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CHAPITRE III 

: Rationalité limitée et analyse stratégique

I) Choix rationnel et rationalité limité

Tandis qu’à Harvard, on étudie les conséquences de l’effet Hawthorne


� Doctorant en science économiques de l’université de Chicago, Herbert Simon est
envoyé à Milwaukee : analyse de la façon dont les décisions sont prises/gestion des
aires de jeux
� Les fonctionnaires ne prennent pas leurs décisions conformément à la théorie micro-
économique « choix rationnel », mais ont souvent un parti pris
� Sa thèse de doctorat sera publiée en 1947 sur le thème de la « rationalité limitée »

Application : l’exemple des missiles de cuba : choix rationnel ou rationalité


limitée ? (Vidéo moodle)

Les EU vont vite se sentir menacés avec l’alliance de Castro avec l’URSS et la nationalisation
de l’industrie sucrière. JF Kennedy est élu président en novembre 1960.
- En 196, la CIA lui impose un débarquement à Cuba contre Castro, véritable fiasco
(baie des cochons).
- Le 15 octobre 1962, il apprend l’installation de missiles nucléaires soviétiques à Cuba.
- Le 22 octobre 1962, à 7h du matin, il l’annonce au peuple et met en demeure l’URSS
de les retirer en la menaçant d’un blocus naval de Cuba le 24 octobre à 10h.
- Le 28 octobre 1962, Koutchéen s’engage à rapatrier les missiles
- CAS les plus étudiés en théorie des organisations : plus grande crise de la guerre
froide durant 13 jours fatidiques. En apparence chois rationnel de JFK ; dans les faits
rationalité limitée.

� Comparaison des deux modèles

A. Les statuts de l’information

� Choix rationnel (CR) : info disponible, neutre et objective


� Rationalité limitée (RL) : info structurée par organisations qui la contrôlent.

� Les faits : Kennedy n’apprend la réalité qu’après l’installation des missiles (depuis
plusieurs jours). Concurrence CIA et armée de l’air au niveau de la gestion et
transmission de l’information.
B. La définition des objectifs

CR : le choix résulte d’une définition claire et précise des objectifs, réalisée une fois pour
toutes
RL : les objectifs sont des contours flous et évoluent.

� Les faits : l’objectif est d’obliger les Russes à retirer leurs missiles sans provoquer la 3 ème
guerre mondiale.

L’objectif n’est pas clair d’emblée : 6 solution auraient été envisagées en + du blocus
naval :
- Ne rien faire « la prudence » (1): Fait perdre la face donc impossible. Trop forte
hausse puissance de frappe nucléaire des soviétiques (+50%)
- Diplomatique (2): faire voter une résolution. Solution très longue et doit de veto de
l’URSS
- Négociation avec F. Castro (3) : IL semble avoir perdu tout pouvoir face au Russe
donc pas de réelle prise de décision.
- Echange avec installations américaines en Italie et Turquie (4) : Cout diplomatique
élevé (sacrifier la sécurité de ses alliés)
- Invasion (partisans de l’action militaire) (5) : Risque de riposte, de guerre, échec
précédent
- Attaque aérienne « chirurgicale » (6) : Le plus souvent utilisé aujourd’hui. Des
attaques ciblé pour éviter le plus de perte possible.

La définition des objectifs correspond au modèle de RL car les solutions envisagées ne


correspondent pas au même objectif :
- 1 et 2 n’entrainent pas le retrait des missiles
- 4 et 6 n’évitent pas la guerre

C. L’examen des solutions

CR : toutes les solutions sont examinées AVANT la décision en même temps
RL : les solutions se présentent successivement et peuvent résulter du rejet des solutions
antérieures

Choix blocus naval ne résulte pas d’un processus « d’optimisation » mais de moindre
insatisfaction : c’est quand toute les solutions sont éliminées que Kennedy la propose ->
Modèle de RL

D. Les délibérations

CR : dans un groupe stable, non soumis aux influences extérieures.


RL : jeu politique
Alors que la solution du blocus naval a été la seule adoptée officiellement il apparait que
Kennedy lui a donnée un faux non (« quarantaine ») et par la suite :
- Qu’il a également consenti à l’échange des bases militaires
- Qu’un « téléphone rouge » a été institué
- Qu’il s’est engagé à ne pas attaquer Cuba dans l’avenir
La solution de la quarantaine permet de garder la face et correspond au modèle de RL

E. L’exécution

CR : respect strict de la décision du groupe


RL : latitude de stratégie de l’exécutant

Encore une fois, la négociation entre Kroutchev et Kennedy n’apparait pas et le 24 octobre,
alors que Kennedy a ordonné le blocus naval, elle ne peut y procéder car deux navires
soviétiques sont déjà sur place. Ils feront ensuite demi-tour : modèle de RL

� Document vidéo
Contexte : La force de frappe et nettement plus importante du côté américain.
La réaction a eu lieu pour ne pas perdre la face
Il qualifie la crise de psychologique.

II) L’analyse stratégique

Année 1960 Michel rozier de retour des EU, crée un groupe de recherche en vue de réformer
l’administration française : c’est la naissance de l’école française des organisations
Elle prend appui sur les recherches américaines (école de Carnegie sur RL)

A. Notion de marge de liberté

L’acteur n’est jamais totalement libre ni en proie en aux déterminismes


Il conserve une « marge de liberté » et de négociation
Ce pouvoir découle de la zone d’incertitude qui caractérise chaque acteur de l’organisation

� Deux principes centraux :


- Pas d’unicité des objectifs dans l’organisation car existe une division du travail et
chaque acteur a une vision de l’organisation déformée par sa place qui le conduit à
envisager les objectifs de l’organisation à sa façon : n’a qu’une rationalité limitée.
- L’organisation est un univers de conflit : l’ordre imposé n’est jamais définitif, toujours
remis en question par les stratégies des acteurs

B. Le concept de stratégie
1) Origine

La stratégie découle du concept de RL de l’acteur


- L’acteur n’a ni projet ni objectif clairs et précis
- Il dispose toujours d’une marge d’autonomie
- Son comportement a toujours un sens même quand il ne parait pas rationnel :
Exemple : évanouissement face à danger incontournable -> changement de
conscience du monde
La stratégie est « le fondement inféré ex post des régularités de comportement observées
empiriquement (concrètement) » : exemple un collègue qui arrive plus tôt, on prend
l’habitude et ne cherche pas d’explication. Ex post on découvre qu’il y a obtenu une
promotion.
Une stratégie : la capacité d’un acteur d’utiliser les ressources d’une situation pour servir des
objectifs personnels, sans forcément les percevoir de manière claire et cohérente

2) Deux aspects d’une stratégie

🡪 Offensif : saisir les opportunités d’amélioration de sa situation


🡪 Défensif : maintenant et faire croitre sa marge de liberté

C. Les caractéristiques du pouvoir

🡪 L’instrumentalité : le pouvoir est une interaction (et non un attribut) qui se conçoit dans le
but auquel les acteurs adaptent une logique instrumentale
🡪 La non-transitivité  : la relation de pouvoir est toujours spécifique à un enjeu et
« inséparable des acteurs engagés dans la situation »
🡪 L’asymétrie : relation réciproque, mais si A et B disposaient des mêmes atouts la situation
de pouvoir n’existerait pas : nécessité d’un déséquilibre

D. Les fondements du pouvoir

Nait de la marge de liberté dont dispose chaque acteur de la relation : possibilité de refuser
ce que l’autre demande
Liée à pertinence marge d’incertitude maitrisée par chaque acteur
Ex : la panne automobile <-> prix fixé par garagiste / concurrence, heure…

🡪 Toute analyse des situations de pouvoir commence par une analyse des ressources dont
dispose chaque acteur.
Intérêt de chaque acteur : jouer sur ≠ relation de pouvoir simultanément
E. Les sources de pouvoir au sein de l’organisation

1) Le pouvoir de l’expert

2) Le pouvoir du « marginal-sécant » 
Il maitrise l’environnement pertinent d’une organisation.
Exemple : délégués

3) La communication (stopper, diffuser.. ralentir)


Vivre des enlèvements d’information

4) L’utilisation des règles


Greve du zèle : consiste à appliquer les règles.

F. Lexique des concepts et méthodes de l’analyse stratégique

1) Déterminer les acteurs : participent à une action et intérêts communs


2) Enjeux de la situation : valeur retirée d’une action (matériels ou symboliques, cachés ou
apparents
3) Décrire les relations de pouvoir (pas de l’organigramme :
4) Décrire les zones d’incertitude : évènements imprévisibles = occasion pour acteurs
d’élaborer de nouvelles stratégies.
5) Décrire le système d’action concret : ensemble des relations réelles qui se déroulent
entre les acteurs

Conclusion : seuls ses membres sont capables de faire fonctionner l’organisation


L’ordre imposé est toujours remis en question par les stratégies des acteurs.
Les règles ne suffisent pas à canaliser le comportement des acteurs vers les buts de
l’organisation.
Les règles ont parfois des effets inattendus.
Ex : (Blau 1940) : traitement + impartial des demandeurs d’emploi suite au système de
contrôle statistique de la productivité des agents.

Application : le cas de la Seita

Seita : entreprise industrielle française qui produit tabacs et allumettes et dont l’etat détient
le monopole
- 30 usines au moment de l’enquête
- Les acteurs : 3 catégories de personnels : emploi stable, recrutement séparé
- Chefs d’atelier (contremaitres qui gèrent, coordonnent, surveillent...)
- Ouvrières de production (groupes fluides : conductrices qui mettent en route et
surveillent les machines, receveuses qui ramassent et évacuent les produits : les
salaires des premières est un peu > + primes de rendement.
- Qualification faible
- Ouvriers d’entretien : ajusteurs qualifiés avec CAP qui règlent et entretiennent les
machines
- OP et OE dépendant hiérarchiquement des chefs d’atelier

1) Schéma

- Les rapports sont neutres entre les chefs d’atelier et ouvrière


- Rapport ≠ entre OE et OP
- Rapport faible entre OE et chef d’atelier

2) Analyse stratégique

- Relation prof mauvaise


- Ouvrières de production et leurs enjeux : la prime
- Stratégie : ménager leur relation aux OE
- Ouvriers d’entretien : enjeu : reconnaissance pouvoir informel
- Stratégie : rendre les OP dépendantes
Relation de marchandage OP et OE
- Les OP supportent les ouvriers sans réagir en échange de la réparation des machines
(prime)
- Peu de ZI : O routinière : principale ZI : la panne
- Les relations dans l’atelier sont structurées autour de la maitrise d’unique ZI : la panne,
que seuls les OE sont en mesure de gérer.
- Ex : un chef d’atelier plus compétent exclu et déplacé
- Toutes les notices ont disparu de l’atelier 🡪
o Le pouvoir des OE n’est plus légitime 🡪 agressivité / CA, mise à l’écart.
- Les CA enjeu : faire tourner l’atelier
- Ne peuvent contrôler la ZI ni exercer leur pouvoir hiérarchique 🡪 on les plaindrait
presque
- Stratégie 🡪 ils pratiquent l’évitement, le désengagement et le repli
- Les OP subissent la relation de pouvoir entre OE et CA.

- L’organigramme a perdu sa signification au profit du fonctionnement informel


- 🡪 Les vrais chefs de l’atelier = 0E
- Cause : cloisonnement entre travailleurs
- Absence de passerelles entre les groupes (ils ne peuvent pas réellement être promus
chefs d’atelier, s’il y avait une promotion ou un concours interne alors ils seraient du côté
des CA)

3) Différence de taux de non-réponse

Pourquoi 29% des CA refusent à répondre en ce qui concerne la compétence des ouvriers ?
Tableau 1
- Les OE sont plus affirmatifs / doute compétence CA
- Si les CA disent que les OE sont nuls alors les ouvriers d’entretiens diront à on est nul,
bah on ne répare pas les machines alors, ils ne doivent pas se mettre les OE à dos.
- La question embarrasse 🡪 NR 🡪 stratégie en vue de ne pas se mettre les OE à dos
- Taux élevé d’incompétence de OE à CA = stratégie : tentative pour exonérer
responsabilité / mécontentement OP 🡪 font planer suspicion.
- Les OE imputent l’incompétence aux CA à destination des ouvrières (message indirect 🡪
si vous n’avez pas vos primes c’est à cause des CA si il y a des pannes prolongées).

4) Interprétation tableaux 2 et 3

Jugements négatifs sur le travail Jugements négatifs sur le service


des OE d’entretien
Conductrices 55% 65%
Receveuses 75% 52%

- Rappel : seules les conductrices ont un lien direct avec les ouvriers
- Les conductrices sont diplomates (il faut qu’elles mangent)
- Les deux catégories sont critiques, les receveuses sont négatives sur le travail mais moins
négatives sur le service.
- Les deux ont un enjeu identique (= prime), les receveuses sont dépendantes des
conductrices. Les conductrices tentent d’être diplomates car les OE connaitront les
résultats. Ce qu’on répond à une enquête n’est pas réellement ce que l’on pense. Les
données sont des stratégies.
- Les receveuses affirment leur insatisfaction plus aisément.
- Les deux catégories d’ouvrières n’interprètent pas les difficultés avec les ouvriers de la
même manière
- Les conductrices considèrent que les problèmes renvoient davantage au service
entretient qu’aux ouvriers eux-mêmes.
- C’est le contraire pour les receveuses
- L’affirmation plus importante de leur mécontentement est également une stratégie
produite à l’égard des conductrices : elles critiquent indirectement leur façon de gérer
leurs relations aux ouvriers d’entretien et tentent ainsi de faire pression sur elles sans les
critiquer directement du fait de leur dépendance.
- Cet exemple montre qu’il est indispensable d’analyser les perceptions, dont la dimension
subjective des points de vue des acteurs, car ce sont ces perceptions qui expliquent leurs
actions et non un point de vue « objectif » produit par le chercheur.
- Conclusion : situations et stratégies : liées au cloisonnement existant entre les différents
travailleurs. Si des passerelles permettant des communications entre les groupes
existaient, les rentes de pouvoir auraient été atténuées. C’est le conflit qui détermine de
mauvais rapport affectif, ce conflit renvoie à toute l’analyse stratégique, la place des
acteurs, la panne.

Application : le « bidouillage » des rondiers (Moodle)

1) Comportements
Ceux qui ne correspondent pas à l’organigramme aux règles prévues par l’organisation
formelle

2) Problème récurrent
Les relevés des énoncés entre le service entretien et les rondiers : régularité et répétition
des interactions.
« On fait des DT, c’est notre travail, il y a des fois, on connaît la panne, on prend le
tournevis ».
« Par exemple, j’avais fait une DT pour déboucher un retour de vanne. La DT est
revenue(..) »
Situation récurrente et pratique collective qui ne concerne pas uniquement la personne qui
parle, mais le groupes rondiers (similitude aide-soignante)
Deux conditions : la situation est collective et récurrente 🡪 donc analyse stratégique (c’est
systémique).
Il s’agit donc de comportements informels et stratégiques qui consistent en des
manquements à la norme : pratiques qui relèvent théoriquement du service de l’entretien.
- Ce que fait le rondier c’est « prendre le tournevis » alors qu’il ne doit faire que des
DT.
- C’est ce que le texte appelle « le bidouillage » des rondiers.

3) Analyse stratégique
La relation rondiers et mécaniciens est conflictuelle :
« La communication avec les autres services, c’est ce que je ressens le plus dur ».
Origine : expérience douloureuse :
- Le rondier ignore les normes collectives informelles
- « il n’y avait pas longtemps que j ‘étais là »
- Et reçoit un commentaire blessant écrit par un mécano tournant en dérision la DT =
« est-ce trop technique ? ». Cette phrase ironique remet en question la qualification
des rondiers, décrits comme incapables de déboucher un tuyau.
Les rondiers bidouillent pour éviter ce type d’interaction humiliante et blessante.

Les rondiers ont conscience de transgresser une norme.


Tentative de se justifier aux yeux de l’observateur, à deux niveaux au moins :
- Sa compétence : « on connaît un peu tous les principes »
- Le fait qu’il opère des interventions sans risque : « Quand on touche on sait qu’on ne
risque rien ».
- Existe une forte tension causée par la transgression des normes, qui s’est constituée
en norme collective des rondiers.
Pourquoi persiste-t-il un non-respect des règles malgré les sanctions potentielles : la
question du risque est devenue pour lui secondaire / conséquences des interactions avec
les mécanos (infériorisation de l’autre, harcèlement mental).
Entretiens avec mécaniciens : une grande partie a joué un rôle central pour effectuer des
réglages dont ils étaient les seuls à posséder la maitrise technique au moment de la mise en
œuvre initiale des équipements. Les mécanos estiment que maintenant ils sont dévalorisés.
- Prise de conscience de ce rôle décisif
- Enjeu : valorisation de leur statut
- Stratégie : refus de se déplacer pour des interventions « banales » : « Déboucher un
tuyau ».

Application : l’école d’arts martiaux

Approche stratégique de l’organisation et concept de RL : les rapports humains dans


l’organisation sont médiatisés par des relations de pouvoir et non par des dimensions
affectives ou des affinités préalables ou spontanées.
- Ce cas : pouvoir ne prend pas une forme économique ou politique et ne renvoie pas
au charisme, à l’expertise, à la maitrise de l’information ou des règles.
- Ici le pouvoir : type hiérarchique (les grades) et symbolique la maitrise technique, et
lié à la force physique (le gabarit)
- Stratégies différenciées des acteurs (prof/élèves).
La régulation de contrôle du professeur est défaillante, très peu affirmée.
Enoncé de quelques principes philosophiques vagues + vision idyllique / mixité.
- Enjeu central : gérer sécurité physique : en réaction création de règles informelles.
- Stratégies : différences selon le sexe : plus discrètes pour hommes que pour
femmes : elles sont destinées à l’affrontement avec les gabarits lourds.
o Femmes : négociations explicites qui prennent paradoxalement appui sur les
stéréotypes sociaux qui opposent sport de femmes et sports d’hommes.
o Hommes : stratégie de fuite et d’évitement qui ne met pas en péril leur statut
masculin : ce statut constitue « une limitation culturelle à leur rationalité
d’acteur » (Friedberg, 1994).
o Cf. Hirschman – Défection, prise de paroles et loyauté, (1970)

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