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Hiérarchie et stratification sociale

dans l’Occident médiéval (400-1100)

sous la direction de
F. Bougard, D. Iogna-Prat et R. Le Jan

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Collection haut Moyen Âge
dirigée par Régine Le Jan

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Hiérarchie et stratification
sociale dans l’Occident
médiéval (400-1100)
sous la direction de
F. Bougard, D. Iogna-Prat et R. Le Jan

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Ce volume, réalisé avec le concours du Centre d’études médiévales d’Auxerre,
des universités de Paris-I/Panthéon-Sorbonne, de Paris-Ouest/Nanterre, d’Ham-
bourg et de la Mission historique française en Allemagne, est le numéro [V] de
la série « Les élites dans le haut Moyen Âge ».
[I] L’historiographie des élites du haut Moyen Âge, sous la direction de R. Le Jan et
G.  Bührer-Thierry, éd. en ligne  : «  http://lamop.univ-paris1.fr/lamop/
LAMOP/elites/index.html ».
[II] Les élites au haut Moyen Âge. Crises et renouvellements, sous la direction de F. Bou-
gard, L. Feller et R. Le Jan, Turnhout, Brepols, 2006 (coll. « Haut Moyen
Âge », 1).
[III] Les élites aux frontières. Mobilité et hiérarchie dans le cadre de la mission, sous la
direction de G. Bührer-Thierry et T. Lienhard, éd. en ligne : « http://lamop.
univ-paris1.fr/lamop/LAMOP/elites/Introfrontieres.pdf ».
[IV] Les élites et leurs espaces. Mobilité, rayonnement, domination (du vie au xie siècle),
sous la direction de P. Depreux, F. Bougard et R. Le Jan, Turnhout, Brepols,
2007 (coll. « Haut Moyen Âge », 5).
[V] Hiérarchie et stratification sociale dans l’Occident médiéval (400-1100), sous la direc-
tion de D. Iogna-Prat, F. Bougard et R. Le Jan, Turnhout, Brepols, 2008 (coll.
« Haut Moyen Âge », 6).

À paraître
[VI] La culture : une question d’élites ?, sous la direction de F. Bougard, R. Le Jan
et R. McKitterick, Turnhout, Brepols, 2009.
[VII] Les élites et la richesse (vie-xie siècle), sous la direction de J.-P. Devroey, L. Feller
et R. Le Jan, Turnhout, Brepols, 2009.
[VIII] Theorie und Praxis frühmittelalterlicher Eliten, Turnhout, Brepols, 2010.

© 2008, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium.

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ISBN 978-2-503-52982-0

D/2008/0095/139

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François Bougard et Régine Le Jan

Hiérarchie : le concept et
son champ d’application dans les
sociétés du haut Moyen Âge

E
n 878, le pape Jean VIII était aux prises avec le duc de Spolète
Lambert, qui interprétait sur le mode tyrannique sa mission
officielle de protecteur de Rome et de la papauté. Une missive
du duc déclencha l’ire du pontife : « en entendant la lettre que tu
m’as envoyée, quel n’a pas été mon étonnement devant ses termes
inconvenants, qui ne font guère écho aux louanges dues à saint Pierre
et sont incompatibles avec les règles et les doctrines ecclésiastiques :
tu nous écris avec les mots que tu envoies d’ordinaire aux hommes
du siècle et à tes pairs, en nous disant “de Ta noblesse”, ou encore
“Nous demandons à Votre noblesse” ». Lambert aurait dû s’adresser
à celui que les rois et les princes de la terre n’hésitent pas à supplier
comme à un père ; Jean VIII, fort du proverbe que d’une source amère
on ne tire pas d’eau douce, en tira la conclusion qui s’imposait, en lui
retirant son amitié 1.
Hiérarchie : quand le pape adresse son propre courrier nobili viro
Lamberto glorioso comiti, il se retient lui-même comme socialement supé-
rieur à la noblesse d’un comte. Ordre : Jean VIII n’en est pas moins
lui-même d’origine noble mais, devenu pape, il appartient à un monde
à la fois différent et supérieur à celui des laïcs, celui de l’Église dont
il a la charge, et où la diplomatie emprunte au registre des relations
familiales. Notre rencontre entend se situer sur ces deux terrains,
entre l’analyse sociale et la représentation intellectuelle.

1
  MGH, Epistolae, VII, n° 84, p. 79-80 : (…) audientes litteras tuas, quas mandastis, mirati valde
fuimus super earum verbis inconvenientibus, quae nec debitas sancto Petro laudes resonant, nec eccle-
siasticis concordant regulis vel doctrinis, cum nobis illa verba mandastis, quae secularibus viris et
comparibus tuis scribere solitus es, hoc est, cum dicis nobis “Tuae nobilitatis”, vel cum dicis nobis
“Monemus nobilitatem vestram”. In quo luce clarius mentem vestram cognoscimus erga nos minime
devotam, sicut putabamus, existere ; idcirco nostre paternitati tam vilibus verbis et inconvenientibus
sermonibus scribere audaci potius quam sincera mente voluistis, et mirum non est, quia de amaro fonte
dulcis aqua non hauritur…

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Nous ne pouvions faire l’économie d’une rencontre sur la hié-


rarchie, car la notion d’élites, qui guide nos travaux depuis trois ans,
implique une différenciation entre des catégories sociales, phéno-
mène que l’on a coutume d’appeler hiérarchie ou structuration
sociale. Selon les critères sociologiques, du prestige, du pouvoir et de
la richesse découlent hiérarchie de statut, hiérarchie de pouvoir et
hiérarchie économique. Cependant, dans les sociétés traditionnelles,
ces trois hiérarchies ont tendance à n’en faire qu’une.
Qu’est-ce qui produit la hiérarchie des sociétés  ? Le modèle
marxiste fait de leur organisation économique la cause principale des
hiérarchies définies par les rapports de production et l’antagonisme
des dominants et des dominés. Le modèle fonctionnel, celui de Kings-
ley Davis  2 et Wilbert Moore  3, voit dans les hiérarchies sociales la
conséquence inéluctable de la division du travail. Un troisième
modèle, celui du marché, prend en compte l’offre et la demande des
activités, avec les rémunérations matérielles et symboliques (les valeurs
et le contenu de ces valeurs) qui s’attachent à ces activités. La théorie
a été développée dès le xviiie siècle par Adam Smith, puis par Ralf
Dahrendorf 4 et Talcott Parsons 5. Aucune des trois théories ne rend
compte de la complexité de la stratification sociale au haut Moyen
Âge, mais le paradigme du marché, réinterprété sous forme d’échange,
est le seul à répondre à une certaine généralité : prestige, richesse,
autorité, influence, pouvoir sont des rémunérations qui répondent
toujours à une certaine demande sociale.

D’un autre côté, la hiérarchie est également pensée, elle est le
produit d’une représentation collective de la société qui la normalise 6
et elle donne sens à la structuration sociale inégale 7. Le mot, d’origine
grecque – hieros (sacré) et archos (fondement, commencement, com-
mandement) –, renvoie en effet à un système d’idées et de valeurs,
qui, non seulement, distingue, différencie, « hiérarchise », mais aussi
unifie les parties en un tout pour légitimer la supériorité des uns sur
les autres, donc la domination. La hiérarchie permet d’englober, de

2
  K. Davis, Human society, Macmillan, 1908.
3
  W. Moore, Social change, Prentice Hall, 1965 (2e éd.).
4
 R. Dahrendorf, Essays in the Theory of Society, Stanford, 1968.
5
 T. Parsons, « Une esquisse du système social », in P. Birnbaum et F. Chazel, Théorie
sociologique, Paris, 1975.
6
 M. Weber, Économie et société, 1922, trad. allemand, Paris, 1971.
7
 L. Dumont, Homo hierarchicus. Essai sur le système des castes, Paris, 1966.

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hiérarchie : le concept et son champ d’application

pénétrer le corps social, c’est en ce sens qu’elle est créatrice d’ordre.


Il nous faut donc tout à la fois :
• analyser le système d’ordonnancement et son impact sur la
« fabrique sociale », penser la hiérarchie ;
• décrire la hiérarchie des statuts, des honneurs et des richesses,
en déterminant le degré de hiérarchisation des sociétés ;
• chercher comment le système d’échanges permettait de redéfinir
en permanence la place dans la hiérarchie, en un mot la mobilité
sociale.

En même temps, nous devons prendre en compte la dimension


chronologique du problème, car les six siècles que nous nous propo-
sons d’étudier sont des siècles de changement. Un premier indice de
changement est fourni par l’analyse lexicographique. Comme va le
souligner Dominique Iogna-Prat, le terme hierarchia est en effet d’un
emploi longtemps rare dans la latinité. Les concordances automati-
sées du latin permettent de savoir avec précision que le succès lexical
de hierarchia n’est pas antérieur au tournant des années 800 et qu’il
dépend directement de la traduction depuis le grec des écrits du
Pseudo-Denys l’Aréopagite, spécialement la Hiérarchie céleste et la Hié-
rarchie ecclésiastique. Le succès serait donc lié à l’ordonnancement caro-
lingien et à ce qu’on a coutume de considérer comme la hiérarchisa-
tion carolingienne. Il nous semble donc utile de considérer d’abord
la période 500-750, avant d’envisager la période 750-900 qui corres-
pond à la construction carolingienne, puis la période 900-1100.

1. La période 500-750

La société romaine se présentait comme une « société d’ordres »,


privilégiant des classifications sociales 8, ce qui déterminait une forte
hiérarchisation :
• hiérarchie statutaire, selon les critères juridiques qui recoupaient
largement le cursus honorum  : séparation radicale entre esclaves,
dépourvus de tous droits, et libres, pourvus de la citoyenneté depuis
le iiie siècle, entre les honestiores et les humiliores, les premiers rassem-
blant les membres des ordres supérieurs et les vétérans de l’armée et

 C. Badel, La noblesse de l’Empire romain. Les masques et la vertu, Seyssel, 2005, p. 333.
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bénéficiant de privilèges face à la justice, les seconds s’identifiant de


plus en plus fréquemment à la plèbe à la fin de l’Antiquité ;
• hiérarchie selon la richesse ensuite, puisque celle-ci a son impor-
tance dans cette société d’ordres : un cens était nécessaire pour inté-
grer l’un des ordres supérieurs. Cependant statut et richesse ne se
superposaient pas non plus puisque la naissance était également
déterminante pour accéder aux ordres supérieurs : des affranchis pou-
vaient amasser des fortunes énormes et accéder au sommet de la hié-
rarchie économique, mais le sommet de la hiérarchie statutaire leur
était fermé, et puis qu’il pouvait y avoir des nobles pauvres.

Le critère de la nobilitas déterminait en effet un groupe social qui


ne correspondait ni à un statut ni à un pouvoir ni à un niveau écono-
mique : la nobilitas était en principe réservée au groupe des familles
sénatoriales de clarissimes aux origines illustres, qui possédaient un
capital de noblesse visible dans les stemmata et les imagines d’ancêtres
ayant au moins exercé les magistratures les plus élevées, et d’abord le
consulat. Leurs membres devaient défendre leur place dans la hié-
rarchie nobiliaire par leur virtus et leur largesse. La nobilitas était elle-
même hiérarchisée, mais formait un groupe strictement délimité, qui
s’ouvrait par anoblissement. Cependant, à la fin de l’Antiquité, la
nobilitas avait perdu son poids politique propre au bénéfice du sénat
– dont elle n’était qu’un groupe – et des légions et, à partir du ive siè-
cle, elle ne fut plus exclusivement liée à Rome, puisque le clarissimat
fut étendu aux provinces. Dans les provinces, une noblesse locale,
celle des décurions, dirigeait les cités et se targuait également de ses
origines, de ses ancêtres et de sa virtus. Mais il s’agissait d’un groupe
aux limites imprécises et floues.
À la fin de l’Antiquité, la notion de nobilitas devient de plus en plus
floue à mesure qu’elle s’élargit : à Rome, elle eut tendance à désigner
le sénat tout entier et en province, où il n’y avait pas de sénat, on la voit
agir face aux rois barbares. Le terme s’applique alors aussi bien aux
clarissimes qu’à la noblesse locale des décurions. Ce changement fon-
damental marque les transformations profondes de la hiérarchie
romaine aux ve et vie siècles. La crise des curiales et le désintérêt gran-
dissant de la noblesse sénatoriale pour le centre, c’est-à-dire pour Rome,
avant même la disparition du sénat romain, son repli sur les provinces
et sur la gestion de ses domaines désorganisent la hiérarchie des hon-
neurs. La fonction épiscopale, assimilée au consulat et monopolisée par
la noblesse, est la seule fonction qui peut encore se comparer aux
anciennes fonctions qui caractérisaient la noblesse sénatoriale.

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hiérarchie : le concept et son champ d’application

Le système de classification sociale romain s’articulait sur une idéo-


logie qui lui donnait sa cohérence et sa justification. Sans remonter
aux origines républicaines, on peut la résumer en un moment : les
parties formaient et représentaient un tout, le populus romanus com-
posé de tous les citoyens romains, quelle que fût leur origine ethni-
que, dont l’empereur était devenu la tête et l’émanation par le biais
du sénat de Rome. Quoi qu’en aient dit les continuationnistes, la
fondation des royaumes barbares a sanctionné l’éclatement des cadres
conceptuels romains en mettant fin à la fiction d’un populus romanus,
qui serait à la fois source du pouvoir et ciment de la hiérarchie. L’eth-
nicité est devenue le fondement du pouvoir dans les royaumes barba-
res, ce qui a changé complètement le système de légitimation. Dans
les royaumes issus de l’Empire romain, le roi est roi de la gens domi-
nante, même s’il commande aux autres gentes, et en particulier aux
romani, juridiquement inférieurs. Chez les Ostrogoths, la distinction
allait si loin que se mirent en place deux hiérarchies parallèles, l’une
pour les Goths, l’autre pour les Romains, système non viable qui dis-
parut rapidement. La pluriethnicité, que transcendait la citoyenneté
romaine dans le monde romain, est complètement réinterprétée dans
les royaumes barbares puisque l’unité se fait désormais autour de la
personne royale, elle-même émanation de la gens dominante, et puis-
que c’est la proximité royale qui permet le maintien des positions,
l’ascension et les changements dans la hiérarchie. Le christianisme,
qui avait perturbé la hiérarchie romaine en se diffusant parmi les
esclaves comme parmi les libres, ne joue pas encore de rôle unifica-
teur : jusque dans la seconde moitié du vie siècle, les rois francs deve-
nus catholiques ne se sont guère montrés empressés de convertir leur
peuple  9, tandis que chez les Goths, les Burgondes et les Lombards,
l’arianisme ici, le schisme là (celui des Trois Chapitres) introduisent
une opposition religieuse entre Romains et Barbares, voire à l’inté-
rieur des deux groupes. Le système idéologique, perturbé, n’est plus
celui de l’État romain, même chrétien, et n’est pas encore celui de
l’ecclesia.

Les hiérarchies anciennes ont été désorganisées dans le cadre des


royaumes barbares. Certes, les sociétés germaniques n’étaient pas des
sociétés égalitaires, comme on a voulu le faire croire. Il existait bien
une noblesse barbare, avec ses valeurs propres, fondées sur le courage

9
  B. Dumézil, Les racines chrétiennes de l’Europe. Conversion et liberté dans les royaumes barbares,
ve-viiie siècle,
Paris, 2005, p. 190-191.

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à la guerre, la célébrité des ancêtres et la richesse, mais elle n’y fut


jamais un groupe statutairement déterminé par l’accession à une magis-
trature élevée comme le consulat, ni même par la faveur royale.

En Italie, la noblesse lombarde a écarté les Romains du pouvoir et


leur a enlevé leurs richesses, en Gaule, la noblesse barbare et la
noblesse romaine ont fusionné à la fin du vie et au viie siècle. Partout,
les hiérarchies se sont transformées, selon des modalités qu’il nous
faut examiner, en tenant compte de la diversité des sociétés. Globale-
ment, il semble bien qu’elles se sont simplifiées, au moins aux niveaux
élevés, par la confusion des fonctions militaires et civiles, les premières
absorbant les secondes, puisque les titulaires des charges les plus éle-
vées avaient des compétences militaires et civiles, comme les ducs
lombards ou les comtes francs qui conduisaient les contingents mili-
taires à la guerre autant qu’ils jugeaient ou levaient l’impôt. Dans le
royaume mérovingien, la confusion fut même poussée à l’extrême
dans la seconde moitié du viie siècle et au début du viiie siècle, quand
les charges épiscopales devinrent l’aboutissement d’une carrière civile
ou militaire réussie et que le développement des immunités créa des
espaces soustraits à la juridiction ordinaire des agents du roi, souvent
au bénéfice d’ecclésiastiques. La titulature témoigne de cette simpli-
fication et de cette confusion des hiérarchies. Le seul titre romain
conservé dans le royaume franc est celui d’illuster vir, appliqué à tous
les agents élevés du roi qu’ils exercent une fonction civile, militaire
ou ecclésiastique, palatine ou provinciale. Cette évolution correspond
à une interpénétration du public et du privé, du profane et du sacré
qui marque également un changement profond par rapport au monde
romain classique.

Aux niveaux inférieurs, mal connus par ailleurs, le pullulement
des petites fonctions, que l’on aperçoit au moins dans le royaume
lombard – près d’une quarantaine pour la seule hiérarchie civile au-
dessous du duc et du gastald – et que l’on soupçonne dans le royaume
franc, pose problème. Il correspond probablement à un affaiblisse-
ment des niveaux moyens de la hiérarchie – plus faible emprise des
villes sur la campagne et des curies sur l’espace de la civitas, absence
de réelle hiérarchie ecclésiastique ? – et à une forme de décentralisa-
tion de la potestas.

Cette moindre structuration des pouvoirs peut-elle être mise en
relation avec des changements dans la hiérarchie des richesses ? Selon

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hiérarchie : le concept et son champ d’application

Chris Wickham, la crise économique a porté un coup très rude à


l’aristocratie, en rompant les circuits d’échange, en faisant baisser la
demande, tandis que les troubles permettaient aux paysans de gagner
du terrain et une plus grande autonomie dans un système d’échanges
local 10.
D’autres facteurs ont sans doute joué. Dans quelle mesure la dif-
fusion des valeurs chrétiennes rejetant la richesse d’une part, des
valeurs guerrières véhiculées par les Barbares d’autre part ont-elles
aussi contribué à transformer les élites et à modifier la hiérarchie ?
Dans quelle mesure surtout les modalités de l’installation des Barbares
et le rapport au roi n’ont-ils pas contribué à différencier les systèmes
hiérarchiques ? Prenons le cas de l’Italie lombarde et de la Gaule
mérovingienne. En Italie, Chris Wickham constate que l’aristocratie
s’est appauvrie et que la fortune foncière d’un aristocrate ne s’étend
pas sur plus de deux cités. En revanche, le roi et les ducs monopolisent
une grande partie de la richesse foncière. Cela tient en grande partie
aux modalités de l’installation du pouvoir lombard en Italie qui s’est
faite par la conquête, sous la conduite des rois et des ducs. Le pouvoir
y conserve un caractère militaire qu’illustre le lien direct du roi lom-
bard avec les hommes libres par le biais de l’armée. En Gaule du Nord,
en revanche, où Chris Wickham note que l’aristocratie est exception-
nellement riche et puissante, avec une large dispersion des domaines,
le territoire n’a pas été « conquis » par l’armée franque, il est passé
sous le contrôle de groupes francs, dirigés par des chefs dont les rois
durent s’assurer la fidélité par la distribution de terres et d’honneurs.
Le système semble beaucoup moins centralisé qu’il ne l’est dans le
royaume lombard. La fortune foncière de l’aristocratie franque était
donc largement d’origine fiscale, comme en témoignent les testa-
ments de Bertrand du Mans, d’Adalgisèle-Grimo ou d’Erminetrude.
La hiérarchisation est-elle plus forte en Gaule qu’en Italie ? Elle l’est
certainement pour ce qui est des élites, mais cela conduit à affaiblir
le pouvoir royal car le roi perd le contrôle direct des libres à partir du
milieu du viie siècle.

10
 C. Wickham, Framing the Early Middle Ages. Europe and the Mediterranean (400-800), Oxford,
2005, p. 168-232.

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2. La période 750-900

La période carolingienne correspond à une nette hiérarchisation


de la société dont il faut prendre la mesure. On définit alors un ordre
du monde et des ordres.
La notion d’ordre social conçu comme une concorde d’ordres
régulés sur le modèle de l’harmonie des planètes puise largement
dans la tradition antique, réinterprétée par les Pères de l’Église. Saint
Augustin en particulier fit de l’ordre le moteur et le régulateur de
l’univers, une structure ordonnée en deux parties, l’ordre céleste et
l’ordre terrestre. Dans cette cosmogonie, l’Église est le corps du Christ
et les fidèles sont liés au Christ. Tous les chrétiens, c’est-à-dire ceux
qui ont reçu le baptême et qui adhèrent à la doctrine de l’église, sont
unis par une même parenté baptismale, de nature spirituelle, qui fait
d’eux des fils de Dieu et des frères en Dieu.
La structure binaire de l’harmonie du monde se conjugue avec
une hiérarchie d’ordres qui sur terre opère un classement entre les
clercs, les moines et les laïcs. Les penseurs carolingiens, au premier
rang desquels Jonas d’Orléans, Raban Maur et Hincmar de Reims,
cherchèrent à ordonner la société en développant la notion englo-
bante d’ecclesia, identifiée à la chrétienté. La chrétienté était désor-
mais comprise comme une structure organique visant à l’inclusion de
toutes les formes d’organisation sociale qui devaient être intégrées au
système de représentation de la société chrétienne.
Dans quelle mesure le développement d’une telle pensée hiérarchi-
que, dont on verra qu’elle est liée à la réception du Pseudo-Denys,
est-il lié au politique ? Ce sont les conquêtes carolingiennes et la créa-
tion d’un Empire franc – avant même le couronnement impérial – qui
ont créé le cadre politico-religieux unificateur des hiérarchies : les
hiérarchies parallèles se sont-elles rejointes, formaient-elles déjà un
tout qui avait vocation à s’identifier à l’ecclesia ? Pour Hincmar de
Reims, l’Empire chrétien carolingien (imperium christianum) était une
même foi, une même Église, un même Empire. Il définit la société
(societas) comme une société de chrétiens soumis à l’autorité de Dieu
et à celle du roi, tous responsables avec le roi du salut des chrétiens
et de la bonne marche du royaume 11.

11
  J. Nelson, « Kingship and Empire », in R. McKitterick (dir.), The New Cambridge Medi-
eval History, t. 2, Cambridge, 1995, p. 383-430.

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hiérarchie : le concept et son champ d’application

Il nous faudra sans doute être attentif à la chronologie car la hié-


rarchisation de la société nous semble antérieure au développement
de la pensée hiérarchique qui n’est encore qu’ébauchée au moment
du couronnement impérial. En voici quelques signes :
• la mise en place des régimes domaniaux entraîne dès le viiie siè-
cle l’entrée en dépendance de nombreux libres qui sont soumis à des
charges nouvelles et plus lourdes. L’habitat reflète également la hié-
rarchisation : les nouveaux groupements apparus à partir du viie siè-
cle traduisent le développement de rapports sociaux plus hiérarchi-
ques et plus contraignants dans le cadre de l’économie domaniale.
La hiérarchisation du peuplement apparaît clairement dans de nom-
breuses régions où, à l’époque carolingienne, on distingue nettement
les villages de paysans d’établissements aristocratiques entourés de
maisons de dépendants ;
• la hiérarchisation du sacré qui se traduit par la donation de nom-
breux lieux de culte aux grands monastères royaux, voire aux églises
épiscopales, est sensible dès les années 760, elle semble s’accélérer
dans les années 780 et se poursuit au ixe siècle. Celle des élites est
concomitante. Les Carolingiens se sont appuyés sur la haute aristo-
cratie, à laquelle ils se lièrent par mariage – par exemple les ­Geroldides
avec Hildegarde – si bien que l’aristocratie s’est articulée de plus en
plus nettement en deux niveaux, celui des proceres et les autres. Les
groupements de parenté s’en trouvèrent transformés et se hiérarchi-
sèrent, contribuant ainsi à la stabilité du système politique carolingien,
tant que la fidélité des grands fut assurée ;
• la hiérarchisation des fonctions et des services est elle aussi sen-
sible dès les années 780. Du côté de la hiérarchie ecclésiastique, elle
se traduit par la mise en place des archevêchés et se poursuit par les
doyennés, etc. Les terres nouvellement intégrées à la construction
carolingienne voient par ailleurs la hiérarchie civile franque se subs-
tituer à l’ordre ancien, parfois par simple changement d’étiquette là
où existait déjà une structure fonctionnelle (l’Italie lombarde), par-
fois par une réelle innovation (la Saxe). La volonté de créer une hié-
rarchie de service, intégrant les privati homines, est sensible dès la fin
du viiie siècle sinon avant par le biais de l’armée, comme l’expriment
les capitulaires militaires qui classent les libres en fonction de leur
fortune, ce qui n’eut guère d’effet pratique, mais aussi par le biais de
la fidélité hiérarchique, ce dont il faudra mesurer l’impact.
La hiérarchisation a donc commencé avant la mise en place du
cadre impérial et ecclésial, qu’elle a sans doute contribué à préparer.
Le développement de la pensée hiérarchique, avec la réception du

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Pseudo-Denys, visait à donner à l’entreprise carolingienne la force et


la cohérence idéologique qui lui faisaient défaut, en distinguant les
ordres et en les unifiant en un tout organique, fort différent de ce
qu’était le tout romain. L’originalité carolingienne, poursuivie dans
le cadre de l’Empire ottonien, ne tiendrait-elle pas alors à la conjonc-
tion au ixe siècle de l’autorité ecclésiale et d’un pouvoir central ren-
forcé qui a permis une véritable mise en ordre de la société ? Les
autorités ont pu peser sur toutes les formes de liens sociaux, comme
le mariage, et sur toutes les sortes de groupements sociaux, en parti-
culier locaux, ainsi que sur les associations horizontales, qui assuraient
jusque-là l’équilibre de la société. L’entreprise n’en était encore qu’à
ses débuts, mais elle aboutit au xiie siècle à une pénétration profonde
du social par le religieux 12. Il n’empêche que l’ordonnancement de
la société en trois ordres distincts et hiérarchisés donnant la première
place aux clercs se heurtait à l’interpénétration profonde du religieux
et du civil, du sacré et du profane, du public et du privé qui caracté-
risait les sociétés du Moyen Âge prégrégorien.

3. Les xe-xie siècles

L’éclatement du cadre politico-religieux carolingien a eu ses réper-


cussions pour notre sujet. La plus immédiate est celle d’une nouvelle
« désorganisation » de la hiérarchie des pouvoirs, comme si ce qu’on
a longtemps appelé l’« anarchie féodale » venait clore une parenthèse
ouverte au viiie siècle. En apparence, rien de changé : les cadres men-
taux restent les mêmes. Mais la répartition entre les trois ordres, qu’ils
soient tardo-antiques (moines, clercs, laïcs) et ressortissant, comme
écrivait Congar, de l’anthropologie religieuse 13, ou modernes et fonc-
tionnels (sacerdotes, milites, agricolantes), passe à l’arrière-plan, dans un
premier temps au profit d’une taxinomie sociale au sein de laquelle
la multiplicité des étiquettes brouille leur agencement général en un
tout organique. L’énumération offerte par Rathier de Vérone dans
ses Praeloquia, conçus comme une série de sermons aux divers « états
du monde » – le premier du genre, selon une formule appelée à un

12
 D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et
à l’islam, 1000-1150, Paris, 1998.
13
  Y. Congar, « Les laïcs et l’ecclésiologie des ordines chez les théologiens des xie et xiie siè-
cles » [1968], in Id., Études d’ecclésiologie médiévale, Londres, 1983 (Collected studies series,
168), art. n° IV.

14

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hiérarchie : le concept et son champ d’application

grand succès à partir du xiie siècle – fait ainsi se succéder tous les


éléments composant la société chrétienne, dans un souci d’exhausti-
vité qui fait alterner des listes de fonctions, de statut ou de richesse,
qui décline les catégories socioprofessionnelles ou celles de l’état civil
en usant et abusant des oppositions binaires qui facilitent la tâche du
moraliste, distribuant ses admonitions tantôt d’un côté, tantôt de
l’autre 14 :

Livre I Livre II Livre V Livre VI


privatus quislibet vir episcopus justus
miles mulier clericus peccator
artifex conjunx vel maritus presbiter penitens
medicus uxor diaconus sanus
negotiator celebs subdiaconus infirmus
causidicus vel advocatus pater aut mater exorcista sapiens
locotheta (quem nos comitem filius vel filia ceroferarius stultus
dicimus palatii),
prefectus aut judex vidua lector prudens
testis virgo ostiarius simplex
procurator, exactor… sive parvulus
thelonearius vel cuilibet
alterius publicae functionis puer monachus
minister
patronus sive… senior adolescens abba
mercenarius, cliens sive senex
commendatus cuilibet
consiliarius
dominus
servus
magister
discipulus
dives
mediocris
mendicus

Précieuses pour l’historien de la société, de telles listes sont à cent


lieux des constructions carolingiennes, en ce qu’elles mettent en
avant les oppositions particulières. C’est aussi que le propos de Rathier

14
  Ratherius Veronensis, Praeloquia, éd. P. L. D. Reid, CCCM, 46a, Turnhout, 1984 ; cf.
J. Batany, « Rhétorique et statuts sociaux dans les Praeloquia de Rathier de Vérone », in
R. Chevallier (dir.), Colloque sur la rhétorique. Calliope I, Paris, 1979 (Caesarodumum, XIVbis),
p. 221-238 ; G. Vignodelli, « Milites Regni : aristocrazie e società tripartita in Raterio da
Verona », Bullettino dell’Istituto storico italiano per il medio evo, 109 (2007), p. 97-149.

15

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françois bougard et régine le jan

est différent. Il n’est pas en soi nouveau, puisqu’il puise, consciem-


ment ou non, à la métaphore paulinienne de la totalité des croyants
comme corpus 15, qui se prêtait bien à la composition de listes toujours
ouvertes, et à l’effort récurrent de la littérature parénétique de concré-
tiser des propos souvent trop généraux, comme le fit dès le viie siècle
Tayon de Saragosse, compilateur de Grégoire le Grand, en explicitant
ses catégories trop génériques en de « petits systèmes clos de vocabu-
laire social », au risque d’en déformer le contenu 16. Rathier n’ignore
rien non plus des schémas antérieurs d’ordonnancement, auxquels il
ajoute le sien propre, divisant la familia des filii ecclesiae entre les clercs
et les moines, les laboratores et les milites regni (Praeloquia III, 12). Dans
cette société vue comme une collectivité ecclésiale, il est aussi entendu
que les évêques sont au-dessus du roi et de tous, là où le roi n’est au-
dessus que de quelques-uns – III, 6 : Nam tu super aliquos, illi super te et
super omnes 17. Mais son message, par l’abondance inédite du vocabu-
laire, est surtout à l’enseigne de l’éclatement et de la transversalité,
utilisés comme technique oratoire pour rendre compte du tout social ;
d’un tout, notons-le, où le nobilis n’est pas érigé en catégorie, même
s’il est souvent question de noblesse dans le corps du texte.
Dans un contexte différent, et avec une énumération moins ambi-
tieuse, c’est à la même logique que répond le pénitentiel de Silos,
composé au début des années 1060, lorsqu’il détaille le tarif des pei-
nes dues pour le non-respect du jeûne. Là où les ecclésiastiques doi-
vent réciter des psaumes et être battus, les laïcs peuvent commuer la
peine en une amende graduée selon la position de chacun, depuis
l’empereur jusqu’à qui est dépourvu de tout en passant par le prince,
le comte, l’amirates (le cavalier noble), l’equestres (le simple cavalier),
le travailleur des champs (operator rurium qualiumquumque), le merce-
narius (commerçant ?), le pauper et le pauperrimus 18. L’image hiérar-

15
 Cf. O. G. Oexle, « Stand, Klasse », in O. Brunner, N. Conze et R. Koselleck (dir.),
Geschichtliche Grundbegriffe, VI, Stuttgart, 1990, p.  155-200, ici p.  173  ; D.  Iogna-Prat,
« Ordre(s) », in J. Le Goff et J.-C. Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval,
Paris, 1999, p. 845-860, ici p. 845.
16
  J. Batany, « Tayon de Saragosse et la nomenclature sociale de Grégoire le Grand »,
Bulletin du Cange. Archivum latinitatis medii aevi, 37 (1969-1970), p. 173-192.
17
 Cf. G. Vignodelli, « Il problema della regalità nei Praeloquia di Raterio di Verona », in
G. Isabella (dir.), « C’era una volta un re… ». Aspetti e momenti della regalità, Bologne, 2005
(Quaderni del Dipartimento di Paleografia e Medievistica [dell’Università di Bologna],
dottorato, 3), p. 59-74, spéc. p. 66.
18
  Pénitentiel de Silos, c. 259, éd. F. Bezler, Paenitentialia Hispaniae, Turnhout, 1998 (CCSL,
156a), p. 42 ; cf. F. Bezler, « Pénitence chrétienne et or musulman dans l’Espagne du
Cid », Annales ESC, 50 (1995), p. 93-108.

16

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hiérarchie : le concept et son champ d’application

chisée de la société pensée par le rédacteur du pénitentiel est ici celle


des revenus, mais le lexique mêle, comme chez Rathier, la fonction,
le titre et l’état.
Sans doute pourrait-on multiplier ces listes, plus ou moins fournies.
Au-delà de leur caractère plus ou moins rhétorique, elles paraissent
répondre à un même souci d’appréhender la diversité du corps social.
L’effort de conceptualisation qui caractérise les catégorisations de
type uniquement fonctionnel, celles qui ont fait la célébrité d’Adal-
béron de Laon et de Gérard de Cambrai, ne les rejette pas à l’arrière-
plan. Les deux modes de représentation coexistent et sont en appa-
rence complémentaires, puisque l’un donne des noms immédiate-
ment reconnaissables par les contemporains aux catégories de l’autre,
rendues souvent abstraites par leur formulation englobante ou leur
refus avoué de descendre dans le détail des désignations. Les hommes
qui composent l’ecclesia sont de diverses conditions : « nobles et non
nobles, esclaves, colons, locataires (inquilini) et cetera hujuscemodi
nomina », disaient les pères du concile de Chalon de 813, coupant
court à un étiquetage considéré sans doute comme réducteur 19. Reste
que ces constructions multiples manient ordre et hiérarchie de
manière différente et pas toujours compatible  : la hiérarchie des
ordres est forte dans la trilogie spirituelle, elle est celle des degrés dans
la perfection ; le schéma fonctionnel est plus volontiers horizontal ;
quant aux listes de conditions ou de métiers, elles présentent le dan-
ger, à terme, d’aplatir ou de nier l’ordre par le mélange au nom d’une
égalité naturelle dont on oublierait qu’elle ne se réalisera que dans
l’au-delà 20. Toutefois, nous n’en sommes pas là au xie siècle, car si les
listes taisent souvent la notion d’ordre au profit de hiérarchies sépa-
rées jugées plus efficaces pour rendre compte de manière empirique
d’une société devenue plus complexe, elles se réduisent facilement à
une opposition simple entre clercs et laïcs. C’est le cas du pénitentiel
de Silos, également celui des Praeloquia de Rathier – où deux livres
sinon trois sur les quatre ne s’adressent qu’aux laïcs –, c’est encore
celui du poème attribué à Pierre Damien sur « tous les ordres de tous
les hommes », où les ordines, qui ne sont pas plus que des conditions
ou états, sont par l’agencement de leur énumération intégrés en fili-
grane dans le modèle binaire 21 : celui que durcit au même moment

19
  MGH, Concilia, II-1, p. 283, l. 32-33.
20
 O. G. Oexle, « Stand… », op. cit., p. 191 : « die Ständevermittlung als Un-Ordnung ».
21
  De omnibus ordinibus omnium hominum in hoc saeculo viventium rubrica, éd. M. Lokrantz,
L’opra poetica di S.  Pier Damiani, Stockholm, 1964 (Studia latina Stockholmiensia, 12),

17

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françois bougard et régine le jan

la réforme grégorienne et dont on trouve une expression plus articu-


lée dans le schéma que propose Bonizon de Sutri, qui explique à son
lecteur ce qu’est la christianorum divisio entre clercs et laïcs, avant d’in-
diquer, pour chaque condition ou ordre ­ – les mots sont pour lui
interchangeables –, la séparation entre chefs et sujets – praelati et
subditi, c’est le vocabulaire de Grégoire le Grand – puis de décliner le
détail de chaque hiérarchie 22. Le xie siècle voit ainsi moins le triom-
phe des trois fonctions que la concurrence entre des schémas inter-
prétatifs et des schémas descriptifs, à un moment où la diversification
de la société laïque, spécialement urbaine, et son rôle croissant dans
les prises de décision rendaient plus difficile l’exercice de l’embrasser
tout entière.

Ni l’agencement en ordres de la société, ni la hiérarchie entre les


ordres et à l’intérieur des ordres, ni les belles déclarations de rester
ici bas dans son état à commencer par celui que dicte le droit des
personnes – liber in libertate, servus in servitute – n’empêchent la mobi-
lité sociale. Les sociétés du haut Moyen Âge – comme d’ailleurs les
sociétés antiques – sont en effet des sociétés compétitives où le capital
des individus et des groupes doit être défendu et la place dans la hié-
rarchie renégociée en permanence, par le biais des biens matériels et
symboliques offerts à la compétition, sous le contrôle royal : honneurs,
terres fiscales, biens précieux, femmes. Il y a des déclassements possi-
bles et des possibilités d’ascension sociale, mais jusqu’où ? Comment
mesurer la mobilité sociale ? Ces questions nous ramènent directe-
ment à notre thème général des élites : comment progresser dans la
hiérarchie à l’intérieur de son ordre et comment s’y maintenir, dans
un système certes plastique mais qui fait de la stabilité une vertu ?

p. 144-150 ; cf. N. D’Acunto, I laici nella chiesa e nella società secondo Pier Damiani. Ceti domi-
nanti e riforma ecclesiastica nel secolo XI, Rome, 1999 (Nuovi studi storici, 50), p. 118-126.
Pierre Damien, qui doit sans doute beaucoup à Rathier, énumère sans solution de continuité
les clercs, en y associant les moines (episcopi, presbyteri, diaconi, canonicus, plebani, magister/
discipulus, scriptores, illiteratus clericus, abbates, monachus et monachae), puis un groupe « socio-
professionnel » (iudex, testes, notarii, castaldiones et vicedomini, tenentes ministeria, advocatores,
consiliarius aut auricularius, missus), puis des catégories morales (nutritus atque sapiens, decep-
tor, hypocrita, ebriosi), enfin « tous les laïcs » (maris, dives/pauper, miles/fello, placentes/viles,
coniugatae feminae, viduae, puellae, meretrices, servi et ancillae).
22
  Bonizon de Sutri, Liber de vita christiana, éd. E. Perels, Hildesheim, 1988 (2e éd.), II,
3 p. 35 : pour les clercs sont énumérés les évêques puis les secundi ordinis sacerdotes, les abbés,
les prévôts ; pour les laïcs, les rois, les « juges », les milites, la plebs, elle-même répartie (III,
8, p. 252) entre artifices (exemplifiés par les sutores), negotiatores et agricolae.

18

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hiérarchie : le concept et son champ d’application

Certaines positions ou fonctions qui furent créées de toutes pièces ou


se sont imposées dans les faits – les vassi dominici carolingiens, les
milites des xe et xie siècles, les juges et notaires italiens ? – sont-elles
des tremplins pour une ascension ultérieure, dans un parcours indi-
viduel ou à plusieurs générations ? Quelles sont en revanche les limi-
tes à ne pas franchir, qui font que le passage d’une élite dans une autre
n’est pas admis, comme en témoigne la réaction devant l’aventure
royale d’un Boson de Provence ? Selon la manière dont elle est susci-
tée, cherchée, vécue ou perçue, la mobilité, huile ou grain de sable,
conforte la hiérarchie ou la bouscule. Au-delà des exemples indivi-
duels que l’on pourrait citer d’un bout à l’autre de la période qui nous
occupe, sans doute pourra-t-on repérer des moments de plus ou moins
forte mobilité, que l’on imagine liés à des temps d’incertitude politi-
que, quand l’accès à la faveur du prince – à la fois garante de l’ordre
hiérarchique et toujours prête à s’en affranchir – se fait plus facile :
le vie siècle où le fils d’un vigneron du fisc, Leudaste, devient comte
de Tours, et où le prêtre Ricou tente d’accéder à l’épiscopat ; le début
du xe siècle, où Charles le Simple se risque à faire d’Haganon, issu
des mediocres, un potens, et où la concurrence entre les prétendants au
trône d’Italie accélère les carrières normales tout en créant un appel
d’air depuis le bas. N’oublions pas, cependant, que cette mobilité peut
être aussi descendante, comme Paul Fouracre l’a rappelé à propos de
la Gaule mérovingienne, qui offre une bonne illustration du caractère
toujours inachevé de la formation de l’élite 23. Enfin, ce qu’on pourrait
appeler la vitesse de circulation à l’intérieur de la hiérarchie est aussi
sans doute fonction de la géographie : mieux contrôlée là où s’exerce
le pouvoir central, plus aléatoire à la périphérie ou dans les régions
de conquête récente.

  P. Fouracre, « The origins of the nobility in Francia », in A. J. Duggan (dir.), Nobles and
23

nobility in medieval Europe. Concepts, origins, transformations, Woodbridge, 2000, p. 17-24, spéc.
p. 22-23.

19

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Ordres et grades ecclésiastiques
dans la définition de l’Ecclesia

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Jean-Michel Picard

Christianisation et hiérarchie
dans la société irlandaise
des viie et viiie siècles

«S
i vous me demandiez de définir les principales caractéristi-
ques de la société irlandaise primitive, je vous répondrais
qu’elle était tribale, rurale, hiérarchique et familiale ». Pro-
noncée en 1953 par Daniel Binchy, le grand spécialiste de l’histoire
du droit irlandais  1, cette définition a non seulement survécu à un
demi-siècle de critique historique, mais a continué d’être développée
par ses successeurs. Confirmant le caractère essentiellement hiérar-
chique de la société irlandaise des vie-viiie siècles, les études de Fran-
cis John Byrne, Donnchadh Ó Corráin, Thomas Charles-Edwards,
Fergus Kelly, Liam Breatnach, Neil McLeod et, plus récemment, Ger-
ald Manning, ont révélé la complexité d’un système social fondé sur
un système de classes et une hiérarchie de rangs et de statuts au sein
de chaque classe 2.
Tout comme la société indienne étudiée par Louis Dumont, l’Ir-
lande médiévale présente un cas exemplaire de société hiérarchique.
N’ayant jamais connu l’occupation romaine, la société irlandaise est
étrangère au principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi et
l’aspiration à une aequanda libertas au sein des classes libres n’apparaît
jamais dans les textes. Les traités juridiques rédigés en langue verna-
culaire aux viie et viiie siècles insistent sur la notion de rang social et
de statut différent en droit selon son rang. Ainsi, une offense commise
contre un membre d’un rang social élevé est punie plus sévèrement

1
 Le texte de cette conférence radiodiffusée a été publié sous le titre Secular institutions dans
M. Dillon (dir.), Early Irish Society, Dublin, 1954, p. 52-65. D. A. Binchy (1900-1989) est
l’auteur de la monumentale édition du Corpus iuris Hibernici, 6 vol., Dublin, 1978. Pour une
bibliographie complète, voir R. Baumgarten, « Professor D. A. Binchy : a bibliography »,
Peritia, 5 (1986), p. 468-477.
2
 F. J. Byrne, Irish Kings and High-Kings, Londres, 1973 ; T. Charles-Edwards, Early Irish
and Welsh Kinship, Oxford, 1993 ; L. Breatnach, Uraicecht na Ríar, Dublin, 1987 ; F. Kelly,
A Guide to early Irish Law, Dublin, 1988 ; N. McLeod, Early Irish Contract Law, Sydney, 1994 ;
N. McLeod, « Irish Law : significant numbers and the law of status », Peritia, 9 (1995),
p. 156-166 ; L. Breatnach, A Companion to the Corpus iuris Hibernici, Dublin, 2005 ; G. Man-
ning, Miadshlechtae, Dublin (sous presse).

23

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jean-michel picard

que la même offense commise contre une personne d’un rang infé-
rieur. L’individu n’a de valeur qu’en tant que membre d’une catégo-
rie sociale dans l’échelle hiérarchique de son peuple. Le statut de
chaque catégorie est reflété par la valeur du « prix de l’honneur »
accordé à ses membres. Le prix de l’honneur (lóg n-enech, littérale-
ment « la valeur du visage ») est le prix de la compensation qui doit
être versée dans le cas d’une atteinte grave à l’intégrité de la personne
(meurtre, blessure, viol, insulte, vol etc.). Par exemple, la compensa-
tion pour un jeune fermier est d’une demie once d’argent, tandis
qu’elle atteint de cinq à quinze onces selon la catégorie du blessé dans
la hiérarchie de l’élite guerrière. En cas d’homicide, on ajoute au prix
de l’honneur le prix du corps (éiric, corpéiric, corpdíre, cró) qui est le
même pour tous les hommes libres.
Avant d’aborder les détails de cette hiérarchie, il convient de com-
prendre les divisions principales entre groupes sociaux. La principale
division sociale est celle qui existe entre hommes libres (sóer) et hom-
mes non libres (dóer). Ces derniers n’ont pas de prix de l’honneur et
ne possèdent pas de terres. Ce sont soit des serfs (le fuidir « tenan-
cier », généralement retenu pour dette, et le senchléithe « serf hérédi-
taire », attaché à la terre à perpétuité), soit des esclaves (mug « gar-
çon » ou cumal « fille/esclave ») qui sont des outils de travail apparte-
nant à leur maître. Une seconde division est celle qui existe parmi les
hommes libres entre les détenteurs d’un privilège (nemed) et les autres.
À l’origine, le terme nemed signifie « sacré » et la classe des nemid cor-
respondait à la première fonction indo-européenne, celle des prêtres
et des rois. Au viie siècle, elle comprend non seulement le roi et les
membres des classes savantes (druides, juges, poètes et ecclésiasti-
ques), mais aussi les artisans (forgerons, orfèvres, menuisiers, pein-
tres), qui obtiennent ce statut de franchise par l’excellence de leur
art. Elle inclut aussi la noblesse, qui comprend les tenants de la
deuxième fonction, la fonction guerrière. C’est une élite héréditaire
qui se maintient par la force de ses armes et par la puissance de son
capital, composé essentiellement de bétail. Les non-privilégiés appar-
tiennent à la troisième fonction, la classe des producteurs agricoles.
Ces derniers sont dépendants des privilégiés, en particulier de l’élite
guerrière, avec laquelle ils entretiennent un rapport de clientèle.
En se fondant sur la valeur du prix de l’honneur donné dans des
traités juridiques tels que le Críth Gablach « L’achat fourchu 3 », l’Urai-

 D. A. Binchy, Críth Gablach, Dublin, 1941.


3

24

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christianisation et hiérarchie dans la société irlandaise

cecht Becc « Le petit manuel élémentaire  4 » et les Míadslechta « Les
sections sur la dignité  5 », nous pouvons dresser une nomenclature
hiérarchique générale de la société laïque, qui se résume dans le
tableau suivant. Il convient toutefois d’avertir ici le lecteur que cette
nomenclature ne fait pas l’unanimité de tous les textes et n’inclut pas
les classes du savoir et de l’art, qui font l’objet d’une nomenclature
spéciale.

Hiérarchie sociale et prix de l’honneur


[valeur du lóg n-enec
en onces d’argent]
I. Individus non-libres et exclus du système
cumal ou mug « esclave » 0
senchléithe « serf héréditaire » 0
fuidir « tenancier » 0

II. Individus libres


• Clients
fer midboth « jeune fermier » une demie once
ócaire « petit fermier » 1 once et demie
bóaire « fermier » 3 onces

• Seigneurs
aire déso « noble de territoire » 5 onces
aire ard « haut noble » 7 onces et demie
aire tuíseo « noble supérieur » 10 onces
aire forgill « noble de témoignage supérieur » 15 onces

• Catégorie spéciale : la royauté


rí túaithe « roi de túath » 20 onces
rí túath, ruiri « grand roi » 24 onces
rí cóicid « roi de province » 40 onces

Outre la distinction par le prix de l’honneur, chaque catégorie se


distingue aussi par des droits et des devoirs propres à son rang dans la
hiérarchie sociale. C’est aussi le rang qui détermine le poids juridique
du serment d’accusation (fortach), du serment de dénégation (dithech)
ou du témoignage visuel (fiadnaise) dans la résolution des conflits.

4
 D. A. Binchy, Corpus iuris Hibernici, t. 2, p. 634-655 ; t. 5, p. 1590-1618 et t. 6, p. 2318-2335.
Il n’existe pas d’édition critique et les versions données dans le Corpus iuris Hibernici sont
tirées de trois manuscrits différents.
5
 D. A. Binchy, Corpus iuris Hibernici, t. 2, p. 582-589.

25

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jean-michel picard

La promotion hiérarchique est difficilement possible. Ainsi pour


qu’un bóaire ait accès au rang d’aire déso, il devra acquérir deux fois
plus de richesse et de clients que la normale pour les nobles de cette
classe, et sa famille ne pourra être confirmée dans ce rang qu’après
avoir maintenu ce niveau de richesse et de prédominance sociale pen-
dant trois générations 6.
La christianisation de l’Irlande à partir de la fin du ve siècle ne
remet pas en question le caractère holiste et hiérarchique de cette
société. Les juristes irlandais du viiie siècle, qui vivent dans une société
en majorité chrétienne et qui sont en contact avec leurs homologues
ecclésiastiques versés dans l’étude du droit canonique, sont bien
conscients de l’idéal égalitaire présent dans le droit romain, mais hési-
tent à changer les fondements d’un système hérité de la longue tra-
dition professionnelle de leur classe. Ainsi, mentionnant la possibilité
d’un prix de l’honneur égal pour tous, l’auteur du traité intitulé Bretha
Crólige, « Les jugements concernant les blessures graves », dit bien que
l’égalité du prix de l’honneur existe en droit irlandais ecclésiastique
(i nnós chána), à l’instar du droit canon, mais qu’en droit indigène
(fénechas) le prix de l’honneur est inégal pour les classes laïques :
Comdire cach fri araile i nnos Chacun a un prix de l’honneur égal dans les cou-
chana itir rig & amrig, itir saor tumes du droit ecclésiastique, à la fois roi et sujet,
& daer, itir lobur & tren. Imta homme libre et serf, fort et faible. C’est ainsi que
samlaid dono it comdire hi lebruid ce prix de l’honneur égal leur est donné dans les
acht inni tormaid pennuit do dire Livres (canoniques) sauf pour ce qui est de
graid ecalsa. Ar is a fenechus l’ajout de la pénitence correspondant à leur
rosuidiged dire lethard do gradaib grade ecclésiastique. Car c’est en droit indigène
tuaithe i mmessaib crolige 7. qu’un prix de l’honneur inégal a été établi pour
les classes laïques en matière de compensation
pour les blessures graves.
7

En revanche, le succès d’une nouvelle classe savante ecclésiastique


et le développement d’une érudition chrétienne modifient fonda-
mentalement l’univers mental des juristes irlandais, qui vont s’efforcer
de plus en plus d’expliquer leur propre société en fonction non seu-
lement des structures, mais surtout des symboles de l’Église chré-
tienne.
Les auteurs irlandais n’emploient pas le terme hierarchia – qui n’ap-
paraîtra dans un texte hiberno-latin que dans les années 850-860 sous

 F. Kelly, A Guide…, op. cit., p. 11-12.


6

 D. A. Binchy, « Bretha Crólige », Ériu, 12 (1938), p. 1-77 et p. 8, § 5.


7

26

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christianisation et hiérarchie dans la société irlandaise

la plume de Jean Scot Érigène –, mais manifestent un intérêt poussé,


pour ne pas dire une obsession, pour tout ce qui concerne l’organi-
sation du monde, la classification, l’ordre, qu’il s’agisse du cosmos, de
la nature, de la société, de la famille ou de l’Église. Les traités anony-
mes des viie et viiie siècles, tels que le De duodecim abusiuis saeculi, le
De mirabilibus sacrae scripturae, le De ordine creaturarum ou le Liber de
numeris, s’efforcent d’expliquer le monde et ses mystères en termes
d’organisation logique, où tout a un sens et surtout une place dans
un système hiérarchique organisé. Tout est lié et à chaque fonction
sont associés des droits et des obligations, qu’il convient de respecter
sous peine de bouleverser l’équilibre de l’ensemble. Les érudits irlan-
dais, qu’ils soient païens ou chrétiens, explorent dans leurs écrits les
mécanismes de la rupture de ce contrat tacite entre l’individu et son
milieu – naturel ou/et social – avec des conséquences terribles non
seulement pour l’individu, mais aussi pour tout son environnement.
Dans les sagas épiques, la rupture est provoquée par le héros qui
enfreint l’un des tabous attachés dès sa naissance à sa personne, et
qui font partie intégrante de son statut dans l’élite guerrière. Dans les
textes ecclésiastiques, ce sont les infractions contre la morale chré-
tienne qui ont des conséquences graves non seulement en fonction
de la nature de l’infraction dans l’échelle hiérarchique des péchés,
mais aussi en fonction de la place du pécheur dans l’échelle sociale.
Ainsi, le De duodecim abusiuis saeculi établit une nomenclature de douze
échelons (gradus) d’abus ayant des conséquences graves pour l’équi-
libre social. L’auteur utilise les arguments théoriques des textes bibli-
ques et patristiques dans le but pratique de mettre en garde ses lec-
teurs contre les écarts qui menacent l’ordre social. À chaque type
social est liée une obligation : le sage ne doit pas se contenter de faire
la morale aux autres, mais doit se faire remarquer par ses bonnes
actions, le vieillard se doit d’être pieux, l’adolescent obéissant, la
femme pudique, le riche généreux, le seigneur vertueux, le chrétien
doux et le pauvre humble et respectueux. En haut de l’échelle des
abus se trouvent le roi injuste et l’évêque négligent qui déroge à la
dignité de son rang ; enfin, les pires abus, aux rangs onze et douze,
concernent les défauts de gouvernement : une communauté chré-
tienne sans discipline et un peuple sans loi  8. La même vision d’une
société bien régie sur les bases de la loi, de la discipline et du respect
de son statut social se retrouve dans les pénitentiels Irlandais et dans

8
  De duodecim abusiuis saeculi, éd. S. Hellman, Pseudo-Cyprianus, De XII abusivis sæculi, Leipzig,
1909 (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur, 34, 1).

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la Collectio canonum Hibernensis, mais aussi dans les textes juridiques


vernaculaires contemporains.
C’est aussi dans l’un de ces textes anonymes du viie siècle que se
trouve l’une des premières présentations systématique des neufs
ordres de la hiérarchie céleste. Il s’agit du De ordine creaturarum, qui
consacre un long chapitre à commenter la nature des ordres angéli-
ques, mais aussi leur sens et leurs fonctions respectives dans le monde
créé par Dieu. À chaque ordre correspond l’une des neuf pierres
précieuses de la vision d’Ézéchiel (Ez 28, 13) et la charge d’un office
distinct. L’auteur explique que quand un ordre angélique est amené
à remplir les fonctions d’anges d’un autre ordre, généralement celles
d’un ordre contigu, il prend le nom du rang dont il assume l’office 9.
Ainsi, ce n’est pas la position originelle, mais c’est l’office, avec l’exé-
cution parfaite des devoirs qui y sont attachés, qui définit le rang dans
la hiérarchie céleste. Un point de vue similaire est développé plus loin
dans le chapitre sur Lucifer et les anges déchus. Si ces derniers ne
peuvent retrouver leur place au paradis à la fin des temps, c’est pré-
cisément parce qu’ils n’ont pas su s’acquitter des devoirs associés à
leur rang. Contrairement à l’être humain, qui ne chute pas de bien
haut quand il commet un péché et a donc la possibilité d’être racheté,
le rachat n’est pas possible pour les anges déchus à cause du statut
élevé du rang auquel ils ont dérogé 10. La même idée était déjà expri-
mée dans le De mirabilibus sacrae scripturae, écrit vers 655 : ayant chuté
de la position la plus haute de son ordre, Lucifer ne peut en aucun
cas réintégrer son rang  11. Nous verrons plus bas la transposition de
ces réflexions exégétiques dans la sphère politique et les conséquen-
ces graves prévues par la loi pour les rois et évêques qui ne maintien-
nent pas la dignité de leur rang.
Les canonistes irlandais qui rédigent la Collectio canonum Hibernen-
sis au début du viiie siècle attachent une importance primordiale à la
hiérarchie et consacrent les onze premiers livres de leur œuvre monu-

9
  De ordine creaturarum, éd. M. C. Díaz y Díaz, Liber de ordine creaturarum : un anónimo irlan-
dés del siglo VII, Saint-Jacques de Compostelle, 1972, § 2, 14 : Et quod in singulis hoc et in
gradibus potest esse, ut cum unus alterius officium facit illius etiam nomine censeatur (…). Et ali-
quando ex uicinitate aliorum graduum, alii gradus officia adsumunt.
10
  Ibid. 8, 4-5 : Qui ideo nec remissionem nec redemptionem recipere merentur, nec possunt, quia de
sublimissimo statu sui ordinis ceciderunt (…) Humanum autem genus redemptionem a suo conditore
accipere idcirco promeruit, quia de inferiore adhuc sui ordinis gradu corruit.
11
  De mirabilibus sacrae scripturae, PL, 35, col. 2149-2200, § 2 : et idcirco prolapsus iterum reuocari
minime potuit, qui de sublimissimo sui ordinis statu proruit.

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mentale à la hiérarchie ecclésiastique  12. Comme dans le reste de la


chrétienté, les vie et viie siècles ont été une période d’hésitations et
de débat non seulement sur le nombre des ordres ecclésiastiques (6,
7, 8 ou 9), mais aussi sur la classification des ordres mineurs. Roger
Reynolds a montré que la passion des Irlandais pour le symbolisme
des nombres les a amenés à fixer dès la fin du viie siècle le nombre
des ordres ecclésiastiques à sept  13. C’est ainsi que la Collectio associe
les sept années de pénitence aux sept ordres ecclésiastiques :
Si uero homicidium in ea fecerint, S’ils commettent un homicide dans la basili-
VII annis peniteant. Unde hoc que, qu’ils fassent pénitence pendant sept ans.
sumptum est quod episcopus VII On a retenu ce chiffre parce que l’évêque a
gradus habet et ecclesia septiformis obtenu sept grades et que l’Église est septi-
est. Si uero non habuerint episcopos, forme. Si toutefois il s’agit d’une petite église
sed parua sit ecclesia, anno et dimi- sans évêques, qu’ils fassent pénitence pendant
dio peniteant 14. un an et demi.
14

La référence à l’Église septiforme est empruntée à l’exégèse patris-


tique, où elle est employée dans le contexte d’une vision holiste de
l’Église chrétienne. L’Ambrosiaster, qui est l’une des sources majeures
des exégètes irlandais, exprime clairement l’association entre le chif-
fre sept et la perfection du corps qui, tout comme l’Église, ne fait
qu’un :
In absoluto est septem mulieres sep- Il est absolument évident que les sept femmes
tem ecclesias esse significatas ; qua- signifient les sept Églises. Car, bien qu’elle soit
muis enim una sit, sed septiformis une, l’Église est appelée septiforme, tout
dicitur, ut corpus unum septemplici comme un corps unique est composé d’un
numero constet membrorum 15. nombre septuple de membres.
15

12
  H. Wasserschleben, Die irische Kanonensammlung, Leipzig, 1885. Sur la structure de
l’œuvre, voir T. M. Charles-Edwards, « The construction of the Hibernensis », Peritia, 12
(1998), p. 209-237.
13
 R. E. Reynolds, « “At sixes and sevens” – and eights and nines : the sacred mathematics
of sacred orders in the early Middle Ages », Speculum, 54 (1979) p. 669-684, repris dans
Clerics in the Early Middle Ages : Hierarchy and Image, Vermont, 1999 (Variorum Collected Studies
Series).
14
  Collectio canonum Hibernensis, 42, 22.
15
  Ambrosiaster, Quaestiones Veteris et Novi Testamenti, 47, éd. A. Souter, CSEL, 50, Turn-
hout, 1908, p. 90. Le thème de la perfection du corps septiforme se trouve aussi chez
Augustin, De diversis quaestionibus octoginta tribus, éd. A. Mutzenbecher, CCSL, 44a, Turn-
hout, 1975, § 57 : At ipsa Ecclesia propter animam et corpus in eodem septenario numero repperitur
(corps = 4 + âme = 3 : cf. ibid. : septenario numero creatura constat, cum ternarius animae et qua-
ternarius corpori tribuitur).

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La réflexion idéologique des exégètes nourrit l’oeuvre des cano-


nistes irlandais, qui réorganisent la hiérarchie ecclésiastique sur une
base de sept ordres. La Collectio canonum Hibernensis reflète l’évolution
de leur pensée. En premier lieu la hiérarchie est conçue comme une
structure dont la force vient d’en haut. L’évêque est l’élément capital
de cet édifice et la communauté chrétienne ne peut exister sans lui 16.
Alors que la majorité des textes patristiques et canoniques latins don-
nent la liste des ordres ecclésiastiques en commençant par le bas –
portier, puis exorciste ou lecteur etc.  17 –, la Collectio canonum Hiber-
nensis commence par l’évêque, suivi du prêtre, diacre, sous-diacre
etc.  18. En second lieu, la structure en sept ordres fait l’objet d’une
justification poussée, qui laisse supposer qu’elle ne faisait pas l’una-
nimité. À la fin des sept premiers livres qui traitent chacun d’un ordre,
les auteurs de la Collectio jugent nécessaire de rajouter un huitième
livre, le De recapitulatione septem graduum, dont le premier chapitre
explique que les sept ordres trouvent leur origine dans les rôles tenus
par le Christ lui-même au cours de sa vie – portier de l’Enfer, exorciste
de Marie Madeleine, lecteur du livre d’Isaïe etc… Ce n’est qu’après
cette mise au point, que les canonistes présentent trois ordres supplé-
mentaires au livre IX  19. La présentation de décrets et de systèmes
contradictoires est une occurrence fréquente dans la Collectio, dont
les compilateurs ont voulu avant tout respecter l’ensemble des tradi-
tions de l’Église chrétienne, y compris sur les questions fortement
débattues par les partis des Romani et des Hiberni au cours des siècles
précédents. Si la hiérarchie ecclésiastique en sept ordres est bien le
système recommandé, les érudits irlandais n’oublient pas que la Cité
de Dieu comprendra dix ordres à la fin des temps : les neufs ordres

16
 Sur l’importance de l’évêque dans l’Église irlandaise, voir J.-M. Picard, « Pour une réé-
valuation du rôle et du statut de l’évêque dans l’Irlande du haut Moyen Âge », Médiévales,
42 (2002), p. 131-152.
17
 R. E. Reynolds, « “At sixes and sevens”… », op. cit., p. 677-678.
18
 La même conception de l’ordre hiérarchique se retrouve chez le pape Léon le Grand,
qui, lui aussi, compte les ordres supérieurs de 1 à 4, de l’évêque au sous-diacre : Leo Mag.,
Epist., PL, 54, col. 672 : Quod si in hoc ordine qui quartus a capite est, dignum est custodiri, quan-
tomagis in primo aut secundo uel tercio seruandum est, ne aut leuitico aut presbyterali honore, aut
episcopali excellentia quisquam idoneus estimetur, qui se a uoluptate luxurie necdum refrenasse dete-
gitur.
19
  Collectio canonum Hibernensis, 9, Tit. : Liber IX. De acolito et psalmista et clericis, éd. Wassers-
chleben, Die irische…, op. cit., p. 26. La même structure se retrouve dans le texte vernacu-
laire des Bretha Nemed « Les jugements des nemed », où aux sept ordres (epscop, sacard, dechon,
suibdechon, líachtoir, exarcistid and dorsaid) sont ajoutés ceux de aclaid « acolyte », sailmchétlaid
« psalmiste » et cléirech « clerc ».

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christianisation et hiérarchie dans la société irlandaise

angéliques et le genre humain, qui fera alors partie de la hiérarchie


du royaume divin.
Les travaux des vingt dernières années sur l’ancien droit irlandais
ont montré qu’aux viie et viiie siècles, légistes ecclésiastiques et légis-
tes civils étaient en contact étroit et appartenaient souvent aux mêmes
familles, détentrices héréditaires des traditions juridiques et généalo-
giques des royaumes de l’île 20. Cette étroite collaboration est confir-
mée par l’introduction d’une structure septenaire dans la hiérarchie
laïque. Les listes données dans les textes du Críth Gablach et du Córus
Béscnai suppriment l’un des échelons inférieurs – soit l’ócaire, soit le
fer midboth (voir tableau supra) – pour créer une hiérarchie en sept
échelons allant du fermier au roi 21. L’origine de la transformation de
la hiérarchie laïque est clairement exprimée au début du Críth
Gablach :
Cid asa fordailtea grád túaithe ? À Sur quoi est fondée la division des rangs du
aurlunn grád n-ecalsa ; ar na grád royaume  ? Sur la correspondance avec les
bís i n-eclais is coir cia beith a aur- rangs de l’Église. Car il convient que, pour cha-
lann i túaith… 22 que rang qui existe dans l’Église, il y en ait un
qui lui corresponde dans le royaume…
22

Le transfert s’étend même au vocabulaire : alors que la langue


gaélique possède plusieurs mots pour exprimer la notion d’ordre dans
une structure hiérarchique (céimm, lit. «  pas, degré, échelon  » ou
aicme, lit. « classe, famille, race »), c’est le mot grád, dérivé du latin
gradus, qui est utilisé le plus souvent dans les textes juridiques verna-
culaires.
Inversement, les pratiques indigènes s’étendent au monde ecclésias-
tique. C’est ainsi que les offenses commises contre des clercs, qu’elles
soient manque de respect, insulte ou blessure, vont encourir une

20
 Voir, en particulier, D. Ó. Corráin, « Nationality and kingship in pre-Norman Ireland »,
in T. W. Moody (dir.), Nationality and the pursuit of national independence, Belfast, 1978,
p. 1-35 ; Id., « The early Irish churches : some aspects of organisation », in D. Ó. Corráin
(dir.), Irish antiquity : essays and studies presented to Professor M.J. O’Kelly, Cork, 1981, p. 327-341 ;
D. Ó. Corráin, L. Breatnach et A. Breen, « The laws of the Irish », Peritia, 3 (1984),
p.  382-438  ; L.  Breatnach, « The significance of Bretha Nemed  », Peritia, 3 (1984),
p. 439-459 ; F. Kelly, A Guide…, op. cit., p. 232-250.
21
  Críth Gablach, § 3 : « Ceist : cateat grád túaithe ? Fer midboth, bóaire, aire désa, aire ard,
aire tuíseo, aire forgill 7 rí (Question : Quels sont les ordres du royaume ? Le jeune fermier,
le fermier, le noble de territoire, le haut noble, le noble supérieur, le noble de témoignage
supérieur et le roi) » ; cf. Córus Béscnai : « ócaire, bóaire, aire désa, aire ard, aire tuíseo, aire
forgaill 7 rí ».
22
  Críth Gablach, § 2, éd. Binchy, op. cit., p. 1.

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amende correspondant au prix de l’honneur attribué à chaque ordre


ecclésiastique. Partant du principe que l’évêque est l’égal du roi et a
donc droit à un prix de l’honneur de sept cumal « lit. esclave », soit 20
onces d’argent, les légistes irlandais donnent aux autres ordres de
l’Église un prix équivalent à ceux des échelons de la hiérarchie laï-
que.
Prix de l’honneur pour les ordres ecclésiastiques
[valeur du lóg n-enec
en onces d’argent]
aistreóir « portier » 1 once 3/4
exarcistid « exorciste » 2 onces 1/2
líachtróir « lecteur » 3 onces 3/4
subdechon « sous-diacre » 5 onces
dechon « diacre » 7 onces 1/2
sacart « prêtre » 10 onces
epscop « évêque » 20 onces
ollam úasalepscoip « archevêque » 40 onces

Le processus d’assimilation est encore plus évident dans le cas des


classes savantes. Nous avons peu d’informations sur la hiérarchie drui-
dique d’avant l’arrivée du christianisme, mais dans la plupart des tex-
tes juridiques du viiie siècle, elle est composée de sept ordres – en
ordre croissant  : fochloc, macfuirmid, dos, cano, clí, ánruth et ollam.
Contrairement à la hiérarchie ecclésiastique, qui est confirmée par
l’évêque, les ordres druidiques sont confirmés par le roi en consulta-
tion avec l’ollam « grand maître ».
23
Ceist, cía cruth do-berar grád for Question : De quelle manière le poète obtient-il
filid  ? Ní hansae, taisbénad a son rang ? Ce n’est pas difficile : Il montre ses
dréchtae do ollamain – 7 biit na poèmes à un Grand Maître (ollam) – celui qui
secht ngráda fis occa – 7 gaibthi possède les sept degrés de la connaissance – et le
in rí inna lángrád, inid-focla- roi lui confère son rang propre, dans lequel il a
dar int ollam asa dréchtaib 7 asa été proclamé par le Grand Maître sur examen de
enncai 7 asa idnai, .i. idnae ses poèmes, de son innocence et de sa pureté –
•oglaime, 7 idnae béoil 7 idnae c’est-à-dire, pureté de savoir, pureté de bouche,
lámae 7 lánamais 7 idnae inra- pureté de main et de mariage, pureté d’inno-
cuis ar gait 7 brait 7 indligiud 7 cence de vol, de pillage et d’actes illégaux, pureté
idnae chuirp arna roib acht de corps au point de n’avoir qu’une seule épouse.
óen•éítig lais. Ar at-balar coíbli- Car la cohabitation illicite est source de mort –
giu chíabair acht óenairchinn seulement une unique épouse principale, pen-
i-naidchib téchtaib 23. dant les nuits autorisées.

23
  Uraicecht na Ríar, § 6, éd. Breatnach, op. cit., p. 104.

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christianisation et hiérarchie dans la société irlandaise

Dans ce texte, la longue mise au point sur le mot idnae « pureté,


intégrité » n’est pas sans évoquer le principe hiérarchique de pureté
cher à Louis Dumont  24. Mais, si elle reflète bien une idéologie
ancienne associée à la classe des filid – équivalents des Brahmanes en
Inde ou des Flamines à Rome –, la prescription d’une seule épouse
est un élément nouveau, introduit sous l’influence du modèle ecclé-
siastique. Toutefois, le changement le plus important est celui de la
promotion hiérarchique. Il semble qu’à l’origine, les classes druidi-
ques étaient compartimentées et que les différents ordres des classes
savantes étaient héréditaires  25. Au viiie siècle, une famille d’érudits
peut accéder au grade supérieur par son savoir, son intelligence et
l’éclat de ses compositions. La seule restriction héritée de l’ancien
système est la règle des trois générations. Ainsi, un clí (3e ordre) ne
sera confirmé anruth (2e ordre) que si son père et son grand-père se
sont maintenus au niveau d’excellence exigé des filid de cet ordre.
Dans la hiérarchie de la noblesse, le changement le plus profond
est l’émergence d’un nouveau type de royauté. Tandis que le rang le
plus haut reconnu par les lois irlandaises avait été jusqu’alors celui du
roi de province (rí cóicid), les Uí Néill, rois de Tara, commencent à
prétendre à la royauté de l’Irlande tout entière. Bien avant que le
terme Rí Érenn « roi d’Irlande » n’apparaisse dans les textes vernacu-
laires, c’est sous la plume d’Adomnán, abbé d’Iona, qu’est exprimé
pour la première fois le concept d’une royauté nationale avec les
termes rex totius Scotiae « roi de toute l’Irlande », pour désigner Diar-
mait Mac Cerbaill, roi de Tara entre 544 et 565 et ancêtre de la dynas-
tie des Síl nÁedo Sláine  26. Dans la réalité politique, loin de créer la
stabilité meilleure envisagée par les érudits ecclésiastiques, l’introduc-
tion de ce nouveau rang hiérarchique sera source de rivalités et de
conflits, qui affaibliront l’Irlande face à ses ennemis extérieurs au
cours des siècles suivants.

24
 L. Dumont, Homo hierarchicus, Le système des castes et ses implications, Paris, 1979 (2e éd.),
chap. 2 ; voir aussi R. Deliège, Le système indien des castes, Lille, 2006, p. 59-86.
25
 L. Breatnach, Uraicecht…, op. cit., p. 94-100.
26
  Vita Columbae, éd. A. O. et M. O. Anderson, Adomnan’s Life of Columba, Edinburgh, 1961,
I, 14 : tibi a Deo totius Euerniae regni praerogatiuam monarchiae praedistinatam ; I, 36 : Diormitium
filium Cerbulis totius Scotiae regnatorem Deo auctore ordinatum ; totius regem trucidauit Scotiae. Les
hagiographes d’Armagh expriment le même concept dans un registre plus polémique :
Muirchú, Vita Patricii, éd. L. Bieler, Patrician Texts from the Book of Armagh, Dublin, 1979,
I, 10 : fuit rex quidam magnus ferox gentilisque, imperator barbarorum regnans in Temoria, quae tunc
erat caput regni Scotorum, Loiguire nomine filius Neill, origo stirpis regiae huius pene insolae.

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Sur les terres ecclésiastiques, on aspire à créer la Cité de Dieu. La


Vie de sainte Brigitte, écrite par Cogitosus dans les années 650, est non
seulement un monument à la gloire de la sainte, mais aussi un mani-
feste décrivant la cité idéale, dont le modèle est Kildare. J’ai déjà
présenté ailleurs ce concept de la cité ecclésiastique irlandaise, avec
sa structure concentrique allant du saint des saints au centre jusqu’aux
suburbana, où résident et travaillent les tenanciers et clients de l’évê-
que ou de l’abbé 27. À Kildare, l’espace et les hommes sont hiérarchi-
sés et l’une des préoccupations principales de Cogitosus est la notion
d’ordre et de rang. Ainsi, la préface de la Vita Brigitae justifie la créa-
tion d’une double communauté, de femmes dirigées par une abbesse
et d’hommes dirigés par un évêque, parce que l’évêque est indispen-
sable pour conférer et valider les divers rangs de la hiérarchie ecclé-
siastique.
Secum reuoluens quod sine summo Ayant réfléchi qu’elle ne pouvait se passer
sacerdote qui ecclesias consecraret et d’un grand prêtre pour consacrer les égli-
ecclesiasticos in eis gradus subrogaret ses et y conférer les ordres du clergé, elle
esse non posset, inlustrem uirum et soli- manda Conleth, un ermite illustre, doté de
tarium Conlehet omnibus moribus bonis toutes les qualités et par lequel Dieu accom-
ornatum, per quem Deus uirtutes ope- plit plusieurs miracles. L’ayant fait tirer de
ratus est plurimas, conuocans eum de son désert et de sa vie solitaire, elle se mit
heremo et de sua uita solitaria et in en route pour l’accueillir afin qu’il gouver-
ipsius obuiam pergens, ut ecclesiam in nât avec elle la communauté chrétienne en
episcopali dignitate cum ea gubernaret tant qu’évêque et que rien ne manquât
atque ut nihil de ordine sacerdotali in dans ses Églises en matière d’ordres sacer-
suis deesset ecclesiis accersiuit 28. dotaux.
28

Ce thème est repris dans le dernier chapitre de la Vita, qui fait


pendant à la préface et décrit la basilique de Kildare. À l’image de
l’Église et de la Cité de Dieu, la basilique est une, mais inclut en son
sein les entités diverses qui la composent, chacune à sa place selon
son ordre et son rang.

27
  J.-M. Picard, « L’Irlande chrétienne au viie siècle : la cité monastique », in F. Bougard
(dir.), Le christianisme en Occident du début du viie siècle au milieu du xie siècle, Paris, 1997,
p. 33-42 ; Id., « In platea monasterii : The layout of ecclesiastical settlements in Early Medieval
Ireland 7th-9th C. », in F. de Rubeis et F. Marazzi (dir.), Monasteri in Europa occidentale (secoli
VIII-XI) : topografia e strutture, Rome, 2008, p. 67-82.
28
  Cogitosus, Vita Brigitae, AASS, Feb. I (1685) p. 135-141, Praef. 5.

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christianisation et hiérarchie dans la société irlandaise

Et sic in una basilica maxima populus Et ainsi, en une seule basilique immense,
grandis in ordine et gradibus et sexu et une vaste foule de gens, différents en statut,
locis diuersis, interiectis inter se parie- ordre, sexe et région d’origine, prie le maî-
tibus, diuerso ordine et uno animo tre tout puissant, séparés par des cloisons et
omnipotentem orant dominatorem 29. différents en statut, mais un en esprit.
29

Cette unité dans la diversité correspond à l’idéal de la Jérusalem


céleste où les différentes classes d’élus et de saints, y compris les neufs
ordres de la hiérarchie angélique – comme nous le rappelle une
homélie irlandaise 30 –, seront un dans la contemplation divine. Mais
nos érudits savent que Jérusalem est la cité d’un monde futur et qu’en
attendant, la cité du présent est Béthanie « la maison de l’obéissance »
ou « la maison obéissante »  31. Située à quinze stades de Jérusalem,
Béthanie est l’étape nécessaire, qui donne accès à la Cité de Dieu 32.
Dans la Collectio canonum Hibernensis, l’obéissance est due au princeps,
c’est-à-dire à celui qui assume la direction politique de la communauté
chrétienne, qu’il soit évêque, abbé ou laïc 33. Mais c’est aussi l’obéis-
sance aux règles et conventions exigées du rang que l’on a dans la
communauté. Nul n’est exempt de respecter les devoirs de son ordre
et les canons irlandais prévoient de dégrader les évêques s’ils commet-
tent des fautes graves 34. En général, on applique le principe Qui cum
gradu ceccidit, sine gradu surgat  35. Nous ne savons pas dans quelle
mesure ces lois étaient appliquées, mais les hagiographes, qui relatent
des épisodes de châtiments et malédictions parfois violents contre
prêtres et évêques ayant abusé de leur statut, vont dans le même sens

29
  Cogitosus, ibid., 32, 3.
30
  Homiliarium Hibernico-Latinum, éd. R. Atkinson, The passions and the homilies from Leabhar
Breac, Dublin, 1887, § 15 : Hi ergo misericordes erunt in caelo (…) in unitate utriusque ecclesiae,
in unitate nouem graduum caelestium qui non peccauerunt.
31
  Expositio quatuor euangeliorum, PL, 30, col. 556 : Bethania, id est, “domus obediens” ; col. 559 :
Cum autem esset in Bethania, id est, “in domo obedientiae” : hic domus pro mundo ponitur. Sur ce
texte du viie siècle, voir J. F. Kelly, « The Hiberno-Latin study of the Gospel of Luke », in
M.  McNamara (dir.), Biblical studies  : The Medieval Irish contribution, Dublin, 1976,
p. 10-29.
32
  Missa pro defunctis, éd. Warren, Liturgy and ritual of the Celtic Church, Woodbridge, 1987
(2e éd.), p. 191 : Erat autem Bethania iuxta Hierusolimam quasei stadiis quindecim. Sur ce texte
du viiie siècle, voir B. Bischoff, « Neue Materialen zum Bestand und zur Geschichte der
altlateinischen Bibelübersetzung », in Miscellanea Giovanni Mercati I : Bibbia. Letteratura cris-
tiana antica, Cité du Vatican, 1946 (Studi e Testi, 121), p. 407-436.
33
 Sur le princeps en Irlande, voir J.-M. Picard, « Princeps and principatus in the early Irish
Church : a reassessment », in A. P. Smyth (dir.), Seanchas : Studies in early and medieval Irish
archaeology, history and literature in honour of Francis J. Byrne, Dublin, 2000, p. 146-160.
34
  Collectio canonum Hibernensis, I, 8-9 ; Paenitentiale Cummiani, 2, 1 : Episcopus faciens fornica-
tionem degradatus XII. annos paeniteat.
35
  Synodus II Patricii, § 10 ; Collectio canonum Hibernensis, XI, 1.

35

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jean-michel picard

que les canonistes. Ces punitions exemplaires sont nécessaires pour


préserver l’intégrité d’une hiérarchie qui est l’essence de la commu-
nauté.
En somme, les textes gaéliques et hiberno-latins écrits au viie siècle
reflètent la rencontre de deux cultures, l’une d’origine indigène
païenne et l’autre d’origine romaine et chrétienne. Les érudits appar-
tenant aux deux traditions ont des contacts étroits et partagent des
préoccupations semblables. L’une d’elles est la mise en forme d’une
organisation sociale fondée sur le respect de l’ordre hiérarchique.
Leur postulat est celui d’une société holiste, où l’individualisme n’a
aucune part et où l’hérédité reste le facteur principal dans la classifi-
cation hiérarchique, avec cependant la possibilité d’une certaine
mobilité sociale fondée sur le mérite. Dans les ordres savants, ecclé-
siastiques et druidiques, la promotion hiérarchique est fondée non
seulement sur le savoir, mais aussi sur la pureté de pensée et de vie.
Quand Jean Scot Érigène découvre les textes du Pseudo-Denys l’Aréo-
pagite dans les années 850-860, il rencontre enfin un penseur qui
propose une vision claire de la Cité de Dieu, correspondant aux men-
talités irlandaises des siècles précédents. Jean Scot réconcilie hié-
rarchie céleste et hiérarchie terrestre en incluant le genre humain
parmi les citoyens de la Jérusalem future en tant que dixième ordre
du monde hiérarchique créé par Dieu. En outre, tout comme dans le
monde druidique et ecclésiastique décrit plus haut, l’homme aura
accès à tous les échelons de la hiérarchie en fonction de son intelli-
gence.
[Genus humanum…] Decima etiam Et c’est ainsi que le genre humain est compté
ideo computatur, quoniam humana comme la dixième partie, parce que non
natura non solum nouem ordinibus seulement la nature humaine a été créée
angelorum aequalis facta est, uerum égale aux neufs ordres des anges, mais en
etiam nullus angelicus ordo est, cui outre il n’y a aucun ordre angélique auquel
humana natura post restaurationem la nature humaine, après son renouvelle-
suam iuxta intelligibiles gradus non ment, ne sera insérée selon son niveau d’in-
interseratur, donec perfectum dena- telligence, de sorte qu’elle formera le parfait
rium caelestis compleat ciuitatis… 36 denier de la cité céleste…
36

La vision politique de Jean Scot et l’importance qu’il donne à la


hiérarchie apparaît dans l’ensemble de son œuvre, non seulement
dans les traductions/adaptations qu’il fait du Pseudo-Denys, mais dans

36
  Iohannes Scottus Eriugena, Periphyseon, V, éd. É. Jeauneau, CCCM, 165, Turnhout,
2003.

36

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christianisation et hiérarchie dans la société irlandaise

son Periphyseon et dans ses commentaires exégétiques. S’il y cite volon-


tiers les grands noms de la patristique grecque et latine, ses interpré-
tations s’inscrivent souvent dans le sillage anonyme de l’exégèse irlan-
daise des viie et viiie siècle à laquelle il a été formé. Tout comme ses
prédécesseurs insulaires, Jean Scot envisage la création de la cité
idéale, fondée sur une hiérarchie raisonnée et sur une royauté de
droit divin. Si la notion de synergie ou de coopération au plan de Dieu
est bien présente, l’équilibre du système repose sur le respect et
l’obéissance. Comme il l’explique dans son Commentaire sur l’Évangile
de Jean, la phase finale de la Jérusalem céleste suppose le passage par
Béthanie :
Hierusalem quippe «  uisio pacis  » Jérusalem en effet se traduit par « vision de
interpretatur. Quae caelestem ciuitatem paix ». Elle signifie la cité céleste à laquelle
significat, ad quam adhuc humana la nature humaine n’est pas entièrement
natura non peruenit omnino, quod parvenue, mais à laquelle nous croyons
post generalem omnium resurrectionem qu’elle parviendra après la résurrection
futurum esse credimus, quando ad générale de tous, quand cette nature
integram plenissimam que diuinae humaine sera introduite à la contemplation
ueritatis speculationem humana pleine et entière de la divine vérité. Dès
natura introducetur. Adhuc tamen maintenant toutefois, elle n’est pas beau-
non longe a caelesti patria distat, dum coup éloignée de la céleste patrie dès lors
adhuc in carne moratur in domo oboe- que demeurant encore dans la chair, elle
dientiae 37. habite la maison de l’obéissance.
37

L’Irlande ne connaîtra pas l’avènement d’une société fondée sur


une hiérarchie raisonnée et vivant sous l’autorité sacrée d’un roi una-
nimement reconnu. L’arrivée des Scandinaves à la fin du viiie siècle
mettra fin à toute velléité dans cette direction et changera fondamen-
talement les mentalités irlandaises. En revanche, les souverains caro-
lingiens comprendront toute l’utilité politique de la vision des érudits
insulaires. Tout comme le choix de Dungal par Louis le Pieux lors de
la controverse iconoclaste 38, celui de Jean Scot par Charles le Chauve
pour expliquer l’Aréopagite fut certainement judicieux.

37
  Jean Scot Érigène, Commentaire sur l’Évangile de Jean, I, 30, éd. É. Jeauneau, SC, 180,
Paris, 1972.
38
 Sur le contexte irlandais de la Responsa contra Claudium de Dungal, voir J.-M. Picard, « Le
culte des reliques en Irlande (viie-ixe siècle) », in E. Bozóky et A.-M. Helvétius (dir.), Les
reliques. Objets, cultes, symboles, Turnhout, 1999, p. 39-55.

37

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Bruno Judic

Hiérarchie angélique et hiérarchie


ecclésiale chez Grégoire le Grand

G
régoire le Grand, dès la fin du vie siècle, dans son homélie 34
sur l’Évangile, constitue une étape précoce de la diffusion de
l’œuvre de l’Aréopagite qu’il est le premier à mentionner
dans un texte latin. Comme toutes les homélies de Grégoire, elle a été
largement répandue mais on peut préciser son rôle dans l’angélologie
des auteurs médiévaux.
Grégoire le Grand a composé, et en partie prononcé lui-même,
quarante homélies sur l’Évangile au début de son pontificat, dans les
années 590-592  1. Elles se répartissent en deux groupes, le premier
comprend des homélies dictées qui ont été ensuite prononcées devant
le peuple par un notaire. En revanche, les homélies du deuxième
groupe (21-40) ont été prononcées par Grégoire lui-même. Ces deux
groupes préfigurent, en outre, la partie d’hiver et la partie d’été. L’ho-
mélie 34 se situe dans la seconde partie mais sa date exacte ne se laisse
pas immédiatement définir. Nous avons une indication interne à l’ho-
mélie elle-même puisque Grégoire commence ainsi : « La période
estivale, très contraire à ma santé, m’a empêché un long temps de
vous parler pour vous expliquer l’Évangile. Mais si la langue s’est tue
la charité n’a pas perdu en moi sa chaleur… » Ainsi, un été pourri a
longtemps empêché Grégoire de prendre la parole  2. L’homélie 34,

1
  Gregorius Magnus, Homiliae in Evangelia, éd. R. Étaix, CCSL, 141, Turnhout, 1999.
Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile, livre I, éd. R. Étaix, C. Morel et B. Judic, SC,
485, Paris, 2005.
2
 L'étude fondamentale est désormais celle de J.-P. Bouhot, « Les homélies de saint Gré-
goire le Grand, histoire des textes et chronologie  », Revue Bénédictine, 117/2 (2007),
p. 211-260. Il propose de nouvelles datations pour les homélies de Grégoire. Pour l’homé-
lie 34, il ne reprend pas du tout le système de Chavasse et Étaix. Il s’appuie, avant tout, sur
la mention d’un « temps long » entre l’homélie 33 et l’homélie 34. Comme l’homélie 33
est située au début de juillet, et que l’homélie 35, pour le 11 novembre fête de saint Mennas,
commence aussi par le rappel d’un été pénible, il situe l’homélie 34 au plus près de l’ho-
mélie 35, donc le dimanche 4 novembre 591. Le long développement angélologique est
lié uniquement à l’éclaircissement de la péricope. Je remercie Jean-Paul Bouhot de m’avoir
communiqué à l’avance cette importante étude, dont je ne peux malheureusement tirer
ici toutes les conséquences. Précédemment, A. Chavasse [« Les plus anciens types du lec-
tionnaire et de l’antiphonaire romains de la messe », Revue Bénédictine, 62 (1952), p. 3-94 ;

39

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bruno judic

la plus longue de toute la collection 3, porte sur Luc 15, 1-10, la brebis
perdue et la drachme perdue. Deux grands thèmes sont développés
sur cette péricope : la pénitence, l’abstinence et le pardon (paragra-
phes 1-6 et 15-18), les anges (paragraphes 6b-14). Il faut souligner
que Grégoire se sent fortement encouragé à parler : « mais puisqu’est
revenu le temps de parler, votre zèle m’encourage et j’ai d’autant plus
de joie à m’adresser à vous que vos âmes l’attendent avec un plus
grand désir ». Grégoire est en mauvaise santé et pourtant sa parole
est attendue et souhaitée par son auditoire. Cette relation physique
avec l’auditoire est certainement très importante dans l’homélie 34 ;
elle explique sûrement la longueur de l’homélie et elle éclaire cette
phrase initiale sur l’encouragement à parler, sur la joie de Grégoire
en s’adressant à ses fidèles et sur le désir des fidèles de l’écouter.
L’homélie a été prononcée dans la basilique des Saints-Jean-et-Paul
qui se trouve sur le Caelius, à proximité de l’ancienne maison familiale
de Grégoire transformée par lui-même en monastère. Cette basilique
est l’héritière d’un titulus financé par un riche sénateur, Pammachius,
ami de saint Jérôme. On peut penser que cette localisation est aussi
un facteur de mise en confiance du pape – c’est semble-t-il la seule
homélie du recueil prononcée dans cette église ; il se sent à l’aise pour
développer plus longuement les thèmes de l’homélie 4.
Le premier thème, pénitentiel, est directement lié à la péricope
elle-même : « il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur
qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas
besoin de pénitence. » Sur ce thème, Grégoire utilise deux exempla :
l’histoire de David au paragraphe 16 et l’histoire, racontée au para-

La liturgie de la ville de Rome du ve au viiie siècle. Une liturgie conditionnée par l’organisation de la


vie in urbe et extra muros, Rome, 1993 (Analecta liturgica, 8 = Studia Anselmiana, 112), en part.
p. 109-146 et « Aménagements liturgiques à Rome au viie et au viiie siècle, Revue Bénédictine,
99 (1989), p. 75-102], avait daté cette homélie du 29 septembre 591, samedi des Quatre-
Temps de septembre et jour de la fête de l’archange saint Michel. Le jeûne des Quatre-
Temps devait correspondre en 591 à la semaine du 23 au 30 septembre. Le 29 septembre
est en 591 un samedi et est donc à la fois le samedi du jeûne des Quatre-Temps de septem-
bre et le Natale romain du Saint-Ange. Cela permettait d'expliquer la réunion de deux
thèmes disparates. Néanmoins, R. Étaix hésitait à suivre A. Chavasse en notant que la lecture
paraissait tirée d'une liste dominicale. Voir aussi Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile,
livre II, éd. R. Étaix, C. Morel et B. Judic, à paraître dans la collection Sources chrétiennes.
3
  538 lignes dans l’édition CC, alors qu’on trouve ensuite 493 lignes pour hom 38 ; 449
lignes pour hom 17 et hom 40 ; 404 lignes pour hom 20 ; 329 lignes pour hom 39, etc.
4
 Le titulus Pammachii et la maison familiale de Grégoire sont au centre de l’article d’H.-I.
Marrou, « Autour de la bibliothèque du pape Agapit », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 48
(1931), p. 124-169. La santé fragile de Grégoire est bien attestée dans d’autres textes, cf.
J. Richards, Consul of God. The Life and Times of Gregory the Great, Londres, 1980, p. 44-49.

40

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hiérarchie angélique et hiérarchie ecclésiale chez grégoire le grand

graphe 18, du moine Victorien-Émilien  5. L’assistance comprenait


nécessairement des proches du monastère et de la famille de Gré-
goire, très attentifs à ses paroles. La présence des exempla est naturel-
lement un élément d’allongement de l’homélie et de familiarité avec
l’auditoire. Mais sur ce même thème pénitentiel, Grégoire introduit
aussi le thème angélique : dans le paragraphe 3, il évoque les quatre-
vingt-dix-neuf brebis laissées dans le désert par le berger qui cherche
la brebis perdue. Il souligne que « le nombre cent est un nombre
parfait, il a vraiment eu cent brebis quand il a créé les anges et les
hommes ». La brebis perdue est l’homme, les quatre-vingt-dix-neuf
autres sont les chœurs angéliques qui sont restés dans les hauteurs du
ciel qualifiées de « désert » parce que l’homme les a abandonnées.

C’est ce même thème angélique qui revient dans le paragraphe 6b


à propos des dix drachmes. « La femme avait dix drachmes parce qu’il
y a neuf chœurs d’anges, mais pour compléter le nombre des élus,
l’homme a été créé le dixième. » Grégoire évoque d’abord les neuf
chœurs des anges dans le paragraphe 7 : « il y a les anges, les archanges,
les Vertus, les Puissances, les Principautés, les Dominations, les Trônes,
les Chérubins et les Séraphins. » Il donne la liste par ordre de hiérarchie
croissante et cite les passages scripturaires qui soutiennent cette liste :
Paul dans Éphésiens 1, 21 (Principauté, Puissance, Vertu et Domina-
tion), dans Colossiens 1, 16 (Trônes, Puissances, Principautés et Domi-
nations) ; la combinaison de ces deux références donne cinq chœurs
angéliques, « en ajoutant les anges, les archanges, les Chérubins et les
Séraphins, on trouve qu’il y a assurément neuf chœurs des anges ». Il
associe également à cette liste de neuf groupes d’anges, une liste de
neuf pierres précieuses donnée par Ézéchiel (28, 13) « sardoine, topaze,
jaspe, chrysolithe, onyx, béryl, saphir, escarboucle et émeraude » qui
ornaient le manteau du roi de Tyr en tant que chérubin protecteur ou
en tant que premier homme avant la chute. Grégoire développe ensuite
les fonctions des anges, leur ministère, et introduit ainsi les éléments
d’explication de la hiérarchie angélique paragraphe 8 : les anges ou
messagers transportent les « messages ordinaires » ; les messagers plus
importants sont appelés archanges et c’est un archange, Gabriel, qui
fait l’annonce la plus importante. Au paradis, les anges n’ont pas de
nom, mais ils en reçoivent un quand ils viennent accomplir pour nous

5
 Rien n’empêche d’imaginer que le monastère indéterminé dans lequel Victorien-Émilien
menait une vie exemplaire et ascétique était ce même monastère Saint-André, à proximité
immédiate de l’église dans laquelle Grégoire prononçait cette homélie.

41

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bruno judic

une mission particulière. Vient alors, paragraphe 9, un développement


sur les trois archanges qui portent un nom propre : « Michel signifie
qui est comme Dieu, Gabriel la force de Dieu, Raphaël le remède de
Dieu » ; étymologies qui viennent de Jérôme 6.
Dans le paragraphe  10, il développe la signification des autres
« chœurs angéliques », depuis les Vertus jusqu’aux Séraphins ; on y
trouve la justification de la position hiérarchique de chaque ordre par
rapport à l’autre ; on notera par exemple que les Dominations sur-
passent les Vertus, les Puissances et les Principautés parce que les
autres sont soumis à ces « armées des anges ». Mais les Trônes à leur
tour sont au-dessus des Dominations parce que les Trônes sont « les
armées au milieu desquelles Dieu tout-puissant siège pour exercer le
jugement.  » Ce qui sous-entend, logiquement, que la fonction de
juger est supérieure à la fonction de soumettre. Pour les Chérubins
et les Séraphins il a de nouveau recours à saint Jérôme : Chérubin
signifie « plénitude de la science » ; Séraphin signifie « ceux qui brû-
lent » et « la flamme c’est l’amour, car plus ils aperçoivent distincte-
ment la gloire de sa divinité, plus ils brûlent vivement d’amour ». Dans
le paragraphe 11, Grégoire transpose cette hiérarchie angélique en
une hiérarchie humaine : « Nous croyons que doit monter là-haut [la
cité d’En-haut] une multitude d’hommes égale à la multitude des
anges qui y est demeurée ; il reste donc que les hommes qui revien-
nent dans la patrie d’En-haut imitent un peu en y revenant ces armées
célestes. » Grégoire reprend alors la hiérarchie pour y situer les chré-
tiens. Cette hiérarchie est exclusivement spirituelle et morale même
si on peut supposer quelques références concrètes : « certains domi-
nent en eux tous les vices et tous les désirs », ils correspondent aux
Dominations et on peut penser aux moines ou aux ascètes. « Certains
gardent la maîtrise d’eux-mêmes avec vigilance et (…) reçoivent le
pouvoir de juger aussi les autres avec droiture. » Ils correspondent
aux Trônes et on peut penser aux évêques, d’ailleurs il précise : « par
eux qui conduisent la sainte Église ». Mais on trouve encore plus haut
ceux qui correspondent aux Chérubins, « ceux qui plus que les autres
sont remplis de l’amour de Dieu et du prochain », et ceux qui corres-
pondent aux Séraphins, « brûlés par les ardeurs de la contemplation
d’En-haut, ils soupirent du seul désir de leur Créateur, ne convoitent
plus rien en ce monde, se nourrissent du seul amour de l’éternité,

6
 Cf. Jérôme, Liber interpretationis hebraicorum nominum, CCSL, 72, p. 82 et 140. Grégoire
donne aussi les références scripturaires : Ap 12, 7 pour Michel ; Lc 1, 26-27 pour Gabriel ;
Tb 11, 13 pour Raphaël.

42

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hiérarchie angélique et hiérarchie ecclésiale chez grégoire le grand

rejettent tout ce qui est terrestre, s’élèvent par l’esprit au-dessus des
choses du temps… ». Il est alors bien difficile d’assigner une catégorie
ecclésiastique particulière à ces personnages. Les ordres angéliques
justifient la hiérarchie entre les hommes du moins du point de vue
spirituel, paragraphe 12 : « Celui qui voit en lui de modestes dons,
qu’il n’envie pas aux autres de plus grands, car là-haut ont été établies
des distinctions (distinctiones) entre esprits bienheureux de telle sorte
que les uns soient préposés aux autres (ut aliae aliis sint praelatae). »
C’est alors que Grégoire cite explicitement Denys l’Aréopagite :
« On rapporte (Fertur) que Denys l’Aréopagite, un ancien et vénérable
Père, disait que les anges, venant des armées inférieures, sont envoyés
de façon visible ou invisible pour accomplir un ministère, c’est-à-dire
consoler les hommes comme anges ou archanges. Les armées supé-
rieures, elles, ne sortent jamais de leur propre intimité, les plus élevées
ne s’employant pas à un ministère extérieur.  » Grégoire relève
­cependant une contradiction : Isaïe 6, 6-7 évoque un séraphin qui
vole en tenant en main une braise avec une pince et il touche les lèvres
d’Isaïe avec cette braise. Le séraphin, situé tout en haut, pourrait-il
donc sortir à l’extérieur ? Grégoire explique que, dans ce cas, l’ange
reçoit son nom de la charge qu’il exerce, c’est-à-dire brûler. Et il
ajoute, paragraphe 13, une citation de Daniel 7, 10 pour confirmer
le fait que certains anges servent Dieu et d’autres assistent et entou-
rent Dieu. Il convient cependant pour Grégoire de souligner, pour
finir, l’étroite liaison entre tous les ordres angéliques. Le Psalmiste
(79, 2) dit : « Toi qui sièges sur les Chérubins, apparais ! » « En joi-
gnant tout en les distinguant les Chérubins aux Trônes, le Seigneur
montre en les égalant au chœur voisin qu’il siège aussi sur les Chéru-
bins 7. » Ce que chacun possède en particulier appartient aussi à l’en-
semble. Grégoire peut ainsi dans ces paragraphes 13 et 14 rappeler
un thème qui lui tient à cœur, l’alternance entre l’intériorité et l’ex-
tériorité et un principe de « communion universelle » : « par la charité
de l’Esprit tout est possédé par l’un dans les autres. » L’analyse menée
par Claude Carozzi sur cette homélie a le grand mérite de montrer à
la fois l’insistance sur le principe hiérarchique et l’impossibilité
concrète de suivre ce principe dans une réalisation totale  8. Claude

7
  Dum in ipsis distinctionibus agminum Cherubin thronis jungitur, sedere etiam super Cherubin
Dominus ex vicini agminis aequalitate perhibetur.
8
 C. Carozzi, « Hiérarchie angélique et tripartition fonctionnelle chez Grégoire le Grand »,
in C. Carozzi et H. Taviani-Carozzi (dir.), Hiérarchies et services au Moyen Âge, Aix-en-Pro-
vence, 2001, p. 31-50.

43

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bruno judic

Carozzi souligne que Grégoire commence sur un type de hiérarchie


et finalement enchaîne sur un autre type ; il semble associer en per-
manence plusieurs hiérarchies possibles. On comprend bien que
Michel, Gabriel et Raphaël sont situés tout en haut, qu’ils formeraient
eux-mêmes une sorte de triade supérieure, au-dessus d’autres triades
angéliques, mais il ne poursuit absolument pas dans ce sens ; bien au
contraire, ces trois archanges, en tant qu’archanges, ne peuvent être
situés qu’au deuxième rang, juste au-dessus des anges et en dessous
de tous les autres ordres angéliques. On a donc bien au moins deux
types de hiérarchies possibles sans que Grégoire choisisse vraiment
entre les deux. Enfin, Claude Carozzi remarque, dans la présentation
des étymologies des trois noms d’archanges, une évidente allusion au
modèle trifonctionnel indo-européen, allusion qui ne figure pas chez
le Pseudo-Denys.

Quelles sont les sources de cette angélologie grégorienne ? Les


pères du ive siècle, Ambroise ou Jérôme, évoquent les anges à partir
des textes scripturaires. Saint Augustin donne une exégèse qui inspire
plus directement Grégoire : « Si nous acceptons que la seule brebis
perdue est l’âme humaine dans Adam – et Ève aussi a été faite à partir
du côté d’Adam – même si ce n’est pas maintenant le moment de
traiter et considérer tout ce qu’il faudrait développer du point de vue
spirituel, il reste qu’on comprend dans les quatre-vingt-dix-neuf brebis
abandonnées dans les montagnes non pas les esprits humains mais les
esprits angéliques  9. » L’âme humaine est l’unité qui manque pour
compléter le nombre cent constitué par les anges. Claudio Micaelli a
montré comment Grégoire, s’appuyant sur Augustin, cherche à main-
tenir le principe d’une nature différente entre les hommes et les
anges, les uns sont corporels, les autres incorporels. Grégoire tient au
va-et-vient dans l’activité des anges entre l’extériorité, le fait de porter
les messages, et l’intériorité, le fait de contempler Dieu en perma-
nence  10. Grégoire avait développé une angélologie dans les Moralia

9
  Si enim unam ovem lapsam humanam animam accipiamus in adam, quia etiam eva de illius latere
facta est, quorum omnium spiritaliter tractandorum et considerandorum nunc tempus non est, restat
ut nonaginta novem relictae in montibus, non humani, sed angeli spiritus intellegantur (Enarr. in
ps. 8, 12, CCSL, 38).
10
 Sur Da 7, 10, même citation que dans l’homélie 34, Grégoire écrit : « Si donc ils [les
anges fidèles] le voient toujours, et toujours se tiennent en sa présence, il faut chercher
avec une attention diligente d’où ils viennent, eux qui ne s’éloignent jamais (…). Mais nous
trouvons assez vite la solution si nous tenons compte de la grande subtilité de la nature
angélique. Jamais les anges ne s’éloignent extérieurement de la vision de Dieu au point

44

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hiérarchie angélique et hiérarchie ecclésiale chez grégoire le grand

et il avait déjà introduit le principe d’une liste de neuf ordres angéli-


ques.

Ce même prophète [Grégoire avait fait une autre citation d’Ézéchiel un


peu avant] voulant suggérer la puissance de sa primauté jusqu’à mainte-
nant ajoute : « toute pierre précieuse est ton revêtement, la sardoine, la
topaze et le jaspe, la chrysolithe, l’onyx et le bérylle, le saphir, l’escarbou-
cle et l’émeraude » (Ez 28, 13). Il cite neuf genres de pierres, parce qu’il
y a assurément neuf ordres d’anges. Car, lorsque, dans l’Écriture Sainte
elle-même, on rappelle selon un récit évident les anges, les archanges, les
trônes, les dominations, les vertus, les principautés, les puissances, les
chérubins et les séraphins, on montre combien il y a de distinctions chez
les citoyens d’En-haut 11.

Parmi les sources avouées de Grégoire figure Denys l’Aréopagite.


Comment situer cette référence dans la question insoluble de la
connaissance ou de l’ignorance du grec par Grégoire ? Indépendam-
ment de la mention explicite de Denys l’Aréopagite, Joan M. Petersen
a montré l’influence des Pères grecs et d’Origène sur Grégoire à par-
tir d’homélies qui n’étaient pas traduites en latin pour autant qu’on
le sache. Joan Petersen fait donc l’hypothèse d’un informateur par
oral qui traduit les textes d’Origène  12. C’est évidemment ce même

d’être privés des joies de la contemplation intérieure. Si, dans ces missions, ils perdaient la
vision de leur Créateur, ils seraient incapables de relever ceux qui sont tombés et d’annon-
cer la vérité à ceux qui l’ignorent…  » Mor. 2, 3, 3, trad. A.  de Gaudemaris, notes de
R. Gillet, SC, 32bis, Paris, 1975, p. 257-259. Cf. aussi Augustin, Conf. VII, 11, 7. Voir
également C. Micaelli, « Riflessioni su alcuni aspetti dell’angelologia di Gregorio Magno »,
in Gregorio Magno e il suo tempo, Rome, 1991, p. 301-314. Grégoire a déjà traité des anges
dans HomÉv 1, 2 (six groupes d’anges), HomÉv 26, 10 (cinq groupes). Il y revient aussi dans
HomEz I, hom 8, 20 dans un passage qui suppose une liste de neuf et qui associe les Trônes
au saphir dans la liste des pierres précieuses. En outre, le sacramentaire grégorien donne
cinq groupes d’anges dans la prière du sanctus, mais cette prière est peut-être antérieure à
Grégoire lui-même.
11
 Sur Jb 40, 14, ipse est principium viarum Dei [Behemoth] est lui-même la tête des voies de
Dieu ; Hinc est quod primatus ejus potentiam adhuc insinuans idem propheta, subjungit : « Omnis
lapis pretiosus operimentum tuum, sardius et topazius et jaspis, chrysolithus, onyx, et berillus, sapphi-
rus, carbunculus et smaragdus » (Ez 28, 13). Novem dicit genera lapidum, quia nimirum novem sunt
ordines angelorum. Nam cum per ipsa sacra eloquia angeli, archangeli, throni, dominationes, virtutes,
principatus, potestates, cherubim, et seraphim, aperta narratione memorantur, quantae sint superno-
rum civium distinctiones ostenditur (Mor. 32, 23, 47).
12
 Cf. J. M. Petersen, « Did Gregory the Great Know Greek ? », Studies in Church History, 13
(1976), p. 121-134. Id., « Greek influences upon Gregory the Great’s Exegesis of Luke 15,
1-10 in Homelia in Evangelium II, 34 », in J. Fontaine, R. Gillet et S. Pellistrandi, dir.,
Grégoire le Grand, Paris, 1986, p. 521-530. Id., « Homo Omnino Latinus. The Theological
and Cultural Background of Pope Gregory the Great », Speculum, 62 (1987), p. 529-551.
Id., The Dialogues of Gregory the Great in their late antique cultural background, Toronto, 1984.

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informateur/interprète qu’il faudrait supposer derrière la formule


fertur Dionysius. Comment comprendre ce fertur ? La similitude des
thèmes développés chez Denys et chez Grégoire implique un lien
entre les deux : Grégoire emprunte à Denys la liste des ordres angé-
liques, il lui emprunte la distinction des hiérarchies supérieures qui
contemplent Dieu et des hiérarchies inférieures qui sont envoyées en
mission, l’étymologie du mot Séraphin, ainsi que certaines citations
bibliques essentielles au développement : Is 6, 6-7 et Da 7, 10  13. Le
rapprochement est caractéristique avec ce passage de la hiérarchie
céleste :

(…) examinons encore, autant qu’il est en notre pouvoir : pourquoi est-il
dit qu’à l’un des porte-parole de Dieu un Séraphin est envoyé ? [cf. Is 6,
6-7] On pourrait s’embarrasser en voyant que non point l’un des anges
subordonnés mais celui même qui a rang parmi les essences les plus véné-
rables purifie l’interprète des secrets divins. Certains répondent qu’en
vertu de cette communion déjà invoquée entre tous les esprits ce n’est
point l’un des esprits de premier rang, vivant autour de Dieu, mais plutôt
que l’un des Anges qui nous sont préposés, en tant qu’il reçût la sainte
charge de purifier le prophète, a été appelé du même nom que les Séra-
phins, puisque c’est à la manière d’un incendie qu’il effaça les péchés
rapportés par les Dits… et ils ajoutent qu’en parlant simplement de l’un
des Séraphins les Dits ne désignent point l’un de ceux qui siègent autour
de Dieu mais l’une des Puissances purificatrices qui nous sont assi-
gnées 14.

Ainsi Grégoire reprend exactement l’argument de Denys et sera


suivi plus tard par Thomas d’Aquin. L’argument est typiquement d’or-
dre hiérarchique et fait appel à un principe hiérarchique. Il éclaire

Contra Petersen : G. J. M. Bartelink, « Pope Gregory the Great’s Knowledge of Greek », in
J. C. Cavadini, dir., Gregory the Great  : A Symposium, Notre Dame, 1995, p.  117-136 (il
n’évoque pas du tout l’homélie 34).
13
 Cf. C. Dagens, Saint Grégoire le Grand. Culture et expérience chrétiennes, Paris, 1977, p. 151-152.
C.  Straw, Gregory the Great Perfection in Imperfection, Univ of California Press, 1988,
p. 29-37.
14
  Denys l’Aréopagite, De la hiérarchie céleste, XIII, 1, intro. R. Roques, trad. M. de Gan-
dillac, SC, 58bis, Paris, 1970. La note de l’édition SC est d’ailleurs éclairante : « L’hypo-
thèse qu’un Séraphin fut délégué à une fonction qui est normalement celle du dernier
ordre est exclue aussi bien par Denys que par Grégoire le Grand et saint Thomas… l’An-
gélique distingue quatre dispositions d’esprits “assistant” et cinq d’esprits “administrateurs”
dont seules les deux dernières ont une mission “annonciatrice”. On a ici un exemple frap-
pant de “vision du monde” (de caractère en partie profane) invoquée par des théologiens
pour refuser l’interprétation la plus obvie d’un texte scripturaire. »

46

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hiérarchie angélique et hiérarchie ecclésiale chez grégoire le grand

ainsi toute la construction angélique et tout le rapport des catégories


d’anges aux catégories de chrétiens.
Fertur indique une certaine prise de distance vis-à-vis de ce Denys
mais pour quelle raison ? Au début du paragraphe 13, Grégoire écrit :
« Des passages de l’Écriture nous ont appris que certaines activités
sont exercées par les Chérubins, d’autres par les Séraphins : mais le
font-ils par eux-mêmes, ou par des armées célestes qui leur sont sou-
mises, dont on dit qu’elles reçoivent des noms plus nobles parce qu’ils
viennent d’êtres plus nobles, nous ne pouvons l’affirmer, parce que
nous ne pouvons le prouver par des témoignages clairs. » Grégoire se
montre donc réservé sur le fondement biblique de la présentation
dionysienne. Cette réserve est gênante si Denys est le propre compa-
gnon de saint Paul, comme le laisse entendre l’expression « un père
antique et vénérable », alors que le Pseudo-Denys est situé au début
du vie siècle à une époque bien proche de Grégoire 15. Mais fertur peut
justement porter aussi sur la transmission des idées dionysiennes
jusqu’à Grégoire. Si le texte dionysien, non traduit en latin, est trans-
mis à Grégoire par un informateur oral, on comprend mieux la pru-
dence du Romain. Il expose ce qu’il n’a pas pu lire lui-même. Ce
passage relance la question de la connaissance et de l’ignorance du
grec. Dans un sens, il renforcerait l’affirmation de Grégoire sur son
ignorance du grec ; mais plus profondément il suppose que Grégoire
a eu des contacts à Constantinople avec des textes grecs, même par
l’intermédiaire d’un interprète et qu’il pouvait maîtriser au moins un
minimum de grec. Joan Petersen insiste sur la continuité entre chris-
tianisme grec et christianisme latin qui est encore impliquée par cette
angélologie et elle s’oppose ainsi à une vision trop radicale de la rup-
ture entre Grecs et Latins  16. Comme les spécialistes de Denys ont
montré qu’il faut le situer vers la fin du ve siècle ou le début du vie siè-
cle en Syrie, et qu’il n’a pas été reçu facilement dans le monde grec
orthodoxe, on pourrait supposer que l’informateur/interprète de
Grégoire serait Anastase, ex-patriarche d’Antioche, en résidence for-

15
 Cf. R. Roques, L’univers dionysien : structure hiérarchique du monde selon le Pseudo-Denys, Paris,
1954. Voir aussi R. F. Hathaway, Hierarchy and the Definition of Order in the Letters of Pseudo-
Dionysius, La Haye, 1969.
16
  J. M. Petersen, The Dialogues of Gregory the Great…, op. cit., p. xvii : « Scholars working on
one or other aspects of Gregory’s life and teaching have commonly assumed that, in spite
of his six years’ sojourn as apocrisiarius in Constantinople, he knew no Greek, and that
consequently he was uninfluenced by Eastern Christian spirituality and theology. Many
instances of this view could be cited ; one of the most recent is to be found in an article by
Claude Dagens published in 1975. »

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cée à Constantinople au moment où Grégoire s’y trouvait également.


Ils devinrent des amis proches au point que Grégoire en tant que pape
intervint auprès de l’empereur en faveur d’Anastase. En outre, cet
Anastase joua sans doute un rôle dans la traduction de la Règle pas-
torale en grec 17.

Il faut aussi comprendre le lien entre cette homélie et d’autres


textes de Grégoire. Dans les Moralia, comme dans le Pastoral, Grégoire
s’est attaché à souligner la répartition de la société chrétienne en
groupes distincts. On connaît ainsi la répartition en trois groupes, des
dirigeants, des continents et des gens mariés, qui deviennent même
explicitement trois ordres dans une homélie sur Ézéchiel (II, 4). Ces
trois groupes sont nettement hiérarchisés et en même temps leur
solidarité profonde est décrite exactement dans les mêmes termes que
les liens étroits qui rattachent tous les ordres angéliques entre eux.
Une autre classification donnée dans les Moralia est largement détaillée
dans le Pastoral, ce sont les diverses catégories auxquelles le prédica-
teur doit savoir s’adresser. Ces catégories, très nombreuses, soixante-
quatorze, semblent peu hiérarchisées et, de plus, largement hétéro-
gènes. Il est pourtant possible d’y reconnaître une certaine disposition
où l’on retrouverait aussi des catégories qui relèvent du groupe des
dirigeants, d’autres qui relèvent du groupe des continents et d’autres
qui relèvent du groupe des gens mariés, sans d’ailleurs épuiser toute
la richesse et la diversité de la longue liste détaillée par Grégoire. Un
principe relie toutes ces tentatives de classement, le paradoxe, exprimé

17
 Anastase, patriarche d’Antioche destitué par Justin en 570, se trouvait à Constantinople
en même temps que Grégoire et ils se lièrent d’amitié à en juger par Ep. 1, 6 ; 1, 7 ; 1, 25
dans lesquelles Grégoire lui parle de manière très personnelle et intime comme il le fait
aussi pour Léandre de Séville. Anastase reçut aussi la lettre synodale, Ep. 1, 24, puisque
Grégoire le considérait toujours comme patriarche et il intervient dès le début de son
pontificat auprès de l’empereur Maurice en faveur d’Anastase qui, de fait, retrouva son
siège en 593 ou 594, cf. Ep. 5, 42. Dans cette dernière lettre, Grégoire exprime à nouveau
des sentiments personnels et souligne que saint Ignace est « non seulement vôtre mais aussi
nôtre ». En 597, Ep. 7, 24 concerne l’opposition de Grégoire au titre « œcuménique » du
patriarche de Constantinople et Ep. 7, 31 concerne différents textes grecs traduits en latin ;
Ep. 8, 2 à nouveau lettre personnelle. Par Ep. 12, 6, de janvier 602, nous savons qu’Anastase
traduisit la Règle pastorale en grec à la demande de l’empereur Maurice. R. Lizzi (« La tra-
duzione greca delle opere di Gregorio Magno : dalla Regula pastoralis ai Dialogi », in Gre-
gorio Magno e il suo tempo II Questioni letterarie e dottrinali, Rome, 1991, p. 41-57) montre que
l’Anastase mentionné dans Ep. 12, 6, doit être Anastase II, successeur d’Anastase I sur le
siège d’Antioche à la mort de ce dernier en 599. Mais la présence du Pastoral à Antioche
résulterait bien des liens étroits entre Grégoire et Anastase I, qui séjourna peut-être à Rome.
J. M. Petersen (« Homo Omnino Latinus… », op. cit.) avait fait l’hypothèse du médecin
Aristobule et de l’évêque Domitien de Mélitène, mais pas d’Anastase d’Antioche.

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hiérarchie angélique et hiérarchie ecclésiale chez grégoire le grand

dans les Moralia et repris dans le Pastoral, de l’égalité naturelle entre


tous les hommes et de l’inégalité engendrée par des mérites diffé-
rents 18. L’ordre des mérites devient le principe d’une inégalité et d’un
classement hiérarchisé. Cependant ce principe est essentiellement
moral et spirituel et ne s’applique même pas vraiment à la hiérarchie
ecclésiastique elle-même comme Grégoire le montre bien. C’est dans
cet ordre des mérites qu’on retrouve le même principe que dans le
classement des chœurs angéliques, un principe spirituel qui suppose
la hiérarchie mais ne la fixe pas vraiment d’une manière rigide. C’est
aussi la raison pour laquelle les catégories du Pastoral pourront être
réinterprétées de manière plus sociale au cours du haut Moyen Âge.
Ainsi, Tayon de Saragosse, au milieu du viie siècle, discerne nettement
des clercs et des moines dans les catégories de Grégoire 19.

Les homélies de Grégoire ont connu une très large diffusion. Mais
l’homélie 34 est encore plus diffusée par son insertion très précoce
dans des homéliaires. Le Sermonnaire vatican de la fin du viie siècle et
ses dérivés recopient, sous le nom de Grégoire, pour la fête du Saint-
Ange, les seuls chapitres 6b à 14 de l’homélie 34. Raymond Étaix
suppose d’ailleurs que les seuls emprunts sûrs d’Isidore aux Homélies
de Grégoire dans les Sentences viendraient du Sermonnaire du Vatican
et non pas directement du recueil des quarante homélies. On sait en
effet que la notice d’Isidore sur Grégoire manifeste son ignorance du
recueil des quarante homélies. Par ailleurs, Isidore présente, dans les
Étymologies, le principe des neuf ordres angéliques et la même liste que
Grégoire dans l’homélie 34 20. À partir d’Isidore, la formule se retrouve
chez Beatus de Liébana 21.

18
 Sur Jb 31, 15 : Ne les a-t-il pas créés comme moi dans le ventre ? Un même Dieu nous
forma dans le sein. Omnes homines natura aequales genuit, sed, variante meritorum ordine, alios
aliis dispensatio occulta postponit, Mor 21, 15, 22-24 ; sur dispensatio, C. Ricci-Wallraff, Mys-
terium dispensationis, tracce di una teologia della storia in Gregorio Magno, Rome, 2002.
19
 Cf. J. Batany, « Tayon de Saragosse et la nomenclature sociale de Grégoire le Grand »,
Archivum Latinitatis Medii Aevi [Bulletin Du Cange], 37 (1970), p. 173-182.
20
 Cf. R. Étaix, CCSL, 141, p. xxvii, note 32. Isidore de Séville, Étymologies, livre VII, 5,
4, De Deo, angelis et fidelium ordinibus, PL, 82. Isidore reprend aussi la liste de l’homélie 34
dans le De ordine creaturarum (PL, 83, col. 917a). Voir l’important article d’E. C. Lutz, « In
niun schar insunder geordent gar. Gregorianische Angelologie, Dionysius-Rezeption und
volkssprachliche Dichtungen des Mittelalters », Zeitschrift für Deutsche Philologie, 102 (1983),
p. 335-376.
21
  Beatus de Liébana, Commentarius in Apocalypsin, lib. 2, prologus, cap. 1, 16, éd. H. A.
Sanders, Papers… of the American Academy in Rome, 7 (1930), p. 105.

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Un poème peut-être mérovingien, De adventu Domini et die iudicii,


transmis par des manuscrits d’époque carolingienne  22, contient un
emprunt à l’homélie 34. Il s’agit d’un poème sur le Jugement dernier :
« Vous qui êtes sauvés de la mort et délivrés par la Croix, rachetés par
le sang précieux du fils de Dieu, élevez vos cœurs et cherchez Jésus
avec ardeur… » Un peu plus loin, le poème évoque le jour du Juge-
ment : « Ce sera un jour de colère, jour de brume et d’obscurité, jour
de sonneries de trompette et de clameur, jour de deuil et de ter-
reur… » reprenant Sophonie 1, 15, Dies irae, dies illa qui devait servir
plus tard, au xiiie siècle, dans la liturgie des funérailles. Le poème
caractérise ainsi ce jour :

Que feront les méchants alors que même les saints trembleront devant
l’immense majesté de Jésus-Christ, le fils de Dieu ? Si c’est à peine que le
juste échappe, où se montrera l’impie ? C’est là que les Anges prendront
peur, là que trembleront les Archanges, les Trônes et les Puissances, les
Principautés et les Vertus, les Chérubins et les Séraphins et les Domina-
tions. Alors Jésus-Christ s’assiéra sur le trône d’éternité et le chœur de tous
les saints patriarches, prophètes, apôtres, martyrs et confesseurs sera
assemblé devant lui…

On retrouve ainsi dans ce poème la liste des neuf ordres angéli-


ques, selon un classement modifié pour des raisons de versification.
Cette liste de chœurs angéliques est évidemment empruntée à Gré-
goire et non pas au Pseudo-Denys.
Un autre poème d’époque mérovingienne, Versus in Canticis Can-
ticorum de Deo sanctaeque Ecclesia, se présente sous forme alphabétique :
deux strophes commencent par la lettre A, puis deux par la lettre B,
etc… Il provient de Corbie et a été composé par un pusillus Sicfredus
qui se nomme lui-même dans le poème. Strophe 21 : « Les principaux
chœurs des vertus se réjouissent / l’ordre des Chérubins avec son
associé l’ordre des Séraphins / à propos du si puissant roi apostolique
/ et ils sautent de joie éternellement / la troupe des Vierges vient à
leur rencontre. » Strophe 25 : « Il y a neuf ordres angéliques / Michel
le premier est appelé celui qui est comme Dieu / Le second, Gabriel,
est le messager / il conjoint le royaume du ciel avec la Vierge / le

22
  K. Strecker a utilisé cinq manuscrits, dont  : Verona, Bib. Capitulaire, cod. XC (85),
ixe s., fol. 10v-11r ; Paris, BnF, lat. 1154, Saint-Martial de Limoges, ixe s., fol. 121r et deux
manuscrits de Bruxelles du xe siècle, cf. MGH, Poetae Latini Aevi Carolini, IV, p. 521 ; trad.
dans D. Norberg, Manuel pratique de latin médiéval, Paris, 1968, p. 155-164 à partir de
Clermont-Ferrand, BM, 189, xie s., fol. 149v.

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hiérarchie angélique et hiérarchie ecclésiale chez grégoire le grand

troisième est le médecin Raphaël, le magnifique. » L’inspiration pour-


rait venir d’Isidore de Séville mais le poème dans son ensemble est
largement inspiré par les Moralia de Grégoire ; il s’agit donc sans
conteste de la reprise du passage des Moralia contenant cette mention
des neuf ordres et l’homélie 34 n’est sans doute pas loin 23.

À l’époque carolingienne, il faut mentionner la place de cette
angélologie chez Raban Maur. Dans l’In honorem sanctae crucis, il
reprend cinq fois cette liste des chœurs angéliques ; dans l’un de ses
poèmes également. Il pourrait poursuivre une tradition inspirée des
Pères en général. Or dans le Liber de sacris ordinibus, il reprend la liste
des anges de cette manière :

Les Dominations sont un ordre, l’un des neufs ordres des anges, en effet
il y eut dix ordres des anges, mais le dixième ordre a chuté, et il s’est
transformé, par orgueil, en diable. Les neufs autres ordres sont demeurés
dans leur sainteté. Voici leurs noms ; anges, archanges, vertus, principau-
tés, puissances, trônes, dominations, chérubins, séraphins. Les noms de
ces deux derniers ordres ne sont pas latins. En effet chérubin signifie
plénitude de la science, séraphin signifie l’incendie ; les noms des autres
ordres sont latins, sauf anges et archanges. En effet anges signifient
envoyés, et archanges très hauts envoyés.

Ici, Raban précise clairement sa source : « Grégoire pape romain,


dans son homélie où il commente la leçon évangélique où il est dit :
“les publicains et les pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’écouter”,
a fait un très riche exposé sur ces ordres angéliques 24. » Cette préci-

23
  Letantur chori principales virtutum / Cherubin ordo cum Seraphin socio / De tam terrendo rege
apostolico / Trepudiantque gaudio perenniter / Virginum agmen adit eius obviam… Novem sunt vero
ordines angelice / Michahel primus quis ut deus dicitur / Secundus quippe Gabriel pernuntius /
Coniunxit celi regnum que cum virgine / Medicus tertius Raphahel magnificus. Ce poème est édité
à partir de Paris, BnF, lat 17655, Corbie, fol. 97-99. Voir D. Norberg, « Der kleine Sigfred
von Corbie und Gregor der Grosse », in A. Lehner et W. Berschin, Lateinische Kultur im
VIII. Jahrhundert. Traube Gedenkschrift, Sankt-Ottilien, 1989, p. 195-207. Au viiie siècle, l’Ora-
tio sancti Brandani (éd. P. Salmon, CCCM, 47, Turnhout, 1977, cap. 9) contient une formule
de prière avec les trois archanges, des groupes d’anges, les chérubins et les séraphins, mais
sans atteindre le nombre de neuf.
24
  Raban Maur, In honorem sanctae crucis, éd. M. Perrin, CCCM, 100-100a, Turnhout, 1997 ;
Carmina, carmen 39 (éd. E. Dümmler, MGH P.L.A.C. 2, 1884, p. 198, str. 14) : Bonos creavit
angelos / ordines et archangelos / principatus et virtutes / thronos et dominationes / potestates et
cherubin / gloriosa et seraphin ; Liber de sacris ordinibus, sacramentis divinis et vestimentis sacerdo-
talibus ad Thiotmarum, c. XIX De ordine missae (PL, 112, col. 1181) : (…) Dominationes unus
ordo dicitur de novem ordinibus angelorum, nam decem fuerunt ordines angelorum, sed decimus ordo
cecidit, et versus est, per superbiam in diabolum. Novem autem permanserunt in sanctitate sua. Haec

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sion de Raban Maur permet peut-être par contrecoup de supposer la


présence de l’homélie de Grégoire à l’arrière-plan du thème angéli-
que dans plusieurs textes d’époque carolingienne. C’est le cas à
Auxerre : Haymon commente la péricope de Luc 15 dans une homé-
lie pour le IVe dimanche après la Pentecôte. Il reprend, en résumant
fortement, les éléments de l’homélie de Grégoire et donne une liste
des anges qui vient des Moralia. Son disciple, Heiric d’Auxerre écrit
dans une homélie : « [le Seigneur] désigne les vertus des cieux, les
anges, les archanges, les trônes, les dominations, les principautés et
les puissances, les chérubins et les séraphins, et les troupes de toutes
les vertus célestes. » Il s’agit d’une homélie de l’Avent, et, un peu plus
haut, Heiric fait référence à Grégoire à propos d’une homélie de
l’Avent sur la même péricope. Heiric connaît donc bien les Homélies
sur l’Évangile  25. Considérons l’arrière-plan grégorien de la diffusion
des textes « angéliques » de Denys l’Aréopagite. Jean Scot Erigène
raconte la carrière athénienne de Denys en se recommandant, entre
autres, de Grégoire le Grand. Plus tard, à Saint-Denis, Suger, dans son
Liber de rebus in administratione sua gestis, manifeste l’influence du com-
mentaire érigénien de la hiérarchie céleste en décrivant avec enthou-
siasme l’autel majeur de l’abbatiale de Saint-Denis. Mais il décrit aussi
les pierres précieuses qui ne sont pas mentionnées dans le Pseudo-
Denys et qui sont en revanche dans l’homélie 34 de Grégoire 26.

sunt nomina eorum : angeli, archangeli, virtutes, principatus, potestates, throni, dominationes, che-
rubin, seraphin. Istorum duorum nomina non sunt latina. Cherubin enim plenitudo scientiae inter-
pretatur, seraphin incendium dicitur ; cetera nomina supradictorum ordinum latina sunt, nisi ange-
lorum et archangelorum. Nam angeli nuntii, archangeli vero excelsi nuntii dicuntur. Gregorius papa
Romanus in homilia sua quam super lectionem evangelicam fecit, ubi ita legitur : Erant appropin-
quantes ad Jesum publicani et peccatores ut audirent illum (Luc XV, 1) plenissime de praedictis ordi-
nibus exposuit. Voir E. C. Lutz, « In niun schar insunder… », op. cit.
25
  Haymon [d’Auxerre], Homiliae de tempore, Homilia CXIV, PL, 118, col. 613c-d. Heiric
d’Auxerre, Homiliae per circulum anni, pars hiemalis, hom. 2, éd. R. Quadri, CCCM, 116,
Turnhout, 1992. Cf. D. Iogna-Prat, C. Jeudy et G. Lobrichon, dir., L’École carolingienne
d’Auxerre de Muretach à Remi, 830-908, Paris, 1991. E. C. Lutz (« In niun schar insunder… »,
ibid.) souligne le cas de Sedulius Scottus, Collectaneum in Apostolum, vol. II (in espit. ad
Ephesios), cap. 1, v. 21, p. 563, éd. H. J. Frede et H. Stanjek, Vetus latina. Aus der Geschichte
der lateinischen Bibel, Bd 31 et 32 : Super omnem principatum et potestatem et virtutum et domina-
tionum et reliqua (Ephes. 1, 21). Novem autem angelorum scimus ordines : Angelos, Archangelos,
Virtutes, Potestates, Principatus, Dominationes, Thronos, Cherubin, Seraphin… On notera aussi la
présence du thème angélique chez Aethicus cosmographia, cap. 2, p.  96 (éd. O.  Prinz,
Munich, 1993), et dans la Vita Amandi II de Milon de Saint-Amand (MGH, SRM V,
p. 468).
26
  Y. de Andia, dir., Denys l’Aréopagite et sa postérité (colloque 1994), Paris, 1997, en part. J. Iri-
goin, « Les manuscrits grecs de Denys l’Aréopagite en Occident, les empereurs byzantins
et l’abbaye royale de Saint-Denis en France », p. 19-30 et E. Jeauneau, « L’abbaye de Saint-
Denis introductrice de Denys en Occident », p. 361-378 : Jean Scot Erigène raconte la

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hiérarchie angélique et hiérarchie ecclésiale chez grégoire le grand

On peut s’interroger aussi sur la relation entre l’homélie de Gré-


goire et le culte de saint Michel, en particulier la relation avec la
légende rapportée par Jacques de Voragine  27. Les origines du culte
de saint Michel se rattachent au sanctuaire du Mont Gargan, bien
antérieur à Grégoire. On associe le Mont Gargan à une piété « lom-
barde » mais on pourrait appliquer au culte de saint Michel ce que
Cristina La Rocca a mis en évidence au sujet de saint Sabin 28. Comme
pour Sabin, saint Michel apparaît à la fois romain et lombard et l’ho-
mélie de Grégoire lui donne une légitimité romaine et universelle.
L’établissement d’un sanctuaire dédié à saint Michel au sommet du
mausolée d’Hadrien est probablement dû à Boniface IV qui se situe
dans le prolongement spirituel de Grégoire 29.
Il est intéressant de relever pour finir la place de cette homélie
dans la liturgie du Mont-Saint-Michel. Raymond Étaix a montré que
la bibliothèque d’Avranches conserve trois manuscrits contenant des
lectionnaires patristiques pour l’office et provenant du Mont-Saint-
Michel : les manuscrits 128, 129 et 211, probablement tous trois du
xie siècle. Les manuscrits 128 et 129 semblent presque ignorer les
fêtes de saint Michel. C’est que le manuscrit 211 contient aux folios
156 à 209 un ensemble de textes calligraphiés avec soin et contenant
toutes les leçons pour les fêtes de saint Michel : 8 mai, apparition sur
le Mont Gargan ; 29 septembre et 16 octobre, apparition sur le Mont
Tombe. On y trouve en bonne place les paragraphes 6 à 15 de l’ho-
mélie 34 de Grégoire le Grand, probablement pour le 29 septembre,
affectation qu’on peut déduire par la position des textes les uns par

carrière athénienne de Denys en se recommandant de saint Luc, de Denys de Corinthe, de


Polycarpe, d’Eusèbe et de Grégoire le Grand.
27
  Jacques de Voragine, La légende dorée, trad. J. B. M. Rozé, Paris, 1967, p. 223. Contre la
peste, saint Grégoire faisait chanter les litanies en procession et en portant une image de
la Vierge. Il vit alors l’ange du Seigneur remettant son épée au fourreau au-dessus du châ-
teau de Crescentius, qui s’appelle désormais Château Saint-Ange.
28
 Cf. C. La Rocca, « L’évolution d’une figure hagiographique de l’Italie du haut Moyen
Âge : saint Sabin », Revue belge de philologie et d’histoire, 81-4 (2003), p. 929-943 : il faut dis-
tinguer Sabin de Spolète et Sabin de Canosa, le premier a été associé par G. P. Bognetti à
une « piété lombarde » – rôle de Sabin chez Paul Diacre H.L. livre VI –, pourtant le culte
de Sabin est antérieur aux Lombards et l’essor de son culte doit beaucoup à Grégoire le
Grand dans un contexte purement romain ; on assiste ensuite à un développement du culte
lié à la question des images (cf. Paul Diacre) et encore à une transformation de Sabin à
l’époque carolingienne avant la disparition du culte au xie siècle.
29
 Cf. R. Krautheimer, Rome portrait d’une ville, 312-1308, Paris, 1999, p. 186-187 ; C. Cec-
chelli, « Documenti per… castel San Angelo », Archivio della Società Romana di Storia Patria,
74 (1951), p. 27 sqq. ; C. D’Onofrio, Castel San Angelo, Rome, 1971, p. 56 sqq. et 105 sqq.

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bruno judic

rapport aux autres et par le bréviaire du Mont-Saint-Michel du xve siè-


cle 30.

L’homélie 34 de Grégoire récapitule la déjà longue tradition de


l’angélologie patristique latine. Toutefois cette angélologie est large-
ment commune aux Grecs et aux Latins et l’assimilation d’un texte
grec relativement nouveau, la hiérarchie céleste du Pseudo-Denys,
était possible pour Grégoire malgré sa faible connaissance du grec.
Le thème des neuf ordres angéliques s’est diffusé dans le haut moyen
âge latin à partir de Grégoire, ou d’Isidore qui dépendait de Grégoire,
et a facilité l’introduction du Pseudo-Denys en Occident à l’époque
carolingienne. Durant le ixe siècle, la diffusion des thèmes angéliques
du Pseudo-Denys est très probablement étroitement liée à l’autorité
de Grégoire qui le cite nommément dans l’homélie 34, ce dont témoi-
gne tout spécialement Raban Maur 31.

30
 R. Étaix, « Les homéliaires patristiques du Mont-Saint-Michel », in Dom J. Laporte, dir.,
Millénaire monastique du Mont-Saint-Michel, t.  1 (Histoire et vie monastique), Paris, 1966,
p. 399-415, repris dans Homéliaires patristiques latins, Paris, 1994, p. 275-291. Manuscrit 211 :
fol. 171b-179d, Angelorum et hominum naturam… tergamus maculas pulveris nostri (Grégoire
le Grand, Hom. 34 in Evang., § 6-15, PL, 76, col. 1249c-1256a). Sur le culte de saint Michel :
P. Bouet, G. Otranto et A. Vauchez, dir., Culte et pèlerinage à Saint Michel en Occident. Les
trois monts dédiés à l’archange, Rome, 2003. E. Poulle, P. Bouet et O. Desbordes, dir., Car-
tulaire du Mont-Saint-Michel. Fac-similé du manuscrit 210 de la Bibliothèque municipale d’Avranches,
Les Amis du Mont-Saint-Michel, 2005.
31
 E. C. Lutz (« In niun schar insunder… », op. cit.) montre le développement de l’angélo-
logie grégorienne au cours du Moyen Âge. Il souligne en particulier les débuts de la récep-
tion du Pseudo-Denys au xiie siècle en même temps que la préservation de la tradition
grégorienne. Il développe la fortune du thème angélique au xiiie siècle dans les littératures
vernaculaires, en ancien allemand (Rudolf von Ems), en ancien français (Brunetto Latini)
et en italien (Dante, Paradis, chant 28).

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Dominique Iogna-Prat

Penser l’Église, penser la société


après le Pseudo-Denys l’Aréopagite *

En amical hommage à Martin Heinzelmann

L
e terme « hiérarchie » – du grec hieros (sacré) et archos (fonde-
ment, commencement, commandement) – est d’apparition
relativement tardive dans l’Histoire. Le grec ancien l’ignore et
le Nouveau Testament n’en fait pas usage. Son emploi est directement
lié à l’œuvre d’un néoplatonicien chrétien, sans doute actif en Syrie
dans les années 480-500, connu sous le nom de Pseudo-Denys l’Aréo-
pagite.
La latinité classique connaît hieraticus, employé par Pline, mais pas
hierarchia. De même, la première latinité médiévale ne connaît que
hieraticus et hierarcha. Rufin puis Grégoire le Grand font de « hiérati-
que » un qualificatif un peu précieux s’appliquant à tout ce qui tou-
che les clercs ou les premiers d’entre eux, les prêtres. Dans ses Éty-
mologies, au chapitre des supports de l’écrit (VI, 10, 3), Isidore de
Séville classe le papyrus en trois sortes (auguste, lybienne, hiérati-
que), la troisième étant affectée aux livres sacrés ; plus loin, au cha-
pitre des couleurs (XVI, 15, 19), il qualifie de « hiératique » un ton
ressemblant à la couleur de l’épervier. Le terme hierarchia n’apparaît
dans le monde latin qu’au tournant des années 800. Un rapide exa-
men dans une concordance lexicale automatisée d’usage courant,
telle la concordance du Corpus christianorum (CTLC 5), permet de
prendre la mesure de la soudaineté de l’apparition : aucune occur-
rence dans les deux premiers volumes (des origines chrétiennes au

*
  Une première version de ce travail a été présentée lors d’une journée d’études de l’UMR
5594 du CNRS à Dijon, le 14 avril 2006. Je remercie E. Magnani, A. Rauwel et D. Russo de
leurs remarques critiques. Abréviations utilisées :
•  Denys l’Aréopagite : Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident, éd. Y. de Andia,
Paris, 1997 (collection des Études Augustiniennes, série Antiquité, 151) ;
•  Hankey : W. J. Hankey, « Dionysius dixit, lex divinitatis est ultima per media reducere, Aquinas,
hierocracy and the Augustinisme politique », Medioevo, 18 (1992), p. 119-150 ;
•  HC, HE, TM  : Pseudo-Denys l’Aréopagite, Hiérarchie céleste, Hiérarchie ecclésiastique,
Théologie mystique, PG, 3 (trad. M. de Gandillac, Paris, 1942).

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dominique iogna-prat

monde carolingien), puis une véritable explosion au volume iii (viiie-


xiiie siècle), avec près de 950 occurrences – il est vrai pour une masse
de textes de plus du double par rapport aux deux périodes antérieu-
res. On peut classer ce petit millier d’occurrences dans trois rubri-
ques principales :
•  la plus grande masse provient du corpus dionysien, spécialement
de la Hiérarchie céleste et de la Hiérarchie ecclésiastique dans les différentes
traductions qu’a connues la latinité médiévale. S’y ajoutent naturel-
lement les dérivés du texte que sont les commentaires du Corpus ;
•  viennent ensuite les « hiérarchies » des auteurs mystiques s’ins-
pirant de l’œuvre du Pseudo-Denys l’Aréopagite pour décrire l’éléva-
tion par degrés de l’âme vers l’unification ultime. On peut citer, entre
autres, le très prolixe Bonaventure († 1274), Marguerite Porète – une
mystique dissidente, qui périt sur le bûcher en 1310 –, Jan van Ruus-
broec († 1381) et Thomas a Kempis († 1471) ;
•  d’autres auteurs, peu nombreux au total, recourent au terme
« hiérarchie » pour situer un degré ou un ordre ecclésiastique supé-
rieur. Selon Paschase Radbert († v. 860), c’est à l’aune de la hiérarchie
des offices que les prêtres peuvent être considérés comme des « prin-
ces » parce qu’ils sacrifient à l’autel 1. Beaucoup plus tard, Guillaume
Durand (†  1296) considère les gestes liturgiques des évêques et
« autres supérieurs » à l’aune de la hiérarchie céleste qui distingue les
« dons » de certains anges supérieurs à d’autres  2. De son côté, Ray-
mond Lulle († 1315/1316) fait de la « première hiérarchie » l’ordre
du pape 3.

1. La réception du Pseudo-Denys l’Aréopagite dans


l’Occident latin

1.1. Denys et le Corpus dionysiacum


Sous le nom de Denis (Denys), le Moyen Âge latin a confondu trois
personnes distinctes. La première est le disciple que l’apôtre Paul
gagne à la foi chrétienne à la suite du discours sur l’Aréopage (Actes 17,

1
  Paschase Radbert, In Matheo, VIII, 18, éd. B. Paulus, CCCM, 56a, Turnhout, 1984,
p. 880, l. 2687-2689.
2
  Guillaume Durant, Rationale diuinorum officiorum, I, 8, 18, éd. A. Davril et T. M. Thi-
bodeau, CCCM, 140, Turnhout, 1995, p. 205-206, l. 288-293.
3
  Raymond Lulle, Liber disputationis Petri et Raimundi, éd. A. Oliver et M. Senellart,
CCCM, 78, Turnhout, 1988, 5, l. 509.

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

34) et qui devient le premier évêque d’Athènes. La seconde est le


Denis, évangélisateur et premier évêque de Paris, qui, aux dires de
Grégoire de Tours, a été martyrisé sous l’empereur Dèce (249-251).
La troisième est l’auteur anonyme du Corpus dit « dionysien ». L’amal-
game entre les trois personnes est opéré par l’abbé de Saint-Denis en
France, Hilduin († v. 840), dans sa Vie de saint Denis. Cet amalgame est
mis en doute au xiie siècle par Abélard, mais il faut attendre l’huma-
niste italien Lorenzo Valla (1407-1457) pour que la confusion des
personnes soit démontrée et que soit restitué au Corpus son caractère
pseudépigraphique.
Le Corpus dionysiacum est constitué de cinq livres : la Hiérarchie
céleste, la Hiérarchie ecclésiastique, les Noms divins, la Théologie mystique et
un recueil de dix Lettres. La connaissance de cet ensemble en Occident
ne semble pas antérieure à la seconde moitié du viiie siècle, même si
les neuf ordres d’anges énumérés par Grégoire le Grand dans son
Homélie 34 sur l’Évangile trahissent une connaissance au moins indi-
recte de la pensée hiérarchique de l’Aréopagite 4. La transmission du
Corpus dionysiacum en Occident est un événement majeur des temps
carolingiens  5. En 758, le pape Paul Ier fait parvenir à Pépin le Bref
une petite collection de textes grecs, dont l’œuvre (ou une partie de
l’œuvre) du Pseudo-Denys l’Aréopagite  6. En 827, Louis le Pieux
reçoit de la cour impériale de Constantinople un exemplaire du Cor-
pus, et, en 832, il en confie la traduction à Hilduin, qui livre un texte
fort hermétique. Vingt ans plus tard, Charles le Chauve demande à
Jean Scot (Érigène) de se remettre à l’ouvrage ; c’est la version latine
du Corpus dionysiacum qui s’impose jusqu’au xiie  siècle, époque à
laquelle les écrits du Pseudo-Denys font l’objet de deux autres traduc-
tions, par Jean Sarrasin (vers 1167) et Robert Grosseteste
(1168-1253).

1.2. Dionysisme et érigénisme
Jean Scot (Érigène) ne traduit pas simplement l’œuvre du Pseudo-
Denys ; il l’interprète aussi minutieusement dans ses propres écrits,

4
  Grégoire le Grand, Homélie 34 sur l’Évangile, PL, 76, col. 1254b. C. Carozzi (« Hiérarchie
angélique et tripartition fonctionnelle chez Grégoire le Grand », in C. Carozzi et H. Taviani-
Carozzi (dir.), Hiérarchies et services au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 2001, p. 31-51) y voit
même la source de l’une des premières attestations de schéma tripartite et trifonctionnel
dans l’Occident médiéval. Voir dans ce volume la contribution de B. Judic.
5
  J. Irigoin, « Les manuscrits grecs », in Denys l’Aréopagite, p. 19-29 (p. 19-20).
6
  MGH, Epistolae, III, p. 529, l. 19-22.

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dominique iogna-prat

notamment dans les Expositions sur la hiérarchie céleste et le Periphyseon.


Son apport à la réception du Pseudo-Denys se fait dans trois directions
complémentaires :
•  il contribue à répandre et à populariser – même si la réception
se limite au monde des lettrés – les notions de base de la pensée dio-
nysienne, entre autres : la conception de la « hiérarchie » comme
administration, disposition de l’ordre du divin, comme expression de
la loi qui régit la Création et instaure un « ordre naturel » ; la notion
de « dignité », entendue non seulement en terme de position hiérar-
chique au sein de l’ordre d’ensemble (céleste, ecclésial, social) mais
aussi de dynamique personnelle 7. Au total, on peut dire que l’Érigène
lecteur du Pseudo-Denys et de ses interprètes dans l’Église orientale,
tel Maxime le Confesseur, impose une méditation sur l’ordre du Créé
combinant une cosmologie et une anthropologie spirituelle qui per-
met de penser l’harmonie commune aux sphères célestes, à la société
des hommes et aux mouvements du cœur ;
•  dans son œuvre de panégyriste, spécialement ses poèmes, Jean
Scot contribue à instituer la réflexion sur le pouvoir dans un cadre
dionysien. La question, à dire vrai jamais abordée de front, mériterait
une étude en soi dans la dynamique des travaux de Nikolas Staubach 8.
Je me contente, à la suite d’Édouard Jeanneau, de citer ici un extrait
de poème célébrant dans une même louange le saint (Denys) et le
souverain (Charles le Chauve) :

Ô Denys […]
Du haut de ton céleste trône, jette un regard favorable
Sur les offrandes votives de Charles, ton fils : il orne tes saintes reliques
Et ton temple chéri de parures magnifiques,
Où, telles des flammes, étincellent les gemmes et l’or.
Des nuages d’encens enveloppent et embaument les autels.
Les chants harmonieux du chœur (le thiase) s’élèvent vers les Cieux.
Les ministres sacrés préparent la sainte Cène 9.

7
  Bonne mise au point récente sur le « dionysisme » de l’Érigène par C. Arruzza, « Ordo e
mediazione gerarchica nelle Expositiones in ierarchiam coelestem di Giovanni Scoto Eriugena »,
Studi medievali, 3e s., 44/1 (2003), p. 117-145.
8
 N. Staubach, Rex Christianus. Hofkultur und Herrschaftspropaganda im Reich Karls des Kahlen,
II (Die Grundlagen der « religion royale »), Cologne, 1993 (Pictura et Poësis, 2/II).
9
  Jean Scot, Carmina, IV, 2, v. 12-20, MGH, Poetae aevi carolini, III, p. 545, v. 14-20, trad.
É. Jeauneau, « L’abbaye de Saint-Denis », in Denys l’Aréopagite, p. 361-378 (p. 368) : Prospice
caelestis uitae de sedibus altis / Vota tui TEKNI Karoli tua ΛΕΙΨAΝA sancta / Ornantis gratamque
tuam magnalibus aedem, / Instar flammarum gemmis flagrantibus, auro. / Undique turicremis redo-

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

•  comme l’ont noté plusieurs historiens de la philosophie et his-


toriens de l’art – spécialement Édouard Jeauneau et Jean Wirth –, Jean
Scot ne va pas peu contribuer, dans le sillage du Pseudo-Denys, à sti-
muler la réflexion en matière de théophanie et de manifestation de
l’invisible. Contentons-nous, une nouvelle fois, d’un exemple
emprunté aux Expositions sur la Hiérarchie céleste, qui, sur le mode de
l’anagogie, fait de la pierre le medium de la lumière :

Les lumières matérielles, qu’il s’agisse de celles que la nature a distribuées


dans les espaces célestes, ou de celles que l’artifice des hommes produit
sur terre, sont les images des lumières intelligibles et, par-dessus tout, les
images de cette vraie lumière qui éclaire tout homme venant dans le
monde et qui brille toujours sans s’éteindre jamais dans les intellects de
l’ange et de l’homme 10.

De ce point de vue, il est capital de rappeler, à la suite d’Andrew


Louth, que l’actualité du Pseudo-Denys en Occident est contempo-
raine de la querelle des images et de la réponse apportée par Rome
et par les Carolingiens aux décrets contre l’iconoclasme du concile
de Nicée II (787) 11. En Orient, le Pseudo-Denys ne joue pas de rôle
particulier dans les débats. Pourtant, dans une lettre à Angilbert de
Saint-Riquier et à Charlemagne, le pape Hadrien Ier appuie son choix
d’une via media entre iconodoulie et iconoclasme en s’abritant der-
rière un passage de la Hiérarchie céleste (I, 3) dans lequel l’Aréopagite
soutient qu’il est nécessaire de recourir à des images visibles pour
remonter au divin 12. Certes Dieu demeure invisible, mais les images
permettent d’accéder à sa présence, un peu à la manière de Moïse
qui, sur le Sinaï, « ne contemple pas Dieu, qui est invisible, mais le
lieu de sa présence  13 ». C’est ainsi que l’Aréopagite participe à la
« métamorphose de la vision » à laquelle œuvre Hadrien, qui tend à

lent altaria fumis ; / Harmonici cantus ΦΙΑCΩΤΩΝ sidera pulsant ; / Officio uatum sanctissima
cena paratur…
10
  Jean Scot, Expositiones in Hierarchiam caelestem, I, 534-539, éd. J. Barbet, CCCM, 31,
Turnhout, 1975, p. 15-16 : Materialia lumina, siue que naturaliter in celestibus spatiis ordinata
sunt, siue que in terris humano artificio efficiuntur, imagines sunt intelligibilium luminum ac super
omnia ipsius uere lucis, que illuminat omnem hominem uenientem in mundum, que semper et inex-
tinguibiliter in angelicis humanisque intellectibus ardet  ; cité par É. Jeauneau, « L’abbaye de
Saint-Denis », in Denys l’Aréopagite, p. 376, et J. Wirth, L’image à l’époque romane, Paris, 1999,
p. 372.
11
 A. Louth, « St Denys the Areopagite and the iconoclast Controversy », in Denys l’Aréopagite,
p. 329-339.
12
  MGH, Epistolae, V, III, 2, p. 5-57 (c. 36, p. 32-33).
13
  TM, 1, 3, col. 1000d, trad. latine Jean Scot, PL, 122, col. 1173.

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dominique iogna-prat

faire de la « vision corporelle la condition nécessaire à la vision spiri-


tuelle ». Dès lors, l’Église devient l’espace d’inscription du divin en
tant que « réelle absence », le lieu de sa visibilité différée  14. Piotr
Skubiszewski s’autorise de cette influence de la pensée dionysienne,
via Jean Scot dans son analyse d’une représentation de l’Ecclesia, dans
un manuscrit ottonien de la fin du xe siècle appartenant au « groupe
de Liuthar » 15. Il s’agit, en fait, d’une représentation double, placée
en vis-à-vis, de façon à articuler les deux faces de l’Église (fig. de cou-
verture). Au point d’arrivée, Dieu figure entouré d’anges et des élus.
C’est l’Église céleste en attente. Au point de départ, l’Église pérégri-
nante est représentée sous la forme d’une procession sacramentelle
depuis le baptême jusqu’à l’eucharistie ; la « spirale ascendante » des
fidèles est nettement divisée en deux ordres (laïcs et ecclésiastiques)
de neuf personnes – ce dernier chiffre combiné à une procession
hiérarchiquement ordonnée faisant immanquablement penser à la
conception de l’Église héritée de l’Aréopagite. Resterait à préciser –
mais c’est hors de propos ici – la place que cette construction icono-
graphique marquée par la pensée dionysienne occupe dans la genèse
des images globales d’Église entre la fin de l’époque carolingienne et
les temps grégoriens 16.

1.3. Lectures du Pseudo-Denys antérieures à 1030


Est-il raisonnable d’envisager une influence même indirecte de
l’Aréopagite dans les représentations de l’Église à la fin du xe siècle ?
La question mérite d’autant plus d’être posée que, sans doute sans le
savoir, Piotr Skubiszewski va à l’encontre de toute la vulgate des histo-
riens de la philosophie et de la théologie, lesquels ont noté un blocage
dans la réception de l’œuvre du Pseudo-Denys lié à la marginalisation
de la pensée de l’Érigène dès la fin du ixe siècle, le revival dionysien
au xiie  siècle s’accompagnant d’un regain d’intérêt pour l’érigé-
nisme 17. De nombreuses attestations dans les sources des xe et xie siè-
cles confortent l’intuition Piotr Skubiszewski et viennent étayer la

14
  H. L. Kessler, Spiritual Seeing. Picturing God’s Invisibility in Medieval Art, Philadelphie,
2000, chap. 6, p. 104-148 (p. 123).
15
  P. Skubiszewski, « Ecclesia, christianitas, regnum et sacerdotium dans l’art du xe-xie siècle.
Idées et structures des images », Cahiers de civilisation médiévale, 38 (1985), p. 133-179.
16
  Je dois cette remarque à D. Russo. Sur les images globales d’Église, voir, outre l’étude de
P. Skubiszewski, H. Toubert, « Les représentations de l’Ecclesia dans l’art des xe-xiie siècles »,
in Ead., Un art dirigé. Réforme grégorienne et iconographie, Paris, 1990, p. 37-63.
17
 Sur cette dernière question : É. Jeauneau, « Jean de Salisbury et la lecture des philoso-
phes », Revue des études augustiniennes, 29 (1983), p. 145-174.

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

thèse d’une influence diffuse du Pseudo-Denys bien avant la pré-sco-


lastique. Je me limite à quelques cas plus ou moins connus :
•  dans un passage de son Occupatio (I, 82-85), Odon de Cluny
(† v. 942) aborde le problème de l’apparition de la lumière divine et
de la création de la généalogie angélique en des termes qui sentent
fort le dionysisme :

D’abord le roi ordonn[a] les cohortes angéliques ;


Il prit soin de leur imprimer son propre type divin : la lumière ;
Il fit que ce grand bien échappe à la boue ;
Il distingua la sainte généalogie en neuf ordres 18.

•  un demi-siècle plus tard, la correspondance de Fulbert de Char-


tres atteste que de grandes notions empruntées à l’Aréopagite et/ou
à l’Érigène ont gagné la topique amicale des clercs lettrés qui se sou-
haitent réciproquement de «  participer à la suressence de la divi-
nité 19 » ;
•  à la même époque, le quatrième abbé de Cluny, Maieul (954-994),
est présenté par l’un de ses biographes comme un lecteur assidu des
Hiérarchies du Pseudo-Denys ; et c’est peut-être en souvenir de cette
lecture de prédilection que le martyrologe de Marcigny-sur-Loire fait
mémoire de Maieul comme « théosophe ». J’ai montré qu’elle a pu
être l’influence du Pseudo-Denys, via l’Érigène et l’œuvre d’Heiric
d’Auxerre, sur le dossier hagiographique du saint élaboré entre
Auxerre et Cluny peu après l’an Mil 20. Nous reviendrons plus loin sur
la façon dont le dionysisme a permis, dès l’époque carolingienne,
l’élaboration d’une nouvelle théologie de la vie sainte ;
•  toujours dans les mêmes années, mais dans le milieu des évêques
opposés à l’expansionnisme clunisien, Adalbéron de Laon (977-1031),
dans son Poème au roi Robert, se réfère explicitement aux enseigne-
ments de l’Aréopagite pour soutenir que le roi a reçu de la bien-
veillance divine « l’intelligence de la vraie sagesse » et qu’il a ainsi
accès à la Jérusalem céleste, à ses « différents séjours », à ses « princi-

18
  Rex prius angelicas, quae est lux, iubet esse cohortes / Pressius his diuam suimetque impressit ideam.
/ Hoc tam grande bonum nil fecit habere lutosum / Ordinibus nouem distinxit stemma beatum.
19
  Fulbert de Chartres, Ep. 1 (à Abbon de Fleury), éd. F. Behrends, The Letters and Poems
of Fulbert de Chartres, Oxford, 1976, p. 2-9 (p. 2) : Denique ut participando superessentiam deita-
tis deus fias, sic te resaluto…
20
 D. Iogna-Prat, Agni immaculati. Recherches sur les sources hagiographiques relatives à saint
Maieul de Cluny (954-994), Paris, 1988, p. 121-141 et 313-318.

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pautés », à ses « citoyens » qui sont autant de « pierres vivantes »  21.


Ces « citoyens » sont, idéalement, les fidèles dont l’évêque et le roi
ont, chacun à leur manière, la charge, parce que c’est à eux qu’in-
combe la bonne marche de la « maison de Dieu », laquelle est à la fois
« simple » dans son « office » (ou sa finalité) et « triple » dans la dis-
tribution fonctionnelle des charges entre ceux qui prient, ceux qui
combattent et ceux qui travaillent  22. C’est dire l’importance des
emprunts à l’Aréopagite sur le plan des théories politiques élaborées
par les clercs doctrinaires au tournant de l’an Mil. Nous reviendrons
plus loin sur cette question des rapports entre la pensée dionysienne
et l’élaboration du schéma des trois ordres fonctionnels.

2. De nouveaux cadres pour penser l’ecclésial et le social

De fait, l’œuvre du Pseudo-Denys l’Aréopagite fournit de nouveaux


cadres pour penser l’ecclésial et le social, cela dès le premier tiers du
ixe siècle et sans interruption jusqu’au revival dionysio-érigénien du
xiie siècle.

2.1. Une théorie globale


Le premier intérêt de l’apport dionysien est d’articuler enseigne-
ments scripturaires et cosmologie néo-platonicienne pour offrir une
théorie globale de l’ordre du monde permettant d’appréhender les
harmonies communes au céleste, au terrestre et au cœur humain, en
d’autres termes de conjoindre une cosmologie, une sociologie et une
psychologie. Quelle que soit la focale d’analyse adoptée – macrosco-
pique (la Maison-monde), moyenne (la société des hommes), ou
microscopique (la personne) –, l’ensemble du Créé est régi par les
mêmes mouvements qui sont de trois types et donnent naissance à
trois modes d’appréhension du divin : le mouvement circulaire est
propre à la théologie mystique ; le mouvement hélicoïdal relève de la
théologie discursive, c’est-à-dire de l’effort de connaissance ; tandis
que le mouvement intermédiaire – le mouvement droit – régit la théo-
logie symbolique qui permet de « s’élever anagogiquement du sensi-
ble à l’intelligible et des images sacrées et symboliques aux cimes

21
  Adalbéron de Laon, Carmen ad Rotbertum regem, éd. et trad. C. Carozzi, Paris, 1979 (Les
classiques de l’histoire de France au Moyen Âge, 42), v. 192-195, 204-207 et 218 (renvoi
au Pseudo-Denys).
22
  Adalbéron de Laon, Carmen…, ibid., v. 295-300.

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

simples des hiérarchies célestes », comme l’explique le Pseudo-Denys


dans un passage des Noms divins (8-9). Précisons, pour la suite du
propos sur les degrés de la hiérarchie, que les sacrements ressortissent
du mode anagogique propre au mouvement droit et que la théologie
symbolique est d’abord une théologie sacramentelle mettant au cen-
tre du dispositif hiérarchique les médiations ecclésiales – décor, monu-
ments, rituels, objets liturgiques  23. Chacun de ces mouvements per-
met une remontée par degrés du créé vers l’Incréé, de l’humain vers
le divin, suivant une loi d’ensemble, « la loi de divinité », qui ramène
l’inférieur au supérieur en passant par le stade moyen – reducere infima
per media ad summa.
Cette « loi de divinité », qui régit le processus de remontée à trois
termes (inférieur, moyen, supérieur), impose une dynamique hiérar-
chique au sein de laquelle jonction et médiation jouent un rôle
majeur. Les deux œuvres centrales du Pseudo-Denys, la Hiérarchie
céleste et la Hiérarchie ecclésiastique, entendent ainsi cerner l’ordre hié-
rarchique dont le but est de « conférer aux créatures, autant qu’il se
peut, la ressemblance divine et de les unir à Dieu 24 », parce que l’or-
dre vient de Dieu et doit y revenir ; c’est un mouvement processif et
rétrocessif (voir schéma). La hiérarchie est constituée d’une collec-
tion ordonnée de degrés qui ont en commun de participer à la sagesse
et au savoir, comme « toutes les intelligences [vivant] en conformité
avec Dieu », mais qui se distinguent par « le caractère plus ou moins
immédiat, plus ou moins primordial de cette participation » 25. D’où
l’importance de la transmission par degrés, chaque ordre de la hié-
rarchie étant, à l’exception du tout premier directement illuminé par
Dieu, à la fois initié par l’essence précédente et initiateur de l’essence
inférieure. Selon le degré hiérarchique mais aussi suivant l’effort de
purification de chacun, on participe donc plus ou moins à l’effusion
bienheureuse ; on est plus ou moins transparent à la lumière divine
et on est un reflet plus ou moins fidèle de l’Un, ce principe unificateur
de la Création, qui est la définition même de Dieu auquel chacun
tarde de s’unifier. À l’image de la Trinité et du modus operandi de la
« Théarchie » – ou principe organisateur du divin –, la structure d’en-
semble de la hiérarchie et chacun de ses degrés sont trines :

23
 Sur ces trois mouvements : C.-A. Bernard, « La triple forme du discours théologique
dionysien au Moyen Âge », in Denys l’Aréopagite, p. 501-513 (p. 506).
24
  HC, III, 2, col. 165a (trad. p. 196).
25
  HC, XII, 2, col. 292d-293a (trad. p. 225-226).

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La Théarchie […] purifie d’abord les intelligences dans lesquelles elle


pénètre. Ensuite elle les illumine. Une fois illuminées, elle les parfait en
les consacrant dans leur conformité divine. Ainsi on comprend bien que
la hiérarchie, qui est constituée d’images divines, se divise en ordres et
puissances distincts, pour manifester clairement que les opérations théar-
chiques demeurent inébranlables dans les ordres très saints et sans
mélange 26.

Sur ce modèle ternaire, la hiérarchie céleste est constituée de trois


fois trois ordres. L’ordre supérieur, qui reçoit directement l’illumina-
tion de la Théarchie divine, est occupé par les séraphins, les chérubins
et les trônes. L’ordre moyen regroupe les seigneuries (ou domina-
tions), les puissances et les pouvoirs (ou vertus). Le troisième est
constitué des principautés, des archanges et des anges ; c’est cet ordre
« qui, à travers les degrés de sa propre ordonnance, préside aux hié-
rarchies humaines afin que se produisent de façon ordonnée l’éléva-
tion spirituelle vers Dieu, la conversion, la communion, l’union et en
même temps le mouvement processif de Dieu lui-même 27 ».
Assurant le pont entre l’au-delà et l’ici-bas, Jésus, Dieu incarné,
« principe et fin de toute hiérarchie », est placé au point d’articulation
entre les deux hiérarchies, céleste et ecclésiastique, qui sont structu-
rées de façon homologue 28. La hiérarchie ecclésiastique est donc, elle
aussi, formée d’un ensemble de trois fois trois triades. Vient d’abord
l’ordre des « très saintes consécrations sacramentelles » qui est, à la
jonction du divin et de l’humain, l’espace de la purification, de l’ini-
tiation et, par la grâce de l’eucharistie, le « sacrement des sacrements »,
de la <comm>union – l’objet de la « divine liturgie » étant de former
« un chœur unique et homogène d’hommes saints 29 ». Les fonctions
liturgiques sont exercées par les «  initiateurs  » regroupés dans le
second ordre. Il s’agit du corps sacerdotal, constitué des grands prê-
tres, des sacrificateurs et des ministres. De bas en haut de la hiérarchie
cléricale, les premiers purifient, les seconds (les prêtres) illuminent
et les troisièmes (les hiérarques ou évêques) consacrent ; leurs fonc-
tions correspondent très exactement aux opérations de la Théarchie :
purification, illumination, consécration. Au bas de la pyramide, se
trouve l’ordre des initiés, qui regroupe les moines, le peuple saint et

26
  HE, V, 7, col. 508d-509a (trad. p. 300).
27
  HC, IX, 2, col. 260a-b (trad. p. 218-219).
28
 R. Roques, L’univers dionysien. Structure hiérarchique du monde selon le Pseudo-Denys, Paris,
1983, p. 319-329.
29
  HE, III, 5, col. 432a (trad. p. 269).

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les simples purifiés – spécialement les néophytes et les pénitents. L’or-


dre monacal, qui fait la jonction entre les initiateurs et les initiés, suit
« la parfaite philosophie » qui mène à l’unification ; n’ayant pas « mis-
sion à diriger les autres » et « demeurant stable dans sa sainte unité »,
il obéit aux ordres sacerdotaux 30.

2.2. Hiérarchie ecclésiastique
Le faible intérêt porté par les historiens à la réception de l’œuvre
du Pseudo-Denys dans l’Occident latin explique l’absence (ou la
quasi-absence) de toute évaluation des effets ecclésiologiques du sys-
tème hiérarchique dionysien. C’est cette délicate question qu’il
convient maintenant d’aborder.

2.2.1. Un tournant « médiatique »


Le premier effet du Corpus dionysiacum sur les conceptions et les
représentations de l’Ecclesia touche au problème des nécessaires
médiations au sein du Tout hiérarchisé qu’est la communauté des
fidèles aspirée vers l’au-delà. On peut dire que l’Aréopagite donne
une nouvelle présence à d’anciens médiateurs et qu’il contribue à la
visibilité d’un nouvel acteur : le bâtiment ecclésial.
Au titre des anciens médiateurs, j’inclus à la fois les clercs, les saints
et les anges :
•  aux premiers, distribués depuis le début du iie siècle au moins
en ordres et en grades suivant des systèmes distributifs divers en voie
d’unification à l’époque carolingienne, la « loi de divinité » diony-
sienne vient offrir une logique d’ensemble, un peu comme le ciment
d’une « théorie explicative », pour reprendre l’expression d’Alexan-
dre Faivre 31. Notons que cette théorie s’impose au moment même où
évêques et prêtres – égaux selon l’ordre, à défaut de l’être en dignité
– s’imposent comme « un segment fondamental de la hiérarchie ecclé-
siastique et un modèle d’ensemble de la société » 32 ;
•  aux seconds, les saints, la théologie dionysienne attribue, si l’on
peut dire, une épaisseur inédite. Certes le Pseudo-Denys n’est pour

30
  HE, VI, 2 et 3 (trad. p. 308-309).
31
 A. Faivre, Naissance d’une hiérarchie. Les premières étapes du cursus clérical, Paris, 1977,
p. 203.
32
  G. Bührer-Thierry, « Compte rendu » [C. van Rhijn, Shepherds of the Lord. Priests and
Episcopal Statutes in the Carolingian Period, Turnhout, 2007 (Cultural Encounters in Late
Antiquity and the Middle Ages, 6)], The Medieval Review (24-01-2008).

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rien dans l’installation de ces morts d’exception au sein des hiérar-


chies célestes. C’est le propre de la communion des saints d’agréger
au plus vite les athlètes de Dieu aux habitants d’en-haut. Souvenons-
nous, par exemple, de la célébration par Venance Fortunat, dans son
poème sur la virginité, des noces du roi dans la Cité du Ciel et de la
description du chœur des « dignitaires » : chérubins, séraphins et
« autres bienheureux comtes ailés », que rejoint le cortège des saints
venus de tous les points de l’univers 33. Je me demande néanmoins –
mais c’est une pure hypothèse – si ce type de cortège hiérarchisé de
« dignitaires » ne gagne pas en actualité, à l’époque carolingienne,
sous l’influence diffuse des hiérarchies dionysiennes. Pensons, pour
ne retenir qu’un cas parmi de nombreux possibles, à l’assemblée
céleste que Milon met en scène dans un passage de sa Vie de saint
Amand, sous la forme d’une procession composée des anges, des
archanges, des trônes, des seigneuries, des pouvoirs, des puissances,
des chérubins et des séraphins chantant à l’unisson la sainteté du
Seigneur des armées 34. Cette hypothèse gagne en fermeté quand l’on
considère la représentation d’ensemble faite de la « sainte église » à
partir de l’époque carolingienne – une représentation propre à met-
tre en valeur la fonction médiatrice des saints. Un exemple frappant
est fourni par une illustration célèbre d’un sacramentaire de Fulda
de la fin du xe siècle (fig. 1) 35. La scène représente une adoration de
l’Agneau dont le sang est recueilli dans un calice par Ecclesia. Les
personnages situés de part et d’autre, à commencer par les sept moi-
nes placés en bas à droite à la suite de saint Benoît, figurent « l’Église
saisie dans sa totalité et dans l’intemporel  36 ». L’image orne l’office
de la dédicace de l’église de Fulda, fêtée chaque année le 1er novem-
bre en même temps que la Saint-Césaire et la Toussaint, la collusion
entre Toussaint et dédicace d’église permettant à l’illustrateur de
jouer sur les rapports entre l’Église universelle et l’Église monastique
représentée par saint Benoît et les sept moines.
Terminons ce point par un rappel sur la marque incontestable de la
théologie dionysienne, pure ou filtrée par l’Érigène, sur la conception
de la sainteté. C’est une question que j’ai été amené à aborder dans

33
  Venance Fortunat, Carmina, VIII, 3, in Id., Poèmes, II, éd. et trad. M. Reydellet, Paris,
2003, p. 129-146 (v. 129 sq.).
34
  Milon, Vita sancti Amandi, MGH, SRM, V, 5, p. 428-485 (p. 468 et 474).
35
 Sur les sacramentaires de Fulda et leurs illustrations : É. Palazzo, Les sacramentaires de
Fulda. Étude sur l’iconographie et la liturgie à l’époque ottonienne, Münster i. W., 1994 (Litur-
giewissenschaftliche Quellen und Forschungen, 77), spéc. p. 73-76.
36
  H. Toubert, « Les représentations de l’Ecclesia… », op. cit., p. 59.

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

le cadre de ma thèse sur le dossier hagiographique relatif à saint


Maieul de Cluny. Mes conclusions avaient, à l’époque, fait l’objet de
commentaires critiques par un grand spécialiste des légendiers latins,
Guy Philippart, lequel tenait (tient peut-être encore) l’hagiologie
pour une « anti-théologie », pour un écart sui generis des discours
dogmatiques 37. Une des Vitae du riche dossier de saint Maieul (BHL
5179) a probablement été composée par le moine Syrus à Auxerre
même ou dans l’influence des œuvres conservées dans la bibliothèque
de Saint-Germain d’Auxerre, établissement réformé par Maieul en
987/989. La marque auxerroise de cette Vie tient aux emprunts mas-
sifs faits à l’œuvre métrique que le troisième maître carolingien de
cette célèbre école monastique, Heiric, a consacrée à la célébration
de saint Germain (Vita et Miracula sancti Germani), un peu comme si
l’hagiographe de Maieul avait cherché à écrire une Vie du réformateur
parallèle à celle du fondateur. Ce recours à Heiric a pour conséquence
d’intégrer dans la Vita Maioli les propres emprunts d’Heiric au Peri-
physeon de Jean Scot et ceux de ce dernier au corpus dionysien. En
résulte une inflexion générale du modèle hagiographique sous l’in-
fluence des enseignements du platonisme chrétien, la sainteté étant
conçue comme un mode de diffusion de l’Un créateur et de manifes-
tation des « dons de l’Esprit généreux ». Cet Esprit, dit à la fois un,
singulier et multiple, est partout sans sortir de lui-même, stable et en
action, tout et rien en particulier. Ces qualifications sont tout impré-
gnées de la pensée dionysienne, qui cherche à cerner un problème
clé du néo-platonisme : les rapports de l’absolue unité avec la pluralité
de ses manifestations, ce qui suppose, avec Proclus, de penser l’Un et
ses manifestations en termes d’unité substantielle (monade) et d’uni-
tés fonctionnelles (hénades). C’est dans le cadre de cette réflexion
sur les rapports de l’Un au multiple que s’inscrit la conception de la
sainteté d’Heiric puis de Syrus. Cette sainteté est, par la dynamique
de l’irradiation et de l’unification, une manifestation fonctionnelle
de l’Un. Chanter le saint revient donc à décrire une loi providentielle
et harmonieuse, loi du retour gradué des effets vers leur cause qui
règle les rapports du créé multiple et de l’Un créateur 38 ;

37
  G. Philippart, « Le saint comme parure de Dieu, héros séducteur et patron terrestre
d’après les hagiographes lotharingiens du xe siècle », in J.-Y. Tilliette (dir.), Les fonctions
des saints dans le monde occidental (iiie-xiiie siècle), Rome, 1991 (Bibliothèque de l’École française
de Rome, 149), p. 123-142 (p. 131 et 141).
38
 D. Iogna-Prat, Agni immaculati…, op. cit., p. 316.

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•  des saints passons aux anges et autres hiérarchies célestes célé-


brées par le Pseudo-Denys. L’angélologie du Moyen Âge latin s’ali-
mente, outre le fonds biblique, à deux sources majeures, Augustin et
le Pseudo-Denys, avant d’être renouvelée, au courant du xiiie siècle,
par la cosmologie aristotélicienne et la tradition philosophique gréco-
arabe. D’Augustin au Pseudo-Denys, on passe de l’empirisme à une
théorie cosmologique, de l’ange connaisseur privilégié de Dieu, pro-
tecteur invisible (daimon, genius), citoyen de la Cité céleste placé entre
l’ici-bas et l’au-delà pour ouvrir la voie aux élus, à une entité miéda-
trice, au plus proche de l’Essence, qui est intégrée dans un ordre
hiérarchique triadique et dont la fonction est la révélation de la réalité
divine et la conversion du créé vers le Principe premier 39. Il est frap-
pant de noter que le tournant des années 800, époque d’ouverture
généralisée de l’Occident latin au dionysisme, est aussi le moment
d’explosion d’une angélologie débridée que les autorités ecclésiasti-
ques et civiles s’emploient à endiguer 40. À preuve, l’affaire Adalbert
(ou Aldebert), du nom de ce clerc contemporain de Boniface, qui
prétend avoir reçu une lettre du Ciel par l’intermédiaire de l’archange
Michel, être en relations constantes avec les anges et recevoir d’eux
des reliques. Le concile de Latran (745) suivi par un capitulaire de
Charlemagne décident de limiter les invocations angéliques à Michel,
Gabriel et Raphaël. Mais cette limitation vaut aussi officialisation.
Michel, dont le culte est vivant depuis le ve siècle au moins en Occi-
dent, s’impose alors dans le paysage avec de multiples sanctuaires sur
les lieux élevés, tels le Mont Gargan et le Mont-Saint-Michel, et les
chapelles hautes des sanctuaires carolingiens. Tout aussi frappante est
la présence liturgique des archanges protecteurs du trône royal et
impérial, spécialement dans les litanies et les laudes regiae, sans oublier
la messe votive « de sollicitation des suffrages angéliques » 41. On peut
penser que cet exemple venu du sommet de la hiérarchie politico-
ecclésiastique gagne ensuite par capillarité la spiritualité des élites
aristocratiques. Au témoignage de Raoul Glaber, le comte d’Anjou
Foulques Nerra (987-1040) cherche à se laver du sang versé dans de
nombreuses entreprises guerrières en se rendant par trois fois en
pèlerinage à Jérusalem. Revenu « en paix avec lui-même », le comte

39
  T. Suarez-Nani, « Angélologie », in C. Gauvard, A. de Libera et M. Zink (dir.), Diction-
naire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 57-59.
40
  P. Faure, « L’ange du haut Moyen Âge », Médiévales, 15 (1988), p. 31-48 (p. 36-41).
41
  J. Deshusses, Le sacramentaire grégorien, t. 2, Fribourg, 1988 (Spicilegium friburgense, 24),
p. 14 et 47-48.

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décide de fonder un monastère à Baulieu-lès-Loches qu’il place sous


le patronage de la sainte Trinité et « des célestes vertus des chérubins
et des séraphins que l’autorité des textes sacrés place au plus
haut » 42 ;
•  venons maintenant, pour en finir avec ce tournant médiatique
du dionysisme, à la visibilité donnée à un nouvel acteur : le bâtiment
ecclésiastique. Je serai bref puisque ce problème est au centre du
travail que j’ai consacré, dans La Maison Dieu, à l’évolution du discours
clérical en matière de lieu de culte à l’époque carolingienne 43. Je me
contenterai de deux rappels. Le premier pour souligner que c’est à
ce moment de l’histoire de l’Occident latin que s’impose le rituel de
consécration d’église et que la première exégèse du lieu consacré
amène à se poser la question du sens de la métonymie ecclesia (bâti-
ment ecclésiastique)/Ecclesia (communauté des fidèles), autrement
dit de la signification profonde de la confusion entre contenant et
contenu désignés par le même terme. Le second rappel concerne la
contribution dionysienne à la mise en valeur de l’espace ecclésial par
l’accent mis sur l’importance du « mouvement droit » pour passer du
sensible à l’intelligible et sur le recours à la théologie symbolique pour
expliciter le sens mystique de cet itinéraire. Depuis le bas de la pyra-
mide, occupée par la hiérarchie ecclésiastique, la remontée vers l’Un
ne peut se faire que de façon anagogique, c’est-à-dire à travers les
objets figurant le divin et toutes « ces modalités contingentes et tran-
sitoires » par lesquelles Dieu se rend « accessible », telles les Écritures
et leurs symboles en attente d’élucidation, ou encore l’église-monu-
ment, son décor, les instruments du culte qu’elle renferme et les rites
qui s’accomplissent dans cet espace de premier ordre – l’ordre des
« très saintes consécrations sacramentelles ». Mais encore faut-il y avoir
été introduit. C’est la fonction des initiateurs et spécialement du pre-
mier d’entre eux – de bas en haut de la hiérarchie ecclésiale –, occupé
par les ministres, qui sont précisément qualifiés de « portes du sanc-
tuaire » – une expression propre à confondre l’ordre sacerdotal avec
le bâtiment destiné à accueillir les « postulants » et à leur donner
« accès aux saints mystères »  44. C’est dans le droit fil des théories
dionysiennes que Garnier de Rochefort, abbé de Clairvaux et évêque
de Langres (v. 1140-après 1225), s’intéresse, dans un sermon de dédi-

42
  Raoul Glaber, Histoires, II, 4, 6, éd. et trad. M. Arnoux, Turnhout, 1996, p. 100-103.
43
 D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris,
2006.
44
  HE, V, 6, col. 508b (trad. p. 299).

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cace d’église, à l’importance de l’« équivoque », qui amène à employer


un terme pour un autre – Jérusalem pour l’Église par exemple –, et à
l’un des types de l’équivoque, l’anagogie, qui permet de comprendre
la hiérarchie interne du bâtiment nouvellement consacré : l’atrium
qui équivaut « aux esprits des anges envoyés sur Terre à cause des
héritiers du salut » ; le « saint », à « la hiérarchie intermédiaire entre
le supérieur et l’inférieur » ; le « saint des saints », à la « hiérarchie
supérieure » qui assiste Dieu. Et d’ajouter, à la grecque, que la pre-
mière est une « hypophanie », la seconde, une « hyperphanie », et la
troisième, une théophanie 45.

2.2.2. Les effets ecclésiaux de la reductio ad summum


La « loi de divinité » dionysienne, qui consiste à ramener l’inférieur
au supérieur en passant par un degré moyen – reducere infima per media
ad summa –, est, me semble-t-il, à l’origine d’une véritable déferlante
de qualifications hiérarchiques dans la titulature des élites ecclésias-
tiques. C’est spécialement le cas dans le monde de la réforme monas-
tique des ixe, xe et xie siècles, avec la multiplication des « archiman-
drites », c’est-à-dire de ces « archi » ou multi-abbés à la tête d’un réseau
d’abbayes unifiées par leur seule personne à la manière de Benoît
d’Aniane 46. L’intérêt de ce degré supérieur de la hiérarchie abbatiale
est de faire, à terme, sa place à l’abbatiat laïque et de permettre l’ar-
ticulation de la hiérarchie ecclésiastique et de la hiérarchie vassalique.
Ainsi, le comte d’Anjou Foulque Nerra est qualifié d’« archi-abbé »
dans un acte de 1014 arbitrant un conflit entre Hubert, abbé de Saint-

45
  Garnier de Langres, Sermo XXXVII in dedicatione ecclesiae, PL, 205, col.  806-812
(col. 808b).
46
 Entre autres exemples du ixe et surtout du xe siècle : Alode, abbé de Saint-Germain
d’Auxerre (Les gestes des évêques d’Auxerre, éd. et trad. M. Goullet, G. Lobrichon et M. Sot,
Paris, 2002 [Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge, 42], 8, p. 50-51) ; l’abbé
de Fulda, primat et archimandrite (JL Reg. 3739) ; Odon de Cluny, archimandrite de monas-
tères romains (Destructio Farfensis, MGH, SS, 11, p. 536) ; Alphonse, abbé de Montolieu
(J. Vaissette, Cl. de Vic, Histoire générale du Languedoc, V, Preuves, n° 53 ; cité par M. Zim-
mermann, Écrire et lire en Catalogne (ixe-xiie siècle), Madrid, 2003, t. 2, p. 708, n. 235). Dans
une bulle du 23 avril 972, le pape Jean XIII qualifie Saint-Remi de Reims d’« archimonas-
terium », cf. Papsturkunden 896-1046, éd. H. Zimmermann, t. 1, Vienne, 1984 (Österreichi-
sche Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse, Denkschriften, 174),
n° 218, p. 427-429 (je tiens cette indication de M.-J. Gasse, que je remercie). Sur la question
du multi-abbatiat et des titulatures afférentes, voir J. Wollasch, Mönchtum des Mittelalters
zwischen Kirche und Welt, Munich, 1973 (Münstersche Mittelalter Schriften, 7), spéc. p. 20
et 36.

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

Aubin d’Angers, et Thibaud, un grand laïc auquel le comte a confié


la charge abbatiale de Saint-Lézin 47.
Il me semble, par ailleurs, que l’imposition, au cours du ixe siècle,
de degrés intermédiaires entre Rome et les Églises locales avec le
développement systématique de provinces ecclésiastiques (archevê-
chés et métropoles) n’est pas sans rapport avec les enseignements de
l’Aréopagite et de ses commentateurs latins  48. Une pareille structu-
ration hiérarchique est, en tout cas, explicitement référée aux théo-
ries dionysiennes par Grégoire VII dans une lettre de 1079 aux arche-
vêques de Rouen, Tours et Sens :

La providence de l’administration divine a instauré des grades et des


ordres distincts afin que, les inférieurs manifestant du respect aux supé-
rieurs et les supérieurs exprimant de l’affection aux inférieurs, de la diver-
sité naisse la concorde, et que tous les offices s’organisent en une harmo-
nieuse composition. L’ensemble ne subsiste, en effet, que de l’ordonnan-
cement des différences. L’exemple des milices célestes nous apprend
qu’une créature ne peut vivre ni être gouvernée dans l’égalité. Anges et
archanges ne sont pas, comme vous le savez, égaux mais différents les uns
des autres selon le pouvoir et l’ordre. Si une telle distinction existe chez
eux, qui sont sans péché, comment les hommes ne seraient-ils pas soumis
à une disposition identique ? C’est ainsi que peuvent s’embrasser la paix
et la charité, que la pureté s’affirme dans la concorde mutuelle et la dilec-
tion chère à Dieu ; chaque office s’accomplit de façon salutaire quand on
peut recourir à un supérieur unique 49.

L’argument a fortiori utilisé par Grégoire VII pour justifier l’exis-


tence de primaties nous intéresse ici parce qu’on peut y déceler une

47
 O. Guillot, Le comte d’Anjou et son entourage au xie siècle, Paris, 1972, t. 1, p. 153-154, et
t. 2, catalogue d’actes, C 30, p. 38 (copie du cartulaire de Saint-Aubin, de la fin du xie siè-
cle).
48
 Sur cette question, voir la contribution de S. Patzold dans ce volume.
49
  Das Register Gregors VII., VI, 35, éd. E. Caspar, Berlin, 1923 (MGH, Epistolae selectae, II,
réimpression, Munich, 1978), 2, p. 450-452 (p. 450-451) : Ad hoc enim diuine dispensationis
prouisio gradus et diuersos constituit ordines esse distinctos, ut, dum reuerentiam minores potioribus
exhiberent et potiores minoribus dilectionem impenderent, una concordia fieret ex diuersitate, contextio
et recte officiorum gigneretur administratio singulorum. Neque enim uniuersitas alia poterat ratione
subsistere, nisi huiusmodi magnus eam differentie ordo seruaret. Quia uero creatura in una eademque
equalitate gubernari vel uiuere non potest, celestium militiarium exemplar nos instruit, quia, dum sint
angeli sint archangeli, liquet, quia non equales sunt, sed in potestate et ordine, sicut nosti, differt alter
ab altero. Si ergo inter hos, qui sine peccato sunt, ista constat esse distinctio, quis hominum abnuat
huic se libenter dispositioni submittere ? Hinc etenim pax et caritas mutua se uice complectuntur et
manet firma concordie in alterna et Deo placita dilectione sinceritas, quia igitur unumquodque tunc
salubriter completur officium, cum fuerit unus, ad quem possit recurri, prepositus.

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dominique iogna-prat

influence du Pseudo-Denys sous la forme d’une justification de l’or-


donnancement de l’Église, homologique à la hiérarchie céleste. En
vertu de la règle instituée par la « loi de divinité » – la reductio ad sum-
mum –, la complémentarité hiérarchique des différents degrés de la
structure permet d’atteindre à une harmonie globale dans la mesure
où la dynamique de l’ensemble est référée à « un supérieur unique ».
On comprend dès lors que la supériorité de la « première hiérarchie »
en vienne à désigner l’« ordre papal » sous la plume des théocrates
pontificaux des xiie, xiiie et xive siècles  50. Ajoutons que cette pri-
mauté hiérarchique est d’autant plus intangible que l’on se sert, à la
même époque, de la référence aux complémentarités hiérarchiques
du Pseudo-Denys pour justifier l’existence de deux genres de chré-
tiens : les clercs, vivantes incarnations de la « hiérarchie » définie par
Thomas d’Aquin comme « dignité sacrée » (sacer principatus), et les
laïcs, que les clercs tirent d’une hiérarchie à l’autre 51.

2.2.3. La place singulière des moines dans l’ordonnancement


hiérarchique
Il convient de dire un mot, enfin, sur la place singulière qu’occu-
pent les moines dans l’ecclésiologie post-dionysienne. Notons d’abord
que, dans l’Occident latin, d’Auxerre à Saint-Denis et Cluny, la récep-
tion du Corpus dionysiacum est d’abord monastique. D’où la question :
quel intérêt les moines ont-ils trouvé à la lecture de cette œuvre et
quels enseignements pratiques en ont-ils tirés ? Dans le schéma de
départ du Pseudo-Denys, l’ordre monacal est placé au dernier degré
de la hiérarchie ecclésiastique. Ce sont pourtant les moines qui font
la jonction, au sein de cette hiérarchie, entre initiateurs et initiés ;
surtout, ils sont, pour l’ensemble des degrés hiérarchiques, la vivante
incarnation de la « parfaite philosophie », en quelque sorte les illu-
minés par excellence dont chacun, quel que soit son ordre et sa place,
doit suivre l’exemple. Nul doute que cette exemplarité de purifiés ait
convenu aux moines latins des ixe-xie siècles, par ailleurs gagnés par
les attraits du purisme virginal et de l’ascèse dans le retrait du monde.
D’autant que, suivant une évolution déjà ancienne qui s’accélère à
l’époque carolingienne, les moines accèdent de plus en plus systéma-

50
 Voir ci-dessus, n. 3.
51
  Par exemple : Pierre le Mangeur, Sermo 18, PL, 198, col. 1769-1772 (col. 1770c) ;
Thomas d’Aquin, In libros sententiarum Petri Lombardi, 2, 9, q. 1, a. 1, éd. et trad. italienne,
C. Pandolfi et R. Coggi, t. 2, Bologne, 2000, p. 434 (sur l’héritage dionysien mâtiné d’aris-
totélisme de Thomas voir Hankey).

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

tiquement au sacerdoce et qu’ils se trouvent dès lors en position de


cumuler les intérêts de deux positions hiérarchiques : à l’écart, comme
de « parfaits philosophes », et partie intégrante du degré des initia-
teurs. Pour reprendre les qualifications de Weber, on peut dire qu’ils
bénéficient à la fois du charisme ascétique et du charisme hiérocrati-
que, du charisme personnel et du charisme de fonction.

3. Hiérarchie sociale

Reste à voir, pour finir, dans quelle mesure la hiérarchie ecclésias-


tique du Pseudo-Denys offre un cadre d’ensemble pour penser le
social, comment la pensée hiérarchique, entre enseignements bibli-
ques et cosmologie néoplatonicienne, a permis l’absorption du social
dans l’ecclésial.

3.1. De la dyarchie à la hiérarchie


Une pareille absorption résulte d’une évolution peu notée par les
historiens du haut Moyen Âge mais qui a été remarquablement ana-
lysée par Louis Dumont : la mise en place, dans les années mêmes où
le corpus dionysien est reçu et traduit dans l’Occident latin, d’un
holisme ecclésial par passage d’une dyarchie à un ordre hiérarchi-
que.
Selon Dumont, qui suit de près les enseignements des Soziallehren
de Troetsch, le secret du développement du christianisme tient à l’in-
carnation de la valeur, qui ménage une transition entre l’au-delà et le
monde, l’extra-mondain et l’intra-mondain ; cette incarnation se fait
sous la forme d’un Dieu-homme, le Christ, et d’une institution, l’Église
pensée comme le corps du Christ, comme Tout de la communauté,
comme uniuersitas à l’intérieur de laquelle la personne chrétienne
trouve le cadre ad hoc de son retour à Dieu. En ce sens, le christianisme
combine individualisme (ou personnalisme) et holisme, mais suivant
des configurations historiques diverses. Le stoïcisme tardo-antique a
diffusé la conception d’une loi de nature éthique, de soumission au
cours harmonieux des choses qui organise la création, le monde et la
vie des hommes ; dans ce cadre, le pouvoir est pensé comme une loi
naturelle animée, incarnée dans le roi ; d’où la notion de royauté
sacrale. Le christianisme vient restreindre le champ d’application de
la loi de nature et étendre celui de la Providence, de la volonté divine.
À la notion de royauté sacrale, il oppose celle de prêtrise royale, subor-

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donnant progressivement l’État à l’Église, dans un mouvement d’in-


clusion de l’un par l’autre qui, selon Dumont, est accompli à la fin du
viiie siècle. Revenant sur la fameuse distinction entre « pouvoir » et
« autorité » établie par le pape Gélase Ier (492-496), Dumont rappelle
que le gouvernement de l’Empire chrétien s’est, dès la fin du ive siè-
cle, organisé suivant le principe d’une complémentarité hiérarchique
ou d’une dyarchie hiérarchique suivant laquelle le spirituel obéit au
pouvoir dans le domaine temporel et le temporel obéit à l’autorité
dans la sphère spirituelle. Avec le Constitutum Constantini – la Fausse
donation de Constantin, composée à Rome à une date incertaine entre
750 et 850 – et l’affirmation afférente de la papauté comme monarchie
spirituelle, l’Église devient véritablement une totalité englobante :
« Le spirituel est conçu comme supérieur au temporel même au
niveau temporel, comme s’il était […] le temporel élevé à une puis-
sance supérieure  52. » Dès lors, c’est l’ensemble de la société chré-
tienne qui se hiérarchise par inclusion dans l’Église, avec soumission
d’un glaive à l’autre. Mais de quand dater cette inclusion ? Dans son
examen des influences du Pseudo-Denys l’Aréopagite sur les théories
politiques de la fin du Moyen Âge, Wayne J. Hankey a utilement rap-
pelé que l’« augustinisme politique » médiéval est une façon inadé-
quate de qualifier la tendance hiérocratique à conjoindre les deux
sphères (temporel, spirituel) héritée de penseurs néoplatoniciens
(Proclus, l’Aréopagite) plutôt que d’Augustin lui-même  ; que cette
tendance hiérocratique consiste à passer d’une logique binaire à « la
dynamique d’une logique triadique » supposant, selon la « loi de divi-
nité dionysienne », de progresser de l’inférieur au supérieur par l’in-
termédiaire du moyen pour être in fine ramené à l’unité du supérieur ;
qu’une pareille logique a d’incontestables effets sur les représenta-
tions sociales puisque seule l’Église peut incarner l’unité organisatrice
de la diversité 53. La théologie chargée d’expliciter la « loi de divinité »
dionysienne est ainsi porteuse d’une théorie des pouvoirs que les
canonistes ne manquent pas de commenter tout au long du Moyen
Âge. Contentons-nous, à la suite d’Yves Congar, de rappeler le passage
de la bulle Unam sanctam, ce monument de la théocratie pontificale
du début du xive siècle, qui plaide pour l’infériorité d’un glaive par
rapport à l’autre en se référant explicitement à l’enseignement de

52
 L. Dumont, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne,
Paris, 1983 [éditions revues, Paris, 1985 et 1991 (coll. « Point »)], p. 69.
53
  Hankey, p. 133, 137 et 140-141.

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

l’Aréopagite : « Il ne saurait y avoir d’autre ordonnance qu’un glaive


sous l’autre glaive, de façon à ce que l’inférieur soit ramené par l’autre
au supérieur. En effet, suivant le bienheureux Denys, la loi de divinité
suppose que l’inférieur soit ramené au supérieur par le moyen 54. »
Impossible de s’étendre ici sur cette évolution idéologique essen-
tielle alimentée par la forte poussée hiérocratique que connaît le
monde carolingien à partir des années 840. Il faudrait mener, de fait,
une enquête de fond pour établir le détail des concomitances entre
l’assimilation des théories dionysiennes et l’apparition de l’ordonnan-
cement hiérarchique comme structure d’accueil de la Maison de
Dieu. En l’attente, je me contenterai d’un jalon documentaire : la
floraison, de l’époque carolingienne jusqu’au milieu du xiie siècle,
des collections canoniques dites « systématiques » parce qu’elles ras-
semblent des fragments répartis par thèmes et suivant un ordre qui
fait « système », qui instaure un véritable « système » d’Église structuré
par la logique hiérarchique  55. Ainsi, dans son Décret, Burchard de
Worms (965-1025) fonde son « système » de regroupement des textes
sur le traitement d’ensemble des cadres de l’Église  56. Après avoir
ouvert sa collection sur la haute hiérarchie – pape, patriarches, métro-
politains, évêques – et sur les ordres ou degrés ecclésiastiques, Bur-
chard réserve tout un livre (15), dans la partie du Décret consacrée à
l’« Institution » des laïcs, à la « hiérarchie » temporelle que couron-
nent l’empereur et les princes, comme si la logique du système d’Église
impérial dont relève le compilateur lui commandait de faire une place
à l’Empire dans l’Église. Mais cette insertion se fait encore sur le mode
ancien de la dyarchie, qui suppose de respecter l’équilibre des sphères
(spirituel et temporel) au sein de l’Église. Quelque temps plus tard,
les propagandistes grégoriens s’emploient, au contraire, à fondre les
deux sphères en une seule hiérarchie, ce qui revient, dans la dynami-
que instaurée par le Constitutum Constantini à assimiler la papauté à la
dignité impériale et à faire du clergé une manière de nouveau Sénat,
voire à faire dériver toutes les dignités ecclésiastiques des anciens hono-
res romains  57. Autour de 1100, l’Église est durablement devenue le

54
  Unam sanctam (novembre 1302), éd. E. Friedberg, Corpus iuris canonici, t. 2, Leipzig,
1881, col. 1245-1246 ; cité par Y. Congar, L’Église de saint Augustin à l’époque moderne, Paris,
1970, p. 229-230 ; voir également Hankey, p. 138-139.
55
  Pour une première approche : G. Fransen, Les collections canoniques, Turnhout, 1973
(Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 10).
56
  Burchard de Worms, Decretum, PL, 140, col. 537-1065.
57
  À titre d’exemple, Jean Beleth, Summa de ecclesiasticis officiis, 14, éd. H. Doubteil, CCCM,
41a, Turnhout, 1976, p. 34-35 ; je tiens cet exemple d’A. Rauwel, que je remercie.

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cadre d’organisation d’ensemble de la société chrétienne comme l’at-


teste, par exemple, l’image d’Église qui accompagne le De usu eccle-
siastico et le De statu Ecclesiae de Gille de Limerick (fig. 2) 58. Ajoutons
qu’une pareille logique hiérarchique prévaut longtemps dans les
représentations sociales de la Chrétienté. Troeltsch, dans ses Sozialle-
hren, cite la conception que le théologien luthérien Johann Gerhard
(1582-1637) se fait des trois « hiérarchies » incluses dans l’Église :

Les états ou les ordres que Dieu a institués dans l’Église sont au nombre
de trois, c’est-à-dire l’ecclésiastique, le politique et l’économique, que l’on
qualifie aussi de hiérarchies. L’ordre économique assure la croissance du
genre humain ; l’ordre politique, sa défense ; l’ordre ecclésiastique, l’accès
au salut éternel 59.

3.2. Une conception de l’échange global orienté


Cette représentation holistique de la société, savante combinaison
de trois états, ordres et hiérarchies, nous ramène à une autre conco-
mitance longtemps ignorée des historiens : la formulation du schéma
des trois ordres fonctionnels – ceux qui prient, ceux qui combattent,
ceux qui travaillent – au moment même où l’ancienne conception
organologique du « corps » des chrétiens héritée de l’apôtre Paul et
d’Augustin est réagencée dans le cadre des hiérarchies dionysiennes.
Beaucoup a été dit depuis vingt ans sur la réception de ce schéma dans
l’Occident latin sur la base du legs romain transmis par de savants
antiquitaires (Servius, Isidore de Séville) à des théoriciens carolin-
giens qui se chargent d’adapter l’ancienne classification indo-euro-
péenne à une société chrétienne  60. Il suffira d’insister ici sur le fait
que la pensée du Pseudo-Denys a fourni deux éléments nécessaires à

58
  De usu ecclesiastico, éd. J. Flemming, Gille of Limerick (c. 1070-1145). Architect of a Medieval
Church, Dublin, 2001, p. 144, l. 19-20 (= PL, 159, col. 996a).
59
  Status siue ordines in ecclesia a Deo instituti numerantur tres, uidelicet ecclesiasticus, politicus et
oeconomicus, quos etiam appellare consueuerunt, oeconomicus ordo instruit generis humani multipli-
cationi, politicus eiusdem defensioni, ecclesiasticus ad salutem aeternam promotioni, cité par E. Tro-
eltsch, « Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen  », in Id., Gesammelte
Schriften, t. 1, Tübingen, 1912, p. 522, n. 238.
60
 Dans une bibliographie pléthorique, on se contentera de deux renvois essentiels  :
E. Ortigues, « Haymon d’Auxerre, théoricien des trois ordres », in D. Iogna-Prat, C. Jeudy
et G. Lobrichon (dir.), L’École carolingienne d’Auxerre de Murethac à Remi (830-908), Paris,
1991, p. 181-227 ; B. Grévin, « La trifonctionnalité dumézilienne et les médiévistes : une
idylle de vingt ans », Francia, 30/1 (2003), p. 169-189. Voir aussi dans ce volume la contri-
bution d’H.-W. Goetz.

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cette adaptation. Le premier tient à la logique cosmologique de


l’Aréopagite propre à expliquer, sous la forme de degrés fonctionnels
ternaires homologiques à la Trinité, la concorde dans la différence
hiérarchique qui régit l’ordre du monde. Second élément, plus essen-
tiel encore, les médiations dionysiennes au service de la « loi de divi-
nité » permettent aux penseurs carolingiens de la trifonctionnalité de
disposer d’une conception de l’échange global orienté vers l’au-delà :
la concorde dans la différence assurant la bonne circulation de la
lumière divine entre degrés hiérarchiques et, surtout, la redistribution
des biens matériels et des biens spirituels produits par chacune des
fonctions ordonnées.

3.3. Un problème à long terme : individu et société


J’ai souligné plus haut, au chapitre des canaux de réception et de
diffusion des Hiérarchies dionysiennes, l’importance des auteurs mys-
tiques qui trouvent chez le Pseudo-Denys une matière ample et raffi-
née pour décrire l’élévation par degrés de l’âme vers l’unification
ultime. Si je rappelle, in fine, ce legs bien connu de tous les historiens
de la spiritualité médiévale et moderne, c’est que l’Aréopagite me
semble être un jalon essentiel pour articuler les rapports individu et
société dans la mesure où ses Hiérarchies permettent de traiter à la
même aune le communautaire et l’individuel, sur le mode de ce que
les sociologues contemporains qualifient d’« aperception sociologi-
que », c’est-à-dire la nécessaire part du social dans la construction de
l’individu. À l’examen du schéma résumant les grands traits de la
théorie dionysienne, nous avons noté que l’ordre du monde – la
conjonction des hiérarchies céleste et ecclésiastique – constitue un
ensemble dynamique, qualifié de « sanctuaire » et mû de haut en bas
et de bas en haut par les influx théarchiques de procession et de
rétrocession. La bonne circulation de ces influx suppose un parfait
fonctionnement de tous les degrés médiateurs. Quels que soient sa
place et son ordre, chaque élément – chaque fidèle au sein de la hié-
rarchie ecclésiastique – est pour partie responsable de la marche har-
monieuse de l’ensemble. Chacun est ainsi considéré comme un
« sanctuaire » en réduction, régi par les mêmes opérations théarchi-
ques (purification, illumination, consécration) que le grand « sanc-
tuaire » qu’est l’Église. Les deux « sanctuaires » sont ordonnés par la
même « loi de divinité » consistant à réduire l’inférieur au supérieur
en passant par le degré moyen. En d’autres termes, il ne saurait y avoir
d’autre échelle mystique que celle enseignée par l’ordre des hiérar-

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chies ecclésiastiques. Il n’est pas indifférent de remarquer que la théo-


logie mystique de l’Aréopagite accorde une place centrale au moine
qui, dans le renoncement, suit « la parfaite philosophie » menant à
l’unification, et représente ainsi une manière d’accomplissement
exemplaire de qui est attendu de chaque fidèle.

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

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dominique iogna-prat

Fig. 1 – Adoration de l’Agneau : sacramentaire de Fulda, manuscrit


Göttingen, Universitätsbibliothek, Theol. 231, fol. 111, v. 990.

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penser l’église, penser la société après le pseudo-denys l’aréopagite

Fig. 2 – Le cadre monumental de l’Église : Gille de Limerick, De statu


Ecclesiae, manuscrit Cambridge, University Library, Pf. 1.27, p. 238,
v. 1200.

81

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Raffaele Savigni

La communitas christiana dans


l’ecclésiologie carolingienne

P
lusieurs travaux ont souligné l’essor de la hiérarchisation interne
de l’Église et de la séparation entre le clergé et les laïcs  1, le
passage graduel d’une pluralité d’Églises régionales ou « natio-
nales » à un modèle unitaire et d’une ecclésiologie de communion à
une ecclésiologie de l’Église universelle 2. Par rapport à la notion de
stratification sociale, l’idée de hiérarchie évoque un système de rela-
tions fondé sur la dimension sacrale et religieuse 3, qui implique, dans
l’Antiquité tardive et à Byzance, la reconnaissance de la sacralité de
l’empereur chrétien 4. Dans la société carolingienne, on a remarqué
l’essor, entre Jonas d’Orléans et Hincmar de Reims, de l’ecclésiologie
des ordres  5. On assiste à l’intégration du terme hierarchia dans le
vocabulaire politique et théologique à partir de la traduction des
œuvres de Denys l’Aréopagyte par Hilduin de Saint-Denis 6, qui avait

1
 Voir A. Faivre, Naissance d’une hiérarchie. Les premières étapes du cursus clérical, Paris, 1977 ;
Id., Ordonner la fraternité, Paris, 1992 ; G. Spinosa, « Εκκλησία-ecclesia – secta – ordo nel
cristianesimo dei primi secoli : una riflessione sul lessico », Cristianesimo nella storia, 24
(2003), p. 453-487.
2
  Y. Congar, « De la communion des Églises à une ecclésiologie de l’Église universelle »,
in L’épiscopat et l’Église universelle, Paris, 1961, p. 227-270 ; J. Herrin, The Formation of Chris-
tendom, Oxford, 1987.
3
 L. Dumont, Homo hierarchicus. Le système des castes et ses implications, Paris, 1966.
4
 Voir A. Carile, « Gerarchie e caste », in Morfologie sociali e culturali in Europa fra tarda antichità
e Alto Medioevo, Atti della XLV Settimana di studi (1997), Spolète, 1998, p. 123-172. L’auteur
souligne (p. 153-157) l’influence de Denys l’Aréopagite sur l’idéologie byzantine.
5
 Voir R. Savigni, Giona di Orléans : una ecclesiologia carolingia, Bologne, 1989 ; Id., « Les laïcs
dans l’ecclésiologie carolingienne  : normes statutaires et idéal de “conversion”  », in
M. Lauwers (dir.), Guerriers et moines. Conversion et sainteté aristocratiques dans l’Occident médié-
val (ixe-xiie siècle), Nice, 2002, p. 41-92 ; D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société
chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam, 1000-1150, Paris, 1998, p. 22-26, et la contri-
bution d’H.-W. Goetz dans ce volume. Sur les aspects théologiques de la notion augusti-
nienne d’ordo, voir A.-I. Bouton-Touboulic, L’ordre caché : la notion d’ordre chez saint Augus-
tin, Paris, 2004.
6
 Voir la contribution de D. Iogna-Prat dans ce volume et M. Cristiani, Dall’unanimitas all’uni-
versitas. Da Alcuino a Giovanni Eriugena. Lineamenti ideologici e terminologia politica della cultura
del secolo IX, Rome, 1978, p. 95-96 et 160-165. L’auteur analyse un passage d’Hincmar (De
praedestinatione, XXV, PL, 125, col. 226b), emprunté à Denys l’Aréopagite : Hierarcas quidam
unusquisque, Dei assimilatione, omnes homines volens salvare (…) praedicat omnibus vera Evangelia.

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déjà transmis à Grégoire le Grand et Isidore de Séville le schéma des


ordres angéliques  7, mais surtout après la réflexion systématique de
Jean Scot, qui toutefois n’a pas eu beaucoup de succès aux xe-xie siè-
cles 8, même si le père Lafont a souligné l’hégémonie – de l’époque
carolingienne jusqu’à saint Bernard – d’une « figure hiérarchique »
fondée sur la symbolique plotinienne et dionysienne de l’Un et sur
l’organisation d’un réseau de médiations par lesquelles le chrétien
peut marcher vers le salut 9.
Cependant, à l’époque carolingienne, il n’y a pas encore une ecclé-
siologie systématique. Les traités de l’Ecclesia seront rédigés seulement
aux xiiie-xive siècles et, par conséquent, l’ecclésiologie carolingienne
consiste, ainsi que celles des Pères, dans une série d’images complé-
mentaires – le peuple, le corps, l’épouse de Jésus-Christ, la mère, le
navire –, qui se complètent les unes avec les autres  10, et où le sacer-
doce commun de tous les fidèles est souvent évoqué 11. Toutefois, on
peut relever, par rapport à saint Augustin, Grégoire le Grand et
Bède 12, une tendance à définir par une terminologie plus précise la
structure communautaire et hiérarchique de l’Église et le rôle du
clergé, des laïcs, des moines, même si Philippe Buc a souligné « la
polysémie des éléments du discours clérical » – dans lequel on peut
entrevoir deux tendances, égalitaire et hiérarchique – en critiquant
l’interprétation « fonctionnelle » du rôle de l’Église comme système
de contrôle idéologique et facteur d’intégration de la société médié-
vale 13 ».

7
 C. Carozzi, « Hiérarchie angélique et tripartition fonctionnelle chez Grégoire le Grand »,
in C. Carozzi et H. Taviani-Carozzi (dir.), Hiérarchies et services au Moyen Âge, Aix-en-Pro-
vence, 2001, p. 31-51.
8
 D. E. Luscombe, « Conceptions of Hierarchy before the Thirteenth Century », in A. Zim-
mermann (dir.), Soziale Ordnungen in Selbstverständnis des Mittelalters, t. 1, Berlin/New York,
1979, p. 1-19, en particulier p. 3-4. L’évêque est défini hierarcha dans le chapitre 10 de la
Vita Agilolfi Malmundariensis (rédigée après 972, cf. AA.SS. Julii, II, Anvers, 1721, p. 722).
9
  G. Lafont, Histoire théologique de l’Église catholique : itinéraire et formes de la théologie, Paris,
1994.
10
  Y. Congar, L’ecclésiologie du haut Moyen Âge, Paris, 1968, p. 98-99. L’auteur cite un passage
d’Hincmar, Explanatio in Ferculum Salomonis (PL, 125, col. 817b).
11
 Voir P. Dabin, Le sacerdoce royal des fidèles dans la tradition ancienne et moderne, Bruxelles/
Paris, 1950.
12
 Voir G. Hofer, « La « sancta ecclesia » di Gregorio Magno », Studi medievali, 30 (1989),
p. 593-636 ; G. Tugène, L’idée de nation chez Bède le Vénérable, Paris, 2001, p. 252-270, l’auteur
entrevoit dans Bède « une attitude qui est plus proche des tendances égalitaires que hiérar-
chiques  » (p.  270)  ; G.  Caputa, Il sacerdozio dei fedeli secondo san Beda, Rome, 2002,
p. 135-142.
13
  P. Buc, L’ambiguïté du Livre. Prince, pouvoir et peuple dans les commentaires de la Bible au Moyen
Âge, Paris, 1994, p. 399-407. Voir aussi D. Fraesdorff, « Beten für die Gesellschaft. Die

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la communitas christiana dans l’ecclésiologie carolingienne

Communauté et hiérarchie en chemin vers le Royaume

Selon une perspective qui remonte à saint Augustin, l’Église


englobe les anges et les saints, tous les chrétiens unis à Dieu, vivants
et défunts, et aussi les « chrétiens anonymes » de l’Ancien Testament 14.
Cependant, la renaissance d’un Empire chrétien en Occident impli-
que une tendance à identifier l’Ecclesia universalis, au-delà de la dimen-
sion invisible de la Cité de Dieu, de l’Ecclesia primitivorum  15 ou de
l’Ecclesia ab Abel 16, avec l’espace politique gouverné par Charlemagne
et ses successeurs, et à attribuer au souverain une fonction de direc-
tion sur la société chrétienne, par la promotion d’une restauration
doctrinale, liturgique et disciplinaire. L’Église est conçue comme une
réalité unitaire, au-delà des partages entre les membres de la dynastie
carolingienne 17, même si les propriétés et les institutions de l’Église
forment, selon Paschase Radbert, una altera res publica 18.
Alcuin identifie, en étendant aux membres de l’élite politique la
liste paulinienne des talents et des ministères, la société chrétienne et
le corps social, dans lequel chaque ordre a une fonction distincte
marquée par la providence, même s’il n’y a pas encore un vocabulaire

“oratores”-Theorie als Deutungsmodell der sozialen Wirklichkeit im Mittelalter », Historis-


ches Jahrbuch, 125 (2005), p. 3-38.
14
 Voir Agobard, Op. 18 (Contra obiectiones Fridegisi), 20-21 (Agobardi Lugdunensis opera omnia,
CCCM, 52, Turnhout, 1981, p. 298-300) ; Concilium Carisiacense (838), éd. A. Werminghoff,
MGH, Concilia II/2, Hanovre/Leipzig, 1908, p. 771-772, qui, inspiré par Florus de Lyon,
condamne la notion de corpus triforme proposée par Amalaire dans le Liber officialis, III, 34
(voir K. Zechiel-Eckes, Florus von Lyon als Kirchenpolitiker und Publizist, Stuttgart, 1999,
p. 27-76) ; Hincmar, Collectio de ecclesiis et capellis, 1 (éd. M. Stratmann, MGH, Fontes iuris
Germanici antiqui ad usum scholarum, 14, Hanovre, 1990, p. 80) ; Explanatio in Ferculum Salo-
monis (PL, 125, col. 831a). Mais l’idée, proposée à l’époque de Boniface par l’hérétique
Aldebert, d’une libération de tous les défunts de l’enfer après la descente de Christ est
condamnée (Die Briefe des Heiligen Bonifatius und Lullus, Ep. 59, éd. M. Tangl, MGH, Episto-
lae selectae, I, Berlin, 1916, p. 112).
15
 Voir Raban Maur, Expositio in Leviticum, IV, 8 (PL, 108, col. 401a).
16
 Voir Y. Congar, « Ecclesia ab Abel », in Abhandlungen über Theologie und Kirche, Düsseldorf,
1952, p. 79-99.
17
  Hincmar, De divortio Lotharii, Int. et Resp., 12 (éd. L. Böhringer, MGH, Concilia IV, Suppl.
I, Hanovre, 1992, p. 187) : Et unum regnum una est ecclesia ; Appendix, 1 (p. 236), qui rappelle
Ep 4, 5-6 ; De ordine palatii, 3, (éd. T. Gross, MGH, Fontes iuris Germanici antiqui in usum
scholarum, 3, Hanovre, 1980, p. 50) ; Hludowici et Karoli Pactum Tusiacense, 6 (MGH, Capitu-
laria II, n. 244, p. 167) : et ecclesia nobis et illi commissa et regnum unum est et populus ac christia-
nitas una est.
18
  Paschase Radbert, Epitaphium Arsenii, II (éd. E. Dümmler, Abhandlungen der königlichen
Akademie der Wissenschaften zu Berlin, philosophisch-historische Klasse, Berlin, 1900, p. 62-63).

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spécifique pour chaque ordre, ni une « philosophie de la personne » 19.


Il se méfie du principe vox populi, vox Dei, car il juge que populus iuxta
sanctiones divinas ducendus est, non sequendus 20. Toutefois, au-delà des
rôles sociaux, dans le royaume céleste, il n’y aura aucune distinction
entre les ordres et les sexes, car chacun recevra sa récompense selon
ses mérites personnels 21. Mais la distinction entre les perfectiores et les
autres chrétiens – une « hiérarchie spirituelle » qu’il ne faut pas iden-
tifier avec la hiérarchie institutionnelle – implique, chez Hincmar, la
possibilité pour les premiers de voir Dieu immédiatement après la
mort du corps 22. Il entrevoit une correspondance entre les différents
genres de vie des chrétiens et la hiérarchie des ordres célestes, des
simples anges aux trônes et aux séraphins, auquel est assimilé saint
Remi, qui a atteint les degrés les plus élevés de la hiérarchie angéli-
que 23.
Dans les miroirs de Jonas d’Orléans ou de Dhuoda, le point de
départ n’est pas encore l’Église dans sa structure hiérarchique, mais
le Christ, le peuple chrétien et le sacrement du baptême, qui marque
l’entrée dans l’Église, mais aussi dans la société, désormais identifiée

19
  J. Chélini, Le vocabulaire politique et social dans la correspondance d’Alcuin, Aix-en-Provence,
1959, p. 67, 85 et 95 ; Id., « Les laïcs dans la société ecclésiastique carolingienne », in I laici
nella « societas christiana » dei secoli XI e XII, Atti della III Settimana di studi del passo della Mendola,
Milan, 1968, p. 23-50. L’interprétation de V. Serralda (La philosophie de la personne chez Alcuin,
Paris, 1978) n’est pas soutenable. Voir aussi B.-M. Bedos-Rezack et D. Iogna-Prat (dir.),
L’individu au Moyen Âge. Individuation et individualisation avant la modernité, Paris, 2005.
20
  Alcuin, Ep. 132 (éd. E. Dümmler, MGH, Epistolae, IV, 1895, p. 198-199). Ce principe,
qui remonte au pape Célestin, sera rappelé par le pape Étienne V (Fragmenta registri, Ep. 32,
MGH, Epistolae, VII, p. 352) et par le Decretum Gratiani (pars I, dist. 63, c. 12) pour imposer
la priorité du clergé dans les élections des évêques.
21
  Alcuin, Liber de virtutibus et vitiis, 36 (PL, 101, col. 638b-c). Voir Christian de Stavelot,
Expositio in Matthaeum, 14 (PL, 106, col. 1521c).
22
 Voir Hincmar, De cavendis vitiis, II, 10 (éd. D. Nachtmann, MGH, Quellen zur Geistesge-
schichte des Mittelalters, 16, Munich, 1998, p. 224-225) ; Hincmar rappelle Bède, Hom. evang.
I, 2 ; Explanatio in ferculum Salomonis (PL, 125, col. 820c-d) ; Vita Remigii, 9, (éd. B. Krusch,
MGH, Script. rer. Merov., III, Hanovre, 1896, p. 287). Sur la distinction entre hiérarchie de
la sainteté et hiérarchie ecclésiastique, voir L. Terrade, « Hiérarchie des perfections, service
et justification. L’image de l’évêque dans l’hagiographie latine des ve-viie  siècles  », in
C. Carozzi, Hiérarchies et services, op. cit., p. 241-268, en particulier p. 261-262.
23
  Hincmar, Vita Remigii, 31 (p.  328-330), qui rappelle Grégoire le Grand, Hom. in
Evang., II, 34, 11, partiellement emprunté aussi par Raban Maur, Enarratio super Deuterono-
mium, IV, 2 (PL, 108, col. 973a). Voir aussi Milon, Vita Amandi episcopi Traiectensis secunda,
5 et 6 (ixe s. ; MGH, Script. Rer. Merov., V, Hanovre, 1910, p. 465-466 et 474). Matilde Maresca
(La presenza degli angeli nell’« ecclesia » e nel « regnum » tra VI e X secolo, thèse de doctorat,
Bologne, 2002) a remarqué l’influence de Grégoire le Grand (Hom. in Evang., II, 34) sur
la Vita Amandi et sur Hincmar.

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avec l’Ecclesia 24. Dans la perspective du concile d’Aix (836), l’Église,


c’est-à-dire le peuple de Dieu pèlerin sur la terre, en chemin vers le
Ciel, est dirigée par les deux personnes sacerdotale et royale, selon
une réinterprétation de la théorie gélasienne qui encadre la fonction
du roi dans l’institution globale définie comme Ecclesia : les prédica-
teurs, expression qui, à partir du concile de Paris, désigne désormais,
contrairement aux épîtres d’Alcuin, les évêques et les prêtres 25, et les
simples fidèles (définis comme auditores). Chacun doit exercer sa pro-
pre fonction, c’est-à-dire respectivement enseigner et obéir :

Car l’Église est définie comme un peuple réuni par la même foi et par
l’amour, et qui se dirige vers le Ciel, il faut que ce peuple soit orné par
l’engagement des prédicateurs dans l’enseignement et dans la sainteté de
la vie, et par le soin des auditeurs dans l’obéissance et dans la vie active.
Cette beauté harmonieuse peut se produire seulement si chacun respecte
et accomplit sa propre tâche. Il résulte que l’Église pèlerine est dirigée,
dans le temps présent, par deux personnes éminentes, sacerdotale et
royale, afin que, entourée et protégée à l’intérieur et à l’extérieur par
l’autorité des évêques et le jugement sévère de l’empereur, puisse garder
plus librement sa propre mesure 26.

L’unité de l’Ecclesia, à laquelle il faut appartenir pour gagner le


Salut, implique une solidarité entre l’épiscopat et le roi, car l’autorité
est indispensable pour éviter une situation dangereuse d’anarchie,
préfigurée par Juges 17, 6 et par la scission du royaume d’Israël après
la mort de Salomon 27. Agobard de Lyon souligne l’unité de l’Église
corps du Christ, au-delà des distinctions ethniques et sociales, et éla-
bore un projet utopique de société chrétienne fondée sur l’unité légis-

24
 Voir M. Rubellin, « Entrée dans la vie, entrée dans la chrétienté, entrée dans la société.
Autour du baptême à l’époque carolingienne », in Les entrées sans la vie. Initiations et appren-
tissages, Nancy, 1982, p. 31-51 ; J. Chélini, L’aube du Moyen Âge. Naissance de la chrétienté
occidentale. La vie religieuse des laïcs dans l’Europe carolingienne (750-900), Paris, 1991, p. 47-73 ;
R. Savigni, Giona di Orléans…, op. cit., p. 71-85, et en général A. Prosperi (dir.), Salvezza
delle anime, disciplina dei corpi. Un seminario sulla storia del battesimo, Pise, 2006. Sur la notion
« englobante » d’Ecclesia, voir D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure…, op. cit., p. 12 ; A. Guer-
reau, L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge au xxie siècle ?, Paris, 2001,
p. 28-31.
25
 M. Lauwers, « Le glaive et la parole. Charlemagne, Alcuin et le modèle du rex praedicator :
notes d’ecclésiologie carolingienne », in P. Depreux et B. Judic (dir.), Alcuin de York à Tours.
Écriture, pouvoir et réseaux dans l’Europe du haut Moyen Âge [= Annales de Bretagne et des Pays de
l’Ouest, 111/3 (2004), p. 221-244].
26
  Concilium Aquisgranense, III, 25 (66), MGH, Concilia, II/2, p. 723. Sur l’opposition prae-
dicatores/auditores voir Concilium Parisiense (829), I, 4-5 (p. 612-614) et 10 (p. 616).
27
  Hincmar, De divortio Lotharii, Appendix (p. 235-236), qui rappelle 1 Roi 12, 16 et 28.

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lative de l’Empire, qui doit réfléchir l’unité du corps mystique de


Christ, de la « Cité de Dieu » 28. Cathulphe (775) et l’Opus Karoli pré-
sentent Charlemagne comme le vrai recteur de l’Église, en tant que
vicaire de Dieu, tandis que l’évêque est seulement considéré par
Cathulphe comme vicaire du Christ, donc inférieur  29. Dans l’Admo-
nitio ad omnes regni ordines (825), les évêques sont encore considérés
comme des collaborateurs (adiutores) de l’empereur chrétien, qui est
le véritable dépositaire de l’unité du ministère de direction et correc-
tion de la société chrétienne que Dieu lui a confiée 30. Mais les actes
du concile de Paris (829), tout en rappelant le rôle de l’empereur,
définissent les évêques « fondateurs des Églises de Christ après les
apôtres […] concierges du Ciel […] dispensateurs de la maison du
Roi, qui attribuent selon leur volonté les degrés et les offices de cha-
cun  31 ». Le rédacteur des actes, Jonas d’Orléans, charge l’episcopalis
ordo de la responsabilité de diriger la société chrétienne  32. Les rap-
ports entre les pasteurs et le peuple chrétien doivent être caractérisés
par la paix et l’harmonie, dans le respect des tâches de chaque ordre,
car la confusion des ordres est présentée comme le danger le plus
grand 33.
L’Ecclesia est donc dirigée par les évêques et les rois, qui, selon la
théorie gélasienne, rappelée à partir du concile de Paris, exercent
respectivement l’auctoritas sacrata et la potestas, mais la terminologie

28
  Agobard, Op. 2 (Adversus legem Gundobadi – ad Ludovicum –), 3 (CCCM, 52, p. 20-21) et
14 (ibid., p. 28).
29
  Epistulae variorum, 7, éd. E. Dümmler, MGH, Epistolae, IV, Berlin 1895, p. 503 : Et episcopus
est in secundo loco, in vice Christi tantum est ; Opus Caroli regis contra synodum, I, 1, éd. A. Free-
man, MGH, Concilia, II, Supplementum, I, Hanovre, 1998, p. 105-115. Le rôle joué par le
souverain dans les élections épiscopales sera justifié plus tard, à l’époque grégorienne, par
Benzon d’Albe (Ad Heinricum IV imperatorem libri VII, I, 9, 26, éd. H. Seyffert, MGH, Script.
rer. Germ., 65, p. 170). En tant que vicaire de Dieu, qui a disposé les ordres célestes, le roi
peut établir les hiérarchies supérieures sur la terre.
30
  Admonitio ad omnes regni ordines, 3-4, MGH, Capitularia regum Francorum, II, p. 303. Voir
O. Guillot, « Une ordinatio méconnue : le capitulaire de 823-825 », in P. Godman et
R. Collins (dir.), Charlemagne’s Heir. New Perspectives on the Reign of Louis the Pious (814-840),
Oxford, 1990, p. 455-488.
31
  Concilium Parisiense (829), I, 4, MGH, Concilia, II/2, p. 611-612 et III, 9 (p. 673) ; Conci-
lium Aquisgranense (836), III, 5 (p.  717). Voir R.  Savigni, Giona di Orléans…, op. cit.,
p. 145-175.
32
  Jonas d’Orléans, Vita secunda sancti Huberti et corporis eius translatio ad monasterium Anda-
ginense, éd. C. De Smedt, AA.SS., novembris, I, 16, 29, p. 817b-c.
33
  Concilium Parisiense, III, 26 (p. 679) ; Concilium Aquisgranense, préf. (p. 706) et III, 10
(p. 674).

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la communitas christiana dans l’ecclésiologie carolingienne

est un peu ambiguë 34. Ils doivent collaborer pour assurer le salut du


peuple chrétien, et devront en répondre devant Dieu 35. Si le roi est
le seigneur temporel des évêques, pour Jonas, il est aussi, comme tous
les laïcs, le fils de l’Église 36. Les conciles de Paris (829) et d’Aix (836)
soulignent, en rappelant aussi le sermon xvii de Grégoire de Nazianze,
dans la traduction de Rufin d’Aquilée 37, la supériorité de l’esprit sur
la chair et des réalités célestes sur les réalités humaines, et par consé-
quent la prééminence de l’autorité épiscopale, car les évêques devront
rationem reddere à Dieu pour la conduite des rois  38. Le texte de Gré-
goire de Nazianze est rappelé aussi par Grégoire IV dans son épître
aux évêques francs 39 et, plus tard, au début du xe siècle, par l’arche-
vêque Jean de Ravenne (905-914), dans le contexte d’une conception
fortement hiérarchique de la société chrétienne :

Roi, mon sermon est bref : dans les lois chrétiennes le Saint-Esprit a établi
que, ainsi qu’il faut que les serfs obéissent à leurs seigneurs, les femmes à
leurs maris, l’Église au Seigneur, les disciples à leurs maîtres et pasteurs,
ainsi l’ordre des choses doit être soumis aux autorités les plus élevées.
Donc, tu prends part à la royauté de Christ et dans son royaume tu admi-
nistres les choses humaines… La loi du Christ a soumis votre personne à
l’autorité sacerdotale, et a donné aux pasteurs un pouvoir plus parfait que
votre dignité. L’esprit ne doit pas être soumis à la chair, les choses célestes
à celles de la terre, les réalités divines à celles des hommes 40.

Pour Jonas d’Orléans, l’Église est une maison dans laquelle il y a


une pluralité de niveaux de connaissance de Dieu et de vie spirituelle,
et aussi d’états de vie et de rôles ecclésiaux, préfigurés par les triades
virgines/continentes/coniugati et Noé/Daniel/Job  41. L’ecclésiologie

34
 L’auctoritas n’est pas attribuée seulement aux évêques, mais parfois aussi aux souverains,
cf. Concilium Aquisgranense, 65 (p. 723). Voir R. Teja, « Auctoritas versus potestas. El lidera-
zgo social de los obispos en la sociedad tardoantigua », in Vescovi e pastori in epoca teodosiana,
Atti del XXV incontro di studiosi dell’antichità cristiana, Rome, 1997, p. 73-82.
35
  Hincmar, De divortio Lotharii, Resp., 12 (p. 189), qui rappelle Sg 6, 7.
36
  Jonas d’Orléans, Le métier de roi (De institutione regia), éd. A. Dubreucq, Paris, 1995
(Sources chrétiennes, 407), préf. (p. 148 et 160) et III (p. 192).
37
  Concilium Parisiense, I, 11-12 (p. 618).
38
 Voir Jonas d’Orléans, Le métier de roi…, op. cit., préf. (p. 152) ; I (p. 176) ; III (p. 196)
et Hincmar, Ep. 134, MGH, Epistolae, VIII, p. 78-79.
39
  Agobardi Lugdunensis archiepiscopi epistolae, Ep. 17 (MGH, Epistolae, V, p. 228-229).
40
  Ep. 5, éd. S. Loewenfeld, « Acht Briefe aus der Zeit König Berengars », Neues Archiv, 9
(1884), p. 529-530. Voir R. Savigni, « Sacerdozio e regno nell’Italia postcarolingia : l’epis-
tolario di Giovanni X, arcivescovo di Ravenna e papa », Rivista di storia della Chiesa in Italia,
46 (1992), p. 1-29.
41
  Jonas d’Orléans, De institutione laicali, II, 1 (col. 169-170) et 2 (col. 172c).

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implique donc une anthropologie spirituelle et un projet de direction


spirituelle du clergé par rapport aux laïcs, y compris les rois, mais aussi
un effort de définition institutionnelle  42. L’Église est le moyen par
lequel le Seigneur donne les sacrements et la possibilité du salut. Les
prêtres ont le pouvoir de lier et délier, et, par conséquent, il faut que
les laïcs leur confessent leurs péchés. Mais les laïcs sont invités à
confesser l’un l’autre (entre coaequales) les péchés véniels, en imitant
une coutume monastique 43. Dans l’œuvre de Jonas, la communauté
tout entière, qui doit suivre la loi de Dieu – à l’exception de règles
spéciales pour les moines et les clercs – et pratiquer la professio Chris-
tiana, représente l’horizon du discours. Il rappelle le modèle de la
communauté apostolique de Jérusalem pour critiquer les déviations
morales de l’époque contemporaine et souligner l’unité fondamen-
tale du peuple chrétien 44.
L’Église catholique, conçue comme le vrai Israël, et parfois définie
par opposition au Judaïsme, aux hérétiques et aux païens 45, est une
communauté créée par une convocatio, une initiative divine qui ras-
semble des êtres raisonnables, tandis que la Synagogue est plutôt une
congregatio, un organisme qui peut rassembler aussi des animaux  46.
Pour Jonas et le concile de Paris, l’Église universelle est une « com-
munauté de communautés », dont l’Église romaine est le caput et les
Églises « nationales » et locales les membra. Le souverain peut interve-
nir pour réprimer la simonie dans l’Église romaine, puisque la mala-
die spirituelle de la tête rejaillit sur les membres du corps ecclésiasti-
que 47.

42
 R. Savigni, Giona di Orléans…, op. cit., p. 40.
43
  Jonas d’Orléans, De institutione laicali, I, 15-16 (col. 151-152), qui rappelle un passage
de Bède, In epistolam Jacobi, V, 16, utilisé aussi par Hincmar, Vita Remigii, 5 (p. 270).
44
 Voir Jonas d’Orléans, De institutione laicali, I, 20 (col. 163-166) ; Id., Le métier de roi…,
op. cit., 11 (p. 242-244) et 12 (p. 260) ; R. Savigni, Giona di Orléans…, op. cit., p. 42-57.
45
  J. Heil, Kompilation oder Konstruktion ? Die Juden in den Pauluskommentaren des 9. Jahrhun-
derts, Hanovre, 1998,  p.  100-101, note 31  ; R.  Savigni, « L’immagine dell’ebreo e
dell’ebraismo in Agobardo di Lione e nella cultura carolingia », Annali di storia dell’esegesi,
17/2 (2000), p. 417-461.
46
  Isidore, Etymologiae, VIII, 1, 7 ; Bède, In Lucam, II, 4 ; In Proverbia Salomonis, I, 5, 14 ;
Raban Maur, Expositio in Matthaeum, V, éd. B. Löfstedt, CCCM, 174a, Turnhout, 2000,
p. 405 ; Sedulius Scotus, In evangelium Matthei, I, 4, 23, éd. B. Löfstedt, Kommentar zum
Evangelium nach Matthäus : 1,1-11,1, Freibourg, 1989 (Vetus latina, 14), p. 126.
47
  Concilium Parisiense (829), I, 11 (p. 617), qui rappelle Grégoire le Grand, Regula pas-
toralis, II, 7. En 833, Grégoire IV (MGH, Epistolae, V, p. 231) identifie le sommet de la
tunique de l’Église (capicium tunice), sur lequel descend l’huile du Saint-Esprit (Ps 132, 2),
avec les membres les plus élevés de l’Église, c’est-à-dire avec les sièges apostoliques et surtout
avec l’Église romaine.

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la communitas christiana dans l’ecclésiologie carolingienne

Fonctions et limites de la hiérarchie ecclésiastique et de la


hiérarchie temporelle

Si la réflexion chrétienne sur le pouvoir est complexe, plusieurs


textes carolingiens développent une perspective déjà ébauchée par
Grégoire le Grand : l’homme, créé à l’image de Dieu, doué de raison,
est supérieur à tous les animaux, qu’il doit dominer, tandis qu’il ne
peut pas dominer de cette façon les autres hommes, qui sont naturel-
lement égaux (natura aequales) 48. Toutefois, l’inégalité entre les hom-
mes n’est pas seulement la conséquence du péché, qui assimile les
hommes aux animaux dépourvus de raison 49. La société chrétienne,
en tant qu’universitas, ne peut subsister que par une diversité organi-
sée hiérarchiquement, selon le modèle angélique  50. La volonté de
Dieu guide, par une occulta dispositio, le procès historique ressort du
péché originel, en permettant les différentes conditions sociales afin
que les hommes s’aident les uns les autres et gagnent le salut par la
patience (les pauvres) ou par l’assistance donnée aux pauvres (les
riches)  51.Toutefois, Jonas, tout en insérant le roi dans l’Église, se
refuse à sacraliser la fonction des potentes et souligne l’égalité naturelle
de tous les hommes, au-delà des distinctions sociales, qui sont donc

48
  Grégoire le Grand, Moralia in Job, XXI, 15, 22-23, rappelé par l’Institutio canonicorum,
13 (p. 337) ; Jonas d’Orléans, De institutione laicali, II, 22 (col. 213c-d) ; Raban Maur, In
Genesim, PL, 107, col. 523d-524a. Voir C. Brouwer, « Égalité et pouvoir dans les Morales de
Grégoire le Grand », Recherches augustiniennes, 27 (1994), p. 97-129 ; K. Greschat, Die
« Moralia in Job » Gregors des Großen. Ein christologisch-ekklesiologischer Kommentar, Tübingen,
2005, p. 79-139 ; S. Florysczak, Die « Regula Pastoralis » Gregors des Großen. Studien zu Text,
kirchenpolitischer Bedeutung und Rezeption in der Karolingerzeit, Tübingen, 2005, p. 252-275 et
403.
49
  Grégoire le Grand, Regula pastoralis, II, 6 (p. 204), rappelé par l’Institutio canonicorum
(816), 13 (p. 337) ; voir aussi Agobard, Op. 21 (Liber apologeticus, II), CCCM, 52, p. 315.
50
  Grégoire le Grand, Homiliae in Evangelia, II, 34, 12, éd. R. Étaix, CCSL, 141, Turnhout,
1999, p. 311-312 ; Registrum epistularum, V, 59 (éd. D. Norberg, CCSL, 140, Turnhout, 1982,
p. 357-358) : Neque enim universitas alia poterat ratione subsistere, nisi huiusmodi magnus eam
differentiae ordo servaret. Quia vero creatura in una eademque aequalitate gubernari vel vivere non
potest, caelestium militiarum exemplar nos instruit, emprunté par l’epistula Bonefatii papae, dans
Decretales pseudo-isidorianae et Capitula Angilramni (éd. P. Hinschius, Leipzig 1863, p. 703) ;
Hincmar de Reims, Opusculum LV capitulorum adversus Hincmarum Laudunensem, 12, PL,
126, col. 326a-b ; Jean VIII, Ep. 99 (878), éd. E. Caspar, MGH, Epistolae, VII, Berlin, 1928,
p. 92.
51
  Grégoire le Grand, Moralia in Job, XXI, 15, 22 (éd. M. Adriaen, CCSL, 143a, Turnhout
1979, p. 1082), rappelé par Raban Maur (In Genesim, II, 8, PL, 107, col. 523d-524a) ; Regula
pastoralis, II, 6 (p. 202-204) emprunté par Hincmar (Opusculum LV capitulorum, 14, PL, 126,
col. 327d-328a).

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relativisées  52. En outre, dans le royaume de Dieu, il n’y aura plus


aucune différence de condition sociale, mais seulement une capacité
différente de voir Dieu, selon les mérites de chacun 53. Hincmar, qui
présente l’Église, l’Empire et l’univers comme une res publica,
emprunte à Denys et à Grégoire le Grand le parallélisme entre les
hiérarchies célestes et terrestres  : l’Église «  totale  » comprend les
anges et les hommes saints, qui constituent la cité céleste, organisée
en ordres et degrés, ainsi que l’Église terrestre, pèlerine vers le Ciel,
laquelle reflète l’ordre cosmique et le modèle de l’ancien Israël 54.
Surtout, selon l’ecclésiologie fortement « épiscopaliste » des faus-
ses décrétales  55, la structure de l’Église établie par Dieu est stricte-
ment hiérarchique : les fidèles et les clercs ne peuvent rien faire de
leur propre initiative, car l’autorisation de l’évêque est toujours indis-
pensable  56. Comme la royauté de Dieu, le sommet de la hiérarchie
est le modèle vers lequel tous les souverains doivent regarder. Les
personnes qui se soulèvent contre l’autorité établie par Dieu imitent
la révolte de Lucifer, qui n’a pas voulu être sujet à Dieu et coaequalis
des autres anges 57. Ainsi, sa paternité est le modèle des autorités ter-
restres et des pères de famille : qui ne rend pas l’honneur dû à son
père ou au roi, qui doit gouverner le règne comme une grande mai-
son  58, est coupable devant Dieu, qui est le père de tous  59. Dhuoda,
inspirée par une « religion de la paternité »  60, souligne la sublimité
de Dieu, le fondement de toutes les hiérarchies et de l’harmonie

52
  Jonas d’Orléans, De institutione laicali, II, 22 (col. 213a) : Cavendum his qui praesunt, ne
sibi subiectos, sicut ordine, ita natura inferiores se esse putent. Toutefois, il reconnaît (II, 8,
col. 184c) la valeur de la mundanae dignitatis nobilitas.
53
  Haymon d’Auxerre, Expositio in epistolas beati Pauli. In ep. 1 ad Cor., 15, 24 (PL, 117,
col. 597), passage rappelé par Pierre Lombard et la Glossa ordinaria (P. Buc, L’ambiguïté du
Livre…, op. cit., p. 135-136).
54
  Hincmar, Opusculum LV capitulorum, 11 (PL, 126, col. 325a) : Rex regum (…) coelestem ac
terrenum principatum, cunctam videlicet rempublicam regens, et universam militiam, tam coelestem et
spiritalem quam terrenam et temporalem, distinctis in ordinibus disponens ac moderans, et supernae
atque mundanae curiae praesidens, miro ordine, angelorum hominumque ministerio, pro temporum
varietate et opportunitate dispensat ; 12-14 (col. 325-328). Voir M. Cristiani, Dall’unanimitas…,
op. cit., p. 160-162.
55
 Voir O. Capitani, Immunità vescovili ed ecclesiologia in età « pregregoriana » e « gregoriana ».
L’avvio alla « restaurazione », Spolète, 1966, p. 45-51, 152, 191-195 et 207.
56
  Epistola Clementis tertia, 70 (éd. Decretales pseudo-isidorianae…, p. 57-58).
57
 Voir le capitulaire de Pîtres (862), dans MGH, Capitularia, II, n. 272, p. 305-306.
58
  Concilium Parisiense, II, 1 (p. 649) et III, 24-25 (p. 678) ; Jonas d’Orléans, Le métier de
roi…, op. cit., III (p. 184).
59
  Jonas d’Orléans, Le métier de roi…, ibid., préf. (p. 160-162).
60
 Voir l’introduction de Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. P. Riché, Paris, 1991 (2e éd.,
Sources chrétiennes, 225bis), p. 26-27.

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la communitas christiana dans l’ecclésiologie carolingienne

sociale, et exhorte son fils à obéir surtout au père puis au seigneur


(senior), c’est-à-dire au roi  61. La société carolingienne est une « cas-
cade de responsabilités », une chaîne descendant de fonctions socia-
les  62 : chacun doit obéir à ses supérieurs directs, qui devront eux-
mêmes répondre devant Dieu de la conduite des ordres inférieurs 63.
L’initiative directe des inférieurs n’est pas prévue, tout comme la
négligence et la défaillance de leurs supérieurs. Comme Moïse (Ex
18, 21-26), le roi doit partager le fardeau de son gouvernement du
peuple chrétien avec ses ducs, comtes et juges, et les surveiller 64.
La hiérarchie sociale est inférieure à celle des clercs, mais les com-
tes et seigneurs laïques, qualifiés parfois de praelati, n’exercent pas
seulement une fonction politique et militaire. Pour Jonas d’Orléans,
les puissants, et plus généralement les simples pères de famille, doi-
vent éduquer leurs fils, les serfs et tous les membres de leur propre
maison, dont ils sont les « pasteurs » et les « anges » 65. Au-dessous des
deux hiérarchies (ecclésiastique et politique), le peuple n’est pas
reconnu comme un sujet actif, mais il est seulement l’objet du soin
des praelati. Dans les Annales Bertiniani, Prudence condamne les asso-
ciations « populaires » qui, en 859, s’organisent de façon inconsidérée
(incaute) par une coniuratio – donc au-dehors de l’ordre hiérarchique
– pour combattre les Normands. Le peuple, massacré par les aristo-
crates (potentioribus), est assimilé, par l’expression vulgus promiscuum
qui évoque une masse dépourvue d’identité sociale et de légitimation,
à la part du peuple d’Israël qui, dans le désert, murmure contre Moïse
(Nb 11, 4) 66.

61
  Dhuoda, Manuel…, ibid., I, 3-6 (p. 100-112) ; II, 3 (p. 132) ; III, 2 (p. 140-142) et 10
(p. 172-174).
62
  J. Devisse, Hincmar archevêque de Reims (845-882), t. 1, Genève, 1974, p. 519.
63
  Dhuoda, Manuel…, op. cit., IV, 8 (p. 246) : Quidquid enim in subditis delinquitur, a maioribus
requiritur ; Hincmar, Zweites Kapitular, 26, dans Capitula episcoporum, II (p. 61-62).
64
  Concilium Parisiense, II, 3 (p. 653-654) ; Jonas d’Orléans, Le métier de roi…, op. cit., 5
(p. 210).
65
  De institutione laicali, II, 16 (col. 197a-c), qui emprunte Grégoire le Grand, Regula
pastoralis, II, 7 ; Homiliae in Evangelia, I, 6, 6 et II, 34, 11 ; Bède, Homiliae in Evangelia, I, 7.
Voir aussi Hincmar, De cavendis vitiis, I, 10 (p. 170) ; Dhuoda, Manuel…, op. cit., X, 3.
66
  Annales Bertiniani, éd. G. Waitz, MGH, Script. rer. Germ. in usum schol., 5, Hanovre, 1883
(ad a. 859, p. 51). Selon Hincmar (Erstes Kapitular, 16, MGH, Capitula episcoporum, II, p. 43),
l’activité des associations locales (de collectis, quas geldonias vel confratrias vulgo vocant) doit se
limiter aux fonctions cultuelles et caritatives. Voir S. Epperlein, Herrschaft und Volk im Karo-
lingischen Imperium : Studien über soziale Konflikte und dogmatisch-politische Kontroversen im frän-
kischen Reich, Berlin, 1969, p. 42-50.

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La réflexion sur la hiérarchie cléricale : les « miroirs » du clergé

L’Institutio canonicorum (816), le traité De institutione clericorum de


Raban Maur (819) et les actes du concile d’Aix (836), qui se présen-
tent comme « miroirs » du clergé 67, utilisent quelques passages du De
ecclesiasticis officiis d’Isidore de Séville et de la Regula pastoralis de Gré-
goire le Grand pour présenter un modèle clérical, en condamnant les
clercs qui ne suivent pas une règle, mais vivent comme des animaux
en dehors de l’ordre de la hiérarchie, ou pour confirmer que les sub-
diti doivent supporter aussi les mauvais pasteurs préfigurés par Saül 68.
L’Institutio canonica souligne que, au-delà des divers genres de vie, tous
les chrétiens aspirent à la Jérusalem céleste, sous la direction de
l’Église mère 69. Dans les congrégations des chanoines, les supérieurs
doivent recevoir des clercs d’origine humble, mais aussi noble, en
donnant à tous la même nourriture  70. La promotion aux degrés de
la hiérarchie cléricale n’est pas automatique, mais suppose une éva-
luation des mérites spirituels 71.
Dans son traité, Raban Maur souligne l’universalité de l’Église, en
utilisant les images de l’épouse et du corps de Christ 72 et en emprun-
tant plusieurs passages d’Isidore – Etymologiae VII, 12-14 ; De ecclesias-
ticis officiis II, 1-15 – sur sa structure tripartite (laïcs, moines, clercs).
Il s’arrête sur la tâche du clergé, qui est la « part », l’héritage de Dieu,
et des huit degrés de la hiérarchie ecclésiastique, dont il recherche,
comme Isidore, les préfigurations dans l’Ancien Testament  73. Il
remarque surtout les fonctions sacramentelles et doctrinales du clergé,
qui, comme dans l’Ancien Testament – la tribu de Lévi –, « sert Dieu
dans les choses saintes et donne les sacrements au peuple » et qui doit

67
 Voir Concilium Aquisgranense, 66 (p. 723).
68
  Institutio canonicorum, 101 (p. 378), qui rappelle Isidore (De ecclesiasticis officiis, II, 3), et
103 (p. 379), qui rappelle Grégoire le Grand (Regula pastoralis, III, 4).
69
  Institutio canonicorum, 114 (p. 397), qui rappelle Ep 4, 5-6, et 115 (p. 397).
70
  Institutio canonicorum, 119 (p. 399), où l’on peut entrevoir le difficile équilibre entre
conscience ecclésiale et mentalité aristocratique, et 121 (p. 400).
71
  Institutio canonicorum, 138-139 (p. 415). Pendant les banquets, les prêtres séculiers doi-
vent s’asseoir « selon leur ordre », c’est-à-dire selon l’ancienneté de leur consécration (Hinc-
mar, Erstes Kapitular, 14, MGH, Capitula episcoporum, II, p. 42).
72
 Raban Maur (De institutione clericorum, 1, éd. D. Zimpel, Francfort-sur-le-Main, 1996,
p. 291) emprunte quelques passages à Isidore (Etymologiae, 8, 1, 1).
73
  Raban Maur, De institutione clericorum, I, 2-12 (p. 292-308).

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juger « ce qui est juste et ce qui est injuste, en discernant entre sacré
et profane, entre pur et impur » 74.
Dans son traité, Walahfrid souligne la polysémie du terme ecclesia,
qui évoque la communion des saints et l’unité de tous les chrétiens,
au-delà des frontières de l’espace et du temps, mais aussi les lieux
sacrés et l’âme de chacun des élus 75. L’Église est donc une « commu-
nauté universelle des communautés locales », mais on entrevoit une
attention nouvelle pour l’édifice du culte, dont les structures maté-
rielles doivent évoquer l’aedificium ecclesiae spirituale 76. Surtout, à par-
tir de l’époque de Louis le Pieux, les sources ecclésiastiques carolin-
giennes soulignent la supériorité des clercs, qui doivent prêcher et
administrer les sacrements, sur les laïcs, qui doivent leur obéir et pra-
tiquer les œuvres de miséricorde 77, et l’autonomie des biens de l’Église,
que les laïcs ne doivent pas usurper  78. Elles présentent les évêques
comme les successeurs et les vicaires des apôtres, tandis que les
soixante-dix (ou soixante-douze) disciples de Jésus et les soixante-dix
anciens d’Israël, auxquels Dieu donne une part de l’esprit de Moïse,
préfigurent les prêtres  79. Associés aux évêques dans le pouvoir de
célébrer l’Eucharistie, ils partagent avec eux, comme cooperatores, le
poids des pasteurs d’âmes 80. Ils peuvent être définis sacerdotes secundi
ordinis, car ils n’ont pas l’apicem pontificatus, qui est propre aux évê-

74
  Raban Maur, De institutione clericorum, I, 2 (p. 292-293) ; Liber de sacris ordinibus, 2 (PL,
112, col. 1167b).
75
  Walafrid Strabon, Libellus de exordiis et incrementis quarumdarum in observationibus eccle-
siasticis rerum, 6 (éd. A. L. Harting-Correa, Leiden, 1996, p. 64) : unde una et catholica
dicitur ecclesia, vel singulorum societas sancta locorum, unde et multae dicuntur ecclesiae.
76
 D. Iogna-Prat, « Lieu du culte et exégèse liturgique à l’époque carolingienne  », in
C. Chazelle et B. Van Name Edwards (dir.), The study of the Bible in the Carolingian Era,
Turnhout, 2003, p. 215-244 ; D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de
l’Église au Moyen Âge (v. 800-v. 1200), Paris, 2006, p. 259-308.
77
  Alcuin, Ep. 18 (MGH, Epistolae, IV, p. 51-52) ; Jonas d’Orléans, Le métier de roi…, op.
cit., 2 (p. 182) ; Epistola Clementis tertia, 57 (p. 53).
78
 Voir, par exemple : Concilium Aquisgranense (836), 19 (p. 709) et 48 (p. 719) ; Hincmar
de Reims, Quae exsequi debeat episcopus (PL, 125, col. 1087-1093).
79
  Concilium Meldense-Parisiense (845-846), préf. (p. 84) et 35 (p. 101, interpolation), éd.
W. Hartmann, MGH, Concilia III. Die Konzilien der karolingischen Teilreiche 843-859, Hanovre,
1984 ; Epistola Anacleti, 28 (éd. Decretales pseudo-isidorianae…, p. 82) ; Hincmar, De ordine
palatii, 1 (p. 38). Les chorévêques, préfigurés par les soixante-dix disciples, ne peuvent pas
usurper les fonctions épiscopales, comme la transmission du Saint-Esprit dans le sacrement
de la confirmation, cf. Concilium Parisiense, I, 27 (p. 629) ; voir Isidore, De ecclesiasticis officiis,
II, 6.
80
  Concilium Aquisgranense (836), II, B, 5 (29), p. 711-712 ; Hincmar, Collectio de ecclesiis et
capellis (p. 102).

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ques  81, même si Bède a souligné, à propos d’Actes 20, 17 et 28, la


ressemblance, plutôt que les différences, entre les degrés des évêques
et des simples prêtres 82. Le pouvoir de consacrer l’Eucharistie donne
aux prêtres, médiateurs entre Dieu et le peuple chrétien 83, une dignité
qui n’est pas effacée par l’indignité du ministre du sacrement 84. Pas-
chase Radbert identifie les « petits » de Matthieu 18, 10 avec les apô-
tres, les docteurs et les ministres de l’autel, protégés, au-dessus de son
rôle hiérarchique (super hierarchias suas), par les anges qui célèbrent
avec eux les mystères divins 85.
Raban Maur souligne très souvent la structure hiérarchique de
l’institution ecclésiastique, mais aussi les iura humanae conditionis et le
devoir d’obéir aux souverains et aux parents 86. En commentant Mat-
thieu 23, 6-7, il veut éviter une interprétation « anti-hiérarchique » de
la polémique de Jésus contre les Pharisiens : Jésus n’a pas défendu
aux dignitaires le droit d’être salués en fonction de à leur place et de
s’asseoir les premiers, mais il a exhorté ses disciples à se méfier de
l’orgueil  87. Il reconnaît toutefois que l’Église a connu de véritables
transformations historiques sur le plan hiérarchique. En utilisant à la
lettre un passage très significatif de l’Ambrosiaster, dont il rappelle

81
  Raban Maur, De institutione clericorum, I, 5 (p. 299) et 6 (p. 301) qui rappelle Isidore,
De ecclesiasticis officiis, II, 7, 1-2 (p. 64-65). Voir aussi Théodulphe d’Orléans, Erstes Kapi-
tular, 1, in Capitula episcoporum, I (p. 104) ; Hincmar, De ordine palatii 1 (p. 38-40). Sur
l’évolution de la notion de sacerdos, réservée presque exclusivement aux évêques jusqu’au
viie siècle, voir A. Vilela, « La notion traditionnelle des sacerdotes secundi ordinis des origines
au Décret de Gratien », in Teologia del sacerdocio, t. 5 (El carisma permanente del sacerdocio
ministerial), Burgos, 1973, p. 31-65 ; R. Godding, Prêtres en Gaule mérovingienne, Bruxelles,
2001, p. 171-201.
82
  Bède, Expositio Actuum Apostolorum, éd. M. L. W. Laistner, CCSL, 121, Turnhout, 1983,
p. 83. Voir aussi Hincmar, Ad episcopos regni, 4, PL, 125, col. 1009d-1010a : dans l’Église
primitive utrique presbyteri, utrique vocabantur episcopi.
83
 Voir Raban Maur, De institutione clericorum, I, 32 (éd. Zimpel, p. 338) ; Jonas d’Orléans,
De institutione laicali, II, 20 (col. 208d). Les prêtres doivent sauver le peuple de la colère de
Dieu, cf. Hincmar, De ordine palatii, 3 (p. 48). Voir R. Savigni, « Le commentaire d’Alcuin
sur l’épître aux Hébreux et le thème du sacrifice », in Alcuin de York à Tours…, op. cit.,
p. 245-267.
84
  Agobard, Ep. 4 (De privilegio et iure sacerdotii), 7 (p. 57-58) et 15 (p. 65) ; Paschase Rad-
bert, De corpore et sanguine Domini, 12, éd. B. Paulus, CCCM, 16, Turnhout, 1969, p. 80.
85
  Paschase Radbert, Commentarius in Matheo, VIII, 18, 10, éd. B. Paulus, CCSM, 56a,
Turnhout, 1984, p. 880.
86
  Raban Maur, Ep. 16 (MGH, Epistolae, V, Berlin, 1899, p. 417-418) : Docet ergo fideles, aeterni
videlicet regis famulos, etiam mundi potestatibus subdi, ne vel in hoc fidei et religioni christiane possit
detrahi, quod per eam humane conditionis iura turbentur. Ce passage est emprunté à Bède, In
epistolam I Petri, II, 13-14 (éd. D. Hurst, CCSL, 121, Turnhout, 1983, p. 239), voir aussi
Smaragde, Collectiones in epistolas et evangelia (ed. PL, 102, col. 288c-d).
87
  Raban Maur, In Matthaeum, VII, 23 (p. 594) : animum videlicet, non gradum iusta distinctione
redarguens, qui rappelle Bède, In Marci evangelium expositio, III, 12.

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l’idée que l’univers est une chaîne descendante d’êtres  88, il évoque
l’organisation plus simple et « égalitaire » de l’Église primitive, justi-
fiée par l’urgence de l’évangélisation, et la plus tardive délimitation
des fonctions des différents ministères ecclésiales, afin d’éviter la
dégradation des sacrements et des institutions de l’Église 89. L’évêque,
qui, identifié par Isidore avec le pontifex maximus de la religion romaine,
doit diriger les ordres de l’Église et indiquer à chacun d’eux sa propre
tâche 90, résume la dignité de tous les ordres, de tous les échelons de
la hiérarchie, même s’il ne peut pas exercer directement tous les
ministères 91.
Même si Jonas rappelle la dévotion et l’« unanimité » de la com-
munauté de Jérusalem, à l’époque carolingienne, l’Ecclesia primitiva
est évoquée surtout comme source de légitimation de l’Église de ce
temps 92. Le traité de Walahfrid Strabon, qui compare les hiérarchies
de l’Église avec les hiérarchies politiques romaines pour exalter l’har-
monie de la « république spirituelle de l’Église » 93, et l’épître De rebus
ecclesiasticis non invadendis, envoyée à Pépin d’Aquitaine par le concile

88
  Raban Maur, Enarrationes in epistulas beati Pauli, XVIII. In epistulam ad Ephes., 4, 15-16
(PL, 112, col. 434a), qui rappelle Ambrosiaster, Commentarius in Pauli epistulas. Ad Ephesios,
4 (éd. H. G. Vogel, CSEL, 81/3, Vindobonae, 1969, p. 103) : Dieu a créé l’univers ut a
cherubin et seraphin potentes qui sub sede Dei sunt, et angelis quos ipse Dominus sanctos appellat,
quasi quaedam concatenatio sit usque ad firmamentum ordinata descendens (…) ut totum et iunctum
sit et meritis tamen discernatur.
89
  Raban Maur, Ep. 30, 6 (MGH, Epistolae, V, p. 453) : coepit alio ordine et providentia gubernari
ecclesia, quia si omnes eadem possent, inrationabile esset et vulgaris res et vilissima videretur ; Enar-
rationes (col. 430d-431b), qui rappelle Ambrosiaster, Commentarius (p. 99-100).
90
  Isidore, Etymologiae, VII, 12, 13-15, emprunté par Raban Maur, De institutione clericorum,
5 (éd. Zimpel, p. 299). Voir F. Van Haeperen, « Des pontifes païens aux pontifes chrétiens.
Transformations d’un titre : entre pouvoirs et représentations », Revue belge de philologie et
d’histoire, 81 (2003), p. 137-159.
91
 Voir Raban Maur, Enarrationes (col. 430d) : Nam in episcopo omnes ordines sunt ; Haymon
d’Auxerre, Expositio in divi Pauli epistolas, In epist. ad Corinthios primam, 1, 17 (PL, 117,
col. 524c) ; Hincmar, Ad episcopos regni, 4 (PL, 125, col. 1010a-b), qui rappellent Ambro-
siaster, Commentarius (p. 98-99) ; Amalaire, Liber officialis, II, 6 (éd. J. M. Hanssens, Ama-
larii episcopi opera omnia, t. 2, Cité du Vatican, 1950, p. 214) : Sic sunt inferiores ordines in
adiutorio superiorum, ut tamen non excludant superiores ab officiis sibi commissis. Selon Christian
de Stavelot (Expositio in evangelium Matthaei, PL, 106, col. 1343), les apôtres ont reçu (Mt
10, 1) tous les degrés des rectores Ecclesiae ; et selon quelques textes analysés par R. E. Rey-
nolds (The Ordinals of Christ from their Origins to the Twelfth Century, Berlin/New York, 1978,
p. 69-83, en particulier p. 82), Jésus a rempli toutes les fonctions propres de chacun des
ordres ecclésiastiques.
92
  J. Devisse, « L’influence de Julien Pomère sur les clercs carolingiens », Revue d’histoire de
l’Église de France, 46 (1970), p. 285-295 ; D. Ganz, « The Ideology of sharing : apostolic
community and ecclesiastical property in the early Middle Ages », in W. Davies et P. Fou-
racre (dir.), Property and Power in the Early Middle Ages, Cambridge, 1995, p. 17-30.
93
  Walafrid Strabon, Libellus de exordiis…, 32 (p. 190-194).

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d’Aix (836) et rédigée par Jonas, exaltent la croissance politique et


économique de l’Église et justifient ses transformations histori-
ques 94.
Dans les actes des conciles on entrevoit un souci du Christianum
decus, une volonté d’éviter que les sacrements ne soient dépréciés 95.
La hiérarchie des personnes consacrées est renforcée par une hié-
rarchie des temps et des lieux sacrés. Les basilicae Deo dicatae, consa-
crées par les évêques, ont une dignité supérieure par rapport aux
chapelles privées des laïcs, aux autels portatifs que les prêtres ne peu-
vent pas ériger « inconsultis episcopis » et surtout aux lieux de la « reli-
gion populaire » 96. Les inhumations privilégiées doivent être autori-
sées par l’évêque diocésain 97. Le rapport avec le sacré n’est pas pos-
sible au dehors de la médiation cléricale : à l’époque de Boniface,
l’Église romaine condamne les faux apôtres Aldelbert et Clément, qui
célèbrent leurs « liturgies » dans quelques chapelles rurales (oratoriola)
et invoquent les noms de plusieurs anges que la tradition ecclésiasti-
que identifie avec des démons 98.
Les prêtres qui ont atteint la dignité épiscopale (culmen sacerdotalis
honoris) ne doivent pas s’enorgueillir, mais se rappeler de leur propre
fragilité humaine, et chercher à imiter les saints évêques de l’Antiquité
et les nobles « ancêtres » de l’Église locale  99. Toutefois, les laïcs ne
peuvent pas juger les mauvais recteurs de l’Église, qui seront condam-
nés par Dieu 100. Ils ne peuvent pas s’approcher du sacré, mais doivent
éviter de suivre les exemples négatifs d’Oza, foudroyé pour avoir tou-

94
  Concilium Aquisgranense, epistula ad Pippinum regem directa (MGH, Concilia, II/2, p. 724-767) ;
Walafrid Strabon, Libellus de exordiis…, 3 (p. 56), 23 (p. 138) et 27 (p. 168-180) ; Ago-
bard, Op. 7 (De dispensatione ecclesiasticarum rerum), 24 (CCCM, 52, p. 138).
95
  Voir Concilium Parisiense, I, 8 (p. 615) : les fidèles qui, baptisés en urgence pour danger
de mort (appelés gravatarii) et n’ont pas reçu un baptême solennel par le prêtre, ne peuvent
pas entrer dans la hiérarchie ecclésiastique, pour éviter la dehonorationem ecclesiasticorum
graduum ; 9-10 (p. 616).
96
  Jonas d’Orléans, De institutione laicali, I, 11 (col. 143-144) ; Concilium Parisiense, I, 47
(p. 641) : Satius igitur illis est missam non audire quam eam ubi non licet nec oportet audire ; III,
6 (p. 672) ; Hincmar, Collectio de ecclesiis et capellis, I (éd. Stratmann, p. 75-76 et 79) ;
Agobard, Op., 15, 12 (p. 243) ; Amolon, Ep. 1 (a. 841-844), 6-8 (éd. E. Dümmler, MGH,
Epistolae, V, Berlin, 1899, p. 366-367). Voir É. Palazzo, Liturgie et société au Moyen Âge, Paris,
2000.
97
  Hincmar, Collectio de ecclesiis et capellis (p. 82) ; Erstes kapitular, 12 (MGH, Capitula episco-
porum, II, p. 40).
98
  Die Briefe des Heiligen Bonifatius und Lullus, Ep. 59 (actes du synode de Rome, a. 745),
p. 111-112 et 117.
99
  Concilium Parisiense, I, 18 (p. 624-625) et 20 (p. 626).
100
 Voir Concilium Parisiense, I, 19 (p. 625), qui rappelle 1 R 26, 11 ; 2 R 16, 5 ; Ps 104, 15 ;
Isidore, Sententiae, III, 39, 5-6 et Rufin d’Aquilée, Histoire ecclésiastique, X, 2.

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ché l’Arche (2 Sam 6, 7) 101, et du roi Ozias, qui fut frappé par la lèpre
pour avoir usurpé le ministère sacerdotal  102. Surtout les femmes ne
peuvent pas entrer dans l’espace de l’autel et distribuer l’Eucharistie,
car ce serait quelque chose d’abject  103, ni prendre le voile de leur
propre initiative pour acquérir une liberté et une mobilité dange-
reuse 104.

La sacralisation de la liturgie et du clergé

La distinction entre le clergé et le laïcat est surtout soulignée après


840-845, c’est-à-dire après la rédaction du De corpore et sanguine Domini
de Pachase Radbert 105, par les actes du concile de Meaux/Paris, qui
attribuent aux évêques et aux prêtres en tant que hérauts du jugement
de Dieu, doués du pouvoir des clefs, la tâche de juger les laïcs 106, par
les Fausses décrétales, par Hincmar de Reims, qui rappelle plusieurs fois
la sainteté du ministère sacerdotal fondée sur le pouvoir de consacrer
le pain et le vin, et les règles du Lévitique sur la pureté rituelle, selon
lesquelles on ne peut pas mettre en contact les choses consacrées avec
des personnes qui ne sont pas pures 107. Les Fausses décrétales soulignent
surtout la supériorité de la vie des prêtres – identifiés avec les « spiri-
tuels » de 1 Cor 2, 15 et 3, 1 – par rapport à celle des laïcs, définis

101
  Jonas d’Orléans, De cultu imaginum, III (PL, 106, col. 386c) ; Concilium Meldense-Pari-
siense (846-847), 9 (MGH, Concilia, III, p. 89).
102
  Concilium Parisiense, I, 47 (p. 641) ; Concilium Aquisgranense (836), II, 31 (p. 758). Voir
aussi Hincmar, Capitula in synodo apud sacram Macram ab Hincmaro promulgata, 1 (PL, 125,
col. 1071) ; Ad episcopos regni admonitio altera, 3 (PL, 125, 1009a-b) ; Ratramne, Contra
Graecorum opposita, I, 2 (PL, 121, col. 228a-b).
103
  Concilium Parisiense, I, 45 (p. 639) ; voir aussi Admonitio generalis (789), 17 (MGH, Capi-
tularia, I, p. 55) ; Capitulare missorum generale (802 c.), 6 (p. 102) ; Raban Maur, Enarratio
super Deuteronomium, II, 29 (PL, 108, col. 922d), et en général G. Otranto, « Note sul
sacerdozio femminile nell’antichità in margine a una testimonianza di Gelasio I », Vetera
christianorum, 19 (1982), p. 341-360 ; D. Corsi (dir.), Donne cristiane e sacerdozio : dalle origini
all’età contemporanea, Rome, 2004.
104
  Concilium Parisiense, I, 42 (p. 638) et 44 (p. 639) ; III, 7 (p. 672).
105
 Sur les implications ecclésiologiques de la controverse eucharistique, voir M. Cristiani,
Tempo rituale e tempo storico. Comunione cristiana e sacrificio. Le controversie eucaristiche nell’alto
medioevo, Spolète, 1997, p. 146-151.
106
  Concilium Meldense-Parisiense (845-846), préf. (MGH, Capitularia, II, p. 395-396), qui
rappelle Jr 1, 10.
107
  Hincmar, Erstes kapitular (éd. Capitula episcoporum, II, p. 39-40) : aucun prêtre ne doit
prêter sur gage les objets du culte, quia tanta est sanctitas sacri ministerii, qui rappelle Ez 44,
19 et une fausse décrétale du pape Étienne (éd. Decretales pseudo-isidorianae…, p. 183).

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comme carnales et vulgares homines  108, et appliquent aux prêtres les


images du « sel de la terre » et de la « lumière du monde » de Matthieu
5, 13-14, déjà rapportées en général à tous les chrétiens 109. Pour les
rédacteurs des Capitula episcoporum, la vie des clercs doit être un miroir
pour les laïcs : ils doivent pratiquer un genre de vie plus pur et avoir
une allure digne, qui inspire la révérence 110. La hiérarchie des genres
de vie est marquée aussi par les différents degrés de pureté et de par-
ticipation au culte. Par conséquent, il faut que les prêtres, dont la
qualité morale est plus importante que le nombre 111, soient toujours
chastes, car ils doivent célébrer chaque jour l’Eucharistie 112. Hincmar
exhorte les clercs à éviter la familiarité avec les femmes, car une vie
de continence et le ministère ne garantissent pas l’immunité de la
tentation 113.
Les décrétales du Pseudo-Isidore, en rappelant une image des
Pères, comparent l’Église à un navire, dont le Christ est le timonier,
le gubernator, tandis que l’évêque, qui doit veiller et « porter le poids »
non seulement de lui-même mais de tous les chrétiens, exerce la fonc-
tion de second pilote à la proue, et où les clercs mineurs et les laïcs
constituent l’équipage. Il s’agit d’une communauté hiérarchique, qui
doit affronter les dangers du monde d’ici-bas pour atteindre la ville
du Roi céleste 114. Les laïcs qui, bien que pieux, ne peuvent pas exercer
aucune fonction ecclésiastique  115, et les clercs mineurs ne peuvent
pas accuser les évêques – appelés « œil de Dieu », « clefs du ciel » et
« trônes de Dieu », correspondants aux membres de la hiérarchie

108
  Epistola Clementis prima, 32 (p. 40) et 34 (p. 41), qui rappellent, contre ceux qui relevent
la tête contra magistros et seniores suos, le passage Is 14, 11-17 sur la punition de l’orgueil de
Lucifer ; Epistola Evaristi secunda, 9 (p. 91) ; Epistola Anacleti secunda, 19 (p. 76).
109
  Epistola Clementis prima, 26 (p. 38) ; Epistola tertia, 70 (p. 58) ; voir Raban Maur, In
Matthaeum, II, 5, 11 (p. 130).
110
  Capitula Frisingentia tertia, 11 (éd. Capitula episcoporum, III, p. 225) ; Herardus Turo-
nensis, Capitula, n. 107 (MGH, Capitula episcoporum, II, p. 150).
111
  Epistula Clementis secunda, 47 (p. 48-49).
112
 Voir Hincmar, Capitula presbyteris data, II, 21 (PL, 125, col. 782a) ; Ratramne, Contra
Graecorum opposita, IV (PL, 121, col. 325a et 328a-b). Sur la notion de pureté à l’époque
carolingienne et sur l’essor de l’idéal du célibat, voir R. Savigni, « Purità rituale e ridefini-
zione del sacro nella cultura carolingia : l’interpretazione del libro del Levitico e dell’epis-
tola agli Ebrei », Annali di storia dell’esegesi, 13 (1996), p. 229-255 ; M. De Jong, « Imitatio
Morum. The Cloister and Clerical Purity in the Carolingian World », in M. Frassetto (dir.),
Medieval Purity and Piety. Essays on Medieval Clerical Celibacy and Religious Reform, New York/
Londres, 1998, p. 49-80.
113
  Hincmar, Vita Remigii episcopi, 16 (p. 301).
114
  Epistola Clementis prima, 14-16 (éd. Hinschius, p. 34-35) ; Epistola Anacleti pape, 2 (p. 67).
Sur l’image de l’évêque gubernator, voir Julien Pomère, De vita contemplativa, I, 16.
115
 Voir Epistola decretalis Stephani pape, 12 (éd. Decretales pseudo-isidorianae…, p. 186).

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angélique du même nom  116 –, car, selon Matthieu 10, 24, le disciple
n’est pas au-dessus de son instituteur et le serf au-dessus de son maî-
tre 117. Les évêques, qui sont la propriété de Dieu, peuvent être accu-
sés seulement par des personnes d’égale condition (« ab coaequali-
bus »), c’est-à-dire par des évêques réunis en concile, excepté le cas
d’hérésie 118. La primauté de l’apôtre Pierre et de l’Église romaine – et
comme le sacerdoce d’Aronne – est le fondement du collège épisco-
pal (souvent défini ordo) 119 et de toute la hiérarchie sacerdotale, selon
une interprétation hiérocratique (pas encore « grégorienne ») du
passage d’Isidore, qui avait remarqué que sacerdotalis ordo a Petro coe-
pit 120. En revanche, la métaphore conjugale est appliquée au rapport
entre l’Église locale et son évêque pour souligner l’indissolubilité du
lien 121.
À cette époque, on entrevoit une croissante cléricalisation du
monachisme, tandis que la participation des laïcs, qui ne compren-
nent plus le latin  122, à la liturgie eucharistique et à l’office divin
devient plus passive. Il se répand l’idée que l’Église consiste surtout
dans les prêtres, en tant que « synthèse » de l’Église  123, même si un
canon du concile de Paris juge qu’aucun prêtre ne doit célébrer solus

116
 Voir Epistola Clementis prima, 37 (p. 41) ; Epistola decretalis Stephani pape, 12 (p. 186).
117
 Voir Epistola Clementis prima, 42 (p. 45) ; Epistola Anacleti prima, 9 (p. 70) ; Decreta Pii pape,
4 (p. 117) : Jésus per seipsum et non per alium vendentes sacerdotes et ementes eiecit de templo. Pour
Smaragde (Via regia, 18, PL, 102, col. 957-858), au contraire, le roi, en tant que vicaire du
Christ, peut imiter la conduite de Jésus, qui a éloigné les marchands du Temple par
le fouet.
118
  Epistola Clementis prima, 31-33 (p. 40), 38 (p. 42) et 42 (p. 44-45) ; Epistola Anacleti tertia,
30 (p. 85) ; voir Isidore, Sententiae, III, 39, 4-6. Les fausses décrétales rappellent plusieurs
passages bibliques (Gn 9, 22et 19, 9 ; Ps 81, 1 ; Zc 2, 8 ; Mt 10, 24 et 23, 3 ; Luc 10, 16 ; Ga
6, 2) pour souligner l’impossibilité de juger les évêques et la nécessité de supporter les
pasteurs négligents ou mauvais.
119
 Voir Epistola Anacleti tertia, 28-29 (p. 82) : Et apostolorum vero ordo unus est, licet sint prima-
tes illi, qui primas civitates tenent, emprunté par Hincmar, Opusculum LV capitulorum, 15
(col. 331c-d), avec la variante Episcoporum vero ordo unus est (attestée par un manuscrit de
la fausse décrétale d’Anaclet).
120
  Epistola Anacleti secunda, 18 (p. 75) et 22-24 (p. 78-79), cf. Isidore, De ecclesiasticis officiis,
II, 5, 1 et 5 ; Epistola Anacleti tertia, 32-34 (p. 83-84) : apostolica sedes cardo et caput. Voir aussi
le traité De exordio vel interpretatione ac officio episcoporum, rédigé peut-être dans la région de
Lyon, et publié par R. E. Reynolds, « A Ninth-Century Treatise on the Origins, Office, and
Ordination of the Bishop », Revue bénédictine, 85 (1975), p. 321-332, voir p. 329 : Episcoporum
ordo Aaron auctore adolevit in seculo. Inicium quidem sacerdotii ipse fuit, qui utilise l’Institutio
canonicorum, Raban Maur et les Fausses décrétales.
121
  Epistola Evaristi secunda, 4 (p. 90) ; Epistola Callisti, 14 (p. 139).
122
 M. Banniard, Viva voce. Communication écrite et communication orale du ive au ixe siècle en
Occident latin, Paris, 1992, p. 305-422.
123
 L’expression Ecclesia in sacerdotibus constat est utilisée par Florus de Lyon (De expositione
Missae, 13 et 42, PL, 119, col. 26c-d et 43a) ; Epistola Pii papae secunda (p. 118) ; Isaac

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l’Eucharistie, car une telle pratique provoque une dépréciation (deho-


norationem) du mystère de la messe 124. L’espace de l’autel, réservé au
clergé, est de plus en plus séparé par rapport à l’espace du peuple,
qui reçoit la communion dans la bouche plutôt que dans la main,
tandis que le Canon de la Messe est désormais récité tout bas 125.
Dans la perspective de l’élite cléricale carolingienne, la hiérarchie
cléricale est supérieure à la hiérarchie sociale et politique – souvent
évoquée par les couples praelati/subditi, nobiles/ignobiles ou potentes/
pauperes 126 –, et ne peut pas être confondue avec elle. Les puissants
doivent honorer aussi les clercs pauvres – qu’il ne faut pas utiliser
pour la chasse ou les travaux ruraux 127 – et l’épître collective adres-
sée en 858 par les évêques du royaume de Charles le Chauve à Louis
le Germanique (rédigée par Hincmar) souligne la différence essen-
tielle entre le groupe des fidèles du roi et les évêques, qui ne peuvent
pas être obligés à prêter serment de fidélité au roi comme des vas-
saux laïcs, car l’ordination provoque une transformation ontologi-
que  128. Pour Hincmar, le roi est soumis à la loi et à l’autorité des
évêques, en tant que throni Dei, médiateurs du jugement de Dieu et
dépositaires du pouvoir des clefs 129. Au contraire, Thégan, qui sou-
ligne la sacralité de la fonction impériale et la dignité de la noblesse
– opposée à la condition servile –, s’oppose au rôle politique auto-
nome joué par une part de l’épiscopat franc, dont il remarque l’in-
fidélité au souverain et l’origine sociale parfois très humble. Le

Lingonensis, Capitula, 5 (éd. Capitula episcoporum, II, p. 228) ; voir la variante de Grégoire
IV, Ep. 5 (MGH, Epistolae, V, p. 78) : Ecclesia in sacerdotibus maxime constat.
124
  Concilium Parisiense, I, 48 (p. 642).
125
  J. A. Jungmann, Missarum sollemnia, trad. it., Turin, 1953, p. 70-74 ; II (p. 108) ; Y.
Congar, L’ecclésiologie…, op. cit., p. 96-98 ; R. Savigni, Giona di Orléans…, op. cit., p. 169-170 ;
G. Guiver, La compagnia delle voci. Liturgia delle ore e popolo di Dio nell’esperienza storica dell’ecu-
mene cristiana, trad. it., Milan, 1991.
126
 Voir Jonas d’Orléans, De institutione laicali, II, 16 (col. 197a et 199c) et 23 (col. 215c-d) ;
Id., Le métier de roi…, op. cit., 10, p. 234 ; Radulphe de Bourges, Capitula Radulfi episcopi
Bituricensis, 23 (éd. Capitula episcoporum, I, p. 251), qui rappelle la Collectio Capitularium
Ansegisi (Die Kapitulariensammung des Ansegis, II, 39 et 42, éd. G. Schmitz, MGH, Capitularia,
n. s. 1, Hanovre, 1996, p. 560 et 562) ; et le traité publié par Reynolds (« A Ninth-Century
Treatise… », op. cit., p. 331).
127
  Jonas d’Orléans, De institutione laicali, II, 20 (col. 209a) ; Agobard, Ep. 4, 11 (p. 62).
128
  Epistula synodi Carisiacensis, 15 (MGH, Concilia, III, p. 425) : Et nos episcopi Domino consecrati
non sumus huiusmodi homines, ut, sicut homines saeculares, in vassallatico debeamus nos cuilibet
commendare. L’épître évoque (p. 426-427) l’opposition (fondée sur la solidarité aristocrati-
que) de certains conseillers du roi aux évêques, en tant qu’ignobiles, en rappelant que Dieu
n’a pas choisi comme apôtres des personnes nobles, mais des pécheurs.
129
  Hincmar, De divortio Lotharii, Appendix, Resp. 6 (p. 247-248) ; voir MGH, Capitularia, II,
n. 300 (859), c. 3, p. 451.

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dépassement des hiérarchies sociales, y compris par l’élite cléricale,


est perçu comme un danger pour l’harmonie de la société chré-
tienne 130.

Quelques conclusions

Si la sacralisation de la hiérarchie ecclésiastique a été favorisée


par l’essor du réalisme eucharistique et par l’élaboration d’une nou-
velle conception du symbole après la querelle des images  131, la
controverse sur la prédestination provoque une réflexion sur la fonc-
tion des médiations hiérarchiques et de l’institution ecclésiastique.
Gotescalc d’Orbais, en interprétant librement le sermon 62 de saint
Augustin, déprécie les hiérarchies terrestres et juge qu’on peut déso-
béir à une autorité qui s’oppose à la loi divine en appelant à l’auto-
rité supérieure, et surtout à Dieu 132. En revanche, Raban Maur, pour
lequel Dieu est l’universitatis ordinator 133, et Hincmar refusent la pos-
sibilité, théorisée par Gotescalc qu’ils accusent d’avoir fondé une
nouvelle « secte », de s’adresser directement à Dieu, en dépassant
le corps de l’Église 134. De même, Jonas d’Orléans condamne Claude
de Turin, qui méprise les membres humbles de l’Église et s’élève
au-dessus de l’Église 135. Pour Jean Scot, qui, comme Hincmar, com-
pare l’univers à une res publica, la structure hiérarchique de l’Église
et de la société est un moyen pour reformer l’image et la ressem-

130
  Thégan, Vita Hludowici, 20 (éd. E. Tremp, « Die Taten Kaiser Ludwigs », MGH, Scriptores
rerum Germanicarum in usum scholarum, 64, Hanovre, 1995, p. 204-206) ; 50 (p. 242) et 56
(p. 252).
131
 A. M. Orselli, « Controversia iconoclastica e crisi del simbolismo in Occidente fra VIII
e IX secolo », in Id., Tempo città e simbolo fra Tardoantico e Alto Medioevo, Ravenne, 1984,
p. 81-110 ; M. Cristiani, Dall’unanimitas…, op. cit., p. 108-111.
132
 Voir Gotescalc, De trina deitate (éd. D. C. Lambot, Œuvres théologiques et grammaticales
de Godescalc d’Orbais, Louvain, 1945, p. 96) : si autem imperator contra Deum vult peccare et ipsi
repugnare, (…) imperatorem dimitte et domino Deo te tota devotione summitte, analysé par G. L.
Potestà, « Ordine ed eresia nella controversia sulla predestinazione », in Giovanni Scoto nel
suo tempo. L’organizzazione del sapere in età carolingia, Atti del XXIV Convegno di Todi (1987),
Spolète, 1989, p. 383-411, en particulier p. 401-402.
133
  Raban Maur, In Ecclesiasticum (PL, 109, col. 1002c).
134
  Raban Maur, Ép. à Hincmar de Reims (850) (MGH, Epistolae, V, n. 44, p. 498) ; Hincmar,
De praedestinatione, XXXII (PL, 125, col. 300-302). Voir M. Cristiani, Dall’unanimitas…, op.
cit., p. 163-170.
135
  Jonas d’Orléans, De cultu imaginum, III (PL, 106, 375c-d).

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raffaele savigni

blance de Dieu dans l’homme et l’unité perdue après le péché ori-


ginel 136.
On peut donc entrevoir un tournant dans l’« imaginaire » de la
hiérarchie, vers le milieu du ixe siècle, lorsque l’élite cléricale, image
de la hiérarchie des anges, et doué du pouvoir exclusif de prêcher, de
lier et de consacrer, est considérée différemment par rapport à l’élite
sociale et politique et aux simples fidèles, le « peuple sacerdotal » de
la première épître de Pierre. La diffusion des œuvres de Denys l’Aréo-
pagite, préparée par Grégoire le Grand, et les controverses théologi-
ques, qu’on ne peut pas considérer comme des « querelles de mots »,
ont joué un rôle important dans cette direction.

136
 Voir M. Cristiani, Dall’unanimitas…, op. cit., p. 170-187 ; G. d’Onofrio, « I fondatori
di Parigi. Giovanni Scoto e la teologia del suo tempo », in Giovanni Scoto nel suo tempo…, op.
cit., p. 413-456 ; C. Martello, Simbolismo e Neoplatonismo in Giovanni Scoto Eriugena, Catane,
1986, p. 19.

104

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Alain Rauwel

Les hiérarchies internes


à l’ordre sacerdotal et la question
de la sacramentalité de l’épiscopat
dans l’Église romaine de saint
Augustin à Pierre Lombard

L
a hiérarchie joue d’abord en délimitant, au sein du corps social,
de grandes masses différenciées : en ce qui nous concerne, il
s’agit de l’opposition fondamentale entre clercs et laïcs – quan-
tum differt lux a tenebris, dira Honorius Augustodunensis  1. Mais elle
joue aussi à l’intérieur des groupes, par l’institution de degrés. Le
clergé, de ce point de vue, présente la singularité de ne pas se struc-
turer seulement selon des statuts, c’est-à-dire selon des critères juridi-
ques, mais surtout selon la réception d’ordres sacramentels, transmis
au moyen de rites et dont les capacités rituelles inégales sont la mani-
festation la plus explicite. L’organisation ainsi dessinée a connu des
évolutions considérables entre le ive siècle, lorsque l’Église commence
son inscription dans la Cité, et le xiie siècle, grand moment de fixation
théologique et liturgique dans l’Occident latin. Le réseau complexe
des « ordres mineurs » s’est mis en place, certains degrés primitifs ont
été redoublés – on pense au sous-diaconat et à l’ambiguïté qu’il recou-
vre 2. Mais c’est surtout au sommet de la pyramide hiérarchique que
se sont produits des glissements : d’un épiscopat à tous points de vue
dominant, on est passé à un discours de plus en plus « presbytéro-
centré », et l’épiscopat, parfait synonyme de « sacerdoce » au temps
des Pères, a fini par perdre complètement sa dimension sacramentelle
dès les premières grandes élaborations scolastiques. Cette mutation,
que désigne en théologie classique le débat sur la « sacramentalité de
l’épiscopat », n’a pratiquement pas jusqu’ici intéressé les historiens
qui ont étudié l’Église comme structure englobante de la société
médiévale. Elle mérite pourtant qu’on l’examine de près, dans sa

1
  MGH, Libelli de lite, t. 3, p. 51.
2
 M. Andrieu, « Les Ordres mineurs dans l’ancien rit romain », Revue des sciences religieuses,
5 (1925), p. 232-274. R. Reynolds, « The subdiaconate as a sacred and superior order »,
in Id., Clerics in the early Middle Ages, Aldershot, 1999 (Variorum).

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alain rauwel

chronologie, ses causes possibles et ses implications, tant elle est révé-
latrice des rythmes et des procédures de construction du régime de
Chrétienté. Tel est l’objectif de la présente esquisse.

La tradition patristique du sacerdoce épiscopal

Disons-le d’emblée : le point de départ de l’étude n’est pas spécia-


lement bien choisi. Très marqué par la querelle donatiste, saint Augus-
tin a éprouvé les plus vives réticences à mettre trop facilement en
relation la notion de sacerdoce et les ministres de l’Église militante.
Pour lui, le seul à mériter pleinement le nom de prêtre est le Christ
lui-même, seul sacrificateur légitime et seule victime suffisante. C’est
à lui qu’il tend à réserver l’emploi du terme sacerdos 3. Il est donc bien
difficile de tirer de son œuvre une théologie du sacerdoce humain.
Dans ces conditions, la fonction de l’évêque d’Hippone sera ici pure-
ment symbolique. Il ne marque pas une étape dans l’évolution dog-
matique, il incarne seulement le moment où le corpus doctrinal de
l’Église latine est globalement explicité. Il permet ainsi de laisser en
arrière toute la « préhistoire théologique » des iie-iiie siècles que l’on
ne souhaitait pas, faute de compétence, aborder ici  4. Pour le reste,
Augustin fait partie, en matière de sacerdoce, de ces figures non repré-
sentatives dont l’historien ne peut que constater la singularité. On le
mettrait volontiers en parallèle, à l’autre extrémité de notre arc chro-
nologique, avec un Pierre Damien. Tout comme le Docteur africain
se place dans la droite ligne de l’Épître aux Hébreux pour défendre le
sacerdoce messianique du Christ, le moine italien fait un écho direct
aux enseignements apostoliques en rappelant vigoureusement le
sacerdoce universel des baptisés : constat ergo quemlibet christianum esse
per gratiam Christi sacerdotem 5. Ce sont là des cohérences scripturaires

3
 D. Zaehringer, Das kirchliche Priestertum nach dem heiligen Augustinus, Paderborn, 1931.
E. Lamirande, « Sacerdos dans la langue de saint Augustin », in Traités anti-donatistes, t. 5,
Paris, 1965 (Bibliothèque augustinienne, 32), p. 720-721.
4
 On se reportera à M. Poirier, « Évolution du vocabulaire chrétien du sacerdoce et du
presbytérat des origines à saint Augustin », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de
France, 1997, p. 230-245.
5
  Ep. 145 (olim VIII, 1), Die Briefe des Petrus Damiani, t. 3, éd. K. Reindel, Munich, 1989 (Die
Briefe der deutschen Kaiserzeit, 4), p. 528. N. d’Acunto, « Il sacerdozio regale dei fideli
negli scritti di Pier Damiani », in Florentissima proles Ecclesiae : studi (…) R. Grégoire, Trente,
1996, p. 121-138. En général : P. Dabin, Le sacerdoce royal des fidèles dans la tradition ancienne
et moderne, Namur, 1950 (Museum lessianum , 48). La référence scripturaire est à la Ia Petri
2, 9.

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les hiérarchies internes à l’ordre sacerdotal

qui restent marginales au regard des exigences institutionnelles, et


partant juridiques, d’une Église tout occupée à se donner une struc-
ture, ad extra comme ad intra.
Vers 400 donc, les choses sont claires, de l’avis unanime des lexi-
cographes : sacerdos désigne toujours l’évêque. La sacra unctio sacerdo-
tum renvoie pour saint Léon au sacre épiscopal 6. Il en va parfois de
même pour presbyter : les compresbyteri de l’évêque désignés par les Sta-
tuta Ecclesiae antiqua sont bien ses confrères évêques 7. La pleine condi-
tion de prêtre est donc assurément détenue par l’évêque  8. Un tel
énoncé, toutefois, ne manque pas de soulever deux questions (au
moins), que l’examen de la consecratio episcoporum et de la consecratio
prebyteri contribue à éclairer  9. Ces prières sont remarquables par la
précocité de leur mise en place et leur grande stabilité au long des siè-
cles 10 : présentes dans la collection composite du Veronensis, dont les
éléments étaient en place vers 600 et sont, pour certains, nettement
plus anciens  11, elles se retrouvent dans l’Hadrianum et passent au
xe siècle dans les grandes préfaces consécratoires du Pontifical, via les
libelli romano-francs 12.
Premièrement, cet évêque-sacerdos possède-t-il la plénitude du
sacerdoce  ? Cette formule a connu une grande fortune chez les
modernes, et elle a toutes les apparences d’un topos de la littérature
patristique. La difficulté vient pourtant de sa rareté. Tel quel, plenitudo
sacerdotii ne se rencontre guère. On a voulu que les références au
summus sacerdos (déjà chez Tertullien), puis au summi sacerdotii minis-
terium dans les prières du sacre épiscopal, en soient l’équivalent. C’est
inexact, malgré l’abondance des occurrences, du nos (…) in summum
sacerdotium consecratos des évêques de Provence 13 au primus sacerdos et
princeps sacerdotum cher à Hincmar 14. Le grand prêtre est une réalité

6
  Serm. LIX, 7 ; CCSL, 138a, p. 358-359.
7
 Cap. xxii-xxiii (éd. C. Munier, Paris, 1960).
8
  P. Gy, « Remarques sur le vocabulaire antique du sacerdoce chrétien », in Études sur le
sacrement de l’Ordre, Paris, 1957 (Lex orandi, 22), p. 125-145. Pour saint Ambroise : R. Gryson,
Le prêtre selon saint Ambroise, Louvain, 1968.
9
  J. Lécuyer, Le sacrement de l’ordination : recherche historique et théologique, Paris, 1983 (Théo-
logie historique, 65).
10
  Bien observé par P. de Puniet, Le Pontifical romain : histoire et commentaire, t. 1, Paris/
Louvain, 1930, p. 267.
11
  Sacramentarium Veronense, éd. C. Mohlberg, Rome, 1956 (Rerum ecclesiasticarum docu-
menta, series major, fontes, 1), n° 942-947 pour les évêques et n° 952-954 pour les prêtres.
12
 Les principaux Ordines romani d’ordinations sont les n° 34 (éd. Andrieu, t. 3, p. 606-613)
et 35 (t. 4, p. 33-46). L’ordo 34 a été compilé à Rome au milieu du viiie siècle.
13
 Lettre au pape, c. 450, MGH, Ep., t. 3, p. 19.
14
 Voir ici même la contribution de R. Savigni.

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alain rauwel

vétéro-testamentaire bien documentée, appelée à propos des minis-


tres de la Nouvelle Loi dans la logique typologique constitutive de
l’exégèse ancienne et médiévale, et par contagion de la sacramentaire
qui en découle, comme l’a bien noté F. Van Haeperen 15. Il se rappelle
au souvenir des médiévaux par des images tout à fait sensibles, comme
ce « rational » qui a désigné à la fois un ornement propre à quelques
prélats d’Empire et un genre de littérature liturgico-théologique  16.
Ce n’est en aucun cas une notion abstraite comme la « plénitude du
sacerdoce ». L’ancienneté de cette dernière est décidément mal éta-
blie et il convient d’y voir un fait exégétique bien plus qu’un concept
théologique.
Secondement, comment situer les simples prêtres par rapport à
l’évêque-sacerdos ? Ici, la situation est plus nette. Le magistère comme
la liturgie mettent en avant, au moyen d’un lexique très cohérent, la
situation de second rang qui leur est propre. Dès Innocent Ier, dans la
fameuse décrétale Si instituta à Decentius de Gubbio (416), on parle
de secundi sacerdotes  17. De même, saint Léon cite des secundi ordini
sacerdotes  18. Ailleurs, le même pape distingue le presbyteralis honor de
l’episcopalis excellentia  19. Le rituel de l’ordination évoque, en un rac-
courci célèbre, un secundi meriti munus 20. Tout cela montre à suffisance
que les desservants des églises plébanes sont participants du même
ordo sacerdotalis que les prélats, mais à un degré inférieur, subordonné ;
ils sont bien les cooperatores ordinis nostri que désignent les prières de
l’ordination 21. On peut toutefois se demander si l’ordo noster en cause
est celui des évêques seuls, auquel les prêtres apporteraient leur aide
de l’extérieur, ou celui des prêtres, au sein duquel les deux groupes
se retrouveraient. À la fin du xiie siècle, le cardinal Lothaire reprend
la même idée en distinguant les héritiers des majores sacerdotes de l’An-
cien Testament et des apôtres de ceux des simples lévites et disciples,
dits minores sacerdotes ; il le fait même explicitement – sacerdotes majores,

15
  « Des pontifes païens aux pontifes chrétiens », Revue belge de philologie et d’histoire, 79
(2001), p. 158.
16
 Voir ce passage très explicite de la Vita Willibaldi (BHL, 8934, cap. xxiii) : habebat rationale
summus pontifex in lege veteri in praefigurationem multae perfectionis et pontificibus Novi Testamenti
quibusdam conceditur…
17
  Denzinger, n° 98 (éd. de 1932).
18
  Serm. XLVIII, 1, PL, 54, col. 298.
19
  Ep. XIV, 4, PL, 54, col. 672.
20
  Sacramentarium Veronense (éd. C. Mohlberg, n° 954). « Ordo qualiter in Romana Ecclesia
presbiteri, diaconi vel subdiaconi eligendi sunt », in C. Vogel et R. Elze (éd.), Le Pontifical romano-
germanique, Rome, 1963 (Studi e testi, 226), t. 1 p. 34 ; cf. aussi p. 32.
21
  Ibid.

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les hiérarchies internes à l’ordre sacerdotal

id est episcopi ; sacerdotes minores, id est presbyteri – et en s’appuyant sur la


formule viri sequentis ordinis et secundare dignitatis, très proche de celle
de saint Léon, qu’il emprunte au Pontifical 22.
De façon complémentaire, la formule de l’ordination presbytérale
demande encore : da in hunc famulum tuum presbyterii dignitatem 23. Si
le presbytérat est présenté, au moment même où il est conféré, comme
une dignitas, c’est qu’il ne forme pas de lui-même un ordo mais s’y
inscrit, à sa place, selon une progression hiérarchique, celle des sacer-
dotales gradus  24. Ainsi, le sacerdoce n’est pas une réalité massive, un
bloc indistinct, mais une structure trine et une, fondée sur l’harmonie
des rapports, semblable en tout à la Trinité divine.
L’une des meilleures preuves du statut secondaire reconnu aux
simples prêtres se trouve dans la carrière des papes, comme l’avait
bien vu M. Andrieu  25. Saint Léon et Grégoire le Grand, qui étaient
diacres à leur élection, ont été promus directement à l’épiscopat, sans
recevoir l’ordination presbytérale, alors que, plus tard, un Grégoire
VII, diacre lui aussi, devra attendre d’avoir reçu la chasuble pour pou-
voir, dans un second temps, coiffer la mitre romaine. La situation pour
le très haut Moyen Âge est donc particulièrement claire : si le sacre
épiscopal peut être reçu à un degré inférieur du cursus clérical, c’est
qu’il confère parfaitement et intégralement, à lui seul, le sacerdoce.
Et dans la mesure où la fin propre du sacrement de l’Ordre est l’agré-
gation à l’ordo sacerdotalis, il s’ensuit nécessairement que l’épiscopat
est sacramentel. Le compilateur, probablement lyonnais, du BnF lat.
2449 (ixe siècle), qui transmet fidèlement le point de vue des Pères,
l’a fort bien résumé, au moment où il affirme que le sacre doit avoir
lieu un dimanche : in illa die celebranda esse mysteria sacerdotalium benedic-
tionum in qua collata sunt omnia dona gratiarum 26.

22
  De missarum mysteriis I, 6 (PL, 217, col. 777). Le Pontifical…, op. cit., p. 33 (et Sacramenta-
rium Veronense, n° 954).
23
  Le Pontifical…, ibid., p. 34.
24
  Le Pontifical…, ibid., p. 33. Voir l’interrogatoire de l’ordinand (p. 29) : vis presbiterii gradum
in nomine Domini accipere ?
25
 M. Andrieu, « La carrière ecclésiastique des papes  », Revue des sciences religieuses, 21
(1947), p. 106-107.
26
 R. Reynolds, « A IXth Ct treatise on the origins, office and ordination of the bishop »,
Revue bénédictine, 85 (1975), p. 321-332 (éd. l. 110-111).

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alain rauwel

La mutation des viiie-xe siècles

Pourquoi, comment, à partir du viiie siècle, les choses ont-elles


commencé à changer, le bel équilibre romain du vie siècle à se déli-
ter ? Il faut chercher une des clefs de la mutation dans les monastères.
La multiplication des messes privées et l’accès au sacerdoce de profès
toujours plus nombreux sont des phénomènes trop connus pour qu’il
vaille la peine d’y revenir  27. Leurs conséquences, toutefois, ne sau-
raient être négligées : de plus en plus, les prêtres non-évêques ne sont
pas des clercs vivant dans le siècle et s’appliquant à diriger une com-
munauté et à l’enseigner en même temps qu’ils président pour elle
le culte dominical, mais des hommes retirés du monde, chez qui les
effets du sacrement reçu ne s’expriment qu’à l’autel, dans la célébra-
tion solitaire. Le point focal de l’existence sacerdotale s’en trouve
notablement déplacé, de la fonction d’autorité (doctrinale et sociale
à la fois) à l’Eucharistie – ce qui n’est pas nécessairement une valori-
sation sur toute la ligne : de collaborateurs des évêques pour l’ensem-
ble de leur mission, les prêtres ont tendance à devenir des consécra-
teurs professionnels.
Le mouvement, cependant, s’il est irréversible, n’est pas rapide.
Nous n’en observons guère les symptômes sensibles qu’au xe siècle.
C’est à ce moment, par exemple, que le culte monastique du Christ
eucharistique prend une grande intensité. Les Collations d’Odon de
Cluny sont de ce point de vue particulièrement riches, tout axées
qu’elles sont sur l’exaltation de « l’immense Majesté renfermée dans
le sacrement de l’autel » 28. Les rites mêmes de l’ordination s’en trou-
vent modifiés, et surtout compliqués 29. De toute antiquité, l’imposi-
tion des mains constituait la matière du sacrement, le geste décisif de
la cérémonie. À partir du xe siècle, on voit s’y adjoindre, objet d’une

27
 Entre beaucoup d’autres : A. Angenendt, « Missa specialis : zugleich ein Betrag zur
Entstehung der Privatmesse », Frühmittelalterliche Studien, 17 (1983), p. 153-221.
28
 Cf. S. Simonin, « Le culte eucharistique à Cluny de saint Odon à Pierre le Vénérable »,
Bulletin du Centre international d’études romanes, 1961, p. 3-13 (et PL, 133, col. 559). Sur Odon,
on attend la publication de l’important travail d’I. Rosé, cf. « Odon de Cluny : itinéraire et
ecclésiologie d’un abbé réformateur », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, 10
(2006), p. 255-263.
29
  B. Kleinheyer, Die Priesterweihe im römischen Ritus : eine liturgie-historische Studie, Trèves,
1962 (Trierer theologische Studien, 12). On pourra voir aussi les diverses études de R. Rey-
nolds : sont-elles, toutefois, d’une importance telle que le même Reynolds, dans son article
« Clerical ordinations » du Dictionary of the Middle Ages (t. 9) ne batisse sa bibliographie que
sur elles seules ?

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les hiérarchies internes à l’ordre sacerdotal

insistance toujours croissante, la porrection des instruments  30. Ce


geste était encore inconnu d’Amalaire au siècle précédent, même si
le grand liturgiste carolingien remarque que les évêques francs (epis-
copi nostri) pratiquent l’onction des mains  31, à la différence des Ita-
liens  32. Il y avait là une première étape dans le recentrage du rite,
dans la mesure où l’exaltation des mains du prêtre, dans la littérature
théologique ou dévote, a toujours été fondée sur leur capacité consé-
cratoire 33. Mais la réception solennelle du calice et de la patène a un
sens plus immédiat et plus massif encore : elle traduit l’accession de
l’apprenti à une forme suprême de maîtrise, puisqu’il peut, en exer-
çant le « métier » sacerdotal, renouveler en quelque sorte l’Incarna-
tion.
La consécration épiscopale connaît une évolution à la fois parallèle
et différemment orientée. L’imposition des mains cesse, là aussi,
d’être l’élément majeur. L’onction du chrême s’y ajoute, comme le
rapporte Hincmar dans le récit de son propre sacre, qui semble bien
en être la première attestation  34. La transmission des insignes de la
charge, évoquée dans le même document, se trouve ainsi antérieure
d’environ un siècle à la porrection des instruments de l’ordination
sacerdotale. Mais la signification n’en est pas identique. Ces insignes
sont la crosse et l’anneau ; ils induisent un pouvoir de conduire, de
gouverner, d’enseigner et d’édifier. Ils n’apportent pas de compé-
tence strictement eucharistique. L’équilibre des attributions en est
symboliquement déplacé : ce que la liturgie produit et désigne, ce
n’est pas d’abord un évêque-prêtre, mais un évêque-chef. Cela n’a rien
de négligeable, mais ne se situe pas au même plan de hiérarchisa-
tion.

30
 Attesté au Pontifical romano-germanique (éd. C. Vogel et R. Elze, p. 35). P. de Puniet, Le
Pontifical romain…, op. cit., p. 277. A. Cameri, La traditio instrumentorum e delle insegne nei riti
di ordinazione, studio storico-liturgico, Rome, 1998 (Bibliotheca Ephemerides liturgicae, Subsidia).
Dans l’article cité à la note précédente, R. Reynolds, traitant de la « tradition of instru-
ments » (p. 267), ne donne aucun élément de chronologie sur les rites qu’il décrit, comme
s’ils avaient la même stabilité que les textes : une telle pratique est propre à induire grave-
ment en erreur.
31
  Hunc morem tenent episcopi nostri, manus presbyterorum unguunt de oleo : Liber officialis, éd.
J.-M. Hanssens, Amalarii episcopi opera liturgica omnia, t. 2, Rome, 1950 (Studi e testi, 139),
p. 227.
32
 Voir la lettre du pape Nicolas Ier à l’évêque de Bourges (PL, 119, col. 884).
33
 Cf. A. Rauwel, Expositio missae : essai sur le commentaire du Canon de la Messe dans la tradition
monastique et scolastique, thèse mult., université de Bourgogne, t. 2, p. 225-228. C’est tout le
sujet d’un petit texte tardif attribué à saint Augustin, le De dignitate sacerdotum.
34
 M. Andrieu, « Le sacre épiscopal d’après Hincmar de Reims », Revue d’histoire ecclésias­
tique, 48 (1953), p. 22-73.

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alain rauwel

La crise bérangarienne et ses conséquences

La centralité accrue de l’Eucharistie « explose » au xie siècle, au


moment de la querelle bérangarienne. On ne dira jamais assez à quel
point cet épisode, qui est d’un certain point de vue le résultat du long
mouvement ascendant précédemment évoqué, est aussi et surtout la
matrice de toute la théologie postérieure, non seulement en sacra-
mentaire, mais aussi en ecclésiologie 35. Si l’on tient à discerner une
révolution au xie siècle, on ne risquera pas de se tromper en la plaçant
là, en théologie, avec et après Bérenger de Tours. La conception ultra-
réaliste de l’Eucharistie imposée par réaction à l’hérésiarque (ou sup-
posé tel) dans les professions de foi publiques exigées de lui, notam-
ment en 1059, renverse toutes les perspectives traditionnelles : désor-
mais, c’est le pain transsubstantié qui seul accepte la dénomination
de corpus verum, et non plus l’assemblée des fidèles 36.
Il en découle logiquement que le pouvoir de juridiction sur le
peuple chrétien, qui est au cœur de la fonction épiscopale, perd de
sa primordialité – toutes choses égales bien sûr – au profit de la capa-
cité de « faire le Dieu », la potestas conficendi, partagée par tout prêtre.
On s’oriente alors vers une définition exclusivement eucharistique du
sacerdoce : est pleinement sacerdos celui qui consacre à l’autel. C’est
cette capacité que confère le sacrement, comme l’indique fort expli-
citement la formule qui accompagne la porrection des instruments :
accipite potestatem offerre sacrificium Deo missamque celebrare tam pro vivis
quam pro defunctis. À quoi bon, dans ces conditions, reconnaître la
sacramentalité à ce qui est sans incidence d’un point de vue eucharis-
tique ? On comprend que c’est la place nouvelle prise par le réalisme
eucharistique, non seulement dans les élaborations doctrinales, mais
dans la vie liturgique et spirituelle de toute l’Église latine, qui condi-
tionne dans une large mesure l’éloignement des conceptions ancien-
nes de l’épiscopat.
Secondairement, il faut reconnaître que cette évolution fondamen-
tale convenait parfaitement à la dynamique de centralisation romaine
qui était à l’œuvre au même moment. C’est une constante dans la vie
de l’Église que théocratie pontificale et corps épiscopal fort ne peu-
vent cohabiter. La victoire d’un parti détermine toujours l’abaisse-

35
 A. Rauwel, « Théologie eucharistique et valorisation de l’autel à l’âge roman », Hortus
artium medievalium, 11 (2005), p. 177-182.
36
  Pour mémoire : H. de Lubac, Corpus mysticum, l’Eucharistie et l’Église au Moyen Âge, Paris,
1944 (Théologie, 3).

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les hiérarchies internes à l’ordre sacerdotal

ment de l’autre – étant entendu que le jeu se joue souvent à plus de


deux… À partir du moment où les Grégoriens – des moines, presque
tous, ou des chanoines, dont les communautés étaient structurelle-
ment en froid avec les ordinaires séculiers – avaient fait le choix de la
mégalocéphalie papale, il leur était commode de trouver face à eux
des évêques titulaires seulement d’un honor ou d’une dignitas, toutes
qualités qui se confèrent et se retirent, et non plus marqués de façon
indélébile par une consécration sacramentelle. La prétention de Gré-
goire VII de muter les prélats d’un siège à un autre, si profondément
contradictoire avec la mystique nuptiale de tradition patristique 37, ne
s’explique pas autrement. De plus, on assiste alors à une forte struc-
turation du groupe des évêques, avec une inflation des responsabilités
confiées aux métropolitains et aux primats 38, qui s’accommodait mal,
elle aussi, de l’effet d’unité induit par les effets identiques de la grâce
sacramentelle. Affirmer que tout est concerté dans une telle conver-
gence serait périlleux, et on n’est pas obligé d’imaginer un « plan »
d’abaissement de l’épiscopat, même si certains prélats, surtout dans
l’Empire, l’ont ressenti comme tel  39. Les résultats, toutefois, sont
nets.
Tout le complexe théologique et pastoral du moment grégorien
se stratifie et s’exprime aux Écoles de Paris vers le milieu du xiie siè-
cle 40. Ce qui se dit alors à Saint-Victor ressemble fort à ce qui s’ensei-
gne au cloître Notre-Dame, comme le montre la proximité entre le
IVe livre des Sentences de Pierre Lombard – celui qui traite des sacre-
ments – et le grand traité De sacramentis d’Hugues de Saint-Victor  41.
Pierre Lombard n’abandonne pas la hiérarchie fortement soulignée
au premier millénaire : il distingue toujours majores pontifices et minores
sacerdotes 42. Mais il est explicite sur le point essentiel : l’épiscopat est

37
  Dictatus papae, XIII.
38
  Pour le cas lyonnais, cf. F. Villard, « Primatie des Gaules et réforme grégorienne »,
Bibliothèque de l’École des chartes, 149 (1991), p. 421-434. Que l’intervention papale de 1079
soit une attribution ou une confirmation, la mise en valeur de la fonction ne fait pas de
doute. Voir toutefois les nuances apportées par M. Rubellin (« Lyon du xie au xiiie siècle »,
in Id., Église et société chrétienne d’Agobard à Valdès, Lyon, 2003, p. 379-380).
39
 Voir par exemple la célèbre lettre de Liemar de Brême à Hézilon de Hildesheim (1075),
dans Briefsammlungen der Zeit Heinrichs IV., éd. C. Erdmann et N. Fickermann, Weimar, 1950
(Briefe der deutschen Kaiserzeit, 5), n° 15, p. 33-35.
40
 A. Landgraff, « Die Lehre vom Episkopat als Ordo », in Id., Dogmengeschichte der Frühs-
cholastik, t. 3/2, Ratisbonne, 1955. L. Ott, Le sacrement de l’Ordre, Paris, 1971 (Histoire des
dogmes, 26), not. p. 112-121.
41
  H.  Weisweiler, Die Wirksamkeit der Sakramente nach Hugo von Sankt-Viktor, Fribourg,
1932.
42
  Liber sententiarum, lib. iv, dist. 24.

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alain rauwel

une dignitas, un officium, il n’est pas un ordo 43. Hugues est plus synthé-
tique encore : il propose le concept de dignitas in ordine. Il y a un seul
ordo sacerdotalis dans lequel on entre par l’ordination presbytérale.
Au-delà, on peut obtenir un accroissement de pouvoir, y compris de
pouvoir sacramentel – il y a des rites, jusque parmi ceux du septénaire,
qui sont réservés à l’évêque –, mais on ne sort pas pour autant d’un
cadre fixé. C’est le renversement complet de ce que nous avions
observé dans les sources liturgiques romaines les plus anciennes, lors-
que dignitas s’appliquait toujours à la condition presbytérale.
De ce point de vue, il est incontestable que le Maître des Sentences
rompt avec l’enseignement du Pseudo-Denys, dont la Hiérarchie ecclé-
siastique avait marqué fortement la tripartition épiscopat/presbytérat/
diaconat, « trinôme majeur » selon A. Faivre. Thomas d’Aquin, au
siècle suivant, l’a bien senti et a tenté d’expliquer la distinction 24 en
la réconciliant avec le schéma dionysien  44 qui lui était cher – plus
qu’on ne le dit généralement  45. Le futur Innocent III, lui aussi, a
insisté sur la profonde différence entre épiscopat et presbytérat en
exposant que les prêtres et les évêques ont six ornements communs
correspondant à leurs six pouvoirs communs, alors qu’on compte
neuf ornements propres aux prélats et interdits aux degrés inférieurs,
manifestant neuf pouvoirs propres dont l’auteur rappelle qu’ils sont
au même nombre que les chœurs des anges… 46. Ce sont là des sou-
venirs du système ancien, nullement des tentatives de le restaurer dans
son intégrité ; la non-sacramentalité est désormais un fait acquis.
La synthèse du xiie siècle, aussi nette qu’elle soit, laisse comme un
goût d’inachevé. On ne voudrait pas céder ici au finalisme scolastique
et lire les maîtres anté-universitaires dans la seule perspective de la
Summa theologiae. Il n’en reste pas moins que le xiiie siècle a repré-
senté, dans le domaine qui nous occupe, un temps de clarification et
d’aboutissement. Ce qui manquait surtout au Lombard ou à Hugues,
c’était la notion de caractère sacramentel, seule propre à distinguer

43
  Ibid.
44
 Ce point a été bien vu par J. Lécuyer [« Les étapes de l’enseignement thomiste sur
l’épiscopat », Revue thomiste, 57 (1957), p. 29-52, not. p. 34]. Le texte capital est pour nous
le De perfectione vitae spiritualis, éd. Mandonnet, Opuscula omnia, t. 4, Paris, 1927, chap. 24.
Voir aussi M.-J. Nicolas, « La doctrine de saint Thomas sur le sacerdoce », Studi tomistici, 2
(1974), p. 309-328.
45
 Sur le dionysisme de saint Thomas, voir par exemple G. Prouvost, Thomas d’Aquin et les
thomismes, Paris, 1996 (Cogitatio fidei, 195).
46
  De missarum mysteriis, I, 10 (PL, 217, col. 780-781).

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les hiérarchies internes à l’ordre sacerdotal

ce qui marque le sujet de manière définitive et substantielle  47. Son


introduction, opérée pour le sacrement de l’Ordre par Alexandre de
Halès, a permis d’exposer un schéma classique en quatre points : les
degrés, la matière et la forme, le sujet, le caractère. À ce moment
seulement, on peut considérer le gigantesque effort de définition à
l’œuvre depuis un millénaire comme achevé.

Il ne s’agissait néanmoins, au xiiie siècle, que de tirer de la façon


la plus précise les conséquences du grand retournement vécu par
l’Église latine entre 1050 et 1120. Pas plus qu’en d’autres secteurs de
la théologie, il n’y eut alors en matière d’Ordre de réelle nouveauté.
Préparée longuement, imperceptiblement, dans les monastères caro-
lingiens, la nouveauté fut grégorienne – et elle fut eucharistique. C’est
parce que l’un des sacrements, perçu avec une intensité croissante,
prit dans l’organisation d’ensemble de la foi une place aussi singulière
qu’éminente qu’il fallut envisager un rééquilibrage complet de l’édi-
fice ecclésiastique, propre à garantir à l’hostie le socle solide qu’elle
requérait désormais. Le prêtre, « fils de l’Eucharistie » selon l’ordre
des raisons et son producteur selon l’ordre des causes, en fut le grand
bénéficiaire. Dans l’architecture symbolique de l’église/Église  48, la
cathèdre épiscopale cessa presque partout d’être le point de mire vers
lequel tout convergeait dans le sanctuaire ; on ne vit plus, ou presque
plus, que l’autel, devant lequel se tenait, seul, un homme consacré,
nihil et omnia 49.

47
  P. Pourrat, La Théologie sacramentaire : étude de théologie positive, Paris, 1910 (toujours
important).
48
 D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris,
2006. J’insiste sur la valeur romaine des observations ici présentées ; au rit lyonnais, par
exemple, la position centrale de l’archevêque dans le dispositif cultuel n’a pas été modifiée.
Le programme iconographique du chœur de la primatiale lyonnaise est d’ailleurs d’une
qualité et d’une cohérence remarquables au double point de vue eucharistique et ecclésio-
logique : cf. N. Reveyron, « Rhétorique, poétique et structure narrative dans la construction
d’un espace iconique : les chapiteaux de l’enfance du Christ à la cathédrale de Lyon », in
Espace et liturgie : organisation de l’espace ecclésial au Moyen Âge, actes du colloque de Nantua,
novembre 2006, à paraître.
49
 Ces mots constituent la chute d’un quatrain sur la nature du prêtre, constamment attri-
bué à saint Norbert, mais sans preuves  : cf. A.  Rauwel, Expositio missae…, op. cit., t.  2,
p. 225.

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Charles Mériaux

Ordre et hiérarchie au sein du clergé


rural pendant le haut Moyen Âge

Introduction

É
vêques et moines carolingiens furent à l’origine d’un nouveau
modèle de société où chacun devait être en mesure de faire son
salut dans l’au-delà. Si ces réflexions réservèrent une place pré-
pondérante aux moines, il n’en reste pas moins que les évêques – et
en premier lieu Jonas d’Orléans († 843), Raban Maur († 856) ou
encore Hincmar de Reims († 882) – s’assignèrent un rôle privilégié
puisqu’il était de leur responsabilité de veiller à ce que les fidèles
puissent disposer ici-bas d’un encadrement pastoral à la hauteur de
cet ambitieux programme ecclésiologique 1. Carine van Rhijn a ainsi
récemment mis l’accent sur le souci manifesté par l’épiscopat caro-
lingien à l’égard des prêtres ruraux, de leur formation et de leur
comportement, ce dont témoigne l’abondante documentation nor-
mative des Capitula episcoporum. Mais la répétition des prescriptions
épiscopales suggère aussi les difficultés d’application d’un programme
extrêmement exigeant. À cet égard, la transmission de ces valeurs et
de ces modèles au sein du clergé rural peut bien être considérée
comme le « goulet d’étranglement » de la politique de réforme 2.
Une des voies privilégiées par l’épiscopat carolingien pour obtenir
cette transformation attendue du clergé séculier fut d’établir un enca-
drement plus efficace du groupe des clercs ruraux. Au ixe siècle, ces

1
 Voir la contribution de Raffaele Savigni dans le présent volume ; D. Iogna-Prat, Ordonner
et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam (1000-1150), Paris,
2000 (2e éd.), p. 19-26 et Id., La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen
Âge (v. 800- v. 1200), Paris, 2006, p. 228-257 ; S. Patzold, « Redéfinir l’office épiscopal :
les évêques francs face à la crise des années 820-830 », in F. Bougard, L. Feller et R. Le
Jan (dir.), Les élites au haut Moyen Âge. Crises et renouvellements, Turnhout, 2006 (Haut Moyen
Âge, 1), p. 337-359.
2
 C. Van Rhijn, Shepherds of the Lord. Priests and Episcopal Statutes in the Carolingian Period,
Turnhout, 2007 (Cultural Encounters in Late Antiquity and the Middle Ages, 6) ; Ead.,
« Priests and the Carolingian reforms : the bottlenecks of local correctio », in R. Corradini,
R. Meens, C. Possel et P. Shaw (dir.), Texts and identities in the Early Middle Ages, Vienne,
2006 (Forschungen zur Geschichte des Mittelalters, 12 ; Österreichische Akademie der
Wissenschaften, Denkschriften der phil.-hist. Klasse, 344), p. 219-238.

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charles mériaux

transformations concernèrent moins la hiérarchie des ordres et des


grades ecclésiastiques, dont l’élaboration remontait à l’Antiquité tar-
dive 3, que la définition de fonctions intermédiaires entre l’évêque et
le clergé rural.
Il conviendra donc, dans un premier temps, d’examiner briève-
ment la distinction accrue entre clercs et laïcs dans le monde rural.
Une seconde partie de mon exposé sera consacrée aux transforma-
tions institutionnelles au sein du clergé diocésain. Je reviendrai enfin
sur la singularité de cette hiérarchisation, qui a respecté, dans la
mesure du possible, les aspirations fraternelles manifestées par les
clercs ruraux depuis l’époque mérovingienne.
Étant donné l’importance de la documentation normative, parti-
culièrement dans la province de Reims du ixe siècle, c’est elle surtout
qui a retenu les chercheurs et qui nous retiendra ici. Notre connais-
sance du clergé rural au ixe siècle repose en grande partie sur les
textes issus des assemblées synodales réunies par Hincmar en 852,
856 et 877. Une première série rassemble les prescriptions données
le 1er novembre 852 à l’issue d’un synode diocésain convoqué à Reims
(capitula I) ainsi que les instructions données aux archidiacres (?) et
aux doyens (magistri et decani presbyteri) chargés d’inspecter tous les ans
les églises du diocèse puis de rendre compte de leurs visites à l’évêque
le 1er juillet (II) ; une seconde série concerne les consignes données
aux prêtres le 10 juin 856 pour compléter celles de 852 (III) ; une
troisième série forme le capitulaire donné à l’issue du synode diocé-
sain rassemblé à Reims en juillet 874 (IV) ainsi que l’aide-mémoire
(commonitorium) rédigé au même moment, précisément le 11 juillet,
à l’intention des archidiacres Guntarius et Odelhardus (V) 4.
Ces décisions furent parfois reprises, abrégées ou précisées, dans
plusieurs lettres et traités qu’Hincmar eut à rédiger tout au long de
son épiscopat. Pour notre propos, qu’il suffise de rappeler l’impor-
tance de deux textes récemment réédités : la Collectio de ecclesiis et
capellis (857/858) et le De presbyteris criminosis (876/877) 5.

3
 D. Iogna-Prat, La Maison Dieu…, op. cit., p. 85-90.
4
  Capitula episcoporum, II, éd. R. Pokorny et M. Stratmann, MGH, Leges, Hanovre, 1995,
p. 34-45 (n° I), 45-70 (n° II), 73-75 (n° III), 80-85 (n° IV) et 86-89 (n° V).
5
  De presbiteris criminosis. Ein memorandum Erzbischof Hinkmars von Reims über straffälliger Kle-
riker, éd. G. Schmitz, MGH, Studien und Texte, 34, Hanovre, 2004  ; Collectio de ecclesiis et
capellis, éd. M. Stratmann, MGH, Fontes iuris germanici antiqui, 14, Hanovre, 1990 ; sur ce
dernier traité voir P. Depreux et C. Treffort, « La paroisse dans le De ecclesiis et capellis
d’Hincmar de Reims. L’énonciation d’une norme à partir de la pratique ? », Médiévales, 48
(2005), p. 141-148.

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ordre et hiérarchie au sein du clergé rural

On conserve également dans la province de Reims les bribes de


deux capitulaires de Guilebertus de Châlons (868, † 878) et un capi-
tulaire, d’inspiration très « hincmarienne », donné par Riculfus de
Soissons en 895 6. Il sera également fait mention des capitulaires attri-
bués à l’évêque Halitgaire de Cambrai (817, † 831) 7.

1. Distinction

La mise en ordre du clergé rural à l’époque carolingienne pour-


suivait et affirmait une évolution plus ancienne qui tendait, depuis
l’époque mérovingienne, à accroître la distinction entre clercs et laïcs.
Les canons des conciles mérovingiens insistent en effet largement sur
ce point, en témoignent en particulier les injonctions répétées concer-
nant le respect du célibat  8. Aux yeux de certains évêques, cette dis-
tinction impliquait aussi une supériorité des clercs, quels qu’ils fus-
sent, sur tous les laïcs. Le canon 15 du concile de Macon (585) rap-
pelle de manière assez surprenante que les rapports sociaux quoti-
diens devaient refléter cette supériorité des clercs de tous ordres
(usque ad inferiorem gradum) sur les laïcs, même les plus éminents (hono-
rati), tenus de descendre de cheval si le clerc rencontré allait à
pied 9.
Au ixe siècle, l’épiscopat continuait d’affirmer la nécessité d’une
stricte distinction entre clercs et laïcs : une conduite quotidienne irré-
prochable était en effet la condition d’une transmission efficace du

6
  Capitula episcoporum, II (éd. op. cit.), p. 93-95 (Guilebertus) et 100-111 (Riculfus).
7
  W.  Hartmann, « Neue Texte zu bischöflichen Reformgesetzgebung aus den Jahren
829/831. Vier Diözesansynoden Halitgars von Cambrai  », Deutsches Archiv, 35 (1979),
p. 368-394 (éd. des capitula p. 382-392 et du questionnaire p. 392-394) ; Capitula neustrica,
éd. R. Pokorny, MGH, Leges, Capitula episcoporum, III, Hanovre, 1995, p. 48-73. W. Hart-
mann a attribué à Halitgaire la paternité de ces quatre capitulaires épiscopaux et d’un
examen sacerdotal copiés dans Paris, BnF, lat. 8508 en raison de la présence, dans ce même
codex, du pénitentiel composé par le prélat et auxquels deux articles des capitula semblent
se référer explicitement ; mais R. Pokorny souligne qu’un autre évêque pouvait très bien
citer le pénitentiel d’Halitgaire et se demande pourquoi ce dernier aurait été pris à l’ex-
trême fin de son épiscopat, pendant à peine deux années, d’une activité synodale si
intense.
8
 R. Godding, Prêtres en Gaule mérovingienne, Bruxelles, 2001 (Subsidia hagiographica, 82),
p. 111-154.
9
  Les canons des conciles mérovingiens (vie-viie siècles), éd. et trad. J. Gaudemet et B. Basdevant,
Paris, 1989 (Sources chrétiennes, 353-354), t. 2, p. 474.

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message pastoral auprès des laïcs 10. Les interdictions faites par Hinc-
mar aux prêtres de participer aux banquets sont aussi révélatrices de
la nécessité de ne pas placer sur un pied d’égalité clercs et laïcs au
sein de la communauté rurale 11.
Comme l’a rappelé Dominique Iogna-Prat, cette distinction, qui
s’appliquait à l’apparence et aux activités des clercs, s’étendit aussi
progressivement aux lieux. Dès la fin du vie siècle, les participants du
synode d’Auxerre interdirent la célébration, dans les « maisons parti-
culières » (in domibus propriis), d’offrandes privées et de veillées pour
la fête des saints  12. Lors du grand concile réformateur de 829, les
évêques s’insurgèrent contre les célébrations de messes dans des
« lieux inappropriés », c’est-à-dire les jardins et les maisons privées ;
et cette interdiction fut reprise par Jonas d’Orléans, principal inspi-
rateur du texte de 829, dans son De institutione laicali 13.
Le souci de l’épiscopat de distinguer nettement clercs et laïcs au
sein de la société rurale pose un réel problème d’interprétation auquel
les réflexions sur la notion d’élites apportent désormais de nouvelles
réponses.
Une première explication a été donnée au début du xxe siècle sous
l’influence des travaux d’Ulrich Stutz et reprise ensuite sans grand
changement : en distinguant nettement la condition des clercs ruraux,
les évêques auraient eu comme souci de les dégager d’une sujétion
de fait à l’égard de l’élite laïque locale. Élaboré par Ulrich Stutz, le
concept d’« église privée » (Eigenkirche) a en effet introduit l’idée qu’il
existait également un « clergé privé », c’est-à-dire un ensemble de
desservants vivant dans la dépendance du propriétaire  14. Cette

10
 D. Iogna-Prat, La Maison Dieu…, op. cit., p. 239-240 ; G. Devailly, « La pastorale en
Gaule au ixe siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, 59 (1973), p. 23-54.
11
  Capitula episcoporum…, op. cit., II, p. 43-44 (I, 16).
12
  Les canons des conciles mérovingiens…, op. cit., t. 2, p. 489.
13
  MGH, Concilia, II, 2, Hanovre-Leipzig, 1898, c. 47, p. 641 ; Jonas d’Orléans, De institu-
tione laicali, I, 11 (PL, 106, col.  144)  ; D.  Iogna-Prat, La Maison Dieu…, op. cit.,
p. 232-233.
14
  Présentation des travaux d’U. Stutz dans R. Schieffer, « Eigenkirche, Eigenkirchenwe-
sen », Lexikon des Mittelalters, t. 3, 1986, col. 1705-1707 ; toujours utile est le compte rendu
que P. Fournier a donné de la thèse de Stutz : « La propriété des églises dans les premiers
siècles du Moyen Âge  », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 21 (1897),
p. 486-506. S. Wood, The Proprietary Church in the Medieval West, Oxford, 2007 ; S. Patzold a
montré, en commentant la Collectio de ecclesiis et capellis, que le concept d’Eigenkirche ne
rendait pas compte des droits (et des devoirs) que l’évêque et le desservant avaient aussi
sur l’église : voir S. Patzold, « Den Raum der Diözese modellieren ? Zum Eigenkirche-
Konzept und zu den Grenzen der potestas episcopalis im Karolingerreich », in P. Depreux,

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ordre et hiérarchie au sein du clergé rural

conception – qui exclut a priori les clercs ruraux du groupe des élites 15
– se fonde sur quelques textes bien connus. Clairement énoncée par
le pape Zacharie dans la lettre qu’il adressa en 748 aux viri magnifici
bavarois, l’interdiction faite à tout laïc « d’avoir un clerc à son service »
revient ensuite à plusieurs reprises sous la plume des évêques réfor-
mateurs dans la première moitié du ixe siècle 16. On connaît ainsi la
charge violente d’Agobard de Lyon (816, † 840) contre les puissants
qui s’attachaient les services d’un «  prêtre domestique  » (sacerdos
domesticus) recruté parmi leurs dépendants  17 ; ou encore, dans les
années 860, la réponse indignée du pape Nicolas Ier à l’archevêque
Adon de Vienne qui lui avait soumis le cas du «  prêtre du comte
Gérard ». Le pape avait alors vertement rappelé au prélat que le comte
n’avait pas ordonné le clerc en question et qu’il n’était pas non plus
à la tête du diocèse 18.
Une seconde explication découle des réflexions en cours sur la
place des clercs ruraux au sein du groupe des élites rurales du haut
Moyen Âge. On peut en effet observer que les prescriptions conciliai-
res insistent fortement sur la nécessité de les détourner de comporte-
ments propres à l’élite. C’est ce qui apparaît par exemple dans les
interdictions, insistantes depuis l’époque mérovingienne, faites aux
clercs de porter les armes, de pratiquer la chasse et de posséder chiens
et animaux à cet effet  19. Dans le même ordre d’idée, un capitulaire
attribué à Halitgaire de Cambrai, reprenant une interdiction pronon-
cée au concile de Paris de 829, défend aux prêtres d’occuper les

F. Bougard et R. Le Jan (dir.), Les élites et leurs espaces. Mobilité, rayonnement, domination (du
vie au xie siècle), Turnhout, 2007 (Haut Moyen Âge, 5), p. 225-245.
15
 M. Aubrun, « Le clergé rural dans le royaume franc du vie au xiie siècle », in P. Bonnas-
sie (dir.), Le clergé rural dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, 1995 (Flaran, 13),
p. 15-27, à la p. 15 : « Les prêtres des villages sont méconnus parce qu’ils n’appartiennent
pas à l’élite, ni par la naissance, ni par la fortune ou le savoir. »
16
 M. Tangl (éd.), Die Briefe des heiligen Bonifatius und Lullus, Berlin, 1916 (MGH, Epistolae
selectae, 1), n° 83, p. 186-187 : ut nullus saecularis clericum in suum obsequium habeat ; pour une
mise en contexte des injonctions du pape, voir R. Le Jan, « Emhilt de Milz et la charte de
fondation de son monastère (784) », in Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire
médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, 2004, p. 525-535, spéc. p. 528.
17
  PL, 104, col. 137-139.
18
  PL, 119, col. 917-918 ; sur le manque de représentativité de ces documents, voir toujours
W. Hartmann, « Der rechtliche Zustand der Kirchen auf dem Lande : die Eigenkirche in
der fränkischen Gesetzgebung des 7. bis 9. Jahrhunderts », in Cristianizzazione ed organizza-
zione ecclesiastica delle campagna nell’alto Medioevo : espansione e resistenze, t. 1, Spolète, 1982
(Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 28), p. 397-441.
19
  H. Lutterbach, « Die für Kleriker bestimmten Verbote des Waffenstragens, des Jagens
sowie der Vogel- und Hundehaltung (a. 500-900) », Zeitschrift für Kirchengeschichte, 109/2
(1998), p. 149-166.

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fonctions de villicus et de iudex, que certains ne devaient donc pas


manquer de cumuler  20. Contrairement à ce que peut laisser penser
le discours de certains clercs réformateurs radicaux, il importait moins
de s’insurger contre une situation de dépendance des clercs à l’égard
des laïcs que de fustiger certains prêtres ruraux qui continuaient à
vivre comme des membres de l’élite laïque locale – dont certains
étaient assurément issus – et qui faisaient de leur charge un élément
de distinction tant pour eux-mêmes que pour leur groupe familial.
Ceci peut être aussi mis en rapport avec le souci vigilant d’Hincmar
de s’assurer qu’ils ne confondaient pas indûment leur patrimoine
personnel et celui de leur église, ou encore qu’ils n’en faisaient pas
profiter certains de leurs parents en les inscrivant sur la matricule 21.
Wilhelm Störmer a pu parler de véritables « prêtres aristocratiques »
dans la société bavaroise des viiie-ixe siècles et plusieurs indices sug-
gèrent que ces figures de clercs fortement ancrés dans la frange supé-
rieure de la société paysanne existaient ailleurs  22. Il en va ainsi du
prêtre Trisingus dont les démêlés avec Hincmar furent peut-être à
l’origine de la rédaction par ce dernier, en 876/877, du memoran-
dum sur les prêtres « délinquants » destiné au pape 23. De retour d’un
voyage à Mouzon, Trisingus s’était en effet violemment disputé avec
un certain Livulf qui reprochait au prêtre la liaison qu’il entretenait
avec sa propre nièce. Livulf en était venu à frapper le prêtre qui s’était
défendu. Hincmar avait alors rassemblé un synode auquel Trisingus
ne s’était pas présenté et procédé à la nomination de son successeur.
Or Trisingus était parti à Rome, naturellement sans l’autorisation
d’Hincmar, et en était rentré trois mois plus tard avec une lettre du
pape en sa faveur, exigeant du métropolitain des explications ! Bref,
le prêtre apparaît ici bien enraciné dans la société dans laquelle il vit

20
  Capitula episcoporum…, op. cit., III, p. 72 ; W. Hartmann, « Neue Texte… », op. cit., p. 390 ;
sur la hiérarchie des fonctions domaniales, voir la contribution de Laurent Feller dans ce
volume.
21
  Capitula episcoporum…, op. cit., II, p. 50-51 (II, 17-19) ; De presbiteris criminosis…, op. cit.,
c. 12-13 ; Collectio de ecclesiis…, op. cit., p. 107-109.
22
  W. Störmer, « Adelige Eigenkirchen und Adelsgräber. Denkmalpflegerische Aufgaben »,
Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte, 38 (1975), p. 1142-1158.
23
 L’affaire est exposée par Hincmar dans une lettre au pape : PL, 126, col. 641-648, spéc.
col. 646-648 ; cf. De presbiteris criminosis…, op. cit., p. 7-9 ; sur la bonne connaissance du droit
par les prêtres ruraux, voir Y. Hen, « Knowledge of canon law among rural priests : the
evidence of two carolingian manuscripts from around 800 », Journal of theological studies,
50/1 (1999, n. s.), p. 117-134.

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et où il conserve des attaches familiales. Il dispose assurément d’une


certaine aisance matérielle, ce qui lui permet de se rendre à Rome, et
d’une culture canonique suffisamment solide pour chercher à tenir
tête – non sans succès semble-t-il – au redoutable archevêque. Préci-
sons enfin que plusieurs indices laissent penser que Trisingus n’était
pas un cas isolé 24.
En somme, il ne faudrait pas se livrer une analyse anachronique
des prescriptions épiscopales carolingiennes en considérant qu’elles
tentèrent de dégager l’Église et ses ministres de la tutelle des laïcs et
qu’ainsi elles annonçaient les orientations de la réforme grégorienne.
Les travaux d’Ulrich Stutz ont fermement ancré dans l’historiogra-
phie l’idée que le droit germanique avait établi contre la tradition
juridique romaine la dépendance des églises rurales – et donc de leur
desservant – à l’égard des grands propriétaires. En fait, dès les origines
de l’établissement du christianisme dans les campagnes, aux ve-vie siè-
cles, ceux-ci participèrent à la construction, l’entretien et la desserte
des oratoires ruraux, dans la tradition de l’évergétisme antique  25. À
l’exception des quelques exemples cités plus haut, le souci principal
de l’épiscopat carolingien n’était donc pas de contester le rôle que
jouaient les élites laïques, dès lors que celles-ci étaient partie prenante
de l’encadrement des églises rurales. En revanche, le profond travail
de réforme de la société exigeait l’adoption d’un comportement pro-
pre au groupe des clercs, avec deux manières d’y parvenir : en ren-
forçant le contrôle épiscopal par l’établissement d’une hiérarchie
diocésaine plus étroite, tout en encourageant l’élaboration d’une dis-
cipline collective par les clercs ruraux eux-mêmes.

24
 Voir par exemple Flodoard, Historia Remensis ecclesiae, III, 21 (éd. M. Stratmann, MGH,
Scriptores, XXXVI, Hanovre, 1998, p. 285) pour le cas d’un prêtre excommunié par Thierry
de Cambrai (830, † 863) et dont l’affaire était remontée à Rome. L’aisance matérielle de
certains clercs ruraux a été mise en évidence à partir des actes du cartulaire de Redon par
W. Davies, « Priest and rural communities in east Brittanny in the ninth century », Études
celtiques, 20 (1983), p. 177-197 ; voir également J.-P. Devroey, Économie rurale et société dans
l’Europe franque (vie-ixe siècle), Paris, 2003, p. 201, à propos du prêtre rémois Norbert.
25
 L. Pietri, « Évergétisme chrétien et fondations privées dans l’Italie de l’Antiquité tar-
dive », in J.-M. Carrié et R. Lizzi Testa (dir.), « Humana sapit ». Études d’Antiquité tardive
offertes à Lellia Cracco Ruggini, Turnhout, 2002 (Bibliothèque de l’Antiquité tardive, 3),
p. 253-263.

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2. Hiérarchie

Les évêques ont accru la discipline interne au groupe des clercs en


développant la hiérarchie des fonctions. Le ixe siècle est marqué par
des transformations importantes et l’épiscopat d’Hincmar à Reims
(845, † 882) a représenté de ce point de vue un tournant plus décisif
encore.
L’évêque mérovingien était déjà confronté à la nécessité d’enca-
drer le clergé rural, mais il se reposait alors exclusivement sur son
archidiacre. Abordant le cas des oratoires domaniaux et de leurs des-
servants, les évêques réunis à Chalon en 647/653 les placèrent sous
sa responsabilité en le chargeant d’exercer un contrôle régulier au
nom de l’évêque (sous la forme de visites) et, le cas échéant, de sanc-
tionner les clercs récalcitrants 26.
Une formule de Bourges du début du viiie siècle signale cependant
que l’archidiacre avait commencé à déléguer ses propres responsabi-
lités et pouvait aussi procéder à l’installation, dans un vicus, d’un
archiprêtre chargé de la gestion des biens de l’église, de la surveillance
des services assurés par le clergé local (ministeria) et de l’instruction
des laïcs 27. Les dispositions du synode d’Auxerre (585/592) donnent
davantage d’informations sur les attributions de ces archiprêtres  28,
néanmoins peu présents dans la documentation narrative des vie-
viie siècles. Il reste ainsi difficile de se faire une idée de l’importance
de cette institution. Dans la province de Reims, un seul archiprêtre
est attesté à l’époque mérovingienne. Il s’agit d’un certain Scupilio
qui présida, vers 540, les funérailles de l’évêque Vaast d’Arras, ce qui
peut d’ailleurs suggérer une fonction différente, celle de chef du col-
lège des prêtres (presbyterium) de la cité  29. En définitive, le contrôle
des clercs diocésains par l’évêque restait sans doute assez lâche, et
davantage fonction des liens personnels tissés par le prélat.
Les ministres intermédiaires semblent donc avoir été peu nom-
breux jusqu’à l’époque carolingienne. Un petit traité d’Ebbon de

26
  Les canons des conciles mérovingiens…, op. cit., II, c. 14, p. 556.
27
  Formulae Bituricenses, 5, éd. K. Zeumer, MGH, Formulae Merowingici et Karolini aevi, Hano-
vre, 1882-1886, p.  170  ; sur les archiprêtres mérovingiens voir R.  Godding, Prêtres en
Gaule…, op. cit., p. 243-253 et, plus largement, É. Griffe, « Les origines de l’archiprêtre de
district », Revue d’histoire de l’Église de France, 13 (1927), p. 16-50.
28
  Les canons des conciles mérovingiens…, op. cit., II, c. 20 et 43-44, p. 494 et 500.
29
  Jonas de Bobbio, Vita Vedastis, éd. B. Krusch, MGH, Scriptores rerum merowingicarum, III,
Hanovre, 1896, p.  406-413, c.  9 (p.  412)  ; R.  Godding, Prêtres en Gaule…, op. cit.,
p. 220-221.

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Reims (816-835 pour son épiscopat rémois), récemment réédité par


Martina Stratmann, permet de faire le point sur la situation à l’aube
du ixe siècle : il précise en effet les attributions des principaux minis-
tres du siège épiscopal et cite successivement le prévôt (monastique),
l’archidiacre, le chorévêque puis l’évêque  30. Assez curieusement, la
fonction chorépiscopale est absente de la documentation gauloise des
vie-viie siècles alors qu’elle est pourtant bien attestée en Orient avec
des attributions strictement équivalentes à celles de l’évêque, mais qui
s’exerçaient exclusivement dans les campagnes. On ne sait pas dans
quelles circonstances la fonction de chorévêque fut introduite en
Gaule. Trois chorévêques sont attestés dans la province de Reims avant
l’épiscopat d’Ebbon : Abel dans le diocèse de Reims vers 740, ainsi
que Waltarius et Spervus qui assistent au synode provincial de Noyon,
réuni en en 814 par l’archevêque Vulfare, mais dont on ignore dans
quel(s) diocèse(s) ils étaient l’un et l’autre installés 31. On devine en
tout cas, dès le premier tiers du ixe siècle, un recoupement entre la
fonction d’archiprêtre et celle de chorévêque, ce qui préparait de
toute évidence la disparition de cette dernière.
Le traité d’Ebbon précise que le chorévêque se voit confier une
« région », ce qui implique qu’il n’exerce pas ses responsabilités dans
l’ensemble du diocèse 32. De surcroît, Ebbon réduit considérablement
les attributions sacramentelles du chorévêque. Il n’est pas fait mention
du pouvoir de consécration des églises ni de celui d’ordination des
clercs. Ebbon accompagne ainsi une tendance profonde de l’épisco-
pat carolingien, depuis l’Admonitio generalis de 789, visant à limiter les
prérogatives du chorévêque, perçu comme une autorité rivale de celle

30
 M. Stratmann, « De ministris Remensis ecclesiae. Eine Schrift Ebos von Reims zur Diozesan-
verwaltung », in H. Mordek (dir.), Aus Archiven und Bibliotheken. Festschrift für Raymund
Kottje zum 65. Geburtstag, Francfort/New York, 1992 (Freiburger Beiträge zur mittelalterli-
chen Geschichte, 3), p. 121-135 avec éd. du traité p. 131-135.
31
  Flodoard, Historia Remensis ecclesiae…, op. cit., II, 16 (p. 166) et II, 18 (p. 173) ; sur Abel,
voir M. Sot, Un historien et son Église. Flodoard de Reims, Paris, 1993, p. 461-462 et A. Dierkens,
« Carolus monasteriorum multorum eversor et ecclesiasticarum pecuniarum in usus proprios commu-
tator », in J. Jarnut, U. Nonn et M. Richter (dir.), Karl Martell in seiner Zeit, Sigmaringen,
1994 (Beihefte der Francia, 37), p. 277-294, à la p. 289.
32
 M. Stratmann, « De ministris… », op. cit., p. 134 : Corepiscopi vero ministerium est omnem
sacerdotalem totius regionis sibi commisse conversationem corrigere atque dirigere  ; à Liège, Alain
Dierkens n’a cependant rencontré aucun élément probant en faveur de la « territorialisa-
tion » de la fonction chorépiscopale aux ixe-xe siècles : A. Dierkens, « La création des
doyennés et des archidiaconés dans l’ancien diocèse de Liège (début du xe siècle ?). Quel-
ques remarques de méthode », Le Moyen Âge, 92 (1986), p. 345-365, aux p. 347-349.

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de l’évêque 33. En même temps, Ebbon vide en grande partie la fonc-


tion de son contenu en l’intégrant dans une position hiérarchique
inférieure à celle de l’évêque.
On dit souvent, en se fondant sur une lettre d’Hincmar analysée
par Flodoard, que l’archevêque a rendu responsable l’institution cho-
répiscopale de l’administration calamiteuse du diocèse, peut-être dès
794-803 (après la mort de Tilpin) et en tout cas entre 834 et 843 – de
la déposition d’Ebbon à la nomination d’Hincmar 34. C’est possible,
mais cette méfiance n’a guère besoin d’être expliquée par les circons-
tances locales : comme on l’a dit, elle était partagée par la plupart des
évêques du royaume de Francie occidentale. Plus originale est en
revanche la solution mise en œuvre par Hincmar pour supprimer
définitivement la charge. Martina Stratmann a bien montré que la
disparition de la fonction chorépiscopale à la mort de son dernier
titulaire, un certain Rigbold, avait coïncidé avec l’institution d’un
second archidiacre à Reims. Cette innovation – qui est donc tout
autant une transformation – est davantage née des circonstances et
ne se présente pas comme le fruit d’une réorganisation réfléchie de
la hiérarchie diocésaine 35.
Il est difficile de savoir comment les choses se passèrent ailleurs :
on observe au milieu du ixe siècle un chorévêque en charge à Cam-
brai 36 ; et la fonction est encore attestée à Liège en 969 37. Quant à la
multiplication des archidiacres, elle n’a pas lieu avant la fin du xe et
le courant du xie siècle dans les autres diocèses de la province de
Reims. À partir de cette date, leur nombre augmente et leurs compé-
tences s’exercent sur une portion du diocèse, vraisemblablement des-
sinée par regroupement de doyennés. Ce qui n’empêche pas certains
diocèses, en raison de leur taille, de conserver un seul archidiacre

33
  Admonitio generalis, éd. A. Boretius, MGH, Leges, II, Capitularia regum Francorum, n° 22,
p. 53-62, c. 9, p. 54 ; sur cette fonction, voir toujours T. Gottlob, Der abendländische Chore-
piskopat, Bonn, 1928 ; G. Bührer-Thierry, « Les chorévêques en Bavière. Leurs activités
dans la première moitié du xe siècle », Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte, 48 (1985),
p. 479-488.
34
  Flodoard, Historia Remensis ecclesiae…, op. cit., III, 10, p. 206 (analyse d’une lettre adres-
sée à Léon IV) ; J. Devisse, Hincmar, archevêque de Reims (845-882), Genève, 1975-1976
(Travaux d’histoire éthico-politique, 29), 3 vol., II, p. 50-51 ; M. Sot, Un historien…, op. cit.,
p. 489, n. 8.
35
 M. Stratmann, Hinkmar von Reims als Verwalter von Bistum und Kirchenprovinz, Sigmarin-
gen, 1991 (Quellen und Forschungen zum Recht im Mittelalter, 6), spéc. p. 25-26.
36
 T. Gottlob, Der abendländische…, op. cit., p. 74 : il s’agit d’un certain Vitaus, attesté aux
côtés de l’évêque Thierry en 840 au concile d’Ingelheim et en 849 au concile de Quierzy.
37
 A. Dierkens, « La création des doyennés… », op. cit., p. 348-349.

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pendant tout le Moyen Âge. Ce fut par exemple le cas de Senlis et de


Noyon.
Point n’est besoin d’insister longuement sur la place qu’occupe la
fonction de doyen à partir de l’épiscopat d’Hincmar. Ce point a été
souligné par Jean Devisse – qui parle peut-être un peu exagérément
du « rouage essentiel de l’administration diocésaine » – et étudié der-
nièrement avec beaucoup de minutie par Martina Stratmann  38.
D’après la législation épiscopale de l’archevêque de Reims, les doyens
semblent avoir été avant tout chargés de réunir régulièrement les
prêtres de leur decania pour discuter de questions pastorales lors d’as-
semblées réunies en début de mois et pour cette raison nommées
« calendes » (calendae). Ces magistri et decani presbiteri sont également
investis d’une fonction d’inspection puisque Hincmar a rédigé à leur
intention un capitulaire qui se présente sous la forme d’une liste de
points à vérifier dans les églises rurales confiées à leur surveillance 39.
Les doyens devaient rendre compte au prélat : il ne semble donc pas
qu’ils aient disposé alors de réels pouvoirs de coercition à l’égard de
leurs collègues. Hincmar entend toutefois leur accorder une préémi-
nence qui se manifeste symboliquement lors du repas pris en commun
avec les autres prêtres à l’occasion des calendes. Il en sera question
plus loin. Il importe en définitive de noter que l’intégration de ces
doyens dans la hiérarchie diocésaine apparaît nettement par le fait
qu’à Reims, les archidiacres procédaient à leur installation – et éven-
tuellement à leur révocation – avant de recueillir l’approbation défi-
nitive de l’archevêque 40.
On doit s’interroger sur la portée des réformes d’Hincmar dans
l’ensemble de la province. Celles-ci semblent suivies dans le diocèse
de Soissons dès l’épiscopat de Rothade – sans doute avant sa déposi-
tion en 862 –, comme en témoigne une lettre, analysée par Flodoard,

38
  J. Devisse, Hincmar…, op. cit., II, p. 863 pour la citation ; M. Stratmann, Hinkmar…, op.
cit., p. 24-30.
39
  Capitula episcoporum…, op. cit., II, n° I, c. 14-15 (p. 41-42) ; n° II (p. 45) ; n.° III, c. 1
(p. 73) ; voir aussi la Collectio de ecclesiis et capellis…, op. cit., p. 100-101.
40
  Capitula episcoporum…, op. cit., II, n° V, c. 13 (p. 89) : Si decanus in ministerio vestro aut
neglegens aut inutilis et incorrigibilis fuerit vel aliquis eorum obierit, non inconsiderate decanum
eligite. Et si ego in propinquo sum, ad me illam electionem referte. Et si ego in longinquo sum, decanum
illum qui electus est, interim constituite, donec ad meam notitiam electio illa referatur et mea constitu-
tione aut confirmetur, aut immutetur ; F. Toussaint, « Élection et sortie de charge du doyen
de chrétienté dans les anciens diocèses de Liège et de Cambrai », Revue d’histoire ecclésiastique,
42 (1947), p. 50-80 ; à la p. 64, l’auteur rappelle que le Décret de Gratien (vers 1140)
prévoit une élection cum clericis et populis et que cette pratique a été suivie au Moyen Âge
dans les diocèses de Trèves et Liège ; voir aussi infra n. 61.

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adressée par l’archevêque aux doyens du diocèse ; puis en 889 sous


l’épiscopat de Riculfus 41. Ailleurs, la mention de doyens est nettement
plus tardive. Il n’en est pas encore question dans le troisième capitu-
laire « neustrien » adressé à tous les prêtres diocésains – omnis genera-
litas sacerdotum istius diocesis –, ce qui ne doit pas surprendre car il date
des années 830 42. Il faut néanmoins attendre le xe siècle pour lire la
mention d’un doyen du diocèse de Cambrai sous l’épiscopat de Ful-
bert († 956) 43. Dans le diocèse voisin de Liège (province de Cologne),
la chronologie est similaire. Les évêques Gerbaud († 809) et Walcaud
(† 831) ont laissé une documentation synodale exceptionnellement
abondante qui ne fait pas encore mention de doyens : il en va ainsi
d’un « questionnaire », proche de celui d’Hincmar, mais adressé direc-
tement à tous les prêtres du diocèse par Walcaud vers 825. Les pre-
miers doyens ne sont finalement attestés qu’au tout début du xe siè-
cle 44. Bref, malgré une documentation lacunaire, on peut considérer
qu’Hincmar fut bien, dès les premières années de son épiscopat, un
précurseur dans la réforme de l’administration ecclésiastique, mais
que son action ne fut imitée que tardivement dans l’ensemble de la
province et dans les diocèses voisins.
Les transformations qui viennent d’être présentées – et dont Hinc-
mar fut véritablement l’initiateur au sein de son diocèse – manifestent
le souci d’un net mouvement de hiérarchisation du clergé diocésain,
d’une part en plaçant indiscutablement l’évêque à la tête de l’ensem-
ble – par la suppression de la fonction chorépiscopale –, d’autre part
en établissant un intermédiaire, le doyen, avec l’ensemble des prêtres
du diocèse. On serait ainsi progressivement passé d’une institution
encore largement collégiale, sacerdotale, à une réalité beaucoup plus
hiérarchisée. La réalité est naturellement plus nuancée car si le doyen
est bien une institution nouvelle au milieu du ixe siècle, il n’en va pas

41
  Flodoard, Historia Remensis ecclesiae…, op. cit., III, 25, p. 329-330 (lettre d’Hincmar) ;
pour les statuts de Riculfus qui reprennent le passage de la Collectio de ecclesiis et capellis, voir
Capitula episcoporum…, ibid., II, p. 110-111.
42
  Capitula episcoporum…, ibid., III, n.° III, c. 1 (p. 65) ; W. Hartmann, « Neue Texte… »,
op. cit., p. 387.
43
 C. Mériaux, « Fulbert, évêque de Cambrai et d’Arras (933/934-† 956) », in L’Église et la
société entre Seine et Rhin (ve-xve siècle). Recueil d’études d’histoire du Moyen Âge en l’honneur de
Bernard Delmaire, Villeneuve d’Ascq, 2004 [= Revue du Nord, 86, n° 356-357], p. 525-542, à
la p. 536.
44
 A. Dierkens, « La christianisation des campagnes de l’Empire de Louis le Pieux. L’exem-
ple du diocèse de Liège sous l’épiscopat de Walcaud (c. 809-c. 831) », in R. Collins et
P. Godman (dir.), Charlemagne’s heir. New perspectives on the reign of Louis the Pious (814-840),
Oxford, 1990, p. 309-329.

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ordre et hiérarchie au sein du clergé rural

de même avec le doyenné (decania), dont on observe les premières


manifestations à l’époque mérovingienne.
Si hiérarchisation il y eut au milieu du ixe siècle, ce fut assurément
en respectant les solidarités antérieures qui existaient depuis beau-
coup plus longtemps au sein du clergé rural.

3. Des conjurations mérovingiennes aux doyennés


carolingiens

Depuis les travaux de Pierre Michaud-Quantin et Gilles Gérard


Meerseman ainsi que les études magistrales d’Otto Gerhard Oexle,
nul n’ignore la permanence, tout au long du haut Moyen Âge, de
fraternités proprement ecclésiastiques 45.
Otto Gerhard Oexle a ainsi relevé dans la documentation conci-
liaire mérovingienne un grand nombre d’interdictions de « conjura-
tions » de clercs 46. Ces interdictions n’étaient pas propres au royaume
franc puisqu’elles rappelaient et précisaient une interdiction pronon-
cée dès 451 par le canon 18 du concile de Chalcédoine. On peut bien
sûr penser que ces conjurations étaient de « véritable[s] complot[s]
des prêtres contre leur évêque » et cette situation a très bien pu se
présenter par moments 47. Mais il faut aussi considérer que ces grou-
pements jurés pouvaient manifester non pas tant une hostilité à
l’égard de l’autorité épiscopale que le souhait de clercs ruraux de
créer entre eux des liens étroits de solidarité comme le suggère le
canon 24 du concile d’Orléans (538). Il laisse en effet entendre que
ces conjurations – qui donnent lieu à l’établissement d’une charte
(cartula) – ont pour objet la pratique de la caritas entre les membres
du groupe :

45
  P. Michaud-Quantin, Universitas. Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen
Âge latin, Paris, 1970 (L’Église et l’État au Moyen Âge, 13) ; G. G. Meersseman, Ordo fra-
ternitatis. Confraternite e pieta’ del laici nel medioevo, Rome, 1977, 3 vol. (Italia sacra. Studi e
documenti di storia ecclesiastica, 24-26) ; fondamentales pour notre propos sont les deux
études d’O. G. Oexle citées notes 46 et 54 ; un commode résumé en a été donné en français
dans Id., « Conjuratio et ghilde dans l’Antiquité et dans le haut Moyen Âge. Remarques sur la
continuité des formes de la vie sociale », Francia, 10 (1983), p. 1-19, aux p. 7-12.
46
 O. G. Oexle, « Conjuratio und Gilde im frühen Mittelalter. Ein Beitrag zum Problem der
sozialgeschichtlichen Kontinuität zwischen Antike und Mittelalter », in B. Schwinekoper
(dir.), Gilden und Zünfte. Kaufmännische und Gewerbliche Genossenschaften im frühen und hohen
Mittelalter, Sigmaringen, 1985 (Vorträge und Forschungen, 29), p. 151-214, aux p. 169-184.
47
 R. Godding, Prêtres en Gaule…, op. cit., p. 284-293.

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charles mériaux

Si des clercs, comme il est manifeste que cela s’est fait récemment en de
nombreux endroits à l’instigation du diable, se sont, par une rébellion
audacieuse, groupés et unis en formant une conjuration, et qu’il est
apparu, soit que des serments avaient été échangés, soit qu’une charte
avait été rédigée, une telle insolence ne pourra se couvrir d’aucune excuse,
mais l’affaire une fois découverte et le synode une fois réuni, elle sera
sanctionnée en la personne de ses fauteurs par les pontifes assemblés,
compte tenu de la qualité des personnes et de leur rang. D’une part en
effet la charité doit se manifester par le cœur selon les préceptes du Sei-
gneur, et non par la rédaction d’un pacte et par des conjurations ; d’autre
part, ce qui est commis à l’encontre des saintes Écritures doit être réprimé
par l’autorité et la sanction pontificale 48.

La critique des évêques porte précisément sur la nécessité, pour


les clercs, de manifester la charité de manière universelle et non dans
le cadre restreint d’une fraternité jurée. Comme l’a suggéré Otto
Gerhard Oexle, la multiplication de ces interdictions aux vie-viie siè-
cles peut être mise en relation avec la situation nouvelle du clergé
rural, géographiquement dispersé dans les campagnes du diocèse et
dont les liens avec l’évêque et ses clercs installés en ville étaient de ce
fait moins étroits 49. Si juste soit elle, cette explication n’en reste pas
moins partielle car, comme cela a été évoqué plus haut, il ne faut pas
exagérer la situation d’isolement social du clergé rural : d’autres liens
– familiaux en particulier – contribuent à l’intégration des prêtres
ruraux dans la société locale.
Il est assez difficile de se faire une idée précise de la forme concrète
que prennent ces solidarités cléricales. Bien que le canon 38 du
concile d’Orléans fasse explicitement référence à une cartula compo-
sée à cette occasion, aucune ne nous est parvenue. Avec Otto Gerhard
Oexle, on peut néanmoins supposer deux types de situations :
• d’une part, de véritables petites communautés de clercs ruraux
menant une vie communautaire, avec des offices, des repas, et peut-
être aussi des logements communs, sur le modèle de ce que vivront

48
  Les canons des conciles mérovingiens…, op. cit., I, p. 250-251, c. 24 : Si qui clericorum, ut nuper
multis locis diabolo instigante actum fuisse perpatuit, rebelli auctoritate se in unum coniuratione
intercedente collegerint et aut sacramenta inter se data aut chartulam conscriptam fuisse patuerit,
nullis excusationibus haec praesumtio praeueletur, sed res detecta, cum in sinodo uentum fuerit, in
praesumtoribus iuxta personarum et ordinum qualitatem a pontificibus, qui tunc in unum collecti
fuerint, uindicetur ; quia, sicut caritas ex praeceptis dominicis corde, non cartulae conscriptione est
uel coniurationibus exhibenda, ita, quod supra sacras admittitur scripturas, auctoritate et districtione
pontificali est reprimendum ; O. G. Oexle, « Conjuratio und Gilde… », op. cit., p. 169-172.
49
 O. G. Oexle, « Conjuratio und Gilde… », ibid., p. 177-180.

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ordre et hiérarchie au sein du clergé rural

plus tard les communautés canoniales. Cette hypothèse est d’autant


plus vraisemblable que l’on connaît précisément le souci de certains
évêques du vie siècle d’imposer à leur clergé urbain une vie de ce type
et la documentation fait état – en particulier à Bourges et à Tours – de
canonici partageant l’existence de leur évêque 50. Ces premiers « cha-
noines » sont toujours attestés en milieu urbain, mais il est hautement
probable que de petites communautés aient aussi existé dans les cam-
pagnes, en particulier pour desservir des basiliques où reposaient des
corps saints  51. Ce modèle peut désormais être rapproché d’autres
hypothèses développées ces dernières années à propos de la première
organisation du christianisme dans le monde anglo-saxon sous la
forme de petites communautés – elles aussi dotées de reliques – que
les chercheurs britanniques nomment minster 52 ;
• l’existence de petites communautés n’était cependant pas envi-
sageable pour l’ensemble des clercs ruraux et tous ne le souhaitaient
sans doute pas. Les conjurationes visées par les interdits conciliaires
devaient donc aussi prendre la forme d’associations plus lâches. Ce
type de solidarité se reflète dans un document insolite à l’interpréta-
tion difficile et controversée. Il s’agit du « règlement ecclésiastique de
Berne » édité en 1939 par André Wilmart qui n’hésitait pas à en faire
remonter l’archétype « au viiie siècle, sinon plus tôt » 53. Le document
– qui se présente comme un cartellus – s’adresse à une communauté
de douze membres qui s’est donné un chef appelé magister, senior,

50
 R. Godding, Prêtres en Gaule…, op. cit., p. 223-227.
51
  B. Meijns, « Des basiliques rurales dans le nord de la France ? Une étude critique de
l’origine mérovingienne de quelques communautés de chanoines », Sacris erudiri, 41 (2002),
p. 301-340 ; C. Mériaux, « Communautés de clercs et communautés de chanoines dans les
diocèses d’Arras, Cambrai, Tournai et Thérouanne (vie-xie siècle) », in S. Lorenz et T. Zotz
(dir.), Frühformen von Stiftskirchen in Europa. Zu Funktion und Wandel religioser Gemeinschaften
vom 6. bis zum Ende des 11. Jahrhunderts, Leinfelden/Echterdingen, 2005 (Schriften zur
südwestdeutschen Landeskunde, 54), p. 251-285.
52
  J. Blair, « Les recherches récentes sur la formation des paroisses en Angleterre : simili-
tudes et différences avec la France », in D. Iogna-Prat et É. Zadora-Rio (dir.), La paroisse.
Genèse d’une forme territoriale, Saint-Denis, 2006 [= Médiévales, 49], p. 33-44.
53
  Berne, Burgerbibl., AA, 90.11, éd. A. Wilmart, « Le règlement ecclésiastique de Berne »,
Revue bénédictine, 51 (1939), p. 37-52, aux p. 43-52. La datation du manuscrit par A. Wilmart
(« vers 830 ») a été considérablement rajeunie par B. Bischoff, Katalog der festländischen
Handschriften des neunten Jahrhunderts (mit Ausnahme der wisigotischen), I, Aachen-Lambach,
Wiesbaden, 1998, p. 107 (« X. Jh., 2. Hälfte oder XI. Jh ») ; le document a été réédité et
étudié par G. G. Meersseman (Ordo fraternitatis…, op. cit., I, p. 154-169) qui y reconnaît
les statuts d’une confrérie parisienne du ixe siècle en se fondant, entre autres arguments,
sur les litanies ajoutées à la fin du « règlement », ce qui est assez contestable. État de la
question dans A. Krüger, Litanei-Handschriften der Karolingerzeit, Hanovre, 2007 (MGH,
Hilfsmittel, 24), p. 255-257.

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princeps ou decanus, mais dont les liens semblent assez lâches. Il insiste
précisément sur la pratique mutuelle de la charité, sur les offices et
les repas pris en commun en quelques occasions particulières, sur la
sollicitude que l’on doit manifester à l’égard des frères malades et
mourant et enfin, après leur décès, sur la célébration de leur mémoire
et l’inscription de leur nom sur le cartellus.
Si l’on suit la datation haute proposée par André Wilmart, le
« règlement de Berne » annonce les « calendes » dont le fonctionne-
ment est bien connu grâce aux textes d’Hincmar 54. Appelées parfois
ministeria ou concilia, les « calendes » (calendae) désignent les réunions
régulières – en principe au début de chaque mois – de prêtres ruraux.
L’esprit de groupe s’y exprime de manière très concrète par un repas
pris en commun. La sévérité avec laquelle les capitulaires jugent cer-
tains débordements montre bien qu’une réelle sociabilité s’exprime
à table  55. Le succès de ces réunions repose sur l’esprit de fraternité
et de solidarité, spirituelle et intellectuelle, qui règne entre les confra-
tres, dont les origines plongent de toute évidence dans les conjurationes
mérovingiennes comme l’a suggéré Otto Gerhard Oexle. Il y a quel-
ques années, Helmut Maurer a aussi attiré l’attention sur quelques
documents illustrant très concrètement l’existence de ces liens de
confraternité chez les prêtres de la région du Hegau dans le diocèse
de Constance. Au milieu du ixe siècle, on trouve leurs noms inscrits
en bloc dans le livre de confraternité de l’abbaye de Saint-Gall 56. Deux
siècles plus tard, on voit fonctionner leur réunion annuelle – nommée

54
 Voir, pour les prescriptions d’Hincmar : Capitula episcoporum…, op. cit., II, n° I, c. 14-15
(p. 41-43) et n° III, c. 1 (p. 73) ; Collectio de ecclesiis…, op. cit., p. 100-101 ; le passage est
repris par Riculfus de Soissons : Capitula episcoporum…, op. cit., II, p. 110-11 (c. 22). Les
meilleurs commentaires de ces textes se lisent dans O. G. Oexle, « Gilden als soziale Grup-
pen in der Karolingerzeit », in H. Jankuhn et al. (dir.), Das Handwerk in vor- und frühgeschich-
tlicher Zeit, t. 1, Göttingen, 1981 (Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften in Göt-
tingen, Phil.-hist. Klasse, Dritte Folge, 122), p. 284-354, aux p. 341-348 ; J. Avril, « Les
réunions de prêtres (calendes, chapitres) au Moyen Âge », in M. Ascheri, F. Ebel, M. Hec-
kel et al. (dir.), « Ins Wasser geworfen und Ozeane durchquert ». Festschrift für Wolfgang Nörr,
Cologne/Weimar/Vienne, 2003, p. 11-26, aux p. 15-18 ; Id., « Une association obligée :
l’archiprêtré ou doyenné », Revue d’histoire de l’Église de France, 93 (2007), p. 25-40, aux
p. 28-30.
55
 Voir par exemple infra n. 59.
56
  Libri confraternitatum Sancti Galli, Augiensis, Fabariensis, éd. P. Piper, MGH, Necrologia Ger-
maniae, Hanovre, 1884, p. 29 : hec sunt nomina presbitorum Heogauensium ; H. Maurer, « Die
Hegau-Priester. Ein Beitrag zur kirchlichen Verfassungs-und Sozialgeschichte des früheren
Mittelalters », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, Kanonistische Abteilung, 61
(1975), p. 37-52, à la p. 46 ; sur le diocèse de Constance, voir aussi H. Julius, Landkirchen
und Landklerus im Bistum Konstanz während des frühen und hohen Mittelalters. Eine begriffsges-
chichtliche Untersuchung, thèse de doctorat, université de Constance, 2003.

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ordre et hiérarchie au sein du clergé rural

capitolium – comme moment privilégié de « formation continue » 57.


La bibliothèque de Karlsruhe conserve effet un exemplaire de la
Regula pastoralis de Grégoire le Grand cédé par un certain Richard,
prêtre de Schienen, à ses confrères. Le codex devait être partagé en
deux parties qui circulaient séparément parmi les prêtres du Hegau ;
l’échange entre les deux codices devait intervenir lors de la semaine
que passaient ensemble ces prêtres. En retour, Richard – dont on peut
ainsi se demander s’il n’avait pas aussi été archiprêtre ou doyen –
demandait bien évidemment de pouvoir bénéficier des prières de ses
confrères rassemblés lors du capitolium 58. Que cette situation ait déjà
existé à l’époque carolingienne n’est guère douteux : Hincmar fait en
effet référence aux échanges que les prêtres devaient avoir sur les
questions pastorales 59.

4. Le doyenné, « association obligée »

Comme l’a rappelé récemment le Père Avril, ces calendes « peu-


vent être considérées [à la fois] comme des associations cléricales
originales, de type confraternel », mais aussi comme des associations
que l’on peut qualifier d’« obligées » 60. Les prescriptions d’Hincmar
montrent qu’au milieu du ixe siècle ces liens de fraternité sont désor-
mais investis de l’intérieur par l’autorité épiscopale. Hincmar cherche
en effet non seulement à contrôler le déroulement de ces rencontres,
mais à les intégrer dans la hiérarchie ecclésiastique par l’intermédiaire
de la promotion du doyen. Dans l’esprit d’Hincmar, le doyen est donc
tout à la fois l’émanation d’une fraternité locale et le relais de l’auto-
rité épiscopale  61. L’archevêque formule explicitement cette double

57
  H. Maurer, « Die Hegau-Priester… », ibid., p. 45.
58
 L’acte figure en tête de Karlsruhe, Badische Landesbibl., Cod. Aug. perg. CCXX ; il a été
édité par A. Holder, Die Pergamenthandschriften, rééd. Wiesbaden, 1970 (= Die Handschriften
der Badischen Landesbibliotheken in Karlsruhe, 5 ; Die Reichenauer Handschriften, 1) ; H. Maurer,
« Die Hegau-Priester… », ibid., p. 40-45.
59
  Collectio de ecclesiis…, op. cit., p. 100-101 : Ut in unoquoque mense statuta die per singulas
decanias simul conveniant et convenientes non pastis vel potationibus vacent, sed de duo ministerio
et de religiosa conversatione atque de his, quae in eorum parochiis accidunt, sermonem habeant et,
qualiter pro rege vel pro rectoribus ecclesie atque pro suis familiaribus, tam vivis quam defunctis, orare
debeant, simul considerent.
60
  J. Avril, « Une association obligée… », op. cit., p. 30.
61
 Sur la procédure suivie pour la nomination du doyen, voir supra n. 40 ; il est difficile de
savoir si les prêtres ont, dès le ixe siècle, exigé de participer à l’élection du doyen car la
source qu’utilise Gratien à ce propos – un passage apocryphe d’Isidore de Séville – reste
mal identifiée : voir P. Landau, « Apokryphe Isidoriana bei Gratian », in F. J. Felten et

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charles mériaux

nécessité dans le capitulaire de novembre 852 lorsqu’il évoque le


repas partagé par les prêtres à l’occasion des calendes. La disposition
des convives doit refléter la hiérarchie diocésaine – « chacun selon
son rang » (secundum suum ordinem) –, mais également manifester la
solidarité profonde qui unit les prêtres dans l’exercice de leur charge
– alter alterius honorem portantes –, ce que souligne l’écho formel à l’in-
jonction de Paul aux Galates (Ga 6, 2) : « portez les fardeaux les uns
les autres » – alter alterius onera portate 62. Le modèle que propose l’ar-
chevêque est celui du Christ et de ses apôtres :

D’autre part, quand les prêtres se rassemblent pour un repas, que leur
doyen ou quelque ancien récite un verset devant la table et bénisse la
nourriture. Et alors que chacun s’asseye selon son rang dans le respect
mutuel de la hiérarchie. Qu’ils bénissent à tour de rôle la nourriture et la
boisson et que l’un de leurs clercs lise un passage d’une sainte lecture.
Après le repas, de la même manière, qu’ils récitent un hymne à l’exemple
de ce que fit le Seigneur et Sauveur en compagnie de ses disciples, comme
nous pouvons le lire dans le récit de la Cène. Ainsi que tous les prêtres se
comportent partout et en particulier en de tels lieux de telle sorte que,
comme le dit l’Apôtre, « notre service ne puisse être critiqué » [2 Cor 6,
3] 63.

Plus généralement, on retrouve l’ambivalence de la signification


sociale du repas : lieu et moment paradoxal où se vit la fraternité et
s’établit la hiérarchie 64.
D’autres éléments montrent enfin le souci de l’épiscopat de sortir
les prêtres de leurs solidarités ecclésiastiques purement locales. Hinc-
mar insiste sur le fait que les prêtres réunis en calendes doivent prier

N. Jaspert (dir.), Vita religiosa im Mittelalter. Festschrigt für Kasper Elm zum 70. Geburtstag,
Berlin, 1999 (Berliner historische Studien, 31), p. 837-844, aux p. 841-843.
62
  Ga 6, 2 apparaît souvent dans un contexte confraternel, par exemple dans le « règlement
de Berne » (éd. A. Wilmart, « Le règlement… », op. cit., p. 48 ; éd. G. G. Meersseman,
Ordo fraternitatis…, op. cit., p. 162) ou encore en tête des statuts d’une fraternitas inter
seculares sacerdotes du xiie siècle (ibid., p. 122).
63
  Capitula episcoporum…, op. cit., II, p. 41-42 (I, 14) : Quando autem convenerint presbiteri ad
aliquod convivium, decanus, aut aliquis prior illorum versum ante mensam incipiat et cibum benedi-
cat. Et tunc secundum suum ordinem consedeant alter alterius honorem portantes et per vicissitudines
cibum et potum benedicant et aliquis de illorum clericis aliquid de sancta lectione legat et post refectio-
nem similiter sanctum hymnum dicant ad exemplum domini et salvatoris ac discipulorum ejus, sicut
illum in cena fecisse legimus. Et sic se contineant omnes presbiteri in omni loco maxime in talibus, ne,
sicut dicit apostolus, « vituperetur ministerium nostrum » ; cf. O. G. Oexle, « Gilden als soziale
Gruppen… », op. cit., p. 345-346.
64
 Voir la communication d’Alban Gautier dans le présent volume.

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ordre et hiérarchie au sein du clergé rural

pour le roi, pour les évêques et leurs proches  65. On pourrait aussi
mentionner l’usage du serment. Alors que les conjurations cléricales
de l’époque mérovingienne se signalaient précisément par un ser-
ment mutuel comme le rappelle le canon du concile d’Orléans de
538, celui-ci se prête désormais dans un cadre fortement hiérarchisé
à l’époque carolingienne. La documentation rémoise ne semble pas
avoir conservé de formule de serment de fidélité prêté par le prêtre
à son évêque lors de son installation comme celle qui a été récemment
éditée et commentée par Stefan Esders et Heike Johanna Mierau. En
revanche Gerhard Schmitz a récemment exhumé une formule de
serment purgatoire qu’Hincmar exigea de l’un de ses clercs accusé
de concubinage 66.

Conclusion

Dans le diocèse de Reims, l’épiscopat d’Hincmar est assurément


marqué par une entreprise de réforme du clergé diocésain, désormais
plus hiérarchisé au moyen de l’instauration de la fonction décanale.
Si cette hiérarchisation a pu être mise en place sans opposition (sem-
ble-t-il) d’une grande partie des prêtres ruraux, c’est bien parce
qu’elle n’est pas rentrée en complète contradiction avec les aspira-
tions fraternelles des prêtres. Loin d’être considérée exclusivement
comme l’institution où s’exerce l’autorité diocésaine – par l’intermé-
diaire de son représentant, le doyen –, le «  doyenné  » reste vécu
comme le ciment de la solidarité cléricale en milieu rural, ce qui va
aussi dans le sens d’une distinction accrue des clercs à l’égard des
laïcs 67.
La chronologie de cette hiérarchisation du clergé rémois appelle
quelques observations. Il n’en est pas encore question dans le petit
traité d’Ebbon ; elle est en revanche bien attestée dès 852, c’est-à-dire
au tout début de l’épiscopat d’Hincmar. Ailleurs, en revanche, cette
hiérarchisation n’est observée qu’au début du xe siècle, avec un déca-
lage d’un demi-siècle au moins. Il faut donc souligner l’impulsion

65
 Voir supra n. 59.
66
 S. Esders et H. J. Mierau, Der althochdeutsche Klerikereid. Bischöfliche Diözesangewalt, kirchli-
ches Benefizialwesen und volkssprachliche Rechtspraxis im frühmittelalterlichen Baiern, Hanovre,
2000 (MGH, Studien und Texte, 28) ; De presbiteris criminosis…, op. cit., p. 30-31.
67
 Aux xe-xie siècles, la nécessité de définir le doyenné comme une circonscription géogra-
phique apparaît donc encore comme tout à fait secondaire, même si les historiens ont
ensuite essentiellement posé le problème dans ces termes.

135

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charles mériaux

donnée personnellement par Hincmar et peu suivie dans un premier


temps. Il faudrait alors examiner plus en détail les modèles qui ont
pu inspirer le prélat dans son entreprise de réforme. Pour reprendre
le fil de la réflexion lancée par Dominique Iogna-Prat, on peut être
tenté d’y voir l’influence des œuvres du Pseudo-Denys qu’Hincmar
connaît par l’intermédiaire d’Hilduin de Saint-Denis puis de Jean
Scot. Mais un examen des écrits du prélat ne donne guère de crédit
à une telle hypothèse 68.

68
 Le Pseudo-Denys est très peu cité par Hincmar, et en tout cas jamais dans les œuvres
pastorales, capitulaires et traités : D. Poirel, « Le “chant dionysien”, du ixe au xiiie siècle »,
in M. Goullet et M. Parisse (dir.), Les historiens et le latin médiéval, Paris, 2001 (« Publica-
tions de la Sorbonne. Histoire ancienne et médiévale », 63), p. 151-176, à la p. 156. J’ai pu
compter sur la patience de Dominique Iogna-Prat et l’aide de Stéphane Gioanni dans la
mise au point définitive de ce texte : qu’ils en soient tous les deux remerciés ici.

136

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Stefano Gasparri

Recrutement social
et rôle politique des évêques
en Italie du vie au viiie siècle

D
ans l’Antiquité tardive, en Italie comme dans le reste du
monde romain, les évêques, dotés de prestige sacré et d’im-
portantes prérogatives séculières attribuées par les empereurs
chrétiens, occupent le sommet de la hiérarchie ecclésiastique. Au
contraire, les siècles qui marquent le passage de l’Antiquité tardive au
haut Moyen Âge sont caractérisés, du moins dans un premier temps,
par une grave crise de l’épiscopat italien. La guerre gothique et l’in-
vasion lombarde ne vont pas à l’encontre de l’épiscopat en tant que
tel, mais l’impliquent, ainsi que toute la société italienne de l’Anti-
quité tardive, dont les fondements sont perturbés. L’épiscopat souffre
fortement car il est placé au cœur d’un réseau de rapports sociaux,
essentiellement urbain, qui est éprouvé, sans être détruit, par la
guerre. La crise des villes, phénomène caractéristique de cette période
– ramené toutefois à de justes proportions par l’historiographie
récente – est également le résultat de ces événements, ainsi que
d’autres de longue durée liée à la dissolution des structures de l’État
romain et à l’évolution économique du monde méditerranéen, et
aurait entraîné avec elle celle de l’épiscopat 1. Celui-ci sort lentement
de cette crise au cours du viie siècle et ne trouve son assise définitive
qu’au début du siècle suivant, avec la mise en place de la monarchie
catholique des Lombards 2.
Ces affirmations, fortement ancrées dans l’historiographie ita-
lienne, ont une grande part de vérité. Toutefois, le tableau mérite
d’être nuancé. D’une part, le lien univoque entre l’évêque et la ville
peut être mis en doute pour la période considérée. D’autre part, l’image
de l’évêque puissant de l’Antiquité tardive – defensor civitatis, expres-

1
 C. Wickham, Framing the Early Middle Ages. Europe and the Mediterranean 400-800, Oxford,
2005.
2
 Voir la discussion classique entre Louis Duchesne et Amedeo Crivellucci : A. Crivellucci,
« Le Chiese cattoliche e i Longobardi ariani in Italia », Studi storici, 5 (1896), p. 156 sqq., et
L. Duchesne, « Les évêchés d’Italie et l’invasion lombarde », Mélanges d’archéologie et d’his-
toire, 23 (1903), p. 83-116.

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stefano gasparri

sion de la classe dirigeante passée dans les rangs de la hiérarchie


ecclésiastique et continuant ainsi à gouverner les populations urbai-
nes – demande vérification. Signalons d’emblée que le mot « évêque »
s’applique à des personnages de niveau très varié, quant à leurs origi-
nes sociales et à l’importance de leur église. Les évêques italiens
offrent un tableau complexe, aussi bien du point de vue de la hié-
rarchie sociale que de la hiérarchie ecclésiastique, qui doit être déchif-
fré grâce à une lecture des sources non grevée de modèles interpré-
tatifs valables en des contextes régionaux différents. C’est ce que je
tenterai de faire pour les évêques d’Italie centro-septentrionale sur-
tout, dont les sièges furent en majorité intégrés à partir du vie siècle
au sein du royaume lombard ; les autres, ceux de l’Italie restée dura-
blement romaine (c’est-à-dire byzantine), apparaîtront de manière
plus marginale dans mon exposé.

1. Les sources et le témoignage des Dialogues


de Grégoire le Grand

Les sources sur les évêques italiens de l’Antiquité tardive ne sont


guère satisfaisantes. L’époque de Grégoire le Grand est relativement
bien connue, et avec elle tout ce qui tourne autour de la querelle des
Trois Chapitres. On connaît pour la période antérieure l’environne-
ment et les écrits d’Épiphane et d’Ennode (fin du ve-début du vie siè-
cle) et, plus avant, l’époque d’Ambroise et de la lutte contre l’aria-
nisme en Italie du Nord 3. Mais une fois terminée la lutte contre l’aria-
nisme, les évêques du ve siècle sont des figures plutôt évanescentes ;
le milieu et la fin du vie siècle, de même que la première moitié du
viie  siècle sont presque privés d’informations et ce n’est qu’avec le
début du viiie siècle que le terrain devient plus stable.
La minceur de la documentation relative aux évêques italiens des
premiers siècles ne dépend pas des lacunes de la documentation des
siècles dits obscurs. Elle reflète la faiblesse de l’institution et le peu de
poids de bien des évêques italiens, dont on ignore souvent le nom,
même quand l’occupation du siège épiscopal est assurée. C’est dans
cette perspective qu’il faut reconsidérer l’histoire de l’institution épis-

3
 L. Cracco Ruggini, « La fisionomia sociale del clero e il consolidarsi delle istituzioni
ecclesiastiche nel Norditalia », in Morfologie sociali e culturali in Europa fra tarda antichità e alto
medioevo, t. 2, Spolète (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo,
45), 1998, p. 851-901.

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copale italienne entre Antiquité tardive et haut Moyen Les lacunes


relatives aux successions épiscopales peuvent prendre un sens nou-
veau, dès lors qu’on ne les associe pas systématiquement aux désastres
de la guerre gothique ou à la violence de l’invasion lombarde.
Dans ces conditions, les Dialogues de Grégoire le Grand, quelles que
soient les limites de ce genre de texte en matière d’histoire sociale, sont
un bon point de départ pour donner une vision générale de l’épiscopat
italien à un moment crucial comme la fin du vie siècle, grâce à la variété
des figures d’évêques, réelles ou fictives, qu’ils présentent et compte tenu
des possibilités de recouper l’information avec celles d’autres sources 4.
Le premier personnage est Datius, évêque de Milan (535/536-552),
qui mérite d’autant plus d’attention qu’il est contemporain de la
guerre gréco-gothique 5. D’après les Dialogues, Datius se rend à Constan-
tinople avec un comitatus si important qu’une fois arrivé à Corinthe, il
ne réussit pas à trouver une larga domus pouvant l’accueillir dans sa
totalité : c’est pourquoi il n’hésite pas à choisir l’unique maison assez
grande disponible, bien qu’elle soit habitée depuis de nombreuses
années par un diable, qu’il chasse de la demeure avec une facilité
dérisoire  6. L’information, précieuse, révèle indirectement le statut
social de Datius, qui est aussi lié à ses fonctions. Procope nous informe
en effet de son côté qu’il vient à Rome en représentation de sa ville,
accompagné de notables milanais, pour prier Bélisaire d’envoyer des
soldats afin de protéger Milan des Goths et de la conserver, ainsi que
toute la Ligurie, entre les mains de l’empereur. C’était en 538, en
pleine guerre, et Datius exerçait avec autorité sa fonction de defensor
civitatis. L’évêque ne retourne plus à Milan car il doit justement se
rendre à Constantinople, où il défend, avec le pape Vigile, les Trois
Chapitres contre Justinien, puis meurt à Chalcédoine en 552 7.
Les Variae de Cassiodore nous offrent aussi une image claire du
rôle politique et social de Datius. En 535 ou 536, Cassiodore, au nom
du roi Théodat, intime à l’évêque milanais l’ordre de vendre à un prix

4
 Sur les Dialogues, voir la deuxième partie du livre de S. Boesch Gajano, Gregorio Magno.
Alle origini del Medioevo, Rome, 2004 (p. 151 sq.).
5
 Sur Datius : C. et L. Pietri (dir.), Prosographie chrétienne du Bas-Empire, t. 2 (Prosopographie
de l’Italie chrétienne, 313-604), 2 vol., Rome, 1999-2000, t. 1, p. 532-534, et G. P. Bognetti,
« S. Maria foris Portas di Castelseprio  », in Id., L’età longobarda, t.  2, Milan, 1966,
p. 187-196.
6
  Grégoire le Grand, Dialogi, III [éd. U. Moricca, Rome, 1924 (Fonti per la storia d’Ita-
lia, 57), p. 142-144].
7
  Procope, La guerra gotica, II, 7 [éd. D. Comparetti, t. 2, Rome, 1887 (Fonti per la storia
d’Italia, 23-25), p. 200] et G. P. Bognetti, « S. Maria foris… », op. cit.

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taxé le tiers du grain conservé dans les entrepôts publics de Pavie et


de Tortona, en prenant soin de déclarer le montant de la recette, qui
servirait à reconstituer les provisions 8. Selon les mécanismes propres
au monde romain tardif, l’évêque est impliqué dans un secteur clé de
l’administration publique, l’approvisionnement de la population.
D’autres lettres des Variae montrent, au reste, que l’obligation faite
aux évêques de collaborer à la gestion publique est répandue, même si
le prélat milanais est le seul pour lequel soit conservé un ordre écrit.
Face à Datius, évêque aristocrate d’une grande cité, les Dialogues
font voir des figures plus modestes d’évêques de l’Italie centrale ayant
vécu plus ou moins à la même époque, vers le milieu du vie siècle.
Constant d’Aquin paraît ainsi beaucoup plus fruste. En mourant, il
annonce – et la prophétie se réalise – que ses successeurs seront
d’abord un palefrenier (André) puis un boulanger (Jovinus), avant
que son siège ne finisse en ruine, renversé barbarorum gladiis et pesti-
lentiae inmanitate 9. L’évêque Boniface de Ferento, en Tuscie méridio-
nale, un peu plus âgé et également humble, est à l’origine, selon les
Dialogues, de certains miracles alimentaires, visant à garantir la survie
physique de sa petite communauté. L’histoire de son neveu Constant
est tout aussi intéressante. Ce dernier avait vendu un cheval et mis de
côté les douze aurei qu’il en avait obtenus, pro adipiscendo episcopatu,
sachant qu’il préparait la succession de son oncle ; à cause de son
comportement avaricieux, ce dernier lui prédit qu’elle n’aurait pas
lieu. Constant ne devint pas évêque, mais cela ne retire rien au fait
qu’il retînt sa succession comme quelque chose de naturel  10. L’épi-
sode révèle une pratique peu connue en Italie, à la différence de la
Gaule et de l’Espagne, où l’on a tendance à faire de la charge épisco-
pale un honneur transmissible d’une génération à l’autre au sein des
mêmes familles 11.
La simplicité d’une vie passée entre les poules, les granges et les
outres de vin n’enlèvent rien au prestige et à la fonction locale de
Boniface, indiscutablement à la tête de la société ecclésiastique et
laïque de Ferento, porteur d’une vertu charismatique qui le conduit
à briser sans états d’âme les dernières traces de paganisme qu’il ren-

8
  Cassiodore, Variae, XII, 27 (éd. Th. Mommsen, MGH, Scriptores antiquissimi, 12, Berlin,
1894, p. 383).
9
  Grégoire le Grand, Dialogi, III (éd. op. cit., p. 151-153).
10
  Grégoire le Grand, Dialogi, I (éd. ibid., p. 54-55).
11
 R. Teja, « Las dinastias episcopales en la Hispania tardorromana », Cassiodorus. Rivista di
studi sulla tarda antichità, 1 (1995), p. 29-39.

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contre 12. Il est, certes, à des années lumières d’un Datius, qui occupe
le sommet de la hiérarchie sociale italienne. Mais, au sein de leur
communauté, leurs rôles respectifs sont analogues et consistent au
fond à défendre leurs ouailles. La constatation vaudrait aussi pour
l’évêque d’Ancône, Marcellin, qui s’opposa physiquement, quoique
malade, au feu qui menaçait d’anéantir sa ville, et pour Fridien de
Lucques, qui dévia miraculeusement le cours du fleuve Ausarit, lequel
dévastait les cultures de ses concitoyens – comme l’avait fait, deux
siècles avant, Sabin de Plaisance, qui fit rentrer le Pô dans son lit  13.
Tous fournissent des images exemplaires de defensores civitatis. Il faut
cependant se demander si ces modèles représentent vraiment la réa-
lité de l’épiscopat italien de l’époque.

2. La faiblesse de l’épiscopat italien

Plusieurs décennies avant les Dialogues, voici une autre figure d’évê-
que defensor civitatis d’une importance exceptionnelle  : Épiphane,
évêque de Pavie de 467 à 498, dont le successeur Ennode a laissé une
biographie édifiante. Ambassadeur auprès d’empereurs comme
Anthémius et de rois barbares comme Euric, Odoacre, Théodoric et
Gondebaud, Épiphane se concentre progressivement sur la défense
des intérêts de sa ville, assiégée et détruite au cours des campagnes
d’Odoacre et de Théodoric, et sur la protection des possessores qui y
habitent. Il demande ainsi à Odoacre une quinquennii vacationem fis-
calium tributorum et proteste au nom des possessores de toute la Ligurie
contre les coemptiones excessives du préfet du prétoire Pélage. Par la
suite, il obtient de Théodoric le maintien du droit de tester et de
disposer de leurs propres biens pour les partisans d’Odoacre vaincu.
L’évêque Laurent de Milan le soutient dans sa requête, qui concerne
aussi le rang sénatorial et plus généralement les propriétaires fonciers
de l’Italie septentrionale 14.
Épiphane incarne le modèle de l’évêque defensor civitatis par excel-
lence. Il n’en est pas moins isolé, car le seul personnage de même
niveau social et d’importance politique équivalente pouvant lui être

12
  Grégoire le Grand, Dialogi, I (éd. op. cit., p. 50-57).
13
  Grégoire le Grand, Dialogi, I (éd. ibid., p. 42) et III (p. 153-156).
14
  Ennodius, Vita beatissimi viri Epifani episcopi Ticinensis ecclesiae, éd. F. Vogel, MGH, Scrip-
tores antiquissimi, 7, Berlin, 1885, p. 84-109.

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associé dans les sources est Datius de Milan, defensor civitatis et fonc-
tionnaire impérial.
Passons à quelques considérations d’ordre quantitatif. Une tren-
taine d’évêques sont connus en Italie du Nord au vie siècle, jusqu’à
l’arrivée des Lombards. On ne peut faire état de vraies listes épisco-
pales que pour Milan, Aquilée et Ravenne ; sur les autres sièges, qu’ils
soient petits (Lodi) ou moyens – Turin, Verceil, Pavie et Vérone – ne
sont attestés qu’un ou deux évêques, dont nous ne connaissons guère
que le nom  15. Le vie siècle est, certes, un moment difficile, marqué
par de lourdes guerres qui ont bouleversé la société italienne de l’An-
tiquité tardive. Mais la situation semble être la même au ve siècle.
Après l’époque d’Ambroise, qui a vu l’apparition au nord d’un petit
groupe d’évêques d’un niveau culturel élevé et d’un grand prestige
social, les prélats ont disparu ou presque de la grande scène politi-
que  16. Les informations à leur sujet sont très rares et, en majeure
partie, internes à l’institution, dérivant des souscriptions d’actes de
conciles ou d’inscriptions funéraires.
La faiblesse du milieu épiscopal de l’Italie du Nord au vie siècle
semble ainsi déjà enracinée à l’époque précédente. Toutefois, le phé-
nomène devient encore plus évident si nous nous concentrons sur la
période allant de 520 – au moment de la crise du royaume gothique,
qui à son tour est la prémisse de la guerre gothique – jusqu’à 570,
période de l’invasion lombarde. Durant ce demi-siècle, Milan et Aquilée
mises à part, neuf villes – Aoste, Turin, Verceil, Pavie, Lodi, Côme, Tré-
vise, Altino, Trieste – n’ont laissé le nom que d’un seul évêque, tandis
que des cités importantes comme Bergame, Brescia, Plaisance, Padoue
ou Vérone n’en ont pas du tout gardé trace  17. Les neuf personnages
cités sont donc les seuls représentants du groupe épiscopal dans les
zones qu’occuperont les Lombards, car les prélats d’Aquilée, Paul, et
de Milan, Honorat, se réfugièrent très tôt sur le territoire romain. Parmi
eux, deux seulement, Félix de Trévise et Projectus de Lodi exerçaient
avec certitude leurs fonctions au moment de l’invasion. Le premier –
spécialiste de rhétorique à Ravenne et ami d’enfance de Venance For-
tunat – est évoqué sous un jour très favorable par Paul Diacre du fait de
sa négociation avec Alboin ; quant à Projectus, tout ce qu’on peut en
dire est qu’il reste en place malgré les temps difficiles, comme l’atteste

15
 C. et L. Pietri (dir.), Prosopographie…, op. cit., t. 2, p. 2404-2429.
16
 Voir note 3 et aussi A. Rousselle, « Aspects sociaux du recrutement ecclésiastique au
IVe siècle », Mélanges de l’École française de Rome, Antiquité, 89 (1977), p. 333-370.
17
 Cf. note 16.

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son inscription funéraire, qui lui attribue douze ans de pontificat ache-
vés paisiblement en 576, à l’âge de quatre-vingt-trois ans  18. Dans ces
conditions, il paraît pour le moins abusif d’imputer systématiquement
à la guerre gréco-gothique ou à l’invasion lombarde le manque d’évê-
ques connus dans de nombreux diocèses de la région Centre-Nord – la
situation n’est au reste guère différente au sud.
Au-delà de l’impression générale de faiblesse de l’institution qui
nous est donnée par le manque de sources, on aimerait en savoir plus
sur l’origine des évêques pour pouvoir leur attribuer une position
précise dans la hiérarchie sociale italienne. Mais les images contradic-
toires qu’offrent les Dialogues de Grégoire sont confirmées par d’autres
sources. Le Milanais Laurent, collègue d’Épiphane, est en contact
avec le milieu sénatorial vu ses relations avec le puissant sénateur
Faustus Niger, et il joue un rôle très important lors du synode romain
de 502 qui résout la querelle entre le pape Symmaque et son rival
Laurent. Quant à Épiphane lui-même, dont le prestige auprès de la
classe dirigeante du Bas-Empire est indiscutable, le seul indice d’une
condition sociale éminente pourrait être son lien de parenté avec
l’évêque milanais Merocles 19.
En dehors de ces deux cas, les données sur les ve et vie siècles sont
minces. Si Marcellin de Voghenza, pêcheur avant de devenir évêque
(426-454), semble être une exception vers le bas  20, bien peu sont
ceux dont on peut dire avec certitude qu’ils étaient d’origine sénato-
riale, parce que de nombreuses mentions d’évêques sont liées exclusi-
vement à des souscriptions d’actes de synodes ou de conciles. Pétrone,
évêque de Bologne de 425 à 450, était fils du préfet du prétoire des
Gaules homonyme, qui fut probablement évêque à Vérone. Le poème
funéraire au style soutenu gravé sur l’épitaphe de Flavien de Verceil
(542) plaide aussi pour des origines sociales élevées, observation qui
vaut sans doute aussi pour l’épitaphe de Ticianus de Lodi, doctrina peri-
tus (476). Maxime de Pavie (502-512) a fait partie de l’administration
civile, il est consiliarius avant d’entrer dans le clergé 21. Voici enfin le cas
très particulier de l’empereur Glycérius, déposé en 474 par Julius Nepos

18
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, II, 12-13 (éd. G. Waitz, MGH, Scriptores rerum Lan-
gobardicarum et Italicarum saec. VI-IX, Hanovre, 1878, p. 79-81), et C. et L. Pietri (dir.),
Prosopographie…, op. cit., t. 2, p. 1858 (C.I.L., V, 6401).
19
 C. et L. Pietri (dir.), Prosopographie…, op. cit., t. 1, p. 637-641 et t. 2, p. 1239-1242 et
1509-1510.
20
 C. et L. Pietri (dir.), Prosopographie…, ibid., t. 2, p. 1370.
21
 C. et L. Pietri (dir.), Prosopographie…, ibid., t. 1, p. 828 et t. 2, p. 1475-1476, 1723-1724
et 2200.

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et contraint de devenir évêque de Porto : l’information est surtout


une preuve indirecte du prestige de l’institution épiscopale 22. Quant
à Paulin de Nole et à Ennode de Pavie, personnages assurément de
haut rang, leur provenance gauloise en fait des cas à part.
En élargissant le rayon d’observation jusqu’à inclure Ravenne, on
peut citer Caelius Aurelianus, évêque de 519 à 521, dont un papyrus
écrit trente ou cinquante ans après en vue de vérifier les propriétés de
l’Église locale après les désastres de la guerre gothique rappelle le testa-
ment, rédigé selon la tradition romaine et dans lequel il nomme l’église
héritière de ses biens, à l’exception des domestiques qu’il libère. Aure-
lianus est un propriétaire foncier d’un certain niveau 23 et de manière
générale, les évêques ravennates, consécrateurs d’églises nouvelles et
restaurateurs d’édifices sacrés, de grande culture religieuse parfois, en
contact avec des empereurs, des papes et des rois – comme l’évêque Jean
qui aurait supplié Théodoric, vainqueur d’Odoacre, d’entrer de manière
pacifique dans la cité –, sont si influents qu’il est possible de leur attri-
buer des origines sociales élevées même en l’absence d’informations
spécifiques  24. Dans bien des cas, la chose vaut aussi pour les prélats
d’Aquilée et de Milan, même si le manque de données précises ne plaide
pas en faveur de leur appartenance au milieu sénatorial.

3. Le cas de Rome et le rôle du Sénat

Une hiérarchisation évidente apparaît au sein de l’épiscopat italien,


entre les évêques des grands sièges et ceux des cités moins importan-
tes, qui, dans certains cas, peuvent à peine conserver le nom de ville.
D’aucuns sont pauvres : le représentant type de cette catégorie est
Ecclesius de Chiusi, qui, en plein hiver, n’avait même pas de tunique
chaude pour se couvrir, au point qu’en janvier 604, Grégoire lui en
envoya une de Rome, confiant l’issue positive d’une mission évidem-
ment délicate – et urgente : quia vehemens frigus est – à un autre évêque,
Venance de Luni, l’un de ses collaborateurs les plus importants 25. À la
différence de la Gaule, rares sont en Italie septentrionale les évêques

22
 C. et L. Pietri (dir.), Prosopographie…, ibid., t. 1, p. 933-934.
23
  J. O. Tjäder, Die nichtliterarischen lateinischen Papyri Italiens aus der Zeit 445-700, Lund,
1954, p. 212 ; C. et L. Pietri (dir.), Prosopographie…, ibid., t. 1, p. 232-233.
24
  Andreas Agnellus, Liber Pontificalis ecclesiae Ravennatis, éd. G. Waitz, MGH, Scriptores
rerum Langobardicarum et Italicarum saec. VI-IX, Hanovre, 1878, p. 303-304 (année 493).
25
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum, XIV, 15 (éd. P. Ewald et L. M. Hartmann,
MGH, Epistolae, I-II, Berlin, 1887-1899, t. 2, p. 434-435). Voir plus bas, à propos de l’Italie

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faisant fonction de defensores civitatis : outre Épiphane et Datius, on ne


peut guère citer que Félix de Trévise, qui obtient un pragmaticum du
roi Alboin assurant à sa cité et à son église d’être épargnés et de jouir
pacifiquement de leurs biens 26.
Le petit nombre d’évêques similaires dépend probablement du
manque d’enracinement de l’épiscopat italien dans la classe sénato-
riale, que confirme la rareté des dynasties épiscopales évoquées pré-
cédemment, qui paraissent des plus marginales en Italie quoi qu’en
disent Samuel Barnish, dans son article sur la fin de l’aristocratie séna-
toriale et, avant lui, Tom Brown dans son livre sur l’aristocratie de l’Ita-
lie byzantine 27. On ne peut invoquer que deux cas pour le Nord, celui
déjà évoqué d’Épiphane, qui descendait du premier évêque milanais
Miroclès (313-314), et celui d’Héliodore, évêque d’Altino de 373 à 404,
dont le neveu, le clerc Népotien, était le successeur qu’il avait désigné,
mais qui mourut avant lui 28. L’Italie confirme en cela sa différence par
rapport à l’Espagne et à la Gaule, où de telles dynasties sont connues
dès le ive siècle et surtout au ve siècle 29. La faible tendance à faire de la
charge épiscopale le monopole d’une même famille reflète une moin-
dre emprise aristocratique sur l’institution. L’observation plus stricte
en Italie de la norme impériale – réitérée à la fin du vie siècle, comme
le rappelle Grégoire le Grand – qui interdisait aux curiales et aux mem-
bres de la militia d’accéder au clergé, pour éviter que les premiers
n’échappent au poids fiscal qui leur incombait et que les seconds n’af-
faiblissent la structure publique, a certainement compté 30.
Comparons ces données avec celles de Rome, seul siège à fournir une
séquence continue d’informations, spécialement sur les origines fami-
liales des papes. Silvère (536-537) est fils d’un autre pape, Hormisdas.

centro-méridionale, la question des évêques ruraux, dont l’existence a été trop souvent
sous-estimée et qui prouvent au contraire l’extrême diversité des figures épiscopales.
26
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, II, 12 (éd. op. cit., p. 79).
27
 S. J. B. Barnish, « Transformation and survival in the western senatorial aristocracy, c. AD
400-700 », Papers of the British School at Rome, 46 (1988), p. 120-155, ici p. 138 ; T. S. Brown,
Gentlemen and Officers. Imperial Administration and Aristocratic Power in Byzantine Italy A.D.
554-800, Rome, 1984, p. 195.
28
 Voir note 22 ; C. et L. Pietri (dir.), Prosopographie…, op. cit., t. 1, p. 965-967.
29
 Voir l’article de R. Teja cité à la note 11. Dans le sud de l’Italie, il y a quelques cas de
dynasties épiscopales, mais peu nombreux et limités à des villes très petites : infra, note 37.
Pour la Gaule, voir aussi F. D. Gilliard, « The Senators of sixth-century Gaul », Speculum,
54 (1979), p. 685-697.
30
 C. Pietri, « Aristocratie et société cléricale dans l’Italie chrétienne au temps d’Odoacre
et de Théodoric », Mélanges de l’École française de Rome, Antiquité, 93 (1981), p. 417-467 [rééd.
Id., Éléments d’une enquête sur le christianisme antique, t. 2, Rome, 1997 (École française de
Rome, 234), p. 1007-1057], ici p. 432-433.

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Son successeur Vigile (537-555) fait partie de l’aristocratie sénatoriale.


Pélage Ier (556-561) est du même niveau social, puisque Procope pré-
cise qu’il rassasia Rome avec le blé de ses propriétés siciliennes – la
possession de biens en Sicile signe alors l’appartenance à la classe
sénatoriale. Vient enfin Jean III (561-574), fils du vir inlustris Anastase.
Excepté Silvère, un Campanien, tous sont romains et membres de
l’aristocratie de la capitale antique 31. Il est à peine nécessaire de rap-
peler que Grégoire le Grand était le fils de Gordien, defensor de l’église
de Rome, tandis que du côté de sa mère, Sylvie, il était de senatoribus
primis. Il avait des propriétés non seulement à Rome, mais aussi en
Sicile et comptait deux papes parmi ses ancêtres, Félix III (483-492)
et Agapet (535-536) : la série ininterrompue de papes aristocrates
commence avec ce dernier, prédécesseur de Silvère 32.
Dans la Rome du vie  siècle, l’aristocratie d’origine sénatoriale
prend la tête de l’église locale pendant les années les plus difficiles de
la guerre gothique et participe, par l’intermédiaire de celle-ci, au
gouvernement de la ville en opposition à l’administration civile, qui
disparaît de fait. Mais c’est justement à cause de son caractère excep-
tionnel et clair que le cas romain se présente sous un aspect différent.
Ailleurs, et notamment au nord, les églises épiscopales ne réussissent
pas, sauf exception, à réagir à la crise face à l’absence de la mainmise
aristocratique sur la charge épiscopale. Au contraire, les évêques gau-
lois du ve siècle étaient issus de l’aristocratie sénatoriale – au sens
socialement large du terme, sans se limiter aux spectabiles qui siégeaient
sur les bancs du Sénat –, qui monopolisait la charge d’évêque. Lors
de la chute de l’administration provinciale romaine, les évêques gau-
lois se présentèrent donc en vrais defensores civitatis, comme les inter-
locuteurs puissants du nouveau pouvoir militaire franc lors de la chute
de l’administration provinciale romaine, tandis que l’aristocratie ita-
lienne se tourna en majorité vers une participation au jeu politique
par l’intermédiaire du Sénat, qui exista jusqu’au vie siècle. Dans un
cadre territorial, qui est toujours fortement ancré dans l’Empire,
même pendant les années de domination gothique, le Sénat offre
toujours aux membres de l’élite l’occasion de mener une carrière
politique de haut niveau et la possibilité d’avoir de l’influence – depuis
l’extérieur – sur les décisions des églises italiennes – et pas seulement
sur la papauté. Ce n’est pas un hasard si la dernière mesure connue

31
 C. Pietri, « Aristocratie et société… », ibid., p. 434-436.
32
 S. Boesch Gajano, Gregorio Magno…, op. cit., p. 21-25

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du Sénat, en 533, est relative à la simonie, une question de discipline


ecclésiastique 33.
L’osmose sociale et culturelle, entre aristocratie sénatoriale et épis-
copat, est donc des plus limitées. Avec la reconquête byzantine et
l’invasion lombarde, toutes deux très dures, la disparition du Sénat
marque la fin des sénateurs eux-mêmes, qui n’ont pas réussi comme
d’autres à perdurer par le biais des charges ecclésiastiques, tandis que
pour celles-ci le manque même d’implication des sénateurs n’offre
pas la possibilité de s’ériger en alternative digne d’intérêt et en contre-
pouvoir vis-à-vis des nouveaux dominateurs barbares.

4. L’Italie centro-méridionale

4.1. Dynasties épiscopales et évêques ruraux


Le réseau des diocèses dans l’Italie centro-méridionale de l’Anti-
quité tardive, l’Italie suburbicaire, est beaucoup plus dense que celui
de l’Italie septentrionale, l’Italie annonaire. De même, en dehors des
terres devenues lombardes, les évêques des villes les plus importantes
de l’Italie centro-méridionale maintiennent plus longtemps les carac-
téristiques romaines, mises en évidences par leur implication directe
dans la gestion des affaires publiques. Naples, Syracuse, Palerme –
ainsi que Ravenne plus au nord – sont divisées en factions et connais-
sent de fortes tensions entre l’aristocratie et les évêques, lesquels sont
aussi en première ligne face aux autorités byzantines 34.
Ces évêques méridionaux, grands propriétaires capables de se
mesurer à l’aristocratie, exercent des fonctions publiques, en premier
lieu la défense militaire. Dans ces conditions, le fait qu’il existe dans
la région des traces de dynasties épiscopales est intéressant mais non
surprenant ; il s’agit en tout cas de témoignages anciens (ve siècle) ne
se rapportant pas aux grands centres. À Narni, l’évêque Pancrace est,
selon son épitaphe du 5 octobre 493, fils d’un autre évêque Pancrace
(de Narni ou des alentours) et frère d’un évêque Hercule, probable-
ment d’Otricoli. Memor, évêque d’Æclanum (près d’Avellino), attesté
entre 408 et 418/419, est père de Julien, évêque du même siège et
mari, lorsqu’il était encore lecteur, de Titia, fille de l’évêque de Béné-

 C. Pietri, « Aristocratie et société… », op. cit., p. 463-467.


33

 En général, pour toute cette partie, voir S. Gasparri, « Gregorio Magno e l’Italia meri-
34

dionale », in Gregorio Magno e il suo tempo. Atti del convegno, Roma 9-12 maggio 1990, t. 1, Rome,
1991 (Studia Ephemeridis Augustinianum, 33), p. 77-101.

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vent Émile. Ils font partie de l’entourage de Paulin de Nole, évêque


gaulois d’origine sénatoriale. L’onomastique aussi bien que la ten-
dance à installer des dynasties aux charges épiscopales vont pour tous
ces cas en faveur d’une origine sociale élevée des prélats 35.
Une troisième caractéristique des évêques de la région centro-
méridionale est de compter dans leurs rangs des prélats ruraux, une
catégorie dont l’existence et la diffusion en Occident a souvent été
sous-estimée. À la base de cette sous-estimation, il y a peut-être une
interprétation trop stricte des interdictions de constitution d’évêchés
hors des villes formulées par de nombreux conciles des ive et ve siè-
cles, qui doivent souvent davantage au souci de régler des situations
particulières, liées par exemple à la lutte contre l’hérésie – ainsi les
donatistes en Afrique –, plutôt qu’à une condamnation de principe 36.
Or les évêchés ruraux sont une réalité de l’Occident et il est possible
d’en identifier au moins une vingtaine en Italie. Leur nombre exact
n’est pas facile à établir, car certains d’entre eux n’existent plus qu’à
l’état de traces archéologiques, tandis que pour d’autres c’est la défi-
nition de leur « ruralité » qui pose problème, puisque les évêques
implantés dans des villes antiques ayant décliné jusqu’à devenir des
villages, comme Métaponte ou Egnathia, peuvent être insérés dans ce
groupe. Les évêques incontestablement ruraux, pour s’en tenir à eux,
occupent des sièges presque toujours situés dans l’Italie suburbicaire
antique – deux exceptions seulement, à Sabbiona et Vicohabentia –,
spécialement les provinces méridionales (Lucania, Brutium, Apulia,
Calabria). Ils fleurissent au ve siècle et achèvent leur existence dans la
plupart des cas dans le courant du vie siècle, devant leur diffusion dans
le Centre-Sud à l’épanouissement de l’économie agraire régionale au
ve siècle, à la présence de vastes propriétés impériales et à la solidité
de l’habitat villageois 37.
Il faut noter qu’en Italie – et de manière générale en Occident –,
contrairement à l’Orient, les évêques ruraux ne sont pas des chorepis-
copi, c’est-à-dire des « évêques mineurs », auxiliaires agissant dans les
campagnes pour le compte de l’évêque citadin. Ce sont des évêques

35
 C. et L. Pietri (dir.), Prosopographie…, op. cit., t. 1, p. 34-35, 980 et 1175-1186 ; t. 2,
p. 1493-1494 et 1582-1583.
36
 Surtout aux conciles de Sardique et Laodicée : J. Gaudement, L’Église dans l’Empire romain,
Paris, 1958, p. 323-325 ; en général sur l’Italie du Sud, cf. G. Volpe, Gli episcopati italiani fra
tardoantico e altomedioevo : il caso dei vescovi rurali (Italia centro-meridionale), à paraître.
37
  G. Volpe, Gli episcopati…, ibid. ; M. De Fino, « Proprietà imperiali e diocesi rurali paleo-
cristiane nell’Italia tardoantica », in G. Volpe et M. Turchiano (dir.), Paesaggi e insediamenti
rurali in Italia meridionale fra tardoantico e altomedioevo, Bari, 2005, p. 1-11.

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dotés de leurs pleines fonctions – ils participent notamment aux


conciles –, théoriquement au même niveau hiérarchique que leurs
collègues urbains. Leurs sièges sont situés dans les villages, sur les
lieux d’étape des principales routes, sur les marchés, à proximité des
campements militaires, dans les ports – comme Trani ou Gallipoli –,
voire dans de grandes propriétés foncières généralement d’origine
impériale et passées à l’Église – S. Giusto, Albano, Ad Baccanas, Tro-
pea. À cela, on peut ajouter quelques évêchés implantés près de Rome,
autour de grands sanctuaires de martyrs –Nomentanum, Marcellianum,
Cures Sabini, etc.  38. Cette typologie complexe reflète la croissance
démographique des campagnes méridionales au ve siècle ainsi qu’un
redéploiement des habitats – autour des sanctuaires de martyrs par
exemple. Placés le long de routes importantes, ils ont une fonction
de marché, de stockage des produits agricoles et de lieu de perception
des impôts. Plus encore, les évêchés ruraux sont une étape importante
dans la conquête des campagnes par le christianisme : il n’y a pas de
christianisation ici sans évêque, seule personnalité dotée de la pléni-
tude sacrale nécessaire.
La crise démographique et militaire du vie siècle a eu des effets
dévastateurs sur ces petits centres épiscopaux, comme le montrent les
lettres de Grégoire le Grand. Néanmoins, la présence de grandes pro-
priétés de l’Église romaine, importantes pour l’approvisionnement
de Rome, a contribué à leur survie jusqu’à la fin du siècle ou presque.
En effet, celles-ci ne sont pas encore systématiquement soumises à la
gestion des rectores patrimonii, comme elles le sont à partir de l’époque
de Grégoire le Grand et peuvent parfois être confiées aux évêques
ruraux, placés au cœur de ces domaines pour les administrer autant
que pour veiller sur les communautés qui s’y établissent 39.

4.2. Guerre, pauvreté et missions

Les difficultés auxquelles doivent faire face les évêques de l’Italie


centro-méridionale byzantine ne se limitent pas à la confrontation
avec l’aristocratie. En ville, il y a aussi la présence inquiétante des

38
  G. Volpe, Gli episcopati…, ibid. Voir l’importante fouille de S. Giusto : G. Volpe, S. Giusto.
La villa, le ecclesiae. Primi risultati dagli scavi nel sito rurale di S. Giusto (Lucera) : 1995-1997,
Bari, 1998.
39
 C’est la thèse présentée par Kim Bowes dans un séminaire consacré aux évêchés ruraux
tenu à l’université Ca’ Foscari de Venise (2005).

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hérétiques et surtout des juifs, souvent opprimés par les prélats locaux
qui ont tendance à confisquer leurs synagogues pour les transformer
en églises 40. Mais le principal problème est la guerre contre les Lom-
bards, qui pèse lourd sur ces régions et dans laquelle les évêques se
trouvent en première ligne. En 598, Grégoire réprimande Agnellus
de Terracina car les employés de son église tentent de se faire exemp-
ter du service de garde aux remparts de la ville. On voit, par ailleurs,
l’évêque de Misène occupé à rassembler des fonds pour la construc-
tion d’un château. L’implication dans la défense est aussi spirituelle :
en février 601, les évêques de Sicile préparent les fidèles à une éven-
tuelle attaque de l’île par des processions, des prières et des purifica-
tions collectives 41.
Sous Grégoire le Grand, il faut commencer à nettement distinguer
les évêques des deux Italie. Celle du Sud et du Centre, en proie aux
incursions et aux saccages des Lombards, voit les responsables ecclé-
siastiques confrontés aux questions de rachat de prisonniers, d’aban-
don de diocèses ou de vente de vases sacrés pour survivre 42. L’Italie
centrale, au nord de Rome, partage avec le Sud une bonne partie de
ces problèmes, comme la libération des prisonniers et l’unification
ou le déplacement des sièges : Populonia est ita sacerdotis officio desti-
tuta, ne permettant plus le réconfort aux mourants ou le baptême des
enfants (591) ; Velletri est transférée dans une localité plus sûre et
unifiée à l’église de Tres Tabernae (592) ; Terni est unifiée à Narni
(598) 43. Dans cette situation, le dynamisme des commandants byzan-
tins, des fédéraux aux noms barbares, qui contrôlent les villes de la
Toscane ou de la Pentapole, où le clergé local est en crise et qui cher-
chent à influencer les élections des évêques, apparaît inquiétant. Le
cas de Bagnoregio est exemplaire. Le vir gloriosus Ansfrid, avec le
concours des habitants de la ville, a élu évêque un certain Jean. Gré-
goire, inquiet, envoie sur place le fidèle Ecclesius de Chiusi, car Jean,
qui prétend avoir des vertus irréprochables, a été élu par des gens
ignorants du droit canonique (qui canonica nesciunt). Le pape veut
s’assurer, non seulement de sa moralité, mais aussi du fait qu’il pos-

40
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, op. cit., I, 34 (mars 591, t. 1, p. 47-48) ; II,
6 (septembre-octobre 591, t. 1, p. 104-105) ; VIII, 25 (juin 598, Terracina, t. 2, p. 27) ; IX,
38 (octobre 598, à Palerme, t. 2, p. 67) et 196 (juillet 599, en Sardaigne, t. 2, p. 184).
41
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, ibid., VIII, 19 (avril 598, t. 2, p. 21) ; IX,
121 (février-avril 599, t. 2, p. 123-124) ; XI, 31 (février 601, t. 2, p. 301).
42
 S. Gasparri, « Gregorio Magno… », op. cit.
43
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, op. cit., I, 15 (janvier 591, t. 1, p. 16) ; II,
48 (août 592, t. 1, p. 149) ; IX, 60 (novembre 598, t. 2, p. 82).

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sède les capacités minimales pour exercer sa fonction : si in opere Dei


studium habuit vel psalmos novit 44. Le niveau culturel et la préparation
religieuse sont un autre critère important de distinction au sein de
l’épiscopat.
Les conditions matérielles et spirituelles des églises des centres
mineurs, surtout lorsqu’ils sont implantés dans des zones frontalières,
apparaissent donc très difficiles, et les hommes du pape, les évêques
Venance de Luni et Ecclesius de Chiusi, sont envoyés au secours des
cas les plus désespérés. Dans ces conditions, il y a de quoi s’étonner
devant la stratégie de type missionnaire ébauchée par Grégoire le
Grand. C’est ainsi, en effet, qu’il faut comprendre l’invitation adressée
à Preiecticius de Narni, à mettre en garde et exhorter les Romains et
les Lombards, ut ad veram rectamque fidem catholicam convertantur 45. Le
contexte dans lequel s’insère le message de Grégoire est celui de la
grande épidémie de peste, qui amène le pape à demander à « univer-
sis episcopis Italiae » d’« admonester » les Lombards, c’est-à-dire de les
convertir. Même les évêques « itinérants », comme Félix, envoyé en
Sardaigne en 594 avec l’abbé Ciriacus pour convertir les païens (rus-
tici et Barbaricini), doivent se charger de cette œuvre de conver-
sion 46.

5. Les évêques dans le Nord lombard

La division entre deux Italies, le Centre et le Sud soumis à la juri-


diction métropolitaine de l’église de Rome, et le Nord, qui, au
contraire, lui échappe, a de fortes répercussions sur le type d’inter-
ventions pontificales dans les deux régions et par conséquent sur le
profil des évêques. Il faut y ajouter la scission politique et militaire,
entre les zones restées sous contrôle byzantin et celles dominées par
les Lombards, qui ne correspond pas exactement avec la partition
entre Centre-Sud et Nord.
Au nord, dès la fin du vie siècle, se mettent en place des négocia-
tions politiques complexes, qui voient les évêques de Milan et d’Aqui-
lée agir en tant qu’interlocuteurs du pape et intermédiaires auprès
de la cour lombarde. Elles sont accompagnées de fortes tensions reli-

44
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, ibid., X, 13 (janvier 600, t. 2, p. 247).
45
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, ibid., II, 4 (septembre 591, t. 1, p. 103).
46
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, ibid., I, 17 (janvier 591, t. 1, p. 23) et IV,
23, 25, 27 (mai 594, t. 1, p. 257-258 et 260-262).

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gieuses, liées à la querelle des Trois Chapitres. Ici, à l’époque de Gré-


goire le Grand, les incursions, les violences et le rachat des captifs
appartiennent déjà au passé. Le traumatisme de l’invasion est sur-
monté.
Au tournant des vie-viie siècles, l’épiscopat septentrional apparaît
bien en place. Mais il faut établir quelle est alors sa position par rap-
port au nouveau pouvoir lombard. Certaines données sont sûres. Il
n’est pas douteux par exemple que les évêques soient encore l’expres-
sion des communautés indigènes. Dans la lettre qu’ils envoient en 591
à l’empereur Maurice, de nombreux évêques d’Italie nord orientale
– Sabbiona, Trente, Zuglio, Belluno, Concordia, Asolo, Vérone, Feltre,
Trévise, Vicence – réunis à Marano réaffirment leur fidélité à la respu-
blica. Ils demandent la fin des violences contre le patriarche d’Aquilée,
Sévère, coupable d’avoir adhéré aux Trois Chapitres, et le renvoi de
la solution des controverses religieuses qui les séparent de Rome et
de Constantinople la victoire sur les Lombards et à la récupération de
leurs terres de la part de l’Empire. Le point de vue est celui des
Romains ; les envahisseurs sont présentés comme des gentes, c’est-à-
dire des barbares étrangers à la civilitas 47. Même passées sous l’auto-
rité lombarde, les églises de la Venetia sont encore considérées comme
romaines et c’est bien la peur de les perdre qui pousse Maurice à
reporter la solution du conflit, selon le souhait des évêques, à la fin
de la reconquête qu’il suppose rapide mais qui n’aura pas lieu 48.
Les évêques signataires de la lettre exercèrent leurs fonctions plus
de dix ans après l’invasion. Quelles qu’aient été leurs difficultés ini-
tiales, nous savons aussi que le roi Agilulf, selon Paul Diacre, restitua
aux évêques les biens confisqués au cours des premières années de
l’établissement des Lombards en Italie  49. Le fait que les évêques du
synode de Marano soient de manière évidente les points de repère
des communautés indigènes, dont ils refrènent aussi les appétits de
violence et de rébellion, n’empêche pas leur survie et constitue même
leur point fort. Notons aussi que la tendance des populations au sou-
lèvement, dont fait état la lettre à Maurice, semble ne s’exprimer que
dans le conflit religieux et non dans une éventuelle résistance contre
les envahisseurs.

47
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, ibid., I, 16a (t. 1, p. 17-21).
48
 S. Gasparri, Prima delle nazioni. Popoli, etnie e regni fra antichità e medioevo, Rome, 1997,
p. 123-126.
49
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, IV, 6 (éd. op. cit., p. 118).

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La correspondance de Grégoire le Grand dit bien que le pouvoir


politique ne fait pas obstacle à l’exercice régulier des fonctions épis-
copales. Et malgré leur faiblesse initiale, ces évêques – du moins ceux
des principales villes du nord – semblent avoir un rôle important dans
la hiérarchie sociale et politique du nouveau royaume. Les prélats
lombards, comme celui de Brescia, qui s’opposent fermement à l’ar-
chevêque milanais Constant, jugé trop enclin à céder sur la question
des Trois Chapitres, devaient être très influents et écoutés au-delà de
la seule communauté romaine, si l’on en juge par le fait que la reine
Théodelinde, ayant appris leur position de refus de la communion
avec Constant, adopte un comportement similaire  50. Nous sommes
en 593 et ces évêques lombards, puissants à la cour et proches du
pouvoir, paraissent déjà bien différents de leurs confrères de Marano :
le loyalisme impérial n’est pas l’unique position possible. Dans les
mêmes années, Agilulf envoie Agnellus de Trente chez les Francs pour
tenter d’obtenir la libération des prisonniers capturés pendant les
incursions de 589 et 590 51. Agnellus étant l’un des signataires de la
lettre à Maurice, on en déduit que le loyalisme romain n’exclut pas
des ouvertures réalistes capables de rapprocher les évêques de la cour
et du pouvoir.
C’est dans le cadre de ces choix politiques qu’il faut aussi placer le
transfert des deux archevêques, celui de Milan à Gênes et celui d’Aqui-
lée à Milan. Ce ne sont pas des fugues dramatiques, mais des options
calculées et susceptibles de révision, s’il est vrai que Probinus d’Aqui-
lée retourna probablement de Grado à son siège, entre 570 et 573,
jusqu’à sa mort 52. Le cas de Milan est mieux connu : une partie impor-
tante du clergé milanais est restée en ville après le départ de son chef
pour Gênes et c’est elle qui fait l’élection de Constant en 593, menant
le pape à s’assurer – avant de donner son consentement – de l’accord
du clergé qui était à Gênes. Même si Grégoire écrit que multi illic (à
Gênes) Mediolanensium coacti barbarica feritate consistunt, il ne peut
cacher le fait qu’il s’agit d’un groupe qui a choisi son camp et non de
réfugiés. De plus, il demande à Théodelinde de dépasser les perplexi-
tés évoquées ci-dessus et d’approuver explicitement l’élection de
Constant en envoyant des lettres qui, plus qu’une communion spiri-
tuelle, expriment l’accord officiel de la part de la cour et notamment

50
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, op. cit., IV, 2 (septembre 593, t.  1,
p. 233-235).
51
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, IV, 1 (éd. op. cit., p. 116).
52
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, III, 14 (éd. op. cit., p. 100).

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de la reine, qui semble gérer personnellement la politique reli-


gieuse 53.
L’évêque milanais exilé est désormais inséré dans un réseau qui
gravite autour de la cour lombarde. Nous pouvons supposer que
Constant, ainsi que ses prédécesseurs Honoré et Laurent, est l’expres-
sion de familles éminentes de tradition romaine. Laurent laisse ainsi
ses biens à l’église de Milan à l’exception d’un legs particulier pour
les héritiers de la clarissima femina Aretusa 54. Constant, lui, devait avoir
des propriétés d’une certaine importance, puisque la donation fon-
cière qu’il avait faite à sa nièce, l’ancilla Dei Luminosa, fut contestée
par son successeur 55.
En dépit des nombreux obstacles, le processus de rapprochement
entre les évêques et le pouvoir politique lombard à l’époque de Gré-
goire semble nettement avancé. Un épisode significatif est le schisme
d’Aquilée de 606, à quelques années de distance de la tentative de
faire élire l’évêque de Milan par les seuls membres du clergé restés
dans la cité, c’est-à-dire en terre lombarde 56. L’un et l’autre reflètent
la tentative de placer les évêques au sein des élites au pouvoir, de
contrôler par le biais de deux candidats appréciés, installés à Milan et
à Aquilée – les deux seuls sièges vraiment influents du nord –, la vie
des communautés romaines. Alors que le projet milanais fait long feu
– l’évêque Deusdedit l’emporte avec le soutien du pape –, celui d’Aqui-
lée est un succès. Dès la mort de Sévère en 606, il y a en effet deux
patriarches, l’un à Aquilée et l’autre à Grado 57. Si ce dernier fait par-
tie de la sphère politique byzantine, le premier est complètement
intégré au royaume lombard, et pas seulement du point de vue géo-
graphique, comme nous le constatons dans la lettre adressée en 607
par le patriarche Jean au roi Agilulf, exhorté à s’engager quatinus et
fides catholica vestris augeatur temporibus 58. Seize ans après la réunion de
Marano, le patriarche d’Aquilée défend toujours son attachement aux
Trois Chapitres, mais sa référence politique n’est plus le lointain

53
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, op. cit., III, 29 et 30 (avril 593, t.  1,
p. 186-189).
54
 C. et L. Pietri (dir.), Prosopographie…, op. cit., t. 2, p. 600.
55
  Grégoire le Grand, Registrum Epistolarum…, op. cit., XII, 14 (mai 602, t. 2, p. 361).
56
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, IV, 33 (éd. op. cit., p. 127). Sur le schisme d’Aquilée,
cf. R. Markus, Gregory the Great and his World, Cambridge, 1997, p. 132-133.
57
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, IV, 33 (éd. op. cit., p. 127) : et ex illo tempore coeperunt
duo esse patriarchae.
58
  Epistolae Langobardicae collectae, éd. E. Dümmler, MGH, Epistolae, III (Merowingici et Karolini
Aevi, I), Berlin, 1892, t. 1, p. 607.

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empereur, désormais inaccessible, mais le roi lombard. Ce sont les


prémisses de l’intégration complète des évêques au niveau le plus haut
de la hiérarchie du royaume lombard.
À l’aube du viie siècle, entre les traditions romaines qui ont survécu
(surtout au sud) et la nouvelle Italie lombarde, la réalité de l’épiscopat
est des plus diverses, entre évêques des grandes villes et évêques ruraux
ou semi-ruraux, grands propriétaires et nécessiteux, gens de culture et
ignorants des connaissances religieuses élémentaires. Cependant, tous
sont à la tête des hiérarchies sacerdotales de leurs églises. Leur diversité
n’est pas autre chose que le reflet des origines complexes de la fonction
épiscopale en Italie entre Antiquité tardive et haut Moyen Âge.

6. L’évolution aux viie et viiie siècles

Je n’évoquerai que dans ses grandes lignes l’évolution de l’épisco-


pat italien de l’Italie lombarde jusqu’à la conquête carolingienne, qui
est un thème d’étude en soi. Le long processus de rapprochement
entre les évêques d’Italie du Nord et le régime lombard avance assez
rapidement, mais les sources très lacunaires du viie siècle ne permet-
tent guère d’entrer dans le détail. Nous connaissons seulement les
grands événements de l’histoire ecclésiastique : abolition des derniè-
res traces d’arianisme avec la conversion d’Anastase évêque arien de
Pavie en 653 59, qui devint évêque catholique de la même ville, et fin
du schisme des Trois Chapitres au synode de Pavie de 698 60. Le retour
de l’évêque de Milan sur son siège mène aussi vers la recomposition
d’une hiérarchie catholique unitaire, mais nous en ignorons les cir-
constances et seule une tradition suspecte (du xie siècle) le situe vers
649, avec Jean dit « le Bon » 61. Le fait que l’on ignore tout de ce retour
atténue d’autant l’importance de l’éloignement précédent ou plaide,
en tout cas, pour un rapprochement progressif entre les deux parties
du clergé milanais et entre ses dirigeants et le pouvoir lombard. Tout
va dans le sens d’une consolidation de la hiérarchie catholique et de
son emprise sur la population.

59
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, IV, 42 (éd. op. cit., p. 134).
60
  Carmen de synodo Ticinensis, éd. G. Waitz, G. Waitz, MGH, Scriptores rerum Langobardicarum
et Italicarum saec. VI-IX, Hanovre, 1878, p. 189-191. Sur la question de l’arianisme des Lom-
bards, S. Gasparri, « Roma e i Longobardi », in Roma nell’alto medioevo, Spolète, 2001
(Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 48), t. 1, p. 225-231.
61
  J.-C. Picard, Le souvenir des évêques. Sépultures, listes épiscopales et culte des évêques en Italie du
Nord des origines au xe siècle, Rome, 1988 (BEFAR, 268), p. 81-83.

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Dans ce vide documentaire, il faut signaler l’indiculum episcopi, data-


ble du milieu du viie siècle environ. Donnant les formules prononcées
par les évêques suffragants de Rome au moment de leur consécration,
il fait dire à ceux des terres placées sous la domination des Lombards
qu’ils chercheront toujours la paix entre la respublica (l’Empire byzan-
tin) et nos, hoc est gentem Langobardorum 62. Les prélats qui se définissent
ainsi sont l’expression de communautés complètement intégrées au
royaume et pour lesquelles l’appartenance politique romaine n’a plus
lieu d’être. La reconnaissance de leur rôle politique, implicite dans
le serment, fait entrevoir l’ancrage des évêques au niveau local. Ils
semblent ainsi se placer au sommet de la hiérarchie sociale qui s’est
lentement forgée au cours des décennies difficiles allant du vie au
viie siècle. Mais il faut reconnaître que les sources sont trop maigres
pour pouvoir tirer des conclusions définitives.
Le synode milanais de 679, préparatoire au concile romain de
l’année suivante contre le monothélisme, est un tournant décisif. L’un
des passages de la déclaration finale des suffragants de Milan, qui est
repris dans les actes romains de 680 puis dans ceux du troisième
concile de Constantinople, indique la présence d’un groupe d’évê-
ques septentrionaux conduits par l’archevêque Mansuetus. Au
moment d’exprimer leur profession de foi, les évêques se définissent
nos […] omnes, qui sub felicissimos et christianissimos a Deo custodiendos
principes, dominos nostros, perexcellentissimos reges christiane religionis ama-
tores 63. Les évêques du Nord sont désormais les évêques du royaume
lombard, sur le même plan que les évêques lombards d’Italie centrale
suffragants du pape.
Les fruits de ce rapprochement avec le pouvoir se cueillent au
viiie siècle. C’est un siècle pour lequel les informations peu nombreu-
ses mais précieuses de Paul Diacre complètent celles des archives. Paul
montre comment les pôles de la hiérarchie ecclésiastique septentrio-
nale sont devenus trois : Pavie, capitale du royaume, s’est ajoutée à
Aquilée et à Milan. Il s’agit en réalité des trois seuls évêques qu’il
mentionne. Mais c’est surtout ce qu’il écrit à la fin de l’Historia Lan-
gobardorum qui est important  : à l’époque de Liutprand, l’évêque
Pierre de Pavie fait partie de la famille du roi (consanguineus regis). Et
selon le Versus de Mediolano civitate, l’évêque de Milan, Théodore,

62
  Indiculum episcopi de Langobardia, éd. T. E. von Sickel, Liber Diurnus Romanorum Pontificum,
Vienne, 1889, p. 81.
63
  J. D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, XI, Graz, 1960, col. 205 (c’est
le texte de la lettre envoyée par Mansuetus à l’empereur Constantin).

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recrutement social et rôle politique des évêques en italie

contemporain de Pierre, serait de lignée royale. Les évêques sont


désormais l’expression de l’aristocratie à son niveau le plus élevé 64.
Un épisode rapporté par Paul Diacre sur le patriarche d’Aquilée
est également significatif. Le patriarche Calixte souffrait du fait de
devoir vivre à Cormons, un petit centre, vulgo sociatus, à cause des
incursions byzantines contre Aquilée, alors que l’évêque de Zuglio
Fidentius, cum voluntate ducis, s’était transféré depuis longtemps à Civi-
dale avec le duc et l’aristocratie du duché. Fatigué de cette situation,
Calixte chasse brutalement l’évêque Amateur, successeur de Fidentius,
et se transfère dans la domus que celui-ci habitait à Cividale, s’exposant
ainsi à la colère du duc du Frioul Pemmo, qui l’avait emprisonné.
Liutprand est alors intervenu, remettant les choses en ordre en dépo-
sant Pemmo et en confirmant le transfert de Calixte dans la capitale
du duché. Le conflit est intéressant : d’une part, le patriarche consi-
dère que sa fonction ne peut être éloignée du centre du pouvoir
régional et de l’aristocratie ducale ; d’autre part, le roi doit intervenir
pour débloquer la situation. Liutprand a probablement soutenu
depuis le début l’action de Calixte, afin d’éviter qu’un couple duc/
évêque ne se forme à Cividale en pôle de pouvoir autonome. Le roi
est en mesure de contrôler avec fermeté la charge patriarcale, et l’on
peut penser que les patriarches sont l’expression de la classe diri-
geante du royaume 65.
Tenir pour assurée la proximité des évêques, en particulier les plus
importants d’entre eux, vis-à-vis du pouvoir, pose encore une fois la
question de leurs origines sociales, partiellement évoquée avec les cas
de Pierre et de Théodore. L’évêque de Lodi, Hippolyte, est en 759 le
garant testamentaire, aux côtés de la veuve Radoara, des dernières
volontés du strator Gisulf, grand propriétaire, représentant de l’aris-
tocratie padane la plus proche du roi. Tout ceci plaide pour une proxi-
mité avec l’aristocratie et ses mécanismes les plus délicats, ceux liés à
la succession de la propriété, mais son cas est isolé  66. Nous n’avons
de témoignages explicites sur les origines aristocratiques de certains
évêques que pour l’Italie centrale, mais ils sont très significatifs et
semblent représenter un modèle exportable au Nord. Walprandus,

64
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, VI, 58 (éd. op. cit., p. 186) ; Versus de Mediolano
civitate, éd. G. B. Pighi, Versus de Verona, Versus de Mediolano civitate, Bologne, 1966, v. 55-57,
p. 147.
65
  Paul Diacre, Historia Langobardorum, VI, 51 (éd. op. cit., p. 182-183).
66
 L. Schiaparelli (éd.), Codice diplomatico longobardo, Rome, 2 vol., 1929-1933 (Fonti per
la storia d’Italia, 62-63), t. 2, n° 137.

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stefano gasparri

évêque de Lucques, est fils du duc lucquois Walpertus et fidèle du roi


Aistulf, au point qu’il est mobilisé lors de la campagne contre les
Francs de 754. Son successeur, Peredeus, dispose avec ses frères de
très vastes propriétés foncières qui le placent sans équivoque au som-
met de la société locale, une position confirmée par le fait qu’il est
temporairement exilé par les Francs après la conquête de 774 – avec
les évêques de Modène et Reggio, eux aussi loyaux envers le roi Didier
et, très certainement, sortis des rangs de l’aristocratie lombarde 67. Au
milieu du viiie siècle, à Spolète, Agio, évêque de Rieti – le second
épiscopat du duché par ordre d’importance – appartient à une famille
de gastalds de premier plan 68. Au Nord, il faut attendre le testament
de l’évêque de Bergame Tachimpaldus, fils du gastald Teotpaldus, en
799, pour voir apparaître un évêque grand propriétaire foncier, dis-
posant de curtes et de xenodochia  69, mais il confirme que les évêques
septentrionaux du viiie siècle sortent, dans leur ensemble, des rangs
de l’aristocratie.
À la veille de la conquête franque, les episcopia du Nord lombard
sont fermement aux mains de l’aristocratie du royaume, au terme
d’une lente évolution qui s’est développée sur deux siècles. La phy-
sionomie aristocratique claire qui leur manquait pendant l’Antiquité
tardive apparaît désormais assez évidente. Grâce à la richesse des sour-
ces, nous pouvons affirmer avec certitude pour le viiie siècle ce qui
reste à l’état de supposition pour le siècle précédent : les évêques
occupent désormais le sommet de la hiérarchie sociale, malgré la
grande diversité qui les sépare encore. Le contrôle qu’ils exercent sur
leurs diocèses et sur leurs presbiteri paraît solide, notamment grâce au
soutien du roi, qui intervient dans les cas les plus délicats comme le
montre une série de jugements toscans 70. La différence avec l’institu-
tion franco-carolingienne reste importante, puisqu’il n’y a aucune
considération normative explicite quant au rôle politique des évêques
dans le royaume. Toutefois, ce rôle politique découle de leur position

67
 L. Schiaparelli (éd.), Codice…, ibid., t. 1, n° 114 ; t. 2, n° 154 et n° 161. Sur Peredeus,
cf. H. Schwarzmaier, Lucca und das Reich bis zum Ende des 11. Jahrhunderts, Tübingen, 1972
(Bibliothek des Deutschen Historischen Instituts in Rom, 41), p. 78-85.
68
 S. Gasparri, « Il ducato longobardo di Spoleto. Istituzioni, poteri, gruppi dominanti »,
in Atti del IX Congresso internazionale di studi sull’alto medioevo, t.  1, Spolète, 1983,
p. 105-109.
69
 M. Cortesi (éd.), Le pergamene degli archivi di Bergamo, a. 740-1000 (Carte medievali berga-
masche, 1), Bergame, 1988, n° 8 (modification apportée au testament de 799 en 806).
70
 S. Gasparri, « Il regno longobardo in Italia. Struttura e funzionamento di uno stato
altomedievale », in Id. (dir.), Il regno dei Longobardi in Italia. Archeologia, società e istituzioni,
Spolète, 2004, p. 5-16.

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recrutement social et rôle politique des évêques en italie

sociale éminente, confirmée par leur proximité avec le pouvoir. Il faut


donc aller au-delà d’une considération juridique abstraite pour pou-
voir saisir pleinement la fonction des évêques dans le royaume lom-
bard  71. Quant à l’absence d’une parfaite symbiose entre les deux
pouvoirs, royal et épiscopal, qui caractérise au contraire le monde
franc, elle trouve une bonne part de son explication dans les origines
différentes des deux royautés : l’une se trouve face à un épiscopat
puissant, monopolisé par l’aristocratie sénatoriale gallo-romaine et
en mesure d’incarner une sorte de contre-pouvoir capable même de
transformer très tôt le caractère de l’autorité royale franque ; l’autre
voit les conquérants lombards devant des évêques d’extraction sociale
et peut être culturelle moins élevée, jouissant d’une emprise sur les
populations et le territoire plus précaires.

71
 La position traditionnelle est représentée par O. Bertolini, « I vescovi del Regnum
Langobardorum al tempo dei Carolingi », in Vescovi e diocesi in Italia nel Medioevo (secc. IX-
XIII). Atti del II Convegno di storia della Chiesa in Italia, Froma 5-9 settembre 1961, Padoue, 1964
(Italia Sacra, 5), p. 71-81 ; sur les modifications après la conquête franque, cf. G. Tabacco,
« L’avvento dei Carolingi nel regno dei Longobardi », in S. Gasparri (dir.), Il regno dei Lon-
gobardi…, ibid., p. 443-479.

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Steffen Patzold

Eine Hierarchie im Wandel:


Die Ausbildung einer
Metropolitanordnung
im Frankenreich
des 8. und 9. Jahrhunderts

I
m Jahr 742 oder 743 beklagte sich Bonifatius bei Papst Zacharias,
wie miserabel der Zustand der Kirche im Frankenreich sei. Die
Ursache des Verfalls lag für ihn auf der Hand: Er hatte erfahren,
daß die Franken seit mehr als 80 Jahren keinen Erzbischof mehr
gehabt, keine Synoden mehr abgehalten und deshalb auch keine Kir-
chenrechtssätze ins Gedächtnis gerufen oder neu erlassen hätten  1.
Knapp 70 Jahre später konnte Karl der Große 21 Metropoliten in
seinem Reich mit der Aufgabe betrauen, zwei Drittel seines Nachlasses
auf die Bistümer aufzuteilen  2. Die Ausbildung einer Metropolitan-
ordnung, die sich zwischen diesen beiden Daten vollzog, veränderte
die kirchliche Hierarchie im Frankenreich tiefgreifend. Von der
Me­tropolitanordnung der Merowingerzeit unterschied sich die neue
Hierarchie durch zweierlei: Die Metropoliten hatten nun vom Papst
als Zeichen ihres Ranges das Pallium zu erbeten; und sie führten
regelhaft den Titel archiepiscopus 3.

1
  Bonifatius, Epistolae, 50, Hg. M. Tangl, MGH, Epp. sel., I, Berlin, 1955, S. 82: Franci enim,
ut seniores dicunt, plus quam per tempus octuginta annorum synodum non fecerunt nec archiepisco-
pum habuerunt nec aecclesiae canonica iura alicubi fundabant vel renovabant. Die Datierung des
Schreibens ist umstritten: Für 742 sprach sich M. Tangl, „Studien zur Neuausgabe der
Bonifatius-Briefe (I. Teil)“, Neues Archiv, 40 (1916), S. 773, aus; für 743 plädierte T. Schief-
fer, Angelsachsen und Franken. Zwei Studien zur Kirchengeschichte des 8. Jahrhunderts, Wiesbaden,
1951 (Akademie der Wissenschaften und Literatur. Abhandlungen der Geistes- und sozial-
wissenschaftlichen Klasse, Jahrgang 1950, 20), S. 1467 sq., dem weitere folgten; vgl. dazu
außerdem A. Dierkens, „Superstitions, christianisme et paganisme à la fin de l’époque
mérovingienne. À propos de l’Indiculus superstitionum“, in H. Hasquin (Hg.), Magie, sorcel-
lerie, parapsychologie, Brüssel, 1984 (Laïcité. Série Recherches, 5), S. 12 sq.
2
 Der Text wird überliefert durch Einhard, Vita Karoli, Hg. O. Holder-Egger, MGH, SSrG,
25, Hannover/Leipzig, 1911, S. 38 sq.; dazu zuletzt ausführlich M. Innes, „Charlemagne’s
Will: Piety, Politics and the Imperial Succession“, English Historical Review, 112 (1997),
S. 833-855.
3
  Zusammenfassend H. Büttner, „Mission und Kirchenorganisation des Frankenreiches
bis zum Tode Karls des Großen“, in H. Beumann (Hg.), Karl der Große. Lebenswerk und Nach-

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steffen patzold

Für die Frage nach dem Zusammenhang zwischen Eliten und Hier­
archien erscheint die Ausformung der Metropolitanverfassung gleich
in zweierlei Hinsicht interessant: Zum einen erlauben es die Quellen
hier, zumindest ansatzweise zu beobachten, wie eine neue Hierarchie
innerhalb einer geistlichen Elite entstand. Und zum anderen gibt das
Beispiel Anlaß, grundsätzlich die Bedeutung von Hierarchien für Eli-
ten zu reflektieren. So klar Erzbischöfe im Rang über ihren Suffraga-
nen standen, so schwer fiel es den Geistlichen der früheren Karolin-
gerzeit, das Verhältnis zwischen diesen beiden Arten von Bischöfen
genau zu beschreiben – und so umstritten blieben daher lange auch
die Vorrechte der Metropoliten. Im folgenden wird der Schwerpunkt
auf dem ersten Aspekt liegen, ohne daß aber der zweite ganz über-
gangen werden soll.

1. Forschungsstand

Unser heutiges Bild von der Wiedereinführung einer Metropoli-


tanordnung ist im Kern in den Jahren um 1900 geschaffen worden,
in Frankreich maßgeblich durch Émile Lesne 4, in Deutschland durch
Albert Hauck 5. Zusammengeführt finden sich beide Sichtweisen dann
in den Dissertationen des Historikers Peter Wagner von 1917 und des

leben, t. 1 (Persönlichkeit und Geschichte), Düsseldorf, 1965, S. 480-487; F. Kempf, „Die über-
diözesane Hierarchie: Metropoliten, Primaten, Papsttum“, in Handbuch der Kirchengeschichte,
III/1 (Die mittelalterliche Kirche. Vom kirchlichen Frühmittelalter bis zur gregorianischen Reform),
Freiburg et al., 1966, S. 327-331; Id., „Primatiale und episkopal-synodale Struktur der Kirche
vor der Gregorianischen Reform“, Archivum historiae pontificae, 16 (1978), S. 27-66; Id., „Die
Eingliederung der überdiözesanen Hierarchie in das Papalsystem des kanonischen Rechts
von der gregorianischen Reform bis zu Innocenz III.“, Archivum historiae pontificae, 18
(1980), S. 58-60; T. Schieffer, „Das karolingische Großreich (751-843)“, in Handbuch der
europäischen Geschichte, t. 1 (Europa im Wandel von der Antike zum Mittelalter), Stuttgart, 1976,
S. 537 sq. und 570; A. Angenendt, Das Frühmittelalter. Die abendländische Christenheit von 400
bis 900, Stuttgart/Berlin/Köln, 1995 (2e Ed.), S. 276 sq. und 322; H.-W. Goetz, Europa im
frühen Mittelalter 500-1050, Stuttgart, 2003 (Handbuch der Geschichte Europas, 2), S. 217
sq.; einen guten Überblick über den Forschungsstand bietet M. Storm, Die Metropolitangewalt
der Kölner Erzbischöfe im Mittelalter bis zu Dietrich von Moers, Siegburg, 1995 (Studien zur Köl-
ner Kirchengeschichte, 29), S. 13-16.
4
 É. Lesne, La hiérarchie épiscopale, provinces, métropolitains, primats en Gaule et Germanie depuis
la réforme de saint Boniface jusqu’à la mort d’Hincmar 742-882, Lille/Paris, 1905.
5
 A. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. 1, Leipzig, 1898 (2e Ed.), S. 525-559; t. 2, Leip-
zig, 1900 (2e Ed.), S. 205-209, hier schon in Kenntnis von A. Sieke, Die Entwicklung des
Metropolitenwesens im Frankenreiche bis auf Bonifaz, Marburg, 1899.

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die ausbildung einer metropolitanordnung im frankenreich

Theologen Joseph Wenner aus dem Jahr 1926  6. Seitdem sind zahl-
reiche Einzelfragen weiter bearbeitet worden: Vor allem die Tätigkeit
des Bonifatius und die Chronologie der Reformsynoden der 740er
Jahre  7, aber auch die spätmerowingischen „Bischofsherrschaften“,
die durch die Metropolitanordnung abgelöst wurden, sind mittler-
weile erheblich genauer bekannt 8. Zu einem neuen, unumstrittenen

6
  P. Wagner, Die geschichtliche Entwicklung der Metropolitangewalt bis zum Zeitalter der Dekreta­
lengesetzgebung, Diss. Bonn, Offenbach, 1917; J. Wenner, Die Rechtsbeziehungen der Mainzer
Metropoliten zu ihren sächsischen Suffraganbistümern bis zum Tode Aribos (1031). Ein Beitrag zur
Geschichte der Metropolitanverfassung in Deutschland, Paderborn, 1926 (Görres-Gesellschaft.
Veröffentlichungen der Sektion für Rechts- und Sozialwissenschaft, 46), bes. S. 13-42; vgl.
außerdem H. Schmidt, „Trier und Reims in ihrer verfassungsrechtlichen Entwicklung bis
zum Primatialstreit des neunten Jahrhunderts“, Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsge-
schichte. Kanonistische Abteilung, 18 (1929), bes. S. 50-74; J. Heydenreich, Die Metropolitan-
gewalt der Erzbischöfe von Trier bis auf Baldewin, Marburg, 1938 (Marburger Studien zur älteren
deutschen Geschichte, II/5), S. 11-18.
7
 Nach M. Tangl („Studien zur Neuausgabe…“, op. cit., S. 772-782) war zunächst dessen
Datierung akzeptiert worden, bis Th. Schieffer (Angelsachsen und Franken…, op. cit.,
S. 1463-1471) die Debatte erneut anstieß; die Diskussion kann hier nicht nachgezeichnet
werden, vgl. aber die Beiträge von K.-U. Jäschke, „Die Gründungszeit der mitteldeutschen
Bistümer und das Jahr des Concilium Germanicum“, in H. Beumann (Hg.), Festschrift für
Walter Schlesinger, t. 2, Köln et al., 1974 (Mitteldeutsche Forschungen, 74), S. 71-136; J. Jar-
nut, „Bonifatius und die fränkischen Reformkonzilien (743-748)“, Zeitschrift der Savigny-
Stiftung für Rechtsgeschichte. Kanonistische Abteilung, 96 (1979), S. 1-26; H. J. Schüssler, „Die
fränkische Reichsteilung von Vieux-Poitiers (742) und die Reform der Kirche in den Teil-
reichen Karlmanns und Pippins. Zu den Grenzen der Wirksamkeit des Bonifatius“, Francia,
13 (1985), S. 47-112; P. Speck, „Artabasdos, Bonifatius und die drei Pallia“, Zeitschrift für
Kirchengeschichte, 96 (1985), S. 179-195; sowie zuletzt ausführlich mit Plädoyer für Tangls
Frühdatierung M. Glatthaar, Bonifatius und das Sakrileg. Zur politischen Dimension eines
Rechtsbegriffs, Frankfurt am Main et al., 2004 (Freiburger Beiträge zur mittelalterlichen
Geschichte, 17), S. 134-216, mit wichtigen neuen Argumenten.
8
 Vgl. E. Ewig, „Milo et eiusmodi similes“, in E. Ewig und H. Atsma (Hg.), Spätantikes und
fränkisches Gallien. Gesammelte Schriften (1952-1973), t. 2, München et. al., 1979 (Beihefte der
Francia, 3/2), S. 189-219; R. Kaiser, Bischofsherrschaft zwischen Königtum und Fürstenmacht.
Studien zur bischöflichen Stadtherrschaft im westfränkisch-französischen Reich im frühen und hohen
Mittelalter, Bonn, 1981 (Pariser Historische Studien, 17), S. 55-66; zusammenfassend: H. H.
Anton, „“Bischofsherrschaften” und “Bischofsstaaten” in Spätantike und Frühmittelalter.
Reflexionen zu ihrer Genese, Struktur und Typologie“, in Liber amicorum necnon et amicarum
für Alfred Heit, Trier, 1996 (Trierer Historische Forschungen, 28), S. 461-473; zur Auflösung
der „Bischofsherrschaften“ seit Karl Martell: F. Prinz, Klerus und Krieg im früheren Mittelalter.
Untersuchungen zur Rolle der Kirche beim Aufbau der Königsherrschaft, Stuttgart, 1971 (Mono-
graphien zur Geschichte des Mittelalters, 2), S. 64-70; J. Semmler, „Episcopi potestas und
karolingische Klosterpolitik“, in A. Borst (Hg.), Mönchtum, Episkopat und Adel zur Grün-
dungszeit des Klosters Reichenau (Vorträge und Forschungen, 20), Sigmaringen, 1974,
S. 305-395. Mit einem neuen Ansatz zuletzt B. Jussen, „Über “Bischofsherrschaften” und
die Prozeduren politisch-sozialer Umordnung in Gallien zwischen “Antike” und “Mittelal-
ter”“, Historische Zeitschrift, 260 (1995), S. 673-718.

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steffen patzold

Gesamtbild der Reformen der 740er Jahre hat die Diskussion jedoch
bisher noch nicht geführt 9.
Spätestens seit Hauck und Lesne gilt nun die Wiedereinführung
der Metropolitanverfassung als ein Drama in zwei Akten mit zwei Pro-
tagonisten: In den 740er Jahren habe zunächst Bonifatius versucht,
diese Verfassung nach angelsächsischem Vorbild einzuführen, um die
fränkische Kirche von Mißständen zu reinigen und enger an Rom
anzubinden. Wie er es aus seiner Heimat kannte, habe er dazu das
Amt des Erzbischofs etablieren wollen – also eines seinen Kollegen
übergeordneten Bischofs, der regelmäßig Provinzialsynoden einbe-
rufen und den Klerus seiner Provinz kontrollieren sollte, zugleich
aber das Pallium in Rom zu erbitten hatte. Damit sollte der Erzbischof
zwei Funktionen erfüllen: Er kontrollierte den fränkischen Episkopat
und band ihn zugleich enger an den Papst. Allerdings, so Hauck und
Lesne, sei Bonifatius mit seiner Konzeption in den Jahren nach
746/747 gescheitert, und zwar nicht allein wegen des Widerstands
der fränkischen Magnaten, sondern vor allem deshalb, weil der Haus-
meier Pippin das Reformprojekt nun nicht mehr bedingungslos
unterstützte.
Erst Ende der 770er Jahre habe dann der zweite Akt des Dramas
begonnen: Karl der Große griff die früheren Reformansätze auf, habe
es aber an Nachdruck fehlen lassen, so daß es mehr als 30 Jahre dau-
erte, bis sich überall im Reich jene 21 Kirchenprovinzen ausgebildet
hätten, die Karl 811 auflistete. Etwas überspitzt lautete die ältere Sicht
also zusammengefaßt: Nach dem gescheiterten Versuch des Bonifatius
in den 740er Jahren veränderte sich die kirchliche Hierarchie seit
dem ausgehenden 8. Jahrhundert deshalb tiefgreifend, weil Karl der
Große es so wollte; sie veränderte sich jedoch nur langsam, weil sein
Wille in dieser Angelegenheit schwach war.

Dieses Bild ist in dreierlei Hinsicht problematisch.


• Die Quellen geben kaum etwas über Pippins und Karls Wünsche
und Interessen in dieser Frage preis. Ohne jede Quellengrundlage
unterstellte Hauck den Hausmeiern Pippin und Karlmann, daß sie
dem Reformprojekt des Bonifatius ihre Unterstützung entzogen hät-
ten, weil „sie sich als Leiter der fränkischen Landeskirche fühlten“;
aus Pippins Sicht habe es daher „der Erzbischöfe als Mittelsmänner

9
 Ein jüngeres Gesamtbild findet sich bei J. Semmler, „Bonifatius, die Karolinger und “die
Franken”“, in D. R. Bauer, R. Hiestand, B. Kasten und S. Lorenz (Hg.), Mönchtum. Kirche.
Herrschaft 750-1000. Festschrift für Josef Semmler, Sigmaringen, 1998, S. 3-49.

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die ausbildung einer metropolitanordnung im frankenreich

zwischen ihm und den Bischöfen, oder ihm und dem Papste“ gar
nicht bedurft 10. Eine ähnliche Erklärung gab Lesne – auch er ohne
Quellenbeleg  11. Daher hat schon Theodor Schieffer dieses ältere
Erklärungsmodell nicht unerheblich modifiziert: Ihm zufolge erklärt
sich das Scheitern der Reform nicht durch das „staatliche“, gegen
Rom gewandte Interesse Pippins. Vielmehr habe der Hausmeier dem
Angelsachsen in dem Moment die Unterstützung entzogen, als der
Widerstand im fränkischen Adel gegen das Reformprojekt so sehr
wuchs, daß er für den Hausmeier selbst zur Bedrohung wurde 12. Dar-
über hinaus unterschied Schieffer unter den Gegnern der Metropo-
litanverfassung zwei Gruppen – nämlich die reformfeindlichen Teile
der fränkischen Geistlichkeit einerseits (für die exemplarisch Gewilib
von Mainz 13 und Milo von Trier stehen) und die prinzipiell reform-
willigen fränkischen Kräfte andererseits, die aber (quasi aus einem
„nationalen“ Gegensatz heraus 14) gegen den Angelsachsen Bonifatius
und seine Schüler opponiert hätten. Schieffers Erklärung ist differen-
zierter; auch ihr aber fehlt für die 740/750er Jahre eine solide Quel-
lenbasis, und man darf bezweifeln, daß nationale Gegensätze Mitte
des 8. Jahrhunderts tatsächlich die Politik im Frankenreich beeinfluß-
ten.
• Die Forschung setzt voraus, daß es schon von den 740er Jahren
an eine feste Vorstellung von „der“ Metropolitanverfassung gegeben
habe – also gewissermaßen einen fertigen Verfassungsentwurf, der
Metropolitanwürde, Pallium und Erzbischofstitel aneinanderband
und dem die Frankenherrscher nur hätten Anerkennung verschaffen
müssen. Verzichtet man auf diese unbewiesene Vorannahme, dann
ergibt sich aus den Quellen ein erheblich komplexeres Bild.

10
 A. Hauck, Kirchengeschichte…, op. cit., t. 1, S. 552.
11
 É. Lesne, La hiérarchie épiscopale…, op. cit., S. 52 sq.
12
 T. Schieffer, Angelsachsen und Franken…, op. cit., S. 1452-1463.
13
 Vgl. zu ihm jetzt aber F. Staab, „Rudi populo rudis adhuc presul. Zu den wehrhaften
Bischöfen der Zeit Karl Martells“, in J. Jarnut, U. Nonn und M. Richter (Hg.), Karl Mar-
tell in seiner Zeit, Sigmaringen, 1994 (Beihefte der Francia, 37), S. 265-275, der Gewilib ein
Stück weit rehabiliert.
14
 Vgl. T. Schieffer (Angelsachsen und Franken…, op. cit., S. 1457), der zunächst den Konflikt
zwischen fränkischen Aristokraten und den Angelsachsen herausstellt, die „Fremdlinge“
gewesen seien, dann allerdings vorsichtig formuliert: „Man könnte eine solche Reserve
gegenüber den Fremden als “national” kennzeichnen, wenn das Wort nicht im 19. Jahr-
hundert als bewußtes politisches Prinzip einen so reichen Inhalt gewonnen hätte, daß man
im Interesse der wissenschaftlichen Sauberkeit besser daran tut, es für das frühe Mittelalter
überhaupt nicht zu verwenden“.

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steffen patzold

• Die Einführung einer Metropolitanordnung läßt sich nicht hinrei-


chend erklären, wenn man sie nur als einen vom Herrscher eingeleite-
ten und im Widerspiel mit dem Adel ausgefochtenen Prozeß betrachtet.
Vielmehr griffen mindestens drei Faktoren ineinander: Erstens gab es
auf zentraler Ebene vom Herrscher und von den politischen Führungs-
gruppen beratene und dann verabschiedete Grundsätze, die sich zum
Teil auch in Normtexten niedergeschlagen haben. Zweitens beeinfluß-
ten aber auch regionale Auseinandersetzungen um die hierarchische
Stellung einzelner sedes die Entwicklung. Und hinzu kam, drittens, ein
langwieriger Prozeß, der sich nur in begrenztem Maße zentral regulie-
ren ließ: Es mußte sich, zum Teil gegen die Tradition, ein neues Wis-
sen 15 über die Aufgaben, Rechte und Pflichten der Metropoliten und
über ihre Position in der kirchlichen Hierarchie ausbilden. Diese drei
Faktoren – die Entscheidungen auf zentraler Ebene, die regionalen
Konkurrenzen und die Auseinandersetzung mit der Tradition – seien
im Folgenden näher betrachtet.

2. Zentrale Entscheidungen und ihre Umsetzung

2.1. Die normativen Quellen


Die normativen Grundlagen für eine neue Metropolitanordnung
wurden in den 740er Jahren gelegt: für das Reich Karlmanns 742 oder
743 im sogenannten Concilium Germanicum 16; für Pippins Herrschafts-
gebiet 744 in Soissons 17. Wahrscheinlich leitete Bonifatius außerdem 744
oder 745 eine fränkische Gesamtsynode, die ein weiteres Mal die Metro-

15
  Zu dem Begriff vgl. A. Landwehr, „Das Sichtbare sichtbar machen. Annäherungen an
“Wissen” als Kategorie historischer Forschung“, in Id. (Hg.), Geschichte(n) der Wirklichkeit.
Beiträge zur Sozial- und Kulturgeschichte des Wissens, Augsburg, 2002 (Documenta Augustana,
11), S. 61-89; O. G. Oexle, „Was kann die Geschichtswissenschaft vom Wissen wissen?“, in
A. Landwehr (Hg.), Geschichte(n) der Wirklichkeit…, ibid., S. 31-60.
16
  Concilium Germanicum, c. 1, Hg. A. Werminghoff, MGH, Conc., II/1, Hannover/Leipzig,
1906, Nr. 1, S. 3: Et per consilium sacerdotum et optimatum meorum ordinavimus per civitates epi-
scopos et constituimus super eos archiepiscopum Bonifatium, qui est missus sancti Petri. Statuimus per
annos singulos synodum congregare, ut nobis presentibus canonum decreta et aecclesiae iura restau-
rentur, et relegio Christiana emendentur. Das spätere Concilium Liftinense (ibid., Nr. 2, S. 5-7)
bietet im überlieferten Text dagegen keine eigenen Bestimmungen zur Metropolitanord-
nung.
17
  Concilium Suessionense, c. 3, Hg. A. Werminghoff, MGH, Conc., II/1, Hannover/Leipzig,
1906, Nr. 4, S. 34: Idcirco constituimus per consilio sacerdotum et optimatum meorum et ordinavimus
per civitates legitimus episcopus et idcirco constituemus super eos archiepiscopus Abel et Ardobertum,
ut ab ipsius vel iudicia eorum de omne necessitate ecclesiastica recurrerent tam episcopi quam alius
populus.

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politanordnung regulierte  18. Und wohl 746 informierte sich Pippin


direkt beim Papst über das rechte Verhältnis zwischen Priestern, Chorbi-
schöfen und Metropoliten 19. Mehr noch: In Gegenwart Pippins wurden
die wichtigsten Bestimmungen zu dieser Frage nach dem Tode des Boni-
fatius noch einmal schriftlich festgehalten, nämlich im Juli 755 auf einer
Versammlung in Ver. Der dort verabschiedete Text forderte gleich zu
Beginn, daß in den einzelnen civitates Bischöfe erhoben werden 20 und
alle Bischöfe secundum canonicam institutionem denjenigen ihrer Amtsbrü-
der gehorchen sollten, die in vicem metropolitanorum eingesetzt seien 21.
Die Forschung hat diese Formulierung dahingehend interpretiert,
daß hier nicht von Metropoliten die Rede sei, sondern von gewöhn-
lichen Bischöfen, die lediglich vorläufig die Rolle von Metropoliten
übernommen hätten. Lesne sprach deshalb von „pro-métropoli-
tains“ 22, Aline Poensgen von „Vizemetropoliten“ 23, und Joseph Wen-
ner sah nur eine „provisorische Ordnung“  24. Diese Deutung dürfte
der Formulierung jedoch zu viel Gewicht beimessen: Der Text ist ins-
gesamt in ungelenkem Latein verfaßt; wahrscheinlich waren mit den
episcopi quos in vicem metropolitanorum constituimus schlicht die Bischöfe
gemeint, „die wir in das Amt von Erzbischöfen erhoben haben“. Spä-
ter ist in demselben Text jedenfalls ohne jede Einschränkung auch
von metropolitani bzw. metropolitani episcopi die Rede: Sie sollten einmal
pro Jahr, jeweils in der zweiten Jahreshälfte, zu einer Synode zusam-
menkommen  25; und sie sollten eine Art Appellationsinstanz für

18
 Akten dieser Synode sind nicht überliefert; J. Jarnut („Bonifatius…“, op. cit., S. 9-15) hat
bezweifelt, daß sie überhaupt zusammengetreten ist. Eine Zusammenschau der Quellen,
die für die Abhaltung einer weiteren Synode wohl schon 744 unter Leitung des Bonifatius
sprechen, bietet J. Semmler, „Bonifatius…“, op. cit., S. 29-35; vgl. ibid., S. 32, zu den ein-
schlägigen Beschlüssen dieser Synode in bezug auf die Metropolitanordnung.
19
  Codex Carolinus, Hg. W. Gundlach, MGH, Epp., 3, Berlin, 1892, Nr. 3, S. 480 sq.
20
  Concilium Vernense, c. 1, Hg. A. Boretius, MGH, Capit., 1, Hannover, 1883, Nr. 14, S. 33:
Ut episcopi debeant esse per singulas civitates.
21
  Concilium Vernense, c. 2, ibid., S. 33: Episcopos quos in vicem metropolitanorum constituimus, ut
ceteri episcopi ipsis in omnibus oboediant secundum canonicam institutionem, interim quod secundum
canonicam constitutionem hoc plenius emendamus.
22
 É. Lesne, La hiérarchie épiscopale…, op. cit., S. 54.
23
 A. Poensgen, Geschichtskonstruktionen des frühen Mittelalters zur Legitimierung kirchlicher
Ansprüche in Metz, Reims und Trier, Diss. Marburg, 1971, S. 12.
24
 Vgl. J. Wenner, Die Rechtsbeziehungen…, op. cit., S. 23.
25
  Concilium Vernense, c. 4, op. cit., S. 34: Ut bis in anno sinodus fiat. Prima sinodus mense primo,
quod est Martias Kalendas, ubi domnus rex iusserit, eius praesentia. Secunda sinodus Kalendas
Octubris, aut ad Suessionis vel aliubi ubi ad Martias Kalendas inter ipsos episcopos convenit; et illi
episcopi ibidem conveniant, quos modo v i c e m m e t r o p o l i t a n o r u m c o n s t i t u i m u s , et alii
episcopi vel abbates seu presbiteri, quos i p s i m e t r o p o l i t a n i aput se venire iusserint, ibidem in
ipsa secunda sinodo convenire faciant.

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exkommunizierte Geistliche bilden 26. Das zweite Kapitel deutet außer-


dem darauf hin, daß man 755 in der Frage der Einsetzung von
Me­tropoliten und ihres Verhältnisses zu den übrigen Bischöfen noch
weitere Verbesserungen für notwendig hielt 27.
Sofern man die Beschlüsse von Ver in dieser simplen Weise deuten
darf, entfällt der einzige Beleg aus einer n o r m a t i v e n Quelle, der
für die These sprechen könnte, Pippin habe seit der zweiten Hälfte
der 740er Jahre aus machtpolitischen Überlegungen heraus die Ein-
führung einer Metropolitanordnung hintangestellt  28. Die Bestim-
mungen von Ver bilden dann, gerade im Gegenteil, eine Brücke poli-
tischer Kontinuität, die von Bonifatius über Pippin bis hin zum Hof
Karls des Großen reichte, wo man den Text von 755 kannte, schätzte
und zitierte 29.
Im Jahr 779 riefen Karl und die Großen des Reiches im Kapitular
von Herstal 30 ins Gedächtnis, daß die suffraganii episcopi ihren Metro-
politen gemäß den kirchenrechtlichen Bestimmungen unterworfen
seien. Zudem sollten die Metropoliten die Lebensführung der
Bischöfe überwachen und, falls nötig, auch verbessern. Die Formulie-
rung läßt aufhorchen: Ganz offensichtlich gingen die Verfasser davon
aus, daß zu diesem Zeitpunkt bereits mehrere Metropoliten amtierten
und ihnen auch jeweils Suffragane zugeordnet waren. Im Unterschied

26
  Concilium Vernense, c. 9, op. cit., S. 35: Quod si aliquis se reclamaverit, quod iniuste sit excom-
municatus, licentiam habeat ad m e t r o p o l i t a n u m e p i s c o p u m venire, et ibidem secundum
canonicam institutionem deiudicetur; et interim suam excommunicationem custodiat. Quod si aliquis
ista omnia contempserit, et episcopus hoc minime emendare potuerit, regis iudicio exilio condamne-
tur.
27
 Vgl. oben, Anm. 21.
28
 So É. Lesne, La hiérarchie épiscopale…, op. cit., S. 52 sq.; vgl. auch A. Poensgen, Geschichts-
konstruktionen…, op. cit., S. 12.
29
  Admonitio generalis, c. 81, Hg. A. Boretius, MGH, Capit., 1, Hannover, 1883, Nr. 22,
S. 61.
30
  Zum politischen Kontext und zu den Quellen der Jahre 778/779 vgl. jetzt H. Mordek,
„Karls des Großen zweites Kapitular von Herstal und die Hungersnot der Jahre 778/779“,
Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 61 (2005), S. 1-52; Id., „Die Anfänge der
fränkischen Gesetzgebung für Italien“, Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und
Bibliotheken, 85 (2005), S. 1-35, hier S. 6-8; zum ersten Kapitular vgl. außerdem W. Hart-
mann, „Karl der Große und das Recht“, in P. L. Butzer, M. Kerner und W. Oberschelp
(Hg.), Karl der Große und sein Nachwirken. 1200 Jahre Kultur und Wissenschaft in Europa, t. 1
(Wissen und Weltbild), Turnhout, 1997, S. 180; die 30 erhaltenen Handschriften sind aufge-
listet bei H. Mordek, Bibliotheca capitularium regum Francorum manuscripta. Überlieferung und
Traditionszusammenhang der fränkischen Herrschererlasse, München, 1995 (MGH, Hilfsmittel,
15), S. 1081 sq. G. Brown („Introduction: The Carolingian Renaissance“, in R. McKitterick
(Hg.), Carolingian Culture: Emulation and Innovation, Cambridge, 1994, S. 17) hat vermutet,
daß eine Abschrift dieses als wichtig erachteten Textes bei Hof aufbewahrt worden sei, da
sich mehrere spätere Kapitularien auf dasjenige von Herstal berufen.

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zu den Bestimmungen von Soissons 744 und noch von Ver 755 findet
sich in diesem Text nämlich kein Wort mehr über die E i n s e t z u n g
von Metropoliten  31. Auf weitere Einzelfragen der Metropolitanord-
nung kamen Karl und seine Berater dann in späteren „großen“ Kapi-
tularien zu sprechen – insbesondere in der Admonitio generalis von
789 32 (nun gestützt auf die Dionysio-Hadriana) und im Frankfurter
Kapitular von 794 33.
Zusammengenommen ergibt sich folgendes Zwischenfazit: Blickt
man allein auf die erhaltenen n o r m a t i v e n Texte, die zwischen
742/743 und dem Ende des 8. Jahrhunderts im Frankenreich formu-
liert wurden, dann spricht nichts für ein Drama in zwei Akten. Statt
dessen ergibt sich das Bild eines Prozesses, der sich zwar langsam, aber
kontinuierlich vollzog. Sowohl Karlmann als auch Pippin und Karl
förderten die Neuordnung der kirchlichen Hierarchie; ein grundsätz-
licher Politikwechsel in der Frage der Einführung einer Metropoli-
tanordnung nach 747, wie ihn die Forschung seit Hauck und Lesne
postuliert hat, ist aus den normativen Quellen nicht abzulesen. Die
Bestimmungen von 779 fügen sich nahtlos zu denen von 755 und von
743/744; und es dürfte kaum Zufall, sondern bewußter Ausdruck
politischer Kontinuität sein, daß noch die Admonitio generalis von 789
eigens auf Pippins decretum von Ver aus dem Jahr 755 hinwies 34.

2.2. Die Umsetzung in die Praxis


Dürftig wird die Quellenlage, sobald man fragt, ob und wie die
zentral getroffenen Entscheidungen in die Praxis umgesetzt wurden.
Fest steht: Bonifatius selbst, der schon 732 zum Erzbischof erhoben
worden war, strebte danach, Köln als sedes zu erhalten, offenbar als
Metropole für die Provinz Germania; er scheiterte mit diesem Plan

31
  Capitulare Haristallense, c. 1, Hg. A. Boretius, MGH, Capit., 1, Hannover, 1883, Nr. 20,
S. 47: De metropolitanis, ut suffraganii episcopi eis secundum canones subiecti sint, et ea quae erga
ministerium illorum emendanda cognoscunt, libenti animo emendent atque corrigant.
32
  Admonitio generalis, c. 8, op. cit., S. 54; c. 10, ibid., S. 55; c. 13, ibid., S. 55 und c. 44, ibid.,
S. 56; zur Rolle Alkuins bei der Abfassung des Textes vgl. auch F.-C. Scheibe, „Alcuin und
die Admonitio generalis“,Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 14 (1958),
S. 221-229.
33
  Capitulare Francofurtense, Hg. A. Werminghoff, MGH, Conc., II/1, Hannover/Leipzig,
1906, Nr. 19 G, c. 6 (S. 166 sq.) und c. 8-9 (S. 167).
34
 Es ist zudem nicht auszuschließen, daß weitere einschlägige Normtexte zwischen 744
und 779 ausformuliert wurden, aber heute verloren sind. Zudem könnten manche Fragen
der Ausgestaltung einer Metropolitanordnung in diesem Zeitraum auch nur mündlich
verhandelt worden sein. Das Bild vom Politikwechsel nach 747 könnte deshalb auch durch
Überlieferungslücken mitbedingt sein.

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jedoch und mußte sich mit Mainz begnügen 35. Außerdem bat Boni-
fatius den Papst Zacharias brieflich darum, Grimo von Rouen, Abel
von Reims und Hartbert von Sens mit Pallien auszuzeichnen 36. Später
revidierte er diese Bitte allerdings – sehr zum Befremden des Papstes
– und forderte statt dessen, daß nur Grimo das Pallium erhalten
sollte  37. Die Hintergründe der zwei divergierenden Pallien-Anträge
sind ebenso unklar wie die genaue Datierung der Ereignisse 38. Nach
dem Tode des Bonifatius ist dann jedenfalls nur noch Chrodegang
von Metz in den Quellen sicher als Erzbischof bezeugt  39; und nach
dessen Hinscheiden 766 läßt sich wiederum einzig Wulchar von Sens
als Erzbischof nachweisen 40.
Dieser Befund ändert sich erst mit dem Jahr 779. Von nun an
häufen sich die Belege dafür, daß Geistliche in den Rang von Erzbi-
schöfen erhoben wurden: Wahrscheinlich richtete Karl schon 779/780
brieflich die Bitte an Papst Hadrian, die Bischöfe Tilpin von Reims
und Lul von Mainz mit dem Pallium auszuzeichnen und zu Erzbischö-
fen zu erheben. Die Übersendung des Palliums an Tilpin ist nur durch
einen – undatierten und interpolierten – Brief Hadrians  41 bezeugt,

35
 Dazu im einzelnen unten 175 sq.
36
  JW 2270 = Hg. M. Tangl, MGH…, op. cit., Nr. 57, S. 103 sq.; zur Einsetzung Hartberts
und Abels vgl. auch Concilium Suessionense, c. 3 (op. cit., S. 34, Z. 13-15), wo von Grimo
allerdings nicht die Rede ist. Grimo war Zacharias (laut ibid., S. 103, Z. 23 sq.) bereits
bekannt und dürfte deshalb zu identifizieren sein mit dem Abt Grimo von Corbie, der 741
als Gesandter Karl Martells in Rom gewesen war: Vgl. Fredegar, Chronicarum Cont., c. 22,
Hg. B. Krusch, MGH, SSrM, II/1, Hannover, 1888, S. 179, Z. 5 sq. Abel wird in der For-
schung gleichgesetzt mit jenem Scotus, der als Mönch in Lobbes lebte und von Folkuin,
Gesta abbatum Lobiensium, c. 5 und 7 (Hg. G. Waitz, MGH, SS, 4, Hannover, 1841, S. 58 sq.),
erwähnt wird. Die Identifizierung ist allerdings unsicher: Folkuin selbst hatte seinerseits
nur aus Flodoards Historia Remensis ecclesiae erfahren, daß ein Bischof Abel in Reims einge-
setzt worden sei, und identifizierte ihn lediglich aufgrund der vagen zeitlichen Überein-
stimmung mit dem Mönch seines Klosters Lobbes! Zu Hartbert vgl. J. Semmler („Bonifa-
tius…“, op. cit., S. 28, Anm. 276), der ihn mit jenem Bischof Hartbert identifiziert, der 745
dem Kloster Weißenburg Güter bei Bischofsweiler im Elsaß schenkte; sicher ist diese Iden-
tifizierung ebenfalls nicht.
37
  JW 2271 = Hg. M. Tangl, MGH…, op. cit., Nr. 58, S. 106.
38
 Vgl. dazu zuletzt J. Semmler („Bonifatius…“, op. cit., S. 34), der plausibel vermutet, daß
die Pallien zurückgezogen werden mußten, weil Abel und Hartbert für Sedes geweiht wor-
den waren, deren kanonisch erhobene Bischöfe – Rigobert von Reims und Ebbo von Sens
– noch lebten, auch wenn sie nicht in ihren civitates ansässig waren.
39
 Die einschlägigen Belege finden sich schon bei É. Lesne, La hiérarchie épiscopale…, op.
cit., S. 54, Anm. 3.
40
  Zu ihm vgl. É. Lesne, La hiérarchie épiscopale…, ibid., S. 57-61.
41
 Dazu grundlegend É. Lesne, „La lettre interpolée d’Hadrien à Tilpin“, Le Moyen Âge, 17
(1913), S. 325-351 und S. 389-413, mit Edition des Briefes auf S. 349 sq. (zu den Ereignis-
sen vgl. auch H. Schmidt, „Trier…“, op. cit., S. 37 sqq.); Hinkmar von Reims oder auch schon
sein Vorgänger Ebo könnten das Schreiben verfälscht haben.

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den Flodoard von Reims in seiner Historia Remensis ecclesiae überliefert


hat 42. Lul ist am 8. März 780 zum letzten Mal urkundlich als Bischof
belegt  43 und erscheint am 4. Juli 782 erstmals mit dem Titel eines
Erzbischofs in den Quellen  44. Noch in der ersten Hälfte der 780er
Jahre könnte dann auch Erminbert von Bourges mit dieser Würde
ausgezeichnet worden sein 45. Zwischen 784 und 788 folgte Angilram
von Metz; Richulf von Mainz führte spätestens seit 794 den Titel,
ebenso Magnard von Rouen; und im Jahr darauf findet sich auch
Hildebold von Köln als Erzbischof tituliert 46.
Seit Hauck und Lesne sieht die Forschung nun diesen Befund zur
Verbreitung des Erzbischofs-Titels in Zusammenhang mit derjenigen
Klage, die Bonifatius im Jahr 751 in einem Brief an Papst Zacharias
formuliert hatte: Die Franken hätten ihr einstiges Versprechen  47 de
archiepiscopis et de palleis a Romana aecclesia petendis nicht gehalten; „und
noch immer wird es aufgeschoben und hin und her erörtert“, klagte
Bonifatius, „und man weiß nicht, was davon sie zu Ende bringen wol-
len“  48. Den Bonifatius-Brief und die Verbreitung des Erzbischofs-
Titels zusammennehmend, hat die Forschung gefolgert, daß die
Reform der Metropolitanordnung in den 740er Jahren zunächst
gescheitert sei und erst Karl der Große sie seit 780 allmählich durch-
gesetzt habe.
Man wird dieses Argument jedoch hinterfragen dürfen. Bonifatius
mag enttäuscht gewesen sein über die langwierigen Diskussionen –
aber ein Beleg dafür, daß Pippin die Einführung einer Metropolitan-
ordnung auf Druck adliger Kreise zurückgestellt habe, ist die Klage
des Angelsachsen gerade nicht. Im Gegenteil, sein Schreiben belegt,

42
  Flodoard, Historia Remensis ecclesiae, lib. II, c. 13 und c. 16-17, Hg. M. Stratmann, MGH,
SS, 36, Hannover, 1998, S. 162 sq. und S. 167-169; nur ein kleiner Abschnitt des Briefes ist
auch überliefert in der Reimser Vita Rigoberti, c. 14, Hg. W. Levison, MGH, SSrM, 7, Han-
nover, 1919, S. 71.
43
  D Karl I. 129.
44
  D Karl I. 142.
45
  Codex Carolinus…, op. cit., Nr. 91, S. 628.
46
 Die Belege dazu bei A. Hauck, Kirchengeschichte…, op. cit., t. 2, S. 205; zur Metropolitan-
würde des Magnard von Rouen vgl. Capitulare Francofurtense, c. 10, op. cit., S. 167.
47
  Bonifatius hatte schon im Jahr 747 seinem angelsächsischen Amtsbruder Cuthbert von
Canterbury mitgeteilt, daß eine Synode unter seiner Leitung beschlossen habe, metropolita-
nos pallia ab illa sede querere (Bonifatius, Epistolae, 78, op. cit., S. 163).
48
  Bonifatius, Epistolae, 86, ibid., S. 193: De eo autem, quod iam preterito tempore de archiepisco-
pis et de palleis a Romana aecclesia petendis iuxta promissa Francorum sanctitati vestrae notum feci,
indulgentiam apostolicę sedis flagito, quia quod promiserunt tardantes non impleverunt; et adhuc
differtur et ventilatur; quid inde perficere voluerint, ignoratur. Sed mea voluntate impleta esset promis-
sio.

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daß auch 751 noch zentrale Fragen der Metropolitanordnung auf der
politischen Tagesordnung standen! Beachtung verdient zudem der
genaue Wortlaut des Briefes: Dort ist nämlich nicht von der Ernen-
nung von Metropoliten die Rede, sondern lediglich von archiepiscopi
und pallia. Die Analyse der normativen Quellen aber legt die Annahme
nahe, daß 751, als Bonifatius klagte, gar nicht mehr die Grundsatz-
frage der Einsetzung von Metropoliten strittig war, sondern lediglich
die weitergehende Frage, ob diese Metropoliten auch stets den Titel
archiepiscopus führen und dafür das Pallium von der römischen Kirche
erbitten sollten. Bonifatius wünschte das so 49; aber die kontinentale
Tradition war eine andere. Wer etwa in den Etymologien Isidors von
Sevilla nachschlug, der fand eine Vierteilung des bischöflichen ordo
– in Patriarchen, Erzbischöfe (archiepiscopi), Metropoliten (metropoli-
tani) und Bischöfe  50. Die archiepiscopi übten laut Isidor ein apostoli-
sches Vikariat aus und waren sowohl den metropolitani als auch den
übrigen Bischöfen übergeordnet; die Metropoliten dagegen standen
lediglich den Bischöfen ihrer jeweiligen provincia vor 51. Wäre es nicht
denkbar, daß reformwillige Geistliche um Pippin seit den 740er Jah-
ren ein solches Modell bevorzugten? Auf diese Weise ließe sich jeden-
falls zwanglos der Bericht der Synode von Ver 755 über die Einsetzung
von m e h r e r e n M e t r o p o l i t e n in Einklang bringen mit der Tat-
sache, daß in den Quellen der Folgezeit dann jeweils nur e i n E r z -
b i s c h o f im Frankenreich nachweisbar ist.
Vor diesem Hintergrund läßt sich die These eines Politikwechsels
im Jahr 747 auch nicht dadurch stützen, daß man die nachweisbaren
Ernennungen von archiepiscopi auflistet. Zum einen ist ein solches
argumentum e silentio angesichts der Quellenarmut in der Mitte des 8.
Jahrhunderts ohnehin fragwürdig. Unsere Quellen ergeben für diese
Zeit kein detailliertes Bild von der Geschichte der Bistümer Reims,
Sens, Rouen und Bourges. Für Reims bieten erst spätkarolingische
Texte, namentlich die um 890 verfaßte Vita Rigoberti und Flodoards

49
 Vgl. seinen Brief an Cuthbert von Canterbury (Bonifatius, Epistolae, 78, ibid., S. 163 sq.),
demzufolge eine Synode unter seiner Leitung (744 oder 745) gerade dies beschlossen
hatte; in dem Schreiben verwendet Bonifatius zudem die Wörter archiepiscopus und metropo-
litanus geradezu wie Synonyme.
50
  Isidor, Etymologiae, lib. VII, c. 12, 4, Hg. W. M. Lindsay, I, Oxford, 1911: Ordo episcoporum
quadripertitus est, id est in patriarchis, archiepiscopis, metropolitanis atque episcopis.
51
  Isidor, Etymologiae, lib. VII, c. 12, 6-7: Archiepiscopus Graeco vocabulo quod sit summus episco-
porum. Tenet enim vicem apostolicam et praesidet tam metropolitanis quam episcopis ceteris. Metropo-
litani autem a mensura civitatum vocati. Singulis enim provinciis praeeminent, quorum auctoritati
et doctrinae ceteri sacerdotes subiecti sunt, sine quibus nihil reliquos episcopos agere licet. Sollicitudo
enim totius provinciae ipsis commissa est.

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die ausbildung einer metropolitanordnung im frankenreich

Reimser Kirchengeschichte aus dem 10. Jahrhundert, einigen Auf-


schluß 52; über Rouen informieren in größerem Detail erst die hagio-
graphische Literatur und die Gesta der Äbte aus Saint-Wandrille, die
wohl noch vor 830 verfaßt wurden  53. Für Sens und Bourges ist die
Überlieferungslage geradezu desolat, und dasselbe gilt für weitere
Bistümer der Zeit, zumal im Süden Galliens.
Zum anderen war der Titelgebrauch in diesen Jahren gleich in
dreierlei Hinsicht uneinheitlich: Erstens mußte ein Bischof, der als
Metropolit fungierte, nicht unbedingt das Pallium erbitten und den
Titel archiepiscopus führen – sehr zum Ärger des Bonifatius 54. Zweitens
gab es archiepiscopi, die keiner Metropole vorstanden 55. Und drittens
schließlich werden selbst diejenigen Geistlichen, die nachweislich den
Titel Erzbischof führten, in manchen Quellen auch einfach als episcopi
tituliert 56. Mit anderen Worten: Der Gebrauch des Titels archiepiscopus

52
 Vgl. oben, Anm. 42.
53
  Gesta abbatum Fontanellensium, Hg. P. Pradié, Paris, 1999 (Les classiques de l’histoire de
France au Moyen Âge, 40); zur Datierung vgl. in Auseinandersetzung mit der älteren Lite-
ratur ibid., S. XXV-XXVII, wonach der Abbatiat des Ansegis als Entstehungszeit anzusetzen
wäre. Anders I. N. Wood, „Saint-Wandrille and its Hagiography“, in I. N. Wood und G. A.
Loud (Hg.), Church and Chronicle in the Middle Ages. Essays Presented to John Taylor, London et
al., 1991, S. 4 sq., dem zufolge der Text nicht zu einem bestimmten Zeitpunkt verfaßt wurde,
sondern über einen gewissen Zeitraum seit ca. 800 immer wieder weitergeführt und bear-
beitet worden ist; vorsichtig zustimmend M. Diesenberger, „Wahrnehmung und Aneigung
der Natur in den Gesta abbatum Fontanellensium“, in C. Egger und H. Weigl (Hg.), Text –
Schrift – Codex. Quellenkundliche Arbeiten aus dem Institut für Österreichische Geschichtsforschung,
Wien et. al., 2000 (MIÖG, Ergänzungsband, 35), S. 13; M. Becher, „Die Chronologie der
Äbte von Saint-Wandrille in der ersten Hälfte des 8. Jahrhunderts. Studien zu den Gesta
abbatum Fontanellensium“, in S. Happ und U. Nonn (Hg.), Vielfalt der Geschichte – Lernen,
Lehren und Erforschen vergangener Zeiten. Festgabe für Ingrid Heidrich zum 65. Geburtstag, Berlin,
2004, S. 27; vgl. aber die Argumente bei P. Pradié (Gesta…, ibid., S. XXIX-XXXII), die
zumindest für eine einheitliche Schlußredaktion sprechen.
54
 Vgl. oben, Anm. 48.
55
 Das gilt schon für Bonifatius, sofern man annimmt, daß Mainz nicht schon unter ihm
zur Metropole erhoben wurde; die meistzitierten Beispiele sind Angilram von Metz und
Hildebold von Köln, die den Erzbischofstitel im Zusammenhang mit ihrem Hofamt führten,
außerdem Theodulf von Orléans, dem Alkuin in einem Brief vom 4. April 801 zum Erwerb
des Palliums gratulierte und der zudem auch in einem seiner Gedichte die Auszeichnung
durch das Pallium erwähnte (Alkuin, Epistolae, 225, Hg. E. Dümmler, MGH, Epp., 4, Berlin,
1895, S. 368 sq.; Theodulf, Carmina, 72, Hg. E. Dümmler, MGH, Poet. lat., 1, Berlin, 1881,
S. 565, v. 66).
56
 So bezeichete Lul seinen Lehrer Bonifatius als presul venerandus (Bonifatius, Epistolae,
98, op. cit., S. 220); vgl. ibid., Nr. 97, S. 217 (Bonifatius als venerandus pontifex), doch könnte
dieser Brief schon vor 732, also vor der Verleihung des Palliums an Bonifatius verfaßt wor-
den sein; ein ungenannter Verfasser bezeichnete Bonifatius in einem Brief von 747/748
als episcopus noster: ibid., Nr. 79, S. 172. Chrodegang von Metz unterfertigte den Gebetsbund
von Attigny (Hg. A. Werminghoff, MGH, Conc., II/1, Hannover/Leipzig, 1906, Nr. 13,
S. 73), als Hrodegangus episcopus civitas Mettis.

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ist kein sicherer Indikator für die Frage, wieweit und wie schnell sich
eine Metropolitanordnung ausbildete. Ob beispielsweise Grimos
Nachfolger Reginfrid in Rouen als Metropolit fungierte  57, ist auf-
grund der überlieferten Quellen nicht zu entscheiden. Ebenso muß
die Frage offenbleiben, ob Richulf von Mainz bereits seit seinem Amts-
antritt 786 die Metropolitanwürde innehatte 58. Vor allem aber wissen
wir nicht, wer denn diejenigen metropolitani episcopi waren, die bereits
eingesetzt waren, als die Versammlung von Ver 755 tagte – während
die Anwesenden sich ja unter diesem Plural etwas vorgestellt haben
müssen. Wir können nicht einmal ausschließen, daß in der Folgezeit
weitere Metropoliten eingesetzt wurden, wie man es in Ver – dem
Wortlaut des Textes zufolge – geplant hatte 59.
Alles in allem sind daher auch die Überlieferungssplitter, die Aus-
kunft geben über die Umsetzung der zentral getroffenen Entschei-
dungen, kein sicherer Beleg für jenes Drama in zwei Akten, das Hauck
und Lesne in die Forschung eingeführt haben. Die Quellenaussagen
lassen sich vielmehr zwanglos mit jenem Bild eines langsamen, aber
kontinuierlichen Prozesses vereinbaren, das sich aus den Kapitularien
und Konzilsbeschlüssen ergibt. Was sich unter Karl dem Großen ver-
änderte, wäre aus dieser Perspektive nicht die Grundsatzentscheidung
für oder gegen die Einführung von Kirchenprovinzen und Metropo-
liten gewesen. Veränderung hätte es vielmehr in zwei anderen Punk-
ten gegeben: Zum einen bildete sich jetzt erst – und auch jetzt nur
sehr allmählich – jene Verbindung von Metropolitenamt, Erzbischofs­
titel und Pallium heraus, die im 9. Jahrhundert selbstverständlich
werden sollte; und zum anderen wurde erst jetzt systematisch für das
gesamte Reich geklärt, welche Bistümer Metropolitansitze werden
und welche Grenzen ihre Kirchenprovinzen jeweils haben sollten.
Schon Eugen Ewig hat darauf hingewiesen, daß sich bis zur Mitte des
8. Jahrhunderts erhebliche Lücken in den Bischofslisten der südli-
chen Bistümer des Frankenreichs finden  60. Es ist daher kein Zufall,
wenn in den normativen Texten dieser Zeit die Beschlüsse zur Wie-
dereinführung einer Metropolitanordnung mit der Forderung ver-
bunden werden, überhaupt wieder für alle sedes Bischöfe einzuset-

57
 Vgl. die plausible Vermutung bei H. J. Schüssler („Die fränkische Reichsteilung…“, op.
cit., S. 97), demzufolge Reginfrid zumindest bis 747 „die Position eines Metropoliten ein-
genommen“ hat.
58
 A. Hauck (Kirchengeschichte…, op. cit., t. 2, S. 207) hat das angenommen, ein Quellenbe-
leg dafür aber fehlt.
59
 Vgl. oben, Anm. 21.
60
 E. Ewig, „Milo…“, op. cit., S. 204.

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zen 61. In den 740er und 750er Jahren dürften die Vakanzen im Süden
noch so zahlreich gewesen sein, daß dort an die Erhebung von Metro-
politen und die Zuordnung von Suffraganen vorerst gar nicht zu den-
ken war 62.

3. Lokale Auseinandersetzungen um den Aufstieg zur


­Metropole und die Grenzen von Kirchenprovinzen

Nach dem bisher Gesagten läßt sich die lange Dauer jenes Prozes-
ses, an dessen Ende sich eine Metropolitanordnung im Frankenreich
ausgebildet hatte, nicht allein – wie Hauck und Lesne es wollten – mit
Pippins und Karls Zögerlichkeit und Desinteresse erklären. Man wird
zusätzlich bedenken müssen, daß weder die Etablierung einer neuen
Hierarchie noch die Abgrenzung von Kirchenprovinzen konsensual
zu lösen waren: Jede Entscheidung zugunsten einer sedes bedeutete
zugleich, daß andere Bistümer im Rang abgestuft und untergeordnet
wurden. Tatsächlich läßt die dürftige Überlieferung noch etliche
Streitigkeiten in diesem Zusammenhang erahnen.
Ohne Spannungen ging es schon Mitte der 740er Jahre nicht ab,
als Bonifatius versuchte, Köln in den Rang einer Metropole zu erhe-
ben. Wir wissen von dem Projekt allein aus dem Briefwechsel des
Angelsachsen mit dem Papst Zacharias. Am 31. Oktober 745 befür-
wortete Zacharias einen diesbezüglichen Beschluß, den eine Synode
im Frankenreich in Gegenwart Pippins und Karlmanns herbeigeführt
hatte. Bonifatius hatte darüber dem Papst in einem – heute verlore-
nen – Schreiben berichtet: Demnach war geplant, daß Bonifatius Zeit
seines Lebens die civitas Köln als sedes metropolitana innehabe; und
auch seine Nachfolger sollten dieses Bistum perpetuo iure als Metropole
besitzen  63. Das Projekt wurde jedoch nicht verwirklicht. Am 1. Mai

61
 So schon im Concilium Germanicum, c. 1, op. cit., S. 3; dann im Concilium Suessionense, c. 3
(op. cit., S. 34); und auch noch im Capitulare Haristallense, c. 2, op. cit., S. 47.
62
 E. Ewig, „Milo…“, op. cit., S. 204.
63
  JW 2274 = Hg. M. Tangl, MGH…, op. cit., Nr. 60, S. 121: De eo namque quod suggessisti,
quod elegerunt unam civitatem omnes Francorum principes coniungentem usque ad paganorum fines
et in partes Germanicarum gentium, ubi antea predicasti, quatenus ibi sedem metropolitanam perpetuo
tempore habere debeas et inde ceteros episcopos ad viam instrueres rectitudinis et post tui successores
perpetuo iure possideant: hoc, quod decreverunt, nos laeto suscepimus animo, eo quod ex Dei nutu
factum est. Daß sich allerdings schon zu diesem Zeitpunkt Widerstand geregt hatte, zeigt der
unmittelbar darauffolgende Kommentar des Papstes: Vel siquidem falsi sacerdotes et scismatici
hoc impedire conati sunt, quorum vanum agonem Dominus dissipabit et illa faciet stabilita, quae
sanctorum patrum statutis conveniunt concordare.

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wohl des Jahres 748 antwortete Zacharias auf einen weiteren verlore-
nen Brief des Bonifatius; darin hatte der Angelsachse dem Papst unter
anderem mitgeteilt, daß die Franci ihr Wort nicht gehalten hätten und
er sich nunmehr in Mainz aufhalte 64. Tatsächlich wird schon in einem
päpstlichen Schreiben vom Sommer 747 als Bischof von Köln ein
Agilolf genannt. Wichtig ist, daß dieser Geistliche offensichtlich zur
Gruppe der Reformbischöfe gehörte  65, nicht dagegen zu jenen von
Bonifatius immer wieder wegen ihrer Lebensführung getadelten
Geistlichen, die der Papst später einmal als Milo et eiusmodi similes
bezeichnete 66. Wenn Bonifatius seine Absicht, Köln zur Metropole zu
erheben, nicht durchsetzen konnte, dann stieß er in dieser Frage also
nicht nur bei den ohnehin reformfeindlichen Teilen des fränkischen
Episkopats auf Widerstand.
Spätestens seit Hauck geht die Forschung nun davon aus, daß
Mainz unter Bonifatius nicht zur Metropole erhoben worden sei. Viel-
mehr habe der Angelsachse – der ja bereits seit 732 Erzbischof war
– nur persönlich seinen Status behalten: ein Erzbischof ohne Metro-
pole 67. Ob diese scharfsinnige kirchenrechtliche Unterscheidung der
Realität der Umbruchssituation um 750 ganz gerecht wird, sei dahin-
gestellt  68. In jedem Falle aber waren der Status von Mainz und der
Umfang seiner möglichen Kirchenprovinz noch unter Lul so unbe-
stimmt, daß man dort glaubte, mit Hilfe einer Fälschung Ansprüche
begründen und durchsetzen zu können. Es hat sich ein Schreiben des
Zacharias erhalten, in dem der Papst dem Erzbischof Bonifatius und
seinen Nachfolgern Mainz als metropolis zuerkennt und ihm Lüttich,
Köln, Worms, Speyer und Utrecht unterstellt  69. Mehrere Indizien
sprechen dafür, daß ein Fälscher hierfür ein echtes Schreiben des
Papstes an Bonifatius umgearbeitet hat: eben jenen Text, mit dem der
Papst nicht Mainz, sondern Köln zur Metropole erhoben hatte. Bei
der plumpen Umarbeitung begnügte sich der Fälscher damit, jeweils
das Wort „Köln“ durch „Mainz“ zu ersetzen. Das genaue Ziel dieser
Arbeit ist allerdings nicht mehr zu erkennen: Sollte Mainz damit über-

64
  JW 2286 = Hg. M. Tangl, MGH…, ibid., Nr. 80, S. 179 sq.
65
 Vgl. JW 2287 = Hg. M. Tangl, MGH…, ibid., Nr. 82, S. 182.
66
  Zacharias lobte diese Geistlichen jedenfalls ausdrücklich und empfahl ihnen Bonifatius:
ibid., S. 182 sq.
67
 A. Hauck, Kirchengeschichte…, op. cit., t. 1, S. 550.
68
  Haucks These beruht letztlich nur darauf, daß Lul, der Nachfolger des Bonifatius, erst
von 782 an als archiepiscopus nachweisbar ist.
69
  JW 2292 = Hg. M. Tangl, MGH…, ibid., Nr. 88, S. 201 sq.; zum Folgenden vgl. die Analyse
von M. Tangl, „Studien zur Neuausgabe…“, op. cit., S. 785-788.

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haupt erst den Status einer Metropole erhalten? Oder ging es ledig-
lich darum, die Grenzen der Mainzer Kirchenprovinz verbindlich zu
umreißen, weil diese noch strittig waren? Wie auch immer man die
Fragen beantwortet – schon der Akt der Verfälschung an sich deutet
darauf hin, daß in den Jahren nach 754  70 die Festlegung eines
Me­tropolitansitzes und die Abgrenzung einer Kirchenprovinz für die
Germania umstritten waren.
Über Konflikte, die dieselben Fragen im Süden Galliens heraufbe-
schworen, informiert uns ein Kapitel der Frankfurter Synode von
794  71: Dort ist die Rede von einer altercatio zwischen dem Bischof
Ursio von Vienne und dem advocatus namens Elifantus, der den
Bischof von Arles vertrat. Strittig waren auch hier die Festlegung der
Metropolitansitze und der Umfang der Kirchenprovinzen. Eine
Lösung suchten die Teilnehmer der Frankfurter Synode in der Tradi-
tion, nämlich in Briefen von Päpsten des 5. und 6. Jahrhunderts. Auf
dieser Basis legten sie fest, daß sowohl Vienne als auch Arles Metro-
polen sein sollten; Vienne sollten vier Suffragane unterstehen, Arles
dagegen neun. Über die Stellung von Tarantaise, Embrun und Aix
sollte dagegen erst noch ein Urteil des Papstes eingeholt werden.
Genaueres über Verlauf und Hintergründe des Streits erfahren wir
nicht, doch zeigt die Frankfurter Bestimmung, wie schwer eine Ent-
scheidung in dieser Frage fiel: Der Rückgriff auf die Autorität des
Papstes schien notwendig.
Daß auch Trier und Metz miteinander über die Metropolitanwürde
stritten, ist durch die Forschungen Otto Gerhard Oexles und Aline
Poensgens bestens bekannt 72. Angilram von Metz bemühte sich dem-
nach nicht zuletzt dadurch um den Aufstieg seiner sedes zur Metro-
pole, daß er 784/785 Paulus Diaconus beauftragte, die Historia episco-
porum Mettensium zu verfassen. Während Lul in Mainz seine Ansprüche
durch die Verfälschung eines Papstbriefes durchzusetzen versuchte,
ließ Angilram also ein Geschichtswerk schreiben, das formal an den

70
 Die handschriftliche Überlieferung belegt, daß die Fälschung am Ende des 8. Jahrhun-
derts bereits vorlag: M. Tangl, „Studien zur Neuausgabe…“, ibid., S. 787. Auch der Umfang
der Provinz, der in dem Schreiben vorgesehen ist, paßt am ehesten in die Frühzeit Luls.
71
 Das folgende nach Capitulare Francofurtense, c. 8, op. cit., S. 167.
72
 A. Poensgen, Geschichtskonstruktionen…, op. cit., S. 23 sqq., zusammenfassend S. 70-73;
O. G. Oexle, „Die Karolinger und die Stadt des heiligen Arnulf“, Frühmittelalterliche Studien,
1 (1967), S. 250-364. D. Kempf [„Paul the Deacon’s Liber de episcopis Mettensibus and the
role of Metz in the Carolingian realm“, Journal of Medieval History, 30 (2004), S. 279-299]
kennt die Dissertation von Poensgen nicht, gelangt aber zu ähnlichen Ergebnissen, aller-
dings ohne sie in den zeitgenössischen Konflikt um die Metropolitanwürde einzuordnen.

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römischen Liber pontificalis angelehnt war. Die Bistumsgeschichte


führte den Lesern das hohe Alter der Metzer sedes vor Augen und
belegte in aller Klarheit die Nähe des Bistums zur Familie der Karo-
linger.
Möglicherweise hat man in Trier in den Jahren um 800 im Gegen-
zug ebenfalls das Mittel der Geschichtsschreibung genutzt, um eigene
Ansprüche zu untermauern. Die Annales Laureshamenses begründen
in einer berühmten Formulierung, auf welcher Basis Papst Leo III.
und die römische Geistlichkeit Karl zum Kaiser erhoben hätten.
Wesentlich war demnach die Tatsache, daß Karl nicht nur Rom
beherrschte, „wo stets die Kaiser sich aufzuhalten pflegten“, sondern
zudem auch alle übrigen kaiserlichen sedes innehatte, und zwar per
Italiam seu Galliam nec non et Germaniam  73. Man darf fragen, welche
sedes denn der Annalist im Auge hatte – und wird sich außer auf die
Metropolen Mailand, Ravenna und Arles auch auf Trier verwiesen
sehen 74. Wenn die Lorscher Annalen wirklich, wie Heinrich Fichten­au
vermutet hat 75, unter der Ägide von Richbod von Trier verfaßt worden
sind, dann kann man den vielzitierten Satz demnach auch als eine
selbstbewußte Hervorhebung des eigenen Status lesen: Trier war eine
alte, eine kaiserliche sedes. Das könnte ein historisches Argument im
Streit um die Metropolitanwürde gewesen sein, der jedenfalls zur
Abfassungszeit des Jahresberichts noch zwischen Metz und Trier
schwelte.

4. Metropoliten und Erzbischöfe zwischen Tradition und


neuem Wissen

Die Wiederbelebung einer Metropolitanordnung im Frankenreich


dauerte schließlich auch deshalb etliche Jahrzehnte, weil sich erst ein
neues Wissen darüber etablieren mußte, welche Bistümer Metropolen

73
  Annales Laureshamenses, a. 801, Hg. G. H. Pertz, MGH, SS, 1, Hannover, 1826, S. 38.
74
 Vgl. P. Classen [Karl der Große, das Papsttum und Byzanz. Die Begründung des karolingischen
Kaisertums. Nach dem Handexemplar des Verfassers, Sigmaringen, 1985 (Beiträge zur Geschichte
und Quellenkunde des Mittelalters, 9), S. 61] demzufolge mit den sedes Ravenna und Mai-
land, Trier und Arles gemeint sein müßten. In der Germania befand sich keine alte kaiser-
liche sedes; möglicherweise spielte der Annalist auf Aachen an, das er am Ende desselben
Jahresberichts ausdrücklich als Karls sedes bezeichnete.
75
  H. Fichtenau, „Abt Richbod und die Annales Laureshamenses“, in Beiträge zur Geschichte
des Klosters Lorsch, Lorsch, 1978 (Geschichtsblätter für den Kreis Bergstraße, Sonderband,
4), S. 277-301.

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waren, was einen Metropoliten auszeichnete und welche Kompeten-


zen und Pflichten ein Metropolit hatte. Dieser Prozeß der Wissensbil-
dung erstreckte sich noch bis weit in die zweite Hälfe des 9. Jahrhun-
derts hinein und verlief im Westen und im Osten des Reiches unter-
schiedlich. Die pseudoisidorischen Fälschungen beispielsweise, deren
Kern vielleicht schon in den 830er Jahren entstanden ist 76, lassen sich
ebenso als eine Stufe in diesem Prozeß verstehen wie die späteren
Auseinandersetzungen zwischen Hinkmar von Reims und seinen Suf-
fraganen Rothad von Soissons 77 und Hinkmar von Laon 78 oder der
Streit zwischen Hinkmar von Reims und Ansegis von Sens im Jahr 876
um den Vorrang 79 – ein Konflikt, der den Reimser Erzbischof veran-
laßte, seinen Traktat De iure metropolitanorum zu verfassen 80.
Dabei ist zu bedenken, daß die neue Ordnung im Widerspruch
stand zur kontinentalen Tradition. Exemplarisch greifbar wird dieses
Problem in Fulda: Wahrscheinlich zwischen 816 und 819 verfaßte
dort der junge Klosterlehrer Hrabanus sein Lehrbuch De institutione
clericorum, mit dessen Hilfe sich Geistliche über zentrale Fragen des
kirchlichen Lebens informieren sollten. Gewidmet ist das Buch einem
Metropoliten und Erzbischof: Haistulf von Mainz. In seiner Vorrede
versicherte ihm Hraban, er habe sich in jeder Hinsicht an der aucto-
ritas maiorum orientiert. Unter den zehn Autoren, deren Namen Hra-

76
 Dazu die Beiträge von K.  Zechiel-Eckes, „Zwei Arbeitshandschriften Pseudoisidors
(Codd. St. Petersburg F. v. I. 11 und Paris lat. 11611)“, Francia, 27/1 (2000), S. 205-210;
Id., „Ein Blick in Pseudoisidors Werkstatt. Studien zum Entstehungsprozeß der Falschen
Dekretalen“, Francia, 28/1 (2001), S. 37-90; Id., „Auf Pseudoisidors Spur. Oder: Versuch,
einen dichten Schleier zu lüften“, in W. Hartmann und G. Schmitz (Hg.), Fortschritt durch
Fälschungen? Ursprung, Gestalt und Wirkungen der pseudoisidorischen Fälschungen. Beiträge zum
gleichnamigen Symposium an der Universität Tübingen vom 27. und 28. Juli 2001, Hannover,
2002 (MGH, Studien und Texte, 31), S. 1-28; zustimmend J. Fried, vgl. aber auch die Skep-
sis von H. Fuhrmann, „Stand, Aufgaben und Perspektiven der Pseudoisidorforschung“, in
W. Hartmann und G. Schmitz (Hg.), Fortschritt…, ibid., S. 254 sq. mit Anm. 67.
77
 Dazu H. Fuhrmann, Einfluß und Verbreitung der pseudoisidorischen Fälschungen. Von ihrem
Auftauchen bis in die neuere Zeit, t. 2, Stuttgart, 1972 (Schriften der MGH, 24/II), S. 254-272
(zu Hintergründen und Verlauf des Streits und zur Rolle der pseudoisidorischen Fälschun-
gen in der Auseinandersetzung); außerdem W. Hartmann, Die Synoden der Karolingerzeit im
Frankenreich und in Italien, Paderborn et al., 1989, S. 313-316.
78
 Dazu P. R. McKeon, Hincmar of Laon and Carolingian Politics, Urbana et al., 1978, bes.
S. 132-155; W. Hartmann, Die Synoden…, ibid., S. 321-327; H. Fuhrmann, „Fälscher unter
sich: zum Streit zwischen Hinkmar von Reims und Hinkmar von Laon“, in M. T. Gibson
und J. L. Nelson, Charles the Bald. Court and Kingdom, Aldershot, 1990, S. 224-234.
79
 Vgl. dazu Hinkmars Bericht in den Annales Bertiniani, a. 876, Hg. F. Grat, J. Vielliard,
S. Clémencet und L. Levillain, Paris, 1964, S. 201-205; vgl. zu den Ereignissen W. Hart-
mann, Die Synoden…, ibid., S. 333-336; J. L. Nelson, Charles the Bald, London et al., 1992,
S. 243 sq.
80
  Hinkmar von Reims, De iure metropolitanorum, PL, 126, Sp. 189-210.

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ban dabei als seine Vorbilder auflistete, findet sich auch derjenige
Isidors von Sevilla  81. So orientierte sich der Fuldaer Lehrer auch in
Fragen der Hierarchie an Isidors Etymologien, stand hier jedoch vor
einem Problem: Isidor hatte, wie schon bemerkt, Erzbischöfe und
Metropoliten voneinander geschieden 82. Autorität und gegenwärtige
Praxis wichen also offenkundig voneinander ab. Hraban hatte genug
Selbstbewußtsein, in dieser Frage die Autorität Isidors zu korrigieren
– wenn auch mit möglichst geringfügigen Eingriffen in den Wortlaut
seiner Vorlage. So formulierte er frei nach Isidor: Ordo autem episcopo-
rum tripertitus est, id est in patriarchis, a r c h i e p i s c o p i s , q u i e t m e t -
r o p o l i t a n i s u n t , in episcopis 83. Später kürzte er Isidors Bemerkun-
gen über die archiepiscopi und fügte eine Beschreibung dessen, was ein
Metropolit war, in eigenen Worten hinzu  84. Sein Kapitel über das
Pallium mußte Hraban dann sogar vollständig selbst formulieren 85.
Daß ein solcher Umgang mit der Tradition nicht selbstverständlich
war, zeigt ein Text eines anderen monastischen Spitzengelehrten der
Zeit. Nach dem Tode Ludwigs des Frommen seines Abbatiats entho-
ben, schrieb Walahfrid 841 auf der Reichenau eine Liturgiegeschichte,
in der er nachzuweisen versuchte, daß die Formen und Begriffe der
Liturgie nicht von Gott geoffenbart, sondern allmählich von Men-
schen entwickelt worden seien  86. Ganz am Ende dieser Schrift prä-
sentierte Walahfrid seinen Lesern eine comparatio ecclesiasticorum ordi-
num et saecularium 87. Dem Gelehrten selbst erschien das als ein Wagnis
– wußte er doch, wie sehr sich die ordinationes potestatum et officiorum
im Laufe der Geschichte je nach Völkern, Regionen und Zeiten unter-
schieden hatten. Wer könne schon überblicken, klagte Walahfrid,
welche Ämter zu welchen Zeiten neu hinzugekommen, welche sich
in andere umgewandelt und welche ganz fortgefallen seien! Ange-

81
  Hrabanus Maurus, De institutione clericorum libri tres, Prolog, Hg. D. Zimpel, Frankfurt/
Main et al., 1996 (Freiburger Beiträge zur mittelalterlichen Geschichte, 7), S. 282 sq.; zur
Datierung der Schrift vgl. D. Zimpel (ibid., S. 11-33), der aber meines Erachtens die Bezüge
zu den Aachener Reformsynoden 816-818 überbetont.
82
 Vgl. oben, Anm. 50.
83
  Hrabanus Maurus, De institutione clericorum…, lib. I, c. 5, ibid., S. 297.
84
  Hrabanus Maurus, De institutione clericorum…, lib. I, c. 5, ibid., S. 298: Metropolitanus
autem idem vocatur, eo quod praesideat illi civitati, quae ceteris civitatibus in eadem provincia con­
stitutis quodammodo mater sit. Metropolis ergo graece mater civitas interpretatur.
85
  Hrabanus Maurus, De institutione clericorum…, lib. I, c. 23, ibid., S. 315.
86
  Walahfrid Strabo, Libellus de exordiis et incrementis quarundam in observationibus ecclesias-
ticis rerum, Hg. A. L. Harting-Correa, Leiden et al., 1996 (Mittellateinische Studien und
Texte, 19).
87
  Walahfrid Strabo, Libellus de exordiis…, c. 32, ibid., S. 188.

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sichts dessen wollte sich der Gelehrte nur auf die bekannteren Dinge
beschränken  88. Für die kirchliche Hierarchie aber übernahm er
dabei, ohne zu zögern, Isidors alte Vierteilung: Patriarchen entspra-
chen demnach im weltlichen Bereich den patricii; die archiepiscopi, qui
ipsis metropolitanis praeminent, stellte Walahfrid den Königen gegen-
über; die Metropoliten selbst den duces; und die Bischöfe schließlich
waren den Grafen vergleichbar. Walahfrid betonte, daß die verschie-
denen officia und potestates im Laufe der Jahrhunderte der instabilitas
aller vom Menschen geschaffenen Dinge unterlegen seien 89; vielleicht
benutzte er also nur deshalb Isidors längst überholte Darstellung der
kirchlichen Hierarchie, weil er hoffte, die Leser würden selbst bemer-
ken, daß die Unterscheidung von Metropoliten und Erzbischöfen in
ihrer Gegenwart nicht mehr zutraf. Immerhin zeigt der Text aber
auch dann noch, wie bewußt es Walahfrid war, daß die kirchliche
Hierarchie der eigenen Gegenwart von der Tradition abwich.
Ein anderes Problem, das sich aus dem Unterschied zwischen der
neuen Hierarchie und der Tradition ergab, zeigt exemplarisch die
Hagiographie aus dem Kloster Saint-Wandrille 90. Dort wurden neben
dem Gründungsabt Wandregisel auch die Bischöfe Ansbert von
Rouen, Landbert von Lyon und Vulfram von Sens als Heilige verehrt
und mit Viten bedacht. Die Lebensbeschreibung des Wandregisel ist
in ihrer ursprünglichen, noch vor 700 verfaßten Form überliefert 91,
ebenso eine Vita des Bischofs Audoenus von Rouen 92, zu dessen Zeit
und mit dessen Hilfe Wandregisel das später nach ihm benannte Klo­
ster gegründet hatte. Die Lebensbeschreibungen Ansberts, Landberts
und Vulframs dagegen liegen in überarbeiteten Fassungen vor, die
erst Jahrzehnte später, in den Jahren um 800, hergestellt worden sein

88
  Walahfrid Strabo, Libellus de exordiis…, c. 32, ibid., S. 188).
89
  Walahfrid Strabo, Libellus de exordiis…, c. 32, ibid., S. 188-192).
90
  Zu dem Corpus vgl. grundlegend I. N. Wood, „Saint-Wandrille…“, op. cit.; J. Howe, „The
Hagiography of Saint-Wandrille (Fontenelle) (Province of Haute-Normandie)“, in M. Hein-
zelmann (Hg.), L’hagiographie du haut Moyen Âge en Gaule du Nord. Manuscrits, textes et centres
de production, Stuttgart, 2001 (Beihefte der Francia, 52), S. 127-192; aus der älteren Litera-
tur wichtig ist W. Levison, „Zur Kritik der Fontaneller Geschichtsquellen“, Neues Archiv, 25
(1900), S. 593-607.
91
  Vita Wandregiseli, Hg. B. Krusch, MGH, SSrM, 5, Hannover, 1910, S. 1-24; die älteste
Handschrift – Paris, BnF, lat. 18315, fol. 1-31 – könnte noch aus der Zeit vor 700 stammen:
Vgl. J. Howe, „The Hagiography…“, ibid., S. 163-166; I. N. Wood, „Saint-Wandrille…“, ibid.,
S. 2.
92
  Vita Audoini prima, Hg. W. Levison, MGH, SSrM, 5, Hannover, 1910, S. 536-567; zur
Datierung vgl. die Argumente von W. Levison (ibid., S. 543).

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dürften  93. Die beiden älteren Texte – die Vita Wandregisili und die
ältere Vita Audoeni – enthalten keinerlei Hinweise darauf, daß Audo-
enus den Titel eines archiepiscopus geführt hätte oder Rouen Metro-
pole gewesen wäre. Auch sein Nachfolger Ansbert wird in der frühe­
sten Vita Audoeni lediglich als episcopus tituliert  94. Man darf daher
vermuten, daß Ähnliches auch für die älteren, heute verlorenen Viten
Ansberts, Landberts und Vulframs galt. Die Art und Weise, wie die
Überarbeiter dieser Viten um 800 in der Frage der Metropolitanord-
nung mit dem älteren Material umgingen, verrät jedoch, daß man
einige Mühe hatte, die Tradition des Hauses lückenlos an die verän-
derte kirchliche Hierarchie anzupassen. So verwendete der Redaktor
der Vita Ansberti für seinen Helden fast durchweg „neutrale“ Bezeich-
nungen wie antistes, pontifex oder praesul; ja einmal übernahm er sogar
die Bezeichnung episcopus  95. Immerhin war er bestrebt, die frühere
Vita an die jüngere Entwicklung der Hierarchie anzupassen: So nannte
er Rouen ausdrücklich eine Metropole  96 – aller Wahrscheinlichkeit
nach in Abweichung von seiner verlorenen Vorlage. Im 18. Kapitel
berichtete der Überarbeiter, daß Ansbert dem Kloster Saint-Wandrille
das Privileg gewährt habe, den Abt aus den eigenen Reihen zu wählen.
Dies sei auf einer sinodus generalis im Jahre 688/689 geschehen; und
der Überarbeiter fügte sogar eine Unterschriftenliste in seine Vita ein,
die ursprünglich kaum unter Synodalakten gestanden haben kann 97.
Ansberts Name führt darin eine Abfolge von 16 Bischöfen und weite-
ren Geistlichen an. Unter ihnen allen ist allein Ansbert als archiepisco-
pus hervorgehoben  98. Auch in diesem Falle hat der Überarbeiter
wahrscheinlich die hagiographische Tradition seines Hauses an die
Neuerungen in der Hierarchie angepaßt – nicht zuletzt, um so dem
Wahlrecht seiner eigenen Gemeinschaft eine höhere Verbindlichkeit
zu verleihen.
Ein ähnlich uneinheitliches Bild zeigt die Neufassung der Vulfram-
Vita. Auch hier wird der Heilige in der Mehrzahl der Fälle als pontifex

93
 Dazu mit weiterer Literatur S. Patzold und A. Schorr, „Personennamen in drei hagio-
graphischen Quellen des Frühmittelalters. Die Viten des Austregisel von Bourges, des Ans-
bert von Rouen und des Einsiedlers Goar“, in D. Geuenich und I. Runde (Hg.), Name und
Gesellschaft im Frühmittelalter. Personennamen als Indikatoren für sprachliche, ethnische, soziale und
kulturelle Gruppenzugehörigkeiten ihrer Träger, Hildesheim et al., 2006, S. 73-99.
94
  Vita Audoini prima, c. 18, op. cit., S. 566.
95
  Vita Ansberti, c. 32, Hg. W. Levison, MGH, SSrM, 5, Hannover, 1910, S. 638 sq.
96
  Vita Ansberti, c. 15, ibid., S. 629.
97
 Vgl. die Anm. 2 des Herausgebers W. Levison (Vita Ansberti, ibid., S. 631).
98
  Vita Ansberti, c. 18, ibid., S. 631.

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die ausbildung einer metropolitanordnung im frankenreich

oder praesul bezeichnet, während er einmal auch als episcopus erscheint


– übrigens ebenso wie der heilige Willibrord  99. Einen Versuch, die
hagiographische Tradition an die aktuelle Kirchenhierarchie anzu-
passen, findet man dagegen im dritten Kapitel: Die Stadt Rouen, als
sedes des Ansbert, wird hier mit einem erläuternden Zusatz – quae et
ipsa mater est civitatum – in ihrer besonderen Stellung hervorgeho-
ben 100. Einzig im Prolog, der wahrscheinlich erst durch den Überar-
beiter hinzugefügt wurde und dem Leser eine zeitliche Nähe zur
Lebenszeit des Heiligen vorgaukelt, wird Vulfram dagegen explizit als
archiepiscopus tituliert 101.
Die Vita Landberti ist nur bruchstückhaft überliefert; das einzige
Manuskript, das den Text tradiert, ist im späten 12. Jahrhundert in
Saint-Wandrille geschrieben worden. Hier wird Landbert im Incipit
als archiepiscopus tituliert, aber diese Angabe könnte auch lediglich
eine Zutat des hochmittelalterlichen Kopisten sein. Die Passagen zu
Landberts Episkopat sind in dem Fragment nicht mehr erhalten; mög-
licherweise hatte aber auch hier ein karolingerzeitlicher Überarbeiter
den ältesten Textbestand korrigiert: Die revidierte Vita Ansberti schöpft
die erhaltene, revidierte Vita Landberti aus; dieser Vorlage dürfte der
Überarbeiter die Information entnommen haben, daß Landbert zum
pontifex einer Metropole erhoben wurde und den Titel archiepiscopus
führte 102.
Fest steht, daß der karolingerzeitliche Bearbeiter der älteren Vita
Audoini nachträglich den Status seines Heiligen aufbesserte. Er schrieb
erst, nachdem die Viten Landberts und Ansberts schon überarbeitet
waren, jedoch noch bevor man in Saint-Wandrille die Endredaktion
der Gesta abbatum herstellte 103. Auch er verwendete zumeist den „neu-
tralen“ Begriff pontifex, um Audoens geistliches Amt zu bezeichnen.
Zumindest in seinem Bericht über die zeitgleiche Bischofsweihe des
Audoenus und des Eligius von Noyon aber legte der Bearbeiter Wert
auf einen feinen Unterschied: Audoenus sei zum archiepiscopus von
Rouen, Eligius dagegen zum Noviomagensis episcopus erhoben wor-

99
  Vita Vulframni, c. 9, Hg. W. Levison, MGH, SSrM, 5, Hannover, 1910, S. 668.
100
  Vita Vulframni, c. 3, ibid., S. 663.
101
  Vita Vulframni, Prolog, ibid., S. 661.
102
 So Vita Ansberti, c. 12, op. cit., S. 627 und c. 15 (S. 629).
103
 Die Belege bei W. Levison, in der Einleitung seiner Edition der Vita, Hannover, 1910
(MGH, SSrM, 5), S. 548.

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steffen patzold

den  104. Seine Vorlage war hier die Vita Eligii; sie aber hatte beide
Heilige noch vollkommen gleichrangig als episcopi bezeichnet 105.

5. Fazit

Die Ergebnisse der Untersuchung lassen sich in drei Thesen zusam-


menfassen:
• Es ist keineswegs sicher, daß die Ausbildung der Metropolitan­
ordnung ein Drama in zwei Akten war, wie es die Forschung angenom-
men hat. Die normativen Quellen und auch die wenigen Indizien zur
Praxis lassen sich ohne weiteres zu dem Bild einer langsamen, konti-
nuierlichen Entwicklung zusammenführen, die noch bis weit in das
9. Jahrhundert hinein andauerte.
• Diese lange Dauer erklärt sich weder einfach aus dem mangeln-
den Willen Pippins, noch aus einem grundsätzlichen Politikwechsel
um 747 oder aus dem Desinteresse Karls des Großen an Fragen der
kirchlichen Hierarchie. Vielmehr resultierte die Dauer daraus, daß
die Etablierung einer neuen Hierarchie innerhalb der geistlichen
Elite des Reiches ein hochkomplexer Vorgang war, der sich nur
begrenzt durch normative Vorgaben des Herrschers steuern ließ.
Daneben beeinflußten regionale Streitigkeiten und Konkurrenzen
zwischen einzelnen Bistümern den Prozeß. Und zudem mußte sich
erst allmählich ein neues Wissen über die Metropolitanordnung eta-
blieren – ein Wissen, das im Widerspruch stand zur gelehrten Tradi-
tion, aber auch zu lokalen Traditionen bezüglich der Stellung einzel-
ner sedes.
• Angesichts dessen ist zu fragen, inwiefern gerade für die geistli-
che Elite des Frühmittelalters Veränderungen in der Hierarchie in
besonderem Maße langwierig und schwer durchzusetzen waren.
Einerseits vollzogen sich alle Veränderungen in der kirchlichen Hier­
archie notwendigerweise vor dem Hintergrund einer jahrhunderte-
alten, schriftlich fixierten (und daher nachprüfbaren) Tradition.
Andererseits zeigen aber schon die Beispiele Hrabans, Walahfrids und
der Hagiographen aus Saint-Wandrille, daß man grundsätzlich durch-
aus in der Lage war, auch schriftliche Traditionen subtil an neue Hier­
archien anzupassen.

104
  Vita Audoeni secunda, AA SS Aug. 4, c. III, 20, S. 814.
105
  Vita Eligii, c. 2, Hg. B. Krusch, MGH, SSrM, 4, Hannover, 1902, S. 695 sq.

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Otto Gerhard Oexle

Mönchtum und Hierarchie im Okzident

„H
ierarchie“ ist heute in fast allen Wissenschaftsbereichen
ein „Zentralbegriff der Abstufung, Rangordnung und des
Verhältnisses der Über- und Unterordnung“ 1. Seiner his-
torischen Genese nach ist der Begriff der „Hierarchie“ ein Teil der
Reflexion über soziale „Ordnung“, über „Stände“  2, und begegnet
zum ersten Mal bei jenem anonymen syrischen Autor des späten 5.
und beginnenden 6. Jahrhunderts, der sich in seinen Schriften als der
auf dem Areopag bekehrte Schüler des Apostels Paulus ausgibt, bei
Pseudo-Dionysius Areopagita, den man im Okzident seit dem 9. Jahr-
hundert mit dem heiligen Dionysius, dem Märtyrer und ersten
bekannten Bischof von Paris identifizierte und dessen Schriften jetzt
ins Lateinische übersetzt wurden. Die Reflexion über soziale Ord-
nung, über Stände ist wiederum Teil des Nachdenkens über die von
Gott gesetzte „Ordnung“ der Welt im ganzen, über die Welt als „Kos-
mos“ 3. Im Rahmen dieser Reflexion hatte Pseudo-Dionysius Areopa-
gita, dessen Einfluß auf die Theologie, die Mystik, die Philosophie
und die Soziallehren des Okzidents kaum überschätzt werden kann,
mit seinen Schriften über „Die himmlische Hierarchie“ – das heißt
die Ordnungen der reinen Geistwesen – und „Die kirchliche Hierar-
chie“ – also die Ordnungen der inkarnierten Geistwesen –, den
Gedanken erläutert, daß die von Gott gesetzte Ordnung des Kosmos
von jedem Individuum verlangt, daß es seinen Platz in seinem Stand
einnimmt und das Seine tut, ein Gedanke, den erstmals Platon in
seiner Schrift „Politeia“ erläutert hatte  4. Jeder Stand hat demnach

1
  H. Rausch, „Hierarchie“, Historisches Wörterbuch der Philosophie, 3 (1974), Sp. 1123-1126,
Sp. 1123. Zur kirchlichen Hierarchie und ihren Repräsentationen: D. Iogna-Prat, La
Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, 2006.
2
 O. G. Oexle, „Stand, Klasse (Antike und Mittelalter)“, in O. Brunner, W. Conze und
R. Koselleck (Hg.), Geschichtliche Grundbegriffe, 6, Stuttgart, 1990, S. 180 sq.
3
  H. Meinhardt, W. Hübener, U. Dierse und H.-G. Steiner, „Ordnung“, Historisches Wör-
terbuch der Philosophie, 6 (1984), Sp. 1249-1309; G. Wieland, „Die Ordnung des Kosmos
und die Unordnung der Welt“, in B. Schneidmüller und S. Weinfurter (Hg.), Ordnungs-
konfigurationen im Hohen Mittelalter, Ostfildern, 2006, S. 19-36.
4
 O. G. Oexle, „Stand, Klasse…“, op. cit., S. 161 sq. Über ps.-Dionysius: O. G. Oexle, „Stand,
Klasse…“, ibid., S. 180 sq. und D. Iogna-Prat, La Maison Dieu…, op. cit., S. 83 sqq.

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otto gerhard oexle

seine eigenen Funktionen in der Schöpfung, wo er je eigene Aufga-


ben zu erfüllen hat. Hierarchische Ordnung, soziale Ordnung und
Kosmos sind also Aspekte ein und derselben von Gott geschaffenen
Wirklichkeit. Zu den Ständen der kirchlichen Hierarchie gehören
nach Pseudo-Dionys unter anderem die Bischöfe und die Priester, die
Mönche und die Laien. Die erste systematische Darlegung über die
„Ordnung“ der Welt hatte Augustinus 386 mit seiner Schrift De ordine
verfaßt. Auch seine Auffassungen sind grundlegend, sowohl für sein
Gesamtwerk wie darüber hinaus für das ganze Mittelalter. Auf dem
Ordo-Denken der Stoa (durch Cicero vermittelt) und des Neuplato-
nismus begründet, stellte Augustinus erneut die alte Frage nach der
Einheit hinter der Vielfalt der seienden Dinge. Auch er verknüpfte
das antike Kosmos-Denken mit dem biblischen Schöpfungsglauben.
Ordo wird deshalb in einem doppelten Sinn verstanden: ordo meint
einmal das Mittel, mit dem das Ganze der Welt (universitas) bewegt
und geleitet wird, ordo ist zum anderen die Struktur der Dinge in ihrer
Unterschiedenheit und Vielfalt und ihrer jeweiligen individuellen
Eigenart 5.
Die ältesten Stände-Unterscheidungen im Christentum entstanden
bereits im ersten Jahrhundert 6. Es sind die dies die Ständelehren, die
sich in den Paulus-Briefen und in den deutero-paulinischen Briefen
(1 Tim und 2 Tim) finden und aus denen sich seit der Wende zum
zweiten Jahrhundert eine immer reichere Stände-Lehre entwickelt
hat. Grundlegender als die Vielheit der einzelnen Stände wurde indes-
sen die Zweiteilung der Mitglieder der christlichen Gemeinde in Kle-
rus und Laien, also die grundsätzliche Formation von „Hierarchie“.
Im ersten Clemens-Brief aus den 90er Jahren des ersten Jahrhunderts
werden zum ersten Mal die nicht mit einem Gemeindeamt Betrauten
insgesamt als „Laien“ bezeichnet und in dieser negativen Ausgren-
zung der Gesamtheit der mit einem Amt Betrauten gegenübergestellt.
Der Begriff des „Klerus“ für die Amtsträger war ursprünglich die
Bezeichnung für das ganze christliche Volk als Anteil und Los Gottes,
wurde aber schließlich im zweiten Jahrhundert zur Bezeichnung der
Gesamtheit der Träger kirchenamtlicher Funktionen im Gegensatz
zu den Laien. Im dritten Jahrhundert unterschied Eusebius von Cäsa-
rea in der Kirche zwei Lebensformen: die eine, die dem Dienst an
Gott geweiht ist und sich deshalb fernhält von den weltlichen Verhal-
tensweisen und Geschäften, von Ehe, Handel und Besitz, und eine

 D. Iogna-Prat, La Maison Dieu…, ibid., S. 178 sqq.


5

 D. Iogna-Prat, La Maison Dieu…, ibid., S. 174 sqq.


6

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mönchtum und hierarchie im okzident

andere, die eben wegen des Verhaftetseins an solche weltlichen Bin-


dungen einen untergeordneten Rang einnimmt. Auf dieser Linie hat
sich in den folgenden Jahrhunderten die Unterscheidung der beiden
Stände von „Klerus“ und „Laien“ und damit auch die Begründung
von „Hierarchie“ weiterentwickelt. Bereits im 4. Jahrhundert verfaßte
Bischof Ambrosius von Mailand die erste Standesethik für den Klerus
(De officiis ministrorum), wobei er sich vor allem an Ciceros Pflichten-
lehre (De officiis) anschloß.
Es braucht hier nicht im einzelnen dargestellt zu werden, wie die
Konzipierung eines Kleriker-Standes und die zunächst rein geistlich-
religiös begründete Sonderstellung des Klerus seit dem 4. Jahrhun-
dert eine politische, rechtliche und wirtschaftliche Privilegierung
durch den spätantiken Staat nach sich zog, u. a. durch das privilegium
immunitatis, also die Befreiung von öffentlichen Diensten und Leis-
tungen sowie vom Kriegsdienst, und durch das privilegium fori, also die
Befreiung von der weltlichen Straf- und Zivilsgerichtsbarkeit und die
Gewährung eines eigenen Gerichtsstandes. Die Entwicklung des
zunächst rein kirchlich gesonderten Klerikerstandes zu einem auch
staatlich-politisch und öffentlich-rechtlich herausgehobenen und
abgegrenzten Stand wurde schließlich dadurch stark gefördert, daß
immer mehr der Zölibat als Lebensnorm des Klerikers durchgesetzt
wurde. Auch dieser Prozeß begann im Westen am Beginn des 4. Jahr-
hunderts mit der Geltendmachung der Forderung nach sexueller
Enthaltsamkeit für den verheirateten Kleriker der drei höheren Wei-
hestufen und, im 5. Jahrhundert, mit der Forderung nach dem vollen
Zölibat als Bedingung der Zulassung zum Klerus. Davon wird im fol-
genden noch die Rede sein. Dies geschah nach dem Vorbild des von
Anfang an auf Ehelosigkeit gegründeten Mönchtums, das – abermals
von Augustinus – um 400 als ein weiterer Stand neben Klerus und
Laien definiert wurde. Augustinus erfand das Deutungsschema der
Tria genera hominum, also von Klerus, Mönchen und Laien, in dem er
die definitive, alles umfassende Ständegliederung der christlichen
Gesellschaft sah: es gebe, so Augustinus, keine anderen Stände in der
Kirche als diese drei 7.
Eigentlich aber ist das Mönchtum etwas ganz anderes als jene
„Stände“, denen es schließlich als eigener „Stand“ an die Seite gestellt

7
 O. G. Oexle, „Tria genera hominum. Zur Geschichte eines Deutungsschemas der sozialen
Wirklichkeit in Antike und Mittelalter“, in Institutionen, Kultur und Gesellschaft im Mittelalter.
Festschrift für Josef Fleckenstein zu seinem 65. Geburtstag, Sigmaringen, 1984, S.  483-500;
O. G. Oexle, „Stand, Klasse…“, op. cit., S. 177.

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wurde. Denn der Grundgedanke des Mönchtums ist nicht ein hierar-
chischer, es ist vielmehr der Grundgedanke der Gleichheit. Wir ver-
stehen dies besser, wenn wir den Blick von den Ständebildungen und
der Reflexion über die ständische Ordnung der Welt und der Gesell-
schaft abwenden und unsere Aufmerksamkeit auf die Bildung von
sozialen Gruppen richten 8.

Denn das Christentum ist zwar in höchstem Maße eine Stände


konstituierende, es ist – und wohl noch viel mehr – auch eine grup-
penfreundliche Religion. Dies zeigt sich in der fundamentalen Bedeu-
tung der lokalen Gemeinde, die dem Christentum ein einzigartiges
Profil unter den Weltreligionen gegeben hat 9. Der Islam zum Beispiel
kennt nur eine einzige Gemeinde, nämlich die Gesamtheit der Gläu-
bigen, die „Umma“ 10. Das Christentum hingegen war für sehr lange
Zeit, nämlich von seinen Anfängen bis zum 4. Jahrhundert, eine auf
lokale Gruppen gegründete Religion, die von einem Bischof geleitet
wurden (Bischofsgemeinde). Erst im 4. Jahrhundert haben sich trag-
fähige überregionale Strukturen entwickelt  11. Und mehr noch: es
wird zu wenig beachtet, daß das Christentum schon im ersten Jahr-
hundert seiner Existenz nicht nur einen sondern vielmehr drei Typen
von lokaler Gemeinde entwickelt hat, die sehr unterschiedlich sind
und die die gesamte Geschichte dieser Religion in tiefgehender Weise
geprägt haben. Standen doch die Strukturen dieser drei Typen über
Jahrhunderte nebeneinander, in einer Art von überaus bemerkens-
werter Ko-Präsenz, die von den Historikern weitgehend unbemerkt
geblieben ist, oder zumindest unterschätzt wurde.
Die drei sehr unterschiedlich strukturierten Typen der Gemeinde-
bildung werden in den verschiedenen Schriften des neutestamentli-
chen Kanons in eindrucksvoller Weise sichtbar.

8
 O. G.  Oexle, „Stände und Gruppen. Über das Europäische in der europäischen
Geschichte“, in M. Borgolte (Hg.), Das europäische Mittelalter im Spannungsbogen des Ver-
gleichs. Zwanzig internationale Beiträge zu Praxis, Problemen und Perspektiven der historischen Kom-
paratistik, Berlin, 2001, S. 39-48.
9
  Zum folgenden O. G. Oexle, „Max Weber und das Mönchtum“, in H. Lehmann und
J. M. Ouédraogo (Hg.), Max Webers Religionssoziologie in interkultureller Perspektive, Göttingen,
2003, S. 311-334.
10
  H. Maier, „Die Gemeinde in der Theologie des Christentums“, in P. Blickle (Hg.),
Theorien kommunaler Ordnung in Europa, München, 1996, S. 23; S. Wild, Mensch, Prophet und
Gott im Koran, Münster, 2001, S. 28.
11
 C. Markschies, Zwischen den Welten wandern. Strukturen des antiken Christentums, Frankfurt
a. M., 1997, S. 197 sqq.

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mönchtum und hierarchie im okzident

Da gibt es erstens die spirituelle Gemeinde derer, die durch die


Taufe und vor dem Gericht Gottes gleich sind; und auch wenn es
verschiedene Zuteilungen von Geistesgaben, von Diensten, von Geis-
teswirkungen gibt, so bewirkt doch all dies „ein und derselbe Geist,
der einem jeden in besonderer Weise zuteilt, wie er will“, wie der
Apostel in seinem ersten Brief an die Korinther erläutert (1 Kor 12,
11). Denn „alle sind wir mit einem Geiste getränkt“ (ebd. 13).
Sodann gibt es – und sie wird in den sogenannten Deutero-Pauli-
nen vorgestellt – die hierarchisch geordnete, also die von Episkopen,
Presbytern und Diakonen geleitete Gemeinde, eben jene Gemeinde,
in der dann, am Ende des 1. Jahrhunderts, Klerus und Laien vonein-
ander geschieden sind, wobei die Laien an die Anordnungen der
Kleriker „gebunden“ sein sollen, wie der bereits erwähnte erste Kle-
mens-Brief erläutert (1 Klem 40, 5).
Und schließlich gibt es einen dritten Typus von Gemeinde, um
dessen Gestalt und Zuordnung zu den beiden anderen sich Theolo-
gen, Historiker und Kirchenhistoriker erstaunlich wenig Gedanken
gemacht haben. Es ist dies jener Typus von Gemeinde, der in der
sogenannten „Apostelgeschichte“ des Neuen Testaments als die älteste
Gemeinde zu Jerusalem dargestellt wird. Die Mitglieder dieser Jeru-
salemer Gemeinde, so heißt es hier (Apg. 2, 42ff.), „verharrten in der
Lehre der Apostel und in der brüderlichen Gemeinschaft“ (koinonia);
sie seien „ein Herz und eine Seele“ gewesen (cor unum et anima una;
ebd. 4, 32ff.) – und zwar so und dadurch, daß die Gemeinschaft und
die Eintracht der Gemeinschaftsgesinnung gebunden war an eine
bestimmte soziale und ökonomische Struktur, nämlich an den
Gemeinbesitz: „sie hatten alles gemeinsam“ (erant illis omnia commu-
nia); ihren Grundbesitz und ihre sonstige Habe verkauften sie und
verteilten den Erlös an alle, je nachdem, wie der einzelne es brauchte
(prout cuique opus erat). Und: „Jedem einzelnen wurde davon soviel
gegeben, wie er gerade nötig hatte“ (ebd.). Die Gesinnungsgemein-
schaft wird also durch Gütergemeinschaft konstitutiert, und sie findet
in der Gütergemeinschaft und in der Verteilung der Güter nach Not-
wendigkeit und Bedürfnissen jederzeit ihren Ausdruck.
Dieses Modell der Konstituierung von Gesinnungsgemeinschaft
durch Gütergemeinschaft in einer Gruppe stammt bekanntlich von
den Pythagoräern des 6. vorchristlichen Jahrhunderts  12. Und die
Frage, ob die Jerusalemer Urgemeinde wirklich in dieser Weise gelebt

12
  H. J. Derda, Vita Communis. Studien zur Geschichte einer Lebensform in Mittelalter und Neuzeit,
Köln, 1992, S. 21 sqq.

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hat, oder ob – wofür vieles spricht – der Verfasser der sogenannten


Apostelgeschichte, der ja für Griechen schrieb, mit einer philoso-
phisch-historischen Reminiszenz seiner Jerusalemer Urgemeinde eine
besondere philosophische Dignität zu geben beabsichtigte, ist viel
diskutiert worden 13, was uns hier nicht näher zu beschäftigen braucht.
Wichtig ist, daß für diesen dritten Typus der christlichen Gemeinde
weder das freie, vom göttlichen Geist vermittelte Spiel der Gnaden-
gaben unter Gleichen konstitutiv ist, noch eine hierarchische Ord-
nung. Die Ordnung der Gemeinde wird hier vielmehr konstituiert
durch Eintracht und Gleichheit, welche jedoch spezifisch durch ein
soziales und ökonomisches Prinzip begründet wird, nämlich das der
Gütergemeinschaft. Und es ist die Gütergemeinschaft, die die Ein-
tracht und die Gleichheit unter den Gemeindemitgliedern immerfort
aufs neue bestätigt.
Dies ist der Typus von Gemeinde, auf den sich seit seiner Entste-
hung am Beginn des 4. Jahrhunderts das Mönchtum berufen wird 14.
Am Beginn des 5. Jahrhunderts hat dann wiederum Augustinus als
erster diesen Typus von christlicher Gruppe oder Gemeinde, nämlich
der monastischen, der des Klosters, als Vita Communis bezeichnet und
in den Normen ihres Zusammenlebens im einzelnen erläutert 15.

Das Hauptinteresse von Historikern und Kirchenhistorikern,


Theologen und Exegeten, von Kanonisten und Rechtshistorikern
geht seit jeher dahin, die Frage zu klären, wie sich der Typus eins – die
freie spirituelle Gemeinde, wie sie in den Paulus-Briefen erscheint – in
den Typus zwei – die hierarchisch geordnete Gemeinde der Deutero-
Paulinen und der späteren Zeit – transformiert habe. Für diese Frage
hat sich auch Max Weber lebhaft interessiert. Er beschritt aber zugleich
auch andere Wege der Erkenntnis, indem er von einer ständigen Ko-
Präsenz beider Typen von Gemeinde in der Geschichte des Christen-
tums ausging, zum Beispiel in seinen Überlegungen über den Zusam-

13
  H. J. Derda, Vita Communis…, ibid., S. 37 sqq.
14
  Zum folgenden O G. Oexle „Max Weber und das Mönchtum“ und „Problema voznikno-
venija monašestva“ [Das Problem der Entstehung des Mönchtums], in I. V. Dubrovski,
S. W. Obolenskaja und M. Paramonova (Hg.), Drugie srednie veka [Das andere Mittelalter.
Festschrift zum 75. Geburtstag von Aaron J.  Gurjevič], Moskva/Sankt Peterburg, 2000,
S. 358-375.
15
  H. J. Derda, Vita Communis…, op. cit., S. 13 sqq. und 105 sqq.; U. Meyer, Soziales Handeln
im Zeichen des „Hauses“. Zur Ökonomik in der Spätantike und im früheren Mittelalter, Göttingen,
1998, S. 257 sqq.

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mönchtum und hierarchie im okzident

menhang zwischen der Gemeinde als durch der die Taufe und das
Gericht Gottes gleichen Menschen und der Entstehung der mittelal-
terlichen Stadt-Gemeinde, der Kommune im doppelten Sinn des Wor-
tes: als religiöser und als Bürger-Gemeinde 16.
Und Webers Reflexion über die Ko-Präsenz christlicher Gemein-
detypen in der gesamten Geschichte des Okzidents bezieht sich auch
auf den dritten Typus von Gemeinde, der in dem Œuvre Webers, wie
unlängst treffend festgestellt wurde, eine „werkgeschichtlich übergrei-
fende Thematik“ darstellt 17. Dies ist die Frage nach der Entstehung
des okzidentalen Mönchtums. Aber wissen wir nicht längst, daß das
Mönchtum, auch und gerade in seiner gruppenförmigen Existenz,
aus der Askese der in der Wüste lebenden Anachoreten entstand? So
lautet zumindest die seit langem und auch derzeit noch immer akzep-
tierte Grundannahme der Forschung. Freilich hat sich schon Max
Weber von dieser Meinung distanziert  18 und neue Fragestellungen
und Ergebnisse der Forschung legen uns ebenfalls eine andere Sicht
der Dinge nahe.
Denn seit mehr als zwei Jahrzehnten ist die Forschung über
„Askese“ in der Spätantike zu ganz neuen Auffassungen gelangt. Erin-
nert sei an die Arbeiten von Michel Foucault, Aline Rousselle, Peter
Brown und anderen  19. Demnach ist „Askese“, also Rückzug aus der
„Welt“, ist die Überzeugung von der Schädlichkeit sexueller Beziehun-
gen und ist der Wunsch nach Einschränkung und Kontrolle sexueller
Betätigung in der Spätantike seit dem ersten nachchristlichen Jahr-
hundert ein universeller kultureller Wert. Das aber bedeutet: „Askese“
und insbesondere sexuelle Askese ist nichts spezifisch Christliches.
„Askese“ ist auch keine Erfindung des christlichen Anachoretentums,
das vielmehr lediglich in seiner Weise ein allgemeines kulturelles
Ideal der Spätantike verwirklicht hat. Und: Askese als Lebensideal,
insbesondere im Sinne der sexuellen Enthaltsamkeit, begegnet des-
halb zwar auch im Rahmen des zönobitischen Mönchtums. Doch hat
sie hier keine konstitutive Bedeutung.
Dies führt zu einem zweiten Bereich neuer empirischer Befunde.
Nämlich: daß unsere Kenntnisse von der ältesten Form des mönchi-

16
 Dazu O. G. Oexle, „Max Weber…“, op. cit., S. 313 sqq.
17
 C. Braun, Max Webers „Musiksoziologie“, Laaber, 1992, S. 99, Anm. 19.
18
 Dazu O. G. Oexle, „Max Weber…“, op. cit., S. 316 sqq.
19
 M. Foucault, Histoire de la sexualité, Paris, 1976; A. Rousselle, Porneia, Paris, 1983;
P. Brown, The Body and Society. Men, Women and Sexual Renuncation in Early Christianity, New
York, 1988.

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otto gerhard oexle

schen Zusammenlebens in Gruppen, bei den Pachomianern, in den


pachomianischen Klöstern des beginnenden 4. Jahrhunderts in der
ägyptischen Thebais, sich in einer Weise verändert haben, die den
älteren Forschungsthesen widersprechen. Erst im Laufe des 20. Jahr-
hunderts hat die Forschung die Zeugnisse über das Leben des Pacho-
mius und die Schriften der Pachomianer umfassend und überliefe-
rungskritisch analysiert und in Editionen und Übersetzungen zugäng-
lich gemacht  20. Deshalb ist es erst seit relativ kurzer Zeit, seit drei
Jahrzehnten etwa, möglich, die Konsequenzen aus dieser editorischen
und interpretatorischen Arbeit zu ziehen  21. Ich kann hier nur in
Andeutungen die neue Sicht des pachomianischen Mönchtums skiz-
zieren 22.
Die Frage nach der Genese des zönobitischen Mönchtums – ent-
weder aus der „Askese“ oder aus der Vita Communis –, die eine zentrale
Forschungsfrage darstellte und offenbar noch immer darstellt, kann
hier nicht näher erörtert werden. Es sei nur darauf hingewiesen, daß
diese Frage bereits um 400 erörtert wurde, wie die entsprechenden,
gegeneinandergestellten Deutungen in der Wiedergabe bei Johannes
Cassian zeigt, und: daß bereits die Pachomianer des 4. Jahrhunderts
in ihrer Überlieferung diese Frage erörterten und dahingehend ent-
schieden, daß Askese im Sinne der Wüstenaskese eines Antonius und
Vita Communis im Sinne des Pachomius zwei verschiedene Wege sind,
die beide im Rahmen christlicher Lebensformen ihre Berechtigtheit
haben, auch wenn die eine Form nicht auf die andere zurückgeführt
werden kann. Auch dies kann in unserem Zusammenhang nicht
näher erörtert werden.
Wenden wir uns statt dessen dem gemeinsamen Leben, der vita
communis der Mönche im pachomianischen Kloster zu. Es wird in der
pachomianischen Überlieferung in seinen alle Bereiche des mensch-
lichen Lebens regulierenden Dimensionen überaus deutlich sicht-
bar 23.
Wir finden hier die Gemeinsamkeit des Lebensraums, des Woh-
nens im Kloster mit seinen Häusern und Werkstätten, mit Speiseraum
und Gebetsraum, mit Küche, Krankenhaus, Gästehaus und Pforten-

20
 Dazu O. G. Oexle, „Max Weber…“, op. cit., S. 324.
21
 Dazu vor allem H. Bacht, Das Vermächtnis des Ursprungs. Studien zum frühen Mönchtum,
t. 1, Würzburg, 1972, und Id., Das Vermächtnis…, ibid., t. 2 (Pachomius. Der Mann und sein
Werk), Würzburg, 1983, sowie P. Rousseau, Pachomius. The Making of a Community in Fourth-
Century Egypt, Berkeley, 1985.
22
 Vgl. O. G. Oexle, „Max Weber…“, op. cit., S. 325 sqq.
23
  Zum folgenden bereits O. G. Oexle, „Max Weber…“, ibid., S. 325 sqq.

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mönchtum und hierarchie im okzident

haus, – ein Lebensraum, der von einer Mauer umschlossen und damit
von der Außenwelt abgegrenzt war. Im Innern dieses Raumes wurde
das Gemeinschaftsleben bestimmt von körperlicher Arbeit und der
Gemeinsamkeit des Tisches, des Gebets und der Liturgie. Dieses
Zusammenleben war ein regelgebundenes Leben und implizierte die
Verpflichtung zum Gehorsam gegenüber der Regel und dem Abt. In
diesem Gehorsam war beschlossen eine Disziplinierung, eine „Uni-
formierung“ 24 des Lebens und der ganzen Lebensführung, äußerlich
sichtbar in der Einheitlichkeit der Kleidung und des Tagesablaufs.
Der Begriff, der dabei immer wieder begegnet, heißt (in lateinischer
Übersetzung): ordo, oder: ordo disciplinaris. Dieser ordo ist so angelegt,
daß die geregelte und disziplinierende Lebensführung im Kloster ein
normales Leben, ein alltägliches Leben begründet. Es soll eine
Lebensweise für viele sein. Der ordo disciplinaris bedeutet ein „gewöhn-
liches Leben“  25, ohne Übertreibungen, auch nicht im Maß des Fas-
tens, des Wachens und des Gebets, also der „Askese“, vielmehr mit der
Zuweisung von täglich zwei Mahlzeiten und der Sicherstellung von
ausreichendem Schlaf. Denn in der Mitte des Zusammenlebens steht
nicht die „Askese“, sondern steht vielmehr die Gütergemeinschaft,
das kommunitäre Armutsideal, das die Befriedigung der Grundbe-
dürfnisse an Behausung, Kleidung und Nahrung aus dem Gemeinbe-
sitz aller vorsieht, aus dem jedem zugeteilt wird, was er braucht. Dies
bedeutet: Der Lebensstandard der pachomianischen Mönche lag
„weit über dem, was sich die Armen des Landes zu jener Zeit leisten
konnten“  26. Man kann diesen, von der monastischen Gemeinwirt-
schaft ermöglichten Lebensstandard, gemessen an den asketischen
Vorstellungen der Anachoreten oder auch an der Lebensweise der
unfreiwillig Armen in der Bevölkerung, aus der sich die Mönche meis-
tens rekrutierten, als „ausgesprochen gut“ bezeichnen 27. Das war auch
dadurch bedingt, daß die gemeinsame körperliche Arbeit ein wesent-
liches Moment des pachomianischen Klosterlebens war, und zwar als
„Verpflichtung zu produktiver Arbeit“ und nicht nur als „rein aske-
tisch orientierte Beschäftigung“, wie wir sie bei den Individual-Asketen
der Wüste, bei den Anachoreten finden  28. Dies beruhte auf der –

24
 So H. Bacht, Das Vermächtnis…, op. cit., t. 2, S. 36.
25
  H. Bacht, Das Vermächtnis…, ibid., t. 2, S. 41.
26
  H. Bacht, Das Vermächtnis…, ibid., t. 1, S. 113, Anm. 97.
27
  B. Büchler, Die Armut der Armen. Über den ursprünglichen Sinn der mönchischen Armut,
München, 1980, S. 83.
28
  H. Bacht, Das Vermächtnis…, op. cit., t. 2, S. 36.

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gemessen an antiken Lebensnormen – uneingeschränkt positiven


Bewertung der körperlichen Arbeit in den Evangelien; es war zugleich
ein Moment, das seinerseits Gleichheit schuf, und es war auch ein
Moment, das den Mönch grundsätzlich vom Kleriker unterschied, der
ja – auf der Grundlage paulinischer Maximen und bis zum Ende des
Ancien Régime – einen Anspruch darauf hatte, seinen Lebensunter-
halt nicht selbst verdienen zu müssen, sondern aus der Arbeit anderer
zu erhalten 29.
Das prägende Lebensideal der Pachomianer ist nicht das der
Askese. Ihr Leitwort war vielmehr, vielfältig dokumentiert: „Gemein-
schaft“, griechisch koinonia, lateinisch communio. Auch verwendeten
sie den Begriff des „gemeinsamen Lebens“, koinos bios, und verwiesen
ausdrücklich auf die Apostelgeschichte des Neuen Testaments und
die dort überlieferte Lebensweise der ältesten Gemeinde in Jerusa-
lem.
Daß es im pachomianischen Mönchtum in erster Linie nicht um
Askese, sondern um eine Form des Zusammenlebens für viele ging,
kommt auch darin zum Ausdruck, daß dieses Mönchtum seinen
Beginn gar nicht in der Wüste genommen hat, wie immer angenom-
men wird. Denn die Thebais, in der die Klostergründungen des
Pachomius lagen, war das „Strahlungsfeld einer agilen“ und „vorwie-
gend merkantil bestimmten Stadtkultur“. Das pachomianische Mönch-
tum hat sich also nicht in die Wüste geflüchtet, sondern sich bewußt
der Auseinandersetzung mit der „Welt“ und ihren Manifestationen
gestellt, auch mit der noch „heidnischen“ Zivilisation der Städte  30.
Die Vita communis der Pachomianer ist also nicht die Lebensform von
einsam lebenden Wüsten-Asketen, sondern ist schon von ihrer Genese
her mit Urbanität verknüpft. Dem entspricht das hohe Maß von Refle-
xion, das dieser „urbanen“ Lebensform zugrundeliegt.
Askese im Sinne der Anachorese Einzelner in der Wüste, in strengs-
ter Einsamkeit, mit vollständigem Verzicht auf materiellen Besitz, mit
Geringschätzung der Arbeit, systematischer Vernachlässigung des Kör-
pers und seiner Bedürfnisse und einer allgemeinen „Kulturfeindlich-
keit“, ist also etwas ganz anderes als das zönobitische Gemeinschafts-
leben im Sinne von Vita Communis und koinos bios. Dieses war etwas
anderes und es war zugleich etwas Neues. Es war neu durch den Inhalt
einer durch Gütergemeinschaft konstituierten Gesinnungsgemein-

 Dazu O. G. Oexle, „Stand, Klasse…“, op. cit., S. 170 sq. und 176 sq.
29

 So E. Brammertz, Das ägyptische Mönchtum als soziologische Erscheinung. Schenute von Atripe,
30

München, 1954, zitiert nach H. Bacht, Das Vermächtnis…, op. cit., t. 2, S. 14 sq.

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schaft, welche die Gleichheit aller implizierte und wodurch man die
Exemplarität des ursprünglichen christlichen Gemeindelebens im
Sinne der neutestamentlichen Apostelgeschichte in neuer Weise zu
erreichen und in der eigenen Zeit neu darzustellen hoffte. Neu war
es aber auch durch die Form des ordo disciplinaris, die dem Einzelnen
zwar Verzichte auferlegte, ihn aber eben dadurch in die „methodische
Lebensführung“ (Max Weber) 31 eines gemeinsamen Lebens einband.
Dadurch gehörte die Erbringung kultureller Leistungen zum Pro-
gramm, – und bereits die Realisierung von Vita Communis, von „Gesin-
nungsgemeinschaft durch Gütergemeinschaft“ und der damit verbun-
dene ordo disciplinaris sind eine solche kulturelle Leistung.
Natürlich finden wir im pachomianischen Kloster auch die Askese
in ihren „weltüberwindenden“ Formen, aber sie wird – und das ist
wichtig – durch die Normen des gemeinsamen Lebens und das heißt
auch: im Sinne der Gleichheit aller begrenzt. Anders gesagt: der Asket
– im Sinne der Wüsten-, im Sinne der anachoretischen Askese – ist im
Kloster eine „gefährliche“ Figur. Er ist ebenso „gefährlich“ wie der
Adlige oder der Priester, weil er die „Uniformität“ der gemeinsamen
Lebensweise und damit die Gleichheit aller in Frage stellt. Viel wich-
tiger ist eben deshalb im Rahmen von Vita Communis eine ganz andere
Form von „Askese“: jene nämlich, die im Verzicht auf die Geltendma-
chung des Individuums und seiner individuellen Bedürfnisse durch
die Disziplinierung eben dieser Bedürfnisse besteht.

Die Bedeutung der konstitutiven Idee der Vita Communis, das Vor-
bild der apostolischen Urgemeinde mit ihrer Begründung von Gesin-
nungsgemeinschaft durch Gütergemeinschaft ließe sich auch an der
Begründung des Mönchtums bei Augustinus nachweisen. Es war auch
der Wunsch des Augustinus, in seinen Klöstern diesem apostolischen
Urbild christlicher Gemeinschaft „zu neuem Leben zu verhelfen“ 32.
Deshalb die intensive Beschäftigung auch des Augustinus mit der
Bedeutung der körperlichen Arbeit der Mönche in seiner Schrift De
opere monachorum 33. Dasselbe gilt für Benedikt und seine Regel, die in
den Kapiteln 33 und 34 dezidiert auf die Frage von Arbeit, Eigentum
und Gemeinbesitz eingeht. Vor allem das „Laster“ des Privatbesitzes

31
 Dazu O. G. Oexle, „Max Weber…“, op. cit., S. 328 sq.
32
 A. Zumkeller, Das Mönchtum des heiligen Augustinus, Würzburg, 1968, S. 175 sq.; G. Law-
less, Augustine of Hippo and his Monastic Rule, Oxford, 1987, S. 128 sq.
33
 A. Zumkeller, Das Mönchtum…, ibid. S. 229 sqq.

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müsse im Kloster „mit der Wurzel ausgerottet werden“, so heißt es hier.


Alles Notwendige aber dürfe der Mönch vom Abt erwarten – omnia vero
necessaria a patre sperare monasterii. Denn: „Alles sei allen gemeinsam,
wie es in der Schrift heißt, so daß keiner etwas sein Eigentum nennt
oder es als solches beansprucht“. Und: „Wie es in der Schrift heißt:
jedem wurde zugeteilt was er nötig hatte“. Was, wie Benedikt erläutert,
nicht bedeute, „daß es ein Ansehen der Person geben darf“, sondern
nur, „daß man auf die verschiedenen Bedürfnisse Rücksicht nimmt“.
Dementsprechend dezidiert sind die Äußerungen der Benedikt-Regel
zur körperlichen Arbeit: Müßig-Sein ist der „Feind der Seele“ (RB,
c. 48, 1), ein Satz, der die völlige Aufhebung einer grundsätzlichen
antiken Maxime bedeutet, wonach körperliche Arbeit den Menschen
nicht nur beschmutzt, sondern auch sozial und geistig erniedrigt, und
die Muße (otium) die Voraussetzung aller großen Taten ist 34. Für Bene-
dikt aber sind die Mönche erst dann „wirklich Mönche“ (vere monachi),
wenn sie „von der Arbeit ihrer Hände leben“ – si labore manuum suarum
vivunt; RB, c. 48, 8 –, „wie unsere Väter und die Apostel“. Die Bedeu-
tung dieser Maxime für die Geschichte und Bewertung der körperli-
chen Arbeit im Okzident kann kaum überschätzt werden 35.
Es ist uns nicht mehr ohne weiteres geläufig, daß – wie schon ange-
deutet – das frühe Mönchtum im wesentlichen von Laien getragen
war. Die monastische Bewegung der Vita Communis seit Pachomius ist
wesentlich eine Sache von Laien. Gerade dies erkennt man besonders
deutlich auch an der Benedikt-Regel, weil sie sich in mehreren Kapi-
teln (c. 60ff.) mit einem besonderen Problem befaßt, nämlich mit der
Rolle des Priesters im Kloster.
Die wiederholt eingeschärften Verhaltensweisen gegenüber einem
Priester zeigen, wie sehr dieser durch sein Amt die Gleichheit zu
gefährden droht. „Wenn einer aus dem Priesterstand um Aufnahme
ins Kloster bittet, soll man ihm nicht zu schnell zusagen“, so heißt es
in Kapitel 60; man muß ihm klar machen, „daß er die Regel in ihrer
ganzen Strenge zu halten hat und daß ihm nichts erlassen wird“
(ebd.). Er „hüte sich vor Überheblichkeit und Stolz“ (c. 62) und soll
wissen, „daß er noch weit mehr der Zucht der Regel untersteht“ als
die übrigen (ebd.). „Das Priestertum darf ihm nicht Anlaß sein, den

 Dazu O. G. Oexle, „Stand, Klasse…“, op. cit., S. 163 sqq.


34

 Vgl. neuerdings die Beiträge in J. Hamesse und C. Muraille-Samaran (Hg.), Le travail


35

au Moyen Âge. Une approche interdisciplinaire, Louvain-la-Neuve, 1990; J. Kocka und C. Offe
(Hg.), Geschichte und Zukunft der Arbeit, Frankfurt/New York 2000; V. Postel (Hg.), Arbeit
im Mittelalter. Vorstellungen und Wirklichkeiten, Berlin, 2006.

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mönchtum und hierarchie im okzident

Gehorsam gegen die Regel und die Zucht (disciplina) zu vergessen“


(ebd.). Er vor allem hat sich an die Rangordnung in der Klosterge-
meinde zu halten, nämlich die Ordnung nach dem Eintritts- oder
Profeß-Alter – conversationis tempus, c. 63; alle nehmen den Rang ein,
der dem Zeitpunkt ihres Eintritts entspricht: omnes ut convertuntur ita
sint, c. 63. Freilich kann der Abt auch einen Priester oder Diakon
weihen lassen, aber nur einen, der würdig ist, das Amt auszuüben (c.
62); denn aufgrund der Wahl der Klostergemeinde (electio congregati-
onis) oder nach dem Willen des Abtes kann einer an einen höheren
Platz gestellt werden, wenn seine Lebensweise das verdient (pro vitae
merito, c. 62).
Worum es hier geht, kann man nicht nur in den Normen, sondern
auch in der Praxis der forma vivendi nach der Benediktregel, allerdings
nur selten, beobachten, dann zum Beispiel, wenn es die Überliefe-
rung erlaubt, die Entstehung einer monastischen Kommunität im
einzelnen zu verfolgen, so wie das bei der Wiedergründung des Klos-
ters Gorze bei Metz (im Jahr 934) der Fall ist. Der Hauptimpulsgeber
für diese Wiedergründung war Johannes von Gorze, dessen Vita uns
gerade hierüber außerordentlich wertvolle Einzelheiten berichtet 36.
Johannes war vermutlich Laie und ein in allen weltlichen Dingen
sehr erfahrener Mann, insbesondere auf dem Gebiet der Ökono-
mie 37. Seine spezielle Begabung war die eines curator familiae domesti-
cae, des Verwalters eines „Hauses“ (domus), war die rerum omnium dome-
sticarum amministratio, also die „Verwaltung aller Belange des Hauses“.
Er beherrschte die Theorie und Praxis der Ökonomik. Auch dies war
nicht nur geistige, sondern auch körperliche Arbeit. Die Vita schildert
eingehend, wie eine ganze Reihe von Persönlichkeiten sich mit Johan-
nes zusammentun, eine Gründungsgruppe bilden oder bald nach der
Gründung in den neuen Konvent zu Gorze eintreten. Es sind dies
alles Männer, die sich durch vornehme Herkunft aus dem Adel, durch
Bildung oder durch herausragende Positionen in der Kirche, also als
Angehörige des hohen Kathedralklerus in Metz, Toul oder Verdun
auszeichneten. Es sind jene Mitglieder des künftigen Konvents, die
nicht „von der Straße“ (de trivio) herkamen, sondern deren bisherige

36
  Jean de Saint-Arnoul, La vie de Jean, abbé de Gorze, éd. et trad. M. Parisse, Paris, 1999.
Dazu die Beiträge in M. Parisse und O. G. Oexle (Hg.), L’abbaye de Gorze au xe siècle, Nancy,
1993.
37
  Zum folgenden O. G. Oexle, „Individuum und Gruppen in der lothringischen Gesell-
schaft des 10. Jahrhunderts“, in M. Parisse und O. G. Oexle (Hg.), L’abbaye de Gorze…, ibid.,
S. 105-139.

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Lebensführung gekennzeichnet war durch „urbane Genüsse und


(weltlichen) Ruhm und vornehmen Aufwand“, durch deren Vermö-
gen aber das neue Kloster einen erheblichen Zugewinn an „Hausrat“
erfuhr. Zu ihnen gehörte zum Beispiel Fridericus, der Oheim Bischof
Adalberos von Metz und dessen vertrautester Helfer, „nach dessen Rat
damals das meiste im Bistum geschah“; oder Odilo, Vicedominus, also
Leiter des bischöflichen „Hauses“ in Verdun; Ansteus, Archidiakon in
Toul; Blidulf, zuvor Archidiakon in Metz; oder Einold, der spätere
Abt, ein in Theologie und weltlichen Wissenschaften gleichermaßen
hochgebildeter Mann, zuvor Primicerius und primus archidiaconus der
Kathedrale von Toul. Der Verfasser der Vita schildert diese Persön-
lichkeiten in einem großen, mehr als 20 Kapitel umfassenden Exkurs
in allen Einzelheiten, weil er zeigen will, daß sie alle, wie auch der Laie
Johannes, die optima forma vivendi suchen, und auch zugleich zeigen
will, wie hier sehr unterschiedliche Lebensläufe – in der Vielzahl welt-
licher und kirchlicher Karrieren – sich in dem einen monastischen
Konvent im Zeichen von Gütergemeinschaft und Gleichheit zusam-
menfinden müssen.
Und gerade deshalb werden auch die Konflikte geschildert, die
diese Individuen untereinander ausgetragen haben. Am deutlichsten
wohl in der ganz individuellen Persönlichkeitsdarstellung eines gewis-
sen Angelramnus, primicerius, zuerst in Toul dann in Metz, eine, wie
der Verfasser sagt, in jeder Hinsicht herausragende und beeindru-
ckende Persönlichkeit – iocundissimus atque spectatu dignissimus, nobili-
tate et opibus praestans. Als er dem Konvent in Gorze beitrat, brachte er
eine große Menge von Gold, Silber und sonstiger Ausstattung mit,
wovon er Vieles nach dem Vorbild der Jerusalemer Urgemeinde mit
Zustimmung der Gemeinschaft für die Armen bestimmte und gleich-
zeitig auch der Kommunität in Gorze einen nicht geringen Anteil an
seinem Besitz überschrieb, wie es die Benedikt-Regel gebot. Gleich-
wohl beanspruchte er von allem Anfang an einen Sonderstatus. Er
war – und so sah er auch sich selbst – eine bedeutende, sozial wie auch
körperlich „gewichtige“ Persönlichkeit (ampla persona), und er setzte
durch, daß aufgrund seines bisherigen üppigen Lebensstils von ihm
weniger verlangt wurde als von den übrigen und daß er außerdem
besondere Ehren genoß. Eine ampla persona war er auch dadurch, daß
einige seiner Diener (clientes) – Angehörige seines „Hauses“ also –
zugleich mit ihm der neuen monastischen Gemeinschaft in Gorze
beigetreten waren. Er bildete also mit den Seinen eine gesonderte
Gruppe innerhalb des Klosters. Dieser Sonderstatus mußte natürlich
eingeebnet oder abgeschliffen werden. Welche dramatischen Formen

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mönchtum und hierarchie im okzident

dieser Vorgang angenommen hat, möge man in der Vita des Johannes
von Gorze selbst nachlesen.

Die beiden Texte – die Regel des 6. Jahrhunderts und die Erzäh-
lung von der Klostergründung des 10. Jahrhunderts – lassen überaus
deutlich eine grundlegende Veränderung im Verhältnis von Mönch-
tum und Hierarchie sichtbar werden. Sie betrifft das Verhältnis von
Laien und Klerikern im Kloster. Es handelt sich also um eine Verän-
derung im Blick auf die Bedeutung der kirchlichen Hierarchie für die
monastische Kommunität und die für sie konstitutive Gleichheit.
Definiertes Ziel Benedikts war nicht nur die Autarkie des einzelnen
Klosters (RB, c. 66, 6f.), in dessen Mauern sich omnia necessaria befin-
den sollen. Auch in seinen Beziehungen zur Außenwelt sollte das
Kloster ganz auf sich gestellt sein. Sogar die Kirche als Institution
spielt in den Anweisungen der Benedikt-Regel so gut wie keine Rolle.
Der für das Kloster zuständige Diözesanbischof wird nur einmal, und
auch nur ganz am Rande erwähnt, nämlich in dem Kapitel über die
Einsetzung des Abtes (c. 64), wo die Regel festlegt, daß, wenn die
congregatio der Mönche bei der Wahl des Abtes einen Fehlgriff getan
und einen Mann gewählt hat, der das Kloster zugrunderichtet, dann
„der Bischof, zu dessen Diözese jener Ort gehört, oder die Äbte und
Christen der Nachbarschaft“ verhindern sollen, daß sich das Böse
durchsetzt. Dem Ortsbischof als kirchlicher Autorität wird also nicht
einmal in dieser einzigen Aufgabe eine maßgebende Rolle zugewie-
sen.
Das hat sich zur Zeit der Abfassung der Vita des Johannes von
Gorze völlig geändert. Diese Veränderung kann man mit dem Stich-
wort der „Klerikalisierung des Mönchtums“ bezeichnen. Sie hat sich
im wesentlichen im 8. und 9. Jahrhundert vollzogen. Und diese „Kle-
rikalisierung des Mönchtums“ ist eine Antwort auf die vorangegan-
gene „Monachisierung des Klerus“, die sich – wie schon eingangs
erwähnt – in der Spätantike vollzogen hat.
Wir haben eingangs 38 die Entstehung eines Kleriker-Standes beob-
achtet: zuerst in einer neuen Deutung ständischer Ordnung nach der
Unterscheidung von Laien und Klerus, sodann in der politischen,
rechtlichen und wirtschaftlichen Privilegierung der zunächst nur reli-
giös begründeten und mentalen, also „gedachten“ Sonderstellung des

38
 S. oben Abschnitt I.

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Klerus durch die spätantiken Kaiser. Diese Ständebildung wurde abge-


schlossen durch die Forderung nach sexueller Enthaltsamkeit der
verheirateten Kleriker der drei höheren Weihestufen und schließlich
durch die Forderung nach dem vollen Zölibat als Bedingung für die
Zulassung zum Klerus nach dem Vorbild des von Anfang an auf Ehe-
losigkeit gegründeten Mönchtums. Diese Genese des Klerikerstandes
– durch mentale Voraussetzungen; durch eine öffentlich-rechtliche
Privilegierung und schließlich durch eine markant herausgehobene
Standesethik – ist das klassische Beispiel für Ständebildung überhaupt.
Durch diesen Vorgang ist der Klerikerstand auch im politischen Sinn
zum „Vorbild aller privilegierten Stände im Abendland geworden“
(Otto Hintze). Die abschließende Auferlegung einer spezifischen
Standesmoral hat dabei eine herausragende Rolle gespielt.
Dieser Monachisierung des Klerus entspricht die im 8. Jahrhun-
dert, in der Karolingerzeit, rasch einsetzende Klerikalisierung des
Mönchtums. Sie ist die Voraussetzung und Konsequenz dessen, was
durch die Karolinger und die von diesen, vor allem durch Karl d. Gr.,
vertretene „Renaissance“ oder „Bildungsreform“ verwirklicht wurde,
weil für deren Verwirklichung die intellektuellen und spirituellen,
aber auch die wirtschaftlichen und organisatorischen Ressourcen des
Mönchtums eine wesentliche Voraussetzung darstellten. Ganz ebenso
war die von den Karolingern propagierte und forcierte Missionierung
ohne die Ressourcen der Klöster nicht denkbar. Bekanntlich waren
es nicht nur die karolingischen Herrscher, sondern auch prominente
Bischöfe der Karolingerzeit – ich erinnere an Chrodegang von Metz
oder Leidrad von Lyon 39 –, die dieses Unternehmen mittrugen und
die in ihren Diözesen situierten Klöster dafür engagierten.
Der Prozeß der Klerikalisierung des Mönchtums manifestierte sich
in zweierlei Hinsichten 40. Zum einen: die Zahl der ordinierten Mön-
che in den Klöstern nimmt erheblich zu. Zum anderen: die von der
Benediktregel – sie wurde von den Karolingern bekanntlich als allge-
mein geltende Regel durchgesetzt – vorgesehene Ordnung des Kon-
vents nach dem Profeß- oder Eintrittsalter – illum locum adtendat quando
ingressus est in monasterio, RB, c. 60 – wird abgelöst durch die Ordnung
der Mönche im Kloster nach ihren Weihegraden: nach dem Abt kom-
men zuerst die Presbyter, dann die Diakone, dann die Subdiakone,

39
  J. Schneider, Saint Chrodegang, Metz, 1967; O. G. Oexle, Forschungen zu monastischen und
geistlichen Gemeinschaften im westfränkischen Bereich, München, 1978, S. 134 sqq. und 154
sqq.
40
  Zum folgenden O. G. Oexle, Forschungen…, ibid.

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mönchtum und hierarchie im okzident

dann die Laienmönche. Wir können diese neue Ordnung anhand


von Konventslisten des 8. und 9. Jahrhunderts erkennen. Und: wir
können zugleich die fortschreitende Zunahme der ordinierten Mön-
che und den Rückgang der Zahl der Laienmönche sogar numerisch
erfassen 41.
Die Konsequenzen der beiden Vorgänge von Monachisierung und
Klerikalisierung sind bekannt. Ohne die Standes-Moral mit dem
ursprünglich monastischen Zölibat hätte der Kleriker-Stand die im
Okzident für ihn so kennzeichnende Stabilität und Wirksamkeit nicht
gewinnen können. Welcher Preis dafür allerdings zu entrichten war,
und zwar bis auf den heutigen Tag, ist bekannt. Aber auch die Kleri-
kalisierung des Mönchtums hatte Konsequenzen nach zwei Seiten:
Zum einen hätte das Mönchtum ohne diese Transformation die es
kennzeichnenden, nämlich umfassenden kulturellen Wirkungen in
Politik und Gesellschaft, in Wirtschaft, Architektur, Kunst, Wissen-
schaft und Theologie nicht erreichen können. Andererseits war eben
damit die mit dem Prinzip der Gütergemeinschaft und Gemeinwirt-
schaft wesentlich verbundene Norm der Gleichheit dahingestellt.
Dasselbe gilt für die fundamentale Maxime der körperlichen Arbeit.
Dieses Problem hat alle künftigen Generationen des okzidentalen
Mönchtums tiefgehend tangiert.
Die Hauptrichtungen der hierdurch bestimmten Entwicklung der
kommenden Jahrhunderte sind bekannt. Bei den Cluniazensern des
10. Jahrhunderts wird die Klerikalisierung des Mönchtums auf die
Spitze getrieben. „Im Zentrum ihres ganzen Strebens stand die Litur-
gie“ (G. Tellenbach): Messe, Schriftlesung, Gebetsdienst, Toten-
Memoria 42. Die körperliche Arbeit wurde auf die dem Kloster gehö-
renden Grundherrschaften und die dort lebende bäuerliche Bevöl-
kerung verlagert. Dagegen richtete sich bekanntlich im 11. und 12.
Jahrhundert der Hauptprotest der Zisterzienser, die die von der Bene-
dikt-Regel geforderte körperliche Arbeit als ein wesentliches Merkmal
des Mönchtums neu einforderten  43. Doch dies gelang nicht, da die
Klerikalisierung des Mönchtums nicht rückgängig zu machen war. Bei
den Zisterziensern bestand die „Lösung“ des Problems in der Etablie-

41
 Die Einzelheiten bei O. G. Oexle, Forschungen…, ibid.
42
  G. Tellenbach, „Zum Wesen der Cluniazenser. Skizzen und Versuche“, Saeculum, 9
(1958), S. 370-378; das Zitat hier S. 376.
43
 Vgl. B. Nagel, Die Eigenarbeit der Zisterzienser. Von der religiösen Askese zur wirtschaftlichen
Effizienz, Marburg, 2006.

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rung der Konversen oder Laienbrüder 44, die an der Bewirtschaftung


des Landbesitzes und auch, im 12. Jahrhundert, sogar am Handel
über die zisterziensischen Stadthöfe großen Anteil hatten. Sie waren
in das Klostergefüge eingegliedert, hatten aber stets einen gesonder-
ten Rang unterhalb dem der Mönche, was auch durch Barttracht, Klei-
dung und getrennte Unterbringung erkennbar war. Die Gleichheit
der Vita communis war damit aufgehoben. Die Zisterzienser bildeten
eine Zwei-Stände-Gesellschaft. Denn von der „liturgischen Lebens-
mitte“ des Zönobiums und auch von der Abtwahl waren die Laienbrü-
der ausgeschlossen. Die das Leben der Laienbrüder regelnde Gesetz-
gebung – Regula conversorum, Usus conversorum – widersprach dem
Anspruch auch des zisterziensischen Mönchtums in fundamentaler
Weise.
Zugleich aber gewann das Mönchtum durch seine Klerikalisierung
gegenüber der kirchlichen Hierarchie eine bislang noch nie dagewe-
sene Dynamik und sogar Aggressivität. Zum Beispiel bei einem Robert
von Arbrissel 45. Dieser war ein gebildeter Mann, war Priester, Kirchen-
reformer und Gründer einer Kanonikergemeinschaft, dann – in den
neunziger Jahren des 11. Jahrhunderts – Einsiedler und Wanderpre-
diger und schließlich Gründer einer Männer und Frauen umfassen-
den klösterlichen Gemeinschaft in Fontevrault. Der berühmte Brief
Bischof Marbods von Rennes – geschrieben 1098/1100 – demon-
striert die Herausforderungen, die von einem gebildeten und studier-
ten Priestermönch wie Robert von Arbrissel ausgehen konnten  46 :
nichts weniger als eine Infragestellung der ständischen und hierar-
chischen Ordnung der Kirche, des omnis ordo Ecclesiae. Zum Beispiel
in der Weise, in der Robert von Arbrissel diese Herausforderung in
seiner Kleidung inszenierte, die der der Armen glich und womit er
sich, wie der Bischof ihm vorwarf, zum Narren machte. Der Bischof
forderte von Robert deshalb eine dem Beruf (professio) eines Kanoni-
kers und dem Stand (ordo) eines Priesters angemessene Kleidung. Er
fordert die Beachtung der Normen ständischer Angemessenheit, die
Beachtung des sensus communis, der auctoritas consuetudinis, der Ver-

44
  Zum folgenden (mit den Zitaten) A. Rüther, „Konversen“, in Lexikon des Mittelalters, t. 5,
1991, Sp. 1423 sq.
45
  J. Dalarun, Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud, Paris, 1986.
46
 Dazu O. G. Oexle, „“Die Statik ist ein Grundzug des mittelalterlichen Bewußtseins”. Die
Wahrnehmung sozialen Wandels im Denken des Mittelalters und das Problem ihrer Deu-
tung“, in J. Miethke und K. Schreiner (Hg.), Sozialer Wandel im Mittelalter. Wahrnehmungs-
formen, Erklärungsmuster, Regelungsmechanismen, Sigmaringen, 1994, S. 68 sqq. Marbods, Ep.
6, PL, 171, Sp. 1480-1486.

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mönchtum und hierarchie im okzident

nunft (ratio), das Einhalten des Maßes (modus), die ständische Ehre
(honestas), die discretio schließlich, was soviel wie Klugheit und Einsicht
meint, aber auch das Erkennen und Anerkennen von Unterschieden.
Redi ergo ad sensum communem, kehre zurück zur Vernunft und dem,
was allgemein für richtig gehalten wird, so forderte der Bischof, und
vor allem: laß davon ab, in deinen Predigten die einfachen Leute
(vulgares) und die Ungebildeten (imperiti homines) zu unterweisen, laß
vor allem davon ab, die Vergehen der kirchlichen Würdenträger (cri-
mina dignitatum) anzuprangern. Marbod leugnete dabei nicht die
Berechtigtheit einer solchen Kritik; ihn irritierte vielmehr, daß solche
Kritik an den Oberen vor ungebildeten Zuhörern (auditores idiotae)
und vor Laien geäußert wurde, – das nämlich störe die kirchliche
Ständeordnung: omnis Ecclesiae ordo viluerit. Genau dies aber hatte ein
Mann wie Robert von Arbrissel, der Priestermönch, im Sinn: die Ein-
ebnung der Ständegrenzen und der ständischen Unterschiede in der
Kleidung, im Verhalten und im Denken, und eben dies war das Pro-
gramm der Armutsbewegung 47, wie er sie verstand und vertrat, ganz
abgesehen von der Einebnung der Grenzen der Geschlechter, von
Männern und Frauen, wie sie Robert in seiner Klostergründung för-
derte.
Es ist die historische Erfahrung dieses Konflikts, die ein Jahrhun-
dert danach einen Mann wie Franz von Assisi zu seinem neuen Pro-
gramm bewegte, das – wie mir scheint – am pointiertesten beschlossen
ist in einem einzigen Satz seines Testaments von 1226: Et eramus idio-
tae et subditi omnibus  48. In der gängigen deutschen Übersetzung ist
dieser Satz glatt, aber falsch übersetzt mit den Worten: „Und wir waren
ungebildet und jedermann untertänig“  49. Es ging aber weder um
Ungebildetheit noch um Untertänigkeit. Vielmehr ging es um die
freiwillige Annahme der Rolle des „Idioten“, eines Menschen also, der
auf die Geltendmachung jeder Macht und jedes Ranges verzichtet,
die ihm Bildung und Intelligenz verschaffen könnten 50. Und es geht,
zweitens, um die grundsätzliche Unterbietung und dadurch um die
grundsätzliche Infragestellung aller gesellschaftlichen Unterschei-

47
 O. G. Oexle, „Armut und Armenfürsorge um 1200. Ein Beitrag zum Verständnis der
freiwilligen Armut bei Elisabeth von Thüringen“, in Sankt Elisabeth. Fürstin, Dienerin, Heilige,
Sigmaringen, 1981, S. 78-100.
48
  Opuscula Sancti Patris Francisci Assisiensis, éd. C. Esser, Grottaferrata, 1978, S. 311.
49
 L. Hardick und E. Grau (Hg.), Die Schriften des heiligen Franziskus von Assisi, Werl/Westf.,
1980 (6e Ed.), S. 214.
50
 Dazu O. G. Oexle, Armut und Armenfürsorge um 1200, S. 80 sq.

203

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otto gerhard oexle

dungen und allen ständischen Wesens  51. Franziskus will dabei mit
seiner Devise des Subditi omnibus keineswegs die ständische Ordnung
bekämpfen. Vielmehr läßt er jegliche Art von Stand und alle Stände
bestehen, alle ordines des Klerus, alle Mönche, alle die Armen und
Reichen, die Fürsten und Herren, die Arbeitenden und Bauern, die
Herren und Knechte (Regula non bullata, c. 23), denen die fratres mino-
res des Franziskus gegenüberstehen, – nicht als ein eigener Stand,
sondern vielmehr als die Lebensform der grundsätzlichen Unterbie-
tung und Relativierung allen ständischen Wesens, welche die Stände-
gesellschaft fundamental in Frage stellt und doch zugleich bestehen
läßt. Deshalb auch die fundamentale Maxime des Gehorsams im Pro-
gramm des Franziskus: der Gehorsam (oboedientia) auch gegenüber
der Kirche, gegenüber den Priestern der Römischen Kirche, bei
denen er – wie er von sich sagte – „wegen ihrer Weihe“ auch dann
„Zuflucht suchen“ würde, wenn sie ihn „verfolgen würden“, wie er in
seinem Testament schreibt  52. Und dies, obwohl Franziskus doch
zugleich sehr klar den Unterschied erkannte und auch benannte zwi-
schen der Lebensweise der Priester „nach der Form der römischen
Kirche“ – dem vivere secundum formam sanctae Ecclesiae Romanae – und
seiner eigenen Lebensweise, die er ein Leben „nach der Form des
heiligen Evangeliums“, ein vivere secundum formam sancti Evangelii
nannte  53. Welch eine Unterwerfung unter die Hierarchie, und
zugleich: welch eine Provokation!

51
 Dazu O. G. Oexle, „Formen des Friedens in den religiösen Bewegungen des Hochmit-
telalters (1000-1300)“, in W. Hartmann (Hg.), Mittelalter. Annäherungen an eine fremde Zeit,
Regensburg, 1993, S. 99 sq. Zum Programm des Franziskus noch immer am eindrucksvolls-
ten: R. Manselli, Franziskus. Der solidarische Bruder, Zürich/Einsiedeln/Köln, 1984.
52
  Opuscula Sancti Patris…, op. cit., S. 308.
53
  Opuscula Sancti Patris…, ibid., S. 308 und 310.

204

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Hedwig Röckelein

Hiérarchie, ordre et mobilité


dans le monachisme féminin

L
es organisateurs de ce colloque ont fait remarquer que le terme
« hiérarchie » n’apparaît dans les textes latins qu’autour de l’an
800, et que c’est entre le ixe et le xie siècle qu’il évolua vers un
concept idéologique rendant possible la légitimation des hiérarchies
sociales en tant qu’ordre voulu par Dieu. Il est au moins aussi impor-
tant pour le monachisme de noter que ce n’est qu’à l’époque de la
réforme grégorienne que le terme ordo se stabilisa dans sa signification
d’« ordre » (monastique).
Pour les communautés monastiques féminines des sociétés médié-
vales occidentales, s’ajoute également aux hiérarchies ecclésiastiques
la hiérarchie des sexes, en vigueur autant dans les institutions profa-
nes que religieuses. L’institution juridique de la tutela ou munt, consis-
tant en l’obligation pour les hommes de toutes catégories sociales de
protéger les femmes de leur foyer, en premier lieu leur épouse et les
jeunes femmes non mariées, fait autorité dans les structures sociales
des sociétés de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge. Cette protection
a comme effet secondaire que les femmes sont subordonnées et infé-
rieures aux hommes  1, une réalité sociale que les Pères de l’Église
consolident avec des arguments théologiques et moraux et en se réfé-
rant à la faiblesse naturelle (vilitas) du sexe féminin.
Le concept idéologique de la différence des sexes établi par les
Pères de l’Église a prévu une exception à la règle, lorsqu’une femme
peut surmonter sa «  faiblesse naturelle  » par un «  comportement
viril ». La méthode éprouvée pour rendre une femme virile (atteindre
la virilitas) comprend la discipline et l’ascèse, et plus spécialement le

1
  J. Dalarun, D. Bohler et C. Klapisch-Zuber, « La différence des sexes », in J.-C. Sch-
mitt et O. G. Oexle (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en
Allemagne, Paris, 2002, p. 561-582 ; C. Klapisch-Zuber, « Masculin/féminin », in J. Le Goff
et J.-C. Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, 1999, p. 655-668 ;
H. Röckelein, « Formirovanie cennostej i gendernye otnoschenia. Ob otnositeljnosti cen-
nostnych predstavljenjij v strednije veka, prevod s nem », in M. Bojcov et O. G. Oexle (dir.),
V svojom krugu : Individ i gruppa na Zapade i Vostoke Jevropy do natschala Novogo vremeni, Moscou,
2003, p. 7-31.

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hedwig röckelein

renoncement permanent à la sexualité  2. La chasteté transforme les


femmes – d’après cette conception – en « récipients purs », en corps
sacrés. Vers 380, Jérôme considère la chasteté des vierges et des veu-
ves, qui ont renoncé à un nouveau mariage, comme supérieure au
mode de vie des femmes mariées. En se référant à la parabole du
semeur (Mt 13, 8), il promet aux vierges une récolte cent fois supé-
rieure à leurs semailles, aux veuves soixante fois, alors qu’aux femmes
mariées, seulement trente fois 3.
La pureté permet aux femmes chastes d’intercéder entre Dieu et
les êtres humains et de recevoir des messages divins – par la divination,
la prophétie. Elles agissent en tant qu’intercesseurs entre ici-bas et
l’au-delà, entre le monde terrestre et Dieu. Les méthodes et les ins-
truments de la communication avec le monde lumineux compren-
nent la prière, la méditation, chez certaines femmes également la
vision surnaturelle, le contact avec Dieu par l’audition et par la vue.
La prière sert à la connaissance personnelle de Dieu et au rapproche-
ment avec lui, mais aussi à l’intercession pour des parents, des amis
et des protecteurs, vivants ou morts.
Bien que le christianisme ait recruté ses adeptes dans de vastes
parties de l’Empire romain, tout d’abord parmi les couches inférieu-
res de la société, les premières fondatrices de monastères en Italie et
en Palestine – comme d’ailleurs les fondatrices du haut Moyen Âge
et du Moyen Âge central – n’appartiennent pas au groupe des pauvres
et des esclaves privés de droits, mais plutôt aux élites politiques, socia-
les et économiques. La fondation d’une communauté monastique et
la spécialisation dans la prière nécessitent une dotation suffisante et
donc une certaine richesse.

2
 S. Elm, Virgins of God. The Making of Asceticism in Late Antiquity, Oxford, 1994 ; I. Stahl-
mann, Der gefesselte Sexus. Weibliche Keuschheit und Askese im Westen des Römischen Reiches, Berlin,
1997 ; H. Omerzu, « “Es gibt nicht mehr männlich und weiblich”. Zur Bedeutung von
Frauen im frühen Christentum », in S. Schmitt (dir.), Frauen und Kirche, Mayence, 2002
(Mainzer Vorträge, 6) ; H. Behlmer, « Weibliche Körper im Mönchsgewand. Formen von
Androgynie in der christlich-ägyptischen Literatur », in C. Franz et G. Schwibbe (dir.),
Geschlecht weiblich. Körpererfahrungen – Körperkonzepte, Berlin, 2001, p. 12-34.
3
  Jérôme, Adversus Helvidium, c. 22 (PL, 23, col. 213-216). Voir à ce propos : C. Steiniger,
Die ideale christliche Frau. Virgo – vidua – nupta. Eine Studie zum Bild der christlichen Frau bei
Hieronymus und Pelagius, Saint-Ottilien, 1997 ; B. Jussen, Der Name der Witwe. Erkundungen
zur Semantik der mittelalterlichen Bußkultur, Göttingen, 2000 (Veröffentlichungen des Max-
Planck-Instituts für Geschichte, 158), p. 71-80. La théorie sur les trois ordres de femmes
fut compilée au xiie siècle à partir d’ébauches plus anciennes dans le Speculum virginum (éd.
J. Seyfarth, CCCM, 5, Turnhout, 1990). Voir à ce propos B. Jussen, Der Name der Witwe…,
ibid., p. 95-114.

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hiérarchie, ordre et mobilité dans le monachisme féminin

1. Hiérarchies

1.1. Subordination des sexes et cura monialium :


conseillers spirituels, évêques et clercs
Certes, par la chasteté qu’elles s’imposent, les religieuses parvien-
nent au cercle des élues, mais elles ne sont pas libérées de la hié-
rarchie des sexes. Elles aussi sont soumises à la protection masculine,
au contrôle et à la surveillance des hommes. Même des veuves et des
vierges financièrement indépendantes des iiie et ive siècles, comme
Paula et Mélanie, qui donnent l’impression d’avoir agi de manière
relativement autonome lorsqu’elles fondent les premiers monastères
féminins et monastères doubles en Italie, en Afrique du Nord et à
Jérusalem, vont chercher l’avis d’hommes versés en théologie comme
Jérôme pour des questions spirituelles et morales 4. L’apparition et le
renforcement des charges ecclésiastiques, d’une part, et l’exclusion
croissante des femmes des ordres mineurs et majeurs, d’autre part,
les rendent dépendantes des prêtres et les soumettent au contrôle des
évêques 5.
Souvent, les évêques utilisent ces structures hiérarchiques à leur
avantage pour la fondation de monastères privés. Ils établissent leurs
plus proches parentes, mères, sœurs et nièces, comme abbesses dans
les monastères féminins qu’ils ont créés, et ils considèrent la fonction
d’abbesse comme un patrimoine héréditaire  6. Le népotisme assure
donc le pouvoir de la famille des fondateurs, le contrôle de l’évêque
sur les biens du monastère ainsi que la discipline des pensionnaires
pour plusieurs générations.
Cependant, le droit d’inspection des évêques dans les monastères
féminins cause souvent des conflits, là où des nobles puissantes ou
même des veuves royales assurent la conduite du monastère. Ces diri-
geantes cherchent en effet des moyens d’échapper au contrôle et à la
surveillance de l’évêque. Ainsi, Radegonde ne reconnaît pas le pou-
voir disciplinaire de l’évêque de Poitiers et lui préfère le métropolite
de Tours comme directeur spirituel. La princesse ottonienne Sophie

4
 S. Elm, Virgins of God…, op. cit.
5
  G. Muschiol, Famula Dei. Zur Liturgie in merowingischen Frauenklöstern, Münster, 1994
(Beiträge zur Geschichte des Alten Mönchtums und des Benediktinertums, 41).
6
 Exemples : Césaire, évêque d’Arles, Saint-Jean-d’Arles pour sa sœur Caesaria ; Burgundo-
Faron, évêque de Meaux, Faremoutiers-en-Brie pour sa sœur Burgundo-Fara ; Donat, évê-
que de Besançon, Jussa-Moutier (Jussanum) près de Besançon pour sa mère et sa sœur ;
Liuthard, évêque de Paderborn, Neuenheerse pour sa sœur Walburge.

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hedwig röckelein

(née en 975, abbesse 1001-1039) se querelle avec son évêque diocé-


sain Osdag à cause de sa prise du voile comme religieuse à Gan-
dersheim en octobre 987, car elle veut que le métropolite de Mayence,
Willigis, accomplisse le rituel et ne veut aucunement céder sur ce
point. Le conflit s’amplifie sous l’évêque Bernward de Hildesheim et
ne se règle que sous le règne d’Henri II 7. Les chapitres féminins dans
l’Empire cherchent la protection des souverains ottoniens et saliens,
afin de faire reculer le droit de contrôle des évêques. Elles se font
garantir le libre choix de l’abbesse et de l’avoué, la gestion indépen-
dante des affaires et de la charge de l’abbesse, l’exemption de presta-
tion de services et leur propre juridiction 8. D’autres s’enquièrent de
la protection du pape pour assurer leur indépendance du pouvoir
diocésain 9. Elles indiquent leur statut particulier avec le choix de saint
Pierre comme patron 10 et par l’accumulation de reliques papales 11.

7
  K. Görich, « Der Gandersheimer Streit zur Zeit Ottos III. Ein Konflikt um die Metropo-
litanrechte des Erzbischofs Willigis von Mainz », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsge-
schichte, 79 (1993), p. 56-94 ; H. Goetting, « Bernward und der große Gandersheimer
Streit », in Bernward von Hildesheim und das Zeitalter der Ottonen. Katalog der Ausstellung Hildes-
heim 1993, Hildesheim/Mayence, 1993, t. 1, p. 275-289 ; H. J. Schuffels, « Urkunde König
Heinrichs II. über die Beilegung des Gandersheimer Streites 1006/1007 », in Bernward von
Hildesheim…, ibid., t. 2, p. 491-494.
8
  Gandersheim : MGH, D O. I, 180, 21 avril 956. Gernrode : MGH, D O. I, 229, 17 juillet
961, confirmé par : MGH, D O. II, 3. Autres exemples : voir infra Vilich, Gernrode, Essen,
Gandersheim et Quedlinburg.
9
  Gandersheim : privilèges des papes Agapet II (948 ; JL 3642) et Jean XIII (968 ; JL 3721),
obtenus grâce à l’entremise des rois Otton Ier et Otton II. Gernrode : le pape Jean XII
accorde à l’abbaye de Gernrode l’exemption de la juridiction d’Halberstadt (Rome, mi-
décembre 961). Le deperditum est conservé de manière indirecte dans l’acte du marquis
Gero 963 (?), cf. Codex diplomaticus Anhaltinus, éd. O. von Heinemann, t. 1, Dessau, 1873,
n° 36 ; Regesta pontificum Romanorum. Provincia Maguntinensis, t. 2, pars VI (Dioeceses Hilde-
sheimensis et Halberstadensis, appendix Saxonia), élaboré par H. Jakobs, Göttingen 2005 (Ger-
mania Pontificia, V/2, 6) n° *1, p. 332 sq. Voir à ce propos H. Goetting, « Die Exemptions­
privilegien Papst Johannes XII. für Gernrode und Bibra. Zur Vorgeschichte der Gründung
des Erzbistums Magdeburg », Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung,
14 (1939), p. 71-82 ; le pape Léon IX prend Gernrode sous sa protection vers 1049 et
confirme ses possessions et ses libertés (JL 4316 ; Codex diplomaticus Anhaltinus…, ibid., t. 1,
n° 125 ; Germania Pontificia…, ibid., V/2, 6, n° 4, p. 335).
10
  Gernrode : sous la protection de la Sainte Vierge et de saint Pierre (Germania Pontificia…,
ibid., V/2, 6, n° *1, p. 961). C’est seulement avec les translations de reliques des xe et
xiie siècles que furent ajoutés comme patrons secondaires Cyriaque (dénomination actuelle)
et Métron. À propos de la fréquence de saint Pierre comme patron de monastères féminins
au Moyen Âge, voir H. Röckelein, « Gründer, Stifter und Heilige – Patrone der Frauen-
konvente », in Krone und Schleier. Kunst aus mittelalterlichen Frauenklöstern, Munich, 2005,
p. 66-77, spéc. p. 73 et graphique de la p. 74 au centre.
11
  Gandersheim : le couple de fondateurs, Liudolf et Oda, fit apporter les restes des évêques
et papes Anastase Ier et Innocent Ier à Gandersheim. Gandersheim possédait l’une des plus
vastes collections de reliques papales. Voir à ce propos : H. Röckelein, « Gandersheimer

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hiérarchie, ordre et mobilité dans le monachisme féminin

1.2. Hiérarchie interne et identité des monastères


Pour les affaires internes, les monastères féminins du haut Moyen
Âge et du Moyen Âge central sont structurés en hiérarchies comme
les monastères masculins. L’abbesse ou la prieure a le droit de puni-
tion sur sa familia, sur les religieuses autant que sur les laïques. Comme
remplaçante, elle nomme une prieure. Elle délègue la responsabilité
pour les affaires économiques à une cellérière. Les moniales se par-
tagent d’autres tâches de la vie quotidienne : il y a une cuisinière, une
boulangère, une sacristaine, des sœurs hospitalières et une maîtresse
d’école.
Il y a toutefois deux grandes différences par rapport aux institu-
tions masculines. Tout d’abord, l’abbesse ne possède pas en général
le plein pouvoir de direction. Le monastère est plutôt un prieuré
subordonné à un monastère masculin des environs. L’abbé de ce der-
nier fait fonction de conseiller spirituel, d’inspecteur et du plus haut
preneur de décisions pour le monastère féminin. De manière sembla-
ble, les institutions doubles comprenant des hommes et des femmes,
ce qu’on appelle les monastères doubles, sont presque sans exception
sous la direction d’un abbé et non d’une abbesse.
Indépendamment de l’autorité reconnue de l’abbé, plusieurs
monastères féminins cherchent néanmoins comme personnages
exemplaires des modèles féminins. Un nombre écrasant de monastè-
res féminins choisit Marie, la plus puissante des femmes, comme
patronne et protectrice  12. En périodes de crises et de réformes,
d’autres font de leurs fondatrices des saintes qui remplacent les
patrons originels. Ainsi, Glossinde, qui a fondé aux viie-viiie siècles
une institution féminine à Metz sous l’invocation de Marie, de saint
Pierre et de saint Sulpice, remplace au xe siècle les patrons de départ.
Par la suite, le monastère prend le nom de Sainte-Glossinde 13.

Reliquienschätze – erste vorläufige Beobachtungen », in M. Hoernes et H. Röckelein


(dir.), Gandersheim und Essen. Vergleichende Untersuchungen zu sächsischen Frauenstiften, Essen,
2006 (Essener Forschungen zum Frauenstift, 4), p. 33-96, spéc. p. 66-72.
12
 Voir les statistiques dans H. Röckelein, « Gründer, Stifter… », op. cit., p. 66-77, spéc.
p. 73 et graphique p. 74 en haut.
13
 Sur la fondatrice, voir : N. Gauthier, L’évangélisation des pays de la Moselle. La province
romaine de Première Belgique entre Antiquité et Moyen Âge (iiie-viiie siècle), Paris, 1980, p. 336-338 ;
M. Parisse, « Remarques sur les fondations monastiques à Metz au Moyen Âge », Annales
de l’Est, 31 (1979), p. 198-199. Glossinde fut enterrée dans l’église des Saints-Apôtres, près
de saint Arnulf. Après que son corps a été transféré, dans la seconde moitié du ixe siècle,
dans le monastère qu’elle avait fondé, se développa un culte qui annonçait le changement
de patron à venir.

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hedwig röckelein

Il n’y a que peu de monastères féminins du royaume franc qui


conservent leur autonomie, comme Chelles, qui sert d’apanage à la
reine, ou de monastères dirigés par des filles ou des sœurs de rois,
comme Notre-Dame à Soissons (à l’époque de Charlemagne), Schwar-
zach en Franconie et le Fraumünster à Zurich (sous Louis le Germa-
nique), ainsi que les chapitres féminins ottoniens en Saxe. Les monas-
tères doubles dirigés par une abbesse sont extrêmement rares. Cela
ne s’est produit que dans les monastères royaux anglo-saxons du haut
Moyen Âge et dans leurs imitations continentales 14, et ce ne fut encore
une fois possible au Moyen Âge central qu’à Fontevraud, grâce à l’in-
fluence d’abbesses et de protectrices du premier rang, riches, nobles
et royales 15.
La seconde différence dans la structure interne entre les monastè-
res masculins et féminins est due à la participation limitée des reli-
gieuses à la liturgie à cause de l’interdiction d’ordination pour les
femmes 16. Alors que des moines peuvent devenir prêtres – à Cluny ils
firent largement usage de cette possibilité –, l’ordination est interdite
aux religieuses et aux moniales, y compris le diaconat, alors qu’elles
pouvaient encore le recevoir dans l’Antiquité tardive et au haut Moyen
Âge 17. Depuis le xe siècle, le clergé masculin monopolise les charges
liées à l’ordination tout comme les fonctions qui leur sont liées. Pour
la pratique de la liturgie, les religieuses et les chanoinesses ont besoin
des chanoines, qui s’installent près ou dans leur monastère. On
réserve aux femmes les heures canoniales, qui sont dévaluées par rap-
port à l’importance de la messe – et ainsi à la fonction liturgique des
clercs.

14
 D. B.  Baltrusch-Schneider, « Die angelsächsischen Doppelklöster  », in K.  Elm et
M. Parisse (dir.), Doppelklöster und andere Formen der Symbiose männlicher und weiblicher Reli-
giosen im Mittelalter, Berlin, 1992, p. 57-79. D’après le modèle anglo-saxon : par exemple à
Heidenheim, mais seulement pour un seul abbatiat, par la sœur du fondateur, Walburge.
15
  J.-M. Bienvenu, Les premiers temps de Fontevraud, 1101-1189. Naissance et évolution d’un ordre
religieux, thèse de doctorat dactylographiée, université de Paris-IV, 1980.
16
  G. Muschiol, « Psallere et legere. Zur Beteiligung der Nonnen an der Liturgie nach den
frühen gallischen Regulae ad Virgines », in T. Berger et A. Gerhards (dir.), Liturgie und
Frauenfrage. Ein Beitrag zur Frauenforschung aus liturgiewissenschaftlicher Sicht, Saint-Ottilien,
1990 (Pietas Liturgica, 7), p. 77-126.
17
 L’évêque Médard de Noyon introduisit Radegonde au monastère et en fit une diaco-
nesse.

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hiérarchie, ordre et mobilité dans le monachisme féminin

2. Ordonnancement – ordre

Le mot français « ordre » a une double signification : « ordonnan-


cement » – dans le sens du mot allemand Ordnung – et « ordre » – dans
le sens de l’allemand Orden. L’« ordonnancement » touche à l’ordre
interne du monastère – à propos duquel nous informent les règles,
constitutions et coutumes – et à l’aspect de l’ordonnancement parmi
les monastères, qui se sentaient obligés de respecter une règle. Pour
la période qui nous intéresse (avant 1100), les ordres ne doivent pas
encore être compris dans le sens de normes ou d’institutions conçues
juridiquement et approuvées par le pape. Il y a plutôt, d’une part, des
structures lâches en forme de réseaux de monastères, et, d’autre part,
des relations hiérarchiques entre abbés et monastères féminins. En
tant que spécialistes de la prière, comme « prieuses », les moniales et
chanoinesses appartiennent, d’après la théorie des trois ordres, à
l’ordo des oratores  18, bien que ces théories sur la société n’aient tenu
compte que des hommes.

2.1. L’ordre interne des monastères féminins : consuetudo et regula


Les règles de Pacôme et de Basile pour les cénobites, la vie exem-
plaire d’Antoine pour les ermites, la règle cléricale d’Augustin et la
Vie de saint Martin par Sulpice Sévère, en tant que modèle d’évêque
ascétique, ont toutes une chose en commun : ce sont des normes et
des modèles pour les hommes, jamais pour les femmes. Mais pourtant,
depuis les premiers temps du mouvement ascétique du christianisme,
des femmes vivent, non seulement dans les communautés de Synei-
sactes, controversées à cause de la promiscuité des hommes et des
femmes, mais aussi isolées, en tant qu’ermites, ou encore dans des
communautés de sœurs. Les mères, sœurs et filles des ascètes s’instal-
lent dans la proximité immédiate des communautés de moines et de
clercs, elles se soumettent à l’autorité charismatique de l’abbé et se
laissent conseiller et diriger par lui  19. Pour cela, aucune règle mise

18
 O. G. Oexle, « Tria genera hominum. Zur Geschichte eines Deutungsschemas der sozialen
Wirklichkeit in Antike und Mittelalter », in L. Fenske, W. Rösener et T. Zotz (dir.), Insti-
tutionen, Kultur und Gesellschaft im Mittelalter. Festschrift für Josef Fleckenstein zu seinem 65. Geburts-
tag, Sigmaringen 1984, p. 483-500.
19
 Ainsi, Antoine, âgé, nomma sa sœur comme mater du monastère féminin qui s’était ins-
tallé près du groupe de moines qu’Antoine avait dirigé en tant que directeur spirituel
(abbas). Les femmes avaient fait vœu de chasteté et de pauvreté. Voir A. Diem, Das monastische
Experiment. Die Rolle der Keuschheit bei der Entstehung des westlichen Klosterwesens, Münster, 2005
(Vita regularis, 24), p. 162-167, avec des exemples pour Basile, Pacôme, Augustin, les Pères

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hedwig röckelein

par écrit n’était nécessaire. Si une femme désirait se « consacrer à


Dieu » – devenir une Deo sacrata –, il lui suffisait de faire vœu de chas-
teté et de prendre le voile. Elle pouvait mener sa vie consacrée à Dieu
au sein de sa famille, comme avant, ou se joindre dans une maison
privée à d’autres femmes menant le même genre de vie, ou encore
en tant que recluse, en se rattachant à une communauté basilicale.
Jérôme, le conseiller spirituel de nombreuses vierges et de nombreu-
ses communautés monastiques féminines, présenta dans une lettre à
la virgo Eustochium comment il imaginait la vie idéale d’une vierge 20.
Gerontius, l’auteur de la Vie de Mélanie la Jeune, termine vers 440 la
biographie de son héroïne avec des règles de comportement pour la
communauté monastique féminine fondée par Mélanie, qu’il dessert
lui-même en temps que prêtre 21.
Ce fut Césaire, évêque d’Arles (470-542), qui fut le premier à com-
bler cette absence de norme pour les communautés monastiques
féminines, avec sa Règle pour les vierges (Regula ad virgines) 22. Pendant
de nombreuses années (entre 512 et 534), il travailla à une réglemen-
tation pour les religieuses, orientée vers l’idéal érémitique et ascétique
des Pères de Lérins. Césaire fut le premier évêque à écrire une règle
pour le monastère féminin qu’il avait fondé.
Césaire conçut le monastère féminin pour sa sœur et sa nièce
comme une entité autonome, et non pas comme un appendice d’une
institution pour hommes. Le monastère Saint-Jean ne devait être
subordonné ni au contrôle d’un évêque, ni à celui d’un abbé, mais
plutôt être seulement confié à la direction d’une abbesse. Mais le prix
pour que les religieuses de Saint-Jean puissent mener cette vie est très
élevé. C’est seulement après une période d’examen, le noviciat, que
l’on prête serment pour la vie, serment qui est rehaussé par une consé-
cration à la virginité. Césaire ordonne aux femmes une clôture très
sévère  23. Elles n’ont le droit à aucune fenêtre et, après leur entrée,

du Jura et probablement pour Jean Cassien. Voir aussi S. Elm, Virgins of God…, op. cit.,
p. 60-77.
20
  Jérôme, Ep. 22 ad Eustochium, c. 37-41.
21
 Édition de la version latine : M. Rampolla del Tindaro, Santa Melania guiniore senatrice
romana, Rome, 1905, p. 3-40. Édition de la version grecque (avec traduction en français) :
D. Gorce, Vie de sainte Mélanie, 1962 (Sources chrétiennes, 90).
22
  Caesarius Arelatensis, Regula sanctarum virginum, éd. et trad. A. de Vogüé et J. Cour-
reau, Césaire d’Arles, Œuvres monastiques, t. 1 (Œuvres pour les moniales), Paris, 1988 (Sources
chrétiennes, 354), p. 170-272. À propos de la règle, voir l’étude détaillée de A. Diem, Das
monastische Experiment…, op. cit., p. 162-167.
23
 C. Lambot, « Le prototype des monastères-cloîtres de femmes. L’abbaye Saint-Jean d’Ar-
les (vie siècle) », Revue liturgique et monastique, 23 (1938), p. 169-174.

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hiérarchie, ordre et mobilité dans le monachisme féminin

les portes doivent être murées (Regula ad virgines, 2, 2 ; 50 ; 59, 1-2 ;
73, 1-2). Il n’est permis à aucun homme, même pas aux pères corpo-
rels, de mettre le pied dans le couvent. Lors de la messe, on empêche
aux religieuses de voir les clercs par des constructions architectoni-
ques. Toutes les femmes consacrées à Dieu vivant à Arles ne se laissè-
rent pas convaincre par le concept de Césaire. Plusieurs préférèrent
vivre ensemble en petites communautés dans des maisons privées.
Malgré les obligations sévères et le fait que toutes les moniales,
même à Arles, ne suivent pas la Règle de Césaire, celle-ci n’est pas
complètement rejetée. Aurélien (523-† 551), le successeur de Césaire
sur le siège épiscopal d’Arles, l’adapte dans le but de créer une règle
pour sa communauté féminine de Sainte-Marie, en incluant les pré-
ceptes sévères sur la clôture 24. L’ancienne reine Radegonde fait exé-
cuter une copie de la règle pour son monastère de Sainte-Croix à
Poitiers  25. L’évêque Donat de Besançon (625/626-660), qui fonde
avec sa mère le monastère féminin de Jussa-Moutier (Jussanum) et en
confie la direction à sa sœur Sirudis, cherche son inspiration chez
Césaire 26. Les moines irlandais en mission sur le continent modifient
le texte de leur règle prévu pour les monastères masculins en vue des
communautés féminines, avec l’aide de la Règle de Césaire  27. Nous
devons à Gisela Muschiol une tentative d’identifier, en se servant de
sources diplomatiques et hagiographiques, les règles utilisées dans les
institutions féminines de l’époque mérovingienne 28.
Avec la Règle de saint Benoît, un nouveau concurrent devant être
adapté pour les communautés féminines fait son apparition aux côtés
du concept de Césaire et de la Règle mixte de Colomban. Donat utilise
les trois modèles. Mais ce n’est qu’au ixe siècle que la Règle de saint
Benoît commence sa marche triomphale 29.

24
  Aurelianus Arelatentis episcopus, Regula ad virgines (PL, 68, col. 399-408).
25
  Venantius Fortunatus, Vita sancta Radegundis, c. 24, et Grégoire de Tours, Libri Decem
Historiarum, IX, 40. Voir à ce propos R. Aigrain, « Le voyage de sainte Radegonde à Arles »,
Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1926/1927,
p. 119-127.
26
  Regula Donati ad virgines, éd. A. de Vogüé, « La règle de Donat pour l’abbesse Gauths-
trude. Texte critique et synopse des sources », Benedictina, 2 (1978), p. 219-313. Voir à ce
propos A. Diem, Das monastische Experiment…, op. cit., chapitre 7.2, p. 252-255.
27
  Waldebert de Luxeuil (?), Regula cuiusdam ad virgines, PL, 88, col. 1053-1070 ; voir
A. Diem, Das monastische Experiment…, ibid., chapitre 7.2, p. 260-266. Waldebert écrivit la
règle probablement avant 629 pour les religieuses de Faremoutiers-en-Brie.
28
  G. Muschiol, Famula Dei…, op. cit., p. 72-74.
29
  Une copie du ixe siècle de la Règle de saint Benoît de l’abbaye féminine d’Obermünster
fut remaniée aux xe-xie siècles et réécrite pour les femmes (Regensburg, Bischöfliches Zentra-
larchiv, fragment I.1.5, n° 6 [ex. Cim. 8]). Voir Krone und Schleier…, op. cit., n° 28, p. 188.

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hedwig röckelein

Les lettres de Jérôme, la Règle de Césaire, l’Institutio sanctimonia-


lium, dépendante de ces derniers et qui est promulguée au synode
d’Aix-la-Chapelle en 816 sous la direction et l’impulsion de Louis le
Pieux 30, ainsi que la Règle de saint Benoît adaptée pour les monastè-
res féminins forment au Moyen Âge central le corpus disponible de
règles pour les institutions féminines 31. On ne peut, cependant, que
rarement découvrir quelle règle était suivie par les communautés de
religieuses. Même les dénominations officielles des monastères don-
nent rarement des indices. Ils sont en général nommés, sans tenir
compte des différentes formes d’organisation, « monastère de jeunes
femmes  » (monasterium puellarum) ou «  monastère de moniales  »
(monasterium sanctimonialium)  32. Cela a conduit les chercheurs à des
controverses fastidieuses et, en fin de compte, sans résultats convain-
cants sur la constitution de chacune des institutions 33.

2.2. Mobilité horizontale ou clôture


Les premiers monastères féminins en Italie, en Afrique du Nord
et en Palestine représentaient des associations souples de femmes non
mariées, de vierges et de veuves dans les maisons privées de riches
romaines. Ces femmes, en tant que pèlerines des lieux saints et visi-
teuses des ermites dans le désert égyptien, appartenaient au groupe
des gens mobiles et migrateurs du monde cosmopolite de l’Antiquité

30
 T. Schilp, Norm und Wirklichkeit religiöser Frauengemeinschaften im Frühmittelalter. Die Insti-
tutio sanctimonialium Aquisgranensis des Jahres 816 und die Problematik der Verfassung von
Frauenkommunitäten, Göttingen, 1998 (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für
Geschichte, 137 ; Studien zur Germania Sacra, 21).
31
 La longue durée de la Règle de Césaire est attestée vers 900 par le Livre des règles de
l’abbaye de Niedermünster à Ratisbonne (Bamberg, Staatsbibliothek, Lit. 142), dans lequel
les règles de Césaire et de Benoît sont copiées l’une après l’autre. Voir Krone und Schleier…,
op. cit., n° 26, p. 186 et illustration à la p. 187.
32
  À propos du problème de la terminologie des sources, voir F. J. Felten, « Auf dem Weg
zu Kanonissen und Kanonissenstift. Ordnungskonzepte der weiblichen vita religiosa bis ins
9. Jahrhundert », in R. Averkorn et al. (dir.), Europa und die Welt in der Geschichte. Festschrift
zum 60. Geburtstag von Dieter Berg, Bochum, 2004, p. 551-573. Les dénominations, par les
institutions concernées elles-mêmes ou par des personnes extérieures, sont : ancillae Dei,
monachae, nonnae, feminae velatae, virgines sacratae, sanctae moniales, sub ordine canonica, sub
ordine regulari, regulariter. Sur ce problème, voir aussi A.-M. Helvétius, « Comment écrire
une nouvelle histoire du monachisme ? », in H.-W. Goetz et J. Jarnut (dir.), Mediävistik im
21. Jahrhundert. Stand und Perspektiven der internationalen und interdisziplinären Mittelalterfor-
schung, Munich, 2003, p. 443-455, part. p. 453.
33
 La marche triomphale du mouvement de réforme bénédictin, que Semmler croyait
reconnaître à Herford, a été contredite par une révision critique des sources. Voir J. Semm-
ler, « Corvey und Herford in der benediktinischen Reformbewegung des 9. Jahrhunderts »,
Frühmittelalterliche Studien, 4 (1970), p. 289-319.

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hiérarchie, ordre et mobilité dans le monachisme féminin

tardive. Les préoccupations morales des Pères de l’Église sur les ten-
tations et les dangers liés, selon eux, aux voyages, menèrent à des
restrictions de la mobilité féminine jusqu’à la clôture stricte voulue
par Césaire d’Arles à partir du ive siècle 34.
Le but que poursuit Césaire avec la clôture est de garantir la sécu-
rité et l’intégrité corporelle des habitantes ainsi que, pour la prière
d’intercession, le charisme obtenu par la chasteté des vierges 35. Avec
l’aide de la clôture stricte de l’espace monastique séparé du monde
et de la chasteté des vierges, Césaire espère créer un espace sacré au
milieu de la vie urbaine tournée vers le siècle 36.
Radegonde, elle-même, ne s’est pas soumise aux instructions de
Césaire sur la clôture, même si elle adopte sa règle pour ses religieu-
ses. Mais, contrairement aux riches Romaines Mélanie et Égérie, qui
ont entrepris des pèlerinages vers les lieux saints de Jérusalem, Rade-
gonde ne va pas chercher elle-même le morceau convoité de la sainte
Croix au Proche-Orient, mais envoie ses serviteurs (pueri) se procurer
les reliques 37. Les religieuses du monastère Sainte-Croix n’ont pas le
droit d’accompagner devant les murs du monastère le corps de la
fondatrice décédée, mais doivent la pleurer du haut des créneaux des
murs du monastère 38. Cependant, après la mort de la fondatrice en
587, les religieuses provenant de familles royales et distinguées se
refusent à vivre plus longtemps en clôture sévère. Elles s’engagent
dans une rébellion, jusqu’à ce que l’évêque leur accorde de plus gran-
des libertés 39.

34
 L. Herbert McAvoy et M. Hughes-Edwards (dir.), Anchorites, wombs and tombs. Intersec-
tions of gender and enclosure in the Middle Ages, Cardiff, 2005.
35
 C. Nolte, « Klosterleben von Frauen in der frühen Merowingerzeit. Überlegungen zur
Regula ad virgines des Caesarius von Arles », in W. Affeldt et A. Kuhn (dir.), Interdisziplinäre
Studien zur Geschichte der Frauen im Frühmittelalter : Methoden – Probleme – Ergebnisse, Düsseldorf
1986, p. 257-271.
36
 A. Diem, Das monastische Experiment…, op. cit., p. 180.
37
  Grégoire de Tours, Liber in gloria martyrum, c. 5. Grégoire fait de Radegonde, à cause
de l’importation de reliques, une « seconde Hélène ». Voir, à ce propos : B. Merta, « Hele-
nae conparanda regina – secunda Isebel. Darstellung von Frauen des merowingischen Hauses
in frühmittelalterlichen Quellen », Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsfor-
schung, 96 (1988), p. 1-32.
38
  Baudonivia, Vita sancta Radegundis, c. 24. Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum,
c. 104.
39
  Grégoire de Tours, Libri decem Historiarum, IX, c. 39-43 et X, c. 15-17, 20. Voir à ce
propos G. Scheibelreiter, « Königstöchter im Kloster. Radegund (†587) und der Non-
nenaufstand von Poitiers (589) », Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsfor-
schung, 87 (1979), p. 1-37 ; M. Hartmann, « Reginae sumus. Merowingische Königstöchter
und die Frauenklöster im 6. Jahrhundert  », Mitteilungen des Instituts für Österreichische
Geschichtsforschung, 113/1-2 (2005), p. 1-19.

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La haute position sociale des abbesses et des moniales ne permet


pas, dans de nombreux cas, le renoncement radical aux liens sociaux
avec leurs familles et leurs parents, leurs amis et leurs protecteurs. Les
textes hagiographiques sur les saintes abbesses de l’époque mérovin-
gienne attestent des échanges intensifs entre le monastère et le siècle,
dans les deux directions : les religieuses vont en voyage et reçoivent
des voyageurs  40. Entre autres, pour des raisons sociales, il leur était
impossible d’abandonner le contact avec l’extérieur. Avec la charité,
s’établit, en plus de la prière, un autre domaine de compétences pour
les communautés spirituelles féminines. Des cultes sont introduits et
institués par des monastères, comme le culte de la sainte Croix à Poi-
tiers, ou des cultes apparus « spontanément » parmi le peuple, comme
celui de sainte Gertrude à Nivelles. Ils contribuent également à briser
le silence méditatif derrière les murs du monastère, tout comme les
enfants qui fréquentent l’école monastique 41.
Alors qu’ils se servent de la Règle de Césaire, Waldebert de Luxeuil
et Donat de Besançon ne reprennent pas les prescriptions strictes sur
la clôture 42. Comme la Règle de Waldebert se répand plus que celle
de Césaire dans l’Empire franc, on peut supposer que très peu de
femmes ont vécu en clôture 43. Quant aux monastères féminins béné-
dictins, le rôle que jouent les instructions sur la clôture est controversé
parmi les chercheurs 44. Pour l’essentiel, les préceptes de la Règle de
saint Benoît sont repris, mais les versions destinées aux communautés
féminines diffèrent des modèles masculins précisément en ce qui
concerne la mobilité et la clôture 45.

40
 M. Gaillard, « Die Frauenklöster in Austrasien », in K. von Welck, A. Wieczorek et
H. Ament (dir.), Die Franken – Wegbereiter Europas (6. bis 8. Jahrhundert). Les Francs, pionniers
de l’Europe (vie-viiie siècle), Mayence, 1996, t. 1, p. 457. À Nivelles, en 656, les religieuses reçoi-
vent le maire du palais Grimoald et l’évêque Didon de Poitiers. À Pfalzel, Grégoire, le
petit-fils de l’abbesse Adèle, fut reçu comme invité. À propos de Radegonde (Poitiers) et
Balthilde (Chelles), voir S. Wittern, « Frauen zwischen asketischem Ideal und weltlichem
Leben. Zur Darstellung des christlichen Handelns der merowingischen Königinnen Rade-
gunde und Balthilde in den hagiographischen Lebensbeschreibungen des 6. und 7. Jahr-
hunderts  », dans W.  Affeldt et A.  Kuhn (dir.), Interdisziplinäre Studien…, op. cit.,
p. 272-294.
41
 L’enseignement scolaire est attesté à Saint-Jean de Laon (Vita Salabergae), à Essen (magis-
tra) et à Herford (aussi des garçons !).
42
  Par exemple, la Règle de Donat prévoit une bénédiction avant de quitter la maison.
43
  G. Muschiol, Famula Dei…, op. cit., p. 75.
44
  J. T. Schulenburg, « Strict Active Enclosure and Its Effects on the Female Monastic
Experience (ca. 500-1100) », in J. A. Nichols et L. T. Shank (dir.), Medieval Religious Women.
Distant Echoes, t. 1, Kalamazoo, 1984 (Cistercian Studies Series, 71), p. 51-86.
45
 L. de Seilhac, « L’utilisation de la Règle de saint Benoît dans les monastères féminins »,
in Atti del 7° Congresso internazionale di studi sull’alto medioevo, Norcia/Subiaco/Cassino/Mon-

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hiérarchie, ordre et mobilité dans le monachisme féminin

2.3. Réseaux, groupements de monastères et ordres


Avant le xe siècle 46, il n’y a pas de structures institutionnelles d’or-
dres ou de groupements de monastères, mais il y a des relations lâches
entre certains monastères : des réseaux, des familles et des groupe-
ments de monastères 47. Les communautés religieuses féminines y sont
intégrées de diverses manières : dans une sorte de communauté de
contrainte, lorsqu’elles sont sous la tutelle et le contrôle d’un évêque
ou d’un abbé ; de façon volontaire, lorsque des parents masculins ou
féminins vivent dans d’autres monastères ou les dirigent ; de façon
planifiée, lorsque des règles particulières sont adoptées.
Les monastères familiaux d’Autharius et de ses fils – Adon : Jouarre
(devenu plus tard un monastère féminin), Dadon : Rebais, Radon :
Reuil-en-Brie –, inspirés par le monachisme colombien, représentent
le type du groupement de monastères constitué par la parenté  48.
Cependant, le réseau de la Regula mixta de Colomban, qui pouvait être
adaptée pour des monastères féminins avec les modifications de Wald­
bert, s’étend bien au-delà du cercle étroit de la parenté  49. Y appar-

tecassino, 29 settembre-5 ottobre 1980, t. 2, Spolète, 1982, p. 527-549. Dans les règles féminines,
les chapitres sur les travaux des frères (50-51), l’accueil des visiteurs (53) et le travail manuel
dans le monastère (57), sur les prêtres du monastère et les moines étrangers (60-62), ainsi
que sur les moines en voyage (67), sont en général supprimés. Les problèmes qui s’élevaient
à propos de l’application de la Règle de Benoît pour les femmes sont discutés en détail par
Héloïse et Abélard dans leurs échanges épistolaires (lettres 6-7). Abélard propose une règle
pour le Paraclet (lettre 8).
46
 Sur les premiers monastères féminins dans l’Empire franc, voir : J. T. Schulenburg,
« Women’s Monastic Communities 500-1100. Patterns of Expansion and Decline », Signs,
14 (1989), p. 261-292 ; J.-M. Guillaume, « Les abbayes de femmes en pays franc, des ori-
gines à la fin du viie siècle », in M. Parisse (dir.), Remiremont, l’abbaye et la ville, Nancy, 1980,
p. 29-46 ; M. Gaillard, Les abbayes féminines dans le Nord-Est de la Gaule du vie au xe siècle, thèse
dactylographiée, 1987. Un aperçu des monastères féminins dans l’Empire franc au vie siè-
cle est donné dans M. Hartmann, « Reginae sumus… », op. cit., p. 9 ; le viie siècle est étudié
par M. Gaillard (« Die Frauenklöster… », op. cit., p. 452-458). Pour l’époque carolingienne,
voir J. Verdon, « Recherches sur les monastères féminins dans la France du Sud aux ixe-
xie siècles », Annales du Midi, 88 (1976), p. 117-138 ; Id., « Recherches sur les monastères
féminins dans la France du Nord aux ixe-xie siècles », Revue Mabillon, 59 (1976), p. 49-96.
47
  K. Bodarwé, « Ein Spinnennetz von Frauenklöstern. Kommunikation und Filiation zwi-
schen sächsischen Frauenklöstern im Frühmittelalter », in G. Signori (dir.), Lesen, Schreiben,
Sticken und Erinnern. Beiträge zur Kultur- und Sozialgeschichte mittelalterlicher Frauenklöster, Bie-
lefeld, 2000 (Religion in der Geschichte. Kirche, Kultur und Gesellschaft, 7), p. 27-52.
48
 Sur les deux familles, voir M. Weidemann, « Adelsfamilien im Chlotharreich. Verwandt-
schaftliche Beziehungen der fränkischen Aristokratie im ersten Drittel des 7. Jahrhun-
derts », Francia, 15 (1987), p. 829-851.
49
 Sur la diffusion des monastères iro-francs en Neustrie, voir A. Dierkens, « Prolégomènes
à une histoire des relations culturelles entre les îles britanniques et le continent pendant
le haut Moyen Âge. La diffusion du monachisme dit colombanien ou iro-franc dans quel-
ques monastères de la région parisienne au viie siècle et la politique religieuse de la reine

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tiennent, entre autres, les monastères féminins (ou monastères dou-


bles) de Chelles, Remiremont (fondé vers 620), Faremoutiers-en-Brie,
tout comme Notre-Dame (plus tard Saint-Jean) à Laon  50. À part la
règle commune, cette association souple de monastères s’articule sur
l’échange de livres, le conseil et l’aide, ainsi que la prière – avec les
inscriptions dans des listes de fraternité et de commémoration 51.
Que le monastère Sainte-Gertrude à Nivelles (fondé vers 646/647)
ait également appartenu à ce cercle a été à mis en doute par Michèle
Gaillard 52. Toutefois, des filiations partent de Remiremont : Maubeuge
(fondé vers 661), Andenne (fondé vers 692) et Oeren à Trèves (fondé
vers 650). À l’occasion d’une affiliation, le monastère envoyait parfois,
pour y devenir abbesse, une religieuse avec une bonne éducation et
de l’expérience, parfois aussi d’autres religieuses 53. Par des démem-
brements et des affiliations s’établissent dans certains cas, mais pas de
manière obligatoire  54, des relations de dépendance durables et des
hiérarchies entre mère et filles  55. La différence sociale est évidente
lorsque dans l’abbaye mère seule des personnes nobles sont choisies
comme religieuses, alors que se trouvent dans le prieuré dépendant
des personnes appartenant à des familles de ministériaux 56.

Bathilde », in H. Atsma (dir.), La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850, t. 2,
Sigmaringen, 1989, p. 371-394.
50
 Sur la diffusion de la Règle de Colomban et de la Règle de Waldbert dans les monastères
féminins francs des viie et viiie siècles, voir : G. Muschiol, Famula Die…, op. cit., p. 73-74,
et M. Gaillard, « Die Frauenklöster… », op. cit., p. 452-458.
51
  Liber memorialis von Remiremont, éd. E. Hlawitschka, K. Schmid et G. Tellenbach, MGH,
Antiquitates, Libri memoriales, 1, Hanovre, 1970.
52
 M. Gaillard (« Die Frauenklöster… », op. cit., p. 456), voit ici une influence d’Amand.
53
  Hathumod, la première abbesse de Gandersheim, a reçu sa formation à Herford ; Adèle,
la première abbesse de Vilich, à Sainte-Ursule de Cologne. Pour les mentions dans les
sources, voir K. Bodarwé, « Ein Spinnennetz… », op. cit., p. 36.
54
 Le monastère de Wendhausen, dans le Harz près de Thale, apparaît vers 825/830 en
tant que filiation du monastère westphalien de Herford, mais c’est un monastère privé du
comte Bernard. Herford n’envoie que le « personnel de fondation », mais n’exige pas, pour
cela, de prérogative de direction de Wendhausen. Lorsqu’en 936 des religieuses de Wend-
hausen sont appelées pour l’abbaye Saint-Servat de Quedlinburg, nouvellement créée, cela
ne donne aucunement au monastère plus ancien une prérogative de direction de l’abbaye
royale plus récente.
55
 Le monastère d’Oedingen, fondé vers 1000, resta toujours subordonné au monastère-
mère de Meschede.
56
 C’est le cas dans la « division du travail » entre l’abbaye féminine de Gernrode et l’ancien
monastère bénédictin de Frose, qui fut transformé en août 961 par Otton II en un prieuré
sous la direction de Gernrode (MGH, D O. II, 4) et, plus tard, resta réservé aux filles des
ministériaux de Gernrode. On retrouve la même situation dans les monastères mariaux,
qui furent fondés au xiie siècle par les abbayes féminines de Gandersheim, Quedlinburg et
Herford. Voir à ce propos K. Bodarwé, « Ein Spinnennetz… », op. cit., p. 35. La séparation
des groupes sociaux fut défendue de manière stricte par Hildegard de Bingen. Voir

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hiérarchie, ordre et mobilité dans le monachisme féminin

Il n’est pas seulement question de l’échange de règles, mais aussi


de la réception de certains privilèges qui se réalise par la voie de
réseaux informels. Ainsi, l’abbaye de Vilich reçut en 987 des droits
d’immunité très étendus, d’après le modèle des abbayes féminines de
Quedlinburg, Gandersheim et Essen 57. Les chanoinesses de Gernrode
se firent accorder en 999 par Otton III le libre choix de l’abbesse,
selon le modèle d’Essen  58, et confirmer leurs libertates d’après les
modèles de Quedlinburg, Gandersheim et Essen par Henri II en 1003
et par Conrad II en 1028 59.
De telles imitations se produisaient surtout là où des abbesses diri-
geaient plusieurs monastères, comme c’est le cas à l’époque otto-
nienne. Adélaïde (977-† 1043) 60, fille de l’empereur Otton II et sœur
de l’empereur Otton III, atteint un record dans l’accumulation des
charges. Dans les dernières années de sa vie, elle est à la fois abbesse
de Quedlinburg (999), Vreden (depuis 1014), Gernrode (depuis
1014), Frose (depuis 1014) et Gandersheim (depuis 1039).
Les monastères de bénédictines au sein du groupement de
monastères hiérarchique et autoritaire de Cluny ont une position
décidément plus faible que les abbayes féminines. Cluny n’a aucun
mérite dans l’accroissement du nombre de monastères féminins au
xie siècle. Alors qu’il y a une bonne centaine d’institutions pour hom-
mes qui se sont associées à Cluny au cours de la réforme grégorienne,
il n’y en a que 19 pour les femmes, fondées en tant que prieurés de
Cluny ou qui se sont joints plus tard au groupement  61. Le premier

l’échange épistolaire avec Tenxwind d’Andernach, cf. A.  Haverkamp, « Tenxwind von
Andernach und Hildegard von Bingen. Zwei “Weltanschauungen” in der Mitte des 12.
Jahrhunderts  », in L.  Fenske, W.  Rösener et T.  Zotz (dir.), Institutionen…, op. cit.,
p. 515-548.
57
  MGH, D O. III, 32 : ad legem et ad regularem ordinem caeterorum monasteriorum in nostro regno
degentium, scilicet Quidilingeburg, Ganderesheim, Asnithe, libertatem dedimus. Voir à ce propos
H. J. Schuffels, « Urkunde König Heinrichs II… », op. cit., t. 2, p. 252-254.
58
  MGH, D O. III, 326, 31 juillet.
59
 Les droits de libre choix de l’abbesse, de l’immunité et de la protection royale furent
confirmés par Henri II (MGH, D H. II, 44, 1003, 22 mars) et, en faisant référence à Qued­
linburg, Gandersheim et aux autres abbayes royales, en 1028, par Conrad II (MGH, D K.
II, 129).
60
  H. Goetting, « Adelheid, Äbtissin von Quedlinburg (Gernrode, Vreden, Ganders-
heim) », in Neue Deutsche Biographie, t. 1, Berlin, 1953, p. 59-60.
61
  G. Andenna, Sanctimoniales Cluniacenses. Studi sui monasteri femminili di Cluny e sulla loro
legislazione in Lombardia (XI-XV secolo), Münster, 2004 (Vita regularis, 20). Quelques monas-
tères féminins, qui se joignirent au mouvement de Cluny, furent fondés seulement vers ou
après le milieu du xiie siècle – Artingthon en Yorkshire, l’abbaye de Northampton, Feldbach
en Alsace, San Angelo di Ceccano –, d’autres furent réformés d’après le modèle des Cluni-
siens seulement vers 1200 (Bassum en Basse-Saxe).

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hedwig röckelein

prieuré féminin clunisien, fondé vers 1055, Marcigny-sur-Loire 62, n’a


pas le droit de fonder des filiales, car l’Ecclesia Cluniacensis réclame
pour elle seule le droit d’affiliation. On fonde à côté du monastère
féminin un prieuré pour moines, pour la surveillance et pour la cura
monialium, qui se trouve directement sous le contrôle de l’abbé de
Cluny. Bien que Marcigny ait poussé de très nombreuses femmes
nobles à entrer dans le mouvement clunisien, qui contribuèrent par
leurs donations à faire de leurs institutions de riches propriétaires
dans toute l’Europe, la direction du groupement refuse aux femmes
les libertés que les chanoinesses saxonnes de cette époque exigeaient,
obtenaient et défendaient, et que même Cluny réclamait pour elle-
même et son Église. De plus, les moines de Cluny, qui se dépeignent
comme des agni immaculati 63, s’en prennent au monopole des monas-
tères féminins sur la chasteté, la prière, la memoria et les aumônes, et
concurrencent sérieusement les monastères féminins. Ils assurent les
donateurs de fondations pour le salut des âmes et pour les aumônes
qu’ils peuvent, grâce à leur pureté, livrer les mêmes services de prière
et de commémoration que fournissent les communautés de virgines
grâce à leur chasteté.

Traduit de l’allemand par Sébastien Rossignol.

62
 E. M. Wischermann, Marcigny-sur-Loire. Gründungs- und Frühgeschichte des ersten Cluniacen-
serinnenpriorats (1055-1150), Munich, 1986 (Münstersche Mittelalterschriften, 42), p. 503.
Le monastère fut fondé par l’abbé Hugues de Cluny (1049-1109) et son frère Godefroy de
Semur afin de créer une place appropriée pour leur mère.
63
 D. Iogna-Prat, « Continence et virginité dans la conception clunisienne de l’ordre du
monde autour de l’an Mil », Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes rendus, 1985,
p. 127-143.

220

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Hans-Werner Goetz

Les ordines dans la théorie


médiévale de la société :
un système hiérarchique ?

T
riplex ergo Dei domus est quae creditur una. Nunc orant, alii pugnant,
aliique laborant  1. Ce sont les mots bien connus d’Adalbéron
de Laon dans son Poème au roi Robert, généralement considérés
comme la représentation la plus caractéristique d’une théorie sociale
du Moyen Âge : la fameuse « théorie des trois ordres », oratores, bella-
tores, laboratores. Ce « système tripartite » qui, en tant que théorie, voire
la théorie médiévale de la société semblait paradigmatique, fit l’objet
d’une recherche abondante et exhaustive. Il suffit de rappeler, parmi
tant d’autres, les études de Georges Dumézil (bien que controver-
sées)  2, de Jacques Le Goff  3, de Georges Duby  4 ou d’Otto Gerhard
Oexle 5. Il semblerait par conséquent superflu de revenir sur ce thème.
Pourtant, l’étude récente de David Fraesdorff sur le développement

1
  Adalbéron de Laon, Carmen ad Robertum regem, v. 295 sq., éd. C. Carozzi, Paris, 1979
(Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge , 32), p. 22 [désormais abrégé Adal-
béron]. Une interprétation détaillée est donnée par O. G. Oexle, « Die funktionale Drei-
teilung der “Gesellschaft” bei Adalbero von Laon. Deutungsschemata der sozialen Wirkli-
chkeit im früheren Mittelalter », Frühmittelalterliche Studien, 12 (1978), p. 1-54, ici p. 16-32,
en particulier p. 23 sq.
2
  G. Dumézil, L’idéologie tripartie des indo-européens, Bruxelles, 1958.
3
  J. Le Goff, « Note sur société tripartie. Idéologie monarchique et renouveau économique
dans la chrétienté du ixe-xie siècle », in T. von Manteuffel et A. Gieysztor (dir.), L’Europe
aux ixe-xie siècles, Varsovie, 1968, p. 63-71 [repris dans Pour un autre Moyen Âge. Temps, travail
et culture en Occident, Paris, 1977, p. 80-90] ; Id., « Les trois fonctions indo-européennes.
L’historien et l’Europe féodale », Annales ESC, 34 (1979), p. 1187-1215.
4
  G. Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, 1978.
5
 O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », op. cit. ; Id., « Tria
­genera hominum. Zur Geschichte eines Deutungsschemas der sozialen Wirklichkeit in
Antike und Mittelalter », in L. Fenske et al. (dir.), Institutionen, Kultur und Gesellschaft im
Mittelalter. Festschrift für Josef Fleckenstein, Sigmaringen, 1984, p. 483-500 ; Id., « Deutungs­
schemata der sozialen Wirklichkeit im frühen und hohen Mittelalter. Ein Beitrag zur Ge­
schichte des Wissens », in F. Graus (dir.), Mentalitäten im Mittelalter. Methodische und inhalt-
liche Probleme, Sigmaringen, 1987, p. 65-117 ; Id., « Die funktionale Dreiteilung als Deutungs­
schema der sozialen Wirklichkeit in der ständischen Gesellschaft », in W. Schulze (dir.),
Ständische Gesellschaft und soziale Mobilität, Munich, 1988, p. 19-51 ; Id., « “Die Statik ist ein
Grundzug des mittelalterlichen Bewußtseins”. Die Wahrnehmung sozialen Wandels im Den-
ken des Mittelalters und das Problem ihrer Deutung », in J. Miethke et K. Schreiner (dir.),

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hans-werner goetz

graduel des oratores dans ce système « tripartite » semble indiquer qu’il


est encore possible de découvrir plusieurs aspects nouveaux 6. De fait,
chacun des auteurs nommés plus haut a favorisé une approche diffé-
rente – et a plus ou moins délaissé d’autres aspects. Mise à part la
conception de Georges Dumézil d’une origine « indo-européenne »
de cette théorie, Le Goff a souligné sa fonction en tant qu’instrument
de propagande pour asseoir l’État et la monarchie – le roi étant le
garant de l’équilibre social, en tant que fondement de l’État –, tandis
que Georges Duby a considéré le « système tripartite » comme l’ex-
pression de l’époque (et de la mentalité) féodale, et il a cherché à
identifier les initiateurs de cette formule au sein des cercles conserva-
teurs du clergé. Georges Duby a également appréhendé tout le déve-
loppement de ce système de ses origines jusqu’au haut Moyen Âge –
puis jusqu’à la grande Révolution –, et nous a, à juste titre, avertis de
ne pas isoler le contenu de son contexte. Dominique Iogna-Prat a
souligné (et explicité) très justement que ce contexte est en premier
lieu un contexte théologique  7. Il convient de s’en souvenir. Otto
Gerhard Oexle, en revanche, qui en même temps que Georges Duby
et par la suite dans plusieurs articles, a également analysé de manière
approfondie toutes les références des sources, s’est intéressé avant
tout au rapport de ce système théorique à la réalité sociale du Moyen
Âge.

Toutes ces questions, qui certes sont d’une grande importance, ne


m’intéressent pas en vue de cet exposé. Il me semble cependant néces-
saire de considérer tout d’abord brièvement le contexte et les fonc-
tions de la « théorie tripartite », en y associant les résultats de recher-
ches plus récentes. Si le système sert à la légitimation de la monarchie
– comme l’admet Jacques Le Goff –, il faut y ajouter, selon les recher-
ches allemandes plus récentes concernant le caractère de ces sour-
ces 8, une tendance à l’exhortation (ou parénétique) envers le roi – et

Sozialer Wandel im Mittelalter. Wahrnehmunformen, Erklärungsmuster, Regelungsmechanismen, Sig-


maringen, 1994, p. 45-70.
6
 D. Fraesdorff, « Beten für die Gesellschaft. Die « oratores »-Theorie als Deutungsmodell
der sozialen Wirklichkeit im Mittelalter », Historisches Jahrbuch, 125 (2005), p. 3-38.
7
 D. Iogna-Prat, « Le “baptême” du schéma des trois ordres fonctionnels. L’apport dans
l’école d’Auxerre de la seconde moitié du ixe siècle », Annales, 41 (1986), p. 101-126, ici
p. 116.
8
 Cf. L. Körntgen, Königsherrschaft und Gottes Gnade. Zu Kontext und Funktion sakraler Vors-
tellungen in Historiographie und Bildzeugnissen der ottonisch-frühsalischen Zeit, Berlin, 2001 (Orbis
mediaevalis. Vorstellungswelten des Mittelalters, 2).

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les ordines dans la théorie médiévale de la société

cela particulièrement chez Adalbéron. Bien souvent, ces systèmes sont


moins énoncés en rapport avec la paix de Dieu (thèse de Georges
Duby) qu’en rapport avec la réforme de l’Église – le mouvement de
la paix de Dieu en constituant une partie – et avec le « désarmement »
du clergé – en particulier chez Aelfric d’Eynsham et Gérard de Cam-
brai –, en soulignant la séparation des ordres ecclésiastiques et sécu-
liers – en particulier chez Humbert de Silva Candida 9 –, mais aussi en
distinguant entre clergé et moines. Pour Dominique Iogna-Prat, le
modèle d’Adalbéron est une réponse «  épiscopale  » au modèle
« monastique » de l’école d’Auxerre 10. Dans tous les cas, il convient
de tenir compte du fait que ces théories s’intègrent souvent à une
critique du présent. L’évêque Gérard de Cambrai, selon Georges
Duby, prenait avant tout partie contre les chevaliers 11. Et Adalbéron
ne parlait pas réellement d’un modèle propre à son époque, mais
d’un modèle « ancien » qui, de manière explicite, n’était plus valable
de son temps ! Au présent, il nous informe que le roi ne pouvait pas
garantir l’ordre et la paix parce que la loi et la paix avaient disparu :
mutantur mores hominum mutatur et ordo – « en changeant les mœurs
des hommes, l’ordre change également »  12. Autant que je le sache,
cette tendance n’a jamais été prise en compte.

Par ailleurs, la discussion dans son ensemble, sans aucun doute


importante, est, à mon avis, néanmoins contrecarrée par plusieurs
restrictions concernant l’exclusivité ou la prépondérance du système
d’Adalbéron :
• en premier lieu, l’accent fut toujours mis sur ce système tripartite,
tout en sachant bien qu’il existait d’autres modèles. De fait, il faut
souligner, d’une part, une multiplicité de schémas  13, par exemple
« bipartite » : nobiles/ignobiles, potens – dives/pauper, domini/servi, milites/
rustici, clerici/laici, ou « tripartite » : clerici/monachi/laici, pupilli/orphani/

9
  Humbert de Silva Candida, Adversus simoniacos, 3, 29, éd. F. Thaner, MGH, Libelli de lite,
1, Hanovre, 1891, p. 235 : Est enim clericalis ordo in ecclesia praecipuus tanquam in capite oculi
(…). Est et laicalis potestas tanquam pectus et brachia ad obediendum et defendendum ecclesiam valida
et exerta. Est deinde vulgus tanquam inferiora vel extrema membra ecclesiasticis et saecularibus potes-
tatibus pariter subditum et pernecessarium. Cf. G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 255.
10
 D. Iogna-Prat, « Le “baptême” du schéma… », op. cit., p. 118.
11
 Cf. G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 58 sq.
12
  Adalbéron, v. 301 sq., op. cit., p. 22 : Dum les preualuit tunc mundus pace quieuit. / Tabescunt
leges et iam pax defluit omnis. / Mutantur mores hominum mutatur et ordo. / Rex ! tunc iure tenes
lancem tunc proregis orbem / Procliuos noxis cum legum stringis habenis.
13
 Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », op. cit., p. 10 sq. ;
G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 25 sq.

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viduae, doctores/abstinentes/coniugati, coniugati/continentes/virgines. Ces


derniers semblent avoir une signification autre, mais sont véritable-
ment utilisés de manière tout à fait parallèle, notamment en tant que
parties du même corps de l’Église, comme dans le « modèle d’Adal-
béron ». Abbon de Fleury, notamment, fait la distinction à l’égard des
deux sexes, entre époux et épouses, abstinents (ou veuves) et vierges
(ou nonnes) 14. On a pris bonne note de ces schémas en tant qu’an-
técédents du « système tripartite », cependant ils ont aussi leur « exis-
tence propre ». De plus, tous les schémas (et leurs contenus) peuvent
être utilisés indépendamment ou bien devenir des composants du
«  modèle tripartite  » qui, en fait, n’est qu’une théorie (entre
d’autres) ;
• d’autre part, et en second lieu, on a toujours reconnu une diffé-
renciation à l’intérieur des deux ordres, ecclésiastique et laïc : Rathier
de Vérone, notamment – concernant les premiers, les « fils de l’Église »
–, fait une distinction entre clercs et moines, voire entre évêques,
clercs et moines, ou (pour les derniers, les laïcs) entre libres et serfs
ou entre chevaliers et laboratores 15. Haymon d’Auxerre crée un « sys-
tème tripartite séculier » des juifs de l’Ancien Testament ainsi que des
anciens Romains qui distinguent « sénateurs », « guerriers » et « agri-
culteurs » et, de manière parallèle, un système tripartite de l’Église à
l’époque chrétienne, distinguant ecclésiastiques, guerriers et agricul-
teurs 16. Abbon de Fleury qui, chez les hommes, établit une distinction
entre laïcs, clercs et moines, subdivise les laïcs en agricolae et agonistae,
et les clercs selon le degré d’ordination  17, faisant ainsi du système
« tripartite » un système « polypartite ». Claude Carozzi a souligné, à
juste titre, que même le système tripartite d’Adalbéron de Laon peut
également être appréhendé comme un système bipartite (clercs et

14
  Abbon de Fleury, Liber apologeticus, PL, 139, col. 463.
15
 Cf. Rathier de Vérone, Praeloquia, III, 22, éd. P. L. D. Reid, CCM, 46a, Turnhout, 1984,
p. 95 : omnes, inquam, Ecclesiae filii aut de sorte sunt Domini et appellantur clerici et monachi, aut
sunt Ecclesiae famuli, episcopi uero confamuli, aut laboratores, servi et liberi, aut milites regni.
16
  Haymon d’Auxerre, Expositio in Apocalypsin 1,1, PL, 117, col. 953 : A tribus scilicet ordini-
bus, qui forsitan erant in populo Judaeorum, sicut fuerunt apud Romanos, in senatoribus scilicet,
militibus, et agricolis, ita et Ecclesia eisdem tribus modis partitur, in sacerdotibus, et militibus, et agri-
cultoribus, quae tribus amabilis dicitur.
17
  Abbon de Fleury, Liber apologeticus, PL, 139, col. 463 : Et primus quidem ordo est in utroque
sexu conjugatorum ; secundus continentium, vel viduarum ; tertius virginum vel sanctimonialium.
Virorum tantum similiter tres sunt gradus vel ordines, quorum primus est laicorum, secundus clerico-
rum, tertius monachorum. Cf. G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 115 sq.

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les ordines dans la théorie médiévale de la société

laïcs) ainsi qu’un système « quadripartite » – clercs, moines, guerriers


et serfs 18. Il convient de tenir compte de cette diversité ;
• en troisième lieu, et en rapport avec le premier aspect, on s’est
toujours concentré sur ce système spécifique (et son développement) :
le modèle des oratores, bellatores et laboratores qui a trouvé sa manifesta-
tion définitive chez Adalbéron de Laon et (peut-être) chez Gérard de
Cambrai. Il faut éventuellement reconnaître l’existence d’autres
modèles équivalents ;
• en quatrième lieu, on a porté une attention particulière à une
certaine terminologie définitive, alors qu’en réalité, les termes varient
considérablement ;
• en cinquième lieu, on a conçu l’histoire des modèles médiévaux
comme un développement menant plus ou moins en ligne directe
jusqu’à Adalbéron en tant que destination (escomptée). Dans ce
contexte, il a bien été perçu que le « modèle tripartite » ne s’est déve-
loppé que graduellement. Otto Gerhard Oexle, notamment, a montré
que le « troisième ordre », celui des laboratores, est ajouté relativement
tard – pour la première fois, sous forme d’inbelle vulgus, dans les Mira-
cula sancti Bertini  19. David Fraesdorff a récemment démontré que le
système des « oratores », en tant que « fusion » des clercs et des moines,
s’est également développé lentement : jusqu’au ixe siècle, on n’a connu
que les sacerdotes, ensuite des orantes, puis, à partir d’Heiric d’Auxerre,
des oratores 20. Par conséquent, en particulier grâce aux travaux d’Otto
Gerhard Oexle, il est tout au moins devenu évident que le système
« définitif » renferme une longue tradition ainsi que de multiples
variations. Néanmoins, on a probablement sous-estimé l’équivalence
d’autres modèles et développements, en particulier des modèles anté-
rieurs à cette période. Il faut toutefois reconnaître que, dans la concep-
tion médiévale également, on était convaincu que la division en trois
ordres était un système « naturel » et valable dès les tous débuts de la
société [humaine]. Pour Gérard de Cambrai, le genus humanum était
divisé ab initio en trois parties, à savoir entre « clercs », « agriculteurs »
et « combattants » (oratores, agricultores, pugnatores) 21. Pour Honorius

18
 C. Carozzi [« Les fondements de la tripartition sociale chez Adalbéron de Laon », Anna-
les ESC, 33 (1978), p. 683-702] souligne en plus le rôle de l’âge chez Adalbéron comme
catégorie sociale. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », op.
cit., p. 29 sq.
19
 O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », ibid., p. 38.
20
 D. Fraesdorff, « Beten für die Gesellschaft… », op. cit., p. 1 sq.
21
  Gesta episcoporum Cameracensium, 3, 52, éd. G. H. Pertz, MGH, Scriptores, 7, Hanovre, 1846,
p. 485 : Genus humanum ab initio trifariam divisum esse monstravit, in oratoribus, agricultoribus,

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Augustodunensis, la répartition entre liberi, milites et servi se réfère aux


trois fils de Noé, Sem (les prêtres), Japhet (les rois) et Ham (les
serfs) 22 ;
• en sixième lieu, le système tripartite a été considéré avant tout
comme un système hiérarchique (en particulier par Georges Duby) 23,
bien qu’on ait reconnu les différentes fonctions des ordres distincts.

Pour la présente contribution et dans le cadre de notre projet sur


les élites en général et sur la hiérarchie en particulier, je souhaite me
concentrer essentiellement sur ce dernier aspect. Les modèles médié-
vaux de la société, c’est ici mon interrogation, sont-ils des modèles
hiérarchiques, à savoir, départagent-ils les (ou des) élites de l’ordre
«  subordonné  » des laboratores (ou rustici)  ? Ou, autrement dit, le
« système tripartite » est-il un modèle « vertical » ou plutôt un modèle
« horizontal », un modèle de stratification sociale ou un modèle de
distribution « fonctionnelle » ? Et afin d’y répondre immédiatement,
j’opte plutôt en faveur de la seconde possibilité, une opinion que je
souhaite confirmer par ce qui suit.
Il est vrai que les traits caractéristiques pour une interprétation
« hiérarchique » existent, notamment chez Adalbéron, pour qui les
servi vivent dans une condition servile  24, puis chez Honorius, pour
qui les servi sont soumis aux prêtres ainsi qu’aux rois 25, et probable-
ment plus tôt chez Heiric d’Auxerre qui, d’après la teneur des Mira-
cula sancti Germani, semble reconnaître un seul ordre, celui de ses
destinataires (notamment des oratores), au service duquel les autres
sont soumis aux dures conditions du service militaire ou du labeur 26.

pugnatoribus ; horumque singulos alterutrum dextra laevaque foveri, evidens documentum dedit.
22
  Honorius Augustudunensis, Imago mundi, 3, éd. V. I. J. Flint, Archives d’histoire doctrinale
et littéraire du Moyen Âge, 49 (1982), p. 125 : Sem filius Noe est idem qui et Melchisedech vixit dcii.
Huius tempore divisum est genus humanum in iii, in liberos, in milites, in servos. Liberi de Sem,
milites de Iapheth, servi de Cham. Cf. G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 306.
23
 Cf. G. Duby, Les trois ordres…, ibid., p. 88 sq.
24
 Concernant le destin déplorable des serfs, cf. Adalbéron, v. 285 sq., op. cit., p. 20/22.
Adalbéron souligne que le droit humain (lex humana) énonce deux « conditions » (condi-
tiones) d’une loi différente : le noble et le serf, nobilis et servus ; cf. Adalbéron, v. 275 sq.,
op. cit., p. 20.
25
  Honorius Augustodunensis, Summa gloria, 6, éd. J. Dieterich, MGH, Libelli de lite, 3,
Hanovre, 1897, p. 67 : De Iafeth autem Romanum imperium processisse invenitur. Porro tertius
filius, qui duorum fratrum servitio addicitur, populus sacerdotio et regno subiectus accipitur, vel
Iudaicus populus utrique serviens intellegitur. Cf. G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 307.
26
  Heiric d’Auxerre, Miracula sancti Germani, 128, éd. L.-M. Duru, Bibliothèque historique
de l’Yonne, t. 2, Auxerre, 1863, p. 183 : Aliis belligerantibus, agricolantibus aliis, tertius ordo estis,
quos in partem privatae sortis allegit, quanto rebus extrinsecus vacuos, tanto suae servitutis functio-

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les ordines dans la théorie médiévale de la société

Abbon de Fleury évoque, en particulier, outre des «  ordres  », des


« degrés » ou « rangs » (gradus) avec une appréciation distincte : l’or-
dre des laïcs, qui est bon, l’ordre des clercs, qui est meilleur et l’ordre
des moines, qui est le meilleur encore 27. L’exemple le plus explicite
d’une vue hiérarchique est celle d’Humbert de Silva Candida qui,
dans ses écrits Adversus simoniacos, souligne que l’ordre ecclésiastique,
comparé aux yeux, se distingue des autres, tandis que le pouvoir laï-
que, comparé au thorax et aux bras, « est fort et courageux pour obéir
à l’Église et défendre celle-ci », alors que le « peuple » (vulgus), com-
paré aux membres « inférieurs » ou aux extrémités du corps, est subor-
donné aux pouvoirs ecclésiastique et laïque. Néanmoins, il ajoute que
le peuple n’est pas exclusivement « subordonné » et peut s’avérer
indispensable aux autres 28. Certes, Humbert souligne l’incompétence
des laïcs à régir les clercs, mais, à l’évidence, l’ordre social du Moyen
Âge est, sans aucun doute, selon lui, un ordre « hiérarchique ». Tou-
tefois, une telle hiérarchie est induite en tout lieu plutôt qu’elle n’est
explicitement justifiée. Au contraire, beaucoup d’auteurs signalent
que tous les ordres servent le roi, comme Adalbéron 29 et le roi anglo-
saxon Alfred dans sa traduction de Boèce – les trois ordres des gebed-
men, fyrdmen et weorcmen sont le soutien de la communauté dont le roi
a besoin et sans lesquels il ne peut gouverner le pays 30 – ou l’Église,

nibus occupandos. Utque alii pro vobis duras conditiones subeunt vel militiae vel laboris ; itidem vos
illis obnoxii persistitis, ut eos orationum et officii instantia prosequamini. G. Duby (Les trois ordres…,
ibid., p. 141 sq.) renvoie au modèle des hiérarchies célestes d’après Denis l’Aréopagite.
27
  Abbon de Fleury, Liber apologeticus, PL, 139, col. 463 : siquidem ex utroque sexu fidelium tres
ordines, ac si tres gradus, in sancta et universali Ecclesia esse novimus ; quorum licet nullus sine
peccato sit, tamen primus est bonus, secundus melior, tertius est optimus. Cf. O. G. Oexle, « Die
funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », op. cit., p. 41 sq. ; G. Duby, Les trois ordres…,
op. cit., p. 115 sq.
28
  Humbert de Silva Candida, Adversus simoniacos, 3, 29, op. cit., p. 235.
29
 Il faut remarquer qu’Adalbéron (Carmen ad Robertum regem, op. cit.) écrit un poème extrê-
mement politique et d’une manière critique (et de plus satirique). Pour lui également, le
roi se situe au-dessus des autres, même au-dessus du clergé lorsqu’il est rex et sacerdos (v. 182,
op. cit., p. 14). Cf. G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 64. Le sujet d’Adalbéron est « la
transformation du royaume » (v. 170, op. cit., p. 12) : Ordinis est igitur haec transformatio
regni.
30
  King Alfred’s Old English Version of Boethius, De consolatione philosophiae, 17, éd. W. J. Sedge-
field, Oxford, 1899, réimp. 1968, p. 40 : craeftes andweorc Þone cræft buton wyrcan bið Þonne
cyninges his tol mid to ricsianne, ** he hæbbe his lond fullmonnad ; he sceal habban gebedmen (and)
fyrdmen (and) weorcmen. Hwæt, Þu wast Þætte butan Þissan tolan nan cyning his cræft ne mæg
cyðan. À l’encontre, le roi est également dépendant de l’aide de ces ordres. Cf. G. Duby,
Les trois ordres…, ibid., p. 128 ; O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesell­
schaft”… », op. cit., p. 33. Cf. aussi Admonitio ad omnes regni ordines, n° 150, c. 3, éd. A. Bore-
tius, MGH, Capit., 1, Hanovre, 1883, p. 303 : tous les ordres servent selon leur place et
rang de la même manière au roi, selon l’autorité divine et ordination humaine, au point

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comme dans une lettre de Charlemagne (ou Alcuin) au pape Léon


III concernant les devoirs de l’empereur (défense) et du pape (prière)
qui agissent tous deux pour l’Église 31, et dans la Chronique des ducs de
Normandie de la fin du xiie siècle  32. Gérard, pour sa part, ne donne
aucune indication d’une hiérarchie des ordres, mais plutôt d’une
hiérarchie au sein de chaque ordre 33.

En effet – et c’est ici ma thèse –, le « modèle tripartite » et les autres


modèles de la société médiévale, quant à leurs fonctions et leurs inten-
tions, représentent plutôt une division fonctionnelle et horizontale
de la société, en exprimant une certaine équivalence des ordres (et
de leur rang). Une telle opinion peut être confortée par cinq facteurs
que je souhaite développer de la manière suivante :
• les auteurs soulignent souvent le fait que « les ordres sont des
parties d’un seul corps  »  34, formant ainsi une entité – parfois le
royaume, mais plus souvent l’Église  35. Le corps, comme déjà chez

que tous doivent aider le roi (Sed quamquam summa huius ministerii in nostra persona consistere
videatur, tamen et divina auctoritate et humana ordinatione ita per partes divisum esse cognoscitur,
ut unusquisque vestrum in suo loco et ordine partem nostri ministerii habere cognoscatur ; unde appa-
ret, quod ego omnium vestrum admonitor esse debeo, et omnes vos nostri adiutores esse debetis).
31
  Alcuin, Ep. 93, éd. E. Dümmler, MGH, Epp., 4, Berlin, 1895, p. 137 : Nostrum est : secun-
dum auxilium divinae pietatis sanctam undique Christi ecclesiam ab incursu paganorum et ab infi-
delium devastatione armis defendere foris, et intus catholicae fidei agnitione munire. Vestrum est,
sanctissime pater : elevatis ad Deum cum Moyse manibus nostram adiuvare militiam ; de manière
similaire Zacharias, Codex Carolinus ep., 3, éd. W. Gundlach, MGH, Epp., 3, Berlin, 1892,
réimp. 1957, p. 480, lettre du Pape Zacharie à Pépin en 747 : le devoir des rois et des
guerriers est sollicitudinem contra inimicorum astutiam et provintiae defensionem, le devoir des
praesulibus vero, sacerdotibus adque Dei servis pertinet salutaribus consiliis et oracionibus  ; cf.
O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », ibid., p. 36.
32
  Benoît de Sainte-Maure, Chronique des ducs de Normandie, v. 13242 sq., éd. C. Fahlin, I,
Lund, 1951, p. 383 sq. : Chevaliers, clercs et vilains, tous servent l’Église (Treis ordres sunt
chascuns par sei : / Chevalers e clers et vilains, / S’est chascuns dreiz e buens e sains. / Si l’un de l’autre
se devise / Sis receit eus toz saite iglise. / De chascun ordre est ennoree, / Faite, essauciee et coutivee. /
Li uns ordres l’autre sostient / E l’uns ordres l’autre maintient : / L’uns ordres pree nuit e jor, / En
l’autre sunt laboreor, / Li autres gardes e tient justice, / E de toz est chés saite iglise.). Cf. G. Duby,
Les trois ordres…, op. cit., p. 328 sq.
33
 Cf. G. Duby, Les trois ordres…, ibid., p. 58 : « Gérard parle ici de communication, de
mutualité, de services rendus, d’inégalité bien sûr, mais ni de rangs, ni de grades, ni de
puissance. »
34
 Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », op. cit., p. 10 sq.,
concernant la « tradition paulinienne ».
35
 Ainsi, de manière explicite, Aelfric d’Eynsham, Die Hirtenbriefe Aelfrics in altenglischer
und lateinischer Fassung, éd. B. Fehr, Hambourg, 1914 (Bibliothek der angelsächsischen
Prosa, 9), n° 2a, chap. 14, p. 225 sq. : Suspicor non latere almitatem tuam tres ordines fore in
ecclesia dei. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », ibid., p. 10
sq.

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les ordines dans la théorie médiévale de la société

saint Boniface, dispose d’une âme avec différents membres aux devoirs
(officia) distincts. Ainsi l’Église est un corps émanant des diverses
« dignités » (dignitates) auxquelles incombent des services propres :
les « directeurs » (praepositi) et les « subordonnés » (subditi), les riches
et les pauvres, les vieux et les jeunes. « Chaque personne suit ses pro-
pres instructions, comme chaque membre a ses propres exigences
dans le corps  36. » Puis Boniface énumère les tâches respectives de
chaque ordre : les évêques doivent conjurer le mal, les rois inspirer
au peuple peur et vénération, etc. Pour Hugues de Saint-Victor, les
deux « parties » du corps du Christ, les clercs et les laïcs, forment
l’Église unique et entière 37. Les laïcs, qui se préoccupent des néces-
sités de la vie terrestre, constituent le côté gauche du corps du Christ,
les clercs, qui gèrent ce qui incombe à la vie spirituelle, le côté droit 38.
Honorius Augustodunensis distingue plusieurs « ordres » cléricaux
– docteurs, moines, maîtres, prêtres – et laïcs (chevaliers, paysans)
dans l’Église, ayant chacun une fonction particulière  39. Adalbéron
met en évidence cette unité en parlant de la « maison de Dieu » qui
ne tolère pas de scission : Quae tria sunt simul et scissuram non patiun-
tur 40 ;

36
  Boniface, Sermo 9, PL, 89, col. 860 : Una est enim corpori nostro anima, in qua vita consistit,
sed multa sunt membra diversis distincta officiis. Sic in Ecclesia una est fides, quae per charitatem
ubique operari debet, sed diversae dignitates proprias habentes ministrationes. Nam alius ordo praepo-
sitorum est, alius subditorum ; alius divitum, alius pauperum ; alius senum, alius juvenum ; et
unaquaeque persona habens sua propria praecepta, sicut unumquodque membrum habet suum pro-
prium in corpore officium.
37
  Hugues de Saint-Victor, De sacramentis christianae fidei, III, 2, 3, PL, 176, col. 417 :
Universitas autem haec duos ordines complectitur, laicos et clericos, quasi duo latera corporis unius.
Quasi enim ad sinistram sunt laici qui vitae praesentis necessitati inserviunt. (…) Sed constat his
duabus partibus totum corpus Christi quod est universa Ecclesia. Cf. déjà Jonas d’Orléans, De
institutione regia, 1 (éd. J. Reviron, Les idées politico-religieuses d’un évêque du ixe siècle. Jonas
d’Orléans et son « De institutione regia », Paris, 1930, p. 134), qui souligne l’autorité majeure
des prêtres : Sciendum omnibus fidelibus est quia universalis Ecclesia corpus est Christi et eius caput
iidem est Christus, et in ea due principaliter extant eximie persone, sacerdotalis videlicet et regalis,
tantoque est prestantior sacerdotalis quanto pro ipsis regibus Deo est rationem redditura.
38
  Hugues de Saint-Victor, De sacramentis christianae fidei, III, 2, 3, PL, 176, col. 417 : Laici
ergo Christiani qui terrena et terrenae vitae necessaria tractant, pars corporis Christi sinistra sunt.
Clerici vero quoniam ea quae ad spiritualem vitam pertinent dispensant, quasi dextera pars sunt
corporis Christi. Cf. G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 298 sq.
39
  Honorius Augustodunensis, Expositio in Cantica canticorum, I, 1, PL, 172, col. 361 : Tota
Ecclesia est quasi unum corpus, cujus caput est Christus, caput autem Christi Deus ; membra autem
hujus corporis sunt diversi in ecclesia ordines, ut puta oculi sunt doctores ut apostoli, aures obodientes
ut monachi, nares discreti ut magistri, os bona loquentes ut presbyteri, manus alios defendentes ut
milites, pedes alios pascendo portantes ut rustici.
40
  Adalbéron, v. 297, op. cit., p. 22. Voir également v. 295.

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• au sein de cette unité, les trois (ou d’autres) ordres occupent des
fonctions différentes, ainsi que l’énonce de manière explicite Dudon
de Saint-Quentin. L’Église est divisée en trois ordres (tripartito ordine),
laïcs, clercs et moines, qui se distinguent de par leurs « offices » res-
pectifs pour la foi chrétienne (dispares officia), mais forment néan-
moins une unité – tout comme Dieu est unique et pourtant une Tri-
nité 41. Par les termes belligerantes et agricolantes, Heiric d’Auxerre ne
décrit pas (exclusivement) des « ordres », mais leurs activités 42 ! Hei-
ric, en effet, évoque expressément les functiones. Cependant, puisque
les moines forment un tertius ordo, alors les autres sont également
perçus comme des « ordres ». Selon Adalbéron, clercs et laïcs sont
distincts de par des lois différentes : la lex divina et la lex humana  43.
Gérard de Cambrai s’oppose fermement à un mélange des tâches du
roi et de l’évêque et contre une appropriation des tâches de l’autre.
Le devoir du roi est de combattre, notamment en réprimant les révol-
tes, d’arbitrer les guerres (ou conflits armés) et de veiller à l’épanouis-
sement des échanges en temps de paix. Par contre, le devoir des évê-
ques est de prier, notamment en avertissant les rois pour qu’ils défen-
dent courageusement la patrie et en priant pour qu’ils remportent la
victoire 44 ;

41
  Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actis primorum Normanniae ducum, éd. J. Lair,
Caen, 1865, p. 201 : Cur christiana religio tripertito ordine Ecclesiam frequentat ? Eruntne unius
mercedis uniusque bravii, qui dispares sunt officiis christianae religiositatis ? Respondit abbas : ‘Unus-
quisque suam mercedem accipiet secundum suum laborem. Sed tibi, nutanti de talibus, reserabo haec
enucleatius. Christianae religionis summa trimodo constat ordine distincta : munifico laicorum cano-
nicorumque atque monachorum labore exercita, Trinitatem in personis, Deum unum in substantia
articulis fidei exsecuta. Quorum servitus feliciter perfecta ad coelum tendit aequis incessibus et, quan-
quam tres ordines sint, ad excolendum cultum verae fidei, bicallis via est ambivii itineris, certa spe
verae credulitatis. Cf. G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 109 sq.
42
  Heiric d’Auxerre, Miracula sancti Germani, 128, op. cit., p. 183. Cf. D. Iogna-Prat, « Le
“baptême” du schéma… », op. cit., p. 106 sq.
43
  Adalbéron, v. 275 sq., op. cit., p. 20. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der
“Gesellschaft”… », op. cit., p. 25 sq.
44
  Gesta episcoporum Cameracensium, 3, 27, op. cit., p. 474 : Hoc enim non tam inpossibile quam
incongruum videri respondit, si quod regalis iuris est, sibi vendicari presumerent. Hoc etiam modo
sanctae aecclesiae statum confundi, quae geminis personis, regali videlicet ac sacerdotali, administrari
precipitur. Huic enim orare, illi vero pugnare tribuitur. Igitur regum esse, seditiones virtute compescere,
bella sedare, pacis commercia dilatare ; episcoporum vero, reges ut viriliter pro salute patriae pug­nent
monere, ut vincant orare. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… »,
ibid., p. 42 sq. ; D. Fraesdorff, « Beten für die Gesellschaft… », op. cit., p. 24. Antérieure à
celles-ci, de manière similaire, Paschasius Radbertus, Epitaphium Arsenii, II, 2, éd. E. Düm-
mler, Berlin, 1900 (Philosophische und historische Abhandlungen der königlichen Aka-
demie der Wissenschaften zu Berlin 1899/1900, 2), p. 62 : Interea nostis, inquit, quibus
ordinibus Christi constat ecclesia ? Certum quippe quod secundum singulorum officia requirendus est
ordo disciplinę et status reipublicę. Unde primum considerari oportet intus divina, tum exterius

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les ordines dans la théorie médiévale de la société

• par conséquent, les ordres existent l’un à côté des autres. Chez
Gérard, on ne peut pas déceler une répartition des tâches hiérarchi-
ques, comme le pense Georges Duby  45. La première référence au
« peuple » dans les Miracula sancti Bertini, à l’occasion de la distribu-
tion du butin, souligne déjà la participation de celui-ci à la victoire 46.
Selon ce texte, en effet, « le peuple peu belliqueux » (inbelle vulgus),
contrairement à la caractérisation de son ordre, prend part à la vic-
toire par ses prières ! Selon Abbon de Fleury, ceux-ci – les agricolae,
« que l’agriculture et les divers arts du travail agricole font suer » –
soutiennent l’ensemble de l’Église par leur travail, tandis que les
« guerriers » défendent cette même Église contre tous ses ennemis 47.
Et chaque ordre, selon son projet particulier, attend la récompense
du salut éternel  48. Enfin, Adalbéron de Laon, évoquant par la suite
la Jérusalem céleste  49, souligne l’absence d’une servilis conditio  50 et,
plus loin dans le texte, l’égalité de tous 51. De manière similaire, Bruno,
le fondateur de l’ordre des Chartreux, lorsqu’il interprète la lettre de
saint Paul aux Corinthiens, reprend le modèle des trois ordres mais
souligne leur égalité – et leur même chance d’accéder à la béatitude

humana, quia procul dubio his duobus totius ecclesiae status administratur ordinibus : ut sit impera-
tor et rex suo mancipatus officio, nec aliena gerat, sed ea quae sui iuris competunt propria, neque
pretermittat ea, quia pro his omnibus adducet eum Dominus in iudicio : episcopus vero et ministri
ecclesiarum, specialius quae Dei sunt, agant.
45
  G. Duby, Les trois ordres…, op. cit., p. 57 : « La répartition hiérarchisée des tâches entre le
sacerdoce et la royauté établit un équilibre que les institutions de paix détruiraient si, par
malheur, elles étaient mal construites. »
46
  Miracula sancti Bertini, 7, éd. O. Holder-Egger, MGH, SS, 15, 1, Hanovre, 1887, p. 513 :
Scrutemur enim humanitus verbi gratia, quibus magis addicenda sit huiusmodi victoria, oratoribus
an bellatoribus (…) Quosque inbelle vulgus gemituum mugitus ad caelum mittebat, brachiis infatiga-
biliter tensis palmisque pansis, finem certaminis Dei miserationi commendantes (…) Sicque et eis
addicatur merito victoria et oratoribus infatigabiliter Christo fine tenus famulantibus corona ! Cf.
O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », op. cit., p. 38.
47
  Abbon de Fleury, Liber apologeticus, PL, 139, col. 464 : et agricolae quidem insudant agricul-
turae et diversis artibus in opere rustico, unde sustentatur totius Ecclesiae multitudo ; agonistae vero,
contenti stipendiis militiae, non se collidunt in utero matris suae, verum omni sagacite expugnant
adversarios sanctae Dei Ecclesiae. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesell­
schaft”… », ibid., p. 41 sq.
48
  Abbon de Fleury, Liber apologeticus, PL, 139, col. 463 : qualiter singuli in suo proposito
exspectant praemium aeternae retributionis.
49
  Adalbéron, v. 193 sq., op. cit., p. 14. Selon G. Duby (Les trois ordres…, op. cit., p. 66),
Adalbéron (v. 196 sq.) exprime une subordination des uns aux autres.
50
  Adalbéron, v. 254 sq., op. cit., p. 18/20 : Lex aeterna Dei sic mundos precepit esse, / Iudicat
expertes seruilis conditionis. / Hos Deus as­sciuit seruos sibi, iudicat ipse, / Castos et sobrios de caelis
clamitat esse. / Omne genus hominum precepto subdidit illis ; / Princeps excipitur nullus cum dicitur
omne.
51
  Adalbéron, v. 272 sq., op. cit., p. 20 : Pauca super clero dixi, super ordine pauca. / Equales
igitur sunt omnes conditione.

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– : « Il n’était pas décrété que les uns travaillent, que les autres soient
libres pour les prières, que les oratores soient soutenus par le travail
des autres et que les ouvriers soient délivrés par leurs prières. Il y aura,
je dis, une égalité comme il est écrit de manière figurative l’égalité
future 52. » Par conséquent, dans presque tous les schémas, les divers
«  ordres  » ont certes des fonctions différentes et spécifiques mais
néanmoins importantes et surtout équivalentes ;
• de plus, il convient de ne pas faire abstraction du contexte moral
de tous ces textes, qui ne furent pas écrits pour établir un « ordre
hiérarchique », mais pour rappeler les devoirs de chaque ordre. C’est
déjà la teneur du Codex Carolinus de Charlemagne – les uns prient, les
autres combattent, mais tous observent leur devoir respectif  53 – ou
chez le roi anglo-saxon Alfred, qui souligne que le roi est dépendant
– et ne peut se passer – de leur aide  54. C’est également la tendance
d’Heiric qui met les moines en demeure de se souvenir du lourd
destin des autres ordres 55. Il leur rappelle qu’ils sont libérés des affai-
res extérieures afin de se préoccuper d’autant plus de leurs fonctions
de serviteurs 56. Il en est de même chez Adalbéron de Laon, qui ensei-
gne aux lecteurs que les bellatores sont les « protecteurs des églises »
(tutores ecclesiarum) et qu’ils défendent « grands et moindres »  57. Ici
aussi, les trois ordres sont dépendants les uns des autres. Aucun
homme libre, d’après Adalbéron, ne peut vivre sans serfs ou esclaves.
Par conséquent, roi et pontife sont dépendants des serfs ! En effet, ils
sont nourris par les serfs qu’eux-mêmes ils doivent nourrir 58 ;
• par conséquent, les devoirs de chaque ordre et le soutien mutuel
des autres exigent une collaboration étroite  59. Cela est exprimé de

52
  Bruno le Chartreux, In epistolam II ad Corinthos, PL, 153, col. 256 : Ideo non statutum
fuit ut alii hominum laborarent, alii orationi vacarent, ut oratores sustentarentur aliorum laborem,
laboratores vero salvarentur eorum oratione. Fiat, dico, aequalitas, sicut scriptum est figurative de
futura aequalitate. Cf. D. Fraesdorff, « Beten für die Gesellschaft… », op. cit., p. 25.
53
  Zacharias, Codex Carolinus ep., 3, op. cit., p. 480. Cf. G. Duby, Les trois ordres…, op. cit.,
p. 101.
54
  King Alfred’s Old English Version of Boethius, De consolatione philosophiae, 17, op. cit., p. 40. Cf.
G. Duby, Les trois ordres…, ibid., p. 128 sq.
55
  Heiric d’Auxerre, Miracula sancti Germani, 128, op. cit., p. 183.
56
  Heiric d’Auxerre, ibid.
57
  Adalbéron, v. 282 sq., op. cit., p. 20 : Hi bellatores, tutores aecclesiarum, / Defendunt uulgi
maiores atque minores, / Cunctos et sese parili sic more tuentur.
58
  Adalbéron, v. 290 sq., op. cit., p. 22 : Nam ualet ingenuus sine seruis uiuere nullus. / Cum
labor occurit sumptus et habere peroptant, / Rex et pontifices seruus seruire uidentur. / Pascitur a seruo
dominus quem pascere sperat. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesell­
schaft”… », op. cit., p. 29 sq.
59
 Cf. O. G. Oexle, « Deutungsschemata der sozialen… », op. cit., p. 101 sq.

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les ordines dans la théorie médiévale de la société

manière précise chez Aelfric d’Eynsham au début du xie siècle. Les


« laboratores » (ceux qui travaillent) assurent la subsistance, les « bella-
tores » (ceux qui combattent) doivent défendre la patrie par leurs
armes contre les invasions des ennemis, et les « oratores », notamment
les moines et les évêques, qui sont élus au « service militaire spirituel »,
doivent prier pour tous, célébrer continuellement le service de Dieu,
prêcher la foi catholique et donner le «  charisme  » (le «  don de
grâce ») aux croyants 60. Selon Adalbéron, chaque ordre doit aider et
consoler les autres  61, et selon Gérard de Cambrai chaque ordre est
dépendant de l’aide des autres : horumque singulos alterutrum dextra
laevaque foveri – chacun de ceux-ci tend les deux mains (la droite et la
gauche) aux autres 62. D’après Gérard, chaque ordre est également le
bénéficiaire réciproque d’un service mutuel : les « orateurs », qui sont
libérés des affaires séculières, doivent aux « combattants » (ou guer-
riers) leur sûreté et leur oisiveté et aux « agriculteurs » leur nourriture
sans (dur) labeur ; les paysans doivent aux guerriers la défense par les
armes et au clergé la rémission de Dieu ; les guerriers doivent aux
paysans leur subsistance – « le revenu des champs » – et l’impôt et,
dans un bénéfice réciproque, aux clercs qu’ils défendent la rémission
de leurs forfaits  63, mais aussi leurs victoires – par les prières au ciel

60
  Aelfric d’Eynsham, Die Hirtenbriefe Aelfrics in altenglischer und lateinischer Fassung, op. cit.,
n° 2a, chap. 14, p. 225 : De bellico aparatu. Suspicor non latere almitatem tuam tres ordines fore in
ecclesia dei : laboratores, bellatores, oratores. Ordo laboratorum adquirit nobis uictum, et ordo bellatorum
debet armis patriam nostram ab incursibus hostium defendere, et ordo oratorum, id sunt clerici et
monachi et episcopi, qui electi sunt ad spiritalem militiam, debent orare pro omnibus et seruitiis seu
officiis dei semper insistere et fidem catholicam predicare et sancta charismata dare fidelibus. Et omnis
qui ad istam militiam ordinatur, etsi antea secularia arma habuit, debet ea deponere tempore ordina-
tionis et assumere spiritalia arma : (…) Ergo non potest in ambabus militiis simul stare. Cf. aussi
Aelfric’s Lives of Saints, Being a Set of Sermons on Saints’ Days Formerly observed by the English
Church, II, éd. W. W. Skeat, Londres, 1900, réimp.. 1966, p. 122 : oratores synd Þa ðe us to
gode geðingiað (…) and se godes Þeowa sceall symle for us gebiddan. and feohtan gastice, wið Þa
ungesewenlican fynd. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… »,
op. cit., p. 39 sq.
61
  Adalbéron, v. 298 sq., op., cit., p. 22 : Vnius officio sic stant operata duorum / Alternis vicibus
cunctis solamina prebent. / Est igitur simplex talis conexio triplex. Cf. O. G. Oexle, « Die funktio-
nale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », ibid., p. 24 et p. 32 ; G. Duby, Les trois ordres…, op.
cit., p. 71.
62
  Gesta episcoporum Cameracensium, 3, 52, op. cit., p. 485. Cf. D. Fraesdorff, « Beten für die
Gesellschaft… », op. cit., p. 23 sq.
63
  Gesta episcoporum Cameracensium, 3, 52, op. cit., p. 485 : Oratorum a saeculi vacans negotiis
dum ad Deum vadit intentio, pugnatoribus debet, quod sancto secura vacat otio ; agricultoribus, quod
eorum laboribus corporali pascitur cibo. Nihilominus agricultores ad Deum levantur oratorum precibus,
et pugnatorum defensantur armis. Pari modo pugnatores, dum reditibus agrorum annonantur et
mercimoniis vectigalium solatiantur armorumque delicta piorum quos tuentur expiat precatio sancta,

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– et leur rédemption (grâce aux sacrements) 64. Bien avant, un autre


auteur anonyme a énoncé une idée similaire, bien qu’il distingue
quatre ordres humains (ordines hominum) – oratores, defensores, mercato-
res, laboratores – : Dieu avait établi les « clercs » afin qu’ils prient pour
les trois autres ordres, les « défenseurs » ou « chevaliers » (milites) afin
qu’ils défendent les trois autres ; les marchands afin qu’ils défendent
les trois autres ordres contre la pénurie (faim) en comblant le manque
de l’Occident par l’abondance de l’Orient – et les carences du Nord
par l’abondance du Sud – ; les ouvriers afin que les autres soient nour-
ris par leur travail 65. Cette « réciprocité » est également soulignée par
Bruno « le Chartreux »  66. De fait, le soutien mutuel est un principe
présent dans presque toutes les théories. Selon Haymon d’Auxerre,
chaque partie du corps travaille pour les autres : « Les mains qui tra-
vaillent afin que les autres vivent ; les pieds qui courent toujours pour
l’utilité des autres 67. »

Je n’ai pas cherché ou mis en évidence de nouveaux témoignages,


mais je m’appuie sur des recherches antérieures exhaustives. Je n’ai
pas non plus poursuivi le développement d’un système tripartite, mais
j’ai considéré tous les modèles comme équivalents. Toutefois, il me
semble qu’une réinterprétation des textes – sans mettre en doute le
principe que « les trois ordres » sont une base incontestable de la
« société féodale » – et une relecture des sources, selon leur contenu
et selon leur véritable intention, rectifient l’image de cette théorie.
Certes, ces textes expriment une hiérarchie – en tant que considéra-
tion « normale » au Moyen Âge – indéniable. L’imaginaire médiéval

foventur ut dictum est mutuo. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesell­
schaft”… », op. cit., p. 43.
64
 Cf. Gesta episcoporum Cameracensium, 3, 27, op. cit., p. 474.
65
  De quatuor ordinibus, Excerptiones patrum..., PL, 94, col. 556 sq. : Oratores autem constituit
Dominus in mundo ad hoc, ut pro aliis ordinibus orarent. (…) Defensores, id est milites, constituit ad
hoc, ut alios tres ordines defenderent ; (…) Mercatores constituit, ut alios tres ordines ab inopia defen-
derent, ut de Orientali abundantia replerent Occidentalem inopiam ; et e contrario, de Meridionali
abundantia replerent Septentrionalem inopiam (…) Laboratores constituit, ut de labore eorum alii tres
ordines pascerentur. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… »,
op. cit., p. 34, n. 206.
66
  Bruno le Chartreux, In epistolam II ad Corinthos, PL, 153, col. 256. Cf. D. Fraesdorff,
« Beten für die Gesellschaft… », op. cit., p. 25.
67
  Haymon d’Auxerre, Expositio in epistolas s. Pauli. Ep. I ad Corinthos, 1, PL, 117, col. 579 :
Le corps est composé de plusieurs membres : os, qui divina eloquia aliis eructant, id est doctores ;
manus, qui operantur unde alii vivant ; pedes, qui in negotiis saecularibus ad utilitatem caeterorum
discurrunt. Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », op. cit.,
p. 10.

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les ordines dans la théorie médiévale de la société

sans une pensée hiérarchique est impensable. Toutefois, « la triparti-


tion associe [donc] un principe d’unité et un principe hiérarchique »,
ainsi que l’exprime Claude Carozzi à propos d’Adalbéron 68. Il en est
de même pour les autres modèles de tous les siècles du haut Moyen
Âge. De fait, il faut souligner – et particulièrement lorsque, comme
le rappelle Georges Duby, on tient compte du contexte – qu’aucun
de ces textes ne fut rédigé pour établir ou confirmer cette hiérarchie,
au contraire. La plupart des auteurs médiévaux mettent en évidence
les fonctions différentes des trois ordres (ou plus) et leur fonction
respective et fondamentale aux côtés des autres tout autant que leur
soutien réciproque. Les auteurs tendent, en effet, à rappeler à chaque
ordre ses devoirs ! Considérée dans cette perspective, la mise en valeur
d’une égalité de tous les hommes à l’égard de la valeur de leur travail
et simultanément l’inégalité sociale et de naissance – un aspect déjà
souligné par Otto Gerhard Oexle 69 – ne constituent pas une contra-
diction pour les auteurs médiévaux. Les différentes fonctions créent
une harmonie fonctionnelle dans un monde d’inégalité sociale 70. En
supposant une inégalité sociale, les auteurs soulignent en même temps
la coopération des ordres, dont la place, par conséquent, selon leur
fonction, paraît être d’un niveau égal. Le rapport entre les théories
sociales médiévales et la réalité sociale – la question d’Otto Gerhard
Oexle notamment – n’est pas ici mon sujet. Mais pour appréhender
les idées (ou les théories) médiévales, cette « horizontalité » des ordres
se révèle être un facteur décisif. De toute évidence, il me semble que
la considération de cette théorie comme un résultat de la paix de Dieu
ou de la réforme de l’Église induit en erreur : elle est déjà impliquée
bien avant cette période. Elle n’est donc pas caractéristique d’un ima-
ginaire féodal, mais d’un imaginaire répandu dans le haut Moyen
Âge, une théorie de l’Église qui met en garde la société féodale – y
compris leurs propres membres – contre une surestimation d’elle-
même.
Enfin, dans notre contexte, il convient de se demander ce que ces
résultats peuvent signifier pour les élites et pour la compréhension
sociale, car les élites, incontestablement, se considèrent comme appar-

68
 C. Carozzi, « D’Adalbéron de Laon à Humbert de Moyenmoutier : la désacralisation de
la royauté », dans La cristianità dei secoli XI et XII in occidente : coscienza e strutture di una società.
Atti della ottava Settimana internazionale di studio, Mendola, 30 giugno-5 luglio 1980, Milan, 1983
(Miscellanea del centro di studi medioevali, 10), p. 67-84, ici p. 79.
69
 Cf. O. G. Oexle, « Die funktionale Dreiteilung der “Gesellschaft”… », op. cit., p. 10 sq.
70
 Cf. O. G. Oexle, « Deutungsschemata der sozialen… », op. cit., p. 79.

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hans-werner goetz

tenant à des couches sociales au-dessus des autres dans une stratifica-
tion verticale. On peut certainement définir les « oratores » comme
une élite ecclésiastique et les « bellatores » comme une élite séculière.
Toutefois, selon, pour ainsi dire, la « théologie de la société », toutes
deux accomplissent des tâches particulières qui sont équivalentes à
celles des « paysans » (ou « laboratores ») ce qui n’est absolument pas
moins important, bien qu’elle soit moins autonome. Pour le moins,
cela est précisément l’attitude que les auteurs ecclésiastiques préco-
nisent : chaque ordre a ses devoirs propres ; chaque ordre doit accom-
plir ses devoirs – en tant que devoirs moraux et religieux – ; chaque
ordre doit donc respecter les autres. Les élites – cela peut être le mes-
sage de la « théorie tripartite » – doivent se rappeler qu’il n’y a pas
d’élites sans l’aide des autres. Dans cette perspective, même l’imagi-
naire hiérarchique des élites comporte un élément « horizontal » : les
élites en tant qu’ordres fonctionnels ne se placent pas exclusivement
au-dessus, mais, en principe, de manière égale à côté des autres. Dans
le jugement de soi des auteurs médiévaux, les élites se trouvent inté-
grées à un système global. Peut-être n’est-ce pas, pour ceux à qui la
pensée médiévale est familière, un résultat complètement inattendu.
Néanmoins, selon moi, il contribue à corriger sensiblement les convic-
tions courantes sur la société tripartite 71.

71
  Je tiens à remercier Anne-Gaëlle Rocher et les éditeurs de ce volume pour l’aide qu’ils
m’ont apportée dans la rédaction française de ces pages.

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Hiérarchie et société laïque

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Stefan Esders

Fidelität und Rechtsvielfalt:


Die sicut-Klausel der früh- und
hochmittelalterlichen
Eidformulare

U
nter den Leitvorstellungen und Rechtsformen, in denen mit-
telalterliche Gesellschaften ihre Ordnung und Hierarchie
artikuliert haben, nimmt die Fidelität eine zentrale Stellung
ein. Fidelität als Loyalität, die eine Person einer anderen schuldet,
begegnet im Mittelalter in großer zeitlicher, geographischer und
inhaltlicher Ausdehnung. Die Frage, warum gerade die Fidelität so
typisch und prägend war, ist jedoch nicht einfach zu beantworten 1.
Im Folgenden ist aufzuzeigen, auf welche Weise die Idee und
Rechtsfigur der Fidelität in verschiedene Bereiche der mittelalterli-
chen Gesellschaft einzudringen vermochte und wie sie sich dabei ver-
änderte. Grundlage hierfür bildet ein eher sprödes Quellenmaterial:
Eidformulare. Von etwa zweihundert solcher Quellentexte, die im
Rahmen eines größeren Projektes gesammelt wurden und gegenwär-
tig ausgewertet werden, sollen im Folgenden einige näher vorgestellt
werden. Die Eidformulare zeigen, wie der Inhalt der mittelalterlichen
Fidelität immer wieder neu definiert wurde. Durch die Redefinition
der Fidelität entstanden zahlreiche neue Rechtsformen, die Einblick
in die Dynamik mittelalterlicher Gesellschaften und ihrer Personen-
beziehungen geben.

1. Begründung einer tausendjährigen Tradition:


Karl der Große und die sicut-Klausel

Als Karl der Große sich im Jahr 802 von seinen Untertanen den
Treueid leisten ließ, musste jeder freie Mann schwören, dass er dem
Kaiser treu sein werde, „wie ein Mann nach dem Recht seinem Herrn

1
  Zur Differenzierung unterschiedlicher Formen von Treue bzw. Fidelität cf. S. Esders,
„Treue“, Reallexikon der germanischen Altertumskunde, 31 (2006), S. 165-170.

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stefan esders

zu sein hat“ – sicut per drictum debet esse homo domino suo 2. Man hat viel
darüber gestritten, was diese Wendung bedeuten sollte  3. Die gän-
gigste Interpretation geht dahin, dass hier die Vasallität als Vorbild
für die Vereidigung der gesamten Bevölkerung gedient habe, und
zwar deswegen, weil die Treue des Mannes gegenüber seinem Herrn
später auch im Lehnswesen begegnet. Doch erscheint hier eine diffe-
renzierte Betrachtungsweise angebracht  4. Denn die sicut-Sätze sind
keine Vergleichssätze nach dem Muster einer Analogie  5. Wenn
jemand schwor, „treu zu sein, wie es ein Mann seinem Herrn zu sein
hat“, dann nicht in dem Sinne, „als ob er ein Mann wäre“, sondern er
wurde durch die Eidleistung wirklich zum Mann dessen, dem er Treue
schwor – ganz gleich, was das bedeutet haben mag. Der mit sicut ein-
geleitete Nebensatz ist also ein Modalsatz, der die Art und Weise prä-
zisieren half.
Für die Interpretation der Formel ist daher wichtig, dass Karl der
Große alle liberi homines vereidigte, um sie zum Kriegsdienst aufzubie-
ten. Zu diesem Zweck wurden sogar Verzeichnisse mit den Namen
derjenigen geführt, die dem König als ihrem Herrn (dominus) Treue
geschworen hatten 6. Überdies war die Verwaltung des Frankenreiches
mit ihren duces, comites und centenarii eine erweiterte Militäradminist-
ration. Aus diesem Grund war Fidelität, wie sie ein homo seinem domi-
nus schuldete, letztlich an militärischen Leitbildern orientiert.
Der Treueid von 802 war äußerst folgenreich. Denn er führte eine
sprachliche Konstruktion ein, nach der künftig – mancherorts noch
im 19. Jahrhundert – unzählige Treueide gestaltet wurden: die sicut-

2
  Capitularia missorum specialia, a. 802, in Capitularia regum Francorum, I, Hg. A. Boretius,
MGH, Leges, II/1, Hannover, 1883, S. 101: Sacramentale qualiter repromitto ego, quod ab isto die
inantea fidelis sum domno Karolo piissimo imperatori, filio Pippini regis et Berthanae reginae, pura
mente absque fraude et malo ingenio de mea parte ad suam partem et ad honorem regni sui, sicut per
drictum debet esse homo domino suo. Si me adiuvet Deus et ista sanctorum patrocinia, quae in hoc loco
sunt, quia diebus vitae meae per meam voluntatem, in quantum mihi Deus intellectum dederit, sic
attendam et consentiam.
3
 M. Becher, Eid und Herrschaft. Untersuchungen zum Herrschaftsethos Karls des Großen, Sigma-
ringen, 1993 (Vorträge und Forschungen, Sonderband 39), S. 144 sq.
4
 Cf. M. Becher, „Die subiectio principum. Zum Charakter der Huldigung im Franken- und
Ostfrankenreich bis zum Beginn des 11. Jahrhunderts“, in S. Airlie, W. Pohl und H. Rei-
mitz (Hg.), Staat im frühen Mittelalter, Wien, 2006 (Forschungen zur Geschichte des Mittel-
alters, 11), S. 172 sq.
5
 C. E. Odegaard, „Carolingian Oaths of Fidelity“, Speculum, 16 (1941), S. 289; S. Rey-
nolds, „Afterthoughts on Fiefs and Vassals“, Haskins Society Journal, 9 (1997), S. 6.
6
 Cf. C. E. Odegaard, Vassi and Fideles in the Carolingian Empire, Cambridge/Mass., 1945,
S. 127; F. Bougard, La justice dans le royaume d’Italie de la fin du viiie siècle au début du xie siècle,
Rom, 1995 (BEFAR, 291), S. 152; B. S. Bachrach, Early Carolingian Warfare. Prelude to
Empire, Philadelphia, 2001, S. 58.

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fidelität und rechtsvielfalt

Klausel 7. Diese Grundformel war stets dieselbe: Ein einleitender Satz


enthielt das Treuversprechen (quod fidelis sum) und nannte den Emp-
fänger des Eides (z. B. domino meo). Durch einen mit sicut oder einem
ähnlichen Wort eingeleiteten Nachsatz wurde präzisiert, welches Ver-
halten gefordert wurde; häufig betonte man dabei, dass diese Treu-
pflicht „nach dem Recht“ (per drictum) geschuldet würde. Die Eidfor-
meln, die im Folgenden behandelt werden, sind alle nach diesem
Grundschema konstruiert und zeigen, wie man es variierte und damit
der Fidelität immer wieder neue Inhalte verlieh, um sie den aktuellen
Bedürfnissen anzupassen.

2. Fidelität bezogen auf Status und Amt

Das Verhältnis von homo und dominus, von Mann und Herrn, war
nicht die einzig mögliche Ausdrucksform, um die politischen Bezie-
hungen zwischen König und Volk zu beschreiben. Im Jahr 854 schwor
die Bevölkerung des westlichen Frankenreichs Karl dem Kahlen Fide-
lität, „wie sie ein freier Mann nach dem Recht seinem König schuldet“
– sicut francus homo per rectum esse debet suo regi 8. Anders als 802 lag der
Akzent hier stärker auf den Rechtspflichten des homo francus, man
betonte also den Gesichtspunkt der Freiheit. Doch nicht nur das.
Hatte man Karl dem Großen als dominus gehuldigt, so schwor man
nun Karl dem Kahlen Fidelität bezogen auf seine Funktion als König
(rex) 9. Das fügt sich gut in die Zeit Karls des Kahlen, als beispielsweise
Hinkmar von Reims das Königtum als Amt zu definieren suchte 10.
Die Fidelität konnte also flexibel andere Rechtsvorstellungen in
sich aufnehmen. Die weiteren Entwicklungen des mittelalterlichen
Militärwesens verdeutlichen dies. Eine besonders wichtige Form war
die Verbindung von Fidelität und Vasallität. Der Bayernherzog Tassilo
III. soll den Annales regni Francorum zufolge im Jahr 757 geschworen

7
 Einige Belege bereits bei K. Ewald, „Formelhafte Wendungen in den Straßburger Eiden“,
Vox Romanica, 23 (1964), S. 45 sq. und M. Lupoi, The Origins of the European Legal Order,
Cambridge, 2000, S. 359 sq.
8
  Capitulare missorum Attiniacense, a. 854, in Capitularia regum Francorum, II, Hg. A. Boretius
und V. Krause, MGH, Leges, II/2, Hannover, 1888, S. 278: Ego ille Karolo, Hludowici et Iudit
filio, ab ista die inante fidelis ero secundum meum savirum, sicut francus homo per rectum esse debet
suo regi. Sic me Deus adiuvet et istae reliquiae.
9
 Cf. C. E. Odegaard, „The Concept of Royal Power in Carolingian Oaths of Fidelity“,
Speculum, 20 (1945), S. 282.
10
  J. L. Nelson, „Kingship, law and liturgy in the political thought of Hincmar of Reims“,
English Historical Review, 92 (1977), S. 241-279.

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stefan esders

haben, König Pippin treu zu sein, „wie ein Vasall gegenüber seinem
Herrn zu sein hatte“ – sicut vassus dominos suos esse deberet 11. Ob er das
wirklich tat, was man heute teilweise bezweifelt  12, muss hier nicht
erörtert werden 13. In jedem Fall begegnen sicut-Formeln vasallitischer
Prägung im Hochmittelalter unzählige Male 14.
Mit dem Burgenbau änderte sich nicht nur der Militärdienst, son-
dern auch die mit ihm verbundene Vorstellung von Treue. Im hoch-
mittelalterlichen Sachsen schworen die Bewohner einer Burg ihrem
Burgherrn Treue, „wie ein Burgbewohner seinem Herrn sein soll“ –
alse en borgere sime herren wesen scal  15. Der Burgherr seinerseits war
seinem Herrn zur Treue verpflichtet. Im Jahr 1276 versprach ein
Burggraf, König Rudolf von Habsburg treu zu sein, „wie es ein Burg-
graf gegenüber seinem Herrn zu sein hat“ – prout burgravius suo domino
esse debet  16, was weitergehende Forderungen ausschloss, etwa mit in
einen auswärtigen Krieg zu ziehen. Die Burg wurde zu einem eigenen
Rechtsbereich  17, und daher erhielten Fidelitätsvorstellungen im
Umfeld der Burg eine besondere Prägung, welche im Formular der

11
  Annales regni Francorum ad a. 757, in Annales regni Francorum inde ab a. 741 usque ad a. 829,
qui dicuntur Annales Laurissenses maiores et Einhardi, Hg. F. Kurze, MGH, SS rer. Germ. in us.
schol., VI, Hannover, 1895, S. 14 sq.: Et rex Pippinus tenuit placitum suum in Compendio cum
Francis; ibique Tassilo venit, dux Baoiariorum, in vasatico se commendans per manus, sacramenta
iuravit multa et innumerabilia, reliquias sanctorum manus inponens, fidelitatem promisit regi Pippino
et supradictis filiis eius, domno Carolo et Carlomanno, sicut vassus recta mente et firma devotione per
iustitiam, sicut vassus dominos suos esse deberet.
12
 M. Becher, Eid und Herrschaft…, op. cit., S. 87 sq.
13
 Cf. P. Depreux, „Tassilon III et le roi des Francs: Examen d’une vassalité controversée“,
Revue historique, 293 (1995), S. 23-73.
14
 Cf. Libri feudorum, Vulgataversion, II, 5, in Consuetudines feudorum (Libri feudorum, Ius feudale
Langobardorum), Hg. K. Lehmann, Göttingen, 1892, S. 120: Qualiter autem debeat jurare vasal-
lus fidelitatem, videamus: „Juro ergo ad haec sancta Dei evangelia, quod a modo ero fidelis huic, sicut
debet esse vasallus domino, nec id, quod mihi sub nomine fidelitatis commiserit, pandam alii ad ejus
detrimentum me sciente“.
15
 Sachsenspiegel, Lehnrecht 71, 16, in Das Lehnrecht des Sachsenspiegels, Hg. K. A. Eck-
hardt, Göttingen, 1956 (Germanenrechte, 13), S. 56: Swe aver borge unde borgere hevet, stirft
he, de wile sine kindere oder andere sine erven to lantrechte oder to lenrechte umbedelet sin mit der borch,
de borgere sint plichtich en allen to swerene, truwe unde holt to wesene, alse en borgere sime herren wesen
scal, se sin wif oder man, unde ere borch en to haldene weder aller manlekeme na borgeres rechte. Dit
scal dun iewelk, de wile he sin borgere wesen wel. Sin borchlen ne darf he aver nicht mer den van er
eneme untvan.
16
 T. J. Lacomblet, Urkundenbuch für die Geschichte des Niederrheins, t. 2 (1201-1300), Düssel-
dorf, 1848, S. 401: (…) recepto fidelitatis iuramento, quod erit nobis et imperio in omnibus fidelis et
utilis, prout burgravius suo domino esse debet.
17
 F. Schwind, „Zur Verfassung und Bedeutung der Reichsburgen, vornehmlich im 12. und
13. Jahrhundert“, in H. Patze (Hg.), Die Burgen im deutschen Sprachraum. Ihre rechts- und
verfassungsgeschichtliche Bedeutung, Sigmaringen, 1976 (Vorträge und Forschungen, 19/1),
S. 85-122.

242

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fidelität und rechtsvielfalt

sicut-Klauseln ihren ebenso knappen wie charakteristischen Ausdruck


fand.
Im Hochmittelalter, als es üblich wurde, dass ein Vasall mehrere
Herren hatte 18, sollte die Ligesse die Hierarchie zwischen ihnen ord-
nen  19. Aus Frankreich kommend, hinterließ die Ligesse auch im
Rheinland ihre Spuren. Der Kölner Erzbischof Konrad von Hochsta-
den nahm im Jahr 1239 anlässlich der Lehnsauftragung einer Burg
durch einen Waldgrafen von diesem einen Treueschwur mit einer
ligischen Eidformel entgegen, wobei dies zugleich mit einer Öffnungs-
klausel für die Burg verbunden wurde. Der Graf sicherte in einer
abgewandelten Formel zu, mit der aufgetragenen Burg Bischof und
Kirche von Köln „nach Art von ligischen Männern“ gegen jedermann
zu dienen – de eo tanquam homines legii sibi contra omnem hominem  20.
Interessanterweise versprach aber auch der Kölner Erzbischof im
Gegenzug seinen ligischen Vasallen militärische Unterstützung „in
dem für unseren ligischen Mann üblichen Umfang“ (sicut homini nos-
tro ligio), falls dieser Sie benötigen sollte 21.
Vielerorts lässt sich die Ausbreitung der Fidelität jenseits von
Lehnswesen, Vasallität und Burgen bis in die Grundherrschaften ver-
folgen. Die minderfreien Liten in Sachsen beispielsweise waren mili-
tärdienstpflichtig 22. Im 11. Jahrhundert trat ein Freigelassener in den
Litenstand über und schwor dem Osnabrücker Bischof Treue, „wie

18
 Cf. R. Deutinger, „Seit wann gibt es die Mehrfachvasallität?“, Zeitschrift der Savigny-Stif-
tung für Rechtsgeschichte, Germanistische Abteilung, 119 (2002), S. 78-105.
19
 C. Pöhlmann, Das ligische Lehnsverhältnis, Heidelberg, 1931, S. 37 sq. und 55 sq.; H. Mitt-
eis, Lehnrecht und Staatsgewalt. Untersuchungen zur mittelalterlichen Verfassungsgeschichte, Wei-
mar, 1933, S. 556 sq.; W. Kienast, Untertaneneid und Treuvorbehalt in Frankreich und England.
Studien zur vergleichenden Verfassungsgeschichte des Mittelalters, Weimar, 1952; zusammenfassend
B.  Diestelkamp, „Homo ligius“, Handwörterbuch zur deutschen Rechtsgeschichte, 2 (1978),
K. 234-237.
20
  Urkundenbuch für die Geschichte…, op. cit. (S. 126): Conradus dei gratia comes silvestris (…)
proprietatem castri nostri Smedeburg, uxoris nostre et liberorum nostrorum assensus accedente, ecclesie
Coloniensi contradidimus et ipsum de manu predicti d. Conradi Coloniensis archiepiscopi in feodo
recepimus, tenore presentium profitentes, quod nos et heredes nostri ipsi et ecclesie Coloniensi idem
castrum in omnibus suis necessitatibus aperiemus, de eo tanquam homines legii sibi contra omnem
hominem seruituri.
21
  Urkundenbuch für die Geschichte…, op. cit. (S. 144): Omnibus presentes litteras inspecturis Con-
radus dei gratia s. Coloniensis ecclesie minister, sacri imperii per Ytaliam archicancellarius, notum
facimus, quod nos dilecto et fideli nostro Henrico duci de Lymburgh, comiti de Monte, auxilio sicut
homini nostro ligio, ubicumque necesse habuerit, fideliter assistemus.
22
  J. Balon, „Les lètes chez les Francs“, Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 33 (1965),
S. 430-446; G. Landwehr, „Die Liten in den altsächsischen Rechtsquellen. Ein Diskussi-
onsbeitrag zur Textgeschichte der Lex Saxonum“, in Id. (Hg.), Studien zu den germanischen
Volksrechten. Gedächtnisschrift für Wilhelm Ebel, Frankfurt/M. u. a., 1982, S. 117-142. De facto
legten die Grundherren ihren Liten häufig Wehrersatzabgaben auf, cf. R. Kötzschke, „Zur

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stefan esders

ein Eigen-Lite verdientermaßen musste“ – sicut proprius liddo merito


debuit  23. Daher ließ sich der Mann ausdrücklich zusichern, dass er,
obwohl Lite, grundsätzlich von allem Militärdienst befreit war. Seine
Fidelität wurde dadurch gleichsam „entmilitarisiert“ und veränderte
ihren Charakter.
Die bisher behandelten Beispiele zeigten die Fidelität in militäri-
schen Verwendungskontexten, doch ließen die einzelnen Formeln
erkennen, wie der Rechtsinhalt jeweils akzentuiert wurde – es kam auf
jedes einzelne Wort an.

3. Fidelität und Verwandtschaft

Spätestens seit der Karolingerzeit trat die Fidelität in enge Verbin-


dung zur Verwandtschaft, was eine Transformation des Treuegedan-
kens einleitete. In den Verträgen, welche die karolingischen Könige
im 9. Jahrhundert miteinander unter Eid abschlossen, versprachen
sie einander Loyalität als Verwandte. Nach R. Schneider sollte die
faktische Zerlegung des großen Karolingerreiches in zunehmend selb-
ständige Teilreiche der einzelnen Karolinger gleichsam dadurch kom-
pensiert werden, dass man die fortbestehende Zusammengehörigkeit
des Gesamtreiches als „Brüdergemeine“ betonte 24. Ansätze dafür sind
bereits unter Karl dem Großen und in der Ordinatio imperii Ludwigs
des Frommen von 817 fassbar  25. Das bekannteste Beispiel sind die
Straßburger Eide, in denen die (Halb-)Brüder Ludwig der Deutsche
und Karl der Kahle ihre wechselseitigen Versprechen zu „fester Treue
und Brüderlichkeit“ – stabilis fides ac firma fraternitas – gegen ihren
Bruder Lothar I. durch einen feierlichen Schwur in Gegenwart ihrer
Heere bekräftigten. Sie versprachen sich, jeweils in der Volkssprache
der Gegenseite, wechselseitige Unterstützung, „wie sie von Rechts

Geschichte der Heeressteuern in karolingischer Zeit“, Historische Vierteljahrschrift, 2 (1899),


S. 241 sq.
23
  Osnabrücker Urkundenbuch, I (772-1200), Hg. F.  Philippi, Osnabrück, 1892, S.  120:
Deinceps vero post breve tempus propter amorem ac dilectionem eiusdem episcopi se ipsum cum omni
bono suo, quod tunc habuit et post haec adepturus erat, ad eandem tradidit ecclesiam, et cum sacra-
mento, sicut proprius liddo merito debuit, eidem ecclesiae et episcopo fidelitatem fecit. Merito entsprach
hier der Sache nach per drictum in anderen Formeln.
24
 Cf. R. Schneider, Brüdergemeine und Schwurfreundschaft. Der Auflösungsprozeß des Karlinger-
reiches im Spiegel der caritas-Terminologie in den Verträgen der karolingischen Teilkönige des 9. Jahr-
hunderts, Lübeck, 1964 (Historische Studien, 388), S. 106 sq. und 135 sq.
25
  Ordinatio imperii (a. 817), c. 10, 14 und 16, Capitularia regum Francorum, I…, op. cit.,
S. 272 sq.

244

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fidelität und rechtsvielfalt

wegen ein Bruder seinem Bruder schuldet“; die in althochdeutscher


Sprache formulierte sicut-Klausel präzisierte die Rechtsgrundlage soso
man mit rehtu sinan bruodher scal, im altfranzösischem Eidestext lautete
diese Klausel si cum om per dreit son fradra salvar dist 26. Die Verwandt-
schaftspflichten wurden ausdrücklich als wechselseitige Rechtspflich-
ten (mit rehto, per dreit) bezeichnet. Die Pointe lag darin, dass sich das
Bündnis gegen einen weiteren Bruder richtete, und dass die beiden
vertragschließenden Brüder eigentlich nur Halbbrüder waren – was
man durch die Hinzunahme des Eides kompensierte. Welche Inhalte
über die gemeinsame Gegnerschaft und wechselseitige militärische
Unterstützung gegen Lothar hinaus in das Versprechen der fraternitas
eingeschlossen waren, lässt sich aufgrund des Nithardschen Berichts
kaum näher präzisieren, doch dürften Friedenspflicht und Anerken-
nung der territorialen Integrität der anderen Seite, wie dies für die
im darauffolgenden Jahr abgeschlossenen Verträge von Verdun und
Coulaines überliefert ist 27, dazu gehört haben. Über vertikale Eidbin-
dungen sollte die horizontale Abmachung der Könige „nach unten“
weitervermittelt werden, womit weitere Vertragskonditionen ins Spiel
kamen. Im Falle eines Eidbruchs der Könige sollten ihre Heere von
dem Eid entbunden sein, mit dem sie der wechselseitigen Abmachung
der beiden Könige beigetreten und zu Mitträgern des Vertrages
geworden waren  28. Eine Veränderung erfuhr diese Konzeption der
„Brüdergemeine“ in dem Augenblick, als die Söhne Ludwigs des
Frommen entgegen allen vorherigen Abmachungen das Königtum
an ihre eigenen Söhne weitervererbten. Mit der Sukzession der Enkel

26
  Nithard, Historiarum liber, III, 5. Altfranzösischer Eid Ludwigs des Deutschen: Pro deo
amur et pro christian poblo et nostro commun saluament, d’ist di in auant, in quant deus sauir et
podir me dunat, si saluarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per
dreit son fradra saluar dist, in o, quid il mi altresi fazet; et ab Ludher nul plaid numquam prindrai,
qui meon uol cist meon fradre Karle in damno sit. Althochdeutscher Eid Karls des Kahlen: In
godes minna ind in thes christanes folches ind unser bedhero gehaltnissi, fon thesemo dage frammordes,
so fram so mir got geuuizci indi mahd furgibit, so haldih tesan minan bruodher, soso man mit rehtu
sinan bruodher scal, in thiu thaz er mig sosoma duo; indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango,
zhe minan uuillon imo ce scadhen uuerhen. Zitiert nach der separaten Edition des Textes von
K. Gärtner und G. Holtus, „Die erste deutsch-französische “Parallelurkunde”. Zur Über-
lieferung und Sprache der Straßburger Eide“, in IId. (Hg.), Beiträge zum Sprachkontakt und
zu den Urkundensprachen zwischen Maas und Rhein, Trier, 1995 (Trierer Historische Forschun-
gen, 29), S. 105.
27
  Zum Vertrag von Verdun, über den nur indirekte Informationen erhalten sind, und
demjenigen von Coulaines (Capitularia regum Francorum, II…, op. cit., S. 253 sq.), cf. P. Clas-
sen, „Die Verträge von Verdun und von Coulaines 843 als politische Grundlagen des west-
fränkischen Reiches“, Historische Zeitschrift, 196 (1963), S. 17 und 20 sq.
28
 Cf. P. Classen, „Die Verträge…“, op. cit., S. 9.

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Ludwigs des Frommen musste die Idee der „Brüdergemeine“ den


neuen Bedingungen angepasst werden. Die dabei verwandten sicut-
Klauseln reflektieren diesen Wandel, indem nun eine Gehorsams-
pflicht der Neffen gegenüber dem Onkel festgelegt wurde. So schwor
Pippin II. im Jahr 845 beim Erhalt des Unterkönigtums Aquitanien,
dass er Karl dem Kahlen „wie ein Neffe seinem Onkel treu sein werde“
– ei fidelis sicut nepos patruo existeret – und nach Kräften militärisch
unterstützen werde  29. Der auch im Vertrag von Meersen 847 ange-
sprochene Gehorsam des Neffen gegenüber dem Onkel dürfte das
Leitbild gewesen sein, das die Stellung des neu geschaffenen Unter-
königtums deutlich machen sollte. Aus der Folgezeit sind mehrere
solcher Texte erhalten. Im Jahr 857 versicherten sich Karl der Kahle
und Lothar II. bei einer Zusammenkunft in St. Quentin zur Ehre der
Kirche, zum gemeinen Nutzen, zur Rettung ihrer fideles und für ihr
regnum gegen alle möglichen Gegner wechselseitiger Rettung und
Unterstützung, „wie von Rechtswegen ein Onkel seinen Neffen und
ein Neffe seinen Onkel zu erretten und zu unterstützen verpflichtet
ist“ – sicut avunculus nepotem et nepos avunculum per rectum salvare et
adiuvare debet 30. Auch hier wurden verwandtschaftliche Pflichten, die
kraft Tradition festgelegt waren und auch ausdrücklich als „Recht“
bezeichnet wurden (per rectum), über den wechselseitigen Eid in eine
höhere Verbindlichkeitsstufe erhoben. Entscheidend war hier, wie
bereits bei der „Brüdergemeine“, dass die Rechtspflicht unter Ver-
wandten in eine eidlich konstituierte Treubindung aufgenommen
wurde, weil sie offenbar für sich genommen nicht hinreichend wirk-
sam war, gleichwohl aber den wichtigsten normativen Orientierungs-

29
  Annales Bertiniani ad. ann. 845, Hg. G. Waitz, MGH, SS rer. Ger. in us. schol., 5, Hannover,
1883, S. 32: Karolus ... Pippinum, Pippini filium, suscipit, et receptis ab eo sacramentis fidelitatis,
quatenus ita deinceps ei fidelis sicut nepos patruo existeret et in quibuscumque necessitatibus ipsi pro
viribus auxilium ferret, totius Aquitaniae dominatum ei permisit.
30
  Karoli II. et Hlotharii II. conventus apud Sanctum Quintinum, a. 857, c. 1, in Capitularia regum
Francorum, II…, op. cit., S. 293 sq.: Postquam Deus nostrum seniorem vocavit de hoc seculo, semper
inveni tale consilium in meo dilecto fratre Hludowico, sicut mihi necesse fuit et ego in illo quaesivi et
illum ostendere decuit; et illius adhortatione et interventione devenit, Deo gratias, talis unanimitas
inter me et bonae memoriae fratrem meum Hlotharium, sicut inter fratres esse debebat; c. 4: Et inveni-
mus cum communibus fidelibus nostris, ut pro talibus necessitatibus, sicut scitis et videtis in isto regno
evenire, nos invicem confirmaremus, sicut et fecimus, ut ad honorem sanctae Dei ecclesiae et communem
profectum ac fidelium nostrorum salvamentum et regnum nostrum contra quoscumque nobis necesse
fuerit continendum invicem nos salvemus et adiuvemus, sicut avunculus nepotem et nepos avunculum
per rectum salvare et adiuvare debet.

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maßstab darstellte. Gerade für die Einbindung Dritter war der Eid
unverzichtbar 31.
Wo man nicht miteinander verwandt war, konnte man einander
nur Freund sein. Mit dem Aussterben der ostfränkischen Karolinger
und dem Regierungsantritt der sächsischen Liudolfinger waren die
Verwandtschaftsbande zwischen west- und ostfränkischen Herrschern
vollends abgerissen, und doch blieb man aufeinander angewiesen.
Der Bonner Vertrag von 921  32 reflektiert diesen Wandel in seiner
Eidformel. An die Stelle der Verwandtschaft trat nunmehr die Freund-
schaft, und Heinrich I. und Karl der Einfältige, die sich als Könige der
Ost- und Westfranken titulieren ließen, schworen einander Freunde
zu sein, „wie von Rechts wegen ein Freund seinem Freund zu sein hat“
– sicut amicus per rectum debet esse suo amico 33. Ähnlich wie in den zitier-
ten Beispielen die sicut-Klausel den Verbindlichkeitsanspruch ver-
wandtschaftlicher Bindungen zum normierenden Referenzsystem
erhob, konnten auch freundschaftliche Bindungen einen objektiven
Charakter haben, der über das Instrument des Eides eine verschärfte
Geltungsgrundlage erhielt und zum Fundament vertraglicher Bindun-
gen wurde 34. Weil die vertragschließenden Seiten nicht mehr mitei-
nander verwandt waren, wurde über die sicut-Klausel auf eine andere
spezifische Rechtsgewohnheit Bezug genommen, die für Freund-
schaftsbündnisse (amicitiae) galt: Was sie genau beinhaltete, ist für den
modernen Betrachter nicht exakt zu erkennen; dass sie sehr konkrete

31
  P. Classen, „Die Verträge…“, op. cit., S. 9 sq; in ähnlicher Weise zum Vertrag von Koblenz
(860) P. Geary, „Oathtaking and Conflict Management in the Ninth Century“, in S. Esders
(Hg.), Rechtsverständnis und Konfliktbewältigung Gerichtliche und außergerichtliche Strategien im
Mittelalter, Köln, 2007, S. 239-254.
32
  K. F. Werner, „Bonn, Vertrag v.“, in Lexikon des Mittelalters, t. 2, 1983, K. 428 sq.
33
  Constitutiones et acta publica imperatorum et regum inde ab a. DCCCCXI usque ad a. MCXCVII
(911-1197), Hg. L. Weiland, MGH, Constitutiones et acta publica imperatorum et regum, I, Han-
nover, 1893, S. 1 sq: Ego Karolus divina propitiante clementia rex Francorum occidentalium, amodo
ero huic amico meo regi orientali Heinrico amicus, sicut amicus per rectum debet esse suo amico secun-
dum meum scire et posse, ea vera ratione, si ipse mihi iuraverit ipsum eundemque sacramentum et
attenderit, quae promiserit. Sic me deus adiuvet et istae sanctae reliquiae. Econtra rex Heinricus eandem
promissionem sacramento eisdem prosecutus est verbis subsequenter, ut huius amicitiae firmitas invio-
labiliter observetur. Dazu K. Schmid, „Unerforschte Quellen aus quellenarmer Zeit. Zur ami-
citia zwischen Heinrich I. und dem westfränkischen König Robert im Jahre 923“, Francia,
12 (1984), S. 119; G. Althoff, Amicitiae und Pacta. Bündnis, Einung, Politik und Gebetsgeden-
ken im beginnenden 10. Jahrhundert, Hannover, 1992 (MGH, Schriften, 37), S. 286.
34
  G. Althoff, Verwandte, Freunde und Getreue. Zum politischen Stellenwert der Gruppenbindungen
im früheren Mittelalter, Darmstadt, 1990, S. 88 sq.; V. Epp, Amicitia. Zur Geschichte personaler,
sozialer, politischer und geistlicher Beziehungen im frühen Mittelalter, Stuttgart, 1999 (Monogra-
phien zur Geschichte des Mittelalters, 44).

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Pflichten und Zusagen umfasste, ist nicht zu bezweifeln  35. An die


Stelle der Verwandtschaft trat die Freundschaft, aber entscheidend
war weiterhin der Eid, um die bilaterale Vereinbarung noch stärker
zu verobjektivieren.
Offenbar von den Verwandtschaftsverträgen kommend fand die
Fidelität sogar in das Eherecht Eingang. Die ehelichen Pflichten von
Mann und Frau wurden im 9. Jahrhundert auf politischer Ebene
Gegenstand höchsten Interesses  36. Gemeint ist der Ehekonflikt zwi-
schen Lothar II. und seiner Gattin Theutberga, der sich lange hinzog
und zahlreiche Wendungen erfuhr. Nach einem Bericht der Annalen
von St. Bertin sollten die 865 nach Rom entsandten Stellvertreter
Lothars bei der Wiederaufnahme der zum Papst geflüchteten Theut-
berga eidlich versprechen, dass Lothar seine verstoßene Frau in allen
Dingen so behandeln würde, „wie es sich für einen König geziemt,
seine königliche Frau zu behandeln“ bzw. „wie es sich für einen König
geziemt, seine rechtmäßige Frau zu behandeln“ – eam sic habebit in
omnibus, sicut decet regem habere reginam uxorem, sed eam sic habebit, sicut
regem decet habere uxorem legitimam ; Theutberga hingegen sollte schwö-
ren, sich so zu verhalten, „wie es sich für eine Ehefrau gehört, ihrem
Senior in allem Ehre zu erweisen“ – ea tamen ratione, ut sic se amodo
custodiat, sicut decet uxorem suo seniori in omnibus observare honorem 37. Es

35
 Vgl. auch G.  Althoff, „Ungeschriebene Gesetze. Wie funktioniert Herrschaft ohne
schriftlich fixierte Normen?“, in Id., Spielregeln der Politik im Mittelalter. Kommunikation in
Frieden und Fehde, Darmstadt, 1997, S. 286.
36
 T. Bauer, „Rechtliche Implikationen des Ehestreites Lothars II.: Eine Fallstudie zu The-
orie und Praxis des geltenden Eherechts in der späten Karolingerzeit“, Zeitschrift der Savigny-
Stiftung für Rechtsgeschichte, Kanonistische Abteilung, 111 (1994), S. 41-87; S. Airlie, „Private
Bodies and the Body Politic in the Divorce Case of Lothar II“, Past and Present, 161 (1998),
S. 3-38; K. Heidecker, „Why should bishops be involved in marital affairs? Hincmar of
Reims on the divorce of Lothar II (855-869)“, in J. Hill und M. Swan (Hg.), The Community,
the Family and the Saint. Patterns of Power in Early Medieval Europe, Turnhout, 1998 (Interna-
tional Medieval Research, 4), S.  225-235; neuerdings L.  Böhringer, „Gewaltverzicht,
Gesichtswahrung und Befriedung durch Öffentlichkeit. Beobachtungen zur Entstehung
des kirchlichen Eherechts im 9. Jahrhundert am Beispiel Hinkmars von Reims“, in S. Esders
(Hg.), Rechtsverständnis…, op. cit., S. 255-290.
37
  Annales Bertiniani ad. ann. 865, op. cit., S. 76 sq: Sacramentum autem pro Theodberga praestitum
ex parte Hlotharii ita se habet, veluti dictatum et Roma delatum ab ipso Arsenio: Iurans promitto ego
talis per haec quatuor sancta Christi euangelia, quae manibus meis tango, atque istas sanctorum
reliquias, quia senior meus Hlotharius rex, filius quondam piae recordationis Hlotharii serenissimi
imperatoris, amodo et deinceps accipiet Theodbergam uxorem suam pro legitima matrona, et eam sic
habebit in omnibus, sicut decet regem habere reginam uxorem. Et propter iam fatas dissensiones neque
in vita neque in membris, neque a praedicto seniore meo Hlothario neque a nullo hominum, ipso ins-
tigante aut auxiliante vel etiam consentiente, aliquod malum habebit; sed eam sic habebit, sicut regem
decet habere uxorem legitimam; ea tamen ratione, ut sic se amodo custodiat, sicut decet uxorem suo
seniori in omnibus observare honorem. Haec sunt nomina eorum qui hoc iuraverunt.

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hat den Anschein, als hätten in dem wohl von Papst Nikolaus I. ent-
worfenen Formular Königsamt und Seniorat dazu gedient, um auf
höchster politischer Ebene die Beziehungen von Ehepartnern zu defi-
nieren. Dass dabei von Mann und Frau jeweils Unterschiedliches ver-
langt wurde, zeigt auch ein Formular zur Kittung maroder Ehebezie-
hungen, welches das um 900 entstandene Sendhandbuch Reginos
von Prüm enthält: Der Mann schwor, fortan seine Frau so zu behan-
deln, „wie von Rechts wegen ein Ehemann seine Frau in Liebe und
geschuldeter Disziplin zu halten schuldig ist“ – sicut per rectum maritus
suam debet habere coniugem in dilectione et debita disciplina. Die Frau hin-
gegen sollte versprechen, ihrem Mann in Dienstbarkeit, Liebe und
Furcht so untertänig und gehorsam zu sein, „wie von Rechts wegen
eine Ehefrau ihrem Mann untertänig zu sein hat“ – in servitio, in amore
et in timore ita eris subiecta et obediens, sicut per rectum uxor suo debet subiecta
esse marito  38. In beiden Fällen beinhaltete dieses Versprechen vor
allem die Absage an eine erneute Trennung und das Eingehen einer
neuen Beziehung zu Lebzeiten des Partners. Und da der Eid hier zur
Verstärkung einer affinen Bindung eingesetzt wurde, wurde die sicut-
Klausel im Hinblick auf Ehepflichten ausformuliert. Auch wenn beide
Formeln nicht explizit als Treueide erscheinen, so orientierten sie sich
an Treuevorstellungen und differenzierten diese mittels der Klauseln
nach kirchlichen Rechtsgewohnheiten aus. Über den Eid wurde kirch-
lichen Ehevorstellungen Gültigkeit verschafft, so dass ein weiterer
Verstoß einen Eidbruch bedeutet hätte.

4. Veränderung der Fidelität in einer komplexen Welt

Diese Verquickung der „treurechtlichen“ mit der kirchenrechtli-


chen ebenso wie mit der verwandtschaftlichen Ebene darf als typisch
für eine Zeit gelten, in der unterschiedliche Traditionen miteinander
in Wechselwirkung traten. Seit dem 9. Jahrhundert entwickelte sich

38
  Regino von Prüm, De synodalibus causis, II, 241-242, in Reginonis abbatis Prumiensis Libri
duo de synodalibus causis et disciplinis ecclesiasticis, Hg. F. G. A. Wasserschleben, Leipzig, 1840,
S. 308: Iuramentum de reconciliatione coniugatorum. Ab isto die in antea istam tuam coniugem,
nomine illam, quam iniuste dimiseras, ita tenebis, sicut per rectum maritus suam debet habere coniugem
in dilectione et debita disciplina, nec eam per ullum malum ingenium a te separabis, nec ea vivente
aliam accipies. Sic te Deus adiuvet. Femina sic iuret. A modo in antea istum tuum maritum, quem
iniuste dimiseras, ita tenebis et amplexaberis, et ei in servitio, in amore et in timore ita eris subiecta et
obediens, sicut per rectum uxor suo debet subiecta esse marito, nec unquam ab eo te separabis, nec illo
vivente alteri viro te sociabis in coniugio aut adulterio. Sic te Deus adiuvet.

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die Fidelität in immer neuen Spielarten und verband komplexe


Rechtsvorstellungen miteinander. So musste in Bayern bereits kurz
nach 800 nach einem volkssprachlichen Formular jeder Kleriker,
wenn er vom Freisinger Bischof ein beneficium erhielt, diesem Treue
schwören, so ih mit rehto aphter canone scal, also „wie ich nach Kirchen-
recht soll“  39. Die Formel weist enge Berührungen mit dem lateini-
schen Formular der allgemeinen Treueide auf. Die Besonderheit des
Klerikereides bestand darin, dass ein klerikaler Amtseid in einen
benefizialrechtlichen Treueid einbezogen wurde 40. Ein Verstoß gegen
das Kirchenrecht konnte so als Treubruch gegenüber dem Bischof
aufgefasst werden, was diesem die Möglichkeit gab, das Lehen wieder
einzuziehen. Die enge Verkoppelung des Treuegedankens mit For-
men der Landleihe war auch der Grund dafür, dass selbst Kleriker
ihrem Bischof Treue schwören mussten – hier verband sich die Fide-
lität also ebenfalls mit dem Kirchenrecht – aber dieses Mal in einer
ganz anderen Weise.
Ihre soziale Differenzierung erschwerte es, dass die gesamte Bevöl-
kerung dem König in gleicher Weise Treue schwor. Bereits in der
Karolingerzeit trug man immer genauer dem Umstand Rechnung,
dass für die verschiedenen Bevölkerungsgruppen, die dem König
Treue schwören mussten, dies im Einzelnen eine unterschiedlich defi-
nierte Treupflicht nach sich zog. Von einem Vasall konnte in anderem
Umfang Treue verlangt werden als von einem Bischof, einem Grafen
oder einem einfachen liber homo. Aus diesem Grund sollte die Bevöl-
kerung des gesamten Frankenreichs, wie etwa im Vertrag von Meersen
851 anbefohlen wurde, in der Weise Fidelität schwören, „wie sie ein
jeder von Rechts wegen nach Maßgabe seines Standes und seiner Posi-
tion nach seinem Fürst und seinem Senior schuldete“ – sicut per rectum
unusquisque in suo ordine et statu suo principi et suo seniori esse debet 41. Für

39
 Althochdeutscher Klerikereid, Hg. E. v. Steinmeyer, Die kleineren althochdeutschen Sprach-
denkmäler, Halle, 1916, S. 64: De sacramento episcopis qui ordinandi sunt ab eis. Daz ih dir hold
pin .N. demo piscophe, so mino chrephti enti mino chunsti sint, si minan vuillun fruma frummenti
enti scadun vuententi, kahorich enti kahengig enti statig in sinemo piscophtuome, so ih mit rehto
aphter canone scal.
40
 Vgl. S. Esders und H. J. Mierau, Der althochdeutsche Klerikereid. Bischöfliche Diözesangewalt,
kirchliches Benefizialwesen und volkssprachliche Rechtspraxis im frühmittelalterlichen Baiern, Han-
nover, 2000 (MGH, Studien und Texte, 28), S. 72 sq. und 169 sq.
41
  Hlotharii, Hludowici et Karoli conventus apud Marsnam secundus a. 851, c. 6, MGH, Capit.,
II, op. cit., S. 73: Ut nostri fideles, unusquisque in suo ordine et statu, (…) ut illi non solum non sint
nobis contradicentes et resistentes ad ista exsequenda, verum etiam sic sint nobis fideles et oboedientes
ac veri adiutores atque cooperatores vero consilio et sincero auxilio ad ista peragenda, quae praemisimus,
sicut per rectum unusquisque in suo ordine et statu suo principi et suo seniori esse debet.

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die einen war der Frankenkönig ein Fürst, für die anderen nahm er
die Rolle eines Lehnsherrn ein, für viele war er beides zugleich. Dem
Sohn Karls des Kahlen, Ludwig II., schworen die westfränkischen
Bischöfe im Jahr 877 Fidelität, „wie sie von Rechts wegen ein Bischof
seinem Senior schuldet“ – sicut episcopus recte seniori suo debitor est. Weil
inzwischen die meisten höheren königlichen Funktionsträger, auch
die geistlichen, in die königliche Vasallität eingetreten waren, musste
präzisiert werden, in welcher Weise speziell ein Bischof dem König
treu sein konnte, ohne gegen seine geistliche Amtspflichten zu ver-
stoßen. Daher versprachen die Bischöfe Fidelität secundum meum minis-
terium, also „nach Maßgabe meines Amtes“  42. Der Bezug auf eine
Amtspflicht konnte dazu dienen, eine bedingungslose Gehorsams-
pflicht gegenüber dem König abzulehnen, wie das Beispiel Hinkmars
von Reims zeigt 43.
Auch für den König wurde es schwieriger, seine Untertanen noch
als einheitlich strukturierte Gruppe zu verstehen. In der zweiten
Hälfte des 9. Jahrhunderts mussten beispielsweise die westfränkischen
Könige bei ihrem Regierungsantritt oder bei anderen Gelegenheiten
unter Eid Garantien abgeben. Ein Königseid, den Karl der Kahle im
Jahr 858 in Quierzy schwor, zeigt, wie Herrschertugenden der Fürs-
tenspiegel im Sinne einer Selbstverpflichtung in diese Klauseln ein-
bezogen wurden: Der König versprach Gnade walten zu lassen, „wie
ein treuer König seine Getreuen von Rechts wegen ehren und erret-
ten soll und wie er einem jeden Recht und Gerechtigkeit in jedem
Stand bewahren und denjenigen, die sie nötig haben und darum bit-
ten, maßvolle Gnade zukommen lassen soll“ – sicut fidelis rex suos fide-
les per rectum honorare et salvare et unicuique competentem legem et iustitiam
in unoquoque ordine conservare et indigentibus et rationabiliter petentibus
rationabilem misericordiam debet impendere 44. Und sein Enkel Karlmann

42
  Capitula electionis Hludowici Balbi compendii facta a. 877, MGH, Capit., II, op. cit., S. 365: Ego
ille sic profiteor: De ista die et deinceps isti seniori et regi meo Hlodowico, Karoli et Hyrmentrudis filio,
secundum meum scire et posse et meum ministerium et auxilio et consilio fidelis et adiutor ero, sicut
episcopus recte seniori suo debitor est, in mea fide et meo sacerdotio. Annales Bertiniani ad. ann. 877,
MGH, SS rer. Germ. in us. schol., 5, op. cit., S. 139; ibid. S. 138 zur sicut-Klausel des Königsver-
sprechens sicut rex episcopo et ecclesiae suae iusto iudicio conservare et exhibere debet. Cf. C. E.
Odegaard, Vassi and Fideles…, op. cit., S. 88 sq.
43
  Zu Hinkmar und den Eidformeln, cf. H. H. Anton, Fürstenspiegel und Herrscherethos in der
Karolingerzeit, Bonn, 1968 (Bonner historische Forschungen, 32), S. 321 sq.
44
  Sacramenta Carisiaci praestita a. 858, MGH, Capit., II, op. cit., S. 296: Sacramentum regis. Et
ego, quantum sciero et rationabiliter potuero, Domino adiuvante unumquemque vestrum secundum
suum ordinem et personam honorabo et salvabo et honoratum ac salvatum absque ullo dolo ac dam-
natione vel deceptione conservabo et unicuique competentem legem et iustitiam conservabo, et qui illam

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versprach bei seinem Regierungsantritt im Jahr 882 in wörtlicher


Anlehnung an eine Petition, die ihm die westfränkischen Bischöfe
vorgelegt hatten, dass er kanonisches Privileg, Recht und Gesetz
bewahren und Schutz ausüben werde, „wie es ein König in seinem
Reich gegenüber jedem Bischof und der ihm anvertrauten Kirche von
Rechts wegen zu zeigen hat“ – sicut rex in suo regno unicuique episcopo et
ecclesiae sibi commissae per rectum exibere debet  45. Hier lassen die sicut-
Klauseln eine explizite Wechselseitigkeit der Rechtspflichten erken-
nen, die der Kontraktualisierung von Herrschaftsbeziehungen ent-
spricht, welche die spätere Karolingerzeit charakterisiert.
Noch komplizierter wurde es, wenn Status, Amt und Verwandt-
schaft unterschiedliche Formen von Fidelität bedingten. In einem
politischen System, in dem man auf höchster Ebene miteinander ver-
wandt zu sein pflegte, war dies naheliegend. Als Heinrich IV. im Jahr
1089 den Markgrafen Ekbert von Meißen absetzte, konnte er dafür
eine Vielzahl von Gründen geltend machen. Vor allem warf er Ekbert
vor, dieser habe den Sachsen und anderen, die auf seine Absetzung
und seinen Tod hinarbeiteten, consilium und auxilium gewährt. Der
Verräter, so ließ Heinrich in einer Urkunde verlautbaren, habe „ver-
gessen, dass er eigentlich unser Krieger, unser Markgraf und unser
Verwandter sei, ja er habe, was noch viel schlimmer sei, nicht daran
gedacht, dass er uns durch einen Eid verbunden, also unser Schwur-
genosse sei“ – Exbertus (…) non recordatus, quod noster miles, marchio et
consanguineus et, quod maius est, noster iuratus fuit  46. Ekberts Krieger-
funktion, sein Amt, seine Verwandtschaft – all dies war nicht so wich-

necesse habuerit et rationabiliter petierit, rationabilem misericordiam exhibebo, sicut fidelis rex suos
fideles per rectum honorare et salvare et unicuique competentem legem et iustitiam in unoquoque ordine
conservare et indigentibus et rationabiliter petentibus rationabilem misericordiam debet impendere. Et
pro nullo homine ab hoc, quantum dimittit humana fragilitas, per studium aut malivolentiam vel
alicuius indebitum hortamentum deviabo, quantum Deus mihi intellectum et possibilitatem donaverit;
et si per fragilitatem contra hoc mihi subreptum fuerit, cum hoc recognovero, voluntarie illud emendare
curabo.
45
  Karolomanni conventus Carisiacensis a. 882, MGH, Capit., II, op. cit., S. 370: Promissio domni
Karolomanni regis ad suprascriptam peticionem. Promitto et perdono vobis, quia unicuique de vobis
et ecclesiis vobis commissis secundum primum capitulum, quod novissime in Carisiaco domnus impe-
rator avus meus a se et a patre meo servaturum consentientibus fidelibus suis ac patris mei atque
apostolicae sedis legatis legente Gauzleno denuntiavit, canonicum privilegium et debitam legem atque
iusticiam conservabo et defensionem, quantum potuero, adiuvante Domino exibebo, sicut rex in suo
regno unicuique episcopo et ecclesiae sibi commissae per rectum exibere debet, et quemadmodum contine-
tur in scripto, quod in Ferrariorum monasterio coram altare sancti Petri perdonavi, in hoc, ut vos mihi
secundum Deum et secundum seculum sic fideles adiutores et consilio et auxilio sitis, sicut vestri ante-
cessores boni meis melioribus praedecessoribus exstiterunt, secundum scire et posse.
46
  Die Urkunden Heinrichs IV., t. 2 (Die Urkunden 1077-1106), Hg. D. v. Gladiss, MGH, DD
reg. et imper. Germ., VI/2, Hannover, 1952, S. 531: Exbertus quondam marchio (…) in nostram

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fidelität und rechtsvielfalt

tig wie der Eid, den er Heinrich geschworen hatte. Wenn hier die
überragende Bedeutung des Eides so betont wurde, dann deswegen,
weil Heinrich im Eidbruch seines Vetters den triftigsten und wohl
auch rechtlich plausibelsten Grund sah, ihn abzusetzen. Dies gilt auch
für einen noch berühmteren politischen Prozess: Nach dem bekann-
ten Bericht Arnolds von Lübeck über die unterlassene Hilfeleistung
Heinrichs des Löwen für Friedrich Barbarossa in Chiavenna im Jahr
1176 soll Barbarossa den Löwen flehentlich um Unterstützung gebe-
ten haben mit den Worten: „und um die Treueide einmal beiseite zu
lassen, die du dem Reich geschworen hast, wollen wir dich an die
Verwandtschaft erinnern, durch die du uns über alles verbunden bist,
damit du uns in der gegenwärtigen Notlage mit aller Treue entgegen-
kommst“, und zwar, wie der Chronist betont, „wie einem Neffen,
einem Herrn und Freund“ – omni fidelitate, utpote nepoti et domino et
amico, nobis occurras 47. Die sicut-Klausel klingt hier in einer verknapp-
ten Form an, wie sie in zahlreichen spätmittelalterlichen Eidformeln
begegnet. Arnold nahm Bezug auf vier unterschiedliche Treubindun-
gen, wobei Heinrichs Treue gegenüber dem Reich in den Hinter-
grund geschoben und stattdessen seine Verwandtschaft mit dem Mon-
archen hervorgehoben erscheint. Allerdings wurde die verwandt-
schaftliche Bindung sogleich mit nicht-verwandtschaftlichen Bindun-
gen verknüpft, hier mit Freundschaft und einer militärischen Art von
Herrschaft. Die Verwandtschaft allein erwies sich hier als unzurei-
chend: Um einen Doppelherzog auf dem Rechtswege absetzen zu
können, bedurfte es einer besonderen Legitimation. Das im rechtli-
chen Sinne relevante Sanktionssystem hing am Eid, wenn es darum
ging, ein Vergehen so zu verobjektivieren, dass es zum Gegenstand
eines politischen Prozesses werden und eine Absetzung rechtfertigen

et depositionem et mortem consilium et auxilium Saxonibus et aliis nos persequentibus dedit, non
recordatus, quod noster miles, marchio et consanguineus et, quod maius est, noster iuratus fuit.
47
  Arnold von Lübeck, Chronica Slavorum, II, 1, in Arnoldi Chronica Slavorum, Hg. J. M.
Lappenberg, MGH, SS rer. Germ. us. schol., 14, Hannover, 1868, S. 37 sq.: Memorem te esse
volumus, quod nichil umquam tue voluntati negavimus et quia in honore tuo ampliando semper parati
fuimus, inimicis tuis inimici semper fuimus et nullum adversum te prevalere permisimus. Et ut sacra-
mentorum fidem omittamus quam imperio firmasti, meminisse te volumus consanguinitatis qua nobis
super omnia teneris, ut in presenti necessitate omni fidelitate, utpote nepoti et domino et amico, nobis
occurras, et de cetero ad omnia que volueris benevolentiam nostram habeas. Cf. W. Hechberger,
Staufer und Welfen 1125-1190. Zur Verwendung von Theorien in der Geschichtswissenschaft, Köln
u. a., 1996 (Passauer Historische Forschungen, 10), S. 197, sowie G. Althoff, „Die Histo-
riographie bewältigt. Der Sturz Heinrichs des Löwen in der Darstellung Arnolds von
Lübeck“, in B. Schneidmüller (Hg.), Die Welfen und ihr Braunschweiger Hof im hohen Mittel-
alter, Wiesbaden, 1995, S. 165 sq.

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stefan esders

konnte. Dass die Fidelität als entscheidender Hebel fungierte, um


einen politischen Prozess zu gewinnen, war schon bei Tassilo und
Ekbert von Sachsen nicht anders gewesen.

5. Ergebnisse

Als Ergebnis dieser kurzen Durchsicht darf zunächst festgehalten


werden, dass es sich bei den sicut-Klauseln um Formeln einer Fach-
sprache handelt, nämlich derjenigen des Rechts. Diese Rechtssprache
fand im Lateinischen ebenso wie in den Volkssprachen Anwendung;
die sicut-Formel war relativ problemlos übersetzbar. Der Gebrauch
dieser fachsprachlichen Klauseln lässt sich in erheblichem Umfang
auch in narrativen Quellen finden, die sehr präzise über den Rechts-
inhalt solcher Bindungen Auskunft geben, der rechtlich-fachsprach-
liche Diskurs der Eidformeln fand also weithin Eingang in andere
Textgattungen.
Mittels dieser sicut-Klauseln wurde die Fidelität weiterentwickelt
und einer sich ändernden gesellschaftlichen Wirklichkeit angepasst.
Die sicut-Formel diente der Ausdifferenzierung einer allgemeinen
Treuevorstellung, deren Grundbedeutung Loyalität und Dienstbereit-
schaft umfasste, die sich gegebenenfalls auch militärisch konkreti-
sierte – was in Anbetracht der Verwurzelung der Fidelität im Militär-
wesen nicht überraschen kann  48. Die Ausdifferenzierung der allge-
meinen Treuevorstellung erfolgte im Hinblick auf konkrete Rechts-
gewohnheiten, die für bestimmte Personengruppen maßgeblich
waren. Dabei konnte es sich im Früh- und Hochmittelalter vor allem
um status- oder amtsbezogene Sonderrechte einzelner Gruppen oder
Funktionsträger handeln wie auch um allgemeine Rechtsgewohnhei-
ten aus dem Bereich der Verwandtschaft oder sogar des Kirchenrechts.
Die Relevanz dieser Rechtsgewohnheiten war den betroffenen Perso-
nen zum Zeitpunkt der Eidleistung bekannt, musste also im Normal-
fall gar nicht mehr explizit in allen Einzelheiten ausgeführt werden;
es genügte die Klausel oder ein Hinweis darauf, dass die von Rechts
wegen geschuldete Treue durch Eid versprochen wurde. Im Spätmit-
telalter wurde vielfach nur noch in verknappten Wendungen (etwa

48
 Cf. S.  Esders, „Treueidleistung und Rechtsveränderung im frühen Mittelalter“, in
S. Esders und C. Reinle (Hg.), Rechtsveränderung im politischen und sozialen Kontext mittelal-
terlicher Rechtsvielfalt, Hamburg, 2005 (Neue Aspekte der europäischen Mittelalterforschung,
5), S. 28 sq. und 50 sq.

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fidelität und rechtsvielfalt

fidelitas debita) darauf verwiesen, dass eine Treubindung vorlag, deren


Umfang dem rechtlichen Herkommen entsprach.
Nach diesen Klauseln zu urteilen, bestand offenbar bereits seit
dem Frühmittelalter ein erheblicher Bedarf an unterschiedlichen
Personenbindungen in einer gelockerten gesellschaftlichen Ord-
nung 49. Insbesondere seit dem 9. Jahrhundert ist dies zu beobachten.
Die durch den Treueid geschaffenen Rechtskonstruktionen erwiesen
sich dabei als sehr anpassungsfähig. Die Fidelität konnte also in flexi-
bler Weise andere Rechtsvorstellungen aufsaugen, aber auch unter
Hinzunahme anderer Rechtsvorstellungen und weiterer Klauseln
selbst präzisiert und definiert werden. Im systematisch-diachronen
Vergleich machen die mittels sicut-Klausel gebildeten Eidformeln dies
besonders deutlich. Doch bleibt jenseits der hier vorgetragenen Sicht
noch weitaus genauer zu untersuchen, warum in konkreten Situatio-
nen eher der eine oder der andere Aspekt von Fidelität hervorgeho-
ben wurde und seinen Ausdruck in einer speziellen Eidformel fand.
In jedem Fall war die Verbindung von Fidelität einerseits und Sta-
tus, Amt bzw. Verwandtschaft andererseits nicht ursprünglich. Doch
überall dort, wo es darum ging, Personenbindungen in ein rechtlich
anerkanntes Sanktionssystem zu überführen, sie zu verobjektivieren,
erfüllte der Treueid eine wichtige Funktion: Der Eid verankerte, ja
verrechtlichte Treuevorstellungen in einer Gesellschaft, die schon seit
ihren Anfängen zu komplex war, als dass sie sich allein über Verwandt-
schaftsbeziehungen hätte definieren können. Man benötigte kompli-
zierte Eidformeln in einer komplizierten Welt.

 Cf. O. G. Oexle, „Conjuratio und Gilde im frühen Mittelalter. Ein Beitrag zum Problem
49

der sozialgeschichtlichen Kontinuität zwischen Antike und Mittelalter“, in B. Schwinekö-


per (Hg.), Gilden und Zünfte. Kaufmännische und gewerbliche Genossenschaften im frühen und
hohen Mittelalter, Sigmaringen, 1985 (Vorträge und Forschungen, 29), S. 212 sq.

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Laurent Feller

Les hiérarchies dans le monde rural


du haut Moyen Âge : statuts, fortunes
et fonctions

L
es apports historiographiques de ces dernières années ont
introduit beaucoup de complexité dans l’analyse de la société
rurale du haut Moyen Âge. De la complexité mais aussi des
éléments de clarification, grâce à l’utilisation de plus en plus courante
de concepts tirés de la sociologie rurale et de l’anthropologie écono-
mique  1. L’utilisation de ces outils a puissamment aidé à renouveler
aussi notre connaissance des groupes paysans et à mieux en connaître
le fonctionnement. La mobilisation de l’ensemble des sources dispo-
nibles, et particulièrement des actes de la pratique, permet d’autre
part de progresser : on ne se cantonne plus, désormais, aux textes
normatifs et aux polyptyques, mais on utilise aussi les dossiers d’actes
de vente ainsi que les contrats agraires qui nous permettent de donner
une image plus fine et mieux articulée de la réalité économique et
sociale, particulièrement en ce qui concerne le monde rural. La pay-
sannerie est ainsi devenue accessible et apparaît comme un objet
d’étude légitime, même pour ces hautes périodes 2.
Les sociétés paysannes du haut Moyen Âge sont des collectivités
socialement et économiquement différenciées. Même à l’intérieur
d’organismes qui, comme le grand domaine, pourraient fonctionner
comme des laminoirs sociaux, elles produisent des élites et secrètent

1
  J.-P. Devroey, Économie rurale et société dans l’Europe franque (vie-ixe siècle), Paris, 2004 ; Id.
« Communiquer et signifier entre seigneurs et paysans », in Comunicare e significare nell’alto
medioevo, Spolète, 2005 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo,
52), p. 121-154. Surtout : Id., Puissants et misérables. Système social et monde paysan dans l’Europe
des Francs (vie-ixe siècle), Bruxelles, 2006 ; C. Wickham, Framing the Middle Ages. Europe and the
Mediterranean (400-800), Oxford, 2005. L. Feller, Paysans et seigneurs au Moyen Âge (viiie-
xve siècle), Paris, 2007.
2
 L. Feller, « L’historiographie des élites rurales du haut Moyen Âge. Émergence d’un
problème ? », in L’historiographie des élites (actes de la table ronde tenue à l’université de
Marne-la-Vallée en janvier 2005, publié en ligne  : http://lamop.univ-paris1.fr/lamop/
LAMOP/elites/feller.pdf). Voir, en dernier lieu, É. Renard, « Une élite paysanne en crise ?
Le poids des charges militaires pour les petits alleutiers entre Loire et Rhin au ixe siècle »,
in F. Bougard, L. Feller et R. Le Jan (dir.), Les élites au haut Moyen Âge : crises et renouvelle-
ments, Turnhout, 2006, p. 315-336.

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laurent feller

des hiérarchies qui permettent le jeu d’une certaine mobilité sociale


et l’expression d’une différenciation interne au groupe. Il existe,
d’autre part, un en dehors du domaine : les libres, propriétaires et
exploitants de leurs terres sont en nombre plus important et surtout
mieux documentés dès lors que l’on quitte l’espace d’entre Loire et
Rhin que ce que l’on a longtemps pu penser. La recherche a cessé
d’être obnubilée par la problématique du grand domaine pour par-
venir à une vision beaucoup plus fine et articulée de l’ensemble des
sociétés rurales.
Trois critères permettent d’approcher de plus près le fonctionne-
ment des hiérarchies du monde paysan : les statuts, les fonctions et
les fortunes. Ils doivent être tous trois considérés selon la nature du
milieu où ils sont observés : le grand domaine, d’une part, informé
essentiellement par les capitulaires et les polyptyques, c’est-à-dire par
des textes normatifs et administratifs ; la société alleutière, d’autre
part, documentée par les dossiers des chartriers, comme ceux que
nous ont laissés le groupe des Totoni, Pierre de Niviano, Folkwin de
Rankweil, Karol fils de Liutprand ou encore les Leopogisi de Cologno
Monzese 3. On dispose donc désormais d’assez de dossiers bien docu-
mentés pour proposer une première synthèse de la question.
Je me propose d’en traiter en présentant tout d’abord les groupes
de statut : non libres, dépendants et indépendants pour passer ensuite
aux élites paysannes et aborder, enfin, la question des mobilités ascen-
dantes et descendantes, en m’intéressant à chaque fois aux fonctions,
aux fortunes et aux positions à l’intérieur de la société.

1. Les groupes de statut


Si tous les hommes dont nous allons parler dans ce paragraphe
peuvent être classés parmi les agricolantes, les travailleurs du sol, ils ne
forment pas une masse informe et indifférenciée.

3
  Carte di famiglia. Strategie, rappresentazione e memoria del gruppo familiare di Totone di Campione
(721-877), éd. S. Gasparri et C. La Rocca, Rome, 2005 ; F. Bougard, « Pierre de Niviano,
dit le Spolétin, sculdassius, et le gouvernement du comté de Plaisance à l’époque carolin-
gienne », Journal des savants, 1996, p. 291-337. L. Feller, A. Gramain et F. Weber, La fortune
de Karol. Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au haut Moyen Âge, Rome, 2005
(Bibliothèque de l’École française de Rome, 347) ; K. Bullimore, « Folcwin of Rankweil :
the world of a Carolingian local officer », Early Medieval Europe, 13/1 (2005), p. 43-77 ; G. Ros-
setti, Società e istituzioni nel contado lombardo durante il medioevo, Cologno Monzese : i secoli VIII-X,
Milan, 1968, p. 10-122. L. Feller, « Dettes, stratégies matrimoniales et institution d’héritier :
sur l’élite paysanne lombarde aux ixe siècle », Revue historique, 310/2 (2008), p. 339-368.

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les hiérarchies dans le monde rural du haut moyen âge

Le premier critère de distinction est celui qui oppose les libres à


ceux qui ne le sont pas. Le critère juridique a des implications anthro-
pologiques qui tendent à s’affaiblir depuis l’Antiquité tardive 4. Si la
différence entre libres et non libres est extrêmement importante, les
conséquences pratiques de la distinction tendent cependant à s’es-
tomper lentement : le processus par lequel les esclaves ont été totale-
ment réintégrés à l’humanité touche à sa fin au ixe siècle. Désormais,
en effet, les non libres ont accès au mariage, leur filiation est reconnue
et certaines formes de droits sur la terre qu’ils exploitent, plus ou
moins étendus, leur sont reconnues.
Le chasement établit une situation de possession d’état sur laquelle
il est difficile de revenir et que, au demeurant, les maîtres ont intérêt
à maintenir. Ils garantissent ainsi la continuité de l’exploitation et
donc celle du prélèvement et de leur revenu. La succession hérédi-
taire dans la tenure est la solution la plus simple et la plus satisfaisante
pour tous, sauf dans des cas extrêmes comme ceux que l’on observe
en Bavière où, si l’on suit C. Hammer, les seigneurs choisissent de
déplacer les tenanciers en fonction de leur position dans le cycle de
vie, les faisant passer de valets de ferme dans leur jeunesse à exploi-
tants dans leur maturité et lorsqu’ils sont mariés, puis les ramenant
au statut de valet durant leur vieillesse 5. Il semble que, la plupart du
temps, les seigneurs ne soient pas en mesure d’opérer de telles mani-
pulations et qu’ils préfèrent considérer d’abord la continuité de la
mise en valeur de la tenure. En Sabine, cela se traduit, au ixe siècle,
par le recours à l’institution de l’affiliatio qui, permettant d’attribuer
un fils adoptif à un couple stérile, assure au seigneur que la disparition
du couple titulaire n’interrompra pas l’exploitation. Cette institution
permet d’autre part de régler la question de l’entretien du couple
sans descendance lorsqu’il est devenu trop faible pour pourvoir lui-
même à ses besoins 6. Elle ne semble pas attestée, au ixe siècle, ailleurs

4
 Voir l’essai classique de Pierre Bonnassie : « Survie et extinction du régime esclavagiste
dans l’Occident du haut Moyen Âge (ive-ixe siècle) », Cahiers de civilisation médiévale, 28
(1985), p. 307-343 [= Les sociétés de l’an Mil. Un monde entre deux âges, Bruxelles, 2001 (Biblio-
thèque du Moyen Âge, 18), p. 85-142]. L. Feller, Paysans et seigneurs…, op. cit., p. 40-71.
5
 C. Hammer, « Family and familia in early-medieval Bavaria », in R. Wall, J. Robin et
P. Laslett (dir.), Family forms in historic Europe, Cambridge, 1983, p. 217-248 ; Id., A large-
scale Slave Society of the early medieval Ages : Slaves and their Families in early-medieval Bavaria,
Abingdon, 2002.
6
 L. Feller, « La population abruzzaise durant le haut Moyen Âge : les conditions de pos-
sibilité d’une croissance démographique », in R. Comba et I. Naso (dir.), Demografia e società
nell’Italia medievale, Cuneo, 1994, p. 327-349. J.-P. Devroey, Économie rurale et société dans
l’Europe franque (vie-ixe siècle), Paris, 2004, p. 70-75.

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laurent feller

qu’en Sabine. L’institution relève toutefois des manipulations sur la


parenté et le lien de filiation que les sociétés traditionnelles sont ame-
nées à opérer afin d’assurer la transmission des biens et de créer des
communautés de vie 7.
La situation de possession peut entraîner d’autres conséquences.
Dans certaines circonstances, elle donne, dès le ixe siècle, accès au
marché des parcelles  : dans la principauté de Bénévent, dans les
années 830, les non libres vendent et achètent des terres sous le
contrôle de leur maître 8. Le cartulaire de Sainte-Sophie de Bénévent,
renferme par exemple un diplôme émis en 834 par le prince Sicard
et par lequel celui-ci confirme la validité des ventes de terres auxquel-
les viennent de procéder deux groupes de servi, le premier apparte-
nant au monastère et le second à lui-même. La question de la posses-
sion de terres par des serfs ne fait ici pas problème, pas plus que celle
des mutations à titre onéreux que les détenteurs de tenures peuvent
être amenés à faire. Il existe cependant des limitations à ce droit,
puisque le seigneur doit sanctionner et approuver la vente, ce qui, en
Italie du moins, n’est jamais le cas lorsque la transaction se déroule
entre alleutiers. Il existe donc une forme d’appropriation de la terre
caractéristique des non libres et qui peut tendre à ressembler à la
pleine propriété qui est celle des alleutiers.
Toutefois, si les enfants peuvent espérer succéder à leur père dans
sa tenure ce n’est sans doute pas le cas des collatéraux : la lignée ser-
vile n’est tout de même pas reconnue à égalité de celle des libres. La
différence entre les divers groupes de statut inclus dans le domaine
continue d’être marquée. Le chasement a enfin entraîné la stabilisa-
tion définitive des maisonnées serviles. L’exemple le plus évident nous
en est fourni par la Vie de saint Emmeram dont un passage nous montre
un maître, propriétaire d’esclaves, organiser la continuité de l’exploi-

7
 Ces institutions apparaissent sporadiquement dans la documentation à travers toutes les
périodes du Moyen Âge et mériteraient bien que l’enquête, à laquelle R. Aubenas appelait
dans les années 1930, ait effectivement lieu. Voir, mais pour le xve siècle, R. Aubenas,
« L’adoption en Provence au Moyen Âge (xive-xvie siècle) », Revue historique de droit français
et étranger, 58 (1934), p. 700-726 ; A. Courtemanche, « Women, family and immigration
in the fifteenth century Manosque : the case of the Dodi family of Barcelonette », in J. Dren-
del et K. Reyerson (dir.), Urban and rural communities in medieval Languedoc, Southern France
and Provence, Boston/Leyde, 1998, p. 101-127. Pour un exemple italien du xiiie siècle :
L. Feller, Paysans et seigneurs…, op. cit., p. 214-215 et, en dernier lieu : L. Feller, « Adop-
tion et servage en Italie centrale au xiiie siècle. L’exemple de la seigneurie du Mont-Cassin »,
à paraître dans Mélanges Jean-Marie Martin.
8
  Chronicon Sanctae Sophiae, éd. J.-M. Martin, Rome, 2000 (Fonti per la storia dell’Italia
medievale , 3), t. 1, n° 27, p. 380-382 (a. 834) ; commentaire : L. Feller, Paysans et sei-
gneurs…, ibid., p. 45.

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les hiérarchies dans le monde rural du haut moyen âge

tation d’une tenure en mariant la veuve d’un tenancier avec celui qu’il
désigne comme son successeur, un personnage qui s’est distingué
dans la familia par ses compétences particulières en matière d’entre-
tien des moulins. Cet homme, un ancien libre enlevé lors d’un voyage
et vendu comme esclave, accepte le mariage, mais sous la pression
d’une forte contrainte, son maître menaçant de le vendre chez les
Saxons. La raison de sa réticence est simple : du temps de sa liberté,
il était marié et risque donc de se retrouver bigame du fait de l’union
voulue par son maître. Le récit précise que des rites particuliers sont
célébrés, soulignant ainsi qu’il s’agit bien d’une union définitive, des-
tinée à produire de la filiation, c’est-à-dire des enfants légitimes, et
des droits sur des choses, en l’occurrence une tenure dont il n’est pas
question que la veuve soit chassée  9. Le mariage servile, dans ce cas,
est une institution particulière qui ne tient pas compte des situations
antérieures, le changement de statut ayant entraîné la disparition de
tous les liens sociaux et juridiques établis avant la capture. Incluant
des rites, il produit une situation stable, analogue à celle du mariage
entre libres, la différence, mais elle est de substance, reposant sur
l’absence de consentement effectif des mariés.
La maisonnée, que l’on définit comme le collectif institué pour la
survie, c’est-à-dire d’abord pour la production et la consommation de
nourriture, autour d’une famille conjugale et, éventuellement, des
ascendants, ne peut pas être dissoute. Les enfants ne peuvent pas, sauf
exception, être ôtés à leurs parents et les couples, unis par le mariage,
ne peuvent pas non plus être séparés par la seule volonté du maître.
Ce collectif, dont la taille et la composition varie, peut inclure des
esclaves, comme c’est le cas à Redon  10. Il fournit la force de travail
nécessaire à la mise en valeur de la terre aussi bien paysanne que
seigneuriale. Enfin, les esclaves de peine, les prébendiers, sont deve-
nus minoritaires. Leur force de travail est l’un des éléments, non le
seul, dans la mise en valeur du domaine. En aucun cas, le système
économique du haut Moyen Âge ne peut être comparé à une écono-
mie de plantation 11. Ainsi, sur les 85 curtes possédées par S. Giulia di

9
  Arbeo, Vita et passio sancti Haimhrammi martyris, éd. B. Krusch, MGH, SS rerum germanica-
rum in usum scholarum, 13, Hanovre, 1920, p. 85 sq. ; trad fr. A. Stoclet, Les sociétés en Europe,
Lyon, 2003, p. 70-72. C. Hammer, A large-scale…, op. cit., p. 133-135.
10
  W. Davies, Small Worlds. The Village Community in Early Medieval Brittany, Berkeley/Los
Angeles, 1988.
11
  P. Toubert, « Il sistema curtense : la produzione e lo scambio interno in Italia nei secoli
VIII, IX e X », in Economia naturale, economia monetaria, Turin, 1983 (Storia d’Italia Einaudi,
Annali 6), p. 5-63 [= L’Europe dans sa première croissance, Paris, 2004, p. 145-218].

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laurent feller

Brescia au début du xe siècle, les intendants peuvent compter sur la


présence quotidienne d’environ 200 prébendiers contre 300 tenan-
ciers astreints à la corvée. La présence servile est, dans ce cas, encore
importante. Elle n’est pas exclusive dans l’organisation du travail, et
c’est ce qui compte 12.
Il est enfin possible de changer de statut soit par un acte unilatéral
du maître, par affranchissement, soit par achat de la liberté 13.
Quoique le chasement ait également entraîné une homogénéisa-
tion des statuts de fait à l’intérieur du domaine, l’existence de la ser-
vitude divise très profondément la société rurale et affaiblit considé-
rablement les solidarités qui pourraient s’y faire jour. Les services
demandés aux libres et aux non libres, comme les redevances que l’on
attend d’eux, tendent en effet à s’aligner et à unifier les conditions,
en établissant des formes de servitude pratique qui atteignent aussi
des hommes théoriquement libres. L’exécution de la corvée est un
puissant niveleur social, même si, localement, la perception entre
celle qui est due par les esclaves, et qui doit avoir des traits spécifiques,
et celle qui est due par les libres se maintient fortement. Dans le plaid
de 864 concernant les serfs de Mitry, la condamnation des paysans est
obtenue après qu’il a été prouvé qu’ils exécutaient un service infé-
rieur et qu’ils travaillaient plus que les libres, et sans doute différem-
ment d’eux 14. De même, en 873, les témoignages sollicités pour éta-
blir la servitude des paysans de Saint-Vincent-au-Volturne dans les
Abruzzes insistent sur la façon dont la corvée est exécutée autant que
sur le châtiment des infractions 15. Dans l’un et l’autre cas, de plus, les
témoins insistent sur la filiation des hommes et des femmes en cause.
On naît servus et l’établissement d’une généalogie est également une
preuve de l’appartenance au groupe de statut.
La distinction entre libres et non libres est encore formellement
essentielle au xie siècle. L’un des Miracles de saint Benoît, commentés
récemment par Dominique Barthélemy, nous montre par exemple
une jeune femme libre, seule de son espèce dans un village dont la

12
  P. Toubert, « Il sistema curtense… », ibid. L. Feller, Paysans et seigneurs…, op. cit., p. 54.
J.-P. Devroey, Puissants et misérables…, op. cit., p. 274-280.
13
 Voir C. Wickham, Framing…, op. cit., p. 259-302.
14
  G. Tessier, Recueil des actes de Charles le Chauve, II, Paris, 1952, n° 228, p. 7-9.
15
  Chronicon Vulturnense del monaco Giovanni, éd. V. Federici, Rome, 1925 (Fonti per la
storia d’Italia, 58), p. 337-340, n° 72. L. Feller, « Liberté et servitude en Italie centrale
(viiie-xe siècle) », in Les formes de la servitude : esclavages et servages de la fin de l’Antiquité au
monde moderne (Actes de la table ronde des 12 et 13 décembre 1997) [= Mélanges de l’École fran-
çaise de Rome, 112 (2001/2)], p. 511-533.

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les hiérarchies dans le monde rural du haut moyen âge

majorité est serve, travailler un jour où les autres femmes du village


vaquent, et arpenter le village sa quenouille et son fuseau à la main
en filant, par manière de provocation : libre, elle n’a pas à subir l’obli-
gation de ne pas travailler un jour de fête de saint Benoît 16. Le mira-
cle punitif qui l’atteint la contraint à accepter d’entrer dans la servi-
tude du saint pour obtenir sa guérison. L’intervention du saint mon-
tre plusieurs points importants. Le premier relève de l’autorégulation
des groupes. Les serfs, là où ils sont majoritaires, exercent eux-mêmes
une forte pression sur les libres pour qu’ils abandonnent leur statut
et les rejoignent dans la servitude. La capacité de contrainte du monas-
tère qui mobilise la force du saint n’est en revanche pas une surprise.
L’enjeu est cependant clair  : empêcher la jeune fille de travailler
quand cela lui convient, afin de réaffirmer et de consolider le contrôle
social horizontal en créant une communauté de statut. L’anecdote est
tout à fait significative des périls qui pèsent sur les libres dès lors qu’ils
sont amenés à prendre des terres en tenure ou dès lors que, simple-
ment, ils vivent à l’intérieur d’une seigneurie régie de façon un peu
stricte : l’homogénéisation s’opère vers le bas, vers le statut le moins
avantageux 17.
Le critère pratique le plus important de la distinction et sur lequel
se fonde la hiérarchie de la société paysanne est celui du travail forcé.
Savoir qui y est astreint et qui ne l’est pas est au fond le plus important
aux yeux du maître, qui trouve dans le statut juridique un argument
pour exiger davantage des non libres qu’à toute autre catégorie de la
population. La question essentielle est pour lui celle du fonctionne-
ment de la tenure. Être libre, c’est avoir la possibilité de résister au
moins un peu aux exigences seigneuriales en matière de rente et de
service, c’est pouvoir aussi négocier corvées et redevances. C’est cela
qui, dans la pratique, fonde la distinction entre libres et non libres.
Paradoxalement enfin, être libre c’est aussi pouvoir choisir de travailler,
alors que la « loi du domaine » imposerait de ne pas le faire et donc,
de façon plus générale, de ne pas être astreint au respect de la norme
qui organise la vie des tenanciers au statut diminué ou humilié.
À côté de cette première distinction, d’autres jouent. Le lexique
social des polyptyques est, on le sait, assez riche. Il existe une taxino-

16
 D. Barthélemy, Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale, Paris, 2004,
p. 182-186.
17
  W. Davies, « On servile status in the Early Middle Ages », in M. Bush (dir.), Serfdom and
Slavery. Studies in Legal Bondage, Londres/New York, 1995, p. 225-246 et C. Wickham, Fra-
ming…, op. cit., p. 561-567.

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mie sociale dont on ne sait pas toujours comment elle opère les dis-
tinctions. À Saint-Germain, on trouve mention de colons, de lites,
d’hommes de Saint-Germain. Marc Bloch pensait que seule la men-
tion « homme de » avait une réelle incidence  18. Sur les colons, par
exemple, la confusion lexicale peut être totale. Souvent libres, ils peu-
vent parfois cependant être de condition servile. Le mot peut désigner
aussi n’importe quel exploitant quel que soit son statut juridique  19.
Les conséquences concrètes de l’appartenance à tel ou tel groupe
juridique ne sont effectivement pas toujours très claires dans certains
polyptyques et notamment dans celui d’Irminon. Elles le sont davan-
tage dans d’autres inventaires comme par exemple celui de Bobbio,
où trois groupes différents sont énumérés : les arimanni, les livellarii
et les massari, chacun ayant des obligations propres rappelées par le
texte. Les arimanni, qui sont ici de simples tenanciers, doivent parti-
ciper à l’entretien des ponts et des voies publiques dans la région de
Plaisance. Les massari, des exploitants coutumiers peuvent ne pas être
libres. Quant aux livellarii, ils sont libres par définition, puisqu’ils dis-
posent d’un contrat écrit. L’articulation entre eux de ces groupes de
statut différent n’a rien d’évident. Une lecture attentive des deux
versions du polyptyque montre que la pression exercée sur les massari
et les livellarii tend à devenir identique et que, dans les années 860, il
n’y a plus de différence économique réelle entre les deux. L’avantage
d’être livellarius est alors devenu inexistant, du point de vue de ce qui
est dû au titre de la tenure 20.

2. Les fonctions

Ces groupes de statut inférieur sont commandés par une hiérarchie


locale, détentrice de parcelles de l’autorité seigneuriale. À la tête du
domaine sont députés des hommes de rang différent. Ils commandent
à toute une gamme d’officiers et d’intermédiaires que J.-P. Devroey a

18
 M. Bloch, « Comment et pourquoi finit l’esclavage antique », Annales ESC, 1947 [= Mélan-
ges historiques, I, Paris, 1963, p. 261-285], p. 30-43 et 161-170.
19
  J.-P. Devroey, Puissants et misérables…, op. cit., p. 282.
20
  « Adbreviatio de rebus omnibus, S. Colombano di Bobbio », in A. Castagnetti, M. Luzzati,
G. Pasquali et A. Vasina (dir.), Inventari altomedievali di terre, coloni e redditi, Rome, 1979
(Fonti per la storia d’Italia, 104), p. 130 et p. 151 ; L. Feller, Paysans et seigneurs…, op. cit.,
p. 34-35.

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les hiérarchies dans le monde rural du haut moyen âge

récemment bien mis en lumière  21. Les plus hauts dignitaires du


domaine sont ceux que le capitulaire de Villis appelle les juges. On
considère qu’ils appartiennent à l’univers aristocratique pour deux
raisons. La première est qu’ils sont employés dans les ambassades
royales et à l’armée, ce qui est une marque d’appartenance à l’élite
de la société, même si leur intégration se fait à un niveau médiocre.
L’élite est elle-même hiérarchisée et différenciée et, à côté des plus
puissants, ou plutôt en dessous d’eux, se trouvent des mediocres, des
hommes d’un rang intermédiaire comme le sont les intendants des
domaines. La seconde raison tient à la discipline propre à leur corps
et qui leur est imposée : on ne prévoit, pour les juges, en cas de man-
quement, qu’une convocation et une réprimande, assortie d’un jeûne
léger, puisqu’ils doivent simplement s’abstenir de boissons alcoolisées.
Les personnages qui leur sont subordonnés, leurs adjoints en quelque
sorte, que l’on dénomme les iuniores, appartiennent, quant à eux, à
un rang inférieur. S’ils commettent une faute, ils sont eux aussi convo-
qués au palais, mais ils doivent, entre le moment de leur convocation
et celui de leur comparution, s’abstenir d’alcool et de viande. S’ils
sont jugés coupables, ils peuvent être battus de verges, ce qui signifie
évidemment qu’ils appartiennent à un autre groupe de statut que leur
patron, et dont vraisemblablement ils ne peuvent que difficilement
sortir.
Hincmar a noté l’importance de ces personnages qu’il appelle
villici et qui sont chargés d’organiser toute la vie économique du
domaine. Le capitulaire de Villis contenait déjà quelques recomman-
dations sur ce point, qui étaient essentiellement de bon sens. Elles
sont reprises et développées par l’archevêque de Reims qui, dans l’ad-
monestation qu’il envoie à Louis le Germanique dans la lettre de 858,
dresse le portrait idéal du villicus  22. Il fait également de ce gestion-
naire domanial une pièce importante du dispositif de commande-
ment et de contrôle de la société, placé en dessous du comte avec
d’autres fonctions. Ainsi, le villicus ou le juge doit obéir à quelques
critères élémentaires de bon gouvernement : ne pas recourir à l’usure,
ne pas exiger de redevances plus lourdes que celles demandées du
temps de Louis le Pieux, ne pas accabler les dépendants par des cor-

21
  J.-P. Devroey, « Communiquer et signifier… », op. cit. ; Id., « Libres et non-libres sur les
terres de Saint-Remi de Reims : la notice judiciaire de Courtisols (13 mai 847) et le polyp-
tyque d’Hincmar », Journal des savants, 2006, p. 65-103 ; Id., Puissants et misérables…, op. cit.,
p. 492-499.
22
  MGH, Concilia aevi Karolini (843-859), éd. W. Hartmann, Hanovre, 1984, p. 422.

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vées inopportunes (in tempore incongruo). Il doit faire convenablement


travailler la terre, en gérer les surplus dans le but de faire vivre la
maisonnée royale et de recevoir les envoyés se rendant au palais. Ce
comportement repose sur un principe très simplement énoncé par
Hincmar : le roi doit être large, mais ce dont il fait largesse, il ne doit
pas l’avoir acquis par l’injustice et l’iniquité  23. Ce petit précis, écrit
dans une situation de crise extrême, nous montre une hiérarchie
sociale s’étendant au monde rural des fiscs et fonctionnant par ana-
logie. Les juges, c’est-à-dire les intendants doivent agir selon les mêmes
principes de respect du droit et de l’équité que les autres hommes
chargés dans l’Empire d’un degré de responsabilité, et ils apparais-
sent, dans ce texte, comme des répliques des comtes à une échelle
plus petite. Ils doivent, en tout, agir selon la loi et la coutume et ne
pas tolérer que leurs subordonnés, à leur tour, fassent le mal ou ne
respectent pas les normes édictées par l’empereur. Hincmar pose
donc l’existence d’une homothétie entre le gouvernement de l’Em-
pire et le gouvernement du domaine. Il est tentant, d’ailleurs, de voir
là un aveu : le domaine, même le domaine royal, implique l’existence
d’une telle autorité sur les hommes qui le peuplent et le mettent en
valeur, qu’on peut le considérer comme doté d’un système de gouver-
nement et de contrôle qui fait de lui, déjà, une seigneurie au sens où
les historiens l’entendent.
Les villici sont secondés dans leur tâche par tout un personnel de
petits officiers, des maires, des forestiers, des palefreniers, des cellé-
riers, doyens, préposés aux tonlieux, tous subordonnés au maire. Ce
dernier est à placer à part. Fréquemment mieux pourvu en terres que
les autres masoyers, il n’est pas lui-même un exploitant direct. Son
office, qui est d’organiser la corvée et de veiller au prélèvement à
l’intérieur d’un territoire important, ne lui en laisse pas le loisir. Il est
rémunéré pour sa fonction, puisque, à cause d’elle, il doit des prélè-
vements supplémentaires qui ne s’appliquent pas aux autres manses :
on sait que le maire retient pour lui une partie des taxes prélevées au
titre de l’hostilicium. D’autres officiers, comme, dans le polyptyque
d’Irminon, le forestier de Bucy, gardent pour eux une fraction consi-
dérable de certaines redevances  24. Ces personnages sont remarqua-
blement bien placés pour parvenir à s’évader de leur groupe. Ainsi,
le maire de Gagny, à la fin du xe siècle, peut se faire passer pour libre,

23
  MGH, Concilia aevi Karolini…, ibid. (p. 423) : Rex et largus debet esse et non, quod largitur, de
iniustitia vel iniquitate debet conquirere.
24
  J.-P. Devroey, « Communiquer et signifier… », op. cit.

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amenant l’abbé à entreprendre une action répressive contre lui et sa


famille afin de l’amener à payer de nouveau le chevage. De même, au
xie siècle, l’affaire de Stabilis : le personnage, un serf, semble avoir
été un intendant suffisamment riche pour épouser une fille de la
petite noblesse. Il a oublié, avec son statut, les marques de déférence
et de soumission qu’il devait au saint. Sa défaite en combat judiciaire
ne le prive pas de ses avantages matériels, mais le ramène à la
conscience de ses devoirs 25.

3. Les hiérarchies sociales en dehors du domaine

À côté de ceux qui doivent du travail, qu’ils soient serfs, recom-


mandés ou titulaires, en Italie, d’un contrat agraire exigeant, à côté
des redevances en nature ou en argent, des prestations en travail, se
trouve le groupe de ceux qui, totalement libres, ne doivent rien à la
seigneurie. Ceux-là ne sont pas liés par la naissance ou par les obliga-
tions nées de cérémonies d’auto-dédition. Leur présence est faible
dans les régions d’établissement du grand domaine, entre Loire et
Rhin ou encore en Bavière. Elle est forte dans un certain nombre de
zones périphériques comme la Catalogne, l’Alémanie ou l’Italie
centro-méridionale où de véritables communautés de type villageois
existent. Elles sont structurées par des réseaux de clientèle et des
réseaux d’amitié qui déterminent les obligations sociales de chacun :
les relations hiérarchiques se doublent de relations entre égaux sta-
tutaires qui utilisent des modes d’expression extrêmement voisins. La
documentation, cependant, fréquemment limitée à des actes de vente,
rend la présentation et l’interprétation des réseaux par lesquels s’éta-
blissent relations entre égaux et relations hiérarchiques assez malai-
sées.
Des dossiers exceptionnels, comme celui de Karol fils de Liutprand
dans les Abruzzes, permettent de percevoir ce que Florence Weber
appelle joliment « l’étoile d’interconnaissance » dont le sujet est le
centre : s’exprimant uniquement à travers des transactions foncières,
cette étoile ne propose pas de hiérarchie mais donne le nom de tous
les individus avec lesquels Karol a été en affaires. On peut légitime-

 D. Barthélemy, Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale, Paris, 2004,
25

p. 161-166.

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ment supposer que, à l’intérieur du groupe ainsi constitué, tous les


membres disposent d’informations les uns sur les autres 26.
Karol est, au cours de sa vie active, entre 850 et 870, en relations
d’affaires avec une quinzaine de personnes qui sont ses égaux statu-
taires et avec lesquels les échanges sont fondés sur une réciprocité qui
transforme la plupart de ses vendeurs en obligés. Il traite aussi avec
des membres de l’aristocratie locale et appartient à la clientèle infor-
melle d’un gastald appelé Allo. Patron de plus petites gens que lui,
Karol est l’ami de ses égaux et le client de membres de l’élite locale.
Il se trouve en situation intermédiaire entre des hommes localement
puissants et le groupe des paysans libres mais assez pauvres qui peuple
la région. Sa situation médiane le place dans une forme de notabilité
et il est un moment en bonne position pour devenir un leader « en
groupe », un médiateur entre la société globale et la société locale
issue de cette dernière  27. C’est l’un des buts que, manifestement, il
cherche à atteindre en mettant en œuvre sa politique patrimoniale et
que ni lui ni ses fils ne peuvent rejoindre.
L’une des caractéristiques de la société rurale carolingienne est la
présence au sein des collectivités paysannes de notables qui sont en
situation marginale. Ils gouvernent la communauté et la dominent
d’une manière qui nous est parfois perceptible. Toutefois, leurs
réseaux d’amis et de protecteurs, ainsi que leur parentèle, se trouvent
en dehors de la communauté paysanne, à la fois socialement et phy-
siquement. Qu’ils dominent la communauté ne fait aucun doute,
comme le montre l’exemple du groupe familial de Totone di Cam-
pione. Les Totoni sont essentiellement de gros propriétaires fonciers
qui tirent leurs revenus du commerce de l’huile qu’ils font avec la ville
de Milan. Ils possèdent un certain nombre d’exploitations régies par
des massarii, des exploitants coutumiers dont le statut juridique est
variable, et ils possèdent des esclaves, qui sont affranchis en 777 au
moment où la nue-propriété des biens est cédée à l’évêque de Milan.
Les membres de la famille sont en position de prêter de l’argent : leur
pouvoir social repose sur une activité économique qui joint le crédit
à l’organisation de la production et à la commercialisation. La déten-
tion d’une église privée, vouée à San Zeno et destinée à servir de
nécropole familiale, est un élément clé dans la construction du statut

26
 L. Feller, A. Gramain et F. Weber, La fortune de Karol…, op. cit., p. 97, graphique n° 9.
27
  H. Mendras, Les sociétés paysannes, Paris, 1976 (éd. refondue, 1995), p. 117.

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de la famille 28, qui la place définitivement au-dessus des autres mem-


bres du groupe, parce qu’elle enrichit sa domination d’un côté sacré.
Être membre de l’élite rurale ne se limite donc pas à commander aux
non libres et aux libres recommandés et à exercer un pouvoir de fait,
lié à la richesse. La détention de l’église légitime et renforce le droit
au commandement sur place 29.
Cela n’est pas tout. Le groupe familial des Totoni entretient évi-
demment avec la ville des relations qui ne sont pas limitées à l’échange
commercial. La donation faite de ses biens en 777 par Totone à l’évê-
que de Milan n’a de sens que si l’on admet l’existence d’une relation
antérieure entre l’évêque et le notable. Elle aboutit au demeurant à
réorganiser la vie de Campione en transformant une partie des esclaves
qui y vivent en demi-libres, les aldions, en établissant des flux continus
de marchandises de la localité vers la ville, sous la forme de redevances
à verser annuellement, et en instaurant le contrôle d’un seigneur
urbain, l’évêque, sur une partie du territoire local. Désormais, la média-
tion sera assurée directement par les agents domaniaux de l’évêque et
par les prêtres députés au xenodochium de S. Zenone pour le gouverner.
La donation a eu comme conséquence de cristalliser les hiérarchies et
de renforcer le lien entre la société locale et la société globale.
La place et le rôle de personnages comme les Totoni au sein du
territoire de Campione est difficile à apprécier et à juger du fait de
leur marginalité même. Mais celle-ci, en fait, les distingue et les carac-
térise. Ils appartiennent à deux mondes à la fois, celui de la ville où
ils font des affaires et où ils ont leurs relations et celui de l’établisse-
ment qu’ils dominent de leur richesse et de leur capacité à comman-
der. La marque de leur appartenance à une élite tient précisément à
cette marginalité qui leur permet d’assumer un certain nombre de
médiations nécessaires entre l’intérieur et l’extérieur, entre leur petit
monde et le monde englobant. Ils n’ont pas besoin, pour ce faire,
d’exercer de fonctions ou de détenir des offices. Leur richesse et le
pouvoir qu’elle leur donne sur l’établissement de Campione les dési-
gnent comme partie d’une élite dont le rôle exact ne peut pas être
connu dans ses détails, mais qui doit se caractériser par le gouverne-
ment de non libres et des aldions, la fourniture d’un certain nombre
de services aux libres, comme des prêts, de l’assistance en toutes cir-

28
  G. P. Brogiolo, « La chiesa di San Zeno di Campione e la sua sequenza stratigrafica »,
in Carte di famiglia…, op. cit., p. 81-106.
29
 C. Wickham, The Mountains and the City. The Tuscan Appennines in the Early Middle Ages,
Oxford, 1988, p. 40-67.

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constances, notamment en cas de procès, l’exercice d’une « justice de


proximité », par exemple en ce qui concerne le suivi du paiement des
compensations.
Les Totoni, toutefois, se situent à un niveau économique tel qu’ils
ne peuvent être assimilés à une simple élite villageoise : ils sont un
peu plus que des leaders locaux dont le champ d’activité sociale serait
limité à la seule communauté. Ce rôle-là est dévolu à des groupes dont
les membres ont une envergure un peu moins grande. Karol appar-
tient sans doute à ce sous-groupe, comme probablement, en Lombar-
die, dans les années 860-880, la famille des Leopegisi, décrite par
G. Rossetti 30. Les Leopegisi forment un groupe de notables qui, dans
les années 840-880, jouent un rôle économique important au village
de Cologno. Ils possèdent des moulins et s’endettent peut-être afin
d’en acquérir ou d’en construire. Les moulins sont susceptibles de
rapporter des liquidités : leur possession place la famille parmi les
détenteurs d’argent susceptibles, éventuellement, d’accumuler de
l’argent ou de le faire circuler. En relation indirecte avec le monastère
de Saint-Ambroise de Milan et en contact permanent avec des clercs
de la ville, ce groupe familial est inséré dans le groupe de l’élite rurale
à un niveau inférieur toutefois à celui des Totoni. Le monastère de
Saint-Ambroise semble avoir particulièrement désiré acquérir les ter-
res de cette famille, une trentaine de parcelles situées dans le terroir
de Cologno. Il est légitime de voir là le désir de son abbé de s’emparer
à la fois d’un bien de production mais aussi des réseaux de dépen-
dants et de clients que cette famille avait dû se construire. De fait, dans
les années 870, ses membres semblent appauvris et en voie de dépos-
session, quoique ces biens fonciers soient probablement encore
importants à ce moment, en valeur comme en surface 31. Les Leope-
gisi sont toutefois en cours d’intégration à la clientèle du monas-
tère.

30
  G. Rossetti, Società e istituzioni…, op. cit., p. 101-122 ; L. Feller, « Dettes, stratégies… »,
op. cit.
31
 En 875, Rachiberga, veuve de Dragulf, l’un des membres de la famille des Leopegisi,
vend la moitié de sa Morgengabe à l’abbé de Saint-Ambroise pour une contrepartie de 60
sous : s’il s’agit effectivement d’un prix de marché, ce qu’il est difficile de démontrer à l’aide
de ce dossier, on peut évaluer la valeur du patrimoine de son mari au moment de son
mariage à 480 sous, ce qui est considérable. Il est manifeste qu’une transaction de cette
nature peut masquer bien d’autres négoces. Voir, pour les ordres de grandeur, L. Feller,
Les Abruzzes médiévales. Territoire économie et société en Italie centro-méridionale du ixe au xiie siècle,
Rome, 1998 (BEFAR, 300). Sur la légitimité d’une estimation de cette sorte et la typologie
des ventes, voir L. Feller, A. Gramain et F. Weber, La fortune de Karol…, op. cit.

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les hiérarchies dans le monde rural du haut moyen âge

En Bretagne, les notables paysans de Redon fournissent un autre


cas de figure. La notabilité se définit ici d’abord par la structure du
patrimoine : 7 % des propriétaires détiennent, dans le Vannetais, plus
d’un ran, ce qui les place de fait à l’intérieur d’une élite de la fortune.
Celle-ci se caractérise d’abord par le fait que ses membres ne tra-
vaillent pas eux-mêmes la terre dont la mise en valeur est confiée à
des dépendants ou à des esclaves. Le groupe est lui-même différencié,
puisqu’une minorité seulement de ses membres possède des terres
dans plusieurs villages  32. Parmi eux, les plus riches possèdent des
hereditates, c’est-à-dire de gros patrimoines pouvant comporter des
pêcheries et des salines. L’activité des membres de ce groupe est mul-
tiforme. Du point de vue institutionnel, on les trouve comme juges
ou témoins instrumentaires dans les cours de justice locales. Du point
de vue économique, ce sont des acteurs produisant pour le marché,
détenteurs de liquidités en quantité suffisante pour acheter des terres
et animer le marché foncier ainsi que pour consentir des prêts aux
autres villageois.
Un sort particulier doit être fait au groupe des prêtres des villages
bretons éclairés par le cartulaire de Saint-Sauveur de Redon. Les
familles presbytérales forment en effet, dans le Vannetais, de véritables
dynasties. Les prêtres sont actifs sur le marché de la terre et consen-
tent des prêts. Ils participent au contrôle politique des communautés
rurales en exerçant un certain nombre de fonctions, liées à leur maî-
trise de l’écriture et à leur autorité institutionnelle : scribes dans les
actes de transaction, ils président parfois les cours de justice qui se
réunissent dans leur propre maison. Leur rôle social décline cepen-
dant après la fondation du monastère de Redon, qui assure, passé 850,
le relais et accapare leur fonction de commandement ainsi que leur
rôle de médiation.
Si, à Redon, la fonction presbytérale sert de support à la cristalli-
sation d’un élément constitutif de l’élite rurale, dans d’autres régions,
c’est la possession et la gestion de l’église villageoise qui assume ce
rôle. En Catalogne ou dans les Abruzzes, les plus riches des alleutiers
se partagent des parts de l’église privée, cimentant leur domination
par la copropriété du bâtiment et des terres qui lui sont annexées. En
Toscane, à Campori, la possession de l’église par le prêtre la desser-
vant permet à un groupe familial d’exercer une forme de préémi-

32
  W. Davies, Small Worlds…, op. cit., p. 86 sq.

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nence sociale durant tout le viiie siècle. Partout, l’emprise sur le lieu


de culte donne à ses possesseurs le premier rang dans le village.

À côté de ce groupe, et au-dessus du groupe des paysans, d’autres


personnages ont un rôle essentiel dans la construction des hiérarchies
villageoises : les officiers envoyés par des autorités supérieures ou dési-
gnés par elles parmi les membres les plus éminents des communautés
locales. Leur simple présence est de nature à transformer la société
rurale parce qu’elle lie la légitimité de l’autorité à la désignation au
terme d’une procédure et non à la simple reconnaissance consen-
suelle d’un prestige particulier relevant du charisme de tel ou tel, de
sa richesse ou de son entregent. Les fonctions de centeniers, de scul-
dassius, ou sculdahis ou, en Italie centrale, celles de gastald jouent un
rôle de fabrication des hiérarchies. Les positions de personnages
comme Pierre de Niviano, près de Plaisance, ou Folkwin de Rankweil,
en Alémanie, sont à cet égard tout à fait caractéristiques. Ces hommes
sont placés à l’intérieur de petites collectivités territoriales dont ils ne
sont pas nécessairement issus : le surnom de Pierre de Niviano, le
Spolétin, indique pour ce personnage une possible origine extérieure
au Placentin 33.
Il vaut la peine que l’on s’arrête un instant sur eux. Folkwin de
Rankweil, actif dans les années 840-850, semble être extérieur à la
communauté qu’il dirige et avoir été nommé par le comte de Coire.
Il est entouré par un réseau dense de notables au premier rang des-
quels on trouve les prêtres, mais aussi des officiers subordonnés, les
prévôts (prepositi). Il exerce une protection sociale sur les hommes et
les femmes de la localité. C’est ainsi du moins que Katherine Bulli-
more interprète une catégorie d’actes particulière : les donations de
terres effectuées en sa faveur par un certain nombre de laïcs. Il s’agit
peut-être de cadeaux faits afin d’obtenir de sa part une protection
efficace dans des circonstances qui demeurent inconnues. La position
particulière de Folkwin le dispense, pour sa part, d’être généreux. La
définition et le maintien de son rang ne sont pas liés à sa capacité à
redistribuer des biens pour asseoir, maintenir ou accroître son pres-
tige. La présence d’un officier, dans ce cas, inverse le flux des géné-
rosités socialement nécessaires. Dans une société totalement paysanne,
c’est-à-dire où ce que Wickham appelle le « mode de production pay-
san » fonctionne, les notables doivent leur position à leur capacité à

33
 F. Bougard, « Pierre de Niviano… », op. cit. K. Bullimore, « Folcwin of Rankweil… »,
op. cit.

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les hiérarchies dans le monde rural du haut moyen âge

distribuer leurs propres surplus afin d’établir leur prestige et leur


influence 34. Au contraire, l’autorité des officiers est telle que, même
dans leurs actes d’office, ainsi que l’a montré R. Le Jan, il est néces-
saire de leur faire des dons 35. Dans le cas de Folkwin, cela n’aboutit
pas à modifier la distribution des patrimoines fonciers, mais montre
un fonctionnement différent des relations dans le groupe dès lors
qu’une autorité extérieure au village y intervient.
Pierre de Niviano exerce pour sa part, en plus de ses fonctions
administratives et judiciaires, un rôle multiforme que l’on voit joué
aussi par les prêtres bretons ou par des personnages du niveau des
Totoni. La détention d’un office leur donne un relief particulier.
Pierre de Niviano est d’abord un propriétaire foncier qui construit
localement un patrimoine. Il gère celui-ci et cède des terres en livello,
pour en tirer un revenu. Il cherche également à construire une clien-
tèle d’obligés. Impliqué dans le marché de la terre, il l’est également
dans des affaires de prêt. Enfin, il est lui-même en relations d’affaires
avec une fraction de l’aristocratie urbaine : prenant des terres en livello
d’un prêtre de Plaisance, il apparaît aussi comme le client de celui-ci.
La complexité des affaires de Pierre de Niviano éclaire le comporte-
ment d’un membre de l’élite locale. Elle montre également par quels
processus s’établit, à proximité d’une grande ville, la liaison entre les
différentes composantes de la société carolingienne : le rôle social de
ce sculdassius est de polariser les réseaux villageois et de les faire
converger vers la ville. Le sommet de la hiérarchie permet ainsi de
construire des liens entre les différents niveaux de la société locale,
qui apparaît, dans cette documentation, comme finement articulée.
Elle comporte à la fois des éléments urbains et des éléments ruraux
que des personnages comme Pierre de Niviano, par leur présence et
par leur action, mettent en relations. C’est principalement par les
affaires privées que ce programme se réalise : les achats et les ventes,
les livelli et les emprunts nous révèlent, à la fin, le fonctionnement
d’un monde qui n’est pas si petit que cela. Les élites locales permet-
tent en effet d’établir un lien entre société locale et société englo-
bante.

34
 C. Wickham, Framing…, op. cit., p. 535 sq.
35
 R. Le Jan, « Justice royale et pratique sociale dans le royaume franc au ixe siècle », in La
giustizia nell’alto medioevo (secoli IX-XI), I, Spolète, 1997 (Settimane di studio del Centro ita-
liano di studi sull’alto medioevo, 44), p. 149-170 [= Femmes et pouvoir des femmes dans le haut
Moyen Âge, p. 149-170].

273

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laurent feller

Ces officiers ne restent pas en charge toute leur vie, et leur fonction
n’a pas de caractère héréditaire. Pierre de Niviano cesse, à un certain
moment, d’être sculdassius. Dans les Abruzzes, le gastald Allo a résigné
sa charge au début des années 870 avant de se faire moine au monas-
tère de Casauria 36. Dans les années 850, il avait succédé à son beau-
père mais son propre fils, quant à lui, n’exerça par la suite aucune
fonction publique. Cependant, le prestige attaché à la fonction
demeure même après la sortie de charge, ainsi que l’attestent plu-
sieurs dossiers, dont celui du Salien Sisenand, installé dans les Abruz-
zes adriatiques vers 850. Disposant de liquidités importantes, il achète
beaucoup de terres : nous détenons une vingtaine d’actes, principa-
lement des achats, par lesquels il débourse la somme importante de
443 sous, auxquels il faut ajouter douze bœufs et une épée, afin de se
procurer des terres. Il achète fréquemment à des veuves qui lui cèdent
leur Morgengabe, ce qui le place en situation de protecteur, voire de
patron, de ces femmes. Gros propriétaire foncier, il n’est cependant
pas véritablement membre de l’élite locale. Son désir d’y entrer est la
seule explication possible au mariage qu’il contracte au début des
années 870 et qui précipite sa ruine. Il épouse, en effet, la veuve d’un
gastald franc, nommé Juston, que ses fils avaient placée dans un cou-
vent. Dénoncé à l’évêque et à l’empereur, il est condamné à payer une
composition ruineuse. L’alliance avec un groupe familial puissant,
dont un membre avait exercé une fonction publique d’ampleur locale,
a donc eu suffisamment d’attraits pour que Sisenand coure ce ris-
que.
Présence et activité sur le marché de la terre en tant qu’acheteur,
capacité à redistribuer des terres pour qu’elles soient mises en valeur,
capacité aussi à intervenir dans le secteur du crédit, détention d’une
fonction et d’un titre, apparaissent ainsi, à côté de la possession de
l’église locale, comme les paramètres permettant aux hiérarchies vil-
lageoises de s’établir.

À partir du xe siècle, celles-ci se réorganisent. Les leaders sociaux


du type de Pierre de Niviano ou de Flokwin ne sont plus aussi néces-
saires et ne sont plus aussi présents dans les villages. La notabilité
devient alors purement locale, comme si les sociétés rurales avaient
moins besoin des fonctions de médiation exercées par les personnages
de ce niveau. Celles-ci sont en réalité désormais absorbées par la sei-

36
 L. Feller, Les Abruzzes médiévales…, op. cit., p. 649.

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les hiérarchies dans le monde rural du haut moyen âge

gneurie territoriale dont le titulaire récupère à son profit, mais aussi


à sa charge, le rôle social de lien avec la société englobante. En revan-
che, un certain nombre d’acteurs locaux prennent alors une nouvelle
importance. On voit bien, en effet, dans les chartes de fondation ita-
liennes que le village, lorsqu’il se fonde, a déjà à sa tête des person-
nages plus riches et plus puissants que d’autres. Ainsi, autour du Mont-
Cassin, les fondateurs des castra du xe siècle semblent former une
société d’égaux : ils ont des procédures leur permettant de choisir des
délégués qui parlent en leur nom avec l’abbé  37. Mais ils ont aussi,
au-dessous d’eux, des dépendants, les recommandés, dont la présence
est bien attestée : l’abbé traite ainsi avec des patrons de groupes de
clientèle, non avec des individus et leurs familles. En tout cas, dès le
xie siècle, ces villages disposent d’une élite militarisée capable de tenir
tête à l’abbé au point de l’amener à faire appel aux mercenaires nor-
mands pour calmer des rébellions.
Les chartes de franchise octroyées dès la fin du xie siècle nous
montrent enfin une société villageoise souvent scindée en deux grou-
pes, ceux qui doivent le service à cheval et ceux qui le doivent à pied.
En Italie, en effet, on voit bien que le castrum a permis l’émergence
d’un groupe de personnages assez riches pour effectuer à cheval un
service de type militaire dans l’entourage des seigneurs. C’est le cas à
Suvio en Campanie ou à Guastalla en Lombardie. Les habitats villa-
geois ont produit des différenciations sociales, permettant aux boni
homines de se placer au-dessus des autres et de se placer comme média-
teurs entre le seigneur et la communauté villageoise 38.

Les collectivités paysannes sont, dès le ixe siècle, des communautés


hiérarchisées et, d’ailleurs, en ce sens, elles forment des communau-
tés. Elles le sont d’abord dans le cadre du domaine, où l’opposition
entre libres et non libres joue un rôle structurant, appelé à se prolon-
ger à l’intérieur de la seigneurie territoriale. Cette opposition voit sa
pertinence accrue grâce aux multiples distinctions juridiques permet-
tant de distinguer les différentes catégories de travailleurs de la
terre.

37
 L. Feller, « La charte d’incastellamento de Sant’Angelo in Theodice. Édition et com-
mentaire », in D. Barthélemy et J.-M. Martin (dir.), Liber Largitorius. Études d’histoire médié-
vale offertes à Pierre Toubert par ses élèves, Paris, 2003, p. 87-110.
38
 Sur le castrum producteur de hiérarchies sociales, voir P. Toubert, Les structures du Latium
médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du ixe siècle à la fin du xiie siècle, Rome, 1973 (BEFAR,
221), p. 1103-1126.

275

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laurent feller

La fortune, d’autre part, établit des positions de notabilité, elles-


mêmes fort éloignées les unes des autres et hiérarchisées. Les mem-
bres du groupe familial des Totoni sont capables d’assurer une forme
de contrôle social assez resserré sur la localité de Campione en faisant
jouer en leur faveur les institutions judiciaires, soit en faisant des pro-
cès, soit au contraire en manœuvrant pour éviter l’ouverture d’actions
qui pourraient être en leur défaveur. De plus minces personnages,
comme Karol, ne peuvent parvenir à ce stade. Ils sont un ou plusieurs
degrés en dessous et ne peuvent compter que sur leur capacité à faire
patrimoine pour construire et accroître leur influence. Celle-ci
s’exerce à travers un réseau qui les place en intermédiaire entre l’élite
politique locale et le groupe des paysans : la politique patrimoniale
de ces personnages joue un rôle important dans la construction de la
hiérarchie locale.
C’est toutefois l’élite politique locale, celle des sculdassii ou des
gastalds abruzzais qui joue le rôle le plus important. L’ensemble des
rôles sociaux et économiques assumé par ces hommes, qui sont sou-
vent des horsains, des hors groupes, les place au centre de tous les
processus de constitution des différences hiérarchiques entre les pay-
sans. Ils forment un pôle duquel il est nécessaire de se rapprocher ou
avec lequel il est bon d’être en relation, que ce soit par l’offrande de
dons ou par des échanges de biens à caractère non commercial. Accé-
der à leur amitié est une nécessité, s’allier à leur groupe de parentèle
est sans doute perçu comme l’une voies possibles de l’ascension
sociale.
La dislocation de l’Empire carolingien et la dissociation de ses
cadres déplacent cette forme de domination vers la seigneurie terri-
toriale qui accapare désormais l’ensemble des fonctions de médiation
entre la société locale et la société globale, ne laissant subsister dans
le village ou dans le castrum qu’une hiérarchie tournée vers le service
et définie par lui, la distinction essentielle devenant, au xie siècle, la
forme que prend le service militaire. La fonction ou l’office a cessé
d’être un critère pertinent. La fortune, quant à elle, ne joue comme
facteur de classement que si elle permet d’accéder à une forme par-
ticulière de service.

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Thomas Lienhard

La royauté et les élites urbaines :


Charlemagne face aux villes de
Bavière et à Rome

J
 squ’il y a une vingtaine d’années, les études consacrées à la ville
u
au haut Moyen Âge invoquaient invariablement le schéma pro-
posé par Max Weber  1 : selon ce dernier, le premier millénaire
de notre ère aurait vu disparaître la polis antique, communauté
politique orientée vers la guerre, pour voir s’épanouir la « ville médié-
vale », dont les caractéristiques essentielles auraient été l’artisanat et
le commerce. Les causalités et la chronologie proposées par le socio-
logue allemand pour expliquer cette évolution furent abondamment
discutées dans les dernières années, mais l’idée maîtresse demeurait.
À une époque que l’on situait désormais après le vie siècle, les villes
n’auraient plus constitué des centres importants pour l’activité mili-
taire – car les principaux responsables de celle-ci, et notamment le
comte, se seraient éloignés des grandes agglomérations –, sans pour
autant abriter, durant une phase de transition, une activité commer-
ciale de grande ampleur – car cette dernière se serait étiolée dans
l’Occident du premier Moyen Âge avant de renaître quelques siècles
plus tard. Les élites sociales liées à ces deux fonctions auraient donc
disparu de la ville, et au sein de celle-ci, la seule autorité subsistante
aurait été celle de l’évêque et de son clergé 2. Si l’on admet ce schéma
global et que l’on souhaite analyser comment les sociétés urbaines

1
 Ce texte inachevé, qui portait le titre Die nichtlegitime Herrschaft. Typologie der Städte dans le
manuscrit de M. Weber, fut publié à titre posthume : « Die Stadt. Eine soziologische Unter-
suchung, von Max Weber », Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, 47/3 (1921), p. 621
sq. ; on pourra le consulter plus aisément dans l’édition de C. Haase (dir.), Die Stadt des
Mittelalters, I, Begriff, Entstehung und Ausbreitung, Darmstadt, 1969, p. 34 sq. Pour l’histoire
de ce texte, cf. K.-L. Ay, « Max Weber über die Stadt », in F. Mayrhöfer (dir.), Stadtgeschichts-
forschung. Aspekte, Tendenzen, Perpsektiven, Linz, 1993, p. 69-80.
2
 Dans l’abondante bibliographie consacrée à l’évolution de la ville entre Antiquité et
Moyen Âge, on pourra consulter notamment : N. Christie et S. T. Loseby (dir.), Towns in
transition. Urban Evolution in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Aldershot, 1996  ;
C. Lepelley et al. (dir.), La fin de la cité antique et le début de la cité médiévale de la fin du iiie siè-
cle à l’avènement de Charlemagne. Actes du colloque tenu à Paris X-Nanterre (avril 1993), Bari,
1996  ; J.-H.  W.  G. Liebeschütz, Decline and Fall of the Roman City, Oxford, 2001  ; et
T. Dutour, La ville médiévale : origines et triomphe de l’Europe urbaine, Paris, 2003.

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thomas lienhard

furent intégrées dans la hiérarchie carolingienne, il semble donc


d’abord que l’on ne puisse rien faire d’autre que d’étudier les rela-
tions entre le roi et l’évêque à cette époque. C’est d’ailleurs ce que
font les publications récentes consacrées à la société urbaine du haut
Moyen Âge, puisque rares sont celles qui prennent en compte une
élite laïque spécifiquement urbaine : en dehors de l’évêque, la ville
ne serait donc « qu’un kyste négligeable et négligé » dans la société
carolingienne 3.
Dans la présente étude, on ne cherchera pas à remettre en question
l’idée générale d’un déclin des autorités laïques urbaines au haut
Moyen Âge : la ville carolingienne n’est évidemment plus la polis clas-
sique, et la récupération par le clergé de nombreuses fonctions endos-
sées naguère par l’antique patriciat romain y est manifeste. Faut-il
pourtant considérer que cette autorité épiscopale accrue a complète-
ment effacé les autres formes de pouvoir urbain héritées de l’Antiquité,
au point de constituer désormais l’unique partenaire de négociation
pour les Carolingiens quand ceux-ci veulent intégrer les villes dans leur
système hiérarchique ? Il semble, au contraire, que d’autres catégories
urbaines continuent à faire sentir leur influence, soit parce qu’elles
conservent, à titre résiduel, des fonctions de direction, soit parce qu’en
dehors de tout aspect institutionnel, elles possèdent – encore ? déjà ?
peu importe ici – une importance sociale suffisante pour leur conférer
une véritable autorité, en ville comme ailleurs. Pour mettre en lumière,
de façon nécessairement impressionniste, l’importance de ces groupes
sociaux, on procédera en deux étapes. Dans un premier temps, on
s’efforcera de glaner indistinctement, pour la période du vie au ixe siè-
cle, les indices permettant de deviner la permanence d’élites laïques
spécifiquement urbaines en Occident. Dans un second temps, des dos-
siers plus précis permettront de montrer que ces groupes, loin de
constituer des reliquats insignifiants pour le pouvoir royal, résistèrent
à plusieurs reprises à leur intégration dans le système hiérarchique
carolingien, obligeant la royauté à adopter une politique spécifique
pour les y soumettre. C’est largement par là que s’explique, notam-
ment, l’attitude adoptée par Charlemagne face à deux villes majeures
de son temps, Salzbourg dans les années 790 et Rome en 800 4.

3
 On adopte ici l’expression proposée, pour une période légèrement postérieure, par
R. Fossier, Enfance de l’Europe, xe-xiie siècle. Aspects économiques et sociaux, t. 2, Paris, 1982
(Nouvelle Clio, 17bis), p. 980 sq.
4
 Il est bien évident que ces deux villes, particulièrement importantes, ne sont pas représen-
tatives pour leur époque ; mais même si leur cas est exceptionnel, il peut suffire pour exclure

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la royauté et les élites urbaines

La ville du haut Moyen Âge possède-t-elle ses propres élites ?

Pour envisager l’existence d’élites urbaines, il convient avant tout


de s’assurer que la catégorie de la ville existait dans le discours du haut
Moyen Âge. Or, on a pu démontrer que cette notion, depuis la fin de
l’Antiquité, a perdu en spécificité par rapport à la société dans son
ensemble. Lorsqu’elle est évoquée ou représentée comme un milieu
à part, c’est bien souvent de façon allégorique, en référence à un passé
idéalisé (notamment à l’Antiquité biblique) ou au contraire à un pro-
gramme idéologique auquel on se propose d’aboutir dans le futur,
celui de l’imitation ici-bas de la Jérusalem céleste 5. Faut-il en conclure
que l’on ne conçoit plus la ville comme une donnée actuelle à l’épo-
que mérovingienne et carolingienne ?
D’autres indices, et notamment le vocabulaire employé pour dési-
gner les agglomérations, plaident pour l’idée opposée. Tel est le cas
du terme civitas, largement dominant dans ce champ lexical. Il fut
suggéré naguère que cette notion, par un glissement sémantique
tardo-antique, n’aurait plus eu au viie siècle que le sens exclusif de
« diocèse », désignant ainsi un espace plus vaste qu’une seule agglo-
mération et effaçant par là l’identité urbaine 6 ; mais à cette idée s’op-
posent plusieurs arguments. En premier lieu, en effet, un examen
précis des sources montre que, si ce terme a incontestablement subi
un changement de signification durant les premiers siècles du Moyen
Âge, il n’en est jamais venu à désigner exclusivement l’ensemble du
diocèse. Encore en 813, le concile d’Arles exige que le petit peuple
puisse entendre la prédication du prêtre « non solum in civitatibus, sed
etiam in omnibus parroechiis » 7. On distingue donc bien un noyau spé-
cifique au sein de l’espace diocésain. En second lieu, on peut consta-
ter que ce point central ne se définit pas uniquement par la présence
de l’évêque. Ainsi, dans un passage souvent commenté des Dix livres
d’histoires, Grégoire de Tours manifeste son étonnement à propos du

l’idée d’un monopole épiscopal complet sur la vie publique urbaine du haut Moyen Âge.
5
  P. Riché, « La représentation de la ville dans les textes littéraires du ve au ixe siècle », in
C.  Lepelley et al. (dir.), La fin de la cité antique…, op. cit., p.  183-190. Cf. également
T. Dutour, La ville médiévale…, op. cit., p. 40 sq., qui s’appuie sur des dossiers proposés par
D. Alibert, Les Carolingiens et leurs images. Iconographie et idéologie, Paris, 1994.
6
 Cette idée d’Henri Pirenne est présentée par T.  Dutour, La ville médiévale…, ibid.,
p. 33.
7
 A. Werminghoff, MGH, Conc. aevi Karolini, 1, 1906, n° 34, c. 10, p. 251. Cité par R. Bor-
done, « La citta in età carolingia », in P. Godman, J. Jarnut et P. Johanek (dir.), Am Vorabend
der Kaiserkrönung. Das Epos « Karolus Magnus et Leo papa » und der Papstbesuch in Paderborn
799, Berlin, 2002, p. 323-333.

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thomas lienhard

cas de Dijon, qu’il décrit comme une agglomération riche et bien


bâtie, mais qui ne porte pourtant pas le titre de civitas  8. La surprise
de l’évêque de Tours montre d’abord qu’il ne comprend plus le sens
antique du terme – selon cette acception, Dijon n’aurait eu aucune
raison pour porter ce titre, puisqu’elle faisait partie intégrante de la
cité des Éduens –, mais aussi qu’il n’associe pas ce vocable à la pré-
sence d’un évêque : autrement, il n’envisagerait pas un instant qu’on
appelle « cité » la ville de Dijon qui, comme le sait bien Grégoire, n’est
pas un centre cathédral 9. Un demi-siècle plus tard, Isidore de Séville
propose une définition de la cité qui va dans le même sens :

Une cité est un grand nombre d’hommes réunis par un lien de commu-
nauté ; elle tire son nom de celui des citoyens, c’est-à-dire des habitants
de la ville, parce qu’elle réunit et contient les vies d’un grand nombre de
gens. Car la ville, c’est à proprement parler les bâtiments ; quant à ce
qu’on appelle la cité, ce ne sont pas les pierres, mais les habitants 10.

Dans cette définition, non seulement Isidore n’invoque pas la fonc-


tion épiscopale, mais il relie – même s’il les distingue – la notion de
civitas et celle d’urbs, définie comme un ensemble architectural. Ce
lien logique constitue d’ailleurs une innovation du Sévillan par rap-
port à Augustin, qui constitue pourtant sa principale source d’inspi-
ration pour ce passage : vers 630, la cité est ainsi perçue comme plus
urbaine que deux siècles auparavant. On pourrait multiplier les réfé-
rences pour ce même phénomène 11. Chez divers auteurs du vie, du
viie et du ixe siècle, la cité constitue un espace nettement distinct, et
ne doit pas uniquement sa spécificité à la présence de l’évêque. La

8
  Quattuor portae a quattuor plagis mundi sunt positae, totumque aedificium triginta tres torres
exornant, murus vero illius de quadris lapidibus usque in viginti pedes, desuper a minuto lapide
aedificatum habetur, habens in altum pedes triginta, in lato pedes quindecim. Qui, cur non civitas
dicta sit, ignoro. Grégoire de Tours, Dix livres d’histoire, éd. B. Krusch, MGH, SS rer. Merov.
I, 1, Hanovre, 1937, p. 120.
9
 On sait en effet que Dijon dépendit du siège de Langres jusqu’en 1731 : P. Gras (dir.),
Histoire de Dijon, Toulouse, 1987. À propos des termes employés par Grégoire, cf. C. Hervé,
« Les mots de l’urbain dans l’œuvre de Grégoire de Tours », Revue archéologique du centre de
la France, 42 (2003), p. 217-225.
10
  Civitas est hominum multitudo societatis vinculo adunata, dicta a civibus, id est, ab ipsis incolis
urbis, pro eo quod plurimorum consciscat, et contineat vitas. Nam urbs ipsa moenia sunt, civitas autem
non saxa, sed habitatores vocantur. Isidore de Séville, Étymologies, XV, 2, 1, éd. W. M. Lindsay,
Oxford, 1911. On cite là la traduction de J.-Y. Guillaumin et P. Monat, Besançon, 2004,
p. 9.
11
 R. Bordone, « La citta… », op. cit., p. 324 sq.

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la royauté et les élites urbaines

ville constitue ainsi un corps à part, pour lequel on peut donc légiti-
mement envisager l’existence d’élites spécifiques. Celles-ci ont-elles
laissé des traces dans nos sources ?
Une façon d’identifier les groupes dominants, même si ce n’est
pas la seule, consiste à examiner les fonctions institutionnalisées de
direction. Parmi ces dernières, le domaine des armes constitue natu-
rellement une source d’autorité considérable  ; mais à propos du
monde urbain du haut Moyen Âge, il ne nous éclaire guère. On a
certes constaté que dans le cas de Rome, le Liber pontificalis n’évoque
que rarement le rôle militaire du pape, alors que les conflits sont
pourtant mentionnés abondamment dans cette source. Il faut donc
envisager l’existence d’autres responsables de la guerre à Rome, qui
disposent ainsi d’une autorité considérable passée sous silence par
l’auteur de ce texte, mais nous ne pouvons que spéculer à propos de
leur identité et de leur place dans la Ville 12. Ailleurs dans le monde
occidental, la période considérée voit souvent s’éloigner de la ville le
comte, principal responsable militaire attesté dans nos sources.
En revanche, d’autres fonctions de pouvoir, héritées des institu-
tions curiales de l’Empire romain, restent documentées au moins
jusqu’au ixe siècle. C’est ainsi, en particulier, que les titres de curiales
ou de viri honorati apparaissent fréquemment, mentionnés notam-
ment dans les formulaires, mais aussi sur les sceaux de notables
romains retrouvés dans la crypte de Balbus à Rome et datés du pre-
mier tiers du viiie siècle 13. On a pourtant fait remarquer que la curie,
telle qu’elle gouverne la ville au début de l’Empire romain, a disparu
des sources postérieures au vie siècle et, en particulier, n’est pratique-
ment jamais mentionnée lors de la distribution d’actes officiels  14.

12
 F. Marazzi, « Aristocrazia e società (secoli VI-XI) », in A. Vauchez (dir.), Roma medievale,
Rome/Bari, 2001 (Storia di Roma dall’antichità ad oggi, 2), p. 41-70, ici p. 43 sq.
13
  Pour l’équivalence entre curialis et honoratus, cf. M. Fixot, « Une image idéale, une réa-
lité difficile : les villes du viie au ixe siècle », in G. Duby (dir.), Histoire de la France urbaine,
t. 1 (La ville antique), Paris, 1980, p. 497-563, ici p. 498 sq. On trouvera une liste des occur-
rences dans les formulaires chez C. Wickham, Framing the Early Middle Ages. Europe and the
Mediterranean 400-800, New York, 2005, p. 599 sq. À propos des sceaux de la crypte de
Balbus, F. Marazzi, « Sigilli dai depositi di VII e VIII secolo dell’esedra della Crypta Balbi »,
in P. Delogu et al. (dir.), Roma dall’antichità al medioevo. Archeologia e storia nel Museo Nazionale
Romano - Crypta Balbi, Rome, 2001, p. 257-265.
14
  J.-H. W. G. Liebeschütz, The Decline…, op. cit., p. 104 sq. ; C. Wickham, Framing…, op.
cit., p. 111 sq. et 598-599. Rappelons tout de même qu’un extrait du formulaire de Marculf
incite à penser que, dans la seconde moitié du viie siècle, les curiales jouaient encore un
rôle dans la tenue des gesta municipalia, même si on n’était plus obligé de faire appel à eux :
Marculf, Formulaire, II, 37, éd. K. Zeumer, MGH Leg., V, Berlin, 1886, p. 97. On pourrait
objecter qu’il ne s’agissait là que d’un formulaire, qui reflétait peut-être une réalité déjà

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thomas lienhard

Dans ces conditions, qu’est devenu le rôle exact d’un curialis ? L’his-
toriographie tenta de résoudre le problème en suggérant que, par un
effet de catachrèse, ce terme serait devenu purement honorifique :
les habitants d’une ville encore auraient pu rechercher ce titre, mais
cela ne leur aurait fourni aucun pouvoir significatif  15. Mais dans ce
cas, il est difficile d’expliquer les mesures normatives prises contre
eux ou la grande précision fournie par d’autres sources à ce propos.
Ainsi, vers le milieu du viie siècle, le pape Vitalien tempête contre
« ceux qui se comportent comme des assesseurs alors qu’ils sont des
curiales ». Dans la seconde moitié du ixe siècle, Hadrien II emploie le
terme avec réprobation au même titre que le concubinage, suivi par
Hincmar qui rappelle l’interdiction, pour les porteurs de ce titre,
d’accéder à la fonction épiscopale 16. Manifestement, le curialis a donc
perdu en prestige depuis le début de notre ère, au moins aux yeux
d’un homme d’Église : qui aurait songé auparavant, à la grande épo-
que des évergètes, à exclure un membre de la curie de l’épiscopat ?
Il n’en reste pas moins que, même s’il a changé de sens à l’époque
carolingienne, ce terme est encore répandu, correspondant à une
activité bien réelle et fournissant à son détenteur une fierté évidente.
Ainsi, même si elle n’est peut-être plus liée au gouvernement de la
ville, et même si son activité précise nous échappe, une élite laïque
urbaine subsiste apparemment, au moins dans les principaux centres
de l’Occident, issue du système municipal romain.
Mais aux fonctions institutionnalisées de direction s’ajoute l’acti-
vité économique et commerciale. Certes, tout commerçant n’est pas
membre de l’élite, mais il l’est d’autant plus que son activité s’exerce
sur une grande échelle. Or sans évoquer ici la chronologie du déclin

disparue au viie siècle ; mais pour cette période en Gaule, on ne pourra pas invoquer
d’autres sources, ni pour envisager la permanence des curiales ni pour affirmer leur dispa-
rition.
15
  « (…) pas plus de pouvoir que le lord-mayorship d’une ville britannique actuelle », écrit
C. Wickham (Framing…, op. cit., p. 599).
16
  Vitalien, Epistolae, éd. R. Schieffer, « Kreta, Rom und Laon. Vier Briefe des Papstes
Vitalian vom Jahre 668 », in H. Mordek (dir.), Papsttum, Kirche und Recht im Mittelalter.
Festschrift für Horst Fuhrmann zum 65. Geburtstag, Tübingen, 1991, p. 15-30, ici p. 29 : cogno-
vimus, quod quemdam curialem, nomine Eulampium, habeat quasi consiliarium. Hadrien II, Epis-
tolae, éd. E. Perels, MGH, Ep., VI, Berlin, 1925, p. 751 : Photius vir forensis, curialis, neophytus,
invasor, atque adulter, nec non et anathemate condemnatus (…). Hincmar, De coercendo et exstir-
pando raptu viduarum, puellarum ac sanctimonialium (PL, 125, col. 1036) : Jurent majores civi-
tatis ad Evangelia de persona electa ad episcopatum, quod neque uxorem habuerit pro certam neque
concubinam, neque sit curialis vel taxeota, sed sanctus et litteratus (…). Il est vrai que cette inter-
diction avait déjà été formulée à l’époque tardo-antique ; mais il est intéressant qu’Hincmar
la reprenne encore à son compte au ixe siècle.

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ou du renouveau commercial en Occident, on peut constater qu’au


hasard de mentions éparses, les sources attestent l’existence de négo-
ciants de haut vol, au moins dans les villes principales. C’est ainsi que
les Annales de Fulda témoignent du regroupement géographique des
Frisons à Mayence en 886 17. Étant donné l’actif rôle commercial de
ce peuple à l’époque carolingienne, il est tentant de voir dans ce
passage la mention d’un groupe de négociants établis dans cette
agglomération et orientés au moins vers toute l’Europe du Nord. Sur-
tout, entre le vie et le début du xe siècle, les attestations de scholae
urbaines sont nombreuses et ininterrompues. Pour ne citer qu’un
exemple, on voit ainsi nommée à Rome la schola Francorum et les scho-
lae Frisonum, Saxonorum atque Langobardorum à partir de 799  18. Il est
vrai que le sens de ce terme est variable : on a pu suggérer, ainsi, que
dans le cas des scholae romaines, il s’agissait uniquement d’établisse-
ments destinés à accueillir les pèlerins 19. Mais dans ce cas, comment
expliquer les scholae de notaires du vie siècle à Ravenne, ou encore les
scholae piscatorum ou negociatorum du monde ottonien ? Il semble donc
préférable de considérer, en suivant la proposition de Pierre Racine,
qu’il s’agit là d’un terme qui, au moins lorsqu’il est associé à un eth-
nonyme, désigne des associations d’entrepreneurs  20. Ces mentions
constitueraient donc autant d’indices supplémentaires pour une ­activité
qui contribue à l’éclat d’une certaine catégorie d’élites urbaines.
La ville du haut Moyen Âge laisse ainsi une place pour des groupes
laïcs influents. Il est difficile pour l’historien d’identifier la nature
précise des activités qui distinguent ces catégories sociales. Mais c’est
un des mérites de la notion d’élites que de permettre d’évoquer ces
groupes sans se demander s’ils relèvent du « patriciat » antique ou des

17
  Annales Fuldenses, a. 886, éd. F. Kurze, MGH, SRG 7, Hanovre, 1891, p. 104 : Optima pars
Mogontiae civitatis, ubi Frisiones habitabant, post mediam quadragesimam mense Martio conflagravit
incendio. L’incendie se déclara suite à une attaque normande : sans doute ce quartier était-
il une cible particulièrement attractive pour les pillards.
18
  Liber pontificalis, éd. L. Duchesne, Paris, 1886-1892, t. 2, p. 6 (Vita Leonis III, XIX). On
trouvera d’autres exemples chez P. Racine, « Associations de marchands et associations de
métiers en Italie de 600 à 1200 », in B. Schwineköper (dir.), Gilden und Zünfte. Kaufmän-
nische und gewerbliche Genossenschaften im frühen und hohen Mittelalter, Sigmaringen, 1985
(Vorträge und Forschungen, 29), p. 127-149, ici p. 137 sq.
19
 R. Schieffer, « Die Karolinger in Rom », in Roma fra Oriente e Occidente, t. 1, Spolète, 2002
(Settimane di studi del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 49), p. 101-127, ici
p. 121 sq.
20
  P. Racine, « Associations de marchands… », op. cit., p. 138. La même interprétation est
proposée par A. Mohr, Das Wissen über die Anderen. Zur Darstellung fremder Völker in den frän-
kischen Quellen der Karolingerzeit, Münster/New York/Munich/Berlin, 2005 (Studien und
Texte zum Mittelalter und zur frühen Neuzeit, 7), p. 92.

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« élites marchandes » du bas Moyen Âge. Toujours est-il qu’apparem-


ment, ces catégories ne sont plus concernées par l’exercice de fonc-
tions publiques, ou ne sont, du moins, jamais nommées dans ce
contexte : à un groupe formellement constitué a succédé un autre
plus informel 21, dont l’éclat semble avoir été surtout de nature éco-
nomique et sociologique. Du point de vue institutionnel, c’est bien
l’évêque qui constitue le principal héritier de la curie antique, et le
premier vis-à-vis pour une royauté soucieuse d’affirmer son autorité.
Les Carolingiens se contentèrent-ils de ce partenaire institutionnel
pour prendre les villes en main, ou furent-ils attentifs également aux
élites sociologiques ? L’existence de ces groupes informels étant pro-
posée, on peut maintenant aborder deux dossiers urbains plus précis,
qui semblent montrer que dans ces cas au moins, le souci de contrôler
ces notables fut sinon déterminant, du moins fortement encourageant
dans des décisions prises par Charlemagne durant la période cruciale
de la fin du viiie siècle.

Contourner les élites urbaines : Salzbourg en 798


et Rome en 800

À la fin du viiie siècle, la victoire franque contre les Avars agrandit


considérablement l’espace chrétien en Bavière, encourageant la
constitution d’un archevêché dans cet espace : ce fut chose faite en
798. Le choix se porta sur Salzbourg, et par voie de conséquence, ce
fut Arn, déjà titulaire du siège épiscopal, qui en devint le premier
archevêque. Quelle fut la logique sociale de ce choix qui, comme on
va le montrer, ne relève absolument pas de l’évidence ?
Le parcours personnel d’Arn, en effet, ne présente pas d’éléments
caractéristiques qui feraient de lui le candidat idéal pour le nouveau
centre archiépiscopal. Certes, il est parfois suggéré qu’il a été choisi
pour son rôle personnel dans le conflit qui opposait les Carolingiens
et les Agilolfides de Bavière. Cette hypothèse considère son prédéces-
seur Virgile (767-784) comme un représentant de l’ancienne géné-
ration bavaroise, acquise à la famille ducale, alors qu’Arn se serait
personnellement dévoué à la royauté franque : n’avait-il pas séjourné,
dès 778, et pour de longues années, en Neustrie ? Pourtant, ce schéma

21
 On cite là C. Wickham, Framing…, op. cit., p. 598.

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d’explication est vigoureusement remis en cause  22. On rappelle, en


effet, que, d’une part, Virgile avait à plusieurs reprises manifesté sa
sympathie pour les Francs, et qu’inversement, Arn, qui avait encore
tissé son premier réseau social sous les Agilolfides 23, leur resta fidèle
jusqu’à une date fort avancée. En 787, c’est encore lui qui se rend à
Rome pour y plaider la cause de Tassilon devant le pape Hadrien Ier.
Comme la plupart de ses collègues, Arn sait ainsi s’adapter aux bas-
culements du pouvoir en place, et ce n’est donc pas une fidélité de
longue date vis-à-vis des Francs qui explique sa promotion en 798. Il
est vrai qu’à défaut d’être un partisan inconditionnel de l’autorité
carolingienne, il présente au moins l’avantage de bien connaître
celle-ci, en raison de ses longs séjours dans le monde franc. Sans doute
cette familiarité, et les liens personnels qu’elle a pu favoriser, sont-ils
des arguments importants en faveur d’Arn. Mais il faut rappeler que,
parmi les candidats bavarois potentiels, celui-ci est loin d’être le seul
dans ce cas : il n’est en effet qu’un des nombreux élèves que l’évêque
Arbeo de Freising a envoyés parfaire leur formation dans le monde
franc  24. Faut-il donc se tourner vers les origines sociales d’Arn, et
considérer qu’il aurait été choisi parce que, issu d’une famille parti-
culièrement éclatante, il aurait été plus apte qu’un autre à faire enten-
dre sa voix en Bavière ? On peut répondre assez précisément à cette
question, car le milieu social d’Arn est bien documenté grâce aux
sources concernant Freising. L’enquête a montré qu’Arn appartient,
certes, à l’aristocratie capable de faire des dons à un monastère, mais
qu’au sein de cette catégorie, il n’appartient pas aux familles domi-
nantes  25. Ainsi, ni son attitude politique, ni sa familiarité avec le
monde franc, ni son origine familiale ne permettent d’expliquer pour-
quoi c’est Arn qui est désigné en 798.

22
 Voir, en dernier lieu, R. McKitterick, « Geschichte und Gedächtnis im frühmittelalter-
lichen Bayern : Virgil, Arn und der Liber Vitae von St. Peter zu Salzburg », in M. Nieder­
korn-Bruck et A.  Scharer (dir.), Erzbischof Arn von Salzburg, Vienne/Munich, 2004,
p. 68-80, ici p. 79.
23
 Rappelons qu’Arn était déjà âgé de quelque trente-six ans lors de son départ pour la
Francie en 778. Cf. W. Störmer, « Der junge Arn in Freising. Familienkreis und Weggenos-
sen aus dem Freisinger Domstift », in M. Niederkorn-Bruck et A. Scharer (dir.), Erzbischof
Arn…, ibid., p. 9-26, ici p. 9 et 10.
24
  W. Störmer, « Der junge Arn… », ibid., p. 19 sq. L’auteur évoque notamment Leidrade
qui, encore présent à Freising en 779, obtint le siège de Lyon en 797 ; ou encore Wulfher,
qui devint évêque de Vienne en 778.
25
  W. Störmer, « Der junge Arn… », ibid. Les premières donations dans lesquelles sa famille
apparut étaient relativement modestes. Ce ne fut que dans un second temps, après son
intégration dans le chapitre cathédral de Freising (en 756), que son horizon social acquit
une dimension européenne.

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Ce choix semble plus étonnant encore si l’on prend en compte les


caractéristiques de la ville de Salzbourg à cette date. L’historiographie
moderne, tributaire sur ce point de textes produits dans cet archevê-
ché au ixe siècle, suggère parfois que ce siège a été récompensé pour
ses initiatives dans le domaine missionnaire dans les décennies précé-
dentes  26. Les sources attribuent en effet aux évêques salzbourgeois
du viiie siècle la primauté de la mission auprès des Slaves, ce qui aurait
évidemment constitué un argument important pour un archevêché
destiné à évangéliser l’espace avar. Toutefois, une relecture plus
récente a signalé que ces mentions, dans les textes du ixe siècle, sont
visiblement le produit d’interpolations ultérieures. En particulier, le
rôle souvent cité de l’évêque Virgile dans le baptême des Slaves de
Carinthie n’est manifestement rien d’autre qu’un de ces collages
­littéraires dont l’historiographie du haut Moyen Âge est friande  27.
C’est donc exclusivement pour la période postérieure à 798 que nos
sources permettent d’affirmer l’activité missionnaire de Salzbourg.
Encore faut-il préciser qu’en cette période, ces initiatives semblent
avoir conservé un temps de retard par rapport à l’évêché voisin de
Passau  28. Ce n’est donc en aucun cas pour ses antécédents mission-
naires que la ville sur la Salzach a obtenu le titre d’archevêché.
On se sent alors contraint de rechercher d’autres critères de pres-
tige, en envisageant notamment l’ancienneté et l’importance sociale
de l’agglomération. Salzbourg peut se targuer d’un passé romain, et
a même constitué, sous le nom antique de Iuvavensis, un municipium
relativement important à cette époque. Les découvertes archéologi-
ques concernant l’Antiquité laissent deviner une agglomération par-
ticulièrement riche, organisée selon le traditionnel quadrillage des

26
  H. Dopsch, « Die Zeit der Karolinger und Ottonen », in H. Dopsch et H. Spatzenegger
(dir.), Geschichte Salzburgs. Stadt und Land, t. I/1, Salzbourg, 1981, p. 157-228, ici p. 161.
27
 T. Lienhard, « De l’intérêt d’une identité ethnique : les chefs slaves dans la Chrétienté
d’après la Conversio Bagoariorum et Carantanorum », dans R. Corradini, R. Meens, C. Pössel
et P. Shaw (dir.), Texts and Identities in the Early Middle Ages, Vienne, 2006 (Forschungen zur
Geschichte des Mittelalters, 13), p. 401-412.
28
 Ce fut en effet l’évêque Ermenrich de Passau qui, en 867, pour la première fois dans une
source crédible, franchit les frontières de l’Empire franc pour diffuser le christianisme chez
un peuple slave indépendant, en l’occurrence celui des Bulgares. Cf. H. Löwe, « Ermenrich
von Passau, Gegner des Methodius. Versuch eines Persönlichkeitsbildes  », in T.  Piffl-
Perčević et A. Stirnemann (dir.), Der Heilige Method, Salzburg und die Slawenmission. Beiträge
des internationalen Symposiums vom 20. bis 22. September 1985 in Salzburg, Innsbruck, 1987,
p. 230-234. On a également imputé au même évêché les premières traces d’une présence
chrétienne en Moravie, attestée en 852 : E. Boshof, « Das ostfränkische Reich und die
Slawenmission im 9. Jahrhundert : die Rolle Passaus », dans D. R. Bauer et al. (dir.), Mönch-
tum – Kirche – Herrschaft 750-1000, Sigmaringen, 1996, p. 51-76.

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cités romaines, et peuplée par un patriciat sûr de sa valeur sociale 29.


Faut-il donc considérer que l’élévation au rang d’archevêché ne fait
que consacrer une situation sociale déjà bien établie, qui place déjà
Salzbourg en tête des agglomérations bavaroises ? Cet élément de
réponse doit aujourd’hui être abandonné à son tour : en effet, les
conclusions les plus récentes des archéologues affirment une pro-
fonde rupture entre la ville romaine et son avatar carolingien. Le plan
urbain du haut Moyen Âge est en décalage complet par rapport à ce
qu’il était dans l’Antiquité, ce qui ne peut s’expliquer que par des
modifications démographiques importantes ; et les riches résidences
de naguère, imputables aux élites urbaines, y ont disparu. Alors que
dans le même intervalle, Ratisbonne connaît une continuité architec-
turale et démographique par rapport aux premiers siècles de notre
ère, Salzbourg, à l’époque carolingienne, a perdu sa splendeur 30.
Ce n’est donc ni le prestige de l’agglomération, ni le profil person-
nel de son évêque qui explique le choix de 798. Dans ces conditions,
ne faut-il pas aborder la question autrement et considérer que les
Carolingiens recherchaient, non pas une ville d’excellence, mais au
contraire une ville moyenne ? Avec Freising ou Ratisbonne, on n’aurait
pas manqué de centres anciens, abritant des grandes familles, actifs
dans le domaine intellectuel et pouvant revendiquer une ancienneté
ecclésiastique qui, dans le second cas, remontait même plus loin que
celle de Salzbourg. C’est pourtant cette dernière qui est choisie,
comme si la royauté franque avait délibérément évité les aggloméra-
tions les plus notables et les plus hautes familles. Dans cette optique,
le divorce entre le pouvoir et la ville ne résulterait pas d’une résorp-
tion progressive de cette dernière suite à une longue évolution socio-
économique – on a signalé plus haut que les élites urbaines subsis-
taient tant bien que mal, et que les Carolingiens auraient pu trouver
des villes plus importantes en Bavière s’ils l’avaient souhaité. Ce serait
au contraire par un choix conscient que les Francs auraient pris leurs
distances par rapport à des pôles urbains qui, en réalité, étaient encore
bien vivants. Dans le cas de la Bavière, cette interprétation ne peut
rester qu’hypothétique, faute de sources suffisamment précises, et
l’identité des groupes que l’on cherche à contourner demeure obs-

29
 N. Heger, « Die Römerzeit  », in H.  Dopsch et H.  Spatzenegger (dir.), Geschichte
Salzburgs…, op. cit., p. 75-91, ici p. 85 sq.
30
  H. Dopsch, « Salzburg zur Zeit Erzbischof Arns », in M. Niederkorn-Bruck et A. Scha-
rer (dir.), Erzbischof Arn…, op cit., p. 27-55, ici p. 29 sq.

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cure pour l’historien. Mais, de toute évidence, les Carolingiens se


méfiaient ici des plus grandes villes et de leurs maîtres.
Le cas de Rome, qui est mieux documenté, peut-il confirmer cette
logique sociale des Francs vis-à-vis de la ville à la fin du viiie siècle ?
En 800, Charlemagne se rend pour la quatrième fois dans la Ville.
L’historiographie a abondamment mis en valeur les aspects religieux
et idéologiques de ce voyage 31, et on ne cherchera pas à les minimiser
ici. Il est évident qu’en se rendant dans l’ancienne capitale des empe-
reurs romains, devenue siège du patriarche d’Occident et principal
dépôt de reliques en Occident, le roi franc pensait aussi à son image
publique. Mais le couronnement n’est pas le seul objectif du séjour
royal à Rome. Depuis son arrivée en novembre 800 jusqu’à Noël,
Charles consacre d’abord son énergie à mettre un terme aux conflits
qui ont opposé le pape Léon III et une partie de la population
romaine. C’est sur cette première phase, qui n’est pas nécessairement
liée à la seconde – car, après tout, Charles aurait bien pu accéder à la
demande des adversaires du pape, déposer celui-ci qui était accusé
d’immoralité, et se faire couronner par son successeur –, que l’on veut
s’attarder ici.
À propos de l’attitude royale dans ce conflit, un premier point
frappant, signalé fort récemment, est l’hésitation manifestée par Char-
les 32. Celle-ci fut déjà sensible dans les mois qui précèdent le voyage.
En effet, quand on apprend à Aix, au printemps 799, que Léon III a
été l’objet d’une agression, le roi franc attend plus d’un an avant
d’entreprendre un nouveau voyage vers l’Italie. Alcuin se sent obligé
de l’y exhorter à plusieurs reprises. Il est vrai qu’à Rome, la légitimité
des uns et des autres n’est pas aussi simple que veulent le faire croire
les sources pontificales. D’une part, en effet, les opposants au pape
sont manifestement en position de force : autrement, comment expli-
quer le fait que le pape, qui disposait pourtant d’une garnison, se soit
senti obligé de fuir la ville ? L’agression n’est donc pas le seul fait
d’une poignée d’opposants. D’autre part, les agresseurs, après avoir
chassé Léon III de son siège, se sont gardés de faire élire un nouveau

31
 On trouvera un utile bilan de ces discussions chez R.-H. Bautier, « Sacres et couronne-
ments sous les Carolingiens et les premiers Capétiens : recherches sur la genèse du sacre
royal français », Annuaire-Bulletin de la Société de l’histoire de France, ann. 1987-1988 (1989),
p. 7-56.
32
  Pour tout le paragraphe qui suit, cf. M. Becher, « Die Reise Papst Leos III. zu Karl dem
Großen. Überlegungen zu Chronologie, Verlauf und Inhalt der Paderborner Verhandlun-
gen des Jahres 799 », in P. Godman et al. (dir.), Am Vorabend…, op. cit., p. 87-112, ici p. 101
sq.

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pape. Ils attendent manifestement pour cela l’aval de Charles, restant


ainsi dans le cadre de la soumission à la royauté franque en essayant,
eux aussi, de faire entendre leurs arguments auprès du souverain.
Pour le roi, il ne s’agit donc pas de briser une révolte, mais de trancher
entre deux camps dont chacun a sa propre justification sociale. Telle
est la première question romaine en 799 et en 800, avant même l’ob-
jectif impérial.
Quels sont donc les enjeux sociaux du conflit et, par suite, les
implications politiques du jugement qu’on attend de la part de Char-
les ? À défaut de connaître précisément l’événement qui a déclenché
l’agression, on peut, au moins, s’efforcer d’établir le profil sociologi-
que des deux camps opposés à Rome. En ce qui concerne Léon III, il
semble qu’il se soit distingué de ses prédécesseurs immédiats par une
origine sociale plus modeste : on a ainsi montré que sa Vie dans le Liber
pontificalis, qui est pourtant une des plus prolixes dans cette partie de
l’ouvrage, se distingue par de lourds silences à propos de la noblesse
et de la richesse du personnage 33. Alors que pour d’autres papes, on
loue leur haute extraction et les personnages illustres qui accompa-
gnent leur enfance, l’auteur ne peut trouver un réseau social équiva-
lent dans le cas de ce pontife. De même, alors que les autres Vies
s’efforçaient généralement de commémorer les actes de munificence
et d’urbanisme accomplis par un pape, celle-ci est bien en peine de
citer des exemples équivalents pour Léon III. On a même pu établir
que, parmi les rares donations publiques attribuées à ce dernier, plu-
sieurs ont été accordées en réalité par ses prédécesseurs 34 ; l’auteur
s’est manifestement senti obligé d’allonger artificiellement la liste.
Certaines donations, il est vrai, sont bien imputables à Léon lui-même ;
mais leur identification, au cas par cas 35, a permis de démontrer qu’el-
les ne furent possibles que parce qu’elles avaient été octroyées aupa-
ravant au pontife par Charlemagne, à l’occasion du couronnement
de 800. Le nouvel empereur a donné à ce pape, plus démuni que ses
prédécesseurs, les moyens de tenir son rang.
Face à Léon III, c’est un tout autre groupe social que l’on peut
discerner. Commençons par rappeler que, si dans le cas de la Bavière,
les élites urbaines laïques sont difficiles à identifier au viiie siècle, tel

33
 L’analyse qui suit est due à K. Herbers, « Das Bild Leos III. in der Perspektive des Liber
Pontificalis  », in M.  Niederkorn-Bruck et A.  Scharer (dir.), Erzbischof Arn…, op cit.,
p. 137-154.
34
  K. Herbers, « Das Bild Leos III… », ibid., p. 140.
35
  K. Herbers, « Das Bild Leos III… », ibid., p. 147 sq.

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n’est pas le cas à Rome. On a déjà eu l’occasion de citer l’exemple des


notables qui faisaient inscrire fièrement leur titre de curialis sur leur
sceau, ainsi que les nombreuses scholae attestées dans la ville. Par
ailleurs, l’archéologie a mis en lumière le fait que tout au long du haut
Moyen Âge, il subsiste un habitat de prestige destiné aux plus hautes
catégories sociales. Rappelons que le Palatin fut entretenu sans dis-
continuité jusqu’à la fin de l’époque carolingienne, et que les archéo-
logues ont mis au jour récemment, sur le site de l’antique forum de
Nerva, des demeures privées datant du ixe siècle qui, si elles n’égalent
pas la splendeur des palais antiques, confirment pourtant l’existence
de groupes privilégiés et conscients de leur supériorité sociale 36. C’est
manifestement à ces élites romaines que l’on peut rattacher les oppo-
sants à Léon III à la fin du viiie siècle : le chroniqueur grec Théophane
signale, en effet, que les agresseurs étaient des parents (συγγενεις) du
pape précédent Hadrien II  37. Or, à propos des origines sociales de
celui-ci, le Liber pontificalis se montre plus détaillé que pour Léon III.
Hadrien est issu d’une famille dont l’auteur vante la praeclaritas et la
nobilitas ; son oncle Théodote porte le titre de consul et de dux puis,
après sa tonsure, celui de primicerius de l’Église romaine ; deux autres
parents, Pascal et Campolo, sont respectivement primicerius et sacella-
rius ; un neveu d’Hadrien, enfin, est dux de Rome. Pour ce groupe, la
perte du pouvoir pontifical est d’autant plus difficile à admettre
qu’elle s’est faite au profit d’un individu d’origine plus modeste.
Il n’est d’ailleurs pas exclu que la politique ecclésiastique de Léon
III à l’échelle locale ait aggravé les tensions. En effet, dans les années
790, une question récurrente dans les relations entre les Carolingiens
et Rome est la restauration du monastère Saint-Étienne près de Saint-
Paul-hors-les-murs  38. Les mentions à ce sujet ne manquent pas : en
797, si l’on en croit les Annales de Saint-Amand, Charles aurait rassem-
blé à Aix un concile qui portait notamment sur ce monastère, et Arn
de Salzbourg aurait été chargé d’une mission concernant cet établis-
sement. L’évêque de Salzbourg se serait d’ailleurs acquitté de cette
tâche en 798, comme l’indique une lettre (perdue) de Léon III à

36
 R. Santangeli Valenzani, « Residential Building in Early Medieval Rome », in J. Smith
(dir.), Early Medieval Rome and the Christian West. Essays in honour of Donald A. Bullough, Leyde/
Boston, 2000, p. 101-112.
37
  Théophane, Chronographie, éd. C. de Boor, I, Leipzig, 1883, p. 472.
38
 Les éléments qui suivent sont entièrement dus à H. Wolfram et M. Diesenberger [« Arn
und Alkuin 790 bis 804 : zwei Freunde und ihre Schriften », in M. Niederkorn-Bruck et
al. (dir.), Erzbischof Arn…, op. cit., p. 81-106], ainsi qu’aux suggestions orales de Max Die-
senberger, qui m’a tout appris à propos de ce dossier.

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la royauté et les élites urbaines

l’intention de Charles. Enfin, l’affaire était d’importance suffisante


pour aiguiser la curiosité d’Alcuin qui, à trois reprises, s’enquit éga-
lement de ce monastère 39. Or durant cette mission d’Arn, la popula-
tion de Rome se montra menaçante envers l’envoyé franc et, une
première fois, envers le pape  40. Faut-il voir dans ce monastère de
Saint-Étienne le même facteur de conflit qu’en 799 ? Dans ce cas, il
faut essayer de déterminer le lien entre l’opposition des élites de
Rome envers Léon III et la politique monastique de ce dernier,
appuyée par les Carolingiens. On sait que l’expression « restauration
d’un monastère » peut notamment désigner la restitution économi-
que d’un établissement dont l’Église a été injustement dépossédée.
Admettons, à titre d’hypothèse, que ce fut là le cœur du débat concer-
nant Saint-Étienne entre 797 et 800. Dans ce cas, cette opération
aurait nécessairement lésé les laïcs qui bénéficiaient jusque-là des reve-
nus du monastère. Ces derniers se seraient alors certainement joints
volontiers au mouvement d’opposition contre Léon III. Celui-ci aurait
ainsi souffert d’un triple handicap social vis-à-vis des élites laïques de
Rome. Non content de priver certaines d’entre elles du trône ponti-
fical, alors que lui-même provenait d’un milieu plus modeste, il les
aurait en outre dépossédées – de leur point de vue – d’une partie de
leurs biens. On comprend mieux, dans ces conditions, le sens de
l’« immoralité » que les opposants de Léon lui reprochent, et dont le
pape est lavé lors du procès de 800 41. À l’opposé des pontifes évergè-
tes qui l’ont précédé, celui-là s’en prenait aux biens des grands, sans
pour autant faire profiter la population de ses largesses.

39
  Annales sancti Amandi a. 797, éd. G. Pertz, MGH, SS, 1, Hanovre, 1826, p. 14. La lettre
de Léon III est mentionnée dans une lettre d’Angilbert de Saint-Riquier : Alcuin, Epistolae,
éd. Dümmler, MGH, Ep., 4, Berlin, 1895, p. 235 ; pour les trois lettres d’Alcuin lui-même
concernant ce dossier, cf. p. 235, 245 sq. et 254. Le voyage d’Arn à Rome est mentionné
également (sans qu’on y indique sa cause) dans un texte salzbourgeois de 877 : F. Lošek
(éd.), Die Conversio Bagoariorum et Carantanorum und der Brief des Erzbischofs Theotmar von
Salzburg, Hanovre, 1997 (MGH, Studien und Texte, 15), p. 114. Tous ces textes – à l’exception
de la Conversio, plus tardive –, furent regroupés à Salzbourg dans un même manuscrit du
début du ixe siècle, l’actuel Cvp 795 de la Staatsbibliothek de Vienne, dans lequel ils étaient
précédés – et ce n’est évidemment pas un hasard – par une description topographique de
Rome.
40
  Alcuin, Epistolae, ibid., p. 309. Pour la datation de cette lettre, cf. H. Wolfram et M. Die-
senberger, Arn und Alkuin…, op. cit., p. 86, note 42.
41
 Le pape s’est vu reprocher un adulterium et un periurium, et les Romains s’en sont pris
également, plus généralement, à ses mœurs. Cf. Alcuin, Epistolae, ibid., p. 297 et 309. À
propos du procès de 800, les Annales royales évoquent simplement les « crimina » reprochés
au pape ; mais celui-ci est alors disculpé.

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thomas lienhard

Que l’on retienne ou non cette dernière hypothèse, il semble évi-


dent que dans le conflit entre Léon et ses agresseurs, les facteurs
sociaux ne manquaient pas. Pour le roi des Francs, l’objectif à Rome
consistait non pas tant à soumettre un évêque à son autorité, quand
bien même c’était celui de Rome, qu’à imposer cet évêque aux élites
urbaines. Dans cette perspective, le couronnement de Noël 800 sert
tout autant à mettre en valeur le pape devant la population romaine
qu’à glorifier le nouvel empereur. À Rome comme en Bavière, en
effet, les Carolingiens ont choisi un prélat de rang social moyen, qui
contrebalançait utilement l’opposition potentielle des plus grandes
familles locales, mais dont il fallait appuyer l’autorité.

Dans bien des cas, il faut probablement renoncer pour le haut


Moyen Âge à l’idée d’élites urbaines anémiées et réduites à quia dans
l’ombre de l’autorité épiscopale. Dans le monde franc, en général,
des groupes de laïcs, quoique entremêlés avec les détenteurs de digni-
tés épiscopales, ont manifestement conservé des motifs de distinction
propres, qui suffisent à leur assurer une dignité considérable en ville.
Même si ces catégories sociales sont difficilement identifiables dans
les sources, il faut se garder de confondre ce que nous connaissons
mal et ce qui n’a pas existé. Dans les cas plus précis de Salzbourg et
de Rome, les élites urbaines laïques semblent même avoir constitué
un facteur important dans la politique que menait la royauté franque
pour imposer son autorité, et cela d’autant plus que, dans ces deux
exemples, on se trouve dans des régions conquises récemment, où le
contrôle des contestataires est donc crucial. Dans ces dossiers, c’est
certes l’évêque, l’archevêque ou le pape qui constitue le partenaire
privilégié des Carolingiens pour renforcer une hiérarchie au service
du pouvoir royal. Mais il ne l’est pas par défaut, parce qu’aucun autre
groupe dominant n’a subsisté en ville. Bien au contraire, dans les
exemples qu’on vient de présenter, le pontife est un moyen de contrô-
ler des élites urbaines locales qui ne sont, au goût du souverain, que
trop vivantes à l’aube de l’Empire carolingien.

292

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Vito Loré

Poteri pubblici ed élites rurali nel


Mezzogiorno longobardo
(secoli IX-XI)

N
el febbraio del 903 Angelo, abate della chiesa principesca di
S. Massimo di Salerno, disponeva delle sue ultime volontà con
due atti paralleli e complementari  1. Nel primo si definiva
abate di S. Massimo e affidava al principe Guaimario, proprietario
della chiesa, l’esecuzione di alcuni lasciti in favore di S. Massimo e dei
suoi chierici; con il secondo atto Angelberto, «presbiter et abbas filius
Leoni habitatores in Noceria» (Nocera, un insediamento rurale a
Nord di Salerno), disponeva altri lasciti in favore dei suoi familiari,
residenti a Nocera, e dava indicazioni per la distribuzione a poveri e
sacerdoti dell’equivalente di cinquanta solidi da trarre dal suo patri-
monio. L’identificazione dell’Angelberto presbiter et abbas di Nocera e
dell’Angelo abate di S. Massimo di Salerno è resa possibile solo dal
confronto dell’alcune disposizioni complementari dei due atti a pro-
posito di una corte, già appartenuta a un Mauro figlio di Ermemari.
L’esibizione di due identità diverse, una salernitana e l’altra nocerina,
fino dal nome, è evidente. Rivolgendosi al suo ambiente d’origine
l’abate intenzionalmente evitò di nominare la chiesa salernitana di
cui era titolare e rivendicò l’appartenenza alla comunità nocerina,
nonostante la vicinanza strettissima al principe salernitano  : nella
documentazione superstite dei secoli IX-XI questo è l’unico caso di
un principe che si fa esecutore di ultime volontà.
Nella loro assoluta eccezionalità i due «testamenti» di Angelo/
Angelberto sono il migliore esempio di alcuni problemi posti con
urgenza dalla documentazione sui principati longobardi meridionali.
Fra il IX e l’XI secolo Salerno fu con Capua e Benevento a capo di
uno dei tre distinti organismi politici emersi dall’originaria unità del
principato beneventano, rimasto sostanzialmente ai margini del domi-
nio carolingio (prima di dividersi Capua e Benevento ebbero una

1
  Codex diplomaticus Cavensis [d’ora in avanti citato come CDC]; I, ed. M.  Morcaldi,
M. Schiani e S. De Stefano, Napoli, 1873; II-VIII, ed. Id., Milano/Pisa/Napoli, 1875-1893;
IX-X, ed. S. Leone e G. Vitolo, Badia di Cava, 1984 e 1990; vedi qui I, n. 117 e 118.

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vito loré

storia unitaria per buona parte del X secolo) 2. Nonostante ciascuno


dei tre principati abbia tratti di forte originalità, in tutti la vita politica
convergeva sulle città. A Capua e a Benevento, oltre alle due capitali,
un gran numero di centri minori vantava un titolo cittadino e ospitava
esponenti dell’aristocrazia di corte, che tendevano a costruire su quei
centri poteri largamente autonomi. Grazie al controllo diretto di
grandi proprietà monastiche sparse su tutto il territorio e di alcune
leve fondamentali del potere, come la giustizia, i principi di Capua-
Benevento riuscirono però a mantenere una fisionomia sostanzial-
mente unitaria ai loro domini fino agli ultimi decenni del X secolo 3.
Nel principato di Salerno la capitale era invece l’unico centro con una
fisionomia propriamente urbana e lì, dove risiedevano tutti i perso-
naggi più vicini al principe, coinvolti nella gestione del potere, era
concentrata la vita politica; il territorio era subalterno alla città e tale
rimase fino alla metà dell’XI secolo, quando lo stesso potere princi-
pesco iniziò ad assumere in alcune aree periferiche caratteri signorili,
probabilmente come tardiva risposta alle minacciose presenze nor-
manne 4.
La sostanziale tenuta delle strutture pubbliche di potere (più forte
e duratura a Salerno, meno a Capua-Benevento) e il loro carattere
fortemente urbanocentrico pongono due problemi, sui quali la docu-
mentazione offre risposte frammentarie e non sempre chiare. Era
possibile accedere all’aristocrazia urbana e agli uffici pubblici per
uomini originari delle campagne? Quali erano i canali attraverso cui
i principi e gli ufficiali di rango più alto avevano rapporti con le élites

2
 Sul principato di Salerno vedi P. Delogu, «Il principato longobardo di Salerno. La prima
dinastia», in G. Galasso e R. Romeo (dir.), Storia del Mezzogiorno, II/1 (Il Medioevo), Napoli,
1988, pp. 237-277; Id., Mito di una città meridionale (Salerno, secoli VIII-XI), Napoli, 1977;
V. Loré, «L’aristocrazia salernitana nell’XI secolo», in P. Delogu e P. Peduto (dir.), Salerno
nel XII secolo. Istituzioni, società, cultura, Salerno, 2004, pp. 61-102; H. Taviani-Carozzi, La
principauté lombarde de Salerne (ixe-xie siècle). Pouvoir et société en Italie lombarde méridionale, I-II,
Roma, 1991 (Bibliothèque de l’École française de Rome, 152). Sul principato di Capua e
Benevento N. Cilento, Le origini della signoria capuana nella Longobardia minore, Roma, 1966
(Studi Storici, 20); J.-M. Martin, «Éléments préféodaux dans les principautés de Bénévent
et de Capoue (fin du viiie siècle-début du xie siècle): modalités de privatisation du pouvoir»,
in Structures féodales et féodalisme dans l’Occident méditerranéen (xe-xiiie siècle), Roma, 1980 (Biblio-
thèque de l’École française de Rome, 44), pp. 553-586; S. Gasparri, «Il ducato e il princi-
pato di Benevento», in G.  Galasso e R.  Romeo (dir.), Storia del Mezzogiorno…, op. cit.,
pp.  83-146; V.  Loré, «Sulle istituzioni nel Mezzogiorno longobardo. Proposta di un
modello», Storica, 29 (2004), pp. 27-55. Sull’VIII e il IX secolo vedi anche G. B. V. West,
«Charlemagne’s involvement in central and southern Italy: power and the limits of autho-
rity», Early Medieval Europe, 8 (1999), pp. 341-367.
3
 V. Loré, «Sulle istituzioni…», ibid., p. 41.
4
 V. Loré, «L’aristocrazia salernitana…», op. cit., pp. 74-76.

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poteri pubblici ed élites rurali nel mezzogiorno longobardo

rurali? La documentazione più varia e ricca impone di centrare l’in-


dagine sul principato salernitano, cercando poi di recuperare per
comparazione alcuni differenti caratteri di Capua e Benevento.

A Salerno il coinvolgimento sistematico dell’aristocrazia nella


gestione del potere pubblico si esprimeva nelle cariche di conte, più
prestigiosa e tendenzialmente ereditaria, e di gastaldo, non ereditaria
e neanche necessariamente vitalizia. Le funzioni connesse con i due
titoli sembrano sostanzialmente analoghe ed erano variabili, dall’am-
ministrazione di un distretto territoriale alla gestione di uffici palatini.
È rarissimo che dei conti e dei gastaldi salernitani si possa ricostruire
anche solo con approssimazione la carriera e le origini, ma alcuni
caratteri complessivi appaiono con chiarezza. La frequente attribu-
zione del titolo di gastaldo o di conte a personaggi nuovi, che non lo
ereditavano dal padre, e la crescita numerica della cerchia degli uffi-
ciali, in particolare dalla fine del X secolo, mostrano un carattere del
gruppo aperto e tendenzialmente inclusivo 5. Sicuramente alto, fino
almeno alla fine del X secolo, fu l’apporto di fuorusciti capuani e
beneventani 6; non mancano franchi 7 e, con ogni probabilità, amal-
fitani  8, ma le uniche due carriere ricostruibili sono quelle di perso-
naggi provenienti dalle élites rurali del Salernitano. Il caso di gran
lunga meglio documentato è quello di Vivo, figlio di Pietro, divenuto
per un breve periodo alla metà dell’XI secolo gastaldo della circoscri-
zione di Mitilianum, presso Salerno, nel suo stesso territorio di origine.
Il corposo dossier di Vivo, composto da una quarantina di atti, in parte
inediti, è stato studiato da Huguette Taviani-Carozzi 9, che ha mostrato
le fragili basi iniziali della fortuna del gastaldo, la strategica alleanza
con il monastero di recente fondazione della Trinità di Cava, il legame
con il principe, testimoniato da alcuni diplomi, i numerosi acquisti di
terre a Mitilianum e a Salerno, dove Vivo trasferì la sua residenza e
fondò in consorzio con la Trinità una chiesa su terra pubblica; altre
chiese, invece, fondò in proprio presso Mitilianum. Se è di gran lunga
il meglio documentato, il caso di Vivo non è però l’unico. Negli stessi

5
 Sui caratteri dell’aristocrazia comitale salernitana vedi in generale, V. Loré, «L’aristocra-
zia salernitana…», op. cit.
6
  Per l’onomastica capuana di molti conti salernitani vedi H. Taviani-Carozzi, La princi-
pauté lombarde…, op. cit., nota 152 a p. 753; la cooptazione di conti beneventani nel comita-
tus salernitano si ricava dal confronto fra CDC, II, n. 220 (963) e III, n. 469 (994).
7
  Un conte Raidolfo ex genere francorum in CDC, VI, n. 881 (1034).
8
 Come il Mansone gastaldo di Costantino in CDC, IV, n. 558 (1004).
9
  H. Taviani-Carozzi, La principauté lombarde…, op. cit., pp. 784-800.

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vito loré

anni un Godeni del fu Alegari, originario di Nocera, divenne conte e


trasferì anch’egli, come Vivo, la sua residenza a Salerno 10. I due casi
mostrano dunque come la residenza nella capitale non fosse uno stru-
mento di esclusione nei confronti delle élites rurali : non era un carat-
tere necessariamente originario di chi apparteneva al seguito dei
principi, ma poteva essere acquisito al momento dell’entrata nella
cerchia dei conti e dei gastaldi. Prima di diventare conte, Godeni ci è
noto da patti agrari che stipulava per gestire le sue terre 11. La consi-
stenza del suo patrimonio emerge invece da una donazione/vendita
del 1045  12, con la quale cedette alla Trinità di Cava trentotto pro-
prietà fra Nocera e dintorni. A differenza di Vivo, che non disponeva
probabilmente di una fortuna familiare cospicua e dovette perciò
ricorrere al prestito su pegno fondiario per dare inizio a una politica
di acquisti 13, la fortuna di Godeni sembra per la maggior parte risalire
indietro di almeno due generazioni : delle proprietà cedute a Cava,
ventisei erano tenute indivise con un numero variabile di altri con-
sorti, fra sei e trentadue. Non furono certo casi isolati e con ogni
probabilità anche nel IX e nel X secolo fra le fila degli ufficiali entra-
rono altri personaggi originari delle società rurali. Così nel 1034 un
gastaldo Giovanni era figlio del fu Radoaldo di Lustra, un villaggio del
Cilento, a Sud di Salerno 14, ma già alla metà del X secolo il Maione
che troviamo presente a Nocera, dopo che aveva perduto la carica di
gastaldo, era probabilmente originario di quel territorio, dove altri
personaggi con il suo nome erano stati attivi fra gli ufficiali principe-
schi nel secolo precedente 15.

A Salerno, come in tutto il Mezzogiorno longobardo, fedeltà for-


malizzate in un rapporto vassallatico-beneficiario erano praticamente

10
 Il trasferimento di Godeni a Salerno emerge dal confronto fra CDC, IV, n. 674 (1014,
Nocera), precedente l’assunzione dell’ufficio di conte, IV, n. 687 (1015, Salerno) e VI,
n. 1054 (1045, Salerno).
11
  CDC, IV, n. 674 (1014).
12
  CDC, VI, n. 1054 (1045).
13
 Da questo punto di vista è analogo il caso abruzzese di IX secolo analizzato in L. Feller,
A. Gramain e F. Weber, La fortune de Karol. Marché de la terre et liens personnels dans les Abruz-
zes au haut Moyen Âge, Roma, 2005 (Bibliothèque de l’École française de Rome, 347), in
particolare pp. 53 sq. e 96 sq.
14
  CDC, VI, n. 881 (1034).
15
  CDC, I, n. 183 (953). Un Maione vicedominus in CDC, I, n. 32 (848) e 79 (la data dell’875
riportata dagli editori va corretta in 832); nuova edizione degli ultimi due documenti in
Chartae latinae antiquiores. Facsimile-Edition of the Latin Charters, 2nd Series: Ninth Century [d’ora
in poi CLA²], ed. G. Cavallo e G. Nicolaj, L (Italy XXII), ed. M. Galante, Dietikon/
Zurigo, 1997, n. 26 e 12.

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assenti 16; l’appartenenza alle fila dei conti e dei gastaldi (una vera e
propria gerarchia) e la compartecipazione alla sfera dei poteri pub-
blici era sostanzialmente l’unico criterio che definiva con precisione
la vicinanza al principe e l’eminenza sociale. I casi di Vivo e di Godeni
mostrano come fosse possibile accedere alla gerarchia venendo dalle
campagne; ma il rapporto fra potere pubblico e territorio era biuni-
voco. Oltre al movimento che portava dalle società rurali verso l’élite
urbana, ne esisteva un altro, che andava dalla città verso le società
rurali. Il vettore principale del movimento dalla città verso le società
rurali erano le chiese private, nel principato di Salerno numerose e
con caratteri peculiari. Il primo e il più importante esempio di queste
fondazioni si intreccia con le origini stesse del principato autonomo
salernitano.
Alla metà del IX secolo il conte Guaiferio, esponente di una delle
famiglie più prestigiose dell’aristocrazia longobarda beneventana e
futuro principe di Salerno, acquistò nel territorio di Nocera una serie
di terreni, pagando nel complesso alcune decine di solidi 17, con prezzi
che non sembrano allontanarsi molto da quelli comuni per l’epoca,
in quel territorio 18. Dopo essere divenuto principe, Guaiferio trasferì
alla sua fondazione di S. Massimo la gran parte delle terre acqui-
state 19. L’operazione condotta da Guaiferio non doveva essere isolata;
probabilmente altri nobili salernitani, che nei decenni successivi risul-

16
 In generale sul Mezzogiorno longobardo vedi J.-M. Martin, «Éléments préféodaux…»,
op. cit.; sulle fedeltà a Salerno H. Taviani-Carozzi, La principauté lombarde…, op. cit., pp. 685
sq.
17
  CDC, I, n. 35 (852) = CLA², L, n. 29: acquisto per 50 solidi; CDC, I, n. 45 (856) = CLA²,
LI (Italy XXIII), ed. F. Magistrale, Dietikon/Zurigo, 1998, n. 5: donazione ricevuta da
Guaiferio; CDC, I, n. 51 (857) = CLA², LI, n. 11: acquisto per 5 solidi; CDC, I, n. 58 (859)
= CLA², LI, n. 19: acquisto per 4 solidi; CDC, I, n. 78 (874) = CLA², LII (Italy XXIV), ed.
M. Galante, Dietikon/Zurigo, 1998, n. 4: acquisto per 6 tremissi. Sulla carriera di Guaife-
rio vedi P.  Delogu, «Il principato longobardo…», op. cit., pp.  245-250, passim, e ibid.,
pp. 254-256, sulle monete in uso nel Salernitano nel IX secolo.
18
 Vedi per esempio CDC, I, n. 12 (822) = CLA², L, n. 8: 8 solidi; CDC, I, n. 23 (843) = CLA²,
L, n. 18: 20 solidi; CDC, I, n. 49 (857) = CLA², LI, n. 9: 35 solidi; e i riferimenti più avanti,
alle note 32 e 33.
19
 Lo studio di riferimento su S. Massimo rimane la monografia di B. Ruggiero, Principi,
nobiltà e Chiesa nel Mezzogiorno longobardo. L’esempio di s. Massimo di Salerno, Napoli, 1973; vedi
anche H. Taviani-Carozzi, La principauté lombarde…, op. cit., pp. 409 sq. e recentemente
L. Feller, «Les politiques des familles aristocratiques à l’égard des églises en Italie cen-
trale», in C. La Rocca e R. Le Jan (dir.), Sauver son âme et se perpétuer. Transmission du patri-
moine et mémoire au haut Moyen Âge. Actes de la table ronde, Padoue, 2002, Roma, 2005 (Biblio-
thèque de l’École française de Rome, 351), pp. 265-292, particolarmente le pp. 273-275.

297

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vito loré

tano dotati di terre nel Nocerino 20, avevano compiuto analoghe cam-


pagne di acquisti 21.
Lo scopo di Guaiferio era costituirsi una base fondiaria, di cui a
Salerno probabilmente ancora non disponeva, ma anche e soprattutto
costruire una rete di rapporti 22 attraverso la fondazione di una chiesa
in città, il luogo deputato all’esibizione dello status sociale, e l’elargi-
zione di moneta nel territorio. L’élite rurale non era coinvolta solo
dal flusso di moneta, ma direttamente cooptata nella cerchia del prin-
cipe, per mezzo della sua chiesa : oltre ad Angelo/Angelberto anche
il successivo abate di S. Massimo, Giovanni, era di provenienza noce-
rina  23. Nei primi decenni dopo la sua fondazione, S. Massimo poté
essere usata da qualche proprietario come rifugio e copertura, per
sfuggire ai servizi e alle imposte dovuti ai gastaldi 24 : la chiesa privata
del principe offriva cioè riparo dalle esazioni che gli agenti pubblici
alle sue dipendenze richiedevano. Sembra però che si sia trattato di
casi isolati : in seguito la presenza della chiesa nella società rurale non
assunse caratteri signorili. È evidente, invece, come Guaiferio abbia
inaugurato un modello di rappresentazione dell’eminenza sociale,
divenuto poi oggetto di imitazione sistematica. Quando alla fine del
X secolo la discendenza principesca di Guaiferio si estinse per man-
canza di eredi, Giovanni, il capostipite della seconda dinastia salerni-
tana, fondò con la moglie Sichelgaita una chiesa privata intitolata alla
Vergine, presso le mura della città 25. Anche in questo caso il patrimo-
nio della nuova fondazione fu conquestum dai principi, che concentra-
rono la loro attenzione su aree lontane da Nocera, a Est e a Sud di
Salerno 26. Ancora alla metà dell’XI secolo Paldolfo, fratello del prin-
cipe Guaimario IV, dotò la chiesa familiare di S. Nicola di Casavetere

20
 Vedi per esempio CDC, I, n. 28 (848) = CLA², L, n. 22; CDC, I, n. 59 (860) = CLA², LI,
n. 20; CDC, I, n. 99 (884) = CLA², LII, n. 23; CDC, I, n. 121 (905).
21
 La mancanza di precisi riferimenti all’estensione delle terre nei documenti salernitani
dell’epoca e la serie abbastanza limitata di compravendite sconsiglia analisi dettagliate come
in L. Feller, Les Abruzzes médiévales. Territoire, économie et société en Italie centrale du ixe au
xiie siècle, Roma, 1998 (Bibliothèque de l’École française de Rome, 300), pp. 386-418, e
molto più ampiamente in L. Feller, A. Gramain e F. Weber, La fortune de Karol…, op. cit.
22
 Cfr. l’esempio studiato da C. Wickham, «Vendite di terra e mercato della terra in Toscana
nel secolo XI», Quaderni Storici, 65 (1987), pp. 355-377, poi (in inglese) in Id., Land and
Power: studies in Italian and European social history, 400-1200, Londra, 1994, pp. 257-274.
23
 Come emerge dal confronto fra CDC, I, n. 130 (912), 96 (882) = CLA², LII, n. 21 e CDC,
I, n. 102 (890) = CLA², LII, n. 25.
24
  CDC, I, n. 140 e 141 (923): alcuni parenti del defunto abate Giovanni cedono i loro beni
a S. Massimo per riottenerli in concessione e sfuggire così al pagamento delle imposte.
25
 Sulla chiesa vedi P. Delogu, Mito di una città…, op. cit., pp. 144-147.
26
  CDC, II, n. 425 (990).

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poteri pubblici ed élites rurali nel mezzogiorno longobardo

con una quantità di terre acquistate nel territorio di Capaccio, a Sud


di Salerno, nell’ambito di un tentativo di articolazione familiare del
potere principesco 27. Ma l’esempio non fu seguito solo dai successori
di Guaiferio. A partire dalla fine del X secolo è tutto un fiorire di
chiese private, fondate a Salerno e sul territorio da conti e gastaldi 28.
Quando conosciamo in dettaglio le vicende della fondazione (come
nel caso di S. Nicola di Gallocanta, presso Vietri), compare la consueta
serie di acquisti di terre  29. L’alta diffusione delle chiese private era
espressione di un modello sociale ed economico urbanocentrico
(patrimoni sparsi su buona parte dell’ampio territorio salernitano, in
parte gestiti attraverso le chiese, appartenevano a famiglie vicine ai
principi e stabilmente residenti in città 30) e riproponeva, a livello più
basso rispetto al principe, alcuni degli elementi di scambio con le
élites rurali ben visibili nel caso di S. Massimo.
Alla fine del IX secolo l’ex gastaldo Maione e l’abate Angelberto/
Angelo continuarono ad avere rapporti stretti con il loro territorio
d’origine, anche dopo il loro ingresso nell’aristocrazia cittadina e
nella cerchia principesca. Durante il X secolo la residenza urbana e,
direi, l’assimilazione all’ambiente cittadino era divenuta sistematica-
mente normale per l’élite del principato; chi, come Vivo e Godeni,
proveniva dalle società rurali, si trasferiva in città e la fondazione di
chiese private con dotazione fondiaria nel territorio pare una tappa
di un cursus non formalmente stabilito, ma sostanzialmente riservato
a conti e gastaldi : al di fuori di questo gruppo le fondazioni di chiese
private sono infatti rarissime e a volte dovute all’iniziativa di ampi
consorzi 31. Alla lunga il movimento verso il centro del potere da parte
di personaggi e famiglie eminenti dovette cambiare profondamente
la struttura delle società rurali. La famiglia di Angelo/Angelberto ci
è nota per la serie di acquisti in cui si impegnò dalla metà del IX
secolo 32, affiancata nell’ambito nocerino da altre famiglie, dotate di

27
 Sulle vicende della chiesa e della famiglia di Paldolfo cfr. H. Taviani-Carozzi, La princi-
pauté lombarde…, op. cit., pp. 869 sq., con le osservazioni in V. Loré, «L’aristocrazia salerni-
tana…», op. cit., nota 157.
28
 Indicazioni e bibliografia in V. Loré, «L’aristocrazia salernitana…», ibid.
29
  CDC, III, n. 534 (995); 477 (995) = P. Cherubini, Le pergamene di San Nicola di Gallucanta
(secc. IX-XII), Altavilla Silentina (SA), 1990, n. 27 e 28. La chiesa stessa fu acquistata, non
fondata, dalla famiglia comitale che ne conservò poi per un secolo e mezzo la proprietà:
CDC, III, n. 494 (996) = P. Cherubini, Le pergamene…, op. cit., n. 30.
30
 V. Loré, «L’aristocrazia salernitana…», op. cit., pp. 65 e 71-74.
31
 Come in CDC, II, n. 376 (985).
32
  CDC, I, n. 33 (849) = CLA², L, n. 27; CDC, I, n. 34 (850) = CLA², L, n. 28; CDC, I, n. 82
(878) = CLA², LII, n. 7; CDC, I, n. 84 (880) = CLA², LII, n. 9.

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vito loré

buona capacità di spesa  33, e da un nugolo di sacerdoti, protagonisti


degli acquisti di terreni  34. Fuori dai canali ufficiali della gerarchia
principesca, la società rurale sembrava dunque avere una sua élite e
dei modi propri di esprimere il prestigio sociale. Il panorama cambia
dalla seconda metà del X secolo, quando gli acquisti sono opera pre-
valentemente di laici 35 e, soprattutto, non sono più riconoscibili pro-
fili di famiglie particolarmente attive ed emergenti dal quadro com-
plessivo, essendo gli acquisti polverizzati fra una quantita di soggetti :
la società rurale, che sembra avere assunto un aspetto meno differen-
ziato, includeva comunque ancora personaggi come Godeni, dotati di
ricchezza e prestigio tali da potere diventare conti (ma, come abbiamo
detto, le terre di Godeni dovevano provenire in gran parte dal patri-
monio di famiglia). D’altra parte un simile livellamento sembra avere
investito anche l’élite urbana : nel X secolo fra le altre famiglie aristo-
cratiche ne emergevano ancora alcune di prestigio e ricchezza deci-
samente superiore alla media, in particolare i discendenti del conte
e tesoriere Guido, fratello del principe Guaimario II  36, ma ciò non
accadeva più dagli ultimi decenni del X.

L’inclusione nella sfera delle istituzioni pubbliche era il modo in


cui nel principato salernitano si gestivano i rapporti con le società
rurali, con la conseguenza di un sistema condiviso di espressione
dell’eminenza sociale, che privilegiava la centralità cittadina. Una pic-
cola controprova viene dai territori all’estremo Sud del principato,
decisamente meno integrati, economicamente e socialmente, con la
capitale : quest’area era direttamente controllata dai principi, che
possedevano gran parte delle terre a titolo personale o come risorsa

33
 I figli di Selberam compiono acquisti in CDC, I, n. 12 (822) = CLA², L, n. 8: otto solidi;
CDC, I, n. 15 (826) = CLA², L, n. 11: tre solidi e due tremissi; CDC, I, n. 16 (835) = CLA²,
L, n. 13: un solido; CDC, I, n. 23 (843) = CLA², L, n. 18: 20 solidi; CDC, I, n. 24 (844) = CLA²,
L, n. 19: 14 solidi.
34
  CDC, I, n. 49 (857) = CLA², LI, n. 9; CDC, I, n. 57 (859) = CLA², LI, n. 18; CDC, I, n. 62
(866) = CLA², LI, n. 24; CDC, I, n. 72 (872) = CLA², LI, n. 32; CDC, I, n. 99 (884) = CLA²,
LII, n. 23; CDC, I, n. 104 (893) = CLA², LII, n. 27; CDC, I, n. 124 (908), 125 (909), 188
(955), 191 (956), 195 (957). Il più attivo è un presbitero Ractipert, che acquista terre in
CDC, I, n. 49 (857) = CLA², LI, n. 9: 35 solidi; CDC, I, n. 50 (857) = CLA², LI, n. 10: 16 solidi;
CDC, I, n. 57 (859) = CLA², LI, n. 18: 17 solidi; CDC, I, n. 62 (866) = CLA², LI, n. 24: ­quattro
tremissi.
35
  CDC, II, n. 241 (966), 332 (981), 401 (988), 436 (991), 493 (996); IV, n. 617 (1009),
625 (1009) ecc.
36
 Sulla famiglia vedi H. Taviani-Carozzi, La principauté lombarde…, op. cit., pp. 378-380,
444-445 e 736-740, con le osservazioni contenute in V. Loré, «L’aristocrazia salernitana…»,
op. cit., nota 4.

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poteri pubblici ed élites rurali nel mezzogiorno longobardo

del fisco  37, ma le proprietà di chiese private e di nobili salernitani


erano praticamente assenti. L’incolto era ancora dominante alla fine
del X secolo, quando i principi insediarono numerosi consorzi di
contadini liberi con concessione di terre pubbliche, il cui sfruttamento
sembra fosse disciplinato dagli stessi diplomi di concessione  38. Le
società rurali appaiono dunque qui poco differenziate, forse anche
per effetto di una precisa politica principesca, che mirava a fondare
comunità rurali solidali attraverso norme precise di sfruttamento
comunitario delle terre (del resto lo stanziamento di contadini liberi
su terre pubbliche era un fattore tradizionale dei domini longobardi,
non solo nel Mezzogiorno 39). In Cilento l’uso della titolatura legata
all’esercizio del potere appare diverso rispetto al resto del principato,
probabilmente per volontà degli stessi principi. Alcuni dei consorzi
stabiliti su terre pubbliche erano detti comitatus e i loro componenti
erano collettivamente definiti comites, non sappiamo se in relazione
all’esercizio di prerogative pubbliche  40. Ma i comites cilentani erano
con ogni probabilità personaggi di livello decisamente inferiore
rispetto a quelli che popolavano la corte salernitana e formavano l’en-
tourage principesco. Il diverso contesto sociale spiega un diverso uso
del titolo.

Se le istituzioni politiche salernitane erano fortemente inclusive


anche nei confronti delle élites rurali, a Capua e Benevento la ten-
denza era piuttosto orientata verso l’esclusione. A partire dalla seconda
metà del X secolo, quando la documentazione diviene abbastanza fitta
da consentire valutazioni del genere, il numero dei conti rimase
costante; il titolo passava quasi sempre di padre in figlio. A giudicare
dall’onomastica, nel contesto capuano particolarmente indicativa per
una spiccata tendenza alla conservazione, oltre metà dei conti appar-

37
  Per le proprietà familiari dei principi vedi CDC, VII, n. 1083 (1047) e R. Volpini, Diplomi
sconosciuti dei principi longobardi di Salerno e dei re normanni di Sicilia, in Raccolta di studi in
memoria di G. Soranzo (= Contributi dell’Istituto di Storia medievale dell’Università cattolica del Sacro
Cuore, I), Milano, 1968, n. 4 (1047), pp. 506-510. Sui documenti cfr. Taviani-Carozzi, La
principauté… cit., pp. 353-354 e 857-859. Per le terre del fisco vedi CDC, IX, n. 106 (1071),
126 e 127 (1072).
38
 Cfr. H. Taviani-Carozzi, La principauté lombarde…, op. cit., pp. 911-914.
39
 Sull’Italia meridionale vedi, recentemente, L. Feller, «L’économie des territoires de
Spolète et de Bénévent du vie au xe siècle», in I Longobardi dei ducati di Spoleto e Benevento.
Atti del XVI Congresso internazionale di studi sull’alto medioevo, Spoleto-Benevento, 2002, Spoleto,
2003, pp. 205-242.
40
  Per i comitatus cilentani vedi CDC, V, n. 834 (1031) e 859 (1033); cfr. H. Taviani-Carozzi,
La principauté lombarde…, op. cit., pp. 865-866.

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vito loré

teneva alla famiglia principesca; per molti il legame è esplicitamente


testimoniato  41. Inutile dire che le chiese nobiliari erano molto più
rare che a Salerno e non avevano un carattere così spiccatamente
familiare. I conti preferivano donare a grandi abbazie come Monte-
cassino e S. Vincenzo al Volturno, o beneficare i vescovati locali, come
per esempio fecero i conti di Isernia 42. Il complesso gioco di scambi
con le società rurali, espresso dalle chiese private salernitane, qui non
aveva luogo; i conti capuani tendevano semmai ad appropriarsi dei
beni fiscali in una dialettica conflittuale con i principi, che difende-
vano, oltre ai monasteri, i consorzi di coltivatori liberi, forse benefi-
ciari di concessioni analoghe a quelle cilentane 43.
La debolezza della chiesa privata a Capua-Benevento era dunque
espressione di un’élite molto più chiusa di quella salernitana rispetto
alle società rurali; un gruppo così ristretto e conservatore da non
ammettere (quasi) apporti dall’esterno. L’importanza in questi con-
testi dei beni pubblici e dei conflitti che provocavano svela per con-
verso un altro carattere delle istituzioni e della società salernitane,
dove conti e gastaldi non appaiono mai implicati nella gestione di
beni pubblici, dopo l’inizio del X secolo, con l’unica eccezione di un
caso cilentano  44. In ambito capuano-beneventano non fu così : le
pretese sui beni del fisco erano la manifestazione di una potenza comi-
tale che si concepiva come compartecipazione alla sfera pubblica, in
modo sostanzialmente paritario e non gerarchicamente sottomesso
all’autorità principesca  45. Nei territori più settentrionali del princi-
pato esistevano autonomie di fatto, per iniziativa non solo di soggetti
di recente affermazione, come la consorteria familiare dei Borrelli,

41
 Anticipo qui i primi risultati di una ricerca ancora in corso sull’aristocrazia capuana nei
secoli X e XI.
42
  Regii Neapolitani Archivi Monumenta, ed. A. Spinelli, A. de Aprea, M. Baffi, G. Genovesi
e G. Seguino, IV, Napoli, 1854, n. 272 (1004).
43
 Vedi per esempio E. Gattola, Ad historiam abbatiae Cassinensis accessiones, Venezia, 1734,
I, pp. 94-97 (999?).
44
 In CDC, IV, n. 605 (1008), p. 121, Adelberto e Rodelgrimo, i comites di Magliano, in
Cilento, rinunciano a eventuali diritti pubblici sulle terre di una chiesa sita nel territorio
da loro controllato e sugli uomini che la coltivano. L’onomastica sembra collegare i due
personaggi all’ambiente aristocratico salernitano, piuttosto che ai comitatus collettivi del
Cilento. H.  Taviani-Carozzi, La principauté lombarde…, op. cit., p. 1038 e nota 145, ha
espresso dei dubbi sull’autenticità del documento, ma la sua opinione è contrastata in modo
molto argomentato da G. Vitolo, «Il monastero», in F. Volpe (ed.), Mille anni di storia. San
Mango Cilento, Napoli, 1994, pp. 56-58.
45
 Indicazioni in V. Loré, «Sulle istituzioni…», op. cit., pp. 37-41.

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poteri pubblici ed élites rurali nel mezzogiorno longobardo

proveniente dal vicino Abruzzo di tradizione carolingia 46, ma anche


di personaggi che erano parte dello stesso ambiente aristocratico dei
principi, come i conti di Aquino 47.
Mentre l’atteggiamento inclusivo dei principi salernitani usava la
gerarchia degli ufficiali come strumento conservativo delle istituzioni,
centrate sulla capitale, a Capua e a Benevento la tendenza alla chiu-
sura dell’aristocrazia comitale non favorì l’integrazione sistematica di
soggetti emergenti dalle campagne e diede probabilmente forza alle
pretese di autonomia degli stessi conti, che tendevano a considerare
la loro compartecipazione al potere principesco come attributo fami-
liare ed ereditario, non estendibile ad altri soggetti. Il confronto fra
Salerno e Capua-Benevento, in un ambito comune di tradizione e di
appartenenza politica, mostra come ancora alla metà dell’XI secolo
la diffusione dei poteri locali fosse solo una delle possibilità di evolu-
zione nell’assetto delle campagne.

46
 Sui Borrelli vedi M. Del Treppo, «La vita economica e sociale in una grande abbazia del
Mezzogiorno: San Vincenzo al Volturno nell’alto Medioevo», in Archivio Storico per le Provin-
cie Napoletane, 35 (1956, nuova serie), pp. 104 sq., e C. Wickham, Il problema dell’incastella-
mento nell’Italia centrale. L’esempio di San Vincenzo al Volturno, Firenze, 1985, poi in P. Delogu,
F. De Rubeis, F. Marazzi, A. Sennis e C. Wickham, San Vincenzo al Volturno. Cultura, istitu-
zioni, economia, Montecassino, 1996, pp. 103-149, qui le pp. 115-116.
47
 Sui conti di Aquino vedi ancora F. Scandone, «Il gastaldato di Aquino dalla metà del
secolo IX alla fine del X», Archivio Storico per le Provincie Napoletane, 33 (1908), pp. 720-735
e 34 (1909), pp. 49-77; anche L. Feller, «La charte d’«incastellamento» de Sant’Angelo
in Theodice. Édition et commentaire», in D. Barthélemy e J.-M. Martin (dir.), Liber Lar-
gitorius. Études d’histoire médiévale offertes à Pierre Toubert par ses élèves, Ginevra, 2003,
pp. 93-94.

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Philippe Depreux

Hiérarchie et ordre au sein du palais :


l’accès au prince

E
n matière d’accès au prince et de sa régulation, la hiérarchie
permet de distinguer les personnes qui ont effectivement la
possibilité, en raison de leur rang ou de la qualité de leurs
relations, de demander audience au souverain et de lui présenter leur
requête, mais l’identité des intermédiaires ne reflète pas que les dif-
férences de prestige et d’entregent : elle dépend certainement autant
de la personnalité des protagonistes que de leur dignité. Dans le cadre
d’une réflexion collective sur la hiérarchie dans l’Occident médiéval,
l’on voudrait ainsi se demander en quoi la manière dont on appro-
chait le roi pour lui demander une faveur peut (ou ne peut pas) nous
aider dans l’appréhension des élites et de leur hiérarchisation. Fort
logiquement, la structure de la cour et l’identité de ses membres ont
depuis longtemps retenu l’attention des historiens 1 ; dans une pers-
pective diplomatique, on connaît bien le processus de prise de déci-
sion donnant lieu à l’expédition d’un diplôme 2, et parmi les tendan-

1
  À titre d’exemples, cf. J.-F. Lemarignier, Le gouvernement royal aux premiers temps capétiens
(987-1108), Paris, 1965 ; E. Bournazel, Le gouvernement capétien au xiie siècle, 1108-1180.
Structures sociales et mutations institutionnelles, Paris, 1975 ; J.  Boussard, Le gouvernement
d’Henri II Plantagenêt, Paris, 1956, notamment p. 339-394 (deuxième partie, chap. 6 : « Le
pouvoir central. La cour et le prince ») ; Ph. Depreux, Prosopographie de l’entourage de Louis
le Pieux (781-840), Sigmaringen, 1997 ; S. Glansdorff, Potentes saeculi. Pouvoir séculier et
royauté sous le règne de Louis le Germanique (826-876), thèse dactylographiée, 2 vol., université
libre de Bruxelles, 2006. Pour une approche chronologiquement plus large, cf. P. Moraw,
Deutscher Königshof, Hoftag und Reichstag im späteren Mittelalter, Stuttgart, 2002 (Vorträge und
Forschungen, 48) ; A. Marchandisse et J.-L. Kupper (dir.), À l’ombre du pouvoir. Les entou-
rages princiers au Moyen Âge, Genève, 2003 (Bibliothèque de la Faculté de philosophie et
lettres de l’université de Liège, 283). Sur l’influence exercée par le De ordine palatii d’Hinc-
mar de Reims, cf. W. Rösener, « Königshof und Herrschaftsraum : Norm und Praxis der
Hof- und Reichsverwaltung im Karolingerreich », in Uomo e spazio nell’alto medioevo, t. 1,
Spolète, 2003 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 50),
p. 443-478, notamment aux p. 453-462.
2
 R.-H. Bautier, « Critique diplomatique, commandement des actes et psychologie des
souverains du Moyen Âge », Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes rendus des séances,
1978, p. 8-26, p. 593-611, rééd. dans Id., Chartes, sceaux et chancelleries. Études de diplomatique
et de sigillographie médiévales, 2 vol., Genève, 1990 (Mémoires et documents de l’École des
chartes, 34) ; Id., « La chancellerie et les actes royaux dans les royaumes carolingiens »,

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philippe depreux

ces historiographiques récentes, on observe un intérêt accru pour


l’examen des « règles du jeu » politique  3. Mais – au-delà de ce qui
concerne la « mise en scène » – on prête somme toute trop peu d’at-
tention à l’étude des conditions d’accès au prince en tant que critère
d’appréciation des élites  4. Y a-t-il en la matière une aune à laquelle
on puisse mesurer le degré de prestige des personnes mentionnées
dans les sources ? – alors que leur mention même est peut-être déjà
révélatrice de leur appartenance à tel ou tel cercle ou d’un degré de
notoriété. À l’exception des communautés religieuses et de quelques
groupements de personnes – tels les Hispani aprisionaires que j’in-
cline à considérer comme des membres de l’élite de la Marche d’Es-
pagne 5 –, il est rarissime que les personnes obtenant un diplôme ne
soient pas de rang épiscopal, abbatial ou comtal, ou bien liées au roi
par un lien de vassalité. Lorsque le pouvoir se médiatise, vers la fin du
ixe siècle, on rencontre parfois des vassaux de vassaux royaux, mais
quasiment jamais de gens de moindre statut. Ce phénomène, qui
n’étonne pas outre mesure, contredit, dans la pratique, l’idéal souvent
ressassé d’un souverain accessible à tout un chacun.

Le mythe du souverain proche

L’idéal du roi proche n’est pas l’apanage des temps carolingiens,


tant s’en faut – Joinville en apporte le témoignage 6 :

Il arriva bien des fois qu’en été il allait s’asseoir au bois de Vincennes,
après sa messe, et s’adossait à un chêne et nous faisait asseoir autour de
lui. Et tous ceux qui avaient une affaire venaient lui parler, sans être gênés

Bibliothèque de l’École des chartes, 142 (1984), p. 5-80, rééd. dans Id., Chartes, sceaux…, ibid.,
p. 461-536.
3
  G. Althoff, Spielregeln der Politik im Mittelalter. Kommunikation in Frieden und Fehde, Darm-
stadt, 1997 ; Id., Inszenierte Herrschaft. Geschichtsschreibung und politisches Handeln im Mittelalter,
Darmstadt, 2003.
4
  G. Althoff, « Colloquium familiare – colloquium secretum – colloquium publicum. Beratung im
politischen Leben des früheren Mittelalters  », Frühmittelalterliche Studien, 24 (1990),
p. 145-167 [= Spielregeln der Politik…, ibid., p. 157-184] ; Id., « Verwandtschaft, Freundschaft,
Klientel. Der schwierige Weg zum Ohr des Herrschers », in Id., Spielregeln der Politik…, ibid.,
p. 185-198.
5
  Ph. Depreux, « Les préceptes pour les Hispani de Charlemagne, Louis le Pieux et Charles
le Chauve », in Ph. Sénac (dir.), Aquitaine – Espagne (viiie-xiiie siècle), Poitiers, 2001 (Civilisation
médiévale, 12), p. 19-38.
6
  Joinville, Vie de saint Louis, éd. J. Monfrin, Paris, 1995, p. 31 (c. 59).

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hiérarchie et ordre au sein du palais : l’accès au prince

par des huissiers ou par d’autres gens 7. Et alors, il leur demandait de sa


propre bouche : « Y a-t-il ici quelqu’un qui ait une affaire ? » Et ceux qui
avaient une affaire se levaient, et il leur disait : « Taisez-vous tous, et l’on
réglera vos affaires l’un après l’autre ». Et alors il appelait messire Pierre
de Fontaine [il s’agit du bailli de Vermandois] et messire Geoffroy de
Villette [un bailli, lui aussi] et il disait à l’un d’eux : « réglez-moi cette
affaire ».

Comme le note Jacques Le Goff, « (…) si saint Louis laisse venir


les plaignants à lui et les écoute, il les envoie, pour rendre la décision,
le jugement, aux spécialistes qui l’entourent 8 ». En fait, Joinville pro-
pose un modèle de gouvernement – qu’il oppose à celui des années
où il écrit, entre 1305 et 1309 – :

La scène (…) est faite pour souligner l’opposition entre la libre accessibi-
lité à la justice personnelle du roi et les écrans qui s’interposent entre les
plaignants et l’appareil judiciaire de plus en plus lourd, déjà un peu sous
Louis IX et beaucoup plus sous Philippe le Bel (…). C’est le modèle idéa-
lisé d’un gouvernement monarchique direct, personnel, qu’a connu le
jeune Joinville et qu’il oppose au modèle contemporain d’une monarchie
bureaucratique dont il déprécie, dans sa vieillesse et sa nostalgie, le fonc-
tionnement, et où il voit la personne du roi se dérober derrière elle 9.

Pour les temps carolingiens, on trouve l’équivalent chez l’Astro-


nome : la res publica était parvenue à un tel degré de félicité sous le
règne aquitain de Louis qu’il y avait à peine quelqu’un, lorsque le roi
se déplaçait ou bien séjournait dans son palais, pour se plaindre d’une
injustice commise dans le cadre d’un procès ; en effet, Louis siégeait
trois jours par semaine 10. Il y a vraiment un idéal – voire un mythe –
du prince accessible. L’idéal est explicité par certains évêques, tels
Jonas d’Orléans ou Hincmar de Reims – mais on pourrait aussi évo-
quer les propos moralistes d’Helgaud de Fleury dans sa Vie de Robert
le Pieux 11. Ainsi, Jonas écrit :

7
  Généralement, les membres de l’entourage royal sont un passage obligé, voire font écran.
En ce qui concerne le haut Moyen Âge, cf. Ph. Depreux, « Le rôle du comte du Palais à la
lumière des sources relatives au règne de l’empereur Louis le Pieux (814-840) », Frühmit-
telalterliche Studien, 2000 (34), p. 94-111.
8
  J. Le Goff, Saint Louis, Paris, 1996, p. 703.
9
  J. Le Goff, Saint Louis…, ibid., p. 484, note 4.
10
  Astronomus, Das Leben Kaiser Ludwigs, éd. E. Tremp, MGH, Scriptores rerum Germanicarum
in usum scholarum separatim editi, 64, Hanovre, 1995, p. 340 (c. 19).
11
  Helgaud de Fleury, Vie de Robert le Pieux (Epitoma vitae regis Roberti), éd. R.-H. Bautier
et G. Labory, Paris, 1965 (Sources d’histoire médiévales publiées par l’Institut de recherche

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philippe depreux

Il faut en vérité que le roi fasse entrer à son audience la cause des pauvres
et l’examine avec diligence ; nous sommes amenés à le comprendre quand
nous lisons que dans les temps anciens les juges siégeaient, pour juger, à
la porte de la ville, afin que nul citoyen n’ait de difficulté d’accès ou ne
doive supporter la violence ou la calomnie. C’est ainsi que Jérusalem fut
appelée la cité du juste, aussi longtemps qu’on y rendit la justice, car les
juges n’y laissaient pas subsister l’iniquité 12.

Quant à Hincmar, il se souvient que

tandis que ces délibérations avaient lieu en l’absence du roi, celui-ci res-
tant avec la foule recevait les présents, saluait les grands, s’entretenait avec
ceux qu’il voyait rarement, compatissait aux souffrances des vieillards, se
réjouissait avec les jeunes… 13.

On peut toutefois se demander si certaines évocations ne relèvent


pas plutôt du mythe. Tel est peut-être le cas en ce qui concerne l’abo-
lition des clivages au sein de la cour décrite par Éginhard :

Quand il se baignait, la société était nombreuse : outre ses fils, ses grands,
ses amis et même de temps à autre la foule de ses gardes du corps étaient
conviés à partager ses ébats et il arrivait qu’il y eût dans l’eau avec lui
jusqu’à cent personnes ou même davantage 14.

Parfois, l’accès direct au roi est un moyen, pour le narrateur (bio-


graphe ou hagiographe) de mettre en valeur son héros, comme l’il-
lustre le cas de saint Willehad : désireux de partir évangéliser les Fri-
sons et les Saxons, il se rend auprès du roi 15 (accessit ad regem) et lui
demande en pleurant l’autorisation de partir ; ce dernier convoque
alors un synode « pas peu grand » 16. L’état de la documentation ne

et d’histoire des textes, 2), p. 76 (c. 11). À ce propos, cf. C. Carozzi, « Le roi et la liturgie
chez Helgaud de Fleury », in Hagiographie, cultures et sociétés, ive-xiie siècle. Actes du colloque
organisé à Nanterre et à Paris (2-5 mai 1979), Paris, 1981, p. 417-432.
12
  Jonas d’Orléans, Le métier de roi (De institutione regia), éd. A. Dubreucq, Paris, 1995
(Sources chrétiennes, 407), p. 206-207 (c. 5).
13
  Hincmar de Reims, De ordine palatii, éd. T. Gross et R. Schieffer, MGH, Fontes iuris
Germanici antiqui in usum schlorarum separatim editi, 3, Hanovre, 1980, p. 92 (c. 7). Le texte
est cité d’après la traduction de Maurice Prou : Hincmar, De ordine palatii, texte latin traduit
et annoté, Paris, 1885 (Bibliothèque de l’École des hautes études, 58), p. 91 (c. 35).
14
  Éginhard, Vie de Charlemagne, éd. L. Halphen, Paris, 1938, p. 69 (c. 22).
15
 Il s’agit d’Alchred, roi de Northumbrie, 765-774.
16
  Vita s. Willehadi, in Acta sanctorum. Novembris, t. 3, éd. C. De Smedt et alii, Bruxelles, 1910,
p. 843 (c. 1) : (…) convocato ad se episcoporum aliorumque Dei servorum non minimo conventu
(…). Cette Vita fut rédigée à Echternach sous le règne de Lothaire Ier, cf. G. Niemeyer, « Die

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hiérarchie et ordre au sein du palais : l’accès au prince

nous permet pas d’avoir quelque certitude sur cette assemblée, qui
n’est pas attestée par ailleurs 17. On peut en outre se demander si ce
n’est pas, au contraire, à la faveur d’un synode que le prêtre Willehad
se fraya un chemin jusqu’au roi.

L’accès au prince et le respect de l’ordre

Gerd Althoff a montré – à partir de sources narratives des temps


ottoniens et saliens – qu’il est indispensable d’attendre le moment
opportun et de faire plaider sa cause par un parent du souverain ou
une personne bien en cour 18. Pour cela, il se fonde essentiellement
(voire exclusivement) sur les sources narratives. Or, il me semble indis-
pensable de confronter les sources narratives aux actes de la pratique.
Examinons quelques exemples illustrant la complémentarité néces-
saire entre diverses sources de nature différente – lorsqu’on a la
chance d’en disposer. Un moine de Saint-Gall, Ratpert, relate com-
ment la communauté élut Hartmut comme successeur de Grimald 19 ;
une délégation se rendit à la cour de Louis le Germanique en com-
pagnie du nouvel abbé et le roi confirma l’immunité de l’abbaye  20.
Les propos de Ratpert sont corroborés par le diplôme du 1er février
873 donné à Francfort, c’est-à-dire le palais principal de Louis le Ger-
manique, où le roi a coutume de régler les affaires générales du
royaume de Francie orientale  21. Or ce privilège se présente comme
une confirmation d’immunité classique et ne mentionne que la
requête du seul abbé, de manière stéréotypée  22. Plus révélatrice de

Herkunft der Vita Willehadi », Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 12 (1956),
p. 17-35.
17
 C. Cubitt, Anglo-Saxon Church Councils, c. 650-c. 850, Londres, 1995, p. 291.
18
  G. Althoff, « Verwandtschaft, Freundschaft… », op. cit.
19
 L’abbé Grimald était mort le 13 juin 872.
20
  Ratpert, St. Galler Klostergeschichten (Casus sancti Galli), éd. H. Steiner, MGH, Scriptores
rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 75, Hanovre, 2002, p. 218-220 (c. 29) :
Post obitum vero Grimaldi fratres iuxta permissam sibi licentiam protinus cum maximo unanimitatis
consensu Hartmotum sibi elegerunt abbatem. Cum quo pariter quidam de senioribus fratrum ad piis-
simum regem Hludowicum devenerunt. Qui cum eorum consensum et desiderium comperisset, sicut
prius disposuit, Hartmoto monasterium cum omni securitatis libertate contradidit, nulla addita vel
interposita causa, per quam aliquomodo ulterius violari potuisset huius securitatis integritas.
21
 T. Zotz, « Ludwig der Deutsche und seine Pfalzen. Königliche Herrschaftspraxis in der
Formierungsphase des Ostfränkischen Reiches », in W. Hartmann (dir.), Ludwig der Deutsche
und seine Zeit, Darmstadt, 2004, p. 27-46.
22
  Die Urkunden Ludwigs des Deutschen, Karlmanns und Ludwigs des Jüngeren, éd. P. Kehr, MGH,
Diplomata regum Germaniae ex stirpe Karolinorum, 1, Berlin, 1934, p. 200-202 (diplôme de

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l’écran que constitue le moule diplomatique est la comparaison du


Casus S. Galli et d’un diplôme de Charles le Gros à propos de la dona-
tion à Saint-Gall par l’empereur du Mont Saint-Victor (Viktorsberg),
dans le Vorarlberg. Le diplôme du 23 septembre 882 relate que l’em-
pereur donna divino, ut credimus, instinctu le Mont Saint-Victor, où fut
édifiée une église desservie par « une assemblée (conventus) religieuse
de quelques Scotti » 23. Or, Ratpert affirme que l’empereur fit faire ce
diplôme rogante Eusebio Scottigena, qui vivait là comme reclus depuis
trente ans 24. Certes, ces exemples illustrent l’intérêt des témoignages
narratifs en complément de la documentation diplomatique, mais il
n’est pas certain que le discours, si important dans l’histoire des repré-
sentations 25, jette un jour toujours plus clair – ou soit seul à jeter un
jour – sur les pratiques sociales et les enjeux du recours aux intermé-
diaires que le témoignage plus sec des sources diplomatiques. En tout
cas, il convient de se montrer prudent quant au crédit qu’on peut
prêter aux sources narratives. Ainsi, d’après Flodoard, les comtes se
détournèrent du roi Charles le Simple à cause d’Haganon, son
conseiller, quem de mediocribus potentem fecerat 26. Richer brode là-dessus
une hostilité du comte Robert, qui aurait refusé d’être traité moins
bien qu’Haganon  27. En réalité, Haganon n’était pas de si médiocre
origine qu’on l’a affirmé 28. Quant à ses interventions, elles sont men-
tionnées dans six diplômes datant d’entre 917 et 922 – cela représente
un cinquième des actes de cette période  29 – : ce personnage était
certes important, mais probablement moins incontournable que
Richer veut nous le faire croire. Qui plus est, l’influence de tel ou tel
personnage ne permet pas de s’affranchir totalement du protocole.

Louis le Germanique n° 144). Cet acte est, de fait, le premier document du chartrier de
Saint-Gall où Hartmut est attesté comme abbé.
23
  Die Urkunden Karls III., éd. P. Kehr, MGH, Diplomata regum Germaniae ex stirpe Karolinorum,
2, Berlin, 1937, p. 101-103 (n° 60).
24
  Ratpert, St. Galler…, op. cit., p. 230 (c. 31).
25
 Sur la diversité des modes d’appréhension de cette problématique, cf. désormais
H.-W. Goetz, Vorstellungsgeschichte. Gesammelte Schriften zu Wahrnehmungen, Deutungen und
Vorstellungen im Mittelalter, Bochum, 2007.
26
  Les Annales de Flodoard, éd. P. Lauer, Paris, 1905, p. 2 (a. 920).
27
  Richer, Histoire de France (888-995), éd. R. Latouche, Paris, 1930, t. 1, p. 38-42 (I,
c. 16).
28
  Ph. Depreux, « Le comte Haganon, favori de Charles le Simple, et l’aristocratie d’entre
Loire et Rhin », in M. Gaillard et M. Margue (dir.), De la mer du Nord à la Méditerranée :
Francia Media, une région au cœur de l’Europe. Actes du colloque de Metz/Luxembourg/Trèves, février
2006, à paraître.
29
  Recueil des actes de Charles III le Simple, roi de France, éd. P. Lauer, Paris, 1940. Il s’agit des
actes n° 90, 95, 106, 108, 112 et 121.

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hiérarchie et ordre au sein du palais : l’accès au prince

De même que l’accueil du roi dans une cité ou dans un monastère


est mis en scène 30, l’abord du souverain est soumis à certaines règles.
Ainsi, Ermold le Noir décrit l’empressement des Orléanais à voir Louis
le Pieux, le nouvel empereur : « ils le joignent enfin et le pieux roi les
accueille tous, chacun selon son rang (ordo), avec bonté (cum pietatis
ope) 31 ». L’ordre n’est donc pas aboli par l’empressement ! L’on pour-
rait aussi évoquer la description, par Notker le Bègue, de la visite
d’une ambassade byzantine à la cour de Charlemagne, qui – de
manière certes polémique concernant les relations avec l’Empire
d’Orient – met en scène une gradation dans l’accès à l’empereur  32.
La cour, en raison du protocole qui lui est inhérent, est un lieu par
excellence de l’expression de la hiérarchie – c’est de l’époque caro-
lingienne que datent les premières descriptions concernant la cour
médiévale occidentale  33, voire des documents normatifs  34 ; il faut

30
  P. Willmes, Der Herrscher-“Adventus” im Kloster des Frühmittelalters, Munich, 1976 (Mün-
stersche Mittelalter-Schriften, 22).
31
  Ermold le Noir, Poème sur Louis le Pieux et Épîtres au roi Pépin, éd. E. Faral, Paris, 1932,
p. 62 (In honorem Hludowici, I, v. 788-789). À ce propos, cf. Ph. Depreux, « La pietas comme
principe de gouvernement d’après le Poème sur Louis le Pieux d’Ermold le Noir », in J. Hill
et M. Swan (dir.), The Community, the Family and the Saint : Patterns of Power in Early Medieval
Europe, Selected Proceedings of the International Medieval Congress, University of Leeds, 4-7 July
1994, 10-13 July 1995, Turnhout, 1998, p. 201-224.
32
  Notker der Stammler, Taten Kaiser Karls des Grossen (Gesta Karoli magni imperatoris), éd.
H. H. Haefele, MGH, Scriptores rerum Germanicarum, Nova series, 12, Berlin, 1959, p. 55-57
(II, c. 6). Les études consacrées aux Gesta Karoli de Notker sont nombreuses ; cf. notamment
H.  Löwe, « Das Karlsbuch Notkers von St. Gallen und sein zeitgeschichtlicher Hinter-
grund », Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, 20 (1970), p. 269-302 ; H.-W. Goetz, Struk-
turen der spätkarolingischen Epoche im Spiegel der Vorstellungen eines zeitgenössischen Mönchs. Eine
Interpretation der « Gesta Karoli » Notkers von Sankt Gallen, Bonn, 1981 ; D. Ganz, « Humour
as history in Notker’s Gesta Karoli magni », in E. B. King, J. T. Schaefer et W. B. Wadley
(dir.), Monks, Nuns, and Friars in Mediaeval Society, Sewanee, 1989 (Sewanee Medieval Stud-
ies, 4), p. 171-183 ; S. MacLean, Kingship and politics in the late ninth century. Charles the Fat
and the end of the Carolingian Empire, Cambridge, 2003 (Cambridge Studies in Medieval Life
and Thought. Fourth series, 57), p. 199-229. Sur la représentation de Charlemagne, la
bibliographie est également abondante ; à titre d’exemple, on peut citer : J. Semmler, « Der
vorbildliche Herrscher in seinem Jahrhundert : Karl der Große », in H. Hecker (dir.), Der
Herrscher. Leitbild und Abbild in Mittelalter und Renaissance, Düsseldorf, 1990 (Studia huma-
niora, 13), p. 43-58.
33
 La source principale s’avère l’admonitio adressée au roi Carloman par l’archevêque Hinc-
mar de Reims, qui dit s’inspirer d’un traité plus ancien, dû à Adalhard de Corbie : Hincmar
de Reims, De ordine palatii…, op. cit., MGH. Sur la critique implicite ou explicite de la cour
que peut receler la description de cette dernière, cf. R. Köhn, « Militia curialis. Die Kritik
am geistlichen Hofdienst bei Peter von Blois und in der lateinischen Literatur des 9.-12.
Jahrhunderts », in A. Zimmermann (dir.), Soziale Ordnungen im Selbstverständnis des Mittelalters,
Berlin, 1979 (Miscellanea mediaevalia, 12/1), p. 227-257.
34
 Notamment le Capitulare de disciplina palatii Aquisgranensis : Capitularia regum Francorum,
éd. A.  Boretius, MGH, Capitularia regum Francorum, 1, Hanovre, 1883, p.  297-298

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ensuite attendre le xiie siècle pour trouver quelque chose de similaire,


avec la Constitutio domus regis 35 écrite entre 1135 et 1139 pour instruire
Étienne de Blois de l’entretien de la cour sous Henri Ier. Au bas Moyen
Âge, en revanche, les sources sont plus nombreuses, notamment cel-
les ressortissant au genre documentaire des ordonnances de l’hôtel,
qui se multiplient à partir de la seconde moitié du xiiie siècle 36. Not-
ker le Bègue évoque une hiérarchie (théorique) du palais dans une
anecdote relative aux conditions dans lesquelles Charlemagne et les
membres de la cour prenaient leur repas  37 : un évêque reproche à
Charlemagne de dîner avant le soir en temps de carême ; pour faire
comprendre au prélat qu’il agit ainsi par souci de miséricorde, le
souverain lui ordonne de ne manger qu’après le dernier de ses servi-
teurs – le repas du roi est servi par les ducs, puis c’est aux comtes de
dîner et ainsi de suite, en descendant les degrés de la hiérarchie.
Quant aux distributions d’argent aux palatins indigents 38, elles plai-
dent aussi en faveur d’une hiérarchie – socio-économique, cette fois.
On peut toutefois se demander si les auteurs ne ressentent pas d’autant
plus le besoin de décrire et d’exalter la cour qu’ils n’en font pas par-
tie. Il est en effet possible d’opposer Ermold le Noir ou Notker le
Bègue au palatin Éginhard ou à Suger, qui se dit incidemment l’un
des familiares de Louis VI, mais qui ne décrit pas explicitement la
cour 39.

La recommandation ou la nécessité d’être introduit

La nécessité de recourir à un intermédiaire pour accéder au roi


est implicitement reconnue par Ermold le Noir, qui donne des conseils
à sa Muse, Thalie, lorsqu’il l’envoie à la cour de Pépin d’Aquitaine, à

(n° 146).
35
 Ce texte est édité dans : Richard Fitz Nigel, Dialogus de Scaccario. The Course of the
Exchequer, and Constitutio Domus Regis. The Establishment of the Royal Household, éd. C. John-
son, Oxford, 1983, p. 129-135.
36
 Cf. W. Paravicini, « Europäische Hofordnungen als Gattung und Quelle », in H. Kruse
et W. Paravicini (dir.), Höfe und Hofordnungen, 1200-1600, Sigmaringen, 1999 (Residenz-
forschung, 10), p. 13-20.
37
  Notker der Stammler, Gesta Karoli…, op. cit., p. 338 (I, c. 11).
38
  Notker der Stammler, Gesta Karoli…, ibid., p. 366 (I, c. 29).
39
  Suger, Vie de Louis VI le Gros, éd. H. Waquet, Paris, 1929, p. 280 (c. 34) : Nos autem
familiares ejus et quoscumque sanioris consilii repperire potuit… Sur Éginhard, cf. H. Schefers
(dir.), Einhard. Studien zu Leben und Werk, Darmstadt, 1997 (Arbeiten der Hessischen Histo-
rischen Kommision, N.F., 12).

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hiérarchie et ordre au sein du palais : l’accès au prince

Angeac  40 : « En cette nombreuse cour il se trouvera certainement


quelque ami pour vouloir te présenter au roi » – elle devra saluer
Pépin en lui baisant les pieds, puis attendre en pleurant qu’il l’inter-
roge. Quant à Hincmar de Reims, il souligne la nécessité de bien
choisir les membres du palais pour que chacun, en fonction de sa
qualité, puisse avoir un intermédiaire en mesure de faire parvenir sa
plainte aux pieuses oreilles du prince 41.
Certaines sources montrent qu’il faut être introduit pour que les
choses se débloquent. C’est le cas d’une notice de Saint-Martin de
Tours datant de mai 926. Des biens des chanoines sis en Poitou avaient
été usurpés par le vicomte de Thouars, Savary  ; leur protestation
auprès du comte Ebles Manzer resta vaine alors qu’ils s’efforçaient de
récupérer ces biens six ans durant. Ayant eu l’occasion d’en parler à
leur abbé, Hugues le Grand, les chanoines reçurent de lui le conseil
de se plaindre auprès du comte de Poitou, « son ami particulier »
(specialis amicus), au nom de saint Martin et en son nom propre. Par-
venant à Loudun, ils exposèrent au vicomte Aimery la misère qui avait
conduit leur abbé à les envoyer auprès de « son ami » le comte de
Poitou ; Aimery compatit et les fit patienter pendant que lui-même
arrangeait la chose avec Savary ; une fois l’affaire réglée, l’accord fut
confirmé par le comte et l’évêque de Poitiers  42. De même, dans les
Gesta des abbés de Redon (rédigés vers 917-924), il est relaté com-
ment, en 832, Conwoion se rendit auprès de Louis le Pieux en Limou-
sin, pour lui demander sa protection et des terres ; le comte de Nan-
tes, Ricouin, et l’évêque de Vannes, Rainier, s’y opposèrent et
Conwoion fut chassé de la cour  43. En une autre occasion, alors que
l’empereur se trouvait à Tours, Conwoion essaya à nouveau, en vain 44
– son compagnon de route était alors un certain Cumdeluc, bien
connu des chanoines de Saint-Martin 45. Un peu plus tard, Nominoë
fut accueilli solennellement à Redon et il donna la plebs de Bains à la
communauté, pro anima Ludovici imperatoris – de fait, l’acte de dona-

40
  Ermold le Noir, Poème sur Louis…, op. cit., p. 206 (v. 53-54).
41
  Hincmar de Reims, De ordine palatii…, op. cit. (éd. MGH, p. 78), c. 5/25.
42
 É. Mabille, La pancarte noire de Saint-Martin de Tours brûlée en 1793, restituée d’après les
textes imprimés et les manuscrits, Paris, 1866, p. 128-129 (n° CXVI).
43
  The monks of Redon, Gesta Sanctorum Rotonensium and Vita Conuuoionis, éd. C. Brett,
Woodbridge, 1989, p. 132-134 (Gesta, I, c. 8).
44
  The monks of Redon, Gesta…, ibid., p. 134-136 (Gesta, I, c. 9).
45
 Cf. l’évocation des « Bretons » dans la Vie d’Alcuin : Vita Alcuini, éd. W. Arndt, MGH,
Scriptores 15/1, Hanovre, 1887, p. 193 (c. 18). À ce propos, cf. B. Merdrignac, « Bretons
et Irlandais en France du Nord, vie-viiie siècle », in J.-M. Picard (dir.), Ireland and Northern
France, AD 600-850, Dublin, 1991, p. 119-142, à la p. 141.

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tion de 834 est accompli en aumône pour Louis, en considération de


ses déboires politiques 46. Le missus breton envoya alors lui-même une
délégation à la cour et elle fut bien reçue – elle bénéficia de l’entre-
mise d’Hermor, évêque d’Alet 47 – : c’est donc le ralliement de Nomi-
noë à la fondation de Redon et son intervention en faveur de l’abbaye
qui entraînèrent l’adhésion de l’empereur au projet.
Le choix de l’intermédiaire semble vraiment avoir été essentiel.
C’est ce qu’illustre l’exemple suivant. En 899, les moines de Saint-
Amand obtinrent de Charles le Simple la confirmation de leurs pos-
sessions et de leur privilège d’immunité. Les préceptes établissant
leurs droits furent présentés au roi par « le vénérable Foulques, arche-
vêque de Reims, qui nous est très cher (nobis carissimus) 48 ». L’entre-
mise de Foulques n’est pas incongrue, puisqu’il était alors archichan-
celier, mais c’est en tant qu’archevêque de Reims qu’il intervint – plus
loin dans le texte, le vénérable archevêque formule la requête et
demande la confirmation des privilèges. Ses interventions sont rares :
outre ce diplôme, son entremise n’est attestée qu’une seule fois, en
894, en commun avec la reine mère, Adélaïde, en faveur de l’évêque
Francon de Liège 49. La communauté de Saint-Amand n’était pas sans
abbé en 899, mais il s’agissait de Robert, le frère d’Eudes ; elle jugea
probablement plus opportun de s’en remettre, pour sa requête, au
fidèle prélat qui, en 893, avait sacré le roi Charles  50. Or l’obtention
d’une faveur pouvait s’avérer un véritable marathon. Grâce à la cor-
respondance de Loup de Ferrières, nous sommes bien renseignés sur
les démarches accomplies et les difficultés rencontrées par cet abbé,
pourtant bien introduit pour obtenir la restitution de la celle Saint-
Josse : il s’adressa au sénéchal Alard, oncle de la reine Ermentrude, à
Hugues, le propre oncle de Charles le Chauve, à l’abbé de Prüm,
Marcward, ancien précepteur du roi, au chancelier Louis, abbé de

46
 Sur l’enjeu politique que revêt la fondation de l’abbaye de Redon, cf. J. M. H. Smith,
« Culte impérial et politique frontalière dans la vallée de la Vilaine : le témoignage des
diplômes carolingiens dans le cartulaire de Redon », in Landévennec et le monachisme breton
dans le haut Moyen Âge. Actes du colloque du 15e centenaire de l’abbaye de Landévennec, 25-27 avril
1985, s. l. [Landévennec], 1986, p. 129-139.
47
  The monks of Redon, Gesta…, op. cit., p. 136-140 (I, c. 10). Sur l’évêque d’Alet, cf.
Ph. Depreux, Prosopographie…, op. cit., p. 244.
48
  Recueil des actes de Charles III le Simple…, op. cit., t. 1, p. 29-33 (n° 18).
49
  Recueil des actes de Charles III le Simple…, ibid., p. 5-7 (n° 5).
50
  G. Schneider, Erzbischof Fulco von Reims (883-900) und das Frankenreich, Munich, 1973
(Münchener Beiträge zur Mediävistik und Renaissance-Forschung, 14), p. 224-225.

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hiérarchie et ordre au sein du palais : l’accès au prince

Saint-Denis, à l’archevêque Hincmar de Reims, et directement au roi


lui-même, à deux reprises au moins 51.

Le filtrage

L’accès au souverain était soumis à un certain filtrage, explicite-


ment évoqué à propos du comte du palais dans la Vie de Charlemagne
par Éginhard 52 :

Tandis qu’il se chaussait et s’habillait, il recevait diverses personnes en


dehors de ses amis  53. Si le comte du palais lui signalait un procès qui
réclamait une décision de sa part, il faisait aussitôt introduire les plaideurs
et, comme s’il eût été au tribunal, écoutait l’exposé de l’affaire et pronon-
çait la sentence. C’est aussi le moment où il réglait le travail de chaque
service et donnait ses ordres.

Or le comte du palais était loin d’avoir l’exclusivité du filtrage que


lui attribue également Hincmar en son De ordine palatii  54 – une pré-
rogative qu’il était censé partager avec l’archichapelain. L’exemple à
mon sens le plus significatif est celui du comte d’Orléans, Matfrid, un
personnage d’autant plus intéressant que son influence à la cour était
grande alors même qu’il n’était pas pourvu d’une fonction aulique 55.
À propos de la cour de Louis le Pieux, on peut également citer le
témoignage d’Ardon relatif à Benoît d’Aniane 56 :

Après [l’installation à Inden], l’homme de Dieu se mit à franchir les por-


tes du palais et à supporter de nouveau, en vue de l’utilité générale, le
tumulte des cours jadis abandonné. Tous ceux, en effet, qui ayant eu à

51
  Loup de Ferrières, Correspondance, éd. L. Levillain, 2 vol., Paris, 1927-1935. On trou-
vera toutes les références utiles dans l’introduction à l’édition du diplôme du 27 décembre
843 : Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, éd. G. Tessier, t. 1, Paris, 1943,
p. 74-77 (n° 30). Sur la correspondance de Loup de Ferrières, cf. A. Ricciardi, L’epistolario
di Lupo di Ferrières. Intellettuali, relazioni culturali e politica nell’età di Carlo il Calvo, Spolète, 2005
(Istituzioni e società, 7).
52
  Éginhard, Vie de Charlemagne…, op. cit., p. 73 (c. 24).
53
 Éginhard s’inspire ici de ce que Suétone relate à propos de Vespasien et d’Auguste.
54
 Cf. Ph. Depreux, « Le rôle du comte du Palais… », op. cit.
55
 Cf. Ph. Depreux, « Le comte Matfrid d’Orléans (avant 815-† 836) », Bibliothèque de l’École
des chartes, 152 (1994), p. 331-374.
56
  Vita Benedicti abbatis Anianensis et Indensis auctore Ardone, éd. G. Waitz, MGH, Scriptores,
t. 15/1, Hanovre, 1887, p. 215 (c. 35) ; Ardon, Vie de Benoît d’Aniane, éd. P. Bonnerue,
F.  Baumes et A.  de Vogüé, Bégrolles-en-Mauges, 2001 (Vie monastique, 39), p.  94-95
(c. 35).

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souffrir de la part de quelqu’un, demandaient les suffrages impériaux, se


rendaient auprès de Benoît qui les recevait à bras ouverts, les embrassait
et présentait à l’empereur, en temps opportun, leurs plaintes écrites sur
des cédules. Le sérénissime empereur avait pris l’habitude de chercher
parfois ces suppliques en palpant le mouchoir et les manches de Benoît
– c’est là en effet que, de peur de les oublier, il les mettait –, il les lisait
ensuite et accordait ce qui lui paraissait le plus utile. Volontiers l’empereur
prenait ainsi connaissance des diverses doléances, et c’est pour cette raison
qu’il voulait que Benoît se rendît souvent au palais. En effet, il y en avait
beaucoup qui donnaient à l’empereur leur avis sur l’administration du
royaume, la situation des provinces et leurs propres besoins, mais aucun
ne s’intéressait autant aux souffrances des malheureux, nul ne montrait
au roi autant que lui la pauvreté des moines. […] Aussi, bien qu’il fût
attentif aux besoins de tous, il intervenait avec zèle pour les besoins des
moines.

Ce récit est d’autant plus intéressant que les interventions de


Benoît attestées dans les diplômes se limitent à Aniane – il intervient
pour cet établissement même après qu’il en a quitté la direction –,
alors que son influence sur la politique ecclésiastique de Louis le
Pieux est indéniable  57. C’est ce rôle, bien attesté par ailleurs, qui
permet de penser que notre absence d’information sur des requêtes
précises relève plus du hasard que d’une volonté, de la part d’Ardon,
d’enjoliver la réalité – même si ce souci n’est pas absent de sa descrip-
tion de l’attitude de Louis le Pieux.
En matière de filtrage, on dispose d’un témoignage diplomatique
particulier : la mention « N. ambasciavit ». Tant Benoît d’Aniane que
Matfrid sont attestés en tant qu’ambasciatores 58 – le substantif est une
invention moderne. Si l’on se réfère au règne de Charlemagne, Fulrad
est souvent mentionné au cours des premières années  59 ; dans les
affaires italiennes, le roi Pépin semble incontournable 60. Selon la défi-
nition de R.-H. Bautier, « la formule N. ambasciavit indique la per-
sonne qui a instruit l’affaire et commandé effectivement l’acte par
délégation 61 ». Les formules qu’on trouve dans les diplômes carolin-
giens sont diverses – G. Tessier n’exclut pas un certain phénomène

57
 Cf. Ph. Depreux, Prosopographie…, op. cit., p. 123-129.
58
  Ph. Depreux, Prosopographie…, ibid., p. 57-59.
59
  Die Urkunden Pippins, Karlmanns und Karl des Grossen, éd. E. Mühlbacher, MGH, Diplomata
Karolinorum, 1, Hanovre, 1906, n° 104, 139, 140 et 150.
60
  Die Urkunden Pippins…, ibid., n° 183, 202 et 208.
61
 R.-H. Bautier, « La chancellerie… », op. cit., p. 34.

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de mode à ce propos 62 –, bien que ces mentions en notes tironiennes


se raréfient dans la seconde moitié du ixe siècle. L’énumération des
personnes ayant fait fonction d’« ambasciatores » fait ainsi partie des
éléments attendus de toute étude sur la chancellerie de tel ou tel
souverain. Or, l’intervention de hauts personnages doit nous conduire
à ne pas nous limiter à cet aspect très technique. Si la différence entre
intercesseur et requérant pour autrui est de quelque intérêt dans le
cadre d’un travail diplomatique, du point de vue de l’histoire sociale,
la subtilité semble relativement négligeable.

Les intermédiaires : nature et fonction

Tout d’abord, il convient de souligner un phénomène intriguant :


nombre d’actes ne mentionnent pas l’intervention d’une tierce per-
sonne. Est-ce pour autant à dire qu’il n’y en avait pas ? Cela s’avère
peu probable. Prenons quelques exemples : le diplôme de Charlema-
gne de 799 restituant au Lombard Aio ses biens confisqués ne men-
tionne pas d’intermédiaire  63, ce qui – eu égard au contexte et aux
faits qui lui étaient reprochés 64 – semble tout simplement impensable
– cet acte n’est pas conservé en original ; il n’est connu que par une
copie – ; de même, le diplôme par lequel Charles le Chauve, en 843,
promet la restitution à l’abbaye de Ferrières de la celle Saint-Josse ne
souffle mot de l’intercession du sénéchal Alard – c’est par une lettre
de Loup qu’on en a connaissance 65. Au contraire, un diplôme de 808
restituant des biens héréditaires à un Lombard ayant été livré comme
otage fut donné à la requête de Pépin d’Italie – cette mention figure
dans le texte 66 – ; de même, un diplôme de 797 restituant ses biens à
un comte soupçonné d’avoir trempé dans la conjuration de Pépin le

62
  G. Tessier, Diplomatique royale française, Paris, 1962, p. 108.
63
  Die Urkunden Pippins…, op. cit., n° 187.
64
 C’est probablement à la suite de sa participation à la révolte du duc de Frioul, Rodgaud,
qu’Aio avait trouvé refuge chez les Avars, où Pépin d’Italie le fit prisonnier en 796. À ce
propos, cf. W. Pohl, Die Awaren. Ein Steppenvolk in Mitteleuropa, 567-822 n. Chr., Munich,
1988 (2e éd. 2002), p. 313 ; sur le destin ultérieur de ce personnage, cf. S. Esders, « Regio-
nale Selbstbehauptung zwischen Byzanz und dem Frankenreich. Die inquisitio der Rechts-
gewohnheiten Istriens durch die Sendboten Karls des Großen und Pippins von Italien », in
S. Esders et T. Scharff (dir.), Eid und Wahrheitssuche. Studien zu rechtlichen Befragungsprakti-
ken in Mittelalter und früher Neuzeit, Francfort-sur-le-Main, 1999, p. 49-112, à la p. 50, n. 4.
65
 Cf. supra note 51.
66
  Die Urkunden Pippins…, op. cit., n° 208.

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Bossu fut obtenu grâce à l’intervention du comte Méginhard qui


ambasciavit – selon la mention en notes tironiennes 67.
On trouve quelques rarissimes mentions d’intervention de tiers
dans les actes mérovingiens – vers l’extrême fin du viie siècle et au
début du viiie siècle, c’est-à-dire à une période tardive, où la royauté
se trouvait sous l’emprise des membres de l’aristocratie –  : dans ce
rôle, on rencontre la reine – telle l’épouse de Thierry III, Clotilde,
qui intervint avec le maire du palais en 690, lors de la donation à
Saint-Denis de la villa de Lagny-le-Sec ayant appartenu à plusieurs
maires du palais avec concession d’immunité 68 –, mais aussi le maire
du palais seul  69, voire un ministerialis du roi – tel cet Aigobert qui
intervint en faveur de l’abbé de Saint-Denis en 694, dans le cadre d’un
procès 70. Les mentions se diversifient à l’époque carolingienne : c’est
en partie le reflet de la multiplication des actes et en partie la traduc-
tion d’une évolution dans le gouvernement 71. Il conviendrait toute-
fois de se poser aussi la question du retentissement de la façon dont
une intervention est mentionnée  : en notes tironiennes – dans la
ruche (en partie couvertes par le sceau) ou à la fin du texte – ou bien
en toutes lettres, dans l’exposé des motifs ou à une place moins clas-
sique dans le texte. Prenons deux exemples : sous Charlemagne, les
interventions de tiers sont mentionnées dans moins de 10 % des actes
– dans la majorité des cas, il s’agit de mentions en notes tironiennes
– ; sous Charles le Simple, 45 % des actes mentionnent l’intervention
de tiers en toutes lettres. L’entrée en scène des fidèles étudiée par
J.-F. Lemarignier pour la période allant du règne de Louis IV d’Outre-

67
  Die Urkunden Pippins…, ibid., n° 181.
68
  Die Urkunden der Merowinger, éd. T. Kölzer, MGH, Diplomata, 1, Hanovre, 2001, t. 1,
n° 131, p. 333 : ad suggestionem precelse regine nostre Chrodochilde seo et inlustri viro Berchario
maiorem domos nostri…
69
  Die Urkunden der Merowinger…, ibid., n° 173.
70
  Die Urkunden der Merowinger…, ibid., n° 143.
71
  Pour les aspects diplomatiques, il suffira ici de renvoyer aux travaux de R.-H. Bautier.
Parmi les aspects politiques, deux décisions au moins traduisent la reconnaissance d’une
nécessité du partage du pouvoir, dont participe le recours aux intermédiaires : l’énonciation
d’une théorie de la participation au ministère royal et la promotion de la reine au statut de
consors regni ; à ce propos, cf. O. Guillot, « Une ordinatio méconnue : le capitulaire de
823-825 », in P. Godman et R. Collins (dir.), Charlemagne’s Heir. New Perspectives on the Reign
of Louis the Pious (814-840), Oxford, 1990, p. 455-486 [= Arcana imperii (ive-xie siècle). Recueil
d’articles, Limoges, 2003 (Cahiers de l’Institut d’anthropologie juridique, 10), p. 371-408] ;
F.-R. Erkens, « Sicut Esther regina. Die westfränkische Königin als consors regni », Francia.
Forschungen zur westeuropäischen Geschichte, 20/1 (1993), p. 15-38.

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mer à l’avènement d’Hugues Capet 72 documente une évolution que


l’on peut, avec précaution, rapprocher des souscriptions multiples
dans les diplômes des premiers Capétiens, dont ce même auteur étu-
dia aussi le gouvernement 73. La marge de manœuvre du roi est diffé-
rente à la fin du viiie siècle et au début du xe siècle, ce qui ne veut pas
dire que le chemin jusqu’au roi soit forcément très différent ; simple-
ment, on se montre désormais plus soucieux – ce qui veut probable-
ment dire qu’on éprouve la nécessité – de le décrire mieux.
Un cas particulier est offert par la démarche de moines, qui doit
être appréciée différemment selon que le roi est ou non leur abbé,
selon qu’ils s’adressent à lui durant la vacance de la charge abbatiale
ou qu’ils passent outre l’abbé pour agir contre ce dernier. Dans la
plupart des cas, voire toujours, on peut supposer l’entremise de moines
influents. C’est ce qu’illustre le Casus sancti Galli d’Ekkehard IV, à pro-
pos de l’élection de Notker, dont une délégation est censée avoir été
envoyée à la cour d’Otton Ier : à l’exclusion du jeune élu, elle était com-
posée de vénérables moines aux cheveux blancs 74. Le cas de l’élection
d’Eigil en 817 est également bien documenté, grâce à la Vita rédigée
par Brun Candidus. La communauté de Fulda sortait d’une de ses
crises les plus graves, marquée par la conturbatio non minima 75 de 812,
qui avait conduit douze moines à porter plainte contre l’abbé Ratgaire,
finalement déposé en 817. Steffen Patzold s’est livré à un nouvel exa-
men des conflits à Fulda, en proposant notamment une relecture du
Supplex libellus et en montrant combien les moines s’étaient alors écar-
tés des préceptes de la Règle de saint Benoît  76. L’élection d’Eigil
marque le retour à l’ordre  : les moines élurent Eigil après avoir
demandé à l’empereur de leur accorder le privilège de la libre élec-
tion en dépêchant à la cour une délégation conduite par l’un des
moines (Adalfrid) envoyés par Louis le Pieux pour réformer Fulda 77 ;
une fois Eigil élu, la délégation chargée de le présenter à l’empereur
et de lui demander son agrément fut conduite par le moine Aaron,

72
  J.-F. Lemarignier, « Les fidèles du roi de France (936-987) », in Recueil de travaux offerts
à M. Clovis Brunel…, t. 2, Paris, 1955, p. 138-162.
73
  J.-F. Lemarignier, Le gouvernement royal…, op. cit., p. 44-46 et 68-76.
74
  G. Althoff, Spielregeln der Politik…, op. cit., p. 191.
75
  H. Schnorr von Carolsfeld, « Das Chronicon Laurissense breve », Neues Archiv der
Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde, 36 (1911), p. 13-39, à la p. 38.
76
 S. Patzold, « Konflikte im Kloster Fulda zur Zeit der Karolinger », Fuldaer Geschichtsblät-
ter, 76 (2000), p. 69-162.
77
  Vita Eigilis abbatis Fuldensis auctore Candido, c. 4, MGH, Scriptores 15/1, Hanovre, 1887,
p. 224.

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le responsable du groupe de moines réformateurs envoyés à Fulda 78.


Les moines avaient donc compris la leçon de 812 et ils s’appuyèrent
sur des intermédiaires dont ils pouvaient être certains qu’ils auraient
l’oreille du souverain.

Parmi les intermédiaires qui retiennent plus particulièrement l’at-


tention de l’historien, on compte les personnes étrangères à la cour.
Lorsqu’elles interviennent ponctuellement, ces dernières sont en
principe directement impliquées dans l’affaire en question. La Conver-
sio Bagoariorum et Carantanorum en offre un exemple intéressant : vers
840, l’attribution au prince Priwina, par Louis le Germanique, d’un
territoire en Basse-Pannonie est censée avoir eu lieu à la demande des
fidèles du roi qu’étaient les comtes Salacho et Ratbod 79. Or ce dernier
était le préfet de la marche orientale qui avait accueilli Priwina lorsqu’il
avait été chassé par le prince des Moraves ; il l’avait introduit auprès
du roi et avait veillé à son éducation chrétienne. Quant à Salacho,
c’est grâce à son entremise que Priwina, après un différend avec Rat-
bod qui l’avait conduit à l’exil chez les Bulgares, fut réconcilié avec
son ancien protecteur 80. De même, selon Ratpert de Saint-Gall, l’évê-
que de Constance, Jean, fut consulté par Charlemagne à propos de la
demande de liberté d’élection des moines de la Reichenau et de Saint-
Gall, alors que ces derniers l’avaient déjà sollicité  81. De même, les
sources diplomatiques corroborent généralement la cohérence géo-
graphique entre l’identité de l’intermédiaire et celle du requé-
rant 82.
À la différence des intervenants occasionnels extérieurs à la cour,
les membres de l’entourage royal restreint constituent, bien souvent,
le passage obligé pour accéder au roi. Pour l’époque mérovingienne,
la nécessité d’avoir ses entrées à la cour est illustrée par un modèle de
lettre du formulaire de Marculf : il s’agit d’une missive adressée à des

78
  Vita Eigilis…, ibid., c. 9, ibid., p. 225-226.
79
 F. Lošek, Die Conversio Bagoariorum et Carantanorum und der Brief des Erzbischofs Theot-
mar von Salzburg, Hanovre, 1997 (MGH, Studien und Texte, 15), p. 122 (c. 11). Sur Priwina,
cf. P. Štih, « Priwina : slawischer Fürst oder fränkischer Graf ? », in K. Brunner et B. Merta
(dir.), Ethnogenese und Überlieferung. Angewandte Methoden der Frühmittelalterforschung, Vienne,
1994 (Veröffentlichungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung, 31),
p. 209-222.
80
 F. Lošek, Die Conversio Bagoariorum… », op. cit., p. 120-122 (c. 10).
81
  Ratpert, St. Galler…, op. cit., p. 160 (c. 3) : (…) fratres utriusque coenobii episcopum pariter
adierunt, rogantes, ut privilegia eis apud principem adquireret (…).
82
  Ph. Depreux, Prosopographie…, op. cit., p. 54-55.

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hiérarchie et ordre au sein du palais : l’accès au prince

personnages puissants au palais, surtout à ceux que l’on connaît 83. La


correspondance de Frothaire de Toul permet de pénétrer dans ce
milieu des relations au plus haut niveau de la cour 84. Quant à Notker
le Bègue, il montre comment les palatins envieux essaient d’obtenir
l’épiscopat en faisant intervenir les familiers de l’empereur ; la reine
envoie des grands puis intervient personnellement pour un de ses
clercs 85.
La polyvalence de certains personnages, dont l’identité et le rang
varient d’un règne à l’autre, voire au cours d’un même règne, est la
preuve de leur caractère éminent. En particulier, la reine intervient
relativement souvent – essentiellement à partir de Judith, qui est sur
le devant de la scène lors de la crise du début des années 830. Au
ixe siècle, la reine est d’ailleurs désignée comme consors regni 86 ; Hinc-
mar lui attribue un rôle décisif dans les relations avec les grands,
puisque c’est elle qui est censée gérer les cadeaux royaux  87. Néan-
moins, on ne peut pas institutionnaliser le rôle de la reine – comme
celui des autres membres de la cour – : l’influence de cette dernière
varie fort d’une personne à l’autre et dépend de divers facteurs. Par
exemple, la mère de Charles le Simple, Adélaïde, intervient dans un
tiers des actes jusqu’en 901, mais la reine Frérone n’intervient qu’une
seule fois (avec d’autres personnes) pour appuyer une demande de
l’évêque de Paris en 907 – quant à la reine Ogive, elle n’est jamais
mentionnée 88.

83
 A. Uddholm, Marculfi Formularum libri duo, Uppsala, 1962, p. 326 (II, 51) : Indecolum ad
homines potentes palatinus, maxime ad cognitos sibi.
84
 M. Parisse, La correspondance d’un évêque carolingien. Frothaire de Toul (ca 813-847) avec les
lettres de Theuthilde, abbesse de Remiremont, Paris, 1998 (Textes et documents d’histoire médié-
vale, 2) ; cf. notamment la contribution de J. Barbier, « L’évêque et le palais », p. 27-40.
On trouve le même style de correspondance chez Theuthilde de Remiremont (cf. ibid.,
p. 151-163).
85
  Notker der Stammler, Gesta Karoli…, op. cit., p. 6 (I, c. 4).
86
 Outre l’article de F.-R. Erkens (« Sicut Esther regina… », op. cit.), cf. P. Delogu, « Consors
regni : un problema carolingio », Bulletino dell’istituto storico italiano per il medio evo e archivio
Muratoriano, 76 (1964), p. 47-98 ; Ph. Depreux, Prosopographie…, op. cit., p. 50-51. Sur
Judith, cf. A. Koch, Kaiserin Judith : eine politische Biographie, Husum, 2005 (Historische
Studien, 486).
87
  Hincmar de Reims, De ordine palatii…, op. cit., MGH, p. 72, c. 22.
88
  Recueil des actes de Charles III le Simple…, op. cit., n° 5, 7, 10, 11, 14, 15, 22, 23, 27, 32, 35,
39 et 41 (interventions d’Adélaïde), et 57 (intervention de Frérone).

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philippe depreux

À qui profite l’intervention ?

On peut se demander si la qualité de l’intermédiaire ne peut pas


être considérée comme le reflet du rang du requérant. Ainsi, l’argu-
ment des opposants à l’élection d’Eigil à Fulda était qu’il fallait élire
un frère de noble extraction, qui puisse les défendre contre les com-
tes et les puissants et gagner la faveur de l’empereur : Scitis, quare ?
Quia habet in palatio generositatem 89.
Certes, la question de la responsabilité d’une affaire est certaine-
ment importante – c’est ce qui intéresse les diplomatistes –, mais
d’autres paramètres entrent en jeu. En 915, à la prière de deux fideles,
dont l’un est désigné comme comte, Charles le Simple donne des
terres à son épouse Frérone, pour construire à Compiègne une cha-
pelle en l’honneur de saint Clément 90. On peut douter de la nécessité
dans laquelle la reine se trouvait de recourir à des intermédiaires ; il
y avait vraisemblablement plutôt une volonté politique d’associer un
tel ou un tel. Dans sa Vie de Bouchard le Vénérable, écrite en 1058, Eudes
de Saint-Maur incitait les moines du monastère des Fossés à célébrer
le souvenir du comte et de son épouse, qui étaient à l’origine de sa
réforme  91. Il s’agissait de fondations de prières. Les domaines dont
Eudes de Saint-Maur dit qu’ils étaient affectés à la commémoration
des bienfaiteurs avaient été offerts à l’abbaye des Fossés par ces der-
niers et le roi Hugues Capet avait confirmé ces donations. On peut se
demander si le comte Bouchard avait véritablement besoin de l’en-
tremise de la mère du roi et de son épouse, la reine Adélaïde et la
reine Berthe, mentionnée à la fois dans le diplôme royal et dans le
récit d’Eudes de Saint-Maur : leur intervention n’était-elle pas davan-
tage destinée à les associer au bénéfice spirituel que le roi pouvait
espérer en retour de sa protection ? On pourrait faire la même obser-
vation à propos de l’association d’Haganon à la requête de l’abbé de
Saint-Maur-des-Fossés, Rumaud, en 921 : le roi fonde un service de
prières et y associe ses enfants et le comte Haganon « qui nous est bien

89
  Vita Eigilis abbatis Fuldensis auctore Candido, c. 5, MGH, Scriptores 15/1, Hanovre, 1887,
p. 224.
90
  Recueil des actes de Charles III le Simple…, op. cit., n° 80.
91
 Sur ce qui suit, cf. Ph. Depreux, « La dimension “publique” de certaines dispositions
“privées” : fondations pieuses et memoria en Francie occidentale aux ixe et xe siècles », in
F. Bougard, C. La Rocca et R. Le Jan (dir.), Sauver son âme et se perpétuer. Transmission du
patrimoine et mémoire au haut Moyen Âge, Rome, 2005 (Bibliothèque de l’École française de
Rome, 351), p. 331-378.

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hiérarchie et ordre au sein du palais : l’accès au prince

fidèle » 92. De même, en 871, Louis le Germanique confirme la dona-


tion faite à Prüm par un certain Otbert, qui est probablement un
vassal de Matfrid II, ayant obtenu plusieurs diplômes de Lothaire II
grâce à l’entremise du comte de l’Eifel. Cette confirmation est faite à
la prière de la reine Emma et de Carloman ; or, la confirmation est
faite en aumône pour le roi, son épouse et ses enfants, ainsi que pour
le salut d’Otbert et de sa femme 93. L’intervention de hauts personna-
ges dans certaines affaires permettait donc non seulement d’assurer
la publicité de leur influence, mais aussi de garantir leur salut en les
associant aux bénéfices spirituels des bonnes actions qu’ils avaient
favorisées 94.

Conclusion

La faculté d’accéder au prince est une question intimement liée à


celle de la faveur du prince, comme l’illustre l’exemple d’Agobard,
qui n’avait pas pu entendre ce qui s’était dit lors d’un plaid et dut s’en
remettre au bon vouloir de tiers, Adalhard de Corbie et Hélisachar
en l’occurrence  95. Assurément, les intermédiaires récurrents appar-
tiennent à la crème de l’élite. Le recours à des intermédiaires est un
moyen de mettre en scène à la fois la faveur royale – qui n’est pas
acquise d’emblée, mais se gagne par l’intercession de personnes puis-
santes –, la grandeur d’âme des intercesseurs et l’entregent des requé-
rants eux-mêmes, qui montrent ainsi le bien-fondé de leur demande
ou l’importance de leur personne, puisqu’ils savent gagner à leur
cause des intermédiaires influents. La qualité des intermédiaires peut
donc être révélatrice de la qualité du requérant. Elle renvoie ainsi –
même dans l’étude de mesures individuelles – à la dimension altomé-
diévale de la Personenforschung qui est avant tout une Gruppenfors-
chung.

92
  Recueil des actes de Charles III le Simple…, op. cit., n° 108 : (…) nobis bene fidele (…).
93
  Die Urkunden Ludwigs des Deutschen…, op. cit., p. 197-198 (n° 141).
94
  À ce propos, cf. également Ph. Depreux, « Die Schenkung an die Kirche als bleibende
Erinnerung an das Verhältnis zwischen Herrscher und fideles im Frühmittelalter  », in
G. Krieger (dir.), Soziale Lebens- und Kommunikationsformen im Mittelalter. 12. Symposium des
Mediävistenverbandes in Trier (19.-22 März 2007), Berlin, 2009, p. 317-326.
95
  À ce propos, cf. Ph. Depreux, « Lieux de rencontre, temps de négociation : quelques
observations sur les plaids généraux sous le règne de Louis le Pieux », in R. Le Jan (dir.),
La royauté et les élites dans l’Europe carolingienne (du début du ixe siècle aux environs de 920), Vil-
leneuve d’Ascq, 1998 (Centre d’histoire de l’Europe du Nord-Ouest, 17), p. 213-231.

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Céline Martin

Hiérarchie et service dans le monde


wisigothique : la militia des laïcs

C
omme ses contemporaines, la société hispano-wisigothique est
organisée par la notion d’ordo. L’ordre voulu par Dieu donne
forme aux relations entre les hommes, aux rituels religieux et
auliques, et même au serment prêté par des conjurés  1. Il assigne à
chacun, laïc ou clerc, une place et un rôle dans le monde terrestre ;
un rôle qui, depuis l’Antiquité tardive, est souvent qualifié de militia,
du siècle pour les uns, de Dieu pour les autres  2. Peut-on pourtant
considérer la militia saecularis, qui va nous intéresser ici, comme le
fondement de la hiérarchie ordonnant les hommes en statuts iné-
gaux ? En d’autres termes, est-ce le type de service accompli par les
laïcs – car la militia saecularis est elle-même diverse – qui détermine
leur position dans la société wisigothique, ou, éventuellement, leur
permet de la modifier ? Les degrés élevés de la hiérarchie étant mieux
visibles pour l’historien, c’est à partir de l’étude de l’aristocratie que
nous tenterons de répondre à cette question.

Origo

Un passage en revue des sources semble trancher d’emblée le pro-


blème  3 : fort classiquement, dans le royaume de Tolède le premier
critère d’excellence sociale est apparemment la naissance. Les per-
sonnages qualifiés de nobles sont presque toujours nobiles genere 4 ou

1
  Iudicium in tyrannorum perfidia, VI, éd. W. Levison, CCSL, 115, Turnhout, 1976.
2
 Dans l’Empire tardif, les honores ne relevaient pas à proprement parler de la militia, qui
désignait le service des soldats et des fonctionnaires subalternes. Je retiens quand même le
terme, au sens large, car un réel parallélisme unit service du Christ et service laïc dans
l’idéologie chrétienne contemporaine.
3
  Je voudrais reprendre à un niveau plus modeste la démarche de Ch. Badel pour la nobi-
litas romaine (La noblesse de l’Empire romain. Les masques et la vertu, Seyssel, 2005).
4
  Vies des saints Pères de Mérida [désormais abrégé VSPE], V, 10, éd. A. Maya Sánchez, CCSL,
117, Turnhout, 1992 : Sunna (…) quosdam Gotorum nobiles genere opibusque perquam ditissimos,
e quibus etiam nonnulli in quibusdam ciuitatibus comites a rege fuerant constituti, consilio diabolico
persuasit (…). Idem uero Claudius nobili genere ortus, Romanis fuit parentibus progenitus ; Passion

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céline martin

nobilibus natalibus 5. Cette origine prestigieuse est parfois (rarement)


explicitée et deux critères de noblesse se dégagent alors, l’un issu de
la tradition impériale, l’autre de la tradition gothique.
Un premier type de noblesse est l’ascendance sénatoriale, dont les
lignages conservent visiblement la mémoire. On peut ainsi relever
dans les sources du vie siècle la présence de plusieurs clarissimi et
même de quelques sénateurs. Certes, pour F. Dahn 6 puis C. Sánchez-
Albornoz 7 ces titres ne désignaient plus qu’une noblesse municipale,
et K. F. Stroheker 8 n’y voit qu’archaïsmes, le Liber Iudiciorum ne men-
tionnant aucun senator. Pourtant l’appartenance à l’ordo sénatorial, si
elle fait bien de ses membres des privilégiés face à la justice, n’est
jamais citée dans les lois comme fondement de ce privilège 9 : il n’est
donc pas significatif de ne trouver aucun sénateur dans le principal
code de lois wisigothique. Quelques occurrences tardives d’aristocra-
tes sénatoriaux  10, voire de « sénat »  11, demeurent certes douteuses,
mais d’autres doivent plutôt être interprétées comme d’authentiques
traces de l’aristocratie romaine. C’est le cas de plusieurs inscriptions
et poèmes épigraphiques des vie et viie siècles 12 célébrant des inlustres
et des clarissimi et du couple qui lègue son immense fortune à l’évêque
de Mérida vers le milieu du vie siècle 13.

de Saint Zoïle, IV, éd. P. Riesco Chueca, Pasionario hispánico, Séville, 1995, p. 246 : (…)
quidam uir nobilis ex Uisegotorum propagine, clarus genere, Agapius nomine (…).
5
  Braulio de Saragosse, Vie de saint Émilien, VI (éd. L. Vázquez de Parga, Madrid, 1943),
à propos d’un Émilien qui n’est pas noble : Ego autem non altius repetam, neque auorum et
proauorum eius, iuxta rhetores, prosequar laudes, quum, iuxta eosdem, si ignobilibus ortus sit natali-
bus, magis efferendus est laudibus quod sui ignobilitatem generis, morum dignitate ornauerit.
6
 F. Dahn, Die Könige der Germanen, VI, Leipzig, 1885, p. 104.
7
 C. Sánchez-Albornoz, « El Senatus visigodo », Cuadernos de Historia de España, 6 (1946),
p. 5-99.
8
  K. F. Stroheker, « Spanische Senatoren der spätrömischen und westgotischen Zeit », in
Id., Germanentum und Spätantike, Zurich/Stuttgart, 1965, p. 54-87.
9
  P. Garnsey (Social Status and Legal Privilege in the Roman Empire, Oxford, 1970) remarque
que le groupe des privilégiés, bien que très clairement délimité pour les juristes, ne fait
jamais l’objet d’une définition explicite dans le Digeste.
10
 Ainsi le début d’une charte de dot du début viie siècle : Insigni merito et Getice de stirpe
senatus illius sponsae nimis dilecta ille… (Formulae wisigothicae, XX, 1-2, éd. J. Gil, Miscellanea
Wisigothica, Séville, 1972, p. 69-112).
11
  Braulio mentionne en Cantabrie les sénateurs Nepotianus et Proseria, Honorius, et la
comparution d’Émilien devant le Sénat de Cantabrie (Vie de saint Émilien, XXII, XXIV et
XXXII).
12
  Epitaphion Antoninae, éd. M. C. Díaz y Díaz, Anecdota Wisigothica, Salamanque, 1958,
p. 47 ; J. Vives, Inscripciones cristianas de la España romana y visigoda, Barcelone, 1942, nº
66-84-167-505.
13
  VSPE, IV, 2.

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Le second critère est associé à l’origine gothique, et il acquiert


probablement une importance croissante. La charte de dotation mari-
tale déjà citée en est un exemple  14, ainsi que les cas relevés par
D. Claude 15. Au viie siècle, le terme Gothi semble même acquérir un
sens plus social qu’ethnique, et désigner indistinctement l’élite des
plus puissants 16, une évolution parallèle à celle d’autres regna contem-
porains. Ainsi, les deux sources évoquant la répression de Chin-
daswinth en 642 désignent différemment ses victimes : dans un pas-
sage de la chronique de Frédégaire, rédigé vers 660 à partir de sources
hispaniques antérieures, les aristocrates massacrés sont des primates
Gothorum 17, alors que la Chronique de 754 18 les présente simplement
comme Gothi, ce qui doit sous-entendre leur position sociale. Un autre
détail suggère que les origines gothiques réelles ou fictives des nobles
sont devenues de plus en plus importantes au viie siècle. Les Vies des
Pères de Mérida présentent l’évêque Masona (v. 570-606) comme nobili
ortus in hoc saeculo origine et genere quidem Gothus  19. Ce quidem, « qui
plus est », renforce visiblement dans l’esprit du rédacteur la noblesse
du saint évêque  20. Le problème, remarqué récemment par R. Col-
lins 21, est que Masona ne porte pas un nom goth, ni même hispano-
romain, mais berbère, ce qui n’est pas saugrenu dans une métropole
comme Mérida, où les étrangers sont nombreux et où l’évêque arien
rival de Masona porte le nom égyptien de Nepopis, alors qu’un pré-
décesseur catholique, Paulus, était graecus. Le fait que les origines de
Masona soient donc probablement africaines, mais bien nobles – il
est peut-être significatif qu’un ou deux rois berbères du début du
vie siècle portent un nom très semblable 22 – n’est plus senti comme
suffisant. Son hagiographe fait de Masona un Goth, peut-être par

14
 Cf. n. 10.
15
 D. Claude, « Remarks about Relations between Visigoths and Hispano-Romans in the
7th C. », in W. Pohl (dir.), Strategies of Distinction : the Construction of the Ethnic Communities,
Leyde, 1998, p. 117-130.
16
 D. Claude, « Remarks about Relations… », ibid., p. 129 ; P. Heather, The Goths, Oxford,
1996, p. 284 sq.
17
  Chronique du Pseudo-Frédégaire, IV, 82, éd. J. M. Wallace-Hadrill, Londres, 1960.
18
  Chronique de 754, II, 22, éd. J. López Pereira, Crónica mozárabe de 754, Saragosse, 1980.
19
  VSPE, V, 2.
20
 Après une première rédaction anonyme, v. 630, un certain Paulus a retouché l’ouvrage
dans les années 670. Cf. A. Maya Sánchez, CCSL…, op. cit., p. lv sq.
21
 R. Collins, Visigothic Spain. 409-711, Oxford, 2004, p. 155.
22
 Le roi Massonas ou Masonas de Procope et le Masuna, rex gentium maurorum et romanorum
de l’inscription d’Altava de 508 sont peut-être un seul et même personnage. Cf. Y. Modéran,
Les Maures et l’Afrique romaine, Rome, 2003 (BEFAR, 314), p. 374-376, avec les références.

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ignorance  23, surtout sans doute pour amplifier son origine presti-
gieuse. Dans les années 670, c’est toujours la naissance, réelle ou
retouchée, qui fonde la noblesse.
Cette naissance particulière confère à l’individu un important pres-
tige social, mais produit aussi des effets de droit, plus faciles à évaluer.
Les lois wisigothiques assimilent en effet la nobilitas au statut romain
d’honestior, qui conférait des privilèges devant la justice, préservant
notamment des peines afflictives  24. Elles distinguent chez les libres
deux catégories, celle d’honestior, nobilis ou nobilior et celle d’humilior,
minor, inferior ou uilior : les peines des premiers sont surtout économi-
ques, alors que les seconds assument physiquement la responsabilité
de leurs fautes. Les exemples en sont innombrables, et la catégorie
privilégiée – ou, dans quelques cas, explicitement non privilégiée,
mais toujours citée à côté des inferiores et des serui – est désignée indif-
féremment par un comparatif du type honestior ou par le mot nobilis 25.
La noblesse wisigothique possède ainsi un statut juridique.
L’existence de deux variétés d’ingénus ne doit pas être confondue
avec une différenciation sociale tardive à l’intérieur du corps des
libres. Issue directement du droit romain, elle apparaît déjà dans cer-
taines antiquae, lois remontant au code d’Euric (v. 480) ou au plus
tard à Léovigild (v. 570/580) ; en 589, le IIIe concile de Tolède établit
deux peines différentes pour les honestiores et les inferiores loci ariens
refusant la conversion  26. Par ailleurs, l’appui sur la naissance pour
déterminer les privilèges juridiques des plus puissants des libres, les
nobiles, trouve son équivalent vers le bas de la pyramide sociale. Les
libres qui ne sont pas nés libres, les affranchis, ont également un sta-
tut très défavorable par rapport aux ingénus  27  : à partir de Rec-
ceswinth, leur témoignage n’est par exemple plus recevable, et seuls
leurs enfants jouiront de tous les droits d’un homme libre 28. Ce n’est

23
 La terminaison en -a caractérise beaucoup d’anthroponymes masculins germaniques
orientaux (N. Wagner, « Die Personennamen als Sprachdenkmäler der iberischen Sue-
ben  », in E.  Koller et H.  Laitenberger (dir.), Suevos – Schwaben, Tübingen, 1998,
p. 137-150).
24
  P. Garnsey, Social Status…, op. cit.
25
 Voir Liber Iudiciorum seu lex Visigothorum [désormais abrégé LV], X, 2, 7, éd. K. Zeumer,
MGH, Leges, I, 1 : quisque nobilis atque inferior ingenuus siue etiam seruus regio iussu in custodiam
uel in exsilium extiterit deputatus…) ; LV, II, 1, 9 ; LV, II, 4, 2 ; LV, IX, 12, 8, etc.
26
  Conc. Tol. III, éd. G. Martínez Díez et F. Rodríguez, Colección Canónica Hispana, V,
Madrid, 1992, p. 139.
27
 Voir le chapitre De libertatibus et libertis du Liber (LV, V, 7).
28
  LV, V, 7, 12. Jusque-là, leur témoignage n’était refusé que dans les procès contre leur
ancien maître.

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qu’à la toute fin du viie siècle que s’efface cette différence jusqu’alors


essentielle entre affranchi et fils d’affranchi : une novelle d’Égica et
Wittiza  29 impose l’obsequium à tous les affranchis mais aussi à leurs
enfants, et les oblige de plus à ce service envers quatre générations de
domini – une manière imagée, selon Y. García López, de les attacher
perpétuellement à leurs anciens propriétaires 30. Excepté ce dévelop-
pement tardif, lié à l’assimilation progressive des simples libres aux
non-libres, pendant l’essentiel de la période wisigothique, c’est bien
le genus ou l’origo d’un individu qui a déterminé sa qualité sociale et
sa position face au droit. C’est donc la naissance, et seulement elle,
qui semble ciseler les degrés de la hiérarchie des laïcs du royaume de
Tolède.

Militia ?

Une telle conclusion sera difficile à accepter pour qui fonde la


définition de la noblesse altimédiévale sur sa participation au pou-
voir 31. L’aristocratie hispanique est certes, comme en Francie, carac-
térisée par sa mainmise sur les offices, tout autant que par le prestige
de ses lignées. Sans atteindre la richesse de l’ordonnancement ostro-
gothique, le système institutionnel offre précisément une grande
variété d’honores, à la cour ou dans les provinces 32 : le service du roi
sous ses différentes formes pourrait donc tout aussi bien contribuer
à dessiner une société laïque organisée en groupes inégaux.
Bien que très simplifié par rapport à l’Italie théodoricienne, le
système des charges et des rangs n’est pas facile à décrire, car la confu-
sion romaine subsiste entre les titres des fonctions et ceux des digni-
tés. La fonction, souvent appelée officium dans les sources – mais les
historiens parlent plutôt d’honores –, est une délégation de pouvoirs
par le souverain pour un temps limité. Une simple allusion dans la loi
de promulgation d’un concile de 693 semble indiquer que ces char-

29
  LV, V, 7, 20.
30
  Y. García López, Estudios críticos y literarios de la Lex Wisigothorum, Alcalá, 1996, p. 555.
31
  K. F. Werner, Naissance de la noblesse, Paris, 1998.
32
 Exposition classique de la hiérarchie administrative dans L. García Moreno, « Estudios
sobre la organización administrativa del reino visigodo de Toledo », Anuario de Historia del
Derecho Español, 44 (1974), p. 5-155 ; pour deux conceptions alternatives, A. Isla Frey, « El
Officium Palatinum visigodo », Hispania, 62/3 (2002), p. 823-847, et C. Martin, La géographie
du pouvoir en Espagne visigothique, Lille, 2003, p. 144 sq.

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ges, ou certaines au moins, sont toujours annuelles et renouvelables 33 :


celle de numerarius (responsable de l’impôt), celle de dux (général
d’armée), sans doute liée plutôt à une campagne qu’à un mandat
annuel stricto sensu. L’office de comes est le plus connu, mais il est en
lui-même ambigu  : un comte peut être chargé du gouvernement
d’une cité (comes ciuitatis), mais aussi de la direction d’un départe-
ment de finances – comes patrimonii, comes cubiculi, comes thesaurorum
– ou de la chancellerie royale (comes notariorum). Quant aux dignités,
elles peuvent être conférées indépendamment de toute fonction, et
en outre elles sont permanentes. Ainsi, comme c’est le cas depuis
Constantin 34, la dignité de comte peut être reçue à l’occasion d’une
charge comtale dans une cité, et lui survivra donc, ou bien peut être
attribuée à un personnage suffisamment important pour conformer
l’entourage royal, avec ou sans responsabilités précises 35.
Je ne m’attarderai pas sur la hiérarchie des fonctions, qui n’est une
« hiérarchie » que dans la mesure où leurs détenteurs possèdent des
dignités inégales : c’est l’ordonnancement de celles-ci qui paraît vrai-
ment significatif. On distingue les échelons de procer, dux, comes et
gardingus, mais cet ordre n’est pas immuable. Le rang de procer appa-
raît dès le concile de 589, où le premier des convertis laïcs, Gussinus,
souscrit comme uir illustris et procer, les grands suivants n’étant que
uiri illustres  36. La plus haute dignité est alors certainement celle de
procer. Ce n’est plus le cas au milieu du viie siècle, un changement qui
s’explique par un processus d’érosion dont l’Empire tardif était lui-
même coutumier. En 653, le procer est peut-être, déjà, inférieur au
dux 37 et, dès 683, les trois proceres signataires n’indiquent aucune autre
dignité et souscrivent les actes parmi les derniers 38. À cette date, les
duces sont clairement devenus les principaux dignitaires. C’est bien
ainsi qu’il faut comprendre leur brusque multiplication à partir des
années 640 : le roi Chindaswinth a introduit l’échelon nouveau de

33
  Wamba rex in ipsis regnandi primordiis Theudemundum spatarium nostrum (…) in eamdem
Emeritensem urbem numerariae officium agere instituit, quod etiam unius anni excursu contra ratio-
nem noscitur peregisse (Conc. Tol. XVI, éd. J. Vives, Concilios…, op. cit., p. 516).
34
 A. H. M. Jones, The Later Roman Empire, Cambridge, 1964, p. 526.
35
 Cf. A. Isla Frey, « El Officium… », op. cit., p. 831.
36
  Conc. Tol. III, éd. G. Martínez Díez et F. Rodríguez, Colección…, op. cit., V, Madrid, 1992,
p. 98.
37
  Conc. Tol. VIII, éd. G. Martínez Díez, ibid., p. 447-448.
38
  Conc. Tol. XIII, éd. G. Martínez Díez, ibid., VI, Madrid, 2002, p. 265-267.

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dux au sommet de l’ordre des dignités  39. Je ne reviens pas sur la


dignité comtale ; reste le gardingus, dont les sonorités agréablement
gothiques ont beaucoup inspiré les historiens  40, bien qu’il n’appa-
raisse que dans peu de sources, tardives au demeurant 41.
Le titre de gardingus est une expression du « revival » gothique qui
caractérise déjà la fin du royaume de Tolède puis, plus encore, les
royaumes chrétiens du ixe siècle 42. Il est presque certain, en effet, que
le groupe des gardingi correspond aux nobles simplement appelés
auparavant minores ou iuniores palatii, opposés par les textes aux senio-
res, primates ou optimates. Les minores ont un rang inférieur aux seniores
palatii et doivent, suivant un canon de 638, leur rendre les honneurs
appropriés 43 ; les seniores leur dispenseront en retour amour et exem-
ple à suivre. C’est visiblement l’âge qui les sépare, et non le prestige
de l’origine. De même, le gardingus de la seconde moitié du viie siècle
est caractérisé par sa « jeunesse » au sens de G. Duby : on est gardin-
gus au début d’une carrière civile ou militaire 44, et l’unique gardingus
connu avant le règne de Wamba cherche à épouser une noble femme,
Benedicta, qui se refuse au mariage 45. La distinction entre seniores et
iuniores est probablement empruntée au système militaire romain 46,

39
 Selon L. García Moreno (cf. n. 32), qui confond le dux général d’armée et le dux haut
dignitaire, il s’agirait d’une « militarisation » des cadres. Cf. C. Martin, La géographie…, op.
cit., p. 167 sq.
40
 En particulier C. Sánchez-Albornoz, En torno a los orígenes del feudalismo, t. 1 (Fideles y
Gardingos en la Monarquía Visigoda), Mendoza, 1942.
41
  H. Wolfram, Geschichte der Westgoten, Munich, 1979, trad. Histoire des Goths, Paris, 1990,
p. 470, n. 593.
42
 Cf. H. Wolfram, Histoire…, ibid., p. 234, pour les termes techniques tirés du stock gothi-
que au viie siècle ; la multiplication d’évêques au nom goth a été remarquée, mais mal
interprétée, par E. A. Thompson, The Goths in Spain, Oxford, 1969, trad. Los Godos en España,
Madrid, 1971, p. 335 sq. Pour le ixe siècle, M. Zimmermann, « Conscience gothique et
affirmation nationale dans la genèse de la Catalogne », in J. Fontaine et C. Pellistrandi
(dir.), L’Europe héritière de l’Espagne wisigothique, Madrid, 1992, p. 51-67.
43
  Conc. Tol. VI, c. 13.
44
 Cf. Julien de Tolède, Histoire de Wamba, VII, éd. W. Levison, CCSL, 115, Turnhout, 1976 :
Ranosindum Tarraconensis prouinciae ducem et Hildigisum sub gardingatus adhuc officio consisten-
tem… La modalisation adhuc a été remarquée depuis longtemps, cf. C. Sánchez-Albornoz,
En torno…, op. cit., p. 102. A. Isla (« El Officium… », op. cit., p. 847) considère également
que la distinction est une question d’âge.
45
  Vie de Saint Fructueux, XV, éd. M. Díaz y Díaz, La vida de s. Fructuoso de Braga, Braga,
1974.
46
 Cf. R. Tomlin, « Seniores – Iuniores in the Late Roman Field Army », American Journal of
Philology, 93/2 (1972), p. 253-278. Les tombes à armes germaniques du ve siècle suggèrent
aussi l’existence de deux statuts masculins d’âge (G. Halsall, Warfare and Society in the
Barbarian West, Londres/New York, 2003, p. 35), une organisation qui se perpétue dans
beaucoup d’armées au vie siècle (ibid., p. 50).

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la division de l’aristocratie de cour selon ce modèle venant rappeler


que la gens gothique était entrée dans l’Empire comme une armée au
moins autant que comme un peuple  47. Quant à l’apparition du gar-
dingus, peu avant 650 48, on peut l’interpréter de deux manières : soit
les minores du palais reçoivent simplement par là une désignation plus
spécifique, et ethniquement connotée, soit le mot marque en outre
la création d’une nouvelle dignité inférieure pour les jeunes aristo-
crates dénués de l’expérience des honneurs. Sur la base de l’étymo-
logie, nombre d’auteurs assimilent domestici impériaux et gardingi
wisigothiques, et en déduisent, sans appui textuel, que ceux-ci étaient
les gardes du corps du roi 49 ; quoi qu’il en soit, dans la seconde moi-
tié du viie siècle, les gardingi sont toujours, comme les iuniores, oppo-
sés aux seniores 50.
Ces derniers doivent regrouper l’ensemble des dignitaires men-
tionnés plus haut, proceres, duces et comites. Les seniores palatii arborent
tous, comme Gussinus et les autres convertis de 589, la qualité de uir
illustris ; elle rappelle bien sûr l’épithète sénatoriale correspondante,
mais la subtile hiérarchie romaine n’existe plus dans le royaume goth.
Les uiri illustres y sont à l’occasion appelés clarissimi 51, ailleurs sublimi,
des prédicats désormais perçus comme équivalents, ce qui « aplatit »
singulièrement l’ordre des rangs palatins. Le canon déjà cité De honore
primatum palatii, qui oblige les minores à des marques de respect envers
leurs aînés 52, pourrait indiquer que même cette distinction élémen-
taire n’est pas toujours respectée à la cour tolédane.
L’attribution de toutes ces dignités et fonctions relève du choix du
souverain, qui semble donc détenir la clé du contrôle de la hiérarchie
nobiliaire. C’est ce qui a longtemps conduit les auteurs à présenter

47
 La discussion semble actuellement dans l’impasse : cf. M. Kulikowski, « Nation vs. Army :
A Necessary Contrast ? », in A. Gillett (dir.), On Barbarian Identity : Critical Approaches to
Ethnogenesis Theory, Turnhout, 2002, p. 69-84. Cf. aussi C. Martin, « La notion de gens dans
la péninsule Ibérique des vie-viie siècles », in Identité et ethnicité : concepts, débats historiographi-
ques, exemples (ve-xiie siècle), Caen, 2008, p. 75-89.
48
 Voir la note 45 pour ce qui est, à ma connaissance, sa première occurrence, même si la
vita a été écrite dans les années 670 : si l’on tient compte de cette date, on en revient au
règne de Wamba (672-681).
49
 C. Sánchez-Albornoz, En torno…, op. cit., n. 40, p. 107. Encore dernièrement G. Hal-
sall, Warfare…, op. cit., p. 49.
50
 Selon un canon de 683, en cas de crime, les aristocrates et les évêques seront jugés par
leurs pairs, in publica sacerdotum, seniorum atque etiam gardingorum discussione deductus (Conc.
Tol. XIII, c. 2).
51
 En 681, Ervige appelle les grands illustres aulae regiae uiros, mais aussi clarissimorum ordinum
totius Spaniae duces (Conc. Tol. XII, éd. G. Martínez Díez, op. cit., VI, p. 146).
52
 Cf. n. 43.

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hiérarchie et service dans le monde wisigothique

l’aristocratie wisigothique comme une Dienstadel, surtout à partir de


Chindaswinth, dont le coup d’État était censé remplacer brutalement
une noblesse de sang par une noblesse de service 53. Cette vision très
tranchée doit être nuancée. Il faut, en effet, s’interroger sur la marge
de manœuvre dont dispose le roi pour distribuer titres et offices. Sans
être jamais complètement explicites à ce sujet, les sources suggèrent
néanmoins qu’un critère fondamental est le «  mérite »  54, évalué à
partir de l’origo et de la uirtus, dans le droit fil de la rhétorique antique
qui, suivant les cas, associait ou opposait ces deux qualités chez le
noble 55. Ainsi, le roi choisit-il les comtes des cités parmi les Gotorum
nobiles genere  56. La détention d’honores n’est jamais présentée en soi
comme facteur de noblesse ; c’est plutôt celle-ci, à l’inverse, qui per-
met de prétendre aux honneurs.
Le fondement du choix est plus clair pour l’élection au trône, la
royauté constituant au fond dans le système wisigothique la dignité
suprême, dispensée par le souverain céleste 57. Ainsi, les responsables
d’une élévation royale non conforme aux deux critères de désignation
divine – manifestée aux hommes par l’unanimité, « l’élection de tous »
– et de naissance encourent-ils l’excommunication. C’est la noblesse
d’origine, la goticae gentis nobilitas, qui permet de prétendre à l’hon-
neur royal, et les candidats à la royauté quos nec origo ornat nec uirtus
decorat sont inacceptables 58. L’accès au trône requiert donc, très clas-
siquement, origo et uirtus, origine distinguée et qualités morales, un
double critère sans aucun doute exigé, à des degrés variables, à tous
les niveaux de la hiérarchie des honneurs.
Une autre illustration de cette idée est le mode de sélection aux
conciles de Tolède, où siègent de grands laïcs choisis par le roi au sein
de l’office palatin  59. Ils sont associés au gouvernement du royaume
(in regimine socios) en vertu de leur nobilitas, donc de leur origine fami-

53
 C. Sánchez-Albornoz, « El Aula Regia », in Id., Estudios visigodos, Rome, 1971, p. 150-252 ;
E. A. Thompson, Los Godos…, op. cit., p. 190 sq. ; D. Claude, Adel, Kirche und Königtum in
Westgotenreich, Sigmaringen, 1971, p.  115 sq. Autre lecture de cette répression dans
C. Martin, « Des fins de règne incertaines », in F. Bougard, L. Feller et R. Le Jan (dir.),
Les élites au haut Moyen Age. Crises et renouvellements, Turnhout, 2006 (Haut Moyen Âge, 1),
p. 207-223.
54
 Les primates ou seniores le sont ob meritum (Conc. Tol. VI, c. 13).
55
 Cf. C. Badel, La noblesse…, op. cit.
56
  VSPE, V, 10.
57
  P. D. King, Law and Society in the Wisigothic Kingdom, Cambridge, 1972, p. 25 sq.
58
  Conc. Tol. V, c. 3.
59
 Organe qui rassemble les dignitaires palatins, les membres des bureaux (notarii) et les
serviteurs du palais.

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liale, et de leur expérience du gouvernement des hommes, comme


l’explique Recceswinth dans son tomus d’ouverture en 653 :

Vos etiam inlustres uiros, quos ex officio palatino huic sanctae synodo interesse mos
primaeuus obtinuit ac nobilitas spectabilis honorauit et experientia aequitatis ple-
bium rectores exegit, quos in regimine socios, in aduersitate fidos et in prosperis
amplector strenuos, […] adiurans obtestor… 60.

Les gardingi, également membres de l’office palatin, mais dépour-


vus de cette expérience des honneurs, ne siègent, eux, jamais aux
conciles. Tous les seniores ne sont même pas appelés : seuls 15 à 25
laïcs souscrivent les actes, sauf au concile de 655, où n’assistent que
le comte des notaires, deux comtes financiers et un dux 61. Des boule-
versements politiques peuvent entraîner de notables renouvellements,
comme à Tolède XIII, Tolède XV et Tolède XVI. Aux deux premiers
conciles, convoqués en 683 par Ervige et en 688 par Egica  62, beau-
coup de signataires coïncident (9 des 17 présents de 688 l’étaient en
683). En revanche, au seizième concile de 693, après une grave sédi-
tion, Egica réunit une majorité d’hommes nouveaux : seuls deux laïcs
subsistent de l’époque d’Ervige, un renouvellement sur dix ans qui
ne saurait s’expliquer par des raisons d’âge, mais bien parce que les
liens d’alliance constituent aussi un critère de sélection.
Les seniores convoqués aux conciles tolédans, dont les canons sont
à l’origine de nombreuses lois civiles, qui émettent parfois des senten-
ces judiciaires  63 et qui ont, en définitive, une fonction un peu com-
parable à celle du plaid général des Francs, conforment donc une très
petite élite au sein de l’aristocratie. Contrairement aux plaids cepen-
dant, ces assemblées n’ont pas lieu chaque année – bien que le concile
de 633 ait institué leur annualité 64, ce qui demeura un vœu pieux –,
et, surtout, il faut y être élu : toute l’aristocratie n’a pas vocation à s’y
rassembler autour du roi. Cette lectio constitue une très importante
distinction, qui rapproche les conciles d’une autre assemblée presti-
gieuse, peuplée non de seniores mais de senatores : le Sénat romain
tardif, où les sénateurs étaient nommés par l’empereur. Le parallé-
lisme a pu être suggéré par les contemporains eux-mêmes, car au

60
  Conc. Tol. VIII, éd. G. Martínez Díez, op. cit., V, p. 378.
61
  Conc. Tol. IX, éd. G. Martínez Díez, ibid., p. 514.
62
 Tolède XIV, concile provincial, ne rassemble que des évêques.
63
 Sur un mode certes ecclésiastique, comme l’excommunication du roi Suinthila et de sa
famille (Conc. Tol. IV, c. 7).
64
  Conc. Tol. IV, c. 3.

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hiérarchie et service dans le monde wisigothique

détour des sources apparaissent parfois un « Sénat » ou des « séna-


teurs » qu’il semble impossible de relier à une noblesse municipale
ou à l’aristocratie sénatoriale. La Chronique de Frédégaire qualifie ainsi
les nobles complices du coup d’État de Chindaswinth de « sénateurs
des Goths » 65 ; suivant la Chronique de 754 66, le dernier roi goth, Rode-
ric, renversa le roi Wittiza ortante Senatu, à la demande d’un « Sénat »
qui, en toute logique, doit désigner l’élite laïque et ecclésiastique du
royaume. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit sûrement pas d’un vocable
institutionnel, mais d’une simple image évoquant de façon parlante
l’élévation de statut obtenue par les quelques grands admis à y sié-
ger 67.
Comme les honores et les dignités, la participation occasionnelle
aux conciles généraux contribue donc à hiérarchiser la noblesse  :
cette distinction dessine les contours d’un petit groupe, probablement
instable, mais clairement situé au sommet de la pyramide aristocrati-
que. Tous ces honneurs dépendent essentiellement du choix royal.
Pourtant, celui-ci se fait en fonction du «  mérite  » de chacun, un
mérite fondé, entre autres, sur le prestige de la naissance qui rend
l’individu honor-abilis, « apte aux honneurs »  68. La militia actualise
simplement la hiérarchie sociale préexistante, fondée sur l’origo.
L’existence d’un lien entre service et hiérarchie des laïcs n’est donc
admissible qu’avec beaucoup de réserve ; demeure toutefois l’éven-
tualité d’une modification de statut grâce, ou à cause de la façon dont
un sujet s’acquitte de la militia.

S’élever, dégénérer

Deux questions complémentaires se posent d’abord. Un laïc peut-


il progresser dans la hiérarchie des honneurs ? Cette progression peut-
elle motiver une ascension sociale, c’est-à-dire l’obtention de dignités
plus hautes que celles auxquelles il aurait pu aspirer en fonction de
sa seule naissance ?

65
  Chronique du Pseudo-Frédégaire, IV, 82.
66
  Chronique de 754, VII.
67
 Elle doit donc désigner le concile général (restreint, malgré son nom) plutôt que l’as-
semblée élective de toute l’aristocratie (contra, C. Sánchez-Albornoz, « El Senatus… », op.
cit.).
68
  Isidore de Séville, Étymologies, X, 116, éd. W. Lindsay, Oxford, 1911.

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céline martin

Les sources sont malheureusement très discrètes sur ces deux


points. L’existence d’un cursus honorum a parfois été postulée 69, mais
elle est indémontrable. Certes, le jeune aristocrate commence sa car-
rière comme iunior ou gardingus, puis, en accomplissant des offices,
acquiert le statut de senior. Mais on peut difficilement parler de mobi-
lité ascendante pour de telles promotions, parfaitement attendues,
comme le montre la présentation par Julien de Tolède de Hildigisus,
un complice de la révolte de Paulus, qui, en 672, « se trouvait encore
au nombre des gardingi » 70. Rien n’indique que le genus ne définisse
d’avance la limite haute du statut auquel peut aspirer l’individu en
servant le roi.
Un contre-exemple exactement contemporain de Hildigisus incite
même à penser qu’une telle ascension sociale n’était ni commune ni
acceptable. Au début de son règne, le roi Wamba dépêcha à Mérida
comme numerarius Theudemundus, spathaire royal, qui fut nommé à
l’instigation de l’évêque, Festus, et « contre l’usage de son origine
[genus] et de son rang [ordo] » 71. La loi de 693 rapportant cela suggère
que le statut inadéquat de Theudemundus l’empêcha de s’imposer
aux grands propriétaires qui, comme à l’accoutumée, tentaient
d’échapper à l’impôt. Si, en effet, l’affaire nous est connue, c’est parce
que cette désignation aberrante produisit de tels résultats que Theu-
demundus et sa descendance encouraient toujours, vingt ans plus
tard, des attaques relatives à son mandat, accompli « contre la raison »,
« sans qu’il ait la force de faire face au pouvoir de la gens ». L’expres-
sion très vague imperium gentis renferme la clé du passage. Le spathaire
a visiblement fait l’objet de pressions, il a sans doute même reçu des
« cadeaux » pour épargner certains contribuables et reporter sur de
moins puissants la charge de l’impôt  72. À cette occasion, des paupe-
res ont dû être lésés, ce qui rend les évêques compétents pour juger
Theudemundus, et explique que cette affaire ait trouvé un écho dans
une loi de confirmation de concile. Le texte établit un lien entre,
d’une part, l’incapacité du personnage à résister aux potentes et, d’autre

69
 A. Isla Frey, « El Officium… », op. cit., p. 828.
70
 Cf. n. 44.
71
  (…) Wamba rex in ipso regnandi primordio Theudemundum spatarium nostrum contra generis uel
ordinis sui usum, Festi quondam incitatione Emerentensis episcopi, solius tantum regiae potestatis
impulsu in eamdem Emeretensem urbem numerariae officium agere instituit, quod etiam unius anni
excursu contra rationem noscitur peregisse, immo quia nec ualuit imperio gentis obsistere… (Conc.
Tol. XVI, éd. J. Vives, op. cit., p. 516).
72
 Sur l’interprétation ici du mot gens comme groupe aristocratique, pas nécessairement
gothique, voir C. Martin, « La notion de gens… », op. cit.

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hiérarchie et service dans le monde wisigothique

part, son genus et son appartenance à l’ordo des spathaires, inhabituels


pour un numerarius. En quoi le statut de Theudemundus et sa nomi-
nation à la numeraria de Mérida étaient-ils contradictoires ?
Une première raison à son impuissance, familière aux spécialistes
de la société carolingienne, était certainement sa fortune insuffisante :
on sait que les officiers les moins fortunés se laissent plus facilement
corrompre. Theudemundus ne devait en outre sa nomination qu’à
un caprice royal, sur une demande de Festus ; or, c’est en principe le
comte du patrimoine qui nommait les numerarii  73. Theudemundus
était « l’homme » du roi Wamba, probablement aussi de l’évêque, et
son origine et son patrimoine n’étaient pas à la hauteur de ses fonc-
tions. Il semble bien s’agir ici d’un cas d’ascension exceptionnelle,
mais il est unique dans notre corpus, et mena à un échec. Bien que
l’on ne puisse généraliser à partir d’un seul exemple négatif, l’absence
même d’autres cas connus ne plaide pas en faveur de la possibilité de
promotions par le service royal.
Il est vrai que les actes du treizième concile de Tolède révèlent
qu’au viie siècle des esclaves et des affranchis sont parfois intégrés à
l’office palatin, puis utilisés comme témoins dans des procès contre
leurs anciens maîtres. Un canon leur interdit l’accès à l’office palatin
et la charge d’intendant des domaines, sauf s’ils relèvent du fisc  74.
Une telle prohibition signifie que, jusque-là, certains des plus humbles
s’étaient élevés par le service du roi ; mais le pouvoir accru dont dis-
posaient ces quelques privilégiés n’avait aucunement pu effacer la
macule de leur naissance, dans le contexte de la seconde moitié du
viie siècle, où serui et liberti étaient de plus en plus assimilés dans la
même seruitus. Il paraît ainsi invraisemblable qu’ils aient reçu des
dignités palatines, car l’assemblée n’aurait pas manqué de s’en émou-
voir.
Le peu de données disponibles suggère donc que la militia ne per-
mettait pas aux laïcs de s’élever significativement dans la hiérarchie.
L’origo de l’individu l’accompagnait jusqu’à sa mort et marquait une
limite sociale qu’il ne pouvait dépasser sans mal, et surtout sans répro-
bation. Le cas inverse doit cependant être envisagé. Que se passait-il
si le laïc s’acquittait mal de ses obligations terrestres ?
Une telle éventualité est loin d’être pure hypothèse. Il est signifi-
catif que le verbe degenerare n’admette pas d’antonyme : s’il est malaisé
de s’élever au-dessus de son genus, en déchoir est un risque tout à fait

73
 Cf. la lettre De fisco Barcinonensi, éd. J. Vives, Concilios…, op. cit., p. 54.
74
  Conc. Tol. XIII, c. 6.

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céline martin

réel dans la société wisigothique. Une peine dégradante d’origine


romaine s’y est en effet répandue, surtout à partir de Wamba : l’infa-
mia ou infamatio. Elle peut frapper indifféremment les humiliores et les
nobles, qui ont toutefois beaucoup plus à y perdre  75. Condamné à
l’infamia, le sujet perd sa dignitas et sa capacité à ester ou témoigner
en justice, il ne peut donc plus exercer de responsabilités publiques
et sa parole n’est plus recevable. Cela ne signifie pas une perte totale
de la personnalité juridique, qui équivaudrait à la réduction au statut
servile : comme l’infamia romaine, simple restriction de la capacité
juridique, l’infamia wisigothique ôte au condamné la testimoniandi
licentia, et a donc essentiellement des effets de procédure. Si elle n’est
pas associée à la confiscation des biens, le droit de propriété de l’in-
famis n’est pas remis en cause.
L’infamia concerna d’abord, sous Chindaswinth, les assassins, sor-
ciers, devins, parjures, voleurs et rapteurs, ainsi que les religieux qui
retournaient au siècle  76 ; Wamba l’appliqua ensuite aux déserteurs,
donc à ceux qui n’accomplissaient pas la militia réservée aux laïcs. Le
parallèle avec la désertion de la militia Christi n’est pas un hasard, le
règne de Wamba ayant vu se produire à plusieurs égards une sorte
d’intégration théologique de la guerre, dont les prolongements caro-
lingiens sont bien connus 77. En procédant quelques années plus tard
à une amnistie, Ervige décrivit en détail les conséquences de l’infa-
mia :

Une loi de notre prédécesseur  78 établissait que tous ceux qui ne parti-
raient pas en campagne ou déserteraient de l’armée perdraient irrévoca-
blement le témoignage de leur dignité, une disposition dont la sévérité,
généralisée à tous les confins de l’Hispanie, soumit presque la moitié du
peuple à une ignobilitas perpétuelle. Ainsi, comme dans certains domaines
fonciers, circonscriptions et villages, les habitants sont rendus degeneres par
le fléau de cette infamatio et n’ont aucune licence de témoigner en justice,
ils semblent devoir périr sans remède par l’examen de la vérité ; de sorte

75
 C. Petit, « Iustitia y Iudicium en el reino de Toledo », in La giustizia nell’alto medioevo (secoli
V-VIII), t. 1, Spolète, 1995 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto
medioevo, 42), p. 843-932.
76
  LV, II, 4, 1 et III, 5, 3.
77
  J. Nelson, « Violence in the Carolingian World », in G. Halsall (dir.), Violence and
Society in the Early Medieval West, Londres, 1997, p. 90-107.
78
 En dépit d’un consensus que je pense erroné, il ne s’agit pas de la célèbre « loi militaire
de Wamba » (LV, IX, 2, 8), mais d’une loi qui n’a été conservée dans aucun des manuscrits
subsistants du Liber, où elle est remplacée par la non moins célèbre « loi militaire d’Ervige »
(LV, IX, 2, 9).

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hiérarchie et service dans le monde wisigothique

que le pays est ravagé par un double mal, entaché de l’infamie qui marque
le peuple et privé de toute assistance pour établir la vérité 79.

Il s’agit ici d’une application très large de l’infamia, même si Ervige


amplifie nettement la situation, dans l’attente que l’assemblée tolé-
dane annule les sanctions  80. Ce qui compte sans doute le plus aux
yeux du roi et de ses partisans – qui sont aussi les ennemis de Wamba,
renversé quelques mois plus tôt – est l’infamia non des simples libres,
mais des nobles. Or, il se trouve que beaucoup n’y ont pas été réduits
pour un simple manque d’enthousiasme à participer aux campagnes
militaires, mais pour leur participation à la conjuration de Paulus
contre Wamba en 672-673. L’infamia a donc frappé des nobles cou-
pables de trahison, celle-ci étant comprise en termes religieux et assi-
milée au parjure et à l’apostasie des moines – une assimilation logique,
dans la mesure où la fidélité repose sur le serment des sujets et où la
trahison était déjà, depuis 633, punie d’anathème 81.
Ervige obtiendra également l’annulation de la peine des complices
de Paulus, mais un peu plus tard, au concile de 683 : prudemment, il
ne procède que par étapes au « démontage » du système répressif de
Wamba. Le canon correspondant éclaire les conséquences de l’infa-
mia infligée aux membres de l’aristocratie :

Que tous ceux que la criminelle conjuration […] de Paulus a poussés à la


perfidie et a dépouillés de leur titre à un témoignage d’honestior [titulo
testimonii honestioris] retrouvent le statut de leur ancienne dignité [statum
dignitatis pristinae] et que désormais nulle entrave judiciaire ne les gêne,
mais que, tous, ils assument l’illustration de leur lignée et de leur noblesse
propre [generosae stirpis ac nobilitatis propriae] sans supporter plus avant la
macule de leur infidélité passée. Ceci devra s’appliquer à ceux de leurs
enfants nés après la susdite criminelle profanation de leurs parents 82.

La sanction pesant sur les séditieux les avait donc dépouillés, non
seulement de leur capacité en justice, mais aussi de leur « dignité »
ou rang palatin, statut permanent indépendant des charges accom-
plies à un moment précis 83. Elle avait en quelque sorte éteint l’éclat
de leur noblesse familiale (generosa stirps), si bien que leurs enfants

79
  Conc. Tol. XII, éd. G. Martínez Díez, op. cit., VI, p. 144.
80
 Annulation qu’il obtient par le canon 7.
81
  Conc. Tol. IV, c. 75.
82
  Conc. Tol. XIII, c. 1.
83
 Le canon mentionne aussi la confiscation de leurs honneurs et de leurs biens, un châti-
ment traditionnel des séditieux dans l’Empire non directement lié à l’infamia.

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nés après la condamnation n’étaient pas considérés comme nobles,


mais supportaient l’infamia de leurs parents 84. Le canon excluant de
sa portée les enfants nés avant les faits, il faut comprendre que leur
statut n’a en revanche pas été affecté : la noblesse d’origo repose sur
la situation des parents à la naissance, de même qu’un fils d’affranchi
né avant la manumission n’en perçoit aucun effet. Cette remarque est
très importante en ce qu’elle confirme que, dans le royaume de
Tolède, la noblesse d’un individu ne dépend pas de ses honores, mais
de sa naissance. Il y a fort à parier qu’après la révolte, considérant avec
la même défiance les conjurés et leurs fils adultes, donc nés bien avant
673, Wamba cessa de s’entourer de ces derniers et leur ôta leurs éven-
tuelles responsabilités politiques ; il n’avait, pour autant, ni motif suf-
fisant ni moyen de leur ôter leur noblesse.
L’infamia peut donc être comprise comme un mode d’actualisation
de la hiérarchie des laïcs : elle annule l’origo d’une personne qui n’a
pas accompli correctement la militia saecularis. L’existence d’une défi-
nition en droit du statut noble permet ainsi qu’une disqualification
morale se traduise par une véritable déchéance juridique et sociale.
Certes, les limites de nos sources ne nous permettront sans doute
jamais de savoir comment la noblesse percevait ce type de dégrada-
tion. Les grands cessaient-ils réellement de considérer comme leurs
pairs ceux de leurs semblables soumis à l’infamia ? Une tentative de
réponse devrait en tout état de cause faire place à la nuance, et tenir
compte du poids des solidarités personnelles dans le choix d’accepter,
ou non, qu’un statut nobiliaire soit remis en cause par une condam-
nation morale ou religieuse.

La hiérarchie laïque wisigothique est en définitive fondée sur la


naissance, à la fois pour la distinction entre libres et non-libres et en
matière de statut nobiliaire. Outre un prestige social, la naissance
noble produit des effets de droit ; or le droit est une ressource mani-
pulable, et les juristes wisigothiques n’étaient pas, en la matière, moins
ingénieux que leurs aînés romains 85. Ainsi exprimée en termes juri-
diques, la noblesse peut être annulée par décision judiciaire. La mili-

84
 Le Iudicium, adjoint par Julien de Tolède à son récit, mentionne l’arrestation de certaines
épouses : Iudicium in tyrannorum perfidia, III, éd. W. Levison, CCSL, 115, Turnhout, 1976,
p. 250-255.
85
 Cf. la rétroactivité de la promulgation du code de Recceswinth (Y. García López, Estudios
críticos…, op. cit., p. 23), ou l’utilisation en 694 de lois contre les séditieux pour dépouiller
de leur ingénuité tous les juifs, convertis ou non (C. Martin, La géographie…, op. cit.,
p. 344).

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hiérarchie et service dans le monde wisigothique

tia des laïcs ne détermine pas la hiérarchie de leurs statuts et ne per-


met sans doute pas leur ascension ; en revanche, mal exécutée, elle
peut causer leur déchéance 86. C’est sans doute l’originalité à laquelle
parvient, ou voudrait parvenir, le système wisigothique à la fin du
viie siècle : l’excellence sociale peut y faire l’objet de vérifications
occasionnelles, d’une confrontation à des critères présentés comme
moraux et religieux, mais où nous discernons bien sûr une dimension
politique. Mise à l’épreuve de l’ordre céleste, la hiérarchie terrestre
est périodiquement réajustée, et le topos romain qui associait en théo-
rie, mais pas toujours en pratique, l’origo et la uirtus, réactualisé : l’or-
donnancement juridique n’est plus loin de toucher l’idéal.

86
 La destitution du roi Suinthila en 631 est un autre exemple de ce type de procédé ajus-
tant l’ordre terrestre en fonction de l’ordre céleste. À l’horizon se dessine, déjà, la silhouette
du Louis le Pieux de 833, acculé à la pénitence par ses adversaires.

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Alban Gautier

Discours égalitaire et pratiques


hiérarchiques dans les guildes
anglo-saxonnes

«L
e banquet », écrivait Françoise Thelamon en 1992, « appa-
raît comme le temps fort de la sociabilité, scellant, fût-ce de
façon momentanée, une cohésion sociale qui se veut frater-
nelle, ou confortant, dans la jouissance du spectacle qu’elle se donne
d’elle-même, la hiérarchie sociale  1. » De même, et plus spécifique-
ment pour le Moyen Âge haut et central, Gerd Althoff remarque qu’il
convient de distinguer de manière très nette les repas conviviaux des
groupes à structure coopérative (genossenschaftlich strukturierte Personen-
gruppen) et ceux des groupes à structure seigneuriale ou de domina-
tion (herrschaftlich strukturierte Personengruppen) : si les banquets des
Freunde expriment l’égalité des participants et leur solidarité, ceux des
Getreue d’un seigneur ont pour but de renforcer la fidélité des pre-
miers et l’autorité du second 2. Selon Althoff, cet égalitarisme serait à
rapprocher de la notion d’amitié, au fondement des groupes de
Freunde : en effet, comme le dit Alcuin, « l’amitié, c’est l’égalité entre
amis » 3. Sans contester l’importance de cette distinction, et sans mini-
miser la dimension communielle des agapes fraternelles, j’ai cherché
dans un récent ouvrage explorant les usages du festin dans l’Angle-
terre anglo-saxonne à montrer comment, dans cet espace et dans cette
période au moins, tous les festins impliquant une certaine élite avaient
nécessairement une dimension hiérarchique et servaient aussi et peut-
être surtout à renforcer, à promouvoir, à initier des rapports de pou-
voir 4. Le présent article a donc pour objet de poursuivre cette enquête
en montrant comment le festin pouvait servir à la fois à renforcer la
hiérarchie et à propager l’idée de fraternité. En cela, l’étude des guil-

1
 F. Thelamon, « Sociabilité et conduites alimentaires », in M. Aurell, O. Dumoulin et
F. Thelamon (dir.), La sociabilité à table. Commensalité et convivialité à travers les âges (Actes du
colloque de Rouen, 14-17 nov. 1990), Rouen, 1992, p. 9-15. Je souligne la conjonction ou.
2
  G. Althoff, Verwandte, Freunde und Getreue : Zum politischen Stellenwert der Gruppenbindung
im früheren Mittelalter, Darmstadt, 1990, p. 210.
3
  G. Althoff, Verwandte…, ibid., p. 87.
4
 A. Gautier, Le festin dans l’Angleterre anglo-saxonne, ve-xie siècle, Rennes, 2006.

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alban gautier

des se révèle particulièrement fructueuse. En effet, fondées sur un


principe d’égalité, elles se font les promotrices d’un discours, voire
d’une idéologie, égalitaires. Pourtant, et c’est ce que je chercherai à
montrer ici, les pratiques hiérarchiques n’y sont pas entièrement
absentes.
De fait, il est une dimension du festin bien connue de tous les
« hommes qui boivent », pour reprendre l’expression chère à la poé-
sie vieil-anglaise. Donner un festin – et l’offrande d’un festin est une
forme éminente de don – c’est affirmer sa prépondérance sur ceux
qui en sont les destinataires  5, c’est faire d’eux ses obligés tout en
manifestant sa capacité à entretenir un grand nombre de personnes.
On peut ajouter que, puisqu’il oblige à rendre, ceux qui ne peuvent
rendre sous la forme d’un festin doivent le faire autrement, en parti-
culier par le service renouvelé envers leur seigneur, voire par le don
de leur vie. La symbolique de l’hydromel, en échange duquel le guer-
rier donne sa vie au combat, est de cet ordre 6. On pourrait presque
dire en reprenant les mots de Veblen que tout festin offert (et non
strictement partagé) représente une forme de « consommation osten-
tatoire par délégation  7  ». Veblen entend par là le principe selon
lequel les membres les plus riches et les plus éminents de la « classe
de loisir » ont tendance à faire consommer par « délégation » ou par
« procuration » ce qu’ils donnent, de manière à ce que ce don soit
bien visible : ainsi des bals, des festins, des potlatchs. D’ailleurs, ce trait
est bien marqué par le fait qu’il y a des consommateurs « premiers »
du festin, qui reçoivent les meilleurs morceaux, les meilleures places,
les plus beaux verres, et des consommateurs « secondaires », qui doi-
vent se contenter de ce qu’on veut bien leur allouer. À tous les niveaux
de la société, cette règle semble jouer : entre les meneurs et les sui-
veurs au sein du comitatus, entre la famille du prince et ses serviteurs,
entre les earls et les simples thegns à la cour anglo-saxonne au xie siècle.
L’un des exemples les plus frappants de cette distinction, au-delà de
la possibilité même d’assister au festin et de prendre place à table, est
celui de la place attribuée à chacun. L’image traditionnelle, tirée des
festins de la fin du Moyen Âge comme ceux de la cour de Bourgogne,
est celle d’un haut-bout et d’un bas-bout de la salle, déclinant la hié-

5
 M. Godelier, L’énigme du don, Paris, 1996, p. 21.
6
 A. Gautier, Le festin…, op. cit., p. 200-204.
7
 Th. Veblen, Théorie de la classe de loisir, Paris, 1970 [= trad. de The Theory of the Leisure Class,
1899], p. 47-52.

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discours égalitaire et pratiques hiérarchiques

rarchie sociale par une véritable « mise en scène de la société 8 » où


les convives, selon leur statut et leur place dans la grande chaîne
sociale, ne sont pas seulement distingués par leur place, mais aussi
par la nourriture qu’ils reçoivent. Il existe donc dans de nombreux
rassemblements festifs un genre de « dégradé des honneurs » auquel
les convives s’avèrent particulièrement sensibles. Il semble toutefois
imprudent de transposer directement cette image à une époque plus
ancienne et, surtout, dans des institutions et des groupes sociaux dont
le discours et les pratiques sociales semblent en grande partie égali-
taires.

Les statuts des guildes anglo-saxonnes nous sont connus, en géné-


ral, par des diplômes royaux, mais aussi par quelques chartes privées.
Quatre nous ont été conservés de manière suffisamment détaillée : ils
concernent des guildes basées à Cambridge, Exeter, Abbotsbury dans
le Dorset et Great Bedwyn dans le Wiltshire 9. Tous ont été édités au
xixe  siècle dans diverses collections de sources, souvent dans des
recueils de chartes : le Codex Diplomaticum de Kemble 10 et surtout le
Diplomatarium de Benjamin Thorpe  11. Ils ont enfin été traduits en
anglais moderne par Dorothy Whitelock dans le premier volume des
English Historical Documents 12. Il s’agit de textes en vieil anglais, légè-
rement antérieurs à leurs équivalents continentaux : les plus anciens
statuts de guildes anglo-saxonnes qui nous soient parvenus ont été
rédigés aux xe et xie siècles. Ils nous permettent d’aborder la sociabi-
lité urbaine, mais aussi un certain nombre de groupements aristocra-
tiques et/ou ruraux. Selon la définition d’Émile Coornaert, les guildes
sont en effet « des groupements volontaires, destinés à assurer la soli-
darité de leurs membres pour les fins les plus diverses ». Ces groupes
sont « fondés sur des rites porteurs d’une vertu en quelque sorte mys-
tique : le principal est la communion alimentaire, en particulier la
compotacio, à laquelle le christianisme ajoute des cérémonies spécifi-

8
  B. Laurioux, « Les repas en France et en Angleterre aux xive et xve siècles », in J.-L. Flan-
drin et J. Cobbi (dir.), Tables d’hier, tables d’ailleurs, Paris, 1999, p. 87-113, ici p. 109.
9
  Un catalogue électronique est disponible sur le site « Anglo-Saxon Charters » de l’univer-
sité de Cambridge, à la page « Guild Regulations and Manumissions » (http://www.trin.
cam.ac.uk/chartwww/manumit.html).
10
  J. M. Kemble, Codex Diplomaticus Aevi Saxonici, 6 vol., Londres, 1839-1848.
11
  B. Thorpe, Diplomatarium Anglicum Aevi Saxonici, Londres, 1865.
12
 D.  Whitelock, English Historical Documents, t.  1 (c.  500-1042), Londres, rééd. 1996
[désormais abrégé EHD I].

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ques 13 ». Les guildes du haut Moyen Âge ont été étudiées avec le plus
grand soin par Otto Gerhard Oexle 14, qui a bien montré leur impor-
tance en Angleterre et leur ressemblance avec des institutions connues
en Gaule et en Germanie depuis le vie siècle.
Or, l’un des aspects les plus intéressants des statuts des guildes est
qu’ils nous font entrer dans le domaine de la petite et moyenne
noblesse, des paysans les plus influents dans leurs communautés, des
élites locales, rurales et urbaines, mais aussi et surtout, à travers eux,
de leurs clients, parents, amis, dépendants, qui ne participent sans
doute jamais aux festins bien mieux connus des grands. En effet, les
guildes semblent exister à tous les niveaux de la société 15 ; en outre,
en Angleterre, où elles existent au moins depuis le viie siècle, elles ne
paraissent pas attirer la méfiance et les condamnations qu’elles pro-
voquent sur le continent. La potatio est, en effet, pour les Anglo-Saxons,
un acte qui ne peut être remis en cause, et ce dès le viie siècle : une
telle attitude se retrouve chez leurs parents les marchands frisons,
chez qui la potatio est le fondement de la sociabilité de la guilde 16. On
trouve ainsi des guildes de thegns (à Cambridge) ou de cnihtas – à
Cantorbéry depuis le ixe siècle, à Londres surtout à partir du début
du xie siècle –, mais aussi de bourgeois – le Domesday Book évoque le
gilhalla burgensium de Douvres 17 – et même de ruraux.
Otto Gerhard Oexle a bien montré que les associations jurées sont
présentes dans l’île de manière précoce, et même implicitement
approuvées dans les collections légales, puisque les lois d’Ine – à la fin
du viie siècle – interdisent au seigneur ou aux gegildan (compagnons
de guilde) d’un voleur de prêter serment pour lui 18. Il est intéressant
de remarquer que l’un des seuls Anglo-Saxons à condamner les coniu-
rationes de type « guilde » est Alcuin, qui vit, travaille et écrit sur le

13
 É. Coornaert, « Les ghildes médiévales, ve-xive siècle », Revue historique, 199 (1948),
p. 22-55 et 208-243, ici p. 233.
14
 O. G. Oexle, « Die mittelalterliche Gilden : ihre Selbstdeutung und ihr Beitrag zu For-
mung sozialer Strukturen », in A. Zimmermann (dir.), Soziale Ordnungen in Selbstverständnis
des Mittelalters, Berlin/New York, 1979 (Miscellanea Medievalia, 12/1), p. 203-226 ; Id.,
« Conjuratio et ghilde dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge : remarques sur la continuité
des formes de la vie sociale », Francia, 10 (1982), p. 1-19.
15
 F. M. Stenton, Preparatory to Anglo-Saxon England, éd. D. M. Stenton, Oxford, 1970,
p. 32-33.
16
 S.  Lebecq, Marchands et navigateurs frisons du haut Moyen Âge, Lille, 1983, t.  1,
p. 260-261.
17
  Domesday Book, Kent, fol. 1r, éd. J. Morris, Chichester, 1970-1992, t. 1.
18
 O. G.  Oexle, «  Gilden als soziale Gruppen in der Karolingerzeit », in H.  Jankuhn,
W. Jenssen, R. Schmidt-Wiegand et H. Tiefenbach (dir.), Das Handwerk in vor- und frühges-
chichtlicher Zeit, Göttingen, 1981, t. 1, p. 285-354, ici p. 309, n. 136.

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continent 19. Même les autorités ecclésiastiques ont pu s’appuyer sur


de tels groupements : un texte comme la « Loi des prêtres northum-
briens », qui date du second quart du xie siècle, a pu être analysé par
Pauline Stafford comme une tentative d’unir les prêtres dans des sor-
tes de guildes, sous l’autorité de l’évêque 20. Ce dernier exemple mon-
tre que, même en plein xie siècle, des autorités dont les bases étaient
dans le sud de l’île, et que l’on pourrait croire plus ouvertes aux
influences continentales et moins promptes à entériner la formation
d’associations jurées, ne rechignaient pas à l’idée d’en faire des « cour-
roies de transmission » de leur autorité. En effet, la « Loi des prêtres
northumbriens » a sans doute été rédigée à Worcester pour les prêtres
du diocèse de York à la demande ou sous l’influence d’un évêque
méridional tenant en pluralité les sièges de York et de Worcester – une
situation commune à la fin de la période anglo-saxonne –, ce qui laisse
supposer que ce prélat – peut-être l’archevêque Ælfric Puttoc – enten-
dait utiliser ce type d’institution pour mieux contrôler son clergé et
pour apporter un début de réponse au problème de leur isolement.
On a là une préfiguration dans le nord de l’île de l’établissement
d’archidiaconés ou de doyennés – une réforme qui se fera à la fin du
xie siècle  21, mais qui passe ici par le biais d’institutions de nature
essentiellement laïque.
Dans toute guilde, le festin tient une place importante, en général
à date régulière (annuelle le plus souvent) et lors d’une fête reli-
gieuse. Or il ne s’agit pas – comme c’est le cas dans la majorité des
contextes médiévaux connus – de repas offerts par un individu au
groupe, mais de banquets dont les frais sont répartis entre l’ensemble
des membres de l’association. La raison d’être de ces groupements,
en Angleterre, en Frise ou en Flandre, est triple : solidarité – entraide,
soutien mutuel, voire vengeance –, activités religieuses – prière pour
les morts, funérailles, aumônes –, banquets (ou beuveries). Même au
xiie siècle, où les guildes sont devenues pour la plupart des associa-
tions commerciales ou cultuelles, elles font toujours partie d’une
« grande famille dont la parenté est fondée essentiellement sur la
pratique commune des banquets et des libations  22 ». L’égalité des

19
  Alcuin, Ep., 4, éd. E. Dümmler, MGH, Epistolae Karolini Aevi, II, Berlin, 1895.
20
  P. Stafford, Unification and Conquest : A Political and Social History of England in the Tenth
and Eleventh Centuries, Londres, 1989, p. 196. Texte de la « loi » dans F. Liebermann (éd.),
Die Gesetze der Angelsachsen, Halle, 1903, t. 1, p. 380-385.
21
  J. Blair, The Church in Anglo-Saxon Society, Oxford, 2005, p. 490-491 et 494-497.
22
 É. Coornaert, « Les ghildes médiévales… », op. cit., p. 40 et 212.

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membres semble garantie par l’écot (gield ou geld en vieil anglais), le


paiement par lequel chacun contribue au repas commun. Qu’il ait ou
non donné son nom à l’institution, le geld est en effet étroitement lié
à l’idée de guilde. Si Coornaert a écrit que le sens de « festin, repas
sacrificiel », est premier, Benveniste a mis en avant le sens de « tribut
de réciprocité », « versement contre », qui recouvre les trois directions
prises par le terme : religieuse (sacrifice, paiement à la divinité), éco-
nomique (paiement) et juridique – indemnité, comme dans le mot
wer-geld, « prix de l’homme » 23. Les deux sens sont possibles, et peut-
être se sont-ils trouvés mêlés dès l’origine de cette institution. Maurice
Cahen a par ailleurs remarqué que, dans les textes latins produits en
Scandinavie, le mot convivium traduit souvent le mot norrois gildi  24.
En tout cas, quel que soit le sens premier, la confusion des trois sens
de « paiement » (sens favorisé par Benveniste), « festin » (sens favorisé
par Coornaert  25) et «  association  » est évidente en Angleterre et,
semble-t-il, ancienne. Dans un espace comparable, le mot scandinave
gildi veut dire à la fois boisson, banquet et association – d’après l’Is-
landais Snorri Sturluson au xiiie  siècle  26. Le vieil anglais possède
d’ailleurs un verbe et plusieurs substantifs tirés de cette racine : gieldan
– « payer, donner en redevance, restituer » –, gield – « paiement, tribut,
compensation, offrande, divinité païenne, guilde, fraternité » –, gegield
(« guilde, association »), gieldscipe (« guilde, association »), gieldheall
– « salle de la guilde » : c’est encore aujourd’hui le nom de l’hôtel de
ville de la cité de Londres, le « Guildhall » – et gegielda – « membre
d’une guilde, collègue de guilde » 27.
Le mode de constitution et d’activité des guildes semble donc aller
à l’encontre de l’idée de « dégradé des honneurs ». Dans ce cas, il
semble en effet que l’idéologie égalitaire l’emporte sur l’expression
de la hiérarchie. On ne connaît malheureusement pas la disposition
spatiale des repas de guildes dans l’Angleterre anglo-saxonne, mais il
est certain que l’égalitarisme y était mis en avant, au moins dans les
principes : les membres des guildes apportent tous un écot de même
valeur, ils versent les mêmes compensations en cas de faide ou pour
assurer les funérailles d’un de leurs membres. En particulier, lors du

23
 É. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, 1969, t. 1, p. 70-74.
24
 M. Cahen, La libation. Études sur le vocabulaire religieux du vieux-scandinave, Paris, 1921,
p. 59-65.
25
 É. Coornaert, « Les ghildes médiévales… », op. cit., p. 30-31.
26
 M. Cahen, La libation…, op. cit., p. 65.
27
  H. Sweet, The Student’s Dictionary of Anglo-Saxon, Oxford, 1896 (rééd. 1997), p. 74.

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festin qui réunit périodiquement les membres de la guilde, chacun


d’entre eux doit fournir une participation en nature ou en argent
dont la valeur est fixée par les statuts. Ceux de la guilde des thegns de
Cambridge stipulent ainsi qu’en cas de difficultés, et en particulier
dans les cas de faide ou de funérailles, chaque membre de la guilde
peut faire appel au gerefa – le régisseur/trésorier de l’association, équi-
valent du praepositus continental. Le meurtrier d’un membre de la
guilde est alors poursuivi par cette dernière ; la compensation exigée,
fixée à l’avance, se monte à huit livres, quels que soient le statut et la
richesse réels de la victime 28.
De même, les gegyldan de la guilde d’Abbotsbury devaient fournir,
à diverses dates échelonnées sur deux semaines en amont de la Saint-
Pierre – sans doute la Saint-Pierre-ès-Liens, le 1er août –, date du festin
de guilde : un denier – ou sa contre-valeur en cire –, un setier de blé,
une charge de bois et une miche de pain pour deux, « bien garnie »
(well gesyfled) 29. La contribution paraît relativement modeste, et cha-
cun pouvait donc participer au festin commun. Gageons cependant
que la distinction pouvait à nouveau se glisser dans la nature même
du syfl, c’est-à-dire du companagium accompagnant la miche de pain.
L’exigence était donc à la fois assez réduite pour pouvoir intégrer
chacun à la guilde, et assez vague pour permettre aux plus riches de
se distinguer par leur largesse. Cette guilde et son guildhall avaient
d’ailleurs été fondés, peut-être dans les années 1020 ou 1030, par un
homme de statut considérable : Urk (ou Orc, ou Orcy), housecarl des
rois Cnut et Édouard le Confesseur, un noble de l’entourage royal,
manifestement l’homme fort de la région sous les règnes de Cnut, de
ses fils et du Confesseur, c’est-à-dire pendant le second quart du
xie siècle 30. En atteste une série de chartes qui, entre 1024 et 1053,
donnent à ce personnage plusieurs terres et droits dans ce même
district du Dorset 31. Or Urk n’était pas originaire de la région : il faut
sans doute voir en lui un Danois venu en Angleterre dans le sillage de
Cnut. On peut donc faire l’hypothèse qu’il a utilisé la guilde pour
s’implanter – sans d’ailleurs en faire nécessairement partie lui-même :
un simple « patronage » de cette guilde est parfaitement envisageable.

28
  B. Thorpe, Diplomatarium…, op. cit., p. 610-613 ; trad. EHD I, p. 603-605.
29
  J. M. Kemble, Codex Diplomaticus…, op. cit., n° 942 ; trad. EHD I, p. 606-607.
30
  B. Yorke, Wessex in the Early Middle Ages, Leicester, 1995, p. 142.
31
 S 961, 1004 et 1063. L’usage veut que l’on cite les chartes anglo-saxonnes par la lettre S
suivie de leur numéro dans le catalogue de P. Sawyer (Anglo-Saxon Charters : An Annotated
List and Bibliography, Londres, 1968) disponible sur le site « Anglo-Saxon Charters » (http://
www.trin.cam.ac.uk/chartwww/charthome.html).

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Une fois cette implantation réalisée, peut-être au début des années


1040, il a pu passer à l’étape suivante et donner à l’église Saint-Pierre
d’Abbotsbury le bâtiment du guildhall et donc le privilège d’accueillir
les festivités – et les dons qui les accompagnent. Une vingtaine d’an-
nées plus tard, sa veuve Tole achevait ce transfert de propriété en
léguant ses biens au même établissement 32. De sa fondation, en appa-
rence égalitaire et associative, Urk a donc disposé comme d’un bien
patrimonial. Tout cela a d’ailleurs pu se faire avec l’encouragement
du roi Cnut, qui avait tout intérêt à voir un de ses fidèles renforcer
son influence dans un espace qu’il ne contrôlait qu’indirectement.
Abbotsbury est en effet situé dans le Dorset, c’est-à-dire dans le vieux
Wessex, région laissée par Cnut, au début de son règne, à son compé-
titeur cerdicing Edmond II Côtes-de-Fer : l’ayant enfin récupéré, il est
concevable qu’il ait cherché à y placer ses hommes. Ainsi, les guildes,
même si elles exaltaient l’égalité, pouvaient aussi servir à renforcer
l’ancrage local des élites, et leur capacité d’influence : nous y revien-
drons. On ajoutera que le fait de célébrer la fête de guilde à la Saint-
Pierre d’été, l’antique Lugnasad ou fête du dieu Lug, pouvait s’ins-
crire dans des pratiques folkloriques locales héritées de la période
brittonique – nous sommes dans l’ouest de l’île, après tout –, et per-
mettait sans doute une meilleure implication de la population locale
dans ces festivités nouvelles imposées et importées par un seigneur
nouveau 33.
Le nombre de convives pouvait aussi entrer en ligne de compte.
Les statuts de la guilde d’Exeter prévoient que chacun peut venir avec
un certain nombre de valets (cnihtas) pour lesquels un paiement spé-
cial doit être effectué à la « fête de tous les saints après Pâques » – le
13 mai, fête de tous les martyrs ou le 22 mai, festum reliquiarum Exo-
niensis ecclesie attesté au xiie siècle ? –, chaque gegilda contribuant pour
lui-même à hauteur de deux setiers de malt, et chaque cniht à hauteur
d’un setier de malt et un sceat (valeur, volume ?) de miel 34. Or il n’y
a pas de limite apparente au nombre de cnihtas que chaque membre
peut amener avec lui, du moment qu’il paie sa quote-part. De même,
les statuts d’Abbotsbury prévoient qu’en cas de dépassement d’un
certain nombre, une somme sera acquittée par celui qui a convié un

32
 S 1064.
33
  Je remercie J.-M. Picard pour m’avoir fait remarquer la pertinence de cette date. Il n’est
cependant pas exclu qu’il s’agisse de la fête des saints Pierre et Paul, le 29 juin.
34
 D. Whitelock, M. Brett et C. N. L. Brooke (dir.), Councils and Synods with Other Docu-
ments Relating to the English Church, t. 1, Oxford, 1981, p. 57-60 ; trad. EHD I, p. 605.

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discours égalitaire et pratiques hiérarchiques

nombre d’hommes supérieur à celui fixé à l’avance par le gerefa : celui


qui en avait la volonté et les moyens pouvait donc venir accompagné
d’une suite nombreuse, qu’il se soit ou non entendu préalablement
avec les instances dirigeantes de la guilde.
Sur le continent, quelques décennies plus tard, les membres de la
guilde marchande de Saint-Omer pouvaient inviter des convives (amis,
parents, etc.) au festin de guilde, à condition bien entendu de payer
pour eux une somme forfaitaire, en l’occurrence douze deniers, les
maîtres (de métier) étant libérés de cette obligation  35. Espinas et
Pirenne, qui ont édité les statuts de cette guilde, remarquent d’ailleurs
que cette « amende » de 12 deniers est aussi la somme forfaitaire la
plus souvent mentionnée par les statuts à peu près contemporains de
la « carité » de Valenciennes. Qu’ils aient ou non dû payer amendes,
compensations ou autres sommes supplémentaires, les membres les
plus influents d’une guilde trouvaient là des moyens de se distinguer.
On pense ici, pour prendre un parallèle très contemporain, à ces
entreprises ou à ces partis politiques qui transgressent volontairement
la loi en ouvrant le dimanche ou en présentant des listes presque
exclusivement masculines, quitte à devoir payer une amende : la trans-
gression des statuts représente pour eux un bénéfice – financier, sym-
bolique, de pouvoir – estimé supérieur au montant de l’amende.

Le cas de la guilde d’Exeter est, pour notre propos, particulière-


ment intéressant. Dès la première moitié du xe siècle, si la datation
proposée par Ker est exacte 36, il existait une fraternité jurée de laïcs
autour de la communauté cathédrale d’Exeter : on n’en connaît pas
avec certitude la postérité, mais à la fin du xie siècle, sous l’épiscopat
d’Osbern (1069-1103), des listes de noms furent ajoutées dans les
premiers et les derniers feuillets d’un évangéliaire vernaculaire
conservé aujourd’hui encore à la cathédrale d’Exeter. Les feuillets de
cet évangéliaire ont par la suite été dispersés entre deux manuscrits :
Exeter, Cathedral Library, 3501 – le célèbre « Livre d’Exeter », conte-
nant plusieurs chefs-d’œuvre de la poésie vieil anglaise –, et Cam-
bridge, University Library, Ii.2.11 – qui contient l’essentiel de l’évan-
géliaire d’Exeter  37. À travers ces feuillets, Duncan Probert a étudié

35
  Statuts de la guilde de Saint-Omer, § 5, éd. G. Espinas et H. Pirenne, « Les coutumes de la
gilde marchande de Saint-Omer », Le Moyen Âge, 14 (1901), p. 189-196.
36
 Mentionnée dans EHD I, p. 605.
37
 D. Probert, Unravelling Exeter’s post-Conquest manumission and gildship records : the example
of Colwyn the reeve ; article inédit présenté au séminaire d’histoire du haut Moyen Âge à

351

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des groupes d’individus, désignés par le mot gildscipe, et qui apparais-


sent donc en lien avec la cathédrale d’Exeter dans la seconde moitié
du xie siècle : chacun d’entre eux est en outre lié à un lieu, dont plu-
sieurs ont été identifiés par Probert dans le sud-est du Devon, autour
d’Exeter. D’après lui, et je le suivrai sur ce point, ces listes représentent
des guildes locales en lien avec la communauté religieuse du minster
cathédral d’Exeter, et sans doute affiliées à celui-ci, se réunissant dans
des centres ruraux. Gervase Rosser a parlé à ce sujet d’une « fédéra-
tion de guildes du Devon », y voyant un début de transition du système
du minster, centralisant les activités pastorales, vers le système parois-
sial  38. Probert a montré par ailleurs que plusieurs de ces centres se
retrouvent à la fois dans ces listes et dans le Domesday Book, où il s’agit
de toute évidence d’habitats paysans. Bien sûr, ces listes ne font abso-
lument pas état des éventuels statuts de ces guildes, et ne font donc
pas allusion à la nourriture ou à la boisson, encore moins à des festins
à date régulière. Mais tous les statuts que nous possédons font allusion
à des repas, et on peut suivre avec confiance la position d’Oexle sur
la question : le repas en commun est, avec le serment (« Eid und
Mahl »), l’un des deux piliers du phénomène des guildes dans le haut
Moyen Âge 39. Cela signifie qu’à la fin du xie siècle, il existait autour
du minster cathédral d’Exeter – mais en dehors de la paroisse cathé-
drale proprement dite – un réseau d’entraide et/ou de prière incluant
une population rurale de statut relativement peu élevé, et que ce
réseau fonctionnait en partie par le moyen d’assemblées – et sans
doute, à cette occasion, de repas – dans des lieux précis de la campa-
gne autour d’Exeter.
N’allons pas croire pour autant que ces festins paysans étaient par
là même des festins égalitaires, et qu’ils n’étaient pas le lieu d’une
dynamique de pouvoir et de hiérarchie. Duncan Probert a remarqué
que ses listes de membres de guildes commencent souvent par un
prêtre, comme s’il fallait qu’un prêtre préside la guilde, ou au moins
fasse le lien entre la guilde locale et la communauté cathédrale à
laquelle elle se rattache symboliquement 40. Les valets, les dépendants,
les esclaves participaient-ils à ces réunions de guildes ? Le Domesday

l’Institute of Historical Research de Londres, le 15 octobre 2003. Je remercie Duncan Probert


de m’avoir envoyé une version de cet article inédit. Certaines conclusions de sa thèse (non
publiée) sont reprises dans J. Blair, The Church…, op. cit., p. 454.
38
  G. Rosser, « The Anglo-Saxon Gilds », in J. Blair (dir.), Minsters and Parish Churches :
The Local Church in Transition, 950-1200, Oxford, 1988, p. 31-34, ici p. 31.
39
 O. G. Oexle, « Die mittelalterliche Gilden… », op. cit., p. 205.
40
 D. Probert, Unravelling Exeter’s…, op. cit.

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discours égalitaire et pratiques hiérarchiques

Book mentionne, pour les localités du Devon où ces guildes se réunis-


sent comme pour les localités avoisinantes, des vilains, des bordars et
des esclaves. Il est impossible de dire lesquels participaient réellement
aux assemblées des guildes : rappelons, en effet, que le Domesday Book,
en général, ne fait que dénombrer ces individus, sans les nommer. On
ne peut donc pas les retrouver dans les listes de l’évangéliaire.
D’ailleurs, si la comparaison peut être faite avec un texte hagiographi-
que du xie siècle, la Vie de Kenelm, la participation de paysans à ces
réjouissances ne signifie pas pour autant que « tout le village » parti-
cipe à la fête : y compris dans les communautés rurales, il y a des
distinctions et des hiérarchies sociales, il y a émergence de « notabi-
lités  », comme l’ont bien montré Wendy Davies pour la Bretagne
armoricaine ou Laurent Feller pour l’Italie centrale. La Vie de Kenelm
évoque en effet le cas d’une matrona, « présidente » d’un domaine 41,
qui refuse de laisser ses paysans chômer la fête de saint Kenelm : mais
la scène de miracle qu’encadre le récit a lieu, nous dit le texte, « alors
qu’elle était installée au repas le jour même de cette fête  42 ». C’est
donc bien qu’elle est en train de festoyer tout en empêchant ses valets
et servantes de le faire. Si la matrona de la Vie de Kenelm est bien dans
la position du seigneur d’un domaine rural, on peut s’attendre à ce
qu’elle entretienne à sa table sa famille et ses amis – venus sans doute
de domaines voisins. Le problème est qu’elle veut que le travail conti-
nue sur son domaine pendant qu’elle se réjouit : elle prive ainsi de
repos (et de festin) les paysans libres ou semi-libres qui travaillent son
domaine, ses esclaves et ses bœufs – ces derniers étant les seuls à être
explicitement nommés par la source. Mais si elle se repent à la fin de
l’épisode, il n’est pas question qu’elle les admette à sa table.
L’essentiel était donc, à tous les niveaux de la société, de faire
partie d’un groupe : guilde locale, domesticité d’un monastère, suite
d’un noble ou d’un gros propriétaire. Ce n’est qu’ainsi que les plus
humbles pouvaient espérer participer à des festins, car ils ne pou-
vaient pas être eux-mêmes les organisateurs d’événements de ce type.
Plus on s’éloigne des couches supérieures de la société, moins ces
événements sont visibles, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’avaient
pas lieu. En cela, les esclaves, liés à une terre et/ou à un propriétaire
unique, étaient sans nul doute les plus mal lotis. Certains propriétaires
pieux leur accordaient sans doute de chômer les dimanches et lors

41
  Vie de Kenelm (éd. R. C. Love, Three Eleventh-Century Anglo-Latin Saints’ Lives, Oxford,
1996), chap. 20 : uille presidens matrona.
42
  Vie de Kenelm, chap. 20 (ibid.) : uti recumbebat ad prandium in ipso die festo.

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alban gautier

des fêtes principales, mais leur horizon était nécessairement réduit,


diminuant d’autant les possibilités de festins. En descendant dans
l’échelle sociale, on ne voit donc pas disparaître pour autant la hié-
rarchie. Peut-être chaque homme avait-il la possibilité, par un certain
nombre de liens qu’il entretenait avec divers groupes, de participer
régulièrement à des festins, moins somptueux que ceux de la cour
mais importants à leur échelle. J’écris « chaque homme », mais il fau-
drait sans nul doute préciser : « ou chaque femme ». Un autre trait
intéressant des listes de gildscipe conservées dans l’évangéliaire d’Exe-
ter est en effet qu’elles contiennent des noms indéniablement fémi-
nins 43. Les guildes ne sont donc pas nécessairement des groupements
exclusivement masculins, même si beaucoup d’entre elles – y compris
dans certaines des listes de l’évangéliaire d’Exeter – ont sans doute
exclu, explicitement ou non, les femmes. Il est donc difficile de faire
des festins de guildes un équivalent strict des caritates monastiques,
exaltant une solidarité et un égalitarisme purement masculins, et s’op-
posant au festin hiérarchisé qu’on trouve par exemple au sein du
comitatus, où le rôle de la maîtresse de maison est d’affirmer cette
hiérarchie  44. Si les femmes pouvaient faire partie d’une guilde au
point d’être commémorées parmi les hommes dans les pages de
l’évangéliaire, peut-être pouvaient-elles aussi participer au festin de la
guilde ? Cette question restera, pour l’instant, sans réponse.

Dans le conte de la Belle au Bois-Dormant, la mauvaise fée est la


seule du royaume à ne pas être invitée au festin, et elle s’en venge
cruellement. Sans doute ne se serait-elle guère amusée au baptême
de la princesse : qu’importe, il faut « en être ». Il faut à tout prix, dans
cette société, s’intégrer à des groupes qui, entre autres activités, fes-
toient : communautés ecclésiales, comitatus guerriers, guildes urbaines
ou rurales. Il faut aussi multiplier ces appartenances et multiplier ainsi
les chances d’être convié. Mais pour quelle raison est-il si important
de participer régulièrement à des festins ? Est-ce seulement le besoin
de prendre part à un acte communiel ? Celui de la chaleur, de la
convivialité, de la joie du festin ? Celui d’avoir accès à un des lieux

43
 On trouve ainsi les noms féminins bien connus Edgiue (= Eadgifu, gildscipe de Clist Wike
et gildscipe de Wudebirig), Aðelhild (= Æthelhild, gildscipe de Wudebirig), Lifgiue (= Leofgifu,
gildscipe de Lege), Ailiue (= Ælfgifu, gildscipe de Clist Tun), Edgið (= Eadgyth / Edith, gildscipe
de Hnut Wille).
44
  Une idée avancée par D. A. Bullough, Friends, Neighbours and Fellow-Drinkers : Aspects of
Community and Conflict in the Early Medieval West, Cambridge, 1991, p. 17.

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discours égalitaire et pratiques hiérarchiques

privilégiés de la proximité avec les puissants ? En réalité, une double


question se pose : celle de l’éventuelle obligation de participer au
festin, et celle du bénéfice réel que procure cette participation, en
termes de prestige, d’influence, de richesse ou de pouvoir.
Je voudrais ici revenir sur les statuts de la guilde de Cambridge 45,
ou plus précisément de la guilde des thegns du shire de Cambridge.
Compilés vers la fin du xe siècle, les statuts de cette guilde indiquent
qu’elle repose avant tout sur un serment que les gegildan se prêtent
mutuellement sur des reliques. Par serment donc, ces derniers jurent
de se prêter assistance, en particulier pour les funérailles de l’un d’en-
tre eux ou dans la poursuite des faides. Les thegns du shire de Cam-
bridge sont des gens de condition : le mot thegn est un équivalent du
latin minister, et désigne à l’origine des hommes passés par le service
d’un roi ou d’un grand ; aux xe-xie siècles, il devient une pure marque
de statut, sans réelle référence à un quelconque service, et désigne
donc des membres de la noblesse 46. Plusieurs fois, le texte leur donne
d’ailleurs le titre de hlaford – équivalent du latin dominus – et les mon-
tre accompagnés d’une suite armée. Ils fréquentent, au moins pour
certains d’entre eux, la cour du roi, de l’évêque ou de l’ealdorman – le
comes ou dux de la région. Ils appartiennent donc à une catégorie
sociale dont certains membres sont susceptibles de posséder des
domaines dans tout le pays, ou du moins au-delà des seules frontières
du shire de Cambridge.
On remarquera aussi que, dans ce texte, l’assistance au festin du
roi, de l’évêque ou de l’ealdorman prime sur la solidarité de guilde :
s’il est interdit au gegilda de manger ou de boire avec le meurtrier d’un
autre gegilda, cette interdiction ne vaut pas dans les repas auxquels il
pourrait participer chez ses supérieurs. La raison de cette restriction
est d’abord pratique et liée au maintien de la paix publique : à la table
d’un plus grand, le thegn peut se trouver en face de n’importe qui, et
rechercher dans ce cas la vengeance poserait trop de problèmes et
romprait la paix du roi. Mais la raison est aussi que le thegn ne peut
refuser ce qui est sa raison d’être : se rendre à la cour du roi, siéger à
ses assemblées, s’asseoir à ses festins ou à ceux de ses agents. La ques-
tion de l’obligation est donc, d’une certaine manière, mal posée dans
le cas du thegn, et finalement de tout convive : le convive ne peut
refuser de « s’asseoir avec les hommes », car il fait lui-même partie des

  B. Thorpe, Diplomatarium…, op. cit., p. 610-613 ; trad. EHD I, p. 603-605.


45

 S. Keynes, « Thegn », in M. Lapidge et alii (dir.), The Blackwell Encyclopaedia of Anglo-Saxon


46

England, Oxford, 1999, p. 443-444.

355

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alban gautier

hommes, il se définit d’abord par son rapport avec l’instance qui orga-
nise le festin, qu’il s’agisse de son seigneur ou de sa communauté. Il
peut toutefois arriver que le souverain doive se prémunir contre la
possibilité que ses hommes ne quittent le festin avant qu’il n’ait lui-
même décidé de la fin des agapes : dans un passage de la Vie d’Æthelwold,
écrite par Wulfstan le Chantre vers 996, le roi Eadred (946-955) fait
barrer les portes de la salle de festin pour empêcher les convives de
sortir 47. On peut sans doute y voir un moyen de se prémunir contre
d’éventuelles violences en interdisant la fuite à tout assassin potentiel :
c’est en effet dans une circonstance comparable qu’Edmond l’Ancien,
frère et prédécesseur d’Eadred, avait trouvé la mort 48. Mais même en
dehors de circonstances aussi dramatiques, le festin est, comme le
remarque Gerd Althoff, un moment contraignant. Les règles de la
sociabilité s’imposent à ceux qui y participent, même si certains veu-
lent y échapper 49 : du moment qu’on accepte de « s’asseoir avec les
hommes », on doit se comporter comme l’un d’entre eux. Refuser de
siéger au repas, ce n’est donc pas seulement, pour le convive, s’exclure
de la communauté ou se démarquer de son seigneur, c’est nier son
statut même : rappelons que thegn signifie d’abord serviteur, et que
comes signifie d’abord compagnon, même si ces deux mots ont pu, au
fil du temps, prendre un sens juridique et administratif plus spécifi-
que.
Et pourtant, tout n’est pas là. Comme à Saint-Omer ou à Abbots-
bury, les statuts de la guilde des thegns de Cambridge précisent aussi
que l’assistance au festin de funérailles d’un des membres est obliga-
toire, sous peine d’amende. Mais ne doit-on pas plutôt comprendre
que la non-assistance au festin peut être rachetée par le paiement
d’une somme forfaitaire (ici, un setier de miel) ? Appartenir à une
communauté, dans ce cas à une fraternité jurée, suppose de participer
aux événements qui marquent la vie de cette communauté ; mais des
portes de sortie existent pour ceux qui en ont les moyens, et qui pré-
fèrent consacrer ce temps à des activités qu’ils jugent plus utiles ou
plus prestigieuses. La solidarité «  horizontale  » que représente la
guilde est donc sans cesse modifiée par d’autres considérations. Les

47
  Wulfstan le Chantre, Vie d’Æthelwold, chap. 12, éd. M. Lapidge et M. Winterbottom,
Wulfstan of Winchester : The Life of St Æthelwold, Oxford, 1991.
48
 S. Miller, « Edmund », in M. Lapidge et alii (dir.), The Blackwell…, op. cit., p. 159-160.
49
  G. Althoff, « Der frieden-, bündnis- und gemeinschaftstiftende Charakter des Mahles
im früheren Mittelalter », in I. Bitsch et alii (dir.), Essen und Trinken in Mittlelalter und Neu-
zeit, Singmaringen, 1988, p. 12-25.

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discours égalitaire et pratiques hiérarchiques

statuts des guildes ne sont en rien des lois « somptuaires », qui limite-
raient « l’évergétisme » de certains membres. Au contraire, les thegns
de Cambridge sont explicitement autorisés à venir festoyer avec leurs
serviteurs, cnihtas et fotsetlan. Dans leur pratique des aumônes, dans
leur participation aux activités communes, la distinction peut donc se
réintroduire dans les interstices de la réglementation. Entre gegildan
peut se créer une hiérarchie où certains membres tout juste capables
de payer l’écot bénéficient de la magnificence des plus riches : c’est
ainsi que se créent des liens de clientèle qui, pour être informels, n’en
sont pas moins efficaces. Gerd Althoff remarque lui aussi comment
les liens (officiellement égalitaires) de coopération et d’amitié peu-
vent dissimuler des liens de dépendance et de clientèle, en particulier
à partir du xe-xie siècle : avoir « beaucoup d’amis », c’est avoir la pos-
sibilité de mobiliser beaucoup de clients pour témoigner lors d’un
procès ou pour monter une expédition punitive 50. On ajoutera que
le vocabulaire de l’amitié et de l’égalité est pour le client un vocabu-
laire qui l’honore, sans coûter grand-chose au patron. Car ce sont bien
entendu les plus riches, ceux qui ont les possessions les plus disper-
sées, ceux qui sont le plus souvent demandés auprès du roi, de l’évê-
que ou de l’ealdorman, ceux qui reçoivent un office à la cour ou un
commandement militaire en dehors du shire, qui sont le plus suscep-
tibles de ne pas apparaître aux festins de la guilde : et pour cette raison
même, ce sont eux qui « subventionnent » le plus efficacement les
agapes de leurs frères jurés par les somptueuses amendes qu’ils paient
en compensation de leur absence. N’oublions pas d’ailleurs que les
plus grands aristocrates, à l’instar des grandes familles de l’Empire
carolingien, possédaient en général des domaines dans plusieurs
régions du royaume : ils étaient donc susceptibles d’appartenir simul-
tanément à plusieurs guildes. Ce qui confirme l’observation faite plus
haut : l’une des stratégies les plus répandues était bien de multiplier
les contacts.
Pour les plus importants, pour les plus puissants des thegns du Cam-
bridgeshire, l’appartenance à la guilde était donc intéressante de deux
manières. D’abord, en assistant de manière régulière aux festins de la
guilde, ils renforçaient leurs liens avec la moyenne et petite noblesse
de leur région, ils se montraient en personne suivis de leurs compa-
gnons pour qui ils payaient une participation qui ajoutait encore à la
somptuosité du festin  : ils «  entretenaient leur base  », dirait-on

50
  G. Althoff, Verwandte…, op. cit., p. 118.

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alban gautier

aujourd’hui en langage politicien. Mais en se tenant éloignés, à l’oc-


casion, de ces festins, ils renforçaient aussi à distance leur capacité à
influer sur la guilde en patronnant ses activités par l’intermédiaire
d’amendes généreusement versées. En même temps, ils pouvaient
s’occuper de leur avancement en regardant vers le haut, en assistant
aux assemblées, aux guerres, et pourquoi pas aux festins, du roi. Ce
qui leur permettrait, lorsqu’à nouveau ils assisteraient aux festins de
leur guilde, de faire miroiter aux yeux de leurs gegildan la faveur dont
ils jouissent à la cour. Avec un certain degré d’imagination – car les
sources restent muettes sur ce point – il est donc possible de concevoir,
chez certains thegns ou stallers « bien en cour », un subtil jeu de balan-
cier entre les festivités où l’on se montre et celles dont on se tient à
l’écart en invoquant toutes sortes de bonnes ou de mauvaises raisons.
À table comme sur scène, une star doit savoir se faire désirer.

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discours égalitaire et pratiques hiérarchiques

Annexes

Extrait des statuts de la guilde d’Abbotsbury, éd. J. M. Kemble, Codex


Diplomaticus Aevi Saxonici, Londres, 1839-1848, n° 942.

Ici est fait savoir par cet écrit que Urk a donné le guildhall et le site
d’Abbotsbury pour la louange de Dieu et de saint Pierre et pour que
la guilde 1 l’aie de son vivant et après lui, pour le souvenir perpétuel
de lui et de son épouse. (…)
Voici les termes sur lesquels Urk et les membres  2 de la guilde
d’Abbotsbury se sont accordés pour la louange de Dieu et de saint
Pierre et pour le secours des âmes. Premièrement, trois jours avant la
fête de saint Pierre, que chaque membre porte au minster un denier
ou la valeur d’un denier en cire, selon ce dont on aura le plus besoin.
Et la veille de la fête, pour deux co-membres, une grande miche de
pain, de bonne qualité et bien garnie, pour notre commune aumône ;
et cinq semaines avant la Saint-Pierre, que chaque membre verse un
setier de guilde de pur froment, et qu’il soit versé dans les deux jours
sous peine de payer la totalité du droit d’entrée, à savoir trois setiers
de froment.

Statuts de la guilde des thegns de Cambridge, éd. B. Thorpe, Diplo-


matarium Anglicum Aevi Saxonici, Londres, 1865, p. 610-613.

Ici dans cet écrit est exposé l’établissement sur lequel cette asso-
ciation  3 s’est accordée dans la guilde des thegns de Cambridge. À
savoir premièrement que chacun prêterait aux autres sur des reliques
un serment de vraie fidélité, devant Dieu et devant le monde, et que
toute l’association devrait toujours soutenir celui qui a le plus grand
droit.
Si un quelconque membre meurt, que toute la guilde l’amène là
où il le voulait ; et que celui qui ne vient pas paie un setier de miel ;
et que la guilde fournisse la moitié des provisions pour le mort ; et
que chacun cotise deux deniers pour les aumônes, et que l’on en
porte ce qui convient à sainte Æthelthryth 4.

1
  Pour gild et gildscipe.
2
  Je traduis par « membre » et « co-membre » les mots gilda et gegilda.
3
  Je traduis ainsi gefarræden, littéralement « conseil de compagnons ».
4
  À l’abbaye d’Ely.

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alban gautier

Et si un quelconque membre a besoin de l’aide de ses compa-


gnons  5, que cela parvient à la connaissance de l’intendant  6 le plus
proche de ce compagnon, et que l’intendant – sauf si le compagnon
lui-même est à proximité – néglige cette information, qu’il paie une
livre. Si le seigneur  7 la néglige, qu’il paie une livre, sauf s’il est au
service de son propre seigneur, ou s’il est malade au lit.
Et si quiconque tue un membre, qu’il n’y ait d’autre compensation
que huit livres ; mais si le meurtrier dédaigne le recours à la compen-
sation, que toute la guilde venge le membre et que tous s’en chargent.
Et si un seul le fait, que tous s’en chargent.
Et si un membre tue un homme, et si cela est dû à la nécessité de
la vengeance et pour réparer une injure, et si celui qui a été tué est
un « douze centenaire  8 », que chaque membre contribue pour un
demi marc 9 à son aide. Et si le mort est un ceorl, deux ore 10. Et si c’est
un esclave 11, un ore. Mais si le membre a tué quelqu’un par égarement
et par fureur, qu’il porte seul le poids de ce qu’il a fait.
Et si un membre tue son co-membre par sa propre folie, qu’il se
charge lui-même de traiter avec les parents pour sa transgression et
paie à ses co-membres une compensation de huit livres, ou bien qu’il
renonce à leur compagnonnage et à leur amitié.
Et si un membre mange ou boit avec celui qui a tué son co-membre
– à moins que ce soit devant le roi, devant l’évêque du diocèse ou
devant l’ealdorman – qu’il paie une livre, sauf s’il peut, avec deux de
ses commensaux 12, nier qu’il le connaissait.
Si un membre en insulte un autre, qu’il paie un setier de miel, sauf
s’il peut se purger de l’accusation avec deux de ses commensaux.
Si un valet 13 tire son arme, que son seigneur paie une livre : qu’alors
le seigneur récupère ce qu’il peut, et que toute la guilde l’aide à
recouvrer son argent. Et si un valet en blesse un autre, que son sei-
gneur venge l’offense, et toute la guilde aussi : quelle que soit la pro-
tection qu’il recherche, qu’il ne s’en tire pas avec la vie. Et si un valet

5
  Pour gefera.
6
  Pour gerefa, qui traduit habituellement le latin praepositus.
7
  Pour hlaford.
8
  Un homme dont le wergeld est de 1 200 sous.
9
  Un marc représente alors 100 deniers.
10
  Unité de compte danoise, représentant 1/8 de marc.
11
  Pour wylisc : peut aussi signifier « gallois ».
12
  Pour gesetlan, littéralement « ceux qui s’assoient » (avec lui).
13
  Pour cniht.

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discours égalitaire et pratiques hiérarchiques

prend place dans le stig 14, qu’il paie un setier de miel. Et si quelqu’un


a un serviteur 15, qu’il fasse de même.
Et si un quelconque membre meurt ou tombe malade hors de la
région, que ses co-membres aillent le chercher et l’amènent, mort ou
vivant, jusqu’à l’endroit où il voudra aller, et cela sous peine de
l’amende déjà mentionnée pour le cas où il mourrait chez lui et où
le co-membre ne viendrait pas veiller le corps. Et que le membre qui
n’assisterait pas à l’oraison du lendemain matin paie un setier de
miel.

14
 Sans doute l’espace clos où se déroule le repas.
15
  Pour fotselta, littéralement « celui qui s’assoit aux pieds ».

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Geneviève Bührer-Thierry

Pensée hiérarchique et
différenciation sociale :
quelques réflexions sur
l’ordonnancement des sociétés du
haut Moyen Âge

À
l’origine même de toute pensée hiérarchique, on trouve le
sacré : hiéros, qui manifeste la présence de la divinité en ce
monde et légitime l’organisation politique et sociale en la
décrivant comme conforme à l’ordre du monde 1. Mais l’impact de la
pensée hiérarchique sur les formes sociales n’est pas toujours facile à
observer, même s’il est particulièrement visible dans les sociétés orien-
tales, et notamment dans l’Empire romain d’Orient.
« La hiérarchie des dignités impériales, symbole de l’ordre terrestre,
la taxis, fut aussi indispensable à la survie de l’Empire [byzantin] que
l’armée ou les murs de Constantinople. Elle rendait perceptible à tous
la place que tenait l’empereur, au centre du monde. Cette doctrine
permettait à chacun, Byzantin ou étranger, puissant ou simple fonction-
naire des bureaux, de trouver son exacte place dans la société 2. »
Byzance, en effet, a établi très tôt une hiérarchie précise des fonc-
tionnaires qui dura jusqu’à la fin de l’Empire. Le noyau repose sur les
vieilles traditions romaines, mais on y trouve aussi l’influence des
monarchies orientales. C’est Valentinien Ier qui promulgua dans tout
l’Empire d’Occident en 372 toute une série de décrets pour régler le
système des préséances. L’ensemble de cette législation passa dans le
Code Théodosien et devint ainsi une réalité dans l’ensemble de l’Empire.
Dans la théorie politique du Bas Empire, ces préséances prenaient
une importance inattendue, tout manquement à cet ordre étant consi-
déré comme un sacrilège et sévèrement puni.
L’importance des préséances pour les Byzantins est exprimée dans
la préface du taktikon de Philothée (989)  3. La place éminente que

1
 M. Godelier, Au fondement des sociétés humaines, Paris, 2007, p. 37-43.
2
  J.-C. Cheynet, L’Empire romain d’Orient, Paris, 2004, p. 75.
3
 N. Oikonomidès, Les listes de préséances byzantines des ixe et xe siècles, Paris, 1972.

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geneviève bührer-thierry

quelqu’un occupe dans sa vie et la valeur des titres qu’il porte ne se


manifestent que par l’ordre de préséances, essentiellement dans le
cadre des banquets impériaux : y introduire une erreur ou une confu-
sion serait ruiner la valeur des titres impériaux. L’ordre a donc une
importance exceptionnelle, la taxis fait partie du culte impérial : ne
pas respecter l’ordre serait comme amputer ce qu’il y a de plus impor-
tant dans la gloire impériale et celui qui le tolérerait négligerait le
peuple, la société, et détruirait tout ; l’ordre est nécessaire pour que
le pouvoir impérial soit respecté par les sujets de l’Empire. En imitant
l’harmonie de l’univers due au Créateur, l’autorité impériale trouve
un moyen de consolider son pouvoir.

Sans nul doute, dans l’Occident barbare, trouve-t-on un discours


similaire sur l’essence de la hiérarchie, partout présentée comme se
référant à l’harmonie et à l’ordre du monde. Mais, il est évident que,
contrairement à ce qui se passe en Orient, il ne reste que peu de chose
de cette nomenclature romaine dès les premiers siècles du Moyen Âge,
malgré la persistance de quelques éléments de ce système dans le
royaume d’Espagne wisigothique – et peut-être dans le royaume ostro-
gothique d’Italie –, où le roi continue de distribuer des dignités éven-
tuellement hors de toute fonction. Mais, dans l’ensemble des royaumes
barbares, la redéfinition de l’idéologie politique autour de la fidélité
royale et de l’ethnicité semble avoir complètement désorganisé les hié-
rarchies anciennes héritées du monde romain au profit d’une société,
qui, certes, n’est pas égalitaire, mais qui secrète une hiérarchie dont le
point de référence ne saurait être la cascade des dignités et des fonc-
tions distribuées et reconnues par l’État. Elle reste de ce fait plus diffi-
cile à mesurer, à évaluer, et on ne peut que constater qu’à l’exception
de Céline Martin et Stefano Gasparri – et de Jean-Michel Picard, mais
qui étudie l’Irlande qui est un autre monde –, rares sont ceux qui ont
choisi de parler des premiers siècles du Moyen Âge, alors que c’est tout
naturellement la période carolingienne qui occupe ici la vedette.

C’est en effet seulement avec la période carolingienne, et surtout au


ixe siècle plus qu’au viiie siècle, que se développe une réflexion sur ce
qui fonde et justifie la hiérarchie en ce bas monde, ce qu’on peut tenir
comme une preuve du fait que les constructions idéologiques visant à
légitimer un système de domination précèdent rarement les pratiques
sociales mais leur succèdent plus volontiers. Il n’est cependant pas inu-
tile de commencer par une réflexion sur ce qu’était, pour les auteurs
du ixe et xe siècles, l’essence même de la hiérarchie.

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pensée hiérarchique et différenciation sociale

Essence de la hiérarchie

Il me semble, tout d’abord, que l’essence de la hiérarchie telle


qu’on la conçoit en Occident se décline sous des formes particuliè-
res et ne se réfère pas à une nomenclature sanctionnée par le pouvoir
suprême : car si on cherche, par définition, à ordonner l’ensemble de
la société chrétienne verticalement, notamment en fonction de l’auto-
rité exercée par les uns sur les autres, on ne manque jamais non plus
de rappeler que cet ordonnancement hiérarchique contient une part
d’égalité et que le respect de la hiérarchie passe aussi par le respect
de ses propres pairs.
Ainsi le capitulaire de Pîtres de 862, probablement rédigé par
Hincmar, présente-t-il la chute des anges comme une leçon pour ceux
qui sèment violence et destruction. La tâche de l’homme est de rega-
gner sa place au ciel parmi les anges qui fournissent le modèle de
toute hiérarchie, au point qu’il existe un rapport établi entre les caté-
gories d’anges et les catégories de chrétiens comme le souligne Bruno
Judic. Or, le démon et ses acolytes ont été expulsés du royaume des
cieux parce qu’ils n’ont pas voulu être les sujets de Dieu et les égaux
des autres anges. Les hommes doivent également accepter leur statut
comme sujet du pouvoir qui a été institué par Dieu et ils doivent
accepter d’avoir des pairs et des égaux dans le royaume des Francs 4.
Sinon, ils deviennent des sujets du démon. La distinction de rang
entre les hommes est instaurée par Dieu, elle est une émanation de
l’ordre divin, mais elle est associée, comme on le voit ici, à un principe
d’unité que nous retrouvons dans presque toutes les communications
de ce volume et qui tend à combiner systématiquement le vertical et
l’horizontal. En ce sens, l’interprétation par Hans Werner Goetz du
schéma des trois ordres, même si elle ne rallie peut-être pas tous les
suffrages, montre que la théorie des ordines repose sur un souci de
l’Église de mettre en garde les élites – laïques comme ecclésiastiques
– contre une surestimation d’elles-mêmes, en cherchant à les intégrer
dans un système global, où elles occupent une place dans la dépen-
dance des autres, tout en leur conservant une place supérieure. Il ne
s’agit finalement de rien moins que de penser l’égalité anthropologi-
que de tous les hommes et l’inégalité sociale sans contradiction.
C’est aussi le sens de l’apport de Jean Scot Erigène, qui répand la
conception de la hiérarchie angélique en réconciliant hiérarchie ter-

  Capitularia regum Francorum II, éd. A. Boretius, Hanovre, 1890, n° 272, p. 305-306.
4

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geneviève bührer-thierry

restre et hiérarchie céleste, puisque le genre humain formera le


dixième ordre hiérarchique dans la Jérusalem Céleste. Mais, au sein
de ces hiérarchies parallèles, on peut déceler aussi l’unité dans la
diversité qui tend à établir une hiérarchie globale, articulée sur plu-
sieurs plans qui permettent de remonter par degrés jusqu’à la divinité
grâce à un certain nombre de médiations. Et Jean-Michel Picard nous
a bien montré pourquoi ce schéma « angélique » avait été si bien reçu
dans la société irlandaise fondée sur une hiérarchie des rangs et des
statuts, dans un souci de correspondance qui permet de penser un
monde au sein duquel tous les éléments sont liés.
Cette hiérarchie d’origine divine fonde aussi théologiquement la
hiérarchie ecclésiastique à proprement parler, conçue comme une
source jaillie de la succession des apôtres instituée par Dieu. Et pour-
tant, l’origine divine de la hiérarchie ecclésiastique n’aboutit pas à
l’établissement d’une hiérocratie comme l’ont montré Dominique
Iogna-Prat et Rafaele Savigny, parce que la hiérarchie ne s’oppose pas
à la communauté, elle est au contraire ce qui la rend possible. La
hiérarchie est comme l’organe de la communauté : l’existence et l’ac-
tion de la hiérarchie permettent à la communauté de se réaliser
comme communio dans le Christ, le Seigneur invisible, mais qui est là
présent et qui agit, et c’est pourquoi l’importance de la hiérarchie
ecclésiastique est favorisée par l’essor du réalisme eucharistique. Sans
la hiérarchie, chaque fidèle serait directement lié au Christ, seul, et il
n’y aurait pas de communauté possible et donc pas d’Église et pas de
moyens collectifs de salut. En revanche, faire de la hiérarchie une
simple émanation de la communauté, justifiée par le seul service
rendu à la communauté, serait évidemment incompatible avec l’ins-
titution divine et donc avec une authentique théologie catholique 5.
Enfin, l’origine divine de la hiérarchie permet sans nul doute de
hiérarchiser les sociétés entre elles en présentant la société organisée
dans le cadre de l’ecclesia, comme la seule société authentiquement
humaine. C’est pourquoi, dans le sillage d’Isidore et de Bède, Hraban
Maur et Sedulius Scottus expliquent que l’ecclesia est créée par une
convocatio à l’initiative de Dieu qui « appelle » à y entrer les êtres rai-
sonnables, c’est-à-dire qui peuvent entendre et comprendre cet appel,
contrairement à la synagoge qui n’est qu’une congregatio pouvant ras-

5
 L. Scheffczyk, « Communio Hierarchica. Die Kirche als Gemeinschaft und Institution », in
Ecclesia militans. Studien zur Konzilien- und Reformationsgeschichte Remigius Bäumer zum 70.
Geburtstag gewidmet, t. 1 (W. Brandmüller, H. Immenkötter et E. Iserloh (éd.), Zur Kon-
ziliengeschichte), Paderborn/Munich, 1988, p. 553-569.

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sembler également des êtres inanimés et des animaux – inanimae et


pecora –, où l’on rejoint le thème des non-chrétiens comme « chiens »,
c’est-à-dire comme infra-humains 6. Or, si les chrétiens sont ici « appe-
lés », c’est pour se mettre en marche vers une société idéale et c’est
la hiérarchie terrestre qui doit leur permettre d’atteindre ce but. Mais
quelle hiérarchie ?

Formes de la hiérarchie

On a voulu étudier ici les différents modèles hiérarchiques qui


découlent de plusieurs inspirations et de plusieurs expériences.
L’expérience monastique produit un modèle hiérarchique dont
Otto Gerhard Oexle montre qu’il repose à l’origine sur un idéal d’éga-
lité dans la communauté, une égalité qui se reflète dans la discipline
et l’uniformisation du mode de vie et, qui, pour cette raison, est évi-
demment mise en péril par le double mouvement de monachisation
du clergé et surtout de cléricalisation du monachisme, bien percepti-
ble à l’époque carolingienne, la hiérarchie cléricale imposant que les
moines non ordonnés demeurent tout en bas de la pyramide, ruinant
ainsi toute idée d’égalité au sein du monastère.
La hiérarchie cléricale s’impose donc comme le modèle de réfé-
rence, sans pour autant demeurer statique et sans qu’on puisse la
considérer comme une structure monolithique : d’une part, en raison
de la grande variété sociale des individus appelés à remplir la fonction
épiscopale comme l’indique Stefano Gasparri pour l’Italie des vie-
viie siècles ; d’autre part, en raison des modifications intervenues au
sein de la hiérarchie elle-même, comme l’indique Steffen Patzold
pour qui cette hiérarchie ecclésiastique est finalement beaucoup plus
ouverte et beaucoup plus plastique qu’on ne veut bien le dire, même
si elle ne se soumet qu’à des processus de transformation assez lents.
Enfin, Alain Rauwel a raison d’insister sur la mutation des viiie-xe siè-
cles révélée par la liturgie qui substitue progressivement à l’évêque-
prêtre, un évêque-chef, pour le plus grand profit de l’ordo sacerdotalis,
qui désigne désormais tous ceux qui sont capables de « faire le Dieu »
de leurs propres mains. Le primat de l’eucharistie, préparé à l’époque
carolingienne et renforcé par la crise bérangarienne puis par la

6
  G. Bührer-Thierry, « Des païens comme chiens dans le monde germanique et slave du
haut Moyen Âge », in L. Mary et M. Sot (dir.), Impies et païens entre Antiquité et Moyen Âge,
Paris, 2002, p. 175-187.

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réforme grégorienne, a de très nombreuses conséquences sur la hié-


rarchie elle-même et sur la distribution du rôle des intermédiaires
susceptibles d’intervenir auprès de Dieu pour les fidèles. Ainsi, les
prières des moniales se trouvent-elles dévalorisées par rapport à la
valeur toujours plus grande accordée à l’eucharistie dont elles sont
exclues, soumettant encore plus nettement qu’auparavant les monas-
tères féminins à la hiérarchie cléricale exclusivement masculine,
comme le souligne Hedwig Röckelein. Quand bien même des abbes-
ses de haute naissance parviennent à court-circuiter la hiérarchie
ecclésiastique pour se placer directement sous l’autorité du pape ou
du roi, en tant que femmes, elles doivent rester soumises aux hommes
dans l’ordre hiérarchique et peinent même à être intégrées dans les
grandes structures qui se mettent en place avec la réforme grégo-
rienne, car la hiérarchie – tout comme la théorie des ordines – a été
pensée sans elles au départ.
Il faut cependant se poser la question de savoir jusqu’à quel point
cette hiérarchie ecclésiastique est autonome par rapport à la société,
surtout dans la mesure où le dépassement des hiérarchies sociales par
les élites cléricales est souvent perçu comme un danger pour l’harmo-
nie de la société, comme l’enseignent par exemple les critiques de
Thégan contre Ebbon et d’autres évêques, indignes selon lui d’exercer
la charge épiscopale en raison de leur humble naissance. On discerne
là un hiatus évident entre le bel ordonnancement produit par la pensée
hiérarchique d’un Jean Scot et la dure réalité sociale, qui n’accorde
honneur et dignité qu’à ceux qui se placent au sommet de la pyramide
hiérarchique d’abord par leur naissance. Est-ce à dire que la hiérarchie
est donnée une fois pour toutes et qu’elle exclut la mobilité sociale ? Il
fallait donc se pencher, pour finir, sur les formes perceptibles de cette
hiérarchie sociale et sur les critères auxquels elle obéit.

Critères des hiérarchies sociales

Les distinctions sociales qui permettent d’établir une hiérarchie


passent d’abord, comme à l’époque romaine, par la relation de l’in-
dividu à son propre corps. Si Jean-Michel Picard indique que la hié-
rarchie irlandaise ne connaît qu’un seul « prix du corps » pour tous
les hommes libres, contrairement au « prix de l’honneur » qui est
hiérarchisé, le non-libre ne dispose ni de l’un, ni de l’autre : au mieux
son corps vaut le prix qu’on l’a acheté. Cette situation, qui reflète la
réalité d’une société où l’esclavage n’a pas disparu, pose bien sûr le

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problème de la possibilité de penser l’esclavage dans un système où


tous les hommes sont égaux devant Dieu. Mais ce critère existe égale-
ment sur le continent, où la qualité sociale d’un individu est aussi
marquée dans son propre corps et suppose de n’être soumis ni au
travail forcé, ni aux peines afflictives, comme l’indiquent Laurent Fel-
ler et Céline Martin.
La hiérarchie est ensuite fondée sur la relation de l’individu à
l’autorité légitime. C’est une hiérarchie des fonctions, des offices et
des services comme dans l’Espagne wisigothique, dont Céline Martin
nous montre qu’elle ne fait souvent qu’actualiser la hiérarchie sociale
préexistante, fondée sur la naissance et ne permet guère l’ascension
sociale, même par la faveur du prince. Partout, cependant, on observe
que l’accession ou le maintien à un haut niveau de la hiérarchie impli-
que un lien avec une autorité légitime, de manière à ce que l’exercice
d’un pouvoir sur les autres ne soit pas le seul fait de la richesse ou du
charisme personnel, mais soit légitimé par une autorité supérieure.
On le voit particulièrement bien dans l’Italie de Laurent Feller et de
Vito Loré, où il n’est de position durable dans la hiérarchie que par
inclusion des élites dans la sphère publique. Au-delà même de la ques-
tion de l’autorité, intervient le critère de la capacité à nouer des rela-
tions avec l’extérieur : indéniablement, c’est la possibilité, pour cer-
tains membres des communautés rurales des viiie-ixe siècles, d’entre-
tenir des liens avec la cour, avec la ville, avec le pouvoir, c’est-à-dire la
capacité à appartenir à deux mondes à la fois, qui les qualifie comme
« notables », et leur permet, grâce à cette position de « médiateurs »,
de participer au groupe des élites.
Enfin, peut-être, la différentiation sociale ne joue-t-elle pas tou-
jours en faveur des élites les plus puissantes, notamment en ville, lors-
que le roi carolingien tend à privilégier le partenariat avec certains
évêques ou avec certains papes issus d’un milieu moins relevé, de
manière à contrôler ou à marginaliser des élites trop remuantes
comme le propose Thomas Lienhard.
C’est dans ce cadre que se pose le problème particulier de la rela-
tion à la personne du prince. Philippe Depreux a insisté sur la réalité
de la hiérarchie aulique qui fait écran entre le roi et ses sujets. On
mesure bien cependant le caractère extrêmement fluide et peu codi-
fié de cette hiérarchie qui entoure le prince dans son palais, ne serait-
ce que dans la polyvalence des membres du palais – surtout si on la
compare à la hiérarchie des offices byzantins. C’est cette fluidité qui
permet à chacun d’espérer accéder à la « faveur du prince », faveur
dont Gerd Althoff a montré qu’elle faisait partie des rituels à travers

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lesquels se manifestait la Staatlichkeit du haut Moyen Âge 7. Mais, si la


distribution de la faveur permet de distinguer un individu et de le
hisser au sommet de la hiérarchie par la proximité royale, sans égard
pour la place qu’il occupe à l’origine dans cette hiérarchie, ce peut
être un jeu dangereux pour le roi s’il bouleverse la hiérarchie au
profit d’un « favori », dont on ne manquera pas de souligner la bas-
sesse – souvent fictive – des origines. En ce sens, on peut dire que la
hiérarchie joue contre le charisme, c’est-à-dire contre un pouvoir
fondé sur l’arbitraire et le despotisme, dont le prototype serait le
pouvoir abbasside étudié sous cet angle par Jocelyne Dakhlia  8. Dès
lors, on comprend mieux pourquoi c’est le serment de fidélité, ana-
lysé par Stefan Esders, qui est le couronnement de l’édifice qui passe
par le service, la charge publique et la parenté, plaçant ainsi la relation
au souverain dans un cadre juridique qui interdit toute forme de
« passion ».
Enfin, on peut observer que la hiérarchie se manifeste aussi dans
la relation de l’individu avec ses pairs, notamment dans le cadre des
relations « horizontales », dont on sait qu’elles structurent largement
la société du haut Moyen Âge, même si elles sont souvent plus diffici-
les à étudier. A priori, il ne peut s’agir ici de relation « hiérarchique »
et, pourtant, Alban Gautier montre que, même au sein de manifesta-
tions appelées à exprimer l’égalité et la solidarité, comme les banquets
des guildes anglo-saxonnes, de nombreuses stratégies de « distinc-
tion » permettaient d’afficher à la fois hiérarchie et solidarité. À l’in-
verse, Charles Mériaux voit dans les toutes nouvelles structures d’en-
cadrement que sont les doyennés, non pas seulement le renforcement
de structures hiérarchiques permettant à l’évêque de mieux contrôler
son clergé rural, mais la récupération de solidarités ecclésiastiques qui
se manifestent dans les réunions périodiques des prêtres autour du
doyen. Mais, finalement, ne retrouve-t-on pas là le début de notre
propos qui était de penser à la fois la hiérarchie et la fraternité ?

Les anthropologues ont coutume d’opposer deux types de


société qui ne s’appuient pas sur la même idéologie du pouvoir : d’une
part, celles où aucune grandeur, aucun honneur n’existe indépen-
damment d’une action en direction des hommes sous forme de dis-
tribution ou de services, et, d’autre part, celles où la communauté tout

7
  G. Althoff, « Huld. Überlegungen zu einem Zentralbegriff der mittelalterlichen Herr-
schaftsordnung », Frühmittelalterliche Studien, 25 (1991), p. 259-282
8
  J. Dakhlia, L’empire des passions. L’arbitraire politique en Islam, Paris, 2005.

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entière est au service du maître, ce qui qualifie les sociétés despoti-


ques  9. Si les sociétés du haut Moyen Âge se rapprochent davantage
du premier modèle que du second, elles ressortissent surtout d’un
troisième, qui repose sur « une conception de l’échange global orienté
vers l’au-delà » pour reprendre les termes de Dominique Iogna-Prat,
et dont le lien essentiel, y compris entre les degrés de la hiérarchie,
est la charité qui unit les membres de la société chrétienne « comme
le ciment joint les pierres du bâtiment ecclésial ». On peut dire qu’on
a ici « fondu » les hiérarchies sociales, qui sont bien réelles, dans les
représentations idéales d’un grand corps collectif, la force de ce
modèle étant de ne pas se contenter d’établir un principe de com-
mandement hiérarchique, mais de l’associer à un idéal égalitaire qui
permet de produire l’image d’une unité sociale cohérente. Cette
image se réfère à la fois au corps, dont le Christ et le roi sont la tête,
et à la parenté, les clercs étant, comme le Christ, à la fois les pères et
les frères de tous les chrétiens, nouant ainsi toutes les relations d’auto-
rité et de solidarité dans un même mouvement  10. Ainsi, l’ordre du
monde ne se fonde-t-il pas sur le respect de la taxis, lié au culte impé-
rial comme à Byzance, mais il supporte la construction d’une société
qui se pense, d’abord et avant tout, comme une ecclesia.

9
 A. Testart, « Deux politiques funéraires. Dépôt et distribution », in L. Baray (dir.),
Archéologie des pratiques funéraires. Approches critiques, Glux-en-Glenne, 2004, p. 303-316.
10
  J. Baschet, La civilisation féodale. De l’an Mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, 2004,
p. 456-457.

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index

Aaron, moine de Fulda, 319-320 Aio, 317


Abbon, abbé de Fleury-sur-Loire, 224, Aistulf, archevêque de Mayence, 179
227, 231 Aistulf, roi des Lombards (749-456),
Abbotsbury, Dorset, Angleterre, 345, 158
349-350, 356, 359 Aix-la-Chapelle, Rhénanie du Nord-
Abel, chorévêque de l'église de Reims, Westphalie, Allemagne, 87, 89, 94,
125 98, 177-178, 214, 288, 290
Abel, archevêque de Reims, 170 Alard, sénéchal, 314, 317
Abélard (voir Héloïse), 57, 217 Alboin, roi des Lombards (568-572),
Abruzzes (les), Italie méridionale, 262, 142, 145
267, 271, 273, 276, 296, 298, 303 Alchred, roi de Northumbrie (765-
Adalbéron, évêque de Laon, 17, 61, 774), 308
221-235 Alcuin, abbé de Saint-Martin de Tours,
Adalbert, évêque de Metz, 198 85-87, 95, 173, 228, 288, 291, 343,
Adalbert ou Aldebert, clerc, 68, 85, 98 346
Adalfrid, moine de Fulda, 319 Aldebert, voir Adalbert
Adalgisèle-Grimo, diacre, 11 Alegari, 296
Adalhard, abbé de Corbie, 311, 323 Alémanie, 267, 272
Adélaïde, sœur d'Otton III, 219 Alexandre de Halès, 115
Adélaïde, mère d'Hugues Capet, 322 Alfred le Grand, roi de Wessex (871-
Adélaïde, mère de Charles le Simple, 899), 227, 232
314, 321 Allo, gastald, 268, 274
Adelberto, comte, 302 Alode, abbé de Saint-Germain
Adèle, abbesse de Pfalzel, 216 d'Auxerre, 70
Adèle, abbesse de Vilich, 218 Alphonse, abbé de Montolieu, 70
Adomnán, abbé d'Iona, 33 Alsace, France, 219
Adon, fils d'Autharius, 217 Altino, Abruzzes, Italie, 142, 145
Adon, archevêque de Vienne, 121 Amalaire de Metz, 85, 97, 111
Æclanum, Bénévent, Italie, 147 Amand (saint), 66, 86, 218
Aelfric, abbé d'Eynsham, 223, 228, 233 Amateur, évêque de Zuglio, 157
Aelfric Puttoc, archevêque d'York, Ambroise (saint), évêque de Milan, 44,
347 107, 138, 142, 187
Aethicus, 52 Ambrosiaster, 96-97
Afrique du Nord, 207, 214 Anastase, évêque de Pavie, 155
Agapet Ier, pape (535-536), 146 Anastase Ier, pape (399-401), 208
Agapet II, pape (946-955), 208 Anastase Ier, patriarche d'Antioche
Agilolf, archevêque de Cologne, 176 (559-570), 47-48
Agilolfides, famille, 284-285 Anastase II, patriarche d'Antioche
Agilulf, roi des Lombards (v.590-615), (599-610), 48
152-154 Ancône, Marches, Italie, 141
Agnellus, évêque de Terracina, 150 Andenne, abbaye, Namur, Belgique,
Agnellus, évêque de Trente, 153 218
Agobard, archevêque de Lyon, 32, 87- Andernach, abbaye, Rhénanie-Palati-
91, 96, 98, 102, 121 nat, Allemagne, 219
Aigobert, 318 Angeac, Charente, Poitou-Charentes,
Aimery, vicomte de Loudun, 313 312-313

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index

Angelberto, prêtre et abbé de San Mas- Attigny, Ardennes, Champagne-­


simo de Salerne, 293, 298-299 Ardenne, 173
Angelramn, primicier des églises de Augustin (saint), évêque d'Hippone,
Toul puis de Metz, 198 12, 44, 68, 74, 76, 83-85, 103, 105-
Angers, Maine-et-Loire, Pays-de-la- 115, 186-187, 190, 195-196, 211,
Loire, 71 280
Angilbert, abbé de Saint-Riquier, 59, Aurélien, évêque d'Arles, 213
291 Autharius, 217
Angilram, évêque de Metz, 171, 173, Auxerre, Yonne, Bourgogne, 120 (voir
177 Saint-Germain d’Auxerre)
Angleterre, 343-361 Avars, peuple, 284, 317
Anglo-Saxons, 165, 343-361, 370 Avellino, Campanie, Italie, 147
Aniane, abbaye, Hérault, Languedoc- Avranches, Manche, Basse-Normandie,
Roussillon, 70, 315-316 53
Anjou, comté, 68 Bagnoregio, Latium, Italie, 150
Ansbert, évêque de Rouen, 181-183 Bains, Ille-et-Vilaine, Bretagne, 313
Anségise, archevêque de Sens, 179 Balbus, crypte, Rome, Italie, 281
Ansfrid, 150 Basile (saint), 211
Ansteus, archidiacre de l'église de Basse-Panonie, 320
Toul, 198 Bassum, abbaye, Basse-Saxe, Allema-
Anthémius, empereur romain (467- gne, 219
472), 141 Bathilde, abbesse de Chelles, 216
Antioche, patriarcat, Turquie, 47-48 Baudonivia, 215
Antoine (saint), 192, 211 Beaulieu-lès-Loches, abbaye, Indre-et-
Apulia, Pouilles, Italie, 148 Loire, Centre, 69
Aquilée, Frioul-Vénétie-Julienne, Italie, Bavière, Allemagne, 250, 259, 267, 277-
55, 89, 142, 144, 151, 153-156 278, 284-292
Aquin, Latium, 46, 72, 114, 303 Béatus de Liébana, moine de San
Aquitaine, France, 246 Martin de Turieno, Espagne, 49
Arbéo, évêque de Freising, 285 Bède le Vénérable, moine anglo-saxon,
Ardon, 315-316 84, 86, 90, 93, 96, 366
Aretusa, 154 Bélisaire, général romain, 139
Aristobule, médecin, 48 Belluno, Vénétie, Italie, 152
Arles, Bouches-du-Rhône, Provence- Bénédicta, noble hispanique, 331
Alpes-Côte-d’Azur, 177-178, 207, Bénévent, Italie, 147-148, 260, 293-295,
212-213, 279 301-303
Arn, archevêque de Salzbourg, 284- Benoît (saint), abbé d'Aniane, 70, 315-
285, 290-292 316
Arnold de Lübeck, 253 Benoît de Nursie (saint), 66, 196, 199-
Arnulf (saint Arnoul), évêque de Metz, 201, 213-214, 263
209 Benoît de Sainte-Maure, 228
Artingthon, abbaye, Yorkshire, Angle- Benzon, évêque d'Albe, 88
terre, 219 Bérenger de Tours, 112
Asolo, Vénétie, Italie, 152 Bergame, Lombardie, Italie, 142, 158
Astronome (l'), 307 Bernard, comte, 218
Athènes, Grèce, 57 Bernard (saint), 84

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index

Berne, Suisse, 131-132 Byzantins, 363-364, 369


Bernward, évêque de Hildesheim, 208 Cælius, colline de Rome, 40
Berthe, épouse d’Hugues Capet, 322 Cælius Aurelianus, évêque de Ravenne,
Bertrand, évêque du Mans, 11 144
Besançon, Doubs, Franche-Comté, 207 Cæsaria, sœur de Césaire d'Arles, 207
Béthanie, Israël, 35, 37 Calabria, Calabre, Italie, 148
Blidulf, archidiacre, 198 Calixte, patriarche d'Aquilée, 157
Bobbio, abbaye Saint-Colomban, Emi- Cambrai, Nord, Nord-Pas-de-Calais,
lie-Romagne, Italie, 264 119, 121, 123, 126, 128, 223, 225,
Boèce, 227 230, 233
Bologne, Italie, 143 Cambridge, Angleterre, 345-346, 355-
Bonaventure (saint), 56 361
Boniface (saint), missionnaire, arche- Campanie, Italie, 146
vêque de Mayence, 68, 85, 98, 161, Campione, Lombardie, Italie, 258, 268-
163-173, 175-176, 229 270
Boniface, évêque de Ferento, 140 Campolo, sacellaire du pape Hadrien
Boniface IV, pape (608-615), 53 II, 290
Bonizon de Sutri, 18 Campori, Lombardie, Italie, 271-272
Bonn, Rhénanie du Nord-Westphalie, Cantorbery, Kent, Angleterre, 346
Allemagne, 247 Capaccio, Campanie, Italie, 299
Borrelli, famille, 302 Capoue, Campanie, Italie, 293-295,
Boson de Provence, comte puis roi de 301-303
Provence (879-887), 19 Carinthie, Autriche, 286
Bouchard, comte, 322 Carloman, maire du palais d'Austrasie
Bourges, Cher, Centre, 102, 111, 124, (741-747), 164, 166, 169, 175
131, 171-173 Carloman, frère de Charlemagne, roi
Bourgogne, France, 344 des Francs (768-771), 242
Braulio de Saragosse, 326 Carloman, roi de Bavière (876-880),
Brême, Basse-Saxe, Allemagne, 113 323
Brescia, Lombardie, Italie, 142, 153 Carloman, roi des Francs (879-884),
Bretagne, France, 271, 353 251-252, 311
Bretons, 313-314 Carolingiens, dynastie, 59, 247, 277-
Brigitte (sainte), 34 292
Brun Candidus, moine de Fulda, 319 Cassiodore, 139-140
Bruno le Chartreux (saint), 231-232, Catalogne, Espagne, 267, 271
234 Cathulphe, 88
Brutium, Calabre, Italie, 148 Cava, Latium, Italie, 296
Bucy, Aisne, Picardie, 266 Ceccano, Latium, Italie, 219
Bulgares, 286, 320 Césaire (saint), 66, 207, 212-216
Burchard, évêque de Worms, 75 Chalcédoine, Asie Mineure, 129
Burgondes, 9 Chalon ou Chalon-sur-Saône, Saône-et-
Burgundo-Fara, sœur de l'évêque de Loire, Bourgogne, 17, 124
Meaux, 207 Charlemagne, roi des Francs, puis em-
Burgundo-Faron, évêque de Meaux, pereur (768-814), 59, 68, 85, 88,
207 161, 164, 168-171, 174-175, 178,
Byzance, voir Constantinople 184, 200, 210, 228, 232, 239-242,

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index

244, 277-292, 294, 311-312, 315- Cologne, Rhénanie du Nord-Westpha-


318, 320 lie, Allemagne, 169-171, 175-176,
Charles II le Chauve, roi de Francie 218, 243
occidentale, puis empereur (840- Cologno Monzese, Lombardie, Italie,
877), 37, 57-58, 102, 241, 244-246, 258, 270
250-251, 314, 317 Colomban (saint), moine et mission-
Charles le Gros, empereur, puis roi de naire, 213, 217
Francie occidentale (881-887), Côme, Lombardie, Italie, 142
310 Compiègne, Oise, Picardie, 322
Charles III le Simple, roi de Francie Concordia, Vénétie, Italie, 152
occidentale (893-923), 19, 247, Conrad II, empereur du Saint-Empire
310, 314, 318, 322 Romain Germanique (1027-1039),
Charles Martel, maire du palais (716- 219
741), 170 Constant, évêque d'Aquin, 140
Chartres, Eure-et-Loir, Centre, 61 Constant, archevêque de Milan, 153
Chartreux, moines, 231 Constantin Ier le Grand, empereur ro-
Château Saint-Ange, Rome, 53 main (306-337), 330
Chelles, abbaye, Seine-et-Marne, Ile- Constantinople, 47-48, 57, 83, 139, 156,
de-France, 210, 216, 218 363
Chiavenna, Lombardie, Italie, 253 Conwoion, abbé fondateur de Redon,
Chindaswinth, roi des Wisigoths (642- 313
653), 327, 330, 333, 338 Corbie, Somme, Picardie, 50, 99, 100
Christ, voir Jésus Christ Corinthe, Grèce, 53, 139
Christian de Stavelot, 86, 97 Corinthiens, 231
Chrodegang (saint), évêque de Metz, Cormons, Frioul-Vénétie-Julienne,
170, 173, 200 157
Cicéron, 186-187 Coulaines, Sarthe, Pays-de-la-Loire,
Cilento, Campanie, Italie, 296, 301- 245
302 Cumdeluc, 313
Cividale, Frioul-Vénétie-Julienne, Ita- Cuthbert, archevêque de Canterbury,
lie, 157 172
Clairvaux, abbaye, Aube, Champagne- Cyriaque (saint), 208
Ardenne, 69 Dadon, fils d'Autharius, 217
Claude, évêque de Turin, 103 Daniel, prophète biblique, 43, 45, 89
Clément, faux apôtre, 98 Danois, peuple, 349
Clément (saint), 322 Datius, évêque de Milan, 139-142
Clotilde, épouse de Thierry III, 318 David, roi biblique, 40
Cluny, abbaye, Saône-et-Loire, Bourgo- Dèce, empereur romain (249-251), 57
gne, 61, 67, 71-72, 83, 110, 210, Decentius, évêque de Gubbio, 108
219-220 Denis (saint), premier évêque de Paris,
Cnut le Grand, roi d'Angleterre (1016- 57, 185
1035), 349-350 Denys (saint), évêque de Corinthe, 53
Coblence, Rhénanie-Palatinat, Allema- Denys l'Aréopagite (ou Pseudo-Denys),
gne, 247 premier évêque d'Athènes, 7, 12,
Cogitosus, moine de Kildare, 34-35 14, 36, 39, 43-47, 50, 52, 54-83, 92,
Coire, Grisons, Suisse, 272 104, 114, 136, 185, 186, 227

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Devon, Angleterre, 352-353 Émile, évêque de Bénévent, 148


Dhuoda, 86, 92-93 Emma, épouse de Louis le Germani-
Diarmait Mac Cerbaill, roi de Tara que (827-876), 323
(544-565), 33 Empire Byzantin, 137-159, 363, 371
Didier, roi des Lombards (757-774), Ennode, évêque de Pavie, 138, 144
158 Épiphane, évêque de Pavie, 138, 141-
Didon, évêque de Poitiers, 216 143
Dijon, Côte-d'Or, Bourgogne, 280 Ermemari, père de Mauro, 293
Domitien, évêque de Métilène, 48 Ermenrich, évêque de Passau, 286
Donat, évêque de Besançon, 207, 213, Ermentrude, épouse de Charles le
216 Chauve (842-869), 251, 314
Dorset, Angleterre, 345, 349-350 Erminbert, archevêque de Bourges,
Douvres, Kent, Angleterre, 346 171
Dudon de Saint-Quentin, 230 Erminetrude, noble femme, 11
Dungal (saint), moine irlandais, 37 Ermold le Noir, 311, 312
Eadred, roi d'Angleterre (946-955), Ervige, roi des Wisigoths (680-687),
356 332, 334, 338-339
Ebbon, archevêque de Reims, 124-126, Espagne wisigothique, 325-341, 364
135, 170, 368 Essen, Rhénanie-du-Nord-Westphalie,
Ebbon, archevêque de Sens, 170 208, 216, 219
Ebles Manzer, comte du Poitou, 313 Étienne, comte de Blois, 312
Ecclesius, évêque de Chiusi, 144, 150- Étienne V, pape (885-891), 86
151 Eudes, comte de Paris, roi de France
Echternach, Luxembourg, 308 (888-898), 314
Edmond II Côtes-de-Fer, roi d'Angle- Eudes de Saint-Maur, 322
terre (1016), 350 Euric, roi des Wisigoths (466-484), 141,
Edmond Ier l'ancien, roi d'Angleterre 328
(939-946), 356 Europe, 220, 283
Edouard le Confesseur, roi d'Angle- Eusèbe, évêque de Césarée, 53, 186
terre (1042-1066), 349 Exeter, Devon, Angleterre, 345, 350-
Éduens, peuple, 280 354
Égérie, riche romaine, 215 Eynsham, Oxfordshire, Angleterre,
Égica, roi des Wisigoths (695-702), 329, 223, 228, 233
334 Ézéchiel, prophète biblique, 28, 41, 45,
Éginhard, 161, 308, 312, 315 48
Egnathia, Pouilles, Italie, 148 Faremoutiers-en-Brie, abbaye, Seine-et-
Eifel, Allemagne, 323 Marne, Ile-de-France, 207, 213,
Eigil, abbé de Fulda, 319, 322 218
Einold, abbé de Gorze, 198 Feldbach, abbaye, Haut-Rhin, Alsace,
Ekbert de Meissen, margrave, 252, 219
254 Félix, évêque de Trévise, 142, 145,
Ekkehard IV de Saint-Gall, 319 151
Élifant, évêque d'Arles, 177 Félix III, pape (483-492), 146
Éligius, évêque de Noyon, 183 Feltre, Vénétie, Italie, 152
Embrun, Hautes-Alpes, Provence-Al- Ferento, Toscane, Italie, 140
pes-Côte-d’Azur, 177 Ferrières, abbaye, Loiret, Centre, 317

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Festus, évêque de Mérida, 336-337 Fulda, Hesse, Allemagne, 66, 70, 80,
Fidentius, évêque de Zuglio, 157 179, 319, 322
Flandre, 347 Fulrad, abbé de Saint-Denis, 316
Flavien, évêque de Verceil, 143 Gabriel, archange, 41, 42, 44, 50, 68
Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), ab- Gagny, Seine-Saint-Denis, Ile-de-
baye, Loiret, Centre, 224, 227, 231 France, 266
Flodoard de Reims, 126-128, 170-173, Gallipoli, Pouilles, Italie, 149
310 Gandersheim, Basse-Saxe, Allemagne,
Florus de Lyon, 85, 101 208, 218, 219
Folcuin, abbé de Lobbes, 170 Garnier de Rochefort, abbé de Clair-
Folkwin de Rankweil, 258, 272-274 vaux et évêque de Langres, 69
Fontevraud, abbaye, Maine-et-Loire, Gaule, 11, 140, 144-145, 173-174, 178,
Pays-de-la-Loire, 210 346
Foulques, archevêque de Reims, 314 Gauzlenus, légat du pape, 252
Foulques Nerra, comte d'Anjou (987- Gélase Ier, pape (492-496), 74
1040), 68, 70-71 Gênes, Ligurie, Italie, 153
France, 57, 161-184, 243, 250 Gérard, comte, 121
Francfort, Hesse, Allemagne, 169, 177, Gérard, évêque de Cambrai, 17, 223,
309 225, 228, 230-231, 233
Francie occidentale, 126 Gerbaud, évêque de Liège, 128
Francie orientale, 309 Germanie, 169, 177-178, 346
François d'Assise (saint), 203-204 Gernrode, abbaye, Basse-Saxe, Alle­
Francon, évêque de Liège, 314 magne, 208, 218, 219
Franconie, Allemagne, 210 Gero, marquis, 208
Francs, peuple, 9-10, 111, 153-154, 164- Géroldides, famille, 13
165, 171, 247, 334 Gerontius, 212
Fraumünster, abbaye, Zurich, Suisse, Gertrude (sainte), 216
210 Gewilib, archevêque de Mayence, 165
Frédégaire, 327, 335 Gille de Limerick, 76, 81
Frédéric Ier Barberousse, empereur du Giovanni, gastald, 296, 298
Saint-Empire Romain Germanique Glossinde (sainte), 209
(1155-1190), 253 Glycérius, empereur romain (473-474),
Freising, Bavière, Allemagne, 250, 285, puis évêque de Porto, 143-144
287 Godefroy de Semur, frère d'Hugues de
Frérone, épouse de Charles le Simple, Cluny, 220
321-322 Godeni, 296-297, 299-300
Fridericus, 198 Gondebaud, roi des Burgondes (480-
Fridien, évêque de Lucques, 141 516), 141
Frioul, Italie, 157 Gordien, père de Grégoire le Grand,
Frise, 347 146
Frisons, peuple, 283, 308 Gorze, abbaye, Moselle, 197
Frose, Saxe-Anhalt, Allemagne, 218, Gotescalc d'Orbais, moine, 103
219 Goths, peuple, 9, 327, 335
Frothaire, évêque de Toul, 321 Grado, Frioul-Vénétie-Julienne, Italie,
Fulbert, évêque de Cambrai, 128 154
Fulbert, évêque de Chartres, 61

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index

Great Bedwyn, Wiltshire, Angleterre, Harz, Allemagne, 218


345 Hathumod, abbesse de Gandersheim,
Grecs, peuple, 47, 54 218
Grégoire d’Utrecht, petit-fils de l'abbesse Haymon d'Auxerre, moine, 52, 76, 92,
de Pfalzel, 216 97, 224, 234
Grégoire de Naziance (saint), 89 Hegau, diocèse de Constance, Bade-
Grégoire, évêque de Tours, 57, 215, Wurtemberg, Allemagne, 132
279-280 Heidenheim, abbaye, Bade-Wurtem-
Grégoire Ier le Grand, pape (590-604), berg, 210
16, 18, 39-54, 84, 86, 90-94, 104, Heiric d'Auxerre, moine, 52, 61, 67,
109, 133, 138-139, 143-145, 149 225, 226, 230, 232
Grégoire IV, pape (827-844), 89, 90 Helgaud de Fleury, moine, 307
Grégoire VII, pape (1073-1085), 71, Héliodore (saint), évêque d'Altino,
109, 113 145
Grégoriens, moines, 113 Hélisachar, abbé de Saint-Aubin d'An-
Grimald, abbé de Saint-Gall, 309 gers, 323
Grimo, abbé de Corbie, 170 Héloïse, voir Abélard, 217
Grimo, archevêque de Rouen, 170, Henri Ier, roi de Francie orientale (919-
174 936), 247
Grimoald, maire du palais d'Austrasie Henri Ier, roi de France (1031-1060),
(643-662), 216 312
Guaiferio, comte, 297-299 Henri II, empereur du Saint-Empire
Guaimario II, prince de Salerne (983- Romain Germanique (1014-1024),
994), 293, 300 208, 219
Guaimario IV, prince de Salerne (1027- Henri IV, empereur du Saint-Empire
1052), 298 Romain Germanique (1084-1106),
Guastalla, Emilie-Romagne, Italie, 275 252, 253
Gubbio, Ombrie, Italie, 108 Henri le Lion, duc de Saxe puis de Ba-
Guido, frère de Guaimario II, 300 vière (1142-1195), 253
Guilebertus, évêque de Châlons, 119 Hérard, évêque de Tours, 100
Guillaume Durand, évêque de Mende, Hercule, évêque d'Otricoli, 147
56 Herford, abbaye, Rhénanie-du-Nord-
Guntarius, archidiacre de l'église de Westphalie, 214, 216, 218
Reims, 118 Hermor, évêque d'Alet, 314
Gussinus, noble hispanique, 330, 332 Herstal, Liège, Belgique, 168
Hadrien Ier, pape (772-795), 59, 170, Hézilon, évêque de Hildesheim, 113
285 Hildebold, archevêque de Cologne,
Hadrien II, pape (867-872), 282, 290 171, 173
Haganon, comte, 310, 322 Hildegarde de Bingen, 218
Halberstadt, Saxe-Anhalt, Allemagne, Hildegarde, épouse de Charlemagne,
208 13
Halitgaire, évêque de Cambrai, 119, Hildesheim, Basse-Saxe, Allemagne,
121 208, 113
Ham, fils de Noé, 226 Hildigisus, 336
Harbert, archevêque de Sens, 170 Hilduin, abbé de Saint-Denis, 57, 83,
Hartmut, abbé de Saint-Gall, 309 136

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index

Hincmar, archevêque de Reims, 12, 87- Jacques de Voragine, 53


103, 107, 111, 117-136, 170, 179, Jan van Ruusbroece, 56
241, 248, 251, 265-266, 282, 307- Japhet, fils de Noé, 226
308, 311, 313, 315, 321, 365, Jean, abbé de Gorze, 197-199
Hincmar, évêque de Laon, 179 Jean, archevêque de Ravenne, 89, 144
Hippolyte, évêque de Lodi, 157 Jean, évêque de Bagnoregio, 150-151
Hippone, actuelle Annaba, Algérie, Jean, évêque de Constance, 320
106 Jean III, pape (561-574), 146
Hispani, peuple, 306, 338 Jean VIII, pape (705-707), 5, 91
Honorat, archevêque de Milan, 142, Jean XII, pape (955-964), 208
153 Jean XIII, pape (965-972), 70, 208
Honorius Augustodinensis, 105, 225, Jean, patriarche d'Aquilée, 154
226, 229 Jean de Joinville, 306
Hormisdas, pape (514-523), 145 Jean Cassien, 192, 212
Hraban Maur, voir Raban Maur Jean Sarrasin, 57
Hubert, abbé de Saint-Aubin d'Angers, Jean Scot Érigène, 27, 36-37, 52, 57-61,
71 66-67, 83-84, 103, 136, 365-366,
Hugues, abbé de Cluny (1049-1109), 368
220 Jérôme (saint), 40, 42, 44, 206, 207,
Hugues, abbé de Saint-Victor, 113-114, 212, 214
229 Jérusalem, 35-37, 61, 68, 70, 90, 94,
Hugues Capet, roi de France (987- 189-190, 207, 215, 231, 279, 308,
996), 319, 322 366
Hugues le Grand, duc des Francs (936- Jésus Christ, 50, 64, 73, 84, 85-89, 94-
956), 313 96, 98, 100, 102, 106, 110, 229
Hugues, oncle de Charles le Chauve, Job, 89
314 Johann Gerhard, théologien luthérien,
Humbert de Silva Candida, 223, 227 76
Ignace (saint), 48 Jonas, évêque d'Orléans, 12, 83, 86-
Ine, roi de Wessex (688-726), 346 103, 117, 120, 229, 307-308
Innocent I er, pape (402-417), 108, Jouarre, abbaye, Seine-et-Marne, Ile-
208 de-France, 217
Innocent III, pape (1198-1216), 114 Judith, épouse de Louis le Pieux, 321
Irlande, 23-37, 364, 368 Juifs, 224, 340
Irminon, abbé de Saint-Germain-des- Julien d'Æclenum, 147
Prés, 264 Julien, archevêque de Tolède, 336,
Isaïe, prophète biblique, 43, 45 340
Isernia, Molise, Italie, 302 Julien Pomère, 97, 100
Isidore de Séville, 49, 51, 54-55, 76, 84, Julius Nepos, empereur romain (474-
90, 94-98, 101, 133, 172, 180-181, 475), 143
280, 366 Jura, Franche-Comté, 212
Israël, royaume biblique, 87, 90, 92, 93, Jussa-Moutier, abbaye, Besançon, 207,
95, 207 213
Italie, 11, 13, 53, 178, 137-159, 206, Justin II, empereur byzantin (565-578),
214, 257-273, 293-303, 329, 353, 48
367, 369 Juston, 274

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index

Karol, 258, 267-268, 276 Loudun, Vienne, Poitou-Charentes,


Kildare, Irlande, 34-35 313
Konrad de Hochstaden, archevêque de Louis, abbé de Saint-Denis, 314
Cologne, 243 Louis le Pieux, empereur (814-840),
Lagny-le-Sec, Seine-et-Marne, Ile-de- 37, 57, 95, 180, 214, 244-246, 265,
France 318 311, 313-314, 315-316, 319, 341
Lambert, duc de Spolète, 5 Louis le Germanique, roi de Germanie
Lambert, évêque de Lyon, 181-183 (843-876), 102, 210, 244-245, 250,
Langres, Haute-Marne, Champagne- 265, 309, 320, 323
Ardenne, 69, 280 Louis II le Bègue, roi de Francie occi-
Laodicée, Phrygie, Asie Mineure, 148 dentale (877-879), 251
Laon, Aisne, Picardie, 61-62, 179, 216, Louis IV d'Outremer, roi de Francie
218, 221, 224, 225, 231, 232, 235 occidentale (936-954), 318-319
Latins, 47, 54 Louis VI, roi de France (1108-1137),
Laurent, évêque de Milan, 141-143, 153 312
Léandre, archevêque de Séville, 48 Louis IX, roi de France (1226-1270),
Leidrade, évêque de Lyon, 200, 285 306-307
Léon (saint), 107-109 Loup, abbé de Saint-Pierre de Ferriè-
Léon III, pape (795-816), 178, 228, res, 314
288-292 Lübeck, Schleswig-Holstein, Allema-
Léon IX, pape (1049-1054), 208 gne, 253
Leopogosi, famille, 258, 270 Luc (saint), 40, 45, 52, 53
Léovigild, roi des Wisigoths (569-586), Lucanie, Italie, 148
328 Lucifer, 92, 100
Lérins, abbaye, Méditerranée, 212 Lucques, Toscane, Italie, 141, 157-158
Leudaste, comte de Tours, 19 Lul, archevêque de Mayence, 170-171,
Liège, Belgique, 125-128, 176 173, 176-177
Liemar, archevêque de Brême, 113 Luminosa, 154
Ligurie, Italie, 141 Lustra, Campanie, Italie, 296
Liudolf, comte de Saxe, 208 Luxeuil, Haute-Saône, Franche-Comté,
Liudolfides, famille, 247 213, 216, 217
Liuthard, évêque de Paderborn, 207 Lyon, Rhône, Rhône-Alpes, 85, 87,
Liutprand, roi des Lombards (712- 101, 181-183
744), 156-157 Mâcon, Saône-et-Loire, Bourgogne,
Liutprand, père de Karol, 258, 267- 119
268 Magliano, Cilento, Italie, 302
Lodi, Lombardie, Italie, 142-143, 157 Magnard, archevêque de Rouen, 171
Lombards, peuple, 9-11, 53, 151-159 Maieul, abbé de Cluny (954-994), 61,
Londres, Angleterre, 346, 348 67
Lorenzo Valla, 57 Maione, gastald, 296, 299
Lorsch, abbaye, Hesse, Allemagne, 178 Maître des Sentences, 114
Lothaire, cardinal, 108 Mansone, 295
Lothaire Ier, empereur (840-855), 244- Mansuétus, archevêque de Milan, 156
245, 308 Marano, Italie, 152, 154
Lothaire II, roi de Lotharingie (855- Marbod, évêque de Rennes, 202-203
869), 246, 248, 323 Marcellin, évêque d'Ancône, 141

383

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index

Marcellin de Voghenza, évêque, 143 Milo, archevêque de Trèves, 165


Marche d'Espagne, 306 Milon de Saint-Amand, 52, 66, 86
Marcigny-sur-Loire, Saône-et-Loire, Miroclès, évêque de Milan, 145
Bourgogne, 61, 220 Misène, Campanie, Italie, 150
Marculf, 281-282, 320 Mitry, Seine-et-Marne, Ile-de-France,
Marcward, abbé de Prüm, 314 262
Marguerite Porète, mystique, 56 Modène, Emilie-Romagne, Italie, 158
Marie (sainte, Vierge), 50, 53, 208, 209, Moïse, 59, 93, 95
298 Mont-Cassin, abbaye, Latium, Italie,
Martin (saint), 211 275, 302
Masona, évêque de Mérida, 327 Mont Gargan, Massif Central, France,
Matfrid, comte d'Orléans, 315-316 53, 68
Matfrid II, comte d'Orléans, 323 Mont-Saint-Michel, abbaye, Manche,
Matthieu (saint), 96, 100, 101 Basse-Normandie, 53-54, 68
Maubeuge, abbaye, Nord, Nord-Pas-de- Mont Saint-Victor, Vorarlberg, Autri-
Calais, 218 che, 310
Maurice Ier, empereur byzantin (582- Mont Tombe, voir Mont-Saint-Michel
602), 48, 152-153 Montolieu, abbaye, Aude, Languedoc-
Maxime, évêque de Pavie, 143 Roussillon, 70
Maxime le Confesseur, 58 Moravie, République Tchèque, 286,
Mayence, Rhénanie-Palatinat, Allema- 320
gne, 170-171, 173, 174-177, 179, Naples, Campanie, Italie, 147
208, 283 Narni, Ombrie, Italie, 147, 150-151
Meaux, Seine-et-Marne, Ile-de-France, Népopis, évêque arien, 327
99, 207 Neuenheerse, abbaye, Rhénanie-du-
Médard, évêque de Noyon, 210 Nord-Westphalie, Allemagne, 207
Meersen, Pays-Bas, 246 Neustrie, royaume, 217, 284
Méginhard, comte, 318 Nicolas Ier, pape (858-867), 111, 121,
Meissen, Saxe, Allemagne, 252, 254 249
Mélanie, veuve fondatrice d’abbayes, Niedermünster, abbaye de Ratisbonne,
207, 212, 215 Bavière, Allemagne, 214
Memor, évêque d’Æclanum, 147 Nithard, 245
Mérida, Estrémadure, Espagne, 326- Nivelles, Brabant, Belgique, 216, 218
327, 336 Niviano, voir Pierre de Niviano
Mérocles, évêque de Milan, 143 Nocera, Campanie, Italie, 293, 296-
Meschede, abbaye, Rhénanie-du-Nord- 298
Westphalie, Allemagne, 218 Noé, 89, 226
Métaponte, Basilicate, Italie, 148 Nole, Campanie, Italie, 144
Mélitène, Asie Mineure, 48 Nominoë, comte de Vannes, 313-314
Métron (saint), 208 Norbert (saint), 115
Metz, Lorraine, France, 170, 177-178, Normands, peuple, 93
197-198, 209 Northampton, abbaye, Angleterre, 219
Mezzogiorno, Italie, 293-303 Northumbrie, Angleterre, 308, 347
Michel (saint), 40, 42, 44, 50, 53, 54, 68 Notker, abbé de Saint-Gall, 311-312,
Milan, Lombardie, Italie, 139-145, 151, 319, 321
153-156, 178, 268 Notre-Dame, cloître, Paris, 113

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index

Notre-Dame de Soissons, Aisne, Picar- Palestine, 206, 214


die, 210 Pammachius, 40
Noyon, Oise, Picardie, 125, 127, 210 Pancrace, évêque de Narni, 147
Obermünster, abbaye de Ratisbonne, Paraclet, abbaye, Aube, Champagne-
Bavière, Allemagne, 213 Ardenne, 217
Occident, 55-85, 105, 185-204, 221- Paris, 57, 87-90, 99, 113, 121, 321
236 Paschase Radbert, 56, 85, 96, 99, 230
Oda, épouse de Liudolf, 208 Paul (saint), 41, 47, 56, 76, 134, 185-
Odelhardus, 118 186, 189-190, 231
Odilon, 198 Paul, évêque d'Aquilée, 142
Odoacre, patrice de Rome (476-493), Paul Ier, pape (757-767), 57
141, 144 Paul Diacre, 53, 142, 152, 156-157,
Odon, abbé de Cluny, 61, 70, 110 177
Oedingen, abbaye, Rhénanie-du-Nord- Paula, veuve fondatrice d’abbayes,
Westphalie, Allemagne, 218 207
Oeren, abbaye près de Trèves, Rhéna- Paulin, évêque de Nole, 144, 148
nie-Palatinat, Allemagne, 218 Paulus, évêque de Mérida, 327
Ogive, épouse de Charles le Simple, Paulus (révolte de 672), 336, 338
321 Pavie, Lombardie, Italie, 139-145, 156
Orbais, Marne, Champagne-Ardenne, Pélage Ie, pape (556-561), 146
103 Pemmo, duc de Frioul, 157
Orient, 59, 234, 311 Pépin, roi d'Italie (781-810), 316, 317
Origène, 45 Pépin Ier, roi d'Aquitaine (817-838),
Orléans, Loiret, Centre, 83, 86-103, 97, 312
117, 120, 129-131, 135, 311 Pépin II, roi d'Aquitaine (838-852),
Osbern, évêque d'Exeter, 351 246
Osdag, évêque d'Hildesheim, 208 Pépin le Bossu, 317-318
Osnabrück, Basse-Saxe, Allemagne, Pépin le Bref, maire du palais, roi des
243 Francs (741-768), 57, 164, 166-169,
Otbert, 323 171-172, 175, 184, 228, 242
Otricoli, Ombrie, Italie, 147 Peredeus, évêque de Lucques, 158
Otton Ier, roi de Germanie, empereur Pétrone, évêque de Bologne, 143
(936-973), 208, 319 Pfalzel, abbaye, Rhénanie-Palatinat,
Otton II, roi de Germanie, empereur Allemagne, 216
(973-983), 208, 218 Pharisiens, 96
Otton III, roi de Germanie, empereur Philippe IV le Bel, roi de France (1285-
(893-1002), 219 1314), 307
Ouen, évêque de Rouen, 181-183 Philothée, 363-364
Oza, 98-99 Pierre (saint), 101, 104, 208-209
Ozias, roi biblique, 99 Pierre, évêque de Pavie, 156
Pacôme (saint), 192-196, 211 Pierre Damien, 17, 106
Paderborn, Rhénanie-du-Nord-West- Pierre de Fontaine, bailli de Verman-
phalie, Allemagne, 207 dois, 307
Padoue, Vénétie, Italie, 142 Pierre de Niviano, 258, 272-274
Paldolfo, 298-299 Pierre le Mangeur, 72
Palerme, Sicile, Italie, 147 Pierre Lombard, 92, 105, 113-115

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index

Pîtres, Eure, Normandie, 92, 365 Ratpert, moine de Saint-Gall, 309-310,


Plaisance, Emilie-Romagne, Italie, 142, 320
264, 272-273 Ratramne, moine de Corbie, 99, 100
Platon, 185-186 Ravenne, Emilie-Romagne, Italie, 89,
Pline, 55 142, 144, 178, 283
Poitiers, Vienne, Poitou-Charentes, Raymond Lulle, 56
207, 213, 215-216 Rebais, abbaye, Seine-et-Marne, Ile-de-
Poitou, France, 313 France, 217
Polycarbe, 53 Recceswinth, roi des Wisigoths (653-
Populania, Toscane, Italie, 150 672), 328, 334, 340
Preiectus, évêque de Narni, 151 Redon, Ille-et-Vilaine, Bretagne, 123,
Priwina, prince, 320 161, 271, 313-314
Proche-Orient, 215 Reggio, Emilie-Romagne, Italie, 158
Proclus, 67, 74 Reginfrid, évêque de Rouen, 174
Procope de Césarée, 146 Réginon de Prüm, 249
Projectus, évêque de Lodi, 142 Reichenau, abbaye, Bade-Wurtemberg,
Provence, 107 Allemagne, 180, 320
Prudence, évêque de Troyes, 93 Reims, Marne, Champagne-Ardenne,
Prüm, abbaye, Rhénanie-Palatinat, Al- 70, 83-103,111, 118-136, 170-173,
lemagne, 249, 323 241, 251
Psalmiste (le), 43 Rémi (saint), évêque de Reims, 70, 86
Pseudo-Denys, voir Denys l'Aréopa- Remiremont, abbaye, Vosges, Lorraine,
gite 218
Pseudo-Isidore, 100 Rieti (Agio), Italie, 158
Quedlinburg, abbaye, Saxe-Anhalt, Al- Reuil-en-Brie, abbaye, Seine-et-Marne,
lemagne, 208, 218, 219 Ile-de-France, 217
Quierzy, Aisne, Picardie, 126, 251, Rhénanie, Allemagne, 243
252 Richard, prêtre de Schienen, 133
Raban Maur, 12, 51, 52, 54, 85-86, 90- Richbod, archevêque de Trèves, 178
91, 94-103, 117, 179-180, 184, 366 Richer, moine de Reims, 310
Radegonde (sainte), épouse de Clo- Ricou, prêtre, 19
thaire Ier, 207, 210, 213, 215, 216 Riculf, archevêque de Mayence, 171,
Radoaldo, 296 174
Radon, fils d'Autharius, 217 Riculfus, évêque de Soissons, 119, 128
Radulphe, évêque de Bourges, 102 Rigbold, 126
Raidolpho, comte, 295 Rigobert, évêque de Reims, 170
Rainier, évêque de Vannes, 313 Robert d'Arbrissel, 202-203
Rankweil, Vorarlberg, Autriche, 258 Robert Grosseteste, 57
Raoul Glaber, 68 Robert Ier, roi de France (922-923),
Raphaël, archange, 42-44, 51, 68 310, 314
Ratbod, comte, 320 Rodelgrimo, comte de Magliano, 302
Ratgaire, abbé de Fulda, 319 Roderic, roi des Wisigoths (710-711),
Rathier de Vérone, 14-17, 224 335
Ratisbonne, Bavière, Allemagne, 214, Rodgaud, duc de Frioul, 317
287

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index

Rodolphe Ier de Habsbourg, empereur Saint-Martin de Tours, abbaye, Indre-


du Saint Empire Romain Germani- et-Loire, Centre, 313
que (1273-1291), 242 Saint-Maur-des-Fossés, abbaye, Ile-de-
Romains, 9, 10, 224 France, 322
Rome, 5, 8-9, 33, 39-40, 48, 59, 71, 74, Saint-Mihiel, abbaye, Meuse, Lorraine,
107, 122-123, 139, 144-146, 148- 96, 101
149, 155-156, 164-165, 172, 178, Saint-Omer, Pas-de-Calais, Nord-Pas-
208, 248, 277-292 de-Calais, 351, 356
Rothade, évêque de Soissons, 127-128, Saint-Paul-hors-les-murs, abbaye,
179 Rome, Latium, Italie, 290
Rouen, Seine-Maritime, Normandie, Saint-Quentin, Aisne, Picardie, 230,
71, 170-174, 181-183 246
Rufin d'Aquilée, 55, 89, 98 Saint-Riquier, abbaye, Somme, Picar-
Rumaud, abbé de Saint-Maur, 322 die, 59
Sabbiona, Italie, 148, 152 Saint-Sauveur de Redon, abbaye, Ille-
Sabin (saint), 53 et-Vilaine, Bretagne, 271
Sabin, évêque de Plaisance, 141 Saint-Servat, voir Quedlinburg
Sabine, Italie, 259-260 Saint-Victor de Paris, abbaye, Ile-de-
Saint-Amand, abbaye, Nord, Nord-Pas- France, 113, 229
de-Calais, 66, 314 Saint-Wandrille, abbaye, Seine-Mari-
Saint-Ambroise de Milan, abbaye, Lom- time, Normandie, 173, 181-184
bardie, Italie, 270 Sainte-Croix de Poitiers, abbaye,
Saint-André de Rome, abbaye, Latium, Vienne, Poitou-Charentes, 213,
Italie, 41 215
Saint-Aubin d'Angers abbaye, Maine- Sainte-Gertrude de Nivelles, abbaye,
et-Loire, Pays-de-la-Loire, 71 Brabant wallon, Belgique, 216-218
Saint-Bertin, abbaye, Pas-de-Calais, Sainte-Glossinde de Metz, abbaye, Mo-
Nord-Pas-de-Calais, 248 selle, Lorraine, 209
Saint-Denis, abbaye, Ile-de-France, 52, Sainte-Sophie de Bénévent, abbaye,
72, 83, 318 Campanie, Italie, 260
Saint-Etienne de Rome, abbaye, La- Sainte-Ursule de Cologne, abbaye,
tium, Italie, 290-291 Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Al-
Saint-Gall, abbaye, Suisse, 132, 309- lemagne, 218
310, 320 Saints-Apôtres de Metz, église, Moselle,
Saint-Germain d'Auxerre, abbaye, Lorraine, 209
Yonne, Bourgogne, 52, 61, 67, 70, Saints-Jean-et-Paul de Rome, basilique,
72, 92, 97, 223-226, 230, 232, 234, Italie, 40
264 Salacho, comte, 320
Saint-Jean-d'Arles, abbaye, Provence, Salerne, Campanie, Italie, 293-303
207, 212-213 Salomon, roi biblique, 87
Saint-Jean-de-Laon, abbaye, Aisne, Pi- Salzbourg, Autriche, 278, 284-292
cardie, 216, 218 San Angelo di Ceccano, abbaye, Lat-
Saint-Josse, celle, Pas-de-Calais, Nord- ium, Italie, 219
Pas-de-Calais, 314, 317 Santa Giulia di Brescia, abbaye, Lom-
Saint-Lézin, abbaye, Maine-et-Loire, bardie, Italie, 261
Pays-de-la-Loire, 71

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index

San Massimo di Salerno, abbaye, Cam- Sophonie, 50


panie, Italie, 293, 297-299 Spervus, chorévêque, 125
San Nicola di Casavetere, Campanie, Spire, Rhénanie-Palatinat, Allemagne,
Italie, 298 176
San Nicola di Gallocanta, Campanie, Spolète, 5, 158, 272
Italie, 299 Stabilis, serf, 267
San Vincenzo al Volturno, abbaye, Stavelot, abbaye, Liège, Belgique, 86,
Molise, Italie, 302 97
Saragosse, Aragon, Espagne, 49 Strasbourg, Bas-Rhin, Alsace, 244
Sardaigne, île, Italie, 151 Suger, abbé de Saint-Denis, 52, 312
Sardique ou Sofia, Bulgarie, 148 Suinthila, roi des Wisigoths (621-631),
Saül, roi biblique, 94 334, 341
Savary, vicomte de Thouars, 313 Sulpice (saint), 209
Saxe, Allemagne, 13, 210, 243 Sulpice Sévère, 211
Saxons, peuple, 261, 308 Suvio, Campanie, Italie, 275
Scandinaves, 37 Symmaque, pape (498-514), 143
Schienen, Bade-Wurtemberg, Allema- Syracuse, Sicile, Italie, 147
gne, 133 Syrie, 47, 55
Schwarzach, abbaye, Bade-Wurtem- Syrus, moine de Saint-Germain
berg, Allemagne, 210 d'Auxerre, 67
Scupilio, archiprêtre à Reims, 124 Tachimpaldus, évêque de Bergame,
Sedulius Scottus, 52, 90, 366 158
Sem, fils de Noé, 226 Tara, Irlande, 33
Senlis, Oise, Picardie, 127 Tarentaise, Savoie, Rhône-Alpes, 177
Sens, Yonne, Bourgogne, 71, 170, 172- Tassilon III, duc de Bavière, 241, 254,
173, 181-183 285
Servius, 76 Tayon, évêque de Saragosse, 16, 49
Sévère, patriarche d'Aquilée, 152 Tenxwind, abbé d'Andernach, 219
Séville, Andalousie, Espagne, 48-51, 54- Terni, Ombrie, Italie, 150
55, 76, 84, 94, 172, 180-181 Terracina, Latium, Italie, 150
Sicard, prince de Bénévent, 260 Tertullien, 107
Sicile, île, Italie, 146, 150 Thébaïs, Egypte, 192-194
Síl nÁedo Sláine, dynastie irlandaise, Thégan, chorévêque de Trèves, 102,
33 368
Silos, Castille-et-Léon, Espagne, 16 Théodat, roi des Ostrogoths (534-536),
Silvère, pape (536-537), 145-146 139-140
Sinaï (mont), Égypte, 59 Théodelinde, épouse d'Agilulf, roi des
Sirudis, abbesse de Jussa-Moutier, 213 Lombards, 153
Slaves, 286 Théodore, évêque de Milan, 156
Smaragde, abbé de Saint-Mihiel, 96, Théodoric, roi d'Italie (493-526), 141,
101 144
Snorri Sturluson, 348 Théodulfe, évêque d'Orléans, 96, 173
Soissons, Aisne, Picardie, 119, 127-128, Théophane, moine byzantin, 290
166, 169, 179, 210 Theudemundus, spathaire de Wamba,
Sophie, abbesse de Gandersheim, 207- 336-337
208 Theutberge, épouse de Lothaire II, 248

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index

Theuthilde, abbesse de Remiremont, Vannes et Vannetais, Morbihan, Breta-


321 gne, 271, 313
Thibaud, abbé laïc de Saint-Lézin, 71 Velletri, Latium, Italie, 150
Thierry, évêque de Cambrai, 123, 126 Venance, évêque de Luni, 144, 151
Thierry III, roi des Francs (687-691), Venance Fortunat, 66, 142, 213
318 Ver, Oise, Picardie, 168-169, 172, 174
Thomas a Kempis, 56 Verceil, Piémont, Italie, 142-143
Thomas d'Aquin (saint), 46, 72, 114 Verdun, Meuse, Lorraine, 197-198,
Ticianus, évêque de Lodi, 143 245
Tilpin, archevêque de Reims, 126, Vermandois, Aisne, Picardie, 307
170 Vérone, Vénétie, Italie, 142, 152, 224
Tole, épouse d'Urk, 350 Vicence, Vénétie, Italie, 152
Tolède, Castille-la-Manche, Espagne, Vicohabentia, Emilie-Romagne, Italie,
325-341 148
Tortona, Piémont, Italie, 140 Victorien-Emilien, moine, 41
Toscane, Italie, 271-272, Vienne, Autriche, 177
Totoni de Campione, famille, 258, 268- Vietri, Campanie, Italie, 299
270, 276 Vigile, pape (537-555), 139, 146
Thouars, Deux-Sèvres, Poitou-Charen- Vilich, abbaye, Rhénanie-du-Nord-
tes, 313 Westphalie, Allemagne, 208, 218,
Toul, Meurthe-et-Moselle, Lorraine, 219
197-198 Vincennes, Val-de-Marne, Ile-de-
Tours, Indre-et-Loire, Centre, 57, 71, France, 306
100, 112, 131, 207, 215, 313 Virgile, évêque de Salzbourg, 284-286
Trani, Pouilles, Italie, 149 Vitalien, pape (657-672), 282
Trente, Trentin-Haut-Adige, Italie, Vivo, gastald près de Salerne, 295-299
153 Volturno, voir San Vincenzo
Trèves, Rhénanie-Palatinat, Allemagne, Vreden, abbaye, Rhénanie-du-Nord-
127, 165, 177-178, 218 Westphalie, Allemagne, 219
Trévise, Vénétie, Italie, 142, 145, 152 Vulfare, archevêque de Noyon, 125
Trieste, Frioul-Vénétie-Julienne, Italie, Vulfram, évêque de Sens, 181-183
142 Walahfrid Strabon, 95, 97-98, 180-181,
Trisingus, prêtre, 122-123 184
Troyes, Aube, Champagne-Ardenne, 93 Walburge, abbesse de Neuenheerse,
Turin, Piémont, Italie, 103, 142 207, 210
Uí Néill, dynastie de rois de Tara, 33 Walcaud, évêque de Liège, 128
Urk (ou Orc, ou Orcy), housecarl des Waldebert, abbé de Luxeuil, 213, 216-
rois Cnut et Edouard le Confesseur, 217
349-350, 359 Walpertus, duc, 158
Ursio, évêque de Vienne, 177 Walprandus, évêque de Lucques, 157
Utrecht, Pays-Bas, 176 Waltarius, chorévêque, 125
Vaast (saint), évêque d'Arras, 124 Wamba, roi des Wisigoths (672-681),
Valenciennes, Nord, Nord-Pas-de-Ca- 331, 336-339
lais, 351 Wandrille (saint), 181-182
Valentinien Ier, empereur romain (364- Wendhausen, abbaye, Basse-Saxe, Alle-
375), 363 magne, 218

389

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index

Wessex, royaume anglo-saxon, 350 Wulchar, archevêque de Sens, 170


Willehad, évêque de Brême, 308-309 Wulfher, évêque de Vienne, 285
Willibrord, évêque d'Utrecht, 183 Wulstan le Chantre, 356
Willigis, archevêque de Mayence, 208 York, Yorkshire, Angleterre, 347
Wiltshire, Angleterre, 345 Yorkshire, Angleterre, 219
Wittiza, roi des Wisigoths (698-702 et Zacharie, pape (741-752), 121, 161,
709-710), 329, 335 170-171, 175-176, 228, 232
Worcester, Worcestershire, Angleterre, Zuglio, Frioul-Vénétie-Julienne, Italie,
347 152, 157
Worms, Rhénanie-Palatinat, Allema- Zurich, Suisse, 210
gne, 75, 176

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Table des matières

R. Le Jan et F. Bougard, Hiérarchie : le concept et son champ 5


d’application dans les sociétés du haut Moyen Âge

Ordres et grades ecclésiastiques dans la définition 21


de l’Ecclesia

Jean-Michel Picard, Christianisation et hiérarchie dans la société 23


irlandaise des viie et viiie siècles
Bruno Judic, Hiérarchie angélique et hiérarchie ecclésiale chez 39
Grégoire le Grand
Dominique Iogna-Prat, Penser l’Église, penser la société après le 55
Pseudo-Denys l’Aréopagite
Raffaele Savigni, La communitas christiana dans l’ecclésiologie 83
carolingienne
Alain Rauwel, Les hiérarchies internes à l’ordre sacerdotal et la 105
question de la sacramentalité de l’épiscopat dans l’Église romaine
de saint Augustin à Pierre Lombard
Charles Mériaux, Ordre et hiérarchie au sein du clergé rural 117
pendant le haut Moyen Âge
Stephano Gasparri, Recrutement social et rôle politique des 137
évêques en Italie du vie au viiie siècle
Steffen Patzold, Eine Hierarchie im Wandel : Die Ausbildung 161
einer Metropolitanordnung im Frankenreich des 8. und 9.
Jahrhunderts
Otto Gerhard Oexle, Mönchtum und Hierarchie im Okzident 185
Hedwig Röckelein, Hiérarchie, ordre et mobilité dans le 205
monachisme féminin
Hans-Werner Goetz, Les ordines dans la théorie médiévale de la 221
société : un système hiérarchique ?

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table des matières

Hiérarchie et société laïque 237

Stefan Esders, Fidelität und Rechtsvielfalt : Die sicut-Klausel der 239


früh- und hochmittelalterlichen Eidformulare
Laurent Feller, Les hiérarchies dans le monde rural du haut 257
Moyen Âge : statuts, fortunes et fonctions
Thomas Lienhard, La royauté et les élites urbaines : Charlemagne 277
face aux villes de Bavière et à Rome
Vito Loré, Poteri pubblici ed élites rurali nel Mezzogiorno 293
longobardo (secoli IX-XI)
Philippe Depreux, Hiérarchie et ordre au sein du palais : l’accès 305
au prince
Céline Martin, Hiérarchie et service dans le monde wisigothique : 325
la militia des laïcs
Alban Gautier, Discours égalitaire et pratiques hiérarchiques dans 343
les guildes anglo-saxonnes

Conclusion

Geneviève Bührer-Thierry, Pensée hiérarchique et 363


différenciation sociale : quelques réflexions sur l’ordonnancement
des sociétés du haut Moyen Âge

Index 373

Table des matières 391

La contribution de Stuart Airlie au colloque n’a malheureusement


pas pu être intégrée à la publication des actes. Le lecteur intéressé
pourra néanmoins la trouver dans le Bulletin du Centre d’études
médiévales d’Auxerre (numéro 13 de 2009, publié à l’été 2009),
dans sa version papier ou en ligne (http://cem.revues.org/).

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