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BIOGRAPHIE :
Artiste féministe.
Dès les années 1960 et 1970, Orlan interroge le statut du corps et les pressions politiques,
religieuses, sociales qui s'y inscrivent ce d’abord au moyen de la photographie puis
progressivement de la performance et de l’installation.
Son travail dénonce la violence faite aux corps et en particulier aux corps des femmes, et
s'engage ainsi dans un combat féministe.
Elle fait de son corps l'instrument privilégié où se joue notre propre rapport à l'altérité.
1982 : Avant l'arrivée d'Internet, Orlan est créatrice de la première revue d'art contemporain et
de création sur Minitel Art-Acces.
Orlan enseigne à l’École des Beaux Arts de Dijon puis à l'École nationale supérieure d'arts de
Cergy-Pontoise.
Elle est représentée par la galerie Michel Rein, à Paris ainsi que par la galerie Ceysson &
Bénétière.
Son travail sur le corps s’inscrit dans la droite ligne de son premier acte artistique – le
changement du nom.
En effet, même s’ils ne touchent pas encore à la dimension corporelle, ce premier geste
artistique montre comment ORLAN choisit de rompre avec son passé et son histoire, sa
famille et ses racines.
En refusant son nom comme quelque chose qu’on lui a imposé, Orlan refuse qu’un autre
qu’elle-même ait choisi son prénom et ait ainsi participé au processus de constitution de son
identité.
« Je crois que c’est pendant la troisième séance chez mon psychanalyste. La seule chose qu’il me dit
pendant toute la séance est : « La prochaine fois, vous ne me paierez plus par chèque mais en espèces ».
(…) Puis, au moment d’aller à la séance suivante (…) au moment où je signe le chèque je vois que (…)
quelque chose sautait dans ma signature. Je ne m’appelle pas « Morte » mais je signais « Morte » en
très gros, très lisible. J’ai donc dit que je ne serai plus jamais morte et j’ai voulu changer de nom en
utilisant ce qui était positif dans cette signature. J’ai pris « or ». Je n’aurais jamais dû m’appeler Orlan
(Or-lent), je ne sais pas pourquoi je me suis appelée ainsi, j’aurais dû m’appeler Or-vif, Or-rapide. En
tout cas, très longtemps, pour signer mes œuvres, j’ai employé « Or » et puis « l » apostrophe, et « an »
– Orl’an – comme si c’était Orl’an de telle année, en mettant à la suite la date de l’œuvre. »
O.
Orlan accouche d'elle-m'aime, 1964
Sur cette photographie en noir et blanc, Orlan donne naissance à un personnage tel un corps
inerte et androgyne, ni homme ni femme.
Le mannequin dont elle « accouche » représente en effet son double, une sorte de point de
départ d’un processus de transformations infinies.
Il est le symbole même du fait que l’artiste se vit sans racines, sans nom, sans corps, et donc
comme quelqu’un qui vient au monde par lui-même, refusant tout ce qui ne dépend pas de sa
volonté.
« Orlan accouche d’elle m’aime est à la fois le clone, l’altérité, le dédoublement, l’accouchement de
soi-même, elle focalise déjà énormément de choses qui ensuite se disent autrement dans le travail :
l’idée de sortir du cadre, doré, bourgeois, et en même temps l’idée de sortir de son propre cadre. »
O.
2. CORPS EN ACTION :
Le corps est pour Orlan non seulement le support de tout procédé artistique, mais aussi un lieu
de mutations et d’altérité.
MesuRages, 1974-2011
L’artiste crée l'« Orlan-corps », une nouvelle unité de mesure qui lui permet de réaliser divers
relevés de rue notamment ainsi que de musées : place Saint-Pierre de Rome, rue
Chateaubriand à Nice, le Centre Georges Pompidou à Paris, le musée Saint-Pierre à Lyon, le
musée Andy Warhol à Pittsburgh, le Musée d'art contemporain d'Anvers ou encore le musée
Guggenheim de New York.
« J’enfile une robe de drap, toujours la même. Je mesure le lieu à l’aide de mon corps en
m’allongeant sur le sol et en traçant un trait à la craie derrière ma tête. Je comptabilise avec un ou
deux témoins le nombre d’ORLAN-CORPS contenu dans cet espace. Je fais le constat – Je quête
de l’eau- j’ôte ma robe, je la lave en public – Je fais des prélèvements de cette eau sale,
prélèvements qui seront ensuite étiquetés, numérotés, cachetés à la cire. Je présente dans les
galeries ou les musées ces prélèvements, les constats, les photos, bande vidéo, les plaques
commémoratives, l’effigie grandeur nature de la dernière pose, la robe, l’étalon ORLAN-Corps…,
concrétisant ce travail».
O.
L'appellation choisie pour cette série d'actions insiste sur le mot « Rage », puisque l'artiste
affirme ici un féminocentrisme en faisant de son corps de femme une sorte de mètre étalon.
Elle s’oppose ainsi à la théorie du présocratique Protagoras selon laquelle « l’homme est la
mesure de toute chose ».
Cherchant à échapper à tout encadrement, au formatage comme aux formats donnés, l’artiste
invente progressivement ses propres formes.
Œuvre manifeste qui dialogue ici avec une emblème de l’histoire de l’art.
« Quant à mon œuvre, elle se situe au joint entre mon histoire et l’histoire de l’art et c’est ce joint que je
travaille. »
O.
« Cette naissance de Vénus est bien sûr tout à fait symbolique de cette idée de naissance. La dernière
photo, comme vous le dites, est extrêmement importante, c’est une sculpture de plis mais au sol, comme
une chrysalide dont ne sait pas quel corps va naître. »
O.
Série photographique tirée d'une performance non publique qu'Orlan réalise en 1974.
La série montre différentes étapes d'un strip-tease dans lequel elle parodie, avec pour seul
ustensile l'épais drap du trousseau offert par sa mère, quelques figures féminines
caractéristiques de l'histoire de l'art (de la Madone à la Vénus).
Trousseau : Linge, lingerie, vêtements qu'on donne à une fille qui se marie ou qui entre en
religion.
Adoptant ces postures, elle s'attaque aux représentations culturelles qui induisent l'attitude,
l'espace et le rôle des femmes, au déterminisme de la construction familiale, tout en
s'attachant à écorner l'iconographie judéo-chrétienne.
« L’idée du strip-tease à partir d’une sculpture de plis fait référence aux madones bourguignonnes. À
cette époque, je n’avais pas encore étudié le drapé gothique ou baroque. L’idée était aussi que, en tant
que femmes, nous ne pouvons jamais nous « strip-teaser » complètement, qu’il reste toujours quelque
chose, que nous sommes habillées d’images qui nous précèdent, dont on nous enveloppe, qu’on nous
fout sur le corps et sur la gueule, qui font écran. Il n’y a donc jamais de nudité possible. »
O.
Déshabillage, 1977
Installation composée de multiples photos de détails du corps de l’artiste qui, par un système
de rotation, permet de configurer l’autoportrait selon toutes les fantaisies.
La démarche est d’autant plus visionnaire que cette installation est autant transgressive
qu’interactive en plaçant le public dans une position de voyeur déshabilleur.
Avec cette œuvre, ORLAN interroge le statut du corps féminin et les pressions sociales qui
s’y impriment.
Son engagement, sa liberté, le féminisme font partie intégrante de cette œuvre plastique, où
elle défend des positions innovantes, interrogatives et subversives.
Assise sur une estrade, derrière une photographie grandeur nature de son buste nu traité
comme un guichet automatique bancaire, Orlan interpelle le public : « Approchez approchez,
venez sur mon piédestal, celui des mythes : la mère, la pute, l'artiste. »
Sur la même estrade noire, est installée une silhouette photographique collée sur bois la
représentant drapée en Sainte Thérèse dans un drap de son trousseau.
Les visiteurs pouvaient mettre un cierge pour Sainte ORLAN et introduire une pièce de 5
francs dans la fente et suivre le trajet de la pièce dans le distributeur, déclenchant une bande
son qui permettait d'obtenir un baiser de l'artiste.
La métaphore consumériste était prolongée par une carte de réduction donnant droit à
plusieurs séances et des accroches publicitaires aguicheuses, accrochées sur le buste comme
autant de décorations : « Grand luxe », « Service soigné », « Double peau »...
Avec cette pièce ORLAN interroge les clichés de la femme, mère ou prostituée, en un
spectacle où l'humour noir jouxte le simulacre, le baroque.
Elle déconstruit ici les stéréotypes d'une époque qui revendique l'utilisation du corps de la
femme, fantasmé et marchandisé.
Loin d'accepter d'être consommée, c'est elle qui décide ici si elle veut montrer son corps en
tant qu'objet.
« J’ai commencé à une époque où, en tant que femme, il s’agissait vraiment de revendiquer le
territoire de son corps et le pouvoir d’en faire ce qu’on voulait »
O.
Cette action fera scandale. Pour cette performance ORLAN sera licenciée de l'école de
formation à l'animation socio-culturelle où elle enseignait.
Cette série de photographies constitue une iconographie complexe et assez suggestive sur le
plan spirituel, avec des personnages inspirés de l'iconographie chrétienne tels que sainte
Orlan, la vierge blanche et la vierge noire.
Travestie en Madone, enchâssée dans une boite en plexiglas, le visage et les seins peints en
blanc, elle s’allonge sur un palanquin porté en processions par quatre hommes.
Comme si elle entrait en lévitation, elle s’élève en tournant sur elle-même en déroulant une
pelote de bandes de drap qu’elle porte dans ses bras d’où surgit un pain à la croûte bleue et à
lamie rouge symbolisant un enfant.
Cette série photographique participe à la naissance de la « sainte hérétique, déjà sorcière sue
le bucher ».
« Je suis d’une génération où, en tant que femme, j’ai dû me battre, avec bien d’autres, pour acquérir un
peu de liberté, pour pouvoir avoir une sexualité, pour que mon corps m’appartienne un peu. C’était une
époque où faire quelque chose avec le corps et par le corps dans l’art me paraissait extrêmement
politique. »
O.
« L’Art Charnel, c’est un travail d’autoportrait au sens classique, mais avec des moyens technologiques
qui sont ceux de son temps. Il oscille entre défiguration et refiguration. Il s’inscrit dans la chair, parce
que notre époque commence à en donner la possibilité. Le corps devient un ready-made modifié car il
n’est plus ce ready-made idéal qu’il suffit de signer. »
O.
« J’ai fait le Manifeste de l’art charnel pour me différencier à la fois du body-art historique et, par
extension, des néoprimitifs – qui actuellement font des choses avec la douleur, qui me paraissent
complètement anachroniques, en tout cas qui ne me semblent pas être un projet très intéressant. Mais le
body-art, lui, était extrêmement intéressant à son époque. Il a fait un passionnant travail de pionnier, de
mise en question des tabous, en montrant la sexualité, la nudité, etc. Mais il était souvent en prise avec
les limites physiques et psychologiques, dont la douleur. J’ai voulu me différencier de cela parce que je
pense que le fameux « tu accoucheras dans la douleur » est d’un ridicule incroyable à notre époque où
on a toute la pharmacopée pour ne pas souffrir. Notre époque a presque jugulé la douleur. »
O.
Être artiste, c’est faire corps avec son art. C’est donc mêler l’art et la vie. C’est remettre en
question les standards de beauté et les stéréotypes que notre époque nous désigne.
« (…) toucher au corps comporte quelque chose de dérangeant. Nous sommes encore profondément
marqués par les principes judéo-chrétiens qui disent qu’on ne doit pas toucher au corps. Le corps est
conçu et pris comme un tout. Je ne peux pas voir les choses comme cela. »
O.
Tandis qu’elle est opérée en urgence pour une grossesse extra-utérine, ORLAN réussit à en
produire et garder des images. Cet événement pourtant traumatique sera à l’origine d’une
suite de performances devenues célèbres dans l’histoire des images contemporaines.
Réincarnation de sainte Orlan, 1990-1993.
Cette action comprend une série de neuf opérations / performances de chirurgie esthétique,
durant lesquelles Orlan fait de sa chair le matériau de son travail et prend pour base les
représentations de la femme dans l'art occidental.
A la lecture de ce texte, Orlan réalise que la psychanalyse est proche de la religion en ce que
toutes deux réaffirment l’impossibilité de défaire le corps, sans que cela ne produise un
bouleversement tantôt psychologique (psychanalyse) tantôt symbolique (religion).
A chaque opération, l’artiste anesthésiée localement lit un texte différent sont issues de
lectures philosophique, psychanalytique ou littéraires, de Deleuze et Guattari à Julia Kristeva,
Antonin Artaud ou Alphonse Allais.
Tout a commencé par sa lecture en 1989 des textes de la psychanalyse lacanienne d’Eugénie
Lemoine Luccioni paru en 1983
« La peau est décevante […]. Dans la vie on n’a que sa peau […]. Il y a maldonne dans les rapports
humains parce que l’on n’est jamais ce que l’on a […]. J’ai une peau d’ange mais je suis un chacal […],
une peau de crocodile mais je suis un toutou, une peau de noire mais je suis un blanc, une peau de
femme, mais je suis un homme ; je n’ai jamais la peau de ce que je suis. »
Lecture du livre de D’Eugénie Lemoine (La robe) et son image en Vénus de Botticelli.
« Chaque opération correspondait à une esthétique volontairement différente, avec l’idée qu’il y a autant
de pressions sur le corps des œuvres d’art qu’il n’y en a sur le corps tout court. L’art doit bousculer nos
a priori, bouleverser nos pensées, il est hors normes, il est hors la loi. »
O.
L’artiste qui mettait en scène et en images son corps, intervient alors sur sa propre chair en
démontrant plus que jamais que son corps lui appartient.
« La matière de travail, la surface d’inscription que j’avais sous la main était le corps qu’il fallait que je
me réapproprie parce que j’en étais en quelque sorte dépossédée par l’idéologie dominante qui
m’empêchait de vivre ma vie de femme et ma vie d’artiste comme j’avais envie de vivre. J’ai pensé que
travailler directement avec la représentation de mon corps, y compris la représentation publique de mon
corps, était beaucoup plus intéressant, plus problématique et plus efficace politiquement, surtout à cette
époque, plutôt que de me dissimuler derrière la toile et la peinture. »
O.
Si la chirurgie esthétique est utilisée par les femmes pour se soumettre à des normes
esthétiques toujours identiques, ORLAN va demander à prendre au contraire ses modèles
dans la peinture occidentale allant jusqu’à adapter la technique picturale du sfumato à son
propre visage : le front de Mona Lisa, la bouche de la Vénus de Botticelli etc.
Le sfumato est une technique picturale qui donne au sujet des contours imprécis au moyen de
glacis d'une texture lisse et transparente.
Rien de morbide dans ces performances chirurgicales où l’hôpital devient le théâtre d’une
comédie philosophique.
Réaffirmation d’un esthétisme qui oscille au cours de ces mises en scène entre le kitsch et le
baroque.
« Beaucoup de vidéos qui peuvent être considérées comme des smuff-movies sont entièrement
retravaillées. Par exemple, je disais au chirurgien d’essayer de refaire le geste opératoire, parce que la
photo ou la vidéo n’avait pas eu le bon angle… Il y a aussi l’esthétique. Chaque opération correspondait
à une esthétique volontairement différente, avec l’idée qu’il y a autant de pressions sur le corps des
œuvres d’art qu’il n’y en a sur le corps tout court. »
O.
Orlan rencontre à New York le docteur Marjorie Cramer, une chirurgienne qui accepte les
objectifs artistiques et féministes de son projet : la transformation radicale de son visage par
des implants au niveau des tempes.
L’artiste se fait poser deux implants de silicone habituellement utilisés pour rehausser les
pommettes en formes de bosses de chaque côté du front, qui évoquent presque des cornes.
Au fil des images, le regardeur assiste à la lente recomposition d’un visage tuméfié, bandé de
pansements chirurgicaux, yeux rougis, peau bleuie, jaunie ou violacée.
« Je voulais sortir des normes, montrer qu’on peut se faire un autoportrait sans passer par l’imitation
d’un certain type de modèle de notre époque qu’on nous met en scène. »
O.
« Mon travail n’est pas dirigé contre la chirurgie esthétique, mais contre les standards de la beauté,
contre les diktats de l’idéologie dominante qui s’impriment toujours davantage sur la chair féminine …
et masculine »
O.
Cette opération/ performance est diffusée en direct à la galerie Sandra Gering, à New York,
au Centre Georges Pompidou, à Paris, au Centre Mac Luhan, à Toronto, ou encore au Centre
multimédia de Banff.
« Ce qui est formidable dans notre époque, c'est que la douleur a presque été jugulée. Je suis pour un
corps-plaisir, qu'a souvent nié la religion. Pour moi, la douleur n'est pas source de purification ou de
rédemption. Je suis contre le fameux "Tu accoucheras dans la douleur" de la Bible, puisque,
actuellement, toute la pharmacopée existe pour souffrir le moins possible, même si elle n'est pas
toujours utilisée. Aux chirurgiens, j'ai toujours dit que je ne voulais pas de douleur, ni avant, ni pendant,
ni après, et les anesthésiants me permettaient de faire une performance durant l'opération. La souffrance
me paraît très archaïque et anachronique. »
O.
Le visage d’ORLAN devient au fil de son œuvre comme une collection de masques.
Reliquaires, 1992-1993
Il s’agit de grands panneaux en verre très épais où est gravé un extrait du Tiers instruit de
Michel Serres – extrait où il parle de la science qui méconnaît la chair –, avec au centre du
texte une inclusion d’un morceau de la chair de l’artiste prélevée au fil de ses opérations entre
1990 et 1993.
Cette œuvre se construit comme une série dont chaque élément reprend le texte traduit en
quinze langues.
« Le monstre courant tatoué, ambidextre, hermaphrodite et métis, que pourrait-il nous faire voir à
présent sous sa peau ? Oui le sang et la chair… »
M. Serres
De nouveau, le corps devient langage dans sa matérialité même et l’œuvre prend la fonction
de monument.
ORLAN passe de la chirurgie du corps à la chirurgie des images dès la fin des années 1990 en
initiant un travail reposant sur la technologie numérique pour créer de nouvelles formes
d’autoportraits mutants.
L’artiste développe des hybridations numériques qui ouvrent un nouveau champ de possibles
à son univers artistique, inventant ainsi une nouvelle forme d’autoportraits hybrides dont la
variété est illimitée.
Self-hybridations, 1998-2002
Ces images numériques mettent en scène l'artiste dans des métamorphoses physiques
virtuelles.
Pour produire ces oeuvres, l’artiste utilisee la technique du morphing qui lui permet d’obtenir
une nouvelle image, un visage « entre deux ».
« Il s’agit d’une lecture en raccourci des visages de l'Histoire et d’ un mémento des métissages
,improbables, en embuscade des bouleversements éthiques qui s'annoncent. »
O.
« Après mes opérations chirurgicales, explique-t-elle, j'ai compris qu'on ne peut pas dire "je suis", mais
"je sommes"... parce qu'on est fabriqué par les autres. Les « Self Hybridations » seraient donc une autre
façon de se métamorphoser, de « brouiller les cartes, de transformer le réel en virtuel et vice versa ».
O.
Plus que jamais, ORLAN donne à voir l’infinie richesse du processus de construction de soi.
III. LE CORPS COMME RÉALITÉ AUGMENTÉE :
1. TRANSHUMANISME ET BIOTECHNOLOGIE :
Le terme « Transhumanisme » est utilisé pour la toute première fois par le biologiste Julian
Huxley en 1957.
Il s'agit d'une installation mêlant art et biotechnologies, créée avec des cellules vivantes
d'Orlan, des cellules d'origines différentes et même des cellules d'animaux.
Pour Orlan, qui a toujours refusé d’accepter l’identité biologique de son corps, la
métamorphose, au même titre que l’hybridation, est une quête identitaire autant qu’artistique.
Elle collabore au programme TC&A (Tissu Culture and Art) initié par un collectif de
designers australiens du laboratoire Symbiotic’A de Perth, spécialisé dans les techniques de
culture tissulaire.
Cette expérience consiste à produire une sorte de peau hybride qu’elle souhaite greffer sur son
propre corps tel un manteau d’Arlequin.
Des cellules de la peau de l’artiste sont placées dans un bioréacteur en co-culture avec des
cellules de marsupiaux et des cellules humaines de type africain achetées par internet à la
banque de tissus ATCC.
Ces cellules sont mises en culture dans un bioréacteur situé à la place de la tête sur la structure
en losanges colorés qui constituent symboliquement le manteau.
Les agglomérats de cellules qui se sont développées sont placés dans des boîtes de Pétri et
insérées dans les modules colorés de la surface du vêtement.
Cette œuvre s'inspire du texte de Michel Serres, Laïcité, placé en guise de préface à son
ouvrage Le Tiers Instruit.
Spectaculaire est le film de 2007 montrant les étapes du prélèvement de cellules effectué sur
le corps de l’artiste.
Orlan recouverte d’un manteau d’arlequin est filmée en direct sur la table d’un bloc opératoire
où s’effectue la biopsie ; la mise en scène n’est pas sans rappeler la performance de 1990 où
l’artiste était filmée durant une série d’opérations de chirurgie plastique de son visage.
Les images de cette chair à vif effacent la barrière entre l’espace intérieur du corps de l’artiste
et l’espace public.
Elle trouve aujourd’hui avec les techniques d’imagerie 3D, de réalité virtuelle et de réalité
augmentée, de nouveaux pinceaux pour continuer son œuvre de mise en image et de
(re)construction de son corps et de son identité.
Vidéo / Autoportrait 3D de l’artiste en écorché levant le bras au ralenti pour prendre la pose
de la statue de la Liberté.
ORLAN se montre à corps totalement ouvert, comme aucune opération chirurgicale ne l’avait
encore permis.
Cet écorché évoque un modèle extrait d'une planche anatomique du XVIe siècle qu'à un
supplicié du théâtre des martyrs.
Cette œuvre en 3D réalisée à partir d'images médicales révèle une silhouette charpentée, plus
proche des Vénus préhistoriques que des standards de beauté actuels.
Cet avatar qui lui permet de rejouer toutes ses performances, porte deux brassards verts acide
(couleur identique à celle des deux implants qui encadrent son visage).
ORLAN-oïde, 2018
Le robot ORLAN-oïde, construit à l’effigie de l’artiste, est un être hybride doué d’une
intelligence collective et artificielle.
Doué d’une voix semblable à celle de l’artiste et grâce à des générateurs de mouvements et de
textes le robot humanoïde est capable de danser, de parler, de chanter et de ressasser les
obsessions qui ont jalonné son parcours d’artiste.
Au cours d’une exposition récente au Grand Palais (2018), l’artiste a réalisé l’installation
performative Strip-tease artistique, électronique et verbal.
Dans cette installation, l’orlanoïde dialogue en live avec ORLAN au moyen de deux écrans,
de trois caméras et d’un détecteur de présence.
Dans ce dialogue l’intelligence sociale des réseaux sociaux est aussi convoquée via internet
ainsi que des poèmes écrits par ORLAN de manière générative et aléatoire.
Le corps considéré comme une machine, un objet, est ainsi soumis aux fantasmes de l'artiste
et au progrès technique.