dépenses électorales s’est rendu coupable Nicolas Sarkozy sont mettre au service d’intérêts privés. Les dé­
se mettre en place », indiquent­ils. autorisées pour la campagne. d’une particulière gravité, ayant été com­ lits de corruption et de trafic d’influence
NICOLAS SARKOZY SONT  Le même raisonnement vaut pour la mis par un ancien président de la Républi­ commis par un magistrat dans l’exercice
« corruption passive » et le « trafic d’in­ Financement libyen que qui a été le garant de l’indépendance de ses fonctions sont de nature à jeter le
D’UNE PARTICULIÈRE  fluence » reprochés à Gilbert Azibert, qui Nicolas Sarkozy est soupçonné de la justice. Il s’est servi de son statut et discrédit sur une profession dont la mis­
« s’est placé en dehors de ses fonctions, en d’avoir financé une partie des relations politiques et diplomatiques sion est essentielle au bon fonctionne­
GRAVITÉ, AYANT  abusant du crédit qu’il possédait, ou qu’il de sa campagne présidentielle qu’il a tissées lorsqu’il était en exercice ment de la démocratie et dont la légiti­
ÉTÉ COMMIS PAR  disait posséder, ou que l’on croyait qu’il de 2007 grâce à des fonds venus pour gratifier un magistrat ayant servi mité repose sur la parfaite intégrité de
possédait, du fait de sa position au sein de du régime de l’ancien dictateur son intérêt personnel. » Au surplus, chacun de ses membres. »
UN ANCIEN PRÉSIDENT  la Cour de cassation ». libyen, Mouammar Kadhafi. relèvent les juges, Nicolas Sarkozy ayant Les trois condamnés ayant aussitôt
Les juges ne retiennent pas davantage Dans ce dossier, l’ex-président la qualité d’avocat, « était parfaitement fait appel de ce jugement, les peines
DE LA RÉPUBLIQUE  la thèse de la défense selon laquelle ce a été mis en examen pour « cor- informé des obligations déontologiques prononcées sont suspendues. L’avocat
QUI A ÉTÉ LE GARANT  dossier serait vicié dès son origine par ruption passive », « financement de cette profession ». Thierry Herzog pourra donc défendre, à
l’atteinte portée au principe du secret illégal de campagne électorale », Concernant Thierry Herzog, ils font compter du 17 mars, le prévenu Nicolas
DE L’INDÉPENDANCE  professionnel de l’avocat. Alors que le « recel de fonds publics libyens » preuve de la même sévérité : « Les faits Sarkozy poursuivi pour dépassement
barreau de Paris s’était mobilisé pour en 2018, et « association de mal- dont s’est rendu coupable Thierry Herzog du plafond légal des dépenses lors de sa
DE LA JUSTICE » soutenir leur confrère Thierry Herzog, faiteurs » en 2020. Il est encore sont d’une particulière gravité s’agissant campagne présidentielle de 2012, dans
LES JUGES DU TRIBUNAL les juges estiment que le contenu des trop tôt pour savoir si cette d’actes délictueux commis par un avocat, l’affaire dite « Bygmalion ». 
CORRECTIONNEL DE PARIS conversations interceptées « ne procède affaire donnera lieu à un procès. auxiliaire de justice. » S’ils retiennent le pascale robert­diard
0123
MERCREDI 3 MARS 2021 france | 11

Stupéfaite, la droite soutient l’ancien président

La condamnation de Nicolas Sarkozy a surpris ses proches et complique la perspective d’un retour en politique

L e coup de tonnerre a surpris

toute la droite. Le ciel était
pourtant dégagé en ce lundi
1er mars et beaucoup, chez Les Ré­
publicains (LR), imaginaient un
avenir judiciaire tout aussi clair
pour Nicolas Sarkozy. Notamment
dans le procès dit des « écoutes »,
où l’ancien président de la Répu­
blique était jugé pour « corrup­
tion » et « trafic d’influence ».
Nombreux sont ceux qui
n’avaient de cesse de répéter, ces
dernières semaines, que « l’affaire
ne reposait sur rien ». N’hésitant
pas, pour les plus proches, à rêver
d’un nouveau destin présidentiel
pour l’ancien locataire de l’Elysée.
Le jugement prononcé lundi a
donc cueilli ceux­là à froid. Nico­
las Sarkozy a été condamné par
les juges à une peine de trois ans
de détention dont un an ferme,
laissant un parti en proie à la
« stupeur » et à la « sidération ».
Les réactions ont afflué de tou­
tes parts, peu après le déjeuner,
quand la nouvelle s’est répandue.
Du premier cercle bien sûr, mais
aussi d’une grande partie du
monde politique français, obligée
de se positionner face à ce fait iné­
dit dans la Ve République : la con­
damnation d’un ancien chef de
l’Etat à de la prison ferme.
Interrogé en marge d’un dépla­
cement dans le Gard, Gérald Dar­
manin, ministre de l’intérieur,
ancien directeur de campagne
– et toujours proche – de Nicolas
Sarkozy pour la primaire de la
droite et du centre de 2016, n’a
pas hésité à lui témoigner son
« soutien amical » : « Chacun sait
l’affection et le respect que j’ai
pour Nicolas Sarkozy, qui a été
« NICOLAS SARKOZY 
A LE DROIT À 
LA PRÉSOMPTION 
D’INNOCENCE, COMME  colas Sarkozy. Soutien indéfectible
TOUS LES CITOYENS »
FRANCK LOUVRIER
maire (LR) de La Baule-
Escoublac (Loire-Atlantique)
un grand président de la Républi­
que et qui, en ces moments diffici­
les, a mon soutien amical. Je
n’oublie pas tout ce qu’il a apporté
à notre pays. »
Un discours qui a suscité l’in­
compréhension d’Olivier Faure,
premier secrétaire du Parti socia­
liste (PS), pourtant resté discret
sur le jugement jusque­là. « Sans
commentaires », a­t­il ainsi écrit
en postant la vidéo de M. Darma­
nin sur le réseau social Twitter.
Réactions plus ou moins sobres
Eric Piolle, le maire Europe Ecolo­
gie­Les Verts (EELV) de Grenoble,
n’a pas manqué l’occasion de ti­
tiller la droite en citant Nicolas
Sarkozy lui­même : « Il faut que les
peines soient exécutées. La non­
exécution des peines, c’est l’impu­
nité. » Le patron du parti, Julien
Bayou, s’est d’ailleurs félicité sur
BFM­TV que « la justice passe éga­
lement par la délinquance en col
blanc ». Sur Twitter, il a prévenu la
droite : « On ne peut mettre en
cause la justice au seul motif que
son jugement vous déplaît. »
C’est peut­être justement pour
éviter ce genre de critiques qu’un
certain nombre de cadres de LR a
choisi d’exprimer des réactions
de soutien sobres, en évitant le
cortège habituel d’invectives
contre la justice. « Plus que jamais,
amitié et fidélité au président Ni­
dans cette épreuve qui ne consti­
tue qu’une étape dans un parcours
judiciaire qui est loin d’être ter­
miné », a ainsi très vite réagi Eric
Ciotti, député des Alpes­Mariti­
mes sur Twitter.
Franck Louvrier, maire (LR) de
La Baule­Escoublac (Loire­Atlanti­
que) et ex­conseiller en commu­
nication de l’ancien président, a
tenu, lui, à rappeler sur la même
plate­forme lundi, qu’une déci­
sion de justice n’était pas « défini­
tive tant que les recours » n’étaient
pas « épuisés ». « Nicolas Sarkozy
n’est ni au­dessus ni en dessous des
lois : il a le droit à la présomption
d’innocence comme tous les ci­
toyens », a­t­il poursuivi.
« Stupéfaite », la vice­présidente
(LR) de l’Assemblée nationale et
députée du Doubs, Annie Gene­
vard, a souhaité, elle, « témoi­
gner » de son « soutien » et de son
« amitié dans cette épreuve » à Ni­
colas Sarkozy.
S’il ne dit rien sur la justice,
avec laquelle François Fillon, son
candidat de choix en 2017, a eu
maille à partir, Bruno Retailleau
a tout de même regretté « une
condamnation extrêmement
dure ». Le sénateur (LR) de Ven­
dée, candidat potentiel à la prési­
dentielle de 2022, a joué la « res­
ponsabilité » en rappelant le
« droit à la présomption d’inno­
cence tant que les voies de recours
n’ont pas été purgées ».
D’autres n’ont pas eu ces précau­
tions : Christian Jacob, le patron du
parti, n’a pas hésité à fustiger le
Parquet national financier (PNF),
déjà souvent au cœur des critiques
de la droite par le passé : « La sévé­
rité de la peine retenue est absolu­
ment disproportionnée et révéla­
trice de l’acharnement judiciaire
d’une institution déjà très contes­
tée. Toute la lumière devra être faite
sur les méthodes et l’indépendance
du PNF », a­t­il déclaré sur Twitter.
Le maire (LR) de Nice, Christian Es­
trosi, a, lui aussi, regretté une déci­
sion qu’il juge « extravagante » : « Il
n’est jamais bon que les politiques
se mêlent de justice, ni que les ma­
gistrats fassent de la politique. »
Un agenda judiciaire chargé
Des déclarations que certains, en
interne, n’apprécient pas forcé­
ment. « Il faut se méfier des réac­
tions à l’emporte­pièce. Je ne suis
pas très favorable aux attaques
contre la justice. Ce n’est pas bon,
car de toute façon Sarkozy lui­
même ne souhaite sûrement pas
ça », confie ainsi un député en
privé. Pour lui comme pour
d’autres, c’est l’image du parti qui
a le plus à perdre dans ce genre de
moments. A l’heure où la droite
joue l’opposition responsable, ré­
fléchie, et où elle se cherche une
place pour exister entre Emma­
nuel Macron et Marine Le Pen
en 2022, il est à craindre qu’un re­
tour de la justice dans ses affaires
ne parasite le message. Les jeunes
leur a offert leur dernière victoire
présidentielle, en 2007.
L’agenda judiciaire pourrait
pourtant s’en charger pour eux.
Certes, Nicolas Sarkozy va faire
députés n’ont­ils pas arraché leur appel, et n’a jamais dit qu’il sou­
circonscription à la sueur de leur haitait revenir en politique. Mais
front dans un contexte de déroute si lui a le temps et se dit, d’après
judiciaire et politique de François son entourage, « déterminé à faire
Fillon en 2017 ? éclater la vérité », le parti est
« Nous sommes à un stade où les pressé. A un an de la présiden­
Français ne veulent pas qu’on re­ tielle, LR doit se trouver une in­
mette en cause la façon dont les carnation pour ses idées. Et un
élus sont traités », prévient juste­ candidat capable de lui faire pas­
ment un député. Il faut « tourner la ser la barre du premier tour, au
page Sarkozy » afin de ne pas être risque, dans le cas contraire, de
constamment associé à son calen­ tout simplement signer sa fin.
drier judiciaire, insiste un autre Certains continuent pourtant
élu. Tourner la page ? Compliqué d’y croire, persuadés que « la sanc­
pour un parti où beaucoup souhai­ tion excessive » pourrait au con­
tent encore mettre leur destin poli­ traire « remobiliser » autour de
tique entre les mains de celui qui l’ancien président. Le sénateur
(LR) de Paris Pierre Charon est de
ceux­là. « Je reçois des messages de
sympathie de tout le monde, tous
CERTAINS CONTINUENT  partis confondus », confie celui
qui considère toujours Nicolas
POURTANT D’Y CROIRE,  Sarkozy comme le seul recours
PERSUADÉS QUE « LA  viable pour « mener la droite à la
victoire ». Reste à savoir si la météo
SANCTION EXCESSIVE »  judiciaire a des chances de s’amé­
liorer alors que l’ancien président
POURRAIT AU CONTRAIRE  doit comparaître à partir du
« REMOBILISER » AUTOUR  17 mars dans un deuxième pro­
cès : celui de l’affaire Bygmalion. 
DE L’ANCIEN PRÉSIDENT sarah belouezzane
HORS -S É R I E

CHRONIQUE | p a r s o l e nn d e r o y e r
La revanche des « petits pois »
Trois ans d’emprisonnement,
dont un ferme, pour corruption
et trafic d’influence : sans précé­
dent, le jugement dans « l’affaire
des écoutes » a fait l’effet d’une
déflagration. Nicolas Sarkozy
– qui a fait appel – devient ainsi le
premier ex­président à se voir in­
fliger une peine de prison ferme.
Ces dernières années, les déci­
sions de justice – sévères – impli­
quant des responsables politiques
au plus haut niveau se sont
multipliées. En 2019, Jean­Luc Mé­
lenchon, qui s’était opposé à une
perquisition dans les locaux de
son mouvement, a été condamné
à trois mois de prison avec sursis.
En 2020, la condamnation à cinq
ans de prison, dont deux ferme,
de l’ex­premier ministre François
Fillon, dans l’affaire des emplois
fictifs de son épouse Penelope,
avait marqué les esprits.
A chaque fois, les responsables
mis en cause, dans des « affaires »
de nature très différente, ont
dénoncé une politisation de la
justice. Même rhétorique dans la
foulée du jugement impliquant
M. Sarkozy : le patron du parti Les
Républicains, Christian Jacob, a
aussitôt critiqué la « sévérité » de
la peine, jugée « disproportion­
née » et révélatrice de « l’acharne­
ment d’une institution déjà très
contestée ». Des critiques balayées
par l’Union syndicale des magis­
trats, qui répète que « la justice
passe pour tout un chacun ».
Un nouvel épisode de la guerre
des nerfs qui oppose, depuis tou­
jours, politiques et juges. La Ré­
volution française, qui a consa­
cré la défaite des Parlements de
l’Ancien Régime (qui rendaient la
justice au nom du roi), a scellé
celle des juges, mis sous tutelle
pendant deux siècles. Cette pé­
riode, dans une société qui se ju­
diciarise, est révolue. On assiste
même, relèvent constitutionna­
listes et historiens, à une inver­
sion du rapport de force entre les
deux pouvoirs. « Plus le pouvoir
politique et affaibli, plus celui des
juges se renforce », souligne le
professeur de droit Bertrand Ma­
thieu, auteur de Justice et politi­
que : la déchirure ? (LGDJ, 2015),
selon lequel « les juges ont incon­
testablement plus de pouvoirs
aujourd’hui que par le passé ».
« Cercle vicieux »
En 1991, le juge Thierry Jean­
Pierre avait été dessaisi par le
parquet de l’affaire Urba au len­
demain d’une perquisition au
siège de ce bureau d’études soup­
çonné d’alimenter les caisses
socialistes. Une « équipée sau­
vage », avait dénoncé le garde des
sceaux, Henri Nallet. Vingt­cinq
ans plus tard, le 21 juin 2017,
François Bayrou se voit contraint
de quitter la chancellerie après
l’ouverture d’une enquête préli­
minaire visant son parti.
Une consolidation du pouvoir
des juges corrélative à la multipli­
cation de mesures visant à ren­
forcer la moralisation de la vie
publique depuis l’affaire Cahuzac,
sur fond de demande accrue
d’éthique de la part de l’opinion.
Parmi elles, la création, en 2013,
de l’Office central de lutte contre
la corruption et les infractions fi­
nancières et fiscales et du Parquet
national financier – qui a instruit
les affaires Fillon et Sarkozy – ou
le vote de la loi « Sapin 2 », 6000 ANS 200
en 2016, relative à la transparence D’HISTOIRE CARTES
et la lutte contre la corruption.
Bertrand Mathieu y voit un « cer­
cle vicieux » : « Le système de sur­
veillance s’étant renforcé, on relève
de plus en plus d’affaires, ce qui
donne l’impression qu’elles sont
plus nombreuses. » Par ailleurs,
celles­ci sont dans l’ensemble
Comment l’homme a dominé la nature
« bien moins graves que les scan­
dales ayant émaillé la IIIe Républi­
que ou les débuts de la Ve », pour­
suit le constitutionnaliste, selon
lequel, et c’est un paradoxe, plus
on assainit la vie politique, plus la
défiance à l’encontre des institu­
tions s’accroît.
Lundi, prenant connaissance
du jugement de M. Sarkozy, un
ministre d’Emmanuel Macron
disait en privé redouter que
« l’opinion commence à trouver
que la justice s’acharne », évo­ Un espoir face à l’urgence climatique
quant également les perquisi­
Dominer la nature... Telle est l’injonction que se sont lancée les hommes depuis
tions de l’automne 2020 au do­
micile du ministre de la santé, qu’ils sont sur Terre. Peuplement du monde, domestication des plantes et
Olivier Véran, dans le cadre d’in­ des animaux, exploitation des ressources, transformation des paysages,
vestigations liées à la gestion de industrialisation... Cet Atlas déroule la passionnante histoire du progrès et
la crise du coronavirus. de ses méfaits à l’origine de la prise de conscience écologique et de la crise
En 2017, Nicolas Sarkozy avait climatique actuelle. Une approche originale, en cartes et infographies, où
critiqué les magistrats, ironique­ les meilleurs spécialistes nous invitent à repenser la place de l’homme dans
ment qualifiés de « petits pois ».
un monde désormais compris comme un écosystème unique et précieux.
Son successeur, François Hol­
lande, avait, lui aussi, dénoncé
– dans « Un président ne devrait
pas dire ça… » (Stock, 2016) de Gé­ L’ATLAS DE LA TERRE
rard Davet et Fabrice Lhomme –
la « lâcheté » de l’institution judi­ Un hors-série
ciaire qui « n’aime pas le politi­ 188 pages - 14 €
que ». Rodomontade ou aveu Chez votre marchand de journaux
d’impuissance devant un rap­ et sur Lemonde.fr/boutique
port de force qui s’est inversé ? 
 0123
12 | france MERCREDI 3 MARS 2021

« Ces gamins qui meurent,

c’est l’échec des adultes »
Romain Colas, maire de Boussy­Saint­Antoine (Essonne),
revient sur les rixes qui ont fait deux morts fin février

ENTRETIEN « C’est notre Par ailleurs, les gens qui habitent

ces quartiers, les mamans notam­

E
n deux jours, lundi 22 et faillite collective. ment, sont celles dont on a loué
mardi 23 février, deux l’engagement et le fait qu’elles ne
adolescents de 14 ans
On a laissé restaient pas chez elles quand on
sont morts dans l’Es­ ce problème était tous confinés chez nous pour
sonne, poignardés dans deux protéger notre santé. C’est sou­
rixes qui ne sont pas liées sur le
se reproduire vent celles qui font le ménage
fond : Lilibelle, à Saint­Chéron, et de génération en dans les centres commerciaux et
Toumani, à Boussy­Saint­An­ les entreprises, celles qui pren­
toine. Romain Colas, maire socia­
génération dans nent le RER tôt le matin et rentrent
liste de Boussy­Saint­Antoine, re­ ces quartiers » tard le soir parce qu’elles ont des
vient sur ces affrontements entre temps partiels et sont obligées de
bandes d’adolescents dans sa cumuler. Je ne veux pas faire de
ville et son département. pes de leur âge du quartier d’en misérabilisme, mais c’est aussi ça,
face. Si on se limite à ce seul volet la réalité de ces territoires.
Une réunion s’est tenue sur policier et répressif, qui est néces­ Donc oui, il y a des parents dé­
la « lutte contre les bandes » saire, on fait preuve de fatalisme : missionnaires. Et il y en a surtout
autour des ministres de l’édu­ on acte le fait que des drames arri­ d’autres qui ne le sont pas mais
cation nationale, de l’intérieur veront à nouveau et que l’on pu­ n’ont pas les moyens matériels
et de la justice, lundi 1er mars. nira les auteurs quand ça arrivera. d’accompagner leurs enfants
Avez­vous l’impression que le Point. Moi, je ne m’y résous pas. autant qu’ils le voudraient. On
gouvernement prend en main Quand deux gamins meurent en soulève là la question du soutien à
le problème ? deux jours dans de telles condi­ la parentalité et du boulot qui de­
En tout cas, il y a une volonté af­ tions, à Saint­Chéron et à Boussy­ vrait être celui de nos institutions.
fichée, et je me réjouis que cela Saint­Antoine, c’est d’abord un Donc quand je parle d’échec des
aille plus loin que l’angle répres­ échec des adultes qui n’ont pas su adultes, je pense à nous, à nous
sif. Parce que depuis une se­ empêcher tout cela. tous. A notre faillite collective. On
maine, j’ai entendu un certain a laissé ce problème se reproduire
nombre de responsables natio­ Gérald Darmanin a notamment de génération en génération dans
naux qui avaient tendance à abor­ pointé du doigt le « manque ces quartiers.
der ce problème exclusivement d’autorité parentale »…
autour du prisme policier et pé­ Evidemment, ça peut exister. Sur quoi reposent les rivalités
nal. Il s’agit évidemment de vo­ Mais le dire ne suffit pas à régler entre les adolescents des deux
lets fondamentaux. Mais on a le problème. Et pointer comme quartiers – Le Vieillet à Quin­
tendance à se focaliser là­dessus facteur prépondérant la respon­ cy­sous­Sénart et Les Cinéastes
et à moins s’interroger sur les sabilité des parents, c’est faire fi à Epinay­sous­Sénart – qui
causes profondes. Ce qui est fina­ de la réalité. La mère de l’enfant se sont affrontés dans votre
lement un renoncement. décédé sur ma commune n’est commune ? A Boussy­Saint­Antoine (Essonne), le 1er mars. JULIEN DANIEL/MYOP POUR « LE MONDE »
absolument pas une mère démis­ Sur rien de rationnel, pas sur des
Un renoncement à quoi ? sionnaire. Par contre, c’est une conflits liés à du trafic de drogue
A comprendre les mécanismes mère qui élève seule ses cinq en­ ou à ce genre de choses en tout cas. blissements scolaires, les élus… Et donc, comment s’attaquer de Pâques, mais avec le Covid­19,
qui sont à l’œuvre dans ces affron­ fants, travaille pour les nourrir et Mais ces tensions sont loin d’être L’idée est de pouvoir échanger ra­ aux racines de ces violences ? on ne peut pas mélanger les en­
tements, et à essayer de les contra­ donc, fatalement, n’est pas là nouvelles. Je vis ici depuis qua­ pidement des informations sur Il faut casser la spirale de repro­ fants pour l’instant…
rier. Il faut faire les deux : du pré­ toute la journée. Mais elle avait le rante et un ans, et j’ai toujours des événements témoignant une duction de génération en généra­
ventif et du curatif. On ne va pas souci de l’avenir de son enfant : connu ça. Les rivalités sont aussi montée de tensions. Cela a montré tion. Regardez, à Boussy­Saint­An­ Pensez­vous pouvoir encore
arrêter des gamins de 9 ans parce un travail avait même commencé vieilles que les quartiers eux­mê­ un certain succès, on a pu casser toine la semaine dernière, ce sont corriger une situation si
qu’ils habitent un quartier et que, au collège de Boussy­Saint­An­ mes. Nos villes sont des champi­ pas mal de chaînes de violences. les plus grands – on parle de ga­ ancrée dans votre territoire ?
dans quelques années, ils vont po­ toine pour le réorienter, à la de­ gnons sortis de terre en dix ans, Mais cette fois, on n’a rien vu ve­ mins de 15 ou 16 ans – qui ont orga­ Nous en avons l’impérieuse obli­
tentiellement se battre avec les ty­ mande de la mère. dans les années 1960. Il fallait for­ nir. Notamment parce que cela nisé la bagarre des petits de gation. Je crois aujourd’hui que la
ger du commun dans des villes s’est passé pendant les vacances 13­14 ans. Ça raconte tellement de volonté est partagée par beau­
naissantes avec des gens qui ve­ scolaires et que la tension est choses… Il faut travailler avec les coup d’élus. La semaine dernière,
Bandes : le plan de lutte sera « rénové » naient de partout, alors le quartier
est devenu un ciment. A un mo­
montée sur les réseaux sociaux.
De toute façon, ce système ne rè­
tout petits : faire en sorte que les
enfants de 6, 7, 8 ans de ces quar­
je ressentais beaucoup de tristesse
et de colère. Là, j’ai surtout un sen­
Les ministres de l’intérieur, de la justice et de l’éducation natio- ment, cette identité s’est cons­ gle pas tout, il n’est que curatif. Il tiers passent du temps ensemble, timent de gâchis. Il nous faut tirer
nale se sont réunis lundi 1er mars pour évoquer le « phénomène truite dans la confrontation, on l’a faut s’attaquer aux racines du fraternisent. Ça peut paraître idiot, de ces drames l’énergie de contra­
des bandes », en présence des préfets, des recteurs, de la procu- laissée s’installer et mardi dernier, mal : comment des ados qui vi­ mais je pense que c’est comme ça rier ce qui nous a trop longtemps
reure générale et des procureurs d’Ile-de-France, « région la plus on a atteint une intensité inédite vent à quelques kilomètres les uns qu’on peut participer à traiter le paru être le cours fatal des choses.
touchée par ce phénomène ». Le plan de lutte contre les bandes avec la mort de ce gamin de 14 ans. des autres peuvent­ils en arriver problème de fond. Notre boulot, c’est de faire en
doit être « rénové » d’ici au 1er mai, ont annoncé les trois ministres là ? C’est dramatique, mais ces af­ Avec les maires d’Epinay­sous­ sorte qu’une partie de ceux qui
dans un communiqué. Ce plan prévoit de renforcer la sécurité Vous avez pourtant mis en frontements sont parfois devenus Sénart et de Quincy­sous­Sénart, sont dans nos écoles primaires
aux abords des établissements, le suivi de l’absentéisme, le sou- place un système d’alerte pour un processus de socialisation nous avons proposé de leur faire aujourd’hui ne deviennent pas,
tien à la parentalité ou encore la médiation de quartiers. Les mi- éviter ce type de drames… dans ces quartiers, une sorte de partager des vacances dans le dans quelques années, les tristes
nistres soulignent l’importance de développer les groupes locaux Depuis quelques années, nous rite initiatique pour « devenir un même centre de loisirs. Ce qui per­ acteurs de la tragédie à laquelle on
de traitement de la délinquance, comme celui qui, à Paris, asso- avons mis en place une boucle de homme ». Ce qui montre d’ailleurs mettrait aussi de créer une com­ a assisté mardi soir. 
cie police, mairie et services éducatifs, afin de renforcer la réacti- mails entre les associations, la po­ qu’ils n’arrivent pas à acquérir munauté de parents. On voulait le propos recueillis par
vité des acteurs et de suivre les échanges sur les réseaux sociaux. lice, les services jeunesses, les éta­ cette reconnaissance ailleurs. mettre en place dès les vacances lucie soullier

Suicide d’un détenu aux Baumettes: des dysfonctionnements relevés

L’inspection de la justice, saisie par le garde des sceaux, conclut à l’absence de manquements… mais révèle une accumulation de problèmes

I l faut parfois savoir lire entre

les lignes d’un rapport d’en­
quête administrative. Qu’ont
voulu bien dire l’Inspection géné­
rale de la justice et l’Inspection gé­
nérale des affaires sociales (IGAS)
à l’issue de l’enquête demandée
par le ministre de la justice sur le
suicide de Luc Viviani, le
2 août 2020, à la maison d’arrêt de
Marseille ? « L’analyse des prises
en charge [de M. Viviani], sans re­
lever de manquements, appelle ce­
pendant des améliorations », écri­
vent les inspecteurs en conclu­
sion de leur rapport remis en jan­
vier à Eric Dupond­Moretti. Les
choses auraient donc dû mieux
se passer, un euphémisme.
Des dysfonctionnements en
série apparaissent. Sans compter
la première des questions que le
rapport ne pose même pas : com­
ment un tribunal qui sollicite un
expert psychiatre pour savoir si le
prévenu est pénalement respon­
sable de ses actes et éligible à une
sanction peut­il décider de le
mettre en prison avant de le juger,
le temps de l’expertise ? C’est
pourtant une pratique courante.
Dans le cas de cet homme de
52 ans atteint de troubles psychi­
ques, poursuivi pour avoir crevé à
neuf reprises, sans motif, les
pneus de la voiture d’une kinési­
thérapeute et enfreint un contrôle
judiciaire (interdiction de se ren­
dre dans la commune de cette
femme), le tribunal de Marseille le
place en détention provisoire le
1er juillet 2020 et renvoie le procès
au 28 juillet. Le psychiatre est man­
daté par courriel, mais aucune
expertise n’est faite et le tribunal le
découvre la veille de l’audience.
Amené depuis la prison des
Baumettes, M. Viviani apprend à
l’audience qu’il y retourne pour
un mois supplémentaire… le
temps de l’expertise psychiatri­
que. Voilà un homme placé deux
mois en détention provisoire
avant d‘être jugé, alors que pour
les faits qui lui sont reprochés il
n’aurait probablement jamais été
condamné à deux mois fermes.
Surveillance horaire
Mais ceci n’est pas un dysfonc­
tionnement, la justice ne sait pas
faire autrement. La recomman­
dation des inspections est de s’as­
surer que l’expert accepte la
mission dans le temps imparti.
Entre­temps, le père et la compa­
gne du détenu avaient sollicité un
permis de visite, rapidement
obtenu… sauf que personne ne les
a informés de la décision. Le
rapport recommande donc de
formaliser l’information des
justiciables sur les permis de
visite. Ce 28 juillet, tout bascule.
Apprenant son retour en prison,
le prévenu « se blesse violemment
et volontairement en frappant sa
tête contre la vitre du box de la
salle d’audience », relatent les ins­
pecteurs. Après un passage aux
urgences, il retrouve le lende­
main sa cellule. Surveillants et
détenus constatent qu’il n’est pas
dans son état normal. Le psychia­
tre décide une surveillance
horaire, avec un surveillant qui
passe toutes les heures regarder
par l’œilleton de sa cellule.
Le 30 juillet, M. Viviani « forma­
lise verbalement son intention de
se suicider au gradé du bâtiment
qui lui suggère d’exprimer son res­
senti par écrit à lui remettre le len­
demain », note le rapport. Le dé­
tenu qui partageait la cellule de
M. Viviani depuis la mi­juillet a
alerté dès le 29 juillet sur le chan­
gement brutal de son codétenu
qui ne cessait de se plaindre de l’in­
justice de la décision du tribunal.
« Ce codétenu a déclaré avoir vécu
plusieurs jours particulièrement
anxiogènes », demandant à plu­
sieurs reprises de changer de cel­
lule, sans obtenir de réponse. « Il
avait eu alors le sentiment de rem­
plir un rôle qui n’était pas le sien,
permettant simplement à l’établis­
sement de respecter l’une des règles
fixées qui est celle de ne pas laisser
seul en cellule un détenu présen­
tant un risque suicidaire. » Le rap­
port en déduit que l’administra­
tion aurait dû se montrer plus sou­
cieuse de « rassurer » ce codétenu.
Le 31 juillet, le psychiatre lève la
surveillance horaire, parce qu’il la
juge « trop intrusive », malgré la
confirmation par écrit des inten­
tions suicidaires de M. Viviani.
Pendant la promenade de son co­
détenu, M. Viviani se scarifie les
avant­bras et se blesse au front. Il
est décidé de ne pas le prendre en
charge au service médico­psycho­
logique régional dont dispose les
Baumettes et de le revoir à la con­
sultation psychiatrique du lundi
3 août. Il se pendra dans sa cellule
dans la nuit du 1er au 2 août.
Le rapport relève que person­
nels de santé et personnels péni­
tentiaires sont soucieux de préve­
nir le suicide, mais chacun de son
côté. La construction du nouvel
établissement « a éloigné ces deux
mondes ». Les surveillants et les
gradés ont « le sentiment de ne pas
être suffisamment écoutés par les
équipes sanitaires ». Pour l’heure,
l’information judiciaire ouverte
pour « recherches des causes de la
mort » à Marseille se poursuit. 
jean­baptiste jacquin
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
Bruno Le Maire veut accélérer le
déploiement du plan de relance
Le ministre de l’économie a assuré, lundi 1er mars, que son objectif est
« d’accompagner la relance, quelle que soit la situation sanitaire »
F
aire preuve de volonta­
risme malgré le contexte.
Alors que l’exécutif doit
faire face à une double
pression, celle des questions
autour d’un éventuel reconfine­
ment, mais aussi celle de la colère
des secteurs toujours fermés (res­
taurants, culture), Bruno Le Maire
entend montrer qu’il ne dévie pas
de sa ligne : tout faire pour redres­
ser l’économie française et se pro­
jeter au­delà de l’épidémie de Co­
vid­19. A l’occasion d’un point
d’étape sur la concrétisation du
plan de relance dans les territoi­
res, lundi 1er mars, le ministre de
l’économie s’est ainsi livré à un
véritable plaidoyer en faveur de
ce chantier à 100 milliards d’euros
qui, depuis son annonce en sep­
tembre 2020, ne cesse de se heur­
ter aux vagues successives de
l’épidémie de Covid­19.
« Mon objectif est d’accélérer le
déploiement de la relance, quelles
que soient la situation sanitaire et
son évolution. C’est maintenant
que cela se joue », a martelé le lo­
cataire de Bercy, en réitérant son
objectif de 6 % de croissance du
produit intérieur brut (PIB) cette
année, alors que le nombre de
contaminations repart à la
hausse. « S’il devait y avoir de nou­
velles restrictions sanitaires, nous
ferons tout pour que l’impact sur
la croissance et l’activité soit le plus
limité possible », a­t­il assuré.
Le plan France Relance « se dé­
ploie vite et bien », a assuré M. Le
Maire : 16 milliards d’euros de cré­
dits ont déjà été engagés au
1er mars, soit 5 milliards de plus
Nouvelle­Calédonie : les indépendantistes
échouent à élire un chef de l’exécutif
Majoritaires au gouvernement, les deux branches du FLNKS n’ont pas trouvé d’accord
nouméa ­ correspondante
P atience et longueur de
temps font plus que force ni
que rage. » Telle semble
être la devise des indépendantis­
tes qui, pour la première fois
depuis l’accord de Nouméa du
5 mai 1998, ont remporté, le 17 fé­
vrier, la majorité au sein de l’exé­
cutif collégial. Ce nouveau gou­
vernement tarde en effet à entrer
en fonction, faute de consensus
entre les deux branches du Front
de libération nationale kanak et
socialiste (FLNKS) sur un candidat
à la présidence. Convoqués mardi
2 mars pour la deuxième fois par
le haut­commissaire de la Répu­
blique, les onze membres du
gouvernement sont de nouveau
ressortis sans chef.
Présenté par l’Union calédo­
nienne (UC­FLNKS), Samuel Hne­
peune, jusqu’alors président du
Medef et en dehors du sérail politi­
que, a obtenu trois voix, à égalité
avec son rival de l’Union nationale
pour l’indépendance (UNI­FLNKS),
Louis Mapou, actuel président du
groupe au Congrès et pionnier de
la lutte kanak. Le candidat loyaliste
Thierry Santa (Avenir en
confiance, AEC), président de l’exé­
cutif sortant, a remporté quatre
suffrages. Le seul membre du gou­
vernement issu de l’autre parti
non indépendantiste, Calédonie
ensemble (centre droit), a voté
blanc. Comme la première fois.
En allusion à la vice­présidence
du Conseil de gouvernement
qu’occupa, entre 1982 et 1984,
Jean­Marie Tjibaou, figure tuté­
26 milliards
d’euros ont déjà
été déployés
depuis l’été 2020,
sur un objectif
de 40 milliards
d’euros attendus
fin 2021
qu’en fin d’année, pour des dispo­
sitifs allant du déploiement du
plan jeunes à la prime à la conver­
sion automobile, en passant par
des projets industriels ou la réno­
vation thermique d’écoles et de lo­
gements. En comptant les 10 mil­
liards de baisse d’impôts de pro­
duction dont bénéficieront pour
la première fois les entreprises
cette année, ce sont quelque
26 milliards d’euros qui ont déjà
été déployés depuis l’été 2020, sur
un objectif de 40 milliards atten­
dus fin 2021.
Comme cela a déjà été fait en fin
d’année, Bercy affirme continuer
à allouer plus rapidement que
prévu l’argent disponible : les en­
veloppes destinées à la moderni­
sation et à la relocalisation indus­
trielles, ainsi qu’à la digitalisation
des PME vont être renflouées
d’un milliard d’euros au total.
Pas question, en revanche,
d’ouvrir davantage les vannes.
Mercredi 24 février, François Bay­
rou, haut­commissaire au plan
depuis septembre, plaidait pour
un vaste plan de « reconquête de
laire kanak assassinée en 1989, les
dirigeants du FLNKS répètent à
l’envi : « Il y a plus de quarante ans
que nous n’avons pas gouverné le
pays, nous pouvons bien nous per­
mettre de prendre quelques jours. »
« On doit trouver les meilleurs équi­
libres et donner du temps au temps
plutôt que de s’exciter, c’est une par­
ticularité du monde kanak », philo­
sophe Gilbert Tyuienon, membre
(UC­FLNKS) du gouvernement.
« Tout ça pour ça »
L’argument vaut ce qu’il vaut. Plu­
sieurs dirigeants du FLNKS ont re­
connu que la chute du gouverne­
ment collégial provoquée, le 2 fé­
vrier, par la démission en bloc des
cinq « ministres » indépendantis­
tes avait été décidée dans « la pré­
cipitation et l’impréparation ».
Son objectif était d’enrayer la pro­
cédure institutionnelle destinée à
faire aboutir la vente de l’usine de
nickel du groupe brésilien Vale à
un consortium calédonien et in­
ternational incluant le négociant
Sébastien Lecornu plaide pour un
« nouvel accord entre les deux camps »
Alors que le processus de l’accord de Nouméa approche de son
terme, le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, s’est
adressé, dans une tribune publiée dans Le Journal du dimanche
du 28 février, aux partisans de l’indépendance de la Nouvelle-Ca-
lédonie comme à ceux du maintien dans la République. « Il n’y a
pas d’autre issue qu’un nouvel accord entre les deux camps », plai-
de-t-il. Après qu’à deux reprises le « non » à l’indépendance l’a em-
porté, un troisième référendum doit avoir lieu, au plus tard en
septembre 2022. « Si par trois fois la Nouvelle-Calédonie confirmait
son souhait de rester française, il conviendrait alors de lui donner
un nouveau statut dans la République », estime le ministre.
l’appareil productif », similaire au
plan Marshall lancé après­guerre,
pour un montant compris entre
200 milliards et 250 milliards
d’euros. Fin de non­recevoir à
Bercy. « Au moment où je vous
parle, il n’est pas nécessaire de ra­
jouter des crédits au plan de re­
lance », a tranché le ministre, ar­
guant qu’il s’agit d’abord de par­
venir à en dépenser l’intégralité
– « c’est notre défi ».
Alors que la comparaison avec
les sommes faramineuses déblo­
quées par Joe Biden outre­Atlanti­
que (1 900 milliards de dollars,
soit 1 575 milliards d’euros) re­
vient de plus en plus dans le
débat, le ministre a été plus criti­
que sur l’échelon européen : « Le
plan de relance européen n’est en­
core ni adopté ni décaissé. A mon
sens, cela avance trop lentement »,
a­t­il estimé. Sur les 40 milliards
d’euros de subventions attendues
de Bruxelles, 4 milliards de­
vraient être versés à la France d’ici
cet été, a­t­il indiqué.
Urgence sociale
Pour autant, le gouvernement est
toujours aux prises avec des de­
mandes de soutien pour les mé­
nages au titre des mesures d’ur­
gence, alors que la durée de la
pandémie aggrave chaque jour la
crise sociale. Le projet de « chèque
alimentaire », une des promesses
faites par Emmanuel Macron à la
convention citoyenne pour le cli­
mat en fin d’année 2020, est tou­
jours dans les cartons. Le disposi­
tif, censé aider les plus modestes à
acheter des produits de qualité,
suisse Trafigura. Chefferies kanak
et indépendantistes sont depuis
six mois en croisade pour s’oppo­
ser à cette transaction.
« Mesurons­nous vraiment l’am­
pleur de la tâche qui nous attend ?
Je n’en suis pas certain. J’étais de
ceux qui préféraient qu’on attende
un peu pour construire un vérita­
ble projet alternatif pour la
conduite de notre pays », a ainsi
déclaré le président de l’UC,
Daniel Goa. C’est dans ce contexte
qu’est sorti le nom de Samuel
Hnepeune, sexagénaire au profil
gestionnaire et modéré.
« Avec M. Hnepeune, on déroule
le tapis rouge au patronat et on
perpétue la collusion entre pouvoir
politique et détenteurs des leviers
économiques. D’un point de vue
historique et idéologique, ce n’est
pas possible pour nous », a asséné
Charles Washetine, élu de l’UNI
dont la tête de pont est le Parti de
libération kanak (Palika), à la
génétique marxiste. « On se battra
le temps qu’il faut », a­t­il promis.
fait l’objet d’un bras de fer tant sur
sa forme que sur son montant en­
tre Bercy et le ministre de l’agri­
culture, Julien Denormandie. Il
doit être arbitré « courant mars »,
indique Matignon, avant l’exa­
men du projet de loi « climat et ré­
silience », attendu à la fin du mois
à l’Assemblée.
Autre enjeu à Bercy : débloquer
l’épargne accumulée par les Fran­
çais les plus aisés depuis le début
de la crise, et qui pourrait oppor­
tunément soutenir l’économie
en dopant la consommation.
Après un an de confinements
successifs et de restrictions, ce
sont pas moins de 200 milliards
d’euros qui devraient avoir été
thésaurisés d’ici à la fin de l’an­
née 2021, selon les estimations de
la Banque de France.
« Mon ambition, c’est qu’il y ait le
maximum d’argent pour faire
fonctionner l’économie française
en 2021 (…) et que l’épargne des
Français participe à cette relance
économique, sur une base évi­
demment volontaire », a indiqué
lundi Bruno Le Maire. Et l’ancien
membre du parti Les Républi­
cains (LR) d’évoquer « des incita­
tions sur lesquelles nous voulons
travailler », sans toutefois confir­
mer la piste mentionnée par Les
Echos du 1er mars, selon laquelle
l’exécutif réfléchirait à défiscali­
ser davantage les transferts ou
dons entre générations. « J’écarte
clairement et définitivement toute
taxation de l’épargne des Fran­
çais », a en revanche, une fois de
plus, déclaré le ministre. 
audrey tonnelier
Après avoir dénoncé un
« putsch » lors de la chute de l’exé­
cutif, les dirigeants de l’AEC déplo­
rent à présent l’« irresponsabilité »
des indépendantistes, alors que la
Nouvelle­Calédonie traverse une
crise du budget et des comptes
sociaux sans précédent, en raison
des difficultés de la filière nickel
et des conséquences de la crise
sanitaire.
« Tout ça pour ça. Avoir fait chu­
ter le gouvernement dans la préci­
pitation, casser l’équilibre institu­
tionnel, qui est fragile dans cette
dernière ligne droite de l’accord de
Nouméa, et tout ça au détriment
de la vie quotidienne des Calédo­
niens », s’insurge Isabelle Champ­
moreau, « ministre » de l’AEC. Le
budget 2021 doit être voté avant le
31 mars, faute de quoi la Nouvelle­
Calédonie sera placée sous la tu­
telle de l’Etat. « Ce serait un comble
pour des gens qui réclament l’indé­
pendance », cingle un élu loyaliste.
Aucune date n’a été annoncée
pour tenter à nouveau d’élire le
président du gouvernement. Un
rayon de lumière a toutefois percé
dans ce ciel nuageux : le FLNKS,
l’Instance coutumière autochtone
de négociation et le collectif Usine
du Sud = usine pays ont annoncé,
mardi, qu’au terme de deux se­
maines de discussions, « une solu­
tion négociée avec la province Sud
[loyaliste] est en voie de consolida­
tion » au sujet du rachat de l’usine
Vale. Selon des sources concordan­
tes, une communication officielle
pourrait avoir lieu jeudi. Peut­être
l’amorce d’une embellie. 
claudine wéry
france | 13
DROIT DE RÉPONSE
A la suite de l’article « L’avocat Emmanuel Pierrat mis en cause
pour des malversations financières » (Le Monde du 16 février),
nous avons reçu, au titre du droit de réponse, le courrier suivant
de M. Pierrat :
« Dans la vie associative française, il n’est pas rare que des que­
relles de personnes naissent malgré les nobles causes que nous
sommes tous censés défendre. Après avoir été membre et vice­
président du Pen Club français pendant de nombreuses années,
j’en ai été élu président en janvier 2018.
Lors du confinement de mars dernier, qui nous a empêchés de
poursuivre nos activités, des querelles sont nées suscitant des
échanges de mails désagréables pour les uns comme pour les
autres. Le calme est revenu en juin lorsque nous avons pu nous
réunir à nouveau. La nature humaine a repris le dessus durant
l’été et certains ont cru utile de raviver des échanges très éloi­
gnés de nos missions.
Les accusations portées ici contre moi sont donc à la fois récen­
tes et déjà connues et ne constituent pas un scoop pour qui suit
les aventures du Pen Club français. Elles m’ont cependant con­
duit à déposer deux plaintes contre X le 6 juillet 2020 des chefs
de diffamation et de chantage.
Puisque votre article évoque des difficultés financières qui se­
raient notamment liées à l’année 2019, je précise que, pour les
années 2018 et 2019, les rapports moraux et financiers ont été
débattus et validés à l’unanimité lors des assemblées générales
du Pen Club français qui se tiennent en fin d’année.
Votre article fait état d’un supposé remboursement de frais
non justifié relatif au congrès annuel du Pen International
qui s’est tenu à Manille fin septembre­début octobre 2019.
J’ai déjà donné les documents comptables à ce sujet et ils ont
été validés.
Il s’avère que le montant global que j’ai dépensé est largement
supérieur à celui qui m’a été remboursé, car, quitte à faire un
très lointain voyage en Asie Pacifique, j’ai saisi l’opportunité de
me rendre professionnellement en Papouasie­Nouvelle­Guinée
et aux Îles Salomon avant de rallier Manille et d’y participer au
congrès du Pen Club international (à titre, bien évidemment,
bénévole). Au final, le montant des billets d’avion qui m’a été
remboursé est de cinq fois inférieur aux frais de déplacements
que j’ai réellement payés moi­même et pour lesquels j’ai
adressé, par souci de transparence, copie de la facture définitive
de mon voyage global.
Aux termes de votre article, je me serais fait rembourser des dé­
penses pour des “réceptions à caractère privé à [mon] domicile
parisien” alors qu’il s’agit, d’une part, d’un déjeuner offert dans
un restaurant par le Pen Club français aux membres du comité
directeur et des délégués étrangers qui ont participé, en jan­
vier 2020, à trois journées de colloques et de rencontres littérai­
res ; d’autre part, d’une collation offerte à mon domicile le soir
de l’arrivée à Paris pour ce même colloque des délégués et
membres du board du Pen international, à laquelle étaient pré­
sents plusieurs membres du comité directeur français.
Concernant nos deux stagiaires successifs, dont le recrutement
a été approuvé par le comité directeur, ils ont dû être hébergés
dans les locaux de mon cabinet, après le déménagement du
Pen Club français dans un local provisoire, prêté par la Ville de
Paris, où il n’existe aucun encadrement, aucun matériel infor­
matique, aucune connexion Wi­Fi, etc. Tous deux ont travaillé
exclusivement au bénéfice de l’association, comme en attes­
tent les procès­verbaux qu’ils ont tenus des multiples réunions
du Pen Club français ainsi que des nombreuses manifestations
qu’ils nous ont aidés à organiser.
L’ensemble de ces piètres accusations intervient alors que, le
30 octobre 2020, j’ai adressé au trésorier du Pen Club français
un rapport financier attestant de toutes les dépenses restées à
mes frais durant trois années de bénévolat et pour lesquelles
j’ai demandé le remboursement à plusieurs reprises (en vain
jusqu’à présent). A titre d’exemple, j’ai pris en charge le salaire
d’une assistante à mi­temps pendant un an à compter de mon
élection, affectée aux services du Pen Club et recrutée au sein
de son comité directeur. Le montant global de ces frais s’élève à
27 532,20 euros.
Fin 2020, j’ai choisi de ne pas briguer un second mandat, après
avoir contesté la procédure tendant à me destituer de mes
fonctions. De nombreux adhérents et membres du comité di­
recteur ont alors décidé de quitter le Pen Club français, choqués
par la méthode et cette procédure. »
POLITIQU E des répondants se disent en
Le vote à distance accord avec une autorisation
autorisé pour les députés de la consommation et de la
en période de crise production dans un cadre
L’Assemblée nationale a auto­ régi par la loi, selon les résul­
risé, lundi 1er mars, le vote à tats de cette consultation
distance pour les députés, un lancée mi­janvier par une
nouveau dispositif cependant mission d’information parle­
limité à des situations de mentaire. Les répondants
crise, à l’image de la pandé­ sont 13,8 % à se déclarer favo­
mie actuelle. Les élus pour­ rables à une dépénalisation.
ront voter pour l’ensemble A l’inverse, 4,6 % sont pour
d’un texte ou sur des déclara­ un renforcement des sanc­
tions du gouvernement, mais tions et seulement 0,8 %
ne pourront pas approuver, pour le maintien du cadre
de cette manière les amende­ légal en vigueur. – (AFP.)
ments ou les articles, au
grand dam notamment des FAIT DIVERS
socialistes qui auraient sou­ A La Réunion,
haité une généralisation de un sénateur LRM
cette méthode, comme dans poignardé par son fils
d’autres pays. – (AFP.) Le sénateur de La Réunion
Michel Dennemont (La Répu­
STU PÉFIANTS blique en marche, LRM),
Une consultation 72 ans, a été blessé de plu­
citoyenne plébiscite sieurs coups de couteau por­
la légalisation tés par son fils, lundi matin.
du cannabis récréatif L’élu a été gravement touché
Une large majorité des quel­ à la main et plus légèrement
que 250 000 personnes qui au dos et à la poitrine. Selon
ont participé à une consulta­ des sources proches de l’en­
tion citoyenne sur le canna­ quête, le fils, âgé d’une tren­
bis dit « récréatif » plébisci­ taine d’années, serait fragile
tent sa légalisation : 80,8 % psychologiquement. – (AFP.)
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
14 |
Danone : Faber abandonne les pleins pouvoirs
Le conseil d’administration du groupe a voté la séparation des fonctions de président et de directeur général
RÉCIT
E
n deux heures, le coupe­
ret est tombé chez Da­
none. Lors d’un conseil
d’administration sous
haute tension, organisé lundi
1er mars à 18 heures, les seize
membres ont voté pour la disso­
ciation des fonctions de prési­
dence et de direction générale du
fleuron de l’agroalimentaire.
Emmanuel Faber, qui occupait
le poste de PDG depuis 2017, est
pressenti pour devenir président,
lorsqu’un nouveau directeur gé­
néral sera nommé. Le processus
de recrutement de ce patron opé­
rationnel est lancé. Dans l’inter­
valle, Danone indique dans un
communiqué que l’actuel PDG
continuera d’exercer ses fonc­
tions « avec la confiance et le sou­
tien unanime du conseil ».
Selon ce communiqué, M. Fa­
ber, sous pression depuis plu­
sieurs mois, a lui­même proposé
cette dissociation des rôles. Il
avait d’ailleurs déclaré récem­
ment ne pas être dogmatique sur
la question. Pour autant, il a ré­
sisté le plus longtemps possible
face aux assauts de deux action­
naires. D’une part, le fonds acti­
viste britannique Bluebell Capital
Partners, d’autre part l’investis­
seur américain Artisan Partners,
qui détient 3 % du capital.
Tous deux dénonçaient les per­
formances financières et opéra­
tionnelles du propriétaire des
marques Evian et Actimel – dont
le cours de Bourse a chuté d’un
quart en 2020 –, jugées décevan­
tes en comparaison des grands
concurrents Nestlé ou Unilever.
Pour y remédier, ils prônaient
avant tout une dissociation des
fonctions de président et de direc­
teur général. Ils ont eu gain de
cause, mais pas complètement :
ils ne voulaient de M. Faber à
aucun de ces deux postes.
Pression maximale
La bataille a été terrible. Ces der­
nières semaines, les deux action­
naires contestataires ont tour à
tour rencontré les administra­
teurs référents de Danone pour
développer leur point de vue. Le
week­end, en particulier, a été
propice à de nombreuses tracta­
tions afin de trouver un compro­
mis face à cette crise inédite mar­
quée par l’affrontement de deux
camps. Si les syndicats de salariés
avaient affiché leur soutien à Em­
manuel Faber, les administra­
teurs avaient encore reçu ven­
Le PDG, une espèce de plus en plus contestée
La tendance est à la dissociation entre les fonctions de président et de directeur général. Le gage d’un meilleur contrôle de ce dernier
L oin de l’image des patrons
omnipotents, et avant
même le changement an­
noncé lundi 1er mars chez Danone,
une majorité d’entreprises du
CAC 40 ont, à leur sommet, des di­
recteurs généraux, sans casquette
de président. En 2020, si l’on tient
compte des évolutions annoncées
à la tête de Saint­Gobain et L’Oréal,
on dénombre seize PDG aux ma­
nettes parmi les quarante entre­
prises vedettes de la cote (dont
certaines ont une structure avec
conseil de surveillance ou gé­
rance). En 2010, ils étaient dix­
sept, selon les pointages de
l’Hebdo des AG. Sachant qu’entre­
temps, la composition de l’indice
a fortement évolué.
Cette stabilité apparente cache
en fait un mouvement de balan­
cier observé depuis quinze ans
chez de nombreux grands grou­
pes, où la séparation des fonctions
Emmanuel
Faber, le
26 janvier,
au siège
de Danone,
à Rueil­
Malmaison
(Hauts­de­
Seine).
VINCENT ISORE/IP3
dredi un courrier de Flemming
Morgan, l’ancien responsable de
la division nutrition médicale de
Danone, jusqu’en 2017, date de
son départ du groupe. En tant
qu’ex­membre du conseil exécu­
tif du groupe, il regrettait que « la
culture de Danone, caractérisée
par l’esprit d’entreprise, l’innova­
tion… ait été lentement et systé­
matiquement détruite », et de­
mandait, lui aussi, un change­
ment à la tête de l’entreprise.
Ces prises de position entraient
en résonance avec des dissen­
sions apparues en 2020 au sein
du conseil. Certains administra­
teurs arguaient depuis plus d’un
an de la nécessité de renforcer la
gestion opérationnelle du
groupe, en nommant un direc­
teur général délégué, et s’inquié­
taient d’un exercice du pouvoir
autoritaire et solitaire de la part
de M. Faber. La démission de Fran­
cisco Camacho, responsable des
produits laitiers et d’origine végé­
tale, en septembre 2020, et celle
sert à faciliter une transition ma­
nagériale. Chez Capgemini, Total
ou L’Oréal, la gouvernance
s’adapte ainsi à l’âge du capitaine.
Et, à cet égard, l’année 2021 mar­
que une fin de cycle historique. Le
21 février, le conseil d’administra­
tion du Groupe Bouygues a disso­
cié les fonctions de président et de
directeur général, poste désormais
confié à Olivier Roussat. Après
trente et un ans comme PDG du
groupe fondé par son père, Martin
Bouygues est resté président.
Le 1er mai, le PDG Jean­Paul Agon
cédera à Nicolas Hieronimus son
fauteuil de directeur général, tout
en conservant la présidence.
Exactement comme Lindsay
Owen­Jones l’avait fait en 2006.
M. Agon avait, en 2013, réuni de
nouveau les deux fonctions. Pier­
re­André de Chalendar avait été
encore plus rapide : nommé di­
recteur général de Saint­Gobain
Le conseil a
choisi d’opter
lui-même pour
la séparation
des pouvoirs,
mais en
maintenant
Emmanuel Faber
à la présidence
de Cécile Cabanis, directrice fi­
nancière et numéro deux du
groupe, avaient accru les tensions
au sein du conseil.
Le conseil d’administration de
Danone s’est retrouvé, lui aussi,
sous une pression maximale
dans la perspective d’une assem­
blée générale le 29 avril où sept
membres sur seize devront sou­
mettre leur mandat au vote des
actionnaires. Si la question de la
auprès de Jean­Louis Beffa
en 2007, il en devient PDG
en 2010. Le 1er juillet, M. de Chalen­
dar confiera à son tour les com­
mandes à son dauphin, Benoît Ba­
zin. Et il restera président.
Tradition française
De son côté, Denis Kessler, le pa­
tron du réassureur Scor, a prévu de
transmettre, en 2022, la moitié du
témoin à Benoît Ribadeau­Dumas,
l’ancien directeur de cabinet
d’Edouard Philippe à Matignon.
Cette tradition française – considé­
rée comme hérétique outre­Man­
che – a l’avantage de favoriser une
transition douce. Elle nécessite,
toutefois, que le nouveau patron
« tue le père ». Pas simple : les
membres du conseil d’administra­
tion de Renault se souviennent
encore de la brutalité avec laquelle
Carlos Ghosn, intronisé, en 2005,
directeur général et président exé­
dissociation des pouvoirs « devait
être posée à la prochaine assem­
blée générale, comme certains mé­
canismes le permettent, elle ob­
tiendrait un soutien massif. Ce se­
rait alors très embarrassant pour
le conseil d’administration, qui se­
rait vu comme déconnecté des ac­
tionnaires », avait prévenu Nico­
las Céron, gérant de portefeuille
chez Bluebell Capital, dans une in­
terview au Monde, le 25 février.
Le conseil a donc choisi d’opter
lui­même pour la séparation
des pouvoirs, mais en mainte­
nant Emmanuel Faber à la prési­
dence. Il a également décidé de
nommer Gilles Schnepp, l’ancien
patron de Legrand, non plus ad­
ministrateur référent tel qu’an­
noncé en décembre 2020, lors de
son entrée au conseil de Danone,
mais au poste de vice­président.
Le poste d’administrateur réfé­
rent et de président du comité de
gouvernance doit revenir finale­
ment à Jean­Michel Severino, à la
tête du fonds d’impact Investis­
cutif du constructeur automobile,
pouvait critiquer la gestion précé­
dente, sous l’œil impassible de
Louis Schweitzer, son prédéces­
seur, resté président du « board ».
M. Ghosn avait rassemblé toutes
ces fonctions en 2009.
Parfois, le PDG ne renaît pas de
ses cendres. Axa est ainsi à la re­
cherche d’un président du conseil
d’administration pour remplacer
Denis Duverne, dont le mandat
expire lors de l’assemblée générale
2022. L’assureur avait dissocié les
fonctions en 2016, lors du départ
du PDG Henri de Castries. Il n’est
pas prévu que l’Allemand Thomas
Buberl, qui lui avait succédé
comme directeur général, en pro­
fite pour réunifier les fonctions.
De fait, les investisseurs institu­
tionnels préfèrent souvent le par­
tage des pouvoirs. Aux Etats­Unis,
la tradition du PDG a aussi ten­
dance à s’éroder. Entre 2005 et
seurs et Partenaires, et aussi très
proche de M. Faber. Les frondeurs
ne peuvent qu’être déçus du com­
promis dessiné par le conseil
d’administration.
Bluebell souhaitait que Gilles
Schnepp prenne la présidence, et
voilà que le nouvel entrant au
« board » perd sa place d’adminis­
trateur référent, un poste qui
constitue un contre­pouvoir face
à un PDG, mais également lors­
que le président n’est pas indé­
pendant. Le fait qu’il soit occupé
par un soutien de M. Faber pour­
rait constituer un chiffon rouge.
Bataille de résolutions
En parallèle, aucun aménage­
ment n’a été proposé pour répon­
dre aux griefs des activistes qui
demandaient davantage de com­
pétences en matière de grande
consommation et plus d’indé­
pendance au sein du « board ».
Reste à savoir, cependant, si Arti­
san, Bluebell ou d’autres jugeront
ces dysfonctionnements suffi­
2019, la part des sociétés propo­
sant deux fauteuils pour deux
dans l’indice S&P 500 est passée
de 30 % à 53 %, selon une étude de
l’agence de conseil en vote Insti­
tutional Shareholder Services
(ISS). Dernier en date, en fé­
vrier 2020, Jeff Bezos, le fondateur
d’Amazon, a transmis à son bras
droit la gestion opérationnelle du
leader mondial de l’e­commerce,
tout en restant président du con­
seil d’administration.
« Nous nous opposons au renou­
vellement des PDG, sauf si une dis­
sociation est annoncée, car nous
trouvons bizarre qu’un dirigeant
puisse se contrôler lui­même », ex­
plique Cédric Lavérie, responsa­
ble de la recherche en gouver­
nance en France chez ISS. Selon la
loi, le président organise et dirige
les travaux du conseil d’adminis­
tration, dont fait partie le dialo­
gue avec la direction générale.
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
sants pour lancer un proxy fight,
autrement dit une bataille de ré­
solutions en assemblée générale.
« Artisan Partners prend note des
dernières annonces et réagira en
temps voulu », s’est contenté de
dire l’investisseur américain
après la publication du communi­
qué de Danone.
Quoi qu’il arrive, le mandat de
M. Faber arrive à échéance
en 2022. Les actionnaires auront
eu le temps d’ici là de voir si Da­
none a réussi à recruter une poin­
ture à la direction générale. La
mise en œuvre du plan Local First,
dévoilé par l’actuel PDG en no­
vembre 2020, sera aussi détermi­
nante. Cette réorganisation par
pays, et non plus par marque,
était contestée par les fonds. Il
reste à voir si le nouveau directeur
général arrive à réduire les frais de
sièges sans casser le modèle en­
trepreneurial qui fait la force de
Danone. 
isabelle chaperon
et laurence girard
« Au vu de la complexité crois­
sante des conseils d’administra­
tion, le présider constitue un rôle à
part entière. On se demande com­
ment la même personne pourrait
être directeur général en plus »,
ajoute M. Lavérie. « Les investis­
seurs préfèrent la dissociation des
fonctions, mais peuvent se satis­
faire d’un PDG, s’il existe des contre­
pouvoirs comme la présence d’un
administrateur référent », tempère
Bénédicte Hautefort, éditrice de
l’Hebdo des AG.
Ces dernières années, même
l’Etat actionnaire s’est montré fa­
vorable à la séparation des pou­
voirs, un mode de gouvernance
qui a été mis en place chez Safran,
Engie ou Renault. Stéphane Ri­
chard, PDG d’Orange, a fait savoir
que la dissociation allait être étu­
diée dans la perspective de l’expi­
ration de son mandat, en 2022. 
i. ch.
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
Pékin multiplie les obstacles au
travail des journalistes étrangers
En 2020, dix­huit représentants de médias internationaux ont été expulsés
pékin ­ correspondant
L
es conditions de travail
des journalistes étran­
gers en Chine se sont en­
core détériorées en 2020,
selon l’enquête annuelle menée
par le Foreign Correspondents
Club of China (FCCC) auprès de ses
220 adhérents – dont Le Monde –
et publiée lundi 1er mars.
Le fait le plus marquant aura été
l’expulsion, au premier semestre,
d’au moins dix­huit journalistes
étrangers, travaillant pour le
Washington Post, le New York Ti­
mes et le Wall Street Journal. Un
mouvement d’une ampleur ja­
mais vue depuis 1989, au lende­
main du massacre de Tiananmen,
souligne le rapport. Ces expul­
sions constituent des représailles
à celles, par Washington, de re­
porters chinois travaillant, essen­
tiellement, pour des médias d’Etat
chinois.
L’année 2019 avait déjà été mar­
quée par l’attribution de permis de
résidence de moins d’un an – trois
ou six mois – à quelques journalis­
tes. En 2020, ce phénomène s’est
aggravé. Au moins treize corres­
pondants – travaillant pour la BBC,
Voice of America, The Economist,
The Globe and Mail, Le Monde, The
New York Times, Sankei Shimbun,
Süddeutsche Zeitung, Telegraph,
The Times et The Wall Street Jour­
nal – ont reçu des permis pour une
durée inférieure ou égale à six
mois. L’un d’eux, le Canadien Na­
than VanderKlippe (The Globe
and Mail), a même reçu sept visas
d’un mois seulement, avant de
s’en voir attribuer un de trois
ByteDance, le nouvel ogre de l’Internet
en Chine, ne cesse de grossir
Le détenteur de TikTok a recruté 40 000 personnes et fait de l’ombre à Alibaba et à Tencent
shanghaï ­ correspondance
B yteDance ne s’arrête pas :
après 40 000 embauches
en 2020, l’entreprise qui
détient TikTok vient d’annoncer
13 000 créations de postes pour sa
section éducation. Un appétit im­
pressionnant pour une entre­
prise fondée il y a neuf ans.
Aujourd’hui, avec 100 000 per­
sonnes à son bord, ByteDance a
30 000 employés de plus que Fa­
cebook, ou Tencent, le géant chi­
nois des réseaux sociaux avec We­
Chat et QQ , et numéro un mon­
dial des jeux vidéo.
Tencent, entreprise la plus chère
de Chine, vaut pourtant quatre
fois plus que ByteDance, dont la
valeur est estimée à environ
150 milliards de dollars (125 mil­
liards d’euros). Une inflation des
équipes due en partie à la nature
de son activité, sensible : rien
qu’en Chine, l’entreprise compte
20 000 employés spécialisés dans
la « vérification des contenus ».
Mais grâce à TikTok et sa version
chinoise, Douyin, ByteDance
peut prendre des risques et s’in­
troduire dans des nouveaux sec­
teurs d’activité : commerce, édu­
cation en ligne et jeux vidéo.
ByteDance est le fruit de l’imagi­
nation de Zhang Yiming, un ingé­
nieur informaticien qui lance,
en 2012, l’agrégateur d’informa­
tion Jinri Toutiao. Le site démon­
tre déjà la capacité de l’entreprise
à utiliser l’intelligence artificielle
pour proposer à ses utilisateurs
des contenus adaptés à leurs cen­
tres d’intérêt. Mais la véritable
percée intervient avec Douyin et
Une nouvelle
forme
de pression
est également
apparue :
l’interdiction
de sortir
du territoire
mois. Est­ce en raison de sa natio­
nalité ? Parce qu’il a eu le courage
d’accepter, en 2019, la présidence
du FCCC ? Mystère.
Par ailleurs, certains journalistes
de différentes nationalités, accré­
dités pour des médias américains,
ne reçoivent plus la carte de presse
qui conditionne le permis de rési­
dent mais une simple lettre qui
leur permet de rester en Chine
deux à trois mois et les plonge
donc dans une insécurité encore
plus grande.
Harcèlement des autorités
A rebours des expulsions, l’année
2020 a été également marquée par
une nouvelle forme de pression
sur les journalistes : l’interdiction
de sortir du territoire. Au second
semestre, deux journalistes aus­
traliens, travaillant l’un à Pékin,
l’autre à Shanghaï, ont reçu la vi­
site, simultanément et en pleine
nuit, d’officiers de sécurité leur in­
terdisant de quitter la Chine et leur
intimant l’ordre de se présenter à
la police dans les heures suivantes.
Les deux reporters sont parve­
nus à rejoindre des locaux diplo­
TikTok, sa version internationale,
en 2017. Trois ans plus tard, à l’été
2020, ByteDance revendiquait
1,3 milliard d’utilisateurs au total
pour ces deux plates­formes.
Prise de risque encouragée
Grâce aux revenus publicitaires
générés par ce trafic impression­
nant, l’entreprise peut s’étendre :
« Leur trésorerie est positive, grâce
à leur activité publicitaire très lu­
crative. Donc ils peuvent financer
leur propre expansion et, quand ils
vont voir des investisseurs, ils peu­
vent lever des fonds à des condi­
tions favorables », explique Mat­
thew Brennan, consultant et
auteur de Attention Factory : The
Story of TikTok and China’s Byte­
Dance (2020, non traduit).
La culture d’entreprise encou­
rage cette prise de risque. « Ils ex­
périmentent beaucoup pour trou­
ver leurs prochains relais de crois­
sance et semblent avoir choisi
l’éducation, le commerce en ligne
et les jeux vidéo. Ce que confirme
l’abandon d’autres projets, comme
les smartphones ou une applica­
tion de tchat : ils essaient et aban­
donnent vite ce qui n’est pas pro­
metteur », analyse Michael Norris,
chef de la stratégie pour Agency
China, un cabinet de conseil à
Shanghaï. ByteDance ne semble
se mettre aucune barrière. L’en­
treprise développe les achats sur
Douyin, déjà largement utilisé
pour faire la promotion de pro­
duits en Chine, quitte à s’aventu­
rer sur les terres d’Alibaba, qui do­
mine le commerce en ligne.
Tencent a davantage de soucis
à se faire. Le géant a déjà vu By­
matiques. Plusieurs jours de négo­
ciation entre l’Australie et la Chine
ont suivi, à l’issue desquels les
deux hommes ont rejoint leur
pays après avoir été interrogés par
la police chinoise sur leurs rela­
tions avec Cheng Lei, une journa­
liste australienne travaillant pour
la chaîne d’Etat CGTN en langue
anglaise qui a mystérieusement
disparu des écrans depuis
août 2020.
Après que l’Australie a annoncé
qu’elle avait été placée en « rési­
dence surveillée » pour des raisons
inconnues, la Chine a indiqué
qu’elle était soupçonnée d’avoir
« mis en danger la sécurité natio­
nale » du pays. En février, Pékin a
reconnu son arrestation, l’ac­
cusant d’avoir « fourni des secrets
d’Etat à l’étranger ». Ces attaques
contre des journalistes australiens
surviennent alors que les tensions
commerciales et diplomatiques
entre Pékin et Canberra se sont ac­
crues après que l’Australie a de­
mandé une commission d’en­
quête internationale sur les origi­
nes du SARS­CoV­2.
L’épidémie a également fourni
aux autorités chinoises un argu­
ment supplémentaire pour empê­
cher les journalistes étrangers de
faire leur travail : 42 % des 150 re­
porters ayant répondu au ques­
tionnaire du FCCC disent avoir dû
quitter un endroit ou avoir dû re­
noncer à s’y rendre sous la pres­
sion des autorités, officiellement
pour des raisons sanitaires, alors
que ce n’était manifestement pas
le cas. De nombreux témoignages
relatent également les pressions
des autorités sur les habitants et le
teDance grignoter une partie
de la croissance de ses revenus
publicitaires, grâce à ses plates­
formes qui mobilisent l’atten­
tion des Chinois, aux dépens de
WeChat.
Désormais, ByteDance s’atta­
que aux jeux vidéo, autre
royaume de l’empire Tencent. De­
puis fin 2019, ByteDance s’est mis
à l’édition de jeux, avant de rache­
ter des studios pour développer
sa propre offre. « Le jeu vidéo est
une activité qui leur correspond
bien : les gens vont sur Douyin
pour se détendre et passer le
temps, et les jeux vidéo répondent
à la même attente, analyse Mat­
thew Brennan. Donc Douyin est la
plate­forme parfaite pour faire la
promotion de jeux. C’est ce qui
rend Douyin et TikTok si intéres­
sants : c’est un moyen d’acquérir
des utilisateurs pour n’importe
quel service qu’ils souhaitent pro­
mouvoir dans le monde. » Le jeu
vidéo est un secteur particulière­
ment lucratif en Chine, avec un
chiffre d’affaires de 68 milliards
de yuans (8,8 milliards d’euros) au
troisième trimestre 2020, en
hausse de 15 %, et avec 661 mil­
lions de joueurs.
Dernier pari pour ByteDance,
l’éducation, dans laquelle l’entre­
prise est présente depuis 2016.
Mais la pandémie de Covid­19 a
changé la donne : la suspension
des classes pour des centaines de
millions d’enfants en Chine a
donné un coup de pouce à un sec­
teur déjà dynamique.
En octobre 2020, ByteDance a
lancé une lampe de bureau con­
nectée, avec écran permettant
économie & entreprise | 15
personnel soignant de Wuhan
pour ne pas communiquer avec la
presse étrangère.
Les autorités utilisent aussi le Co­
vid­19 pour limiter les entrées de
journalistes en Chine. Depuis le
28 mars 2020, la Chine a suspendu
toute arrivée d’étrangers sur son
territoire. Malgré tout, au fil des
mois, des autorisations étaient ac­
cordées aux professions « essen­
tielles », aux enseignants… Seuls
les journalistes n’en ont jamais bé­
néficié. Pour eux, toute entrée
en Chine dépend du bon vouloir
des autorités. Certains reporters,
partis à l’étranger au début de l’épi­
démie, n’ont toujours pas pu reve­
nir en Chine.
Comme les années précédentes,
se rendre au Xinjiang ou au Tibet
est très difficile et le harcèlement
des autorités est tel qu’y travailler
est quasiment impossible. Plus gé­
néralement, la pression s’accroît
aussi sur les collaborateurs chi­
nois des médias occidentaux. Une
reporter chinoise de Bloomberg,
Haze Fan, a été interpellée par la
police en décembre 2020 à son do­
micile. On est, depuis, sans nou­
velle d’elle ; 59 % des journalistes
occidentaux disent que leurs as­
sistants chinois ont fait l’objet de
pression en 2020, un pourcentage
en nette augmentation.
Interrogé sur ce rapport, Wang
Wenbin, porte­parole du minis­
tère des affaires étrangères, a rap­
pelé lundi que la Chine ne recon­
naissait pas « cette organisation »
et que ce « prétendu rapport est
fondé sur des idées reçues plutôt
que sur des faits ». 
frédéric lemaître
aux parents d’interagir avec
l’élève et une caméra qui peut es­
timer sa concentration. Byte­
Dance offre aussi plusieurs appli­
cations éducatives, avec ou sans
enseignant humain, pour un pu­
blic allant de la maternelle aux
professionnels. Et l’entreprise est
bien décidée à accélérer : alors que
cette section employait déjà
10 000 personnes au mois d’octo­
bre, ByteDance a annoncé, ven­
dredi 26 février, la création de
13 000 nouveaux postes dans les
mois à venir.
« 200 à 500 appels par jour »
Mais cette croissance extrême
n’est pas sans poser problème.
Plusieurs employés témoignent
d’une culture d’entreprise extrê­
mement agressive. Vera Ma (elle
ne donne que son prénom an­
glais, par discrétion) a travaillé
au marketing pour une des pla­
tes­formes de l’entreprise. « Mon
travail consistait à passer entre
200 et 500 appels par jour pour
trouver des annonceurs. A chaque
fois qu’on obtenait quelque chose,
par exemple 10 000 yuans de re­
nouvellement, le chef d’équipe
criait : “Untel a renouvelé un con­
trat !” et tout le monde applaudis­
sait. Mais ceux qui n’atteignent
pas leurs objectifs étaient rapide­
ment poussés à démissionner. »
« Cela conduit à une culture des
heures sup : tout le monde reste
tard le soir, souvent jusqu’à
22 heures, à faire semblant de tra­
vailler », raconte Barney Zhou, an­
cien graphiste dans l’entreprise.
Le stress est permanent. 
simon leplâtre
Interdite au Royaume­
Uni, la télé chinoise CGTN
s’en remet à la France
Le CSA doit évoquer le cas de la chaîne,
qui demande à relever de sa compétence
londres ­ correspondance
L es Britanniques pourront­
ils de nouveau regarder
China Global Television
Network (CGTN) ? La bataille fait
rage depuis que, le 4 février, l’Of­
com, le régulateur des télécoms, a
retiré à la chaîne internationale
chinoise sa licence de diffusion,
poussant les deux bouquets satel­
lites Sky et Freesat à la supprimer.
Accusée par l’ONG Safeguards De­
fenders de propagande, la chaîne,
emblème du soft power chinois,
tente visiblement de trouver une
faille juridique dans le mille­
feuille réglementaire européen.
En France, le Conseil supérieur
de l’audiovisuel (CSA) a prévu d’en
discuter lors de sa réunion plé­
nière, mercredi 3 mars. En dé­
cembre 2020, CGTN lui a écrit en
lui demandant si elle pouvait rele­
ver de sa compétence. Pourtant,
l’essentiel de son public se trouve
au Royaume­Uni, même si une
version française de CGTN existe.
Mais se prévaloir du CSA permet,
pour toute chaîne extra­euro­
péenne diffusée sur le satellite,
d’être librement retransmise en
Europe et au Royaume­Uni, con­
formément à la directive sur les
services de médias audiovisuels et
à la Convention européenne pour
la télévision transfrontière (qui re­
lève du Conseil de l’Europe et non
de l’Union européenne, et inclut
donc le Royaume­Uni). Pour cela,
pas besoin de licence particulière,
selon la loi française, comme le
rappelle le CSA. Il suffit de remplir
deux conditions techniques : être
diffusé sur un satellite français et
émettre un signal depuis la
France. Les critères éditoriaux
n’entrent pas en ligne de compte.
Or, CGTN remplit ces deux con­
ditions. « La chaîne est diffusée par
plusieurs satellites d’Eutelsat, et
notamment par le biais de son sa­
tellite paneuropéen. Et le siegnal
est émis depuis la France », con­
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firme une porte­parole de la so­
ciété. Si le régulateur a prévu d’ap­
porter une réponse à CGTN ces
prochains jours, elle ne devrait
être que de pure forme.
« Nous craignons que CGTN ait
l’intention d’utiliser la demande
de licence en France pour contour­
ner le caractère illégal de ses émis­
sions désormais établi dans une
autre juridiction européenne »,
s’est inquiété, auprès du régula­
teur français, Safeguards Defen­
ders, le 24 février.
L’ONG a, depuis 2018, déposé de
nombreuses plaintes contre CGTN
et a réussi à obtenir son interdic­
tion outre­Manche en démon­
trant son appartenance au Parti
communiste chinois. Dans sa let­
tre au CSA, l’ONG rappelle ses
griefs et les manquements épin­
glés par l’Ofcom, citant le traite­
ment de manifestations à Hon­
gkong en 2019 et la diffusion de
confessions forcées « de journalis­
tes, d’avocats, de travailleurs d’ONG
ou d’autres cibles politiques ».
« Manipulation politique »
Le 5 février, un porte­parole du
gouvernement chinois avait qua­
lifié le retrait de la licence par l’Of­
com de « manipulation politi­
que », se réservant « le droit de
prendre des décisions pour sauve­
garder les droits et les intérêts des
médias chinois ». Le 12 février, la
Chine a interdit la diffusion de la
chaîne d’information de la BBC.
Même s’il n’a pas de licence préa­
lable à accorder, le CSA, qui se dit
« vigilant à l’incitation à la haine, à
la violence, à la protection des mi­
neurs et à la dignité humaine »,
contrôle les contenus a posteriori.
En 2004, le conseil avait fait inter­
dire Al­Manar, la chaîne du Hez­
bollah. « A priori, CGTN ne peut pas
contourner l’Ofcom avec une li­
cence du CSA », estime Gill Hind,
d’Enders Analysis. 
éric albert
et sandrine cassini (à paris)
D’ÉCONOMIE ET DE GESTION

16 | économie & entreprise
Les Etats­Unis se divisent sur l’inflation
Le risque de voir les prix augmenter inquiète certains économistes et les marchés financiers
ANALYSE
new york ­ correspondant
L
a hausse du salaire mini­
mum horaire fédéral at­
tendra. Les démocrates
ont, fin février, renoncé à
adopter la hausse de 7,25 dollars
(6 euros) à 15 dollars voulue par le
président Joe Biden, faute de ma­
jorité suffisante au Sénat. Les ex­
perts du Congrès ont jugé qu’il
fallait non pas une majorité sim­
ple, mais une majorité qualifiée
de 60 sénateurs sur 100.
De longues négociations vont
s’engager en faveur d’une hausse
moindre – peut­être 11 dollars –,
mais l’affaire n’aura pas l’ampleur
prônée depuis des années par la
gauche démocrate. Si moins de
2 % des salariés sont au salaire mi­
nimum fédéral, inchangé depuis
2009, son relèvement à 15 dollars
aurait concerné finalement 15 %
de la population active et, sur­
tout, aurait changé radicalement
la donne dans les Etats ruraux des
plus pauvres, de l’Alabama au
Montana, en touchant plus du
quart des travailleurs.
C’était trop pour les républicains,
qui ne veulent pas d’une telle me­
sure en période de chômage, et
pour ceux qui craignent une résur­
gence de l’inflation. Les démocra­
tes se concentrent sur le seul as­
pect budgétaire du plan Biden ; ap­
prouvé par la Chambre des repré­
sentants, il doit être adopté au
Sénat, où les démocrates ne dispo­
sent de la majorité que grâce à la
voix de la vice­présidente des
Etats­Unis, Kamala Harris.
Politique de surchauffe
Ce plan, de 1 900 milliards de dol­
lars, soit près de 10 % du produit
intérieur brut (PIB) est très con­
testé, notamment parmi les éco­
nomistes keynésiens de renom,
Larry Summers, ancien secrétaire
au Trésor de Bill Clinton, et Olivier
Blanchard, ex­économiste en chef
BNP Paribas condamnée en appel
pour « discrimination liée à l’origine »
Après ce jugement, la banque « se réserve le droit d’un pourvoi en cassation »
D ix années au même
poste chez BNP Paribas, à
Evian (Haute­Savoie), et
au final, l’employeur qui déclare
aux syndicalistes venus plaider la
cause de ce salarié que « mieux
vaudrait qu’il aille voir ailleurs que
BNP Paribas s’il veut évoluer », se­
lon le témoignage d’une déléguée
du personnel… Le parcours de
M. B. depuis son embauche
en 2006 comme conseiller en
banque privée − poste dénommé
à l’époque « conseiller en gestion
de patrimoine » − jusqu’à son dé­
part en 2016, lui a laissé un goût
amer. Le cadre a nommé cette sta­
gnation : discrimination.
La cour d’appel de Paris vient de
lui donner raison, en condam­
nant, le 16 février, « la banque d’un
monde qui change » à lui verser
50 000 euros de dommages et in­
térêts « en réparation de l’entier
préjudice subi du fait de la discri­
mination à raison de son origine
arabe ou maghrébine ». Le juge re­
qualifie aussi en licenciement nul
sa prise d’acte de rupture du con­
trat de travail. Ce qui entraîne une
condamnation de 130 000 euros.
Un coup dur pour l’image de la
banque, qui communique sur ses
valeurs de « diversité et inclusion ».
« BNP Paribas dément tout acte de
discrimination, dit une porte­pa­
role. La diversité s’applique de ma­
nière concrète à tous les niveaux
du groupe et représente d’ailleurs
une de ses forces ». Elle estime que
Jerome Powell,
président
de la Reserve
fédérale (Fed),
à Washington,
le 1er décembre
2020.
POOL/REUTERS
du Fonds monétaire international
(FMI). Ce plan comporte deux vo­
lets : l’un destiné à aider les plus
pauvres et les collectivités territo­
riales – il est peu contesté ; le se­
cond vise à envoyer un chèque de
1 400 dollars à chaque Américain
gagnant moins de 75 000 dollars
par an. Cette mesure est jugée inu­
tile – elle n’aide pas les pauvres – et
va gonfler le revenu des classes
moyennes, qui a pourtant aug­
menté en 2020, en raison des aides
massives décidées par l’adminis­
tration Trump et de l’épargne for­
cée en période de pandémie.
Mais Biden est pris dans un récit
politique, qui laisse entendre qu’il
n’y a pas eu de solidarité sous
Trump – c‘est faux – et décrit
« la Cour d’appel ne relève pas de
mesures discriminatoires qui
auraient été prises par la banque à
l’encontre de cet ancien collabora­
teur. Sa décision est pour cette rai­
son particulièrement inattendue. »
M. B. a, selon son avocate, Clara
Gandin, associée du cabinet
Boussard­Verrecchia, « un profil
d’excellence » : détenteur d’un
master en ingénierie financière
de l’école de commerce de Mar­
seille, d’une maîtrise en sciences
économiques et de différents ti­
tres internationaux, ce cadre tri­
lingue (français, anglais et arabe)
avait passé six ans à la National
Bank of Canada avant d’entrer
chez BNP Paribas sur un poste
arabophone où il se crée une
clientèle haut de gamme moyen­
orientale. « Mon chef ne voulait
clairement pas me garder à la fin
de ma période d’essai, il était ra­
ciste », indique M. B. Ce que BNP
Paribas dément.
Salaire sous-évalué
Confirmé sur son poste, il pense
qu’il va convaincre ce chef par les
performances qu’il atteindra
dans son travail puis rebondir
dans quatre ou cinq ans vers un
autre emploi. Il obtient de bons,
voire très bons, résultats. Son
chiffre d’affaires a crû de 1 300 %
entre son embauche en 2006 et
2015, selon les éléments qu’il a
fourni en justice. Et dès 2012, sa
nouvelle cheffe indique qu’il
l’Amérique comme si 2021 était
l’année de la pandémie, alors
qu’elle est celle du rebond, écono­
mique et sanitaire – le nombre de
nouveaux cas de Covid­19 s’est di­
visé par trois depuis début janvier.
Ainsi, M. Blanchard et M. Sum­
mers mettent en garde contre le
risque de l’inflation. Dans un texte
publié par le Peterson Institute de
Washington, M. Blanchard com­
pare la période aux années 1960,
lorsque les administrations Ken­
nedy­Johnson ont fait une politi­
que de la surchauffe, entraînant le
recul du chômage sous la barre des
4 %. L’inflation est passée de 1 % à
un peu moins de 3 %. « En 1967, ce­
pendant, les anticipations d’infla­
tion ont commencé à s’ajuster et,
« M. B. » se porte
candidat à
une quinzaine
de postes. Et
essuie chaque
fois un refus,
« sans avoir eu
un entretien »
« doit pouvoir occuper des fonc­
tions avec des responsabilités élar­
gies ». D’ailleurs, il a obtenu des
augmentations salariales à
trois reprises et le passage à un
grade supérieur. Mais sa carrière
stagne, au point que sa santé se
détériore. Il a des arrêts maladie
et le médecin du travail alerte
l’employeur en 2014 sur sa souf­
france. En vain, ce qui conduit le
salarié à cette prise d’acte.
La cour d’appel estime que son
salaire (de 37 000 euros brut par
an à l’embauche) a été sous­éva­
lué au regard du tableau de com­
paraison avec des collègues. Elle
juge que la différence avec ces der­
niers « n’est pas justifiée de façon
convaincante » par l’employeur.
Ce constat, estime l’arrêt, est
« corroboré par l’augmentation
exceptionnelle de 13 000 euros an­
nuels dont a bénéficié [M. B.] en
avril 2008 sans que l’employeur
s’explique sur celle­ci. » Pour la
en 1969, l’inflation était passée à
près de 6 % et était alors considérée
comme un problème majeur. Les
politiques budgétaire et monétaire
se sont resserrées, entraînant une
récession de la fin de 1969 à la fin de
1970 », met en garde Olivier Blan­
chard. Surtout ne pas croire que
l’inflation est morte sous prétexte
qu’elle a disparu. Et surtout, elle
pourrait revenir brutalement. Les
marchés financiers sont sur cette
ligne, qui craignent une remontée
de l’inflation, comme en témoi­
gne le minikrach obligataire de la
fin février (les taux à dix ans sont
remontés au­delà de 1,5 %, contre
0,38 % début septembre 2020).
Jerome Powell, président de la
Reserve fédérale (Fed, banque
cour, il s’agit, au moins en partie,
d’un « indéniable rattrapage ».
A partir de 2010, M. B. se porte
candidat à une quinzaine de pos­
tes. Et essuiera chaque fois un re­
fus, « sans même avoir eu un en­
tretien », déplore­t­il. La direction
explique au juge qu’il s’agissait de
postes prisés, à forte concurrence.
Mais elle apporte cette explica­
tion « sans produire de justificatifs
plus précis », relève l’arrêt. La di­
rection indique pour sa part lui
avoir proposé des postes, qu’il a
tous refusés. « Il s’agissait de pos­
tes de conseiller banque privée, ce
que j’étais déjà, souligne M. B. On
m’a même proposé un poste au
Maroc à 1 800 euros par mois en
contrat local, qui nécessitait que je
démissionne de BNP Paribas ! »
La cour ne retient pas le « harcè­
lement discriminatoire » mais elle
déduit de l’ensemble des faits re­
levés que, face aux accusations de
M. B., l’« employeur ne démontre
pas que les conditions financières
d’embauche et les décisions prises
quant à [son] évolution de carrière
et [son] absence de mobilité
étaient étrangères à tout motif de
discrimination à raison de son ori­
gine maghrébine ou arabe. Il en
découle que l’existence d’une dis­
crimination est établie ». « C’est
une décision courageuse », estime
Me Gandin. BNP Paribas indique
qu’elle « se réserve le droit d’un
pourvoi en cassation ». 
francine aizicovici
centrale américaine) assure qu’il
n’y a pas de risque inflationniste.
Il rappelle sans cesse qu’une di­
zaine de millions d’emplois ont
été détruits depuis le début de la
pandémie. Le taux d’emploi des
Américains n’était, en janvier, que
de 57,5 %, contre 61,1 % un an plus
tôt. Les Etats­Unis n’ont jamais re­
trouvé le niveau de 64,4 %, qui
prévalait au tournant du siècle.
Le président de la Fed est
échaudé par la dernière décennie :
il a fallu attendre la fin de l’ère
Obama pour que les Etats­Unis
sortent enfin du chômage et que
les bas salaires commencent enfin
à frémir. Il s’esttrompé au début de
son mandat, en 2018, relevant plus
que nécessaire les taux d’intérêt,
PERTES & PROFITS | VESTIAIRE COLLECTIVE
par phili ppe esc ande
Une licorne
française de luxe
La mode est par définition le
monde de l’éphémère, du chan­
gement perpétuel. Du grand gâ­
chis, aussi, symbolisé par l’essor
de la « fast fashion », cette mode à
si petits prix qu’on peut changer
d’habit… comme de chemise.
Mais, aujourd’hui, le consumé­
risme à outrance est, lui aussi,
passé de mode, préoccupation
environnementale oblige. Pour
réconcilier ces appétits contradic­
toires de renouvellement, d’éco­
nomie et d’écologie, le marché de
l’occasion est devenu tendance.
Le champion du jour est Ves­
tiaire Collective. Née en 2009, la
société s’est spécialisée dans le
domaine pourtant le plus éloigné,
en apparence, des problèmes de
fin de mois et d’écologie : le
monde du luxe. L’entreprise est
devenue le leader européen de la
vente en ligne de vêtements et
d’accessoires de luxe d’occasion.
Un loup dans la bergerie
Elle a annoncé, lundi 1er mars, une
nouvelle levée de fonds de
178 millions d’euros. Selon la so­
ciété, l’opération valorise l’entre­
prise à plus de 1 milliard d’euros,
lui ouvrant les portes du club très
fermé des licornes françaises.
Cette dizaine d’entreprises non
cotées dont la valeur dépasse le
milliard, à l’instar de Veepee, Bla­
blacar ou Doctolib.
Elle brise, à son tour, le plafond
de verre qui a souvent cantonné
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
Les observateurs
craignent que la
banque centrale
américaine
n’intervienne
que très tard,
voire trop tard
au grand dam de Trump, avant de
devoir faire machine arrière. Ajou­
tons les gains de productivité ma­
nifestes avec la numérisation accé­
lérée par le Covid­19, et il semble
que la spirale inflation­salaire soit
improbable, même si M. Powell
n’exclut pas une hausse des prix
isolée lors du déconfinement, lors­
que les ménages auront une frin­
gale de consommation.
Sauf que les acteurs économi­
ques ne voient pas la situation
ainsi. Les observateurs craignent
que la Fed n’intervienne que très
tard, voire trop tard, tant elle a fait
du plein­emploi sont premier ob­
jectif. Les ménages anticipent une
inflation à 3 % sur douze mois, se­
lon l’université du Michigan,
alors qu’elle était limitée, fin jan­
vier, à 1,4 % sur un an.
La hausse des prix est dure à me­
surer dans une période de pénu­
rie : les coûts des biens comme le
tourisme ont baissé – mais y a­t­il
un sens à les comptabiliser, alors
qu’ils ne sont pas disponibles ?
D’autres ont augmenté, le pétrole
s’envole, le prix des maisons indi­
viduelles bondit, de même que le
cours des actions. Des acteurs ob­
servent que les déficits publics de
l’Etat fédéral seront supérieurs à
10 % du PIB pour l’exercice clos fin
septembre 2021, après les 15 % de
2020. Celui­ci n’entraînerait pas
nécessairement une hausse de
l’inflation, mais plutôt une dépré­
ciation du dollar. 
arnaud leparmentier
les jeunes start­up françaises
dans leur pré carré hexagonal.
Présente dans 70 pays, la plate­
forme veut accélérer son déve­
loppement international et ren­
forcer sa compétence logicielle.
Mais Vestiaire Collective en
profite aussi pour faire rentrer
un très gros loup dans sa berge­
rie. Le groupe Kering va prendre
5 % du capital de la société. Il a
fallu du temps pour convaincre
les géants du luxe d’investir dans
des entreprises dont l’objectif est
de détourner des clients poten­
tiels de leurs magasins. Mais le
mouvement est désormais trop
puissant pour être ignoré. Le ca­
binet de conseil BCG estime le
marché mondial de la revente de
mode autour de 40 milliards de
dollars (33,3 milliards d’euros), en
croissance de 15 % à 20 % par an.
Déjà, Alexander McQueen, l’une
des marques phares de l’empire
Kering a passé un accord avec
Vestiaire Collective. Ses clients
peuvent désormais venir déposer
en boutique les vêtements dont
ils ne veulent plus et qui seront
mis en vente sur la plate­forme.
Ils bénéficieront en retour d’un
bon d’achat. Il n’est pas certain
que cela contribuera à sauver la
planète, mais c’est un bon moyen
d’élargir le marché du luxe à de
nouveaux clients. Dans le capita­
lisme comme en chimie, rien ne
se perd, rien ne se crée, tout se
transforme. 
0123
MERCREDI 3 MARS 2021 économie & entreprise | 17

londres ­ correspondance

L
es caisses sont prêtes,
bien alignées, rem­
plies de produits ali­
mentaires pour tenir
trois jours, mais que
la plupart des bénéfi­
ciaires font durer bien plus long­
temps : du lait, des fruits et légu­
mes, des œufs, des boîtes de
soupe… Sur chacune est posée
une note personnalisée en fonc­
tion des besoins. Ici, une famille
de trois enfants a besoin de cou­
ches­culottes, de lait pour nour­
risson et de shampooing pour
bébé. Là, un homme seul n’a pas Des bénévoles rangent des produits à la banque alimentaire de Norwood et Brixton, dans le sud de Londres, le 27 octobre 2020. DAN KITWOOD/GETTY IMAGES VIA AFP
d’ouvre­boîtes et ne possède ni
casseroles, ni assiettes, ni cou­
verts : il faut adapter les dons en
fonction. Une troisième souhaite­
rait des serviettes hygiéniques et
des produits pour le ménage.
PLEIN CADRE

Avec le Covid, la pauvreté

Depuis le début de la pandémie,
la banque alimentaire de Brixton
et West Norwood, dans le sud de
Londres, croule sous les deman­
des. D’avril à novembre 2020, elle

est venue en aide à 25 500 person­
nes, plus du double de l’année
précédente. Et la tendance se con­
firme depuis. Dans cette banlieue
résidentielle de la capitale britan­
nique, la grande misère a fait un
bond pendant les confinements.
Selon le National Institute of
Economic and Social Research
(NIESR), un groupe de réflexion,
l’extrême pauvreté (définie à
70 livres sterling, soit 80 euros,
par semaine pour un adulte seul,
après le coût du logement) a dou­
blé au Royaume­Uni pendant la
pandémie, et est passée de 0,7 % à
1,5 % de l’ensemble des foyers.
« On a vu apparaître des gens qui
n’auraient jamais cru qu’ils se re­
trouveraient un jour dans une
banque alimentaire, explique Ali­
son Inglis­Jones, membre du con­
seil d’administration de la ban­
que alimentaire. Des gens qui tra­
vaillaient dans l’événementiel, les
commerces, les restaurants… »
LES TROUS DU FILET SOCIAL
Ou des gens comme Omar (nom
d’emprunt), 43 ans, un ancien
warden (sorte de policier munici­
pal) de la mairie de Southwark, au
sud de Londres, qui s’apprête à re­
cevoir le premier don alimen­
taire de sa vie. « Il y a un an, j’avais
une idée préconçue du genre de
personnes qui vont dans les ban­
ques alimentaires, et jamais je
n’aurais cru que ça pourrait me
concerner, explique­t­il, encore
surpris de sa situation. Intérieure­
ment, je me dis que je suis différent
de tous ces gens. Et pourtant, mon
frigo est vide. »
Il nous reçoit dans son char­
mant petit appartement de Cam­
berwell, dans le sud de Londres,
avec un salon débordant de plan­
tes vertes qu’il bichonne, et son
caniche noir, « [s]a priorité ». La
malchance a fauché Omar à deux
reprises en deux ans. La première
fois au printemps 2019, quand il a
fait une mauvaise chute dans le
cadre de son travail. Une inter­
vention chez une dame, un petit
escabeau sur lequel il est monté,
et une bête culbute à la renverse,
sans rien pour se retenir. Aujour­
a doublé au Royaume­Uni
L’économie britannique a été l’une des plus touchées
du monde par la pandémie liée au coronavirus. C’est dans
ce contexte qu’est présenté le budget 2021, mercredi 3 mars
d’hui, il a une main déformée, de
fortes douleurs dans le dos et
aucune sensation au pied gauche.
Il est en arrêt maladie depuis no­
vembre 2019.
Le deuxième coup de mal­
chance a été la pandémie. Alors
que ses collègues de la mairie de
Southwark étaient placés au chô­
mage partiel, lui n’y a pas eu
droit : étant désormais bénéfi­
ciaire à plein­temps d’indemnités
maladie, et non d’un salaire, il n’a
pas été considéré comme entrant
dans la bonne case.
Progressivement, l’étau s’est
resserré. Avec le temps, ses in­
demnités ont baissé, avant de se
transformer en allocations socia­
les minimales. En un an, il est
passé d’un salaire net de 2 500 li­
vres par mois à 1 300 livres d’in­
demnités. A peine de quoi couvrir
son loyer de 1 100 livres, qui, lui,
n’a pas changé. « Au début, j’ai uti­
lisé mes économies, puis j’ai com­
mencé à accumuler les dettes sur
mes cartes de crédit, j’ai payé mes
factures en retard… Ce n’est que ré­
cemment que j’ai eu la force de de­
mander de l’aide. » Et de faire ap­
« Nous avons
beaucoup aidé,
très tôt, et cela
va continuer,
que les gens
se rassurent »
RISHI SUNAK
chancelier de l’Echiquier
pel à une banque alimentaire.
Quant à ses soins, pourtant ur­
gents, ils ont été repoussés par les
hôpitaux, débordés par le Covid.
Omar n’a eu qu’un seul rendez­
vous médical à l’automne 2020, et
en attend un deuxième en mars.
Il apprend aujourd’hui les ficelles
des gens pauvres : « J’ai découvert
que le supermarché local fait des
rabais le mardi soir, sur les pro­
duits aux dates de péremption
presque dépassées. J’y retrouve
souvent les mêmes têtes, des gens
qui viennent là chaque semaine, à
la recherche de bonnes affaires. »
Le cas d’Omar illustre les nom­
breux trous du filet social britan­
nique. Face à la pandémie, le
Royaume­Uni a pourtant mis en
place un système d’aides géné­
reux, sur le modèle européen. Le
chômage partiel, qui n’existait
pas, a été créé de toutes pièces.
Des prêts garantis par l’Etat ont
été débloqués, des aides spéciales
pour les autoentrepreneurs ont
été offertes, certains secteurs
(culture, pubs et restaurants, as­
sociations caritatives…) ont reçu
des aides ciblées… Au total, selon
les calculs du Fonds monétaire
international, le déficit public
pour 2020 a été de 16,5 % du pro­
duit intérieur brut (PIB), nette­
ment plus que la France (10,8 %)
ou l’Italie (13 %).
Le chancelier de l’Echiquier,
Rishi Sunak, qui doit présenter le
budget 2021 mercredi 3 mars, a
promis de maintenir les aides
tant que les restrictions sanitaires
perdureront. « Nous avons beau­
coup aidé, très tôt, et cela va conti­
nuer, que les gens se rassurent »,
« Un membre
de la famille qui
tombe malade, et
c’est tout de suite
la catastrophe »
ALISON INGLIS-JONES
membre du conseil
d’administration
de la banque alimentaire
expliquait­il à la BBC dimanche
28 février.
Reste que le choc a été terrible.
Le Royaume­Uni a été, pour les
grands pays, l’économie la plus
touchée au monde, juste après
l’Espagne. Son PIB a chuté de
9,9 % en 2020, contre 8,3 % en
France et 5 % en Allemagne.
« Ce recul de 10 % est la consé­
quence d’un des pires bilans de la
pandémie », explique Gregory
Thwaites, économiste à la Reso­
lution Foundation, un groupe de
réflexion. Avec 184 morts pour
100 000 habitants, le Royaume­
Uni a une mortalité une fois et
demie plus forte qu’en France.
Pour enrayer l’épidémie, le gou­
vernement britannique a dû im­
poser des périodes de confine­
ment plus longues qu’ailleurs :
trois mois et demi au printemps
2020, un demi­confinement en­
tre octobre et décembre, et un
nouveau confinement complet
depuis le 4 janvier.
« Nous avons aussi une écono­
mie qui est plus orientée
qu’ailleurs vers la consommation
de services (restaurants, pubs,
théâtres, tourisme…), et qui est
donc plus touchée par les restric­
tions sanitaires », ajoute M. Thwai­
tes. Quant au Brexit, qui est pres­
que marginal à l’échelle de cette
crise, il a quand même fortement
ralenti les échanges commer­
ciaux de ce début d’année.
Le succès de la campagne vacci­
nale, avec 20 millions de Britanni­
ques qui ont reçu une première
injection, laisse espérer un fort re­
bond économique au second se­
mestre, mais, en attendant, la
casse sociale a été inévitable.
DES FAIBLESSES
« Cette crise est venue illustrer qu’il
existe en permanence une large
population qui se trouve juste au­
dessus du seuil de l’extrême pau­
vreté », souligne Arnab Bhatta­
charjee, économiste au NIESR.
« Beaucoup de foyers sont en per­
manence au bord du gouffre,
abonde Mme Inglis­Jones. Un frigo
qui lâche, un membre de la famille
qui tombe malade, et c’est tout de
suite la catastrophe. »
Tracey le sait trop bien. Cette
mère de trois enfants, devenue
veuve en 2019, a perdu son emploi
dans un pub au début de la pandé­
mie. En avril 2020, le versement
de l’allocation sociale à laquelle
elle avait droit a pris cinq semai­
nes pour arriver sur son compte
en banque, ce qui était intenable.
« Je n’ai jamais eu aussi honte qu’en
allant à la banque alimentaire,
même si on m’y a très bien reçue.
Cela m’a donné l’impression de ne
même pas être capable de nourrir
mes propres enfants. » Depuis, elle
n’y est plus retournée, mais conti­
nue à compter chaque centime.
« On prend des toasts au petit dé­
jeuner parce que les céréales sont
trop chères, à cause du lait que cela
oblige à acheter », explique­t­elle.
Impossible pour elle de chercher
un emploi tant que les écoles sont
fermées (elles doivent rouvrir le
8 mars), il lui faut pour l’instant
jongler avec les seules allocations
sociales.
En remontant l’échelle sociale,
l’impact de la pandémie laisse
aussi craindre des dégâts. Au pre­
mier abord, le marché du travail
semble avoir résisté. Le taux de
chômage est passé de 3,8 % en dé­
cembre 2019 à 5,1 % un an plus
tard. Une hausse relativement li­
mitée. « Il y a un an, avec une chute
du PIB de 10 %, j’aurais pensé que le
chômage progresserait bien plus
vite », souligne M. Thwaites.
Néanmoins, cette statistique ca­
che des faiblesses. M. Thwaites a
calculé que près de 2 millions de
Britanniques sont désormais soit
au chômage, soit au chômage
partiel depuis au moins six mois :
« Ce sont deux millions de person­
nes qui ne progressent plus dans
leur carrière ou leur salaire. »
Gordon, un Singapourien pré­
sent depuis longtemps à Londres,
est de ceux­là. Il a longtemps tra­
vaillé pour un sous­traitant four­
nissant les repas servis à bord de
British Airways. Avec la pandé­
mie, les avions sont cloués au sol
et il n’a plus d’activité. L’entre­
prise l’a conservé au chômage
partiel, espérant reprendre son
activité une fois la page sanitaire
tournée. Mais, en décembre 2020,
elle a choisi de mettre les choses
au clair, avec un grand plan de li­
cenciement, dont Gordon a fait
les frais. L’avenir économique du
Royaume­Uni dépend largement
de la façon dont Gordon et les
millions de gens dans son cas par­
viennent à rebondir. 
éric albert
18 | campus 0123
MERCREDI 3 MARS 2021

Etudiants : la grande disparité des cours à distance

Du simple fichier PDF à des interactions en ligne de qualité, les réalités pédagogiques sont très contrastées

C
inq objets non identifiés
viennent de s’échouer
sur Terre. Sont­ils en­
voyés par une vie extra­
terrestre ? Dans quel but ? Ce
jour­là, 25 étudiants en deuxième
année de licence de physique à
l’université Paris­Saclay doivent
entrer en contact avec les habi­
tants du globe qui les ont retrou­
vés et décrypter leur message.
Pour cela, il faut leur apprendre, à
distance, à construire un micros­
cope avec un smartphone, ou à
mesurer la résonance acoustique
avec du papier toilette.
Pour cause de pandémie, le
cours se déroule en ligne et les
« habitants » et experts, incarnés
par leurs deux professeurs, sont
contactés par visio. La fiction
vient créer « une respiration dans
leur vie d’étudiant à distance », ex­
plique l’enseignant Julien Bobroff.
« Un travail en groupe participatif
un peu décalé, qui les sort de la soli­
tude, tout en conservant les mê­
mes enjeux pédagogiques et scien­
tifiques », complète le physicien.
Interactivité, aspect ludique,
créativité… Tous les étudiants sont
loin d’avoir ce genre de cours.
Passé la stupeur initiale du pre­
mier confinement, l’organisation
des cours en ligne est restée très
disparate selon les établissements,
les filières et les enseignants – une
grande hétérogénéité qui souligne
des inégalités structurelles au sein
de l’enseignement supérieur. Si
certains jeunes se félicitent d’être
bien accompagnés, d’autres
racontent se noyer dans des heu­
res de monologues froids apposés
sur des diaporamas. Une partie
s’estime même « abandonnée ».
« Certains enseignants ne don­
nent même pas de cours en visio.
Ils nous envoient juste des PDF. Je
peux avoir la même chose en foui­
nant sur Wikipédia », note ainsi un
étudiant de 20 ans en licence
d’histoire à Lyon­III, qui constate
que la « fracture numérique » tou­
che « aussi » les professeurs. Nata­
cha, en troisième année de licence
science politique­droit à Lyon­III,
ne reçoit des audios enregistrés
que dans certaines matières, et
FORMATIONS AUX MÉTIERS
dans une autre uniquement des
PDF « de 90 pages ». « C’est si long
à éplucher seule, sans pouvoir po­
ser de questions en direct », déplo­
re­t­elle. A cela s’ajoutent des
aberrations d’emploi du temps.
« Le mardi, j’ai neuf heures de cours
en visio, sans pause. Je finis rapide­
ment par décrocher. »
François Germinet, président de
CY Cergy Paris Université et de la
commission formation de la
Conférence des présidents d’uni­
versité (CPU), soutient que, depuis
le printemps, « une vraie dynami­
que d’ensemble s’est mise en
place ». Mais il ne cache pas que de
nombreux facteurs conduisent à
des réalités pédagogiques contras­
tées : « La maîtrise individuelle des
enseignants – certains étaient déjà
plus agiles que d’autres sur le numé­
rique –, le type de discipline ensei­
gnée, la taille des promotions… »
Toutefois, en matière de trans­
formation pédagogique et techno­
logique, c’est surtout sur la ques­
tion des moyens que le bât blesse.
car nos étudiants
Le ministère de l’enseignement
supérieur a débloqué des fonds
pour permettre aux universités de
s’équiper : 21 millions d’euros dans
le cadre d’un appel à projets pour
l’hybridation des formations orga­
nisé à l’été 2020, plus 35 millions
du plan de relance de septembre.
Université sous-dotée
Reflets de politiques d’établisse­
ments et de décisions budgétaires,
les investissements pour soutenir
l’organisation des cours à distance
se révèlent très disparates selon
les universités. D’après l’agence
spécialisée AEF, l’université de Ver­
sailles­Saint­Quentin a investi
750 000 euros dans la numérisa­
tion de ses cours, pour 19 000 étu­
diants, soit 40 euros par étudiant,
tandis qu’à Rouen c’est 22 par
élève, et 21 à l’université de Fran­
che­Comté. L’écart est encore plus
ANNA WANDA GOGUSEY
note Mathias Millet, sociologue à
« Rejeter l’université de Tours, coauteur
le numérique, de L’Université pour quoi faire ?
(PUF, 120 p., 9,50 euros). Former un
ce n’est pas étudiant en classe prépa coûte
pardonnable 15 000 euros par an à l’Etat, contre
8 000 euros pour un jeune à l’uni­
versité. « Quant aux écoles privées,
sont en vraie avec un budget et un taux d’enca­
drement incomparables, elles ac­
détresse » cueillent les élèves les plus favorisés
JULIEN BOBROFF socialement, et les mieux disposés
enseignant de physique à suivre les cours en ligne. »
à l’université Paris-Saclay Une enquête de l’Observatoire
de la vie étudiante indique que
48 % des élèves en école de com­
merce et 44 % en école d’ingé­
nieurs ont été « satisfaits » de la
continuité pédagogique pendant
le premier confinement, contre
36 % pour ceux inscrits à l’univer­
sité. « En école, on est en petit nom­
bre, les professeurs nous connais­
sent tous. Ils prennent le temps de
parler avec chacun de nous », té­
moigne Audrey, en master de mar­
keting digital à Digital Campus.
« Tout a été mis à disposition pour
un bon accompagnement en ligne,
raconte aussi Axel Podembski, en
deuxième année à l’Essec. On ne
perd jamais de temps avec les bugs,
front sur les dix dernières années »,
indique François Germinet. Face
aux changements d’organisation
qui se succèdent, la différence se
fait aussi au niveau de l’adminis­
tratif. « Dans mon département, à
l’université de Tours, on n’a que
deux secrétaires pour 1 000 étu­
diants, qui ont déjà refait cinq fois
les emplois du temps, regrette le
chercheur Mathias Millet. Alors on
est au four et au moulin. »
Au­delà des moyens, certains
s’investissent davantage dans la
pédagogie numérique. Le physi­
cien Julien Bobroff diffuse des tu­
tos de solutions pédagogiques
« peu chronophages ». Casser la lé­
thargie du cours magistral avec
des astuces « brise­glace », tirer
parti de logiciels venus du monde
du jeu vidéo pour dynamiser la vi­
sio… Avec ce constat, pourtant :
« On bénéficie d’une grande liberté
à l’université mais il n’y a aucun
modèle ascendant qui permette de
propulser de nouvelles pratiques. »
« L’organisation est très fine »
Toutefois Julien Bobroff ne se fait
pas « prédicateur pronumérique »
– « rien ne remplace le présen­
tiel » – et il sait que les enseignants
n’ont pas tous la même culture di­
gitale. « Pour autant, cela ne doit
pas être une excuse pour ne rien
faire : rejeter le numérique en se di­
sant qu’on attendra le retour en
présentiel, ce n’est pas pardonna­
ble car nos étudiants sont en vraie
détresse », estime­t­il.
Quant au retour en cours « un
jour par semaine », annoncé par
Emmanuel Macron, là encore les
étudiants ne sont pas tous logés à
la même enseigne. La mesure, des­
tinée à lâcher du lest sans dépasser
20 % des capacités des campus, a
généré un vrai casse­tête dans les
facultés. « L’organisation est très
fine car il ne faut pas qu’un étudiant
se retrouve avec un cours à la fac à
8 h 30 et un à distance à 10 h 30. On
trouve aujourd’hui un mélange de
diverses composantes et options
dans une même filière », explique
François Germinet.
Orane, en DUT information­
communication à Caen, n’ayant
plus les moyens de payer son loyer,
est rentrée chez ses parents à Nan­
tes. « Maintenant, on nous propose
de revenir une fois toutes les deux
semaines pour quatre TP, mais avec
les quatre heures de route, ce n’est
pas jouable », explique la jeune
femme de 20 ans. Elle fait partie
des 40 % d’étudiants qui, selon la
ministre Frédérique Vidal, restent
en distanciel. Axel, de l’Essec, peut
retourner à l’école « une semaine

DU CINÉMA,
grand avec les grandes écoles : l’assistance aux enseignants se fait sur deux ». « A distance, ça se passe
Rennes SB déclare avoir investi en un coup de téléphone. » bien aussi. De grands écrans ont été
104 euros par étudiant, le pôle uni­ Dans les facs, les ingénieurs pé­ installés dans chaque salle. L’ensei­
DU SON versitaire Léonard­de­Vinci 133 et
l’Essec culmine à 322. « La crise met
dagogiques ne sont pas toujours
disponibles. « Leur nombre, très
gnant a toute la mosaïque d’élèves
sur Zoom en même temps que ceux

ET DU FILM cruellement en évidence la sous­

dotation majeure de l’université »,
disparate, dépend des investisse­
ments de chaque université sur ce
en présentiel. » 
alice raybaud

D’ANIMATION
« Les cours en visio demandent plus d’énergie et de concentration »
Diplômes visés par
l’État à BAC +3 charlotte jacquemot, chercheuse en
sciences cognitives à l’Inserm, explique que,
hormis quelques cours en présentiel, la plu­
part des étudiants suivent, depuis le mois
CANDIDATER SUR d’octobre, leurs cours sur écran. Certains fi­
nissent leur journée avec une fatigue men­
tale, aussi appelée « Zoom fatigue », en lien
direct avec le suivi des cours en ligne, qui
s’inscrit dans un contexte plus global de
stress engendré par la crise sanitaire.
Pourquoi l’interaction par écran
de capter l’attention. Se voir soi­même à
l’écran est aussi un objet de distraction,
nous avons tendance à nous regarder, à vé­
rifier si nous avons l’air sérieux. Enfin, il y a
une chose à laquelle on ne fait pas telle­
ment attention, mais qui a des effets : c’est
le délai de transmission. Les décalages en­
tre l’image et le son rendent la communica­
tion moins fluide et demandent un effort
supplémentaire pour traiter l’information
transmise. Pour toutes ces raisons, la visio­
conférence requiert de l’énergie et de la
du tout la même compréhension du con­
tenu ni la même perception du cours. Il est
impossible d’avoir une attention aussi sou­
tenue en distanciel qu’en présentiel pen­
dant plusieurs heures d’affilée. La charge
cognitive est si élevée que les étudiants vont
rater des informations. Le contenu va être
moins bien assimilé.
Quelles sont les solutions contre
cette fatigue mentale ?
Il faudrait au moins un quart d’heure de

6 MARS
demande­t­elle plus de concentration ?
PORTES De nombreuses informations implicites
OUVERTES passent par des signaux non verbaux,
PARIS 15ÈME comme les expressions faciales, la gestuelle
ou la posture. Ces signaux, les étudiants
I N S C R I P T I O N O B L I G AT O I R E vont les cerner de manière moins saillante
en visioconférence. En outre, le médaillon
135, avenue Félix Faure PARIS 15ème 01 44 25 25 25 dans lequel apparaît leur professeur sur
concentration en plus : c’est de l’attention
que les étudiants ne vont pas porter sur le
contenu du cours en lui­même.
Des étudiants « enchaînent » des visio­
conférences. Est­ce contre­productif ?
Des expériences ont été menées avant le
Covid­19 : des étudiants suivaient le même
pause entre chaque cours pour que les étu­
diants aient le temps de faire un « reset ».
Cette pause, il ne faut pas qu’ils la consa­
crent à regarder une vidéo sur YouTube,
mais plutôt à marcher, quitte à aller cinq
minutes dans la rue, pour changer d’envi­
ronnement et pour que la focalisation vi­
suelle ne soit pas que sur l’ordinateur. Car

www.esra.edu
Zoom ou Teams est tellement petit qu’ils
sont contraints de porter énormément
d’attention à son visage pour distinguer ces
Enseignement supérieur technique privé reconnu par l’État données. De la même façon, il n’y a plus de
contact visuel avec l’enseignant, alors que
c’est un vecteur très important qui permet
cours, pour certains en visioconférence et
pour d’autres en présentiel. Elles ont mon­
tré que ceux qui étaient à distance se focali­
saient davantage sur l’enseignant et la façon
dont ils le percevaient que sur le contenu du
cours. Résultat : les étudiants n’avaient pas
pendant une journée, les étudiants vont
fixer un point qui est à 50 cm de leurs yeux.
Ce n’est pas physiologique : notre système
visuel n’est pas du tout fait pour ça. 
propos recueillis par
romane pellen
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
Miser sur les jeunes talents… et les garder
LES DÉFIS DU FOOTBALL FRANÇAIS 1|4 Avec un marché
des transferts menacé de récession,
le modèle du « trading » des jeunes
footballeurs est désormais remis en cause
L’
anglicisme aurait de
quoi horripiler un
membre de l’Académie
française. Depuis six
ans, dirigeants du football, agents
de joueurs, journalistes usent et
abusent du mot « trading ». Der­
rière la facilité et l’effet de mode, il
y a un modèle économique pré­
senté comme la martingale pour
équilibrer des budgets de clubs
structurellement en déficit. La re­
cette ? Parier sur des talents émer­
gents sortis du centre de forma­
tion ou achetés plus jeunes
ailleurs, les « valoriser » et atten­
dre une offre de rachat juteuse.
Alors président de l’Olympique
de Marseille, Vincent Labrune
– aujourd’hui à la tête de la Ligue
de football professionnel (LFP) –
avait été le premier dirigeant à
vanter les mérites de ce modèle
dans un entretien au magazine
France Football, en 2015. Les clubs
de Monaco, puis Lille ont poussé
loin cet art du négoce grâce au ré­
seau d’un seul et même homme :
le directeur sportif, Luis Campos.
Le Portugais a quitté le club nor­
diste en décembre 2020, antici­
pant le départ de son président, le
financier Gérard Lopez, zélateur
revendiqué du trading.
Avec Olivier Létang, le nouveau
patron du LOSC, le ton a changé.
« On veut passer à un modèle plus
mesuré et plus classique, a avancé
l’ex­président du Stade rennais
lors de sa première prise de pa­
role, le 21 décembre. Quand vous
devez absolument vous qualifier
pour la Ligue des champions l’an­
née suivante et qu’il faut absolu­
ment vendre pour 100 millions ou
150 millions d’euros de joueurs,
c’est beaucoup de pression. »
Il faut replacer le propos dans
son contexte. Entre les consé­
quences du huis clos imposé par
la situation sanitaire et la pers­
pective d’une baisse des droits té­
lévisuels après le fiasco Mediapro,
l’un des piliers de son modèle
économique, le football français
découvre que la récession guette
un marché des transferts jus­
que­là florissant, et duquel il est
aussi fortement dépendant.
Prémices de cette baisse à venir,
les clubs de Ligue 1 et Ligue 2 ont
vendu en janvier pour seulement
« A Toulouse, nous ne sommes pas dans une démarche spéculative »
Pour Damien Comolli, président du Toulouse FC, un club ne doit pas compter sur les seuls transferts pour équilibrer ses finances
ENTRETIEN
R ecruteur pour Monaco et
Arsenal, directeur sportif
de Liverpool, Damien Co­
molli est devenu, en juillet 2020,
président du Toulouse Football
Club (TFC), tout juste racheté par
le fonds d’investissement améri­
cain RedBird. Hostile au modèle
du « trading », le patron des Vio­
lets (troisièmes de Ligue 2) sou­
haite conserver ses jeunes talents
sur un cycle plus long.
En dehors des prêts, il y a eu
très peu de mouvements lors
du marché des transferts de
joueurs en janvier. Est­ce
annonciateur d’un mercato
estival plus raisonnable ?
Cela laisse penser qu’on aura un
marché très calme, déflationniste
à la fois au niveau des indemnités
des transferts et des salaires. Les
joueurs en fin de contrat au
30 juin auront pour la plupart du
mal à retrouver le même niveau
salarial. On va observer moins de
28 millions d’euros d’« actifs
joueurs », contre 174 millions lors
du mercato hivernal un an plus
tôt. « Dans un marché amené à
devenir plus rationnel, on va
moins payer la potentialité d’un
joueur, c’est­à­dire sa valeur sup­
posée à la revente », avance l’éco­
nomiste Pierre Rondeau.
Le « tout trading » aurait donc
vécu. Il y aurait urgence à s’adap­
ter. « Il s’agit d’un modèle qui a
fonctionné, mais qui reste écono­
miquement aléatoire si la dynami­
que inflationniste sur les transferts
n’est pas maintenue, développe ce
professeur à la Sports Mana­
gement School. Les Anglais sont le
moteur de cette inflation. Or, ils su­
bissent des pertes colossales avec
l’absence de public, et les accords
conclus dans le cadre du Brexit limi­
tent le nombre de joueurs éligibles
à un transfert au Royaume­Uni. »
Regard critique
L’agent Yvan Le Mée a dressé sa
liste : « Sur les 65 joueurs que je re­
présente avec mes associés, une
vingtaine sont éligibles à un départ
en Angleterre. » La sagesse a rat­
trapé la Premier League, la pre­
mière division anglais, indique
l’agent. L’heure ne serait plus « à
mettre 40 millions sur un gamin de
20 ans avec une demi­saison en Li­
gue 1 », référence au Stéphanois
Wesley Fofana parti pour Leicester
en septembre 2020. Ce transfert a
contribué à maintenir à flot les
comptes de l’AS Saint­Etienne.
Ce qui n’a pas empêché le mana­
geur des Verts, Claude Puel, de po­
ser un regard critique sur cette pra­
tique, début février. « Il faut faire
moins de trading, moins compter
sur les transferts, ne pas toujours
vouloir développer des joueurs avec
un certain profil dans le but de les
vendre à l’étranger », a plaidé l’an­
cien manageur de… Leicester.
Une série en quatre volets
Le football français est au bord du naufrage : il subit un huis clos
synonyme de zéro recettes, et a vu s’envoler une bonne part de
la manne télévisuelle avec la défection de Mediapro. La crise
souligne les limites d’un modèle dépendant des droits de diffu-
sion et des transferts. Outre le besoin d’un autre système de ges-
tion des joueurs, « Le Monde » a identifié trois chantiers possibles
de réforme qui feront l’objet d’articles dans les jours à venir :
la masse salariale, la place des supporteurs, la qualité du jeu.
transferts et une réduction des ef­
fectifs. Cette situation risque de
durer jusqu’à la saison 2022­2023.
Contrairement à d’autres diri­
geants, vous avez une position
critique sur le « trading ». Que
reprochez­vous à ce modèle ?
Je n’appelle pas ça du trading
mais de la spéculation. Prenez la
Juventus, qui a 120 joueurs sous
contrat mais tourne avec un
noyau dur de 25 au maximum.
Pourquoi en avoir autant ? Cela
permet d’ajouter un revenu sup­
plémentaire – notamment pour
rester dans les clous du fair­play
financier – avec la vente de
joueurs qu’ils n’ont aucune inten­
tion d’utiliser en équipe pre­
mière. L’idée, c’est de les acheter
1 million pour les revendre 5.
Ce n’est pas exactement le
modèle des clubs français…
Avec le trading, les clubs sont
dans un système où ils se disent :
« On a un déficit d’exploitation im­
portant tous les ans, mais ce n’est
Wesley
Fofana (à
droite), lors
d’un match
contre
Bordeaux,
en mars
2020. A
19 ans, le
Stéphanois
a été
transféré
à Leicester
(Angleterre)
pour
35 millions
d’euros.
JEAN-PHILIPPE
KSIAZEK/AFP
Dans un entretien au magazine
So Foot peu de temps avant, le
même Puel avait décrit la France
« comme le centre de formation du
Big Four européen [les champion­
nats anglais, allemand, espagnol
et italien] » et souligné qu’« à l’ex­
ception de Paris et un peu de Lyon,
aucune équipe n’est capable de con­
server une ossature pendant deux
ou trois saisons ». A commencer
par les joueurs issus de la forma­
tion. Directeur sportif du SCO
d’Angers, Sébastien Larcier par­
tage ce constat : « Dès qu’on a un
garçon sélectionné dans les équipes
de France de jeunes, il est suscepti­
ble de partir à l’étranger alors qu’il
n’a parfois pas mis les pieds en Li­
gue 1. » Face à un marché annoncé
plus raisonnable cet été, et à des
clubs anglais moins agressifs, le di­
rigeant angevin voit la bouteille à
moitié pleine : « Les agents anglais
m’ont fourni la liste de nos joueurs
pas grave, on va le combler en ven­
dant des joueurs. » Je n’adhère pas
du tout à ce raisonnement.
Le TFC a vendu cet hiver Manu
Koné (19 ans) aux Allemands
du Borussia Mönchengladbach
pour un montant estimé à
9 millions d’euros. N’aviez­
vous pas d’autres choix ?
Il était en contrat jusqu’en 2022
et, dès mon arrivée, j’ai souhaité
qu’il prolonge mais il n’a pas
voulu. L’offre de Mönchenglad­
bach tombait bien, pour le joueur
et pour nous, puisque nous avons
eu la possibilité de le garder en­
core six mois en prêt. Mais, si
nous avions pu le conserver deux
ou trois ans supplémentaires,
nous l’aurions fait. Nous ne som­
mes pas dans une démarche spé­
culative avec nos jeunes. On veut
les installer dans la durée, et qu’ils
progressent dans un cadre de jeu
précis, offensif et spectaculaire.
Comment comptez­vous y
parvenir avec les contraintes
transférables. Cela risque d’écarter
des garçons qui peuvent être ven­
dus entre 2 millions et 5 millions
d’euros à des petits clubs de Premier
League ou de Premiership
[deuxième division]. D’un autre
côté, on sera moins en danger, tout
de suite, sur nos jeunes joueurs. »
Renforcer la prospection
Un sentiment partagé par son ho­
mologue brestois, Grégory Lo­
renzi : « Cela nous permettra de
garder nos meilleurs éléments un
peu plus longtemps, d’avoir une
continuité et, dans l’ensemble,
d’augmenter la qualité de notre
championnat. » A défaut d’appor­
ter tout de suite « une bonification
financière », ces talents « made in
France » donneront d’abord « une
bonification sportive », comme le
formule Pierre Rondeau. Cette
logique ne s’oppose pas forcément
au trading. D’abord réticents à
l’égard de cette pratique née au
Portugal pour compenser les fai­
bles droits télévisuels locaux, de
nombreux clubs français sont al­
lés vers un « extra­trading », ana­
lyse Yvan Le Mée. L’agent cite
l’Udinese, club du Frioul italien,
comme un exemple à suivre. « Le
trading, ce n’est pas que mettre en
vitrine et vendre. L’Udinese rai­
sonne avec une programmation
propres aux clubs français
et sans devoir vendre pour
équilibrer les comptes ?
Je suis persuadé qu’il y a la possi­
bilité de créer un cercle vertueux
dans lequel on maîtrise ses coûts
de fonctionnement sans partir
sur un déficit qu’on doit combler
par des transferts prématurés. Il
faut être très discipliné sur la
masse salariale, principal poste de
dépense. J’ai voulu avoir un effec­
tif réduit à 23 joueurs. Notre phi­
losophie, plutôt que d’avoir un 24e
ou un 25e joueur, est d’investir
« Notre
philosophie est
d’investir dans
du personnel, des
équipements qui
nous donneront
un avantage
compétitif »
sports | 19
« On conservera
nos meilleurs
éléments un peu
plus longtemps
et on augmentera
la qualité du
championnat »
GRÉGORY LORENZI
directeur sportif
du Stade brestois
sur trois ou quatre ans. Quand un
jeune joueur arrive de l’étranger, on
lui laisse le temps de s’acclimater la
première saison, on le prête à un
autre club la deuxième, et on
compte sur lui pour la troisième. En
France, s’il n’est pas bon dès le troi­
sième match, on va parler d’échec. »
Les dirigeants français manque­
raient­ils d’imagination ? « Ils doi­
vent se réinventer dans un marché
amené à devenir plus rationnel »,
estime Pierre Rondeau. Peut­être
en développant le « scouting »,
autre anglicisme pour évoquer ce
travail de prospection permettant
de dénicher les footballeurs de
demain un peu partout sur la pla­
nète. « On dispose d’un bassin de
joueurs de qualité très important
dans un kiné et un entraîneur
assistant supplémentaires, des
équipements ou des logiciels, qui
vont nous donner un avantage
compétitif. Cela n’a pas de sens de
dépenser de l’argent pour des gar­
çons qui auront très peu de temps
de jeu. Si ce n’est dans l’idée de
faire du trading avec eux.
Depuis votre arrivée, Toulouse
a beaucoup fait parler pour son
recrutement avec l’aide de la
data. Quel avantage cet outil
vous offre­t­il ?
Il s’agit d’avoir une approche
plus scientifique des transferts.
On part du principe que, si on a
les mêmes méthodes et moins
d’argent que les autres, on ne fera
pas mieux, surtout si on cible les
mêmes profils. Un exemple :
notre milieu néerlandais, Stijn
Spierings [auteur de neuf buts et
considéré comme une des révéla­
tions de la saison de L2], a été re­
péré par nos recruteurs au Levski
Sofia, en Bulgarie. Dans un se­
cond temps, la data est venue
chez nous, avec la région pari­
sienne, donc ça incite moins à aller
tenter des paris à l’étranger », fait
remarquer Sébastien Larcier.
Mais le « DS » d’Angers n’est pas
fermé à l’idée de prospecter ces
profils sur des terrains moins bali­
sés. Il aimerait étoffer sa cellule de
recrutement. « Nous sommes trois
à plein­temps pour l’équipe pre­
mière, moi y compris, plus deux
personnes pour le centre de forma­
tion. L’idée, c’est de se renforcer »,
note celui qui rappelle que les
transferts resteront importants
dans l’écosystème de la Ligue 1. « Il
n’y a pas de place pour le vide, pour­
suit­il. Les Allemands peuvent en
partie compenser le retrait des An­
glais. Et pourquoi pas les Améri­
cains ? Le directeur sportif des Los
Angeles Galaxy m’a dit qu’il avait
15 millions d’euros à investir sur des
jeunes Européens. Pour l’instant, ce
n’est pas encore un championnat
assez attractif pour eux, mais ça
peut le devenir. » En attendant cet
hypothétique rêve américain, les
clubs français ont peut­être l’occa­
sion de montrer à leur jeunesse
que l’herbe n’est pas toujours plus
verte ailleurs. 
alexandre pedro
Prochain article Maîtriser
la masse salariale
confirmer que, par rapport à son
âge et au prix du transfert, il était
sous­évalué par le marché.
Vous avez dit dans un entre­
tien aux « Cahiers du foot » que
le « scouting », ce travail de
prospection de joueurs, était
encore trop perçu comme un
coût et non comme un inves­
tissement en France. Allez­
vous mettre plus de moyens
dans ce domaine ?
En France, on est en retard. Les
cellules de recrutement sont dé­
peuplées. Le Feyenoord Rotter­
dam a six recruteurs qui arpen­
tent le monde toute l’année. Au
Portugal, Benfica a deux person­
nes qui sillonnent l’Amérique du
Sud. Au TFC, nous avons étoffé
notre cellule et allons continuer à
le faire. Nous venons d’embau­
cher un responsable du recru­
tement. On devrait arriver à cinq
personnes d’ici à la fin de la
saison. Et j’espère que ce n’est
qu’un début. 
propos recueillis par a. p.
20 | horizons
Les handicapés,
victimes
silencieuses
de la pandémie
Fermeture momentanée des centres spécialisés,
difficultés d’accès aux soins et aux activités…
Confrontés aux multiples épisodes de la crise sanitaire,
les proches de personnes handicapées ont le
sentiment de vivre un long cauchemar depuis un an
S
ervane a perdu beaucoup de for­
ces depuis un an, mais elle a gardé
son sens de l’humour. Cette
Grenobloise de 45 ans raconte sa
famille à mots choisis, sobres et
précis. Elle est professeure des
écoles, son mari chef d’entreprise, leur pre­
mier enfant, une fille de 17 ans, va bien. Le
second, Antoine, 15 ans, a souffert d’un grave
problème d’oxygénation à la naissance, qui a
provoqué une paralysie cérébrale très sévère :
il ne parle pas et ne peut se mouvoir seul.
Depuis l’âge de 4 ans, il est pris en charge en
établissement spécialisé. Son frère Arthur, le
troisième enfant du couple, est né en
mai 2010 avec une surdité profonde. C’est à ce
moment­là que Servane éclate de rire : « Le
handicap, ici, on en connaît un rayon ! »
Il y a sept ans, cette femme énergique a dû
arrêter de travailler, engloutie par la pape­
rasse administrative, noyée dans l’océan des
sigles et des acronymes, happée par les ren­
dez­vous avec les professionnels de santé,
les multiples prises en charge éducatives et
médicales dont ses enfants ont besoin. Elle
s’est par ailleurs dévouée corps et âme à une
association, Loisirs pluriel, où valides et
handicapés se regroupent pour des activi­
tés. Jusqu’à l’arrivée du Covid­19, Antoine
était hébergé dans un centre de jour, où il
dormait tout de même deux soirs par se­
maine. « Cela nous permettait de souffler et
de nous occuper de nos autres enfants », pré­
cise Servane. Le premier confinement, en
mars 2020, a bouleversé cet équilibre. Du
jour au lendemain, le centre a fermé ses por­
tes, l’auxiliaire de vie chargée de promener
Antoine, de lui donner le bain et de préparer
sa soupe, a cessé de travailler.
Pendant que son mari continue de se ren­
dre à son entreprise, Servane se retrouve à la
maison avec les trois enfants. « En mode
robot, en pilotage automatique », comme elle
dit, contrainte d’enchaîner les gestes en se ré­
pétant : « Il faut que tout le monde aille bien. »
Pas facile avec Antoine : il nécessite une at­
tention de chaque instant et a besoin d’être
stimulé, sous peine de régresser. Les autres
enfants ont été un peu livrés à eux­mêmes,
passant beaucoup de temps sur leurs écrans.
« Tous les soirs je me disais : “Je ne vais pas te­
nir, je vais m’écrouler demain.” Il y a eu beau­
coup de larmes, beaucoup de craquages, mais
on s’est soutenus entre parents d’enfants han­
dicapés, et j’ai tenu. » A force de porter son
fils, Servane est sortie de cette première
épreuve avec une tendinite, des douleurs
dans tout le corps, une fatigue physique et
psychique extrême. De la colère aussi : « La
pandémie a mis en exergue l’approche globale
du handicap en France, où il est considéré
comme le problème des parents. Il est fou
qu’en 2021 on n’aménage pas nos vies
d’aidants. Nos familles sont invisibles, car
nous ne grognons pas, nous ne manifestons
pas, nous sommes trop épuisés pour ça. »
Avec l’été, la famille s’est un peu requin­
quée, mais le répit a été de courte durée. A
l’automne, le deuxième confinement,
même s’il a été globalement plus facile à gé­
rer puisque les structures d’accueil sont res­
tées ouvertes, a de nouveau chamboulé le
quotidien : difficulté d’accès aux profession­
nels de santé, soignants cas contacts ou po­
sitifs au Covid­19 incapables d’assurer le
suivi des soins, limitation des activités en
raison des protocoles sanitaires…
CHOIX CORNÉLIEN
La deuxième vague de l’épidémie n’a pas
épargné Servane et les siens. Antoine est
tombé malade le premier, puis les autres
membres de la famille ont été déclarés posi­
tifs. Cette fois, le cauchemar a duré quinze
jours. « J’ai été horrifiée de constater à quel
point nous étions seuls, poursuit l’ancienne
enseignante. Les auxiliaires de vie ont déserté,
on n’a eu aucun suivi après le premier appel de
la Sécurité sociale. Heureusement que ni moi
ni mon mari n’avons développé de forme
grave, car qui se serait occupé d’Antoine ? »
Aujourd’hui, la situation est redevenue à
peu près normale, mais, privé d’activités en
raison des restrictions, Antoine a développé
des troubles du comportement. Lorsqu’il est
frustré, l’adolescent devient agressif, se
frappe contre son fauteuil, son auxiliaire de
vie n’arrive pas toujours à lui donner sa dou­
che. « On vit sans vivre, il n’y a jamais de
pause. La fatigue s’accumule. J’ai le sentiment
que le château de cartes que j’ai construit
depuis quinze ans s’est écroulé. Le Covid­19
m’a enlevé ma foi dans la vie », soupire Ser­
vane, qui se décrit pourtant comme « quel­
qu’un de fort et de positif ». Elle précise avoir
« la chance » d’avoir les moyens financiers
pour supporter tout cela, et s’estime déjà
heureuse d’avoir eu une place en centre d’ac­
cueil, alors que certains attendent trois ans.
« J’ai eu de la chance », « Il y a pire que moi »…
Ce genre de phrase revient souvent dans la
bouche des familles concernées, habituées à
se faire discrètes, s’excusant de déranger une
société qui peine à accepter la différence,
comme s’il ne fallait surtout pas avoir l’air de
se plaindre, même du pire, de l’insoutenable.
La France compte 12 millions de handica­
pés, dont 3 % à mobilité réduite. Ce sont ces
derniers, les plus gravement atteints, qui
souffrent le plus de la pandémie. Comme
dans le cas d’Antoine, le Covid­19 prend des
allures de catastrophe : défaut de soins,
perte de la sociabilité, complications logisti­
ques, crainte des conséquences du virus sur
des organismes déjà fragilisés.
Dès le début de l’épidémie, Sophie Cluzel,
secrétaire d’Etat chargée des personnes
LA FRANCE COMPTE  handicapées, a mis en place une série de me­
12 MILLIONS  sures concrètes : numéro d’appel unique
pour les familles afin d’éviter l’attente télé­
DE HANDICAPÉS,  phonique aux différents guichets, autorisa­
tion de déconfinement pour les autistes
DONT 3 % annoncée le 2 avril par Emmanuel Macron,
permission de déplacement pour les
 À MOBILITÉ  aidants, don de tablettes numériques, déro­
RÉDUITE. CE SONT  gations au port du masque, élargissement
du périmètre de 1 km pour les sorties, lance­
CES DERNIERS,  ment de la production de « masques inclu­
sifs », c’est­à­dire transparents au niveau de
LES PLUS  la bouche pour permettre de lire sur les
GRAVEMENT  lèvres. Elle a également décidé de proroger
tous les droits des personnes et des familles,
ATTEINTS, QUI  pour ne pas ajouter des tracasseries admi­
nistratives aux charges du quotidien.
SOUFFRENT LE PLUS  Sophie Cluzel a aussi tenu à ce que les
DE LA PANDÉMIE internats pour adultes restent ouverts,
comme les Ehpad. Une mesure d’équité qui
a mis, paradoxalement, de nombreuses
familles dans l’embarras. Valait­il mieux
faire revenir leurs enfants à la maison ou les
laisser en centre, sans savoir quand ils
allaient les revoir ? Un choix cornélien.
Quand le centre a appelé Laurence et son
mari pour leur demander s’ils voulaient
récupérer leur fils de 25 ans chez eux, le cou­
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
ple a beaucoup hésité. Benjamin, atteint d’un
syndrome autistique qui ne lui permet pas
d’être autonome, vit depuis l’âge de 6 ans en
institution. Situé dans l’Oise, où l’un des tout
premiers clusters a été recensé, le centre s’est
confiné en urgence quinze jours avant le
confinement national. Vétérinaire, Laurence
travaille dans l’industrie alimentaire, son
mari, qui a vingt ans de plus qu’elle, est à la
retraite. C’est justement l’âge de celui­ci,
74 ans, qui les a conduits à laisser Benjamin
dans sa structure d’accueil. Des cas de
Covid­19 ayant été détectés dans le centre, un
retour sans tests ni masques au domicile
familial risquait de mettre le père en danger.
Une décision douloureuse que le couple
regrettera amèrement. Benjamin a l’habi­
tude de retrouver sa famille un week­end sur
deux et de passer les vacances avec ses
parents. Il restera trois mois sans les voir.
Au début, Laurence l’a tous les jours au
téléphone. Même s’il parle peu, elle a le sen­
timent qu’il tient le coup. Au bout de deux
mois, le centre annonce aux familles que
des cas de Covid­19 ont été à nouveau détec­
tés et que les soixante pensionnaires ont été
séparés en deux groupes afin d’éviter les
contaminations. Benjamin a dû quitter sa
chambre, sa télévision, ses repères, du jour
au lendemain. Déstabilisé, il refuse désor­
mais de parler au téléphone. Ses parents
commencent à s’inquiéter. Il leur faut atten­
dre encore plusieurs jours pour qu’une soi­
gnante leur confie qu’il ne quitte plus son
lit, prostré, volets fermés, et refuse de s’ali­
menter. Puis, c’est le directeur qui leur dit
qu’une hospitalisation est envisagée, car
Benjamin « décompense ». Ce 25 mai,
Laurence bondit dans sa voiture et fonce
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
récupérer son garçon. « Je ne sais pas si je
pourrai oublier un jour ce que j’ai vu, confie­
t­elle. Il était totalement émacié, l’air hagard,
il tremblait. Il ne pesait plus que 50 kg pour
1,80 m, il poussait des cris de bête blessée,
j’avais l’impression d’être face à un vieillard. »
Il a fallu plus d’un mois à Benjamin pour
récupérer, dormir la nuit, s’apaiser, reprendre
du poids et des forces. « Je télétravaillais, se
souvient Laurence, on a fait comme on a pu
avec mon mari. Au bout de deux mois, il s’est
remis à sourire. » Le couple a décidé qu’il ne
retournerait pas dans son institution : « Il a
failli y passer », estime la mère. Elle­même a
fait un burn­out pendant l’été, elle a été arrê­
tée trois semaines, épuisée. Depuis, si Benja­
min va mieux et va intégrer bientôt une
structure d’accueil plus adaptée à ses besoins,
la situation sanitaire lui complique encore la
vie. « Il s’ennuie, car il est très limité dans ses
activités, il n’a plus de vie sociale et, comme il
ne supporte pas le port du masque, on ne peut
pas se promener avec lui », explique Laurence.
APÉROS VIRTUELS ENTRE PARENTS
Le cas de Benjamin n’est malheureusement
pas isolé. Après le premier confinement,
Hélène, comédienne vivant à Paris, a
retrouvé son frère aîné de 60 ans dans un
« état catastrophique ». Vincent est autiste. Il
a passé toute sa vie dans une succession de
lieux d’accueil souvent inadaptés, gavé de
psychotiques et médicamenté à outrance.
Hébergé dans une maison d’accueil médica­
lisée au moment de la pandémie, il est resté
cloîtré cinq semaines dans sa chambre, ne
répondant plus sur son portable. Les activités
et les repas en commun avaient été suppri­
més. « Or, pour les autistes, la stimulation
reste la base de la progression, insiste Hélène.
Lorsqu’on a pu enfin venir le chercher, après la
déclaration d’Emmanuel Macron du 2 avril, il
avait perdu 8 kg et était en état de choc. Il n’ar­
rêtait pas de répéter : “Je parle fort”, car il
n’avait pas entendu le son de sa propre voix
pendant plus d’un mois. » Vincent s’est stabi­
lisé, mais manifeste une très grande anxiété
dès qu’il entend le mot « confinement ».
« Nous sommes obligés de le rassurer sans
cesse, en lui promettant qu’on ne le remettra
pas dans son foyer », poursuit Hélène d’une
voix douce et apaisante. Même si, comme de
nombreux aidants, elle ne veut pas « polémi­
quer », elle juge que « très peu de lieux ont géré
la situation de façon satisfaisante ».
« Dans le polyhandicap, la routine est extrê­
mement importante, c’est pourquoi cette pan­
démie qui désorganise tout est épouvantable,
constate Hélène Rossinot, médecin spécia­
liste de santé publique en lien permanent
avec les associations d’aidants. De nombreux
handicapés ont régressé avec l’interruption
des soins, et les aidants n’ont pas eu le moindre
répit. » Ainsi, Bérénice, mère de Werner, un
garçon autiste de 13 ans, habituellement
scolarisé à Paris dans une classe ULIS – unité
localisée d’inclusion scolaire –, où une assis­
tante de vie scolaire s’occupe de lui. A la fer­
meture des écoles, en mars 2020, la famille
de quatre personnes, comme tous les Fran­
çais, a été assignée à résidence dans ses 67 m2
pour la première fois ou presque. Car,
comme l’indique Bérénice, ils ont toujours
organisé leur vie pour que chacun ait son
espace, sa place, son temps de repos. Au
point, par exemple, de ne jamais partir tous
les quatre ensemble en vacances. « C’est
comme ça qu’on arrive à tenir le coup. »
Werner ne peut pas travailler seul. Il faut
toujours être à ses côtés et l’occuper, sinon il
tourne en rond. « Comme beaucoup d’autis­
tes, il est dans la répétition permanente, il peut
poser des dizaines de fois la même question,
lâche Bérénice. En confinement, ça rend din­
gue ! Il m’agaçait avec ses bruits, alors que
d’habitude je m’en accommode. » Elle a déve­
loppé de nombreuses stratégies pour intro­
duire de nouveaux sujets de conversation, le
faire sortir de ses obsessions en regardant
des films avec lui afin de susciter des discus­
sions. Malgré cela, le huis clos les étouffe.
« Très vite, j’ai eu l’impression de tout faire
mal, de ne pas arriver à travailler ni à bien
m’occuper de mes enfants, témoigne Béré­
nice. J’aurais dû me mettre en arrêt maladie
car, au bout d’un moment, j’ai plongé. » Inves­
tie dans une association, elle a tout de même
trouvé le ressort pour organiser des apéros
virtuels afin d’échanger avec d’autres
parents, partager leurs expériences, en rire
aussi, chacun son verre à la main.
A ces apéros, il y avait aussi Vincent, un
ingénieur de 44 ans, père divorcé de deux
enfants, dont l’un, Gabriel, 13 ans, souffre
depuis la naissance d’un gros retard mental.
« Il ne parle pas, n’est autonome en rien, il a des
troubles du comportement de type autisti­
que », résume Vincent. Depuis trois ans,
Gabriel est dans un internat dans l’Oise – la fa­
mille n’a pas obtenu de centre plus proche –
et rentre un week­end sur deux chez son père
ou sa mère à Paris. Au premier confinement,
les parents ont décidé de le laisser sur place.
« L’avoir à la maison est trop épuisant, admet
le père. Il se fait mal, peut se frapper la tête
contre les murs, il faut être à 100 % avec lui
pour intervenir dès qu’il s’énerve avant que ça
devienne ingérable. » Le choix de le laisser
seul si loin n’a pas été simple « C’était angois­
sant, car on nous a dit : “Il ne peut plus entrer
ni sortir”, et on ne savait pas comment il allait
réagir, ni combien de temps ça allait durer. »
Ça a duré trois mois, sans autres nouvelles
que celles données au compte­gouttes par les
encadrants, puisque Gabriel ne peut s’expri­
mer. Les tentatives de « visio » ne sont pas con­
cluantes, il ne réagit pas non plus à l’image.
« Nous avions très peu de contacts avec le cen­
tre. Ils nous ont dit, au début, que Gabriel avait
eu une recrudescence d’angoisses, car il ne com­
prenait pas ce qui se passait, puis il s’y est appa­
remment fait. » Quand ses parents l’ont re­
trouvé pour les vacances, trois mois plus tard,
il avait l’air d’avoir « plutôt bien réagi ».
D’un ton calme, Vincent confirme, lui aussi,
qu’un an plus tard, la situation n’est pas reve­
OLIVIER MARBOEUF nue complètement à la normale. Comme la
plupart des parents concernés, il n’en veut à
personne, constate que « chacun a été pris de
court et a fait comme il a pu », l’Etat, les asso­
ciations, les centres, les aidants, les soi­
gnants, mais il observe que les règles chan­
geantes et les restrictions alourdissent
encore le quotidien : transports médicalisés
supprimés, activités suspendues aux déci­
sions des agences régionales de santé, tests
PCR obligatoires qui limitent les entrées et
sorties des structures d’accueil.
Laure, actrice et réalisatrice de fiction, mère
de deux filles dont une jolie adolescente aux
« DANS  boucles blondes quadriplégique de nais­
sance, dresse un constat semblable. Sa fille
LE POLYHANDICAP,  Noémie, 15 ans, n’a pas vu d’orthophoniste
LA ROUTINE EST  depuis un an. Conséquence : « Elle a arrêté de
faire des progrès. » Cette Parisienne mince et
EXTRÊMEMENT  élégante dit, elle aussi, avoir « de la chance »,
car elle a du temps pour s’occuper de Noémie,
IMPORTANTE, C’EST  même si elle souffre de maux de dos qui l’em­
POURQUOI CETTE  pêchent de dormir à force de soulever sa fille,
si menue soit­elle (1,50 m, 45 kg), pour la la­
PANDÉMIE QUI  ver, l’aider à manger, la changer. Dès sa nais­
sance, Laure et son mari ont fait le choix de la
DÉSORGANISE TOUT  garder à la maison, faute d’avoir trouvé un
centre adapté à ses besoins. Au fil des années,
EST ÉPOUVANTABLE » ils se sont organisés avec des nounous, une
HÉLÈNE ROSSINOT maîtresse qui se déplace une fois par
médecin spécialiste semaine, trois visites de kiné hebdoma­
de santé publique daires, un cours de danse thérapeutique et
deux séances de rééducation du langage
financés grâce aux aides de l’Etat…
Ce système s’est effondré à l’annonce du
confinement. Le couple s’est retrouvé sans
personne pour l’aider, parcs et lieux publics
fermés. Il a fallu louer un van pour trimballer
fauteuil, déambulateur, matériel de kiné, élas­
tiques et vibreur pour l’orthophonie et partir
s’installer avec Noémie, sa sœur et un couple
d’amis dans une maison de campagne prêtée
horizons | 21
par un proche. « Depuis sa naissance, nous
sommes à la fois parents et soignants de nos
enfants, résume Laure. Là, on est passés un
cran au­dessus. On s’est transformés en profes­
sionnels de santé et aides à domicile. On a
improvisé en se documentant. On filmait le tra­
vail fait avec Noémie afin que le kiné nous dise
si ça allait, mais il y a énormément de gestes
techniques que l’on ne sait pas faire. Notre vie
est déjà pesante au quotidien, la pandémie a
rendu toutes les difficultés exponentielles. »
Marjorie, pédopsychiatre et maman de
Valentine, une fillette de 9 ans polyhandica­
pée à cause d’une maladie génétique rare, y a
laissé son couple. Sa fille passe habituelle­
ment ses journées dans une maison de santé
située près de Montpellier. A la fermeture de
cette structure, il y a un an, Valentine revient
à la maison, ce qui se révèle d’emblée très dif­
ficile. Elle n’est pas autonome, a marché à
l’âge de 6 ans, porte encore des couches, a un
gros retard mental et ne parle pas. Elle souf­
fre, en outre, de troubles du comportement,
griffe, mord, peut avoir de puissants accès de
violence. « Valentine était ravie d’être avec
nous à la maison, c’est nous qui l’avons mal
vécu !, reconnaît aisément Marjorie, qui de­
vait, en outre, faire l’école à la maison pour
leurs deux autres enfants, préadolescents.
Sans aide, nous sommes arrivés à un tel
niveau de stress et d’épuisement que c’est
devenu irrespirable. On a explosé en vol. »
« LES FAMILLES À BOUT »
Le couple s’est séparé il y a six mois. « A deux,
on a droit à davantage d’heures d’auxiliaires
de vie, et quand Valentine est chez l’un, l’autre
peut souffler un peu. » Marjorie n’a toujours
pas digéré que l’établissement de sa fille ait
été fermé lors du premier confinement :
« C’est comme si on avait fermé les hôpitaux
psychiatriques, ce sont des lieux de soins et pas
seulement d’éducation. Nos enfants ont be­
soin de ces centres, ce n’est ni éthique ni accep­
table de les fermer ! »
Magali, fonctionnaire installée à Grenoble,
était, elle, déjà divorcée avant l’épidémie. Peu
de couples résistent au ravage du handicap,
quand il est aussi lourd. Son fils Julien, âgé de
15 ans, est autiste non verbal. Le passage a
l’adolescence l’a rendu violent, au point que
sa mère a dû prendre des cours d’aïkido pour
se défendre. Elle aussi préfère en rire : « Chez
moi, il n’y a rien d’accroché aux murs, rien sur
les étagères, rien à portée de main sinon, il
casse tout. Il est chaud, Julien ! » La vie de Ju­
lien se partage entre le centre éducatif et ses
parents. Son équilibre, il le trouve dans le
sport : ski, VTT, course à pied, rollers. Le confi­
nement a été une bénédiction pour lui : ses
parents, sportifs eux aussi, ont profité du
beau temps pour l’accompagner dans ses ac­
tivités. « Il était très heureux », se souvient
Magali. Le retour au centre, en revanche, a été
redoutable : « Depuis, il nous en veut, il s’est
mis à se faire pipi dessus, est devenu exclusif, il
casse tout, il a frappé des éducateurs. Quand il
fait des crises, il n’a pas de limites, on a dû le
mettre sous neuroleptiques. J’en viens à espé­
rer un reconfinement pour qu’il aille mieux ! »
La secrétaire d’Etat Sophie Cluzel veut
croire que cette période pénible aura permis
des avancées pour la cause du handicap.
« Cette crise nous a donné l’occasion d’identi­
fier des personnes qui n’étaient répertoriées
nulle part, elle a aussi favorisé le travail en
commun de nombreuses associations qui ne
se connaissaient pas, pour trouver des solu­
tions au niveau départemental. Les soignants
ont également découvert l’expertise parentale,
ils ont pris la mesure de ce que les parents
savent faire. La pandémie a, par ailleurs, révélé
que le centre n’est pas la seule solution, il faut
aller au maximum vers une école plus inclu­
sive », énumère­t­elle, espérant, « capitaliser »
sur ce qui s’est passé pour faire monter le
niveau d’acceptabilité du handicap dans la
société. Elle assure que, s’il y a encore des
désorganisations, « le management de l’Etat a
changé, il est devenu plus réactif ».
Pour la médecin Hélène Rossinot, on en est
malheureusement encore loin. « Le monde du
handicap a été oublié depuis trop longtemps,
estime­t­elle. Les familles sont à bout, épuisées,
inquiètes d’un nouveau confinement car les
soins commencent tout juste à reprendre nor­
malement. » Seul espoir, la vaccination des soi­
gnants, qui progresse à petits pas et permettra
peut­être enfin de « voir le bout du tunnel ». 
vanessa schneider
 SCIENCE & MÉDECINE
0123
22 | MERCREDI 3 MARS 2021

NEUROPSYCHOLOGIE

Le vrai du faux sur le mensonge
Dès 2 ans, un enfant ment. Un manque de sincérité qui s’amplifie à mesure qu’il grandit.
Par politesse, par souci d’adaptation, par duperie. Pourquoi l’homme,
pas si différent d’autres animaux, trompe-t-il autant, et se laisse-t-il si volontiers embobiner ?
Le point, en huit questions, sur un ingrédient essentiel de la vie en société

T
elle une plaie d’Egypte, une épi­
démie d’infox s’est abattue sur le
vaste monde. Ces faits alternatifs ba­
layent les faits avérés, défient la pa­
role des experts, menacent la crédibilité de la
science. Pourtant, le mensonge existait bien
avant l’irruption des réseaux sociaux. « L’es­
prit de l’homme est ainsi fait que le mensonge
a cent fois plus de prise sur lui que la vérité », se
désolait Erasme (Eloge de la folie, 1509).
Une première vérité s’impose : dans la
vraie vie, nous mentons tous. Un nuage de
duplicité enveloppe nos relations sociales.
Le romancier Christian Bobin parle du
« mensonge éternel de vivre en société » (Une
petite robe de fête, Gallimard, 1991). « Le men­
songe est le ciment qui permet à la société de
ne pas s’effondrer. Si les gens disaient la vé­
rité, toutes les structures collectives s’émiette­
raient », renchérit son confrère Bernard
Werber (Le Rire du cyclope, Albin Michel,
2010). En corollaire, « plus une société a établi
des codes d’acceptation du mensonge, plus
elle est forte », relève le psychiatre Patrick
Clervoy, qui publie Vérité ou Mensonge
(Odile Jacob, 304 pages, 21,90 euros).
« Il m’arrive de soigner des personnes qui ne
savent pas mentir, du fait de certaines mala­
dies comme la paranoïa », témoigne le doc­
teur Clervoy. Ces personnes ne supportent
pas d’être dans un bain de mensonges et
souffrent énormément. « Quand on est in­
capable d’être agréable à quelqu’un avec
quelques mensonges de courtoisie, on est vite
isolé », ajoute le psychiatre.
Le mensonge, un mal nécessaire ? Ou un
acte immoral ? Les philosophes n’ont cessé
d’en débattre. Mais au plan cognitif ? A quoi
correspond cette aptitude à duper ? « Le men­
songe est pour moi un signe d’intelligence, une
adaptation que l’on retrouve chez l’homme
comme chez des espèces aussi diverses que les
dauphins, les corbeaux ou certains primates »,
estime Jean Decety, professeur de psycholo­
gie et de psychiatrie à l’université de Chicago.
Il est à l’évidence des mensonges per­
nicieux. Les quatre années du mandat de
Donald Trump nous ont donné un accablant
exemple de l’emprise collective du men­
songe. Comment ce « menteur pathologi­
que », ainsi qualifié par Michael Cohen, son
ex­avocat, a­t­il pu être applaudi par la moi­
tié de la population des Etats­Unis ? « Le
trumpisme a montré à quel point nous som­
mes vulnérables à un mensonge qui pren­
drait une dimension collective. Face à tant de
contrevérités, toutes les voix se sont tues. Les
personnes les plus raisonnables et intelli­
gentes se sont inclinées », déplore le docteur
Clervoy. L’acte de mentir, en vérité, soulève
une nuée d’interrogations. Où l’on convo­
quera les neurosciences cognitives et sociales,
l’évolution comparée, la neuropsychologie et
le développement de l’enfant, les techniques
de détection du mensonge…
Pourquoi mentons­nous ?
Les psychologues distinguent deux classes
de mensonges, selon qu’ils sont anodins ou
pernicieux (mais il existe une myriade de du­
peries aux intentions ambiguës). Les men­
songes vertueux visent à ménager l’amour­
propre et la dignité d’autrui ; à le protéger.
« Le plus utile des mensonges est la politesse »,
relève Joseph Michel Antoine Servan (Œuvres
de Servan, 1825). Parmi ces mensonges « pro­
sociaux » ou « altruistes », il y a le compli­
ment un peu exagéré qui encourage un
ami ; l’avis qu’on tait pour ne pas froisser ;
ou encore, le diagnostic édulcoré que livre
un médecin à un patient fragile.
Et puis, il y a les franches impostures, dupe­
ries et trahisons en tout genre – aux consé­
quences parfois dévastatrices. Celles­là vi­
sent à préserver des intérêts personnels : va­
loriser sa propre image, éviter une punition,
obtenir un avantage… Au rang des aigrefins
de gros calibre, nul n’a oublié le regard
– presque – candide de Jérôme Cahuzac, alors
ministre du budget. Le 8 février 2013, il est
interrogé par Jean­Jacques Bourdin sur
BFM­TV : « Jérôme Cahuzac, les yeux dans les
yeux, est­ce que vous avez eu un compte en
Suisse ou pas ? » Réponse du ministre : « Je
n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte en Suisse,
à aucun moment. » Deux mois plus tard, il
avouera : « J’ai été pris dans une spirale du
mensonge et m’y suis fourvoyé. » Le jour
même, il est vrai, il était mis en examen pour
blanchiment de fraude fiscale.
Jusqu’à un certain point, le mensonge
apaise donc les tensions au sein d’un groupe.
« Au­delà, le mouvement s’inverse et les ten­
sions s’amplifient. Les partisans de la vérité
sont brimés, les lanceurs d’alerte contraints de
fuir », pointe Patrick Clervoy. Julian Assange,
par exemple, paie aujourd’hui très cher sa ré­
vélation, sur WikiLeaks, des crimes de guerre
des Etats­Unis et de leurs alliés, lors de la
guerre en Irak et en Afghanistan.
Peut­on se mentir
à soi­même ?
Oui. Si l’on doit évoquer des événements
passés peu valorisants pour nous­même,
par exemple, on pourra favoriser les scéna­
rios qui nous conviennent le mieux. A force
d’être racontée, l’histoire réinventée s’ins­
« LE TRUMPISME tallera dans la mémoire et bloquera la ré­
cupération de l’histoire authentique. « Pour
A MONTRÉ
finir, on se convaincra qu’on dit vrai », ré­
À QUEL POINT sume Xavier Seron, docteur en neuropsy­
NOUS SOMMES chologie et expert médico­légal à Bruxelles,
dans son passionnant ouvrage Mensonges !
VULNÉRABLES À Une nouvelle approche psychologique et
UN MENSONGE neuroscientifique (Odile Jacob, 2019). Si, de
surcroît, on crée des images en rapport avec
QUI PRENDRAIT le récit qu’on invente, ces images rendront
UNE DIMENSION les faux souvenirs encore plus difficiles à
distinguer des vrais.
COLLECTIVE » Ce curieux phénomène met en jeu un dé­
PATRICK CLERVOY doublement de soi. Il oppose « la partie de
PSYCHIATRE nous­même qui sait – ou a su la vérité – et la
partie trompée – ou qui s’est laissé tromper »,
relève M. Seron. « On peut supposer qu’une
mécanique cérébrale spécifique est impliquée
dans cette transmutation d’un mensonge
éhonté en une vérité crue à toute force », re­
lève le professeur Lionel Naccache, neurolo­
gue et chercheur en neurosciences à l’Insti­
tut du cerveau et de la moelle épinière (ICM,
Sorbonne Université, Paris).
Pour le comprendre, il faut faire appel à la
théorie de la « dissonance cognitive ». Nous
sommes tous habités par un besoin de co­
hérence interne, a postulé, en 1957, le psy­
chologue Leon Festinger. Si une incohé­
rence surgit dans nos représentations de
nous­même ou du monde, cela nous met
dans un état psychologique d’inconfort. En
nous mentant à nous­même, nous tentons
d’éliminer cette « tension interne qu’on ne
peut supporter », explique M. Seron.
Les animaux mentent­ils
vraiment ?
Deux conceptions s’affrontent. La première
« insiste sur la singularité de notre espèce et
soutient qu’entre les animaux et nous existe
un fossé considérable », expose M. Seron. La
seconde recherche des continuités évoluti­
ves « en suggérant la fin de l’exception hu­
maine ». A l’appui de cette seconde thèse,
des conduites de tromperie ont été obser­
vées chez un grand nombre d’espèces. Mais
s’agit­il d’intentions, fruits de véritables
stratégies cognitives, ou de comportements
automatiques et stéréotypés ? Dans cette
dernière catégorie figure le camouflage de
nombreuses espèces, tels les phasmes (in­
sectes mimant des brindilles), le caméléon
ou la pieuvre. Ou encore, certaines parades
nuptiales, telle la danse hypnotique du para­
disier superbe. Autant de conditionnements
qu’on assimile mal à des mensonges.
D’autres ruses sont plus difficiles à classer.
Ainsi du « parasitisme de couvée » adopté
par le coucou. Cet oiseau, on le sait, fait éle­
ver ses petits par d’autres espèces à plume.
Un comportement a priori automatique.
Mais il arrive que le coucou mâle aide sa fe­
melle : il chante près du nid de ses victimes
pour se faire poursuivre, offrant à sa femelle
un moment propice pour y pondre. Prenons
maintenant les pluviers, de petits échassiers
de la côte Est des Etats­Unis. Si un prédateur
s’approche trop près de leur nid, ces oiseaux
feignent d’être blessés en voletant au ras du
sol. Objectif : attirer l’intrus pour l’éloigner
du nid. « Les éthologues considèrent que
l’oiseau simulateur contrôle visuellement en
permanence les réactions de l’intrus pour vé­
rifier si la tromperie a bien l’effet escompté »,

DES OUTILS DE DÉTECTION SUJETS À CAUTION relève M. Seron. Ce qui affaiblirait la thèse
d’un pur automatisme.
Le corbeau est aussi un fieffé filou. Il cache
sa nourriture pour constituer des réserves.

V edette des films policiers, le

détecteur de mensonge a tou­
jours été controversé. Gad­
get ? Outil utile aux enquêtes judiciai­
res, aux procédures de recrutement,
au suivi des délinquants sexuels… ?
Alors que sa fiabilité est sujette à cau­
tion, il est utilisé depuis plus de vingt
ans dans une vingtaine de pays, dont
le Canada et le Royaume­Uni. Aux
Etats­Unis, 2,5 millions de tests se­
raient pratiqués chaque année avec le
polygraphe, selon le magazine Wired.
En janvier 2020, la Belgique, après
l’Allemagne, lui a fixé un cadre légal.
L’idée de cet outil vient d’un crimi­
nologue italien, Cesare Lombroso :
en 1895, il imagina un appareil,
l’« hydrosphygmographe ». Le suspect
plongeait sa main dans un récipient
rempli d’eau : son pouls entraînait une
discrète variation de niveau du liquide.
S’il était sous le coup d’une émotion,
ces variations de niveau seraient plus
amples, pensait­on.
En 1921, John Larson inventera le
« polygraphe ». Un film homonyme
en fera une star en 1996. Là encore, il
s’agit de détecter les manifestations
psychophysiologiques des émotions
associées au fait de mentir… ou au
stress. Le sujet testé est ficelé dans un
enchevêtrement de câbles, bandeaux,
brassards et électrodes. Le dispositif
classique comporte trois éléments :
deux bandeaux entourent la poitrine
et l’abdomen du sujet et mesurent sa
respiration ; un brassard mesure sa
pression sanguine ; des électrodes
placées sur la paume de la main enre­
gistrent sa « réponse électrodermale »
(activité électrique reflétant l’activité
des glandes de la sudation).
L’épreuve du polygraphe doit être
couplée à un interrogatoire judicieux.
Dans le « test de l’information cachée »
(TIC), par exemple, on interroge le sus­
pect sur des détails de la scène du
crime que seul le coupable connaît.
L’évocation de ces détails déclenchera
une émotion que le polygraphe de­
vrait détecter. Mais cette approche
souffre d’au moins deux grandes limi­
tes. « D’une part, le lien entre une réac­
tion émotionnelle et la production d’un
mensonge n’est pas spécifique. Des per­
sonnes sensibles ou anxieuses peuvent
manifester une réaction émotionnelle
identique lorsqu’elles disent la vérité »,
analyse Xavier Seron, docteur en neu­
ropsychologie et expert médico­légal
à Bruxelles, dans Mensonges ! (O. Jacob,
2019). « D’autre part, certains individus
mentent sans état d’âme ou sont capa­
bles de contrôler leurs réactions émo­
tionnelles. » C’est typiquement le cas
des psychopathes.
Quel est le degré de validité du poly­
graphe, couplé à un interrogatoire TIC ?
Au laboratoire, il identifie correcte­
ment de 76 % à 88 % des coupables et
de 94 % à 99 % des innocents. « Mais les
études de terrain donnent des résultats
moins convaincants », relève Xavier
Seron. Si de 94 % à 98 % des innocents
sont correctement identifiés, de 42 % à
76 % des coupables le sont. De plus, une
retentissante affaire a remis en cause la
validité du détecteur de mensonge.
En 1993, un agent de la CIA, Aldrich
Ames, était arrêté pour espionnage au
profit du KGB. L’enquête révélera que,
par deux fois, il avait été soumis au test
du polygraphe sans être démasqué !
Sous le cuir chevelu et dans la voix
Mais ne pourrait­on pas traquer direc­
tement le mensonge au niveau de l’or­
gane qui le produit : le cerveau ? Deux
pistes ont été suivies. D’abord, on a
examiné l’activité électrique du cer­
veau recueillie au niveau du cuir che­
velu. Une onde a été particulièrement
scrutée : la P300. Résultats : l’usage de
la P300 permet de classer correcte­
ment de 51 % à 100 % des coupables et
de 72 % à 100 % des innocents. Des sco­
res « globalement comparables à ceux
du polygraphe », résume Xavier Seron.
Seconde piste, plus récente : l’IRM
fonctionnelle. Il s’agit de lire l’activité
cérébrale qui accompagne la produc­
tion de mensonges. Verdict : dans cer­
taines conditions expérimentales, on
observe généralement plus d’activa­
tions cérébrales chez quelqu’un qui
ment que chez quelqu’un qui dit la vé­
rité – notamment dans le cortex fron­
tal et dorsolatéral, le gyrus cingulaire
antérieur et l’amygdale. Mais tout dé­
pend du type de mensonge. En fin de
compte, « aucune aire cérébrale n’ap­
paraît avoir pour fonction spécifique
la production de mensonges ».
« Si je devais utiliser une technique
pour éprouver la sincérité d’un suspect,
je ferais plus confiance aux techniques
psychologiques qui analysent les fonc­
tions exécutives », confie Xavier Seron.
Le principe : lors d’un interrogatoire, il
est difficile de mentir à propos d’évé­
nements qui se sont déroulés. D’où
l’idée de poser au suspect des ques­
tions auxquelles il ne s’attend pas : s’il
est coupable, il risque de se trahir.
D’autres voies sont explorées. Parmi
elles, l’analyse du rythme et de la pro­
sodie de la voix. « Une parole lente, avec
un son qui monte sur la dernière sylla­
be, est perçue comme un indice d’effort
mental. Cela est interprété comme le si­
gne que la personne qui parle est peu
sûre d’elle. Elle pourrait être en train de
nous mentir », explique Jean­Julien
Aucouturier, chercheur au CNRS. Son
équipe de l’Institut de recherche et
coordination acoustique/musique
(Ircam) a publié ce résultat le 8 février
dans Nature Communications.
Quel avenir, alors, pour les outils de
détection du mensonge ? « Aucune de
ces techniques ne sera fiable à 100 %,
notamment parce que le mensonge est
protéiforme et que les sujets qui men­
tent (ou pas) sont différents », analyse
Xavier Seron. Mais avec l’addition de
ces différentes techniques, « on finira
par disposer d’un réseau de présomp­
tions de plus en plus fort ». Selon lui, la
décision d’utiliser ou non ces métho­
des devrait être soumise à un débat.
« Si, dans les régimes démocratiques, le
droit permet aux suspects de garder le si­
lence, il paraîtrait anormal de permettre
à leur cerveau de les trahir. » 
fl. r.
Mais s’il se sait observé, il feint de cacher son
butin à un endroit. Puis il profite du mo­
ment où son observateur fouille la fausse ca­
chette pour le dissimuler ailleurs. Il y a
mieux : ce corvidé pourrait bien avoir une
« théorie de l’esprit », cette faculté de se re­
présenter les états mentaux d’autrui. Des
chercheurs ont placé de jeunes corbeaux
dans deux cages adjacentes, un judas étant
ménagé entre les deux. Dans la chambre de
gauche, le corbeau apprenait d’abord à ob­
server par cet œilleton un congénère à qui
l’on donnait de la nourriture. Puis il était
placé dans la pièce de droite, où il recevait à
son tour de la nourriture. Et là, stupeur.
Quand un enregistrement de corbeau était
diffusé dans la pièce de gauche, judas mas­
qué, le corbeau ne cachait pas sa nourriture.
Mais quand le judas était ouvert, il la dissi­
mulait. L’oiseau semble donc anticiper qu’un
congénère pourrait vouloir le « plumer ».
Et nos cousins primates ?
Chez différents grands singes, on observe de
nombreuses conduites de supercherie vis­à­
vis de leurs congénères. En témoigne cette
observation dans une colonie de babouins
en Afrique du Sud. Un jeune babouin est
poursuivi par un mâle dominant parce qu’il
stresse un petit. Il s’arrête brusquement, se
dresse sur ses pattes arrière et scrute fixe­
ment l’horizon, comme s’il discernait une
menace. Inquiet, son poursuivant fait de
même… et oublie la querelle qui les oppose.
Autre leurre : voyez ces singes qui pous­
sent des cris d’alerte pour éloigner leurs
congénères d’une nourriture – et éviter ainsi
de la partager. Et puis, il y a cette drôle de
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
réaction observée chez des chimpanzés en
captivité par le célèbre éthologue Frans de
Waal. Un jeune mâle courtise une femelle. Il
voit surgir le chimpanzé dominant. Aussi­
tôt, il « couvre de sa main son pénis en érec­
tion, le mettant ainsi hors de vue du mâle
dominant, raconte Xavier Seron. De manière
intéressante, la main du singe est positionnée
de telle manière que la femelle puisse, elle,
continuer à voir » l’objet du délit.
A quel âge un enfant
commence­t­il à mentir ?
Avec leurs bouilles d’ange, nos chers petits
commencent à duper autrui dès l’âge de 3 ou
4 ans. Ne vous désolez pas. « Lorsque j’aborde
le thème du mensonge dans un cours de neu­
rosciences sociales, je raconte une anecdote
personnelle, témoigne Jean Decety. La pre­
mière fois où l’un de mes fils m’a menti, il
avait 4 ans. Cela m’a rempli de bonheur :
c’était le signe qu’il avait acquis une théorie
de l’esprit », une étape­clé de son développe­
ment. Cette fameuse aptitude permet d’at­
tribuer des états mentaux (croyance, désir,
intention, tristesse…) à autrui.
Mais comment l’enfant apprend­il à men­
tir ? Voilà vingt­cinq ans que la question ob­
sède Kang Lee, professeur de psychologie co­
gnitive à l’université de Toronto (Canada).
Lors d’une conférence TED en 2016, suivie par
plus de 11 millions d’internautes, il raconte
cette histoire vécue par un directeur d’école
primaire. « Un jour, il reçoit un appel télépho­
nique : “Monsieur, mon fils Johnny ne viendra
pas à l’école aujourd’hui, car il est malade.
— Qui est à l’appareil s’il vous plaît ? — Je suis
mon père.” » L’anecdote, réelle, n’en illustre
pas moins deux préjugés fréquents. « Selon
le premier, les enfants ne mentent qu’à partir
de l’école primaire. Selon le second, ils sont de
mauvais menteurs : nous, adultes, parvenons
à les démasquer facilement. » Une troisiè­
me idée fausse a la vie dure : « Ceux qui men­
tent très jeunes ont une faiblesse de caractère ;
ils seront mythomanes toute leur vie. »
Dans une expérience type, des enfants sont
soumis à l’épreuve de la « résistance à la ten­
tation ». Un examinateur joue avec un enfant
qui, s’il parvient à deviner le nombre d’une
carte de jeu, gagnera un « grand prix ». Bien­
tôt, l’examinateur déclare qu’il doit sortir un
moment, et lui fait promettre de ne pas re­
garder la carte. Une caméra cachée filme la
scène. Premier constat : plus de 90 % sont
des petits filous. Ils enfreignent la consigne
dès que l’examinateur a le dos tourné. De re­
tour, celui­ci demande à chacun s’il a res­
pecté la consigne. « Quels que soient le genre,
le pays, la religion, 30 % des enfants mentent
à l’âge de 2 ans (ils n’avouent pas avoir triché).
A 3 ans, ils sont 50 % ; à 4 ans, plus de 80 % ; et
après 4 ans, presque tous », résume M. Lee.
Mais pourquoi certains enfants de 2 ans
mentent­ils déjà ? « Bien mentir nécessite
deux ingrédients­clés », poursuit M. Lee. Le
premier, on l’a vu, est la théorie de l’esprit :
« Le mensonge repose sur le fait que je sais
« POUR que vous ne savez pas que je sais. » Second
RENDRE VOS prérequis : la maîtrise de soi. « Pour rendre
vos mensonges convaincants, il faut que
MENSONGES vous sachiez contrôler vos paroles, votre ex­
CONVAINCANTS, pression faciale et votre langage corporel »,
explique M. Lee.
IL FAUT QUE A mesure qu’il grandira, l’enfant appren­
VOUS SACHIEZ dra à distinguer le mensonge de l’ironie, du
sarcasme, de l’erreur ou de l’exagération.
CONTRÔLER VOS Surtout, il prendra conscience du contexte
PAROLES, VOTRE social dans lequel un mensonge est produit
et de l’intention du menteur.
EXPRESSION
FACIALE ET VOTRE Y a­t­il des personnalités plus
LANGAGE douées pour le mensonge ?
CORPOREL » L’art de bien mentir requiert quelques « qua­
lités ». « Il y faut promptitude, esprit, mémoire,
KANG LEE soins/Ne se brouiller jamais, et rougir encore
PROFESSEUR
DE PSYCHOLOGIE moins », résume Corneille (Le Menteur, 1644).
COGNITIVE « Les grands menteurs, comme les grands per­
vers, sont très généralement des gens intel­
ligents et habiles sur le plan social », relève
Xavier Seron. Une étude suggère même
l’existence d’une corrélation positive entre la
créativité et l’habilité à mentir. Tyrannie des
apparences : un bon menteur est aussi quel­
qu’un qui a une « bonne tête ». Une personne
à l’air honnête sera considérée comme disant
la vérité, qu’elle mente ou pas.
Il existe aussi des « menteurs pathologi­
ques », ou « mythomanes », aux contours
psychologiques mal connus. Leur existence
s’est en grande partie construite autour de
leurs récits affabulateurs. « Il semble que le
mensonge pathologique se développe assez
tôt, parfois dès l’enfance ou à l’adolescence,
science & médecine | 23
raconte Xavier Seron. La présence d’éléments
traumatiques (décès d’un parent, abandon,
placement dans un orphelinat…) pourrait
jouer un rôle. » Au moins trois facteurs co­
gnitifs sont suspectés de favoriser ces men­
songes maladifs : une fluence verbale élevée,
un mode de pensée divergente, un quotient
intellectuel (QI) verbal supérieur à un QI per­
formance (capacité à raisonner et à élaborer
des stratégies).
Quid du lien, enfin, entre mensonge et
psychopathie, ce trouble de la personnalité
(non reconnu dans les manuels de psychia­
trie) caractérisé par un comportement anti­
social, une absence de remords et un man­
que d’empathie ? Les psychopathes sem­
blent avoir tendance à mentir assez
souvent, tout en éprouvant peu de culpabi­
lité et de peur d’être pris. Mais « cela n’en fait
pas pour autant de bons menteurs », assure
Xavier Seron.
Certaines lésions cérébrales
peuvent­elles affecter
la capacité à mentir ?
Oui. « Pour mentir, il faut savoir que ce que
nous savons ne s’identifie pas à ce que notre
interlocuteur sait, et vice versa », explique le
professeur Naccache. Sans théorie de l’esprit,
donc, impossible de mentir. Or, plusieurs
régions du lobe frontal jouent un rôle­clé
dans cette capacité cognitive. Conséquence
logique, « certains patients porteurs de lé­
sions frontales ne savent plus mentir. Ils ne
font plus le distinguo entre ce qu’ils pensent et
ce que pourrait penser leur interlocuteur »,
observe le neurologue.
Pour mentir, il faut aussi être capable
d’inhiber la réponse sincère pour lui en
substituer une autre que l’on sait incor­
recte. Il faut donc disposer d’un contrôle
cognitif, là encore logé dans le lobe frontal.
« Certaines lésions du lobe frontal provoquent
des troubles du contrôle de la pensée et des
actions », observe le professeur Naccache.
Des patients atteints de tels troubles ont
souvent des propos ou des gestes désinhi­
bés. Par exemple, « ils ont des difficultés à
“mentir par omission”, c’est­à­dire à taire déli­
bérément une chose qu’ils savent à propos
d’une situation donnée. »
Dans sa série
« With my Family »,
réalisée en 1973
et composée
de quatre
photographies,
l’artiste néerlandais
Hans Eijkelboom
s’est mis en scène
comme étant le père
de famille, posant
avec des femmes
et des enfants
dans leur intérieur,
en l’absence
du vrai père.
HANS EIJKELBOOM
Mais pourquoi ces flambées
de « fake news » ?
Peut­être parce que, dans nos sociétés occi­
dentales, le poids de la religion a chuté.
« Les “fake news” sont de nouvelles formes
de religion. De vastes groupes s’assemblent
autour d’elles, se reconnaissent, s’identifient
et s’aiment, d’une certaine façon », estime
Patrick Clervoy. Autre raison probable : plus
les théories du complot prospèrent, plus
elles témoignent d’une angoisse collective.
L’ampleur des fabulations actuelles s’expli­
querait aussi par la menace que fait peser la
pandémie de Covid­19.
Mais il ne s’agit pas d’un phénomène nou­
veau. Durant la guerre du Péloponnèse, au
Ve siècle avant notre ère, on avait prêté de
fausses intentions à l’ennemi pour pouvoir
l’attaquer. Et durant la première guerre
mondiale, de folles rumeurs ont couru : les
bouillons Kub auraient été des outils
d’espionnage à la solde des Allemands…
Comment combattre ces fausses informa­
tions ? D’une part, il est bien plus ardu de ré­
tablir une vérité que de s’opposer à un men­
songe. Surtout si le message falsifié est court
donc percutant – comme sur Twitter. D’autre
part, « à trop lutter contre le mensonge, on ris­
que de l’enrichir », relève le docteur Clervoy.
Un combat épuisant et contre­productif.
Dès lors, quelle serait la plus sage attitude :
s’indigner face à l’omniprésence du men­
songe ? Vaine posture. Prôner le scepticisme
et la suspicion ? Dangereuse attitude. « En
France, en Russie, en Chine, au Cambodge…
les purges révolutionnaires ont été des cour­
ses folles pour faire advenir une vérité qui
n’existait pas. Cette quête aveugle a causé des
millions de morts », rappelle le psychiatre.
Nous sommes tous pris dans ce qu’il
nomme l’« effet fauvette », en référence à
l’oiseau dupé par le coucou : autrement dit,
nous donnons vie aux mensonges parce que
nous sommes crédules. L’important est d’en
avoir conscience. S’il nous faut renoncer à
connaître la vérité complète, nous pouvons
la chercher. Et en débattre, pour dissiper
quelques vilains gros mensonges. 
florence rosier
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de cet article sur Lemonde.fr

24 | science & médecine
CARTE BLANCHE
Le théorème de  progressivement. Plus leur orbite est basse,
l’indice, au sommet
Par ÉTIENNE GHYS
L e mathématicien américain Isadore
Singer est décédé le 11 février, à
l’âge de 96 ans. Avec son collabora­
teur Michael Atiyah, mort en 2019, il avait
démontré le théorème de l’indice, célèbre
parmi les mathématiciens, qui leur a valu
le prix Abel en 2004. L’importance excep­
tionnelle de ce théorème est attestée par
le fait qu’il établit un lien insoupçonné
entre deux parties des mathématiques
jusque­là éloignées, l’analyse et la topolo­
gie, mais aussi par ses conséquences en
physique théorique.
On pense souvent, à tort, que le rôle du
mathématicien consiste à résoudre des
équations. A vrai dire, il y a toutes sortes
d’équations. Beaucoup de celles qu’on ren­
contre en physique mettent en jeu des in­
connues qui sont des fonctions plutôt que
des nombres. On parle alors d’équations
différentielles et leur étude fait partie de
l’« analyse mathématique ». Il est rare
qu’on sache résoudre ce type d’équation
mais le théorème de l’indice permet de
compter le nombre de leurs solutions, ce
qui est bien souvent suffisant pour les ap­
plications. Atiyah et Singer associent à
l’équation un objet qu’on appelle un « fi­
bré », dont l’étude fait partie de la topolo­
gie, et sur lequel on peut lire directement
le nombre de solutions. Un pont est donc
établi entre l’analyse et la topologie.
Le théorème a été démontré en 1963
mais Atiyah et Singer n’en ont publié une
démonstration qu’en 1968. En fait, ils ont
attendu de disposer de trois démonstra­
tions différentes, un peu comme un som­
met qu’on atteint par plusieurs voies, cha­
cune apportant une nouvelle perspective.
Tout cela n’est pas apparu soudainement
dans leur esprit. Pendant plus de vingt
ans, ils ont développé leurs idées en s’ap­
puyant sur de nombreux théorèmes anté­
rieurs qui ne semblaient pas reliés. Les
progrès les plus importants en mathéma­
tiques sont bien souvent des synthèses :
des résultats hétéroclites apparaissent
tout à coup comme de simples cas parti­
culiers d’une théorie bien plus puissante.
L’externe et l’interne
Quelques années plus tard, le lien avec
la physique est apparu clairement. La
« théorie de jauge » des physiciens était
très proche des « fibrés » des mathémati­
ciens. Le théorème de l’indice devenait un
outil crucial en physique quantique. On
peut y voir un exemple de la « déraisonna­
ble efficacité des mathématiques dans les
sciences de la nature », pour employer une
expression célèbre du physicien Eugene
Wigner [1902­1995].
Les liens entre la physique et les mathé­
matiques sont vieux comme la science, et
les opinions divergent. Le mathématicien
Vladimir Arnold [1937­2010] affirmait que
les mathématiques ne sont qu’un chapi­
tre de la physique. D’autres insistent au
contraire sur l’importance des mathéma­
tiques comme discipline abstraite et auto­
nome. Le point de vue d’Atiyah et Singer
est intermédiaire. Selon eux, presque tou­
tes les mathématiques sont nées de la réa­
lité extérieure, par exemple ce qui concer­
ne les nombres, mais elles se sont tour­
nées ensuite vers des questions internes,
comme la théorie des nombres premiers.
D’autres parties des mathématiques sont
en revanche plus proches du monde exté­
rieur et la physique y joue un rôle crucial
de motivation. La force des mathémati­
ques réside dans ces deux composantes
complémentaires : externe et interne.
En 1900, David Hilbert [1862­1943] affir­
mait qu’« une théorie mathématique ne
peut être considérée comme complète que
si elle est si claire que vous pouvez l’expli­
quer à la première personne que vous
rencontrez dans la rue ». Hélas, il faudra
attendre encore un peu avant de pou­
voir expliquer clairement le théorème
de l’indice aux lecteurs du Monde ! 
Etienne Ghys
Mathématicien, secrétaire perpétuel
de l’Académie des sciences, directeur
de recherche (CNRS) à l’ENS Lyon.
etienne.ghys@ens-lyon.fr
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
En combien de temps un satellite retombe tout seul sur la Terre
Même si l’atmosphère, à quelques centaines Sur l’orbite géostationnaire,
de kilomètres d’altitude, est très ténue,
son frottement contre les satellites artificiels
à 36 000 km d’altitude, l’air est absent
et les satellites bougent très peu.
36 000 km (orbite géostationnaire)
A cette altitude, les satellites
réduit leur énergie et les fait redescendre C’est pour cette raison que les machines
vieillissantes y sont remontées
ne sont plus au contact de l'atmosphère
et sont virtuellement là pour toujours.
plus ils retombent vite sur Terre. En revanche, de quelques centaines de kilomètres,
à partir de 600 kilomètres d’altitude,
ce délai s’allonge considérablement et,
sur des orbites « cimetières ».
pour éviter que ces orbites s’encombrent
d'engins hors service avec un risque accru 1 200 km
de collisions, les agences spatiales préconisent A cette altitude, les satellites sont très peu touchés
la désorbitation des satellites en fin de vie. par les molécules d'air et il leur faut environ
2 000 ans pour retomber sur Terre.
Il est donc nécessaire de les désorbiter en fin de vie.
800 km
A partir de cette altitude, le délai
de redescente sur Terre dépasse le siècle.
500 km
Au-dessous de cette altitude, il faut moins de 25 ans à un satellite
pour retomber sur Terre tout seul, sans manœuvre de désorbitation.
420 km
La Station spatiale internationale (ISS) peut perdre
plusieurs centaines de mètres d'altitude par mois.
Son orbite est donc rehaussée plusieurs fois par an.
350 km
Sources : ESA, Unoosa
A cette altitude, le frottement avec l'atmosphère
Infographie Le Monde induit une redescente rapide, qui s'effectue sur une durée de six mois et un an.
DIX MILLE PAS ET PLUS car les populations handicapées sont
pour la plupart sédentaires, donc déve­
d’infection. A partir de 1948, le docteur
Guttmann a organisé les Jeux de Stoke
loppent des maladies cardio­vasculaires Mandeville, des compétitions sportives
« Le sport est un formidable et vivent moins longtemps. A travers
les personnes que je vais rencontrer,
on montrera comment le sport nous a
qui sont considérées comme les pre­
miers Jeux paralympiques, lesquels se
sont déroulés à Rome, en 1960.
outil pour l’autonomie aidés et ce à quoi on aspire : être des
citoyens de plein droit. Votre film se veut universel…
On va tourner dans plusieurs pays,
des handicapés »
Qui sont ces témoins que vous allez s’intéresser au handicap de façon glo­
rencontrer ? bale, pas seulement moteur. La parole
Il s’agit par exemple d’Esther Vergeer, sera donnée à des personnes avec triso­
une des plus grandes athlètes handi­ mie, autisme, déficit intellectuel… His­
ENTRETIEN - Le champion handisport Michaël Jérémiasz sport de l’histoire. Devenue paraplégi­
que à 8 ans, à la suite d’une erreur mé­
toriquement, cela a été très compliqué
pour des personnes comme moi de
veut produire un documentaire sur les bénéfices majeurs dicale, cette Néerlandaise s’est battue faire valoir nos droits, mais ça l’est en­
d’une pratique sportive pour cette population pour vivre sa vie de jeune fille et de core bien plus pour les personnes avec
sportive. Aujourd’hui, elle dirige une un handicap mental ou psychique. No­
fondation qui aide les enfants avec un tre principe sera de raconter, de dé­
C omment le sport a bouleversé la
condition des personnes handi­
capées depuis cent cin­
quante ans. C’est ce que promet de mon­
trer le documentaire De l’ombre à la lu­
Cette histoire de l’impact du sport
sur la vie des personnes handicapées
est peu connue…
Oui, et pas seulement du grand pu­
blic. Les personnes handicapées elles­
handicap à faire du sport. La plupart
des gens se battent pour leurs droits
personnels et… s’arrêtent là. Certains
vont plus loin et, grâce à ces hommes
et ces femmes, aujourd’hui de plus en
crire, mais sans jamais être dans le mi­
sérabilisme, et à l’inverse jamais dans
le sublime, l’extraordinaire. L’objectif,
c’est de banaliser la différence.
Avec ce documentaire, nous voulons
mière, porté par le réalisateur Philippe mêmes ne connaissent pas leur his­ plus de personnes s’épanouissent en donner des outils à chaque citoyen pour
Fontana et le champion de tennis en toire. J’ignorais qu’il y a cent cinquante faisant du sport et pourront donc vivre contribuer à une société plus inclusive,
fauteuil Michaël Jérémiasz, qui va incar­ ans, on était des abominations divines plus longtemps et plus heureux. plus juste. Nous prévoyons d’ailleurs
ner et raconter cette histoire en forme et des monstres de foire. Peu de gens Nous projetons aussi de rencontrer la d’aller voir le ministre de l’éducation,
de road­movie. Les deux amis, copro­ savent que le sport a été un formidable fille de Ludwig Guttmann, ce médecin Jean­Michel Blanquer, pour qu’il soit
ducteurs, ont lancé une campagne de fi­ outil après la seconde guerre mon­ allemand qui, juste après la seconde diffusé dans les écoles. Si pour les jeu­
nancement participatif par la plate­ diale pour la reconstruction des bles­ guerre mondiale, a fait faire du sport nes, qui seront les décideurs de demain,
forme Ulule. Un succès : leur objectif de sés médullaires et des blessés de aux blessés médullaires, dans l’hôpital aller à l’école avec un enfant handicapé
collecter 80 000 euros a été atteint le guerre. C’est toujours un formidable de Stoke Mandeville, en Angleterre, où ou avoir un copain handicapé ne relève
1er mars, avec dix­huit jours d’avance. La outil pour la prise de confiance en soi, il travaillait. Il a constaté les bienfaits de pas de l’événement, alors il n’y aura plus
cagnotte reste ouverte jusqu’au 19 mars. l’autonomie, et même l’espérance de l’activité physique chez ces personnes besoin de déconstruire les croyances. 
Entretien avec Michaël Jérémiasz. vie. Il y a un enjeu de santé publique qui se laissaient mourir ou mouraient propos recueillis par sandrine cabut
dévoiler la façon dont l’environnement a pu influen­
LE LIVRE cer l’expression du génome, sans le modifier – premier
à caractériser un épigénome ancien.
Outre notre propre lignée, la machine à remonter le
L’ADN, passeport vers les mondes anciens temps génétique nous aide à mieux comprendre les
grandes épidémies, la façon dont les microbes qui
nous habitent ont pu évoluer, les phénomènes de do­
Ludovic Orlando décrit avec brio comment la paléogénétique mestication, animale et végétale, d’extinction… Une
a fait de cette molécule fragile une machine à remonter le temps telle puissance explicative pourrait pousser à l’hu­
bris, à la tentation d’annexer tout le champ des étu­
des sur les mondes disparus. Rien de tel chez Ludovic
L e 17 février, la revue Nature publiait une étude
décrivant les restes de trois mammouths et
l’analyse de l’ADN qui s’y était conservé en dépit
du passage du temps : un nouveau record était établi,
le spécimen baptisé « Krestovka », trouvé en Sibérie,
l’informatique et l’archéologie. Il en connaît tous les
acteurs, qui sont souvent des concurrents, et toutes les
servitudes : le séquençage des 2,8 milliards de bases du
génome de TC21, son cheval canadien, lui a demandé
trois années de patient et incertain labeur.
Orlando, qui plaide pour une collaboration plus étroite
avec les archéologues ou les linguistes et met en garde
contre certaines interprétations qui feraient litière de
leurs savoirs. Autre point saillant de son livre, l’atten­
tion portée à ce que ces découvertes nous disent des
ayant été daté de plus de 1,5 million d’années. Soit le migrations humaines, de l’impermanence des peu­
double du plus ancien fossile dont le génome ait été Mieux comprendre les épidémies ples, des métissages. Cette réflexion sur la dimension
décrypté jusqu’alors, un cheval du Yukon (Canada) Mais les perspectives sont ébouriffantes. L’ADN proprement politique de tels travaux est à saluer.
vieux de 700 000 ans. s’avère une clé sans égale pour accéder aux mondes Seule faute de goût – sans doute pas du fait de
Ces résultats spectaculaires sont le fruit d’une révo­ anciens. C’est bien cette molécule pourtant fragile qui l’auteur –, la couverture, qui met en scène une sil­
lution scientifique que retrace avec talent Ludovic nous a permis de déterminer que notre cousinage houette de tyrannosaure, grosse bestiole dont l’ADN
Orlando, dans L’ADN fossile, une machine à remonter le avec Neandertal était allé jusqu’au métissage. C’est ne sera probablement jamais ressuscité que par les
temps. Aujourd’hui directeur de recherche au CNRS, à la elle qui a révélé l’existence d’une autre humanité, les scénaristes d’Hollywood… 
tête du centre d’anthropologie et de génomique de dénisoviens, avec lesquels nos ancêtres ont aussi co­ hervé morin
Toulouse (université Paul­Sabatier), il est l’un des pion­ habité. Plus fort encore, en l’absence de fossiles, l’ADN
niers de la paléogénomique, cette « pluridiscipline » piégé dans les sédiments trahit le passage d’animaux L’ADN fossile, une machine à remonter le temps,
qui associe la biologie moléculaire, les mathématiques, ou d’« homo ». Ludovic Orlando a même commencé à de Ludovic Orlando (Odile Jacob, 258 p., 22,90 €).
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MERCREDI 3 MARS 2021
De la verroterie vénitienne en Amérique  TÉLESCOPE
avant sa « découverte » en 1492 ?
ARCHÉOLOGIE - Des perles de verre de facture européenne, trouvées en Alaska, pourraient y être
parvenues via l’Asie et le détroit de Béring avant que Christophe Colomb n’ouvre la route par l’océan
U tilisées depuis l’Anti­
quité pour la broderie, la
bijouterie et la décora­
tion intérieure, les perles de
verre dites « de traite » ont long­
temps servi de monnaie
d’échange entre les continents.
Le début de l’ère coloniale, no­
tamment, a vu les Européens
inonder les populations autoch­
tones de ces « camelotes » ou
« pacotilles » dévolues au troc.
Aujourd’hui, ces artefacts – dont
certains furent utilisés en Afrique
pour négocier des esclaves – li­
vrent aux archéologues de pré­
cieux renseignements sur les an­
ciennes routes commerciales.
L’une d’elles reliait­elle, sur plus
de 17 000 kilomètres, Venise à
l’Amérique du Nord via la Sibérie,
à une époque antérieure à la dé­
couverte du Nouveau Monde par
Christophe Colomb ?
Telle est la surprenante théorie
proposée par une équipe améri­
caine après l’exhumation de dix
de ces « rocailles » sur trois sites
d’occupation inupiaq du nord­
ouest de l’Alaska. Dans la revue
American Antiquity, Michael
Kunz et Robin Mills, archéolo­
gues au Bureau of Land Manage­
ment (« bureau de gestion du ter­
ritoire »), à Fairbanks (Alaska), ra­
content comment ils ont établi
que ces petites perles bleues,
identifiées comme provenant de
l’atelier d’une guilde de mar­
chands vénitiens, ont été appor­
tées dans la région plusieurs an­
nées avant l’arrivée du naviga­
teur génois (1492). Selon eux,
l’unique façon d’expliquer com­
ment, en l’absence de liaison
transatlantique, elles ont pu par­
venir à cet endroit est d’envisager
qu’elles aient voyagé par voie ter­
restre et maritime à travers l’Asie
et le détroit de Béring.
Des deux côtés du détroit
L’hypothèse paraît d’autant plus
audacieuse qu’elle concerne un
territoire – le nord­ouest de
l’Alaska – réputé être demeuré
vierge de tout contact avec les
Européens jusqu’à des périodes
récentes. Les premières rencon­
tres avec ses habitants, de langue
inupiaq, remonteraient à 1818
seulement. Ces derniers n’étaient
A Villers­Cotterêts, un château en cachait un autre
PATRIMOINE - Le logis royal de François Ier a été érigé sur les vestiges mis à jour d’un château médiéval
D ans un an, le château de
Villers­Cotterêts,
l’Aisne, commencera une
dans
nouvelle vie en devenant la Cité in­
ternationale de la langue française
voulue par Emmanuel Macron. Une
énième nouvelle vie devrait­on plu­
tôt dire, car cet ancien logis royal,
dont François Ier, qui aimait à chas­
ser dans la forêt de Retz voisine, or­
donna la construction en 1528, en a
déjà connu plusieurs. Ce lieu de
bien­être et de plaisirs a en effet, au
début du XIXe siècle, été transformé
en « dépôt de mendicité », expres­
sion opaque désignant un lieu pati­
bulaire où l’on enfermait les men­
diants de Paris pour leur « redonner
l’heureuse habitude du travail »…
Puis l’endroit est devenu un hos­
pice pour indigents avant de se
muer en une maison de retraite
puis en un Ehpad qui a fermé ses
portes il y a six ans.
Avant que ne commence une in­
tense campagne de restauration qui
réunira plus de 600 compagnons et
Ces perles de verre, trouvées
dans le nord de l’Alaska, auraient
été fabriquées à Venise vers 1400.
LESTER ROSS
pas pour autant isolés. « On sait
qu’ils entretenaient des relations
de l’autre côté du détroit de Béring,
en Sibérie, avec les Tchouktches qui
leur vendaient, en échange de
graisse de baleine, des peaux de ca­
ribou et, occasionnellement, des
objets issus de leur commerce avec
les trappeurs russes installés sur le
continent américain depuis la fin
du XVIIIe siècle », explique Claire
Alix, directrice du laboratoire ar­
chéologie des Amériques du CNRS
et de l’université Paris­I.
Des Tchouktches, ou des repré­
sentants d’autres peuples sibé­
riens, se seraient­ils faits livreurs
de perles ? Celles­ci sont toutes
semblables, laissant supposer
ouvriers, les cours et abords du châ­
teau ont été investis par l’Institut na­
tional de recherches archéologiques
préventives (Inrap) pour des fouil­
les. Les archéologues sont d’abord
intervenus une première fois au
cours de l’été 2020 dans la partie
nord, celle du logis royal à propre­
ment parler, et une seconde fois cet
hiver dans la cour des Offices. Il
s’agissait non seulement d’étudier
les transformations qu’avait subies
la demeure de la Renaissance au
cours de ses cinq siècles d’histoire,
mais aussi de chercher ce qui l’avait
précédée. Car, à Villers­Cotterêts, un
château en cachait un autre.
Le logis royal de François Ier – où il
allait signer, en 1539, la fameuse or­
donnance de Villers­Cotterêts, exi­
geant que tous les actes administra­
tifs « soient prononcés, publiés et no­
tifiés aux parties en langue mater­
nelle française, et pas autrement »,
c’est­à­dire plus en latin – ne fut pas
créé ex nihilo. Au contraire, il s’ins­
talla en lieu et place d’un château
qu’elles provenaient d’une seule
et même cargaison. Et ont été dé­
couvertes avec divers bijoux en
bronze, en fer et en cuivre sur les
lieux de trois anciens habitats,
placés le long d’une des routes
coutumières reliant, du détroit
de Béring à la mer de Beaufort,
deux des importants centres de
commerce inupiaq.
Michael Kunz et Robin Mills ont
voulu établir depuis quand ces
mystérieuses verreries, arrachées
une à une aux sols gelés du per­
gélisol au cours d’une longue sé­
rie de fouilles commencées il y a
soixante ans, se trouvent en
Alaska. Pour cela, ces archéolo­
gues ont recouru à des procédés
médiéval dit de « la Malmaison », re­
montant au XIIe siècle et tombé
en 1213 dans l’escarcelle des rois de
France. C’est cette forteresse arasée
sur ordre de François Ier qui a « re­
surgi » lors des fouilles menées par
l’Inrap. Sur le front nord du château
actuel ont été dégagés plusieurs élé­
ments, en particulier « une tour pres­
que carrée de 5 mètres sur 6, cons­
truite entre le XIIe et le XIVe siècle, qui
s’insérait dans un ensemble plus
vaste », explique Thierry Galmiche,
archéologue au département de
l’Aisne. Deux tours circulaires, des
éléments de soutènement et des
latrines en pierre de taille ont été
retrouvés dans ce secteur.
Décharge et jeu de paume
De l’autre côté du château actuel,
dans la cour des Offices, les cher­
cheurs ont mis au jour « la basse­cour,
c’est­à­dire les dépendances du châ­
teau médiéval, précise Bénédicte
Guillot, archéologue à l’Inrap et co­
responsable avec Thierry Galmiche
science & médecine | 25
de datation au carbone 14 afin
d’estimer l’âge des ossements de
caribou, des charbons de bois et
d’une cordelette en fibre d’écorce
de saule, conservés en bon état
sur leurs sites d’exhumation.
Leur conclusion ? Elle est plutôt
surprenante et montre que, très
probablement, ces perles furent
inhumées entre 1443 et 1488,
c’est­à­dire plusieurs années
avant le premier voyage de
Christophe Colomb.
Flou sur la datation
L’équipe a également cherché à
préciser la provenance de ces ob­
jets. Ils appartiendraient à une
catégorie de perles dite « de type
IIa40 », dont la présence a été at­
testée non pas en Asie, mais sur
d’autres sites archéologiques de
l’Amérique du Nord, datés de
1550 à 1750. Selon les auteurs, qui
s’appuient sur des arguments bi­
bliographiques et des résultats
d’analyses de composition dé­
montrant la présence d’un verre
sodocalcique jugé caractéristi­
que, ils seraient issus d’un atelier
vénitien.
Ces éléments suffisent­ils à dé­
montrer l’existence d’une con­
nexion entre Venise et l’Alaska à
l’époque précolombienne ? « Ces
chercheurs n’excluent pas totale­
ment la possibilité que ces perles,
qui sont de facture européenne
– mais dont l’origine vénitienne
ne peut à mon avis pas être éta­
blie –, soient parvenues dans cette
région après l’arrivée de Christo­
phe Colomb, remarque Adelphine
Bonneau, postdoctorante, spécia­
liste des perles de verre à l’univer­
sité d’Oxford et à l’université du
Québec, à Chicoutimi, au Canada.
En effet, d’après cet article, leurs da­
tations ouvrent la possibilité d’une
fourchette qui irait jusqu’au début
du XVIIe siècle, c’est­à­dire sur une
période où des Européens étaient
déjà présents dans l’est de l’Amé­
rique. Cela n’a rien d’anecdotique.
Car on pourrait alors imaginer que
ces perles aient voyagé d’est en
ouest à travers le continent jusqu’à
l’Alaska, en suivant les réseaux
d’échanges entre les autochtones. »
Dans les deux cas, le périple de ces
verroteries reste fascinant. 
vahé ter minassian
des opérations. Il y a aussi beaucoup
de fosses, entre trente et quarante,
dans la partie la plus éloignée du châ­
teau », qui servaient de décharge et
feront le miel des scientifiques – les­
quels n’aiment rien tant qu’analyser
les contenus des poubelles où termi­
nent tous les éléments de la vie quoti­
dienne, en particulier des morceaux
de céramique et les ossements des
animaux consommés.
La plus sympathique découverte
de ces fouilles ne concerne cepen­
dant pas la forteresse du Moyen Age
mais bien le logis royal dans la cour
duquel a été retrouvé le jeu de
paume de François Ier, le plus ancien
à avoir fait l’objet d’une fouille en
France. Il couvrait presque la surface
de deux terrains de tennis actuels. Le
château de Villers­Cotterêts et son
ancêtre de la Malmaison n’en ont
pas encore fini avec les archéologues
puisqu’une troisième campagne
aura lieu à l’automne, qui reliera les
deux zones explorées jusqu’ici. 
pierre barthélémy
b
MÉDE C INE
Un vaccin préventif
contre le VIH à l’essai
Le Vaccine Research Institute/VRI (Agence
nationale de recherche sur le sida­Inserm et
université Paris­Est Créteil) a annoncé, jeudi
25 février, le lancement de l’essai de phase 1
d’un vaccin préventif contre le VIH. Il recher­
che 72 volontaires âgés de 18 à 65 ans, sans
problème de santé, habitant l’Ile­de­France.
L’essai évaluera la tolérance de différentes
doses du vaccin qui sera administré soit seul,
soit associé à un autre vaccin dont le déve­
loppement est plus avancé. A ce stade « nous
n’évaluerons pas l’efficacité vaccinale », a indi­
qué le professeur Yves Lévy, directeur du VRI
et investigateur principal de l’essai, lors d’une
webconférence. Appelé « CD40.HIVRI.Env »,
ce candidat vaccin repose sur l’injection
d’anticorps monoclonaux qui ciblent spécifi­
quement des cellules­clés de la réponse im­
munitaire. Cette technologie pourrait aussi
être utilisée pour créer un vaccin anti­Covid.
En 2019, 1,7 million de nouvelles contami­
nations par le VIH, à l’origine du sida, ont été
recensées dans le monde, selon l’OMS.
S C IEN C E- SO C IÉTÉ
Nouveau venu dans le champ
du dialogue entre disciplines
Plusieurs sociétés savantes et associations se
sont officiellement regroupées, sous le label
« Collège des sociétés savantes académiques
de France », pour « renforcer le dialogue entre
les champs disciplinaires, porter une réflexion
de fond sur les enjeux, les moyens et l’orga­
nisation de la recherche, et rendre compte
aux citoyens et aux responsables politiques,
administratifs et économiques des différentes
options concernant les grands enjeux de
demain et leurs conséquences sur l’avenir
de notre pays ». Présidé par le biologiste du
développement Patrick Lemaire, cet ensem­
ble réunit plusieurs dizaines de milliers
de professionnels du monde de la recherche
et de l’enseignement supérieur. Parmi les
49 membres fondateurs, on trouve les socié­
tés savantes de mathématiques, de physique,
de génétique, de virologie, de sociologie, de
psychologie… ainsi que les associations Les
Petits débrouillards ou Femmes et sciences.
> A retrouver sur Societes­savantes.fr
PALÉO NTO LO GIE
Les dinosaures carnivores juvéniles,
réducteurs de biodiversité ?
Les espèces de dinosaures carnivores
de taille intermédiaire sont plus rares que
les espèces herbivores de dimension
moyenne, leurs proies. Une tendance plus
marquée au crétacé (145 à 66 millions d’an­
nées) qu’au jurassique (201 à 145 millions
d’années). C’est ce que montre l’étude
d’une base de données de 550 espèces de
dinosaures vivant sur tous les continents,
dans 43 écosystèmes. Explication possible :
les juvéniles des espèces les plus massives,
les allosaures et les tyrannosaures, auraient
pu, au fil de leur croissance, se tourner
vers des proies de différentes niches écolo­
giques, évinçant les espèces de prédateurs
plus spécialisées. A moins que la base de
données ne soit incomplète, ou que des fos­
siles qualifiés de « juvéniles » représentent
en fait des espèces à part entière.
> Schroeder et al., « Science » du 26 février.
0
C’est le nombre de cas de grippe enregistré en
Angleterre depuis le début de l’année. Selon
Public Health England, un organisme du minis-
tère de la santé, aucune des 685 243 analyses
d’échantillons effectuées depuis la première se-
maine de janvier ne s’est révélée positive pour le
virus de la grippe saisonnière. Ce résultat s’expli-
que par le confinement, la réduction des échan-
ges internationaux et les gestes barrières qu’im-
pose la pandémie de Covid-19, mais aussi par
un taux record de vaccination : plus de 80 % des
plus de 65 ans ont été vaccinés contre la grippe
en Angleterre. En France, la maladie, qui touche
d’ordinaire plusieurs millions de personnes
chaque année, reste à un niveau extrêmement
bas. Selon le bulletin de Santé publique France
du 24 février, seule une vingtaine de conta-
minations ont été détectées depuis l’automne.
À NOS LECTEURS
En raison d’un dossier spécial la semaine
prochaine, il n’y aura pas de pages
« Science & médecine » dans le quotidien daté
du 10 mars. Notre rendez­vous hebdomadaire
reprendra son cours dès le 17 mars.
 CULTURE
26 |
Etudier le cinéma, entre petit et grand écran
UN AN DE CULTURE CONFINÉE 8|12 Privés de salles, les jeunes se tournent vers les courts­métrages et l’écriture de séries
ENQUÊTE
D
e nombreux étu­
diants en cinéma le di­
sent : on peut être fan
de plates­formes et
continuer à aimer la salle. Mais,
depuis un an et le début de la pan­
démie de Covid­19, leur univers
s’est rétréci comme la taille de
l’écran. Pour eux, combien de
tournages interrompus, de stages
annulés, de projets repoussés ? Le
moral est en berne avec la ferme­
ture des salles – d’abord du
14 mars au 22 juin 2020, puis à
nouveau depuis le 30 octo­
bre 2020. Au total, les exploitants
ont baissé le rideau durant plus
de sept mois, et ce n’est pas fini.
Quand on a 20 ans, peut­on en­
core rêver de fabriquer des films
pour le grand écran, ou se laisse­
t­on tenter par les séries, nouveau
boulevard des jeunes diplômés ?
Un étudiant de l’université de
Picardie Jules­Verne, à Amiens,
nous écrit : « Nous avons l’impres­
sion d’être la promotion sacri­
fiée. » Cédric Bouvier, 25 ans, ins­
crit en master 2 pro « cinéma do­
cumentaire », a dû abandonner
son projet de film du fait des
contraintes sanitaires. Il ne
manque pourtant pas de ressort.
Aujourd’hui, devant son ordina­
teur, il fabrique un court­métrage
sur la musique « indé » améri­
caine, en interrogeant des musi­
ciens à distance et en intégrant
des images d’archives de con­
certs. Il découvre à son âge « des
pics d’énergie aléatoires », dit­il
avec pudeur pour exprimer les
hauts et les bas qu’il traverse.
Cédric Bouvier se souvient de
cette annonce de stage surréa­
liste, en 2020, offrant « un poste
sur Zoom en distanciel », pour ac­
compagner le financement parti­
cipatif d’un film. Cette année,
l’étudiant a enfin trouvé un stage
« de terrain » : « Je vais réaliser des
documentaires pour une télé de
quartier à Abbeville [Somme], là
où habitent mes parents. » Il es­
père intégrer une école privée pa­
risienne à la rentrée 2021, « moins
sélective » selon lui que les trois
grandes écoles publiques que
sont la Fémis, à Paris, Louis­Lu­
mière, à Saint­Denis (Seine­Saint­
Denis) et la CinéFabrique, à Lyon.
Pour lui, même si l’avenir est in­
certain, l’amour du cinéma l’em­
porte et tire le moral vers le haut :
« On a la satisfaction de créer. »
Ce plaisir de fabriquer ensem­
ble, c’est peut­être ce qui sauve les
étudiants en cinéma. Encore
faut­il pouvoir tourner. Etudiante
à l’université Paris­VIII, à Saint­
Denis, après une licence en arts et
spectacles à Montpellier, Ozélie
Carette attend de pouvoir partir
en Allemagne pour faire son
court­métrage : un projet inspiré
par la vie de son arrière­grand­
père, lequel avait été réquisi­
tionné pour le service du travail
obligatoire durant l’occupation
de la France par l’Allemagne nazie.
« Au retour, mon arrière­grand­
père a dû rentrer à pied jusqu’à la
frontière française. J’ai retrouvé
des cartes postales et des photos
qui retracent ce périple. Je veux
faire ce trajet à mon tour, et le fil­
mer avec une amie qui s’occupera
du son. Pour l’instant, les frontiè­
res sont fermées… »
Elle aussi étudiante à Paris­VIII,
après un bac « obtenu en 2020
sans l’avoir passé », Gaia Ingrao
n’attend que ça : écrire des histoi­
res à plusieurs. « On rêvait tous
d’être les prochains Arnaud
Desplechin et Céline Sciamma, et
puis le Covid est arrivé, les salles
« On a constaté
une grande
fragilité générale,
et notre réponse
a été
de maintenir
notre formation »
NATHALIE COSTE-CERDAN,
directrice de la Fémis
ont fermé. Je suis portée par mon
groupe d’amis. On est huit, et on
espère partir en juin dans une
maison pour réaliser un court­mé­
trage. » Ailleurs, à l’école docu­
mentaire de Lussas, dans l’Ardè­
che, des étudiants issus de l’uni­
versité de Grenoble (master 2
« documentaire de création »)
sont en train de monter un film
collectif, accompagnés par le réa­
lisateur Jacques Deschamps. Am­
biance champêtre et détendue
dans le petit village où ont lieu
chaque été les Etats généraux du
film documentaire.
Organisation drastique
Pour préserver les liens, les équi­
pes enseignantes ont dû se réin­
venter. « Depuis un an, les étu­
diants n’ont pas été épargnés.
Certains ont perdu leurs grands­
parents et n’ont pas pu aller à leur
enterrement. On a constaté une
grande fragilité générale, et notre
réponse a été de maintenir notre
formation. L’activité relie à la vie »,
souligne Nathalie Coste­Cerdan,
directrice de la Fémis. Cela sup­
pose une organisation drastique
pour échapper au virus, les élèves
manipulant beaucoup de maté­
riel et fabriquant des « courts » en
alternant les différents postes :
scénario, réalisation, prise de son,
déco, montage, mixage, etc. « On
s’est organisés et on n’a pas eu un
seul cas de Covid depuis novem­
bre », constate la patronne de la
Fémis, avec soulagement.
A l’Ecole nationale supérieure
Louis­Lumière, autre pôle d’excel­
lence qui forme aux métiers de
l’image, de la photographie et du
son, les gestes barrières n’ont pas
suffi. « On a eu plusieurs cas de
Covid à la rentrée : quand le
deuxième confinement est arrivé,
le 30 octobre, on a décidé d’arrêter
les tournages. Ils reprendront en
avril, et l’école restera ouverte au
mois d’août afin que les films
puissent être achevés », explique
le directeur, Vincent Lowy.
Etudiant à la CinéFabrique, à
Lyon, un établissement qui vise à
élargir la diversité des élèves (ori­
gine géographique, sociale, han­
dicap, etc.), Hugo Martin est cons­
cient des difficultés, mais il sait
aussi la chance qu’il a. « La CinéFa­
brique est une école jeune, avec du
matériel ultramoderne. La se­
maine dernière, un grand profes­
sionnel de l’optique, Jean­Yves Le
Poulain, est venu nous présenter
les derniers prototypes de caméra.
L’automne dernier, j’ai pu finir le
tournage d’un court­métrage
dans le massif du Mont­Blanc. On
continue de filmer des visages,
heureusement… »
Le fondateur, en 2015, de la Ciné­
Fabrique, Claude Mouriéras, es­
saie, lui, de réfléchir au « monde
d’après » : « Comment entrer dans
ce métier quand on ne connaît pas
le modèle qui va sortir de la crise ?
Pour l’instant, l’alternance école­
tournage continue, mais pour
combien de temps ? Beaucoup de
films ont été fabriqués ces derniers
mois mais ne peuvent sortir en
salles. Et les étagères des distribu­
teurs sont pleines… »
Il y a le risque de tourner en
rond. « Le plus difficile, c’est l’ab­
sence de perspective sur la réou­
verture des salles. Avant, je voyais
huit films par semaine… », soupire
Charlotte Merveille, étudiante en
master « digital media » à l’uni­
versité Paris­I, qui forme aux
métiers de la production. « L’autre
jour, je disais à un ami : “Tu te rap­
pelles quand on discutait à six ou
sept pour savoir quel film on allait
voir ?” Quel singulier bonheur
d’aller chercher les horaires des
séances ! S’asseoir dans une salle,
s’arrêter deux heures, un vrai luxe.
Vous vous posez, la lumière
s’éteint, et c’est parti. Rien que d’en
parler je suis émue. »
L’étudiante a profité du confine­
ment pour « faire des rétrospecti­
ves en ligne, Pedro Almodovar,
Ingmar Bergman… J’ai lu des essais
et découvert le critique Serge
Daney. Ça m’a permis de revoir
mon projet professionnel, je me
suis recentrée sur l’esthétique et je
vais me tourner vers la produc­
« Aujourd’hui,
c’est sans doute
la meilleure
période
pour devenir
scénariste
de série »
BASTIEN DARTOIS,
étudiant à la Fémis
tion. » Elle cherche des stages,
mais ils sont pris d’assaut. Aux
alentours du 12 février, sur Profil­
Culture, le site spécialisé pour les
métiers du spectacle et de l’audio­
visuel, une annonce est restée en
ligne seulement quelques heures.
« La boîte avait déjà reçu 300 can­
didatures et elle a retiré l’offre »,
raconte Charlotte.
Léa Merle, qui veut devenir scé­
nariste et réalisatrice, se souvient
de cette soirée il y a presque six
mois. Le 18 septembre 2020, vers
18 heures, elle sortait d’une salle
de cinéma, à Paris. « Je venais de
voir Adolescentes, de Sébastien
Lifshitz, et j’ai appris quelques mi­
nutes plus tard que j’étais retenue
à la Fémis. » Dans sa promotion
de 44 élèves, en première année,
tout le monde avait l’habitude de
fréquenter les salles, même si une
poignée de cinq ou dix étu­
diants sont « à fond sur les plates­
formes », dit­elle. Après des étu­
des de philosophie, la voilà, à
28 ans, au début de son parcours,
avec l’envie de « travailler sur l’iro­
nie au cinéma, et le comique dé­
calé ». Vivra­t­elle de son travail ?
« Peut­être un jour, il faudra aller
vendre notre âme au diable, faire
un film de Noël pour une plate­
forme. Ou bien, si le désir d’enfant
arrive vers l’âge de 30 ans, est­ce
que je me tournerai vers une série
pour des raisons économiques ? »
Un an après le début de la crise,
il est encore un peu tôt pour tirer
des conclusions sur l’insertion
professionnelle, mais il y a quel­
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
SIMON LANDREIN
ques tendances fortes, observe la
directrice de la Fémis, Nathalie
Coste­Cerdan : « Parmi les étu­
diants qui se sont spécialisés dans
la série, 100 % ont trouvé du travail
cette année. Ils sont même sursolli­
cités. Dans les sections réalisation
et scénario, c’est un peu ralenti.
Une réalisatrice est en train
d’écrire une série policière sur
Instagram. » Elle se nomme Miao
Yu, et développe son projet avec
une autre jeune diplômée en pro­
duction, Louise Silverio. Celle­ci
raconte le début de l’aventure :
« Miao avait une idée de long­mé­
trage coûteux. Je lui ai proposé
d’écrire plutôt une série en utili­
sant des images d’Instagram.
L’histoire : une femme, influen­
ceuse sur les réseaux sociaux,
meurt en direct sur Insta. On ne
sait pas qui la filme, et on ne
connaît pas les circonstances de sa
mort », raconte­t­elle.
« Aujourd’hui, c’est sans doute la
meilleure période pour devenir
scénariste de série. C’est une si­
tuation inédite, la télé française
n’a jamais eu autant besoin
d’auteurs », estime Bastien Dar­
tois. Après plusieurs années d’ex­
périence à la télévision, pour faire
du « direct » et réaliser des formats
courts de comédie, le jeune hom­
me a décroché une formation d’un
an à la Fémis, sur la création de
séries. Il découvre l’écriture en
atelier collectif : « On commence
par rédiger une “bible” qui résume
le concept de la série. Parfois, on
fait aussi un “pilote”, c’est­à­dire
un premier épisode dialogué. On
le donne au producteur et celui­ci
va discuter avec les chaînes. En­
suite, on croise les doigts… » Il en est
persuadé : « Les plates­formes ont
moins peur d’embaucher de jeu­
nes auteurs. Pour ma part, je viens
de signer mes premiers contrats
en ligne. Un moment de satisfac­
tion étrange. » 
clarisse fabre
Prochain article La Biennale
d’architecture de Venise
face à la crise sanitaire
0123
MERCREDI 3 MARS 2021 culture | 27

Le réalisateur Miguel Gomes Julien Clerc, plus

« Terrien » que jamais
en plein bouillonnement créatif et toujours amoureux
Le Portugais a quatre projets en cours, dont un film né du confinement Dans son nouvel album, le chanteur
s’empare de sujets de société actuels,
sans abandonner les ballades sentimentales

CHANSON On doit

I nstallé ces dernières années

à Londres, Julien Clerc est re­
venu vivre en France. Comme
il l’a déclaré dans des entretiens à
la presse, la crise sanitaire due au
Covid­19 et le Brexit ont été à l’ori­
gine de cette décision. Le Brexit,
justement, qui donne son titre
à l’une des chansons de Terrien, le
nouvel album du chanteur, com­
positeur et pianiste. Le texte est si­
gné Paul Ecole, qui a façonné une
histoire d’amour « avec des larmes
à l’intérieur » entre une Anglaise
A Lisbonne et un Français, le retrait britanni­
(Portugal), que de l’Union européenne ser­
le 26 février. vant de toile de fond lointaine.
JOSÉ SARMENTO MATOS Composé durant le premier con­
POUR « LE MONDE » finement, Terrien aborde plu­
sieurs sujets d’actualité, de so­
ciété, ce qui n’est pas si courant
pour Julien Clerc. Mademoiselle,
que signe Didier Barbelivien, est
un hommage au corps ensei­
gnant, symbolisé par une jeune
enseignante qui a appris à ses élè­
ves à aimer « la lecture et la poé­
sie ». La Rose et le Bourdon, écrite
par le rappeur Vincha et l’amou­
reux du folk et du blues américain
Baptiste W. Hamon, traite du dérè­
glement climatique. Comment tu
RENCONTRE (Hautes Terres), écrit par le Brési­
lien Euclides da Cunha et paru
« J’ai proposé contre des séances à domicile, sur
ordinateur. Pas tout à fait la même
vas ? évoque par la plume de Marie
Bastide la dépression, « ceux qui se
à Jeanne Cherhal
« La Jeune Fille
en feu », texte
sur les femmes
victimes
d’agressions
sexuelles
des caresses, de la peau, de la voix
aussi, ou d’Automne, pudique,
qu’il doit à Bernard Lavilliers.
Tout comme il irrigue Mon re­
fuge, de Clara Luciani, laquelle si­
gne aussi l’étrange L’homme a
nagé, dont on raconte « qu’il
aurait voulu noyer / au grand
large, un amour blessé », L’Amour
des gens, de Barbelivien, dont le ti­
tre résume le propos ou Ma petite
terre, dans laquelle Marc Lavoine
permet à Julien Clerc d’évoquer
son attachement à ses racines ma­
ternelles guadeloupéennes.
Avec toujours chez Julien Clerc
compositeur un sens de la mélo­
die qui fait de chaque chanson un
moment gracieux, limpide. Au­
delà de la manière du piano­voix,
de la présence d’une rythmique
discrète, de cordes, une sobriété

L
e terreau dans lequel s’en­
racine Miguel Gomes
est férocement portugais,
lorsqu’on associe ce terri­
toire à celui du cinéma : cultivé, in­
solite, aventureux, entaché d’une
impériale saudade. Souvent gé­
nial, en un mot, comme l’attestent
Ivan Reis, Paulo Rocha, Manoel de
Oliveira ou Joao César Monteiro.
Né à Lisbonne voici quarante­
neuf ans, Gomes, ancien critique,
se lance dans leur sillage en 1999.
On lui doit peu de films depuis
vingt ans, mais, à chaque fois, des
ovnis. Ce cher mois d’août (2008),
fiction documentaire tournée
dans la région de Coimbra, est une
intervention de magie climatique.
Amours d’été, flonflons et guirlan­
des, pompiers à pied d’œuvre,
légendes rurales, « nuit des
couilles », rêve bucolique de bac­
chanales : tout, ici, charrie
le charme anarchisant d’une tra­
dition populaire locale.
Quatre ans plus tard, Tabou évo­
que, entre Lisbonne et le Cap­
Vert, les amours interdites d’un
vieux couple durant la colonisa­
tion, elle portugaise, lui capver­
dien. Jouant avec le fantôme de
Robert Flaherty, auteur du Tabou
originel (1931), c’est un très beau
film sur l’évanescence de nos pas­
sions terrestres, sur l’empire
déchu de nos brèves conquêtes,
sur la vie comme spoliation
de nos illusions les plus chères.
Imaginaire populaire
Enfin, la trilogie des Mille et Une
Nuits (2015), tournée au cœur du
Portugal de la crise et de la paupé­
risation, entre conte et documen­
taire. Une chronique farcesque de
la violence néolibérale qui part
dans tous les sens, une folie douce
dont les éclats éparpillés produi­
sent des étincelles. Le film témoi­
gne de deux constantes préoccu­
pations du cinéma de Gomes.
Rechercher et travailler les sour­
ces d’un imaginaire populaire.
Raconter une histoire pour nulle
autre raison que retarder la mort.
Deux vertus cardinales qui font
de son œuvre, si singulière, le lieu
d’un réenchantement du monde.
Entreprise que l’attaque mas­
quée du Covid­19 met à mal mais
ne désarme pas. Il en faudrait da­
vantage à un Gomes, qui aligne,
comme à la parade, quatre projets
dans ses bagages. Le premier
se nomme Sauvagerie. C’est
l’adaptation d’un livre, Os Sertoes
en 1902. Il y fait le récit, entre
autres, de la guerre qui a opposé, à
la fin du XIXe siècle, l’armée brési­
lienne aux adeptes d’un prophète
dans un recoin aride de l’Etat
de Bahia. « Après un long processus
de financement, précise le réalisa­
teur, nous avions prévu de filmer
à la fin de l’année 2020. La pandé­
mie a changé ce calendrier… »
Vient ensuite O Burlão (« l’arna­
queur ») : « C’est le biopic d’un arna­
queur portugais que nous avons
connu lors des recherches pour
Les Mille et Une Nuits. Nous avons
enquêté sur sa vie et avons recueilli
en détail sa propre version des faits
– pas toujours coïncidente avec
le résultat de l’enquête. C’est le pro­
jet le moins avancé, pour l’instant. »
Grand Tour a aussi été stoppé par
la pandémie. C’est une histoire
de poursuite amoureuse se dérou­
lant dans le Sud­Est asiatique et
l’Extrême­Orient, à la fin des an­
nées 1910. « Pour l’écrire, nous
avons nous­mêmes fait le voyage,
en janvier et février 2020. Et nous
l’avons filmé. Le film résultera de la
combinaison entre ce “travelogue”
[carnet de route] et des scènes
de studio. Mais notre voyage a été
interrompu avant la fin : après le Ja­
pon, nous n’avons pas pu terminer
notre parcours, à cause du virus. »
Quatrième atout dans son jeu,
Diarios de Otsoga, qu’on peut tra­
duire par « Journal de Tûoa » (un
terme à lire à l’envers) : « C’est
le dernier projet qui a surgi, mais
ce sera sûrement mon prochain
film puisqu’il est déjà tourné
et monté. Je l’ai coréalisé avec Mau­
reen Fazendeiro, ma compagne.
Nous en terminons la post­produc­
tion. C’est un journal de confine­
ment atypique, complètement fic­
tionnel et filmé sur pellicule. »
Ce foisonnement créatif et exis­
tentiel, cette fiévreuse allégresse
de la pensée faite mouvement
pourraient étonner s’ils ne res­
semblaient étrangement aux
films du cinéaste. De retour à Lis­
bonne après le voyage en Asie de
janvier­février 2020, Miguel Go­
mes rentre donc pour aussitôt se
confiner. Le temps que cela dure,
de mars à juin, est celui de l’écri­
ture du scénario et du travail avec
les images ramenées d’Asie. Qua­
tre personnes sont sur l’affaire,
chacun participant de chez soi
à partir d’un document partagé,
la collaboration étant complétée
par des conversations téléphoni­
ques. A la suite de quoi naît l’idée
de faire un film.
On n’avait pas
le temps d’écrire
un scénario.
On inventerait
pendant
le tournage »
du fameux film de confinement,
dont on peut raisonnablement
penser qu’il échappera à l’abyssale
platitude de ce nouveau genre.
L’intéressé, épinglant au passage
l’abandon des cinéastes par le gou­
vernement portugais, en décrit
la genèse : « Après l’écriture du scé­
nario asiatique, au début du décon­
finement, Maureen et moi sommes
allés rendre visite à Crista Alfaiate,
l’actrice qui interprète Schéhéra­
zade dans Les Mille et Une Nuits.
C’était la première fois que nous al­
lions chez quelqu’un, depuis le mois
de mars. Nous avons parlé des
aides sociales dérisoires qu’elle
et ses collègues recevaient et de la
déresponsabilisation totale du mi­
nistère de la culture face à la situa­
tion. J’ai proposé sur­le­champ à
Maureen et Crista de faire un film le
plus vite possible. Je n’avais aucune
idée d’histoire et on n’avait pas le
temps d’écrire un scénario. On fe­
rait comme Hong Sang­soo [réali­
sateur sud­coréen de La Femme
qui s’est enfuie en 2020], on inven­
terait pendant le tournage. On a ré­
colté le montant minimum indis­
pensable pour un tournage de qua­
tre semaines. Deux mois après cette
conversation, nous avons fait des
tests Covid et nous nous sommes
enfermés pour tourner dans une
propriété à Sintra, qui fonctionnait
à la fois comme décor du film et lo­
gement de l’équipe. Nous étions
seize en tout. Fin septembre, nous
étions déjà en train de faire le mon­
tage, chez nous. En ce moment, le
pays est de nouveau confiné, nous
dirigeons par Zoom le montage
son, qui est fait en studio. »
Le Portugal est devenu, ces der­
nières semaines, l’un des pays les
plus touchés au monde par la pan­
démie. La raison de cet état de fait
tient, pour le réalisateur, en trois
mots : « Noël en famille ». Quant à
lui, dans le temps qu’il ne consacre
pas à ses propres films, il a pour­
suivi son activité de cinéphile, en
troquant ses visites quotidiennes
à la Cinémathèque de Lisbonne
chose – et peut­être pour être noient ». Et l’on doit à Jeanne Che­ d’accompagnement qui ajoute à
au diapason d’un monde cul par­ rhal La Jeune Fille en feu, texte sur la force émotionnelle de La Jeune
dessus tête –, Miguel Gomes s’est les femmes victimes d’agressions Fille en feu et Automne, les musi­
lancé dans une programmation sexuelles (« Combien de filles en ques voyagent ici et là vers le reg­
par cycles de réalisateurs, mais feu/ont gardé leur secret »). gae (Mon refuge), le folk­rock
à l’envers, du dernier au premier (Mademoiselle), une pincée de
film. Un indice, apparemment, Un moment gracieux musique de la Guadeloupe (Ma
pour son film de confinement : En point commun à ces écrits, petite terre), la pop allègre (Brexit).
« Cette expérience, par exemple, la distance avec le mot trop direct, Et partout une adéquation en­
de voir John Wayne rajeunir de jour le slogan, la déclaration revendi­ tre le traitement des ambiances
en jour, a été déterminante pour cative, qui ne correspondaient pas et ces mots des autres que Julien
construire, avec Maureen, la struc­ à la nature artistique et humaine Clerc interprète avec générosité
ture du Journal de Tûoa. » de Julien Clerc. Ailleurs, le thème et sensibilité. 
de l’amour, ce sentiment qu’il a si sylvain siclier
Relativisme teinté d’humour souvent et si bien exploré, est au
Quant aux significations, prospec­ cœur de Chaque, écrite par Carla Terrien, de Julien Clerc, 1 CD, Si on
tives et autres bilans philosophi­ Bruni, sur un mode sensuel, celui chantait­Play Two/Warner Music.
ques à tirer de cette pandémie,
qu’on ne compte pas sur lui pour
les formuler autrement qu’avec
un relativisme teinté d’humour :
« La dissémination fulgurante
et planétaire du virus est certaine­
ment liée aux caractéristiques ac­
tuelles de l’activité humaine. Mais 0123
vouloir faire de la pandémie le re­
flet des maux du monde me semble
bien égoïste de la part de l’huma­
nité. Il faut prendre en considéra­
tion le point de vue du virus, sans
quoi il serait instrumentalisé. »
Même tonalité lorsqu’il s’agit
d’envisager les répercussions
de cette crise sur le monde du ci­
néma. Miguel Gomes, tablant sur
la souplesse d’adaptation du mé­
dium, refuse aussi bien de drama­
tiser, en rappelant qu’il a déjà ré­
sisté à la télévision, que de fanfa­
ronner, en notant que le cinéma
présentait déjà des signes de dé­
clin artistique avant la pandémie.
Son possible intérêt profession­
nel pour les plates­formes appelle
de sa part, en revanche, une ré­
ponse plus tranchée : « J’ai, jus­
qu’ici, ignoré cet univers. Je ne vois
pas de séries et je ne suis abonné
à aucune plate­forme de strea­
ming. Je présume que ce désintérêt
est réciproque. » Et puis, savez­
vous quoi ? L’événement le plus
important depuis que l’homme
a marché sur la Lune, dans la vie
de Miguel Gomes, ce n’est peut­
être pas, en ce moment, le cinéma
mais l’arrivée inopinée de sa fille :
« C’est arrivé le jour où l’OMS a offi­
ciellement déclaré la pandémie.
Maureen m’a annoncé que nous
allions avoir un enfant. » Il y a de la
beauté dans cela. La naissance
d’un être dans un monde en proie
à l’emprise de la mort. L’appel pur EN VENTE EN LIBRAIRIE
et simple d’une vie dans le confi­ ET SUR WWW.LEMONDE.FR/BOUTIQUE
nement de toutes les autres vies. 
jacques mandelbaum
28 | télévision
Claude Sautet, maître de la confusion des sentiments
Le film d’Amine Mestari revient avec tact et exactitude sur l’œuvre du cinéaste disparu en 2000
ARTE
MERCREDI 3 - 22 H 40
DOCUMENTAIRE
O
n a collé des étiquettes
avec une paresse in­
croyable sur les films
de Claude Sautet
[1924­2000]. On a dit que c’était un
cinéma pompidolien, or, c’est quel­
qu’un qui, comme un sismogra­
phe, a su sentir la crise. (…) Et son
regard sur les gens qui se sont enri­
chis, sur la bourgeoisie, est souvent
féroce », disait Bertrand Tavernier
de son ami et confrère lors d’une
émission de France Culture, « Re­
tour sur l’œuvre de Claude Sau­
tet », en 2015.
Comme d’autres avant lui, le do­
cumentaire Claude Sautet, le
calme et la dissonance, d’Amine
Mestari, écrit avec Thomas Bou­
jut (le fils du critique Michel Bou­
jut, auteur d’entretiens avec le ci­
néaste), tente de trouver le feu
sous la glace, pour reprendre une
autre formule convenue, la con­
fusion des sentiments derrière
une façade « BCBG », un qualifica­
tif que Claude Sautet appliquait
avec autodérision à cette part de
son œuvre que le public voulait
voir et revoir.
Ce style s’est établi, ou « fixé »,
en 1970, avec Les Choses de la vie,
avec Romy Schneider et Michel
Piccoli, deux acteurs fétiches, et
Jean­Loup Dabadie, un scénariste
Bertrand Burgalat et Caroline Fourest confrontés à leur reflet sur Vice TV
Le musicien et l’essayiste se prêtent au jeu des questions­réponses dans l’émission « Mirror », au format dépouillé et efficace
VICE TV
MERCREDI 3 – 21 H 10
ÉMISSION
C’ est un concept comme
les aime la chaîne créée
en 2016 par le groupe
Vice Media : décalé et – légère­
ment – provocant. Pour sa pre­
mière saison, « Mirror », puisque
tel est le nom de la nouvelle émis­
sion hebdomadaire de Vice TV (ex­
Viceland), propose dix épisodes
courts (vingt­cinq minutes) cen­
trés sur un binôme. Mercredi soir,
c’est au tour du musicien et pro­
GRILLE N° 21 - 052
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V souveraine. Au large et sur la portée.
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 21 - 051
HORIZONTALEMENT I. Glandouiller. II. Remuants. Ino. III. Ise. Liesse.
IV. Pp. Tir. Ut. Cu. V. Picador. Elis. VI. Enoua. Epis. VII. Sar. Blindée.
VIII. Oseille. Ts. IX. Usé. Ouvertes. X. Sentimentale.
VERTICALEMENT 1. Grippe-sous. 2. Lespinasse. 3. Ame. Coréen. 4. Nu.
Tau. 5. Dalida. Loi. 6. Oniro. Blum. 7. Ute. Relève. 8. Issu. Pi. En.
9. Steinert. 10. Lie. LSD. Ta. 11. En. Ci. Etel. 12. Robustesse.
Claude Sautet, Romy Schneider et Sami Frey lors du tournage de « César et Rosalie ». PRODUCTION GOYAVES
avec lequel il entretiendra une ri­
che relation de travail. Cet opus
inaugural du catalogue « offi­
ciel » d’un cinéaste alors quin­
quagénaire n’est pourtant pas le
premier : le précèdent ainsi
Classe tous risques (1960) et
L’Arme à gauche (1965), les deux
avec Lino Ventura – grande ve­
dette à qui il doit ses débuts de
réalisateur après des années en
tant qu’assistant, scénariste, dia­
loguiste ou adaptateur.
ducteur Bertrand Burgalat puis de
l’essayiste Caroline Fourest d’être
confrontés à leur reflet.
Deux personnalités marquées,
engagées, voire clivantes. La pro­
duction n’a pas choisi la facilité
en établissant la liste des partici­
pants. Pour ouvrir le bal étaient
ainsi conviés, le 24 février, l’ex­
président de la République
François Hollande et… le strea­
mer Sardoche, bien connu des ga­
meurs pour ses parties en ligne
très animées de League of
Legends – au point d’être banni un
temps de la plate­forme Twitch.
7 8 9 10 11 12
Ces deux polars sont dans une
veine qui a du succès à l’époque ;
mais l’époque est aussi celle qui
voit déferler la Nouvelle Vague : au
moment où sortent les deux pre­
miers films de Claude Sautet,
Jean­Luc Godard fait parler de lui
avec A bout de souffle (1960) et
Pierrot le fou (1965).
C’est évidemment, aux yeux de
la critique – Positif contre Les Ca­
hiers du cinéma –, l’occasion d’une
nouvelle querelle des « anciens »
La mise en scène, minimaliste,
opère une sorte de « pas de côté ».
L’invité est filmé seul face à deux
murs d’écrans joints à angle droit,
sur lesquels sont projetées des
images d’archives, des photos, ac­
compagnées d’une bande­son, en
prélude aux questions qui s’affi­
chent ensuite.
Stratégie inverse
Touche­à­tout artistique, Ber­
trand Burgalat – « Initials B.B., le
sex­appeal en moins », précise la
voix off – va mettre quelques mi­
nutes pour s’habituer au disposi­
HORIZONTALEMENT
I. Se penche sur tous les manque-
ments graves à la morale. II. Du vert
dans les sables. Boule de pâte pour
de belles miches. III. En Flandre sur
la Deûle. Fait mouche à moitié.
En province. IV. Un maître pour Dé-
mosthène. Difforme et douloureux.
Fit l’innocent. V. Centrale syndicale.
A disparu à la chute du Mur. Bel, chez
Guy. VI. Cours européen. Mesurait le
travail. Contre tout. VII. Entraîne la
France vers les étoiles. Profane dans
son domaine. VIII. Domination
IX. Se jette en Seine. Courbure du
pont. X. Suivras les irrégularités
du chemin.
VERTICALEMENT
1. Plus fantaisiste que décoratif.
2. A toujours un argument et une
réponse à tout. 3. Affluent de la Dor-
dogne. Plume qui reste dans l’ombre.
4. Spécialiste du demi-fond. Canton
de l’Orne. 5. Baie nippone. Roule en
piste. 6. Se débrouilla dans l’eau et en
vol. 7. Assez grave pour une dame.
Facilite l’approche des dessous de
table. 8. Assura la stabilité. Passé aux
huiles. 9. Répand son parfum de ré-
sine. Du crabe et du riz aux Antilles.
10. Possessif. Belle de la Bastille. Cité
d’Abraham. 11. Dans les plaines du
Far West. S’abrita comme un lapin.
12. Solidement accrochées.
et des « modernes ». Claude Sautet
renoncera alors à la mise en scène.
S’il avouera avoir douté du regard
qu’il portait sur lui­même, son
œil infaillible sera essentiel au ci­
néma des autres.
Celui qu’on surnommera « le
ressemeleur de scénarios » exer­
cera pour autrui son sens de la
forme, de la technique et de la
composition, avant de revenir à la
réalisation, avec des périodes de
retrait : il ne tournera que trois
tif. Méfiant au cours des premiè­
res minutes, il se détend à l’évoca­
tion des Beach Boys et de Serge
Gainsbourg. Passionnant lorsqu’il
évoque l’écrivain Michel Houelle­
becq (qu’il a tout de même fait
chanter), il parle toutefois peu de
politique et pas du tout de son en­
gagement de jeunesse au côté de
l’extrême droite. « Pour se concen­
trer sur sa carrière artistique », pré­
cise la production.
Stratégie inverse avec Caroline
Fourest, entourée d’emblée
d’images la montrant toute
jeune, cheveux courts, lors d’une
SUDOKU
N°21­052
2 5
6 8
4 1
1 3
8 7 5
9 8
2 7 3 1 5 9
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Que nous réserve
l’année à venir ?
Toutes les réponses
sont dans
“Le monde en 2021”
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
films entre Un mauvais fils (1980),
avec un extraordinaire Patrick
Dewaere, et sa dernière contribu­
tion, Nelly et M. Arnaud (1995).
En proie au doute et à la crainte
de ne pas se renouveler, Claude
Sautet tournera avec d’autres col­
laborateurs et équipes, d’autres
acteurs et génération d’acteurs.
Mais ce qui ne ressemblera pas au
Sautet attendu (Mado, en 1976, ou
Un mauvais fils) sera moins suivi
par la critique et les spectateurs.
Mélomane et musicien
Le documentaire aborde avec jus­
tesse la part musicale de Claude
Sautet – grand mélomane et musi­
cien – et l’art éminemment fran­
çais qui est le sien. Et ce n’est sans
doute pas un hasard s’il a mis
Maurice Ravel au centre d’Un cœur
en hiver (1992), le compositeur
dont il est probablement le double
en matière de cinéma : secret, raf­
finement, technique implacable,
catalogue réduit. Un monde où le
calme et la douceur des apparen­
ces sont sans cesse aiguillonnés
par l’amertume des dissonances –
pour reprendre les termes de l’épi­
taphe du cinéaste, qui donne son
titre au documentaire. 
renaud machart
Claude Sautet, le calme et la
dissonance, d’Amine Mestari,
(Fr., 2020, 52 min). Disponible
sur Arte.tv jusqu’au 1er mai.
manifestation contre l’homo­
phobie. « Ce premier grand com­
bat a­t­il décidé de votre avenir ? »
s’affiche sur l’écran. Deuxième
question : « Le blasphème est­il in­
dispensable pour faire progresser
la laïcité ? » Puis « La jeunesse de­
vient­elle liberticide ? » Les thèmes
abordés sont graves : « Que dire à
ceux qui sont victimes d’islamo­
phobie ? L’intégrisme est­il plus
politique que fanatique ? »
Sans se déparer de son sourire,
Caroline Fourest se livre à une ex­
plication de texte, comme elle le
fait régulièrement sur les pla­
3 9
1 8
5 6
1 4 6 1
7 3
3 2 4 5
8 7
4 2
2 9 5 3
Facile
5 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
6 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
par colonne et par
carré de neuf cases.
Dialogue avec l’intelligence artificielle
L’ère de la médecine sur mesure
États-Unis : coup de vent annoncé
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
NOTRE
SÉLECTION
MER C RE DI 3 MARS
France 3
La Ferme préférée des Français
21.05 Le procédé est inusable et,
qu’il traite du village, du monument,
ou, cette fois, de la ferme préférée
des Français, Stéphane Bern attire
les téléspectateurs dans ses voyages
patrimoniaux.
Arte
Un cœur en hiver
20.55 Ce film de Claude Sautet,
où la lutherie et la musique – celle
de Ravel – ont une place centrale
est un drame aigu et feutré à la fois,
incarné par le beau trio d’acteurs
que constituaient, en 1992,
Emmanuelle Béart, Daniel Auteuil
et André Dussollier.
Paris Première
L’Enfance du hard
22.40 Dans ce documentaire,
Sébastien Bardos et Jérémie About
reviennent sur les premières sorties
dans les salles françaises, en 1975
(année du « classement X »), de films
pornographiques jusqu’à ce que,
rapidement, les supports
vidéographiques les renvoient à
nouveau dans la sphère privée.
M6
Top Chef : les grands duels
23.20 Guillaume Sanchez, chef
étoilé et ancien candidat de la
saison 8 de « Top Chef », et Adrien
Cachot, finaliste de la saison 11,
s’affrontent autour du saint-marcellin
et de la noix de Grenoble (AOP).
teaux, avec clarté, calme et
pédagogie. L’ensemble peut pa­
raître austère. Mais c’est tout l’in­
térêt de ce concept que de mettre
face à face des personnalités dia­
métralement opposées. En cela,
« Mirror » convainc. 
catherine pacary
Mirror, avec Caroline Fourest et
Bertrand Burgalat (2 × 25 min). A
venir : Oxmo Puccino le 10 mars,
Richard Malka et Yseult le 17,
Delphine Horvilleur et Bonus
Tracks le 24. Disponible
à la demande sur MyCanal.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
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n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
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Janvier–février–mars 2021
Présidente :
Royaume-Uni Après le Brexit,
Laurence Bonicalzi Bridier
le risque de désunion
Russie Le vent tourne pour Poutine PRINTED IN FRANCE
Chine Biden, un adversaire non moins coriace
Moyen-Orient De nouvelles alliances
67-69, avenue
Chômage Une bombe à retardement
Invités António Guterres, Ursula von der Leyen…
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93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
Flirt avec la récession
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Avec
Chine : croissance modérée
Football : là où vit l’Europe
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
MERCREDI 3 MARS 2021
Christiane Besse
Traductrice et éditrice
IRMELI JUNG
P
our La Voix du défi, livre
de conversations d’Aung
San Suu Kyi avec Alan
Clements, paru chez
Stock en 1996, Christiane Besse,
qui avait accompagné l’auteur sur
place, s’était chargée de rapporter
en France les minicassettes sur
lesquelles était enregistré l’entre­
tien. Pour échapper à la fouille et à
la censure des militaires birmans,
elle les avait cachées dans son
soutien­gorge, comme un souve­
nir de sa jeunesse baroudeuse.
Ce n’est en effet pas tous les
jours que l’on commence une se­
conde vie à l’âge de 60 ans, mais
ce fut la chance de Christiane
Besse, morte le 14 février, à Paris, à
l’âge de 92 ans. A partir des an­
nées 1980, elle fut la traductrice
française et l’éditrice (entre
autres) de James Baldwin, Amitav
Ghosh, Joyce Carol Oates, qu’elle a
contribué à faire connaître au
grand public. « J’avais acheté pour
Balland les droits d’Un Anglais
sous les tropiques, de William
Boyd, se souvient sa consœur
Françoise Adelstain. J’avais fait
plusieurs essais de traduction dont
je n’étais pas satisfaite, j’ai confié le
manuscrit à Christiane et le résul­
tat fut hors pair. Elle n’avait jamais
fait d’édition, mais elle avait l’ins­
tinct de la traduction. »
Née Christiane Château, le 7 no­
vembre 1928, au Sénégal, fille de
militaire, elle était très peu lo­
quace sur son enfance. Après
avoir grandi au Maroc, elle fait des
études en France. Au début des
années 1950, elle embrasse la car­
rière de journaliste, pige pour
Le Journal du dimanche, où elle
encense Les Carnets du major
Thompson, de Pierre Daninos,
puis devient reporter à France­
Soir, dans l’équipe de Pierre et Hé­
lène Lazareff. Elle était surnom­
mée « la reporteuse de charme ».
Elle fut ainsi la première femme
journaliste envoyée par un quoti­
dien français pour faire un repor­
tage au Yémen.
Deuxième vie
Sur place, elle rencontre l’homme
qui deviendra son mari. Tony
Besse (1927­2016), marchand,
aventurier, philanthrope, est le
fils d’Antonin Besse, armateur et
homme d’affaires français, sur­
nommé « le roi des bazars afri­
cains », fondateur d’un immense
empire commercial implanté à
Aden, dont il avait pris la suite. La
journaliste et le collectionneur se
marient à Londres en 1957 et
auront deux enfants.
Dans les années 1960, le couple
vit à Aden. Ils participent active­
ment à des fouilles archéologi­
ques à Palmyre, en Syrie, et au Li­
ban, prennent l’avion pour aller
dîner de l’autre côté de la mer
7 NOVEMBRE 1928
Naissance à Dakar
1954-1957 Journaliste
à « France-Soir »
1987 Traduit « Harlem
Quartet », de James Baldwin
1991-2002 Dirige « La
Cosmopolite », chez Stock
14 FÉVRIER 2021 Mort
à Paris
Rouge, chez leur ami l’empereur
éthiopien Haïlé Sélassié. Tout cela
s’effondre en 1969, quand le gou­
vernement marxiste du Yémen
du Sud décide de nationaliser les
avoirs de la famille Besse.
Pendant la décennie qui suit, le
couple continue de faire des navet­
tes entre le Proche­Orient et l’Eu­
rope, avant de s’arrimer à Paris.
Christiane Besse amorce sa
deuxième vie. En 1987, elle traduit
Harlem Quartet, de James Baldwin,
et commence une double carrière
de traductrice – de William Boyd,
qui devient un ami, à Maya Ange­
lou (1928­2014), Shashi Tharoor,
etc. – mais aussi d’éditrice. L’édi­
teur Claude Durand la repère et dé­
cide de lui confier la direction de
« La Cosmopolite », la prestigieuse
collection de littérature étrangère
de Stock. Elle y publie André Brink,
Jorge Amado…
Comme son mentor en édition,
Christiane Besse ne dédaigne pas
de faire des coups. En 1996, elle
publie ainsi le roman Lajja (« la
honte »), de Taslima Nasreen, qui
était pourchassée par la vindicte
des islamistes. Alors que les auto­
rités françaises avaient refusé le
visa d’entrée en France de
l’autrice bangladaise, Bernard Pi­
vot fait une émission avec une
chaise vide. C’est aussi chez Stock
qu’elle se lie d’amitié avec le jeune
directeur financier de la maison,
un certain Philippe Rey.
Quand ce dernier crée les Edi­
tions Philippe Rey, en 2002, elle le
suit sans hésiter. Elle emmène
dans ses bagages Joyce Carol Oa­
tes, dont elle avait publié Blonde,
en 2000 chez Stock, une fausse
biographie de Marilyn Monroe
qui a été finaliste du prix Pulitzer.
En 2005, Les Chutes de la prolifi­
que romancière américaine ob­
tiennent le prix Femina étranger.
Dans cette maison où elle se sent
chez elle, elle publie aussi Peter Ac­
kroyd, Joyce Maynard… Pour ses
auteurs, sur lesquels elle veillait
avec tendresse, elle organisait des
réceptions dans son appartement
parisien, orné de somptueuses
collections d’art yéménite et isla­
mique, mais aussi d’œuvres con­
temporaines. « C’était une formi­
dable lectrice, rien ne lui échap­
pait », confie Philippe Rey. 
alain beuve­méry
carnet | 29
Catinca et Laurent Bonhoure, Chantal Pozzo Di Borgo, Paris.
Le Carnet
sa fille et son gendre,
Ses petits-enfants,
Son arrière-petite-fille
Et toute la famille,
son épouse,
Nathalie et Eric Keff,
Marie-Laure et Jean-Marie Gras,
Jacques et Edwige Pozzo Di Borgo,
Janine,
son épouse,
Marc-Henri, Paul-Eric, Laurent,
Manuelle et Florence,
Vous pouvez nous faire parvenir
font part du rappel à Dieu de
ses enfants et leurs conjoints,
Ses huit petits-enfants,
ses enfants et leurs conjoints,
Natacha, Julia, Emmanuel,
Jonathan, Benjamin et Pierre,
vos textes soit par e-mail : Mme Alexandre DOBRICEANU, ont l’immense tristesse de faire part ses petits-enfants,
carnet@mpublicite.fr née Jeanine SAVULESCU, du décès de Elise et Arthur,
(en précisant impérativement ses arrière-petits-enfants,
votre numéro de téléphone et le 26 février 2021, Jean-Léon POZZO DI BORGO,
à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, ont l’immense tristesse de faire part
votre éventuel numéro d’abonné du décès de
à Paris. survenu le 27 février 2021,
ou de membre de la SDL)
dans sa quatre-vingt-troisième année, Jacques STERN,
soit sur le site : Brigitte, à son domicile X-52
https://carnet.lemonde.fr sa fille, de Boulogne-Billancourt. fondateur de la SESA,
Hervé, ancien président de Bull,
L’équipe du Carnet reviendra vers son fils, La cérémonie religieuse sera
chevalier de la Légion d’honneur,
vous dans les meilleurs délais membre
Nicolas, Fabien et Claire-Cécile, célébrée le mercredi 3 mars, à 10 h 30, de l’Académie des sciences,
pour vous confirmer la parution. ses petits-enfants en l’église Sainte-Cécile, 44, rue de
et leurs conjoints l’Est, à Boulogne-Billancourt. survenu le 26 février 2021,
Ainsi que toute la famille, à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
carnet@mpublicite.fr
Une bénédiction aura lieu le jeudi
https://carnet.lemonde.fr ont la douleur de faire part du décès, 4 mars, à 10 h 30, en l’église de La Jacques Toubon,
survenu le 7 février 2021, à l’âge de Motte-d’Aveillans (Isère), suivie de
AU CARNET DU «MONDE» quatre-vingt-six ans, de l’inhumation au cimetière de La Sophie et Philippe Leclerc,
Motte-d’Aveillans.
Philippe FUCHSMANN. Marie et Thomas Dreyfuss,
Naissance Vincent et Emma Deniau,
Paris. Louise, Victor, Bonnie,
Sylvie et Jean-Michel BEZAT, Ses obsèques ont eu lieu le 16 février,
Agnès et Stéphane ROMATET, au cimetière de Ris-Orangis. Joëlle Renolleau-Calvet, Bernard Weiler
ses grands-parents, Nelly Renolleau-Becheri, et Catherine Green,
Marie et Charles ROMATET, Ils rappellent la mémoire de son Robert Toubon
ses parents, ses filles
épouse, et Sébastien
et leurs époux,
ont la joie de faire part de la naissance Nicole Lorgnet, et leurs familles,
de Nadine BOLOTINE,
sa compagne,
Sa famille et ses proches, ont l’immense émotion de faire part
Antoine ROMATET, décédée le 19 février 2005. du décès de
le 26 février 2021, à Paris. ont la tristesse de faire part du décès Lise TOUBON,
9, résidence de la Theuillerie
de née WEILER,
91130 Ris-Orangis.
Décès
Guy RENOLLEAU, survenu le 1er mars 2021.
Laurent, Bruno, Marie, Anne ancien directeur régional
Mme André Babeau,
née Dominique Rabejac, et Martin Coulais, des Impôts, La cérémonie religieuse sera
son épouse, ses enfants, célébrée le jeudi 4 mars, à 10 h 30,
chevalier en l’église Notre-Dame-des-Champs,
Alexis et Claire, Ses petits-enfants de l’ordre national du Mérite,
Emmanuel et Géraldine, 91, boulevard du Montparnasse,
Ainsi que toute sa famille,
Sébastien et Claude, Paris 6e, suivie de l’inhumation
Vincent, survenu le 28 février 2021, au cimetière du Montparnasse,
Olivier, ont la douleur de faire part du décès à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Paris 14e.
Pierre-Adrien et Floriane, de
ses enfants et beaux-enfants, Cet avis tient lieu de faire-part.
Ses quatorze petits-enfants, Les obsèques auront lieu le jeudi
Mme Raymonde LAVERGNE, 4 mars, à 14 h 30, au cimetière Arago
née SCHAMASCH, Souvenir
ont la grande tristesse de faire part des Sables-d’Olonne (Vendée), dans
du décès de la sépulture familiale.
survenu à Paris,
André BABEAU, le 25 février 2021, Mon Nico
professeur honoraire Ni fleurs ni couronnes.
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
à l’université Paris IX, « 2020 t’as rien raté
officier de la Légion d’honneur, Condoléances sur nos cinquante ans covidés
officier La cérémonie religieuse aura lieu
www.guylemarchand.fr mais à moi tu as manqué
dans l’ordre des Palmes académiques, le mercredi 3 mars, à 10 heures, en sans toi déjà quatre années »
l’église Saint-François-Xavier, Paris 7e.
survenu le 26 février 2021, Cet avis tient lieu de faire-part.
Virginie.
à l’âge de quatre-vingt-six ans. L’inhumation aura lieu au
La Maison des Obsèques,
La messe d’obsèques sera célébrée cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. Prix de thèse
Ets Lemarchand Les Sables-d’Olonne.
en l’église Saint-Pierre de Neuilly-
sur-Seine, le mercredi 3 mars, Tél. : 02 51 23 86 86.
Sabine Levard et Zaïm Alalou, Prix de la Recherche
à 10 h 30, suivie de l’inhumation Laurent Levard et Scarlet Mairena- de l’École nationale
dans le caveau de famille du Renée Richard, de la magistrature
cimetière Saint-Chéron de Chartres. Zúñiga,
Brigitte Levard, son épouse,
Aline et Jean Téménidès, Irène et L’École nationale de la magistrature
ses enfants et leurs conjoint.e.s,
Mme Paule Custot, Thierry Dubus, Lucile et Jan Maarten décerne deux prix destinés
Barnabé et Tania, Corentin et à distinguer annuellement
sa fille Nathalène, Sonia et Jean-Thomas, van den Hoek, Laurent Richard et
Et ses petits-enfants, deux thèses en droit ou en histoire
Maria et Thibaud, Saïda, José-Enrique, Christophe Marion-Willemetz, du droit portant sur les pratiques
ont la douleur de faire part du décès Manuel, Daniel et Alexandra, ses enfants, judiciaires internes ou comparées
de ses petits-enfants, Nicolas, Anne-Laure et Tor, Olivier ou sur l’organisation
Olivia et Alana, et Camille, Gabriel, Aurélien, Eduard, et le fonctionnement de la justice.
M. François CUSTOT, ses arrière-petites-filles, Emma,
ancien directeur Annie Gardan, ses petits-enfants, Les étudiants ayant soutenu
du Laboratoire coopératif, leur thèse entre
Jean-François et Nicole Delamarre,
officier de la Légion d’honneur. le 1er janvier et le 31 décembre 2020,
Jean-Noël et Martine Delamarre, ont la tristesse de faire part du décès peuvent se procurer le formulaire
Ses obsèques seront célébrées ses frères et belles-soeurs, de de candidature sur https://www.enm.
le mercredi 3 mars 2021, à 10 heures, en union avec justice.fr/les-prix-de-l-ENM
au crématorium du Mont-Valérien, Yves Levard, Bernard RICHARD, et le retourner rempli à
à Nanterre. son mari, décédé en 1994, historien, agrégé de l’Université, prix-recherche.enm@justice.fr
Jean-Philippe, attaché culturel
Un dernier hommage lui sera Deux exemplaires de thèse
son frère, en Amérique Latine et Egypte,
rendu à 14 h 30, au cimetière de sont à envoyer par courrier postal
Levallois-Perret. Frédéric,
son fils, ou à déposer à
survenu le 24 février 2021, l’École nationale de la magistrature
julien.morian1@gmail.com Gabriel, à l’âge de quatre-vingts ans.
entre 9 h 30 et 16 heures :
son petit-fils, École nationale de la magistrature
Prune Berge-Santelli, partis trop tôt, Département de la recherche
La cérémonie religieuse aura lieu
Christine et Jean-Pierre le mercredi 3 mars, à 10 h 30, en et de la documentation
Armengaud, ont la tristesse de faire part du décès 10, rue des Frères Bonie,
l’église Saint-Léon, Paris 15e, suivie de
Luc et Yannick Delons, de 33080 Bordeaux Cedex.
l’inhumation au cimetière de Précy-
ses enfants,
sur-Vrin (Yonne), à 16 heures. Date limite de dépôt des candidatures :
Isabelle Godart-Delons, Béatrice LEVARD,
sa belle-fille, née DELAMARRE, 16 avril 2021,
Ses petits-enfants, architecte, famillerichard75015@gmail.com le cachet de la poste faisant foi.
Ses arrière-petits-enfants,
Sa sœur,
survenu le 27 février 2021,
Sa belle-sœur,
Les familles Laffargue, Delons, à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Stiers et Royer,
Compte-tenu de la crise sanitaire,
ont le chagrin de faire part de la mort les obsèques auront lieu dans Le Carnet
de l’intimité. Béatrice sera inhumée à
Bérigny (Manche), auprès de son
Manou DELONS,
médecin-chercheur,
mari. Annoncez vos événements culturels
La famille tient à remercier
survenue dans sa cent deuxième
l’équipe de médecine interne de
année.
l’hôpital Beaujon à Clichy pour sa
compétence et son humanité.
Elle sera inhumée auprès de son
époux,
levardlaurent@gmail.com Expositions
Pierre-Louis DELONS. sabine.levard@laposte.net
Vernissages
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Communications
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
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 IDÉES
0123
30 | MERCREDI 3 MARS 2021

Laurent Berger, Pascal Brice et Paul Mayaux

Pour l’extension du RSA aux moins de 25 ans
La crise sanitaire risque de faire basculer des
milliers de jeunes dans la grande précarité.
Les mesures d’aide doivent s’inscrire
dans la durée et ne laisser aucun jeune
sans ressources, estiment ces responsables
d’organisations syndicale et associatives
D’importantes mesures ont été prises
pour les jeunes par le gouvernement.
La prise en charge du chômage partiel
a permis à nombre de familles de
continuer à les aider. Des mesures plus
ciblées ont été les bienvenues, comme les
aides en faveur des bénéficiaires de l’APL
(aide personnalisée au logement) ou
l’ensemble des soutiens du plan « 1 jeune,
1 solution ».
L’extension du RSA (revenu de solidarité
active) aux moins de 25 ans est l’option la
plus simple. Elle aurait le mérite de ne pas
ajouter un nouveau dispositif à tous ceux
qui existent déjà. L’accès effectif aux
droits sociaux est d’ailleurs l’un des en­
jeux, avec le relèvement des minima. Il se­
rait en tout état de cause paradoxal de
prendre appui sur les insuffisances du RSA
pour récuser son extension aux jeunes.
L’accompagnement des allocataires du
ficulté qui ne sont aujourd’hui pas identi­
fiés par les missions locales, précieux pi­
liers de ce dispositif, doivent pouvoir être
accompagnés dans cette démarche. Les
travailleurs sociaux qui les connaissent
bien doivent pouvoir y contribuer, au ti­
tre de conventions entre les missions lo­
cales et les associations. Par ailleurs, la
durée de l’accompagnement, actuelle­
ment limitée à un an, n’est pas adaptée à
tous les jeunes et notamment à celles et

N
otre jeunesse est diverse mais elle a
désormais en commun d’être en
grande fragilité. De plus en plus de
jeunes apparaissent dans les distri­
butions alimentaires des associations. De
nombreux étudiants subissent la solitude,
à laquelle s’ajoute la disparition des em­
plois qui leur permettaient d’améliorer
leurs revenus. Pour les enfants des fa­
milles qui n’ont pas pu épargner pendant
cette crise s’ouvre une perspective d’am­
plification de ces déterminismes sociaux
qui font l’une des particularités les plus
inacceptables de la pauvreté.
Nous nous inquiétons aussi pour les jeu­
nes sans emploi ni formation qui sont
déjà confrontés à la pauvreté ou, étant à la
limite, vont s’y trouver poussés si rien
n’est fait. Ce sont des dizaines de milliers
de jeunes qui peuvent basculer dans la
grande précarité, voire dans la rue. Ce
qu’ils vivent nous préoccupe de longue
date. Avant cette crise, plus de 10 % des jeu­
nes étaient sans emploi, sans études, sans
formation. Les taux de chômage et de pau­
vreté des jeunes atteignaient déjà plus de
20 % (selon l’Insee). Pour ces jeunes­là, et
pour toutes celles et ceux qui risquent de
les rejoindre avec cette crise, il y a urgence.
Un accompagnement dans la durée
Mais cela ne suffit pas, ne suffit plus.
La pauvreté des jeunes est ancienne et
cette crise va produire des effets durables.
Les soutiens doivent donc être présents,
non pas de manière ponctuelle mais dans
la durée, pour offrir une solution adaptée
à chaque situation. De nombreuses
solutions ont été évoquées dans le débat
public. Nous n’avons pour notre part
d’autre religion que celle de l’efficacité
pour accompagner les jeunes dans la cons­
truction et la réalisation de leurs choix.
CE SERAIT L’OPTION
LA PLUS SIMPLE QUI
AURAIT LE MÉRITE DE
NE PAS AJOUTER UN
NOUVEAU DISPOSITIF
À TOUS CEUX
QUI EXISTENT DÉJÀ
RSA est insuffisant et il convient précisé­
ment que les pouvoirs publics fassent le
nécessaire pour y remédier.
Quoi qu’il en soit, nous soutiendrons
toute démarche qui permette d’aboutir ra­
pidement à ce dont les jeunes ont besoin :
un droit à un accompagnement, avec un
soutien monétaire sous conditions de res­
sources correspondant au montant du
RSA, pour construire leur avenir.
Diagnostic personnalisé
Si telle est la vocation d’une « garantie jeu­
nes », évoquée par Elisabeth Borne, la mi­
nistre du travail, qui deviendrait alors
pleinement universelle, nous sommes
prêts à y contribuer. La Garantie jeunes,
étendue à la demande de la CFDT à la suite
de la conférence sociale de 2014, fonc­
tionne bien. Elle permet l’accompagne­
ment d’un nombre croissant de jeunes
vers l’emploi. Le gouvernement a d’ores et
déjà annoncé un doublement, à 200 000,
des parcours à ce titre. Il faut cependant
aller plus loin pour offrir à chaque jeune
qui en a besoin un véritable droit à cet ac­
compagnement vers l’autonomie.
Chaque jeune en difficulté de 16 à
30 ans devrait ainsi pouvoir y accéder,
sans contingentement. Les jeunes en dif­
ceux qui sont les plus en difficulté d’in­
sertion. La durée de la prise en charge
doit être étendue pour celles et ceux qui
en ont besoin, le temps nécessaire.
Enfin, le contenu doit être adapté à la di­
versité des jeunes, de leurs difficultés et
de leurs parcours. Il doit s’agir d’un ac­
compagnement global s’appuyant sur
un diagnostic de la situation sociale, pro­
fessionnelle et financière personnelle.
Quelle que soit son appellation, nous
disposerons ainsi de la garantie d’un ac­
compagnement global et personnalisé,
ne laissant aucun jeune sans ressources
monétaires, d’un droit pour chaque jeune
à construire son propre avenir en ces
temps si périlleux. 
Laurent Berger est secrétaire
général de la Confédération française
démocratique du travail (CFDT) ;
Pascal Brice est président de la
Fédération des acteurs de la solidarité
(FAS) ; Paul Mayaux est président
de la Fédération des associations
générales étudiantes (FAGE)

Souâd Ayada
La maternelle, une école à part entière
Le Conseil supérieur des programmes est vivement critiqué pour ses propositions concernant l’enseignement à l’école maternelle.
Sa présidente défend sa vision de la maternelle comme l’école de la préparation à l’acquisition des savoirs fondamentaux

D
epuis que le Conseil supé­
rieur des programmes
(CSP) a publié, en décem­
bre 2020, une note d’ana­
lyses et de propositions sur le pro­
gramme d’enseignement de
l’école maternelle, il est l’objet de
virulentes attaques. Quelles ido­
les le Conseil que je préside a­t­il
fait chanceler ? Quelles croyances
dévotes a­t­il ébranlées ? La vio­
lence des accusations – ses détrac­
teurs n’hésitant pas à manier les
contrevérités et les procès d’in­
tention – est le signe qu’un totem,
foyer de tabous depuis 2015, est
pour la première fois bousculé.
Le CSP a eu l’outrecuidance de
soumettre le programme de
l’école maternelle à cet esprit
d’examen qui le guide dans tous
ses travaux, le libère des préjugés
et des allégeances aux castes. Tel
est le seul grief que l’on puisse lui
adresser à la lecture de sa note.
L’instruction obligatoire dès
3 ans a force de loi. Est­il scanda­
leux de vouloir saisir l’esprit de
cette loi ? La première partie de la
note montre que la loi ne boule­
verse pas les missions dévolues à
la maternelle. Elle fait cependant
l’hypothèse que la loi invite à
renforcer ces missions, l’accueil
de tous les enfants et l’initiation
progressive aux apprentissages
scolaires. Elle souligne que
l’équilibre entre différents objec­
tifs – le bien­être affectif des en­
fants, leur développement mo­
teur et psychologique, leur
ouverture sensible au monde et
à la culture, et l’acquisition de
premiers savoirs et savoir­faire –
exige de l’institution qu’elle
forme mieux les professeurs aux
spécificités de la maternelle et
leur assure des conditions
d’exercice adaptées. Le CSP est­il
coupable de prendre au sérieux
l’école, le devoir d’instruire qui
lui incombe et les attentes que
les familles, notamment les plus
démunies, placent en elle ?
L’école du langage
On nous reproche de faire de
la maternelle l’antichambre de
l’école élémentaire et de lui fixer
un seul objectif : préparer aux
savoirs fondamentaux. Il est
étrange de vouloir couper le pre­
mier cycle des apprentissages de
toute finalité, comme s’il for­
mait le terme de la scolarité obli­
gatoire. De même que le collège
trouve sa destination dans le ly­
cée, de même l’école élémentaire
s’oriente vers le collège. Faut­il
que l’école maternelle n’ait
aucun but à l’horizon ? Il est
étonnant que nos détracteurs
traitent avec mépris les savoirs
fondamentaux, savoirs qui n’ex­
cluent nullement l’apprentis­
sage des autres mais qui sont né­
cessaires pour accéder à tous les
savoirs dispensés à l’école élé­
mentaire et au collège.
Le programme en vigueur in­
vite à « mobiliser le langage dans
toutes ses dimensions ». La troi­
sième partie de la note ne dit pas
autre chose : l’école maternelle
est l’école du langage. Elle for­
mule des recommandations
pour que la parole soit davantage
encore le foyer de tous les ap­
prentissages et pour que tous les
enfants acquièrent une plus
SEULE NOTRE
CONFIANCE DANS
LES PROFESSEURS
DE MATERNELLE
NOUS PORTE
À LES INCITER
À TENIR COMPTE
DES EXERCICES
PROPOSÉS EN CP
grande aisance à l’oral, grâce à un
vocabulaire plus riche et en affû­
tant leur appréhension intuitive
des phrases et des relations entre
les mots. Nous reprocherait­on la
simplicité de notre propos au
prétexte qu’il ne reconduirait pas
les présupposés des sciences de
langage ? Jugerait­on incongru
d’inviter les professeurs de ma­
ternelle à poursuivre leurs efforts
pour dispenser un enseignement
ordonné du français ?
Graves mensonges
Les enfants découvrent les nom­
bres et leur utilisation par des
jeux et des manipulations. Parce
qu’il faut approfondir cette ap­
préhension ludique et intuitive,
nous mettons en garde contre la
volonté de construire, dès la ma­
ternelle, des automatismes par
un enseignement ritualisé. Cha­
que enfant doit trouver sa propre
entrée dans l’univers des nom­
bres. Cela nécessite de multiplier
les perspectives, d’encourager le
raisonnement avec ses tâtonne­
ments et ses erreurs, de proposer
de résoudre des problèmes sim­
ples, en somme d’imaginer des
situations qui tirent parti des ca­
pacités des enfants. Fallait­il que
nous rejetions les études scienti­
fiques contemporaines qui nous
aident à comprendre la construc­
tion de la numération et de la
pensée abstraite chez les jeunes
enfants ?
Depuis la rentrée scolaire 2018,
tous les élèves de CP sont évalués
en français et en mathématiques.
Là est notre faute majeure qui
déchaîne l’ire de certains : faire
mention de ces évaluations, trou­
ver un intérêt aux exercices pro­
posés, et inviter les professeurs
de grande section de maternelle à
renforcer, autant qu’ils le peuvent
et dans le respect du développe­
ment de chaque enfant, des capa­
cités qui, de surcroît, seront éva­
luées en CP. Le CSP préconiserait
de soumettre les enfants de pe­
tite section à des tests de perfor­
mance et d’introduire le bacho­
tage en maternelle. Ses convic­
tions néolibérales justifieraient
une pression du résultat condui­
sant l’école maternelle à devenir
une sorte de cachot pour enfants.
L’imagination de nos opposants
est impressionnante et elle serait
amusante si elle ne véhiculait pas
de graves mensonges.
En vérité, nous indiquons d’em­
blée notre vive réserve à l’égard de
toutes les pratiques d’évaluation
et de mesure des acquis scolaires
à l’école maternelle. Nous souli­
gnons ensuite l’inanité des prati­
ques visant à préparer les enfants
aux évaluations futures. Seule no­
tre confiance dans les professeurs
de maternelle, dans leur maîtrise
pédagogique conjuguée à leur li­
berté, dans leur désir de voir leurs
élèves réussir leur entrée à l’école
élémentaire, nous porte à les inci­
ter à tenir compte des exercices
proposés en CP pour orienter une
part de leur enseignement.
Nous ne doutons pas que les pa­
rents, qui savent ce qui est bon
pour leurs enfants et qui ne sau­
raient considérer l’échec scolaire
comme un bien ni la réussite sco­
laire comme un mal, trouveront
dans la note du CSP une défense
de la maternelle, école du bien­
être et du développement, mais
aussi école à part entière, fût­elle
une école à part. Nous espérons
que le ministère de l’éducation,
résistant aux intimidations et au
conservatisme de ceux qui décla­
rent le programme d’enseigne­
ment de l’école maternelle intou­
chable, infléchira ce qui, dans ce
programme, mérite de l’être, au
plus grand profit des enfants. 
Souâd Ayada est présidente
du Conseil supérieur
des programmes (CSP)
de l’éducation nationale
0123
MERCREDI 3 MARS 2021 idées | 31

Jacques Lévy
L’éthique de la recherche, c’est la capacité à distinguer
les enjeux, à ne pas glisser de la théorie vers l’idéologie
Face au mélange entre science et politique, plus déplaisants qu’ils s’abritent derrière contre la démarche scientifique et un re­ ture vers la négation de l’autre. L’éthi­
au refus du pluralisme, les chercheurs doivent leur statut. On voit fleurir des novlan­ fus du pluralisme des idées. De la « posi­ que de la recherche réside au contraire
gues dignes du 1984 de George Orwell, tionalité » (l’autoanalyse par le cher­ dans la capacité à distinguer les enjeux
pouvoir dialoguer en s’employant à « éviter les lorsque, au nom de la science, l’« antira­ cheur de biais liés à sa position sociale) différents. Le contrat que les chercheurs
fractures et les enclaves », explique le géographe cisme » couvre un nouveau type de déjà ambiguë, on est passé à la stand­ signent avec la société en s’engageant à
racisme, ou lorsque la « démocratie éco­ point theory, un oxymore qu’on peut construire autant qu’il est possible, par
logique » vise une dictature des écologis­ traduire par la « théorie­point de vue », leur observation et par leur raison, des

U
ne des effets dommageables de la
prise de position de Frédérique
Vidal sur l’« islamo­gauchisme » à
l’université a été de permettre à
ses détracteurs d’inverser son propos et
de porter la charge sur les lanceurs
d’alerte. Pourtant, il existe bien des mo­
tifs d’inquiétude sur la relation entre la
société et ses chercheurs, et pas seule­
ment en sciences sociales. Pour y voir
plus clair, distinguons trois plans : celui
des théories, celui du mélange des gen­
res et celui du pluralisme.
Les théories qui cherchent à expliquer
le monde sont nombreuses et tant
mieux ! L’une d’elles se fonde sur une vi­
sion communautaire du social : elle se
représente la société comme une cons­
tellation de groupes aux appartenances
non choisies et irréversibles. La fameuse
« intersectionnalité » consiste en une es­
sentialisation des identités, qu’on peut
éventuellement croiser, mais sans les re­
mettre en question. Cette école de pen­
sée tente de sauver le structuralisme
marxiste, dans lequel la communauté de
classe était centrale, en ajoutant de nou­
velles « structures » à un édifice qui se lé­
zarde, pris à contre­pied par l’irruption
des singularités individuelles. On peut
préférer, dans le sillage de Norbert Elias
(1897­1990), le paradigme de la « société
des individus », qui décrit un monde où
les individus acteurs prospèrent de
conserve avec une société postcommu­
nautaire. La différence entre ces deux
conceptions est patente, mais on ne
peut s’en plaindre. Cela, c’est le débat,
sain parce que libre et transparent, qui
caractérise la démarche scientifique.
Création de monstres
Le danger apparaît avec le mélange des
genres entre science et politique. Roger
Pielke (The Honest Broker, Cambridge
University Press, 2007, non traduit) a
montré, à propos des débats sur le cli­
mat, que lorsqu’un sujet est marqué à la
fois par des controverses scientifiques et
des oppositions politiques fortes, les
deux dissensus peuvent s’épauler et
créer des monstres : le militant choisit
l’hypothèse qui l’arrange pour se parer
de la légitimité scientifique, tandis que
le chercheur se mue subrepticement en
un politicien sans scrupule. Les cher­
cheurs sont aussi des citoyens et ils ont
bien le droit de l’être. Leurs expériences
personnelles peuvent être des ressour­
ces pour la connaissance.
Si la conscience que les registres ne
doivent pas se fondre les uns dans les
autres fait défaut, les savants se muent
tout bonnement en idéologues d’autant
tes intégristes. L’enquête qu’ont menée
les chercheurs britannique et américain
Helen Pluckrose et James Lindsay (Cyni­
cal Theories, Pitchstone Publishing,
2020, non traduit) montre que des re­
vues universitaires prestigieuses accep­
tent aisément de publier des textes déli­
rants dont on aimerait pouvoir rire mais
qui sont animés par une idéologie de la
haine intercommunautaire et n’hésitent
pas à traiter de « négationniste » toute
prise de position divergente.
Le troisième plan est sans doute le plus
grave. Il s’y déroule une attaque frontale
SANS LA CONSCIENCE
QUE LES REGISTRES
NE DOIVENT PAS
SE FONDRE LES UNS
DANS LES AUTRES, LES
SAVANTS SE MUENT
TOUT BONNEMENT
EN IDÉOLOGUES
qui décrète que l’« objectivité forte » ne
peut être atteinte que si le chercheur
s’appuie sur sa propre expérience.
Seules les femmes peuvent parler des
femmes, seuls les Noirs peuvent parler
des Noirs, et c’est ainsi que les women
studies ou les black studies désignent,
par défaut, à la fois l’objet d’études et
l’identité du chercheur. Une épistémolo­
gie ubuesque dans laquelle l’histoire des
temps reculés devient impossible –
même si l’on s’intéresse aux dominés –
et où le travail de terrain et l’observation
participante sont bannis. C’est une tech­
nique pour discréditer les travaux qui
dérangent, rappelant la stalinienne op­
position entre « science bourgeoise » et
« science prolétarienne ».
Un contrat exigeant signé avec la société
Cette fois, c’est l’appartenance ou non à
une communauté définie par un prin­
cipe biologique, le sexe ou la race, qui
arme les censeurs. La cancel culture,
cette posture de l’annulation et de l’an­
nihilation, s’appuie sur la tradition puri­
taine américaine qui, en dénonçant des
blasphèmes, cherche à intimider, parfois
à brutaliser les récalcitrants.
Il y a donc plusieurs dangers, qu’il ne
faut pas confondre. C’est justement cela
le principal risque : le glissement, de la
théorie vers l’idéologie et de la désinvol­
vérités objectives est exigeant. Ceux qui
le déchirent minent la confiance de nos
concitoyens. Ce contrat est subtil et il ne
peut être vérifié que dans la pratique
incessante d’échanges argumentés et
réfutés, dans le monde de la recherche,
mais dans l’ensemble de la société qui,
elle aussi, nous écoute, nous lit et nous
évalue. Le tournant éthique que nous vi­
vons se manifeste à chaque fois qu’on
peut imaginer une proportionnalité en­
tre liberté et responsabilité. Ce tournant
concerne les puissants et les puissances,
mais tout autant chaque individu.
Face à une société états­unienne triste­
ment clivée, l’Europe peut montrer
l’exemple en s’employant à éviter les
fractures et les enclaves de manière que
tous puissent continuer à parler à tous.
De ce nécessaire dialogue les sciences
du social comme celles du monde
biophysique ou les mathématiques ne
peuvent s’affranchir. 
Jacques Lévy est directeur
de la chaire Intelligence spatiale
à l’université polytechnique
Hauts-de-France et membre
du rhizome de recherche Chôros

Steven L. Kaplan Si Frédérique Vidal repère

des sorcières, il faut évidemment qu’elle les chasse
Dans un texte satirique, l’historien américain estime que si l’université américaine avait été aussi réactive que la ministre
de l’enseignement supérieur, elle aurait pu se débarrasser à temps de la French Theory, « notre islamo­gauchisme à nous »

L’
autre jour, dans Le Monde,
des centaines de cher­
cheurs et universitaires
ont dénoncé une « chasse
aux sorcières » lancée par leur
ministre de tutelle, Mme Vidal. J’ai
trouvé leur texte un peu fort de
café. Pour éviter la moindre sus­
picion de micro­agression gen­
rée, je ne dirai jamais que
Mme Vidal veut tout simplement
faire le ménage chez elle. Si, de
son positionnement panoptique,
elle repère des sorcières, il faut
évidemment qu’elle les chasse,
même si Donald Trump a dévoyé
la formule, faute de bien connaî­
tre le Malleus Maleficarum, ma­
nuel canonique de la chasse aux
sorcières datant du XVe siècle.
Je parle d’expérience : si nous,
les universitaires­chercheurs
américains, avions été aussi
réactifs que les vigilants macro­
niens d’aujourd’hui, nous
aurions pu, dès le début des an­
nées 1980, prévenir l’infestation
toxique de notre variant de l’« is­
lamo­gauchisme », en chassant
les sorciers portant la « théorie
française » (en français : French
Theory), qui a passablement gan­
grené notre corps intellectuel (et
son sosie militant) pendant quel­
ques décennies.
Il y a eu plusieurs vagues, moult
inflexions : parmi de nombreux
philosophes, linguistes, sémiolo­
gues, historiens, sociologues, psy­
chanalystes se distinguent trois
figures particulièrement subver­
sives, tous trois élèves de l’Ecole
normale supérieure et agrégés de
philosophie (c’est déjà tout dire,
presque l’amorce d’un complot),
des « penseurs » (sacerdoce peu
américain, hors cadre apostoli­
que), de véritables ensorceleurs,
capables d’attirer 500 personnes
pour un « séminaire », de les tenir
sous le charme de leur parole
pendant trois à quatre heures,
malgré le penchant américain de
rentrer dîner à 17 heures.
Figures subversives
D’abord, Michel Foucault – qui a
mis en question des notions gé­
néralement considérées comme
intrinsèquement limpides (« dis­
cours », « auteur ») – nous a
contraints à affronter la subjecti­
vité, à repenser les relations entre
discipline et ordre social, entre
pouvoir et savoir, entre sexualité
et répression. Ancien commu­
niste, puis maoïste, gay : heureu­
sement il n’était ni juif ni noir,
car, avec le reste, il n’aurait jamais
obtenu un visa américain.
Moins sulfureux, mais non
moins engagé socialement, poli­
tiquement, moralement, publi­
quement, Pierre Bourdieu a pesé
énormément sur la manière
d’appréhender et d’étudier les
relations sociales, notamment à
travers ses analyses des mécanis­
mes de reproduction des hié­
rarchies sociales et de domina­
tion, refusant de privilégier les
facteurs économiques par rap­
port aux facteurs symboliques et
culturels.
Jacques Derrida, juif, mais séfa­
rade, ce qui compte moins aux
Etats­Unis, partant de la vive ten­
sion entre parole et écriture, nous
a éblouis avec ses quatre « D » :
« différance » (qui soulève la ques­
tion des rapports entre le sens et
SANS LA PUISSANTE
FERMENTATION
DE LA FRENCH
THEORY, NOUS
N’AURIONS
PAS SUBI LA
DESTRUCTION
TRUMPISTE DE
L’ÉPISTÉMOLOGIE
SOCIOPOLITIQUE
l’écriture), dissémination (la com­
préhension comme toujours
contingente), don (comme se­
cret) et surtout déconstruction,
que le grand public découvre
en 1997 à travers un film de
Woody Allen, Harry dans tous ses
états (analyse critique musclée
ou démantèlement de la philoso­
phie occidentale, la déconstruc­
tion influence profondément de
nombreux chercheurs non­phi­
losophes et des étudiants de di­
vers horizons comme une remise
en question du sens, qui n’est ja­
mais stable, comme la démons­
tration de la capacité d’un texte à
se saboter, se transformer, échap­
per complètement à ses condi­
tions de production).
Déni du réel
Fort enrichissante pour les uns,
vifs mais très minoritaires, la
French Theory a fortement trou­
blé les autres, qui ont eu du mal à
la lire, puis à la saisir : pourquoi ce
qui semblait clair était­il désor­
mais obscur ou caché ou para­
doxal ou contradictoire ou obsti­
nément réfractaire à la lecture
conventionnelle ? Pour certains,
la French Theory inaugure la
Grande Démoralisation améri­
caine, le début d’une époque où
plus rien ne semble ni certain, ni
sacré, ni même rassurant. C’est la
gangrène de la sorcellerie qui n’a
pas été purgée dès sa tentative
d’installation, de ce Grand Rem­
placement de nos idées saines et
simples par des systèmes denses,
complexes, sombres, clivants, en
anticipation du Grand Réveil ac­
tuel, la naissance de la culture
« woke » et le triomphe de la poli­
tique identitaire. Certes, la dé­
construction ne mène pas à la fin
de l’exceptionnalisme américain
(métaphysique imprenable), ni à
l’obésité (déjà épidémique), ni
aux opioïdes (fruit d’un capita­
lisme pathologique), ni à l’inéga­
lité croissante (rebelote). Mais
elle facilite le mouvement vers le
postmodernisme, notamment à
travers le tournant linguistique,
bref mais coûteux cataclysme qui
a à peine touché la France. Ce
postmodernisme se traduit par le
déni du réel, la fonction exclusi­
vement non référentielle du lan­
gage, le dédain pour les préten­
dus « faits ».
Si « l’université » américaine hy­
perhétérogène, totalement écla­
tée, avait eu un ministère de tu­
telle, dirigé par une personne
aussi sensible aux traditions de la
recherche, notamment en scien­
ces humaines et sociales, et pour
le seconder une institution scien­
tifique nationale prête à conduire
une « enquête » en bonne et due
forme (dans le sens des sciences
sociales, comme Mme Vidal le
jure), nous aurions pu nous dé­
barrasser de la French Theory, no­
tre « islamo­gauchisme » à nous,
nous épargner des secousses, des
doutes, des débats, voire des ré­
flexions critiques, toujours lourds
et chronophages.
Peut­être même, sans la puis­
sante fermentation de la French
Theory, n’aurions­nous pas subi
la destruction trumpiste de l’épis­
témologie sociopolitique, l’in­
vention des « faits alternatifs » et
la consécration d’une réalité pa­
rallèle et sublimée fondée sur des
mensonges. Sans ces derniers,
sans doute le Capitole n’aurait­il
pas été envahi et Mme Vidal
n’aurait­elle pas été choquée par
l’apparition du drapeau des con­
fédérés du Sud, image forte qui
paraît participer à sa légitimation
de la suppression des droits fon­
damentaux des chercheurs et
universitaires français, déjà sou­
mis à une loi de programmation­
inquisition. 
Steven L. Kaplan est
professeur émérite d’histoire
européenne à Cornell
University (USA) et il a publié
récemment « Pour le pain »
(Fayard, 2020)
 0123
32 | idées MERCREDI 3 MARS 2021

L’annulation des dettes publiques est une impasse politique

ANALYSE turer sur ce terrain, rappelant qu’elle est ju­
riste de formation et qu’elle n’entendait pas
Le débat, qui était cantonné à un cercle res­
treint avant la pandémie, a pris de l’ampleur
pays de la zone euro, bien qu’une légère re­
montée ait été observée ces derniers jours.

L’
année après la victoire surprise du
Brexit au référendum de juin 2016,
les milieux politiques et économi­
ques britanniques ont été pris
d’une étrange fièvre. Les deux camps – brexi­
ters et remainers – se sont opposés violem­
ment et avec véhémence sur la politique à
suivre. Ces discussions n’avaient qu’un dé­
faut : elles ne prenaient absolument pas en
LA DETTE N’EST PAS  compte les exigences et les lignes rouges de
UN PROBLÈME  Bruxelles. Les Britanniques débattaient entre
eux, oubliant que la vraie négociation devait
À COURT TERME.  se tenir avec le camp adverse. Le réveil n’en
fut que plus douloureux. La controverse
LES TAUX D’INTÉRÊT  autour de l’annulation des dettes qui en­
flamme actuellement les économistes et les
SONT NÉGATIFS OU  dirigeants politiques français fait penser à ce
PROCHES DE ZÉRO  débat en vase clos. Chacun est retranché sur
ses positions, avec des arguments passion­
POUR LES PAYS  nants et souvent recevables. Mais il s’agit
d’une bulle intellectuelle, loin de toute réalité.
DE LA ZONE EURO A l’heure actuelle, pour des raisons essentiel­
lement juridiques et politiques, l’annulation
des dettes publiques détenues par la Banque
centrale européenne (BCE) est inimaginable.
Il suffit d’écouter la BCE elle­même, après
tout la première concernée. En octobre 2020,
Christine Lagarde, sa présidente, le disait déjà
au Monde : selon elle, les traités européens in­
terdisent l’annulation des dettes. A l’époque,
on avait insisté, lui demandant ce qu’elle pen­
sait de l’argument économique, au­delà de la
question juridique. Elle avait refusé de s’aven­
violer le droit. Depuis, Mme Lagarde et tous les
membres du Conseil des gouverneurs sont
sur la même ligne. Et même si la question lé­
gale était discutable (on va y revenir), les te­
nants d’une annulation de la dette ont contre
eux la politique. « Les représentants des pays
comme l’Allemagne, les Pays­Bas, l’Autriche
ou la Finlande, au Conseil des gouverneurs de
la BCE, s’opposeraient à l’annulation », expli­
que Eric Dor, directeur de la recherche écono­
mique à l’Iéseg, une école de commerce. Eux
défendent l’idée qu’une dette doit se rem­
bourser, qu’il en va de la crédibilité de l’em­
prunteur. C’est peut­être regrettable, mais le
monde est ainsi fait. L’annulation des dettes
est une complète impasse politique.
Erreur de diagnostic
Reprenons. Depuis 2015 et la crise de la zone
euro, la BCE achète une partie des dettes des
Etats membres. C’est une façon de réduire les
taux d’intérêt et donc de soutenir l’économie.
Avec la pandémie de Covid­19, ce programme
d’achat de dettes a pris d’énormes propor­
tions. En 2020, la BCE a dépensé plus de
1 000 milliards d’euros de cette façon. Elle pos­
sède désormais le quart de la dette des Etats
de la zone euro. Autrement dit, les Etats doi­
vent de l’argent à leur propre Banque centrale.
La main gauche doit rembourser la main
droite. Annuler tout cela d’un simple trait de
plume paraît tentant. Personne ne serait lésé
et aucun investisseur privé n’y perdrait.
en 2020. Le 5 février, 150 économistes, dont
Thomas Piketty, ont déclenché de vives réac­
tions en signant une tribune dans Le Monde
revendiquant cette annulation. Ils rappellent
que l’histoire est remplie d’annulations
de dettes, y compris celle de l’Allemagne,
en 1953. Les signataires se heurtent pourtant
au droit, et plus précisément à l’article 123
du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne. Certes, celui­ci n’interdit pas
expressément l’annulation des dettes, mais
seulement « l’acquisition directe des instru­
ments de la dette [des Etats] ». Mais « effacer
une dette reviendrait précisément à cela », es­
timait en octobre 2020 Mme Lagarde. La juris­
prudence renforce son argument. En 2018,
la Cour de justice de l’Union européenne af­
firmait que l’intervention de la BCE était lé­
gale jusqu’à présent, parce qu’elle « conser­
vait la faculté de revendre » la dette. Ce ne se­
rait plus le cas après une annulation.
Pour contourner le problème, il faudrait un
changement de traité. Obtenir l’unanimité
des Vingt­Sept sur un sujet aussi controversé
relève de la mission impossible. Dès lors, la
question est : la bataille pour l’annulation de
la dette, probablement perdue d’avance, en
vaut­elle la peine ?
Beaucoup d’économistes estiment qu’il
s’agit d’une erreur de diagnostic. La dette
n’est pas un problème aujourd’hui, du
moins pas à court terme. Les taux d’intérêt
sont négatifs ou proches de zéro pour les
Malgré l’envolée du stock de dette, honorer
les intérêts est de plus en plus facile. Le cas de
la France est spectaculaire : en 1996, la dette
atteignait 60 % du PIB et les intérêts de la
dette étaient de 3,4 % du PIB ; à la fin du troi­
sième trimestre 2020, la dette avait doublé, à
116 % du PIB, tandis que les intérêts étaient
divisés par deux et demi, à 1,4 %.
De nombreux économistes se désespèrent
d’ailleurs de cette controverse. Eux veulent la
même chose que les partisans de l’annula­
tion des dettes : d’importants plans de re­
lance en 2022 et en 2023, pour ne pas refaire
l’erreur de 2010, quand tous les Etats avaient
imposé l’austérité en même temps.
« Plutôt que de gaspiller du capital politique
pour essayer d’obtenir une annulation des
dettes publiques (…), les pays très endettés doi­
vent plutôt l’utiliser pour négocier une ré­
forme du pacte de stabilité [les règles euro­
péennes qui encadrent les dépenses publi­
ques], estime M. Dor. La vraie menace pour
eux est en effet (…) une austérité trop difficile à
supporter. » Une telle réforme en profondeur
du cadre budgétaire sera très difficile à obte­
nir, mais elle a une chance d’aboutir. Pen­
dant la pandémie, son application a été offi­
ciellement suspendue, offrant une opportu­
nité unique. Le chemin sera ardu mais,
contrairement à l’annulation des dettes, il ne
s’agit pas d’une impasse certaine. 
éric albert
(londres, correspondance)

CHRONIQUE  | PAR JULIEN BOUISSOU « IL Y A TROP DE MONDE » À PARIS

En Birmanie, les ONG LIVRE
en position délicate
D epuis 2012, Paris perd
près de 11 000 habitants
chaque année. Des
familles partent, des classes
ferment. La maire (PS) Anne Hi­
quel est le sens de cet exode ? Pour­
quoi les habitants de la Ville Lu­
Or ce « toujours plus », s’il valo­
rise ceux qui coupent les rubans
mière sont­ils si nombreux, dans
les sondages, à se dire prêts à
la quitter ? Sa réponse est simple :
« Il y a trop de monde », non seule­
ment à Paris, mais en région pari­
tricolores, pèse sur la vie des habi­
tants au jour le jour. L’hypertro­
phie parisienne se traduit par des
heures perdues dans les embou­
teillages, des rames de métro et

L e coup d’Etat en Birmanie met

en péril l’aide humanitaire
dont dépendent près de 1 mil­
lion d’habitants. Le pays « est en prise
avec des problèmes humanitaires pro­
fonds », alertait, fin janvier, le coordi­
nateur des Nations unies pour l’aide
internationale, quelques jours seule­
ment avant la prise du pouvoir par
l’armée. La Birmanie compte en effet
470 000 apatrides rohingya, une mi­
norité musulmane persécutée, dont
près de 120 000 vivent confinés dans
des camps, et près de 340 000 person­
nes déplacées par des conflits armés
dans les Etats Kachin, Shan, de
Rakhine, Chin ou encore de Kayin.
L’aide humanitaire est d’autant plus
cruciale que le pays a été durement
frappé par la crise due au Covid­19. La
pauvreté a augmenté, et les infras­
tructures médicales sont saturées.
Dans les jours qui ont suivi le coup
d’Etat, les ONG ont craint que l’armée
n’interfère dans leurs opérations, au
risque de compromettre la neutralité
dont elles ont besoin pour aider les
populations civiles dans les territoi­
res contrôlés par des groupes ethni­
ques armés. Ces craintes se sont légè­
rement dissipées. « Nous avons eu fa­
cilement des laissez­passer pour nous
rendre dans l’Etat de Rakhine, témoi­
gne depuis le Myanmar la responsa­
ble d’une ONG, comme si l’armée vou­
lait montrer à la communauté inter­
nationale qu’elle était capable de gérer
le pays et de nous laisser travailler nor­
malement. » Les difficultés concer­
nent plutôt l’approvisionnement en
matériel, nourriture ou médica­
ments, ou le paiement des employés
en raison de la fermeture de banques.
Certaines organisations, comme
Médecins sans frontières (MSF), sont
dans une position plus délicate. Début
février, le personnel de 70 hôpitaux
et services médicaux dans 30 villes
du pays a cessé le travail en guise de
protestation contre le coup d’Etat.
LES ORGANISATIONS  nant avec l’aide humanitaire peuvent
HUMANITAIRES DOIVENT  les hôpitaux publics gérés par les
CONVAINCRE LES DONATEURS  autorités, avec souvent l’assistance
DE CONTINUER À FINANCER  bles. Les pays occidentaux comme le
DES OPÉRATIONS  Etats­Unis, qui ont annoncé des sanc­
DANS UN PAYS AUX MAINS  tions contre la junte militaire, doivent
DES MILITAIRES
Cette participation à un mouvement
de désobéissance civile leur a valu
de nombreuses arrestations. « Les res­
trictions imposées dans le sillage de
l’état d’urgence peuvent potentielle­
dalgo et sa majorité sont­elles « en
train de tuer Paris », comme l’af­
firme son adversaire de droite
Rachida Dati ? Ce déclin démogra­
phique « est plutôt salutaire », as­
sienne. Avec 12,2 millions d’habi­
tants, soit plus que 20 des 27 Etats
membres de l’Union européenne,
l’Ile­de­France est devenue, à ses
yeux, « un ensemble pachydermi­
de RER bondées, des prix de l’im­
mobilier qui atteignent des som­
mets et chassent les moins fortu­
nés loin de la capitale.
Pour l’auteur, il devient urgent
ment interrompre les soins dont des sure au contraire Olivier Razemon que légèrement inquiétant ». de décongestionner Paris et la
vies dépendent et que MSF et d’autres dans un essai stimulant, « Les Pari­ banlieue « au profit de villes, de
dispensent aux populations les plus « LES PARISIENS »,  siens », une obsession française. Hypertrophie bourgades et de villages qui ne de­
vulnérables du Myanmar », a prévenu UNE OBSESSION  Pour ce journaliste indépendant, Cela n’a rien d’un hasard. La con­ mandent que cela ». Rééquilibrer
MSF dans un communiqué publié FRANÇAISE collaborateur régulier du Monde, centration de la population et de enfin ce pays, où Paris est toujours
mi­février, tout en précisant que son d’Olivier Razemon toute la région parisienne devrait l’activité économique en région plus écrasant tandis que de nom­
travail était « impartial ». Dimanche Rue de L’Echiquier, même entamer une cure d’amai­ parisienne « correspond à une vo­ breuses villes moyennes dépéris­
28 février, la répression contre les ma­ 216 pages, 18 euros grissement. « Même si elle perdait lonté résolue de l’Etat », explique­ sent. Des signes, comme l’aban­
nifestants a fait au moins 18 morts. environ 15 % de sa population d’ici t­il dans son ouvrage, fruit de don de l’énorme projet Europacity,
La relation avec les donateurs privés à 2030, l’Ile­de­France demeurerait nombreuses enquêtes. Au nom « laissent penser que cette voie n’est
ou gouvernementaux est tout aussi une région robuste, un pôle écono­ de la compétition internationale pas impossible à suivre », relève
délicate. Les organisations doivent les mique bien établi en Europe », et de l’attractivité, les gouverne­ Olivier Razemon. Il incite à aller
convaincre de continuer à financer écrit­il. Mais « elle serait plus viva­ ments qui se succèdent conti­ plus loin. Ses propositions restent
des opérations dans un pays aux ble, à la fois pour ceux qui choisis­ nuent à favoriser l’implantation à imprécises. Mais, alors que le sujet
mains des militaires. Les Nations sent d’y rester et pour ceux qui Paris et alentours d’entreprises, n’est pas entré dans le débat politi­
unies avaient lancé, fin janvier, un ap­ viennent s’y installer ». de logements, de gigantesques que, « questionner la concentra­
pel à la communauté internationale Le confinement et le départ sou­ infrastructures comme le futur tion parisienne, c’est commencer
pour mobiliser 276 millions de dollars dain d’une partie des Parisiens ont « super­métro » du Grand Paris à répondre au problème », veut
d’aide humanitaire. En dépit de la si­ incité Olivier Razemon à s’interro­ Express, au grand bonheur des croire le journaliste. 
tuation politique, l’Union européenne ger : au­delà de la crise sanitaire, promoteurs et des géants du BTP. denis cosnard
a annoncé, fin février, le versement de
11,5 millions d’euros, et de 3 millions
destinés à la protection des Rohingya
au Myanmar et au Bangladesh.
Décaissements gelés
Sommeil | par selçuk
L’aide au développement est davan­
tage compromise, car elle repose sur
des partenariats avec les autorités.
Plusieurs pays ont décidé de suspen­
dre ou de réorienter leurs program­
mes d’aide, et la Banque mondiale
a gelé ses décaissements dès le 1er fé­
vrier. L’agence de développement
américaine Usaid a annoncé qu’elle al­
lait rediriger 42,4 millions de dollars,
dont une partie était destinée au gou­
vernement birman, vers des organisa­
tions de la société civile. Mais il n’est
pas si simple de cesser toute commu­
nication avec les autorités. « En réalité,
on a souvent besoin d’échanger avec
eux pour un permis ou autre chose »,
observe un responsable.
Aide humanitaire et aide au déve­
loppement sont étroitement liées.
Dans les camps de personnes dépla­
cées, les cliniques mobiles fonction­
certes offrir les premiers soins, mais
des pays étrangers, sont indispensa­
Canada, le Royaume­Uni ou encore les
veiller à ce qu’elles n’aggravent pas la
situation humanitaire sur place. 
0123
MERCREDI 3 MARS 2021 0123 | 33

FRANCE | CHRONIQUE NICOLAS 

par fr ançoi se f re ssoz
SARKOZY DANS 
LE PIÈGE DE 
A la recherche LA SURENCHÈRE
sont entachés, alors que se profile, dans
les tout prochains jours, une nouvelle
échéance judiciaire ô combien plus sé­
mence du tribunal, d’autant qu’il n’a cessé
de remettre en cause la légalité des écoutes
téléphoniques qui ont permis de faire écla­
du « vivre-ensemble » rieuse. Le 17 mars, l’ancien président de la
République se trouvera de nouveau face
aux juges, cette fois dans le cadre de l’af­
ter l’affaire. Le tribunal lui a, au contraire,
administré une cinglante leçon, en esti­
mant qu’il avait commis deux délits qui
faire Bygmalion, qui porte sur l’important portent « gravement atteinte à la légitime
dépassement de ses frais de campagne, lors confiance que chaque citoyen est en droit

A
quinze mois de l’élec­
tion présidentielle, fai­
re renaître le « vivre­
ensemble », autre­
ment dit trouver le discours uni­
ficateur capable de rassembler
une partie non négligeable de la
société française, relève de la ga­
geure. Quel que soit leur posi­
tionnement politique, les préten­
dants au match de 2022 se heur­
tent à deux difficultés majeures.
La première est immédiate : plus
l’épidémie se prolonge, plus il leur
est difficile de projeter les Français
dans l’après, de les sortir de l’état
d’asthénie dans lequel les en­
ferme le régime de semi­liberté in­
duit par la crise sanitaire. Le seul,
dans ce contexte, à disposer d’un
léger avantage est le président de
la République, qui, sondage après
sondage, conforte son socle parce
qu’il est aux manettes et donne le
sentiment de faire face.
Dans le dernier baromètre Har­
ris Interactive, publié vendredi
26 février, 48 % des Français disent
faire confiance à Emmanuel Ma­
cron. Le chemin de crête retenu
depuis la fin du mois de janvier se
trouve, pour le moment, validé. A
la surprise quasi générale, le chef
de l’Etat avait exclu un reconfine­
ment. L’option tient toujours,
mais, tant que la politique vacci­
nale n’aura pas été davantage dé­
ployée pour contrer la progres­
sion du virus, elle relève du pari.
La deuxième difficulté, pour les
prétendants, est structurelle. Elle
tient à l’état de déstructuration de
la société française que Jérôme
Fourquet a mis en évidence en
PLUS L’ÉPIDÉMIE
SE PROLONGE, PLUS  peut se comprendre sans que soit évoquée
IL EST DIFFICILE
DE PROJETER
LES FRANÇAIS
DANS L’APRÈS
tage trouve un large écho à droite
et à gauche ainsi que dans les dif­
férentes catégories sociales. Or, la
réalité apparaît plus nuancée.
En exploitant les résultats du
12e baromètre de la confiance po­
litique du Centre de recherches
politiques de Sciences Po (Cevi­
pof), Luc Rouban, directeur de re­
cherche au CNRS, montre que la
République, en tant qu’idéal fédé­
rateur, a du plomb dans l’aile : si
42 % des enquêtés considèrent
leur pays comme « une nation as­
sez unie malgré ses différences »,
53 % le voient comme « un ensem­
ble de communautés qui cohabi­
tent les unes avec les autres ». Les
plus jeunes (18­24 ans) se caracté­
risent par le taux le plus faible de
réponses en faveur de la repré­
sentation nationale (30 %), de
même que les membres des caté­
gories populaires (37 %), compa­
rés à ceux des catégories supé­
rieures (52 %).
D’autres questions mesurent le
degré d’appartenance à une com­
munauté. Si, en moyenne, 25 %
des enquêtés répondent qu’ils
ont le sentiment d’appartenir en
priorité à la communauté natio­
T rois ans d’emprisonnement dont un
an ferme. La condamnation de Nico­
las Sarkozy, en première instance,
pour « corruption et trafic d’influence »
dans l’affaire dite « des écoutes », lundi
1er mars, est faite pour frapper. Jamais une
telle peine n’avait été prononcée à l’encon­
tre d’un ancien président de la République.
Les mots employés par le tribunal sont ru­
des, et leur effet a tout de la mèche lente :
retiré de la vie politique depuis 2016 mais
bénéficiant encore d’une forte aura dans
son camp en raison de la nostalgie qu’en­
tretient sa victoire de 2007, l’ancien chef de
la droite a perdu, en quelques minutes, une
bonne partie de son potentiel politique.
Nicolas Sarkozy a, certes, fait appel du ju­
gement, mais son nom et sa réputation
de l’élection présidentielle de 2012.
La portée du jugement sur les écoutes ne
cette chronologie des procès qui rythment
désormais la vie de l’ancien chef de l’Etat
dans une relation hystérisée avec les juges.
L’affaire en soi est moralement choquante,
bien en dessous de ce que l’on peut atten­
dre du comportement d’un ancien prési­
dent de la République, mais elle était diffi­
cile à juger : Nicolas Sarkozy était poursuivi
par le Parquet national financier pour
avoir, en 2014, alors qu’il n’était plus prési­
dent, tenté d’influer sur une décision de la
Cour de cassation le concernant dans l’af­
faire Bettencourt par l’entremise du magis­
trat Gilbert Azibert, en échange pour ce­
lui­ci d’un poste à Monaco.
Finalement, l’ancien président de la Ré­
publique n’a pas obtenu gain de cause, et
Gilbert Azibert n’a pas été nommé à Mo­
naco, si bien que le « pacte de corruption »
qui lui est reproché n’a pas été suivi d’effet.
Nicolas Sarkozy tablait donc sur la clé­
UNE VIE, UNE ŒUVRE
d’accorder à la justice ».
Quelque chose de très politique se jouait
à travers ce procès : l’affirmation de l’auto­
rité des juges face à un ancien président de
la République qui n’a cessé de chercher à les
discréditer. En ligne de mire, le Parquet na­
tional financier, créé en décembre 2013
pour traquer la grande délinquance écono­
mique et financière, jouait sa réputation et
donc sa survie. Fragilisé par de nombreuses
polémiques sur ses méthodes d’investiga­
tion, constamment mis en cause par Nico­
las Sarkozy et ses défenseurs, il sort con­
forté par le jugement du tribunal, sans être
totalement assuré de la suite.
A chaque fois qu’il s’est trouvé acculé, Ni­
colas Sarkozy a cherché à galvaniser ses
troupes contre les juges, ce qui était une fa­
çon de se réarmer politiquement. Aujour­
d’hui, il récolte la monnaie de sa pièce et
doit s’interroger sur l’opportunité de pour­
suivre cette surenchère de nature populiste,
qui est non seulement devenue un piège
pour lui mais un risque pour le pays. 

ÉDITION
mars 2019 dans son livre L’Archi­ nale, 45 % affirment qu’ils n’ont

pel français (Seuil). L’auteur y dé­
crit le processus d’autonomisa­
tion des différents groupes so­
ciaux intervenu ces trente derniè­
res années sous l’effet de
multiples fracturations (sociale,
éducative, territoriale, ethnique,
culturelle). Depuis, chacun a ten­
dance à vivre dans sa sphère et, de
plus en plus, à s’informer selon
ses propres canaux, ce qui ren­
force encore l’effet bulle.
Politiquement, le premier signe
de cette désagrégation s’est mani­
festé en 2002 lorsque Jean­Marie
Le Pen s’est qualifié pour le se­
cond tour de la présidentielle en
éliminant Lionel Jospin. Deux
ans plus tôt, dans un souci d’uni­
fication, le socialiste avait théo­
risé une « nouvelle alliance » entre
les exclus, les classes populaires
et les classes moyennes, qui, dans
la pratique, s’est révélée inopé­
rante. Quinze ans après cette pre­
mière secousse, Emmanuel Ma­
cron est parvenu à recréer à son
profit de la bipolarité autour du
clivage France ouverte/France
fermée, mais sans être assuré
2021
pas le sentiment d’appartenir à
une communauté quelconque,
qu’elle soit nationale, linguisti­
que ou géographique, de modes
de vie ou de valeurs partagées. La
proportion monte à 65 % dans les
catégories populaires. Elle ex­
plose chez les enquêtés proches
du RN ou déclarant n’être proches
d’aucun parti. Le chercheur y voit
le signe d’une République « pro­
fondément désintégrée » dans la­
quelle une bonne partie des Fran­
çais ne se reconnaît dans rien et
porte un regard désabusé sur le
champ politique.
« La France des oubliés »
Il y a un an, le laboratoire d’idées
et d’action Destin commun, qui se
donne pour mission de construire
« une société plus soudée », avait
publié les enseignements d’une
enquête réalisée pendant l’année
2019 avec l’institut Kantar. A par­
tir des réponses de 6 000 partici­
pants portant sur leurs convic­
tions profondes et leur degré d’en­
gagement social et civique, trois
familles avaient émergé : « la

Marguerite Duras
d’en rester durablement victo­ France tranquille » (30 %) regroupe
rieux : ses soutiens viennent des les citoyens plutôt satisfaits de
catégories les plus aisées ou de leur destin et confiants dans les
celles qui ont le plus foi dans
l’avenir, au risque de réactiver
institutions démocratiques ; « la
France polémique » (32 %) rappro­ La voix et la passion
une forme de lutte de classes. che fictivement deux groupes
Depuis la rentrée de septembre, contestataires radicalement op­
un autre clivage est actionné : la
défense des valeurs de la Républi­
posés : les « militants désabusés » à
gauche, les « identitaires » à droite ;
« Oui, elle nous manque », par Laure Adler
que face aux tentations séparatis­ « la France des oubliés » (38 %) est
tes. Le choix paraît a priori judi­ celle des citoyens les moins impli­
cieux, car la matrice républicano­ qués dans la vie démocratique, so­
laïque a fortement contribué ciale et citoyenne.
dans le passé à structurer la so­ Selon François­Xavier Demou­
ciété française. On pouvait suppo­ res, directeur de Destin commun,
ser que la préservation de l’héri­ c’est elle qui représente le plus
grand défi pour les organisations Vingt-cinq ans après sa disparition, que
démocratiques, à cause d’une représente aujourd’hui Marguerite Duras ?
UN AUTRE CLIVAGE possible jonction avec les identi­ Quelles traces l’autrice de L’Amant a-t-elle
taires qui pèsent 20 %. « Parce que
EST ACTIONNÉ : LA  la France des oubliés a des appar­
tenances et des liens faibles, elle
MARGUERITE DURAS laissées ? Elle est aujourd’hui un classique
de la littérature française, mais connaît-on
DÉFENSE DES VALEURS  est vulnérable aux récits qui veu­ vraiment l’ampleur de son œuvre ? A travers
lent rétrécir la communauté de Un hors-série du « Monde »
DE LA RÉPUBLIQUE  124 pages - 8,90 € débats, hommages et interviews, Le Monde
destin sur une base identitaire »,
Chez votre marchand de journaux restitue la complexité de cette femme de
FACE AUX TENTATIONS  souligne l’étude. Eviter cette jonc­
tion constitue l’enjeu majeur de et sur lemonde.fr/boutique lettres…
SÉPARATISTES la bataille de 2022. 

Tirage du Monde daté mardi 2 mars : 121 096 exemplaires

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ABSORBE n 20
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LE CHOC
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L'année 2020 a été marquée par le choc T
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historique et global de la pandémie de d’e

Covid-19 mais aussi par une série de

UN BON RENDEM en 20
20
catastrophes naturelles ainsi que par des
sinistres industriels et commerciaux de
DES CAPITAUX PR
ENT
OPRES
3,8 %
grande ampleur. SCOR a passé avec
220de s%
2)
succès ce stress test grandeur nature, UNE SOLVABILITÉ /2020
a b il it é au 31/12
démontrant une nouvelle fois la OPTIMALE olv
ratio
résilience de son modèle économique
et sa faculté à absorber les chocs. Le
Groupe a accompli sa mission, honorant
CAPITAUX 6,2 millia2/r20d20s
PROPRES d’euros au 31/1
tous ses engagements envers ses clients
et contribuant à la protection des
personnes et des biens affectés par ces
UN BILAN 46,2 milliards
ROBUSTE d’euros au 31/12/2020
sinistres, tout en parvenant à dégager
des résultats appréciables.
UN CASH FLOW 988 millions
Fort d’un ratio de solvabilité optimal OPÉRATIONNEL NET ÉLEVÉ d’euros en 2020
et d’une assise financière très forte
attestée par une notation financière
UNE SOLIDITÉ FINANCIÈRE AA-
de niveau « AA- », le Groupe est très S&P: AA- Persp
DE PREMIER ORDRE ective Stable, M
oody’s: Aa3 Persp
bien positionné pour tirer parti de Fitch: AA- Persp
ective Stable, AM ective Négative
Best: A+ Perspec
tive Stable
l’amélioration des termes et
conditions tarifaires en assurance et UN RENDEMENT 2,8 %
réassurance de dommages et de DES ACTIFS SOLIDE en 202
0
responsabilité, comme l’ont démontré
les excellents renouvellements DES INVESTISSEMENTS 7,3 %
d’a
0,4 %
DURABLES EN CROISSANCE
+ ctifs ve
enregistrés au 1er janvier 2021. De *imm
p ts par
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même, le Groupe continue de croître s d’ex
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en réassurance vie.
UNE CRÉATION
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DE VALEUR SOUTEN
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de la mique*
SCOR poursuit son développement pand gé d
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fortement créateur de valeur et la mise ovid (
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en œuvre de son plan stratégique UN DIVIDENDE
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Le Groupe accélère son recours aux erse
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de 2
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al de
nouvelles technologies tout en 336 20
milli
ons
poursuivant activement sa démarche en d’eu
ros
matière de développement durable et
de responsabilité sociale. 1)
Net de rétrocession et avant impôts
2)
Les résultats définitifs du Groupe en matière de solvabilité doivent être soumis aux
autorités de supervision d’ici à mai 2021 et pourront différer des estimations explicitement
ou implicitement données.
3)
Dividende soumis à l’approbation de l’Assemblée Générale 2021.

Denis Kessler, Président-Directeur Général

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