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ORLAN

BIOGRAPHIE :

Née Mireille Suzanne Francette Porte le 30 mai 1947 à Saint-Étienne.

Artiste française de l'art corporel.

Artiste féministe.

Elle s'exprime à travers différents supports, mediums et medias :


peinture, sculpture, installations, performance, photographie, images numériques,
biotechnologies.

Dès les années 1960 et 1970, Orlan interroge le statut du corps et les pressions politiques,
religieuses, sociales qui s'y inscrivent ce d’abord au moyen de la photographie puis
progressivement de la performance et de l’installation.

Son travail dénonce la violence faite aux corps et en particulier aux corps des femmes, et
s'engage ainsi dans un combat féministe.

Elle fait de son corps l'instrument privilégié où se joue notre propre rapport à l'altérité.

En 1978, elle crée le Symposium international de la Performance, à Lyon, qu'elle anime


jusqu'en 1982.

1982 : Avant l'arrivée d'Internet, Orlan est créatrice de la première revue d'art contemporain et
de création sur Minitel Art-Acces.

1983 : Le Ministère de la Culture charge Orlan d'un rapport sur l'Art-Performance.

Orlan enseigne à l’École des Beaux Arts de Dijon puis à l'École nationale supérieure d'arts de
Cergy-Pontoise.

Elle est représentée par la galerie Michel Rein, à Paris ainsi que par la galerie Ceysson &
Bénétière.

Artiste internationale, l’œuvre d’ORLAN est exposée dans le monde entier.


I. LE CORPS COMME MANIFESTE :

1. NAISSANCE D’UNE NOUVELLE IDENTITÉ ARTISTIQUE :

Changement de nom, 1962

Ce changement de nom est un geste artistique en soi.

ORLAN opère une intervention visuelle dans la communication de sa signature.

Son travail sur le corps s’inscrit dans la droite ligne de son premier acte artistique – le
changement du nom.

En effet, même s’ils ne touchent pas encore à la dimension corporelle, ce premier geste
artistique montre comment ORLAN choisit de rompre avec son passé et son histoire, sa
famille et ses racines.

En refusant son nom comme quelque chose qu’on lui a imposé, Orlan refuse qu’un autre
qu’elle-même ait choisi son prénom et ait ainsi participé au processus de constitution de son
identité.

Le nom ORLAN incarne le refus de toute identification :

« Je suis une homme et un femme »


O.

« Je suis pour les identités mutantes, changeantes. »


O.

Origine du nom ORLAN :

« Je crois que c’est pendant la troisième séance chez mon psychanalyste. La seule chose qu’il me dit
pendant toute la séance est : « La prochaine fois, vous ne me paierez plus par chèque mais en espèces ».
(…) Puis, au moment d’aller à la séance suivante (…) au moment où je signe le chèque je vois que (…)
quelque chose sautait dans ma signature. Je ne m’appelle pas « Morte » mais je signais « Morte » en
très gros, très lisible. J’ai donc dit que je ne serai plus jamais morte et j’ai voulu changer de nom en
utilisant ce qui était positif dans cette signature. J’ai pris « or ». Je n’aurais jamais dû m’appeler Orlan
(Or-lent), je ne sais pas pourquoi je me suis appelée ainsi, j’aurais dû m’appeler Or-vif, Or-rapide. En
tout cas, très longtemps, pour signer mes œuvres, j’ai employé « Or » et puis « l » apostrophe, et « an »
– Orl’an – comme si c’était Orl’an de telle année, en mettant à la suite la date de l’œuvre. »
O.
Orlan accouche d'elle-m'aime, 1964

Œuvre qui fait partie de la série des Corps-sculptures.

Sur cette photographie en noir et blanc, Orlan donne naissance à un personnage tel un corps
inerte et androgyne, ni homme ni femme.

Cette œuvre constitue symboliquement la volonté de l'artiste de se donner naissance, de


s'inventer une nouvelle identité.

Naissance d’une œuvre, mais aussi auto-engendrement d’Orlan en tant qu’artiste.

Le mannequin dont elle « accouche » représente en effet son double, une sorte de point de
départ d’un processus de transformations infinies.

Il est le symbole même du fait que l’artiste se vit sans racines, sans nom, sans corps, et donc
comme quelqu’un qui vient au monde par lui-même, refusant tout ce qui ne dépend pas de sa
volonté.

« Orlan accouche d’elle m’aime est à la fois le clone, l’altérité, le dédoublement, l’accouchement de
soi-même, elle focalise déjà énormément de choses qui ensuite se disent autrement dans le travail :
l’idée de sortir du cadre, doré, bourgeois, et en même temps l’idée de sortir de son propre cadre. »
O.

2. CORPS EN ACTION :

Le corps est pour Orlan non seulement le support de tout procédé artistique, mais aussi un lieu
de mutations et d’altérité.

MesuRages, 1974-2011

L’artiste crée l'« Orlan-corps », une nouvelle unité de mesure qui lui permet de réaliser divers
relevés de rue notamment ainsi que de musées : place Saint-Pierre de Rome, rue
Chateaubriand à Nice, le Centre Georges Pompidou à Paris, le musée Saint-Pierre à Lyon, le
musée Andy Warhol à Pittsburgh, le Musée d'art contemporain d'Anvers ou encore le musée
Guggenheim de New York.

« J’enfile une robe de drap, toujours la même. Je mesure le lieu à l’aide de mon corps en
m’allongeant sur le sol et en traçant un trait à la craie derrière ma tête. Je comptabilise avec un ou
deux témoins le nombre d’ORLAN-CORPS contenu dans cet espace. Je fais le constat – Je quête
de l’eau- j’ôte ma robe, je la lave en public – Je fais des prélèvements de cette eau sale,
prélèvements qui seront ensuite étiquetés, numérotés, cachetés à la cire. Je présente dans les
galeries ou les musées ces prélèvements, les constats, les photos, bande vidéo, les plaques
commémoratives, l’effigie grandeur nature de la dernière pose, la robe, l’étalon ORLAN-Corps…,
concrétisant ce travail».
O.

L'appellation choisie pour cette série d'actions insiste sur le mot « Rage », puisque l'artiste
affirme ici un féminocentrisme en faisant de son corps de femme une sorte de mètre étalon.

Elle s’oppose ainsi à la théorie du présocratique Protagoras selon laquelle « l’homme est la
mesure de toute chose ».

Cherchant à échapper à tout encadrement, au formatage comme aux formats donnés, l’artiste
invente progressivement ses propres formes.

Sa propre mise en scène devient sa signature.

Celle-ci épouse autant la photographie que la performance ou l’installation.

Au fil des œuvres se multiplient les objets photographiques en trois dimensions :


photographies de son corps tirées à taille réelle et installées dans l’espace.

3. UNE ARTISTE FÉMINISTE :

Nu descendant l’escalier, 1965

Œuvre manifeste qui dialogue ici avec une emblème de l’histoire de l’art.

« Quant à mon œuvre, elle se situe au joint entre mon histoire et l’histoire de l’art et c’est ce joint que je
travaille. »
O.

Naissance d’ORLAN sans coquille, 1974

« Cette naissance de Vénus est bien sûr tout à fait symbolique de cette idée de naissance. La dernière
photo, comme vous le dites, est extrêmement importante, c’est une sculpture de plis mais au sol, comme
une chrysalide dont ne sait pas quel corps va naître. »
O.

Strip-tease occasionnel dans les draps du trousseau, 1974-75.

Série photographique tirée d'une performance non publique qu'Orlan réalise en 1974.
La série montre différentes étapes d'un strip-tease dans lequel elle parodie, avec pour seul
ustensile l'épais drap du trousseau offert par sa mère, quelques figures féminines
caractéristiques de l'histoire de l'art (de la Madone à la Vénus).

Trousseau : Linge, lingerie, vêtements qu'on donne à une fille qui se marie ou qui entre en
religion.

Adoptant ces postures, elle s'attaque aux représentations culturelles qui induisent l'attitude,
l'espace et le rôle des femmes, au déterminisme de la construction familiale, tout en
s'attachant à écorner l'iconographie judéo-chrétienne.

L’œuvre met en jeu la double identité de la sainte et de la putain, interroge la construction


sociale et religieuse du corps et semble déjà portée par le désir vivace de transgresser les
limites.

« L’idée du strip-tease à partir d’une sculpture de plis fait référence aux madones bourguignonnes. À
cette époque, je n’avais pas encore étudié le drapé gothique ou baroque. L’idée était aussi que, en tant
que femmes, nous ne pouvons jamais nous « strip-teaser » complètement, qu’il reste toujours quelque
chose, que nous sommes habillées d’images qui nous précèdent, dont on nous enveloppe, qu’on nous
fout sur le corps et sur la gueule, qui font écran. Il n’y a donc jamais de nudité possible. »
O.

Déshabillage, 1977

Installation composée de multiples photos de détails du corps de l’artiste qui, par un système
de rotation, permet de configurer l’autoportrait selon toutes les fantaisies.

La démarche est d’autant plus visionnaire que cette installation est autant transgressive
qu’interactive en plaçant le public dans une position de voyeur déshabilleur.

Avec cette œuvre, ORLAN interroge le statut du corps féminin et les pressions sociales qui
s’y impriment.

Son engagement, sa liberté, le féminisme font partie intégrante de cette œuvre plastique, où
elle défend des positions innovantes, interrogatives et subversives.

Le Baiser de l'artiste, 1977

Performances au Grand Palais.

Assise sur une estrade, derrière une photographie grandeur nature de son buste nu traité
comme un guichet automatique bancaire, Orlan interpelle le public : « Approchez approchez,
venez sur mon piédestal, celui des mythes : la mère, la pute, l'artiste. »
Sur la même estrade noire, est installée une silhouette photographique collée sur bois la
représentant drapée en Sainte Thérèse dans un drap de son trousseau.

fente transparente qui part de la trachée pour se terminer dans le


Son plastron est doté d’une
triangle pubien. Au bout du sein droit une lampe clignote.

Les visiteurs pouvaient mettre un cierge pour Sainte ORLAN et introduire une pièce de 5
francs dans la fente et suivre le trajet de la pièce dans le distributeur, déclenchant une bande
son qui permettait d'obtenir un baiser de l'artiste.

La métaphore consumériste était prolongée par une carte de réduction donnant droit à
plusieurs séances et des accroches publicitaires aguicheuses, accrochées sur le buste comme
autant de décorations : « Grand luxe », « Service soigné », « Double peau »...

Avec cette pièce ORLAN interroge les clichés de la femme, mère ou prostituée, en un
spectacle où l'humour noir jouxte le simulacre, le baroque.

Elle déconstruit ici les stéréotypes d'une époque qui revendique l'utilisation du corps de la
femme, fantasmé et marchandisé.

Loin d'accepter d'être consommée, c'est elle qui décide ici si elle veut montrer son corps en
tant qu'objet.

« J’ai commencé à une époque où, en tant que femme, il s’agissait vraiment de revendiquer le
territoire de son corps et le pouvoir d’en faire ce qu’on voulait »
O.

ORLAN s’affirme maîtresse de son corps et du monde, et participe à l’invention d’une


nouvelle femme.

Cette action fera scandale. Pour cette performance ORLAN sera licenciée de l'école de
formation à l'animation socio-culturelle où elle enseignait.

ORLAN-corps brandit le liquide de rinçage, 1977

L’artiste arbore un symbole de la ménagère soumise, soudain hissé au rang de drapeau de la


libération de la femme.

Elle met à mal l’archétype de la femme rangée.

Détournement des clichés du sexisme pour mieux les combattre.


« L’art qui m’intéresse appartient à la résistance. »
O.

Le Drapé-le Baroque, 1979-1986

Cette série de photographies constitue une iconographie complexe et assez suggestive sur le
plan spirituel, avec des personnages inspirés de l'iconographie chrétienne tels que sainte
Orlan, la vierge blanche et la vierge noire.

Après de nombreuses heures de maquillage de d'habillement, Orlan enchaîne 3 à 5h d'action


au ralenti.

Ce travail s'inscrit dans la continuité de la quête d'Orlan de l'identité féminine, de sa critique


des pressions religieuses et de sa mise en scène du baroque.

Travestie en Madone, enchâssée dans une boite en plexiglas, le visage et les seins peints en
blanc, elle s’allonge sur un palanquin porté en processions par quatre hommes.

Comme si elle entrait en lévitation, elle s’élève en tournant sur elle-même en déroulant une
pelote de bandes de drap qu’elle porte dans ses bras d’où surgit un pain à la croûte bleue et à
lamie rouge symbolisant un enfant.

Cette série photographique participe à la naissance de la « sainte hérétique, déjà sorcière sue
le bucher ».

« Je suis d’une génération où, en tant que femme, j’ai dû me battre, avec bien d’autres, pour acquérir un
peu de liberté, pour pouvoir avoir une sexualité, pour que mon corps m’appartienne un peu. C’était une
époque où faire quelque chose avec le corps et par le corps dans l’art me paraissait extrêmement
politique. »
O.

L’Origine de la guerre, 1989

L’œuvre fait référence au célèbre tableau de Gustave Courbet, L'Origine du monde.

Transgressive et profondément engagée, la peinture présente un phallus, des jambes écartées


« travestissant » l'iconographie féminine de Courbet.

Le titre, explicite, prend ici un caractère presque militant.


II. POUR UN ART CHARNEL : LE CORPS COMME
MEDIA :

1. LA CHIRURGIE COMME GESTE ARTISTIQUE :

Ceci est mon corps…Ceci est mon logiciel… , 30 mai 1990

Il s’agit d’une performance-conférence accompagnée d'un livre et d'un CD-ROM.

« L’Art Charnel, c’est un travail d’autoportrait au sens classique, mais avec des moyens technologiques
qui sont ceux de son temps. Il oscille entre défiguration et refiguration. Il s’inscrit dans la chair, parce
que notre époque commence à en donner la possibilité. Le corps devient un ready-made modifié car il
n’est plus ce ready-made idéal qu’il suffit de signer. »
O.

« J’ai fait le Manifeste de l’art charnel pour me différencier à la fois du body-art historique et, par
extension, des néoprimitifs – qui actuellement font des choses avec la douleur, qui me paraissent
complètement anachroniques, en tout cas qui ne me semblent pas être un projet très intéressant. Mais le
body-art, lui, était extrêmement intéressant à son époque. Il a fait un passionnant travail de pionnier, de
mise en question des tabous, en montrant la sexualité, la nudité, etc. Mais il était souvent en prise avec
les limites physiques et psychologiques, dont la douleur. J’ai voulu me différencier de cela parce que je
pense que le fameux « tu accoucheras dans la douleur » est d’un ridicule incroyable à notre époque où
on a toute la pharmacopée pour ne pas souffrir. Notre époque a presque jugulé la douleur. »
O.

Être artiste, c’est faire corps avec son art. C’est donc mêler l’art et la vie. C’est remettre en
question les standards de beauté et les stéréotypes que notre époque nous désigne.

Progressivement ORLAN devient un « corps à l’œuvre » questionnant la fatalité génétique et


les canons esthétiques assignés aux femmes dans notre société.

« (…) toucher au corps comporte quelque chose de dérangeant. Nous sommes encore profondément
marqués par les principes judéo-chrétiens qui disent qu’on ne doit pas toucher au corps. Le corps est
conçu et pris comme un tout. Je ne peux pas voir les choses comme cela. »
O.

Tandis qu’elle est opérée en urgence pour une grossesse extra-utérine, ORLAN réussit à en
produire et garder des images. Cet événement pourtant traumatique sera à l’origine d’une
suite de performances devenues célèbres dans l’histoire des images contemporaines.
Réincarnation de sainte Orlan, 1990-1993.

Cette action comprend une série de neuf opérations / performances de chirurgie esthétique,
durant lesquelles Orlan fait de sa chair le matériau de son travail et prend pour base les
représentations de la femme dans l'art occidental.

A la lecture de ce texte, Orlan réalise que la psychanalyse est proche de la religion en ce que
toutes deux réaffirment l’impossibilité de défaire le corps, sans que cela ne produise un
bouleversement tantôt psychologique (psychanalyse) tantôt symbolique (religion).

Chaque opération/ performance d'Orlan, soigneusement programmée et exécutée, est mise en


scène et contrôlée par l'artiste au moyen de décors et d’ambiance minutieusement travaillés.

A chaque opération, l’artiste anesthésiée localement lit un texte différent sont issues de
lectures philosophique, psychanalytique ou littéraires, de Deleuze et Guattari à Julia Kristeva,
Antonin Artaud ou Alphonse Allais.

Tout a commencé par sa lecture en 1989 des textes de la psychanalyse lacanienne d’Eugénie
Lemoine Luccioni paru en 1983

« La peau est décevante […]. Dans la vie on n’a que sa peau […]. Il y a maldonne dans les rapports
humains parce que l’on n’est jamais ce que l’on a […]. J’ai une peau d’ange mais je suis un chacal […],
une peau de crocodile mais je suis un toutou, une peau de noire mais je suis un blanc, une peau de
femme, mais je suis un homme ; je n’ai jamais la peau de ce que je suis. »

Eugénie Lemoine Luccioni

Première opération : « couture et suture », 1990

Lecture du livre de D’Eugénie Lemoine (La robe) et son image en Vénus de Botticelli.

Quatrième opération : « opération réussie », 1991

Tout le monde est habillé en Paco Rabanne.


Cinquième opération : « opération opéra », 1991

Lecture du tiers-instruit de Michel Serres.

Elle porte un chapeau d’Arlequin et une robe de Franck Sorbier.

La figure de l’Arlequin est la métaphore de l’acceptation de l’autre.

« Chaque opération correspondait à une esthétique volontairement différente, avec l’idée qu’il y a autant
de pressions sur le corps des œuvres d’art qu’il n’y en a sur le corps tout court. L’art doit bousculer nos
a priori, bouleverser nos pensées, il est hors normes, il est hors la loi. »
O.

Elle choisit la littéralité de la Performance pour parler de la violence faite au corps, en


particulier au corps des femmes.

Le terme même de chirurgie esthétique implique en soi un possible rapport à l’art.

Jouant avec la sémantique, ORLAN fait de la chirurgie un médium artistique.

D’une certaine manière, ORLAN invente la chirurgie artistique.

L’artiste qui mettait en scène et en images son corps, intervient alors sur sa propre chair en
démontrant plus que jamais que son corps lui appartient.

« La matière de travail, la surface d’inscription que j’avais sous la main était le corps qu’il fallait que je
me réapproprie parce que j’en étais en quelque sorte dépossédée par l’idéologie dominante qui
m’empêchait de vivre ma vie de femme et ma vie d’artiste comme j’avais envie de vivre. J’ai pensé que
travailler directement avec la représentation de mon corps, y compris la représentation publique de mon
corps, était beaucoup plus intéressant, plus problématique et plus efficace politiquement, surtout à cette
époque, plutôt que de me dissimuler derrière la toile et la peinture. »

O.

Si la chirurgie esthétique est utilisée par les femmes pour se soumettre à des normes
esthétiques toujours identiques, ORLAN va demander à prendre au contraire ses modèles
dans la peinture occidentale allant jusqu’à adapter la technique picturale du sfumato à son
propre visage : le front de Mona Lisa, la bouche de la Vénus de Botticelli etc.

Le sfumato est une technique picturale qui donne au sujet des contours imprécis au moyen de
glacis d'une texture lisse et transparente.

Elle souhaite déjouer le fantasme même de perfection féminine.

Rien de morbide dans ces performances chirurgicales où l’hôpital devient le théâtre d’une
comédie philosophique.
Réaffirmation d’un esthétisme qui oscille au cours de ces mises en scène entre le kitsch et le
baroque.

« Beaucoup de vidéos qui peuvent être considérées comme des smuff-movies sont entièrement
retravaillées. Par exemple, je disais au chirurgien d’essayer de refaire le geste opératoire, parce que la
photo ou la vidéo n’avait pas eu le bon angle… Il y a aussi l’esthétique. Chaque opération correspondait
à une esthétique volontairement différente, avec l’idée qu’il y a autant de pressions sur le corps des
œuvres d’art qu’il n’y en a sur le corps tout court. »
O.

Omniprésence, novembre 1993

Orlan rencontre à New York le docteur Marjorie Cramer, une chirurgienne qui accepte les
objectifs artistiques et féministes de son projet : la transformation radicale de son visage par
des implants au niveau des tempes.

L’artiste se fait poser deux implants de silicone habituellement utilisés pour rehausser les
pommettes en formes de bosses de chaque côté du front, qui évoquent presque des cornes.

Au fil des images, le regardeur assiste à la lente recomposition d’un visage tuméfié, bandé de
pansements chirurgicaux, yeux rougis, peau bleuie, jaunie ou violacée.

« Je voulais sortir des normes, montrer qu’on peut se faire un autoportrait sans passer par l’imitation
d’un certain type de modèle de notre époque qu’on nous met en scène. »
O.

L'objectif est de détourner la chirurgie esthétique de ses objectifs usuels et de remettre en


cause les normes de beauté.

« Mon travail n’est pas dirigé contre la chirurgie esthétique, mais contre les standards de la beauté,
contre les diktats de l’idéologie dominante qui s’impriment toujours davantage sur la chair féminine …
et masculine »

O.

Cette opération/ performance est diffusée en direct à la galerie Sandra Gering, à New York,
au Centre Georges Pompidou, à Paris, au Centre Mac Luhan, à Toronto, ou encore au Centre
multimédia de Banff.
« Ce qui est formidable dans notre époque, c'est que la douleur a presque été jugulée. Je suis pour un
corps-plaisir, qu'a souvent nié la religion. Pour moi, la douleur n'est pas source de purification ou de
rédemption. Je suis contre le fameux "Tu accoucheras dans la douleur" de la Bible, puisque,
actuellement, toute la pharmacopée existe pour souffrir le moins possible, même si elle n'est pas
toujours utilisée. Aux chirurgiens, j'ai toujours dit que je ne voulais pas de douleur, ni avant, ni pendant,
ni après, et les anesthésiants me permettaient de faire une performance durant l'opération. La souffrance
me paraît très archaïque et anachronique. »
O.

Le visage d’ORLAN devient au fil de son œuvre comme une collection de masques.

Les opérations chirurgicales poursuivent en effet le travail d’ORLAN sur la thématique du


masque.

L’art d’ORLAN s’inscrit dans une histoire iconographique du masque.

Reliquaires, 1992-1993

Il s’agit de grands panneaux en verre très épais où est gravé un extrait du Tiers instruit de
Michel Serres – extrait où il parle de la science qui méconnaît la chair –, avec au centre du
texte une inclusion d’un morceau de la chair de l’artiste prélevée au fil de ses opérations entre
1990 et 1993.

Cette œuvre se construit comme une série dont chaque élément reprend le texte traduit en
quinze langues.

« Le monstre courant tatoué, ambidextre, hermaphrodite et métis, que pourrait-il nous faire voir à
présent sous sa peau ? Oui le sang et la chair… »
M. Serres

De nouveau, le corps devient langage dans sa matérialité même et l’œuvre prend la fonction
de monument.

2. LA CHIRURGIE DES IMAGES :

ORLAN passe de la chirurgie du corps à la chirurgie des images dès la fin des années 1990 en
initiant un travail reposant sur la technologie numérique pour créer de nouvelles formes
d’autoportraits mutants.
L’artiste développe des hybridations numériques qui ouvrent un nouveau champ de possibles
à son univers artistique, inventant ainsi une nouvelle forme d’autoportraits hybrides dont la
variété est illimitée.

Self-hybridations, 1998-2002

Ces images numériques mettent en scène l'artiste dans des métamorphoses physiques
virtuelles.

Pour produire ces oeuvres, l’artiste utilisee la technique du morphing qui lui permet d’obtenir
une nouvelle image, un visage « entre deux ».

Ces nouvelles œuvres photographiques croisent différentes variations venues de diverses


traditions et cultures : L’artiste s’inspire de l’iconographie classique de la féminité dans les
cultures américaines et sub-sahariennes.

L’œuvre interroge des canons de beauté d'autres civilisations (amérindienne, pré-colombienne


et africaine, déformation du crâne des Mayas) mais toujours pour dénoncer les pressions
culturelles infligées au corps et à l'apparence.

« Il s’agit d’une lecture en raccourci des visages de l'Histoire et d’ un mémento des métissages
,improbables, en embuscade des bouleversements éthiques qui s'annoncent. »
O.

L'image du corps idéal devient complètement abstraite et ironique.

La technique de chirurgie numérique de l’image permet de satisfaire tous les ressorts de


l’imagination de l’artiste.

Les self-hybridations proposent une histoire collective et syncrétique du corps féminin


contemporain.

« Après mes opérations chirurgicales, explique-t-elle, j'ai compris qu'on ne peut pas dire "je suis", mais
"je sommes"... parce qu'on est fabriqué par les autres. Les « Self Hybridations » seraient donc une autre
façon de se métamorphoser, de « brouiller les cartes, de transformer le réel en virtuel et vice versa ».
O.

Plus que jamais, ORLAN donne à voir l’infinie richesse du processus de construction de soi.
III. LE CORPS COMME RÉALITÉ AUGMENTÉE :

1. TRANSHUMANISME ET BIOTECHNOLOGIE :

Le terme « Transhumanisme » est utilisé pour la toute première fois par le biologiste Julian
Huxley en 1957.

Ce dernier définit un mouvement de pensée consistant à utiliser la science et la technologie


moderne pour augmenter les capacités physiques et mentales de l’Homme.

Manteau d’Arlequin, 2007.


Vidéo projection, bioréacteurs contenant des cellules de peau d’Orlan, de femmes noires
et de marsupiaux.

Il s'agit d'une installation mêlant art et biotechnologies, créée avec des cellules vivantes
d'Orlan, des cellules d'origines différentes et même des cellules d'animaux.

Pour Orlan, qui a toujours refusé d’accepter l’identité biologique de son corps, la
métamorphose, au même titre que l’hybridation, est une quête identitaire autant qu’artistique.

Elle collabore au programme TC&A (Tissu Culture and Art) initié par un collectif de
designers australiens du laboratoire Symbiotic’A de Perth, spécialisé dans les techniques de
culture tissulaire.

Cette expérience consiste à produire une sorte de peau hybride qu’elle souhaite greffer sur son
propre corps tel un manteau d’Arlequin.

Des cellules de la peau de l’artiste sont placées dans un bioréacteur en co-culture avec des
cellules de marsupiaux et des cellules humaines de type africain achetées par internet à la
banque de tissus ATCC.

Ces cellules sont mises en culture dans un bioréacteur situé à la place de la tête sur la structure
en losanges colorés qui constituent symboliquement le manteau.

Les agglomérats de cellules qui se sont développées sont placés dans des boîtes de Pétri et
insérées dans les modules colorés de la surface du vêtement.

« Le manteau, métaphore du corps mutant, s’apparente à un patchwork organique et matérialise l’espace


symbolique de la convergence des espèces et le refus d’une classification des cellules humaines en
fonction de certains critères de ressemblance comme la couleur de la peau ou la morpholie de
l’anatomie squelettique. »
O.

Cette œuvre s'inspire du texte de Michel Serres, Laïcité, placé en guise de préface à son
ouvrage Le Tiers Instruit.

Michel Serres utilise la figure de l'Arlequin comme métaphore du croisement, de l'acceptation


de l'autre, de la conjonction, de l'intersection.

Le Manteau d'Arlequin développe et continue d'explorer l'idée de croisement en utilisant le


médium plus charnel qu'est la peau.

L’œuvre enfin questionne la relation entre la biotechnologie et la culture artistique.

Spectaculaire est le film de 2007 montrant les étapes du prélèvement de cellules effectué sur
le corps de l’artiste.

Orlan recouverte d’un manteau d’arlequin est filmée en direct sur la table d’un bloc opératoire
où s’effectue la biopsie ; la mise en scène n’est pas sans rappeler la performance de 1990 où
l’artiste était filmée durant une série d’opérations de chirurgie plastique de son visage.

Les images de cette chair à vif effacent la barrière entre l’espace intérieur du corps de l’artiste
et l’espace public.

2. CORPS NUMÉRIQUE ET ROBOTIQUE :

ORLAN n’a de cesse d’explorer les médiums de l’image.

Elle trouve aujourd’hui avec les techniques d’imagerie 3D, de réalité virtuelle et de réalité
augmentée, de nouveaux pinceaux pour continuer son œuvre de mise en image et de
(re)construction de son corps et de son identité.

La liberté écorchée, 2013

Vidéo / Autoportrait 3D de l’artiste en écorché levant le bras au ralenti pour prendre la pose
de la statue de la Liberté.

ORLAN se montre à corps totalement ouvert, comme aucune opération chirurgicale ne l’avait
encore permis.
Cet écorché évoque un modèle extrait d'une planche anatomique du XVIe siècle qu'à un
supplicié du théâtre des martyrs.

Cette œuvre en 3D réalisée à partir d'images médicales révèle une silhouette charpentée, plus
proche des Vénus préhistoriques que des standards de beauté actuels.

Cet avatar qui lui permet de rejouer toutes ses performances, porte deux brassards verts acide
(couleur identique à celle des deux implants qui encadrent son visage).

ORLAN-oïde, 2018

Le robot ORLAN-oïde, construit à l’effigie de l’artiste, est un être hybride doué d’une
intelligence collective et artificielle.

Doué d’une voix semblable à celle de l’artiste et grâce à des générateurs de mouvements et de
textes le robot humanoïde est capable de danser, de parler, de chanter et de ressasser les
obsessions qui ont jalonné son parcours d’artiste.

Au cours d’une exposition récente au Grand Palais (2018), l’artiste a réalisé l’installation
performative Strip-tease artistique, électronique et verbal.

Dans cette installation, l’orlanoïde dialogue en live avec ORLAN au moyen de deux écrans,
de trois caméras et d’un détecteur de présence.

ORLAN a demandé en amont à de nombreuses personnalités de participer à l’intelligence


artificielle collective en imaginant les questions qu’elle pourrait poser à l’orlanoïde et que
l’orlanoïde pourrait lui poser en retour.

Dans ce dialogue l’intelligence sociale des réseaux sociaux est aussi convoquée via internet
ainsi que des poèmes écrits par ORLAN de manière générative et aléatoire.

L’œuvre est ainsi basée sur l’idée de deep-learning.

« Je pense que la science actuellement introduit du fondamentalement nouveau. Construire du vivant,


utiliser les cellules souches, obtenir des clones ou des organes, tout ce qui est manipulations génétiques
et biotechnologies, font sauter des verrous et remettent en question notre prêt-à-penser et les croyances
religieuses obscurantistes, donc posent vraiment une question. (…) Ce qui n’a pas changé est que,
effectivement, dès qu’il y a des avancées (…), qu’elles soient technologiques, scientifiques ou
biotechnologiques, elles font peur et provoquent des réactions épidermiques de résistance, d’opposition
et de retour à la tradition, à l’ordre, etc. (…) Mais il y a des choses absolument nouvelles qu’un artiste
ne peut ignorer. »
O.
Orlan décide de transformer son corps non plus pour ressembler à l'image composite du corps
humain parfait, mais pour recréer un corps fantasmé technologiquement.

Le corps considéré comme une machine, un objet, est ainsi soumis aux fantasmes de l'artiste
et au progrès technique.

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