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"La sémiographie de Masson nous dit encore ceci, qui est capital dans la théorie

actuelle du
Texte : que l’écriture ne peut se réduire à une pure fonction de communication (de
transcription),
comme le prétendent les historiens du langage. Le travail de Masson pendant cette
période démontre
que l’identité du trait dessiné et du trait écrit n’est pas contingente, marginale,
baroque (évidente
seulement dans la calligraphie – pratique au reste ignorée de notre civilisation),
mais en quelque sorte
entêtée, obsédante, englobant à la fois l’origine et le présent perpétuel de tout
tracé : il y a une
pratique unique, extensive à toute fonctionnalisation, qui est celle du graphisme
indifférencié. Grâce à
la démonstration éblouissante de Masson, l’écriture (imaginée ou réelle) apparaît
alors comme
l’excédent même de sa propre fonction ; le peintre nous aide à comprendre que la
vérité de l’écriture
n’est ni dans ses messages, ni dans le système de transmission qu’elle constitue
pour le sens courant,
encore moins dans l’expressivité psychologique que lui prête une science suspecte,
la graphologie,
compromise dans des intérêts technocratiques (expertises, tests), mais dans la main
qui appuie, trace
et se conduit, c’est-à-dire dans le corps qui bat (qui jouit). C’est pourquoi
(démonstration
complémentaire de Masson) la couleur ne doit nullement être comprise comme un fond
sur lequel
viendraient « se détacher » certains caractères, mais plutôt comme l’espace complet
de la pulsion (on
connaît la nature pulsionnelle de la couleur : à preuve le scandale produit par la
libération fauve) :
dans le travail sémiographique de Masson, la couleur provoque à retirer l’écriture
de son fond
mercantile, comptable (c’est du moins l’origine que l’on prête à notre écriture
syrio-occidentale). Si
quelque chose est « communiqué » dans l’écriture (et donc exemplairement dans les
sémiogrammes
de Masson), ce ne sont pas des comptes, une « raison » (étymologiquement, c’est la
même chose),
mais un désir."

"En vérité, si nous refusons l’idéogramme, c’est que nous tentons sans cesse,
dans notre Occident, de substituer le règne de la parole à celui du geste ; pour
des raisons qui relèvent
d’une histoire véritablement monumentale, il est de notre intérêt de croire, de
soutenir, d’affirmer
scientifiquement que l’écriture n’est que la « transcription » du langage
articulé : l’instrument d’un
instrument : chaîne tout au long de laquelle c’est le corps qui disparaît. La
sémiographie de Masson,
rectifiant des millénaires d’histoire scripturale, nous renvoie, non pas à
l’origine (peu nous importe
l’origine), mais au corps : elle nous impose, non pas la forme (proposition banale
de tous les
peintres), mais la figure, c’est-à-dire l’écrasement elliptique de deux signifiants
: le geste qui est au
fond de l’idéogramme comme une sorte de trace figurative évaporée, et le geste du
peintre, du
calligraphe, qui fait mouvoir le pinceau selon son corps. Voilà ce que nous dit le
travail de Masson :
pour que l’écriture soit manifestée dans sa vérité (et non dans son
instrumentalité), il faut qu’elle soit
illisible : le sémiographe (Masson) produit sciemment, par une élaboration
souveraine, de l’illisible :
il détache la pulsion d’écriture de l’imaginaire de la communication (de la
lisibilité). C’est"

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