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FINANCEMENT EN ALGERIE
La Revue du FINANCIER
Abdelkader GLIZ
Professeur, ESC d’Alger
a_gliz@hotmail.com
La faiblesse du financement des entreprises en Algérie, imputable en partie à une certaine inefficience
interne propre au secteur financier, est expliquée dans cet article par un facteur externe à ce secteur,
à savoir l’asymétrie d’information existant entre le financier et le demandeur de crédit. Nous
modélisons cette imperfection de l’information par quatre facteurs : l’importance de l’économie
informelle, la faiblesse juridique des garanties et la disponibilité limitée de l’information relative aux
emprunteurs, que ce soit au travers des registres publics ou des bureaux privés de crédits. Le premier
modèle statistique montre que ces quatre facteurs sont significatifs à moins de 1% pour expliquer le
ratio volume des crédits au secteur privé / PIB. Lorsque la variable à expliquer est le PIB par
habitant, l’existence de registres publics de crédit n’est plus significative. En plus de ce rationnement
du crédit, nous faisons également ressortir une singularité importante du secteur financier algérien, à
savoir la prédominance du secteur public.
The weakness of corporate financing in Algeria, partly due to a certain internal inefficiency of the
financial sector, is explained in this paper by an external factor to this sector, namely the
informational asymmetry between the financier and the loan applicant. We model this imperfect
information by four factors: the importance of the informal economy, the legal weakness of
guarantees, and the limited availability of information on borrowers, whether through public registries
or private bureaus credits. The first statistical model shows that these four factors are significant at
less than 1% to explain the ratio of the private sector credit volume to GDP. When the dependent
variable is GDP per capita, the existence of public registers of credit is no longer significant. In
addition to this credit rationing, we also highlight a significant singularity of the Algerian financial
sector, namely the predominance of the public sector.
Introduction
Avec l’avènement de l’économie de l’information, notamment depuis la publication de l’article
pionnier d’Akerlof (1970), il est apparu que le thème du financement du développement ne se résume
pas à la seule question du volume de l’épargne disponible. 1 En effet, en présence d’une asymétrie
d’information entre prêteurs et emprunteurs, les financements effectifs peuvent être bien inférieurs à
ceux permis potentiellement par les capitaux disponibles. En d’autres termes, en dépit de la volonté des
agents économiques, en présence d’une asymétrie d’information, l’échange porte sur un volume
inférieur à celui pouvant avoir lieu en l’absence de cette asymétrie. Cette allocation inefficiente des
financements se traduit notamment par une situation de rationnement de crédit, définie comme étant
un état de l’économie où le prêteur refuse d’accorder un prêt à un emprunteur potentiel bien que ce
dernier soit disposé à accepter un taux d’intérêt supérieur au taux d’intérêt en cours. La sélection
adverse et l’aléa moral sont deux principales raisons avancées pour expliquer l’existence du
rationnement quantitatif du crédit (Stiglitz & Weiss, 1981).
A travers le présent article, notre objectif est d’analyser l’impact de l’asymétrie d’information sur le
financement en Algérie. Sur la base du modèle principal/agent tel que simplifié par Tirole (2001), nous
intégrons des facteurs d’aléa moral afin d’expliquer le volume du financement des entreprises privées
algériennes.2 Il s’agit d’abord de l’économie informelle dont l’une des conséquences est de favoriser un
climat d’aléa moral préjudiciable au financement. Le second facteur explicatif est la qualité juridique
des garanties, ceci suivant la thèse "law and finance" selon laquelle la croissance à long terme est liée
positivement à la protection juridique des investisseurs. Enfin, la disponibilité et la qualité de registres
de crédits, publics ou privés, constituent un facteur essentiel d’appréciation de l’aléa moral et donc une
variable explicative significative du niveau du financement de l’économie (La Porta, Lopez-de-Silanes,
Schleifer & Vishny, 1998).
Pour tester statistiquement la relation entre financement et aléa moral, nous réalisons une régression
linéaire en utilisant l’information disponible auprès de la Banque Mondiale ainsi que l’estimation de
l’économie informelle réalisée par Schneider, Buehn & Montenegro (2010). Avec le ratio crédit au
secteur privé/PIB comme variable dépendante, ces quatre facteurs s’avèrent être très significatifs. Nous
considérons également la question de l’impact de l’asymétrie d’information sur la croissance et le
développement. Dans ce cas, la variable à expliquer est le PIB par habitant et nous relevons que
l’existence de registres publics des crédits n’est plus significative.
Le présent article est structuré comme suit. La première section montre l’importance de l’asymétrie
d’information pour le développement. La deuxième section est une revue de la littérature relative au
rationnement du crédit. La troisième section présente un état des lieux du financement en Algérie en en
faisant ressortir l’important retard. Les quatrième et cinquième sections présentent un modèle
théorique et sa validation empirique, expliquant le niveau du crédit au secteur privé et du PIB par
habitant en fonction d’indicateurs d’aléa moral tels que l’économie informelle, la valeur juridique des
garanties et la présence de registres publics et privés de crédits. Dans la sixième section, on utilise les
résultats du modèle statistique pour analyser le blocage du financement en Algérie.
1
L’auteur du présent article exprime ses vifs remerciements à A. Dahmani (ESC d’Alger), R. Djoudad (Bank of
Canada), M.C. Ilmane (ESC d’Alger), M. Lasfer (Cass Business School, Londres), M. Touati-Tliba (ESC
d’Alger), aux participants de la 9ème journée d’Economie Monétaire et Bancaire de l’Université de Sousse (2013)
ainsi qu’à un referee anonyme.
2
L’aléa moral existe dans une relation lorsqu’au moins l’une des deux parties est incitée à dévier vers un
comportement diffèrent de ce qui a été convenu, causant de ce fait une détérioration du bien-être de l’autre partie.
La problématique de la relation entre financement et aléa moral que nous abordons ici concerne les entreprises
privées car l’aléa moral dans le cas des entreprises publiques est d’une toute autre nature.
3
R B1 r si R B1 r
0 si R B1 r
Le graphe de la fonction de profit de l’entreprise est représenté par le trait en gras de la figue 2 qui
montre que le profit est une fonction (non strictement) convexe par rapport au revenu R.
E b
E a
R1 h R1 1 r B R2 R2 h R
Figure 2. Convexité du profit de l’entreprise avec dette
Comme corollaire à cette convexité, l’espérance de profit de l’entreprise croît avec le risque. Pour
montrer cela, considérons deux firmes différentes, la firme a ayant un revenu aléatoire égal à
R1 1 r B ou R2 1 r B et la firme b, plus risquée, un revenu aléatoire égal à R1 h ou R2 h
avec h 0 .3 La figure 2 montre que la firme la plus risquée a une espérance de profit plus élevée, soit
E b E a .
3
La firme 2 est plus risquée car son revenu est obtenu à partir du revenu de la firme 1 par déplacement
(étalement) de poids du centre vers les queues, ceci tout en préservant la moyenne (mean preserving spread).
5
Lorsque le taux d’intérêt augmente, les entreprises à bas risque peuvent préférer ne pas solliciter de
crédit. Par exemple, si par suite à une hausse du taux d’intérêt, on a R2 B1 r R2 h , alors les
demandes de crédit ne parviendront que des projets les plus risqués. Il s’agit typiquement d’une
situation de sélection adverse. Par conséquent, au fur et à mesure que le taux d’intérêt croît, le risque
moyen du portefeuille de la banque augmente, ce qui induira, au-delà de r * , la baisse de l’espérance
de profit de la banque comme il ressort de la figure 1.
Ainsi, en situation d’asymétrie d’information, l’augmentation du taux d’intérêt n’est pas toujours une
réponse appropriée de la banque pour filtrer les demandeurs de crédit en fonction du risque. En raison
de l’effet adverse du taux d’intérêt, la banque peut rationnellement refuser de financer un projet plutôt
que de le financer à un taux d’intérêt plus élevé.
4
Selon Berger & Udell (1990), 70% des prêts commerciaux et industriels consentis aux Etats-Unis sont assortis
de garanties.
6
Cependant, si la firme faiblement risquée ne dispose pas de garanties suffisantes pour se distinguer de
la firme hautement risquée, comme par exemple dans le cas de nouvelles firmes, alors la séparation
entre les deux types de firmes peut ne pas avoir lieu, ce qui peut favoriser la sélection adverse et donc
le rationnement du crédit (Bester, 1987).
5
Le rationnement du crédit n’est pas la seule réponse de la banque face à l’aléa moral. Pour réduire ce risque, le
contrat de crédit peut contenir des clauses restrictives, telles que l’accès privilégié à l’information, la possibilité
de remboursement immédiat du crédit et des conditions spécifiques en matière de distribution de dividendes et
d’endettement futur.
7
l’issue de chaque sous-période, la banque peut mettre fin au financement. Mais si elle choisit de
poursuivre ce dernier, des clauses contractuelles spécifiques doivent être préétablis. Tout en réduisant
la rente d’information de la banque, ce mécanisme permet de rétablir, au moins partiellement, les
avantages de la relation à long terme avec une seule banque.
L’approche de l’encastrement social (Granovetter, 1985) introduit les interactions sociales comme
facteur explicatif de la relation entre la banque et les PME. Les interactions sociales entre le conseiller
financier de la banque et le chef d’entreprise sont un élément influent de la confiance entre ces deux
acteurs et s’avèrent avoir un impact sur la décision de prêt de la banque (Paturel et Gharsalli, 2013).
1 – Le financement bancaire
Le volume du financement bancaire de l’économie est particulièrement faible en Algérie, ce qui
constitue un frein important à la croissance et au développement (Ilmane, 2010). En dépit d’un effort
important d’assainissement financier et de mise à niveau opérationnelle des six banques publiques et
de l’installation de banques privées, le taux d’intermédiation financière demeure encore très faible. A
fin 2012, les crédits distribués ne représentent que 59,37% des ressources collectées. Comme le montre
le tableau 1, ce ratio (Loan-to-Deposit Ratio) est très faible par rapport à d’autres pays du Maghreb.
Entre 2000 et 2012, la part des crédits au secteur privé est passée de 29,33% à 53,22%. 7 Mais rapporté
au PIB, on relève cependant que son volume accuse un retard important. En effet, comme indiqué au
tableau 1, à fin 2012, le rapport crédit intérieur au secteur privé/PIB est de seulement 14,54% en
Algérie, très insuffisant, comparativement à la moyenne mondiale (127,09%) et à d’autres pays du
Maghreb.
6
Rapport annuel 2012 de la Banque d’Algérie.
7
Rapport annuel 2012 de la Banque d’Algérie.
8
Depuis son démarrage en 1999, la bourse d’Alger a admis à la cotation cinq entreprises : Saïdal
(pharmacie), El-Aurassi (hôtellerie), Alliance (Assurance), NCA Rouiba (industrie agro-alimentaire) et
Eriad-Setif (industrie agro-alimentaire), cette dernière s’étant retirée en 2006. Le tableau 2 fait
ressortir son très faible impact sur le financement des entreprises algériennes, notamment par rapport à
d’autres pays du Maghreb.
L’une des singularités de la bourse d’Alger est l’importance du secteur public puisque sur les trois
sociétés cotées, deux sont des entreprises publiques (52,54% en termes de capitalisation). La faible
présence des entreprises privées est expliquée, entre autres, par l’asymétrie d’information existant entre
ces entreprises et les investisseurs pouvant impliquer une dépréciation des actions (Jensen & Meckling,
1976) et ainsi décourager à son tour les entreprises privées algériennes à ouvrir leur capital à l’épargne
publique.
Le marché algérien des obligations, un peu plus développé que le marché des actions, est également
très en retrait par rapport aux autres marchés maghrébins. Le tableau 3 fait ressortir son faible impact
sur le financement des entreprises. Relevons que pour ce marché également, les émetteurs sont
principalement des entreprises du secteur public. En effet, en valeur de marché, 97% des obligations
émises à ce jour proviennent d’entreprises publiques.
8
Bien que la distinction ait un effet négligeable sur son importance relative, la capitalisation boursière de la
bourse d’Alger a dû être recalculée par l’auteur car celle affichée sur le site web de la SGBV (totalité des actions
des entreprises) diffère de la définition de la Banque Mondiale (actions en circulation).
Les trois entreprises cotées à la bourse d’Alger à fin 2012 sont Saïdal, El-Aurassi et Alliance.
9
9
Site web de Sofinance, www.sofinance.dz. Taux de change utilisé : 1 USD = 78,08 DA.
10
Rapport annuel 2013 de la COSOB.
11
Rapport annuel 2012 de la COSOB.
12
Rapport annuel 2013 de la COSOB.
13
Association Marocaine des Investisseurs en Capital –AMIC, 2012. Taux de change utilisé : 1 USD = 8,42
MAD.
14
Association Tunisienne des Investisseurs en Capital –ATIC, 2012. Taux de change utilisé : 1 USD = 1,55 DT.
10
15
Sites web du Ministère des Finances, Algérie (www.mf.gov.dz) et de la Banque d’Algérie (www.bank-of-
algeria.dz). Il s’agit respectivement de Sofinance, Arab Leasing Corporation – ALC, Maghreb Leasing Algérie –
MLA, Société Nationale de Leasing – SNL, Idjar Leasing Algérie – ILA, Société de Refinancement Hypothécaire
–SRH, El Baraka, BNP Paribas, Société Générale Algérie, Natixis et de la BADR.
11
sont des revenus non observables par le financier externe et ne sont appropriés que par l’entrepreneur.
Pour donner une illustration à l’existence des bénéfices privés, considérons que l’entrepreneur ait la
possibilité d’activer partiellement dans le marché informel. Les bénéfices qu’il en tire sont des
bénéfices privés car ils ne sont pas partagés avec le financier externe. Ces bénéfices privés procurent
une utilité marginale supérieure à ceux de l’économie déclarée, notamment en raison du bénéfice
fiscal, justifiant ainsi le transfert d’une partie de l’effort de l’entrepreneur de l’économie déclarée vers
l’économie parallèle, ce qui donne PH PL .
En cas de succès, la part revenant à l'entrepreneur (insider) est Ri et celle du financier (outsider)
est Ro , avec R Ri Ro . Considérons qu'en raison de la concurrence entre les financiers, le profit
espéré du financier est nul, soit p H Ro I A 0 . On suppose aussi que le projet n'est viable que si
l'entrepreneur se comporte loyalement. Par conséquent, le contrat de financement doit être conçu de
telle sorte à inciter l'entrepreneur à se comporter de façon loyale. Cette exigence est formalisée à
travers la contrainte d'incitation suivante :
p H Ri p L Ri B
B
A A p H pH R I
p
Le montant A est donc la contribution minimale de l’entrepreneur pour amener la banque à financer
le projet.16 Ce montant est de nature à inciter l’entrepreneur à se comporter loyalement. Le
financement maximal qu’accordera la banque est donc égal à :
B
F I A p H R
p
Cette expression montre que lorsque les bénéfices privés B augmentent, notamment en raison de l’aléa
moral, la banque réduira son financement. Nous étendons maintenant ce modèle pour intégrer les
sources d’aléa moral évoquées en introduction.
16
J. Tirole (2001). Cette équation montre que ce montant maximal est la différence entre la rente d’agence et la
valeur actuelle nette du projet en cas de comportement loyal.
12
BS
F I A p H R
p
Cette hypothèse implique que :
F
H B S 0
P
S p
En symbolisant par 1 le coefficient du facteur représentatif de l’économie souterraine dans le modèle
statistique développé plus bas, l’hypothèse à tester est donc 1 0 .
entreprises et étendue par la suite aux entrepreneurs individuels, aux particuliers et aux créances
douteuses et litigieuses.17
Les centrales de risques, également appelées registres des crédits ou bureaux de crédits, permettent aux
banques de partager leur information sur l’endettement des entreprises et de réduire ainsi l’asymétrie
d’information. Une telle base de données peut être du type public comme en Algérie, ou du type privé.
Les deux types de registres coexistent très souvent. Les registres publics sont basés généralement sur
une déclaration obligatoire des banques. Ils sont créés par les banques centrales et ont pour principal
objectif la supervision des banques commerciales. Les bureaux de crédit privés sont quant à eux créés
spécifiquement pour aider les banques à mieux mesurer le risque de crédit (Miller, 2003). C’est pour
cela qu’il est plausible que les bureaux privés de crédit soient plus significatifs que les registres publics
de crédit dans l’explication du volume du crédit au secteur privé.
Dans le modèle adopté, l’existence de registres de crédits C, publics ou privés, est de nature à réduire
l’asymétrie d’information et donc les bénéfices privés B, ce qui donne BC 0 . L’expression du
financement externe maximal devient :
BS , C
F I A p H R J G
p
Cette expression implique que :
F p B
H 0
C p C
En symbolisant respectivement par 3 et 4 le coefficient des facteurs représentatifs de l’étendue du
registre public du crédit et du registre privé du crédit, les hypothèses à tester sont 3 0 et 4 0 .
CREDPRIVi : Valeur des financements intérieurs accordés au secteur privé par rapport au PIB de
l’année 2012 du pays i. Ce sont, selon la Banque Mondiale, "les ressources financières fournies au
secteur privé, notamment par le biais de prêts, d'achat de titres autres que des actions, de crédits
commerciaux et d'autres comptes débiteurs, qui constituent des créances à rembourser."
17
Rapport annuel Banque d’Algérie 2011.
18
Les données utilisées des variables GARJUR, REGPUB et REGPRIV sont une moyenne de la période 2004-
2012.
14
SOUTi : Estimation de l’économie souterraine (informelle) par rapport au PIB officiel du pays i. Elle
est due à Schneider, Buehn & Montenegro (2010) et est une moyenne sur la période 1999-2007.
GARJURi : Indice de la solidité des garanties juridiques du pays i. Cet indice de la Banque Mondiale
rend compte dans quelle mesure "les lois sur la faillite et les garanties protègent les droits des
emprunteurs et des prêteurs et facilitent donc les prêts." Il varie de 0 à 10, une note élevée indiquant
que les lois du pays concerné sont convenablement conçues en vue de favoriser la distribution du crédit.
REGPRIVi : Cet indicateur est identique à REGPUBi , mais concerne des registres privés. Ces derniers
sont gérés par des chambres de commerce, des associations de banques, des sociétés privées ou par des
organismes à but non lucratif.
Djankov, McLiesh & Shleifer (2007) ont analysé les déterminants du crédit au secteur privé et ont
trouvé que ce dernier est positivement corrélé aux indices des droits légaux des créanciers et des
registres publics et privés de crédits. Par rapport à ces résultats, notre démarche diffère selon trois
éléments. En premier lieu, on a introduit deux nouvelles variables, à savoir la part de l’économie
souterraine dans l’économie et l’indice de la solidité des garanties juridiques. En second lieu, nous
avons utilisé de nouvelles mesures des registres de crédit. Il s’agit des indicateurs du nombre de crédits
accordés aux entreprises et aux particuliers transcrits dans un registre public ou un registre privé. Ces
indicateurs sont rendus disponibles auprès de la Banque Mondiale depuis 2004. Enfin, dans notre
démarche, on s’intéresse à l’impact de l’asymétrie d’information sur le volume du crédit au secteur
privé et sur le PIB par habitant et c’est pour cela que nous concentrons l’attention sur des variables
explicatives exprimant de l’asymétrie d’information.
Le tableau 5 donne quelques caractéristiques statistiques des variables utilisées de l’échantillon
composé de 156 pays.19
19
Lors de la constitution de leur échantillon, Djankov et al. (2007) ont écarté les pays ayant une population
inférieure à 1,5 millions d’habitants. Contrairement à ces auteurs, nous n’avons établi aucune limite de taille des
pays. Les simulations effectuées montrent que cette condition n’a pas d’impact sur les résultats.
15
Après une première estimation du modèle 1, il est apparu que pour Chypre et la Thaïlande, le résidu
représente une valeur extrême (valeur au-delà de trois écart-types par rapport à la moyenne). Ces deux
pays ont été de ce fait écartés et une nouvelle estimation a été effectuée. Ce même motif a entraîné
l’exclusion du Luxembourg, de la Norvège et du Qatar du modèle 2.
Le tableau 6 présente les deux modèles statistiques obtenus ainsi que les principaux tests effectués.
Dans le modèle 1, où la variable expliquée est le ratio volume du crédit au secteur privé / PIB, les
quatre variables explicatives ont un signe conforme aux hypothèses émises et sont significatives à
moins de 1%. La signification statistique des variables REGPUB et REGPRIV montre que la
disponibilité de l’information sur les crédits contractés par les entreprises est de nature à favoriser le
crédit au secteur privé. Ceci constitue une validation empirique de l’effet négatif de l’asymétrie
d’information sur le financement. Ce résultat est conforme à ceux obtenus par Jappelli & Pagano
(2002) qui ont trouvé que le crédit bancaire est plus élevé et le risque de crédit moins élevé dans les
pays où les banques partagent l’information, que ce soit via des centrales de risques publiques ou des
bureaux de crédits privés.
La variable SOUT est significative à moins de 1%, indiquant que les banques considèrent l’existence de
l’économie souterraine comme étant une source d’opacité de l’information et une opportunité pour les
entreprises de s’approprier de façon privée les cash-flows dégagés au détriment des créanciers.
Enfin, la signification statistique de la variable GARJU montre que la valeur juridique des garanties est
un élément favorable à l’expansion du financement. Ce point est conforme à la thèse « law and
finance » évoquée précédemment (La Porta et al., 1998) selon laquelle dans les pays où la protection
juridique des créanciers est moins substantielle, les entreprises rencontrent plus de difficultés à se
procurer des ressources financières externes.
Dans le modèle 2, la variable à expliquer est le PIB par habitant. L’existence de l’économie souterraine
et de registres privés de crédits demeurent aussi significative que dans le modèle 1. La variable
représentant la valeur juridique des garanties demeurent significatives à 2,1%. Par contre, l’existence
16
d’un registre public de crédits n’est plus significative. Sur la base du modèle 2, il semble donc que les
registres privés de crédits favorisent plus le développement économique que les registres publics de
crédits. En d’autres termes, ces deux alternatives de registres ne seraient pas substituables. Le partage
de l’information entre les banques sur les entreprises clientes, en particulier celles ayant des incidents
de paiement, a été notamment discuté dans la littérature sous l’angle de savoir s’il est préférable
d’avoir une centrale des risques privée ou une centrale des risques publique (Miller, 2003).
20
Rapport annuel Banque d’Algérie 2012.
17
Le bas niveau (3 sur 10) de la solidité des garanties juridiques constitue une autre explication de la
faiblesse du financement bancaire des entreprises du secteur privé, bien que les demandeurs de crédit
soient disposés à offrir des garanties. Les banques algériennes se plaignent souvent des procédures
administratives et judiciaires de mise en jeu des garanties qui durent trop longtemps par rapport aux
exigences de gestion financière de la banque. En raison de cette carence, la présence de garanties ne
suffit pas toujours à favoriser l’octroi du crédit. L’analyse de l’indice évalué par la Banque Mondiale
montre qu’en Algérie, des insuffisances demeurent. Par exemple, la Banque Mondiale relève que n’est
pas opérationnelle en Algérie une institution supposée être un lieu d’enregistrement national des
garanties sur des biens meubles pouvant informer les financiers de l’ensemble des biens en garantie
d’un débiteur donné. Il a été relevé également qu’en Algérie, en cas de liquidation de l’entreprise, la
priorité n’est pas accordée aux créanciers garantis, notamment vis-à-vis de l’administration fiscale et
des travailleurs.
Conclusion
Le secteur bancaire algérien fait régulièrement l’objet de reproches selon lesquels il se montre restrictif
dans la distribution du crédit aux entreprises du secteur privé. Selon les statistiques de la Banque
Mondiale, les crédits domestiques au secteur privé par rapport au PIB ont atteint en Algérie le niveau
de 14,54% en 2012, alors que la moyenne mondiale de ce ratio est de 127,09%. Cette faiblesse de
l’intermédiation financière en Algérie persiste en dépit des multiples efforts de modernisation des
institutions financières. Par comparaison à d’autres pays du Maghreb, nous faisons clairement ressortir
cette faiblesse, notamment à travers le volume des crédits bancaires à l’économie, la capitalisation
boursière des marchés des actions et des obligations, l’activité de capital-investissement et le
financement par le leasing. Pour tous ces compartiments, le secteur financier algérien affiche des
niveaux d’activité nettement plus faibles.
A travers le présent article, nous montrons que l’une des raisons de cette situation se trouve en-dehors
même du secteur financier, bien que l’on ne puisse pas en négliger l’inefficacité interne. Nous
montrons en effet que l’une des explications de la faiblesse de l’intermédiation financière est
l’asymétrie d’information existant entre le préteur et l’emprunteur, asymétrie qui fait naître une
situation de rationnement du crédit. Cette dernière est définie comme étant un état de l’économie où la
banque refuse rationnellement d’accorder un crédit à un emprunteur bien que ce dernier soit disposé à
accepter un taux d’intérêt plus élevé que le taux d’intérêt courant.
Nous mesurons l’ampleur de l’asymétrie d’information par quatre facteurs, à savoir l’importance de
l’économie souterraine, la qualité de la valeur juridique des garanties et l’existence d’une centrale
publique des risques et d’un bureau privé des crédits. L’existence de l’économie souterraine favorise
l’opacité de l’information et peut de ce fait constituer un frein au développement du crédit. La valeur
juridique des garanties est également un facteur influent sur le financement des entreprises. L’existence
de centrales de risques, qu’elles soient publiques ou privées, permet aux banques de réduire l’asymétrie
d’information et a donc un impact sur le volume du financement des entreprises.
Le premier modèle estimé montre que ces quatre facteurs sont très significatifs dans l’explication du
ratio crédits au secteur privé/PIB. Ainsi, l’existence d’une économie parallèle a un impact négatif sur
le volume des crédits. Par contre, la qualité juridique des garanties et l’existence de registres des
crédits, qu’ils soient publics ou privés, favorisent l’expansion du crédit aux entreprises privées.
Dans le deuxième modèle estimé où la variable expliquée est le niveau du PIB par habitant, l’existence
de l’économie souterraine et de registres privés de crédit demeurent encore très significative, mais celle
d’un registre public de crédits ne l’est plus. Le statut juridique, public ou privé, des registres de crédit
s’avère ainsi être une question pertinente pour l’expansion du financement de l’économie.
18
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