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JACQUES AUMONT

REasenr

L'INTERPRÉTATION
DES FILMS

A .
Ji n or
RE À RIT
’ |

ARMAND COLIN
le même éditeur
Du même auteur chez
: e lai Ber ala, Michel Marie et Marc Vernet.
Esthétique dufilm,4° éd, 2016, avec rer 16, avec Michel Marie.
tique du cinémas 3° éd, 20
Dictionnaire théorique et cri
avec Michel Marie.
L'Analyse des films, 3° éd., 2015,
éd., 2011.
Les Théories des cinéastes, 2°
L'Image, 3° éd,, 2011. |
e, 2° éd., 2010.
Le Cinéma et la mise en scèn

s (M. Night Shyamalan, 1999)


Illustration de couverture: Sixième Sen
lection/Aurimages
Photo © Hollywood Pictures / The Kobal Col

Mise en page: Belle Page

Le pictogramme qui figure ci-contre d'enseignement supérieur, provoquant une


mérite une explication. Son objet est baisse rutale des achats de livres et de
iié mème pour
d'alerter le lecteur sur la menace que revues, au point que la possi
représente pourl'avenir de l'écrit, les auteurs créer des œuvres
particulièrement dans le domaine nouvelles et de les faire éditer cor-
del'édition technique et universi- rectement est aujourd'hui menacée.
‘taire, le développement massif du Nous rappelons donc que toute
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© Armand Colin, 2017

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Dunod Éditeur, 11 rue Paul-Bert, 92240 Malakoff
ISBN : 978-2-200-61712-7

wWww.armand-colin.com

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aus ton,«loute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite
sans ent de l'auteur ou de ses ayants droit
illicite » (art. L. 1224). 94 GYANIS cause es
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que
ce soit, constitue-
raitdonc une contrefa çon sanction
ionnnée
é par les article “ Ù
Code dela propriété intellectuelle. ° + S9S2 91 suivant du
Table des matières

Avant-propos

Homointerpretans 11
1. Prologue: ce que dit une scène de film 11
2. L'interprétation est permanente et inévitable 16
2.1 Interpréter c'est comprendre 16
2.2 Savoir et pouvoir 21
2.3 Le sensoriel etl'intellectuel 25
3. L'interprétation est toujours risquée et douteuse 27
3.1 La diversité des intentions 27
3.2 L'interprétation fictionnelle : fabriquer du sens 30
3.3 Lexemple de la reconstruction de films 36
4. Place de l'interprétation dans le geste critique 38
4.1 Interprétation et analyse. Le détail 38
4.1.1 Interprétation et analyse 38
4.1.2 Le statut du détail 40
4.2 Interprétation etcritique 43

47
Approches de l’art d'interpréter
ND

1. Interprétation et art d'interpréter 47


48
1.1 L'acte d'interprétation
48
1.1.1 Les quatre visées de l'acte interprétatif
50
1.1.2 Leflux et la structure
54
1.1.3 La question de la saturation
55
1.2 L'art d'interpréter
59
2. Brève histoire des techniques de l'interprétation
59
2.1 Pourquoi une histoire ? |
la philologie 60
2.2 Approches premières : de la rhétorique à
62
2.3 Allégorie et exégèse
63
2.3.1 L'allégorie et le symbole
69
2.3.2 L'exégèse biblique 78
2.3.3 Fortune critique de la Traumdeutung 75
2.3.4 L'iconologie 79
2.4. L'herméneutique 79
2.4.1 L'herméneutique sémiotique

Table des matières 247


24.2 L'herméneutique philosoph
ique 86
25 Destins ultérieurs del'interp
rétation 94
2.5.1 L'épisode romantique 94
2.5.2 Dialogismeet polyphonie 104
2.5.3 Déconstruction et interprétati
on 108

3 Pourquoi et comment interpréter un film ? 115


1. Pourquoi 115
1.1 Une œuvre est faite pour être comprise 115
1.2 L'œuvre est une expérience de substitution 121
1.3 Chercherla vérité de l'œuvre 125
1.4 Dessiner des généalogies et des contextes 132
1.4.1 Les conditions de production 132
1.4.2 Les traces idéologiques dans l'œuvre 136
1.5 Le jeu de l'interprétation 138
2. Comment 143
2.1 Comprendre (sémiotique) 145
2.2 À quoi peut servir un film ? (anthropologie) 149
2.3 Donner sens (herméneutique) 154
2.4 Comparer et situer (enquête culturelle) 161
2.4.1 Construire un contexte 161
2.4.2 Chercher des textes comparables 167
2.5 Faire jouer l'œuvre 174

4 Cinéma, théorie, interprétation 181


1. Problèmes majeurs de l'interprétation 181
1.1 Qu'est-ce qu'une œuvre ? 181
1.1.1 Cohérence, « pluriel », polysémie 183
1.1.2 Clôture, «fin ouverte » 187
1.2 Qu'est-ce que le contenu d’un film ? 188
1.3 Qu'est-ce qu'un auteur defilms? 195
1.3.1 L'intentionnalité 195
1.3.2 L'identification 198
1.4 Existe-t-il des styles filmiques ? 201
1.5 La question du visuel 205
1.6 Comment les œuvres de cinéma vieillissent 208
2. Linterprétation commeacte imaginaire 211
2.1 Interpréter n'est pas analyser 212
2.2. L'interprétation commence dèsla vision des films 216
2.2.1 Limmersion perceptive 216
2.2.2 Limmersion fictionnelle 219
2.3 L'interprétation fait partie de notre vie mentale 223

248 L'interprétation des films


Références bibliographiques 233
index des notions 239
index des films 243

Mairie de Paris
Table des matières 249
Bibliothèque du cinéma
Homo interpretans

1. PROLOGUE : CE QUE DIT UNE SCÈNE DE FILM


En 1978, Ingmar Bergmanréalise Sonate d'automne(illus. 1), drame psycho-
logique centré surla relation conflictuelle entre une mère et sa fille. Une scène
clef montre la première, grande pianiste à la brillante carrière internationale
(Ingrid Bergman), écoutant sa fille (Liv Ullmann) lui jouer un morceau de
Chopin!, puis critiquant son jeu et lui donnant une leçon de musicologie et
d'interprétation. Voilà déjà un premier sens du mot « interprétation », celui
de la pianiste qui joue un morceau de musique écrite, tel quelle voudrait
l'entendre et tel qu'elle pense qu'il doit être rendu. Le film propose deux de
cesinterprétations: celle de la fille, qui s'attache avec application à respecter
le texte écrit, à ne rien oublier et à ne pas se tromper; celle de la mère, quia
dépassé ce stadelittéral et s'attache à donner autre chose en plus — du senti-
ment, de l'expression, et implicitement une idée de l'art musical. Ce premier
sens du mot nous dit déjà une chose essentielle : interpréter, cest ajouter.Si
Jinterprète une œuvre, une pensée, une manifestation spirituelle ou sensible,
je nela laisse pas tranquille; je la fais exister à nouveau, mais cela a un prix : je
l'augmente de quelque chose, qui vient de moi. L'interprète nintervient jamais
Sans que cela se marque.
On peutdire la même chose d'un sens voisin du terme: dans la scène de Sonate
d'automne, je vois deux actrices, dont chacune interprète un personnage. Là
aussi,il s'agit de donner existence sensible à quelque chose quiest virtuel,le rôle
——_—

l. Prélude en la mineur, op. 28, n°2.


1 Ce relevé partiel du découpage de La scène du Prélude de Chopin dans Sonate d'automne
(Bergman, 1978) en fait saisir l'essentiel : ce ne sont pas Les mains des deux pianistes qui
comptent, maïs leurs regards. Pendant que La fille joue, La mère ne La regarde pas ;
les deux femmes sont dans des cadres nettement séparés.

écrit : l'acteur ou l'actrice est voué/e à ajouter au texte écrit du sens,desaffects,


des idées quilui sont propres. C'est le moment où il/ellefait l'expériencedela dif-
férence entre un rôle et un personnage: entre le porteur de certains événements
et de certainesrelations, et un être imaginaire doté de psychologie et d'intellect.
Au théâtre, ce personnage est parfois esquissé parl'auteur de la pièce dans des
didascalies ; au cinéma, certains scénarios très explicites convient à aller dans une
certaine direction ; au tournage, certains réalisateurs donnent des consignes de
jeu ; mais une grande part de la construction reste aux mains de l'acteur ou de
l'actrice. C'est l'un des problèmes classiques de l'adaptation d'œuvres littéraires

12 | L'interprétation des films


tour, La fille ne détache pas
(suite) Au contraire, Lorsque la mère se met au piano à son
- une figure dont Bergman
ses yeux de son visage, dans un cadrage unique et serré
an prend, du coup,
est familier. Au milieu de la scène, La maîn d'Ingrid Bergm
une grande force d'apparition.

e ce qui n'est qu'un tissu


en cinéma : comment construire une équivalence entr
? Mêmesi cette pré-
de phrases et la présence d'un corps, avec ses singularités
ence entre l'existence
sence n'est qu'indirecte (en image), il y a une grandediffér
raire et à travers les actionset
du personnage à travers des phrase s de récit litté
ne remplit sa tâche
mimiques visibles d'un corps humain. Ici encore, l'interprète
attentif à ce dont il part.
qu'en y mettant du sien, et cependant en restant
une autre instance del'inter-
La scène imaginée par Bergman donne encore
verbalement cette fois, la pro-
prétation : celle que donne dela pièce de Chopin,
giques. Il ne s'agit plus de
fessionnelle qui possède des connaissances musicolo

Homo interpretans | 13
ventionnellement sur
donner uneexistence sensorielle à un morceall noté con crip-
ent de donner des pres
du papier, mais d'expliquer sonsens, et corrélativem
igner la complexité de ce
tions sur son rendu sonore. On ne saurait trop soul
n peut utiliser les ressources
processus courant: il y a d'abord la conviction quo
essante d'un phéno-
du langage pour rendre compte de manière adéquate etintér
e autres, que pour expliquer
mène non verbal, la m usique. On peut noter, entr
HéCQUrS à des
ce morceau de musique datant de plus d'un siècle, l'interprète a
la biographie du
considérations techniques (de doigté par exemple) mais aussià
isables est vaste
compositeur, voire à sa psychologie. La gamme des donnéesutil
ce
et diverse : du plus objectif(tel trait sera plusfacile à rendre si on passele pou
à tel endroit) au plusincertain (Chopin était-il « très viril », commel'affirmela
mère — à rebours d'une image convenuede ce compositeur ?).
Symétriquement,il y a la convictioninverse,et tout aussi étonnante, que ces
phrases d'explication vont pouvoir se matérialiser en sons, par l'intermédiaire
d'un corps quiles traduira en gestes instrumentaux. Du texte écrit à l'exécution
du morceau, on est passé par un stade intellectuel, plus ou moins verbalisé,
qui est censé être un intermédiaire utile — voire nécessaire — à ce passage.Ici,
l'interprétation ajoute moins qu'elle ne cherche à être juste. La pianiste qui veut
jouerbien le prélude de Chopin doit travailler sa technique digitale, mais aussi
faire une enquête : quesignifient au juste ces notations conventionnelles qui ne
disent, à elles seules, que des hauteurs de son et des durées ? Commentlesfaire
parler ? Et surtout, comment lesfaire parler sans parler à leur place ? L'interprète
ajoute, mais il doit se souvenir qu'il ajoute, et confronter ses ajouts à un respect
de principe de l'intention qu'on peut supposer dansce qu'il interprète.
On n'est pas très loin ici d'un des sens les plusfréquents du terme « interpré-
tation », celui qui désigne l'opération permettant de passer d'une langue à une
autre. Les problèmes sont largement les mêmes si je veux rendre en français
un texte écrit en russe, en coréen ou en arménien, je devrai d'abord savoir
lire
cett € langue de $
départ(comme le pianiste doit savoirlire la partition), c'est-à-dire
4 ue Jje
E devrai
devrai êtr
é e capable defairj e du sens (expression que no
us aurons à ques-
onner) dans cette langue. ]
de transférer un « e devrai posséder un code technique permettant
é sd or n
d'usa Once d'unelangue à l'autre (dictionnaire, grammaire, règles
8€, Mais aussi connaissa
aura toujour s un mom Ent ice suffisante du contexte) : pourfinir, toutefois,il y
où je devrai y mettre du mien, pour choisir entre plu-
sieurs solutions c elle quiÏ me
Paraît
Î ra la meilleure — au nom de critèr
es variables

14 | L'interprétation
des films
entre lesquels j'aurai dû aussi préalablement choisir, fût-ce inconsciemment. (Je
°J

pourrai vouloir donner une traduction élégante, ou idiomatiqueet fluide dansla


langued'arrivée, ou au contraire fidèleà la logique dela langue de départ, etc.)
Et puis,il reste au moins un dernier sens du mot que suggère mon exemple :
face à cette scène defilm qui nous donne,en vertu de certaines conventions de jeu
et de représentation, l'image d'un événemententre des personnes que nous imagi-
nons, nous sommes, en tant que spectateurs, placés devantla possibilité, et même
la nécessité, d'interpréter. Interpréter, c'est-à-dire, toujours, donner du sens — du
senspournous, et éventuellement un sensparelle-même — à cette scène. Du sens
pour nous, si nous voulonsétre capables de comprendrece qui se passe, mais sur-
tout de comprendre ce quin'est pasdit mais seulement suggéré cela nous permet-
tra de transporter quelque chose de cet épisode dansnotre vie, peut-être de juger
ses protagonistes, de comparer cet événementà d'autres que nous avons vécus,
etc. Quia tort, quia raison, de cette mère égoiste ou de cette fille complexée (mais
avec ces deux épithètes, j'ai déjà commencé à construire des réponses) ? Quelle
leçon, directe ou moins directe, puis-je en tirer pour moi-même ? Quest-ce que
cela m'apprend des sentiments humains en général ? Et, puisque c'est une œuvre
de cinéma relativement ancienne, pourrait-on encore aujourd'hui au cinéma voir
une scène de ce genre, ou appartient-elle décidément à l'Histoire ?
Quant au sens quecette scène pourrait avoir par elle-même,il est plus délicat
à établir, car il faudra que je m'abstraie totalement de mes sentiments personnels,
de mes a priori, de mes goûts. Au premier abord cette scène de film, malgré
le poids sensible de la mise en forme, me donnel'impression d'être devant une
scène de la vie réelle ; je dois alors en interpréter le sens en vertu d'un donné,
objectif mais opaque(ce qui frappe mes yeux et mesoreilles), et d'inférences plus
ou moins immédiates, dont je peux n'être même pas conscient. Je me retrouve
dansla situation la plus ordinaire quisoit, celle qui consiste à devoir réagir à un
événement en fonction de la manière dont on l'a compris (mêmesi, devant un
film, ma réaction est purementintérieure et ne se traduit pas en actions, comme
c'estle cas devantla réalité).

Homo interpretans 15
Queconclure de ce premier examen ? |
En premierlieu, que la notion d'interprétation est large, et Vaut pour des
activités très diverses,allant du plus banal au plus spécialisé, pouvant mobiliser
des techniques élaborées ou le simple sens commun,et concernant dessitua-
tions et des objets de nature très variable. Et d'autre part, quelle est une activité
constante del'esprit : nousinterprétons sans cesse ce qui nousarrive, que ce soit
dans nos relations interpersonnelles, dans nos activités et nos affects, dans nos
rencontres avec des « œuvres del'esprit » (au sensle plus large). Comme la prose
pour Monsieur Jourdain, l'interprétation est ce que nousfaisons journellement,
sans forcémentle savoir, et le plus souvent sans y penser. « Puisse Dieu [me]
donner la faculté de pénétrer ce que tout le monde a sousles yeux ! », disait le
philosophe Ludwig Wittgenstein! : c'est, sil'on veut, le paradoxe de l’inter-
prétation, qui nous donne à tâche de comprendre ce quiest là, devant nous
et ne nous demande rien — et en même temps, exige de nous que nousen fas-
sions quelque chose. L'événement quotidien dénué de sens, comme l'œuvre d'art
énigmatique qui melaisse entendre qu'elle m'ouvre un univers caché. appellent
l'un et l'autre ma participation, mon intelligence, ma culture et mon imagination,
pourleur donner un sens, c'est-à-dire les interpréter.

2. L'INTERPRÉTATION EST PERMANENTE ET INÉVIT


ABLE
2.1 Interpréter c'est comprendre
Ainsi, interpréter est non seulementinévitable, dans
toutesles circonstances
de
la vie et spécialement devant les œuvres de
l'esprit — mais cela est nécessaire.
Cest une de nos tâches incessantes, en tan
t que su) ets, d'interpréter ce quiarrive
et ce qui nous arrive. Nousle faisons plu
s où moi ns bien, nous n'avonspas tou-
jours les outils adéquats, nous risquo
ns l'erreur en permanence, mais nous ne
pouvons nous passer d'interpréter. Les œuvres de l'esprit,
qui sont la conden-
sation sous forme symbolisée et
partie llement mimétique de notre expérience
réelle, requièrent comme le rest
€ celte interprétation. Mais nous savons alors
que nous avons affaire à un art
e fact et non à un événement spontané, et
attitude d'interprète s'infléchit notre
. elle devientplus consciente, plus
organisée, plus
—_—_—_
1. L. Wittgenstein (1947), Remarques mêlées,
trad, fr. Mauvezin, Trans-Europ-Repress, 1990, p.
81.

16 L'interprétation des films

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