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:
RlCIlE pOpULAIRE
Première Tribune et Revue lensuelle

| PAR DEs oUvRiERs


Nous la direction

DE FRANCOIS DUQUENNE
Ouvrier imprimeur.

NEUV IÈM E A NNÉE JANV | ER

PA R I S
AU BUREAU, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE, 75.
AU M ARAIS

1 847
PRoGRAMME
--- > <---

Le but principal de la Ruche populaire est d'indiquer les misères


cachées aux riches bienfaisants. Elle ouvre en outre aux ouvriers une
tribune où chacun d'eux peut faire entendre ses justes réclamations,
exprimer ses vœux légitimes, ses espérances d'amélioration. Or
telles sont aujourd'hui la multiplicité et la divergence des doctrines
sur toutes choses, qu'on ne saurait s'attendre à trouver parmi les
écrivains de la Ruche l'unité d'opinions, qui n'existe nulle part. Le
but de notre recueil n'est donc, sous ce rapport, que de faciliter
l'intervention des Hommes de travail dans la discussion des moyens
propres à remédier à des maux universellement avoués. En leur
laissant une pleine liberté d'exprimer leurs idées, elle leur en laisse
aussi la responsabilité entière, se bornant à exiger d'eux, avec un
ton décent, le respect que l'on doit toujours à la morale publique.

A NOS FRÈRES.

Nous voulons dire au plus malheureux de nos frères gémissant


sur la voie publique, ou bien abandonné dans son grenier :
« Te voilà sans travail, et tu en demandes; tu es sans logement,
» sans vêtements, sans nourriture; incertain du lendemain ou sans
» Providence, aucune main amie ne vient toucher la tienne, donc
»tu as à te plaindre. Eh bien, si ta plainte est digne, viens nous
» l'apporter ; il ne t'en coûtera rien pour l'imprimer; et tu parleras
» à la Société, n'étant justiciable en ceci que de la majorité de tes
» frères d'infortune. »
- # | º LA ' . *,

UCHE PoPULAIRE
(ºE # #ESB US $ $B)

« Secourir d'honorables infortunes qui se


« plaignent, c'est bien ; s'enquérir de ceux
« qui luttent avec honneur, avec énergie, et
« leur venir en aide, quelquefois à leur insu ;
« prévenir à temps la misère ou les tenta
« tions qui mènent au crime..., c'est mieux.»
(RoDoLPHE, dans les Mystères de Paris.)

*,

Nous recommandons à l'Evangélique Fraternité ces infor


tunes intéressantes :

Une famille de cinq enfants dont la mère vient d'être en


levée après une longue et douloureuse maladie; l'époux,
homme de peine, atteint d'une infirmité et pouvant à peine
supporter la fatigue, reste seul pour soutenir sa malheureuse
famille. -

, Une autre famille dont le père, ouvrier maçon, est depuis


longtemps sans travail par suite de maladies et de l'hiver,
souffre jour et nuit; son épouse et ses cinq enfants sont dé
nués de tout.

: | Suivent les autres infortunes inscrites sur notre registre.

IX° ANNÉE de cette 1r° tribune des ouvriers, — Janvier 1847. 1


2

PRINCIPE.
« Où est l'Esprit de Dieu, là est
la Liberté. »
(S. Paul, II° Ép. aux Corinth. ,
ch. III, v. 17.)

Depuis la suspension de la Ruche populaire, qui a pris


dans la presse une place à part, nous avons fait d'incessantes
démarches pour fonder définitivement ce journal dans ses
deux parties, comme œuvre de fraternité, et comme tribune
populaire où les ouvriers, de quelque point du globe qu'ils
habitent, pourront dire au monde ce qu'ils sont, ce qu'ils
pensent, ce qu'ils veulent. -

Nous constatons avec plaisir que chez des personnes d'o-


pinions diverses, chez des artistes en peinture, sculpture et
littérature, partout où les cœurs aiment la justice et la liberté,
nous avons rencontré un concours effectif et une sympathie
complète ; aussi avons-nous conçu l'espérance d'une union
entre le peuple travailleur et les hommes de professions libé
rales.
Quoi d'étrange? n'y a-t-il pas similitude en ceci, que les
travailleurs et les artistes se passionnent également pour la
gloire de la nation, et sont également dévoués dans une ca
lamité publique ? Ne voit-on pas l'artiste s'empresser d'offrir
le secours de son talent, l'ouvrier d'apporter son obole et
ses bras ? S'il en est ainsi, l'union est possible, naturelle
même, et nous vous convions tous, politiques, savants, ar
tistes, philosophes, à participer au bien de la chose publique,
avec l'ouvrier, dans ce champ de liberté.
FONDATION MATÉRIELLE DU JOURNAL.

La Ruche a été distribuée aux ouvriers et dans les ateliers


sans prélever la contribution de l'abonnement; cette propa
gande, qui était nécessaire et que nous continuerons, a épuisé
5

nos faibles ressources; elle nous a obligés de suspendre la


· publication (1), mais non l'œuvre de fraternité qui n'a jamais
été interrompue. Toutefois nous ne nous sommes pas décou
ragés : convaincus de l'urgence de cette entreprise, dès lors
moralement fondée, et prévoyant tous les services qu'elle
est appelée à rendre, nous avons cherché à lui donner une
- existence certaine.
Les encouragements et les sérieuses promesses que nous
aVOns d'abord recueillis, dans notre course à travers les
hommes et les partis, ont fortifié notre espérance, qui est
devenue, à l'heure où nous écrivons ceci, une belle et bonne
- réalité. Beaucoup sont venus à nous, déterminés à aider à la
fondation d'un organe qui transmette à tous les pensées, les
aspirations du peuple, privé de la parole en France, quoi
qu'il ait tant de choses à dire pourtant !... Il y avait un
écueil à éviter, cette maladie d'aujourd'hui, nous pourrions
dire l'épidémie morale qu'on appelle patronage. Nous ne
pouvions l'accepter, puisqu'il est incompatible avec le prin
cipe du journal ; être libre ou ne pas être, telle était notre
devise, et nous sommes l....
Des personnes honorables se sont réunies chez M. Ad.
Crémieux, député, pour coopérer à la fondation de cette
tribune populaire. La soirée a eu lieu le samedi 50 janvier.
Et maintenant notre devoir recommence plus grand que ja
mais ; nous nous efforcerons de le bien comprendre et de le
bien remplir, afin de nous montrer toujours dignes de ceux
qui ont concouru et de ceux qui concourront à cette œuvre
d'émancipation morale.
OEUVRE DE FRATERNITÉ.

Voici comment on procède à la Ruche pour cette partie


délicate :
Lorsqu'on nous signale une infortune intéressante, quel
(1) Depuis le mois de mars 1845.
4

qu'en soit le genre, comme, par exemple, un honnête ou


vrier, père de famille, depuis longtemps sans ouvrage et se
laissant périr lui et les siens plutôt que de révéler sa misère,
alors nous allons le visiter nous-mêmes en qualité de cama
rades et non d'inspecteurs ; puis nous mentionnons le fait
sur un registre en omettant le nom et l'adresse ; et quand
un riche a le beau courage, en le venant consulter, de choi
sir une ou plusieurs infortunes à soulager, alors, par un
carnet à numéros correspondants, nous lui confions les
noms et adresses, afin qu'il puisse aller lui-même répandre
ses bienfaits.
Nous devons mentionner un fait, honorable pour son au
teur, et qui eut lieu le 24 mai 1846 :
M. le marquis de la Rochejaquelein avait fait don à l'œuvre
d'un beau buste en marbre. Nous allâmes le remercier. A
cette occasion, il nous offrit spontanément de profiter, en
vue du soulagement des familles, de la dernière soirée qu'il
donnait dans la saison. Nous acceptâmes avec empresse
ment. La cérémonie, bien qu'improvisée, produisit la somme
de 1,200 francs. Dans cette honorable réunion, d'autres
personnes exprimèrent leur intention de donner aussi des
soirées en vue des mêmes intérêts : et c'est ainsi que, grâce
à tant de sollicitude, et lorsque ces différentes soirées au
ront produit la somme de 50,000 fr., cent malheureuses
Familles pourront recevoir chacune 500 fr.
LE COMITÉ.
PRÉFACE.
« Le bon s'ordonne par rapport au tout, le mé
chant ordonne le tout par rapport à lui. Celui-ci
se fait le centre de toutes choses ; l'autre mesure
son rayon et se tient à la circonférence.»
J. J. RoUssEAU.

« La vérité croît, s'élargit sans cesse parce qu'en


elle-même elle est infinie.... Et puisqu'elle est
infinie, nul, quel qu'il soit, à quelque point du
temps qu'il lui ait été donné d'être, ne saurait se
flatter de la posséder complétement. Entre elle et
lui, quelle proportion, quelle mesure commune ?
Coquille imperceptible qui sur le rivage se dirait :
J'ai en moi l'Océan ! »
LAMENNAIs.

L'époque actuelle comptera dans l'histoire, moins par la


politique des gouvernants, quels que soient leurs noms, que
par les essais de réformes nationales tentés par le peuple
travailleur depuis un certain nombre d'années.
Nous ne pouvons en ce moment dérouler sous les yeux
de ceux qui vivent loin du peuple et ne le connaissent pas,
tous les faits accomplis. On apprécierait alors en toute jus
tice ces ouvriers patients, laborieux, dévoués, oubliant leurs
propres intérêts, sacrifiant leur santé même par les priva
tions qu'ils s'imposent afin de participer à quelque fondation
d'utilité générale, de secours mutuels, ou encore afin de
réaliser des idées d'économie sociale qui préparent, dans
l'avenir, un sort moins précaire, moins misérable à ceux
qui leur succéderont; car, qu'on le sache bien, ils ne veulent
pas que les libertés conquises au milieu des plus grandes
douleurs, dégénèrent entre leurs mains; ils comprennent
que c'est un dépôt sacré auquel chaque génération doit ap
porter sa part, et la génération présente ne veut pas man
quer à ce devoir d'honneur.
Nous le disons avec joie, le peuple de France est digne
de continuer le mouvement ascendant de civilisation imprimé
par ses pères; il étudie, il cherche, il interroge, il recueille
toutes les voix, toutes les inspirations, toutes les idées ; il
passe au creuset de son bon sens, de son expérience, les ré
6

sultats de ses recherches; il résume et marche résolument,


à travers les obstacles, au but qu'il se propose d'atteindre,
le bien de tous. -

Il apprécie l'immensité de sa tâche ; mais le peuple de


France, si ardent, si enthousiaste, si passionné pour les
grandes choses, ne s'effraie pas des difficultés, il les vaincra;
sa foi lui en donnera la force et le courage. .
Libre des hommes qui l'ont trahi, n'ayant de confiance
qu'en lui-même et en l'éternelle justice qui plane, imma
culée, au-dessus de vils intérêts et d'iniques passions, le
peuple est bien préparé à sa mission.
Point de ces chefs intrus qui vous perdent après la vic
toire, oubliant de donner le mot d'ordre : semblables à ces
furolles éblouissantes qui, selon d'anciennes croyances po
pulaires, conduisent à sa perte le voyageur trop confiant.
Point de ces patrons qui puisent leur prétention à la do
mination dans le code des injustes priviléges de l'antiquité.
Point de ces accapareurs de la vérité absolue qui n'admet
tent aucun raisonnement sur leur panacée, et auxquels il
faut se soumettre corps et âme; les temps de soumission
aveugle et d'anathème sont passés. Nous sommes à une
époque d'examen, de discussion et de raison, où l'union
doit résulter du libre assentiment de chacun à la vérité et à
la justice et non plus du despotisme spirituel ou matériel.
La similitude absolue, dit Lamennais, contraire à la liberté
parce qu'elle est contraire à la nature, ne forme qu'une unité
apparente et matérielle, et détruit la véritable unité qui ré
sulte de la vie propre, interne, énergique de chaque partie
du corps social.
Liberté de pensée, liberté de discussion, liberté de re
cherche sont des droits inhérents à l'homme, des droits im
prescriptibles, contre lesquels toute prétention à dominer
s'est brisée et se brisera toujours.
Le principe de la liberté s'appuie sur des autorités que les
chrétiens ne récuseront pas.
Dieu a toujours respecté la liberté de l'homme; la Bible
en rend un éclatant témoignage dans les deux premiers créés.
Dans la continuité des temps, même respect pour le libre
arbitre de l'homme : le Créateur propose la loi, mais ne l'im
7

pose pas, et la créature dispose de sa volonté à ses risques et


périls. -

Jésus-Christ n'est pas moins observateur de la liberté


humaine. L'unique loi qu'il a développée et présentée sous
toutes les formes jusqu'à sa mort, qu'il répète sans cesse à
ses chers disciples, c'est l'amour de Dieu et l'amour des
hommes surtout, et on cherche en vain la recommandation
d'une pratique exclusive ; nous voyons au contraire qu'en
présence de la Samaritaine il consacre la liberté en ces ter
mes : « Le temps vient où vous n'adorerez le Père ni sur
« cette montagne, ni à Jérusalem, mais le temps vient et il
« est déjà venu, que les vrais adorateurs adoreront le Père
« en esprit et en vérité. » Il dit plus encore par ces paroles
péremptoires : « Malheur au monde à cause des scandales,
« car il est nécessaire qu'il arrive des scandales, mais malheur
« à l'homme par qui le scandale arrive ! » Si l'homme peut
choisir entre le Bien et le Mal, et il le peut, il est évident
qu'il est libre; et en choisissant le mal ou le scandale, il
prouve qu'il est indépendant de Dieu qui ne veut que le bien
ou la justice. L'homme fait donc le mal librement comme il
aurait fait le bien. Mais malheur à celui qui abuse du plus
noble des droits !
La liberté, ainsi consacrée par la raison, par Dieu et par
le Christ, ne peut pas être l'objet d'un doute. C'est un droit
fondamental que la liberté d'opinion et de culte, car sans
ce droit il n'y a pas de fraternité entre les hommes, mais
esclavage ; il n'y a pas majorité, mais absolutisme ; et alors
la société placée en dehors des vrais principes, n'ayant au
cune certitude morale qui puisse servir de guide à tous, est
livrée à la force, à la ruse et aux caprices des partis. Nous
ne croyons pas que ce soit là le dernier mot de la sagesse
humaine.

Les ouvriers composant le comité de la Ruche populaire,


pénétrés de cette vérité, qu'en dehors de la liberté ou du
concours de tous à l'œuvre de civilisation, l'homme ne conçoit
que des systèmes particuliers plus ou moins ingénieux, mais
toujours très-imparfaits et opposés à la raison générale, sont
résolus à faire observer, dans cette tribune, la libre expres
8

sion de toutes les pensées, de toutes les opinions honnêtes


qui leur sont présentées. La Ruche n'a point, en politique,
en religion ou en philosophie, un principe particulier, elle
fait appel à tous les hommes, quelque position qu'ils aient
dans le monde, qui voudront, par leur intelligence, servir
leur patrie et l'humanité. Tout ce qui peut être utile à l'en
seignement public, réclamations, plaintes fondées, idées
d'organisation sociale, la Ruche se fera un devoir de les pu
blier, car ce n'est, selon nous, que par le concours de tous
qu'on obtiendra la plus grande somme de vérités, et que s'ac
complira sans secousse violente le progrès, qui est la loi des
sociétés comme il est la loi de l'intelligence.
CoUTANT,
ouvrier typographe.

LA POLOGNE ET SES PROTECTEURS.

Dans une proclamation qu'il adressait dernièrement aux ha


bitants de Cracovie, et après leur avoir rappelé qu'ils appar
tenaient jadis à ses ancêtres, l'empereur d'Autriche promet à
ses nouveaux sujets d'être pour eux un prince doux, c'est-à-
dire un bon maître, tant qu'ils sauront se montrer dignes de sa
grâce, dévoués, fidèles à sa maison, et, surtout, soumis à la
volonté de leur empereur gracieux. (C'est ainsi qu'il se qualifie
lui-même.)
Nous qui n'avons jamais vu de près un gouvernement ab
solu, nous nous méprenions bien naïvement sur les droits et
les devoirs de ces gouvernements ; et la proclamation de l'em
pereur d'Autriche, qui semble adressée par un maître à ses
esclaves , nous a jeté dans l'étonnement.
Quelle est la base du gouvernement absolu ? Le souverain
est-il maître héréditaire, propriétaire général du pays qu'il
gouverne, ou bien en est-il l'administrateur suprême ?
S'il hérite du royaume comme d'un bien de famille qui lui
revient de droit, il est libre d'en faire ce que bon lui semble,
sa volonté seule fait la loi.
9 •e

Mais alors nous demanderions de qui il tient ce droit et cet


héritage.
S'il a pour mission pure et simple d'administrer l'Etat à la
tête duquel il est placé, de rechercher l'intérêt général du pays,
d'agir enfin pour le bien de tous, alors il est le serviteur de la
nation ; car, qu'est-ce qu'un administrateur, sinon un serviteur
investi de la confiance et soumis au contrôle de ceux qui l'ont
choisi ?
Mais dans ce cas les gouvernements absolus manquent de
logique en reconnaissant à chaque individu le droit de choisir
ses serviteurs particuliers, et en refusant à tous les individus
réunis, c'est-à-dire à la société, le droit de choisir le serviteur
de tous.
L'incorporation de Cracovie à l'Autriche, et les discours qui
ont accompagné cet acte, disent assez comment le pouvoir ab
solu est entendu par ceux qui l'exercent.
Voici quelques extraits d'une pièce curieuse que publie M. de
Metternich, dans l'Observateur autrichien, pour justifier ce
nouveau crime commis sur le dernier débris de la Pologne. On
peut voir, par cet article, comment les gouvernements paternels
jugent les droits des peuples.
Le ministre autrichien rappelle d'abord que Cracovie, échue
en partage à l'Autriche en 1795, lui fut enlevée en 1809 et
devint, à partir de 1815, une municipalité neutre placée sous
la protection des trois souverains du nord, et qu'elle n'était en
rapport avec le reste de l'Europe que par leur intermédiaire.
Il accuse ensuite les autorités de cette république de n'avoir
pas réprimé avec assez d'énergie les sentiments patriotiques qni
s'y manifestaient. Puis il s'écrie : « Dès que l'insurrection de
« novembre 1850 éclata dans le royaume de Pologne, elle fut
« saluée à Cracovie avec le plus vif enthousiasme. »
Les Cracoviens n'auraient-ils point mérité le mépris de tous
les peuples, si par leur silence ils eussent renié leurs frères au
moment du danger ?
« Prenant en considération les circonstances difficiles de
« cette époque, les trois puissances continuèrent leur magnanime
« appui à cet Etat qui était leur propre ouvrage. »
Les circonstances difficiles de cette époque c'était le canon
de juillet qui résonnait encore aux oreilles des oppresseurs des
10

peuples, et leur faisait craindre que la France envoyât encore


ses missionnaires pour porter l'Évangile à toutes les nations
comme elle l'avait fait quarante ans auparavant !
« En contradiction flagrante avec les traités, les sujets po
« lonais des trois puissances impliqués dans la révolution de
« Pologne trouvaient toujours dans Cracovie un asile dès qu'ils
« venaient l'y chercher. »
Ainsi, en s'abstenant de livrer les réfugiés polonais à la po
lice de ses proiecteurs, Cracovie commettait un crime; elle vio
lait des traités qu'elle n'avait pas signés et sur lesquels on ne
l'avait même point consultée, bien qu'elle fût l'objet de ces
traités.

« Des faits nombreux, et qu'on ne saurait nier, prouvent


« que, depuis 1850 jusqu'en 1846, Cracovie a été en état de
« conspiration permanente contre les trois puissances qui lui
« avaient donné la vie. »
Si dans les États du nord on se trouve arrêté, dépouillé par
des malfaiteurs, il ne faut pas essayer de s'échapper de leurs
mains, car l'on serait condamné à mort comme coupable de
conspiration !! Tel est le bon plaisir des souverains protecteurs
de Cracovie.
Puis arrivant à-l'insurrection de février 1846, le chancelier
d'Autriche continue en ces termes :
« Les auteurs de la révolte ont attiré des malheurs, non-seu
« lement sur eux-mêmes, mais encore sur des innocents. Dans
« tout cœur humain, à l'horreur des criminels qui se sont joués
« de la vie de leurs familles, se mêlera un sentiment de compas
« sion sur les suites trop réelles de cette trahison à main armée. »
Ainsi, parce que la victime essaye d'arracher le poignard
que les meurtriers ont planté dans son sein, ceux-ci achèvent
de l'écraser en la déclarant coupable du crime de trahison.
C'est pousser trop loin l'audace ou la folie du despotisme.
Après ce manifeste et pour couronnement à l'œuvre, les cor
respondances nous apprennent que pour dédommager la Prusse
et la Russie du sacrifice qu'elles font de leurs droits sur Cra
covie, l'empereur d'Autriche cède à l'empereur Nicolas une
portion de la Galicie, et au roi de Prusse un petit territoire
situé sur la limite de la Silésie autrichienne.
11

Que pensez-vous, lecteur, de ce commerce, de cet échange


de peuples que font entre eux ces potentats ?
Que ceci nous serve de leçon. -

Paul SÉBIN,
ouvrier papetier.

P. S. Par un nouvel ukase de l'empereur Nicolas, la langue


polonaise est mise à l'index : tous les cours devront être faits en
langue russe dans les écoles de la malheureuse Pologne.

MYSTÈRES DES ATELIERS


(Suite. Voir les numéros précédents.)
LA DÉvIDEUsE.

Le 15 octobre 1846, chez un de ces modestes traiteurs fré


quentés par les ouvriers, une femme de trente ans environ par
lait à la maîtresse de la maison. Sur ses genoux elle tenait un
poêlon de soupe, et tout en mangeant elle disait par intervalle :
« En vérité je n'sais pas trop c'que j'vas d'venir moi; j'ga
gnais ordinairement trente-cinq à quarante sous par jour, et
v'là que d'puis douze jours not'bourgeois ne nous donne plus
que d'la laine à dévider; et quand j'ai travaillé, là, ferme toute
la journée, j'ai gagné six sous, six sous tout en gros; c'est-t'y
pas régalant ? -

Un ouvrier fondeur. Ah bin ! avec un gain comme ça, y a


pas moyen d'vous faire traiter comme qui dirait chez Véfour
au Palais-Royal....
Le traiteur. Mais comment donc que ça s'fait? c'est donc
plus mal payé qu'aut chose ? _
L'ouvrière. Bin dam ! su les aut ouvrages on y gagnait sa
vie; mais su l'dévidage qui nous donne à faire à c'theure, y
veut nous payer à la tâche qu'il a arrangée comme il l'entend;
il l'a mis à six sous, ça en vaudrait bin trente en bonne cons
cience; et pas moyen d'lui faire entendre raison. (Soupirant.)
Ah ! c'est à en avoir les bras cassés, quoi !
Le traiteur. Et ben mais.... est-ce qui n'y a pas moyen
q'vous travailliez ailleurs ?
12
L'ouvrière. Où voulez-vous q'jaille ? Y nous a amenées
d'Orléans où q'jétions à une demi-douzaine; moi j'suis d'à côté
d'Orléans, voyez-vous; comme il a un brevet d'invention pour
du .... qu'il a inventé, y nous a parlé manière de confiance ;
mais à c'theure ça n'est pu ça du tout, du tout, du tout. »
Cette femme sortit tristement de chez le traiteur, sans que
nous ayons pu la rejoindre et lui dire un mot de consolation
et d'espoir. D,

–= 98639

GRÈvE DEs oUvRIERs TEINTURIERs EN soIE, DEs TANNEURs


ET ÉBÉNIsTEs.

Depuis quelque temps la fabrique de Lyon est en émoi et


l'activité des affaires commerciales paralysée. Les ouvriers
teinturiers en soie ont quitté leurs ateliers, et leur exemple a
été suivi par les ouvriers en tannerie et en ébénisterie. La cause
de la grève c'est le renchérissement des subsistances; son but,
l'amélioration des conditions du travail ; l'occasion, une que
relle d'atelier. Ils demandent : 1° diminution d'une heure de
travail par jour; 2° fixation d'un minimum de 4 francs pour
le prix de la journée; 5° interdiction aux maîtres d'employer
plus d'un apprenti par dix ouvriers ; 4° obligation pour les en
trepreneurs de prendre à une agence spéciale et suivant un tour
d'inscription, les ouvriers dont ils auraient besoin..........
Quoi qu'il dise sur la prospérité croissante, quoi qu'il fasse
pour se tenir en dehors de cette redoutable question des sa
laires, le Gouvernement est toujours ramené par la nécessité
à la solution de ce problème : l'intervention de l'État pour ré
gler les rapports de l'entrepreneur et de l'ouvrier.
(LE SIÈCLE.)

ENCORE UN SUICIDE.

Dans le mois de novembre dernier, un ouvrier, dénué de


tout et ne pouvant plus travailler à cause d'une infirmité dont
13

il était affligé, se jeta dans la Seine ; son cadavre fut retrouvé


au pont de Neuilly.
Nos ministres ont probablement songé, en bons adminis
trateurs, à pourvoir à la vie de ceux qu'une infirmité quel
conque empêche de travailler; c'est un devoir que tout gou
vernement sage, et qui tient à sa propre conservation, ne peut
· manquer de remplir. Le nôtre a sans doute créé, à cet effet,
des établissements où ces malheureux sont admis sans diffi
cultés ; s'il l'a fait, il serait nécessaire qu'il le fît savoirpar
tous les moyens de publicité possible, afin que ceux qui se trou
vent à la dernière extrémité ne soient plus obligés de chercher
dans le suicide un refuge contre la faim.... Malheureusement
les suicides pour cause de misère se renouvellent fréquemment ;
c'est une accusation grave contre ceux qui régissent la so
ciété; cela pourrait même faire supposer qu'ils sont peu sou
cieux de la vie des citoyens ; mais nous ne le croyons pas; car,
à quoi serviraient ces ministres s'ils ne s'occupaient point
d'assurer un bon ordre de choses et de veiller à ce que la misère
ne tue pas les plus malheureux d'entre ceux qui produisent
toute la richesse du pays ?
RÉNÉ, relieur.

–m98939

LEs INoNDÉs, M. DE LA RoCHEJAQUELEIN, ET M. DUCHATEL,


MINISTRE DE L'INTÉRIEUR.

M. le marquis de la Rochejaquelein avait eu l'idée de faire


une grande loterie au profit des inondés. Le ministre a refusé
son autorisation sous prétexte de moralité publique.
On comprend qu'une loterie permanente qui sollicite et attire
sans cesse, par l'appât du gain, le petit pécule des pauvres
travailleurs, soit réellement immorale; mais que tous les ans,
une ou deux loteries exceptionnelles soient autorisées, pour des
cas particuliers, au profit des malheureux ou d'utiles établisse
ments, quel mal cela peut-il faire ? Aussi chacun pense que la
morale n'est pour rien dans le refus du ministre, mais un étroit --

esprit de parti qui craint de laisser une influence favorable à


d'autres qu'à lui. Ce calcul est-il sage ? car la proposition de
44.

M. de la Rochejaquelein ayant été publique, l'honneur d'une


belle et bonne idée lui restera toujours ; tandis que le refus d'au
torisation fait peser sur le ministre la défaveur qui s'attache à
celui qui sacrifie le bien des malheureux à de mesquines consi
dérations. Il eût été plus noble et plus adroit d'accepter une
idée généreuse et de faire ainsi tourner à son profit la recon
naissance de ceux qui souffrent et la sympathie de ceux qui
veulent le soulagement de toutes les misères.
V° MIESVILLE.

« Quand je disais que c'était des sommités seules qu'on


s'inquiétait, je n'avais pas tort ; on ne regarde que les som
mités ; qu'importe la masse plébéienne ! »
Discours de M. AD. CRÉMIEUx.
(Quest. des chem. de fer.)

« Les dévouements à la foi politique s'en vont, les exi


gences de la cupidité se multiplient, et cette lèpre qui s'é-
largit sans cesse, détruira, si on la laisse faire, les forces
vives du pays. »
(M. BILLAULT aux élect. de la Loire-Inf. 1846.)

Lettre adressée à la Ruche populaire.


« Le 24 mars 1846 eut lieu, à l'église des Carmélites, rue de
Vaugirard, le convoi de madame de Salvandy, mère du mi
nistre de l'instruction publique. Cette dame avait désiré, par
testament, que des pauvres assistassent à son convoi. Ennemie
de l'ostentation comme elle le parut toujours, elle était loin de
s'attendre à ce que ses héritiers, tout en accomplissant ses der
nières volontés, feraient parade des quelques secours qu'elle
avait destinés aux pauvres ; et en vérité c'était pitié de voir
ces pauvres gens, au nombre de près de trois cents, se mor
fondre dans la rue en attendant que le service divin fût célébré
dans l'église des Carmes, trop petite sans doute pour les con
tenir; ils étaient là tous avec un cierge à la main, et tenant
15

sur le bras, les uns un morceau de drap neuf pour se faire un


pantalon, et les femmes un morceau d'étoffe pour se faire une
robe. J'en vis quelques-uns faire piteuse contenance ; ils pa
raissaient exposés au pilori, cachant le morceau de drap qu'ils
avaient reçu, ou sous leur blouse, ou sous leur redingote.
Ceux-là me parurent doublement malheureux d'être obligés
de poser en public et de divulguer leur misère. Je fis ce
réflexion : n'eût-il pas été plus convenable de donner à
infortunés, à domicile, les secours que leur avait légué la têt
tatrice , en faisant connaître à chacun d'eux la source
bienfait, et les invitant tout simplement à assister au convoi
d'une personne qui en tout temps avait témoigné de l'intérêt à
leurs peines ? Il est probable que presque tous s'y fussent rendus
par reconnaissance, et l'on n'eût pas rendu le bienfait avi
lissant. »
At. LEssoUR,
ouv. peintre en bâtiments.

COMMUNICATIONS A LA RUCHE POPULAIRE.

Nous prions les personnes dont la sympathie est acquise à


la Ruche populaire de lui communiquer, autant qu'il serait
en leur pouvoir, ce qu'elles croiraient devoir lui être utile,
tels que renseignements, nouvelles, livres, etc., ou ce qui
peut venir en aide aux travailleurs, comme demandes d'ou
vriers ou de serviteurs, indications d'emplois ou toutes res
sources quelconques.

Divers journaux ont bien voulu annoncer l'œuvre de la


Ruche populaire; nous leur en témoignons ici notre entière
reconnaissance. -

Nous nous empressons de remercier M. Dramard, fabri


cant, pour son envoi de vêtements d'hiver destinés à être
livrés à très-bas prix aux familles d'ouvriers.
16

« Je suis convaincu que si chaque personne faisait quel


que chose suivant ses moyens, il y aurait moins de larmes
versées et plus d'infortunes secourues. Il manque à ces per
sonnes un peu de bonne volonté ; l'auront-elles? je l'es
•s N. GossE, peintre d'histoire.
(Correspondance.)
\

On trouvera au bureau de la Ruche populaire des tableaux


et autres objets d'art et d'industrie destinés à être cédés
au profit des Familles que nous recommandons.

—==>3G=-

AUX AMIS DE LA RUCHE POPULAIRE.

Air : Voguons, voguons, ma belle,


de B. WILHEIM.

1 3

Le Dieu qui vous inspire, Quand tout se décolore,


Amis, vous fait prédire Rappelez-nous encore
Un heureux lendemain ; Aux tons harmonieux ;
Et votre sacrifice Et, phalange ouvrière,
Abrége le supplice Adressez la prière
De tout le genre humain. Au Souverain des Cieux !

4 s
Refrain :
Honneur, honneur au frère
Pour l'Amour point de chaînes; Que la foi régénère
Propagez ses accents, Et relève toujours !
Et qu'aux plages lointaines Sous sa brillante Etoile
Retentissent vos chants. L'avenir se dévoile,
Avenir de beaux jours !
2 5

Vous imitez le zèle Son labeur admirable


De l'abeille fidèle Rend plus définissable
A la tâche du jour, La cause des erreurs ;
Symbole du courage, . L'espoir se renouvelle,
Apportant au bocage Et l'ode solennelle
Son doux butin d'amour ! Commence dans les cœurs.

DUQUESNE.
17

CORRESPONDANCE.

Au gérant de la Ruche populaire.


La Société libre d'Emulation de Rouen, dont tous les efforts
tendent à l'amélioration dusort des classes laborieuses, s'est
occupée, l'année précédente, des sociétés de secours mutuels
entre ouvriers; sachant que beaucoup de ces associations avaient
cessé d'exister, elle en a recherché la cause, et elle a reconnu
que presque toujours cela venait de vices dans les règlements,
de calculs erronés sur les probabilités de maladies. Elle a donc
porté toute son attention de ce côté, et elle a publié un règle
ment qu'elle croit, sinon parfait, du moins à l'abri d'incon
vénients graves.
Désirant que ce règlement soit connu, que de nombreuses
associations de prévoyance entre ouvriers se forment, elle me
charge, monsieur, de vous adresser dix exemplaires de ce rè
glement, vous priant de les remettre aux ouvriers intelligents
qui partagent votre rédaction, afin de le propager le plus pos
sible.
J'y joins aussi deux exemplaires du bulletin de ses travaux
en 1845-1844.
Veuillez agréer, monsieur, les salutations empressées de votre
serviteur,
BREssoN,
Secrétaire du bureau de la Société libre
d'Emulation de Rouen.
'-

• | Paris, 1ºr janvier 1847


Monsieur,
« J'ai le regret de ne pouvoir vous donner les essais que
j'avais préparés pour la RUCHE PoPULAIRE ; mais après avoir
écrit, relu et détruit plusieurs fois ce que je vous destinais,
j'ai reconnu mon insuffisance comme écrivain.Veuillez, je vous
prie, monsieur, être mon interprète auprès de vos camarades,
et, pour leur prouver, ainsi qu'à vous, monsieur, toute ma
sympathie pour la Ruche, je vous adresse sommairement un
aperçu de toute l'amertume qui attend celui qui se fait artiste.
2
18

Commençant par les jeunes gens, beaucoup parmi eux meurent


de faim avant de se faire connaître. En choisissant des noms
célèbres parmi les plus illustres victimes de cette carrière sé
duisante, pénible et ingrate, je citerai L. David, qui est mort
dans l'exil ! Prudhon, ce peintre si suave qu'on l'a surnommé
le Corrége français, a vécu tellement misérable qu'il n'avait
pas même de pain à donner à ses enfants ! Gros s'est suicidé
parce qu'on lui niait son génie dont il avait donné pourtant
tant de preuves; Géricault, lui, n'a jamais pu se voir acheter
un seul de ses ouvrages pendant sa vie. Léopold Robert s'est
coupé la gorge avant d'avoir osé affronter l'opinion des cri
tiques sur son tableau des Pécheurs de l'Adriatique , qu'il
garda six mois à Venise complétement terminé, ne pouvant
se décider à le laisser traverser les Alpes pour venir à Paris....
Ces tristes exemples devraient pourtant retenir les parents qui
par vanité poussent leurs enfants dans des carrières inutiles,
qui ne peuvent faire vivre leurs maîtres honorablement. Faites
de vos enfants des travailleurs sérieux, excellents, instruits plus
que vous pourrez ; inspirez-leur l'amour du beau, du bien ;
faites-leur comprendre que tous les travaux utiles élèvent bien
plus l'âme que la paresse de ces prétendus penseurs oisifs qui
pendant longtemps pèsent sur leur famille en attendant qu'ils
finissent par la déshonorer ; dites-leur que les travaux utiles
rendent plus forts le corps et l'âme en même temps ; que ce
qu'il y a de mieux à faire, c'est d'exceller dans le métier de
son père, de tâcher d'y être le premier, comme dans tout autre
état qu'ils auront choisis ; mais qu'ils se défient de ces carrières
mensongères où, attirés par les écoles du gouvernement, les
jeunes gens s'enivrent par des succès faciles qui, à cet âge,
leur font rêver la gloire et les plus belles positions en appa
rence, mais où il n'y a en réalité que déception..... Encoura
geons néanmoins les hommes qui sont de rares exceptions, lais
sons-leur la place à ces vrais génies qui honorent l'humanité,
ceux-là ont une voix intérieure qui leur crie d'aller, d'aller
encore, d'aller toujours. Mais que d'épines, que de meurtris
sures, que de souffrances pendant leur vie de martyrs ! Par
respect, par pitié même pour ces belles organisations, n'obs
truons pas la faible portion de terre qui doit les voir éclore et
grandir. Pour cette multitude de médiocrités exigeantes, tra
49

cassières, envieuses, qui se partage et se dispute tout par l'in


trigue, combien de sublimes natures n'ont-ellesp as été étouffées
avant qu'elles n'eussent pu se développer !
Je ne vois pas que depuis qu'il y a tant d'écoles d'art il y
ait davantage de grands artistes ; je crois le contraire. Ces
écoles devraient se borner à faire des artisans habiles qui ren
draient de grands services à l'industrie, plutôt que de donner
naissance à des milliers de mauvais artistes qui embarrassent la
société. Et pourquoi, grand Dieu, tant désirer être artiste dans
un temps comme le nôtre? est-ce en vue de la gloire.... ?
Il suffit de jeter un coup d'œil sur ce qui nous environne pour
se convaincre que ce serait folie de penser ainsi ; car il n'y a
plus d'amateurs sérieux ; la fortune n'a plus le goût des beaux
ouvrages, qui pourtant immortalisent ceux qui savent les com
mander aux capables. Que voulez-vous que deviennent les
beaux-arts dans une époque où tout est très-cher, excepté
les ouvrages d'art qui sont sans autre valeur que celle que la
mode leur accorde ? Où sont les vrais connaisseurs ? le Gouver
nement lui-même peut-il se flatter d'encourager les arts, lui
qui est obligé, pour se maintenir, de commander de mauvais
tableaux, de mauvais livres, de mauvaises statues, etc., etc.,
afin de se conserver les voix des Députés ?
Vous le voyez, l'art est le dernier métier qu'il faille laisser
prendre à vos enfants; je ne puis vous en dire maintenant da
vantage, il faudrait vous faire toucher plus au vif les plaies,
les misères physiques et morales des artistes de notre temps.
Croyez-en mon expérience, croyez-en les douleurs que j'ai
vues, que je vois sous mes yeux journellement depuis que je
suis dans la carrière; mieux vaut cent fois un bon ouvrier qu'un
mauvais artiste, qu'un artiste médiocre même ; le bon ouvrier
a au moins la conscience de ce qu'il vaut, pendant que le der
nier, mécontent de lui-même, dévoré par l'envie qui le ronge,
traîne la vie la plus misérable qui se puisse imaginer ! Courage
donc, travailleurs, aimez vos travaux, votre vie est plus libre,
votre rôle est plus noble et plus beau; du calme, de l'ordre,
de la résignation; le jour d'une meilleure organisation du tra
vail luira bientôt , on commence à comprendre de toutes parts
que la valeur personnelle est le plus grand titre aux yeux de
la société, que l'argent qui s'acquiert mal n'est pas chose suf
20

fisante pour l'estime de ses concitoyens. A bientôt, j'espère,


la récompense de la vertu, du talent, des services rendus.
Recevez, monsieur, l'assurance de toute ma sympathie pour
votre tribune vraiment indépendante, où toutes les souffrances
des travailleurs trouvent un écho, un appui.
A. E.
Statuaire et peintre.

-•69996•

LES ÉCOLES CHRÉTIENNES DES FRÈRES


ET LEs ÉCoLEs MUTUELLEs FoNDÉEs PAR LE GoUvERNEMENT.

On ne saurait disconvenir que l'instruction est une des né


cessités de notre époque. Plus que jamais elle est indispensable,
maintenant que la mécanique remplace partout la force humaine
et que les nouvelles occupations, où cette nouvelle révolution
industrielle entraîne les travailleurs, exigent des connaissances
pour lesquelles la lecture, l'étude sont aussi nécessaires que la
pratique.Malheur à l'ouvrier qui, dans un avenir très-rappro
ché, ne pourra, par ignorance, suivre la marche du progrès !
De plus, l'instruction a aussi pour avantage d'adoucir, de
polir les mœurs, les habitudes. La lecture, et surtout la lecture
des bons livres, est un puissant moyen de civilisation (1). Un
livre est un compagnon agréable des loisirs de l'homme ; il l'em
pêche bien souvent de fréquenter, par oisiveté, ces sociétés dis
solues que l'ennui fait rechercher et dont tous les plaisirs sont
grossiers et dégradent ceux qui s'y livrent. A ce point de vue,
la lecture (sans parler du contenu du livre) est un moyen de
moralité.

(1) Et, à ce propos, nons faisons des vœux pour que les nombreuses
bibliothèques de Paris soient accessibles aux ouvriers. La seule biblio
thèque Sainte-Geneviève est ouverte le soir, de 8 à 10 heures. Perdue
dans le quartier latin, les trois quarts des ouvriers ne peuvent s'y rendre.
Il serait donc nécessaire que les bibliothèques Royale, Mazarine, de la
Ville, de l'Arsenal et du Conservatoire fussent aussi ouvertes le soir et le
dimanche. Il conviendrait aussi de n'exiger que la propreté dans le vê
tement,
21

Il existe à Paris, pour les enfants du peuple, deux systèmes


d'instruction : l'un est dirigé par les Frères de la Doctrine chré
tienne et l'autre est l'Enseignement mutuel.
Des deux, le premier est incontestablement supérieur, sans
cependant être parfait.
L'institution des Frères de la Doctrine chrétienne, fondée
dans le dernier siècle par l'abbé Lasalle, a pour but de donner
gratuitement aux enfants pauvres une éducation exclusivement
catholique. Cette belle institution s'est rapidement accrue et le
nombre des frères est très-considérable. Mais si satisfaisants
que soient ses progrès, elle n'est pas exempte d'abus. Outre
l'intolérance bien connue de ses membres qui souvent portent
leurs investigations jusque dans le sein des familles, les attentions
qu'ils apportent à l'instruction de quelques élèves et qui leur font
négliger les autres enfants (1), la dureté de quelques institu
teurs (2), le temps perdu en prières toutes les demi-heures (3)
et qui apportent naturellement de la distraction dans l'étude ;
les exigences ridicules de quelques frères qui, sans tenir compte
de la pauvreté des parents, veulent que les enfants soient bien
mis les dimanches et jours de fête, et, enfin, l'exiguité du pro
gramme nous semblent les points principaux sur lesquels doit
se porter l'attention publique.
Les enfants entrent en classe à 9 heures du matin et en
sortent à 4 heures du soir. Ne serait-il pas bon d'étendre le
temps des études aux dépens du temps perdu en prières, et de
pouvoir introduire ainsi de nouveaux éléments d'instruction ?
A côté des écoles des Frères s'élèvent les écoles d'enseigne
ment mutuel ; mais l'enseignement y est extrêmement défec
tueux, la moralité en est entièrement bannie et la surveillance
presque nulle.
Pour juger de la vérité de ces assertions, il faut savoir com
ment ces écoles sont organisées :
(1) Ces élèves sont destinés à servir de type et de terme de comparai
raison aux réunions telles que les distributions de prix. Ce sont des sortes
de prospectus vivants.
(2) Cette dureté était telle que les chefs de l'ordre ont été obligés de
faire un règlement pour les punitions.
(3) Outre les trois grandes prières, qui se font le matin, à midi et le
soir, d'une demi-heure chaque, pour le récit du chapelet, etc.
22

Un seul instituteur dirige plus de 500 élèves; ces élèves sont


divisés par cercle ou classe; ces cercles ont pour professeur
un élève d'un cercle supérieur et qui se nomme moniteur; ces
moniteurs sont surveillés par d'autres moniteurs nommés mo
niteurs d'ordre et moniteurs généraux.
Cette organisation, on le voit, ne serait pas trop mauvaise
si, au lieu d'un seul instituteur, il y en avait au moins un par
100 élèves. Cette augmentation de personnel serait une minime
dépense comparée au bienfait qui en serait le résultat. En effet,
un seul instituteur peut-il connaître suffisamment le degré d'ins
truction de chacun de ses 500 élèves, vérifier les progrès qu'ils
ont faits et s'occuper constamment d'eux ? Non, sans doute;
ne le pouvant faire pour tous, ils ne le font pour personne ; et
comme c'est à peu près là tout ce qu'ils ont à faire, ils aban
donnent le soin de la classe au moniteur général, qui est ordi
nairement un de leurs favoris. Cet abandon, cette espèce d'abdi
cation dans les mains d'un enfant, produit le plus fâcheux
effet sur les élèves qui ne voient dans le moniteur général qu'un
de leurs camarades ne devant ce grade , bien souvent, qu'au
favoritisme, et sont, dès lors, portés à se relâcher de la sévérité
de l'étude et de la discipline.
Je pense qu'un instituteur par 100 élèves n'aurait pas cet
inconvénient. Il y aurait toujours dans la classe un nombre
suffisant de surveillants, et les progrès des enfants seraient
suivis en meilleure connaissance de cause.
L'enseignement est aussi très-mal organisé et renfermé dans
des limites plus étroites que celles des écoles chrétiennes.Ainsi
les élèves n'ont pas de livres à eux ; ils ne se servent ni de
grammaire, ni d'autres livres scolastiques; ils ont simplement
des tableaux gradués qu'ils lisent durant l'heure de la classe,
et sur lesquels sont différents exercices, tels que grammaire,
orthographe, arithmétique, etc. ; du reste ils ne transcrivent
rien sur le papier et n'ont, par conséquent, aucun moyen de
faire l'application des principes généraux que leur mémoire
peut avoir retenus.
Quoique montés très-richement en instruments de toute sorte,
les écoles d'Enseignement mutuel, par suite de la mauvaise
organisation, ne produisent aucun élève remarquable. Les
élèves en sortent ordinairement ne sachant que lire, écrire,
23

presque toujours sans orthographe, avec de très-faibles notions


d'arithmétique, de géométrie et de mathématique industrielle,
mais n'ont aucun principe d'histoire, de géographie, de my
thologie, etc.
Quant aux abus, ce sont les mêmes que ceux des écoles des
Frères, moins l'intolérance religieuse. Comme on n'y pratique
aucun exercice de piété, et que ces exercices ne sont remplacés
par aucune leçon de morale, les défauts s'y développent d'une
manière beaucoup plus effrayante. Il y a donc beaucoup à faire
de ce côté; nous proposerions que des exhortations orales soient
faites aux élèves le matin et le soir, et que des récompenses
soient données avec discernement et surtout fréquemment aux
enfants dont la conduite morale aurait été le plus appréciée.
Dans certaines écoles, on exige que les enfants aient un uni
forme, sans songer que ce sont les enfants des pauvres qui fré
quentent ces classes. Cette mesure est vexatoire ; c'est faire
porter aux enfants, dans la rue, la livrée de l'indigence tout
, en mettant les parents en grande dépense pour se procurer cet
habillement. On doit seulement exiger la propreté.
Ernest MILLIÉ,
horloger- mécanicien.

-•©9889

LETTRES AUX FRANÇAIS.


VI.

Dieu protége la France pour en


faire l'instrument de la régénéra
tion et de la félicité du monde.

Lorsqu'un médecin veut guérir un malade, il cherche d'a-


bord la nature et la cause de son mal, et, s'il parvient à les dé
couvrir, il est sûr alors des remèdes qu'il doit appliquer.
Pour nous, le malade, c'est la société, qui manifeste déjà les
symptômes effrayants des convulsions terribles quelle doit en
core éprouver, si l'on n'arrête les progrès du mal qui la dévore.
Mais, quand on cherche la nature et la cause du mal affreux
quila fait souffrir et menace de la détruire, on se voit obligé de
24

remonter de conséquence en conséquence et d'âge en âge, jus


qu'au principe de la société même : car, là seulement, on dé
couvre le fait important et positif qui a dérangé l'ordre qui
devait exister pour assurer le bonheur sans fin de l'humanité.
Or, ce fait si grave par les conséquences qu'il devait avoir
et qu'il a eues, cette cause première des maux du genre humain,
c'est le mauvais usage de la liberté des premiers créés : faute
première qu'on a désignée sous le nom de péché originel, et que,
par une figure de langage mal comprise. on a fait consister dans
l'action ridicule de manger un fruit défendu : faute première
qu'une foule d'esprits prévenus rejettent, parce qu'on a tiré des
conséquences tellement absurdes de ce fait mal compris, qu'on
a fini par jeter de l'odieux sur le nom même d'une chose ce
pendant toute simple, puisqu'il s'agit du mauvais usage de la
liberté des premiers humains, déterminé par leur ignorance et
leur présomption. -

Mais, dira-t-on, pourquoi s'occuper d'un fait, vrai ou faux,


tellement éloigné de nous, qu'il n'a plus aucun rapport avec les
circonstances actuelles ? Ceci est une erreur. Ce fait est encore
la cause des maux de l'humanité , parce qu'il a modifié tempo
rairement sa nature, et, par suite, l'organisation des sociétés,
en donnant à la puissance instinctive ou matérielle de l'homme
une prépondérance qui devait appartenir à sa puissance intel
lectuelle et morale; et ceci nous allons le démontrer : car on
ne replacera jamais l'humanité dans la bonne voie qu'elle doit
suivre pour assurer son bien présent et à venir, tant qu'on ne
saura pas comment et pourquoi elle en est sortie. Il importe
donc au progrès religieux, social et politique, qu'on ait des idées
justes à ce sujet; c'est pourquoi nous allons l'expliquer clai
rement, avant de parler des moyens de faire cesser les funestes
conséquences de ce fait malheureux : c'est-à-dire avant de par
ler des réformes sociales qui doivent établir la justice, cette loi
qui peut seule assurer le bien de tous.
Mais pour comprendre comment les premiers humains ont
été entraînés au mal, en quoi a consisté la faute grave qu'ils ont
commise, et comment cette faute a pu compromettre le sort de
leurs descendants, il faut d'abord se souvenir :
1° Que la création est la manifestation des puissances divines ;
2° Que l'homme est destiné à prendre connaissance de cette
25

création, afin de comprendre d'abord Dieu par ses œuvres, et


d'aller ensuite, au moyen du développement progressif de son
intelligence, vers un état de savoir et de bonheur de plus en
plus parfait ;
5° Qu'il est en l'homme deux mobiles d'actions, qui sont aussi
deux moyens d'instruction; l'un nommé instinct, qui consiste
dans tous les effets produits sur l'âme par la matière : premier
moyen d'action et d'instruction indispensable à une créature qui
commence son existence dans une ignorance absolue de toute
choses, et qui, par conséquent, doit être conduite indépendam
ment de sa volonté propre; l'autre, la volonté, dont l'indépen
dance se manifeste plus tard, et dont l'âme apprend à connaître .
l'existence, la puissance et l'usage par l'effet des résistances
qu'elle éprouve et qu'elle oppose;
4° Que ces deux mobiles ont chacun une force propre, déter
minée et relative : de manière que selon la suprématie de l'un
ou de l'autre, l'homme se trouve modifié; ainsi l'instinct est-il
prédominant, quand il doit cesser de l'étre : alors l'âme se trouve
placée sous la dépendance d'un guide trop puissant, auquel elle
ne peut résister qu'avec peine, et qui, bientôt perverti, parce
qu'il n'agit plus dans l'ordre déterminé par Dieu, dégrade son
intelligence, et l'entraîne dans un abîme de passions fougueuses,
contradictoires et désordonnées, qu'il excite et qu'il développe.
Au contraire, la volonté parvient-elle à dominer l'instinct,
quand elle le doit, alors l'intelligence de l'être humain se dé
veloppe par la science, la vertu et la raison, les passions instinc
tives se calment et se règlent, et l'homme s'avance heureux et
· noble vers le but que Dieu lui assigne, son bonheur infini basé
sur le développement de sa puissance intellectuelle et morale.
Enfin il faut se souvenir encore que l'action réciproque et
combinée de ces deux mobiles a été déterminée et mesurée par
Dieu même, afin que chacun d'eux contribuât, autant qu'il est
nécessaire, à la perfection et à la félicité de l'homme ; d'où vient
la loi qu'il doit suivre, et d'ou vient, pour lui, l'obligation
morale d'accomplir les quelques sacrifices momentanés que
cette loi lui impose, comme moyen de développer indéfiniment
son intelligence, afin de le faire parvenir au but qu'elle lui
assigne.
Nous terminerons ce résumé par une dernière considération :
26

c'est que les enfants, étant formés de la substance même de


leurs père et mère, tiennent d'eux leurs dispositions physiques,
et par suite, en grande partie, leurs dispositions intellectuelles
et morales, vu les effets de l'instinct sur l'âme , en d'autres
termes, du physique sur l'esprit : c'est pourquoi nous voyons
journellement des vices et des maladies se transmettre de géné
ration en génération, et des familles ou des peuples conserver
un cachet particulier qui ne s'efface que par le changement de
leur manière d'être ou par la fusion des races. C'est ce fait,
observé aussi chez les animaux (car ils ont une foule de simi
litudes avec nous), qui a fait dire : bon chien chasse de race.
Maintenant occupons-nous de la cause première des maux
de l'humanité, et remontons, par la pensée, au moment même
où Dieu créa l'espèce humaine. Nous n'examinerons pas ici si
l'humanité a eu plusieurs types ou bien si les différentes races
d'hommes existantes sont les modifications accidentelles et pro
videntielles d'un type unique. Il nous suffit, pour l'instant, que
toutes ces races soient entachées de l'imperfection qui caracté
rise le mauvais usage des facultés : imperfection qui consiste,
comme nous l'avons dit, dans la prépondérance de l'instinct
sur la volonté, pour constater que toutes ces races ont fait, dès
le principe, un mauvais usage de leur liberté; et ce fait nous
servira, mettant de côté, pour le moment, toute controverse à
ce sujet, à remonter seulement au type de la race blanche, la
plus intelligente, et qui, par cette raison, est destinée à perfec
tionner les autres et à les délivrer de ce qu'on appelle l'escla
vage du péché, que nous appellerons, nous, le despotisme, ou
pouvoir arbitraire de l'homme sur l'homme.
Ainsi donc, nous allons continuer l'exposé d'un système
dont les prémisses sont déjà exprimées dans nos lettres précé
dentes ; puis nous nous occuperons des moyens de réformer
l'ordre social, afin d'assurer le bien de tous ; nous appuyant
toujours, comme nous l'avons fait, et sur la nature des choses
et sur les livres saints.

sUITE DU sYsTÈME.

Connaître la création dans sa partie apparente et solide,


était le premier besoin d'une intelligence naissante , q", Pº"
27

se développer et atteindre à l'absolu, devait d'abord s'appuyer


sur des faits faciles à constater et dont la certitude devînt le
fondementd'une science plus étendue.
C'est pourquoi l'homme, doué de toutes les facultés de forces
physiques et intellectuelles qui le caractérisent, dut apparaître
avant la femme, sur la scène du monde, comme principe d'une
espèce qui se distingue par son esprit.
Aussi la Genèse, d'accord avec la mature des choses, nous
montre l'homme, formé corporellement des mêmes substances
que la terre, sortir le premier des mains du Créateur, pour do
miner ce globe par la puissance de son génie : cette domina
tion étant pour lui un moyen d'instruction, de gloire et de
bonheur. -

Encore ignorant, parce qu'il venait du néant, mais capable


d'apprendre vite, parce qu'il possédait alors toute la puissance
de ses facultés, l'homme fut donc placé, par Dieu même, dans
un lieu propre à satisfaire tous ses besoins. Et sur-le-champ,
nous voyons le Créateur se plaire à l'instruire, en le mettant
en rapport avec la création, soit par l'effet de ses besoins phy
siques, soit par celui d'un doux et agréable travail, soit enfin
par l'effet d'une heureuse contemplation : car il n'est que ces
trois moyens de conserver et développer les facultés de l'homme
et de l'en faire jouir, jusqu'au moment où la réflexion et la
révélation le conduisent dans un ordre de pensées plus élevées.
(Ailleurs nous reviendrons sur le travail, qui, à l'égard de
l'homme, est l'action qui lui fait acquérir la science et produire ;
action si importante à la perfection et au bonheur de l'huma
nité, qu'elle est le point essentiel et particulier sur lequel le
créateur a basé la régénération , après la chute : aussi nous
traiterons à fond ce sujet. )
Ainsi donc, Dieu place l'homme dans un lieu propre à sa
tisfaire tous ses besoins. On appellera ce lieu Eden si l'on veut,
peu importe, mais ce qu'il y a de certain, c'est que, pour in
struire l'homme, Dieu lui donne ce lieu à cultiver et garder;
qu'il lui permet d'en manger tous les fruits, et qu'il fait passer
sous ses yeux une foule d'animaux, afin qu'il les connaisse et
qu'il les nomme, car le langage est un des premiers moyens de
développer l'intelligence humaine.
Mais tant de biens et de plaisirs sont peu pour celui qui
28

éprouve déjà le besoin de tout savoir, et dont la force physique


méme est un obstacle aux qualités d'esprit nécessaires pour
découvrir une foule de vérités subtiles, qui importent cepen
dant au complément de sa science et de sa félicité.
En vain il observe, apprend, combine, invente et produit à
l'imitation de son créateur; son génie trouve, dans le vaste
champ de la science, des obstacles et des barrières qu'il ne peut
vaincre ni franchir seul. Il faut un esprit plus léger et plus
subtil que le sien, pour s'élever plus haut et pénétrer plus
avant dans le domaine éthéré de la pensée : aussi pour déve
lopper toute la puissance de son génie, pour en faire un bon
usage et pour être parfaitement heureux, l'homme a besoin
d'une AIDE !
Maintenant, lecteurs, comprenez-vous bien la portée de ce
mot, une aide ? mot que la Genèse, seule, a promoncé.Com
prenez-vous bien la portée de ce fait : « Je lui ferai une aide
» semblable à lui. » Fait que la Genèse, seule, a révélé? Ainsi
donc l'homme, livré à lui-même, est impuissant pour atteindre
au but de son existence. Il faut qu'un génie particulier vienne
s'identifier au sien pour l'éclairer et le perfectionner ; et cet
aide, si faible et si délicat qu'il ne peut suffire à ses moyens
d'existence, cet aide, placé sous la protection et la dépendance
de l'homme même; cet aide qu'il doit d'abord instruire, guider,
perfectionner, afin que leurs intelligences se mettent en rapport
par ce moyen ; enfin, cet aide plein de grâces, de charmes, de
sensibilité et d'esprit, qui tient en ses faibles mains, non-seu
lement le bonheur de l'homme, mais les destinées du monde,
c'est la femme ! que Dieu créa pour la félicité et la perfection
de l'homme ! C'est la femme, dont toute la puissance intellec
tuelle se fonde sur l'amour, autrement dit le sentiment; mais
sur ce noble et pur amour moral qui l'attache à tout ce qui la
touche, sur ce noble et pur amour moral, qui seul identifie son
âme à l'âme de celui qu'elle aime, la lui soumet avec bonheur
et la lui livre sans réserve; car l'amour, chez l'espèce humaine,
n'est pas l'amour de la brute. Ailleurs nous développerons
aussi ce sujet, si important qu'il est, avec le travail, le moyen
de la régénération de l'espèce.
Ainsi donc cette aide, sans laquelle l'homme est impuissant
pour atteindre au but de son existence, c'est la femmel que
* 29

l'homme méconnaît encore, après tant de siècles écoulés, parce


que leur première faute a dégradé leur esprit commun.
Mais le temps s'approche où, selon les prédictions et les pro
messes de la Genèse, « la postérité de la femme écrasera la tête
» du serpent, » c'est-à-dire, en d'autres termes, et pour parler
sans figure, que le temps s'approche où la société sera assez
éclairée et civilisée pour que les femmes puissent faire usage de
leur esprit particulier, le développer et concourir ainsi à la
destruction du mal.
Revenons à notre sujet.Ainsi donc l'homme, déjà instruit par
Dieu et par l'effet de tous ses actes, a cependant besoin d'une
aide. Il désire la société d'un être auquel il puisse communi
quer sa pensée et ses sentiments ; la solitude le fatigue et l'en
nuie; et la femme, formée de la propre substance de l'homme,
pour montrer, par cette figure, qu'ils sont absolument l'un et
l'autre de même nature et qu'ils ne doivent faire qu'un par leur
union, apparaît enfin sur le grand théâtre de la création !
Heureux tous deux de cette existence commune, et jouis
sant ensemble de tous les biens dont le Créateur s'était plu à
les entourer, l'homme et la femme développaient donc mu
tuellement leur esprit, par les rapports mystérieux et inef
fables de l'amour moral, amour destiné à les perfectionner de
toutes manières, afin de les rendre dignes l'un de l'autre et ca
pables enfin de s'unir par les doux liens du mariage, c'est
à-dire capables de reproduire leur espèce avec toutes les qua
lités et dans toutes les conditions nécessaires à son bonheur
infini.

Mais, pour atteindre ce but, une condition indispensable


existait, c'est qu'ils eussent eux-mémes atteint le parfait déve
loppement de leur étre, et pour qu'ils pussent atteindre à cette
perfection, une défense commune leur était faite : « Celle de
» toucher au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. »
Ici, arrêtons-nous un moment afin d'expliquer cette figure si
mal comprise.
Quel est celui de vous, lecteurs, qui ne dise et ne répète
journellement, comme la chose la plus simple et la plus natu
relle, qu'il cultive telle ou telle branche des connaissances
humaines ? or si vous cultivez les branches de la science, vous
30

devez admettre que ces branches se rattachent à un tronc qui


les rassemble, les soutient et les alimente; et cette figure, cette
comparaison de la science à un arbre qui porte des fruits, est
si naturelle, si conforme au mode de développement des idées
de l'esprit humain qui juge tout par comparaison, qu'après
des milliers d'années, et quand le langage est plus savant et
plus positif, vous vous en servez encore ! Et bien, qu'est-ce
que le fruit ou résultat de la science du bien et du mal ? sinon
le pouvoir de se conduire par l'effet de son propre savoir; pou
voir qui appartient à Dieu, et qui ne peut appartenir à l'homme
que quand il a acquis une science assez étendue pour distinguer
sûrement le bien du mal ; pouvoir, il est vrai, qui peut seul
élever la créature, la rendre réellement libre, et la faire pour
ainsi dire semblable à Dieu.
Maintenant considérez la position des premiers humains
dans ces temps primitifs. Ignorants par nature, sans la moindre
expérience, obligés d'agir pour s instruire, et placés devant un
malheur immense, dites s'il était rien de plus dangereux pour
eux que d'agir par l'effet de leur propre jugement, de leur
propre savoir si restreint ? Il fallait donc qu'ils se laissassent
conduire par Dieu pour atteindre au bonheur, et l'obéissance
était leur principale vertu. Ainsi la défénse faite aux premiers
humains de toucher aux fruits de l'arbre de la science du bien
et du mal, était tout simplement la défense d'agir en vertu de
leur propre savoir.
C'est comme si Dieu leur avait dit : Mes enfants, quoique
vous soyez libres, je vous défends cependant de vous conduire
par le seul effet de votre propre jugement; parce que votre
savoir n'est pas encore assez développé pour que vous puissiez
agir avec discernement. Suivez donc ma loi, et non ce qui vous
paraîtra bien ou mal, car les apparences sont souvent trom
peuses, et l'erreur vous entraînerait dans un abîme de mal
heurs que vous ne pouvez éviter que par votre obéissance vo
lontaire.

N'est-ce pas ce que chacun de vous répète sans cesse à ses


propres enfants, au moment où leurs passions se développent ?
lesquels enfants, comme les premiers humains, entraînés par
l'instinct et par la présomption, respectent rarement vos avis.
Ainsi donc la défense que Dieu fit aux premiers humains
51

était une défense pleine de sagesse, de bonté, de prévoyance ;


et si plus tard la peinture, cette écriture primitive, a repré
senté l'arbre de la science sous la forme d'un pommier, fal
lait-il en conclure que Dieu avait sottement défendu aux pre
miers humains de manger des pommes pour éprouver leur
obéissance? Non, non, le fruit de la science est plus noble et
plus séduisant ! L'esprit subtil de la femme le comprit ; elle vit
bien tout ce qu'il y avait d'élevé et d'agréable à faire sa vo
lonté. Aussi est-ce bien elle que nous voyons agiter d'abord
ces graves
terrain questions; et nous allons maintenant la suivre sur ce
glissant. •rt !

V° MIEsvILLE,
fleuriste.

BIBLIOGRAPHIE.

INSTRUCTION POUR LE PEUPLE.

Cent Traités sur les connaissances les plus indispensables.

Les savants qui ont publié Un Million de faits, la Biogra


phie universelle et Patria, ouvrages sérieux et de la plus haute
importance, font paraître en ce moment, sous le titre de Cent
Traités, une Encyclopédie à l'usage du peuple, ouvrage qui
ne mérite que des éloges. Nous engageons vivement les ou
vriers à se le procurer. — Cet ouvrage contiendra l'enseigne
ment de toutes les sciences : Economie.—Industrie.—Religion,
Morale. — Législation, administration. — Education. — Lit
térature. - Beaux - Arts. — Agriculture. — Histoire, géogra
phie. - Sciences naturelles et médicales. — Sciences mathé
matiques, sciences physiques, etc.
L'exposition des principes de la Science, confiée à des hom
mes spéciaux, est simple, claire et à la portée de toutes les in
telligences. Les travailleurs qui voudront s'instruire ne pour
ront puiser à de meilleures sources. - Qu'on ne nous accuse
pas de légèreté sur ce que nous signalons avec empressement
une œuvre dont quelques livraisons seulement ont paru, car
notre confiance repose sur les travaux antérieurs de ces savants
qui sont avant tout des hommes consciencieux.
Les Cent-Traités paraîtront en 100 livraisons.
Chaque traité, en petit caractère très-agréable à l'œil, con
tient la matière de cinq feuilles in-8°, et ne coûte que 25 cen
52

times.—L'exécution typographique, confiée à MM. Plon frères,


ne laisse rien à désirer.
Cet ouvrage se vend chez MM. Paulin, Dubochet et Leche
valier, rue Richelieu, 60; — à l'INDUSTRIE FRATERNELLE, rue
de Sorbonne, 1 ; et chez tous les libraires.

L'abonnement à la Ruche populaire est, au bureau, de


6 fr. par an ;-7 fr. pour les départements;— 10 fr. pour
l'Étranger. = Moitié prix pour l'ouvrier.
Quant aux personnes qui désirent concourir au soutien
de ce libre organe, elles peuvent s'adresser à M. AUMON
THIÉVILLE, Notaire, boulevard Saint-Denis, 19, où elles
trouveront un registre ouvert à cet effet.

ALVÉOLES.
« Il faut que la politique des Français soit publique, ou
verte, vivante.... -

« Ce n'est pas dans l'action, c'est dans les souterrains de


la diplomatie que je redoute l'influence des autres Etats. Ils
ont leur rivalité, eux. Nous avons, nous, notre unité ! notre
résolution de protéger la liberté des peuples et les natio
nalités ! ....
« Nous ne portons pas attachées à nos bras une Pologne
et une Irlande....
(Disc. de M. BERRYER, Ch. des D.,
séance du 6 février 1847.)

« Le Peuple étant misérable, je ne prendrai pas cette


année de villégiature (vacances). »
PIE IX, aux courtisans.

« On a besoin de baïonnettes pour opprimer; — pour


faire le bien du Peuple, on n'a pas besoin d'autre force que
de son amour. »
PIE IX aux troupes autrichiennes.

Le Gérant, F. DUQUENNE.

lmprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


TABL E. -

Pag
Recommandation d'infortunes Intéressantes. .. ... e • • • • * • • • • • e • • e • • • • • • 1
Principe.. ... · .. .. .. ... ... : ........... ... ... .. · . ... ... ... . • • • . .. 2
Fondation matérielle du journal....... • • • • • • • e • • • • • • • • • • • • • • • • • • . .. 2
OEuvre de fraternité. ........ • • • • • • • • e • • • • • • • • • • • • • • • • e • • • • • • • • • • • 3
Préface ; par CoUTANT, typographe. ... .. .
• • • • • • • • • • • • • • • e e e s • • • • e • • e e 5
La Pologne et ses protecteurs ; par P. SÉBIN, papetier.................... 8
Mystères des ateliers (Suite, voir les Numéros précédents)......... . . .. .. 11
Grève des ouvriers teinturiers en soie, des tanneurs et ébénistes........... 12
Encore un Suicide ; par RÉNÉ, relieur................................ 12
Les inondés ; M. de la Rochejaquelein, et M. Duchâtel , ministre de l'inté
rieur. (Mme V° Miesville).................. • • • • e e - e • • • • • • • • • e • e • • 13
MM. Ad. Crémieux et Billault, députés......... ... .................. 14
Convoi de Madame de Salvandy. (A. LEssoUR, peintre en bâtiments)....... 14
Communications à la Ruche populaire..................... . . .. .. .. .. 15
Remercîments aux journaux.. . ............................ • • • • • • • • • 15
Remercîments à M. Dramard, fabricant........................ • • • • • • • • 15
M. N. Gosse, peintre d'histoire...............................
Tableaux et autres objets d'art pour les familles........................ 16
Aux amis de la Ruche populaire; chanson ......... .......... . . .. .. .. .. 16
Correspondance. — La Société libre d'Emulation de Rouen............... 17
- Lettre de M. Ant. E., statuaire et peintre.......... ... .......... .. 17
Les Ecoles chrétiennes des Frères, et les Ecoles mutuelles fondées par le gou
Vernement. . .. .. . . . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • - • • • • • • 9 • • • • • • • • • • • • • • • 20
Lettres aux Français. VI°. (Mme V° MIEsvILLE, fleuriste).......... ..... 23
BIBLIoGRAPHIE : Les cent Traités. ................ .. e e e • e • • e • • • • .. .. .. 31
Abonnement et concours à la Ruche populaire.. ....................... 32
Alvéoles : M. BERRYER ; — PIE IX. ... ..... - • e • • • © - - • • - º - • º • - • • • • • • • 32

-,@ G

PRIX DE L'ABONNEMENT.

A PARIS : 6 fr. par an.


3 fr. pour les Ouvriers.
DÉPARTEMENTs : 7 fr. par an.
4 fr. pour les Ouvriers.
HoRs FRANCE : 10 fr. par an.
6 fr. pour les Ouvriers.
Chaque numéro, à l'ouvrier, 25 centimes. - Il peut s'abonner
par trimestre ou par semestre.

(Affranchir. )
La RUCHE POPULAIRE, qui date de décembre 1839, forme tous
les ans un volume de 3 à 400 pages.

On s'abonne à Paris,

Au Bureau du Journal, rue Vieille-du-Temple, 75, au Marais.


Au Cabinet de lecture, même rue, n. 75 (Dépôt du journal.)
Aux bureaux de la RÉFORME, rue J.-J.-Rousseau, 3.
Aux bureaux de la DÉMOCRATIE PACIFIQUE, rue de Beaune, 2.
MM AsTIER, libraire, rue Saint-Louis, 47, au Marais.
DAUGREILH, libraire et cabinet littéraire, faub. Saint-Honoré, 62,
GUENARD (Alex.), librairie de piété, rue Royale-Saint-Honoré, 17.
LEBLANC, libraire et cabinet littéraire, rue Rambuteau, 75.
LEGRos, salon littéraire de la Chambre des Députés, rue de Bourgogne.
Librairie théâtrale, rue de Grammont, 14.
MANSUT, libraire, rue Saint-André-des-Arcs, 30,
PERROTIN, libraire éditeur, rue Fontaine-Molière, 41.
Aux Bureaux du PILOTE GERMANIQUE, rue Saint-Antoine, 87.
H. SoUvERAIN, libraire, rue des Beaux-Arts, 5.
Au bureau de la Colonne (système Napoléon), r. Saint-Antoine, 22.
On souscrit aussi

LYoN, à la Tribune lyonnaise, revue politique et sociale.


Id. au bureau de l'Echo de la Fabrique, à la Croix-Rousse, gr. Place.
Id. au Répertoire Lyonnais, place Saint-Nizier, 4.
ARRAS, au bureau du Progrès-du-Pas-de-Calais, et chez ToPINEAU, libr.
ANGoULÊME, au bureau de l'Indépendant, journal politique et littéraire.
BÉZIERs, au bureau du Journal de Béziers.
EVREUx, au bureau du Courrier.
SAINT-OMER, au bureau de l'Eclaireur.
ORLÉANs, au bureau du Foyer.
Id. au bureau du Loiret.
SAINT-QUENTIN, au bureau du Guetteur.
Id. au bureau du Courrier.
RoANNE, au bureau du Progrès-de-la-Loire.
AvIGNON, au bureau de l'Indicateur.
CALAIs, au bureau de l'Industriel Calaisien.
GRENoBLE, au bureau du Patriote des Alpes.
CHARLEvILLE, au bureau du Propagateur des Ardennes.
SAINT-MALo, au bureau de la Vigie de l'Ouest.
LA CHATRE, au bureau de l'Eclaireur (Indre).
ToULoN, au bureau dela Sentinelle de la Marine et de l'Algérie.
VEvEY (Suisse), au bureau de la Patrie, gazette politique et sociale.
TURIN ( Savoie), au bureau de la Gazette de l'Association agricole.
MADRID, Libreria Europea, calle de la Montera , 12. (Bulletin biblio
graphique espagnol et étranger.)
WAsHINGToN (Amérique), au National Intelligencer, au The Daily
Union, et à la Société typographique colombienne.
On reçoit au bureau de la Ruche les abonnements à tous les journaux
ci-dessus mentionnés.

Imprimerie DoNDEY-DUPRÉ , rue Saint-Louis , 46, au Marais.


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Première Tribune et Revue liensuelle

RÉDIGÉE ET PUBLIÉE

PA R DES O U V R I E R S

ºpus la directiºn

DE FRANCOIS DUQUENNE
Ouvrier imprimeur.

NEUVIÈME ANNÉE FÉVRIER.

PA R IS
AU BUREAU, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE, 75,
AU MA RAIS.

1847
LP R O G R A M IM [ Ee

Le but principal de la Ruche populaire est d'indiquer les misères


cachées aux riches bienfaisants. Elle ouvre en outre aux ouvriers une
tribune où chacun d'eux peut faire entendre ses justes réclamations,
exprimer ses vœux légitimes, ses espérances d'amélioration. Or
telles sont aujourd'hui la multiplicité et la divergence des doctrines
sur toutes choses, qu'on ne saurait s'attendre à trouver parmi les
écrivains de la Ruche l'unité d'opinions, qui n'existe nulle part. Le
but de notre recueil n'est donc, sous ce rapport, que de faciliter
l'intervention des Hommes de travail dans la discussion des moyens
propres à remédier à des maux universellement avoués. En leur
laissant une pleine liberté d'exprimer leurs idées, elle leur en laisse
aussi la responsabilité entière, se bornant à exiger d'eux, avec un
ton décent, le respect que l'on doit toujours à la morale publique.

A NOS FRÈRES.

Nous voulons dire au plus malheureux de nos frères gémissant


sur la voie publique, ou bien abandonné dans son grenier :
« Te voilà sans travail, et tu en demandes; tu es sans logement,
» sans vêtements, sans nourriture; incertain du lendemain ou sans
» Providence, aucune main amie ne vient toucher la tienne, donc
» tu as à te plaindre. Eh bien, si ta plainte est digne, viens nous
» l'apporter; il ne t'en coûtera rien pour l'imprimer; et tu parleras
»à la Société, n'étant justiciable en ceci que de la majorité de tes
» frères d'infortune. »
LA

RUCHE POPULAIRE
(ºR# #E$B U$ $ $8)

« Secourir d'honorables infortunes qui se


« plaignent, c'est bien ; s'enquérir de ceux
« qui luttent avec honneur, avec énergie, et
« leur venir en aide, quelquefois à leur insu ;
« prévenir à temps la misère ou les tenta
« tions qui mènent au crime..., c'est mieux.»
(RoDoLPHE, dans les Mystères de Paris.)

Nous recommandons à l'Évangélique Fraternité ces infor


tunes intéressantes :

Une famille, dont le père, homme de peine, est depuis deux


mois souffrant à l'hospice. Son épouse, restée avec cinq
enfants dont l'un au sein, est réduite à la plus grande détresse.
Une autre famille dont le père, commissionnaire, malade
depuis trois mois, et ne pouvant travailler; son épouse et
ses quatre jeunes enfants sont dépourvus de tout.
Suivent les autres infortunes inscrites sur notre registre.

IX° ANNÉE de cette 1re tribune des ouvriers, — Février 1847. 3


54

L I E L IIVIR1E" l'.

Reconnaissance du Gouvernement de 1830 envers le Peuple.


PÉRICLÈs. — J'ai eu tort d'appeler lois les ordres
d'un tyran qui n'emploie pas la persuasion.
ALCIBIADE. - Mais lorsqu'un petit nombre de ci
toyens, revêtus de la puissance souveraine, prescrit
ses volontés à la multitude sans obtenir son aveu,
appellerons-nous cela de la violence ou non ?
PÉRICLÈs. — De quelque part que vienne l'ordre,
qu'il soit écrit ou ne le soit pas, dès qu'il n'est
fondé que sur la force, il me paraît plus un acte de
violence qu'une loi.
XÉNoPHoN. (Mémoires sur SoCRATE.)

Le ministère a déposé à la Chambre des Députés un projet


de loi sur les livrets d'ouvriers, le même qui a passé, à la
session dernière, à la Chambre des Pairs.
L'ancien livret, dû à l'esprit tyrannique de Napoléon, qui
ne l'a pas inventé, est tombé en désuétude, comme tombe
tout ce qui n'est plus en rapport avec les mœurs et les pro
grès du temps. On devait espérer qu'un jour la loi du livret,
abrogée de fait, serait supprimée entièrement; il n'en est
rien. Malgré le mépris qu'inspire aux ouvriers cette sujétion
avilissante, qui place l'honnête homme dans-les conditions
du libéré du bagne, alors que toute distinction entre les ci
toyens est en opposition avec les principes fondamentaux de
la France, les ministres du bon plaisir tiennent à imposer
la loi de l'esclavage à tous les ouvriers, hommes, femmes et
apprentis, de toutes les professions présentes et à venir. Ils
y tiennent essentiellement, quoi qu'il puisse arriver. Quel
intérêt veut-on servir en ressuscitant le livret dont personne
ne veut plus ? L'intérêt de l'ouvrier? mais l'ouvrier le re
pousse, parce que c'est le signe de la servitude, parce que
c'est un surcroît d'impôt, parce qu'il occasionne des pertes de
temps fréquentes et très-onéreuses.
L'intérêt des maîtres? On pourrait les diviser en deux
classes : l'une qui demande le livret avec toutes ses duretés,
afin d'avoir à sa disposition, sous son bon plaisir, un nombre
35

d'ouvriers. comme le colon dispose de ses esclaves Etablir


l'esclavage, sans assumer sur soi la responsabilité del'esclave,
tel est le problème qu'ils veulent résoudre; l'autre classe s'en
soucie fort peu, parce qu'elle n'entre pas dans les considé
rations politiques des ministres; elle sait que la plupart des
professions seront gênées par cette légalisation forcée du li
vret qui devra se renouveler plusieurs fois dans une même
journée ; car il est certaines professions où l'ouvrier n'est
embauché que pour quelques heures; il en est d'autres qui,
par leur insuffisance, obligent l'ouvrier et l'ouvrière à tra
vailler pour plusieurs maîtres à la fois. A qui toutes ces courses
et toutes ces écritures profiteront-elles ? Elles augmenteront
encore la misère de l'ouvrier, et rendront plus évident son
assujettissement. Il est vrai que la misère abrége la vie de
l'homme, et on dit partout que le peuple est trop nombreux,
qu'une guerre serait très-utile. La misère y suffira. Les An
glais le savent bien, eux, et nous nous instruisons à leur école.
Quel heureux temps ce sera, quand on aura transformé les
ateliers en prisons et les maîtres en geôliers !
Mais qu'ont affaire ici ouvriers et maîtres? Ceux-ci ne
sont que les instruments docilesd'un système de compression,
il ne faut pas leur en vouloir. On pardonne à l'aveugle qui
vous marche sur le pied. Voulez-vous savoir la signification
du livret ? interrogez ce ministre qui est toujours inquiet du
dedans, il vous dira qu'il faut un frein au peuple, et ce frein
sera le livret.
Adressez-vous à cet autre ministre qui ne sait plus com
ment aligner les chiffres du budget pour faire croire à la pros
périté toujours croissante du peuple... dans les discours d'ap
parat ; il vous avouera que les finances sont obérées par les
prodigalités de ses collègues, qu'il ne sait à quel saint se
vouer, qu'il ne tient plus à son portefeuille, à l'honneur d'être
ministre, à moins que le peuple ne consente à acheter au
prix de 50 centimes comme le voulait le projet ministériel,
ce petit cahier de papier gris qui ne vaut pas 10 centimes.
Douze ou quinze millions, ainsi prélevés sur les hommes, les
femmes et les enfants du peuple, remettraient le budget à flot,
et l'homme des finances consentirait volontiers à garder le
portefeuille 5.
36

Ce projet, présenté avec un certain air d'innocence.comme


celui sur les annoncesjudiciairesetautres, contient une ques
tion politique des plus graves, des plus compromettantes
pour l'ordre public et pour la liberté du peuple. Cette me
sure n'est point isolée, elle fait partie d'un système contre-ré
volutionnaire qui détruit une à une les libertés nationales.
Que sont devenus le droit d'association, la liberté de la presse?
qu'est-ce que représentent les pouvoirs de l'Etat? les fortifi
cations exécutées par ordonnanceenl'absence des Chambres ?
les corps de garde de Paris changés en citadelles? le plan de
campagne dressé si ingénieusement pour la bonne ville et
les faubourgs de Paris?—Tous ces actes n'ont pas été conçus
Séparément; ils appartiennent au système que les ministères
Se transmettent de l'un à l'autre, c'est de tradition. Le livret
Complète cette œuvre.
Quant à la question financière, elle ne nous occuperait nul
lement, si nous ne savions à quoi servent les finances. De
quel droit viennent-ils, ces ministres, créer des impôts sur
le peuple exclusivement? ont-ils augmenté les richesses du
pays?répandu partout le travail?vaincu ce fléau du peuple,
la misère ? Rien de tout cela n'a été fait, que nous sachions,
et nous sommes bien placés pour en juger. Depuis seize ans
que nous sommes gouvernés par ces ministres révolution
naires, le peuple compte à peine quatre années de travail ;
pendant les autres années, il a toujours végété sous le coup
de ces menaces qui se réalisaient alternativement : manque
de travail, diminution de salaires; et n'ayant rien résolu de
favorable au peuple, en politique, en économie industrielle
ou agricole, sur quoi vous appuyer pour exiger de nous un
surcroît d'impôts si lourds déjà et l'abolition de la liberté in
dividuelle et de la liberté de l'industrie en ce qui touche le
peuple dont vous voulez faire une classe de parias ?
Ah! nous vous avertissons, hommes de la paix à tout prix,
votre projet sera une cause de désordre; il créera la guerre
entre deux intérêts qui ont ensemble des rapports fréquents.
Soyez assez intelligents pour ne pas provoquer une grève gé
nérale qui aurait des résultats déplorables pour tout le monde.
Nous qui aimons l'ordre plus sérieusement que vous, nous
disons qu'il vaut mieux laisser les choses telles qu'elles sont.
La liberté de l'industrie doit luire indistinctement pour
37

tous, ouvriers, maîtres, fabricants et consommateurs; qui


conque manque à ce principe forfait à la loi.
Nous repoussons de toutes nos forces le livret !...
LE CoMITÉ.

« Rien d'honorable ne peut sortir d'une boutique.»


CICÉRON.

•"->G >G-

IMPRÉvoYANCE DÉPLoRABLE.

La Chambre des Députés a voté un supplément d'effectif de


10,000 soldats pour réprimer les désordres que la famine pour
rait susciter de nouveau parmi les populations malheureuses.
Le ministère a porté la dépense à 4 millions seulement, et la
majorité de la Chambre*a fait semblant de croire, tant elle est
complaisante, que ce crédit ne serait pas dépassé, et que le
moyen le plus efficace contre la disette était en définitive la
force. Qui peut répondre que la prochaine récolte sera bonne?
a dit à ce sujet le ministre de l'intérieur; donc il faut... don
ner des encouragements à l'agriculture, préparer des approvi
sionnements ? Oh ! non ; il faut.... préparer des soldats.
Le prix des grains continue de hausser par suite des ma
nœuvres du commerce. — Le budget de l'État, celui des villes
et celui des particuliers s'épuisent à payer aux marchands les
sommes que ceux-ci leur soutirent sous prétexte de famine. Il
en sera ainsi tant qu'on s'en remettra aux marchands du soin
d'approvisionner la nation, et que les municipalités ne force
ront pas la main au gouvernement pour prendre des mesures
contre l'affamement mercantile.
(Dém. pac.)

–=>3G=--

MYSTÈRES DES ATELIERS.


(Suite. Voir les numéros précédents.)

L'oUvRIER TERRAssIER.

« En 1841 j'arrivais à Paris. J'ai été huit jours sans ouvrage.


J'ai été obligé de travailler aux Fortifications; c'étaient de si
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pénibles travaux que j'ai eu beaucoup de peine à me décider


d'y travailler. J'avais seize ans et j'étais très-faible pour mon
âge; mais comme j'étais sans ressources il a bien fallu me ré
soudre. J'allais chercher de la boue dans les fondations des
murs d'enceinte pour la monter au moins à la hauteur d'un
troisième étage. Nous avions pour chaque hottée un cachet
qui valait deux centimes; on payait 2 francs par cent de ca
chets, et ceux qui n'en portaient pas cent hottées dans la jour
née, comme moi qui n'en avais pas la force, n'étaient payés
qu'à raison de 1 fr. 75 centimes le cent.
«Il y avait sur une plate-forme, au milieu de la montée, un
commis nommé G...... , qui distribuait les cachets, et à ceux
dont la hotte n'était pas bien pleine il ne donnait pas de ca
chets. Il m'est arrivé plusieurs fois que je n'avais pas la charge
bien complète, il n'a pas voulu me donner de cachet; moi je
voulais rejeter ma charge au pied de l'échelle, mais il m'a dit
que si je ne la montais pas jusqu'en haut il me ferait renvoyer;
alors je faisais comme il voulait et ça ne m'était pas payé....
Après cela j'ai été travailler à Belleville, sous la direction de
M. L......, maître compagnon : il a exigé que nous ayons une
pelle en fer, mais ces pelles, nous étions obligés de les prendre
chez lui, sous peine d'être renvoyés Quand est venue la quin
zaine il nous les a fait payer 5 francs, et en valeur réelle elles
valaient bien 1 fr. 50 c. On nous payait tous les quinze jours,
et il est arrivé plusieurs fois que nous attendions des nuits en
tières pour être payés, et quelquefois on ne l'était pas.
«Quand je suis entré pour y travailler je n'avais pas d'argent;
il a répondu pour moi dans une gargotte; et je n'étais pas le
seul qui y mangeait à crédit. A toutes les quinzaines le maître
de la gargotte était à la paye avec son mémoire ; quand on
nous appelait il disait : Celui-ci a tant de nourriture; et on
lui payait ce qu'il demandait. Il nous comptait à chacun au
moins quatre francs de plus par quinzaine : alors nous refu
sions de recevoir notre argent; on nous disait : vous viendrez
le chercher quand vous voudrez. Nous étions obligés de prendre
ce qu'on nous donnait, de crainte de tout perdre.
« Il y avait un de mes parents qui a travaillé aussi aux For
tifications ; il gagnait un fr, 25 c. par jour. Il travaillait avec
des tâcherons. Quand la tâche a été finie le tâcheron s'est sauvé
et il n'a payé aucun de ses ouvriers (1).
« Mon pauvre cousin avait une femme et deux enfants qui
attendaient après l'argent qu'il devait rapporter pour manger.
(1) Le même fait eut lieu à l'égard d'un de nos camarades qui a travaillé,
aux Chemins de fer, pour un tâcheron dont il n'a pas été payé. (N. du C.)
39

En arrivant à la maison il leur raconte son affaire en pleurant,


et ils ont été obligés d'aller emprunter un franc pour dîner,
« La même chose est arrivée partout où il y avait des tâche
rons (1). A Belleville j'en ai vu un autre ; il avait entrepris de
l'ouvrage qui a duré six semaines; il avait une nombreuse
troupe d'ouvriers dont beaucoup étaient des pères de famille
qui venaient travailler là parce qu'ils n'avaient pas d'ouvrage
de leur état. Quand le tâcheron a eu reçu l'argent, il est parti
aussi sans payer ses malheureux ouvriers; et comme ils avaient
été obligés de manger à crédit, ils n'ont pas pu payer l'auber
giste.
« J'ai connu un tâcheron qui prenait tous les ouvriers qui
venaient demander de l'ouvrage ; il leur disait de travailler à
l'essai; et quand il les avait fait piocher tant qu'ils pouvaient
pendant deux, trois ou quatre heures, il les renvoyait en leur
disant : Vous ne faites pas mon affaire l Il ne leur payait pas
leur temps. Comme il en venait beaucoup, c'était autant de
gagné pour lui.
« En quittant Belleville, j'ai été travailler à la Chapelle. J'a-
vais travaillé trois jours; mais étant obligé de quitter mon ou
vrage pour entrer en place, j'ai prévenu le maître compagnon
que je ne pouvais plus travailler avec lui. Quelques jours après
la quinzaine je vais pour recevoir mon salaire : il me revenait
6 francs 50 c. J'entre au bureau et je dis : Messieurs, je viens
recevoir mon argent des trois jours que j'ai travaillé. Ils ont
regardé sur les registres et ils m'ont dit que j'étais payé. J'ai
soutenu que cela n'était pas vrai; ils m'ont signifié de m'en
aller ou qu'ils me feraient mettre au poste.Je ne les ai pas
écoutés, j'ai continué de réclamer ce qu'on me devait, et ils
m'ont fait mettre au violon qui était gardé par un invalide. Ils
m'ont fait arrêter parce qu'ils craignaient que l'entrepreneur,
en arrivant, me fasse rendre justice. On a fini par me relâcher
au bout de quelques heures, mais on ne m'a toujours pas payé.
« J. B. GILLEssEN,
« Charles VITRY,
« V° DELAUNOY.

(1) Il serait bon que, dans les grands travaux qui s'exécutent pour son
compte, le Gouvernement supprimât ces exploiteurs en sous-ordre qui
n'offrent aucune garantie aux ouvriers qu'ils emploient et dont ils réduisent
énormément le salaire quand ils ne peuvent éviter de les payer.
(Note du Comité.)
l,0

Rien n'est plus malheureux que l'ouvrier. Cependant il


produit la richesse de la France.
Léon BoNNET, artiste peintre.

–•98969em

SITUATION DES FRANÇAIS.

« Dans la presse, absence d'un but arrêté, général, hu


manitaire, ou du moins patriotique; nul principe capable de
fixer les idées incertaines, de rapprocher les opinions diver
gentes, d'utiliser tous les efforts perdus dans des luttes stériles,
et d'en faire une puissance en leur imprimant une direction
invariable. Dans le pouvoir, égoïsme étroit et imprévoyant,
oubli des besoins les plus urgents des masses; par suite, im
popularité, faiblesse au dedans, timidité au dehors, intrigues
et corruption pour remplacer la puissance et la dignité. Dans
les Chambres, manque de philanthropie, ou du moins d'esprit
public; point d'idées larges, ni de prévision, pas même de
volonté forte, ni d'intelligence des affaires. Dans la bourgeoi
sie, préoccupations cupides, idées étroites, mesquines, sans
portée, sans avenir; crainte des étrangers au dehors, crainte
des prolétaires au dedans, crainte du gouvernement en haut,
crainte de la concurrence en bas : partout la peur et l'égoïsme
pour mobile. Chez le peuple, toujours déçu, toujours dévoué
aux idées généreuses et cependant toujours suspect, chez le
peuple, point d'affection pour le pouvoir qui l'oublie, point
de confiance dans ceux qui l'exploitent au lieu de l'éclairer,
point de consolation dans le présent, point de foi dans l'avenir.

Au milieu de cette tendance générale à l'isolement, à la


démoralisation, tendance qui frappe les esprits les moins clair
voyants et dont les conséquences sont si effrayantes, on se
demande ce que produirait cet égoïsme, infiltré d'en haut,
s'il gagnait entièrement la base de la société; quel serait le
sort de la France, son rôle en Europe, si elle ne se créait elle
même une direction intellectuelle et morale, un but général
d'activité, une mission digne d'elle, en harmonie avec sa po
sition, avec le caractère de ses enfants, capable de la tirer de
41

cet état de malaise et de torpeur qui annonce la décrépitude


d'une nation, et précède sa dissolution, en la mettant à la
merci des moindres événements ?
Extrait du Hachych, par le Dr LALLEMAND
(de l'Institut).

Au Tribun Lamartine.

Bien que ma voix soit faible, écoute, Lamartine :


Souvent j'ai bagayé, de ma voix enfantine,
Des vers à ta louange. Oiseau rasant le sol,
Je disais, en traînant mon aile dans la poudre :
Gloire à ce roi des airs ! à l'aigle au puissant vol,
Qui plane, audacieux, sur l'éclair et la foudre,
Et peut voir de si haut l'atome du ravin.

Aujourd'hui ce n'est plus au poëte divin


Que je jette des fleurs : à quoi serviraient-elles?
A se faner bientôt parmi les immortelles
Dont l'Europe à genoux vint lui faire présent ?
Non, c'est à l'orateur que je parle à présent,
Au tribun dévoué, pouvant, d'un bras d'Hercule,
Renverser à jamais la borne ridicule
Que la routine plante au chemin du progrès;
C'est à l'homme de cœur, courageux et sincère,
Qui de la plèbe enfin défend les intérêts,
Et, s'armant d'un scalpel, vient pour guérir l'ulcère
—Mal affreux que l'octroi nous cause sans regrets —
Dont le peuple est rongé jusqu'au fond des entrailles !
Oh ! les privations sont de rouges tenailles
Qui, lui mordant le cœur, en font sortir des cris ! ...
Tribun, tu l'as bien dit : C'est la vie à bas prix
Qui rend le peuple heureux, ce pauvre mercenaire
Qui revient chaque soir, après un dur labeur,
Avec quelques deniers oxydés de sueur,
Sourire à ses enfants groupés près de leur mère.

Si les chefs de l'Etat, les préleveurs d'impôts,


Qui tolèrent le vice et d'ignobles tripots,
42

Descendaient un instant de cette haute sphère


Où le pouvoir leur prête un siége somnifère,
S'ils daignaient visiter ces greniers lézardés
Où Janvier vient souffler par le trou des serrures,
Pour bleuir tant de pieds qui n'ont pas de fourrures,
Greniers où du soleil les rayons attardés
A peine font éclore une pauvre jonquille,
Qu'en un vase fêlé fit naître l'humble fille,
Enfant de l'artisan, qui belle de pâleur,
Pour délasser ses yeux fixés sur une aiguille,
Les relève un instant et sourit à sa fleur ;
Pauvre fleur elle-même, hélas! qui sur ce globe
Vint pour s'étioler au souffle du malheur !...
S'ils voyaient ces tableaux, qu'à leurs yeux on dérobe,
Où le pauvre ouvrier que la faim affaiblit,
Raidit contre la mort, debout près de son lit,
Ses bras, qu'ont décharnés les veilles et les jeûnes,
Appui de ses enfants, hélas! qui sont si jeunes,
« La pitié les prendrait, et la pitié fait mal! »
Comme l'a dit Moreau, lui! mort à l'hopital!...
Ils diraient, essuyant les pleurs de leur paupière :
Si ces hommes pourtant n'ont pas un cœur de pierre,
Mieux vaut tomber sanglant, en face du canon,
Que de mourir de faim ! !

Lamartine, ton nom


De poéte orateur restera dans l'histoire ;
Tu viens de remporter une belle victoire ;
Le peuple te bénit du profond de son cœur ;
Tu vas combattre encore, et tu sera vainqueur.
Tu ne souffriras pas que l'on forge une entrave
A ce grand artisan qu'on veut mettre à genoux,
Géant aux mille bras qui travaille pour tous !
Quoi! l'on veut le brider ! lui, devenir l'esclave
D'un patron orgueilleux qui vit de son travail,
Et le fustigerait ainsi qu'un vil bétail !
Ah! c'est bien mal comprendre,en lestemps où noussommes,
Qu'il faut la liberté dans une ruche d'hommes!...
Où veut-on en venir? à quoi bon ce livret?
43

Est-ce un anneau de fer que l'on nous riverait


Au cou, comme un collier qui captive une bête ?
Enchaîner l'homme probe ! enchaîner l'homme hommête !
Nous traiter en forçats, en hommes réprouvés !
Allons donc ! nobles pairs, allons donc ! vons rêvez...
Non, dites-nous plutôt que le trésor est vide,
Qu'il faut bourrer les flancs du Polyphême avide.
Dites-nous franchement : Voyez, notre trésor
Ouvre sa gueule immense, et dit : J'ai faim, de l'or !
Nous comprendrons cela ; nous donnerons pâture
Au géant monstrueux dont la dent nous triture ;
Mais gardez-vous de prendre, hommes ingénieux,
Pour arriver au but, des chemins sinueux.
Tordez les bras du Peuple afin que l'or en pleuve;
Sa sueur est la source, et vous êtes le fleuve.
Ne nous réveillez pas lorsque nous sommeillons,
O nobles mendiants ! S'il faut quelques millions
Pour payer la layette et les frais d'un baptême,
Nous nous cotiserons pour les trouver quand même.
Aujourd'hui, comme hier, le peuple est toujours franc ;
Vous demandez dix sous; nous donnerons un franc,
Mais laissez-nous en paix, ô nobles pairs de France !
Gardez-vous d'aggraver encor notre souffrance.
Hommes, taisez-vous donc ! imprudents, imprudents,
Qui du tigre endormi voulez scier les dents ;
Imprudents qui jetez l'huile dans la fournaise,
Ne vous souvenant plus du grand Quatre-vingt-treize
Où le sombre Échafaud, levant ses bras sanglants,
Pareil au chêne altier qui laisse choir ses glands,
Jetait, rouge, aux pavés une grêle de têtes !...
Imprudents, dis-je encore, imprudents que vous êtes !
Vous ne voyez donc pas Spartacus, raidissant
Ses deux bras musculeux gonflés par les furies,
Qui tient son glaive nu devant les Tuileries,
Et que ses yeux de pierre ont des gouttes de sang ?
Ne nous ramenez pas au temps de barbaries ;
Quand le peuple veut voir le soleil au zénith,
Levez donc votre doigt qui lui montre les pôles ;
Car si vous êtes grands, hommes au cœur petit,
44

C'est qu'il vous tient debout sur ses larges épaules.


Ne l'excitez donc pas à la rébellion,
Lui! qui vous contiendrait dans ses deux mains fermées,
Et pourrait vous jeter, ainsi que ces pygmées
Qu'Hercule secouait de sa peau de lion.

C'est à toi, Lamartine, à toi, dont la parole


Fait chanter dans nos cœurs une voix qui console,
D'empêcher au pouvoir de nous mettre un bâillon,
D'être notre avocat, de plaider notre cause,
De hâter le progrès quand il fait une pause.
A ta place, tribun; montre que Mirabeau,
Comme un autre Lazare, est sorti du tombeau...
On se fait écouter quand on a la voix forte.
Laisse rire les gens du pouvoir; que t'importe
Ce poéte aboyeur, bâtard de Juvénal,
Qui fait de Némésis claquer le fouet vénal,
Et, jaloux du laurier qui ceint deux fois ta tête,
Attaque l'orateur en craignant le poéte.
Ta mission est sainte, et tu dois l'accomplir ;
Plus un devoir est grand, mieux on doit le remplir ;
Et tu le rempliras, je le sais, Lamartine ;
Vois, de la liberté le flambeau va pâlir !
Toi qui reçus du ciel l'étincelle divine,
Viens donc le rallumer à la face des rois,
Ces grands chasseurs de peuple,aux limiers qui nous traquent,
Et qui, de fleurons d'or cerclant leurs fronts étroits,
Se cramponent des mains à leurs trônes qui craquent,
Leurs trônes, dont les pieds minés de vétusté,
Se briseraient au choc de notre volonté;
A ta place, tribun ! la séance est ouverte;
On veut nous garrotter, défends nos droits; alerte !
Fais tonner ta parole , elle réveillera
Dans nos cœurs fraternels des échos sympathiques ;
Et, comme on applaudit à tes chants poétiques,
Le Peuple, ému de joie, alors t'applaudira ;
Il mettra sur ton front une couronne sainte,
Dont jamais empereur ne vit sa tête ceinte !
Pour rehausser encor son puissant orateur,
45

Lui-même il se fera ton piédestal, poëte !


Et tu seras si haut, sur ce sublime faîte,
Que tu pourra baiser les pieds du Créateur !
BARRILLoT,
ouv. imp. lithographe.
->©©

OBSÈQUES DE MADAME V° QUINET.


Le 7 février 1847, à Charolles, ont eu lieu, selon le rite
protestant, les obsèques de madame veuve Quinet.
Indépendamment de la foule qui suivait le convoi, une
circonstance particulière a donné à ces obsèques un caractère
saisissant et extraordinaire.
La famille de la défunte avait envoyé dans deux villes voi
sines prier un pasteur protestant de lui prêter son assistance.
Le pasteur avait fait espérer qu'il se rendrait aux vœux qu'on
lui avait exprimés; mais deux heures avant l'enterrement, il
fit savoir qu'un empêchement absolu le mettait dans l'impos
sibilité de joindre le convoi, au jour et à l'heure indiqués.
Dans ces tristes circonstances, le fils de la défunte se décida
à rendre lui-même à sa mère les derniers devoirs religieux,
et à remplacer, autant qu'il était en lui, le prêtre absent.
A la tête du cortége, composé de la presque totalité de la
population de la ville, marchaient, pâles de douleur et d'é-
motion, à peine soutenus par la conscience d'un dernier et
cruel devoir, les deux enfants de la défunte, M. Edgar Qui
net, professeur au Collége de France, et madame Blanche
Ducroc. Arrivés au champ du repos et avant que la terre ne
se fermât sur le cercueil, M. E. Quinet prononça pour der
nier adieu à sa mère et pour commémoration religieuse, un
discours plein de croyance en Dieu et de piété filiale, que
nous regrettons de ne pouvoir reproduire en entier ;
Puis il lit, dans le livre qui est le fondement de la foi de
sa mère, le psaume 103, le chap. XX de l'évangile selon S.
Jean, le chap. XV de l'épître de S. Paul aux Corinthiens.
Cette liturgie de l'immortalité chrétienne, pour passer par des
lèvres tremblantes, ne fut pas moins entendue, sans doute,
du haut du trône éternel.
l,6
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

« Ce fut, dit M. Quinet, un des tourments de ce grand cœur


que de ne pas trouver autour de soi l'appui du culte dans lequel
il a été nourri. Chaque Dimanche, ma mère regrettait plus vi
vement le secours moral, les fêtes austères de son église. Et
pourtant, si c'est un culte que de prier en silence, loin des yeux
des hommes, seule à seule, avec le Christ et l'Evangile ouvert,
si c'est un culte aimé du ciel que de se détacher de soi, ne vivre
que dans autrui, s'occuper sans relâche des souffrances, des in
quiétudes d'autrui, oublier les siennes, appeler à son secours le
Tout-Puissant par une aspiration constante vers la source de la
vérité et de la bonté ; si ce sont là des occupations religieuses ;
si les bonnes actions sont des prières; si la vie ainsi faite est
elle-même une cérémonie pieuse, console-toi! Non! tu n'as pas
vécu ici privée de ton église, mais ton église invisible t'a suivie,
entourée à chaque pas. Exemple d'un christianisme vivant, tu
as célébré chaque jour, dans ton sanctuaire domestique, le culte
d'immolation personnelle qui plaît par-dessus tous les autres au
Dieu de l'Evangile.
Par une force qui devient de plus en plus rare, elle a su con
cilier avec une foi inébranlable dans la tradition chrétienne tout
ce que l'esprit cultivé peut comporter de liberté et de hardiesse.
Élle s'élevait ainsi à une tolérance admirable, pleine de gran
deur, et qui est tout le contraire de l'indifférence; car elle se
sentait près de son Dieu dans toutes les communions chrétiemes.
Protestante, vous l'avez vue souvent prier avec vous dans les
églises catholiques; mais aucune puissance de la terre n'eût ob
tenu qu'elle changeât de communion. Elevée dans les austères
doctrines de Genève, elle avait toute la fermeté du culte réformé
au seizième siècle, unie à la tendresse de cœur, à la puissance
d'émotion de l'église primitive.
« Nous avons trop senti, » disait-elle à son dernier jour; et,
en effet, ce qui la rendait unique à nos yeux, c'était cette cha
rité sociale et privée, cette ardeur, cette fièvre dévorante de
sympathies pour toutes les nobles causes, toutes les émotions
désintéressées, tous les genres d'afflictions, d'infortunes pu
bliques ou particulières, Elle nous montrait à nous, sans le dire,
comment une femme peut allier dans son cœur le zèle des choses
générales avec le sentiment le plus vif, le plus fervent, le plus
constant, pour les joies et les douleurs de la vie intérieure et
domestique.
Chose étrange ! elle avait le don de pleurer sur un peuple
comme sur un enfant. Que de larmes je lui aivu verserensilence
47
sur la France, dans ses heures de détresse, au lendemain de la
défaite, à la veille des invasions ! Ah ! je les ai recueillies ces
saintes larmes, et puissent-elles ne pas tarir dans mon cœur ! »

COMMENT SE FAIT LE BIEN A LA RUCHE POPULAIRE ,

Lorsqu'on nous signale une infortune intéressante, quel


qu'en soit le genre, comme, par exemple, un honnête ou
vrier, père de famille, depuis longtemps sans ouvrage et se
laissant périr lui et les siens plutôt que de révéler sa misère,
alors nous allons le visiter nous-mêmes en qualité de cama
rades et non d'inspecteurs ; puis nous mentionnons le fait
sur un registre en omettant le nom et l'adresse ; et quand
un riche a le beau courage, en le venant consulter, de choi
sir une ou plusieurs infortunes à soulager, alors, par un
carnet à numéros correspondants, nous lui confions les
noms et adresses, afin qu'il puisse aller lui-même répandre
ses bienfaits. -

Nous remercions les personnes généreuses qui, depuis notre


dernier numéro, ont secouru de nos familles. Nous aimons
à citer l'exemple suivant: des employés de la Poste aux lettres
se sont cotisés spontanément pour secourir une des familles
recommandées dans notre numéro précédent.
Nous remercions aussi les journaux qui ont servi notre
oeuvre par leur publicité.

On trouvera au bureau de la Ruche populaire des tableaux


et autres objets d'art et d'industrie destinés à être cédés
au profit des Familles que nous recommandons.
-•e6e66e

CORRESPONDANCE.

Mon cher confrère en amour du bien public,


J'ai reçu avec un indicible plaisir le dernier numéro de la
Ruche populaire, dont la publication, je l'espère, ne sera plus
l,8

suspendue. Enhardi par l'appel qu'elle fait à toutes les opinions,


sans être ni écrivain ni orateur, j'ose vous adresser quelques
pensées que je crois utiles; ce sera mon seul titre à l'indulgence
de votre comité. - - - - - -

La question du jour, la question de tous les temps, c'est de


faire arriver les hommes de bien à la direction des affaires, d'une
manière pacifique, positive et régulière.
Les prétendus orthodoxes (et que cette épithète n'effarouche
personne, il faut laisser à chacun son allure et sa forme, si l'on
veut connaître son fond; le chrétien véritable sait bien qu'on
doit aimer même ses ennemis); à entendre ces orthodoxes, point
de libre examen; de là, aujourd'hui comme dans le passé le tiers
parti taillable et corvéable à merci, et par une conséquence trop
logique, le royaume de Dieu devient uniquement un royaume
d'outre-tombe; de là, à eux le temps, les joies et les délices du
monde, et, pour faire accepter la pilule aux manants, l'Eter
nité bienheureuse pour compensation.
On nous répète souvent ces paroles du Sauveur : Heureux ceux
qui souffrent, parce qu'ils seront consolés ; sans doute, et nous
ne doutons pas de la justice de Dieu; mais Dieu établit-il la souf
france comme condition absolue du bonheur ? La souffrance ac
ceptée, recherchée même comme moyen desalut, cela se conçoit ;
mais, imposée par le puissant, et subie par le faible jusqu'à mou
rir de misère et de faim, cela ne se conçoit pas, et nul prêtre
aujourd'hui n'oserait faire sortir des Évangiles une pareille énor
mité. -

Il faut, suivant ces orthodoxes, recourir à tout propos à son


directeur; ne leurs dites pas qu'il y a ou qu'il y a eu des pou
voirs arbitraires, ils répondront : Rendez à César ce qui est à
César; mais aux belles pages de l'autorité de l'Eglise, Grégoire
VII par exemple; sans parler de l'incontinence des prêtres ré
primée par le célibat, de la simonie détruite dont les souverains
absolus faisaient un moyen de gouvernement, n'a-t-il pas, sur
la plainte des peuples, déposé, et avec raison, ces mêmes sou
verains lorsqu'ils abusaient de l'autorité; est-ce que le droit
d'user implique nécessairement celui d'abuser ? Ainsi on nous
oppose l'autorité de l'Eglise, et c'est nous qui l'invoquons contre
eux. En vain voudrait-on faire du temporel et du spirituel, sous
certains rapports, une † qui n'est pas possible dans la
pratique (1); l'homme ici bas a soif de justice et de liberté dans
(1) Le temporel c'est ce que le temps et les circonstances modifient; le
spirituel c'est ce qui est éternel, immuable ; de là vient que lorsqu'on dit :
« Il ne faut pas que le spirituel se mêle du temporel, » ou bien encore, « Le
royaume de Dieu n'est pas de ce monde, » on manifeste la pensée la plus
anti-sociale, la plus anti-chrétienne qu'il soit possible d'imaginer.
l39

son âme comme dans son corps; si on ne veut pas de l'exercice


de la raison, que signifient alors ces paroles du Sauveur : Cher
chez d'abord le royaume de Dieu, et sa justice, et tout le reste
vous sera donné par surcroït2 Vous nous dites qu'ils ne nous ap
partient pas d'interpréter; est-ce à dire que dans l'Evangile aucune
proposition ne puisse avoir un caractère d'évidence tel, que l'in
terprétation soit indispensable ? Quand vous dites-vous même à
l'endroit de la domination interdite, car c'est sous ce titre que
vous désignez ce passage des paroles du Sauveur : Que celui qui
voudra étre le premier soit le serviteur de tous, est-ce que dans
ces paroles, par rapport à ce qui les précède, vous pouvez trouver
autre chose que le principe d'élection dans sa base la plus large,
. la plus absolue, puisqu'elle s'étend à tous ? Croyez-moi, la foi et
la raison sont sœurs et doivent être unies, elle ne peuvent mar
cher l'une sans l'autre sans se donner la main, et le cœur du
chrétien sait bien accorder la prééminence à qui elle est due ;
qu'on ne cherche donc pas à les isoler, ou bien elles divorceront,
et l'anarchie sera la conséquence de ce divorce; c'est pour ne
pas s'entendre sur cette matière que le monde est bouleversé.
L'Eglise ne prend d'autre part dans ces catastrophes, que celle
de prêcher le maintien de l'ordre établi, après que la victoire
a décidé. L'Eglise, qui ne peut pas périr et ne doit pas périr, a
raison de ne pas se commettre à descendre dans l'arène des par
tis. Sa mission est de conserver intact le dépôt sacré de la loi
immuable de Dieu, et c'est ce qu'elle fait en observant la plus
scrupuleuse neutralité. Mais l'Eglise, en ce qu'elle a d'humain,
participe de la faiblesse humaine, et l'on a vu trop souvent le
clergé abuser lui-même, et faire cause commune avec l'autorité
temporelle des rois absolus et des grands, dans leur système d'op
pression des petits. Ces temps ne peuvent être de longue durée;
les motifs en sont faciles à déduire, ils produisent l'anarchie,
et la société n'arrive à l'ordre qu'à travers une liberté sanglante
qui l'ébranle jusque dans ses racines les plus profondes. On
conçoit combien cet état de choses est contraire aux véritables
intérêts de l'Eglise; disons aussi que le droit d'intervention des
Papes sur les monarchies absolues était fondé sur ces paroles du
Christ à Pierre : « Paissez mes Brebis ; » mais il ne faut pas
croire que l'Eglise, à son état normal, puisse jamais en aucun
cas favoriser l'oppression (1); ce qui le prouve, c'est qu'elle
n'interdit aucune forme de gouvernement ; à plus forte raison
(1) S'il y a un état anormal et si la Providence peut le permettre encore,
ceci est en dehors des prévisions humaines auquel l'homme ne peut rien
que par la résignation et la prière; il n'est cependant pas probable que le
principe électif, le seul indiqué par Dieu et par la nature des choses, puisse
ne pas avoir toujours les meilleurs résultats possibles.
4
50

appuyera-t-elle toujours celui qui sortira directement de l'Evan


gile. Éh bien ! qu'a de contraire l'élection à l'autorité de Pierre,
Pierre institué du Christ, le conservateur, jusqu'à la consom
mation des siècles, de la loi de Dieu qui consacre cette élec
tion, principe qui, suivant l'expression moderne d'une des
lumières de l'Eglise, éléve le commandement des hommes à la
dignité de service public ; encore une fois, il n'est pas possible
de croire que le successeur de Pierre, qui relève du Christ par
l'élection, se fasse jamais sciemment et volontairement l'op
presseur des faibles et des petits, que le Christ appelle à son
royaume; non, et notre cœur nous dit avec notre raison, que
nous ne sommes pas hors de l'Eglise.
Ainsi le Christ, d'une part, nous a dit : « Que celui qui vou
dra être le premier soit le serviteur de tous : » d'autre part,
quand on demande à l'homme à qui il donnerait sa voix pour
élever celui qui doit avoir l'autorité, il répond, au juste; riches
et pauvres sont d'accord sur ce point, et, s'il s'agit de conclure,
riches, vous affirmez que c'est une utopie, que l'homme du
peuple me possède pas le sentiment du juste et de l'injuste, et
le possèderait-il, dites-vous, il n'en ferait aucun usage dans cette
question capitale, ou il serait éternellement dupe du fripon et
de l'intrigant... Messieurs les orthodoxes, nous avons déja ré
ondu à ces arguties, et nous savons sur quoi elles s'appuient.
Malheureusement pour vous, le texte des Evangiles n'est pas
dans vos mains, et Dieu ne permettra pas qu'il soit jamais altéré.
Si nos lecteurs ne voient pas que le concours des pauvres
soit nécessaire quand les riches sont aptes à choisir aussi bien
qu'eux, et, pour beaucoup, mieux qu'eux ; nous expliquerons
comment l'individualisme, bon en lui-même et au tout, est mau
vais à ce même tout quand il ne relève pas de lui ; il s'agit ici
de bien se pénétrer de cette vérité, que la question d'élection
n'est pas pour le peuple une question de science, mais une
simple question de † sens et d'intérêt privé et général tout à
la fois, et qui dérive tout simplement du sentiment et de la no
tion du juste et de l'injuste qu'on ne peut refuser à tout homme,
là où le Christianisme a passé.
VIDAL,
artiste peintre.
•66966

DÉFENSE DU TRAVAIL NATIONAL.

Dans une séance, tenue le 27 décembre dernier dans


l'Association de la Haute-Vienne pour la défense du travail
51

national, M. Talabot, président du tribunal civil de Limoges,


a prononcé un discours très-remarquable. Les conclusions de
ce discours qui repousse le libre-échange, sont toutes en
faveur de la classe ouvrière. Nous allons essayer de donner
une idée, par quelques extraits, des arguments dont il se
sert pour prouver l'utilité du régime protecteur, et que l'un
des ouvriers de la Ruche avait déjà employés dans un ar
ticle sur le même sujet, article publié dans la Gazette de
France du 1" novembre 1846. Nous remercions ce journal
d'avoir admis dans ses colonnes une expression populaire.
Après avoir exposé la doctrine des libre-échangistes qui
ne voient, chez tous les producteurs, qu'une assemblée de mo
nopoleurs et qui font abnégation de tous les ouvriers que les
différentes industries font vivre en leur procurant du tra
vail, M. Talabot s'écrie : « Où sont donc ces consomma
teurs purs qui ne sont pas en même temps producteurs ? En
vérité je ne peux les trouver que dans les rentiers et dans les
professeurs d'économie politique, et encore, pour ces der
niers, n'y aurait-il pas lieu d'examiner s'ils ne sont pas mo
nopoleurs à leur manière et s'il n'y aurait pas profit à tirer
directement d'Angleterre les doctrines dont ils livrent la coû
teuse contre-façon à la consommation française.
« Je vais, continue l'orateur, chercher à établir diverses
propositions à l'encontre de leur doctrine négative :
1° Bien que l'échange des produits entre les hommes, entre
les peuples, soit en quelque sorte commandé par la nature des
choses, bien qu'il soit la conséquence de la diversité des climats,
des terres, des races, des produits, et qu'il entre dans les vues
de la Providence, cependant le droit d'échange, comme tous
les droits qui appartiennent à l'homme en société, a besoin d'être
socialisé, c'est-à-dire limité, modifié et réglé suivant l'intérêt de
diverses nations; et tant que ces nations ne seront pas soumises
à une autorité qui puisse organiser, régler leur rapport unitai
rement, rendre justice à chacun et protéger le faible contre le
fort, jusque-là, dis-je, chaque nation est obligée de subordonner
ses relations commerciales avec l'étranger aux intérêts de sa
puissance, de la défense de son territoire, de son travail et de
sa production ;
2° Les fonctions du gouvernement, en cette matière comme
en toute autre, ne sauraient être purement négatives, elle ne
| sauraient consister à s'abstenir Le gouvernement à qui appar
tient la direction suprême des forces de la nation, qui doit être
sa tête, ses yeux, sa pensée, qui est chargé pour elle de voir,
de prévoir, de juger, doit non-seulement défendre, mais encore
4.
52

encourager, féconder l'industrie et la production nationale par


tous les moyens qui sont à sa disposition.Aussi, le gouverne
ment doit être protectionniste; s'il ne l'est pas, il abdique une
de ses fonctions les plus importantes ;
3° La protection doit être générale et doit protéger l'ensemble
des industries de manière à maintenir, sur tous les points, l'ac
tivité de l'atelier national. Pour cela, il ne faut pas que le tra
vail soit simple, c'est-à-dire réduit à une seule industrie, comme
serait, par exemple, l'industrie agricole; il faut qu'il soit com
posé, c'est-à-dire que toutes les industries soient mêlées, et pour
ainsi dire engrénées les unes dans les autres ;
4° La concurrence entre les nations produit le même effet que
la concurrence entre les individus et les établissements similaires
d'un même pays, elle enrichit quelques individus aux dépens
du plus grand nombre; en un mot, entre les nations comme
entre les individus, la libre concurrence aboutit au monopole ;
5° Quand les luttes commerciales ne sont pas terminées par
la force des armes, la victoire appartient à la nation qui possède
les plus grands capitaux; ou, à capital égal, la plus grande ca
acité commerciale; ou enfin l'industrie la plus développée.
6° Il existe dans le monde une nation qui possède, au-des
sus de toutes les autres, ces avantages réunis, et qui joint à tous
ces avantages celui de maîtriser par sa puissance navale toutes
les communications du monde. Tous les gouvernements qui
conservent quelque sagesse, ou qui ne sont pas réduits à l'im
puissance, prennent et doivent prendre des précautions protec
trices pour préserver leurs industries de la concurrence # Cette
nation ;
7° Le libre-échange avec l'Angleterre entraînerait la ruine
et la déchéance de la France. Dans cette lutte toutes nos indus
tries succomberaient, celles dans lesquelles nous sommes infé
rieurs, celles dans lesquelles nous sommes égaux, et peut-être
aussi celles dans lesquelles nous sommes supérieurs. Le monopole
que l'on reproche à nos industriels nationaux passerait aux
Anglais ;
8° Par suite de la ruine de l'industrie manufacturière, l'in
dustrie agricole tomberait dans la langueur et le marasme, la
propriété serait dépréciée; le trafic passerait dans les mains
des étrangers ;
9° La concurrence qui résulte du libre-échange international
est surtout funeste pour les classes ouvrières, parce que les sa
laires, par l'effet de la concurrence, s'équilibrent en baisse ;
10° Il n'y a qu'un gouvernement frappé de démence qui
uisse consentir à compromettre par la concurrence étrangère
es industries nécessaires à sa puissance militaire.
-
53

M. Talabot développe rapidement ces propositions que


leur importance nous a fait insérer au long; il établit qu'une
fusion commerciale est impossible entre la France et l'An
gleterre, l'antagonisme national s'y opposant, et que la guerre
est encore trop dans nos mœurs pour oser compter sans
elle. D'ailleurs, dit-il, le commerce lui-même ne fait-il pas la
guerre à sa manière? Ne cherche-t-il pas à établir le mono
pole d'une nation au bénéfice d'une autre? L'égoïsme na
tional est-il moins absolu que l'égoïsme individuel ? Les vais
seaux de l'Angleterre sont-ils ceux de la France? Nous aide
raient-ils à assurer nos communications maritimes? Le
budget de l'Angleterre est-il notre budget? Les capitaux des
Anglais sont-ils nos capitaux ? Non, certes. Il n'est personne
qui ne doive reconnaître avec M. de Dombasle que, dans leurs
constitutions actuelles, les diverses nations ne sont que des
agglomérations de sociétés contiguës, sans intérêt commun.
L'orateur, repoussant les arguments que les libre-échan
gistes mettent en avant, arguments sans valeurs parce que
ceux qui les invoquent ne tiennent aucun compte de l'état des
sociétés humaines, conclut que les nations sont tenues de
veiller à la défense de leurs intérêts spéciaux sous peine de
renoncer à l'existence.
Les libre-échangistes, continue-t-il, prétendent qu'en ma
tière de commerce, un gouvernement doit laisser faire au
dedans, laisser passer au dehors (et, à ce compte, il est
facile d'être homme d'état); nous, au contraire, nous soute
nons que le gouvernement doit être le suprême organisateur
du travail national , qu'il doit régler nos rapports avec
l'étranger, et ne pas plus admettre, comme un droit absolu,
la liberté des échanges avec l'étranger qu'il n'admet, comme
un droit absolu et sans limites, la liberté individuelle dans
l'état politique. Tous les droits de l'homme ont besoin d'être
réglés et subordonnés aux nécessités sociales; l'homme ne
peut vivre en société qu'à cette condition.
M. Talabot prouve ici quel intérêt les Anglais ont au ré
gime du libre-échange : l'immense production de l'Angle
terre y gagnerait un nouveau débouché. Comme cette con
currence, contre laquelle il serait impossible de lutter,
ruinerait nos manufactures, les libre-échangistes renvoient
les ouvriers de l'industrie au travail agricole; l'honorable pré
sident du tribunal de Limoges prétend qu'un grand pays ne
saurait être purement agriculteur; selon lui, si les manu
factures périssent, le travailagricole lui-même manquerad'ac
tivité. En effet, dit-il, c'est par le mélange de toutes les
industries que le travail d'une nation est élevé à sa plus
haute puissance. C'est cet état de chose que j'appelle le tra
54

vail composé.Une foule de produits agricoles ne peuvent


supporter les frais d'un transport lointain. Il faut qu'il soient
consommés sur les lieux de la production, et c'est pour cela
que le mélange, l'engrenage des manufactures et de l'agricul
ture, est une condition fondamentale de la prospérité pu
blique.
Le libre-échange avec l'Angleterre, en détruisant nos manu
factures, détruira donc même notre prospérité agricole.......
...C'est, Messieurs, la conséquence de cette loi que je citais
tout à l'heure, et en vertu de laquelle la libre concurrence abou
tit fatalement an monopole. Ce résultat se produit entre les
peuples comme entre les individus; la concurrence entre nous
et l'Angleterre, c'est l'établissement du monopole anglais, car
le monopole commercial, c'est la suzeraineté du capital, c'est
le privilége attaché à la force, à la supériorité en tout genre,
c'est la conséquence de la lutte, c'est le bénéfice de la victoire.
Un auteur que j'ai déja cité, et qui reconnaît cependant que les
monopoles sont inévitables, utiles, nécessaires dans l'état social
où nous nous trouvons, appelle les monopoleurs des faiseurs
de pauvres. Les Anglais sont à ce titre les plus grands faiseurs
de pauvres qu'il y ait au monde. Comme individus, ils produi
sent chez eux-mêmes, à côté de fortunes immenses, des misèrcs
surhumaines; comme peuple, ils travaillent sans relâche et avec
un succès toujours certain à l'appauvrissement des nations aux
quelles ils parviennent à faire subir leur monopole. (Mouve
ment).. .. .. .. .. .. . - · -- ... ... . .. ... ... -- .. -- . . ... ..
.. J'arrive ici, Messieurs, au point peut-être le plus impor
tant de la question, c'est à l'effet du libre-échange sur les sa
laires des ouvriers.
J'ai posé ce principe que, par l'effet de la libre concurrence,
les salaires s'équilibrent en baisse et non pas en hausse, en sorte
que plus vous donnerez à notre industrie des concurrents re
doutables, plus elle devra baisser le salaire des ouvriers, à moins
qu'ellene consente à abandonner tout de suite la lutte, et à laisser
le champ libre à l'industrie étrangère, auquel cas, au lieu d'avoir
un salaire diminué, les ouvriers n'en auront plus du tout.
Un économiste anglais, Ricardo, a, depuis plns de 50 ans,
fait adopter ce principe dont il a très bien démontré l'exacti
tude, savoir : que les bénéfices augmentent ou diminuent en rai
son inverse de l'augmentation ou de la diminution des salaires ;
en sorte que l'entrepreneur d'industrie doit tendre constamnent
à la diminution du salaire, s'il veut augmenter ses bénéfices,
et que cet abaissement, qui pourrait être de sa part purement
volontaire, et dont il doit s'abstenir par humanité, devient forcé,
55

lorsque la concurrence diminue ses bénéfices au point de les


absorber presque totalement.
Les Anglais n'ont jamais perdu de vue ce principe ; ils con
sidèrent leurs ouvriers comme des instruments de travail; ils
se sont constamment appliqués à rendre cet instrument le moins
dispendieux possible. Pour cela, ils ont exigé des ouvriers,
même des enfants, toute la durée de travail qu'il était possible
d'en obtenir; ils n'ont voulu rien réduire sur les heures de ce
travail , et ils ont diminué le salaire autant qu'il leur a été
possible.
Si nous avons à soutenir la concurrence anglaise, il faut que
nos ouvriers subissent les mêmes conditions ; que, de plus, ils
supportent l'abaissement du salaire qui résultera inévitablement,
non-seulement de la concurrence des ouvriers anglais, mais en
core de celle des machines.
Vous le voyez donc, Messieurs, c'est surtout dans l'intérêt
des classes pauvres que nous devons éviter cette lutte mortelle.
Ce que l'on appelle la liberté des échanges n'est, en réalité,
que la liberté du monopole, que le moyen de soumettre le plus
faible au plus fort, de § allX. A§ le monopole de notre
commerce et de notre industrie, et de faire de nous un peuple
de mendiants.
Nous ne pouvons qu'applaudir à cet éloquent plaidoyer
en faveur de la production nationale et par conséquent en
faveur des ouvriers dont les libre-échangistes font peu de cas,
quoi qu'ilsendisent; lesvilles qui ont accueilli le système Cob
den sont celles dont les produits sont tout d'exportation et qui,
par conséquent, ont tout à gagner et rien à perdre.
En prenant ainsi la défense des intérêts des travailleurs,
M. Talabot, qui avait déjà fait connaître sa sollicitude pour
eux par d'importantes améliorations dans le sort des ou
vriers employés dans les établissements qu'il dirige, s'est
acquis un nouveau titre aux sympathies de tous.
Ernest JoINDr,
compositeur.

AssOCIATION
DEs ARTIsTEs PEINTREs, scuLPTEURs, ARCHITECrEs, GRAvEURs
ET DESSINATEURS. -

Cette société de secours mutuels, fondée en 1845 entre tous


les artistes de Paris, des départements et de l'étranger, a
56

publié son règlement. Nous l'avons lu et relu. Nous le croyons


imparfait. Il est dit, dans un article, qu'on apportera aux
statuts toutes les modifications que l'expérience aura démon
trées nécessaires. Nous appuyant sur cet article, nons don
nons aux artistes notre part d'expérience.
L'association, principe excellent, dont on apprécie juste
ment les bons résultats, est appelée à devenir la loi sociale.
Par la raison que c'est un Principe d'avenir, il faut toujours
l'appliquer en vue des divers intérêts et de la dignité de
l'homme. Toute association nouvelle doit répondre à une
tendance, accomplir une réforme, soit dans les mœurs, soit
dans la politique, soit dans le travail; autrement, à quoi sert
de changer ?
Les rédacteurs de l'acte de société des artistes ne nous pa
raissent pas avoir satisfait à cette loi du progrès. On y re
marque de bonnes intentions, elles abondent même; mais
l'exécution, qui nous semble hâtée, ne se rapporte pas suffi
samment à ces bonnes intentions. Le principal défaut de cette
œuvre, c'est l'arbitraire; lorsqu'au contraire, dans une affaire
si délicate, tout doit être bien prévu, bien ordonné, afin que
chacun connaisse ses droits et ses devoirs, et ne dépende
pas du bon plaisir du premier venu.—Pour qu'il y ait mu
tualité, fraternité, comme on le désire, il faut aussi qu'il y
ait égalité dans tout, c'est-à-dire, les devoirs et les droits
doivent être les mêmes pour tous. Nous allons voir que cette
règle n'est pas observée, tant s'en faut. —Nous sommes gui
dés, dans cet examen, par les règlements des ouvriers, qui
ont résisté à l'expérience de deux siècles.
ART. 10. La cotisation est fixée à 1 fr. par mois pour les
membres du Comité, et pour les simples sociétaires à 50 cent.
par mois.
La cotisation est trop faible. On peut sans dommage l'éle
ver à 1 fr. pour tous les sociétaires, qu'ils soient ou non du
Comité. Dans toutes nos sociétés populaires, elle n'est pas
moins d'un franc par mois; la plupart la portent à 2 fr.,
d'autres à 3 fr; il en est une qui exige 9 fr.
ART. 12. L'assemblée générale sera convoquée chaque an
née, etc.
Les assemblées générales produisent un grand bien; elles
57

sont une occasion de rapprochement, d'union entre tous les


sociétaires : les rapports s'établissent; on se renseigne et on
s'entr'aide en tout ce qui touche au travail. Les assemblées
ne pouvant qu'être très-utiles aux sociétaires, il est bon de
les multiplier. Les ouvriers se réunissent quatre fois l'an; on
ferait bien de les imiter.
5° paragraphe. Il sera donné avis, dans un journal politique
et dans un journal traitant spécialement des arts, au choix du
Comité, tant de la réunion annuelle que des réunions qui pour
raient être provoquées dans le courant de l'année.
Un autre moyen, beaucoup plus simple et plus régulier,
est en usage parmi nous. On fixe, une fois pour toutes, l'un
des quatre dimanches du mois dans lequel la réunion doit
avoir lieu. Ce moyen remplace avec avantage la publication
dans un journal.
ART. 15, 6° paragraphe. Le Comité est appelé : à délibérer
sur les demandes d'admission ou de radiation, sur les demandes
de secours et sur toutes les mesures à prendre dans l'intérêt de
l'association.

Il est dit ici que le Comité peut admettre ou radier, déli


bérer sur les demandes de secours, ce qui implique le droit
d'accorder ou de refuser les secours. Le comité prend là une
grave responsabilité. Sur quoi s'appuye le refus de secours,
car quiconque les réclamera croira y avoir droit, ayant tou
jours donné ses cotisations? Les membres du comité se pro
posent donc de visiter moins le malade, moins l'infortuné,
que la demeure, le mobilier, et, l'enquête faite, décideront
arbitrairement si les secours seront ou ne seront pas déli
Vrés.-Cela n'est pas digne du principe sur lequel repose l'as
sociation des artistes. Vous vous unissez au nom de la fra
ternité , et vous débutez par mettre en suspicion ceux qui
répondent à votre appel. Ne voyez-vous pas que vous chan
gez la mutualité en aumônes, et qu'un refus de secours mor
tifiera cruellement celui qui en sera l'objet, la victime ? Cette
clause vous aliénera des sociétaires qui se respectent; elle
mettra la division parmi vous. Nous vous engageons vive
ment à changer cela. Vous avez établi une cotisation uni
forme, créez maintenant une subvention uniforme à laquelle
tous les sociétaires malades auront également droit. De cette
58

manière, on ne commettra pas d'injustices, et on ne soulè


vera pas de fâcheuses récriminations.
7° paragraphe. Le Comité a le droit de prononcer la dé
chéance de l'un de ses membres. -

Ce droit de déchéance, sans garantie pour l'exclu, convien


drait à un comité infaillible, inaccessible aux passions, inca
pable d'erreur, surtout quand il est juge et partie. En sup
posant parfaits les membres du comité présent, qui peut
répondre de ceux qui leur succèderont? Le comité doit pou
voirsuspendre, dans l'intérêt général, les membresquiferaient
ou seraient supposés faire tort à la société; mais le droit d'ex
clure n'appartient qu'à l'assemblée qui juge après avoir en
tendu les deux parties.
10° paragraphe. Ainsi le Comité s'occupera de la perception
des cotisations et de la manière la plus convenable pour y ar
river, de l'organisation sur une plus vaste échelle au fur et à
mesure de son extension, du loyer et des nominations et ap
# des personnes qu'il conviendrait d'employer à
'œuvre qu'on se propose de constituer.
Le comité prétend tout faire, sans encourir aucune res
ponsabilité, comme nous le verrons plus loin. Il organisera,
ainsi qu'il le dit, la société sur une plus vaste échelle; il dé
cidera des prix du loyer, créera des places, nommera les em
ployés et déterminera les appointements. Le pouvoir que le
comité s'attribue nous semble exorbitant. Si tous les membres
y réfléchissent bien, ils reconnaîtront qu'il y a danger à
donner à quelques-uns le pouvoir de tout faire sans contrôle.
Les simples sociétaires ne seront pas longtemps satisfaits
de cet état de choses. En vérité, la société n'a rien prévu.
Le seul rôle qui convienne au comité d'une association de ce
genre, c'est l'observation fidèle des articles du règlement,
rien de plus.
14° paragraphe. Attendu que les fonctions du Comité sont
purement officieuses et n'entraînent aucune gestion ni respon
sabilité, par le seul fait de la réunion de l'assemblée générale
annuelle et de la nomination du nouveau Comité, tous les
membres sortant sont et demeurent, de plein droit, entièrement
déchargés et dégagés de toute responsabilité, sans qu'il soit be
soin d'aucune décharge, de quelque nature que ce soit.
59

Nous voyons plus haut que le comité est le seul maître de


tout faire, et on dit ici que ses fonctions n'entraînent aucune
gestion ni responsabilité! Il y a évidemment erreur. Le co
mité est absolu, il doit subir la responsabilité de ses actes. Il
ne peut être dégagé ni déchargé par le seul fait de l'assemblée
générale, sans qu'il soit besoin d'aucune décharge, de quelque
natureque ce soit. Il est dégagé après avoir soumis ses comptes
à l'assemblée, établi la balance entre ses recettes et ses dé
penses, enfin après avoir exposé sa conduite. C'est ainsiqu'on
agit chez les ouvriers, et ce que nous faisons ne vous est pas
impossible. En supposant même que les statuts n'ordonnas
sent pas de reddition de compte, le comité, pour l'acquit de
sa conscience, devrait exiger une vérification.
ART. 14. Si dans le cours de la société, l'expérience démon
trait que des modifications dussent être apportées aux présents
statuts, le Comité seul est investi du droit de faire ces modifica
tions, qui, par le fait de l'approbation de la majorité absolue
des membres du Comité, feront partie des présents statuts, etc.
Nous retrouvons encore ici la prétention du comité à re
faire seul le règlement par sa majorité. Nous doutons que les
sociétaires soient satisfaits de cet éternel arbitraire qu'on ren
contre à chaque ligne. On semble craindre l'esprit, l'influence
des sociétaires; le comité seul gèrera, transformera le règle
ment, selon ses inspirations; mais personne n'accepte de
responsabilité. Nous engageons les artistes à revoir leur rè
glement défectueux. Ils parviendront facilement, s'ils le veu
lent, à créer une société modèle et riche surtout ; car ils
peuvent compter sur les sympathies de tout le monde, eux
qui sont toujours les premiers à concourir à tous les actes de
bienfaisance.
Maintenant que notre examen est terminé, lecteur, faites
nous l'honneur de nous suivre plus avant, peut-être trouverez
vous à glaner quelques idées utiles.

DES INSTITUTIONS FRATERNELLES DANS LA TYPOGRAPHIE.

J'appartiens à cette profession, et je l'aime. Je l'aime,


parce qu'elle exige l'exercice de l'intelligence et parce que mes
60

collègues ont l'esprit indépendant et le cœur sur la main,


selon une expression énergique du peuple. — La fraternité
n'est pas seulement comprise parmi nous, elle est pratiquée,
et au delà du possible.
Quelques mots sur les typographes sont nécessaires, ils
feront apprécier la valeur des sacrifices qu'ils s'imposent pour
s'entr'aider.
Les deux années qui ont suivi la Révolution de juillet ont
été très-malheureuses aux ouvriers typographes ; le travail
a manqué complétement pendant ce laps de temps ; il y a eu
une misère excessive, supportée avec un grand courage,
assez commun, du reste, dans le peuple. Ce sont là des
mystères non-seulement pour le grand monde, mais que les
hommes politiques et les économistes ignorent; ces derniers
surtout parlent toujours, d'une certaine façon, des intérêts
des ouvriers, sans en rien connaître. Il faut leur rendre cette
justice qu'ils sont, en ce qui concerne la classe ouvrière,
d'une ignorance crasse. Ils n'en sont pas moins affirmatifs
dans leurs énonciations. Qu'importe, ils ne cherchent pas la
vérité.
En 1833, l'imprimerie ressuscita; le travail fut abondant;
l'année suivante n'a pas été moins bien partagée; mais 1835
n'eut pas le même bonheur, il y eut ralentissement, et
d'année en année, le travail est devenu plus rare. Cette di
sette de travail fut encore aggravée par la diminution du sa
laire, attaqué chaque jour et sur tous les points à la fois.
Une diminution de prix avait-elle lieu quelque part, aussitôt
les maîtres s'appuyaient sur ce fait accompli pour établir un
niveau. C'était doublement inquiétant. Il ne dépendait pas des
ouvriers typographes de créer du travail, mais ils pouvaient
s'opposer à ce qu'on touchât au taux de leur salaire. Il fal
lait du dévouement, des sacrifices, de l'abnégation. Ils don
nèrent de tout cela autant qu'il en fallut. La cause fut gagnée.
Alors une alliance s'établit entre les maîtres imprimeurs
et les ouvriers. On discuta ensemble les prix, et il résulta
de ces discussions un tarif adopté dans presque toutes les
imprimeries les plus considérables.
On institua, en outre, un tribunal de prud'hommes qui
juge les différends qui lui sont soumis, tribunal libre, sans
61

pénalité, composé d'ouvriers et de maîtres en nombre égal,


selon la justice. C'était bien. Mais le travail est toujours
rare Tantôt hu Cºnts ou cinq cents ouvriers en sont com
plétement privés pendant des mois entiers. La situation est
dure, les privations de tous les jours, mais le corps ne s'y ha
bitue pas. Ce qu'on souffre dans cette position, il faut le de
viner, car la fierté est ingénieuse à garder ses secrets.

Tel est le rapide et exact tableau que nous devions pré


senter. On voit, par les conséquences, que la Révolution, en
ce qui touche les travailleurs imprimeurs, n'a été que mal
heureuse.A cet égard, on est unanime pour reconnaître à la
Restauration une grande supériorité. Si encore on eût ac
cordé, comme compensation , quelques droits politiques ;
mais rien de semblable n'a été fait. Sous ce rapport aussi on
a perdu, c'est-à-dire, le peuple a perdu. Il n'a guère que la
liberté de réfléchir ! qu'il en use donc.
Le gain de la journée des typographes, pris annuellement,
à part les exceptions qui ont plus et celles qui ont moins,
s'élève à environ trois francs. Le nombre des ouvriers est
porté à trois mille; les deux tiers suffiraient amplement. Ces
conditions ne sont pas brillantes sans doute; mais elles n'em
pêchent pas les ouvriers qui les subissent de concourir à des
actes, je ne dirai pas de philanthropie, le mot est usé par les
spéculateurs, mais à des actes de fraternité.
Presque tous les typographes font partie de sociétés de se
cours mutuels extérieures. Ces sociétés sont générales ou
exclusives : les premières reçoivent indistinctement de toutes
les professions, les secondes se composent d'ouvriers appar
tenant à une seule profession. On opte librement pour celle
ci ou celle-là. — La cotisation mensuelle est de 1 fr., 1 fr.
50 cent., 1 fr. 75 cent., 2 fr. chez la plupart. La subven
tion qu'on accorde au malade varie selon la mise ; elle est
ordinairement de 2 fr. par jour. Cette subvention est de droit,
sans conteste. Le malade n'a pas à s'en inquiéter. On la lui
porte. Quand un sociétaire meurt, quelques-unes de ces so
ciétés font les frais des funérailles, on donne une somme de
cent francs à la veuve, et des sociétaires assistent à l'enter
Tement.
62

Un grand nombre de ces associations ont établi des rentes


en faveur des vieillards.
n'accorde pas à l'un ce
Rien n'est laissé à l'arbitraire. On
qu'on refusera à l'autre, jamais; l'égalité la plus complète
règne dans ces sociétés.Aux réunions trimestrielles, tous les
actes sont racontés dans leurs détails ; l'état de la caisse, ce
qu'on a reçu ou dépensé, tout est soumis à l'examen des
sociétaires. Il serait à désirer que les finances publiques
fussent administrées avec cet ordre et cette honnêteté, Les
fonctions des membres du bureau ne sont pas rétribuées :
écritures, courses, pertes de temps, tout est fait gratuite
ment par les ouvriers eux-mêmes. On ne voit pas, à la tète
de ces associations, de ces personnages qui daignent laisser
inscrire leurs noms, et consentent à partager la gloire que
d'autres ont méritée. -

Il existe, en outre, dans presque toutes les imprimeries,


des sociétés que j'appellerai intérieures, parce qu'elles n'ac
ceptent pas de sociétaires étrangers à l'atelier. La cotisation
et la subvention sont les mêmes que dans les sociétés exté
rieures ; mais là s'arrêtent leurs prétentions qui sont plus
modestes. Cependant on n'a pas cru devoir en rester là. On
a créé à part une caisse dite de correspondance, qui a bien
son importance. L'institution est nouvelle et toutes les im
primeries n'en sont pas encore pourvues. C'est une ques
tion de temps. Voilà le but de cette organisation :
Quand les ressources d'un de nos confrères sont épuisées
par une longue maladie ou par d'autres causes, ses amis,
qui connaissent sa position, en for t part aux ouvriers de
l'atelier où il travaillait. Alors on envoie des lettres à toutes
les imprimeries correspondantes, et chaque imprimerie fait
remettre à une personne désignée la somme ordinaire de
trois francs. On obtient ainsi de 130 à 150 fr.
L'ouvrier qui se tient en dehors de ces sociétés n'est pas
pour cela abandonné. Il use d'un autre moyen. Il s'adresse
à l'un de ses confrères à chaque imprimerie, dit le motif
qui l'amène; on le communique à tous, et sur-le-champ, en
son absence, on fait une collecte qui produit plus ou moins.
Ces collectes se renouvellent souvent, même en faveur
d'étrangers à la profession typographique.
65

Ce n'est pas tout. Quand ces moyens de venir en aide aux


infortunés sont épuisés, on organise des bals ou des soirées
dramatiques à leur profit.
· Il nous reste encore beaucoup à dire, d'autres institutions
à faire connaître ; nous les réservons.
Toutes ces choses que nous avons déroulées sous les yeux
du lecteur se font simplement, naturellement, sans préten
tion à quoi que ce soit, pour le seul bonheur d'être utile. Ce
que nous disons des imprimeurs et des compositeurs, ces
deux branches attachées au même tronc, nous le pourrions
dire de beaucoup d'autres professions non moins sympa
tiques.
Voilà le Peuple, ses actes, son cœur. Il donne l'exemple
de l'ordre, du sacrifice, du dévouement, sans se préoccuper
de ce qu'on en pensera au dehors. On le calomnie de toutes
parts, chaque jour, et il laisse dire. Est-ce dédain ? est-ce
mépris? C'est qu'il a foi en lui-même , en son droit, en sa
force, en la justice.
En vérité, ceux qui désespèrent du Peuple n'ont pas la
- COUTANT,
ouvrier typographe.

M. DEvIGNE, fermier à Preuilly (Seine-et-Marne), l'un


de nos cultivateurs les plus éclairés, amène sur le marché de
Donnemarie, depuis la cherté excessive des grains, une cer
taine quantité de blé froment, très-bonne qualité, qu'il vend
toujours de 6 à 8 francs au-dessous du cours. Cet honorable
cultivateur a le soin de ne le donner qu'aux ouvriers chargés
de famille, et encore s'y prend-il de façon que tous en ont
selon leurs besoins et pour l'argent dont ils peuvent disposer.
(SIÈCLE, 25 février 1847.)

Le prix du pain monte, monte toujours, comme la marée


autour du voyageur perdu dans les rochers. Mais le peuple
n'a pu aller au-devant du péril; il n'a pas été libre de pré
venir le fléau qui le frappe sans pitié. Le peuple est en tu
telle.
(SIÈCLE du 12 mars 1847.)

Le blé, qui s'était déjà élevé à un prix exorbitant sur le


marché de Boulogne-sur-mer, y a manqué, le 5 mars, presque
64

complétement. En présence d'un si menaçant état de choses,


quatre de nos premières maisons de commerce, M. Al. Adam,
L. Fontaine, Chauveau-Sire et Ach. Adam, ont fait un fonds
de 200,000 francs, et commis M. L. Fontaine fils pour aller
immédiatement en Angleterre faire des achats de grains.
L'intérêt de la cité a seul guidé ces quatre maisons, car elles
ont déclaré que, s'il y avait bénéfice dans l'opération, il serait
versé au bureau de bienfaisance; que, s'il y avait au con
traire perte, elle serait supportée par MM. Fontaine, Chau
veau et Adam. Qu'une semblable conduite fasse des imita
teurs ; le moment est arrivé de fournir des témoignages de
charité et de désintéressement.
(LA SEMAINE.)
•->

VOEU DU COMITÉ.

Les ouvriers composant le comité de la Ruche populaire


se sont proposé de répandre, de propager parmi les travail
leurs, sans les leur faire payer, les exemplaires du journal. Ils
espèrent atteindre ce but en réalisant un nombre suffisant
d'abonnements à 6 fr. (c'est-à-dire par des souscripteurs
pris en dehors de la classe ouvrière).
De plus , la Ruche étant dégagée de patronage, les per
sonnes qui désirent concourir particulièrement au soutien
de ce libre organe peuvent s'adresser à M. AUMON-THIÉ
VILLE, Notaire, boulevard Saint-Denis, 19, où elles trou
Veront un registre ouvert à cet effet.
->-9-9-9-9-© ©-m--

ALVÉOLES.
Vers la fin de mai 1846, MM. Champanhet et Boissy
d'Anglas accostèrent M. de la Rochejaquelein, à la Chambre
des Députés; et, faisant allusion à la soirée que ce dernier
avait donnée pour l'œuvre de la Ruche, l'interpellèrent ainsi :
« Qu'est-ce que nous avons entendu dire, Monsieur le mar
quis, que vous voulez laver les mains du Peuple, au risque
de salir les vôtres?...
—Je les salirais si je vous les donnais, » répondit le mar
quls.

« Que celui qui voudra être le premier, soit le serviteur


de tous.... »
LE CHRIST.

Le Gérant, F. DUQUENNE.
lmprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.
TABL E.

Recommandation d'infortunes intéressantes. ...................... ... .


LE LIvRET. Reconnaissance du gouvernement de 1830 envers le Peuple......
Mot de Cicéron.. ............ © º • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • e • • e • • e • •

Imprévoyance déplorable. ................. .... ... .................


Mystères des ateliers (Suite, voir les Numéros précédents.) — L'ouvrier ter
rassier. — Lettre de MM. Gillessen, Ch. Vitry, et Mme Ve Delaunoy......
M. Léon BoNNET, artiste peintre............ • • • • • - • • • • • • • • • • • • • • • • • •

SITUATIoN DEs FRANçAIs. (Extrait du Hachych, par le D" LALLEMAND, de l'Institut)


Obsèques de Mme V° QUINET.............. © • • • e - • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

OEuvre de fraternité. ................ e • • • e • e • • • • • • • • e • • • • • • e • • • • • •

Remercîments aux bienfaiteurs et aux journaux .......... .. © • • • • • • • • • • •

Tableaux et autres objets d'art pour les familles................... • • • • •

Correspondance. — Lettre de M. VIDAL, artiste peintre..... • • • • • • • • • • • •

Défense du travail national. (A propos du libre-échange), par M. Ern. JoINDY,


compositeur.. .. .. .. • º • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • e • • • • • • • • • • 50
Association des artistes peintres, sculpteurs, architectes, graveurs et dessina
teurs, par CoUTANT, typographe........... • • • • • • • • • • e • • • • • • • • • • • • • 55
Des institutions fraternelles dans la typographie, par CoUTANT. ..... 9 • • • • • 59 .
Humanité de M. DEvIGNE, fermier, à Preuilly. (SIÈCLE du 25 fév.)......... 63
Le Peuple en tutelle. (SIÈCLE du 12 mars.).......... ... .............. 63
Philanthropie des autorités boulonnaises............... .. . º • • • • • • • • • • • 64
Vœu du comité, et concours au soutien de la Ruche, chez M. AUMoN-THIÉvILLE,
notaire, boulevard Saint-Denis, 19.............................. • • • 64 '
ALvÉoLEs. MM. Champanhet, Boissy d'Anglas et de la Rochejaquelein. — LE
CHRIST. .. ... • • • • • • e • • e • e • e • e • e • • • e • e • e e e s • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 64

--38 >-

PRIX DE L'ABONNEMENT.

[A PARIs : 6 fr. par an.


3 fr. pour les Ouvriers.
DÉPARTEMENTs : 7 fr. par an.
4 fr. pour les Ouvriers.
HoRs FRANCE : 104fr. par an.
6 fr. pour les Ouvriers.
Chaque numéro, à l'ouvrier, 25 centimes. - Il peut s'abonner
par trimestre ou par semestre.

(Affranchir.)
LA RUCHE PoPULAIRE, qui date de décembre 1839, forme tous
les ans un volume de 3 à 400 pages.

On s'abonne à Paris,
Au Bureau de la Ruche, rue Vieille-du-Temple, 75, au Marais.
Chez M. BoRDiER, libraire, même rue, n. 75 (Dépôt du journal.)
Aux bureaux de la RÉFoRME, rue J.-J.-Rousseau, 3.
Aux bureaux de la DÉMocRATIE PACIFIQUE, rue de Beaune, 2.
MM. AsTIER, libraire, rue Saint-Louis, 47, au Marais.
DAUGREILH, libraire et cabinet littéraire, faub. Saint-Honoré, 62.
GUENARD (Alex.), librairie de piété, rue Royale-Saint-Honoré, 17.
LEBLANC, libraire et cabinet littéraire, rue Rambuteau, 75.
LEGRos, salon littéraire de la Chambre des Députés, rue de Bourgogne.
Librairie théâtrale, rue de Grammont, 14.
MANSUT, libraire, rue Saint-André-des-Arcs, 30.
PERRoTIN, libraire éditeur, rue Fontaine-Molière, 41.
Aux Bureaux du 1'iLoTE GERMANIQUE, rue Saint-Antoine, 87.
H. SOUVERAIN , libraire, rue des Beaux-Arts, 5.
Au bureau de la Colonne, 22, rue Saint-Antoine.
A la Société de la Morale chrétienne, 9, rue Saint-Guillaume.
On souscrit aussi

LYoN, à la Tribune lyonnaise, revue politique et sociale, 53, r. S. Jean.


Id. au bureau de l'Echo de la Fabrique, à la Croix-Rousse, gr. Place.
Id. au Répertoire Lyonnais, place Saint-Nizier, 4
Id. Office de correspondance, 9, rue Sirène.
ARRAs, au bureau du Progrès-du-Pas-de-Calais, et chez ToPINEAU, libr.
ANGoULÊME, au bureau de l'Indépendant, journal politique et littéraire.
BÉZIERs, au bureau du Journal de Béziers. '-

EVREUx, au bureau du Courrier.


SAINT-OMER, au bureau de l'Eclaireur.
ORLÉANs, au bureau du Foyer-du-Loiret.
RoUEN, à la Société libre d'Émulation.
SAINT-QUENTIN, au bureau du Guetteur.
Id. au bureau du Courrier.
RoANNE, au bureau du Progrès-de-la-Loire.
AviGNoN, au bureau de l'Indicateur.
CALAIs, au bureau de l'Industriel Calaisien.
GRENoBLE, au bureau du Patriote des Alpes.
CHARLEVILLE, au bureau du Propagateur des Ardennes.
SAINT-MALo, au bureau de la Vigie de l'Ouest.
LA CHATRE, au bureau de l'Eclaireur (Indre).
BLoIs, à l'Etoile-du-Peuple, chez M. Dézairs-Blanchet, libr., gr. r., 67.
ToULoN, au bureau dela Sentinelle de la Marine et de l'Algérie.
VEvEY (Suisse), au bureau de la Patrie, gazette politique et sociale.
TURIN ( Savoie), au bureau de la Gazette de l'Association agricole.
MADRID (Espagne), Libreria Europea, calle de la Montera , 12. (Bul
letin bibliographique espagnol et étranger.)
WAsHINGToN (Amérique), au National Intelligencer, au The Daily
Union, et à la Société typographique colombienne.
On reçoit au bureau de la Ruche les abonnements à tous les journaux
ci-dessus mentionnés.

Imprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


RUCIIE P0PULAIRE
Première Tribune et Revue Mensuelle

RÉDIGÉE ET PUBLIÉE

PAR DES OUVRIERS

SOUS là dlIttii0n

DE FRANÇOIS DUQUENNE
Ouvrier imprimeur.

NEUVIÈME ANNÉE. — MARS.

PARIS
AU BUREAU, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE, 75,
AU MARA1S.

18l.7
PROG R A MIMIEe

Le but principal de la Ruche populaire est d'indiquer les misères


cachées aux riches bienfaisants. Elle ouvre en outre aux ouvriers une
tribune où chacun d'eux peut faire entendre ses justes réclamations,
exprimer ses vœux légitimes, ses espérances d'amélioration. Or
telles sont aujourd'hui la multiplicité et la divergence des doctrines
sur toutes choses, qu'on ne saurait s'attendre à trouver parmi les
écrivains de la Ruche l'unité d'opinions, qui n'existe nulle part. Le
but de notre recueil n'est donc, sous ce rapport, que de faciliter
l'intervention des Hommes de travail dans la discussion des moyens
propres à remédier à des maux universellement avoués. En leur
laissant une pleine liberté d'exprimer leurs idées, elle leur en laisse
aussi toute la responsabilité, se bornant à exiger d'eux, avec un
ton décent, le respect que l'on doit toujours à la morale publique.

A NOS FRÈRES.

Nous voulons dire au plus malheureux de nos frères gémissant


sur la voie publique, ou bien abandonné dans son grenier :
« Te voilà sans travail, et tu en demandes; tu es sans logement,
» sans vêtements, sans nourriture; incertain du lendemain ou sans
» Providence, aucune main amie ne vient toucher la tienne, donc
» tu as à te plaindre. Eh bien, si ta plainte est digne, viens nous
»l'apporter; il ne t'en coûtera rien pour l'imprimer; et tu parleras
»à la Société, n'étant justiciable en ceci que de la majorité de tes
» frères d'infortune. »
LA

RUCHE POPULAIRE
(# # #E$B U $ $8)

« Secourir d'honorables infortunes qui se


« plaignent, c'est bien ; s'enquérir de ceux
« qui luttent avec honneur, avec énergie, et
« leur venir en aide, quelquefois à leur insu ;
« prévenir à temps la misère ou les tenta
« tions qui mènent au crime..., c'est mieux.»
(RoDoLPHE, dans les Mystères de Paris.)

Nous recommandons à l'Évangélique Fraternité ces infor


tunes intéressantes :

Une famille dont le père, homme de peine, chargé de six


enfants et blessé à la main, est depuis longtemps privé des
ressources du travail ; lui, son épouse et ses enfants sont
dépourvus de tout.
Une autre famille composée d'une veuve et de quatre en
fants dont l'aîné est infirme, et les autres sont trop jeunes
pour soutenir leur mère, souvent malade.
Suivent les autres infortunes inscrites sur notre registre.

IX° ANNÉE de cette 1re tribune des ouvriers. - Mars 1847. 5


66

LE TRAVAIL ET LEN TRAVAILLEURS.


I.
-- APPRENTISSAGE.

C'est un moment solennel pour ceux qui se disposent à


choisir un état à leur enfant.
Quel métier lui donner ?
Combien d'années exigera-t-on pour lui apprendre ce mé
tier ?
Sera-t-il bien traité et par le maître et par les ouvriers ?
Ne l'exploitera-t-on pas au profit de la maison ?
L'apprentissage terminé, l'enfant sera-t-il capable de ga
gner suffisamment pour toutes ses dépenses ?
Combien de temps dure la morte-saison, cause principale
de découragement et de misère parmi les ouvriers ?
Le salaire est-il en rapport avec les charges de l'ouvrier et
de sa famille ? -

Ne doit-on pas craindre l'introduction de mécaniques qui


font baisser le taux du salaire et enlèvent le travail à un cer
tain nombre d'ouvriers ? (1)
Telles sont les questions qui se dressent, terribles, devant
le père et la mère, lorsqu'un de leurs enfants atteint l'âge
de treize à quatorze ans.
Il est bien des familles, pourtant, qui, accablées par la
misère, n'attendent pas, pour leurs enfants, l'âge de quatorze
ans. On les jette dans les ateliers, dès l'âge le plus tendre,
pour quelques misérables sous. Pauvres enfants qui ne con
naissent de la vie que les souffrances, les privations sans
nombre, et qu'on accuse de ne pas pratiquer toutes les ver
tus, eux qui n'ont reçu ni éducation, ni instruction. Il y a
bien une loi sur le travail des enfants dans les manufac
tures, mais qui s'en occupe ? qui est chargé de dévoiler les
délits ? Dans tous les cas, cette loi ne résout rien; c'est une
négation. Elle défend l'entrée de l'atelier à l'enfant, il reste
dans la rue; voilà la conséquence de cette loi.
L'apprentissage est donc une question éminemment grave;
tout l'avenit de l'enfant en dépend,
Maintenant : doit-on laisser les choses en cet état, dans
(1) Pour faire le choix intelligent d'une profession, il faudrait posséder
des renseignements sur tous les états, savoir quelle profession a trop d'ou
vriers, et laquelle en manque. Ce travail est facile à faire dans tous les dé
partements; mais le gouvernement ne l'entreprendra jamais. — C'est au
Peuple à prendre l'initiative ; nous dirons un jour comment.
•67

l'attente d'une réforme complète de toute la société ? Nous


ne le pensons pas.
N'est-il pas préférable d'aller du simple au composé, de
procéder par des réformes partielles qui concourent à un
but final que toute société doit se proposer ? — Cela nous
paraît sage. -

Jusqu'à treize ou quatorze ans, l'enfant doit recevoir une


instruction élémentaire; grâce à ces éléments, s'il le désire,
il pourra acquérir par l'étude, pendant les instants qui lui
appartiendront, une instruction plus complète et la connais
sance des droits et des devoirs sociaux qui en feront un ci
toyen intelligent et utile. Pendant ces quatorze années pas
sées en liberté, le corps de l'enfant se développe, se forme et
prend des forces qui lui seront indispensables pour suppor
ter les durs et pénibles travaux qui sont le lot de tout ou
VrIer.

La profession choisie, quelles sont les conditions d'appren


tissage? On rencontre ici un grand désordre. Chaque état a
ses conditions; en outre, chaque maître a les siennes.
Les uns conservent les anciens usages des maîtrises et
jurandes, les autres n'ont de règle que leur volonté ; mais,
en général, les contrats d'apprentissage n'existent pas; on
traite verbalement, et il arrive souvent que, de part et d'au
tre, on rompt avant le temps, à propos de choses graves ou
futiles.
Dans une même profession, tel maître exigera trois ans,
tel autre cinq ans, sans que ces différences soient basées sur
une raison quelconque. Souvent, c'est une affaire de spécu
lation. Il est des maîtres qui ne prennent jamais d'ouvriers,
ils se contentent d'apprentis qui se succèdent; et ces appren
tis trouvent difficilement du travail dans d'autres ateliers, à
cause de leur inexpérience ou de leur incapacité. Il arrive
quelquefois à ces jeunes ouvriers d'être réduits à recommen
cer un second apprentissage; d'autres fois on leur offre un
salaire dérisoire. C'est ainsi que, faute d'une organisation,
le temps, la seule richesse de l'ouvrier, se trouve gaspillé;
et les parents, qui sont eux-mêmes des ouvriers soumis à
d'autres vicissitudes, sont obligés de nourrir et d'entretenir
ce jeune homme jusqu'à l'âge où le pays s'en empare pen
dant sept ans ! 5.
68

Que faire à cela ?


1° Qu'aucun maître ne puisse prendre d'apprenti (si ce
n'est à l'essai, pendant un temps donné) s'il ne s'est soumis
aux conditions qu'une loi prescrirait ;
2° Que le temps de l'apprentissage soit limité;
3° Que le maître occupe chez lui, six mois ou un an, et
aux conditions de salaire faites aux autres ouvriers, le jeune
homme qui aura rempli ses engagements d'apprenti.
II.
B U R E A UX D E P L A CEMEN T.

L'ouvrier à la recherche du travail.

L'apprentissage réglé, tout n'est pas fini.


Jusqu'à présent, aucune responsabilité n'a pesé sur le
jeune homme; ses parents ont pourvu à tous ses besoins ;
ils ont fait les sacrifices possibles ; leur dette envers l'enfant
et la société est complétement acquittée ; ils ont le droit de
se croire délivrés de charges pesantes, qu'ils auront à renou
veler, du reste, à l'égard des autres enfants.
La vie devient donc sérieuse et très-sérieuse pour le jeune
homme. S'il n'a pas de propriété, le travail est sa seule res
source. Qu'il le veuille ou non, la société ne lui laisse pas
le choix : il travaillera chez les autres et pour les autres; et
sur le produit de son travail, la plus faible part, insuffisante
souvent, toujours peut-être, lui est accordée, s'il ne préfère
toutefois cette autre ressource que nous avions oubliée, mais
que les économistes des gouvernements chrétiens n'ont pas
omise, le suicide !
| Ainsi, la société dit à tout membre qui naît pauvre : tu
travailleras pour vivre ; le nouveau membre accepte cette
condition comme un devoir d'abord, comme un droit ensuite.
Tous deux s'engagent synallagmatiquement : la société, à
fournir le travail, l'ouvrier à exercer sa profession. Tel est
le principe social dans toute sa vérité. Si on le conteste, on
retombe dans l'état de nature, où le droit de propriété est
inadmissible et où la force seule décide du droit qui n'est
que passager alors, car ce que la force a pris, une autre
force peut le reprendre; d'ailleurs, dans un pareil état, le
mot droit n'a pas de sens, le fait est tout.
69

Mais nous vivons en société, et tout doit relever de la


justice. La propriété a ses lois, très-nombreuses même; elle
a les forces sociales à son service. Peut-on en dire autant du
travail qui devrait être certainement la chose la plus sacrée,
l'ouvrier n'ayant pas d'autre moyen de vivre honnêtement ?
Eh bien ! non ; à la honte des nations chrétiennes, il n'est
pas une loi, une apparence de loi qui assure du travail à ceux
dont il est la seule ressource.
L'homme pauvre accepte le devoir du travail, qu'on a
rendu si pénible et si avilissant parfois, il s'y soumet réso
lument; mais la société lui refuse le droit au travail, qui
n'est cependant que le corollaire du devoir, la condition for
cée du contrat, sans laquelle l'existence du prolétaire devient
un problème.
Vous devez travailler, dites-vous aux prolétaires. -- Oui,
répondons-nous; assurez - nous le travail aujourd'hui, de
main, toujours. — Vous n'y consentez pas.
Il faut considérer le manque de travail comme le plus
grand malheur, celui qui cause la plus grande désolation
· dans les familles ouvrières; car alors l'espérance même s'é-
vanouit ! Pas de travail, pas de salaire; sans salaire, pas de
pain. On cherche de l'ouvrage, au hasard, sans renseigne
ments. On recommence chaque jour ces pénibles recherches
d'atelier en atelier. Qui dira les souffrances, les décourage
ments de tous ceux , et le nombre en est grand, qui ont
passé par cette filière d'infortunes !
Il y a là, à n'en pas douter, un vice énorme qui s'élève
parfois jusqu'aux proportions du crime !
Deux mesures remédieront à ce vice. La première mesure
consiste dans la création de Bureaux de placement gratuit,
assez multipliés pour éviter l'encombrement; les placements :
auraient lieu d'après l'ordre d'inscription.
* La seconde mesure, beaucoup plus efficace, et qui est déjà
réalisée dans certaines professions, comprendrait une caisse
de secours alimentée par des cotisations versées à des épo
ques fixes par les ouvriers. On continuerait, à l'aide de ces
cotisations, tout ou partie du salaire à ceux qui manque
raient de travail. La gestion et la direction de cette organi
sation doivent être laissées aux ouvriers. -
70

Ces mesures ne remédient pas complétement au mal, mais


· elles l'atténuent beaucoup; ce sont des moyens transitoires
et qui ont l'avantage de faciliter de grandes réformes.
III.
LE SAL AIRE.

A peine l'ouvrier est installé dans un atelier, qu'une autre


question le préoccupe vivement, le salaire ! Il y a bien un
prix de journée reconnu dans chaque profession; mais tous
les maîtres ne s'y soumettent pas, et ils ont le droit de ne
pas s'y soumettre, grâce à la liberté du commerce.
La liberté illimitée du commerce produira toujours deux
effets également funestes : la dépréciation du salaire et la
falsification des produits.
Que les marchands, les fabricants, pour soutenir la con
currence, sacrifient un peu de leurs bénéfices, et mettent
quinze ans au lieu de dix à faire fortune, cela n'a rien de
grave, et la société n'a pas à s'en inquiéter ; mais s'il s'agit
du salaire, de ce qui représente la vie de vingt millions
d'hommes, l'indifférence n'est plus permise, car elle serait
,criminelle.
Nous ne parlerons pas ici du salaire illusoire de la femme,
mais de celui de l'homme. Eh bien ! le salaire de l'homme
varie, selon la profession, à Paris, par exemple, de 2 fr. 25
:à 5 fr. Le taux général est de 3 fr.; le prix de 5 fr. n'a lieu
que dans certaines professions dangereuses.
On ne peut pas établir de calcul sur ces chiffres, car tous
les états sont soumis à des mortes-saisons qui se prolongent
plus ou moins, à part les mortes-saisons qui ne sont, dans
aucune profession, de moins de trois mois, sept mois au
plus, on perd des quarts de journée, des demi-journées, des
tiers de journée et des journées entières, soit par l'incapa
cité ou la négligence des maîtres, par la nature de l'ouvrage
ou les intempéries qui forcent à suspendre les travaux exé
cutés en plein air, soit par le manque de jour dans les ate
liers mal situés, et enfin parce que le travail est abandonné
aux spéculateurs. Ces diverses pertes de temps, qui tuent le
courage de l'ouvrier, ne sont pas comprises dans ce qu'on
appelle la morte-saison.
71

La morte-saison est un certain laps de temps pendant le -


quel les travaux cessent entièrement. - * -

Les ouvriers, qui ont une morte-saison de six ou sept


mois, sont réduits à se créer d'autres moyens d'existence ;
ce qui ne se fait pas sans difficultés , et bienheureux ceux
qui y réussissent. Mais il arrive que les pères quittent for
cément leur famille, pour s'établir là où ils ont enfin décou
vert du travail.
Pendant cette terrible morte-saison , les ateliers ne sont
pas tout à fait déserts ; il reste çà et là quelques ouvriers,
il est vrai à des conditions plus dures. Le maître garde donc
tel ouvrier qu'il a choisi, c'est son droit; mais, vu la rareté
du travail et le privilége qu'il accorde à cet ouvrier de tra
vailler quand les autres sont congédiés, le maître se croit
autorisé à diminuer le salaire. Au lieu de 2 fr. 50, il n'ac
cordera que 1 fr. 75, 2 fr. au plus. C'est à prendre ou à
laisser. S'il refuse , d'autres, plus besogneux, accepteront,
avec empressement : mieux vaut peu que rien.
Des publicistes ont dit que ces concessions de salaire, ob
tenues sur la misère, étaient justes; que le travail dimi
nuant, le salaire devait diminuer également. On a confondu
deux questions différentes.
| Autre chose est le salaire de l'ouvrier, autre chose est le
bénéfice du maître.
Le bénéfice du maître représente le nécessaire, le superflu
et les grosses économies.
Le salaire de l'ouvrier ne représente pas toujours même
le nécessaire.
Si donc on peut diminuer sur le premier, sans inconvé
nient, la moindre diminution sur le second ne doit pas être
tolérée, car il en résulte de graves conséquences, des priva
tions nouvelles. Nous ajouterons que, quelle que soit la
- somme reçue, diminuée ou intacte, l'ouvrier fournit toujours
sa même part de travail, si ce n'est plus.
Nous demandons que le salaire, dans chaque profession,
soit fixé par une commission composée d'autant de maîtresº
que d'ouvriers. Un tarif de prix consentis par les deux par
ties intéressées mettra fin, pour un temps du moins, aux
différends qui surgissent à chaque instant entre les maîtres
72

et les ouvriers. Ce sera toujours un tourment de moins dans


le contingent du travailleur qui, occupé, saura quel salaire
il doit toucher sans contestation.
Nous ne dissimulerons pas la bénignité de la mesure; mais
il reste une autre solution : c'est l'exploitation de l'industrie
par les ouvriers et au profit des ouvriers. Nous y reviendrons ;
car là est, selon nous, l'avenir du peuple.
IV.
PRUD'HOMMES.

Tribunaux professionnels.

L'opposition de l'intérêt du maître et de l'intérêt de l'ou


vrier donne naissance à des contestations sur le prix du tra
vail accompli. Qui doit connaître de ces contestations ? non
un tribunal ordinaire, où les lumières manquent certaine
ment, mais un tribunal particulier composé de juges ayant
des connaissances spéciales. C'est ce qu'on a eu la prétention
de fonder sous la dénomination de prud'hommes.
Cette institution est indispensable, elle peut rendre de
grands services. Elle en a rendu, dit-on. C'est possible ; on
peut le contester pourtant. On cite des chiffres; des raisons
vaudraient mieux.
On appelle affaires conciliées, quand l'ouvrier, faute d'ar
gent et de temps à perdre, se soumet au jugement. Elles
sont conciliées en apparence, mais le sont-elles en réalité et
selon l'équité ? Les chiffres n'en disent rien.
Il faut un certain courage â l'ouvrier qui veut se faire
rendre justice; car, comme nous le disons plus haut, il perd
son temps, puisque, en son absence, personne ne travaille
pour lui, et il en est tout autrement pour le maître, qui,
absent ou présent, a toujours des bras travaillant dans ses
intérêts. L'ouvrier, en outre, doit s'attendre à être mis à la -
porte pour avoir osé appeler son maître en justice, et ne pas
accepter débonnairement toutes les conditions qu'il plaît à
celui-ci d'imposer. Ce vice est inhérent à l'organisation des
maîtres, et les prud'hommes n'y peuvent rien. Quoi qu'il en
soit, ce tribunal peut être utile, nous désirons qu'on en éta
blisse dans toutes les professions.
73

Le principe est excellent, mais son organisation est mau


vaise, elle est injuste. Les ouvriers ne participent ni aux
élections ni à la composition du bureau. Pourquoi nous ex
clure de ces conseils? Encore faut-il une raison, un prétexte
pour légitimer cette exclusion. On ne connaît jusqu'à pré
sent que la raison du plus fort, qui n'est pas la meilleure,
mais la plus forte. Toutes nos institutions n'ont pas d'autre
base, le droit y est de contrebande.
Pour être électeur et éligible, il faut jouir d'un de ces
titres qui ont la vertu de rendre capable subitement l'homme
qui en est revêtu : maître, marchand fabricant, chef d'ate
lier, ouvrier patenté, et être âgé de trente ans. Tout se rap
porte donc à ceci : les maîtres représenteront les maîtres.
Le reste est séditieux. — On exige trente ans de l'électeur
des prud'hommes, et à vingt-cinq ans on est électeur poli
tique !
L'ouvrier est exclu des conseils, et il est le seul réelle
ment capable de juger sur les questions de travail. On n'est
ouvrier qu'à la condition de connaître un état; on est maître
par la puissance de ses capitaux ou de son crédit, mais si,
à la qualité de capitaliste on joint celle d'ouvrier, il y a éga
lité, non supériorité. J'ajoute que, dans tous les cas, la su
périorité appartient à l'ouvrier incontestablement, parce que,
exerçant toute sa vie, il est pénétré de toutes les difficultés
du travail que le maître a pu oublier et que son intérêt de
vendeur lui conseille d'oublier.
Nous ne demandons pas que les conseils soient composés
d'ouvriers seulement, ce serait injuste, parce qu'ils ne dé
fendent que leur droit de vivre; nons voulons y admettre
les maîtres comme représentant les consommateurs ou le bon
marché. -

Nos prétentions ne vont pas au delà de l'égalité.


Seront électeurs et éligibles les ouvriers et les maîtres in
distinctement, à compter de l'âge de 25 ans.
Les maîtres choisiront leurs représentants parmi les maî
tres. - Les ouvriers choisiront leurs représentants parmi
les ouvriers. - - -

Les dépenses du bureau seront couvertes par des cotisa


tions reçues à cet effet.
"74

En dehors de ces conditions, il n'y a qu'arbitraire, injus


tice.
CoUTANT,
ouvrier typographe.

–mo 9986)e-

, SUBSISTANCES.
Nous sommes dans un moment de crise violente; les inté
rêts de tous sont en jeu, mais en sens contraire les uns les
autres, de telle façon qu'au lieu de s'entr'aider, ces intérêts se
nuisent. De toutes parts, on éprouve le besoin d'une organi
sation forte et durable.
Parmi les préoccupations du moment, les subsistances sont
de celles qui réclament l'examen le plus sérieuxetle plus immé
diat. Quand on pense à la hausse scandaleuse qui s'est produite
depuis six mois (1), on est effrayé des conséquences possibles
où l'amour du gain, l'agiotage peuvent entraîner le pays. Déjà
les contrées les plus pacifiques de la France, celles où les pas
sions politiques ont le moins d'influence, ont été le théâtre
de désordres très-graves : des scènes de pillage, de meurtre
ont eu lieu ; les fauteurs ont été arrêtés. Nous ne voulons pas
revenir sur la sévérité d'un arrêt qui a surpris beaucoup de
monde; mais nous ferons aisément comprendre les motifs de
l'exaspération quand nous dirons que, seulement à Issoudun,
le pain vaut 74 c. le kilogramme, et que, dans le départe
ment de la Creuse, le salaire le plus élevé est de 1 fr. 50
à 2 fr. par jour. Malgré les efforts des autorités, l'efferves
cence, d'abord renfermée dans le centre de la France, gagne
du terrain ; chaque jour les colonnes des journaux sont rem
plies de récits d'émeutes dont la seule cause est la cherté des
grains.
Malheureusement, cet état de choses ne peut ètre amélioré
quant à présent ; il faudrait pour cela des dispositions législa
tives qui réprimassent les abus de la propriété, c'est-à-dire
(1) A Paris, les farines qui valaient 50-40 à la date du 31 septembre
1846, étaient enlevées, au 12 mars 1847, à 73-85.
75

qui réglassent le maximum du prix des denrées alimentaires


de première nécessité. Or, beaucoup de lois ont été faites
pour protéger cette propriété (ce que nous trouvons très
juste), mais aucune n'a pour but de restreindre les cas où,
trop souvent, elle devient oppressive. Nous pouvons aisément
démontrer combien la propriété abuse de ses avantages :
Malgré les nombreux arrivages de grains étrangers, les
prix vont toujours augmentant, et maintenant, dans quelques
départements, le pain est une fois plus cher que dans une
année moyenne (nous avons cité l'exemple d'Issoudun); il
y a évidemment entente, non entente officielle, mais impli
cite. Il faut bien, dira-t-on, que les prix compensent la mau
vaise récolte. Ce raisonnement est faux : 1° Une mauvaise ré
colte est une calamité publique, et, dans ce cas, chacun doit
en supporter sa part : pourquoi donc le producteur serait-il
seul exempt de ce tribut aux malheurs du temps?2°Non-seu
lement le producteur n'est pas déchargé de sa part de la mi
sère publique, mais il en tire profit; cela n'est pas difficile à
prouver : la récolte de 1846 a été inférieure d'un sixième envi
ron à celle d'une année moyenne. En prenant pour base les
mercuriales de Paris (et l'on sait que Paris est un des mar
chés où les prix sont le moins élevés), on voit que le pain est
maintenant de deux tiers plus cher que dans une année ordi
naire, ce qui fait, en déduisant le sixième résultant de l'in
fériorité de 1846, un surcroît de bénéfices de 316 sur ceux
des années communes. Ainsi, ce qui se vendait ordinairement
300 fr., se vend maintenant 500; en ôtant 50 fr. (le sixième
de 300 fr.), pour compenser les pertes éprouvées, il reste,
au delà du gain qu'on faisait sur le prix normal de 300 fr., un
boni de 150 fr. produit par les manœuvres de la cupidité, et
dont le consommateur est seul la victime (1). En voyant ce
résultat fabuleux sur un marché où la grande concurrence
, devrait plutôt amener une baisse, nous demandons si la fiberté
illimitée dont jouissent les détenteurs de grains, ne doit pas
être renfermée dans quelques limites.
(1) Si la majorité des marchands de grains montre ainsi son instinct
rapace, il est consolant de penser que d'honorables cultivateurs cherchent
à soulager les ouvriers en leur livrant le blé à prix réduit. La presse quo
tidienne a publié les noms et les belles actions de beaucoup d'entre eux,
et nous sommes persuadés qu'un plus grand nombre est resté ignoré.
76

Une autre objection peut être produite : c'est que, depuis


longtemps, les fermiers sont débarrassés de leurs grains, qui
sont passés dans les mains du commerce, et que des mesures
restrictives frapperaient non-seulement l'agriculture, mais
encore entraveraient le commerce. Nous dirons à cela que, si
l'adoption de la mesure que nous proposons avait pour effet
de rendre le commerce plus modéré dans ses spéculations sur
les grains, nous nous applaudirions, parce que, moins une
marchandise fait d'entrepôts, plus elle doit être livrée à prix
réduit, en raison de la diminution des frais; le pain ne doit
pas servir de but à l'agiotage; il ne doit pas arriver sous la
dent du peuple seulement après avoir enrichi un amas de spé
culateurs de tous genres; le blé n'est pas un objet de com
merce ordinaire; on ne doit pas le traiter à l'égal des toiles
de coton, ou des actions de chemins de fer; c'est un article
qui s'enlève quand même. Cette particularité, qui rend l'agio
tage facile et sûr, est, ce nous semble, une raison suffisante
pour chercher à modérer les abus de la spéculation.
Nous ne nous dissimulons pas toutes les difficultés d'une
pareille mesure, et nous n'avons certes pas la prétention de
les résoudre toutes. Un des obstacles les plus puissants se
rait la perquisition et la réquisition dans les fermes, afin d'em
pêcher la détention des céréales Or, toute perquisition est
vexatoire, et toute réquisition est tyrannique. Ce moyen n'a
pas été heureux sous la République; il est vrai qu'alors la
guerre civile déchirait la France, en même temps qu'une for
midable invasion étrangère réclamait tous les soins des gou
vernants et les empêchait d'accorder toute leur attention à
l'alimentation, et que l'urgence du moment forçait de suppri
mer les formalités qui auraient enlevé à cette opération de re
censement une partie de son caractère violent. Peut-être, et en
y introduisant toutes les modifications nécessaires, pourrait
on, avec les nombreux agents dont dispose l'administration,
reprendre ce moyen avec succès. Au reste, il serait moins
extraordinaire de voir l'administration contrôler le rendement
des céréales et en surveiller le mouvement, que ce ne l'est
de la voir contrôler et s'approprier les plants de tabacs à un
prix qu'elle fixe elle-même. Ce recensement aurait, en outre,
l'avantage de donner des renseignements exacts sur l'état des
77

récoltes, et préviendrait desormais les allégations fausses du


genre de celles de la circulaire du 25 août 1846.
Un autre moyen de tenir les prix à un taux modéré qui
n'aurait pas les inconvénients de la perquisition, mais qui
n'en aurait pas non plus les avantages, serait une disposition
législative qui supprimerait l'exportation, et autoriserait, mo
mentanément, l'entrée libre des grains, d'abord sous pavillon
français, lorsque les prix seraient près du maximum, ensuite
sous pavillons de toutes couleurs lorsqu'ils auraient atteint
ce maximum. La moyenne de toutes les mercuriales de France
servirait de base pour fixer l'époque de la mise en vigueur de
cette loi; une simple ordonnance suffirait pour en prescrire
l'exécution.
On nous accusera peut-être de vouloir sacrifier l'agricul
ture, et, par conséquent, les bras qu'elle emploie, à l'indus
trie et à ses ouvriers. Loin de là, nous demandons, au con
traire, qu'on la protége, non par des lois douanières qui, lors
qu'elles protègent trop, servent plutôt à favoriser le lucre
qu'à encourager les tentatives de réforme, mais nous deman
dons qu'on la protége en la faisant progresser par diverses
améliorations réclamées par les hommes les plus compé
tents, MM. Dombasle, de Tracy, d'Angeville, Dezeimeris,
Demesmay, etc.
Nous ne prétendons pas indiquer les mesures propres à
remédier aux causes que nous avons énoncées (nous ne
sommes pas agronomes), mais nous pouvons demander, par
exemple, le défrichement des terres incultes. Il y a 7,799,692
hect. de terres non cultivées (1) : sur ce nombre, 7,649,692
appartiennent aux communes, 100,000 aux particuliers, et
40,000 à l'Etat. Voilà donc près de huit millions d'hectares
qui ne rapportent rien. Voulez-vous, dira-t-on, qu'on viole
la propriété en forçant le possesseur du sol à cultiver un ter
rain qu'il préfère laisser en friche ? A cela nous répondrons
que l'alimentation est d'utilité publique. Or, lorsqu'une cons
truction ou propriété quelconque gêne ou entrave ce qu'on
veut faire dans l'intérêt général, ne l'exproprie-t-on pas pour
cause d'utilité publique ? Qu'y a-t-il donc qui touche de plus
près aux intérêts généraux que la nécessité d'assurer les sub
sistances? Le rapport complet des terres serait un grand pas
vers la solution de ce problème.
(1) La surfacc de la France étant de 52,768,618 hectares, la partie non
cultivée est donc d'un septième !
78

Si l'on objectait que beaucoup de ces terres sont trop in


grates pour être cultivées, et ne vaudraient pas la peine qu'on
se donnerait pour les faire produire, nous citerions l'opinion
d'un homme dont on ne niera pas l'expérience : M. de Tracy
affirme qu'avec de la chaux et de la marne, les plus mauvaises
terres peuvent être rendues aussi fertiles que les meilleures
de la Beauce et de la Brie (1). D'ailleurs l'Etat peut donner
l'exemple et faire des essais, car nous avons vu plus haut
qu'il possède, avec les communes, la presque totalité des
terrains en friche (7,689,692 hectares sur l'ensemble de
7,799,692 hectares). S'il réussit, sans aucun doute, les cul
tivateurs s'empresseront de l'imiter (2).
Nous n'en finirions pas s'il nous fallait détailler toutes les
améliorations dontestsusceptible l'agriculture en France pour
être en état de soutenir avec avantage la loi de maximum que
nous proposons.
Nous savons combien une telle mesure soulèverait de ré
pugnances si on la mettait sérieusement en discussion; mais
il est impossible, en présence des abus dont le peuple est la
victime, de rester dans le statu quo. Les soulèvements par
ticuliers se changeraient en un mouvement général, que nulle
force militaire ne saurait comprimer. En temps de famine,
la raison des baïonnettes est nulle, car, comme l'a écrit un
de nos camarades :

Mieux vaut tomber sanglant en face du canon


Que de mourir de faim.
Ernest M 1 LLI É,
• horlog. m canicien.

(1) M. de Tracy. (Chambre des Députés, séance du 17 mars 1847.) ,


(2) Un des arguments employés contre le défrichement des terres in
cultes est que, depuis longtemps, ces terrains sont affectés à la vaine
pâture. La mise en culture et la suppression des terres de vaine pâture
seraient doublement profitables. Une des causes de l'infériorité de l'agri
culture en France est le manque de bestiaux. Les terrains vagues étant cul
tivés, les fermiers seraient obligés, pour nourrir leurs bestiaux , de creer
des prairies qui donneraient aux animaux une nourriture supéri ure à celle
qu'ils peuvent trouver sur un sol qui n'est jamais irrigué. L'avantage qu'y
aurait le producteur l'engagerait à continuer dans cette voie nouvelle, et
ses engrais, augmentant en qualité et en quantité, doubleraient le rapport
de ses terres. Ainsi , non-seulement on rendrait a la production une éten
due considérable de terrain, mais encore on fécon lerait prodigieusement
les champs en plein rapport.
79 º

DÉBUTs DE M. HÉBERT.

Le Moniteur parisien n'a rien dit, le journal officiel se tait ;


ce n'était donc pas une calomnie contre M. Hébert : c'est la
guillotine que l'on garde aux malheureux qui ont pris part à
l'émeute de Buzançais, qui, exaltés par la faim, par la peur,
par les cris de toute une population en délire, se sont faits les
exécuteurs de l'irritation populaire. On les assimile au brigand
qui a longuement prémédité, froidement consommé un assasinat;
ceux qui, dans le paroxysme de cette ivresse qu'inspire la vue
des inquiétudes, des pleurs de toute une multitude de femmes
et d'enfants tremblants pour l'avenir, — ont rendu le sang pour
le sang et répondu au meurtre par le meurtre, sont frappés du
châtiment suprême, de la peine que la société réserve pour les
crimes les plus monstreux ! L'imprévoyance sociale a laissé pé
nétrer la famine en France, et des malheureux qui ont perdu
le sens moral à l'approche du terrible fléau, des prolétaires qui
sont entrés en délire furieux devant la disette, parce que, pour
eux, la disette est la mort, la société imprévoyante les voue à
l'échafaud en punition de crimes dont elle est la cause pre
mière !
Qne le jury de Bourges ait condamné, il était sous l'impres
sion encore sanglante des émeutes; il était composé de proprié
taires, et un propriétaire avait péri sous les coups des pertur
bateurs ; il pouvait oublier que ce propriétaire avait tué deux
hommes avant de recevoir la mort; un sentiment non avoué de
vangeance pouvait s'être glissé dans les cœurs à l'insu même de
ceux qui prononçaient la peine; on peut expliquer leur conduite
par le milieu dans lequel ils se trouvaient, par leur désir de
faire un exemple. Mais, que le pouvoir central, qui doit voir
de plus haut et en dehors des passions de localités, que le pou
voir investi du droit de grâce ne se contente pas d'avoir fait peser
la menace du châtiment sur des malheureux égarés; qu'il refuse
d'user de son droit non pour absoudre, mais pour pardonner,
c'est ce que nous ne pouvons supposer. Malgré le silence des jour
naux officiels, nous espérons encore; nous ne pouvons admettre
que M. Hébert veuille inaugurer son pouvoir par une sévérité
qui, aujourd'hui que les faits sont déjà loin, pourrait sembler
une provocation. La sévérité exagérée, le châtiment qui n'est
pas en rapport avec l'offense, dépassent le but; ils exaspèrent
au lieu de réprimer; ceux que la peine atteint la considèrent
comme une vengeance, et une vengeance en appelle une autre. .
La Réforme, le Commerce, le Courrier français, le Natio
nals'occupent aujourd'hui de cette condamnation, mais plusieurs
80

† u'avaient pas attendu si longtemps pour réclamer contre


a sévérité du jury, et exprimer l'espoir d'un adoucissement de
peines pour les malheureux condamnés . Le National cependant,
qui s'était tu jusqu'à cette semaine, s'est plaint deux jours de
suite que l'initiative n'eût pas été prise par la presse parisienne,
et il en a fait honneur à deux journaux de province. La Réforme,
qui avait réclamé en même temps que nous, s'élève avec chaleur
contre cette imputation imméritée.
(Démocr. pacif. )

De quelle presse le National veut-il parler? à quelles feuilles


s'adresse le reproche du silence en face de l'échafaud?— Quand
l'affaire était en débat devant la cour d'assises de Châteauroux,
et que le jury, souveraineté bourgeoise, n'avait pas encore pro
noncé, nous étions déjà sur la brèche, contre M. Didelot, qui
posait sa thèse de la complicité communiste, et nous n'avons
trouvé que la Democratie pacifique dans la voie de la défense
sociale et des griefs exceptionnels qui militaient pour les mal
heureux de Buzançais.
Lorsque fut rendu le verdict de mort, sur le silence gardé
par les organes de la complicité bourgeoise, qui prit la parole
dans la presse ? Trois journaux séparés et distincts, dans l'opi
nion, dans l'idéal, dans les espérances, mais que dominait le
sentiment moral, inquiet du sang et de ses conséquences. Ces
trois journaux sont la Démocratie, le Courrier français, et la
Réforme.
Deux fois pendant le procès, et deux fois après l'arrêt, nous
avons combattu pour la misère, pour les droits, pour les têtes ;
et voilà maintenant qu'on félicite deux journaux de province
d'une généreuse initiative que nous avons pour le moins par
tagée ; voilà qu'on s'inquiète, le jour où le conseil des ministres
se réunit, et que l'affaire devient politique ministériellement,
voilà qu'aujourd'hui on déplore le silence de la presse à propos
des condamnés de Buzançais !
En vérité, c'est trop d'oubli, pour ne pas dire plus, et comme
il y a du sang dans la cause, nous ne voulons pas laisser passer
ces doléances : nous dirons donc au National :
Nous avons parlé presque seuls ' quand il y avait à combattre
une instruction violente, quand il y avait à lutter contre une
solution de mort.
Le verdict rendu, nous avons deux fois rappelé la responsa
· bilité ministérielle profondemment engagée dans tous ces mal
heurs, et nous avons exposé toutes les circonstances qui com
· mandaient une diminution de peine.
81

Pourquoi donc le National vient-il déplorer son isolement


en une question de devoir, de fraternité, d'honneur, lorsqu'il
n'est entré que longtemps après nous dans cette question de de
voir, de fraternité, d'honneur ?
Nous ne luttons pas ici pour un prix de vertu ; nous défen
dons le plus cher de nos sentiments, la fraternité pour le mal
heur, et nous ne voulons pas qu'on y touche. -

- (Réforme.)

La famine frappe la Belgique, menace la France, et fait


d'épouvantables ravages en Irlande. On assure que si les
choses continuent, un million de personnes périront de faim
en Irlande cette année. En cette horrible circonstance, la très
gracieuse souveraine de MM. les philanthropes anglais n'a
rien imaginé de mieux, dans son ardent amour pour ses su
jets d'Irlande, que d'ordonner un jeiine général et des prières
publiques !!!
Le jeûne de John Bull, quelle dérision ! N'est-ce pas une
insulte à la Providence ? -

EToILE DU PEUPLE. (Pont-Levoy.)


–->GBGE--

AboIition de I'Esclavage.
D'après une correspondance adressée aux Débats, le sultan
a fait fermer le marché aux esclaves de Constantinople, et aboli
cet odieux trafic.
D'un autre côté, nous apprenons que le Saint-Père a formel
lement interdit la mutilation qui dégrade certains être pour en
faire des sopranos.
Il n'y a pas longtemps, nous annoncions que le bey de Tunis
avait aboli l'esclavage dans ses états. -

L'empereur d'Autriche a dû abolir la corvée en Galicie, l'em


pereur de Russie transformer les serfs de la féodalité en serfs
de la couronne, c'est-à-dire en sujets de l'empire ; l'Angleterre,
enfin, est forcée de s'occuper de la régénération morale et ma
térielle de l'Irlande, -

Nous ne citerons ni la répression de la traite des noirs, ni la


constitution historique donnée par le roi de Prusse; ni le mou
- vement intellectuel qui grossit chaque jour le nombre des mations
à institutions représentatives. Nous voulons nous borner à cons
6
82

tater le caractère général qui domine tous ces faits. En dépit


du despotisme qui s'enferme dans le statu quo et veut rester
immobile et muet sur les ruines des abus séculaires, la civilisa
tion marche à son but immuable : l'émancipation de ceux qui
souffrent; et ce sont les gouvernements eux-mêmes qui sont ame
nés, soit par un désir égoïste de conservation, soit par le besoin
d'augmenter leurs ressources, à entrer dans l'application des
lois divines et humaines.
(SIÈCLE, 4 mars 1847.)

ÉGYPTE.
Le gouvernement vient de porter à la connaissance du pu
blic l'abolition de l'esclavage, et d'accorder cinquante jours
de temps à tous ceux qui ont des esclaves pour s'en défaire.
Cette nouvelle a été différemment accueillie ici; on peut même
dire qu'elle a été mal accueillie, car le nombre de nos aboli
tionnistes est très-faible par rapport à celui des partisans de
l'esclavage. Au marché des nègres, une baisse de 60 p. 0I0 a
eu lieu ; aucune vente ne peut être faite, tout nègre ou né
gresse étant libre de rester chez son achetenr ou de chercher
ailleurs son existence après ce délai de cinquante jours. Nous
félicitons sincèrement le gouvernement de l'initiative d'une
pareille mesure.
(Impartial de Smyrne.)

« La liberté fera le tour du monde. »


Le général MENoU. (Armée franç. d'Égypte.)
–-98e69e

CONSPIRATION CONTRE LE PAPE.

On écrit de Rome , 8 mars, à la Gazette d'Aix-la-Cha


pelle :
, « Le Gouvernement vient dedécouvrir, à Ancône, une cons
piration dont l'objet était de combattre les mesures libérales
du Pape.A la tête de ce complot se trouvaient huit moines
dominicains et plusieurs prêtres séculiers. »
–•99999•

OEUVRE DE FRATERNITÉ.

Lorsqu'on nous signale une infortune intéressante, quel


qu'en soit le genre, comme, par exemple, un honnête ou
vrier, père de famille, depuis longtemps sans ouvrage et se
83

laissant périr lui et les siens plutôt que de révéler sa misère,


nous allons le visiter nous-mêmes en qualité de camarades et
non d'inspecteurs ; puis nous mentionnons le fait sur un
registre en omettant le nom et l'adresse ; et quand un riche
a le beau courage, en le venant consulter, de choisir une ou
plusieurs infortunes à soulager, alors, au moyen d'un carnet
à nº correspondants, nous lui confions les noms et adresses,
afin qu'il puisse aller lui-même répandre ses bienfaits.

Nous remercions les personnes généreuses qui, depuis notre


dernier numéro, ont secouru de nos familles, et aussi les
Journaux qui ont servi notre œuvre par leur publicité.

On trouvera au bureau de la Ruche populaire des tableaux


et autres objets d'art et d'industrie destinés à être cédés
au profit des Familles que nous recommandons.
–= 98e89

CORRESPONDANCE.
Nous avons reçu plusieurs lettres confirmant nos prévi
sions sur l'Association des artistes peintres, sculpteurs,
graveurs, etc., dont M. le baron Taylor s'est constitué le
président inamovible. Nous citons, entre autres, et en l'ap
prouvant de tout point, la lettre de M. A. Giroux, qui les ré
Sume tOuteS.
AU COMITÉ DE LA RUCHE PoPULAIRE.

Messieurs,
J'ai pris lecture de l'article sur les Artistes peintres, sculpteurs,
graveurs, etc., dans le N° de février de la Ruche populaire.
'ai trouvé que les sentiments modérés de l'auteur étaient par
faitement exprimés sur cette société. Il s'agit maintenant, selon
moi, d'aviser de plus en plus aux moyens de remédier aux dé
fauts signalés par M. Coutant, et d'organiser la Société des ar
tistes au moins aussi régulièrement que la société des imprimeurs
de Paris, que la Ruche nous offre avec raison pour modèle.
Il faudrait donc, selon moi, commencer par détruire la base
imposée à notre société, base entièrement fausse, que l'on a laissé
subsister jusqu'à présent, malgré les réclamations des artistes
que cette société intéresse. -

Ainsi je voudrais qu'il y eut un Comité institué pour aller, au


moins une fois par mois, chez les artistes examiner amicalement
leur position, leurs besoins, par rapport à leurs relations artis
- - 6.
84

tiques et commerciales. Ce Comité, d'abord élu par tous, serait


ainsi mandataire du corps qu'il pourrait protéger; car les ar
tistes, malheureusement, ont trop à souffrir de certains abus
dans ces diverses relations ; enfin il faudrait que cette société
remplit convenablement la charge délicate qu'elle ose prendre,
c'est-à-dire, non par des aumônes, mais par les propres travaux
des artistes qu'il suffit d'appeler et d'organiser noblement pour
répondre à leur caractère indépendant et à leur intelligence.
Ainsi, indépendamment de la base déjà formée par le Comité,
qu'est-ce qui empêcherait qu'on demandât, dans l'année, à chaque
associé, une œuvre quelconque, destinée à former une exposition
payante, outre celle qui existe, et qui, à la fin, serait convertie
en loterie, pour que les artistes puissent arriver ainsi à subvenir
par eux-mêmes à leurs besoins, sans avoir à rougir en tendant
la main au Comité ?
Ainsi nous le répétons, l'association aurait lieu par le corps
même des artistes, et non par une puissance orgueilleuse et des
potique s'imposant d'elle-même à tout le monde, qui prend à
tâche d'humilier, au lieu de relever et de consoler.
Je ne sais si les statuts de la Société des Artistes ont été
conçus dans de bonnes intentions ; mais si ces dernières ne ré
pondent pas aux besoins, c'est comme s'il n'y avait rien : la
preuve, c'est que depuis que les artistes ont été mis en société,
ils sont tout aussi malheureux qu'auparavant, et leurs droits ne
sont pas plus défendus que si la société n'existait pas. La seule
chose qui vous rappelle son existence, c'est §! pour la co
tisation. Je n'ai jamais entendu parler de la société que de cette
façon-là, et voici les raisons qui m'en font détacher.
Je n'approuve pas non plus l'article 15 des statuts qui nomme
un président † qu'on dit être élu par le vœu des artistes,
bien qu'aucun d'eux n'ait eu connaissance de ce vœu que par
l'article même, que je trouve vraiment par trop despotique.
En définitive, je pense que les artistes n'ont pas besoin d'autres
secours que ceux qu'ils peuvent et doivent trouver par leurs tra
vaux associés.
L'article 9 des statuts me paraît être, ou de la démence, ou
d'une effronterie sans exemple.
Je ne donne pas ici mon avis comme une autorité ; mais si
l'on ne prend pas des mesures promettant de meilleurs fruits,
je suis persuadé d'avance d'avoir beaucoup d'imitateurs.
Agréez, Messieurs, l'expression de ma sympathie pour votre
tribune indépendante.
Achille GIRoUx,
artiste peintre.
28 mars 1847.
85

Le Christianisme est parvenu à sa puissance, en procédant


par la modestie et la fraternité.....
V. V...., a. p.

LETTRES AUX FRANÇAIS.


VII.

Dieu protége la France pour en


faire l'instrument de la régénéra
tion et de la félicité du monde.

Nous voici arrivés au fait le plus important de l'histoire, parce


que ce fait, en modifiant acc dentellement la nature humaine,
a modifié, pour un temps indéterminé, l'organisation des socié
tés. Car la durée de ce temps dépend de la libre volonté des
hommes. -

Mais pour comprendre comment et pourquoi la femme a pu


faillir, entraîner l'homme dans sa chute, et, par l'effet de cette
faute, compromettre le sort de l'espèce entière, il faut savoir
que nos organes internes sont des foyers d'actions qui, réagis
sant sur le cerveau, développent ou dégradent l'intelligence,
selon qu'ils suivent ou contrarient l'ordre déterminépar le Créa
teur, pour le bien de l'individu et celui de son espèce.
Ainsi, par exemple, dans la première enfance, l'estomac est
l'instituteur de l'âme : c'est pourquoi les petits enfants portent
tout à la bouche, et pourquoi aussi tant de nos idées s'expriment
par des comparaisons avec l'acte de la nutrition : on goûte la
science; on la savoure; on la digère; on mord à l'étude; on
dévore un livre qui plaît; on a faim et soif du savoir, et l'esprit
se nourrit d'études comme le corps des aliments qu'il reçoit ;
car c'est la nécessité où l'intelligence se trouve, pour aller du
connu à l'inconntt, de juger toujours par comparaison avec des
effets déjà compris par elle, qui est cause que le langage primitif
est forcément figuré; et c'est pourquoi la comparaison de l'arbre
de la science a eu lieu, comme nous l'avons dit.
Maintenant considérons que, si l'estomac est surchargé de
nourriture ou bien de substances stimulantes, telles que vin 9

opium, liqueurs fortes, etc., à l'instant l'intelligence se dégrade


et finit même par s'anéantir; c'est pourquoi la sobriété est une
vertu exigée par la justice de Dieu : car elle considère toujours
l'intelligence comme le moyen du bonheur infini, l'esprit est
tout : aussi elle défend ce qui peut la dégrader.
Quand au corps, il doit être considéré comme instrument de
86

l'âme, et, comme tel, obtenir ce qui est nécessaire à ses besoins
et à sa perfection.
Après l'action dominante de l'estomac, qui s'affaiblit et se
règle à mesure que les autres parties ducorps se développent
pour concourir, à leur tour, à l'instruction de l'âme, vient
l'action dominante des poumons, qui nous fait aspirer au bon
heur : effectivement c'est vers l'âge de douze à treize ans que
cet organe se dilate, pour donner au sang une vitalité qui
éveille bientôt l'action du cœur, siège des émotions que la jeu
nesse s'étonne d'éprouver. « Les belles pensées viennent du
cœur, » a dit le Christ. -

Mais si l'adolescent, qui éprouve si vivement le besoin d'air


pur, est placé dans une atmosphère méphitique, qu'il ait peine
à respirer, alors son sang s'appauvrit, son souffle s'affaiblit, son
cœur ne bat plus avec force, son énergie diminue, le germe de
ses nobles et généreux sentiments s'étouffe, et la vie n'est, pour
lui, qu'un état misérable.
Enfin vient l'action d'autres organes, dont l'influence est si
grande sur le cerveau, que toute la perfection intellectuelle et
morale de l individu et des générations qui doivent provenir de
lui, dépend de la bonne disposition de ces organes.
Mais, pour que leur action soit convenable et complète, il
faut que l'individu se conserve pur, de corps et d'esprit, jus
qu'au moment où il est entièrement formé et propre au mariage,
c'est-à-dire apte à reproduire son espèce avec toutes les qualités
et dans toutes les conditions nécessaires à sa perfection et à son
bonheur. Mais si l'individu, sollicité au plaisir des sens par le
travail interne qui se fait en lui, cesse d'être pur avant l'époque
précitée, alors il perd ou bien il concentre, dans les organes
dont nous parlons, une force vitale qui devait d'abord se por
ter au cerveau, pour développer son intelligence et donner à sa
volonté l'independance dont elle doit jouir : car il faut observer
ici, que c'est par le travail même de la puberté, que l'esprit se
perfectionne et reçoit la liberté, au moyen des esprits vitaux
que ce travail transmet au cerveau, afin de lui donner la force
de dominer les sens.
Car l'esprit ne peut être libre, c'est-à-dire maître de ses actes,
que si le cerveau, qui lui sert d'instrument, d'action et de ré -
action, acquiert la puissance nécessaire à la domination des sens,
afin, non pas d'en étouffer, mais d'en réglerl'action ; de manière
que si le travail qui doit fortifier cet organe, n'a pas lieu ou
se fait mal, l'être humain setrouve modifié, en restant dans une
disposition sensuelle, matérielle, instinctive, contre laquelle sa
volonté ne peut plus lutter, ou ne le fait qu'avec des efforts
multipliés et douloureux qu'elle a rarement la vertu de s'im
87

poser : de là un état de dégradation intellectuelle et morale causé


par cette disposition matérielle trop puissante; l'être humain
tombe, pour ainsi dire, dansl'animalité : dégradation qu'il trans
met à ses descendants, lesquels, s'ils n'ont pas la force ou la vo
lonté de la surmonter, la transmettent de même à leurs enfants,
et ainsi de suite, jusqu'au moment où les hommes, éclairés par
l'expérience du malheur et par la véritable science, compren
dront enfin la nécessité de s'occuper sérieusement de leurré
nération; et alors la bonne éducation sera un des moyens d'y
contribuer efficacement : aussi nous nous étendrons ailleurs sur
ce sujet important, l'éducation selon la justice de Dieu.
Mais ce que la science nous apprend aujourd'hui, les premiers
humains ne pouvaient le savoir; aussi notre obéissance à la loi
divine, qui doit étre raisonnée maintenant, devait, poureux, être
passive : c'est pourquoi le Tout-Puissant, craignant, pour la race
entière, les faux raisonnements d'une science incomplète, qui
ne pouvait manquer d'égarer les premiers humains, leur dé
fendit de toucher au fruit de l'arbre de la science du bien et du
mal; c'est-à-dire de se conduire par l'effet de leur propre ju
gement, lui-même s'étant réservé le soin de les guider jusqu'au
moment où ils seraient en état de se conduire seuls.
Cette défense avait donc pour objet de les conserver purs
jusqu'au moment du mariage, afin, pendant ce temps, de les
perfectionner de corps et d'esprit, 1° par les effets de l'amour
moral qu'ils ressentaient, et qui est permis ; 2° par ceux des
sacrifices momentanés qu'ils devaient accomplir, en résistant
aux excitations des sens; car nous l'avons dit et nous le répé
tons, c'est précisément ce combat momentané entre la volonté
et l'instinct, qui est le moyen de faire acquérir à l'âme sa pré
pondérance intellectuelle et morale, le moyen de la rendre libre
et de la conduire ainsi glorieusement vers la science et le bonheur
infinis.
Mais les émotions que l'homme et la femme éprouvent, à cet
âge où la vie devient surabondante, sont si vives et si puissantes
qu'il leur en coûte beaucoup de résister.
Maintenant si l'on considère l'organisation et la position re
latives de l'homme et de la femme, un coup d'œil suffira pour
reconnaître que l'amour est bien plus puissant chez cette der
Il16l'e. -

Effectivement, dans l'homme, destiné aux grands travaux


de corps et d'esprit, la force vitale se porte particulièrement
vers la tête, la poitrine, les épaules et les bras; tandis que chez
la femme, destinée à renfermer dans son sein et à nourrir de sa
propre substance les enfants qui doivent naître de leur union,
la tête, la poitrine, les épaules et les bras sont comparativement
88

plus faibles, et la force vitale se porte où doit s'accomplirl'œuvre


de la reproduction : enfin si l'on considère la position de la
femme vis-à- vis de l'homme son protecteur, sans lequel elle
ne peut participer à aucun des avantages destinés, dans ce monde,
à son espèce ; de l'homme, à qui elle doit s'identifi r comme
partie de lui-même, et dont l'intelligence doit commencer par
éclairer, soutenir et développer la sienne, afin que leurs deux
génies puissent d'abord se mettre en rapport par un langage et
des idées conformes, et qu'elle puisse ensuite perfectionner le
sien et communiquer, à son tour, la science et le bonheur; si
l'on considère, dis-je, la position delafemmevis-à-vis de l'homme
dont les caresses sont un magnétisme puissant qui exerce une in
fluence si grande sur son état physique, intellectuel et moral
qu'elles font partie de sa félicité et pour ainsi dire de sa vie même,
alors on comprendra le plaisir qu'elle éprouve, dans un abandon
sans réserve, et l'appât qui l'attire, quand elle aime, vers cet
abandon plein de charme; elle dont toute la puissance est fondée
sur l'amour qu'elle inspire, et sur celui qu'elle ressent.
Aussi, plus contrariée et plus malheureuse que l'homme même,
d'une défense qui posait une barrière entre eux, défense dont
elle ne pouvait alors connaître ni la nécessité, ni le but, ni la
durée, † femme fut donc la première à se révolter contre une
loi de sacrifices et de devoirs, qui semblait mettre pour tou
jours des entraves à son bonheur; et, pour éluder cette loi, qui
la soumettait à de si rudes épreuves, se servant aussitôt de toute
la subtilité de son esprit, la pauvre enfant se prit à raisonner ;
alors confondant le plaisir avec le bien, erreur si naturelle et
si dangereuse, elle se demanda pourquoi, étant libre comme
Dieu méme, elle ne suivrait pas aussi sa volonté, seul moyen
d'une élévation réelle, et pourquoi, puisqu'elle était faite à l'i-
mage de Dieu, c'est-à-dire douée de facultés analogues aux
siennes, il voulait la soumettre à une obéissance passive, qui
non-seulement l'humiliait, mais ravalait son espèce; et bientôt
accusant le Créateur d'injustice, parce qu'il s'opposait à l'ac
complissement des désirs qu'il avait mis, lui-même, dans son
âme : comme il arrive, dans la jeunesse, d'accuser aussi d'in
justice ceux qui s'opposent aux plaisirs dont nous voulons jouir,
parce que nous n'en comprenons pas encore le danger; toujours
poussé par cet esprit d'in tinct, qu'on a représenté sous la fi
gure d'un serpent, pour exprimer la manière dont il se glisse
et s'établit dans l'âme, comme un reptile, elle se révolte enfin
ouvertement contre une loi d'obéissance qui la blessait et l'hu
miliait à la fois ; et se livrant à toute l'effervescence d'une pas
sion qu'elle excitait par sa révolte même, elle séduisit enfin
l'homme, et par tous les faux raisonnements d'une science in
89

complète, qui prend les apparences pour la réalité, et par le


charme si puissant de tout ce que lui inspire le désir de plaire.
Mais avant de blâmer la femme, que chacun s'interroge et
dise s'il n'a pas commis la même faute; car elle se renouvelle
dans chaque individu et dans chaque génération ; puisque cette
faute consiste à rejeter la loi du devoir et du sacrifice pour suivre
l'instinct, c'est-à-dire le plaisir; or, il en est peu qui puissent
se vanter de n'avoir jamais failli : cependant, à mesure que la
lumière pénètre dans les esprits, on revient au bien, et peu à
peu le grand nombre finira par se conformer à la loi ; c'est la
régénération. *.

Venons à l'homme. Trop faible dans cette grave circonstance,


car la justice de Dieu exige de chacun les devoirs qu'elle im
pose à chacun, dans l'intérêt de tous, ne voyant lui-même au
cun mal dans une intimité que Dieu semblait avoir sanctionnée
d'avance, puisqu'il les avait créés pour s'aimer et pour s'unir,
il se livra bientôt, comme la femme, à tout ce que l'instinct lui
faisait éprouver; et c'est ainsi que de conséquences en consé
quences, et de faux raisonnements en faux raisonnements, tou
jours entraînés et guidés par le plaisir seul, ils firent tant, l'un
et l'autre, par leurs caresses stimulantes, que, sans accomplir
l'acte du mariage, ils apprirent cependant qu'ils étaient nus ;
c'est-à-dire qu'ils excitèrent et développèrent toute la puissance
des sens, avant d'avoir développé la puissance intellectuelle et
morale qui pouvait seule les conduire au bonheur infini, et com
muniquer à leurs descendants cette disposition convenable,
pour les faire jouir facilement de ce même bonheur sans fin.
C'est alors que la pudeur éveillée par le savoir qu'ils venaient
d'acquérir, leur fit éprouver la honte de l'état dans lequel ils
étaient; et c'est pourquoi ils se cachèrent et se firent des vê
tements de feuillage.
Cette faute modifiait donc la race entière, en lui communi
quant une force instinctive et sensuelle plus grande qu'elle ne
devait l'avoir, et une puissance intellectuelle et morale relati
vement plus faible; et nous allons voir son histoire et ses mal
heurs résulter de ce fait primitif; mais avant de développer les
dernières conséquences § ce fait déplorable, lesquelles sont
l'asservissement des faibles par les forts, en d'autres termes,
l'organisation des sociétés en vertu de l'instinct seul, qui pro
duit l'arbitraire et le despotisme, nous devons nous occuper de
ses premières conséquences, qu'on appelle la punition, et qui ne
sont en définitive que des moyens nécessaires pour préparer la
régénération : car la bonté de Dieu brillera toujours à côté de
sa justice !
Ainsi donc les premiers humains, en rejetant la loi divine
90

pour suivre leur instinct, avaient modifié eux-mêmes leur nature,


et, par suite, leurs rapports avec toute chose.
Maintenant que faire d'une espèce incapable d'atteindre di
rectement au but de son existence, et, qui, placée sous l'empire
des passions instinctives les plus violentes, ne pouvait qu'abuser
sans cesse des biens qu'on aurait mis à sa disposition ? Et cela
est tellement vrai, que si j'adressais la question suivante à cha
cun, pas un n'oserait y répondre franchement. Si Dieu vous
donnait largement tous les biens que vous pouvez désirer, qu'en
feriez-vous ?.... Ce que vous en feriez, je vais vous le dire !
vous vous en serviriez pour satisfaire toutes vos passions ins
tinctives, et par là vous les exciteriez et les développeriez si puis
samment, que vous vous enfonceriez de plus en plus dans le
bourbier de la dégradation et du malheur; il n'en est guère qui
feraient exception, et pour en être certain il suffit de voir l'u-
sage que, presque tous, vous faites avec le peu que Dieu a laissé
à votre disposition.
Il fallait donc un moyen d'employer, d'user cette force ma
térielle trop prépondérante et mise en germe dans l'espèce : il
fallait un moyen de la faire servir à la conservation et au déve
loppement de l'intelligence même; et ce moyen, qui devait main
tenir forcément l'homme en rapport avec la création, pour la
lui faire étudier sans cesse, c'est la nécessité de pourvoir à ses
besoins par un travail dur et difficile : voilà donc pourquoi
l'homme doit mangerson pain à la sueur de son front(1) ; et cela
jusqu'au moment où mieux éclairé par l'expérience du malheur
et par l'étude de toute chose, il reconnaîtra enfin la nécessité
de se conformer à la justice de Dieu pour retrouver son bonheur.
Alors, par ses travaux d'esprit et de corps bien ordonnés, il
commencera par modifier sa nature en restituant à sa puissance
intellectuelle et morale sa prépondérance légitime ; puis, par
elle, il modifiera l'ordre social; puis enfin il travaillera à modi
fier le globe lui-même, par la culture et tous les travaux d'art
et de sciences nécessaires au bien-être des sociétés, afin de tout
faire concourir à la prospérité générale : et c'est ainsi que le tra
vail auquel il est assujetti est un des moyens de la régénéra
tion, et que les travailleurs sont et seront les ouvriers mêmes
de cette grande transformation sociale.
Quant à la femme, placée dès lors dans une société où, pen
(1) Le travail est l'acte de produire. Dieu travaille, mais sans peine,
parce qu'il est puissant.
Pour l'homme, le travail se compose de deux actions, acquérir la science
et produire à l'imitation de son Créateur. Dans son état primitif comme
dans celui de sa régénération, un vif plaisir était et sera attaché à ces
deux actes.
91

dant une longue suite de siècles, l'ignorance et la force brutale


devaient dominer, à quoi pouvait servir son esprit subtil? Elle
avait donc perdu son empire spirituel et moral, le seul qu'elle
puisse légitimement exercer : aussi son lot étaitd'obéir à l'homme ;
et comme elle avait encore, par sa faute, développé une force
insolite dans les organes de §, de plus vives dou
leurs dans l'enfantement devaient être la conséquence de ses
torts. Mais elle aussi devait se relever, avec le temps, à me
sure que l'esprit, reprenant sa prépondérance dans la société,
lui permettrait de développer le sien et d'en faire usage.
Restait le serpent, autrement dit l'ignorance, l'esprit des té
nèbres, l'esprit du mal que nous appellerons, nous, l'esprit d'ins
tinct; c'est-à-dire l'esprit sous l'influence de toutes les passions
instinctives; esprit qui devait régner si longtemps, en raison
de la malheureuse disposition des humains. Dieu le frappe d'a-
nathème comme puissance dominante, son action ne devant être
que secondaire, et annonce au monde que jamais cet esprit
ne produira rien de bon ni d'élevé, toujours il se trainera dans
la poussière dont il se nourrira. Enfin Dieu annonce que sa
postérité, c'est-à-dire ses œuvres dans l'avenir, inspireront
tant de haines aux femmes, lesquelles doivent en souffrir par
ticulièrement à cause de leur état de sensibilité et de dépendance,
qu'elles finiront par se révolter contre lui, afin d'anéantir son
empire opposé à celui de la justice; vérité exprimée par cette
figure : « Et je mettrai de l'inimitié entre toi et la femme; entre
ta postérité et la postérité de la femme; cette postérité t'écra
sera la tête, et tu la blesseras au talon. »
Figure dont les chrétiens n'ont compris jusqu'ici qu'une par
tie, celle relative à l'incarnation du Christ dans le sein de la
femme. Mais ignorant encore quelafemme était douée d'un génie
particulier, étouffé par le péché originel, génie qui devait se
réveiller avec le temps, ils n'ont pas vu dans cette prédiction
l'union de l'action intellectuelle, morale et civilisatrice du Christ
avec l'action intellectuelle, morale et civilisatrice des femmes :
car le Christ n'était pas chargé, lui, d'écraser la téte du serpent;
puisqu'il avait été dit au contraire. « Et il ne rompra pas tout
« à fait le roseau froissé, et il n'éteindra pas le lumignon qui
« fume encore jusqu'à ce qu'il ait rendu la justicevictorieuse, et
« les nations espéreront en lui. » Ainsi le Christ devait seulement
saper les fondements du trône de l'esprit de ténèbres, en revé
lant, rappelant, et sanctionnant les vérités qui doivent anéantir
son empire, et y substituer l'ordre social voulu par Dieu. Mais
l'esprit du mal, blessé à mort par ces vérités proclamées, pou
vait cependant régner encore sur ce monde, selon que les hommes
se conformeraient plus ou moins vite à la justice, et c'est seule
92

ment quand la civilisation, dépendante du Christianisme, serait


arrivée à un certain point, qu'alors l'esprit de la femme, éclairé
par la vérité, devait enfin porter les derniers coups au monstre
qui asservit l'humanité, et lui écraser la téte.
Or, la tête du serpent c'est l'orgueil de l'homme que produit
le despotisme. Et comme le despotisme fait toujours des lois pour
protéger et défendre son pouvoir, il punira donc la femme des
| coups terribles qu'elles doit lui porter ; mais il la punira légè
rement, parce que l'action de la femme ne peut avoir lieu que
quand les mœurs sont déjà fort adoucies, et les intelligences très
développées. Ainsi cette belle victoire, d'anéantir la puissance
· ennemie des hommes, est réservée à celle qui, par sa faute, lui
a donné l'empire du monde; à celle dont l'esprit subtil et puis
sant, relevé par le Christ, doit, du même coup, écraser l'orgueil
et le despotisme de l'homme et faire enfin triompher la justice
de Dieu.
Venons maintenant à l'espèce entière. Nous avons vu com
ment les premiers humains, en développant en eux une force ins
tinctive trop puissante, l'avaient transmise à leurs descendants,
et, par ce fait, les avaient disposés à ressentir vivement les pas
· sions les plus opposées à la justice, et, par suite, disposés à reje
ter aussi cette loi sacrée : c'est ce qui a fait dire que la race était
réprouvée avant que de naitre.
Mais il importe d'observer ici, puisqu'on ne l'a pas encore
fait , que cette réprobation est conditionnelle et non pas abso
· lue; car si les vertus indispensables au salut sont plus difficiles
à pratiquer depuis la chute, qu'elles ne l'eussent été dans l'état
conforme à la loi divine, cependant elles ne sont pas impos
sibles ; et les générations subséquentes pouvaient encore et tou
jours, par de nobles et courageux efforts, chercher la justice de
Dieu, s'y conformer et reconquérir ainsi leur bonheur ; aussi
· le Christ a-t-il eu bien soin de dire : « Ce ne sont pas les justes
que je suis venu appeler à la repentance, mais les pécheurs. »
Et ailleurs. « Ce ne sont pas ceux qui sont en bonne santé qui
ont besoin de médecin, ce sont ceux qui se portent mal. » Ainsi
donc les humains ont toujours pu faire le bien ; mais excités,
entraînés, aveuglés par les passions instinctives dont le germe
trop puissant était en eur, à de bien rares exceptions près, ils
ne l'ont pas voulu ; ils ne l'ont pas fait. Examinez, en tous lieux,
· en tout temps, leurs sociétés, leurs lois, leurs actes, et, toujours,
vous verrez les mêmes passions et les mêmes idées fausses, établir
le despotisme des forts et l'esclavage des faibles, ou bien l'a-
· narchie et tous les maux causés par la licence; ainsi, despo
· tisme, anarchie ou justice, voilà les trois états possibles des
sociétés humaines, états basés sur les deux principes qui servent
93

de fondements à l'ordre social, savoir, l'instinct de l'homme, et


la justice de Dieu. Ainsi il faut donc choisir entre ces trois états
sociaux; il n'est point de juste milieu ni d'amalgame durable,
parce que chacun des principes qui les produit, tend forcément
à sa fin, c'est-à-dire à établir l'ordre social qui lui est relatif, et
par conséquent tend à se séparer du principe qui lui est opposé;
et ceci est grave pour la France, qui sera bientôt obligée de faire
ce choix capital.
Concluons de tout ce qui vient d'être dit, que les humains
sont malheureux pour avoir, dès le principe, abusé de leur li
berté; mais que Dieu, dans sa bonté, voulant les délivrer du
mal, leur envoya un Sauveur, dont il ne reste plus maintenant
qu'à bien comprendre et bien appliquer les principes libérateurs.
V° MIEsvILLE,
fleuriste.

Remède de M. de RémiIIy contre Ia Misère.


En développant sa proposition concernant les chiens, M. de
Remilly vient de rendre à la classe ouvrière le service le
plus digne d'éloges. Voici un passage de son discours :
« La dépensejournalière occasionnée par les chiens s'élève,
« d'après une moyenne de 7 centimes 1/2, à la somme de
« 225,000 francs. Comme l'homme peut, en temps ordinaire,
« être nourri moyennant 35 centimes, il faut reconnaître que
« ces animaux (les chiens)absorbent chaque jour une dépense
« qui substanterait plus de 640,000 individus, deux ou trois
« départements. » -

Des gens qui ne voient que la superficie des choses, pré


tendent que l'homme qui travaille, mangeant, en moyenne,
un kilogramme de pain par jour, en mettant le pain au plus
bas prix, soit30 centimes le kilo(moitié moins cher qu'aujour
d'hui), il ne resterait que 5 centimes pour payer la viande, les
légumes, le sel et la boisson. M. de Remilly prouve toute la
fausseté de ce raisonnement. Il n'y a que des débauchés ou
des sybarites qui puissent le contredire. Pour établir sa pro
position par des chiffres, il est probable que l'honorable dé
puté aura fait l'expérience par lui-même, en taxant sa nour
riture à 35centimes par jour pendant un certain laps de temps,
et si l'on pouvait douter encore, il n'aurait qu'à publier le
détail de sa dépense journalière. Il n'en faudrait pas davan
tage pour convaincre les plus incrédules. -

Nous le répétons, c'est un grand service que M. de Remilly


rend aux ouvriers, en leur indiquant le moyen de vivre à très
bas prix, et en leur prouvant que, s'ils sont malheureux,
94

c'est qu'ils le veulent bien ; ce n'est point parce que les salaires
sont trop réduits, comme ils ont l'habitude de s'en plaindre,
mais bien parce qu'ils veulent se nourrir trop fastueusement.
M. le député de Versailles vient de prendre place dans le
cœur des ouvriers, à côté de M. le baron Ch. Dupin, le père
des ouvriers. Qu'il reçoive ici l'expression de notre impéris
sable reconnaissance.Nous lui votons une couronne civique,
ou bien un prix Montyon.
RÉNÉ, relieur.

DIAL0GUE.
PIERnor père de famille; - PoLICHINELLE économiste.
POLICHINELL.E.

Hé donc, l'ami Pierrot, approche, écoute un peu ;


Ne te tiens-tu sur pied que pour l'amour de Dieu ?
Ta figure est bien pâle et ta maigreur fait peine ;
Dans tes larges habits tu sembles à la gêne.
Serais-tu donc malade ? aurais-tu du chagrin ?
Qu'as-tu fait de ta joie et de ton ris malin,
De cette gaîté folle en malice féconde ?
Dis-moi pourquoi tu prends cet air de l'autre monde ;
Tu n'es plus d'autrefois le bon et gai garçon.
PIERR0T,

Non, je suis marié...


P0LICHINELLE ,

Quoi ! c'est là la raison


Qui te fait si morose ?
PIERROT •

Oui, j'ai vu ma famille


S'accroître en peu de temps : trois garçons, une fille.
POLICHINELLE,

Hé! de quoi te plains-tu ? le bonheur pleut sur toi,


Et je connais des gens qui voudraient bien, ma foi,
D'un mal pareil au tien. Es-tu malheureux père
Ou malheureux époux ?
PIERROT,

La nourriture est chère


Et les besoins sont grands; mes quatre enfants ont faim,
Car mon travail ne peut même donner du pain,
Monsieur Polichinelle.
PoLICHINELLE.
Oh ! oh ! c'est autre chose ;
Va, de ton air chagrin je devine la cause.
95
Que ne le disais-tu? je puis te secourir,
Et je le ferai, certe, avec un grand plaisir.
( Lui donnant un livre.)
D'abord prends-moi ceci.
PIERR0T•

Qu'est-ce donc que ce livre ?


POLICHINELLE.

C'est un traité complet de ce qu'il faut pour vivre.


PIERROT,

Ce livre-là, monsieur, fait-il vivre sans pain ?


POLICHINELLE.

Non, cela ne se peut, le fait est trop certain.


- PlERR0T.
En donne-t-il au moins ?
POLICHINELLE.

Non, mais il préconise


· Le jour où l'ouvrier pourra vivre à sa guise ;
Il règle sa dépense et calcule son gain,
Le fait vivre, en un mot, sans souci ni chagrin.
Quant aux autres beautés qui sont dans cet ouvrage,
Tu les apprécieras toi-même davantage ;
C'est un livre excellent (j'en suis l'indigne auteur),
Qui doit porter des fruits pour l'attentif lecteur.
PIERROT,

Est-ce là tout, monsieur, ce que vous pouvez faire


Pour tirer ma famille et moi de la misère ?
POLICHINELLE.

Tu deviens exigeant.
PIERROT,

Non, c'est un profit clair ;


A n'être pas content j'aurais fort mauvais air ;
Vous apprenez que j'ai beaucoup de peine à vivre,
Votre bon cœur s'émeut, et vous m'offrez... un livre !
POLICHINELLE•

Que veux-tu donc de plus ?


PIERROT,
Je ne demande rien.
Malgré moi, la façon dont vous faites le bien
Rappelle à mon esprit une analogue histoire
Dont peu de gens, je crois, ont gardé la mémoire :
Quelques hommes de bien, remplis d'humanité,
Fondèrent un bureau nommé de charité ;
Or, les frais de beaucoup passèrent la recette ;
Tout n'était pas payé que la caisse était nette.
Il fut décidé lors, entre les fondateurs,
Que les pauvres étaient du surplus débiteurs,
Puisque c'était pour eux qu'on fondait l'entreprise ;
96

Mais avec grandeur d'âme on leur en fit remise.


POLICHINELLE.

Rends-moi mon livre, ingrat; d'autres n'en font pas foin.!


PIERROT.

Tenez; j'allais le vendre à l'épicier du coin.


Ernest JoINDY.

BIBLIO GRAPHIE.

Sous ce titre, Le livret c'est le servage (1), la Démocratie


Pacifique publie une petite brochure dont le but est de signa
ler l'intention réelle du projet de loi sur les livrets.
Ce petit ouvrage, écrit d'ailleurs avec beaucoup de modé
ration, et en dehors de tout esprit de système, contient, outre
l'exposition du projet de loi, accompagné de réflexions très
judicieuses et impartiales, l'origine et l'histoire du livret, le
but des différents législateurs qui, depuis 1749 jusqu'à nos
jours, l'imposèrent à l'ouvrier comme un signe de servitude;
enfin il reproduit différents arrêts de cours royales et de la
cour de cassation qui démontrent quels abus résultèrent de
cette mesure de police et que la loi nouvelle aggraverait en
core. Nous engageons vivement les personnes que cette ques
tion intéresse à se procurer cet ouvrage, que la modicité de
son prix (15 centimes) met à la portée de toutes les bourses.
(1) Se vend à la librairie sociétaire, rue de Beaune, 2, et quai Voltaire
25, en face du Pont-Royal. — Prix 15 centimes.
–-> 9-e99@e-m--

ALVÉOL ES.
Voilà deux mille ans déjà que des nations entières s'age
nouillent devant un gibet, adorant celui qui voulut y mourir,
le Sauveur des hommes. Et pourtant, que d'esclaves encore !
que de lépreux dans le monde moral ! que d'infortunés dans
le monde visible et sensible ! Que d'iniquités triomphantes !
que de tyrannies savourant à leur aise les scandales de leur
impunité ! Le Rédempteur est venu; mais la Rédemption,
quand viendra-t-elle ?
Louis BLANC.
(Organisation du travail. Introduction.)
Le Gérant, F. DUQUENNE.

lmprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


TABL E.
Pag.
Recommandation d'infortunes intéressantes. ........... . . - · · · · · · · · · · · · 65
Le travail et les travailleurs ; par CoUTANT, typographe....... - • • • • • • • • • • 66

Subsistances ; par E. MILLIÉ, horl. mécanicien. ... .................... 74


Débuts de M. HÉBERT, ........ . - - • • • • • - - - • • • • • • - • • • • • • • • • • • • • • • - - - - 79

La famine et les philanthropes anglais. (EToILE DU PEUPLE.)........... . ... 81

Abolition de l'esclavage (Turquie. - Egypte.)....... .. .. ... .. · . .. .. .. 81


Conspiration contre le Pape....... .. ........... • • • • • • • • • • • • • • • • • • • S2

OEuvre de fraternité. ... .. .. ... . - - 4 - - - - - - - • • • - - - · · · · · ·· ·· · · · · · · · · . 82

Correspondance. — Lettre de M. Achille GIRoux, artiste peintre. .......... 83


Cause de la puissance du Christianisme............ .. - • • • • • • - - • • • • • - - 85

Lettres aux Français. VII°. (Mme V° MIEsvILLE, fleuriste).......... .. .. 85


Remède de M. de Remilly contre la misère. ( RENÉ, relieur)........ , ... .. 93
DIALoGUE : Pierrot père de famille; Polichinelle économiste, par E. JoINDY,
compositeur. .. .. .. .. .. . .. .. .. . - - - . . .. .. .. .. ...
- - - • - • • - - - - - - - º - 94

BIBLIoGRAPHIE. Le livret c'est le servage. ... ... ......... ... ... . .. .. ... 96
ALvÉoLEs : M. Louis BLANC........................... .. .. .. ... .. ... 96

LA RUCHE PoPULAIRE, qui date de décembre 1839, forme tous


les ans un volume de 3 à 400 pages.

PRIX DE L'ABONNEMENT.

A PARIS : 6 fr. par an.


DÉPARTEMENTs : 7 fr.
HoRs FRANCE : 10 fr. par an.

(Affranchir.)
O se s'a b o se sa e à Pes 2 é s
Au Bureau de la Ruche, rue Vieille-du-Temple, 75, au Marais.
Chez M. BoRDiER , libraire, même rue, n. 75 (Dépôt du journal.)
AUBERT ET Cº, édit. d'estampes et du journal les MoDEs pARIsIENNEs,
29, place de la Bourse.
ALLIANCE DEs ARTS (Agence spéciale pour expertise, collection et vente
de tableaux), 178, rue Montmartre.
Aux bureaux du SIÈCLE, 16, rue du Croissant,
Aux bureaux de la RÉFoRME, rue J.-J.-Rousseau, 3.
Au journal l'UNION MONARCHIQUE, 4, rue du Bouloy.
Aux bureaux de LA SEMAINE, 6, rue Saint-Marc-Feydeau.
Aux bureaux de la DÉMoCRATIE PACIFIQUE, rue de Beaune, 2.
Au bureau de la Colonne, 22, rue Saint-Antoine.
A la Société de la Morale chrétienne, 9, rue Saint-Guillaume.
MM. GUENARD (Alex.), librairie de piété, rue Royale-Saint-Honoré, 17.
LEGRos, salon littéraire de la Chambre des Députés, rue de Bourgogne.
PERROTIN, libraire éditeur, rue Fontaine-Molière, 41.
H. SoUVERAIN, libraire, rue des Beaux-Arts, 5.–Et tous les autres lib.
On souscrit aussi
A LYoN, à la Tribune lyonnaise, revue politique et sociale, 53, r. S. Jean.
Id. au bureau de l'Echo de la Fabrique, à la Croix-Rousse, gr. Place.
Id. Office de correspondance, 9, rue Sirène.
ARRAs, au bureau du Progrès-du-Pas-de-Calais, et chez ToPINEAU, libr.
ANGoULÊME, au bureau de l'Indépendant, journal politique et littéraire.
BÉZIERs, au bureau du Journal de Béziers.
EVREUx, au bureau du Courrier.
VERSAILLEs, chez Mº° GUÉRIN, salon de lecture, 36, rue de la Pompe.
SAINT-OMER, au bureau de l'Eclaireur.
ORLÉANs, au Journal-du-Loiret.
RoUEN, à la Société libre d'Émulation.
SAINT-QUENTIN, au bureau du Guetteur.
Id. au bureau du Courrier.
MELUN, chez Mº° DESPLANTEs, lib., rue de la Juiverie, 12.
RoANNE, au bureau du Progrès-de-la-Loire.
AVIGNoN, au bureau de l'Indicateur.
CALAIs, au bureau de l'Industriel Calaisien.
GRENoBLE, au bureau du Patriote des Alpes.
CHARLEVILLE, au bureau du Propagateur des Ardennes.
SAINT-MALo, au bureau de la Vigie de l'Ouest.
LA CHATRE, au bureau de l'Eclaireur (Indre).
BLois, à l'Etoile-du-Peuple, chez M. Dézairs-Blanchet, libr., gr. r., 67.
ToULoN, au bureau dela Sentinelle de la Marine et de l'Algérie.
VEvEY (Suisse), au bureau de la Patrie, gazette politique et sociale.
TURIN (Savoie), au bureau de la Gazette de l'Association agricole.
MADRID (Espagne), Libreria Europea, calle de la Montera , 12. (Bul
letin bibliographique espagnol et étranger.)
LEYPsIG (Saxe), chez M. MICHELM, lib.
WAsHINGToN (Amérique), au National Intelligencer, au The Daily
Union, et à la Société typographique colombienne.

On reçoit au bureau de la Ruche les abonnements à tous les journaux


ci-dessus mentionnés.

Imprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


R||0|||| P0P||LAIRE
Première Tribune et Revue Mensuelle

RÉDIGÉE ET pUBLIÉE

PA R DES OUVRIERS

S0us la direcli0n

DE FRANÇOIS DUQUENNE
Ouvrier imprimeur.

NEUVIÈME ANNÉE. - AVRIL-MAI.

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PARIS
AU BUREAU, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE, 75,
AU MARAIS.

1847
LPROG LRA M IM I Ee

Le but principal de la Ruche populaire est d'indiquer les misères


cachées aux riches bienfaisants. Elle ouvre en outre aux ouvriers une
tribune où chacun d'eux peut faire entendre ses justes réclamations,
exprimer ses vœux légitimes, ses espérances d'amélioration. Or
telles sont aujourd'hui la multiplicité et la divergence des doctrines
sur toutes choses, qu'on ne saurait s'attendre à trouver parmi les
écrivains de la Ruche l'unité d'opinions, qui n'existe nulle part. Le
but de notre recueil n'est donc, sous ce rapport, que de faciliter
l'intervention des Hommes de travail dans la discussion des moyens
propres à remédier à des maux universellement avoués. En leur
laissant une pleine liberté d'exprimer leurs idées, elle leur en laisse
aussi toute la responsabilité, se bornant à exiger d'eux, avec un
ton décent, le respect que l'on doit toujours à la morale publique.

A NOS FRÈRES.

Nous voulons dire au plus malheureux de nos frères gémissant


sur la voie publique, ou bien abandonné dans son grenier :
« Te voilà sans travail, et tu en demandes; tu es sans logement,
» sans vêtements, sans nourriture; incertain du lendemain ou sans
» Providence, aucune main amie ne vient toucher la tienne, donc
» tu as à te plaindre. Eh bien, si ta plainte est digne, viens nous
»l'apporter; il ne t'en coûtera rien pour l'imprimer; et tu parleras
»à la Société, n'étant justiciable en ceci que de la majorité de tes
» frères d'infortune. »
LA

RUCHE POPULAIRE
(# # #E$BUS $ 38)

« Secourir d'honorables infortunes qui se


« plaignent, c'est bien ; s'enquérir de ceux
« qui luttent avec honneur, avec énergie, et
« leur venir en aide, quelquefois à leur insu ;
« prévenir à temps la misère ou les tenta
: « tions qui mènent au crime..., c'est mieux.»
(RoDoLPHE, dans les Mystères de Paris.)

Nous recommandons à l'Evangélique Fraternité ces infor


tunes intéressantes :

Une famille de sept enfants, dont le père, homme de peine


souvent sans travail; la mère ayant eu et nourri 11 enfants,
est épuisée et toujours malade.
Une autre famille, de trois enfants, dont le père, atteint
d'aliénation mentale; l'aîné des enfants, âgé de six ans, est
infirme, la mère n'a pour exister que son état de journalière
blanchisseuse. .

Suivent les autres infortunes inscrites sur notre registre.

IX° ANNÉE de cette 1re tribune des ouvriers. - Avril et Mai 1847. 7
98

CONDAMNATION DES OUVRIERS CORROYEURS.

.... En quittant les assises, nous sommes allés entendre les


débats du procès en coalition des ouvriers corroyeurs. L'en
ceinte de la sixième Chambre était pleine de femmes, filles,
mères, épouses, amantes.Quel auditoire sympathique, et
comme les paroles de la défense et de l'accusation allaient
droit au cœur de tous ces pauvres gens ! Tantôt ils riaient,
tantôt ils pleuraient. Quand les peines eurent été prononcées
par le jugement, ce fut un triste spectacle, je vous assure.
Six moisd'emprisonnement! répétaitunepauvrejeune femme;
que vais-je devenir sans mon mari pendant six mois ? trois
enfants malades et pas de pain. Hélas ! messieurs, nous disait
elle,#es une condamnation à mort qu'on a prononcée contre
Il0U1S

Ce spectacle ne nous a pas moips navré que celui de l'ex


position publique des condamnés sur la place du Palais de
Justice.
(La SEMAINE, 18 avril.)
-- • - - --

Si vous saviez ce que signifie ceci : « Je veux la miséri


« corde et non pas le sacrifice, » vous n'auriez pas condamné
ceux qui ne sont pas coupables....
(EvANGILE.)
–•93&Gç -

MYSTÈRES DES ATELIERS.


(Suite. Voir les numéros précédents.)
-

« Dans les fabriques de casquettes, on ne peut plus avoir


« d'ouvrage; figurez-vous Madame, que depuis le mois de
« janvier on ne veut plus nous donner de l'ouvrage sans être
« obligé de courir de tous les côtés pour avoir un livret, qu'il
« faut faire signer par le dernier maître pour qui on a tra
« vaillé, et aussi par le commissaire de police. Mais comme
« moi depuis longtemps je n'ai pas travaillé dans cette par
«tie là, puisque j'avais quitté de faire des casquettes pour
« faire de la passementerie où je gagnais mieux ma vie; mais
« depuis longtemps que cela est passé de mode, il n'y a plus
« d'ouvrage dans cet état, et j'aurais donc voulu travailler de
« nouveau dans les casquettes, et je ne puis avoir un livret
99

« ni certificat, puisque depuis longtemps# n'y avais plus tra


« vaillé et que je ne sais plus ce que sont devenu les fabricants
«pour qui j'avais travaillé.Ainsi l'on me renvoie toujours
« de Pierre à Paul; tantôt Monsieur Roland n'y est pas, tan
« tôt c'est trop de bonne heure ; il me faut revenir de la rue
« de Montreuil où nous demeurons avec cet enfant là sur les
«bras, et je n'en peux plus.... Enfin j'ai beau aller et venir,
«je ne peux plus rien obtenir... Cependant si j'avais pu avoir
« un peu d'ouvrage, quand j'aurais dû passer les nuits, j'au
« rais pu donner au moins du pain à mes enfants tout en les
« soignant, car le père a si peu d'ouvrage, que c'est comme
« s'il ne faisait rien du tout. Nous n'avons plus rien, nous
« sommes épuisés de tout !!..... »
Mº° LAURENCE.

Le capital de l'ouvrier, c'est son bras, son temps, son in


telligence; lorsque, par une circonstance quelconque, le tra
vail est suspendu, l'ouvrier est désarmé.
\ (Un ouvrier anglais.)

LE LIVRET,

Il faut des serfs à la féodalité nouuelle,


Le projet de loi du livret présenté à la Chambre des députés,
est tout en faveur des maîtres et absolument contraire aux .
intérêts et à la liberté des ouvriers,
Le ministre, afin de rendre les députés favorables à cette
législation exceptionnelle, fait ressortir, comme avantageux
aux ouvriers, quelques † du projet.
Il déclare que le livret servira à justifier de la bonne con
duite, de l'honnêteté, et de la capacité de l'ouvrier. Mais l'ar
ticle 31, en défendant toute mention favorable ou défavorable, .
détruit complètement l'assertion ministérielle. -

Cette défense d'une mention quelconque, faite en vue de


rassurer les ouvriers contre les injustices et les vengeances
qu'on prévoit sans peine, est fondée sur ce que le maître, en
insérant des termes défavorables, ou en s'abstenant d'en
écrire d'aucune façon, mettrait l'ouvrier dans l'impossibilité
de trouver du travail. Cette abstention est encore insuffisante;
car à défaut d'une note explicative, les maîtres, voulant nuire
7.
100

à un ouvrier qui ne se sera pas soumis à leur prétention, y


suppléeront par un signe convenu entre eux dans leurs assem
blées. Ces vengeances s'exercent même sans le livret, en si
gnalant le nom de l'homme proscrit des ateliers; combien
ce sera plus facile avec le livret, quel qu'il soit !
Une des prétentions du ministre, contenue implicitement
dans ce projet (on n'a pas osé l'avouer franchement !), est de
suivre l'ouvrier pendant toute sa vie, de posséder des preuves
historiques de ses pérégrinations d'atelier en atelier. —Quelle
sollicitude ! — Le livret ayant été jugé imparfait pour l'admi
nistration de telles preuves, on a inventé le registre, c'est
à-dire un double du livret ; en sorte que l'ouvrier qui perdrait
ce précieux livret, pourrait facilement le réédifier à l'aide de
ces registres immuables que posséderaient éternellement les
maîtres. Ces registres seraient semblables à ceux que la police
visite dans les hôtels garnis. Mais malgré le livret, malgré le
registre dû à l'imagination des ministres, il existera encore
des lacunes qui rompront cette chaîne de renseignements sur
l'ouvrier. Il devient donc nécessaire d'établir un deuxième
registre où seront inscrits les temps de maladie, puis un troi
sième qui attestera la durée du manque de travail, de la morte
saison, alors que l'ouvrier rentre dans la possession du livret
en attendant la reprise des travaux.
Un grand avantage que le ministre met en relief, c'est que
l'ouvrier obtiendra facilement des maîtres des avances d'ar
gent, attendu que ces avances, au cas où l'ouvrier quitterait
le premier, seront inscrites sur le livret, et que le nouveau
maître (ils seront tous solidaires), devra faire rentrer l'an
cien dans ses avances en opérant sur l'ouvrier la retenue à
cet effet, bien entendu. C'est une créance privilégiée; — Nous
disons que les garanties accordées aux maîtres conviendraient
mieux aux ouvriers. En effet, les maîtres ne prêtent que ra- '
rement et restent toujours libres de refuser les avances. Au
contraire, tous les ouvriers, sans exception, font forcément
l'avance de leur travail, ici pendant huit jours, là pendant
quinze, ailleurs un mois, deux mois, trois mois même, quel
quefois on est réduit à recourir aux tribunaux. En toute jus
tice, c'est le maître qui devrait être tenu à prouver sa mora
lité et sa solvabilité à l'ouvrier qui fait l'avance de son travail.
On dit encore que le livret tiendra lieu de passeport à l'ou
vrier. — L'ouvrier voyage peu. L'économie est donc insen
sible. Du reste, on ne s'en inquiète guère.
Le passeport, mesure fiscale et de police, a été l'objet de
réclamations universelles, populaires et non populaires. Nous
ne demandons pas à être exempts d'un impôt que d'autres
101

supporteraient.Nous tenons à l'égalité devant l'impôt comme


à l'égalité devant la loi, mais à une égalité sérieuse.
Nous cherchons dans ce projet quelque chose qui ressemble
à une bonne intention, c'est en vain : il n'y en a pas. La cons
tante préoccupation du ministre est d'assurer aux maîtres la
† d'ouvriers, quoi qu'il arrive, sans même obliger
es premiers à fournir constamment le travail, ni à respecter
les salaires dont on serait convenu. — Si le travail est ingrat,
mal ordonné; si le maître n'entend rien au métier, et que,
par ces causes, il empêcne l'ouvrier de produire selon sa ca
pacité, il faudra que celui-ci continue à travailler pour ce
maître incapable. Si l'ouvrier trouve des conditions meilleures,
soit dans le salaire, soit dans la durée du travail, dans la mo
ralité et la solvabilité d'un autre maître, il devra donc renon
cer à tous ces avantages importants, si le maître possédant ne
consent pas à se dessaisir de l'ouvrier. -

Ce droit du maître sur l'ouvrier s'étendra jusqu'à l'ou


vrière, et ainsi sera anéantie la loi civile sur les rapports de
l'époux et de l'épouse, qui, tous les deux, appartiendront à
l'industriel. Dans ce conflit entre le maître, l'ouvrier et l'ou
vrière, qui l'emportera de la loi civile qui n'accorde pas à la
femme le droit de prendre d'engagement, ou de la loi du livret
qui donne à l'industriel le droit de propriété temporaire sur
les ouvriers et ouvrières? La femme appartiendra-t-elle au
mari ou à l'industriel? Expliquez-vous.
· Pourquoi imposer le livret à l'ouvrière? Encore faut-il un
motif. Le projet n'en dit rien, le ministre se tait comme font
tous ceux qui n'ont pas de raison honnêtes à présenter. Eh
bien ! le motif vrai n'est pas difficile à découvrir : on veut
battre monnaie aux dépens de l'ouvrière. Il n'y a pas d'autre
motif, n'en cherchez pas, vous perdrez votre temps. Ne dites
pas qu'il est odieux et immoral d'assujétir la femme au livret,
ne parlez ni de mœurs ni de pudeur, vous seriez hors de la
question. Le livret se réduit, pour l'ouvrière, à une question
d'argent. Le reste n'est rien. Peut-être le ministre ne sait-il
ce qu'il fait. Il croit sans doute que la femme et la fille de
l'ouvrier ne méritent pas les égards, le respect qui sont dus
à la femme et à la fille d'un ministre. Qu'importe que l'ou
vrière apprenne à parcourir le chemin de la prostituée, et,
pour une infraction au livret, celui de la prison, les enfants
des ministres ne seront pas soumis à ce régime infâme. Il faut
de l'argent, mais non de la morale.
Quant à l'ouvrier, la question se complique; elle est finan
cière, politique et économique.
La question est financière, en ce que le livret, quoique le
102

prix soit porté à 25 c. au lieu de 50, serait payé au moins


une fois et demi de plus qu'il nevaut;-politique en ce qu'elle
anéantirait le dernier lambeau de liberté qui nous reste, sil'on
peut toutefois appeler liberté ce qui est le droit naturel de
l'homme, celui de s'appartenir; ce droit-là, le livret l'enlève
à l'ouvrier qui, une fois entré dans un atelier, n'en pourra
sortir que par la volonté du maître ; — économique, car l'ou
vrier, placé sous le bonplaisir du maître, ne pourrait protester
contre les diminutions de salaire, l'augmentation des heures
de travail, les impositions des règlements vexatoires, et les
amendes créées selon le caprice et l'intérêt du maître.
L'intérêt de l'ouvrier serait complètement sacrifié au bon
marché qui ne profiterait qu'aux riches et à tous les em
ployés de l'Etat, dont le nombre et les appointements aug
mentent toujours. La plus vile des exploitations, celle qui
s'opère sur des ouvriers, serait soutenue par la loi, comme
cette grande immoralité qu'on appelle faillite.
Comment le gouvernement accordera-t-il son projet de loi
du livret, avec le principe de la liberté illimitée du commerce
qu'il affectionne tant, le laissez-faire, le laissez-passer?Il dé
clare donc que le peuple est en dehors de la loi commune,
qu'il est aussi indigne de la liberté commerciale que de tout
autre liberté.

Allez, messieurs, quand il y a famine de blé, famine d'édu


cation, famine d'instruction, famine de travail dans le peuple,
vous pouvez ajouter la famine de libertés; nos palais ont perdu
le goût de ce pain divin, mais priez Dieu que l'appétit ne nous
revienne pas !
· Avec son projet, le ministre a prouvé ceci, que l'institution
des maîtres ne peut exister qu'au détriment de l'ouvrier; que
chercher à concilier les deux intérêts, c'est un rêve digne de
l'abbé de Saint-Pierre, mais impossible; il faut donc que l'un
des deux soit sacrifié; c'est ce qu'a fait le ministre : il a sa
crifié les intérêts populaires aux profits du marchand, de la
caisse percée du budget et dela politique à outranceduministre
rhéteur. Nous retiendrons cette leçon.
CoUTANT,
ouvrier typographe.
103

ENC0RE LA TERREUR.
— Eh bien ! sait-on ici quelque chose des malheureux ou
vriers de Buzançais !
— Ma foi, non ! Les journaux se bornent à des supposi
tions; tout le monde est encore dans une cruelle incertitude.
–Cependant un journal prétend qu'ils sont guillotinés ;
l'exécution aurait eu lieu au milieu d'un grand concours de
peuple, de soldats, de gardes nationaux ; il y aurait eu aussi
des canons.
— Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! serait-il possible? Ils n'a-
vaient donc pas de confiance en leur justice, qu'ils s'entou
raient de tant de forces?
— Ces pauvres gens, que la misère a égarée, que la famine
menaçait, sont plus rigoureusement traités que les assassins ;
car sans l'exaspération, ils n'eussent fait de mal à quoi que
ce soit. -

— Dieu ! quel tourment que cette incertitude-là ! Quant


à moi , je croirais vraiment avoir le cou sous le couteau...
— Moi aussi ! moi aussi ! c'est ce que j'éprouve.
– Quant à moi, ce jugement m'a rendu tout triste.
— Parbleu! il y a de quoi !.. Tout le monde se sent frappé
dans cette affaire là... Dans la maison où je travaille, chacun
pense là- dessus comme ici ; c'est une véritable terreur,
QuOl.... s,

— Mais... Est-ce que le gouvernement ne leur fera pas


grâce, donc ? Il me semble qu'il y est le premier intéressé,
quand ce serait seulement pour sa réputation.
— Je l'espère, moi; on dit que le roi examine toutes les
pièces du procès, et il est très clément, le roi. Vous vous rap
pelez sans doute qu'en 1830, on proclamait partout qu'il
voulait l'abolition de la peine de mort ; et même la pre
mière fois qu'il lui a fallu signer un arrêt de mort, se sentant
† frappé, il s'est trouvé mal dans les bras de M. La
tte.....
— Ah ! c'est vrai, c'est vrai ; cela.
— Eh bien ! c'est un espoir, voyez-vous ? c'est un espoir
que vous me donnez, vous autres.
– Oh là ! un instant s'il vous plaît....
Vous oubliez, vous autres, que M. Hébert, homme exalté,
vindicatif, et qui passe pour avoir le cerveau un peu malade,
vient d'être nommé ministre de la justice. Rappelez-vous le
dernier procès politique à la cour des pairs, où il inventa la
complicité morale... Ce trait-là dit tout.
104

— Et M. Guizot, donc, en voilà encoreun caractère outré (1);


chacun sait aussi combien il a d'influence. Peut-être d'autres
ministres que ceux-là ne seraient-il pas pour la rigueur, s'ils
n'étaient pas influencés. On dit que le président (M. Mater)
qui a prononcé le jugement, et l'avocat-général (M. Didelot)
qui a soutenu l'accusation, sont appelés dans le conseil : c'est
significatif, voyez-vous, cela !
— Vous ne croyez donc pas qu'il leur sera fait grâce ? vous
autres?
. - Non, non ; on voudra terrifier, donner un exemple,
comme ils disent. C'est toujours des hommes du peuple, qui
sont choisis pour l'exemple.
— Mais c'est épouvantable, cela... Ce serait aussi affreux
que la mort des quatre sergents de la Rochelle, que la France
pleurera toujours !
— Et que diront les journaux ?
— Et l'histoire donc !
— Quant à moi, je souffre tout autant que si j'étais res
ponsable de cette condamnation. N'est-ce pas en effet en notre
nom, au nom de tous qu'ils ont été condamnés, les malheureux?
Dieu sait pourtant si je désire la mort de quelqu'un, fût-il le
plus criminel des hommes; j'ai toujours murmuré, par na
ture, contre la loi homicide.
— Je le crois bien, vous qui ressentez si fort les peines du
#ain. Oh! si tous les ouvriers étaient comme vous, mes
amis ! -

Aussi, quel devoir nous avons à remplir ! on disait jadis,


noblesse oblige, le poète a charge d'âme ; aujourd'hui, en
présence de ce qui se passe, personne ne doit laisser à
d'autres la défense des intérêts de tous. Eh ! parbleu! Sans
être noble, sans être poète, est-ce que tout homme qui a du
cœur ne pourrait le prouver sans cesse par ses paroles, par
ses actions ! Ne voyons-nous pas la cause de tous les malheurs
dans ce délaissement absolu du peuple ? En effet, quel certi
tude avons-nous d'exister demain ? Pouvons-nous disposer
(1) M. Guizot, qui chaque fois qu'il redevient ministre, gouverne positi
vement en sens inverse des saines doctrines exposées dans ses écrits; c'est
une de ces natures négatives, pessimistes, n'agissant que de la tête, pro
testant en religion pour le plaisir de protester, et pour qui l'exercice de l'au
torité est le bonheur suprême. Caractère arrogant, impitoyable, se servant
du mensonge comme principal moyen de gouvernement, afin d'arrêter et
d'annuler le progrès social ; agissant d'ailleurs en ceci conformément à ses
tendances naturelles. Ce calviniste est donc merveilleusement construit pour
gouverner en ce siècle fatal d'égoïsme, de fourberies, de bassesses, de tripo
tage ou mystifications bourgeoises.Aussi pèsera-t-il encore longtemps sur la
France abusée, humiliée, affamée, embastillée.
105

du travail?De quelque côté que nos regards se tournent, nous


ne voyons qu'incertitude et désespoir; mais de providence so
ciale, il n'y en a nulle part. Quand le pain est cher, ce sont
des privations nouvelles pour les uns, l'inanition, lamort pour
d'autres.... Eh bien, quand on voit venir cette mort, on tent
un dernier effort, et il arrive, dans ces cas extrêmes, ce qui
est arrivé à Buzançais ; vous demandez, mais en désespéré, ;
le pain à bon marché; on tue deux des malheureux, qui tuent
à leur tour, puis la justice intervient; malheureusement, il ,
n'y a plus alors de circonstances atténuantes, de droit de * =
grâce : le sang a coulé, n'est ce pas ? Eh bien il coulera en
core, alors même que tout est calme, que tout danger est pas
sé. O oui, tout cela est affreux ? Pourtant ne nous laissons
pas abattre, mes amis ; plus que jamais nous avons besoin de
tout notre courage. Tout me dit que la vraie justice n'est pas
un vain mot, et que son règne dépend de la ferme volonté
des ouvriers... Mettons-nous donc à l'œuvre avec une ardeur
nouvelle, et concourons, avec tant d'autres, à faire dispa
raître de notre société les derniers monuments des temps bour
geois ou barbares !....
(Conversation sténographiée.)
-

LA GUILLOTINE A BUZANÇAIS.

« Le 16 avril dernier, l'échafaud s'est dressé dans cette ville


sous la protection d'un quadruple rang de troupes de ligne,
et de plusieurs pièces de canons. Trois hommes obscurs,
Louis Michot, François Velluet et Baptiste Bienvenu sont
montés sur cet échafaud, et l'arrêt de la cour d'assises d'Indre
et Loire a reçu son exécution. - Pourquoi cet appareil inso
lite! Le ministère se vengeait sur eux de son imprévoyance.. »
(Tribune Lyonnaise.)
-•-

CÉLÉBRITÉ PRÉCoCE DE M. HÉBERT.


« L'entrée de M. Hébert au ministère de la Justice vient
d'ètre inaugurée d'une manière déplorable. Les trois con
damnés à mort de Buzançais ont été exécutés. Ce sang est
une mauvaise semence. Une société coupable d'imprévoyance
en face de la disette ne se justifie pas mieux par la guillotine,
que les dogmes oppresseurs du moyen âge ne se justifiaient
par le bûcher. Ceux qui jettent à des masses affamées un pa
reil déſi se chargent d'une responsabilité redoutable. »
(Démocr. pacifique.)
106

OEUVRE DE FRATERNITÉ.
| --z..
#, Lorsqu'on nous signale une infortune intéressante, quel
qu'en soit le genre, comme, par exemple, un honnête ou
vrier, père de famille, depuis longtemps sans ouvrage et se
laissant périr lui et les siens plutôt que de révéler sa misère,
· nous allons le visiter nous-mêmes en qualité de camarades et
non d'inspecteurs ; puis nous mentionnons le fait sur un re
gistre en omettant le nom et l'adresse; et quand un riche a
le beau courage, en le venant consulter, de choisir une ou
plusieurs infortunes à soulager, alors, au moyen d'un carnet
à numéros correspondants , nous lui conſions les noms et
adresses, afin qu'il puisse aller lui-même répandre ses bien
faits.

Nous remercions les personnes généreuses qui, depuis notre


dernier numéro, ont secouru de nos familles, et les Jour
naux qui ont eu la bienveillance d'annoncer le Concert donné
le 30 mai en faveur de notre œuvre, tels, le Siècle, l'Union
Monarchique, le Corsaire, le Charivari, la Réforme, la Dé
mocratie pacifique, le National et la Patrie.
Nous remercions aussi l'Impartial de Smyrne (Turquie),
pour la grande publicité dont il a bien voulu favoriser notre
oeuvre, en en reproduisant, le 28 mai, tout le prospectus.

On trouvera au bureau de la Ruche des tableaux et autres


objets d'art et d'industrie destinés à être cédés au profit des
Familles que nous recommandons.
3G

Réformes sociaIes en Italie.

Pie IX, au milieu des bénédictions de son peuple, poursuit


la réalisation de ses vues toutes chrétiennes, et les municipa
lités lui prêtent avec ardeur leur appui. On écrit de Ravenne
qu'on y organise en ce moment une colonne mobile de 500
fantassins et d'un escadron de cavalerie avec deux canons,
afin de réprimer immédiatement tous les troubles formentés
par les vieilles fractions rétrogrades. On assure que cette
exemple sera suivi par d'autres villes.
Le gouvernement papal a autorisé la publication des jour
naux qui avaient cessé de paraître sous le règne précédent.
107

Il a interdit, en outre, toute espèce de rétribution pour les


chaises dans les églises. C'est là une mesure qu'on devrait
s'empresser d'adopter à Paris et dans tout le monde chré
tien.
coLÈRE DU DEsPoTIsME.

L'Autriche menace la confédération germanique de se sé


parer d'elle, si l'on accorde la liberté de la presse à l'Alle
magne. C'est absolument tout ce qui pourrait arriver de plus
heureux à la confédération. En attendant, à Munich, on s'af
flige fort peu du départ de l'ambassadeur autrichien, et l'on
ne sait à quelle époque ce diplomate reviendra
(JoURNAL DE BEzIERs.)

-=e66986)s-

LE SOCIALISME ET LES VIEUX RADICAUX.

Nous lisons dans l'Enquéte sociale du 10 mars les lignes


qui suivent :
« Il y a eu dernièrement, dans les régions aristocratiques de
la démocratie , une réunion des fortes têtes du parti. Par qui
et à quelle occasion fut provoquée cette réunion, c'est ce que
nous ne saurions dire. La question à l'ordre du jour était celle
du meilleur mode d'association à appliquer aux classes ouvrières.
Un charpentier ſit observer que les ouvriers devraient être re
résentés à une délibération de ce genre. L'homme d'état de
p# se prononça doctoralement pour la compétence de l'as
semblée, et finit même par éconduire l'importun prolétaire et
saproposition. Ces messieurs se trouvaient suffisammentcapables
et éclairés. »

L'auteur de cet écrit, M. G. D., ouvrier tailleur, parle en


suite des deux principaux systèmes qui ont été discutés dans
cette réunion, l'un qui ne voit pas de mal dans la plus grande
concurrence possible; l'autre qui veut donner pour base à l'as
sociation l'égalité et la solidarité. -

M. G. D. se prononce fortement en faveur du dernier sys


tème, bien qu'il ait été rejeté par la majorité de l'assemblée ;
puis, s'adressant aux partisans de la concurrence, il leur
dit : -

En vous prononçant pour la concurrence illimitée, vous dé


clarez que tout est pour le mieux dans le meilleur des mond s
108

possibles. Pourtant, si l'on vous eût demandé : A quel titre


êtes-vous réunis ? Vous n'auriez pas manqué de répondre : A
titre de réformateurs. Or, si vous proclamez que tout est au
mieux, que voulez-vous donc réformer ?... La forme du gou
vernement, avec un bouleversement radical... dans le person
nel des ministères et de l'administration. Voilà ce que pourraient
dire des médisans ; et ils ne manqueraient pas d'ajouter : Pas
n'est besoin d'être démocrate ou révolutionnaire pour si peu de
chose. »

Nouvelle révélation dans l'Enquête sociale du 30 mars. Ce


n'est plus d'une réunion qu'il s'agit cette fois, mais de deux
réunions. C'est le charpentier Lecomte, désigné dans l'article
du 10 mars, qui écrit à l'Enquête pour confirmer tout ce que
disait M. G. D. :

« Il est vrai qu'un charpentier se permit de faire observer que


les ouvriers n'étaient pas suffisamment représentés dans cette
réunion composée en majorité de grands seigneurs démocrates.
Il se permit aussi, au grand mécontentement de ces messieurs,
de trouver que le principe anti-social de la concurrence illimitée,
qu'ils adoptent, est un principe détestable, aujourd'hui généra
lement repoussé par tous les économistes sérieux. Comme il n'y
avait là d'autre ouvrier charpentier que moi, il est clair que je
dois me trouver suffisamment désigné dans l'article de M. G.
D., et cela m'autorise à prendre la plume, non pour le con
tredire, mais, bien au contraire, pour appuyer tout ce qu'il
dit, et en entrant même dans quelques détails dont il ne parle
point. Nous en sommes tous à nous demander sur quoi peuvent
se fonder messieurs tels et tels, pour se donner, aux yeux de
l'Europe entière, comme les représentants, ou, mieux encore,
comme les véritables chefs de la démocratie française.
Le fait est que mes observations déplurent à ces messieurs,
et que, ayant voulu me présenter à une seconde réunion, je
fus poliment éconduit. »
Après avoir parléde quelques promesses faite il y a quelques
années à la classe ouvrière, et qui n'ont pas été tenues, le
correspondant de l'Enquête sociale continue :
« La réunion radicale de laquelle j'ai été exclu ne me semblait
pas avoir d'autre but que de continuer cette longue déception.
On a déclaré qu'on ne voyait point de mal dans la plus grande
concurrence possible, et il paraît bien, d'après cette aveu, que
la concurrence illimitée, qui, depuis 60 ans, a eu des consé
109

uences si désastreuses pour les travailleurs, est le seul principe


§ sociale adopté par le radicalisme de notre époque !
J'en suis vivement affligé. Comment ! après tous les progrès
dont on s'est tant vanté dans le National et dans l'Atelier, on
en est encore à la concurrence érigée en principe fondamental !
On ne conçoit pas d'autre base d'association que l'égoïsme, la
cupidité, la lutte ! C'est vraiment à désespérer de notre avenir
· social. Le radicalisme est donc tout entier dans le suffrage uni
versel! sur tout le reste il me diffère en rien de ce qui est ! As
surément, le suffrage universel, comme on l'entend au National,
, peut être une excellente chose pour des hommes qui ont de l'ai
, sance, de la fortune, et qui ne combattent que pour arriver au
pouvoir. Mais, comme nous comptons, en France, trente millions
de prolétaires qui ne peuvent aspirer tous à devenir consuls,
ministres, directeurs-généraux, préfets, etc., etc., etc., et pour
qui un travail assuré et des salaires suffisants sont les questions
de premier ordre, on ne devrait pas être étonné de ce que le seul
· droit de voter une fois tous les quatre ou cinq ans dans une as
semblée générale, ne nous satisfait pas pleinement. »

sTÉRILITÉ DU VIEUx LIBÉRALISME.

Il est ridicule de prendre les moyens d'arriver pour le but


à atteindre, et il est bon de savoir où l'on va en même temps
que l'on s'occupe à frayer les voies.
De notre temps on fait bon marché des hommes, les prin
cipes seuls, les principes bien définis font poids dans la balance
, politique. Quant au mécanisme de l'organisation du travail,
quant aux moyens de la réaliser, il y a matière à débats :
mais les marquer d'absurdité d'un trait de plume, ce n'est ni
prouver ni convaincre. - Ce ne sont pas des mots que de
mande le peuple, ce sont des idées; se borner a des négations
ou à des phrases poétiques, c'est une triste fin de non-rece
voir. Cette politique pouvait être bonne sous la restauration,
où la foi des masses dans les promesses du libéralisme dis
pensait les coryphées de l'opposition de toute explication ;
maintenant elle est usée, il n'y a plus que les cervaux vides
qui s'en contentent.
(Le Courrier de la Côte-d'Or.)
110

LE PEUPLE ENCoRE CALoMNIÉ PAR M. DE LAMARTINE (1).


Un livre tellement beau qu'il deviendra un monument na
tional; un livre ou le penseur s'élève au-dessus de son vaste
sujet pour l'embrasser d'un coup d'œil et le montrer, en ta
bleaux saisissants, à la foule haletante d'émotions; un livre
où le poëte se manifeste par la grâce, la force et l'harmonie
de l'expression ; un livre enfin où l'auteur a la puissance de
s'effacer presque toujours pour conserver l'impartialité de
l'historien, et où il ne se montre que pour juger sans passion
les hommes et les évènements, réprouver le crime et prévoir
l'avenir qui sera la rénovation chrétienne....
Eh bien ! ce livre si remarquable sous tant de rapports,
pèche cependant par une pensée, par une phrase échappées
sans doute à un moment d'irréflexion. Mais cette pensée, cette
phrase sont une tache malheureuse, une faute grave, disons
le, une calomnie, parce qu'elles expriment une appréciation
injuste qui blesse la noble et légitime susceptibilité de la classe
la plus nombreuse de la société, d'une classe que Dieu esti
mait assez pour faire naître le Christ dans son sein, afin de
l'élever ainsi, à jamais, aux yeux de tous ceux qui se croient
supérieurs; d'une classe enfin dans les mains laborieuses de
laquelle Dieu a déposé désormais les destinées de toutes les
sociétés, la classe ouvrière !...
Non, monsieur de Lamartine n'a pas réfléchi lorsqu'il a
dit, dans son quatrième volume de l'Histoire des Girondins,
page 135, en parlant de l'agitation intellectuelle du peuple
au commencement de la première révolution : « Dans ce
« temps de fièvre d'opinion, les ouvriers ne se répandaient
(1) voici ce que M. de Lamartine fait dire à Jocelyn :
«Tout ce qui porte un nom, ou génie ou vertu,
«Sous le niveau du crime est soudain abattu ;
« Le doigt du délateur au bourreau fait un signe,
« La seule loi du peuple est la mort au plus digne !
«Sa hache aime le juste et choisit l'innocent l
« L'innocence est son crime ! — O peuple ivre de sang,
« Tu détruis de tes mains l'erreur qui nous abuse,
« Et de tous les tyrans ton exemple est l'excuse !
(Note du Comité.)
111
« pas comme aujourd'hui, après leur travail, dans les lieux
« de plaisir ou de débauche pour y consommer les heures
« du soir en vains propos (1). » -

Certes, dans ce temps comme aujourd'hui et comme tou


jours, il était, il est et il sera des individus qui se livrent à la
débauche, des individus qui se déshonorent par leurs vices
et s'opposent ainsi aux améliorations sociales que l'union mo
rale des hommes peut seule produire, des individus qu'on ne
saurait trop blâmer, et l'on sait que ces individus ne se trou ,

vent pas seulement dans le peuple..... -

Mais à quelle époque de l'histoire les ouvriers ont-ils donné


un plus grand exemple de régénération sociale ? -

Des hommes sans lumière veulent priver la France de toutes


ses libertés conquises au prix de tant de sacrifices et de gloire;
ét, seuls, pendant trois jours, les ouvriers se lèvent pour faire
une révolution que pas un acte de cruauté ou de bassesse n'a
(1) M. C...... se trouvant dernièrement en face d'un magistrat haut
placé, lui dit que la misère était telle, que des hommes mouraient littérale
ment de faim.... - * • -

— Erreur que tout cela ; répondit le magistrat; il n'y a pastant de misère


que vous le supposez; voyez plutôt les barrières, elles sont pleines....
Dernièrement l'nn de nous, en course, s'arrêtait, pour prendre son repas,
à la barrière Pigale. En face de lui, à gauche, se trouvaient attablés deux
ouvriers tailleurs, assez proprement vêtus; ils avaient fait venir un demi
setier, ( cinquième de litre), c'est-à dire chacun un verre de mauvais vin,
pour 2 sous. Ils étaient tristes, et la conversation roulait sur leur malheur
commun, de battre constamment le pavé sans trouver d'ouvrage. D'après leur
dire, ils se trouvaient, à Paris, à plus de deux mille sans travail. — Les
deux autres personnes faisant parallèle aux tailleurs, étaient des marchands
de parapluies, marchands rouleurs ; ils avaient fait venir chacun une portion
de 6 sous, et une chopine du même vin commun, véritable casse-poitrine ; ils
se plaignaient de la chaleur, contraire à leur industrie; leur conversation
nous apprit que l'un avait fait une pièce de 15 sous; l'autre n'avait pas,
comme il dit, fait un sou depuis la veille; il était deux heures après midi. --
Plus loin, vers le fond de la salle, on voyait attablés trois hommes en blouss
bleue. C'étaient des ouvriers terrassiers. Notre conversation avec eux nous
apprit qu'ils étaient sans ouvrage, vivant au jour le jour. La figure eurvrée
de ces hommes décélait une certaine irritation, résultat probable de leur dé
mûment, dé leurs ennuis, de leurs dégouts. Si le magistrat en question, et
M. de Lamartine, député, observaient un peu plus sérieusement les choses
avant que d'en parler, ils trouveraient certes beaucoup à rabattre de leurs
feux jugements sur l'état moral et physique du peuple.,
(Note du Comité.)
112

souillé. Vainqueurs sur le champ de bataille, après ces trois


jours à jamais glorieux, ils se retirent pour laisser à ceux
qu'ils croient plus capables, par leurs lumières, le soin de ré
gir la société et d'accomplir les améliorations qu'elle réclame ;
rendus au travail, ils attendent ces améliorations nécessaires,
et souffrent avec courage et patience tous les maux que ce
travail, encore mal réglé et mal dirigé, leur fait endurer; ici
des salaires insuffisants les empêchent de satisfaire à leurs
plus légitimes besoins; là des travaux insalubres ou exces
cifs détruisent leur santé et les exposent à toutes les humi
liations et les injustices résultant de leur dépendance; tandis
qu'ils voient tous ceux qui profitent de la révolution qu'ils
ont faite, monter les dégrés de la puissance pour y manifester
autant de vanité, d'orgueil, d'égoïsme, de cupidité, de corrup
tion, d'imprévoyance et d'inintelligence que ceux qui les ont
précédés.
Qui ne voit qu'en général la classe ouvrière cherche à
s'instruire et à se civiliser ! Elle a déjà beaucoup gagné sous
le rapport du ton et des manières, premier moyen d'union
entre les hommes. On sait combien d'ouvriers se rendent
dans les écoles que des savants généreux, élèves de l'École
Polytechnique, ouvrent à leur vifdésir d'instruction. Les cours
d'adultes, qui ont lieu le soir, voient aussi accourir ces ou
vriers après les fatigues de la journée. On les voit encore s'en
teudre pour s'entr'aider et se soulager les uns les autres par
de nombreuses associations de secours mutuels. Chacun con
naît la Société fraternelle des ouvriers pour l'édition d'ou
vrages populaires ; on connaît aussi l'Association d'ouvriers
pour l'achat d'une Bibliothèque commune. On les voit ré
clamer l'entrée dans les bibliothèques, et demander qu'elles
soient ouvertes le soir comme le dimanche ; enfin on les voit
écrire et publier des livres utiles, et s'unir pour créer et sou
tenir des journaux, expression réelle et sincère de leurs besoins
et de leurs vœux, et preuve manifeste du développement crois
sant de leur intelligence. -

Non, non, les ouvriers d'aujourd'hui ne sont pas ce que


dit M. de Lamartine; les nobles sentiments patriotiques sont
plus que jamais gravés dans leur âme. Ils comprennent que
c'est dans le silence de l'étude et de la méditation qu'ils doi
113
vent maintenant acquérir les connaissances nécessaires à la
possession des droits politiques que la justice leur accordera
un jour.... Aussi, est-ce faire preuve d'une grande légèreté
de caractère, et d'une étrange ignorance de l'état de servitude
et d'impuissance dans lequel le peuple est systématiquement
plongé, que de se rendre ainsi l'écho des accusations ba
nales que la bourgeoisie, intéressée à l'exploiter, a toujours
lancées contre lui. -

Il est temps enfin de s'occuper sérieusement de toutes les


questions qui intéressent le sort des ouvriers, et de les aider
en tout ce qu'ils veulent de bien et de juste.
Si non, malheur à la société !....
LE COMITÉ.
–•63396 •

L ES LÉ C HMOs
PoÉ s I E, PA R M. P.-J. DE B É R ANGE R.

AIR :

On pèche au ciel, et c'est un fait notoire


Que les échos sont tous des esprits purs,
Pour leurs péchés tombés en purgatoire,
Dans nos vallons, dans nos bois, dans nos murs
Tant qu'ici-bas dure leur pénitence,
Tout cri, tout mot est répété par eux.
C'est leur supplice; il est cruel en France.
Les échos sont trop malheureux.
Plusieurs d'entre eux délivrés de nos fanges,
Pauvres forçats par d'autres remplacés,
Rentrés au ciel, à leurs frères les anges
Parlaient ainsi de leurs tourments passés :
Dans ses salons, ses cafés, ses écoles,
Pour nous Paris est surtout bien affreux ;
A tous les vents il y pleut des paroles.
Les échos sont trop malheureux.
L'un d'eux ajoute : A l'Institut, mes frères,
J'eus pour prison des murs retentissants ;
114

Doctes concours, spectacles littéraires


M'enflaient sans fin de mots vides de sens.
Réglant sciences, arts, vers, morale, histoire,
Là, que de nains, au cerveau plat et creux,
Prenaient ma voix pour trompette de gloire !
Les échos sont trop malheureux.

Moi, dit l'écho du Palais-de-Justice,


J'eus part forcée à d'absurdes arrêts ;
Des becs retors et martyr et complice,
Que de clients j'ai ruinés en frais !
Des gens du roi j'allongeais l'éloquence ;
Plus d'un haut rang ils étaient désireux,
Plus leur faconde effrayait l'innocence.
Les échossont trop malheureux.

Un autre dit : Dans une basilique,


Près de la chaire, hélas! je fus logé.
Des sermoneurs ferai-je la critique
Et de la foi de messieurs du clergé?
Tous en bâillant de Dieu chantaient la gloire,
Tous sur l'Enfer brodaient pour les peureux ;
Et l'orgue seul au Très-Haut semblait croire.
Les échos sont trop malheureux.
Palais-Bourbon, j'ai subi tes séances !
S'écrie enfin de tous le plus puni :
De la tribune, écueil des consciences,
Un Manuel serait encor banni.
Paix ! disait-on, quand venait me surprendre,
Dans cent discours, quelque mot généreux ;
Écho, paix donc! les rois vont nous entendre.
Les échos sont trop malheureux.
A bas la loi, qui de nous pauvres †
Fait les échos d'un peuple de bavards !
Clament en chœur les célestes phalarges ;
L'art de parler est le plus sot des arts.
115

Nos remplaçants, déjà las du martyre,


Se croient en butte aux esprits ténébreux ;
Tous ont crié : De l'enfer Dieu nous tire !
Les échos sont trop malheureux ! (1).
(1) OEUvREs coMPLÈTEs DE P.-J. DE BÉRANGER, nouvelle édition revue par
l'auteur, illustrée de cinquante-deux belles gravures sur acier, entièrement
inédites, d'après MM. Charlet, Daubigny, Johannot, A. de Lemud, J. Lange,
Pauquet, Pinguilly, Raffet, de Rudder, Sandoz ; — gravées par MM. Audi
bran, Aubert, Bein, Beyer, Blanchard, Colin, Darodes, Doherty, Ferdinand,
Frilley, Gaitte, A. Garnier, Lacour, Lalaisse, Mauduit, Moret, Normand,
Panier, Pelée, Prud'homme, Tavernier, Thomas, Vallot, Willmann. — 52 li
vraisons à 50 c. — Chez M. Perrotin, éditeur de la Méthode Wilhem, 3,
place du Doyenné, en face le guichet du Pont du Carrousel; et chez Pagnerre,
éditeur, rue de seine, 14 bis.

-->eGE

CORRESPONDANCE.
-

16 mai 1847.

Mon cher Duquesne,


Le Cercle catholique de la rive droite, rue Saint-Honoré,
350, me charge de vous écrire pour vous annoncer qu'il désire
s'abonner à la Ruche populaire. — Animé du véritable esprit
de l'Evangile, il a compris ce qu'il y avait d'honorable dans la
publication d'un journal fondé pour secourir la misère de l hon
nête ouvrier, et être une tribune où la voix plaintive de l'op
primé peut se faire entendre. La plupart des Membres, habitués
à sécher les larmes du pauvre et à remplacer en son âme abat
tue le désespoir par les espérances éternelles, vous sauront gré
des infortunes que vous signalerez à leur ardente charité. .
Recevez l'assurance de ma profonde considération
Henri DELAAGE (2).
(2) M. le Vicomte Henri Delaage est le petit fils de l'illustre CHAPTAL,
ministre sous l'Empire. On connaît sa bienfaisante administration, et les
institutions charitables qu'il a fondées. Aussi la reconnaissance publique
lui a-t-elle élevé une statue. (Note du Comité.)
8.
1 16
Nous remercions bien messieurs les Membres du Cercle
catholique de la rive droite; et nous sommes persuadés qu'ils
trouveront, dans leur coopération à notre œuvre, l'occasion
d'exercer leur intelligente charité.
( LE CoMITÉ. )

MATINÉE MUSICALE
DoNNÉE PAR M. F R A NÇOIS D ELSARTE
professeur de chant classique et d'art oratoire,
E N F A V E U R D E LA R U C H E P O P U L A I R E

Le dimanche 30 mai 1847.

Dimanche 30 mai, a eu lieu la Matinée musicale donnée par


M. François Delsarte en faveur de la Ruche populaire. Mal
gré la chaleur et le beau temps, la réunion était nombreuse
et l'élégante salle de M. H. Herz était pleine. La séance a
été ouverte par un cantique à trois voix égales, de la compo
sition de M. F. Delsarte, qui devait être chanté par les élèves
de M. Foulon (Orphéon); trois élèves de M. Delsarte, entre
autres M. Bertrad dont la charmante voix a fait regretter
qu'il n'ait pas chanté davantage, se proposèrent pour les
remplacer, et s'en acquittèrent de manière à mériter les ap
plaudissements nombreux dont le public les a couverts. De
semblables applaudissements se sont produits après chaque
morceau. Comme par suite de l'absence des élèves de M. Fou
lon le programme a été modifié, il nous est difficile de nous
rappeler tous les morceaux ; cependant nous citerons les
Stances de Malherbe, de Reber, et le Délire (de madame Mon
vielle), chantés par mademoiselle Jenny Laurent, jeune can
tatrice d'ungrandtalent dans la musique dramatique; quelques
morceaux de la Flûte enchantée, et une tyrolienne de M F.
Delsarte, chantés en allemand par M. Deck, qui nous a prouvé
par son chant que le parler germanique est une des langues
les plus harmonieuses. A la grave musique de Mozart a suc
cédé la musique légère ( duo du Comte Ory), chanté par M.
Camille Delsarte et mademoiselle Jacob qui vocalise avec une
rare perfection. Citons aussi un grand air d'Iphigénie en Au
1 17

lide dit par madame Veillon, puis un duod'OEdipe à Colonne,


chanté par M. Corneille, doué d'une fort belle voix de basse,
et mademoiselle Delafosse , lesquels obtinrent tous les suf
frages.
| La seconde partie fut ouverte par les Stances à l'Eternité,
magnifique morceau religieux et qui est devenu populaire ;
- l'exécution en était confiée à M. Pédorlini, engagé au nouveau
théâtre lyrique : c'est faire son éloge. Mademoiselle Jacob a
ensuite chanté avec beaucoup d'agilité un grand air du Ser
ment d'Auber; M. Adam a chanté un air de Grétry avec une
verve entraînante. M. Violette (belle basse), a chanté un
air du Barbier;
Puis M. Déledieque, artiste du Conservatoire et du Théâtre
royal Italien, est venu charmer l'auditoire par son violon
auquel il imprime tant d'animation, prouvant ainsi que l'art
n'est pas si mort qu'on voulait bien le dire; — Près d'un ber
ceau et Mon blond génie, chantés par M. Camille Delsarte,
qui est digne de son frère ; mademoiselle Jacob qui avait déjà
chanté deux fois, est revenu dire avec la même perfection un
grand air du Comte Ory. Ensuite M. Corneille a fait entendre
l'air du Chalet. — Arrêtons-nous ici. Enfin la séance se ter
mina par un petit Cuntique à la Vierge dont les couplets ont
été fort gracieusement dits par mademoiselle Berteau; les
é èves réunis de M. Delsarte faisaient les chœurs. Ils présen
taient un magnifique ensemble de voix.
| Que tous ces Artistes, et M. Delsarte, leur savant profes
seur, reçoivent ici l'expression de notre gratitude.
LE CoMITÉ.

AU GÉRANT DE LA RUCHE PoPULAIRE.

Monsieur, je vous remercie de m'avoir fait entendre le con


· cert en faveur de la Ruche populaire, et je ne saurais m'empê
cher de vous en exprimer ma satisfaction.
. Le chant , cette partie intéressante de nos concerts, faisait
ici le fond de la réunion du 50 mai. Toutefois le chant fatigue
à la longue, quand la parole ne se fait pas entendre d'une ma
nière claire et distincte. Le maestro qui présidait à l'exécution a
bien senti que là où elle était mal prononcée, mal articulée, et
118
ar conséquent mal comprise, là l'intérêt devait faillir.Aussi
· Delsarte, en artiste habile, a-t-il déployé dans ses élèves
ce côté trop souvent négligé de l'éducation musicale.
Nous citerons entre autres artistes et élèves qui ont concouru
à cette brillante matinée, mademoiselle Jenny Laurent dont l'ex
pression et le sentiment ajoutent tant de charme à l'étendue de
sa voix. (M. Andrieu, de l'Académie française, n'avait que le
souffle et suffisait à fasciner tout son auditoire par son seuîsen .
timent) Nous n'avons pas la prétention de faire partager notre
opinion à tous les amateurs, mais nous croyons que toutes les
personnes réunies à la salle Herz dimanche dernier saisiront
toujours avec bonheur l'occasion de retrouver le même plaisir.
Ajoutons, et pour terminer, que s'il est un point où, (si ce
n'est pas une inspiration soudaine) l'art élevé à sa plus haute
puissance redevient la nature, ce pointa été atteint, suivant nous,
dans le chœur qui a terminé la séance.
Nous sommes sortis pénétrés de sa touchante simplicité, et
nous en avons répété longtemps le motif en nous-même.
Agréez, etc.
VIDAL.
-06686

DISCUSSION DE PRINCI PES.

Messieurs,
Communiquées à quelques amis, ces pensées ont excité des ré
clamations et de la controverse, on a parlé de l'orgueilleux et
de l'humble de cœur.
L'orgueilleux, qui se sent la capacité du commandement, il
faut bien le dire, sera peu flatté de fixer le choix de ce qu'on
appelle la multitude ignorante et grossière ; il ne veut pas du
suffrage de tous, c'est tout simple; mais pour que l'humble de
cœur qui le veut bien, lui, n'eût pas raison de le vouloir, il fau
drait que Dieu lui eût tendu une embûche, en lui proposant un
moyen qui ne serait pas celui dont la pratique doit le rendre
heureux, suivant cette promesse : « Si vous savez ces choses,
« vous êtes heureux, pourvu que vous les pratiquiez. » (Evan
gile selon Saint Jean, ch. XIII.) On a dit : On peut être le servi
teur de tous, sans être nommé par tous, et on a cité saint Vin
cent-de-Paule ! Si, par impossible, et sous l'administration des
1 19

hommes de bien (et j'appelle homme de bien ceux qui seraient


le résultat du choix de tous, comme le veut l'Evangile), il se
trouvait des malheureux valides et de bonne volonté mourant
comme aujourd'hui de misère et de faim, ces malheureux pour
raient s'écrier du fond de leur conscience et avec vérité : Non,
ils ne sont pas nos serviteurs les hommes qui laissent manquer
du nécessaire d'autres hommes, quand la terre, mieux admi
nistrée, pourrait nourrir dix fois plus de monde. Mais à quoi
bon raisonner sur l'impossible, quand il est déjà si difficile de
faire accepter le naturel?
On a dit que jamais les Pères de l'Eglise n'avaient interprété
les Ecritures comme certains hommes se permettent de le faire
aujourd'hui. Nous demandons d'abord qu'on nous montre ce
que les Pères de l'Eglise ont dit sur ce point; et nous avons ré
pondu que l'Eglise gardait le silence, ou plutôt elle parle assez
haut par son chef se qualifiant le serviteur des serviteurs de
Dieu.
Nous avons indiqué des manques de bonne foi dans nos tra
ductions françaises, qui mettent en contradiction l'Ecriture avec
elle-même, ce qui n'existe pas dans les textes latins et grecs ;
et nous nous croyons en droit de conclure que si nous professons
une foi pleine et entière dans la véritable parole évangélique,
nous nous défions et nous gardons toute réserve relativement
aux traductions suspectes. L'Evangile est le pain de vie des
peuples, et l'autorité de l'interprétation ne manquera jamais à
l'Eglise quand elle veillera à ce que l'ivraie ne se mêle point
au bon grain.
Le redressement seul des griefs que je signale, anathématisés
par son blâme, pourrait être une initiative suffisante pouramener
les réformes nécessaires que réclame aujourd'hui l'ordre social.
Le peuple juge et décide par sa foi, par le sentiment du bien
et du mal qui est en lui, tel est notre conviction. On nous dit :
nous avons une conviction contraire; le peuple juge par ses
mauvaises passions, et l'on pervertira chez lui, par l'ambition,
ce sentiment du juste et de l'injuste que vous lui croyez.
Nous répondons que pour celui qui tient compte des causes,
l'observation des faits dément tous les jours cette assertion; par
exemple, qui a jamais vu dans nos rues une querelle s'élever,
et ce que vous appelez la masse ignorante et grossière prendre
120

parti pour l'oppresseur contre l'opprimé; sans doute on peut


s'égarer; mais corrompre les masses par ses propres membres,
au point de vue que nous traitons, c'est plus difficile, ou du moins
on avouera que si corrompre est chose à faire chez le pauvre,
c'est chose faite chez les privilégiés, et nous espérons démontrer
que cette prétendue corruption des masses dont on nous fait peur
est non-seulement difficile, mais impossible, suivant la nature
des choses et des rapports des intérêts généraux entre eux.
On nous dit : Si aujourd'hui la voix d'un électeur coûte une
bourse pour un enfant à élever dans un collége, un emploi dans
l'état, une croix d'honneur ou quelques billets de banque, ce
sera une affaire de un ou deux francs quand tout le monde sera
électeur, et rien ne sera changé, puis on ajoute : vous vous plai
gnez que les fonctionnaires publics soient députés : eux seuls
entendent les affaires, et d'ailleurs une sangsue grasse est bien
plutôt repue qu'une maigre.
Nous répondons d'abord qu'en France ce n'est pas l'intelli
gence qui fait défaut, et quant à la sangsue l'exemple est mal
choisi, attendu que l'homme ne dit jamais c'est assez, comme l'a-
nimal, et que plus il est puissant, plus il fait descendre jus
qu'à lui toute chose à une question de personne ou d'argent.
Qu'est-ce qu'il faut à l'ambition du pauvre, une perspective
d'ouvrage continue, qui lui garantisse le nécessaire; qu'est-ce
qu'il faut à l'ambition d'un grand, une position dans le monde
qui éclipse tous ses rivaux. Il est facile de voir que pour se dé
fendre on devient imprudent ; car s'il fallait conclure de ces pa
roles qu'il n'y a pas de justice possible, alors pourquoi moutons
et loups?soyons tous loups, et dévorons-nous les uns les autres.
(A quelle extrémité pousse une objection mal digérée !) Mais
voyons plus froidement. Nous avons dit que l'homme fait des
cendre jusqu'à lui toute chose à une question d'intérêt. Eh bien
considérons la société et ce qu'elle veut. La noblesse demande
la légitimité et ses priviléges; la bourgeoisie, l'inamovibilité du
cens électoral qu'elle a conquis; et le pays, sa représentation
par lui-même ou le droit commun. Toutes ces prétentions sont
| elles également fondées? Voyons :
Le suffrage de tous, admis par quelques-uns comme principe
tout en en rejetant l'application, on a dit : que celui qui ne
possédait rien ou peu, ne pouvait avoir aucun intérêt à la chose
121

publique, et par cela même n'offrait aucune garantie d'ordre ; que


l'homme qui n'a rien pouvait continuer à ne rien avoir s'il était
enclin à la dépense, mauvais sujet ou paresseux, et, comme tel,
dangereux pour l'Etat, s'il était revêtu du droit de suffrage.
Nous répondons.
Pour minime que soit la portion du pauvre, il y est aussi
attaché que le riche à son trésor, si ce n'est plus, à moins qu'il
s'agisse de dévouement, auquel cas il est toujours plutôt près
pour le sacrifice que le puissant. Eh! comment l'homme qui
n'a rien, pourrait-il continuer d'exister longtemps encore dans
une société qui se prétend civilisée ? Quand au mauvais sujet,
au dissipateur, aux enfants prodigues abandonnés, la société a
pourvu depuis longtemps à s'en garantir par répression ou in
timidation (nous voulons parler de Charenton ou des prisons.)
Mais pour prévenir l'inconduite de tels hommes, la société n'a
rien fait encore d'efficace, et l'éducation sera toujours entachée
de parcimonie pour le progrès de la civilisation, tant qu'on ne
parlera aux masses que de leurs devoirs et jamais de leurs droits.
Ily a chez le prolétaire, comme chez tout homme en général, un
esprit d'observation qui l'empêchera toujours d'ajouter foi à des
paroles dépourvus de l'autorité de la pratique et du bon
exemple. -

Le droit, voilà ce qui effraie nos conservateurs; ils nous di


sent avec la Charte qu'ils font immuable , et avec une inquali
fiable naïveté, que tous les Français sont égaux devant la loi, sem
blant ne pas se douter le moins du monde que la loi ne protège et
ne peut protéger que ceux de qui elle relève ; ils ne tiennent au
cun compte de cette nature des choses, à savoir que tout droit
implique nécessairement un devoir, et que les droits comme les
devoirs se garantissent mutuellement, parce que chacun a intérêt
à respecter celui des autres pour qu'on respecte le sien, et que
c'est ainsi que le repos et la sécurité de l'État ne sont plus mena
cés Le conservateur de bonne foi ne fait pas attention que l'é-
goïsme, par sa phase de dévouement (1), est l'apanage des classes
pauvres, et c'est pourquoi il est dit que la voix du peuple est
la voix de Dieu. Cela ne veut pas dire, remarquons le bien, que
* (1) Égoïsme et dévouement ne sont que le vas-et-vient d'une même chose;
c'est la loi de l'esprit, comme l'attraction et l'expansion ne sont aussi que
le vas-et-vient d'une même chose, la loi des corps et de la matière.
122

le privilégié soit dépourvu de dévouement; mais chez lui le sen


timent du juste et de l'injuste est dominé par l'instruction et
l'habilité, ce qui fait qu'en matière d'élection, son intérêt per
sonnel n'appelle pas, n'aspire pas la justice, comme l'intérêt
personnel du pauvre qui ne peut juger, lui, que par son senti
ment du juste et de l'injuste, à moins toutefois que ce sentiment
ne soit faussé par l'ambitieux, auquel cas la Providence permet
que dans son erreur le peuple immole quelquefois l'innocent à
la place du coupable; mais ce coupable, cet ambitieux n'est
point du pauvre, il vient de plus haut; ceci est fondé sur les
faits, les conclusions sont forcées; par exemple, qu'un peuple
renverse un trône en deux jours, si ce peuple est sans droits, il
n'y aura qu'un homme de changé, et ce peuple n'en sera que
plus malheureux après la victoire, parce qu'il faut que les am
bitions soient assouvies; d'où il résulte que si le peuple a des
droits, tout s'ordonnera selon la justice; il n'y aura rien à ren
verser, et l'empire de la force brutale sera détruit.
Le privilégié, etj'y reviens, est dominé généralement, disons
nous, par sa capacité, son instruction et son éducation même,
qui nuisent à sa justice, et voilà pourquoi l'adjonction des ea
pacités ne ferait qu'ajouter au mal qui existe déjà ; voilà pour
quoi, quant on dit : attendez que l'éducation du peuple soit faite,
craignez de lui mettre dans la main une arme dont il ne sache
pas se servir, voyez comme il se laisse séduire par nos travail
leurs d'élections (1), et mille raisons de ce genre, on se trompe ;
tous ces retardements peuvent avoir des résultats funestes. Si le
peuple avait l'éducation de l'homme privilégié aussi bonne
qu'on puisse l'imaginer, il ne supporterait pas deux heures de
plus sa domination mauvaise. Il se laisse conduire, dites-vous,
conduisez le bien ; il est indifférent à la chose publique, cela
doit être; monsieur Thiers ou monsieur Guizot, que lui importe !
Vous voulez son bien être, si vous êtes sincère, rendez-lui ses
droits à la représentation ; que savez-vous si, lorsqu'il vous de
mande du pain, vous avez assez fait pour lui en jetant une obole
dans sa cibile ? Ce qui le constituera toujours essentiellement
votre supérieur en matière d'élection, c'est qu'étant bon riche,
(1) La séduction de la fraction sur la fraction, cela ne peut s'éviter dans
ce qui est; la séduction de la fraction sur le tout, cela n'est pas possible
dans ce qui doit être.
123

vous ne pouvez être également bon électeur; il faut aux riches


des faveurs, il ne faut aux pauvres que de lajustice, « attendu que
aplus que la justice, autre chose que la justice, les replongeraient
« dans le privilège dont le sens commun, leur unique guide,
• doit les préserver et les défendre. »
. Mais de quel droit, nous direz-vous encore, voulez-vous im
poser votre opinion à ceux qui ne sont pas de votre avis ? Du
droit que nous donne votre acquiescement aux principes fonda
mentaux dont vous voulez repousser les conséquences, et qui
sont que, de par Dieu, les hommes naissent égaux et libres;
(dans le tout, la somme de bien l'emporte et doit l'emporter sur
celle du mal, ou Dieu ne serait pas Dieu! ) qu'ils sont donctous
électeurs de droit, droit à la fois naturel et divin, et qu'ils ont,
pour ne pas s'égarer dans l'exercice de ce droit, le sentiment
du juste et de l'injuste ! Comment donc l'intérêt personnel mo
bile de nos actions à tous pourrait-il fonder une autorité légi
time et équitable, qui ne relèverait pas de tous ?
Veut-on voir s'il peut en être autrement, écoutons ce qui est :
Qui possède le superflu, double ou triple ce superflu à chaque
génération; comment n'y aurait-il pas déficit du côté où il n'y
a que le nécessaire, et, par suite misère intolérable par le manque
de ce nécessaire qui va croissant toujours en raison inverse de
l'augmentation du superflu ?
Une autre proposition ?
Toute personne sait que la terre produit en raison du travail
qu'on lui donne ; comment donc le pays légal, impuissant à ad
ministrer cette terre ou ce travail (non pas faute de moyens ou
de capacité, mais faute de justice et de charité ) pourrait-il
prétendre à continuer quand même et seul le gouvernement des
affaires publiques sans se rendre fauteur d'anarchie ?
Si l'esprit de chacun ne saisit pas ces arguments, essayons
de le fixer par des chiffres : il y a en France 34 ou 35 millions
d'âmes; défalquons les femmes sans tenir compte pour le moment
de leur juste influence qui est très grande comme chacun sait,
les enfants, les vieillards si l'on veut, et réduisons les hommes
valides de 50 à 60 ans par exemple au nombre de dix millions; sur
ces dix millions, deux-cent milleseulementjouissent du droit élec
toral; admettons que ces deux-cent mille, pour faire largement
la part au privilège, aient une influence du quadruple de leur
124

nombre, ce qui portera leurs droits de deux-cent mille à huit


cent mille; mettons un million, etnous aurons un sur dix, ousil'on
veut neuf contre un; eh bien, est-il juste que l'intérêt de neuf
soit sacrifié à l'intérêt d'un seul?Toutefois on s'avoue vaincu en
théorie, mais on n'admet pas la pratique, ce qui revient à dire :
oui, nous convenons du mal et cependant nous ne voulons pas
sortir de ce mal, et déguisant un égoïsme grossier sous une pré
tendue honnêteté et je ne sais quel soi-disant amour de l'ordre,
on s'écrie hypocritement ettremblant de peur : Netroublons rien,
ne touchons à rien, reposons-nous sur la providence, Dieu sait
mieux ce qui nous convient que nous-mêmes ; courbant ainsi igno
minieusement la tête sous la doctrine du fait accompli. Serait ce
que le dictum si connu : « aide-toi le ciel t'aidera, » aurait perdu
sa signification, qu'il n'y a rien à faire pour sortir d'une pente
fatale ! Non messieurs, il y a quelque chose à faire pour les
hommes de bonne volonté, et l'humanité ne marche point au
hasard. Il faut d'abord se mettre d'accord sur le code de la vé
ritable charité donné aux hommes par le Sauveur ; c'est là où
nous trouverons, avec la révélation divine, cette révélation so
ciale, qui fait depuis le commencement du monde , le travail !
et l'attente des nations, seule juste parce qu'elle est de Dieu,
seule praticable par tous parce qu'elle fait le bonheur de tous
et dans ce monde et dans l'autre.
A présent, voulez-vous savoir comme on s'entend peu sur ces
matières, écoutez ! J'assistai dernièrement par hazard à une dis
cussion sur la politique de GRÉGoIRE VII ;cette discussion, calme
d'ab rd, dégénéra bien vite en une lutte d'effort et de talent
entre le spirituel et le temporel ;là. encore comme dans le monde,
on n'a pas fait attention que ces deux pouvoirs coulant d'une
même source ne pouvaient pas être ennemis, qu'ils se contrôlent :
l'un par l'autre et ne font qu'un, quoique distincts, Dieu n'étant
pas l'auteur du mal ; je m'explique :
Celui qui a dit : Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai
mon Eglise; et ailleurs : Pierre, m'aimez-vous ?paissez mes bre
bis, etc., n'est-il pas le même que celui qui a dit : Les princes r

et les grands dominent les nations et les gouvernent avec em


pire, il n'en sera pas de même parmi vous; mais que celui qui
voudra étre le premier soit le seroiteur de tous. Si donc Dieu !
a donné le pouvoir électifou temporel comme droit de chacun»
125

et le pouvoir moral ou spirituel à l'Eglise comme gardienne et


protectrice de sa loi, la loi de Dieu ; il a, par cela même, tout ,
réglé, fondé la hiérarchie, et constitué l'unité de la puissance
dans ces deux modes de manifestation morale et politique.
A présent, si nous considérons séparément l'ordre temporel .
ou politique plus ou moins conforme au principe évangélique,
c'est-à-dire à l'élection, tout pouvoir dirigeant, dans toute so- .
ciété, tel que nous puissions l'imaginer, ne relève-t-il pas, du
moins fictivement, du principe électif, et encore que l'élection
reposerait entièrement sur l'égalité évangélique, ne faut-il pas !
craindre toujours que le relâchement des uns, l'ambition des
autres, ne le fasse dévier, et alors que par déviation tout serait con
fondu par l'anarchie des idées et des intérêts opposés; où serait
la branche de salut des Peuples sans l'autorité de Pierre gar- .
dienne de la loi ? |

L'Eglise, Messieurs, a intérêt à surveiller, et aussi propager


et protéger le principe électif; sœur de la liberté, elle est née !
avec elle le même jour sur le calvaire ; n'oublions pas que son
chef s'intitule le serviteur des serviteurs de Dieu , et que toute
politique contraire à cette profession de foi ne pourrait qu'af
faiblir son autorité, en lui enlevant des fidèles (je veux parler
de ces fidèles peu raffermis encore sur la parole du Sauveur.)
N'oublions pas aussi et surtout que gardienne scrupuleuse et sé
vère de la loi immuable de Dieu, l'Eglise n'a jamais failli ; si
elle s'est tue à l'endroit des Evangiles qui consacre le droit des
peuples, (nous verrons en son lieu la cause de ce silence.)
Je me résume, la question est grave et digne d'occuper les
penseurs favorables au progrès de toutes les époques ; notre lé-'
gèreté française ne s'y arrêtera pas; nous jugeons beaucoup avec
la tête; et quand le cœur s'en mêle, il brise trop souvent les
barrières de la raison ; restons dans ces barrières, messieurs, "
ne nous écartons jamais des limites du juste, et, dans ce camp .
retranché, avec cette modération dont vous avez donné jusqu'ici .
l'exemple, l'Évangile d'une main et la plume de l'autre, soyons !
certain qu'avec le droit, la morale, la foi, Dieu et l'Eglise, nous
devons nécessairement vaincre, si nous savons mettre la persé- *
vérance dans notre sagesse, comme vous l'avez mise plus par- .
ticulièrement, vous, les deshérités du monde, dans votre rési
gnation.
126

Messieurs, un fait qui n'a point d'analogue dans les annales


de l'humanité pour l'enseignement des nations, se passe aujour
d'hui sous nos yeux ; je veux parler de l'Irlande. O'connel,
suscité par la providence pour appeler sur lui tous les regards,
après avoir appris à ses concitoyens leurs droits, les a comme
abandonnés tout-à-coup, en les offrant pour ainsi dire en holo
causte à la liberté, comme la rançon de tous les autres peuples
du monde....
L'observateur et le moraliste ne seront pas sans réfléchir à
cet affligeant spectacle, et auront à considérer, d'après la ma
xime Chacun chez soi, chacun pour soi , si l'individualisme,
qui résume tous les actes de la vie humaine, doit continuer de
la même façon à être l'arbitre des sociétés. Dans l'avenir, nous
ne craignons pas de l'affirmer, et nous en appelons en témoi
gnage le sens commun de toutes les générations, devant ce grand
enseignement qui restera dans la mémoire des hommes, devant
ce démenti donné à tous nos admirateurs quand même du gou
vernement d'outre-Manche, un système sous lequel peut se pro
duire pareille énormité ne peut durer longtemps encore.
Et ici, messieurs, pour se rendre compte du mauvais vouloir
du riche, réfléchissons sur ce qui se passe.
Voyez les, lorsqu'ils discutent monopoles entre eux, comme
ils sont les premiers à dire qu'il faut que tous les intérêts soient
représentés. Ils reconnaissent donc des intérêts différents, et
confessent par là les deux grandes catégories du pays légal, qui
s'accordent contre le pays non légal à qui ils n'accordent rien.
Si, analysant le mécanisme de l'intérêt personnel dans le rôle
qu'il doit jouer en organisation sociale, vous craignez de n'être
pascompris, détrompez-vous ; la pensée du privilégié devancera
votre démonstration, et se trahira par ces mots : « C'est la guerre
« de ceux qui n'ont rien contre ceux qui possèdent. » Et croyant
avoir trouvé dans cette calomnie une objection sans réplique, il
se redressera dans toute la hauteur de son dédain, et ne se croira
plus obligé de vous écouter ni de vous répondre.
Il faut cependant, messieurs, à l'homme réfléchi qui cherche
la vérité, une explication de ce fait; eh bien, messieurs, l'homme
réfléchi ouvre l'Evangile, et là encore le privilégié a pris les de
vants ; il a faussé l'œuvre de Dieu ; mais tant de fraudes et de
mauvaises foi ne seront-elles pas dénoncées à l'opinion publique ;
127
vain espoir; toute mesure est prise à cet égard, et la loi a for
mulé ces paroles remarquables par la profondeur de la démo
ralisation qui les a produites, « les preuves en diffamation ne
sont point admises. » Si, messieurs, les hommes anti-chrétiens,
anti-sociaux, comme vous voudrez les appeler, savent si bien
s'entendre qu'ils aient pu fonder et maintenir l'autorité du pou
voir par des billets de banque, et battre monnaie du signe re
présentatif de toutes les corruptions en s'en réservant le mono
pole, après y avoir attaché tous les droits; pourquoi les véritables
chrétiens ne s'entendraient-ils pas pour replacer cettemême auto
rité dans le droit, en la fondant sur le dévouement et l'amour,
comme le veut l'Evangile ? C'est là ce qu'il faut que tout homme
qui ne fait pas partie du pays légal sache, et c'est là ce que le
pays légal ne permet pas d'imprimer....
Messieurs, que l'on prêche la vérité par des écrits, tant qu'on
peut croire que ses adversaires ne sont pas éclairés, rien de
mieux; mais quand cette illusion n'est plus possible, la propa
gande, et la propagande orale et sans bruit, est le seul moyen
laissé à la vérité pour se faire jour. Ne demandez plus de mar
tyrs : voyez l'Irlande.... ils le savent, et que font-ils!!...
Messieurs, tout homme qui naît dans la société, apporte dans
cette société le droit d'y vivre. Si vous comprenez cette vérité,
il faut l'atteindre; lisez l'Évangile, vous verrez qu'éviter les
regards pour faire l'aumône, ce n'est pas manquer au précepte,
mais se renfermer dans le précepte même ; que chaque chrétien
fasse donc l'aumône à son frère de la parole évangélique d'é-
mancipation, de soumission et de charité.
Souvenons-nous que la vérité ne grandit qu'à la condition
d'être combattue, et que l'orgueil, toujours mauvais, est, en cela
peut-être nécessaire. Soyons donc plutôt reconnaissants envers
nos frères qui nous combattent, et ne les jugeons point; car ils
aident aussi au triomphe de la vérité. -

En politique le point d'appui que demandait Archimède pour


soulever le monde est trouvé, c'est l'Evangile; et le cœur du
simple qui interprète ce point d'appui, ne fera jamais de pro
teStantS.

G. VIDAL,
artiste peintre.
128

On demande pour la province un ouvrier typographe qui


connaisse la casse et surtout la presse; c'est une place à vie
pour celui qui aurait une conduite régulière.
S'adresser, pour les renseignements, au bureau de la Ruche.

VOEU DU COMITÉ. - -

Les ouvriers composant le comité de la Ruche populaire


se sont proposé de répandre, de propager parmi les travail
leurs, sans les leur faire payer, les exemplaires du journal. Ils
espèrent atteindre ce but en réalisant un nombre suffisant
d'abonnements à 6 fr. (c'est-à-dire par des souscripteurs
pris en dehors de la classe ouvrière). -

De plus, la Ruche étant dégagée de patronage, les per


sonnes qui désireraient concourir particulièrement à l'exten
sion universelle de ce libre organe peuvent s'adresser à M.
AUMoN-THIÉvILLE, Notaire, boulevard Saint-Denis, 19, où
elles trouveront un registre ouvert à cet effet.
- Nous prions plusieurs personnes des Départements, qui se sont fait ins
crire comme abonnées à la Ruche, d'en envoyer le prix au bureau , soit
en un mandat sur la Poste, soit par les Messageries, soit par l'entremise
de la Librairie.

ALVÉOLES.
« Le pays paraît indifférent, cela est vrai ; mais où donc
la vie politique pourrait-elle se manifester sous l'empire d'une
législation ombrageuse, qui, au lieu de régler les réunions et
les associations comme dans tous les pays libres, en a étouffé
le germe? Est-ce que jamais le mouvement des esprits est né
de l'isolement et de l'individualité? L'état moral du pays
ressemble à ce qu'il était bien peu d'années avant la révolution
de 1830. Alors non plus, de 1824 par exemple à 1827, on
ne songeait pas à s'adresser au parlement, parceque la France
n'aime pas à s'épuiser en efforts stériles. Mais le calme ap
parent de cette époque était-ce l'indifférence, était-ce la
mort ? - - -

« Une crise en 1830 a sauvé le pays : est-ce par une crise


qu'il devra se sauver encore ? Qui ose dire que la corruption
diminue, quand, chaque jour, elle énerve nos institutions ?»
(SIÈCLE, 26 mars 1847.)

Le Gérant, F. DUQUENNE.

lmprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


TABL E.
Recommandation d'infortunes intéressantes. .. .. , • º 9 - • • • • • º • • ^ • • • • 0 • • º 97
Condamnation des ouvriers corroyeurs.............................. e 98

MYSTÈREs DEs ATELIERs. Suite. (Voir les numéros précédents.).......... .. 98

Le capital de l'ouvrier.. .......................... , ............... 99


LE LIvRET. (Coutant, ouv. typogr.). .................... º • • • • • - º - º 99

ENCoRE LA TERREUR. (Conversation sténographiée.) .................... 108


La guillotine à Buzançais.......................... • • • • • • • • • • e • • • • • 105
Célébrité précoce de M. Hébert................ e e - s • • • • • • • • • • • • • • • • 105
OEuvre de fraternité. .. .. ... ... .. . 9 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • e - 9 106
Remerciments aux bienfaiteurs et aux journaux.............. e • • • • • •... 106
Tableaux et autres objets d'art pour les familles.... .. º - º º º • • • • • • • • • • e • 106
Réformes sociales en Italie. .. .. . º • 9 • • • • - e e é • • • • • • • • • • • • • e e e • e e e • • • 106
Colère du Despotisme.......... • • • • • • • • • • * • • • • • • • • 9 • • • • • • • • • 4 • • e 107
Le Socialisme et les vieux radicaux. , ... .. . e • • • • • • • • • • • e • • • • • • • 9 • • 107
Stérilité du vieux libéralisme.. ... .. .. .. .. .. .. º 9 • - • e • • • • • • • • • e • • • •" e 109

Le Peuple encore calomnié par M. de Lamartine. (Madame Miesville.)... . 1 10


LEs Échos, poésie, par M. J.-P. de Béranger..... .. © e º • e • • 9 e • e s s > 9 • • 1 13

Correspondance. — Lettre de M. le vicomte Henri Delaage, membre du Cercle


catholique.. ......... .. .. • .. .. ... . © - - • e • - © • • 9 • • • • • • • • º º 9 • • • • 1 15

Matinée musicale, donnée par M. François Delsarte en faveur de la Ruche.. 116

Opinion d'un artiste peintre sur le concert........................... 1 17

Discussion de principes. (G. VIDAL)... ... ..... ... ... .. ... ... , ... .. .. 118

ALvÉoLEs : (Journal LE SIÈCLE.)

LA RUCHE PoPULAIRE, qui date de décembre 1839, forme tous


les ans un volume de 3 à 400 pages.

PRIX DE L'ABONNEMENT.

A PARIS : 6 fr. par an.


DÉPARTEMENTs : 7 fr.
HoRs FRANCE : 10 fr. par an.

(Affranchir.)
Ose s'a b ose se e à Pa r é s
Au Bureau de la Ruche, rue Vieille-du-Temple, 75, au Marais.
Chez M. BoRDIER, libraire, même rue, n. 75 (Dépôt du journal.)
AUBERT ET C°, édit. d'estampes et du journal les MoDEs PAR'sIENNEs,
29, place de la Bourse.
ALLIANCE DEs ARTs (Agence spéciale pour expertise, collection et vente
de tableaux), 178, rue Montmartre.
Aux bureaux du SIÈCLE, 16, rue du Croissant,
Aux bureaux de la RÉFORME, rue J.-J.-Rousseau, 3.
Au journal l'UNIoN MoNARCHIQUE, 4, rue du Bouloy.
Aux bureaux de LA SEMAINE , 6, rue Saint-Marc-Feydeau.
Aux bureaux de la DÉMOCRATIE PACIFIQUE, rue de Beaune, 2.
Au bureau de la Colonne, 22, rue Montmartre, 148.
Au MÉMoRIAL PoLoNAIs, quai Malaquais, 15.
A la Société de la Morale chrétienne, 9, rue Saint-Guillaume.
A LA LANTERNE nU QUARTIER LATIN , rue Hautefeuille , 12.
. GUENARD (Alex.), librairie de piété, rue Royale-Saint-Honoré, 17.
LEGRos, salon littéraire de la Chambre des Députés, rue de Bourgogne.
PERRoTIN, libraire éditeur, place du Doyenné, 3.
H. SoUvERAIN, libraire, rue des Beaux-Arts, 5.-Et tous les autres lib.
On souscrit aussi
LYoN, à la Tribune lyonnaise, revue politique et sociale, 53, r. S. Jean.
Id. au bureau de l'Echo de la Fabrique, à la Croix-Rousse, gr. Place.
Id. Office de correspondance, 9, rue Sirène.
ARRAs, au bureau du Progrès-du-Pas-de-Calais, et chez Topineau, libr.
ANGoUI ÊME, au bureau de l'Indépendant, journal politique et littéraire.
BÉZIERs, au bureau du Journal de Béziers.
EvREUx, au bureau du Courrier. -

VERsAILLEs, chez Mº° GUÉRIN, salon de lecture, 36, rue de la Pompe.


SAINT-OMER, au bureau de l'Eclaireur.
ORLÉANS, au Journal-du-Loiret.
RoUEN, à la Société libre d'Émulation.
SAINT-QUENTIN, au bureau du Guetteur.
Id. au bureau du Courrier.
MELUN, chez Mme DESPLANTEs, lib., rue de la Juiverie, 12.
RoANNE, au bureau du Progrès-de-la-Loire.
AvIGNON, au bureau de l'Indicateur.
CALAIS, au bureau de l'Industriel Calaisien.
GRENoBLE, au bureau du Patriote des Alpes.
CHARLEvILLE, au bureau du Propagateur des Ardennes.
SAINT-MALo, au bureau de la Vigie de l'Ouest.
LA CHATRE, au bureau de l'Eclaireur (Indre).
BLois, à l'Etoile-du-Peuple, chez M. Dézairs-Blanchet, libr., gr. r., 67.
ToULoN, au bureau dela Sentinelle de la Marine et de l'Algérie.
VEvEY (Suisse), au bureau de la Patrie, gazette politique et sociale.
TURIN ( Savoie), au bureau de la Gazette de l'Association agricole.
MADRID (Espagne), Libreria Europea, calle de la Montera , 12. (Bul
letin bibliographique espagnol et étranger.)
LEYpsIG (Saxe ), chez M. MICHELM, lib. -

SMYRNE (Turquie), à l'Impartial de Smyrne, j. politique, commercial


et littéraire.
WAsuINGToN (Amérique), au National Intelligencer, au The Daily
Union, et à la Société typographique colombienne.
On reçoit au bureau de la Ruche les abonnements à tous les journaux
ci-dessus mentionnés.

Imprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


R||0||| P0P|LAIRE
Première Tribune et Revue Mensuelle

RÉDIGÉE ET PUBLIEE

PAR DES OUVRIERs


80us la directiºn

DE FRANÇOIS DUQUENNE
Ouvrier imprimeur.

NEUVIÈM E ANNÉE. - JUIN-JUILLET.

AU BUREAU, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE, 75,


AU MARAIS.

1847
PROG LRA MIM IEe

Le but principal de la Ruche populaire est d'indiquer les misères


cachées aux riches bienfaisants. Elle ouvre en outre aux ouvriers une
tribune où chacun d'eux peut faire entendre ses justes réclamations,
exprimer ses vœux légitimes, ses espérances d'amélioration. Or
telles sont aujourd'hui la multiplicité et la divergence des doctrines
sur toutes choses, qu'on ne saurait s'attendre à trouver parmi les
écrivains de la Ruche l'unité d'opinions, qui n'existe nulle part. Le
but de notre recueil n'est donc, sous ce rapport, que de faciliter
l'intervention des Hommes de travail dans la discussion des moyens
propres à remédier à des maux universellement avoués. En leur
laissant une pleine liberté d'exprimer leurs idées, elle leur en laisse
aussi toute la responsabilité, se bornant à exiger d'eux, avec un
ton décent, le respect que l'on doit toujours à la morale publique.

A NOS FRÈRES.

Nous voulons dire au plus malheureux de nos frères gémissant


sur la voie publique, ou bien abandonné dans son grenier :
« Te voilà sans travail, et tu en demandes; tu es sans logement,
» sans vêtements, sans nourriture; incertain du lendemain, aucune
» main amie ne vient toucher la tienne, donc tu as à te plaindre.
» Eh bien, si ta plainte est digne, viens nous l'apporter; il ne t'en
» coûtera rien pour la publier; et tu parleras à la Société, n'étant
»justiciable en ceci que de la majorité de tes frères d'infortune. »
LA

RUCHE POPULAIRE
(ºR# #E$B US $ $3)

« Secourir d'honorables infortunes qui se


« plaignent, c'est bien ; s'enquérir de ceux
« qui luttent avec honneur, avec énergie, et
« leur venir en aide, quelquefois à leur insu ;
« prévenir à temps la misère ou les tenta
« tions qui mènent au crime..., c'est mieux.»
(RoDoLPHE, dans les Mystères de Paris.) !

Nous recommandons à l'Évangélique Fraternité ces infor


tunes intéressantes :

- Une famille dont le père, bon ouvrier menuisier, repoussé


des ateliers comme étant trop âgé ; car , dit-il, on ne veut
plus occuper que des jeunes gens. Il endure toutes sortes de
souffrances, avec son épouse et leurs quatre enfants.
Une autre famille de six enfants , dont le père, ouvrier
carossier, depuis longtemps sans travail. Cette famille est dans
un grand dénûment.
Suivent les autres infortunes inscrites sur notre registre.

IX° ANNÉE de cette 1re tribune des ouvriers. — Juin - Juillet 1847. 9
130

SOUVERAINETÉ NATIONALE.

La justice est toujours invoquée par les peuples, les gou


vernements et les particuliers : mais rien n'est plus rare que
la chose. Cette contradiction provient de la diversité, de l'op
position des intérêts, et du droit accordé à quelques-uns d'im
poser des lois à tous. Une nation dont l'intérêt serait unique
concevrait la justice d'une manière identique, selon la vérité;
au lieu de cela, nous avons autant de justices que nous comp
tons d'intérêts, mais nous manquons d'équité.
Le peuple aspire à la justice-équité, c'est sa plus chère et
aussi sa plus forte croyance. Il la veut réaliser, c'est son droit;
il la réalisera, c'est son devoir.
La justice est dans l'égalité, l'égalité est dans la loi.
—Qui fera la loi? Voilà la question.
La Charte reconnaît que le peuple est souverain, mais la
loi lui interdit aussitôt l'exercice de sa souveraineté ; en sorte
que le souverain est retombé à l'état de citoyen passif ou sujet
à l'instant même. Cette souveraineté n'a duré que le temps
des barricades,
En ne recherchant pas les motifs secrets d'une conclusion
si étrange, on est frappé de son absurdité et des conséquences
anarchiques et révolutionnaires qu'elle recèle. Là est certai
nement le germe d'une révolution future qui se fera, car le
peuple est logique, au nom de la souveraineté populaire re
conquise en 1830, mais détournée, anéantie par des lé
gislateurs contre-révolutionnaires rassurés. Si l'on ne veut
plus de révolution en France, il faut accorder au peuple ses
droits politiques.
Ici se présente l'objection formidable de l'ignorance du
peuple.
Voyons si l'objection n'est pas spécieuse.
Si la capacité est le signe distinctif de l'électeur, on a raison
de ne pas investir les incapables du précieux droit de choisir
ses représentants. Mais parler de l'ignorance du peuple, c'est
trop dire, ou pas assez, car il se trouve partout des ignorants,
et partout des gens capables. Que dit la loi ?
Ceux qui ne paient pas moins de 200 fr. d'impôts sont élec
teurs ; ceux qui ne paient pas moins de 500 fr. sont éligibles.
154
Comme 1 et 1 font 2, l'état de fortune est le seul titre à
l'électorat, il n'y en a pas d'autres. Or, la capacité ne faisant
pas l'électeur, pourquoi dire l'ignorance du peuple, au lieu
de pauvreté ?— C'est donc à cause de sa pauvreté qu'on le
dépouille de ses droits.
Mais la fortune suppose la capacité. Supposition gratuite
qui ne prouve d'ailleurs que la capacité de faire fortune ou
d'hériter, mais non la moralité, l'intelligence, le bon sens si
commun chez les hommes du peuple, ni le dévouement. Nous
croyons, au contraire, que la vie commerciale, de comptoir,
éteint les noblessentiments et mène àl'abjection de l'égotisme.
Quant à la probité, entendez les commerçants eux-mêmes,
ils vous édifieront à ce sujet. -

Ainsi, la fortune n'entraînant pas nécessairement la capa


cité, l'objection de l'ignorance du peuple n'est pas fondée,
Quelle capacité faut-il donc à ceux qui sont appelés à dé
signer, parmi les hommes connus déjà par leurs actes et
leurs œuvres, les plus méritants et les plus dignes? C'est l'o-
pération la plus simple, à la portée de tout le monde, et nous
ajoutons que le peuple est seul en position de donner à la
France les meilleurs représentants, parce qu'il n'est pas sol
licité par un intérêt personnel ou de boutique, mais il repré
sente par son nombre immense l'intérêt général, c'est-à-dire
la justice. Voilà son crime.

Maintenant le reproche d'ignorance est-il fait de bonne


foi ? nous allons voir. En dérobant au peuple le plus précieux
de ses droits pour cause d'incapacité, on est forcément en
traîné, par la même raison, à lui dénier tous les autres droits
qui exigent, pour les exercer, non-seulement une capacité
vulgaire, mais de fortes études sur les religions et les philo
sophies.
Tout homme est libre de choisir sa religion, ou de n'en
avoir pas. Rien n'est plus grave que cet acte, selon nous,
car on est plus ou moins honnête, plus ou moins dé
voué à ses semblables, selon la religion que l'on professe,
et la nation ne peut rester indifférente aux conséquences
d'une liberté si grande. Cependant l'idée ne vient pas au gou
vernement d'imposer au peuple une religion préférablement
9.
132

à une autre, sous prétexte d'ignorance. C'était le cas ou jamais


de se livrer aux douceurs de la tyrannie, car si le peuple est
ignorant, incapable de choisir ses représentants, il est bien
moins capable encore de juger de la meilleure religion.
Considérons ensuite qu'une mauvaise élection (chose im
possible selon le système actuel, puisque les éligibles sont
les plus fortunés, partant les plus capables) est bien moins
à craindre qu'un mauvais choix en religion.
Dans le premier cas, la durée de l'élection étant limitée,
on peut revenir sur l'erreur qui aurait été commise.
· Dans le second cas, croyons-en la catholicité déclarant :
que « hors l'Eglise, il n'est point de salut », l'erreur est sans
remède. Quoi! la savante Eglise catholique affirme qu'il n'y
a qu'un seul moyen de salut éternel, et vous nous permet
tez, à nous autres d'une ignorance si profonde, selon vous,
de nous perdre dans les autres cultes dont les ministres, par
des prédications incessantes et dans des livres qu'ils répan
dent à bas prix ou pour rien, font abus de leur intelligence
afin de nous détourner du catholicisme! et vous laissez faire !
Vous manquez de logique.
Pour cause d'ignorance, vous nous imposez des députés
et des lois, pour cause d'ignorance imposez-nous bien vite
la seule religion qui nous sauvera. Ce n'est pas tout.
A ce peuple ignorant vous accordez encore la liberté d'é-
duquer et d'instruire ou de faire instruire leurs enfants. -
N'est-ce donc rien d'inspirer de bonnes mœurs à toute une
génération ? Et si le peuple est incapable, comment leur
confiez-vous cette importante mission, d'où dépend l'ordre
social ?

Une autre accusation, non mieux fondée, pèse encore dans


la balance de l'iniquité. On dit que le peuple aime le désordre.
Si l'on entend par ce mot qu'il est révolutionnaire, on n'a
pas tort, la masse est révolutionnaire non par goût, mais par
force majeure, par désespoir. En effet, pourquoi recourt-on
à ce moyen extrême?— Parce que la souveraineté populaire,
inscrite dans la constitution française , ne peut s'exercer
que de cette manière, quand les principes sociaux sont violés.
Dans cet état de choses, le gouvernement lui-même est con
damnè à proclamer la légitimité de l'insurrection. Qu'on
133

rende au peuple ce qui appartient au peuple, c'est-à-dire les


droits qu'il tient et de la nature et de la conquête, alors on
aura détruit toute cause de révolution, sinon le peuple usera
toujours de sa force au profit de ses droits.
Comprend-on par désordre, le trouble, l'anarchie dans les
rues. Mais le peuple est le premier intéressé à la conservation
de l'ordre, à la tranquilité. Les troubles ont pour effet immé
diat d'arrêter les travaux, et l'ouvrier ne peut se passer de
son travail de chaque jour. Le peuple aime l'ordre plus que
tout autre parce qu'il lui est nécessaire : l'ordre va de concert
aVec son intérêt.
On s'entend parfaitement à calomnier le peuple pour lui
ravir ses droits.
On ne veut pas de la participation du peuple à la chose
publique en quoi que ce soit ; loin de l'initier à la vie poli
tique, même dans une certaine mesure , on l'élimine, on le
chasse de toutes parts. On arrivera à diviser la nation en deux
classes, les exclus et les légaux, ou, pour nous servir de l'an
tique et franc langage, les esclaves et les maîtres.
On pourrait certainement, avec un peu de bonne volonté
et sans effrayer les trembleurs, faire concourir le peuple aux
élections municipales, les admettre même dans les conseils.
Si une chose est réalisable, c'est bien celle-là. On pourrait
encore, quant on autorise une chambre syndicale, qui devient
la plupart du temps un foyer permanent de coalition contre
le salaire, la composer de deux élémens, le maître et l'ouvrier,
à égalité de représentation, en laissant à chaque élément le
soin d'élire la moitié des membres du comité; de même pour
les prud'hommes. Ce serait là des actes sérieux qui auraient
une grande influence morale sur la classe ouvrière. Un gou
vernement dont les intentions seraient pures, nationales ,
aurait déjà accompli des réformes dans ce sens; il initierait
ainsi le peuple aux institutions sociales et le préparerait pro
gressivement aux évènements qui, dans un temps indéter
miné, surgiront de l'état violent et anarchique dans lequel
est tenue la France.
Mais, soyons-en convaincu, petite ou grande réforme ne
sera jamais accordée au peuple par les censitaires actuels. Il
nous faudra, comme le gaulois Brennus, jeter notre épée dans
la balance, si nous voulons faire légaliser nos légitimes pré
134

tentions. En attendant que les droits politiques nous soient


accordés, à nous autres, vrais parias, ne laissons rien entre
prendrequisoitcontraireau principe de lasouveraineté.Soyons
vigilants et toujours prêts à signaler et à combattre les injus
tices que les usurpateurs de la souveraineté tenteraient de
COmmettre enVers nous. -

Des divers systèmes d'élections, quel mode est préférable?


car tous les hommes qui reconnaissent le principe de la sou
veraineté nationale ne s'accordent pas sur les moyens d'ob
tenir la représentation la plus vraie de tous les intérêts, de
toutes les aspirations?
· Ceux-ci réclament l'élection à deux degrés.
Dans ce système, tous les citoyens non flétris par une con
damnation et ayant atteint l'âge de la majorité reconnue par
la loi, se réunissent en assemblées primaires et nomment les
électeurs qui, à leur tour, sont appelés à former d'autres as
semblées où sont définitivement choisis les représentants.
Cette double élection n'est pas sans mérite, en ce qu'elle
n'oblige à se déplacer que peu de personnes; mais elle laisse
subsister le grand vice qu'on reproche à juste titre au mode
actuel, de laisser les électeurs, au premier dégré, sous la
triste inspiration du clocher. Dans des tempsd'excitation mo
rale, il n'y paraît pas; mais aux époques de calme, de paix
plate, l'intérêt particulier tend toujours à primer l'intérèt gé
néral. Le mal serait moindre, sans doute, les assemblées
étant plus nombreuses. Cependant il est préférable , plus
prudent , de soustraire l'électeur aux influences locales et
personnelles, en le plaçant de manière à ce qu'il ne s'inspire
que de sa conscience. -

Ceux-là demandent l'élection directe.


On ne conteste pas que l'élection directe soit la plus franche,
la plus vraie; on argue seulement de son impossibilité. L'his
toire ancienne et l'histoire moderne répondent le contraire.
Entre l'opinion qui nie la possibilité et l'expérience qui
l'affirme, il devient superflu de raisonner.
La division est indiquée par le département, et chaque dé
partement envoie un nombre de représentants basé sur le
chiffre de sa population. — Les opinions étant libres, elles
ont le droitincontestable d'être représentées, si chacune d'elles
obtient la quantité de votes nécessaires ; mais comme telle
135

opinion pourrait, dans certains cas, dominer les autres par


des combinaisons faciles à comprendre, si la masse votait en
semble, nous croyons juste de subdiviser les électeurs dépar
tementaux en autant de groupes qu'il y aurait de députés
à élire. Les électeurs, bien entendu, se grouperaient libre
Iment.
Le principe de l'électorat doit être basé sur l'âge ; le temps
est hors des atteintes de l'homme. L'acte de naissance sera
le signe distinctif de l'électeur.
Une objection a été faite sur le nombre immense d'électeurs
que créerait une réforme radicale. Nous ne tenons pas au
grand nombre, mais au principe, à la justice de la loi. Nous
demandons que les électeurs soient pris indistinctement dans
tous les rangs, dans tous les intérêts; que la loi soit égale
pour tous, et l'égalité sera bien observée si l'âge fait l'élec
teur et non la fortune, car il est impossible que tout le monde
arrive à la fortune, et nulle puissance ne peut empêcher
l'homme d'avancer dans le temps : mais pour obvier au trop
grand nombre, qu'on élève l'âge aussi haut que l'on voudra,
le principe reste et l'inconvénient disparaît.
Nous approuvons de toutes nos forces l'élection directe.
QUELQUES RENSEIGNEMENTs HISToRIQUEs.

- Le corps électoral, pour les députés du tiers aux états


généraux en 1614 , se composait de tous les hommes majeurs ,
domiciliés et inscrits au rôle des contributions. Les éligibles ne
furent pas astreints à d'autres conditions. -

— Dans la période de 1778 à 1788, toutes les commune


obtinrent le droit d'élire leurs magistrats ; alors tout homme
âgé de vingt-cinq ans, et payant 10 fr. de contribution fon
cière, votait dans l'assemblée de sa paroisse. Au temps de la
République, les conditions étaient les mêmes pour être admis
à voter, soit dans les assemblées primaires, soit dans les assem
blées de commune. -

— Les décrets du 11 avril 1792, la constitution de 1795 et


de 1795 élevèrent au nombre de 4 millions et de 6 millions
les citoyens actifs. Ces électeurs ont produit l'assemblée légis
lative et la Convention Nationale. -

— La constitution de l'an 5 accorda aux assemblées primaire


le droit d'élire directement les juges de paix.
136

— Lycurgue, qu'on peut citer comme exemple, était soutenu


par le peuple Lacédémonien ; les notables, les puissants au con
traire, s'opposèrent àl'établissement de ses sages lois ; l'un d'eux
tenta de le tucr. ,
CoUTANT,
ouvrier typographe.

LETTRE DU MAIRE DE LILLE AUX FABRICANTS.

« Le maire de Lille invite MM. les fabricants à lui faire re


mettre tous les jours, avant midi, jusqu'à ce que l'ordre soit en
tièrement rétabli, la liste de ceux d'entre leurs ouvriers qui ne
se seraient pas présentés le matin dans leurs ateliers, ou qui les
auraient quittés dans la matinée ou dans la journée de la veille.
Il faudrait, autant que possible, que ces listes indiquassent la
demeure des hommes qu'elles signaleront.
« Lille, le 14 mai 1847.
BIGo »

Beaucoup de journaux ont jeté l'anathême sur cette lettre,


disant que le maire de Lille voulait faire des maîtres des dé
lateurs. Quelle méchanceté ! Nous reconnaissons bien là
ces journaux de l'opposition, toujours prêt à dénaturer les
pensées les plus innocentes; nous le demandons : est-il ques
tion, dans cette lettre, d'inquiéter ou de punir les ouvriers
qui ne travaillent point, et dont on demande les noms et
adresses? Pas le moins du monde, nous gagerions cent contre
un que l'excellent maire veut tout simplement s'enquérir, par
lui-même,- des causes et du dégré de leur misère ; donner
du pain à ceux qui meurent de faim ; des vêtements à ceux
ui sont nus ; recevoir les plaintes de ceux auxquels on veut
aire subir des réductions de salaire ou autres vexations ;
donner du travail à ceux qui en manquent; enfin, venir en
aide à toutes les infortunes, comme c'est le devoir de tout bon
magistrat qui doit être un père pour la population confiée à
son intelligence et à son dévouement.
Voilà, selon nous, le véritable but de la mesure en question.
Si nous ne pouvons faire à son honorable auteur un rempart
de notre corps contre les injustes attaques des ennemis de
l'ordre, que cette réfutation lui serve au moins de passeport
dans l'estime des honnêtes gens.
Nous n'oublierons jamais le nom de M. Bigo !.... -

Nous déclinons d'avance les remercîments que pourrait


137

nous adresser M. le maire de Lille pour avoir fait briller dans


tout leur éclat ses intentions si paternelles. C'est pour nous
un devoir sacré d'élever sur le pavois toutes les vertus qui
nous tombent sous la main.
RÉNÉ, relieur.
–->e E>G-

Moyens de gouvernement.
Commencée avec calme par un débat sur les subventions
et souscriptions littéraires auquel ont pris part successive
ment MM. Demarçai, Taillandier, Marquis, Ferdinand de 1 as
teyrie, et M. le ministre de l'instruction publique, la séance
d'aujourd'hui s'est terminée, à la suite des discussions les
plus orageuses, par un de ces Votes déplorables dont le sou
venir ne s'efface pas.
On discourait sur les biens communaux : le respectable
baron de Ladoucette donnait à ce sujet des conseils pleins de
sagesse au gouvernement, quand tout à coup une simple
question de M. de Girardin : « Sur quels fonds M, le ministre
de l'Intérieur prélève-t-il les frais d'impression des discours
qu'il envoie dans les départements ? » a ramené l'assemblée
frémissante à ce duel interrompu du 17 juin, à cette alterna
tive posée dans les mêmes termes par tout le monde et qui
restait sans solution : « Il y a dans la chambre un député
calomniateur ou des ministres coupables (1). »
Il faut courir aux résultats, il faut glisser sur la plupart
des incidens; et cependant combien il s'en est accumulé en
quelques instants qui mériteraient d'être signalés !
C'est d'abord M. de Girardin qui accuse M. le ministre de
l'Intérieur d'avoir répandu aux frais du budget, dans toutes
les communes de France, une séance tronquée, et d'avoir
falsifié l'opinion d'un député qu'il voulait diffamer : c'est, à
propos de la confidence de M. Duchâtel renvoyant à ses col
lègues des affaires étrangères la responsabilité de la vente
d'une promesse de pairie, un échange de démentis entre M. le
ministre de l'Intérieur et M. de Girardin, qui, au milieu
des trépignements de fureur des centres, s'est écrié : « J'en
« tends cette fois le démenti de M. le comte Duchâtel et je
«l'accepte avec toutes ses conséquences. » Ce sont les cris,
(1) Les preuves de culpabilité des ministres se multiplièrent, les jours
suivants, à la tribune. — Poursuivez donc, criait-on de toutes parts au mi
nistre de la justice, mettez donc en accusation vos collègues pervers, puisque
le député qui les accuse demande à fournir, devant les tribunaux, les preuves
matérielles de leurs attentats, de leurs concussions. — Povr poursuivre un
délit, répondit M. Hébert, il faut y croire !
138
les interpellations, les emportements de la majorité qui de
mande le rappel à l'ordre, puis les exclamations véhémentes
de M. de la Rochejacquelein et de plusieurs autres membres
indignés de ce que cette majorité prétend condamner un
membre de l'assemblée à rester impassible sous le coup d'un
démenti; c'est l'intervention impuissante du président mêlant
au tumulte de trois cents voix les sons assourdissants de sa
sonnette; ce sont enfin de nouvelles et plus énergiques af
firmations du rédacteur de la Presse, auxquelles répondent
de nouveau les dénégations formelles du ministre, bien que
celui-ci ait le soin de constater qu'en niant les faits odieux
imputés, soit à lui, soit à ses collègues, il s'abstient de donner
un démenti à la personne.
Cette scandaleuse scène de déclarations contradictoires,
dont l'une est nécessairement mensongère, menaçant de se
prolonger indéfiniment, plusieurs députés élèvent à la fois la
même réclamation : « L'enquête ! l'enquête! ou un arrêt de
« la« justice ! » l'enquête et je ne crains pas la décision des tri
Je désire
bunaux, » avait dit M. de Girardin.
« Nous ne proposons pas l'enquête, dit à son tour M. Du
châtel, et même, si elle est proposée, nous la combattrons.»
Alors des deux côtés la chambre se soulève, les clameurs se
croisent, redoublent, la séance est de nouveau interrompue.
M. de Girardin reparaît à la tribune ; il énumère les faits et
les témoignages qui depuis le 17 juin sont venus confirmer
ses accusations; il insiste pour qu'une information judiciaire,
poursuivie avec calme, le mette en état et lui fasse un devoir
de les prouver. Toujours les mêmes trépignements, les mêmes
fureurs, la même confusion.
Tout à coup il se fait un grand silence : on croit que
M. Benoît Fould tient la vérité dans sa main et qu'il va la lais
ser échapper. On l'écoute avec anxiété : il raconte alors les
sacrifices qu'il a faits à diverses reprises pour soutenir ses opi
nions ; il convient qu'il a versé et perdu 60,000 fr. comme
actionnaire du Globe ; il n'a point ignoré les bruits répandus
contre lui ; il a compris les insinuations de certains journaux
qui l'on désigné comme le riche banquier qui avait payé au
prix de 80,000 fr. une promesse de pairie; mais il déclare
que jamais il n'a sollicité la pairie, que jamais elle ne lui a
été promise, que jamais il n'a offert de l'acheter, ni à prix
d'argent ni à aucune autre condition.
M. le ministre de l'intérieur prend acte de ces paroles, qui
l'encouragent à entrer sur d'autres faits, notamment sur l'af
faire du privilége de théâtre, dans des explications peu con
cluantes et dont chacune se trouve d'avance infirmée par des
139
témoignages contraires. - L'enquéte ll'enquête l ou le renvoi
des coupables devant la justice du pays l répète l'opposition.
M. Duchâtel repousse l'enquête parce qu'elle établirait sur
le-champ une présomption de culpabilité contre le cabinet ;
il repousse l'appel à la justice, sous prétexte que la question
qui s'agite est une question politique et que la chambre seule
est compétente pour la juger.
M. de la Rochejacquelein atteste l'impartialité de l'opposi
tion et fait vainement appel à l'équité, à l'honneur du minis
tère.
M. Chambolle déclare que la justification de M. Benoît Fould
était nécessaire et opportune; que c'était lui, en effet, dont le
nom circulait depuis quinze jours sur tous les bancs de la
chambre et était partout prononcé au dehors. M. Fould a nié.
Sa dénégation doit être crue. Le ministre de l'intérieur s'en
empare; mais à l'instant M. Emile de Girardin, faisant allu
sion au même fait, vient répéter que ce fait était constant,
qu'il en avait une connaissance précise, « tellement précise,
qu'il ne lui était pas venu à la pensée qu'on pût songer à le
contredire. » Il ya donc quelqu'un quien impose à la chambre ;
cependant tous les membres de l'assemblée doivent sentir
le besoin de s'estimer l'un l'autre et de respecter d'honnêtes
gens dans leurs adversaires politiques. Il faut que la vérité
soit connue, il faut qu'elle sorte d'un aveu, d'un jugement
ou d'une enquête.
M. Emile de Girardin, invité à s'expliquer sur l'incident,
répond qu'il n'a rien à retrancher de ses précédentes affima
tions.
Alors le débat recommence et se ranime : M. Odilon Barrot
reproche au ministère, qui recule devant une information ju
diciaire, de faire injure à la justice du pays. Il s'attache
particulièrement au fait des cent mille francs qu'il a fallu ver
ser dans la caisse de l'Epoque pour obtenir un privilège de
théâtre; il en expose toutes les circonstances de manière
à rendre irrésistible la preuve de l'existence d'un délit. Ce
délit est certain, il a été non seulement dénoncé et maintenu
à la tribune, mais établi devant les tribunaux ; il tombe ma
nifestement sous l'application des lois pénales. Pourquoi
n'est-il pas poursuivi ? — Il y a donc une complicité secrète
entre les ministres et les coupables; on aime donc mieux
rester sous le poids d'un doute accablant, ou provoquer un
vote de parti qui laissera subsister ce doute, que d'aller loya
lement à la recherche de la vérité.
L'opposition applaudit; la majorités'agite.M. Duchâtel s'ef
force de démontrer que les tribunaux ne peuvent intervenir
dans une question qui est de sa nature toute parlementaire.
140

Le gouvernement, même, quand sa moralitéest mise en cause,


ne peut accepter d'autre juge que la majorité. — « Souvenez
vous de Casimir Périer ! » lui dit-on. Mais M. Duchâtel est à
la tribune pour parler et non pour entendre ; il convient
que 100,000 francs ont été donnés aux rédacteurs de l'E-
poque, — Ah ! ah ! enfin ! s'écrie-t-on aux extrémités.
— Mais il ajoute que le ministère est resté étranger à cet
arrangement.—C'est une escroquerie ! s'écrie-t-on encore :
pourquoi la laissez-vous impunie ? — M. Duchâtel : On ne
peut pas poursuivre, puisque le concessionnaire du privi
lège, M. Adam, ne se plaint pas. — Il ne se plaint pas, répond
aussitôt M. Emile de Girardin, parce qu'il est sous votre dé
pendance ; il ne se plaint pas, parce que, pour le tirer de
l'embarras que faisait peser sur lui une contribution forcée
de cent mille francs, le ministère est venu à son secours.—
Nouvelle explosion de cris, d'interpellations, de défits inju
rieux. — Un mémoire, poursuit M. de Girardin, un mémoire
de M. le Baron Lambert aurait pu vous édifier sur cette scan
daleuse affaire : il a été racheté 30,000fr. — C'est faux! s'écrie
M. Duchâtel.—Je l'affirme ! réplique M. de Girardin; puis il
parle encore de bénéfices suspects partagés par les cliens du
ministre.
Celui-ci irrité lance à son adversaire le reproche d'avoir
reçu 200 actions du chemin de fer du nord. — Les ministres
en ont reçu aussi, dit M. de Girardin. — C'est faux ! — C'est
vrai ! — Et les démentis se croisent pour la dixième fois. M.
Duchâtel proteste avec indignation contre de pareils soupçons,
et il qualifie infâmes les ministres sur qui ils pourraient
tomber justement. Ici, M. le ministre de l'intérieur avait un
accent de vérité qui a convaincu la chambre. Mais ce n'est
point d'avoir reçu des actions de chemins de fer pour leur
compte que MM. Guizot et Luchâtel étaient accusés ! -
Sommé par M. de Mornay de fournir ses preuves, pour
épargner à la chambre un acte de parti auquel déjà elle se
prépare, M. de Girardin s'écrie : A quoi servirait de présenter
la lumière à des aveugles qui ne veulent pas voir ! La scène
de tumulte continue. M. Feuilhade-Chauvin a peine à faire
entendre ses nobles protestations en faveur de la justice, dont
les règles protectrices ne doivent jamais être violées, même
par un tribunal politique. Mais la majorité, humiliée de
toutes ces hontes, et voyant que le ministère refuse abso
lument d'en appeler à la justice, perd tout à fait patience.
Un de ses membres, M. de Morny, rédige un ordre du jour
motivé, par lequel cette majorité se déclare satisfaite des ex
plications ministérielles. Une protestation immense, àlaquelle
se joignent de longs éclats de rire, accueille cette déclaration.
141
M. Garnier-Pagès serre la question et demande aux ministres
s'ils ne craignent pas de passer pour complices en assurant
l'impunité à une escroquerie avérée.
M. de la Rochejacquelein consent à se désister de la de
mande d'enquête; il est prêt à voter même l'ordre du jour
motivé, si M. le garde des sceaux prend l'engagement solen
nel de poursuivre le député qui a tenu deux jours les mi
nistres sur la sellette et qu'ils ont flétris du nom de calom
niateur.
M. Hébert consulte M. Guizot et balbutie. La calomnie tom
bée de la tribune est inviolable. Celle qui vient du dehors ne
peut pas, dit-il, avoir de juge plus éclairé et plus impartial
que la chambre.
—Eh bien ! s'écrie M. de la Rochejacquelein, maintenant
à mes yeux il n'y a point de calomniateur, il n'y a plus que
des coupables ! L'opposition applaudit à l'énergie de ces pa
roles. Les centres poussent des exclamations de colère et ré
clament la clôture. Cependant ils font silence encore un mo
ment pour entendre M. Chambolle. Celui-ci leur prouve
qu'une majorité politique ne peut pas rendre de jugements;
qu'il ne lui appartient pas de faire des innocents et des cou
pables. — « Si ! si ! s'écrient quelques voix du centre. —Eh
bien ! réplique l'orateur, ajoutez donc un vote de plus à tant
de votes flétris par l'histoire! Mais n'espérez pas qu'un acte
de colère sera pris pour un acte de justice. Vous n'avez point
qualité pour porter un jugement; vous faites un coup de ma
jorité ! »
Ces paroles ont clos le débat. Les centres, impatients, se
sont précipités vers la tribune, et l'ordre du jour motivé
de M. de Morny a été adopté avec le même enthousiasme
que mettaient autrefois les ultra-royalistes à expulser Ma
nuel.
Malgré ce vote, malgré l'autorité du nombre, qui n'équi
vaudra jamais à l'autorité de la justice, M. de la Rochejac
quelein est en droit de répéter encore : Je ne vois plus dans
cette enceinte un calomniateur, je n'y vois que des ministres
coupables !
(LE SIÈCLE, 26 juin 1847.)
-

S'opposant, et pour cause, à l'enquête demandée par plu


sieurs députés, le ministère a cru, en obtenant un vote de
parti, échapper aux graves accusations portées contre lui
par le journal la Presse ; c'était, disait-on, un jugement.
Cependant il n'y a pas de jugement sans information, et,
comme l'a dit un respectable magistrat, M. Feuilhade Chau
- 442
vin, «il est des règles protectrices, des règles éternelles et
sacrées dont nul tribunal au monde ne saurait s'écarter sans
violer le droit, pas même un tribunal politique ! » Les faits
qui ont été produits à la tribune, accompagnés de preuves,
subsistent dans toute leur force. On ne doit pas être surpris
du cri de réprobation qui s'élève contre un ministère cor
rupteur, non seulement en France, mais encore dans toute
l'Europe. Une question de probité et d'honneur ne se vide
pas au scrutin ; on ne l'étouffe pas sous les clameurs et les
murmures. Une protestation unanime, qui se renouvellera
sans cesse, est venu apprendre à la majorité ministérielle
qu'elle ne saurait usurper impunément les droits de la vérité
et de la justice.
Pourtant, on a eu l'indignité d'envoyer dans les départe
ments un compte-rendu mutilé et dénaturé de la séance du
17 juin , sous le couvert du ministre de l'intérieur. Ainsi
plusieurs de ces journaux ont publié une lettre apocryphe
par laquelle M. Emile de Girardin est censé donner sa démis
sion, sous le coup d'un vote qui fait peser sur lui une accusa
tion de calomnie.
Voici, à ce sujet, l'article que l'on trouve dans la Presse.
Qu'on en pèse impartialement tous les termes, et qu'on se
demande ensuite si les ministres sont justifiés :
« M. de Girardin n'admet pas qu'il reste sous le coup d'un
« vote qui ſait peser sur lui une accusation de calomnie, » d'a-
bord parce que le vote du 25 juin (225 voix) n'a été que la
seconde édition diminuée du vote du 1 1 février (245 voix) ;
ensuite , parce qu'aucune de ses allégations n'a été infirmée,
ainsi que cela résulte du résumé suivant :
I.
CENT MILLE FRANCS DoNNÉS PAR M. ADAM A MM. GRANIER DE
CASSAGNAC ET SOLAR .

M. Adani n'a pas démenti le fait !


II.

MÉMoIRE DE M. LE BARON LAMBERT , RACHETÉ 50,000 FR.


M. le baron Lambert n'a pas démenti le fait !
III.
UN MILLIoN DEUx CENT MILLE FRANCs DEMANDÉs AUx MAITREs
DE PosTE PoUR LA PRÉsENTATIoN D'UN PRoJET DE LoI sUR LEs
RELAIS.
| Les maîtres de postes, représentés par M° Jouhaud, leur
conseil, MM. Dailly, maître de poste de Paris, Duclos, Fau
143

cher et Labbé, à qui cette proposition a été portée, n'ont pas


démenti le fait !
IV.
CRoIx D'HoNNEUR A UN NÉGoCIANT EN ÉTAT DE DÉCoNFITURE,
AYANT DÉPosÉ soN BILAN. ·
Le négociant en question, qui n'avait d'autre titre à cette dis
tinction que l'opposition des membres du tribunal de commerce
à cette scandaleuse nomination, n'a pas démenti le fait !
V.

sUBVENTION DE CINQ MILLE FRANCS PAR MoIs DoNNÉE AU


G LOBE. \

Dans l'impossibilité de démentir ce fait, judiciairement cons


taté par M. le premier président Séguier, on a cherché à l'ex
pliquer. Mais comment l'a-t-on expliqué? En mettant en avant
le nom d'un député décédé, en transformant M. Mermilliod en
riche conservateur. Or, veut-on savoir ce qu'a versé M. Mer
milliod dans la caisse du Globe2 SIX CENTS FRANCS, prix
de cinq actions de 120 francs, donnant droit chacune à trois
années d'abonnement. Plus que jamais, nous sommes donc fon
dés à dire qu'on n'a pas démenti le fait !
VI.
RIEN PoUR RIEN, coNDITIoN oFFENSANTE MISE A UNE NoMINA
TION DE PAIR. -

Ces paroles et la lettre écrite au roi le 25 janvier 1846, et


signée dun lieutenant-général, n'ont pas été démenties !
VII.
PROMESSE DE PAIRIE FAITE MOYENNANT LE VERSEMENT DANS
LA CAIssE D'UN JoURNAL D'UNE soMME DE 80,000 FRANCs.
–->eG--

OEUVRE DE FRATERNITÉ.

Lorsqu'on nous signale une infortune intéressante, quel


qu'en soit le genre, comme, par exemple, un honnête ou
rier, père de famille, depuis longtemps sans ouvrage et se
laissant périr lui et les siens plutôt que de révéler sa misère,
nous allons le visiter nous-mêmes en qualité de camarades et
non d'inspecteurs ; puis nous mentionnons le fait sur un re
gistre en omettant le nom et l'adresse; et quand un riche a
le beau courage, en le venant consulter, de choisir une ou
plusieurs infortunes à soulager, alors, au moyen d'un carnet
144
à numéros correspondants , nous lui confions les noms et
adresses, afin qu'il puisse aller lui-même répandre ses bien
faits. -

Nous remercions les personnes généreuses qui, depuis


notre dernier numéro, ont secouru de nos familles.
Nous remercions aussi le journal l'Europe (de Londres),
pour son article bienveillant sur la Ruche populaire.

On trouvera au bureau de la Ruche des tableaux et autres


objets d'art et d'industrie destinés à être cédés au profit des
Familles que nous recommandons.

L'Enquête sociale a reproduit l'article LE LIVRET (Il faut


des serfs à la féodalité nouvelle).
La Démocratie pacifique a reproduit l'article : LE PEUPLE
ENCoRE CALOMNIÉ PAR M. DE LAMARTINE (voy. l'hist. des
Girondins). Les rédacteurs de ce journal s'associent de tout
cœur à cette juste protestation de la Ruche populaire.

L'LES CLAAVAAG E.
Nous extrayons du discours de M. Ledru-Rollin les pas
sages suivants :
« Parlons du droit des colons. La Convention avait aboli l'es
clavage ; le premier Consull'a rétabli par un décret de l'an X,
et ce décret n'a pas été inséré au Moniteur ; il n'a donc aucune
force de loi : voilà le titre de propriété des colons! ils n'ont aucun
droit sur la question d'indemnité. Nous pouvons leur venir en
aide, rechercher si, dans certains intérêts maritimes et poliques,
il ne nous couvient pas de garder nos colonies, mais un droit
pour l'esclavage, non ! »
Après avoir établi la futilité des arguments qui voudraient
présenter la propriété des esclaves comme une propriété or
dinaire légalement acquise et susceptible d'indemnité, M.
Ledru-Rollin a tracé le tableau des cruautés des colons, des
souffrances des esclaves.
145

«N'opprimez pas trop le faible, s'est-il écrié dans une géné


reuse indignation, car les vapeurs d'où sortent la foudre sont
formées des pleurs de l'innocent. Les cruautés les plus horribles
restent impunies, et vous dites que cela peut durer; les faits
les plus immoranx se produisent et vous dites que cela peut
durer. Si jamais les colonies était menacées, ce serait surtout le
jour où les noirs seraient persuadés qu'ils n'ont rien à espérer ;
je vous citerais quelques faits :
« Une vieille mère est attachée par les quatre membres, elle
reçoit 29 coups de fouet, le sang jaillit et arrose les mains de
son fils, forcé de tenir sa mère pendant qu'on la supplicie.
Je ne vous parlerai pas d'un commissaire de police frappant
une femme après quinze jours de couche ; d'un géreur tuant
un esclave, traduit devant la cour d'assises et acquitté.
« 29 coups de fouets sont appliqués à une femme enceinte
de cinq mois. On la place en croix sur une échelle et on lui
met un billot de bois sous le ventre afin que les coups portent
mieux ; elle a troits dents cassées, l'œil droit perdu ; elle a avor
tél le géreur est condamné à 15 jours de prison.
« Un esclave est puni du fouet; sa chair est en lambeaux,
on verse sur ses plaies une composition de piment et de jus de
Clt/'On . -

« On fait avaler à un enfant des excréments d'hommes et d'a-


nimaux.
« Un jeune nègre vole quelques fruits, le maître lui coupe
l'oreille avec son canif, et le force à avaler ce bout d'oreille.
« Un nègre soupçonné d'avoir empoisonné un bœuf est obligé
de porter, pendue à son cou, la tête de ce bœuf jusqu'à ce qu'elle
tombe en putréfaction; il meurt; la justice se transporte et ceux
qui la représentent s'en vont en disant : ce n'est rien, il est mort
pour avoir porté cette tête. »
Tous ces faits avérés , choisis au hasard entre mille, ont
soulevé l'indignation de la chambre qui a crié : c'est assez.
En effet, c'est trop, mais si l'on a peine à entendre de pa
reilles monstruosités, ne craint-on pas que les victimes se
lassent de les souffrir et pourrait-on dire que leurs repré
sailles quelles qu'elles fussent, seraient injustes.
M. Jollivet, député, a cru devoir prendre en main la dé
fense de MM. les propriétaires d'esclaves; du reste, recevant
pour cela de ces Messieurs un traitement de 25,000 francs,
il lui fallait bien gagner son argent...
Quand une société est fondée sur l'inégalité politique, soit
par la force physique, par la ruse ou le mensonge, les résul
10
146
tats sont et ne peuvent être que la discordance extrême entre
les positions. Cette inégalité paraît alors dans tous les inté
rêts, dans toutes les relations des hommes, la morale même
cesse d'être une, ou de n'être pas, selon la caste à laquelle
elle s'adresse; tout reçoit l'empreinte de l'inégalité ; car si on
contrevenait à ce principe en un point quelconque, la base
sociale serait ébranlée de manière à ne plus retrouver son
équilibre. Aussi les hommes intelligents, qui ne veulent rien
perdre de leurs priviléges, ne font point de concession, et ne
peuvent en faire s'ils tiennent à conserver ces priviléges. Une
concession donne l'entrée a ce qu'on appelle l'esprit révolu
tionnaire qui n'est après tout que l'esprit de justice; et cet
esprit-là n'admet pas de partage, il envahit tout.
C'est pourquoi le défenseur des castes privilégiées,
M. de Maistre, effrayé de l'ouvrage de démolition que com
porte l'entrée de la justice dans le monde, supplie avec tant
de naïveté les prolétaires, c'est-à-dire les esclaves de toute
couleur, les pauvres enfin, de ne point méditer, de ne point
remonter jusqu'à l'origine du contrat de société, puisqu'il
est barbare et ne saurait tenir devant le moindre examen.
Un pareil langage nous paraît étrange; et que signifie cette
prière adressée au peuple de laisser la lumière sous le bois
seau ? Nous autres mercenaires ou salariés, nous pensons,
comme la Convention , que l'esclavage, qui s'étend sur le
monde depuis l'origine obscure de la société, déshonore l'hu
manité; nous pensons que l'esclavage ne sera aboli que quand
les esclaves, noirs ou blancs, voudront eux-mêmes y mettre
fin, avec courage et tous ensemble.
Mais il faut s'entendre pour faire quelque chose en commun.
Or, il n'est pas permis au pauvre de discuter ses intérêts avec
ses semblables, toute réunion étant interdite par la loi. Il y
aurait à desespérer grandement, si l'imprimerie, cette inven
tion sublime n'existait pas ; mais grâce, mille fois grâce à
ce grand génie qui sut trouver la lettre mobile, Guttemberg,
l'homme peut, par le moyen de l'imprimerie, multiplier sa
pensée à l'infini et la faire pénétrer partout où il y a un être
humain ; il peut converser avec ses semblables, si éloignés
qu'ils soient, en ayant pour témoin le globe entier.
L'imprimerie est, en vérité, la lumière destinée à éclairer
147
la pauvre humanité qui a vécu pendant tant de siècles dans
les ténèbres, dans l'ignorance. Mais cette lumière, il ne faut
pas ou la laisser sous le boisseau, ou l'étouffer, il faut l'élever
assez haut pour que le monde puisse également jouir de ses
bienfaits, le pauvre comme le fortuné.
Eh bien, vous, M. Ledru-Rolfin, qui voulez prouver votre
sympathie aux classes ouvrières et aux nègres esclaves,
donnez-leur, du haut de la tribune du Palais-Bourbon, les
conseils qui peuvent les sauver de l'avilissement et de la
misère.
Dites-leur à tous publiquement comme il faut s'y prendre
pours'émanciper.La bourgeoisieest parvenue à la domination,
parce qu'elle avait aux chambres législatives et dans la presse
surtout des représentants; mais le peuple ne peut pas es
pérer se faire représenter aux chambres législatives, les condi
tions étant faites en vue de l'en éloigner. Ce qui estenson pou
voir, c'est de fonder des journaux et de les ériger en tribune,
où chaque homme, dépouillé de ses droits, puisse prendre
publiquement la parole en son nom propre et au nom de ses
frères; ce sera là un commencement deliberté.Vous, M. Ledru
Rollin, qui avez conquis le droit de parler au Palais-Bourbon,
ne laissez point finir cette session qui va tomber dans l'ou
bli comme tant d'autres sessions, sans donner au peuple ce
conseil : de se créer des tribunes libres ;, et au besoin, mon
sieur, vous pourrez, après avoir accompli le devoir de la pa
role, y ajouter celui de l'acte, comme tout homme de cœur
qui ne dit rien qu'il ne soit prêt à le faire.
LE CoMITÉ.

–•©t>e69 --

LE (lllE\ El I'll0llllE,
FABLE.

L'été dernier, certain vieux duc et pair


Se disposait, pour prendre l'air,
A faire un tour dans la campagne ;
Son fidèle Médor, qui partout l'acompagne,
Autour de lui jappait et sautillait,
10,
148

Puis s'arrêtant, dressait l'oreille,


D'impatience frétillait ;
Et cependant tout allait à merveille.
Déjà le noble pair, qui devant son trumeau,
S'adonisait, faisait le beau,
Ayant, sur sa tremblante nuque,
Bien assujetti sa perruque,
Recevait de Frontin sa canne et son chapeau ;
on partait, et Médor se voyait dans la plaine,
Quand le valet, d'un ton impérieux,
Le somme d'avancer et lui passe la chaîne.
Esclave! lui, Médor ! qui comprendra sa peine ?
Les larmes lui vinrent aux yeux.
Mais quand il vit la muselière !
Pour le coup il s'emporte et devient furieux,
Gronde, montre les dents, fait un bond en arrière.
Quoi! non content del'enchaîner,
On veut aussi le bâillonner ?
A cet acte arbitraire
Il prétend se soustraire
Et vendre cher sa liberté.
On rit de sa menace, et, tiré par sa chaîne,
Bon gré, malgré, l'on vous l'entraîne ;
Notre pauvre Médor, pour s'être révolté,
Hélas ! va comparaître
- A la barre du maître,
Son juge et son accusateur.
(Un fouet brille à la main du vieux législateur);
C'était, de ce Minos, le glaive et la balance.
Traitez, si vous voulez, ce fait d'invraisemblance ;
Mais le noble pair et le chien,
Ensemble, eurent cet entretien :

—Vous croyez-vous, race canine,


(C'est l'homme ici qui parle, on le comprend très bien)
Vous croyez-vous sans frein, sans lois, sans discipline,
Capable de vous gouverner ?
Non ! c'est à nous de discerner
Vos besoins de toute mature ;
149

Nous sommes vos tuteurs, nous devons y pourvoir ;


Et nous faisons pour vous, plus que notre devoir ;
Outre la niche et la pâture,
On ne peut rien vous octroyer.
Que trouve-t-on chez vous ? confusion, désordre ;
C'est peu qu'à tout propos on entend aboyer,
Vous êtes toujours prêts à mordre ;
Vous troublez l'ordre social ;
Il est donc de toute justice,
Que, dans l'intérêt général,
A nos lois le chien obéisse!...

— Ne faut-il pas aussi qu'il vous lèche les mains ?


Reprit Médor avec audace;
O regrets superflus ! le malheur de ma race
Fut de s'allier aux humains.
L'homme est bien oublieux, s'il n'est sans conscience ;
Dans tous les cas, c'est un ingrat ;. -

N'a-t-il pas violé les clauses du contrat


Qui cimenta notre alliance
Au berceau de l'humanité?
Pourtant eut-il jamais allié plus fidèle ?
Courage, force, ruse, adresse, agilité,
Persévérance, excès de zèle,
Nous apportâmes tout à la communauté;
Dans vos chasses d'alors, périlleuses batailles,
Nous bravions le même danger ;
En loyaux compagnons nous devions partager ;
On nous jette aujourd'hui les os et les tripailles ;
L'homme, dès que le chaume eut fait place au palais,
Fit d'un ami le dernier des valets ;
A nous seuls aujourd'hui les périls de la chasse ;
Nous gardons son logis, son troupeau, son trésor ;
C'est peu que sans raison il s'emporte et menace ;
Il va même plus loin encor,
Dans le chien malheureux il voit un adversaire.
Un adversaire ! nous, qu'un rien peut captiver;
L'homme craint notre rage et semble la braver....
La plupart d'entre nous manquent du nécessaire ;
150
Si nous le réclamons, vite il est aux abois...
Et que peuvent toutes vos lois ?
La faim brûle le sang, la fièvre nous égare ;
Si de l'un d'entre nous le vertige s'empare,
Un homme, affreux malheur ! périt-il sous ses coups,
On nous massacre, on nous enchaîne tous !
En vain l'innocent intercède...
A tout mal, la rigueur est un mauvais remède ;
Egoïste implacable ! homme! pourquoi venir
Exciter notre rage, et vous en prémunir
Pour exercer sur nous, ne sais quelle vengeance ?
Ecoutez la raison, l'équité, la prudence
Vous crier : mieux vaut prévenir,
Il est toujours cruel et trop tard de punir !...
Mais le pauvre Médor eut beau dire et beau faire ;
N'ayant rien à répondre à sa péroraison,
On musela le pauvre hère ;
Et pourtant il avait raison!
MICHEL RoLY,
ouv. menuisier.

LETTRES AUX FRANÇAIS.


VIII.
Dieu protége la France pour en
faire l'instrument de la régénéra
tion et de la félicité du monde.

Après avoir exposé les causes et les faits qui ont modifié tem
porairement la nature humaine, il importe de jeter un coupd'œil
sur l'état présent des sociétés, comme conséquences et résultat des
principes que nous avons émis, afin de bien comprendre quelle est
la position respective de la France, de l'Europe et du monde ;
car pour établir l'ordre convenable dans une réforme qui doit
embrasser et modifier tous les points de la société, depuis l'in
dividu, la famille et les mœurs, jusqu'aux institutions et aux
pouvoirs législatifs, politiques et religieux, il faut d'abord con
naître ce qui est, et pourquoi cela est tel ; puis ce qui doit être,
enfin comment passer de l'un à l'autre sans secousses violentes,
et en satisfaisant à tous les intérêts légitimes.
151

Ainsi donc, les humains ayant, dès le principe, modifié leur


nature par le mauvais usage de leur liberté, et n'ayant pas fait
depuis ce qui était nécessaire pour atténuer ce malheur, reçoi
vent tous, de génération en génération, du plus ou moins, une
mauvaise disposition, qui les porte à satisfaire et développer
leurs passions instinctives, au mépris de la justice dont ils rejet
tent ou étouffent le sentiment déposé aussi dans leur âme : sen
timent que l'étude d'eux-mêmes comme de toutes choses devait
étendre, appliquer et faire fructifier ; aussi la régénération doit
elle s'opérer par l'extension et la diffusion des lumières.
L'instinct ou bon plaisir étant donc devenu le principe do
minant des actes de chacun, s'est alors étendu à la législation
civile, politique et religieuse des sociétés ; et ce principe a porté
ses fruits , savoir : la guerre entre tous, la domination des forts,
l'asservissement des faibles, la dégradation générale, enfin l'or
ganisation matérielle des sociétés , organisation qui consiste à
concentrer les forces du parti dominant et les élémens de la puis
sance sociale en peu de mains ; d'où viennent les aristocraties,
ou bien en une seule main, d'où vient le pouvoir absolu d'un seul,
quels que soient son nom et ses titres, roi, empereur, etc; puis
enfin à établir et maintenir, par la violence et la crainte, les
lois nécessaires pour conserver cet état de choses.
Mais comme un tel ordre social ne peut satisfaire que les in
térêts matériels d'un petit nombre au détriment des intérêts
moraux, religieux et légitimes de tous, on conçoit qu'il a dû
exciter par fois de vives oppositions. Cependant, comme les
partis opposants méconnaissaient eux-mêmes la justice, et qu'ils
agissaient aussi en vertu du bon plaisir, il s'ensuivait qu'après
des luttes sanglantes, on retombait dans les mêmes erreurs ; on
avait bien changé quelques noms propres, mais non pas l'ordre
social : car pour le changer il faut avant tout le fonder sur un
autre principe; et commeil n'existe que le bon plaisir des hommes
ou la justice de Dieu, l'un qui produit forcément l'anarchie ou
le despotisme sous toutes ses formes, l'autre, l'ordre convenable
au bien général, il en résulte que, tant que les hommes ne vou
dront pas se conformer aux réglements déterminés pas la jus
tice, ils seront obligés de subir les conséquences du bon plaisir.
Et c'est précisément parce que les hommes ont toujours voulu
agir jusqu'ici en vertu de leur bon plaisir, que le despotisme
152

s'est constitué partout comme une conséquence de la corruption


de l'espèce.
Mais enfin le temps étant arrivé où les hommes, éclairés par
l'expérience du malheur, pouvaient comprendre la nécessitéd'une
loi supérieure à leurs vains caprices pour assurer leur bonheur
présent et à venir, Dieu envoya alors le Christ pour révéler,
rappeler et sanctionner les principes de cette loi sacrée, afin de
donner à l'humanité la puissance de l'établir ; et dès-lors les
hommes, placés sous l'influence de cette impulsion régénératrice,
travaillèrent à leur délivrance : travail qui doit aboutir à l'éman
cipation et à l'union fraternelle de toutes les nations, en com
mençant par les plus avancées en civilisation ; car la civilisation
consiste dans la recherche et la connaissance de la vérité en
toutes choses, et dans le bon usage des facultés et des moyens
de puissance donnés à l'espèce, afin d'assurer le bonheur présent
et à venir de tous les individus qui la composent. Or, la justice
seule est le principe et le moyen de la civilisation, et quelque
soit le point par où l'on entre dans cette voie, on est certain
d'arriver nécessairement au christianisme qui en est l'expression
entière et parfaite, ainsi que la consécration nécessaire.
Mais de ce fait que le bon plaisir s'était établi presque par
tout sous sa forme la plus simple, le despotisme d'un seul, et
que le Christ avait promulgué dans ce monde un autre principe
d'organisation sociale opposé à celui-là, il s'en suivait que ces
deux principes, en présence et en rivalité, devaient lutter à qui
resterait maître de la société, et que cette lutte, intime d'abord
dans l'âme de chaque individu, puis représentée au dehors par
le nombre de ceux qui agissent en vertu de l'un ou de l'autre
de ces principes, devait être plus ou moins longue et plus ou
moins terrible, selon la quantité d'individus qui s'attacheraient
à la justice. Aussi le Christ avait-il prévu et prédit cette lutte
en disant : « J'ai mis le feu à la terre. Ne croyez pas que je sois
venu apporter la paix, mais l'épée. Je vous envoie comme des
brebis au milieu des loups. Et ne craignez pas ceux qui ôtent
la vie du corps et qui ne peuvent faire mourir l'âme, mais crai
gnez plutôt celui qui peut perdre l'âme et le corps dans la
géhenne. »
Cependant, en vain le bon plaisir, furieux d'être attaqué et
craignant de perdre son empire , s'opposait au développement
153

du christianisme ; en vain , lorsque la force lui faisait défaut,


employait-il la ruse pour l'amoindrir, l'étouffer et l'empêcher de
triompher; l'humanité, lancée dans cette voie de salut, y mar
chait avec courage et persévérance ; le nombre des chrétiens
s'accroissait chaque jour, et ils formèrent bientôt des sociétés
distinctes, lesquelles, se perfectionnant peu à peu, éprouvèrent
enfin le besoin de la justice en tout et pour tous.
Telle est la cause encore ignorée de la révolution qui a éclaté
en France depuis plus d'un demi siècle, et qui se prépare en
Europe, en attendant qu'elle fasse le tour du monde.
Car malgré les entraves apportés au travail de régénération
et d'émancipation universelle, commencé et voulu par le Christ,
entraves apportées, comme nous l'avons dit, d'un côté par le
bon plaisir qui se défend avec vigueur, ne cède le terrain que
pied à pied, et tâche de se mêler à tout afin de reprendre ses
avantages aussitôt qu'il le peut; et de l'autre côté par le défaut de
lumières et de bonne volonté de ceux qui devaient accomplir ce
travail, le christianisme seul, tout abatardi qu'il est encore, en
adoucissant les mœurs, en unissant les hommes par dessentiments
d'amour, en consacrant l'égalité des droits au moyen de la
fraternité universelle, en développant l'intelligence et la mo
ralité d'un grand nombre, en détruisant le dogme de l'autorité
absolue parces mots : « Nul parmi vous ne doit se faire appeler
maitre, seigneur, père (politiquement s'entend) ; » en établis
sant la hiérarchie soeiale sur les services réciproques, en frap
pant de réprobation les riches qui rejettent la justice, enfin en
fondant et consacrant la puissance sociale des faibles, c'est-à-
dire des peuples dont il s'est fait le représentant devant les
puissants, a préparé et amené l'état de chose actuel ; état de chose
où il existe de nom dans plusieurs grands états sans en régler encore
l'ordre social ni l'action, mais où il doit bientôt dominer au moyen
de sa loi législative et politique, puis des réformes qu'il doit opé
rer dans son propre sein pour en chasser aussi le bon plaisir
qui s'y est introduit comme ailleurs, et qui compromet et des
honore sa cause ; c'est ainsi qu'il purifiera sa robe des tâches de
sang et de boue dont elle est souillée, ses mains de l'alliance
monstrueuse qu'on lui a fait faire avec le despotisme, et qu'il
reprendra sa noble et salutaire influence sur l'humanité entière ;
enfin, c'est ainsi qu'il empêchera une guerre d'extermination
154

entre deux puissances formidables prêtes à se combattre, le bon


plaisir des rois et le bon plaisir des peuples ; guerre affreuse
dont il serait la première victime s'il n'a le cœur et l'intelligence
d'accomplir la mission qu'il a reçue du ciel, celle de civiliser et
d'affranchir les nations par les moyens que la justice détermine :
car toute église qui ne concourra pas à ce but, finira par étre
rejetée comme le sel sans saveur; guerre désastreuse qui englou
tira dans l'abîme sans fond qu'elle doit ouvrir, tous ceux qui
ne voudront pas sincèrement la justice de Dieu.
A présent, considérons la France en particulier.
Chrétienne comme le sont toutes les nations qui se disent telles,
c'est-à-dire en apparence plus qu'en réalité, et cela, précisément
parce que le bon plaisir veut toujours imposer la religion, au
lieu de la laisser libre, et d'en faire seulement ce qu'elle est et
ce qu'elle doit être, une loi de conscience, de sentiment, de jus
tice et de raison que l'âme ne peut rejeter sans faillir à ces di
verses puissances, dont le pouvoir est plus grand qu'on ne
pense sur la volonté des hommes.
Aussi, que produit le bon plaisir ? une foule d'hypocrites, d'in
crédules et d'imbéciles, et peu de vrais chrétiens ; c'est-à-dire
peu d'hommes éclairés par la vérité et sincèrement animés d'un
vif amour de Dieu et des hommes ; et je dis hardiment d'hypo
crites, d'incrédules et d'imbéciles, parce que les uns se jouent
de la religion qu'ils affectent de respecter, tandis qu'ils font le
contraire de ce qu'elle commande; parce que les autres rejettent
toutes croyances dès qu'ils sont maîtres de leurs actes; et parce
que ceux-ci s'imposent comme un mérite l'abnégation de leur
raison et de leur volonté, sans réfléchir que la première chose
que chacun doit faire, c'est de chercher la justice de Dieu afin
de s'y conformer, et que ce n'est pas trop de toutes les puis
sances de l'esprit pour atteindre un tel but !...
Mais laissons de côté tous ces faux chrétiens, auxquels le
Christ crie du haut des cieux, depuis dix huit cents ans : « Je
ne vous connais pas, vous, qui faites métier d'iniquité ! » et dont
le triste sort se prépare au milieu de l'immense et inévitable ré
volution qui s'apprête en Europe, parce qu'ils n'auront su ni
la prévoir, ni empêcher les malheurs qu'elle doit produire en
la conduisant sagement à son terme. Mais que dire à des hommes
qui se font gloire d'avoir des yeux pour ne pas voir et des
155

oreilles pour ne pas entendre, à des hommes qui craignent


l'examen, les lumières et le progrès ; on ne peut que les plaindre
et conserver l'espérance que les circonstances leurferont connaître
enfin la vérité. Mais s'il est de faux chrétiens, il en est encore
de véritables, Dieu merci! sur lesquels on peut compter ; car
s'il n'en était plus, il faudrait alors dire, malheur ! malheur au
monde ! parce que les peuples ne cherchant plus dans la religion
les moyens de la rénovation, la feraient par le fer et par le feu,
au lieu de l'opérer selon les voies de la justice, et pendant
des siècles, peut-être, l'Europe ne serait qu'un vaste champ
de carnage.
La France, chrétienne donc, comme le sont toutes les nations
qui se disent telles, c'est-à-dire en apparence plus qu'en réa
lité; douée d'un esprit prompt et facile ; voyant ses forces so
ciales assez développées pour lui faire éprouver l'impérieux
besoin de la justice pour tous ; fatiguée du joug ignoble d'un
bon plaisir qu'on lui avait appris à mépriser, voulut enfin s'af
franchir , et leva l'étendard de la liberté , précurseur de celui
de la justice.
Malheureusement, cette grande et noble nation ne voyant pas
-
encore dans le Christianisme le principe et la règle d'une telle
révolution, et cela parce que le bon plaisir avait fait de la reli
gion et du despotisme une seule et même cause, crut alors devoir
les chercher ailleurs, sans se douter qu'en opposant au bon plaisir
des uns le bon plaisir de la multitude, sous le nom de pouvoir
national, elle rentrait ainsi dans le cercle vicieux et fatal dont
elle voulait sortir, celui de l'arbitraire ; delà l'impuissance finale
de toutes ses révolutions, et la position difficile dans laquelle
elle se trouve placée ; car elle ne sait encore ni ce qu'elle veut,
ni ce qu'elle fait, ni ce qu'elle doit faire, soit chez elle où elle
n'ose développer aucun des principes qu'elle a posés, soit vis
à-vis des autres nations sur lesquelles elle a perdu une grande
partie de son influence, faute de cette force morale qui résulte
de l'accord des principes et des actes ; force morale que la jus
tice de Dieu peut seule donner, parce que seule elle fait un devoir
et un droit de cet accord parfait. Mais le bon plaisir de la nation
ou de ceux qui la représente, dont la France fait depuis plus
d'un demi siècle son principe et sa cause, ne pouvant rien déter
miner justement, n'a plus qu'une force matérielle, effrayante, à
156

opposer au bon plaisir de ses ennemis; et comme le bon plaisir


des peuples n'a pas plus le droit de s'établir que le bon plaisir
des rois, que ces deux bons plaisirs, en présence, ne peuvent
s'entendre ni s'accorder, enfin qu'ils sont faits pour se haïr et
se combattre, et produire l'anarchie ou le despotisme, on tremble
de voir la puissance populaire se développer en de telles cir
constances, et cette crainte est précisément ce qui paralyse le
pouvoir de la France.
Aussi, en vain les gouvernements produits par sa révolution
veulent-ils s'allier avec les autres gouvernements de l'Europe,
encore placés sous le bon plaisir des rois ou des aristocraties ;
il est, entre les uns et les autres, une barrière infranchissable,
formée par l'opposition même des deux bons plaisirs qui servent
de base à leur ordre social respectif; aussi, attendre des puis
sances de l'Europe, les peuples exceptés, une autre pensée, un
autre besoin, une autre volonté, un autre but que d'étouffer et
anéantir, soit par ruse, soit par force, le pouvoir national de
la France, c'est se faire d'étranges et dangereuses illusions,
c'est manquer d'intelligence et de prévoyance.
La France est réellement isolée par l'effet de son principe
d'indépendance nationale oupopulaire, enfin par sa tendance dé
mocratique, et elle le sera tant que les autres nations ne mar
cheront pas dans la même voie. Voilà ce qu'elle doit savoir
-
afin de prévoir les évènements, et d'y rémédier selon les cas ;
aussi dans peu d'années, si elle n'adopte pas l'ordre social déter
miné par le christianisme, ordre social qui peut seul sanctionner
aux yeux du monde les principes, mais non tous les actes de
sa juste révolution, la conduire sagement à sa fin, et concilier
les intérêts légitimes de tous les peuples ; enfin, régulariser et
consacrer la formation et l'action de son véritable pouvoir na
tional, il faudra de trois choses l'une : ou que la France soit re
placée sous l'empire du despotisme vers lequel l'Europe s'efforce
de la pousser afin de la faire marcher d'accord avec elle, et
quel despotisme ! (car on craindra toujours son esprit d'indé
pendance et on étouffera tout ce qu'il y a de libéral en elle
afin de l'étouffer ensuite partout ); ou bien il faudra que la
France soulève tous les peuples au nom de la liberté et de la
délivrance générale, et alors ce sera une guerre d'extermination
entre ceux qui veulent le despotisme et ceux qui veulent la li
157

berté, ou bien enfin il faudra que la France soit conquise et


détruite, et alors le monde reculera de mille ans dans les voies
de la civilisation.
- Et c'est précisément parce que chacun reconnaît dans sa cons
cience, sans peut-être en bien comprendre la cause, qu'aumoindre
mouvement de la société elle ira vers le despotisme ou vers l'a-
narchie, que le statu quo est à l'ordre du jour, que les conser
vateurs sont la puissance du moment, et que la paix est la po
litique générale; on attend pour savoir quel parti prendre, On
s'étudie réciproquement ; on se dispose des deux côtés ; mais
comme il ne dépend pas des hommes d'arrêter le mouvement
imprimé à l'action sociale par une main plus puissante que la
leur, il s'en suit que la paix même prépare la lutte qui doit avoir
lieu ; car si les rois en profitent pour s'entendre, s'unir et ras
sembler leurs forces, les peuples en profitent aussi pour s'éclairer
et développer tous leurs moyens d'union et de puissance ; si
bien que, quand le temps sera venu, au moindre choc qui fera
partir la détente de cette machine monstrueuse et formidable où
sont renfermés toutes les mauvaises passions, toutes les injustices
et tous les crimes, on verra le bon plaisir des uns agir et réagir
contre le bon plaisir des autres, et l'Europe devenir, comme je
l'ai déjà dit, un vaste champ de meurtres et de pillage !
Il n'est donc, comme je l'ai dit aussi et le répète encore, qu'un
seul moyen d'éviter tant de malheurs, de concilier les justes in
térêts de tous, et de donner enfin à la France une puissance
morale immense : puissance morale qui centuplera toutes ses
forces si on ose l'attaquer; c'est d'y chercher, d'y vouloir et d'y
établir enfin la justice de Dieu , qui peut seule consacrer les
droits des peuples à leur émancipation réelle, certaine, mais
progressive , en raison de leur état de civilisation, qu'il faut
maintenant s'appliquer à développer; émancipation qui est le
but positif et voulu de la loi divine ; émancipation qui doit être
avouée et proclamée hautement, afin que chacun puisse agir
résolument et sagement dans ce sens, c'est-à-dire par les seuls
moyens que la justice autorise (car les mauvais moyens éloignent
du but au lieu d'y conduire); émancipation qui peut alors s'ac
complir sans secousses violentes et sans malheurs, mais au con
traire avec gloire et bonheur pour tous.
Ainsi, ce qui est dans ce moment, c'est l'attente d'un grand
158

et suprême évènement, savoir : le triomphe de la justice de Dieu


chez les peuples chrétiens, ou bien la rénovation de l'humanité
par une guerre d'extermination entre le bon plaisir des rois et
le bon plaisir des peuples ; guerre affreuse, qui, dans les voies
providentielles, si l'on ne veut pas la justice, aurait pour ré
sultat, comme le déluge des temps anciens, de purger la terre
de ceux qui rejettent la loi divine; guerre épouvantable qui
ne finira que quand les vrais chrétiens voudront enfin s'en
tendre et s'unir pour établir la loi sacrée. Qu'ils le fassent donc
au plus vite, car il est plus facile d'empêcher une collision que
d'en arrêter les effets; mais qu'ils ne croient pas tromper l'hu
manité en mettant, au nom du Christ, leur bon plaisir à la
place de la sainte volonté de Dieu, à laquelle ils doivent se con
former d'abord, pour donner l'exemple aux autres d'une juste
S0UlImISSlOn .

Maintenant, voyons ce qui doit être, c'est-à-dire en quoi con


siste la loi de justice de Dieu dans sa partie législative et po
litique.
V° MIEsvILLE,
fleuriste.

Banquet réformiste.
Une importante démonstration a eu lieu, le 9 juillet 1847,
au Château-rouge, en faveur de la réforme électorale. Douze
cents personnes assistaient à ce banquet; il y avait grand
nombre de députés, des pairs de France, des journalistes de
Paris et des départements , et d'autres personnes occupant
diverses positions dans la société.
Les toasts suivans ont été portés :
M. de LAsTEYRIE père : A la souveraineté nationale !
M. RECURT : A la révolution de 1850 !
M. ODILoN BARRor a répondu à M. Recurt.
parlementaire
M. PAGNERRE : A la réforme électorale et
M. DuvERGiER DE HACRANNE a répondu à M. Pagnerre.
M. SÉNART : A la ville de Paris !
M. MARIE a répondu à M. Sénart.
M. GRIsIER : A l'amélioration du sort des classes laborieuses !
Tout se fait par le peuple, rien ne se fait pour lui; il donne
139

sa vie pour la liberté, il meurt sans la conquérir; il rem


plit tous ses devoirs, il ne jouit d'aucun droit; il donne
toujours et ne reçoit jamais ! Est-ce donc là son éternelle
destinée ? - -

. GUsTAvE DE BEAUMoNT a répondu à M. Grisier.


. RIGLET : A la Presse !
. CHAMBoLLE a répondu à M. Riglet.
. FRÉDÉRIC DEGEoRGE a répondu aussi à M. Riglet.
. HAMELIN : Aux députés de l'opposition !
. LEoN DE MALLEvILLE répond à M. Hamelin.
Nous avons été heureux de voir cette manifestation poli
tique, ce réveil de l'opinion publique, surtout en présence
du triste et désespérant procès qui se déroulait à la cour des
pairs ; deux anciens ministres accusés et convaincus de cor
ruption !
La politique est tombée trop bas, il faut la relever. Le
banquet a été donné dans ce but; c'était nécessaire. Il s'agit
maintenant de continuer ce mouvement jusqu'à ce qu'on ait
obtenu une profonde modification de la loi électorale.

— La rupture entre la Jeune Irlande et les partisans


d'O'Connell est plus grande que jamais, depuis la mort de
celui-ci. On accuse O'Connell d'avoir trahi le parti du rap
pel, par des considérations d'intérêts personnels et d'influence
parlementaire,

La Démocratie pacifique, qui a toujours critiqué avec éner


gie tous les désordres, tous les scandales de l'époque présente,
a été trois fois saisie en cinq jours par le parquet. Si on veut
détourner l'attention publique de tous les faits indignes qui
ont surgi depuis quelque temps, on se trompe ; il est des
taches qui ne s'effaceront plus. Le ministère aujourd'hui n'a
pas à attaquer les écrivains courageux, mais à se blanchir
de toutes les accusations de corruption que le journal la
Presse a portées contre lui, et qui sont restées.
La Démocratie a rempli un devoir d'honneur; nous espé
rons que le jury fera justice des poursuites ministérielles.
160

BIBLIOGRAPHIE.

LA FRANCE ET LA SAINTE ALLIANCE EN PORTUGAL.

M. Quinet vient d'examiner, dans une brochure nouvelle,


l'influence de la France et de l'Angleterre en Portugal. Cette
brochure est écrite avec l'énergie et l'éloquence qui caracté
risent le célèbre professeur au collège de France. Il défend la
liberté du Portugal qui a un si brillant passé, comme il a
défendu dans sa chaire de professeur, la liberté humaine.
Cette brochure se vend chez M. Joubert, libraire-éditeur,
rue des Grés, 14. —Prix : 75 centimes.

ALVÉOLES.
« Chaque nationalité véritable remplit une fonction essentielle
dans la vie de l'humanité. Si les nationalités pouvaient dispa
raître, l'humanité, dépouillée de ses organes nécessaires, ren
trerait, non pas dans l'unité, mais dans le chaos. »
HENRI MARTIN.

VOEU DU COMITÉ.

Les ouvriers composant le comité de la Ruche populaire


se sont proposé de répandre, de propager parmi les travail
leurs, sans les leur faire payer, les exemplaires du journal. Ils
espèrent atteindre ce but en réalisant un nombre suffisant
d'abonnements à 6 fr. (c'est-à-dire par des souscripteurs
pris en dehors de la classe ouvrière).
De plus, la Ruche étant dégagée de patronage, les per
sonnes qui désireraient concourir particulièrement à l'exten
sion universelle de ce libre organe peuvent s'adresser à M.
AUMoN-THIÉVILLE, Notaire, boulevard Saint-Denis, 19, où
elles trouveront un registre ouvert à cet effet.
Le Gérant, F. DUQU ENNE.

lmprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


TABL E.
Pag.
Recommandation d'infortunes intéressantes. .. .. ... ... ... ... .. .. .. .. . 129

SoUvERAINETÉ NATIoNALE. (Coutant, ouv. typogr.). .................... 130


Lettre de M. Bigo, maire de Lille, aux fabricants. (RENÉ, relieur.)..... .. 136
MoYENs DE GoUvERNEMENT. ................................... .. . .. 137
OEuvre de fraternité. ....... .. ... ............................ . . , 143

Remerciments aux bienfaiteurs et aux journaux.................... - 144


Tableaux et autres objets d'art et d'industrie pour les familles.. .. .. ..... 144
Reproductions. .. ............. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 144
L'EscLAvAGE. .. ... ... .. · .. .. ... .. .. .. ... .. ... .. .. .. ... ......... 144
LE CHIEN ET L'HoMME, fable. (Michel Roly, ouv. menuisier.)... .. .. .. ... 1 47
LETTREs AUx FRANçAIs. VIII. (Mme Ve Miesville. ).. .. .. .. • • • • • • • • • • • • 150
Banquet réformiste. .. ... ... .. • • • • • • • • • • • • • • • • • * • • • • • • • • • • • • • • • 158

Rupture entre la JEUNE-IRLANDE et les partisans d'O'Connell.. ........... 159


La Démocratie pacifique saisie trois fois en une semaine............ . . .. 159
BIBLIoGRAPHIE. La France et la Sainte-Alliance en Portugal, par M. Edgar Qui
net, prof. au collége de France...... • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 160
ALvÉoLEs : M. Henri Martin. ... ... .. ... .. .. ... .. ... .. .. ....... ... 160
Vœu du comité .

LA RUCHE PoPULAIRE, qui date de décembre 1839, forme tous


les ans un volume de 3 à 400 pages.

PRIX DE L'ABONNEMENT.
A PARIs : 6 francs par an. — DÉPARTEMENTs : 7 fr.
HoRs FRANCE : 10 fr. par an.

(Affranchir.)
O sa s'a b o se se e à Pa r i s
Au Bureau de la Ruche, rue Vieille-du-Temple, 75, au Marais.
Chez M. BoRDIER , libraire, même rue, n. 75 (Dépôt du journal.)
AUBERT ET Ce, édit. d'estampes et du journal les MoDES PARISIENNES,
29, place de la Bourse.
ALLIANCE DEs ARTs (Agence spéciale pour expertise, collection et vente
" ' de tableaux, etc. ), 178, rue Montmartre.
Aux bureaux du SIÈCLE, 16, rue du Croissant,
Aux bureaux de la RÉFoRME, rue J.-J.-Rousseau, 3.
Au journal l'UNIoN MoNARCHIQUE, 4, rue du Bouloy.
Aux bureaux de LA SEMAINE , 6, rue Saint-Marc-Feydeau.
Aux bureaux de la DÉMoCRATIE PACIFIQUE, rue de Beaune, 2.
Au bureau de LA PATRIE (journal du soir), 26, rue du Bouloi.
A la REVUE BRITANNIQUE, 1, rue Grange-Batelière.
Au MÉMORIAL PoLoNAIs, quai Malaquais, 15.
A la Société de la Morale chrétienne, 9, rue Saint-Guillaume.
Au Cercle catholique de la rive droite, rue Saint-Honoré, 350.
A LA LANTERNE nU QUARTIER LATIN, rue Hautefeuille , 12.
MM. GUENARD (Alex.), librairie de piété, rue Royale-Saint-Honoré, 17.
LEGRos, salon littéraire de la Chambre des Députés, rue de Bourgogne.
PERRoTIN, libraire éditeur, place du Doyenné, 3.
H. SoUvERAIN, libraire, rue des Beaux-Arts, 5.-Et tous les autres lib.
On souscrit aussi
LYoN, à la Tribune lyonnaise, revue politique et sociale, 53, r. S. Jean.
Id. au bureau de l'Echo de la Fabrique, à la Croix-Rousse, gr. Place.
ARRAs, au bureau du Progrès-du-Pas-de-Calais, et chez Topineau, libr.
ANGoULÊME, au bureau de l'Indépendant, journal politique et littéraire.
BÉZIERs, au bureau du Journal de Béziers.
EvREUx, au bureau du Courrier.
VERSAILLEs, chez Mme GUÉRIN, salon de lecture, 36, rue de la Pompe.
SAINT-OMER, au bureau de l'Eclaireur.
ORLÉANS, au Journal-du-Loiret.
RoUEN, à la Société libre d'Émulation.
SAINT-QUENTIN, au bureau du Guetteur.
Id. au bureau du Courrier.
MELUN, chez Mme DESPLANTEs, lib., rue de la Juiverie, 12.
RoANNE, au bureau du Progrès-de-la-Loire.
AVIGNON, au bureau de l'Indicateur.
CALAIs, au bureau de l'Industriel Calaisien.
GRENoBLE, au bureau du Patriote des Alpes.
CHARLEvILLE, au bureau du Propagateur des Ardennes.
SAINT-MALo, au bureau de la Vigie de l'Ouest.
BLoIs, à l'Etoile-du-Peuple, chez M. Dézairs-Blanchet, libr., gr. r., 67.
ToULON, au bureau dela Sentinelle de la Marine et de l'Algérie.
VEvEY (Suisse), au bureau de la Patrie, gazette politique et sociale.
TURIN (Savoie), au bureau de la Gazette de l'Association agricole.
MADRID (Espagne), Libreria Europea, calle de la Montera , 12. (Bul
letin bibliographique espagnol et étranger.)
LoNDREs, au journal l'Europe.
LEYPSIG (Saxe), chez M. MICHELM, lib.
SMYRNE (Turquie), à l'Impartial de Smyrne, j. politique, commercial
et littéraire.
WAsHINGToN (Amérique), au National Intelligencer, au The Daily
Union, et à la Société typographique colombienne.
On reçoit au bureau de la Ruche les abonnements à tous les journaux
ci-dessus mentionnés.

Imprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Lou " , 46, au Marais.


|
|
| RUCHE P0PULAIRE
| Première Tribune et Revue ſensuelle

RÉDIGÉE ET pUBLIÉE

PAR DES O U VRIERS

Nºus la dittiion

DE FRANCOIS DUQUENNE
Ouvrier imprimeur.

NEUVIÈME ANNÉE AOUT.

PA R IS
AU BUREAU, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE, 75,
AU MAR AIS.

1847
LP R O G LR AA M IN [ Ee

Le but principal de la Ruche populaire est d'indiquer les misères


cachées aux riches bienfaisants. Elle ouvre en outre aux ouvriers une
tribune où chacun d'eux peut faire entendre ses justes réclamations,
exprimer ses vœux légitimes, ses espérances d'amélioration. Or
telles sont aujourd'hui la multiplicité et la divergence des doctrines
sur toutes choses, qu'on ne saurait s'attendre à trouver parmi les
écrivains de la Ruche l'unité d'opinions, qui n'existe nulle part. Le
but de notre recueil n'est donc, sous ce rapport, que de faciliter
l'intervention des Hommes de travail dans la discussion des moyens
propres à remédier à des maux universellement avoués. En leur
laissant une pleine liberté d'exprimer leurs idées, elle leur en laisse
aussi toute la responsabilité, se bornant à exiger d'eux, avec un
ton décent, le respect que l'on doit toujours à la morale publique.

A NOS FRÈRES.

Nous voulons dire au plus malheureux de nos frères gémissant


sur la voie publique, ou bien abandonné dans son grenier :
« Te voilà sans travail, et tu en demandes; tu es sans logement,
» sans vêtements, sans nourriture; incertain du lendemain, aucune
» main amie ne vient toucher la tienne, donc tu as à te plaindre.
» Eh bien, si ta plainte est digne, viens nous l'apporter; il ne t'en
» coûtera rien pour la publier; et tu parleras à la Société, n'étant
»justiciable en ceci que de la majorité de tes frères d'infortune. »
LA

RUCHE POPULAIRE
(ºR# #ESB , $ $3)

« Secourir d'honorables infortunes qui se


« plaignent, c'est bien ; s'enquérir de ceux
« qui luttent avec honneur, avec énergie, et
« leur venir en aide, quelquefois à leur insu ;
« prévenir à temps la misère ou les tenta
« tions qui mènent au crime..., c'est mieux.»
(RoDoLPHE, dans les Mystères de Paris.)

Nous recommandons à l'Evangélique Fraternité ces infor


tunes intéressantes :

Un employé, dont l'épouse est morte, encore par suite de


la plus grande misère, est resté veuf à 35 ans, avec trois
jeunes enfants ( 5 ans, 3 ans, et 10 mois... ) — Après bien
des tentatives infructueuses pour trouver du travail, il ne
sait plus que devenir.
Une autre famille composée de la mère et du père, ouvrier
lithographe depuis longtemps sans ouvrage ; ils ont huit
enfants !

Suivent les autres infortunes inscrites sur notre registre.

IX° ANNÉE de cette 1re tribune des ouvriers. — Août 1847. [ [


162

LA FAMILLE.
La famille est une institution aussi ancienne que le monde;
elle est indispensable aux hommes; sans elle, il n'est pas pos
sible de fonder une nation; elle en est le premier élément,
ou plutôt la base, la base éternelle, parce qu'elle est selon la
nature humaine.
Le peuple qui prononcerait la dissolution de ces groupes
signerait son arrêt de mort ; car la famille est la source des
vertus, des mœurs et de l'honneur; c'est dans la famille que
l'enfant sefortifie le cœur, s'initieaux usages, à l'esprit, à la ci
vilisation de la patrie. Ailleurs, ce que voit, ce qu'entend l'en
fant détruit presque toujours l'éducation morale qu'il a reçue
au sein de la famille.
Rien donc de ce qui touche à la famille ne doit être indiffé
rent aux hommes, surtout au peuple dont toute la vie est,
pour ainsi dire, exclusivement consacrée au foyer domestique.
Mais, pour que la famille soit, il ne suffit pas que le maire
enregistre deux serments, et que la loi force à l'observation
de ce double engagement ; il faut encore que toutes les con
ditions de la vie se rapportent à l'institution de la famille.
Sommes-nous dans ce cas, et le principe de la famille est-il
toujours respecté?
Il existe, dit-on , une opinion qui demande l'abolition de
la famille. Nous ne savons pas s'il faut accepter comme vrai
ce bruit ; mais à coup sûr, l'opinion n'est pas populaire. Si
»lle s'est produite ailleurs qne dans le peuple avec succès,
nous l'ignorons. Quant à nous, nous n'avons nul souci d'une
opinion aussi extravagante, en supposant qu'elle existe et
qu'elle ait trouvé des propagateurs.
Le danger n'est pas là.
Oui, la famille, la famille du peuple est menacée de dis
solution. Comment? Par qui? C'est ce que nous nous propo
sons d'examiner ici.
Quelles sont les conditions nécessaires au maintien de l'ins
titution de la famille dans le peuple ?
En ce qui touche l'homme, on doit considérer première
ment le travail, secondement la rémunération de ce travail.
163

Il faut que ces deux points correspondent avec les obligations


de l'existence sociale. — Eh bien ! a-t-on recherché loyale
ment si le travail et son prix se rapportaient aux dépenses,
même rigoureuses, d'une famille ? Jamais cette tâche n'a été
remplie. Cependant il est du devoir d'une société d'examiner,
non pas si les ouvriers ont le droit de vivre, cela est incon
testable, mais bien s'ils peuvent vivre avec honneur et selon
les lois de la patrie. On ne s'est jamais préoccupé d'un inté
rêt si grave, par la raison qu'en découvrant le mal , on est
mis en demeure d'y remédier , et on ne veut remédier ni à
l'insuffisance du salaire, ni aux chômages forcés. — Qu'en
résulte-t-il ? — C'est que, pour la famille, quoi que fasse le
père, il n'y a que misères, privations et maladies : ou bien,
l'ouvrier recule devant c tte grande responsabilité, et alors
il ne forme que des alliances secrètes et temporaires. Les
unions illégitimes augmentent en raison de la misère.
Il faut donc toujours remonter à cette question du travail,
qui est capitale pour l'ouvrier; elle tient à tout; en elle sont
renfermés la vie, la liberté, l'honneur et les mœurs de l'ou
vrier. C'est là tout l'ordre social.
Le mal est évident : il est impossible à l'ouvrier de soute
nir sa famille dans les conditions actuelles.

Voyons ce qui concerne la femme.


La bourgeoisie, représentée par ce qu'on appelle des phi
lantropes (c'est un métier tout comme un autre), connaissant
le mal, mais n'osant pas le constater et ne voulant pas y re
médier, dit aux ouvriers dont elle a diminué les salaires :
Faites travailler vos femmes, votre salaire sera ainsi aug
menté. Une simple addition donne raison à la philantro
pie qui s'y connaît : deux font plus qu'un. Mais comment
se fait il qu'aujourd'hui il faille travailler deux, l'homme et
la femme, pour un salaire que l'homme gagnait seul et au
delà autrefois ? Il paraîtrait que si le prix du travail baisse,
il n'en est pas de même des objets de consommation qui se
paient toujours au moins aussi chers. C'est là un moyen,
pour la propriété, de doubler ses avantages, puisque, pour
le même prix, elle a deux travailleurs.
Mais la place de la femme, épouse ou mère, est-elle dans
un atelier ? y a-t-il famille là où la femme manque ? et, pour
11.
164

parler le langage des philantropes, y a-t-il économie à ce que


la femme travaille ?-- Nous répondons non à toutes ces ques
tions, et nous ajoutons que ceux-là qui diraient oui sont les
mêmes qui veulent tirer un lucre ignoble, non-seulement sur
la femme, mais encore sur les enfants. Que leur importe à
ces marchands ! y eut-il jamais qnelque chose de sacré à
leurs yeux ? mœurs, honneur, justice, liberté, patrie; tout
cela n'est que de la marchandise !
Nous sommes encore trop généreux en leur accordant cette
intention d'augmenter le salaire par le travail de la femme.
Un progrès s'est accompli à cet égard dans leur esprit : ils
veulent se servir de la femme pour déprécier le salaire de
l'ouvrier, puis ils se serviront de l'enfant contre la femme.
Ceci a déjà eu lieu et s'étendra infailliblement. Nous avons
dit que c'était ignoble, nous maintenons l'expression , c'est
ignoble.
Mais si la femme a des enfants, elle est tenue, par toutes
sortes de raisons, à rester au foyer. Cela est vrai , excepté
pour les philantropes qui ont tout prévu. Ils disent : Les en
fants, selon leur âge, peuvent être renfermés dans les salles
d'asile ou dans les manufactures, et ceci le plus tôt possible.
Quand les salles d'asile sont fermées, les enfants , en l'ab
sence de la mère qui travaille, devront se réfugier où , s'il
vous plaît ? dans les rues, cela va sans dire ; ne savent-ils pas
marcher et courir ? C'est là qu'ils feront leur éducation.
Cependant il restait une difficulté à surmonter, celle-ci :
quand la mère a des enfants en bas-âge ou malades, et qu'elle
est obligée de les surveiller sans cesse ou de les allaiter, il paraît
impossible qu'elle continue ses travaux et qu'elle vienne ajou
ter son salaire à celui du père. Cela était vrai autrefois ; mais
alors l'esprit de l'homme n'avait pas donné son dernier mot,
il était réservé à la philantropie bourgeoise, si désintéressée
comme nous le savons tous, de le divulguer : elle a inventé
les crêches !
Qu'est-ce qu'une crêche ? Un endroit préparé où la mère
ouvrière peut déposer son enfant, moyennant salaire, entre
des mains étrangères, et se livrer ensuite à l'agréable, for
tifiant et très rétribué travail de la manufacture.... La jour
née terminée, la mère, épuisée de fatigues, recommence sa
165

course pour reprendre son enfant. Nous n'entrons pas dans


les détails de cette nouvelle invention, ils sont pitoyables ;nous
n'examinons en ce moment que le principe, En peu de mots,
voilà donc ce qu'est une crêche.
Il en est qui disent que la bourgeoisie ne s'occupe pas du
peuple, qu'elle est ingrate ! Si vraiment elle s'en occupe, elle a
ouvert les crêches, sans compter tous les autres bâtiments dont
sa charité a les clefs. Sans doute, l'ouvrier ne peut pas vivre
en travaillant ; mais l'aumône est partout, elle a ses bureaux,
bien et chèrement organisés, elle se promène en place pu
blique. De quoi vous plaignez-vous ?
Voulez-vous savoir maintenant ce que devient la famille
sous un pareil régime ? Comment elle se trouve éparpillée?
Le père se rend dès le matin à son atelier, la mère dans un
autre; les enfants sont placés, l'un à la manufacture, l'autre
à la salle d'asile, un troisième à la crêche. Dès lors, plus
d'existence intime, de repas en commun, de direction mo
rale pour les enfants. Chacun vit à part, isolément. On se
rencontre le soir, dans un grenier, abattu par le travail de
la journée. On demande à Dieu l'oubli des maux. Le lende
main, tout recommence, sans joie, sans espérance, avec moins
de force et plus de misère.
Encore une fois, est-ce là ce qu'on peut appeler la famille?
C'est pourtant là où en veut arriver la bourgeoisie.
Quant à la question hygiénique , à savoir si une femme
qui allaite et qui prend une nourriture insuffisante, mauvaise,
peut, sans danger pour elle et son enfant se livrer à des tra
vaux durs, et la plupart du temps dans des ateliers malsains?
On n'y a pas pensé, ou si la question a été posée, elle n'a
pas été résolue. Nous trouvons cela commode.
Grâce à tous ces progrès bourgeois, la famille n'existe plus
que pour la forme; c'est un vain mot, une apparence, rien
de plus.
On a été plus loin encore. On a attaqué l'unité dans la
famille, toujours sous un prétexte de philantropie. Depuis
plusieurs années, on a fait de nombreux efforts pour créer
• des assurances contre la vieillesse, des invalides de l'industrie
en faveur de l'ouvrier et de l'ouvrière. (Voilà encore un mot
heureux, invalides, il est plein de goût.) L'idée était si ex
166

cellente, selonlesinventeurs de la chose, que tous les ouvriers


s'empresseraient d'yapporter leur argent; mais il se pourrait
que l'homme, le muri, refusât à la femme l'autorisation de
participer aux bienfaits de ladite société. On a donc trouvé
une mesure applicable à ce cas particulier. (Car le peuple ne
doit pas vivre sou- le régime de la loi, il se soumettra à la
volonté de ces messieurs, c'est entendu. ) On a décidé que la
femme, qui serart empêchée par son mari, pourrait se faire
autoriser par un magistrat. Voilà comme on respecte l'unité
dans la famille !
Ces économies que l'on provoque pour un temps auquel
n'atteignent pas la plupart des ouvriers seront prélevées sur
tous les membres de la famille. Mais si la famille entière
concourt, par son travail et ses privations, à assurer la veil
lesse de l'un deux, et que celui-ci meurt avant de jouir des
économies faites en commun, la famille n'a aucun droit au
capital économisé; c'est la société, un être de raison, qui hé
rite de ce petit capital amassé avec tant de peine par tous.
Le père et la mère, grâce à ce moyen philantropique ( c'est
vraiment touchant), déshéritent leurs enfants, non pas tant
du mince capital, que de la double vie spirituelle et corpo
relle; car, pressés de s'assurer leurs vieux jours, les parents,
instruits, avilis à cette triste école, supprimeront les frais
d'instruction, et mettront un frein à l'appétit vorace de l'en
fant. On économisera surtout, et alors on sera déclaré digne
et vertueux avec un livret de tontine. L'exploitation des en
fants par les parents, c'est le sublime d'un genre nouveau
qui appartient en propre aux économistes bourgeois. Ne
fallait-il pas pousser jusque dans ses dernières conséquences
le principe fondamental de l'Évangile nouveau, le chacun
pour soi ! On n'y a pas manqué. Nous doutons que les enfants,
ainsi élevés, éprouvent beaucoup de respect, de reconnais
sance et d'amour pour des parents aussi bons, aussi dévoués
que de puissants tontiniers veulent les faire.
Le sens moral manque à ces gens-là.
Le monde se souviendra encore longtemps de la souverai
neté de la bourgeoisie; il se passera bien des années avant
que l'empreinte de leurs pas dans la civilisation soit entière
ment effacée.
t67
La famille est une institution de moralité, de civilisation
et de force. Sans la famille, nous le répétons, il n'est pas de
nation possible.
Nous protestons de toutes nos forces contre eette multitude
de faits démoralisateurs , contre ces éléments dissolutiſs de
la plus sociale des institutions.
L'unité dans la famille doit être respectée.
Sur le père seul repose l'obligation du travail.
La mission de la mère est des plus importantes. Le gou
vernement moral de cette petite société lui est confié; c'est
d'elle que dépend l'éducation des enfants; elle e-t aussi res
ponsable de leur santé. Elle tient dans ses mains le sort de
ces groupes ; elle communique à tous ses vertus ; son influence
est de tous les instants, son empire est absolu sur les cœurs.
La famille est ce que la mère veut qu'elle soit. Il est impos
sible de la suppléer dans sa mission. L'amour, le dévoùment
d'une mère ne sont pas de ces marchandises que l'on obtient
avec de l'or ; l'amour maternel se donne, mais ne se vend pas.
La mère est indispensable à la famille, et son travail au foyer
est bien autrement précieux que celui de l'atelier. La femme
est la plus puissante civilisatrice que nous connaissions , et
ceux qui la condamnentau rôle d'agent de production ne pré
voient pas sans doute les conséquences de leur cupidité.
Les enfants ne devraient se séparer de leur famille que le
plus tard possible. Ils se perdent aifleurs. On ne respecte pas
assez l'enfance, et c'est un grand malheur.
Quant à l'idée des crêches, nous la condamnons absolu
ment. La France n'est pas un pays où, pour produire beau
coup et à bon marché et faire concurrence aux autres na
tions , à l'instar de l'Angleterre , l'on consentira jamais au
sacrifice des mœurs, et à F'assassinat des enfants des travail
leurs, comme nos voisins en donnent l'exemple ; non, la
France rejetera ce régime de mercantilisme, et elle rentrera
dans les voies de l'honneur et de la justice.
CoUTANT,
ouvrier typographe.
168

PROTESTATION CONTRE LES PRUD'HOMMES.

Une protestation contre les prud'hommes , conçue en


termes énergiques, circule dans les ateliers, et se couvre de
signatures. Il est bon qu'à chaque instant on rappelle à la
pudeur, soit par des pétitions, par des brochures et dans les
journaux d'ouvriers, les ministres qui veulent gouverner se
lon leur bon plaisir et l'imposer au peuple. Toutes les pro
testations ou pétitions ne sont jamais sans résultat, quoique
les ministres les dédaignent ; ce dédain des intérêts popu
laires sert à instruire le peuple, et son expérience se com
plète tous les jours. -

–=s69986)s-

Par suite de l'agiotage sur les farines, le prix du pain


hausse toujours à Paris, quand l'abondance inouie de la ré
colte tend à le faire baisser sur tous les marchés.

Il a été établi par la discussion des Chambres, que la rareté


des céréales pouvait être prévue par le gouvernement ; et la
colère par laquelle M. Duchâtel a répondu à M. Mauguin,
démontrant l'imprévoyance et l'incurie du pouvoir, n'a fait
que donner une force nouvelle à ce vieil argument : Tu te
fâches, donc tu as tort.
(Démocratie pacif.)

–-69986 -

TROUBLES A LIZIEUX.

« Enrichissez-vous ! ! »
(Le ministre GUIzoT, aux électeurs de Lisieux.
(Banquet électoral. — 1846.)

Au dernier marché de Lisieux, un boulanger nommé Degron,


offre 64 fr. d'un sac de blé, quand on venait d'en vendre à
54 fr. Et le peuple comprend tout de suite que c'était un ac
capareur intéressé à faire hausser le prix du blé pour s'enrichir
169

aux dépens du peuple. Il n'en faut pas tant pour soulever une
émeute. La foule se rue sur le boulanger, en criant : Mort à
Degron ' le pain à trois sous la livre ' Degron parvient à s'é-
chapper dans un café. De toutes parts les pierres volent contre
les vitres.

Le marché à l'avoine, aux farines et aux légumes, qui se


trouve en face, est livré à la dévastation. Les sacs sont renver
sés et foulés aux pieds par plus de deux mille personnes, pen
dant plusieurs heures, jusqu'à ce que quelques voitures se glis
sent enfin parmi la foule pour enlever les sacs.
Les gendarmes et agents de police sont d'abord réduits au
rôle de simples spectateurs. Les tambours battant la générale,
sont arrêtés par les femmes qui leur ôtent leurs baguettes et
crêvent leurs caisses. Sous-préfet, maire, adjoints et procureur
du roi font des exhortations.
Un instant, dit celui qui raconte ces faits , on raisonna
d'homme à homme; j'entendis des ouvriers parler avec énergie
et bon sens, et de plus en termes censés, et certes, les autorités
constituées purent apprécier l'érudition et la valeur de ces ou
vriers ; ils démontrèrent ce que la classe travailleuse avait eu
à souffrir de vexation par les stratagèmes et les simulacres de
ventes et d'enchérissements opérés par des marchands de blés ;
opérations qu'ils ont accusé en face les autorités de bien con
naitre et de n'avoir pas réprimées; ces ouvriers ont terminé en
disant : « Ce qui se passe est votre ouvrage. »

Après un moment de calme une nouvelle rixe s'engage; des


pierres sont lancées en si grand nombre qu'il ne reste plus de
vitres à la maison du boulanger. Les agents de la force publique
sont encore impuissants. On enfonce la boutique; on saisit tous
les pains, on éventre tous les sacs de farine qu'on emporte par
fractions. Du café, on emporte tout ce qui s'y trouve et l'on
boit l'eau-de-vie. Les meubles, tabourets et tables son lancés
par la fenêtre et brisés sur le pavé. Le procureur du roi saisit
quelques meubles, les donne à ceux qui l'entourent, en leur di
sant : « Prenez, emportez mais ne dévastez pas. » Du centre de
la foule on crie (les femmes particulièrement) : « Apportez des
pioches, il ne faut pas que sa maison reste debout. » Alors le
bruit circula que l'on venait d'éteindre des allumettes placées
1'10

à plusieurs endroits de la maison. Les tailles furent aussitôt je


tées, brisées, les registres déchirés, ainsi que les lits et vêtements,
par tant de mains, qu'on aurait cru voir une fourmillière dans
la maison.
Les commissaires de police, suivis de gendarmes et de la
garde nationale veulent faire évacuer la place, tandis que les
femmes excitent les hommes et les gamins, en les appelant des
lâches. Les gardes nationaux croisent la bayonnette pour faire
reculer. C'est là le paroxysme de la fureur. Des nuées de pierres
tombent sur les gardes nationaux et les gendarmes, dont plu
sieurs sont blessés et ensanglantés.
La foule se porte enfin au moulin du nommé Langlois, dont
le nom était depuis longtemps proféré avec des imprécations,
comme étant le plus fort agioteur de blé. Le moulin est pillé par
une masse immense d'hommes, de femmes et d'enfants. Le blé
et la farine sont emportés par sacs entiers et par petites frac
tions.
A huit heures du soir, les gendarmes de deux communes
voisines arrivent, et, réunis à ceux de la ville, font évacuer les
routes garnies de gens emportant les denrées du moulin. Ils re
çoivent encore quelques pierres. La nuit, la Marseillaise, la
Parisi nne, Guerre aux tyrans sont chantéés dans les rues, mais
le tumulte est apaisé.
Des le lendemain, on commence des arrestations à domicile ;
leur nombre se monte aujourd'hui à plus de 80.
(Le Haro de Caen.)

La prospérité va toujours en croissant. Une maison du Havre,


au comble de la prospérité, vient de faire une faillite de 18 mil
lions de francs ; Paris est inondé de désastres commerciaux, la
province est également quotidiennement frappée de nombreux
sinistres. Pour peu que cette p1ospérité aille en augmentant, le
commerce en France est sûr de fermer boutique.
(Réforme. )

Les chefs d'une maison de spéculation des environs de


Saint-Quentin, Denouvion fils et Boulanger , de Villers-le
1T1

Sec, viennent de prendre la fuite. Ils ont emporté environ


600,000 fr. en espèces. Le sieur Denouvion passait pour
avoir gagné un million, cette année, dans le connmerce des
grains. •

représentatif, apprécient la conduite des ministres dans


faire Girardin. Après avoir flétri de la façon la plus hu
ce gouvernement versatile et sans dignité, qui ne
en ces termes :

« Ni M. de Talleyrand, malgré sa versatilité politiqu


nombreux serments, ni les hommes d'État de la restaur
(les Richelieu, les de Serres, les Villele , les Châteaubriand
les Hyde de Neuville, les Montignac) ni les ministres des pre
miers jours qui suivirent 1850, les Casimir Perrier, les Dupont
(de l'Eure), ni les Molé, ni les Broglie, ni les Dupin, n'auraient
voulu rester sous le coup de pareilles imputations et appeler à
leur secours une majorité complaisante pour les disculper d'une
imputation qui aurait touché à leur honneur. Nous regardons
le parti qu'a pris le cabinet Guizot dans cette affaire comme
une grande calamité pour la France, comme un malheur pour
l'Europe C'est une déplorable faute, une grave erreur dont le
ministère français se repentira amèrement pendant les courtes
heures d'une existence désormais souillée et inutile. Lorsqu'une
affaire met en cause l'intégrité et l'honneur d'un ministre, il
n'y a pour ce ministre qu'une seule ligne de conduite sûre et
honorable à tenir En pareil cas , il faut des procédés élevés,
chevaleresques, et non des expédients politiques. »
–-699G36e

M. KRIÉGER ET SES OUVRIERS.

M. Kriéger, fabricant d'ébénisterie, voulut imposer un


règlement à ses ouvriers; ceux-ci refºisèrent de le signer, et
quittèrent successivement l'atelier, après entière confection
de leur ouvrage, pour ne pas laisser le patron dans l'embar
ras. Maintenant, on s'est entendu , M. Kriéger a retiré son
règlement, et les ouvriers ont repris leurs travaux.
A ce te occasion quelques troubles eurent lieu dans le fau
bourg Saint-Antoine : mais les ouvriers de M. Kriéger n'y
prirent aucune part, comme cela fut constaté par M. Kriéger
lui-même, qui l'atteste dans une lettre insérée dans plusieurs
journaux quotidiens.
172

Nous saisissons cette occasion de faire remarquer encore


une fois combien est vicieuse la législation qui règle les rap
ports entre les maîtres et les travailleurs, et combien les uns
sont à la merci des autres. Les ouvriers de M. Kriéger ont
pu promptement terminer leur différend ; mais combien
d'autres
tron !
sont obligés d'en passer par le caprice de leur pa

· P. S. M. Kriéger, est-il vrai que le règlement que vous


avez tenté d'imposer aux ouvriers de votre maison a été dis
cuté et voté par huit ou dix maîtres?— Est il vrai que, par
crainte de scandale, au lieu d'inaugurer les dix règlements
en même temps, on ait décidé d'en présenter un seul, et
que ce soit vous, M. Kriéger, qui ayez été chargé d'attacher
le grelot ?
—=>3G=-

RÉFORME ÉLECTORALE.
PÉTITIoN.

Nous avons exposé dans la Ruche le principe de la souve


raineté nationale, comme il devait l'être par des ouvriers,
c'est-à-dire selon la justice ou la vérité. Maintenant il nous
reste à examiner les tentatives des comités électoraux. Que
prétendent-ils ? Ils engagent tous les citoyens à signer les pé
titions pour une réforme électorale. Quel est le caractère de
cette réforme ? Voilà ce que nous ne savons pas au juste.
Nous croyons cependant, à en juger par ce qui a été dit jus
qu'à présent, que cette réforme se borne tout simplement à
une adjonction de certaines capacités, telles que magistrats,
chefs de la garde nationale, prud'hommes, etc.
Ce n'est pas là un principe, c'est une opinion particulière
qui vient dire à une autre opinion : Vous avez 200,000 élec
teurs, ce n'est pas assez; ajoutez-en 50,000 ou 100,000 autres,
et les affaires iront mieux. Pourquoi plutôt ce chiffre-là qu'un
autre ? Une troisième opinion pourra en demander 400,000,
une quatrième 500,000, et ainsi de suite. Quel arbitre déci
dera quel chiffre vaut mieux ? Il ne sera pas nécessaire, pour
soutenir ces différents chiffres, de chercher des raisons nou
173

velles; les mêmes suffiront. Ce qui sera ditpourles300,000élec


teurs sera aussi vrai et plus vrai encore pour les 500,000.
Pourquoi, puisqu'on peut d'un seul coup faire une loi juste,
une loi-principe, qui serait éternelle étant basée sur la vé
rité ; pourquoi recommencer un travail aujourd'hui qui sera
attaqué demain avec autant de raison et de force ?
Quant à nous, nous ne voyons pas bien en quoi les élec
teurs futurs seront meilleurs que les électeurs actuels. Nous
nesommes point des OEdipe, et nous voudrions que quelqu'un
nous en servît, afin que nous puissions bien apprécier l'in
fluence d'une nouvelle fournée prise dans la même pâte.
Nous avons toujours cru qu'une nation, une nation qui a
conquis la Liberté à la sueur de son front, devait être gou
vernée par des principes, mais non pas par des opinions par
ticulières, aujourd'hui celle-ci, demain celle-là. Nous nous
sommes trompés. Le despotisme est toujours dans les esprits,
et chacun veut imposer le sien à son tour. C'est le peuple
qui fait les frais de toutes ces ambitions, de tous ces essais.
S'agit-il d'une question de droit? Le peuple est mis dehors ;
mais vienne le quart d'heure de Rabelais, alors on lui fait
place partout, c'est l'usage. Cet usage passera comme ont
passé tant d'autres qui étaient plus profondément enracinés.
Dégoutés d'une politique de caprices, nous avons recher
ché ce qui constituait l'électeur, et nous avons trouvé que le
principe de l'électorat doit être basé sur l'âge, sans autre con
dition que de jouir de ses droits civils. Nous croyons ferme
ment que la vérité est là.
M. de Lamartine a exprimé la même pensée au banquet
de Macon ; il a dit :

« Le dogme c'est la souveraineté exercée par l'universalité des


citoyens ; le fait, c'est une élection qui n'embrasse encore que
des catégories restreintes. L'exercice de la souveraineté est bor
née par un chiffre et laisse des millions d'âmes en dehors du
droit, c'est-à-dire en dehors de la justice. L'élection est ma
térialiste. La raison dit que l'élection doit être spiritualiste
comme la pensée de la révolution, et compter des âmes et non
des centimes.
« En principe, la représentation nationale doit exister sans
174

acception de classes, de fortune, de professions sociales. En


fait, la loi d'éligibilité, le cens obligatoire, le salaire national
aux députés supprimé, excluent des catégories entières d'inté
rêts de la représentation, et livrent ces intérêts des plus grandes
masses à la merci des intérêts les moins nombreux. »

Voilà d'excellentes paroles.


Nous sommes bien loin des pétitions du comité électoral
de Paris. Revenons-y. L'intérèt ne paraît pas se fixer sur le
mouvement parti du Château-Rouge. Tout cela est froid. Ah !
si l'on était descendu dans le peuple, les choses iraient autre
ment ; mais on n'ose pas s'avancer, on navigue, on louvoie
sur le bord de la mer, tout en craignant de tracer une ride
à la surface. -

ll fallait en appeler à toutes les catégories d'intérêts : aux


pairs de France, aux députés, aux magistrats, aux écrivains,
aux médecins, aux artistes, aux journalistes, aux ouvriers ma
çons, cordonniers, charpentiers, imprimeurs, etc , etc., etc.,
et engager chaq'te cathégorie à envoyer un ou deux hommes
de choix pour discuter un projet de réforme électorale. Ces
délégués se chargerai nt de recueillir des signatures dans
leur catégorie respective. Croit-on qu'une pareille démons
tration serait sans succés ? Au li u de ça, on a délibéré quel
que chose en famille, et ceux qui n'étaient pas dans la mai
son n'ont rien vu, rien entendu. On fera bien de recommencer.
Mais adressez vous donc au peuple, car sans lui, vos projets
n'auront ni sel ni saveur.

MM. les députés réformistes, nous n'avons pas une grande


confiance en vous, et vous conviendrez que vous n'avez ja
mais rien fait pour la mériter On a établi les prud'hommes
à Paris, aucun de vous n'a interpelé le ministre sur ce que
les ouvriers ne sont en aucune manière, so t comme prud'-
homines, soit comme électeurs, admis dans les tribunaux ;
et cependant il serait naturel que nous y fussions. Vous pou
viez deuander des explications au ministère, et nous aurions
eu sans aucun doute de M. Guizot , l'homme à la longue,
trop longue politique, une théorie sur l' sc avage des Blancs,
lui qui veut la liberté des Noirs.... en parole.
Ne pourriez-vous pas en même temps, MM. les députés
175

réformistes, réclamer pour le peuple le soin d'élire les ma


gistrats municipaux? Cela peut se réaliser encore, même sans
troubler la surface de l'eau que vous voulez toujours voir
calme. Allons, MM. les réformistes, préparez-vous pour la
prochaine session. Étudiez les questions qui nous intéressent,
et n'écoutez pas M. Sauzet, s'il est encore votre président,
quand il vous dira : « Nous ne sommes pas ici pour nous oc
cuper des ouvriers. »
Nous vous attendons à l'œuvre.
LE COMITÉ
--•98G89

M YSTÈRES DES ATELIERS.


(Suite. Voir les numéros précédents.)

LES OUVRIERS CALFAT8,

Monsieur le rédacteur,
Vous avez bien voulu toucher deux mots, dans votre ga
zette, de la malheureuse position où nous sommes. Si vous
en connaissiez la cause vous prendriez feu comme la poudre.
Nos maîtres emploient de préférence les calfats de la ri
vière, pour leur vendre le boire et le manger, voilà tout.
Les ouvriers du bord de l'eau étant à deux ou trois lieues
de leurs familles sont bien oBLIGÉs de dépenser chez les
maîtres une partie de leur salaire, tandis que nous dépensons
le nôtre avec nos femmes et nos enfants.
Si des règlements pour nous porter secours ne sont pas
faits prochainement, nous mourrons de faim, la chose est
sûre.
Nous avons bien adressé aux gros bonnets de l'endroit des
réclamations, mais comme nous ne pouvons donner à per
sonne cent mille francs pour nous appuyer, on nous promet
plus de beurre que de pain, et nous sommes oubliés aussitôt
que nous avons viré de bord.
Ceux-là qui disent que le soleil se lève pour tout le monde,
n'ont pas menti; mais il vaudrait mieux que le blé se levât
pour tous les hommes qui sont sur la terre du bon Dieu ;
12
176

nous n'aurions pas à dire que le temps est dur pour le pauvre
monde, et la cherté du pain ne nous ferait pas peur.
Tâchez s'il vous plaît, monsieur, de parler bien haut pour
qu'on vous entende, et dites que c'est une pitié, dans un pays
riche comme celui-ci, de laisser des gens crier la faim.
PLUSIEURS CALFATS.

( Publicateur de Saint-Malo-Saint-Servan. )

CONTRASTE

Un des jours derniers un vitrier ambulant fut appelé pour


boucher un carreau, la seule lucarne qui éclairât une cham
brée où gîtent ensemble plusieurs chiffonniers. Ce vitrier, en
travaillant, remarqua dans un coin un amas de têtes d'ani
maux tels que lapins, canards, poules, etc., et demanda
aux habitants quel parti ils pouvaient tirer de ces sortes de
choses : — Cela, lui fut-il répondu, nous sert, après avoir été
lavé, à nous faire de la soupe; puis nous vendons les os.
Le même ouvrier avait travaillé antérieurement, comme
aide, dans les écuries d'une riche maison, décorées de bril
lantes peintures à l'huile et de corniches en bois sculpté. Que
de réflexions lui vinrent à l'esprit en rapprochant ces deux
extrêmes !

OEUVRE DE FRATERNITÉ.

Lorsqu'on nous signale une infortune intéressante, que


qu'en soit le genre, comme, par exemple, un honnête ou
vrier, père de famille, depuis longtemps sans ouvrage et se
laissant périr lui et les siens plutôt que de révéler sa misère,
nous allons le visiter nous-mêmes en qualité de camarades et
non d'inspecteurs ; puis nous mentionnons le fait sur un re
gistre en omettant le nom et l'adresse; et quand un riche a
le beau courage, en le venant consulter, de choisir une ou
plusieurs infortunes à soulager, alors, au moyen d'un carnet
à numéros correspondants, nous lui confions les noms et
adresses, afin qu'il puisse aller lui-même répandre ses bien
faits.
177

On trouvera au bureau de la Ruche des tableaux et autres


objets d'art et d'industrie destinés à être cédés au profit des
Familles que nous recommandons. -,

Nous remercions les personnes généreuses qui , depuis


notre dernier numéro, ont secouru de nos familles, et aussi
le journal le Siècle (n° du 20 août), pour son article bien
veillant sur la Ruche populaire.

REPRODUCTI0N.

La Réforme a reproduit l'article : Souveraineté nationale.

Nous serions fort obligés à messieurs les directeurs gérants


des journaux avec lesquels nous n'avons pas l'avantage de
l'échange, et qui citent quelquefois la Ruche populaire, s'ils
voulaient bien nous faire l'honneur de nous envoyer un seul
exemplaire de chacun des numeros où il est ou sera fait men
tion de la Ruche.

L'Enquête sociale dirigé par M. Joseph Morand, sous les


auspices de M. le vicomte Dubouchage, pair de France, an
nonce qu'elle est obligée de suspendre sa publication jusqu'à
ce que son cautionnement, retiré par celui qui le fournissait,
soit remplacé par un autre.

DÉPARTEMENTS.

Voici un fait grave, inouI, qui laisse loin derrière lui


tout ce qui a été raconté dans le Juif errant.
« Dans une petite ville del'arrondissement d'Epernay il existe
un établissement cloîtré. Une enfant de treize ans, d'un carac
tère doux mais pétulant, s'était attiré, par les étourderies de
son âge, l'inimitié d'une sous-maîtresse qui s'est plue à la noir
cir complètement aux yeux de la supérieure.
« Mademoiselle C" fut mandée à l'établissement, et la su
12.
178

périeure exigea, ou que l'enfant fût reprise par ses parents, ou


qu'elle reçût pour punition, des mains de sa mère, une correction
avec un fouet et jusqu'à ce que le sang vînt à jaillir.
« Cachée dans une pièce voisine, la supérieure devait exa
miner si les prescriptions données dans cette circonstance étaient
exactement observées, et si la mère, touchée des larmes de sa
fille, ne fléchissait pas dans cette alternative.
« L'enfant a été amenée nue, a reçu la correction ordonnée
par la supérieure, et le sang a coulé ! ! !
« Et le Rodin yemelle a triomphé !
(Journal d'Épernay.)

ETRANGER.

ITALIE.-Le parti des jésuites redoutant les mesures libérales


du nouveau pape, Pie IX, a voulu tout compromettre en pro
voquant, à l'aide d'une infernale machination, une lutte san
· glante entre le peuple et les soldats. L infâme cardinal Lam
bruschini dirigeait ce complot.
Il devait éclater à Rome le 17, jour de la fête dite du Grand
Pardon. Un grand feu d'artifice devait être tiré dans la soirée
sur la place du Peuple. Des gens soudoyés et organisés devaient
jeter l'alarme dans la foule et exciter les soldats à la vengeance
en jetant à leurs pieds des poignards aux armes du pape. On
évalue à 15,000 le nombre probable des victimes du nouveau
massacre des Thessaloniques. 50 malfaiteurs devaient être mis
en liberté, et lancés parmi le peuple pour donner le signal du
IIlaSS3 CI'C•

Heureusement, tout a été découvert deux jours avant la fête.


Le peuple a demandé justice et le pape a promis d'être sans pitié
pour les coupables. L'arrestation des principaux chefs a eu lieu,
et quelques-uns ont fait l'aveu de leur projet criminel.
- (Le Sémaphore.)

Depuis, le pape a failli être victime d'un assassinat. Un prêtre


qui se nomme Nelli, avant cherché à s'approcher de lui, a été
arrêté et trouvé muni d'une paire de pistolets chargés et d'un
poignard.
179

Les journaux des gouvernements n'en parlent pas, pour ne


point exciter la haine contre le parti jésuitique et ultramon
tain, mais la nouvelle officielle de cette criminelle tentative est
parvenue de Rome au Directoire suisse.
(Helvétie.)

MOUVEMENT SOCIAL EN ANGLETERRE.

Voici comment s'est exprimé M. Ernest Jones, dans une


assemblée des Chartistes, tenue à Londres :
« J'éprouve une satisfaction profonde à venir appuyer l'amen
dement qui rejette la résolution misérable, servile que vous avez
entendue. Eh quoi, messieurs, on vous dit que la pauvreté n'est
point un crime, et en même temps on vous propose une réso
lution qui traite le pauvre comme un criminel ! Est-ce là le li
béralisme sur lequel nous devons compter ? ne veut-on loger
des hommes dans ces bastilles appelées maisons de travail que
pour leur donner la faculté d'aller au dehoIs redemander les
chaînes de l'esclavage ? Après que vous les avez réduits à la
mendicité par une législation détestable, doivent-ils ramper dans
leur veillesse et vous prier de les dépouiller encore ? Eh quoi !
devrons-nous conſier nos femmes et nos sœurs à l'enseignement
moral des surveillants de workhouses ? Aurons-nous à les sup
plier, oui, les supplier de respecter la vertu de nos femmes et
de nos sœurs ? Ne placez pas ceux qui vous sont chers sous le
contrôle de ces agents, et vous n'aurez point à leur adresser de
semblables prières. Eh quoi ! messieurs, nous qui refusons de
confier l'éducation de nos enfants à une secte qui s'appelle l'E-
glise de l'État, irons-nous les livrer aux tyrans de la loi des
pauvres? Que le sens commun nous en préserve ! (Applaudis
sements prolongés. )
« Est-ce là la récompense qu'on offre aux travailleurs pour
prix de ses peines ? Quoi! le soldat gagne une pension à couper
des têtes, le fonctionnaire à couper des bourses ; }'avocat et le
médecin vivent dans l'abondance après avoir exploité la misère
humaine ; même des femmes peuvent obtenir des pensions
énormes pour avoir consenti à partager la couche de royaux
sensualistes, et vous offririez à l homme qui produit la richesse,
180

à l'homme bienfaiteurs de ses semblables, à l'homme qui enno


blit sa patrie, au travailleur, en un mot, vous lui offririez un
asile dans un de ces bagnes que vous appelez unions , avec le
privilège de sortir pour aller s'humilier devant ses tyrans !
« Nous devons nous débarrasser de toute loi des pauvres. Nous
ferons peu de bien en remplaçant la loi actuelle par une autre
tout aussi mauvaise ! Je dis que nous devons nous débarrasser,
non-seulement de la loi des pauvres, mais aussi de la loi des
riches. (Applaudissements !) Il existe en effet une loi pour le
riche et une autre pour le pauvre. Mes amis ! vous ne pouvez
articuler vos griefs, — cela est qualifié sédition ! Vous ne pouvez
concerter des mesures pour mettre un terme à vos maux,—cela
s'appelle conspiration ! Vous ne pouvez exposer au grand jour
l'infamie de vos maîtres,— c'est de la diffamation !Vous ne pou
vez prendre ce qui vous appartient, — c'est un vol! Vous ne
devez pas marcher sur la terre que la nature a donnée à tous
c'est une violation de la propriété! Vous ne devez pas demander
l'aumône, — c'est du vagabondage ! Voilà la loi des pauvres,
mes amis ! (Tonnerre d'applaudissements.)
« Mais il existe une autre loi pour une autre race d'Anglais.
L'homme enrégimenté dans la pairie peut acquérir des biens et
ne pas les payer, — cela s'appelle privilège ! Le soldat peut tran
cher des têtes et outrager des femmes,— c'est de la gloire ! L'a-
mateur du sport peut fouler les blés, écraser les moissons dues
à vos sueurs, —c'est le droit de propriété! Le prêtre peut man
ger des dîmes, et vendre des indulgences, — c'est de la religion !
Le seigneur terrien peut affamer les travailleurs tandis qu'il en
graisse le gibier, — c'est de la protection ! Le manufacturier peut
élever le prix de ses produits et réduire les salaires,—c'est la
liberté du commerce ! La reine peut avoir des enfants, et vous
devez payer pour subvenir à leurs besoins,— c'est de la loyauté !
Voilà la loi des riches, mes amis. (Applaudissements pro
longés.)
« En présence de ces faits, pensez-vous que le peuple anglais
va se laisser plus longtemps enfermer dans des bastilles? Pensez
vous qu'il sera satisfait de l'épreuve à laquelle vous voulez sou
mettre les candidats au parlement, en leur imposant de voter
pour une nouvelle loi de bastilles, et rien que des bastilles ?mes
181

sieurs , ce n'est pas d'une nouvelle loi des pauvres que nous
avons besoin, mais d'une législation tout entière ! Ma loi des
pauvres, à moi, dit : Donnez au peuple ce qui lui appartient!—
seigneurs de la terre, rendez ce que vous avez pris !— Église,
restituez ce que vous avez dérobé ! -Couronne, dégorgez ce que
vous avez absorbé ! (Tonnerre de bravos). Ma loi des pauvres,
à moi, dit : Millocrates, donnez un bon salaire pour une bonne
journée de travail ! sinon nous travaillerons pour nons mêmes.
Ma loi des pauvres dit : Donnez-nous la charte du peuple, et
nous n'aurons pas besoin d'une seule bastille dans toute l'étendue
de l'Angleterre. (Applaudissements prolongés.) Nul homme n'a
le droit de gaspiller quand un autre est dans le besoin ; voilà
la véritable loi des pauvres ! Nul homme n'a droit a une chambre
superflue, quand son frère n'a pas où reposer sa tête ! voilà la
loi des pauvres dans sa justice. Nul homme n'a droit à un mets
au-delà du nécessaire , quand son frère meurt de faim. Nul
homme n'a droit d'habiter un palais tant que des malheureux
n'ont qu'une bastille où s'abriter. Voilà la loi des pauvres de
venue chrétienne.
« Assez longtemps on nous a trompés par de brillantes pro
messes et des mesures mesquines. Quand un parti a besoin de
se rendre populaire, il se met à crier : Bill de dix heures, ou
Education du peuple, Réforme sanitaire, ou loi des pauvres.
Qu'on ne croie plus endormir le peuple anglais avec ces misé
rables narconiques. Ce n'est point là la charte qu'il attend. »
(Tonnerre d'applaudissements.)
–->sPG

CORIR ESPONDANCE.

Au comité de la Ruche populaire.


Paris, ce 3 août 1847.
Messieurs.

Victime de l'organisation sociale, je viens mêler mes plaintes


aux vôtres, vous priant de donner place dans votre journal au
récit suivant de mon infortune.
182

Je suis marié et père de deux enfants d'un âge encore tendre ;


ouvrier brasseur, je cherche depuis six mois du travail, qui
est notre seule et unique ressource. Ne pouvant réussir à en
trouver dans les brasseries, je cours après les places d'homme
de peine, je supplie de ne pas me laisser sans occupation, j'ex
pose que j'ai une femme et deux enfants qui ont besoin du tra
vail de mes bras pour subsister , peine inutile, je ne suis pas
écouté. Je m'adresse aux bureaux de bienfaisance , je fais le
même tableau de ma position ; c'est toujours vainement ; on a
même bien du mal à me répondre ces mots : « Je verrai, je
«m'occuperai de vous quand j'en aurai le temps. » J'ai obtenu
à peu près la même réponse d'un prêtre que j'ai été trouver.
Apres toutes ces démarches, je rentre chez moi découragé,
abattn; je presse mes pauvres enfants contre mon cœur pour
tâcher de me consoler, d'oublier l'égoïsme des hommes ; mais
hélas! ils me demandent du pain, et je n'en ai pas A cet ins
tant, toutes les plaies de mon cœur se rouvrent, je voudrais ne
plus être.
Ah! mes frères, ouvriers comme moi, exposés à éprouverles
mêmes douleurs que moi, si elles n'existent déjà, que je vous
remercie de tenter la voie de la presse pour obtenir. d'abord,
du secours pour ceux qui souffrent et manquent de tout, et en
suite disposer les esprits à s'occuper sérieusement de nos inté
rêts, en leur rappelant que le principe vital d'une société est
attaqué dès que les masses manquent de moyens d'existence.
C'est de la part d'un de vos malheureux frères qui vous prie
de compter sur son entier dévouement.
Eugène L......
ouv. brasseur.
-->-

A L' IJJaasiIreafiosa et à M. Leduc.

Une société de secours mutuels a été fondée depuis 1830


à Saint-Germain-en-Laye, par M. Simon, menuisier. M. Le
duc, qui a eu connaissance de cette société, en fait beaucoup
d'éloge ... dix-sept ans après le jour de la fondation : mieux
vaut tard que jamais. Nous approuvons complètement ce
qui est dit et de la société et de M. Simon, qui n'est pas,
comme le croit M. Leduc, l'inventeur de cette idée. Nous
183
ne connaissens pas M. Simon ; mais nous certifions fort qu'il
a pris son modèle à Paris. Il n'en peut pas être autrement;
c'est un calque pur et simple. Aussi, avons-nous été étonnés
de trouver dans l'article de l'Illustration les lignes suivantes :
« Malheureusement, de telles scciétés ont moins de chances
« heureuses dans la capitale et dans les grandes villes que dans
« les petites. Les ouvriers y ont moins d'habitudes durables.
« Ils changent de demeure trop fréquemment. Ils sont moins en
« état de se connaître assez bien les uns et les autres pour ré
« pondre mutuellement de leur moralité. La surveillance des
« visiteurs, le contrôle du conseil seraient à peu près impossibles
« ou illusoires. Comment constater le nombre des jours de ma
« ladie et de convalescence réelles ? Mais qui empêcherait les
« ouvriers de nos petites villes de prendre modèle, etc., etc. »
M. Leduc a commis la double faute d'ignorance et de faux
jugement, rien que ça. Ah! s'il avait consulté le premier ou
vrier passant dans la rue, il n'eût pas fait pareilles boulettes.
Que voulez-vous ? On ne pense pas à tout. Mais pourquoi
parler de choses que vous ignorez, monsieur ? }l était si na
turel de savoir le premier mot de ce que vous alliez traiter !
Vous ne l'avez pas voulu : vous vous êtes cru, vous, grand
esprit, dispensé de tout renseignement. Si vous aviez inté
rogé, monsieur, on vous eût répondu, que de temps immé
morial, ces sociétes ont existé à Paris; la plus ancienne de
celles qui sont restées date de 1694 ; nous en comptons près
de deux cents autorisées, ayaI.t toutes leur règlement im
primé. Il en existe d'autres encore, en plus grand nombre
peut-être, qui rendent aux ouvriers sociétaires de très grands
services. Voilà pour l ignorance.
Mais où vous manquez de jugement, c'est quand vous dé
clarez que ces sociétés ont moins de chances à Paris ; que
la surveillance et le contrôle du conseil y sont impossioles
ou illusoires. Or, tout cºla se fait et admirablement, quoi
que vous en disiez. C'est peut-être parce que la chose est
impossible à vos yeux , que les ouvriers l'ont rendue pos
sible. Le peuple est comme ça, il n'a que du bon sens. On
n'en trouve pas chez vous. Quand nous aurons des obs
tacles à vaincre, nous n'irons pas vous chercher... Adieu,
monsieur. LE CoMITÉ.
184

L'AUMONE ET LE TRAVAIL.

Que faites-vous là ? — J'attends qu'une patrouille me ramasse


et me donne le droit de coucher à l'abri. — Vous n'avez donc
pas de domicile ? - J'en ai eu un jusqu'au 8, mais n'ayant pu
payer mon terme, le propriétaire m'a mis dehors, et depuis ce
temps je couche à la belle étoile ; il m'a gardé le peu d'effets qui
me restait et dont le marchand de bric-à-brac n'avait pas voulu,
de sorte que, depuis deux mois que je suis sorti de l'hôpital, je
n'ai pas d'ouvrage; je n'ai plus rien à vendre, rien à manger.
J'avais pensé à me faire commissionnaire; mais depuis qu'une
compagnie riche exploite cette industrie au rabais, il n'y a plus
rien à faire ; j'aurais bien voulu entrer dans l'un de ses nom
breux bureaux ; impossible, il faut fournir un cautionnement.
Je me mettrais bien décrotteur ou chiffonnier, mais je ne puis
acheter ni sellette, ni brosses, ni cirage, et je n'ai pas cinquante
sous pour payer la patente de chiffonnier. Enfin, sans gite, sans
pain et sans ressources, j'ai demandé à être mis dans un dépôt ;
on m'a répondu qu'on n'entrait pas là si facilement, qu'il y
avait des milliers de gens comme moi attendant leur tour; mais
que, si je voulais entrer plutôt, je n'avais qu'à me faire arrêter
comme vagabond ou mendiant.. ... Pourtant, je suis encore
honnête homme; vagabond, je le suis malgré moi, et mendiant,
je ne puis me résigner à l'être. Ce soir, voyant cela, et fatigué
de passer les nuits dehors, j'ai demandé à coucher dans un corps
de garde, on m'a refusé, c'est défendu. Ainsi, malgré tout ce que
j'ai pu faire, il me faudra, pour la première fois de ma vie, aller
coucher en prison comme un voleur..... .. Mais, c'est une pro
vidence; au moins j'aurai un lit et du pain ; je n'ai pas mangé
depuis hier.
— Quel état faites-vous? — Je faisais du calicot dans mon
pays; mais au prix qu'on le vend dans vos belles boutiques de
Paris, vous devez penser que les ouvriers qui le font gagnent
bieu peu; aussi, croyant gagner davantage, je suis venu travailler
aux fortifications, et ensuite aux chemins de fer , mais j'y ai at
trappé une maladie ; j'ai été à l'hopital; en en sortant ma place
était prise, et les travaux sont si avancés qu'on n'embauche plus ;
alors ne retrouvant pas d'ouvrage, j'ai été, pour manger, dans
185

la nécessité de mettre en gage les effets que j'avais pu acheter au


Temple lorsqueje travaillais; sij'avais sune pas pouvoir les retirer
je les aurais vendus de suite au lieu de vendre plus tard les recon
naissances, j'aurais un peu moins perdu ; mais enfin, cela est
fait, et il n'y a rien de ma faute. Ainsi, regardez, M. le sergent
de ville, je suis dans une position bien malheureuse ; eh bien !
ma misère va servir à enrichir encore des établissements déjà
bien riches , je m'explique : par misère j'ai été obligé de mettre
mes effets au Mont-de-Piété ; les intérêts sont excessifs, donc
ils'enrichit à mes dépens ; comme je ne puis les retirer et qu'on
m'a prêté très-peu, on les vendra pour une somme plus forte;
ce boni, s'il n'est réclamé, joint aux bénéfices énormes du Mont
de-Piété, sera versé à la caisse des hospices qui s'enrichit aussi de
mes dépouilles, vous levoyez.Vous me répondrezqueleshôpitaux
étant faits pour les malheureux, ceux-ci n'y perdeut rien; sans
doute, mais il n'en est pas moins étrange de voir nos dernières res
sources tomber dans des caisses où il y a tant de millions entassés,
et dont on retire de si tristes secours. En parlant de cette im
mense fortune des hospices, nommée si pompeusement la for
tune des pauvres, je vous affirme qu'on est très-mal nourri
dans les hôpitaux, quand on peut y manger : le pain est si mal
fait qu'il est à peine levé, il est à moitié cuit et ne peut que
faire mal aux estomacs délabrés ; le bouillon, tel qu'il est fourni
par la compagnie hollandaise, est bon, mais qnand on le donne
aux malades, il est très-affaibli; le bœuf est fourni bon aussi, par
la même compagnie, mais il arrive souvent qu'il est gâté quand
on le distribue; les volailles rôties sont de vieille poules que l'on
fait d'abord bouillir pour les attendrir, elle n'ont plus aucun
goût, aucun suc; les légumes sont des lentilles et des haricots
secs, des fèves, des pois, des navets, tout cela arrangé à la
graisse ; de la salade, puis du riz soi-disant au lait. Et quand les
vivres d'un jour ne sont pas entièrement consommés ce qui reste
est réchauffé le lendemain. Enfin la nourriture est si mauvaise
qu'on sort le plus vite possible, souvent sans être bien guéri, et
l'on retombe quelquefois plus malade parce qu'on n'a pas re
couvré assez de forces dans la convalescence. On se demande
s'il y a de la différence d'être à l'hôpital ou en prison; c'est ce
que je vais bientôt pouvoir comparer et juger.
Tiens l le poste où vous me conduisez est justement celui où
186

l'on m'a refusé asile ce soir; par votre protection je vais pou
voir v passer la nuit.
- Qu'a fait cethomme?—Vagabond, trouvé couchésurlavoie
publique. — N'est-ce pas vous qui m'avez demandé dans la
soirée à passer la nuit ici?—Oui, lieutenant; mais, me dîtes-vous,
la con igne s'y oppose. - C'est vrai; maintenant, amené par
mn agent de police, je puis vous recevoir; je pense qu'il est
imutile de vous enfermer, vous n'avez pas envie de vous sau
ver; seulement, quand il viendra une ronde, vous entrerez dans
le violon, et demain onvous conduira à la Préfecture. — Mais,
lientenant, est-ce que vous ne pourriez pas m'y envoyer de
suite je recevrais des vivres, je n'ai pas mangé depuis hier?
— Non, demain matin il fandra vous conduire d'abord chez le
commissaire de police et ensuite à la prison.
— Je vois que je ne mangerai pas avant demain midi. —
Tenez, vieux, nous allons vous domner un morceau de pain,
nous-autres, cela vous aidera à attendre la julienne du préfet ;
c'est bien sec et bien dur, mais nous n'avons que cela à vous
offrir; demain matin nous ferons l'appel, et s'il y a de quoi boire
la goutte, vous la boirez avez nous.
— Merci, mes amis, merci ; j'ai servi aussi, moi, je vois que
le soldat est toujours le même, pauvre, mais toujours bon cœur!
vous n'avez rien de trop, mes amis, eh bien ! c'est cependant
de vous que je reçois mon unique repas de la journée; hier,
c'était à la Salpétrière; vous ne comnaissez sans doute pas cette
providence de quelques malheureux : à cet hospice de vieiHes
femmes, on donne des vivres qu'elles ne peuvent pas consommer
entièrement, non pas qu'elles ayent du superffu, mais parce
que la viande est trop dure pour leurs mauvaise dents. (1) Les
légumes secs, fournis au rabais, sont trop vieux et indigestes pour
des estomacs affaiblis : alors on ramasse les restes de leurs repas
et on les distribue à des malheureux du dehors, qui viennent
plusieurs fois par semaine à ces distributions de débris, qu'ils
(t) On nous a expliqué pourquoi cette viande est si dure : en la tirant
de la marmite on la trempe de suite dans de l'eau froide, afin de la raffermir
pour la couper plus facilement ; c'est ce qui la rend coriace au point de ne
pouvoir être mangée par bon nombre de ces pauvres femmes.
Au séminaire de Saint-Sulpice on fait des distributions semblables; mais
là, ce sont les restes plus confortables d'une table mieux servie.
187

doivent consommer sur place pour éviter le trafic qu'ils pour


raient en faire s'ils emportaient ce qu'on leur donne , et aſin
de ne pas perdre ce qui est trop répugnant pour être mangé par
les humains, on ramasse encore ces derniers résidus pour en
graisser des cochons au compte d'un fermier qui paie pour ce
privilége une somme de six cents francs par an à l'administration.
Voila, mes amis, ce que devient l'ouvrier quand l'ouvrage lui
manque.Je suis votre prisonnier parce que le salaire que je re
cevais en travaillant suffisait à grand peine à me faire vivre au
jour le jour, et que je n'ai pu économiser pour le temps où je
ne trouverais rien à faire; je n'ai pu mettre à la caisse d'épargne,
et remarquez que jesuis scul, comment peuvent faire ceux qui sont
dans ma position et qui ont de plus une femme et des enfants ?
Ilya pourtant des hommes qui ont recherché, à l'aide dessciences
qu'ils nomment statistique et économie politique, qu'elle est au
jourd'hui la moyenne des salaires; ils ont trouvé qu'elle est de
98 c. à 1 fr. 15 c. ; et après avoir trouvé cela ils ont osé dire
que nous devions économiser pour nos vieux jours. Il fallait que
cela fût bien difficile à trouver et bien courageux à dire puis
qu'on en a fait des Pairs de France, et qu'on leur donne six
mille francs par an pour nous le répéter dans des discours, dans
des leçons ou dans des livres qu'ils vendent à leur profit. Et ce
qu'il y a de certain, c'est qu'ils ne mettent pas à la caisse d'é-
pargne les économies qu'ils font sur les traitements des divers
emplois dont ils sont titulaires, cela leur rapporterait trop peu.
Voilà, mes amis, tout ce que la société a trouvé de mieux à
faire pour les ouvriers sans ouvrage; elle n'a pas su assurer le
travail, mais elle ne sait pas non plus assurer l'existence de ceux
qui jeûnent; elle ne sait que se garantir contre le désespoir qui
pourrait les prendre; il semble que sa devise soit : sévir tou
jours; prévenir jamais !voilà pourquoi je subis, seulement parce
que je suis sans pain et sans asile, le même traitement que si
j'étais puni pour avoir commis un crime ; je suis en prison parce
que j'ai faim !
Cependant ces mêmes savants, dont je vous parlais tout à
l'heure, font des volumes de chiffres pour prouver la prospérité
de la caisse d'épargne, au point, qu'à les en croire, l'État ne
saurait bientôt plus que faire de tout l'argent qu'elle contient et
qu'ils attribuent à l'économie des ouvriers; puis ailleurs, ils nous

#
188

prouvent, toujours par leurs chiffres, que les salaires sont dimi
nués, les denrées augmentées et aussi les loyers; puis, enfin,
qu'autrefois il n'y avait que trois millions d'indigents et qu'au
jourd'hui il y en a huit millions; comment donc allier tout cela
avec la prospérité qu'ils nous vantent? Vous medites, camarades,
que si les ouvriers sont si malheureux les secours ne manquent
pourtant pas; cela est vrai, on donne de toute part et de toute
façons; il n'est pas de plaisir public qui ne paie son tribut à
l'indigence; depuis les Funambules jusqu'à l'Opéra, on perçoit
le denier du pauvre; dans les églises, dans les mairies on fait
appel à la commisération publique, on fait des sermons, des as
semblées de charité et des quêtes à domicile ; ailleurs, des bals
et des tombola, etc.
Enfin depuis le centime jusqu'au billet de banque,tout concourt
à emplir les caisses destinées au soulagement des malheureux,
et cependant la misère augmente, ses ravages sont effrayants,
Dieu sait ce qu'il en adviendra.... !
Si tous ces capitaux, ces monceaux d'or, qui ne préservent
pas la société de la misère, n'empêchent pas le paupérisme de
marcher à pas de géant ; si tout cet or et bien d'autre encore
était employé à organiser le travail et à le rémunérer de ma
nière à ce que l'aumône disparaisse de nos mœurs, ne serait-il
pas mieux employé? Si les savants et les hommes politiques s'oc
cupaient à rechercher les moyens de guérir notre pauvre société
de tous les maux qui l'accablent, ne se rendraient-ils pas plus
utiles que de venir nous étaler tous leurs calculs, vides de sens
pour le plus grand nombre manquant de tout. Espérons enfin
qu'ils ouvriront les yeux et répondront aux cris de détresse qu'on
entend de toute part; car l'aumône, toujours insuffisante, n'est
pas ce qu'il faut pour rendre un peuple heureux : C'est du tra
vail qu'il lui faut et un salaire suffisant. L'aumône est un fléau ;
elle entretient une plaie déshonorante pour la société ; l'au
mône avilit l'homme qui la reçoit et le dégrade à ses propres
yeux ; mais le travail, au contraire, l'élève et le rend l'égal de
tous les honmes utiles. Tenez, moi, avec la force et le courage
dont je suis encore capable, n'aurais-je pas lieu d'être fier en
vous donnant la main de sentir que je puis être un citoyen utile
comme vous. Au lieu que je viens de partager votre pain, offert
189

de si bon cœur.... et je ne puis être utile à rien, utile à personne...


je n'ai pas d'ouvrage !
En vous quittant, mes amis, j'irai attendre en prison mon
jugement; on m'infligera une peine que je subirai avec résigna
tion, car ma voix est trop faible pour faire comprendre tout ce
qu'il y a d'injuste à frapper un homme dont le seul tort est d'a-
voir souffert; puis on me rejettera dans la rue, et on ne s'occu
pera pas que le lendemain je serai dans le même dénûment
qu'aujourd'hui, parce que, dans notre société, rien n'est prévu
pour celui qui ne possède rien ; mais au contraire, tout semble
prévu contre lui.
Léon LERoY,
compositeur.

RIEN ! RIEN ! RIEN !


(DIALoGUE.)

(Polichinelle sort d'un banquet philantropique; il va le nez au vent et heurte


Pierrot qui marche tristement.)
PoLICHINELLE.
Au diable, maladroit ! Peste soit du butor !
PIERRoT.
C'est vous....
PoLICHINELLE (sans se retourner.)
Prétendrait-il avoir raison encor ?

PIERRoT (se plaçant devant lui)


Le vin vous a donc bien dérangé la cervelle
Que vous, heurtant les gens, monsieur Polichinelle,
Voulez les amener, contre toute raison,
A venir chapeau bas vous demander pardon.
PoLICHINELLE.

Eh! pardieu, c'est Pierrot, ma vieille connaissance !


Mais je ne t'en veux pas, vois-tu bien.
PIERRoT.
Quelle chance !
190
PoLICHINELLE.

Je ne m'étonne plus de ce ton querelleur ;


Le temps, qui change tout, ne te rend pas meilleur.
D'où vient donc qu'aujourd'huitu vagues comme une ombre,
Infligeant aux passants ton profil blême et sombre?..
Un de tes parents morts, t'a-t-il laissé du bien,
Qu'on te voit, la semaine, en aisé citoyen,
Sur le pavé du roi promener ta grandesse,
Ou serait-ce un motif qui frise la paresse?
Oubliant ta famille, à qui ton temps est dû,
Et le soleil aidant, ta stoïque vertu
Fléchirait-elle, ou bien manques-tu de courage?
Ce serait mal, Pierrot.
PIERRRoT.

Non, je manque d'ouvrage.


PoLICHINELLE.

Tiens, je sors justement d'une réunion


Où nous avons porté des toasts à la question.
Tu peux te fier à nous ; nous avançons les choses.
PIERRoT.

Vous jugez, verre en main, des effets et des causes,


Et, suçant un bisquit imbibé de vin fin,
Vous cherchez un moyen de combattre la faim.
En vous voyant repu, mon cœur à l'espérance
S'ouvre...
PoLICHINELLE.

Toujours l'ingrat ! Voilà la récompense


De ce qu'on fait pour lui.
PIERRoT.

Qu'avez-vous fait pour moi ?


Quelle reconnaissance est-ce que je vous doi?
Quand avez-vous donné preuve de savoir faire,
Et sur quelle question? Est-ce sur le salaire?
Tout de ce côté-là, rappelez-vous le bien,
Se résume en un mot : ce mot fameux c'est RIEN !
191

L'avez-vous soulagé du lourd surcroît d'impôts


Qui grève son travail? Hélas l deux simples mots :
RIEN, vous ne faites RIEN ! ! La pauvreté hideuse
Ronge le travailleur, mais votre âme peureuse
Prétend le maintenir en le privant de tout,
Sans craindre de pousser sa patience à bout.
Songeâtes-vous jamais à ses droits politiques ?
Et quand prendra-t-il part aux affaires publiques ?
Sur tous ces points on garde un silence insultant.
C'esttoujours RIEN! RIEN!RIEN! quoiquefortimportant.
Ah l si fait ! j'oubliais qu'en buvant du madère
Vous prétendez combattre et vaincre la misère.
PoLiCHINELLE.
La peste ! tu le prends sur un tragique ton !
A t'entendre on dirait qu'à rien je ne suis bon.
Pour d'anciens différends me gardes-tu rancune ?
PIERRoT.
Je ne vous en veux pas et n'ai de haine aucune.
Mais quand je vous entends proclamer des bienfaits
Contestables, au moins, je prends les intérêts
De ceux que vous laissez dans un état précaire,
Heureux quand ils sont sûrs d'un modique salaire !
O vous heureux du jour, qui, dans vos cabinets,
Sauvez l'humanité, vos pieds sur les chenêts ;
(montrant l'habit de Polichinelle)
Vous qui prodignez l'orjnsque sur vos coutures,
Vous êtes vous trouvés, au temps des saisons dures,
Habillés d'un sarreau, sous un ciel inclément,
Impuissant à braver et la pluie et le vent?
Avez-vous jamais vu vos enfants et leur mère
Abattus par la faim, flétris par la misère ?
Oh ! Non, tous ces tableaux vous sont bien inconnus ;
Sivous aviez souffert, vos cœurs seraient émus,
Et loin d'être effrayés de notre persistance
Vous auriez admiré la grande patience
Dont nous avons fait preuve.
PoLICHINELLE (le quittant.)
Ingrat l ingrat toujours !
192

C'est en vain que pour lui je consume mes jours ;


Jamais il n'a tenu compte d'un sacrifice.
PIERRoT (le regardant partir).
Je ne veux rien de vous. -- J'attends un jour propice.
Ernest JoINDY.

ALVÉOLES.

— Suivez le bilan de la session ; le voici dressé par quatre


syndics, et formulé en quatre mots qui n'expriment qu'une
pensée, ne constatent qu'un résultat :
M. Démousseaux de Givré : Rien.
M. de Montalembert : Néant.
Le journal des Débats : Mauvaise.
M. de Boissy : Calamiteuse.

(National de l'Ouest. )
—=©3669

VOEU D U C O MITÉ.

Les ouvriers composant lc comité de la Ruche populaire se


sont proposé de répandre, de propager parmi les travailleurs,
sans les leur faire payer, les exemplaires du journal. Ils espèrent
atteindre ce but en réalisant un mombre suffisant d'abonnements
à 6 fr. (c'est à dire par des souscripteurs pris en dehors de la
classe ouvrière).
De plus, la Ruche étant dégagée de patronage, les personnes
qui désireraient concourir particulièrement à l'extension univer
selle de ce libre organe peuvent s'adresserà M. AUMoN-THIÉvILLE,
Notaire, boulevard Saint-Denis, 19, où elles trouveront un re
gistre ouvert à cet effet.

Le Gérant, F. DUQUENNE.

lmprimerie DoNDEY-DUP RÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


| A B L E.
Pag .
Recommandation d'infortunes intéressantes . . , . - - - - - - - - - - - |6 |

La FAMILLE (Coutant ouv typogr. ) . .. , , , , , , , , , , . . , , , , , | 62


Protestation contre les prud'hommes. . , . - - , , , , , , 168
Hausse du prix des grains . .. , , , , , - - 168
MM. Duchâtel et Mauguin . .. , . - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 168
Troubles à Lisieux . .. , , , . - - - - - - - - - - - - - - - - | - - - - 168

Prospérité croissante(Réforme.).. .. . - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - | 70
Opinion des Anglais sur le ministère en France.. . , , , , , , , , , , , , ,, ,. 17 1
M. Kriéger et ses ouvriers . , , , , - - - , , , , , , 171
RÉroRME ÉLECToRALE Pétition. ( Le Comité ). , , , , , , . - | 72
MvsTEREs pEs ATELIERs. - Les ouvriers calfats. - Contraste . . , , , , , , 175
OEuvre de fraternité . . , , , , , , , , , , , , . , , , , , , , , ,, , , , , , , , , ,, , , , . 1 76

Tableaux et autres objets d'art et d'industrie pour les familles. . , . . .. .. . | 77


Remerciments aux bienfaiteurs et au journal le Siècle. .. , , , , , , , , , , , , . , , , 177
Reproduction . . - - - - - - - - - - - - - - - - 177
Avis aux directeurs des journaux . .. , , , , , , , , , , , , , , , , , . , , , 177
Suspension de l' Enquête sociale . .. , . - - - - - - - - 178
DEPARTEMENTs : Ignorance et cruauté envers l'enfance (journal d'Épernay ) 177
ÉTRANGER. Conspiration des jésuites contre Pie IX . . , , , , 1 78
Mouvcment social en Angleterre Les Chartistes . , , , , 1 79
Correspondance. Lettre de M. Eug. L. ouvrier brasseur . .. . , , , 18 ,
A l'Illustration et à M. Leduc. ( Le Comité ) . . ,. . , , , , , , , , , ,. 182
L'AUMoNE ET LE TRAvAIL. (Léon Leroy. ).. .. . - - - - - - - - - - - - - - - - - - 184
RIEN | RIEN | RIEN | dialogue ( Ernest Joindy ) . - , , , 189
Vœu du comité. .. , , , , ,, , ,, , , , , , , , . . , 192
ALvÉoLEs , , , , , , , , , , , . - - , , , 192

LA RUCHE PoPULAIRE, qui date de décembre 1839, forme tous


les ans un volume de 3 à 400 pages

PRIX DE L'ABONNEMENT.
A PARIs : 6 francs par an - DÉPARTEMENTs : 7 fr.
HoRs FRANcE : 10 fr. par an.

(Affranchir .
O sa s'a b ose aa e à Pa r i s
Au Bureau de la Ruche, rue Vieille-du-Temple, 75, au Marais.
Chez M. BoRDIER , libraire, même rue, n. 75 (Dépôt du journal.)
AUBERT ET Ce, édit. d'estampes et du journal les MoDEs PAR'sIENNEs,
29, place de la Bourse.
ALLIANCE DEs ARTs (Agence spéciale pour expertise, collection et vente
de tableaux, etc. ), 178, rue Montmartre.
Au bureau du SIÈCLE, 16, rue du Croissant,
Au bureau de la RÉFoRME, rue J.-J.-Rousseau, 3.
Au journal l'UNIoN MoNARcHIQUE, 4, rue du Rouloy. .
Au bureau de LA SEMAINE , 6, rue Saint-Marc-Feydeau.
Au bureau de la DÉMoCRATIE PACIFIQUE, rue de Beaune, 2.
Au bureau de LA PATRIE (journal du soir), 6, rue Saint-Joseph.
A la REvUE BRITANNIQUE, 1, rue Grange-Batelière.
Au bureau du CHARIvARI , 16, rue du Croissant.
Au bureau du CoRsAIRE-SATAN, 26, passage Jouffroi.
Au MÉMoRIAL PoLoNAIs, quai Malaquais, 15.
Au bureau de l'ENQUÊTE soCIALE, 9, rue Richer.
A la Société de la Morale chrétienne, 9, rue Saint-Guillaume.
Au Cercle catholique de la rive droite, rue Saint-Honoré, 350.
A LA LANTERNE nU QUARTIER LATIN, rue Hautefeuille , 12.
MM. GUENARD (Alex.), librairie de piété, rue Royale-Saint-Honoré, 17.
LEGRos, salon littéraire de la Chambre des Députés, rue de Bourgogne.
. PERRoTIN, libraire éditeur, place du Doyenné, 3.
H. SoUvERAIN, libraire, rue des Beaux-Arts, 5.—Et tous les autres lib.
On souscrit aussi
LYoN, à la Tribune lyonnaise, revue politique et sociale, 53, r. S. Jean.
Id. au bureau de l'Echo de la Fabrique, à la Croix-Rousse, gr. Place.
ARRAs, au bureau du Progrès-du-Pas-de-Calais, et chez Topineau, libr.
ANGoULÊME, au bureau de l'Indépendant, journal politique et littéraire.
BÉZIERs, au bureau du Journal de Béziers.
EVREUx, au bureau du Courrier.
VERsAILLEs, chez Mme GUÉRIN, salon de lecture, 36, rue de la Pompe.
SAINT-OMER, au bureau de l'Eclaireur.
ORLÉANs, au Journal-du-Loiret.
RoUEN, à la Société libre d'Émulation.
SAINT-QUENTIN, au bureau du Guetteur.
Sd. au bureau du Courrier.
MELUN, chez Mme DESPLANTES, lib. , rue de la Juiverie, 12.
RoANNE, au bureau du Progrès-de-la-Loire.
AVIGNoN, au bureau de l'Indicateur.
CALAIS, nu bureau de l'Industriel Calaisien.
GRENoBLE, au bureau du Patriote des Alpes.
CHARLEvILLE, au bureau du Propagateur des Ardennes.
SAINT-MALo, au bureau de la Vigie de l'Ouest.
SAINT-MALo-SAINT-SERvAN, au bureau du Publicateur.
BLois, à l'Etoile-du-Peuple, chez M. Dézairs Blanchet, libr., gr. r., 67.
ToULoN, au bureau dela Sentinelle de la Marine et de l'Algérie.
VEvEY (Suisse), au bureau de la Patrie, gazette politique et sociale.
TURIN ( Savoie), au bureau de la Gazette de l'Association agricole.
MADRID (Espagne), Libreria Europea, calle de la Montera, 12. (Bul
letin bibliographique espagnol et étranger.)
LoNDREs, au journal l'Europe.
LEYPSIG (Saxe), chez M. MICHELM, lib, -

SMYRNE (Turquie), à l'Impartial de Smyrne, j. politique, commercial


ct IItteralre.
WAsHINGToN (Amérique), au National Intelligencer, au The Daily
Union, et à la Société typographique colombienne.
On reçoit au bureau de la Ruche les abonnements à tous les journatº
ci-dessus mentionnés.

Imprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


RU0||| P0l'l | A | |
Première Tribune et Revue lensuelle

RÉDIGÉE ET pupLÉE

PA R DES O U V R I E RS
sous la direction

DE FRANCOIS DUQUENNE
Ouvrier imprimeur.

NEUVIÈME ANNÉE. - SEPT.-OCTOBRE.

PA R IS
AU BUREAU, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE, 75,
AU MA H A 1S.

18 47
LPROG LR A MIMI Ee

•-s-e<- -

* :

Le but principal de la Ruche populaire est d'indiquer les misères


cachées aux riches bienfaisants. Elle ouvre en outre aux ouvriers une
tribune où chacun d'eux peut faire entendre ses justes réclamations,
exprimer ses vœux légitimes, ses espérances d'amélioration. Or
telles sont aujourd'hui la multiplicité et la divergence des doctrines
sur toutes choses, qu'on ne saurait s'attendre à trouver parmi les
écrivains de la Ruche l'unité d'opinions, qui n'existe nulle part. Le
but de notre recueil n'est donc, sous ce rapport, que de faciliter
l'intervention des Hommes de travail dans la discussion des moyens
propres à remédier à des maux universellement avoués. En leur
laissant une pleine liberté d'exprimer leurs idées, elle leur en laisse
aussi toute la responsabilité, se bornant à exiger d'eux, avec un
ton décent, le respect que l'on doit toujours à la morale publique.

A NOS FRÈRES.

Nous voulons dire au plus malheureux de nos frères gémissant


sur la voie publique, ou bien abandonné dans son grenier :
« Te voilà sans travail, et tu en demandes; tu es sans logement,
» sans vêtements, sans nourriture; incertain du lendemain, aucune
» main amie ne vient toucher la tienne, donc tu as à te plaindre.
» Eh bien, si ta plainte est digne, viens nous l'apporter; il ne t'en
» coûtera rien pour la publier; et tu parleras à la Société, n'étant
» justiciable en ceci que de la majorité de tes frères d'infortune. »
LA

RUCHE POPULAIRE
(ºR # #E B U $ $8)

· « Secourir d'honorables infortunes qui se


« plaignent, c'est bien ; s'enquérir de ceux
« qui luttent avec honneur, avec énergie, et
« leur venir en aide, quelquefois à leur insu ;
« prévenir à temps la misère ou les tenta
« tions qui mènent au crime..., c'est mieux.»
(RoDoLPHE, dans les Mystères de Paris.)

Nous recommandons à l'Evangélique Fraternité ces infor


tunes intéressantes : -

Un ouvrier charpentier, tombé d'un troisième étage, n'eut,


heureusement, aucun membre brisé; mais il lui est resté un
tremblement de tout le corps, qui le prive de gagner sa vie
de son état ; il est donc réduit à la plus grande misère, lui,
son épouse et leurs trois enfants, dont l'un âgé de seize mois.
Une autre famille dont le père, ouvrier menuisier, est
sans ouvrage ; épouse malade ; cinq enfants. Cette famille
est dépourvue de tout, elle va être expulsée par le proprié
taire auquel il est dû trois termes.
Suivent les autres infortunes inscrites sur notre registre.
—==>3G=-

Au comité de la Ruche populaire.


Messieurs, -

Voici l'ébauche d'un projet d'association entre les ouvriers ;


c'est une idée prise et rendue à vol d'oiseau, par masses, avec
des jalons indicateurs seulement; le temps y est supposé, les
chiffres arbitraires ; c'est donc fort incomplet; mais enfin, lisez,
et si l'ensemble ne vous paraît pas trop éloigné du probable et
du possible, je laisse à votre sagacité le soin de déblayer le ter
rain et de tracer la route qui doit conduire au but.
Agréez, messieurs, l'assurance de ma parfaite considération,
Isidore GRISIER.
Paris, le 1°r octobre 1847.

IX° ANNÉE de cette 1re tribune des ouvriers.—Sept.-Octob. 1847. 13


194

PR0JET D'ANS0(IATI0N ENTRE LES TRAVAILLEURS,


Que manque-t-il au travailleur pour conquérir la place qui
lui appartient dans la société et le bien-être auquel il a droit ?
Deux choses, suivant nous,
L'INsTRUCTIoN et le CAPITAL.
Lui donner l'une et mettre l'autre à sa disposition, tel est
le problème social à résoudre.
Où peut-on espérer en trouver la solution ?
Dans l'ASSOCIATION.
Le mot n'est pas neuf, mais la chose n'est pas encore trou
vée, du moins l'association possible, applicable, immédiate
ment réalisable.
Des esprits éminents, des intelligences supérieures ont déjà
cherché les moyens de mettre en pratique ce principe fécond ;
plusieurs systèmes ont été produits, expérimentés même, et
jusqu'alors aucun d'eux n'a réussi. Pourquoi ? c'est que leurs
auteurs, puisant exclusivement leurs raisons dans leur cœur
et leur dévouement à l'humanité, ont basé ces systèmes sur des
hypothèses, sans tenir compte de la réalité, c'est-à-dire de
l'organisation actuelle de la société, de ses mœurs, de ses usages,
de ses aptitudes, de ses passions, de ses vices, de ses qualités
ou de ses vertus; ils ont presque tous fait bon marché de ce
que l'homme possède de plus précieux, son libre-arbitre, et
de l'institution la plus sainte, la plus vénérée parmi nous, la
famille ! Aussi n'ont-ils trouvé que peu ou point de sympa
thie; et si le communisme, ce dernier mot du désespoir, a le
pouvoir aujourd'hui d'agiter les masses, c'est qu'à défaut du
possible dont on ne veut pas s'occuper pour elles, elles s'at
tachent à l'impossible, pourvu qu'elles y trouvent une espé
I'aIlCC.

Nous n'avons pas assurément la prétention d'avoir trouvé le


remède à tous les maux, à toutes les misères qui affligent la
société, mais nous avons la confiance que notre idée n'est pas
absolument sans valeur, et que des esprits plus puissants que
le nôtre y trouveront peut-être les éléments d'une amélioration
facilement et promptement réalisable.
Voici le but que nous voudrions atteindre :
195

Faire que l'Ouvrier de bonne volonté ait toujours du travail ;


Que le travail assure à l'Ouvrier le pain quotidien et le bien
être auquel il a droit, non-seulement pendant le temps qu'il
peut travailler, mais encore quand les maladies, les infirmités
ou l'âge lui interdisent le travail ;
Mettre l'industrie et le capital aux mains du producteur ;
Assurer le progrès dans les arts et l'industrie, en fournissant
à l'âuteur d'une découverte ou d'une invention les moyens de
les exploiter et d'en tirer profit.
Donner à tous l'instruction et l'éducation égales et complètes,
afin que toutes les intelligences se produisent, tous les génies
se révèlent ;
L'éducation professionnelle, mise à la portée de tous, sui
vant les goûts et l'aptitude de chacun ;
Obtenir toutes ces réformes, ces améliorations, par la seule
force des choses, en respectant scrupuleusement tous les droits
acquis, et par conséquent sans secousse pour la société actuelle.
Maintenant, voici nos moyens :
1° S'associer à l'effet de supprimer toute espèce d'intermé
diaire entre le producteur et le consommateur pour tous les
objets et denrées nécessaires à l'alimentation de celui-ci ;
2° Grouper en un seul faisceau toutes les économies qui doi
vent en résulter, pour en former le capital nécessaire à l'orga
nisation du travail et à l'obtention des améliorations sociales
désirées ;
5° Quels que soient les bénéfices à réaliser, maintenir le prix
des denrées au même cours que celui auquel vendront les inter
médiaires, afin d' éviter la baisse des salaires.
Une Société comme nous la désirons, achetant directement
du producteur, non-seulement conservera les bénéfices plus ou
moins légitimes des intermédiaires, mais les augmentera de tous
les avantages que peut avoir une grande industrie sur une pe
tite, et de toutes les concessions qu'elle obtiendra sur les prix
des denrées, en raison de l'importance de ses achats.
Nous croyons ne rien exagérer en disant que ces bénéfices,
représentant ceux faits aujourd'hui par tous les intermédiaires,
seront de 25 à 50 p. oſo au moins.
Cependant, pour faire la part des éventualités, nous ne l'es
timerons qu'à 20 p. 0/0.
15.
196

Voyons à quelles conséquences un pareil résultat pourra nous


conduire : -

Admettons 100,000 associés consommateurs pour la pre


mière année ;
L'ouvrier, à Paris, dépense en moyenne 1 fr. 50c. par jour.
Or, 100,000 consommateurs à 1 f. 50 c. donnent par jour
150,000 fr. de dépense ;
Soit pour un an. ............ .. ... 54,750,000 fr.
Le bénéfice, calculé à 20 p. 0/0, sera de 10,950,000 »
Si, comme nous n'en doutons pas, cette somme est réalisée à
la fin de la première année, la société s'augmentera de 200,000
COnSOmInateurS.

500,000 consommateurs dépensant.... 164,250,000 fr.,


Les bénéfices seront de. ... ... .. ... 52,850,000 »
Ce capital étant disponible, sera employé à étendre aux 40
principales villes de France la même organisation qu'à Paris.
Ces villes devront fournir l'une dans l'autre chacune 20,000
sociétaires, soit 800,000, qui, réunis aux 500,000 de Paris,
feront un total de 1,100,000, qui dépenseront 602,250,000 fr.
Bénéfice de la troisième année. ... .. ... 120,450,000 »
Cette somme suffira à la Société pour s'organiser dans toutes
les communes de France.
La population ouvrière de France se compose de 8 millions
d'individus ; nous n'hésitons pas à dire que quand les résultats
lui seront connus, la moitié de cette population fera partie de
la Société dès la quatrième année.
Mais comme les salaires ne sont pas aussi élevés dans les
petites villes qu'à Paris et dans les autres grandes villes, il
convient de diminuer la moyenne de la dépense, que nous fixe
rons à 1 fr. seulement, au lieu de 1 fr. 50 c.
4 millions d'individus dépensant par jour chacun 1 fr., dé
penseront dans l'année. ................. 1,460 millions.
Bénéfice. .............. ... .. · · · · · · . 292 millions.
La cinquième année, la Société devra réunir les 8 millions
de travailleurs qui dépenseront 2 milliards 920 millions,
Soit 584 millions de bénéfice; budget plus que suffisant pour
opérer toutes les réformes et améliorations que nous avons in
diquées. Nous pensons que la moitié y suffirait ; et, dans ce
cas, au bout de quinze ans la Société serait en possession de
197

tout le capital monétaire de France, qui s'élève, comme on sait,


à près de cinq milliards.
Nous n'entendons pas, pour cela, dire qu'elle doive retenir
le capital; bien au contraire, nous entendons qu'elle n'en con
serve que le strict nécessaire pour faire face à ses besoins; car
après avoir acheté toutes les denrées nécessaires à son alimenta
tion, ses efforts devront tendre à produire elle-même cette ali
mentation en acquérant une suffisante quantité de territoire.
Ainsi, lorsqu'aux bénéfices qui seront produits par la con
sommation elle ajoutera ceux qui résulteront de la part qu'elle
prendra à l'industrie (ce qui sera expliqué plus loin), elle
pourra consacrer au moins 200 millions par an en achats de
terrain.
Or, un homme de moyenne constitution consomme 5 hecto
litres de blé par an ;
Un hectare de terre bien cultivé produit en moyenne 12
hectolitres.
Un hectare suffisant à la nourriture de 4 hommes, il en fau
drait 2 millions pour alimenter 8 millions de sociétaires; mais
il convient de doubler cette quantité pour la nourriture des bes
tiaux et la production des engrais : c'est donc 4 millions d'hec
tares qu'il faut acheter.
Il y a en France 8 ou 9 millions d'hectares incultes, dont une
bonne partie pourrait être transformée en terre de première
qualité, et qui, en raison de leur état improductif, pourraient
être acquis au prix de 500 francs l'hectare, et probablement à
moins.
4 millions d'hectares à 500 fr. ... .. ... 1,200,000,000 fr.
Supposons qu'il faille 800 millions pour
les mettre en état de rapport. ... ... . .. .. 800,000,000

Soit. .. ... 2,000,000,000


La Société pouvant disposer de 200 millions par an, il lui
suffirait de dix années pour réaliser cette merveille.
Et voyez la conséquence : en devenant propriétaire, la So
ciété appelle à elle ces pauvres ouvriers de l'agriculture, qui
ne sont pas moins à plaindre que les ouvriers des villes, et ré
sout du même coup ce nouveau et redoutable problême :
Augmenter la production en raison de l'accroissement de la
population.
198

Et, pour conclure, la société ne devra s'arrêter que lors


qu'elle sera propriétaire d'une quantité de terre suffisante pour
assurer l'existence de tous ceux qui ne possèdent rien.

FORMATION DE LA SOCIÉTÉ.

Il faut, selon nous, 100,000 adhésions et 2 millions de ca


pital.
Pour obtenir ces adhésions, on dira aux Ouvriers :
Vous dépensez en moyenne 1 fr. 50 c. par jour pour votre
nourriture, qui est généralement insuffisante et malsaine; la
Société vous donnera pour le même prix une nourriture saine
et abondante ; et comme ce qu'elle vous vendra 1 fr. 50 c. ne
lui coûtera que | fr. 25 c., il en résultera pour elle un bénéfice
de 25 centimes par jour ; ce bénéfice, qui aujourd'hui profite à
quelques-uns, vous profitera à vous-mêmes ; car la Société
l'emploiera à donner de l'éducation et un état à vos enfants, à
vous soigner qnand vous serez malade, à vous donner de l'ou
vrage quand vous en manquerez, à vous assurer le repos et les
moyens de vivre lorsque l'âge ou les infirmités vous empêche
ront de travailler, à vous aider dans vos entreprises, inventions
ou découvertes, si elles sont jugées bonnes et fructueuses, enfin
à vous donner aide, secours et assistance dans toutes les phases
de votre vie.
Et si vous nous demandez quels sont les sacrifices que vous
aurez à faire pour que tout cela vous soit acquis et assuré, nous
vous répondrons : aucun, ni sacrifice d'argent, ni sacrifice de
temps; cela ne vous occasionnera d'autre dérangement que d'al
ler prendre ou acheter votre nourriture au n° 1 au lieu d'aller
au n° 2. -

Et pour constater ces adhésions,


Il sera dressé des cadres imprimés portant les noms et pré
noms des adhérents, leur profession, les lieu et date de leur
naissance, leur domicile actuel et leur signature. A défaut de
savoir signer, il suffira que deux adhérents qui auront signé sur
la même feuille attestent l'identité du candidat en signant pour
lui.
Ces cadres seront répandus à profusion parmi la classe ou
vrière et seront rapportés aussitôt remplis.
199
Pour obtenir le capital, il suffit que 20,000 personnes C0ll
sentent à prêter chacune 100 fr. pour 2 ou 5 ans, à intérêt
de 5 p. 0/0 ; dussent-elles d'ailleurs en faire le sacrifice, notre
France est assez riche en hommes de cœur et de dévouement
pour que cet argent ne se fasse pas attendre.
Le capital assuré et les 100,000 adhésions obtenues, une ad
ministration sera choisie et élue parmi les membres de la So
ciété; il y sera adjoint un comité de surveillance.
L'administration constituée, elle encaissera les 2 millions
souscrits ; elle achètera au nom de la Société et dans le voisi
nage des barrières, mais en dehors de l'octroi, un terrain spa
cieux sur lequel elle fera construire de vastes bâtiments, où
pourront être réunis maison d'habitation, boulangerie, abat
toirs, boucherie, magasins, écuries, greniers, caves, etc., le
tout estimé 1 million.
Elle louera dans les divers quartiers de Paris et suivant les
besoins présumés, des maisons suffisamment grandes pour y
établir :

Au rez-de-chaussée et dans les caves, de vastes magasins, où


seront vendus la viande fraîche, le pain, le vin, l'épicerie, la
charcuterie, les légumes, les fruits, le bois, le charbon, etc. ;
Au 1", un restaurant pour les hommes ; — au 2", un res
taurant pour les femmes; — au 5°, les cuisines ; — au 4°, le
logement des employés.
En supposant vingt établissements de ce genre, il faudrait
2 ou 500 mille fr. pour les mettre en état de satisfaire à leur des
tination.
Les 7 ou 800 mille fr. restant seront employés à l'achat des
denrées pour une consommation de 6 à 8 jours.
Ainsi qu'on vient de le voir, les établissements de la Société
seront de deux sortes :
Ventes de denrées et Restaurants.
Ceci pour arriver à satisfaire à toutes les conditions, à se
mettre à la portée de toutes les bourses et de tous les besoins ;
car bien que nous ayons basé nos calculs sur une dépense de
1 fr. 50 c. par jour et par chaque ouvrier, nous savons très
bien qu'il en est beaucoup, surtout parmi les femmes, qui, en
raison de leur mince salaire, pourront à peine dépenser la moi
tié, comme aussi le chef d'une nombreuse famille dépensera le
double ; la Société n'obligera donc pas à dépenser telle ou telle
somme, ni à la dépenser de telle ou telle manière, elle se bor- .
200

nera à constater la dépense faite, pour rendre à chacun dans la


proportion du profit qu'il aura donné.
Pour régulariser la position des sociétaires, il sera remis à
chacun d'eux un brevet de membre de la Société.
Ce brevet, levé sur un registre à souche dont le talon restera
à la Société, énoncera les nom et prénoms de l'associé, sa pro
fession, la date et le lieu de sa naissance, la date et le lieu de
l'admission.
Il lui sera remis en outre une médaille en bronze, de la di
mension d'une pièce de 10 cent., sur l'un des côtés de laquelle
il y aura l'emblème adopté par la Société; de l'autre côté se
ront burinés ses nom et prénoms, profession, etc., etc.
On lui délivrera un livret réglé et relié, destiné à inscrire le
montant des dépenses qu'il fera.
Toutes ces dispositions prises, la société se mettra en activité.
Dans les magasins de denrées qui seront désignés par un
numéro, elle vendra, comme nous l'avons dit, au même cours
que partout ailleurs.
- Sur la présentation de la médaille de l'acheteur, deux em
ployés du magasin inscriront simultanément et sur le livre de
vente et sur le livret de l'associé :
Le nom et la demeure de l'acheteur , la nature, la quantité
et les prix des denrées vendues ; les calculs seront faits à deux,
et le total sorti (1).
La vente se fera toujours au comptant, et sous aucun prétexte
la société ne pourra faire crédit à qui que ce soit et de quoi
que ce soit.
A la fin de chaque mois, le consommateur sociétaire fera
vérifier les sommes portées à son livret avec celles portées à
son compte ; s'il y a des erreurs, elles seront rectifiées, et
une fois d'accord, le vérificateur le constatera par le mot
d'accord , et rappellera en toutes lettres la somme totale dé
pensée dans le mois.
On le voit, ce livret est le titre de chaque associé, et lors
(1) La Société pourra également vendre aux personnes qui lui seront
étrangères; cela ne nous paraît comporter aucun inconvénient , puisque
les prix y seront les mêmes que chez les intermédiaires, et qu'il en résul
tera pour la Société un profit sans aucune charge.
201

qu'il sera arrivé à l'âge de la retraite, il se présentera à l'ad


ministration supérieure, son livret à la main, qui constatera,
par exemple,
Qu'il a vécu à Marseille pendant cinq ans et qu'il y a dé
pensé. .. .. .. .. ... .. .. ... .. .. ... ... .. .... 5,000 f.
A Bordeaux, deux ans.. ................. 2,000
A Paris, cinq ans. ....... ... ... ......... 5,000
Etc. - --

Au total...... 12,000 f.
On écrira aux administrations de toutes ces villes pour s'as
surer de l'exactitude de toutes les sommes ; puis, en échange
du livret qui lui sera rendu, la Société donnera un titre de
rente viagère, calculée sur le bénéfice produit par la somme dé
pensée.
Ainsi ces 12,000 fr. de dépense ayant produit, suivant nos
prévisions, 20 p. 0/0 de bénéfice, la rente sera constituée sur
un capital de 2,400 fr. -

Comme dans les cas ordinaires, le quantum de la rente


devra être proportionné à l'âge du titulaire.
Par exemple, au-dessous de 40 ans
il serait payé.................... 6 p, 0/0, soit 144 f.
A 40 ans. ......... ... ... .. · .. 8 192
A 45 ans.. .. .. .. ... .. .. . .. .. . 10 •- 240
A 50 ans. ... .. ... .. . -. ... ... .. 12 1/2 — 500
A 55 ans. .. ... · . . . .. .. . .. .. .. 15 — 560
A 60 ans. ... . . . .. ... .. ... .. 20 — 480
A 65 ans et au-dessus.. ... .. · . . . 25 – 600

Il est inutile de faire remarquer que cette proportion, quoi


que paraissant considérable, ne l'est pas trop en raison des
intérêts cumulés qui pendant 20 ans auront plus que doublé,
et pendant 40 ans auront plus que quadruplé la somme des
bénéfices bruts; du reste il y aura des calculs exacts à faire
qui donneront la mesure des proportions à observer.
Sauf les cas d'infirmités, on ne pourra demander et obtenir
sa retraite que 20 ans après la date de l'admission, ou à l'âge
de 60 ans accomplis si l'admission n'a eu lieu qu'après 40 ans.
L'associé qui aura obtenu sa retraite renoncera, par ce seul
fait, aux bénéfices ultérieurs qu'il pourra procurer à la société,
et ne conservera plus que le titre de sociétaire renté,
202

INSTITUTIONS ET AMÉLIORATIONS
qui pourront être successivement fondées par la Société.
PREMIÈRE ANNÉE.

Des bureaux de placement pour les Ouvriers sans ouvrage,


où tous les renseignements seront reçus et donnés sans aucune
rétribution.
Ces bureaux seront établis au même lieu que les restaurants
et magasins. •

DEUXIEME ANNEE ,

Il sera fondé des secours gratuits en cas de maladie.


A cet effet, la Société s'attachera autant de médecins qu'il
sera nécessaire. Ils seront payés à l'année.
Au siége principal de la société il sera établi une officine de
pharmacie.
Les succursales en auront le dépôt et délivreront les médi
caments gratis, sur l'ordonnance du médecin de la société.
Il y aura des garde-malades pour les cas graves.
Bien que le malade ne paiera rien de ce qu'il consommera
pendant sa maladie, une dépense de 1 fr. 50 c. par jour lui
S6I'a l'GCOIlIlll6 .

Si les ressources de la Société le permettent, elle fondera une


maison de santé pour ceux qui ne pourraient se faire soigner
chez eux.
TRoIsIÈME ANNÉE.

Il sera fondé des écoles pour les enfants des sociétaires qui
fourniront la preuve d'une dépense de 1,000 fr.
Enseignement primaire, de 8 à 12 ans.
La lecture, l'écriture, l'arithmétique , la grammaire, la
géographie, l'histoire de France, l'histoire religieuse, gym
nastique.
Enseignement secondaire , de 12 à 17 ans.
Éducation professionnelle, mathématiques, dessin , dessin
linéaire, chimie, physique, mécanique, rhétorique, philoso
phie, histoire naturelle, langues vivantes, musique, enfin les
éléments de toute chose.
205

Enseignement supérieur.
Pour les enfants qui se distingueront par leur intelligence
ou leur génie, la Société dirigera et poussera leur éducation,
suivant leur aptitude et aussi loin que possible, dans les scien
ces élevées, les beaux-arts, etc.; mathématiques transcendantes,
astronomie, géologie, peinture, sculpture, littérature, langues
anciennes, droit, médecine, chirurgie, etc.

La société se chargera de la nourriture et de l'entretien des -

enfants, pendant leur instruction et leur apprentissage ; et,


pour compensation aux frais qu'elle aura faits, chaque élève
laissera à la Société le produit de son travail pendant les trois
années qui suivront son apprentissage. Seulement il lui sera
reconnu 1 fr. 50 c. de dépense par jour, qui seront inscrits
sur son livret. Il recevra en outre une somme de 50 centimes
par jour.
A vingt ans, l'enfant devient homme, l'apprenti devient ou
vrier, et il reprend alors toute sa liberté avec tous les moyens
d'en faire un bon usage.
Nous nous trompons; il n'a pas encore la liberté, car, à vingt
ans, l'État s'en empare pour en faire un soldat, et ce n'est qu'a-
près 8 ans qu'il le renvoie sans compensation pour le temps
qu'il a donné au service de la patrie.
C'est là une injustice que la société essaiera de réparer.
A tout soldat, membre de la Société, il sera reconnu une dé
pense de 200 francs par an pendant tout le temps qu'il aura
passé au service de la France; mais cette dépense ne servira à
la constitution de sa rente qu'autant qu'il aura dépensé, après
sa rentrée, une autre somme de 6,000 fr. au moins.
A son retour du service, la société l'accueillera dans ses ate
liers de secours ou d'apprentissage, afin de le mettre à même
de réapprendre ce que le temps lui aura fait oublier, et jusqu'à
ce qu'il ait pu se procurer de l'ouvrage.
L'instruction qu'il aura reçue lui permettra de conquérir au
moins les premiers grades, et il suffit qu'il devienne sous-officier
et même simple caporal, pour être à même de s'acquitter
envers la Société, en lui achetant les denrées qui sont fournies
aujourd'hui par le boucher et l'épicier.
204
S'il devient officier et qu'il obtienne une retraite du gouver
nement, la Société ne lui devra rien.
QUATRIÈME ANNÉE.
Si ses ressources le lui permettent, la Société adjoindra aux
-
»
- - -

ateliers d'apprentissage, des ateliers de secours pour les Ouvriers


-sans ouvrage; ils y seront employés à toute espèce de travaux,
| sans égard pour leur spécialité.
»• Ils auront pour tout salaire la nourriture et le logement, ou,
s'ils le préfèrent, ils recevront 1 fr. 50 c. par jour.
Ils leur sera accordé deux heures par jour sur les heures de
travail, pour qu'ils puissent chercher de l'ouvrage.
Si un Ouvrier est demandé à la Société, elle indiquera d'a-
bord celui qui sera resté le plus longtemps sans emploi.
Les Ouvriers quitteront les ateliers de secours quand ils le
voudront.
Dans ces ateliers de secours seront admis les ouvriers qui,
jeunes encore et victimes d'accidents ou d'infirmités naturelles,
n'auront pu acquérir une rente suffisante pour vivre sans tra
vailler ; ils ne seront employés qu'à des travaux que leurs forces
ou leurs infirmités leur permettront de faire; et, comme les
autres ouvriers, ils seront nourris par la Société, ou recevront
1 fr. 50 c. par jour.
Ceux qui seront dans l'impuissance absolue de travailler
seront nourris et entretenus par la Société, en échange de leur
livret, quelle que soit la somme qui y figure.
Les orphelins, enfants de sociétaires décédés, seront adoptés
par la Société, et recevront la même éducation que les autres
enfants.
Les marchandises provenant des ateliers de secours et d'ap
prentissage seront vendues aux membres de la Société seule
ment, ou à l'exportation.
Quand l'homme aura l'instrument, l'âme du travail, c'est-à-
dire la connaissance parfaite de son état, que le travail lui sera
garanti, l'avenir assuré, et que, pour complément, il aura reçu
cette éducation morale qui fait les hommes probes, courageux
et dévoués, le crime, n'ayant plus sa raison d'être, deviendra
à peu près impossible, nous en avons la conviction ; mais enfin,
comme la perfection n'est pas de ce monde, et qu'il faut faire
la part des faiblesses de l'humanité, nous devons penser aussi
aux malheureux qui pourraient s'oublier jusqu'à faillir aux lois
de l'honneur et de la probité.
A l'impudeur, —l'inflexibilité !
Au repentir, — la miséricorde !
205
Si donc nous avions la douleur de voir un des membres de
la Société frappé par la justice humaine, il cesserait à l'instant
même de faire partie de la Société, et perdrait tous les droits
qu'il aurait pu y acquérir.
Mais, après l'expiation, la Société lui fournira les moyens
de se réhabiliter et de reconquérir , non-seulement ses droits
- • "9 ,• - -

perdus, mais aussi l'estime et l'affection de ses concitoyens.


CINQUIÈME ANNÉE.
La société mettra à la disposition des inventeurs ou auteurs
de nouvelles découvertes, l'argent nécessaire à leur mise en
oeuvre et à leur exploitation.
Elle prêtera cet argent à titre de commandite et aura droit à
la moitié des bénéfices réalisés.
L'autre moitié restera à l'inventeur, jusqu'à ce qu'il ait ga
gné la somme qui aura été fixée à l'avance entre lui et la So
ciété, somme qui, en tous cas, ne pourra jamais dépasser
100,000 francs.
Lorsque cette somme lui sera acquise, il perdra ses droits à
la pension, quelle que soit l'importance des achats inscrits sur
son livret, et la Société deviendra propriétaire des établisse
ments et des brevets.
Si, après une expérience de deux années , l'industrie nou
velle ne donnait que de la perte ou pas de bénéfice, la sup
pression en serait votée, et la liquidation s'opérerait immédia
tement par la Société et à ses risques et périls.
Si la mauvaise réussite n'avait pour cause que l'incapacité,
l'incurie ou la mauvaise gestion de l'inventeur, la Société de
viendrait propriétaire de l'établissement, moyennant une in
demnité qui serait prévue et fixée à l'avance.
sIxIÈME ANNÉE.

A cette époque, la Société devant présenter toute espèce de


garantie et de sécurité, fondera une caisse d'épargnes pour les
Ouvriers qui feraient des économies.
Les déposants qui auront à la caisse une somme de 5,000 fr.
et plus, pourront obtenir de la Société une somme égale, à
titre de commandite, s'ils veulent exercer une profession, un
commerce ou une industrie quelconque.
Ceux qui n'auront que 1,000 fr. pourront obtenir le même
avantage, s'ils veulent se réunir pour exploiter en commun
l'industrie qu'ils choisiront.
Dans l'un et l'autre cas, la Société n'aura droit qu'à un
quart dans les bénéfices.
206
· Les † de chaque associé seront basés sur la jour
née ordinaire d'un ouvrier, et feront partie des frais, sur les
quels seront établis les prix de revient.
Les bénéfices à acquérir pour chaque associé ne devront
jamais dépasser le capital représentant une rente de 12 à
1,500 fr.
Il est bien entendu que toutes ces commandites n'auront lieu
qu'après un mûr examen et sur l'autorisation du conseil de
surveillance.
Pour satisfaire aux besoins de ce petit commerce et de ces
etites industries, qui, dans l'état actuel des choses, ne trou
vent à escompter leur papier qu'au moyen d'intérêts usuraires,
la Société fondera une maison de banque qui escomptera toutes
ces valeurs aux mêmes conditions qui sont faites aujourd'hui
aux maisons de premier ordre.
On le voit, les bénéfices de la Société ne se borneront pas
seulement à ceux qu'elle retirera de la vente des objets de con
sommation , mais à ceux-là viendront s'adjoindre ceux qu'elle
obtiendra des divers établissements de commerce ou d'industrie
qu'elle commanditera, ceux qui seront produits par sa Banque
qui, bientôt, fera autant et plus d'affaires que la Banque de
France, et enfin ceux qui seront le résultat † produit de ses
ateliers d'apprentissage et de secours.
Nous ne savons si nous nous faisons illusion, mais il nous
paraît hors de doute qu'avec tous ces éléments, la Société peut
et doit réaliser un milliard par an ; et, une fois arrivée là , nous
le demandons, que ne pourra-t elle faire, que ne pourra-t-elle
entreprendre, quand elle aura donné pour moteur à cette puis
sance, des hommes instruits, moraux et capables.
Ne pourra-t-elle pas alors, et au profit de tous, aborder les
plus grandes entreprises qui aujourd'hui sont l'apanage ou le
privilége de quelques-uns; fournitures, chemins de fer, exploi
tation de mines, concessions, achats de terrain, etc., etc., etc. ?
Ne pourra-t-elle pas encore entrer en lice avec toutes les
nations industrielles en fondant ou en commanditant des éta
blissements gigantesques qui dépasseront bientôt en importance
ceux de ses adversaires? ne pourra-t-elle pas, comme la com
pagnie des Indes, avoir ses § , ses armées, qui, emportant
et protégeant ses produits à travers les mers, iront les jeter sur
tous les marchés du monde ?
Ah ! vienne ce temps, ce temps de justice et de réparation
où le travail honoré, rétribué, sera la source de toute gran
deur pour notre chère patrie, de bien-être, de moralité et de
liberté pour tous ses enfants !
Isidore GRIsIER,
Négociant.
207

L'idée de M. Grisier (1) nous paraît heureuse, féconde et


parfaitement réalisable. Selon nous, elle comporte une amé
lioration immédiate du sort des classes ouvrières. Nous don
nons ici le travail de l'auteur tel qu'il nous l'a communiqué,
et nous appelons les ouvriers, nos frères, à discuter partout
et avec nous son projet, ainsi qu'à manifester leurs opinions
sur les questions qu'il embrasse, puisqu'il intéresse au plus
haut degré leur existence ! Nous le recommandons aussi à
l'attention et aux méditations des publicistes et des penseurs
qui s'occupent des intérêts du Peuple.
LE CoMITÉ.

VIEIL ÉTAT DE SOCIÉTÉ.


« Le ministère tendra tous les ressorts de l'administration :
« il emploira la fortune publique, qu'il a entre les mains, au
«profit d'une coterie; après avoir corrompu, il érigera la
« CORRUPTION en THEORIE. Il défendra, comme une chose
« honnête, LES MANOEUVRES LES PLUS SCANDALEUSES. »
(M. Gustave de BEAUMoNT, député. — 1843.)

Prospérité décroissante. — La Presse annonce la faillite de


huit grosses maisons, et donne pour total de tout le passif
le chiffre de 40 millions de francs. Et tout cela, rien qu'en
huit jours.

Place de député à vendre.— « A vENDRE, UNE PRoPRIÉTÉ


· sise dans le Haut-Rhin, d'un revenu net de 4 0/0 prouvé par
baux authentiques remontant à 15 ans et finissant en 1853.
« CERTITUDE, PoUR L'ACQUÉREUR, D'ÊTRE DÉPUTÉ, s'IL
LE VEUT.

« S'adresser à l'administration centrale des appartements


vacants, n° 2, cité Bergère. »
(Journal des Débats, 7 août.) /

(1) M. Grisier est membre du comité central des électeurs de la Seine ,


et l'un des orateurs au banquet du Château-Rouge.
208

Désespoir. — Un jeune homme à la veille de perdre son


ouvrage, a perdu la tête et fut se jeter du haut en bas des
tours Notre-Dame, pour échapper à l'horrible état de ceux
qui, n'ayant plus d'emploi, meurent de faim !...

Pudeur d'un journal ministériel.— « Le journal ministé


riel de Colmar cesse de paraître pour ne plus servir un sys
tème deshonoré. Voici ce qu'il dit à ce sujet :
« Nous n'avions à offrir aux autres nations que l'exemple
« de la plus déplorable faiblesse, des fautes les plus honteuses ;
« dés lors commença pour nous une lutte incessante entre
« notre conscience et le mandat que nous imposait le vœu
« des actionnaires. Nous étions liés, il fallait marcher. Le dé
« couragement s'empara de nous ; nous ne comprenions que
«trop les motifs qui nous assaillaient de toutes parts. »
-•96e89

MYSTÈRES DES ATELIERS.


(Suite. Voir les numéros précédents.)

A M. le gérant de la Ruche populaire.


Monsieur,
Puisque la Ruche veut bien admettre toutes plaintes que
pourraient faire des ouvriers et des ouvrières sur la situation
de leur travail, à ce sujet je veux vous en faire connaître
une que vous ignorez, je pense. Ce que je vais vous exposer
en deux mots, vous pouvez le croire fermement, vu que je
suis en relation avec la personne. Après avoir passé quelque
temps à apprendre à piquer des bottines, elle est parvenue
avec bien de la peine à gagner 60 à 75 centimes par jour ;
l'ouvrage étant venu à manquer, elle s'est vue contrainte,
pour se nourrir, de faire des sacs à farine pour le service mi
litaire; cet ouvrage est très pénible , et très mal payé ; à
l'époque qu'elle a pris cet ouvrage, elle commençait sa jour
née au jour jusqu'à 9 heures le soir, ne se dérangeant que
Supplément.
Supplément à la Ruche populaire, n° de sept.-octob. 1847.
209

pour prendre sa nourriture. Eh bien, monsieur, après tout


ce temps passé, elle avait gagné 52 centimes; il lui fallait deux
jours pour gagner 50 centimes, et, pour comble de bonheur,
la maison où elle va chercher cet ouvrage se trouve rue Cen
sier, et elle demeure rue Charenton ; par conséquent, elle
est obligée, comme n'étant pas exempte plus que les au
tres , malgré sa position , de payer le pont d'aller et reve
nir, si elle ne veut pas faire le tour par le pont Marie, ainsi,
vous voyez, monsieur, ce qu'il lui reste.... Mais il faut tout
dire : les sacs ont eu de l'augmentation; il sont payés main
tenant 60 centimes au lieu de 50 centimes la dizaine ; elle est
parvenue, après bien du mal jusqu'à avoir eu le bras foulé,
à faire sa dizaine par jour ; elle défie à la plus habile d'en
faire davantage ; il est bon de vous dire que l'on fournit cire
et fil, non les aiguilles que l'on casse souvent.
Voilà, monsieur, les détails qui sont, je pense, assez né
cessaires pour ne point être mis sous silence.
J'ai l'honneur d'être, etc. J. MAFLoN.

P. S. Le même établissement fait faire aussi des serviettes


à 30 centimes de façon par douzaine ; à ce prix-là, une bonne
ouvrière peut gagner dix ou douze sous par jour. L'ouvrière
dont je vous parle est allée dernièrement pour en chercher,
mais on lui a répondu qu'un homme était venu la veille pour
offrir de les faire coudre à 25 centimes la douzaine et qu'il
en avait emporté trois cents douzaines. Jugez combien cet
homme doit payer aux ouvrières qu'il emploie, car, malgré
qu'il se les fait payer moins cher, il gagne encore dessus.

Au comité de la Ruche populaire.


Messieurs,
Je m'adresse à votre journal pour donner de la publicité au
fait suivant :
La demoiselle Denise Maréchal, âgée de 25 ans, est atteinte
de la terrible infirmité que l'on nomme épilepsie, ce qui l'em
pêche de trouver à se placer pour gagner sa vie, et même de
Nk k k
210

travailler pour vivre, car elle est sujette à gâter souvent l'ou
vrage qu'on lui confie. Je l'ai recueillie , mais je suis moi-même
bien gêné, étant très-pauvre et estropié. J'aurais donc toutes
les obligations possibles aux personnes qui par leur position
pourraient faire placer la malade dans un hospice. Elle a son
acte de naissance et un certificat de M. Hamel, propriétaire et
membre de l'Académie royale de médecine. Ainsi je serais très
obligé aux personnes qui voudraient bien prendre en considé
ration ma § , ne pouvant continuer de faire ce que j'ai
fait jusqu'à présent pour cette malheureuse fille en lui faisant
partager ma nourriture qui selon mes faibles moyens est très
modique, vu que je n'ai que 200 francs qu'un parent m'a laissé.
J'ai d'ailleurs 69 ans, et je perds mes forces de jour en jour.
Je vous salue , etc.
LEMAIsTRE, journalier.

VOL PAR MISÈRE.

« Le prévenu est un artiste; il a † ans, et jusqu'à ce


jour, la sculpture lui avait offert des ressources suffisantes.
Mais l'ouvrage vint à lui manquer tout-à-coup ; il usa de tous
les moyens honnêtes pour faire vivre sa famille, composée detrois
enfants et de leur mère Les moyens honnêtes s'étant bien vite
épuisés, il eut recours à des moyens coupables, et voilà comment
cet homme, probe jusque là, comparaissait devant la sixième
Chambre, où son attitude humiliée et ses larmes vraies sollici
taient à l'avance la pitié de ses juges.
« Le prévenu s'était trouvé, par ses travaux, en relation avec
des marchands d'objets d'art. Un matin, il se présente chez
un vendeur de tableaux du quai Malaquais, et il lui dit qu'il
est chargé d'acheter une toile du prix de 15 0 à 200 fr. Le mar
chand, qui le connaissait pour un homme honorable, lui conſie
une copie de maître ; le pauvre sculpteur l'emporte en lui pro
mettant d'en remettre le lendemain la valeur ; puis, il va vendre
le tableau, et, de la somme qui lui en est offerte, il achète du
pain pour sa femme et pour ses enfants.
« Il est fort triste, fort humilié, fort repentant sur le banc
où le délit l'a fait asseoir, et il ne cherche pas à nier sa faute.
« Ma femme était malade, dit-il en fondant en larmes ; des sang
« sues lui étaient ordonnées, et je n'avais rien, pas un sou, pas
« un objet dont je pusse faire ressource !... Mon dernier enfant,
« un enfant de trois ans n'avait rien mangé depuis la veille....
« Il me demandait du pain en joignant ses petites mains, et
211

« rien, rien pour calmer sa faim !... rien pour calmer la


« mienne !... Car moi aussi, j'éprouvais le supplice du besoin...
« Oh ! messieurs, si vous saviez ce qui se passe dans la tête
« et dans l'âme d'un homme!... On devrait se tuer peut-être
« plutôt que de commettre une faute ; mais vos enfants, mais
« votre femme, ils mourraient donc aussi?C'est alors, c'est sous
« le poids de ces affreuses pensées que je me suis rendu cou
« pable. J'espérais, plus tard, avec mon travail, payer le tableau
« que j'avais obtenu à l'aide d'un mensonge, j'en conviens ; mais
« ce mensonge devait sauver ma femme, il devait donner du
« pain à mon enfant. » -

« Le malheureux, épuisé, accablé sous le poids de sa faute et


de ses souvenirs, retombe sur son banc en fondant en larmes.
L'émotion est partout : dans l'auditoire et sur le siége des juges
qui, après une longue délibération, prononcent contre le pauvre
artiste une peine de quinze jours d'emprisonnement.
« Aussitôt une femme s'élance de la foule ; elle tient dans
ses bras un jeune enfant; le condamné les serre tous deux sur
sa poitrine en fondant en larmes, et il disparaît par l'escalier
qui doit le ramener à sa prison.
(Gazette des tribunaux.)
Ce n'est pas sur cet infortuné que la honte retombe ici.
Nous disons, nous, que si les artistes sculpteurs, etc , étaient
associés, élisant eux-mêmes les chefs, il ne se passerait
plus de fait douloureux comme celui que nous venons de
rapporter. En cas de maladie ou de misère absolue, cha
cun serait secouru en vertu de sa coopération, non par une
dédaigneuse et insultante commisération (1). En effet , la
misère et son triste cortège (mauvaise action , deshonneur
ou trépas), voilà ce que laisse exister l'absence d'association
libre, ce principe régénérateur.Aussi conseillons-nous encore
aux artistes d'oser se constituer en société générale de secours
mutuels, à l'exemple des deux cents sociétés d'ouvriers exis
tants à Paris. Rien de plus urgent et même de plus facile,
puisqu'il suffirait de vouloir. L'humiliante aumône dont un
certain personnage s'est posé l'inamovible dispensateur aux
artistes malheureux, ferait place à la fraternité, au sentiment
de l'égalité. Car, en effet, que chacun s'interroge, se mettant,
par la pensée, à la place du citoyen réduit, pour être secouru,
(l) Voir la lettre de M. A. Giroux, artiste peintre, adressée à la Ruche,
n° de mars 1847,
212

à tendre la main..., il verra si l'aumône ne le dégrade pas,


si elle ne l'abaisse même pas à ses propres yeux, lui faisant
perdre sa fierté naturelle, son rang de citoyen, sa dignité
d'homme.... Il verra si l'aumône, qui du reste ne remédie à
rien, n'accroît pas plutôt les larmes eu mettant le comble à
l'infortune....
Nous croyons qu'il appartient aux artistes indépendants
par position ou talent, de prendre ici une salutaire initiative.
C'est un acte de courage que l'honneur et l'humanité com
mandent impérieusement.
LE CoMITÉ.

-•= 98369a

CORRESPONDANCE.

A MONSEIGNEUR DENIS-AUGUSTE AFFRE,


Archevêque de Paris.
Monseigneur,
Je suis chrétien; comme tel, je prends connaissance, au
tant que je le peux , des instructions que vous voulez bien
communiquer aux fidèles, J'ai donc lu votre dernier mande
ment, Monseigneur, où j'espérais puiser de nouvelles forces,
si nécessaires à un ouvrier qui bataille toute la vie pour res
ter honnête homme. Si vous saviez, Monseigneur, combien
il nous est difficile de conserver notre âme dans sa pureté
native, nous qui nous épuisons à gagner le pain quotidien ;
car vous devez savoir que la prière ne suffit pas pour obtenir
ce pain, le travail seul le donne, à nous qui n'avons pas d'es
claves ; souvent même nous prions afin que le travail nous
arrive, et Dieu ne nous entend pas toujours ; alors, l'homme,
qui, sans péché, se trouve abandonné et des hommes ses
frères, et de Dieu, blasphème contre la providence, et doute
quand il ne se désespère pas. Ah! Monseigneur, ces com
bats incessants, ces luttes contre la faim , contre la misère,
contre le désespoir vous sont inconnus; vous êtes un des élus
de la terre, un des prévilégiés. Mais, profitant de votre in
dépendance, de votre position exceptionnelle, et mettant
votre intelligence au service de vos frères les plus infortu
213

nés, vous réclamez, vous appelez le règne de la justice sur


la terre. Oh! qu'il est beau, le sacerdoce dont vous êtes re
vêtu : parler au nom des malheureux, soulager ceux qui
ploient sous le fardeau que leurs maîtres ne voudraient pas
toucher seulement du doigt, fortifier la foi de ceux qui chan
cellent, inspirer la justice aux forts, le courage aux faibles :
tel est votre devoir, Monseigneur, devoir sublime que je
Vous envierais, si j'avais les talents que le monde vous recon
naît. -

J'ai donclu votre mandement, Monseigneur; mais, au lieu


d'y puiser le courage qui m'est indispensable pour la lutte,
je suis tombé dans un profond abattement : mon âme s'est
attristée, mon cœur a gémi, et c'est dans ce déplorable état
que j'ose vous écrire, afin que vous dissipiez les doutes qui
ont pénétré en moi. Vous dites : -

« Les esprits les plus prévenus, qui avaient considéré troplong


temps la papauté et la hiérarchie eclésiastique tout entière comme
hostiles aux légitimes libertés des peuples, sont contraints de pro
clamer que ces libertés ont trouvé les garanties les plus assurées
et leur avenir le plus glorieux dans les réformes dont Pie IX
vient de donner l'exemple à la Péninsule italique. »
Cette prévention est justifiée par les actes de papes qui
n'ont pas tous été des saints, des intelligents, des courageux.
L'histoire des Papes relate bien des crimes, des immoralités
profondes qui ont dû ébranler des esprits religieux. Sans
doute, c'est un tort de subordonner la religion à la conduite
des chefs de l'Église. Il faut, au contraire, distinguer les
hommes de la religion, afin qu'ils ne la compromettent pas
par leur inconduite.— Les esprits prévenus, Monseigneur,
n'ont pas été contraints ; ils ont été étonnés et heureux de
voir Pie IX entreprendre des réformes urgentes que Gré
goire XVI s'était constamment refusé à accorder, auxquelles
il était hostile et violemment hostile. Si les Papes n'avaient
point trahi la cause des peuples, Pie IX n'aurait pas tant
de difficultés à vaincre. La papauté n'est donc pas toujours
et quand même favorable aux légitimes libertés des peuples.
Il y a eu de bons papes comme il y a eu de bons rois; mais
on a vu des papes et des rois détestables. Ainsi l'on ne dira
pas : tant vaut la dignité, tant vaut l'homme ; c'est l'homme,
214
au contraire, qui fait la dignité quand il a le beau courage
d'obéir lui-même aux principes de la justice.
« N'attendez pas de nous, nos très chers frères, que nous es
savons de vous expliquer ici ce que la science politique a de
plus mystérieux et de plus élevé tout à la fois : nous voulons
parler des droits réciproques des gouvernements et des citoyens,
de l'alliance de l'ordre et de la liberté. »
C'est pourtant ce que nous espérions de vous. Vous ne
voulez même pas essayer de nous expliquer cette science si
utile. Pourquoi cette retenue, Monseigneur? et comment en
êtes-vous encore à l'essai ? Est-ce que vos prédécesseurs
n'ont pas dit un seul mot de cette science ? Vous en êtes ré
duit à vos seules lumières, à expérimenter, depuis tant de
siècles que votre siège est occupé ! Aux rois fainéans faut-il
ajouter les archevêques ?
« Loin de nous l'orgueilleuse pensée de résoudre ces grands
problèmes, et de venir, comme tant d'autres, donner des leçons
à ceux qui ont reçu la terrible mission de gouverner les
hommes! »
C'est bien de votre bouche que sont sorties ces paroles dé
cevantes ? O Monseigneur ! vous avez prononcé votre abdi
cation ; maintenant , vous n'êtes plus rien qu'un homme
touchant des émoluments, vous avez rejeté l'esprit de votre
ministère, vous avez abandonné votre sacerdoce. Vous ré
pétez sans cesse que Jésus-Christ vous a dit, à vous seuls :
allez, instruisez les peuples : puis aujourd'hui, que d'impor
tants problèmes sont à résoudre pour le bonheur des peuples,
laissant peser cette charge sur d'autres qui en ont reçu la
mission , mission terrible, dites-vous, vous vous retirez au
coin de votre feu. Mais quelle est donc votre mission, à vous,
Monseigneur ? Il me semble que votre devoir était là tout
entier; il me semble qne le monde est le champ où vous de
vez sans relâche moissonner des âmes par votre parole pour
les offrir au Dieu que vous servez. Le labeur du salut vous
répugne, et vous vous retirez modestement, mais non sans
lancer l'accusation d'orgueil (j'allais dire l'anathème) à ceux
qui osent, qui ont le courage d'enseigner ce qu'ils croient,
ce qu'ils savent. Monseigneur, ne craignez-vous pas qu'on
vous accuse de déserter le christianisme, si toutefois vous
215

avez fait partie des disciples du Crucifié ? car il ne suffit pas,


pour être chrétien, de se mettre tel costume sur le corps, il
faut encore et surtout revêtir l'esprit, la passion de la rédemp
tion; cette passion-là, vous ne l'avez pas, Monseigneur.
Comment se fait-il qu'il y ait encore, après la venne de
Jésus-Christ, des problèmes à résoudre? L'Église a toujours
proclamé qu'elle possédait toute vérité, qu'elle seule la pos
sédait; mais voilà qu'un des hauts dignitaires de cette Église
et des plus savants, en est encore à essayer d'expliquer la
science politique, et confesse son ignorance sur les pro
blèmes les plus importants qui intéressent le monde. Mais
Jésus-Christ, qui est Dieu, n'a donc pas prévu ces problèmes
qui se posent à notre époque ? L'Évangile est donc muet à
cet égard ? Nous voilà replongés dans les ténèbres ; un nou
veau révélateur est devenu indispensable pour nous éclairer
sur ces problèmes insolubles par nous comme par vous, Mon
seigneur. Il nous faut vivre au hasard, sans cesse inquiets
jusqu'à ce qu'un nouveau Messie vienne compléter l'œuvre
imparfaite de Jésus-Christ. Quelle confession !
« Mais nous ferons une chose utile à notre ministère en vous
disant avec une parfaite vérité pourquoi, en présence de tant
d'accusations les plus divergentes , les plus contradictoires, le
clergé a été si sobre de manifestations, ou même pourquoi il a
gardé le silence que nous croyons devoir rompre aujourd'hui. »
Pourquoi tous ces détours et cette emphase, Monseigneur ?
Il fallait vous accuser de meilleur grâce d'avoir gardé le si
lence sur Pie IX, et confesser votre faute avec humilité.
« Amis de tous les pouvoirs régulièrement établis, parce
qu'ils viennent de Dieu. »
Comment l'entendez-vous ? Tout pouvoir qui est, est-il
régulier ? Je ne sais que penser, vous ne définissez pas, Mon
seigneur, et vos ouailles en seront réduites à rechercher elles
mêmes ce qui constitue un pouvoir régulier; car la question,
comme vous la posez, laisse supposer qu'il existe des pou
voirs irréguliers qui, par conséquent , ne viennent pas de
Dieu ; mais d'où viennent-ils alors ? et à quoi les reconnaître?
Le pouvoir qui a martyrisé et crucifié Jésus-Christ était
régulier : il venait de Dieu ; il fallait être l'ami de ce pouvoir,
c'est-à-dire l'ami de Dieu contre Dieu ?
216

Le gouvernement Anglais, qui a laissé mourir de faim


deux millions d'Irlandais dans une année , est un pouvoir
régulier : il vient de Dieu ; notre amitié lui est due ?
Disons en passant que les Irlandais sont nos frères en re
ligion, catholiques et romains comme nous : l'Église catho
lique n'a pas su opérer le miracle des pains et des poissons
afin de sauver ses enfants les plus dévoués de cette mort
horrible, épouvantable; des familles entières, les filles, les
frères, la mère et le père, l'un après l'autre et l'un à côté de
l'autre, mourant de faim, et abandonnés lâchement par les
chefs des sociétés et des religions. Sur qui doit retomber cette
terrible responsabilité, ne le savez-vous pas, vous qui dites :
mes frères, mes frères ?
Le gouvernement russe, pouvoir régulier, détruit la Po
logne, qui est aussi un pouvoir régulier : tous les deux vien
nent également de Dieu ; mais si nous restons amis du
premier qui professe la religion grecque et martyrise les
catholiques romains, en revanche nous abandonnons la Po
logne, qui est catholique?
Si l'Autriche, ennemie du réformateur pontifical, avait
l'audace d'entrer, les armes à la main, dans les États-Romains,
que ferait l'Église qui est amie de tous les pouvoirs réguliers
parce qu'ils viennent de Dieu ? Et si Rome était conquise
par l'Autriche, comme la Pologne par la Russie, serions-nous
pour le vainqueur ?
L'Église considère-t-elle comme régulièrement établi en
France le pouvoir fondé par l'insurrection victorieuse en
1830, ou ne reconnaît-elle que le duc de Bordeaux ; viennent
ils tous les deux de Dieu, et devons nous être l'ami du der
nier ? A quoi distingue-t-on un pouvoir régulier d'un pouvoir
irrégulier ?

Tous ces doutes, Monseigneur, c'est votre mandement


qui leur a donné naissance. Je tiens à les faire disparaître
le plus tôt possible; et si vous voulez bien m'enseigner la vé
rité sur tous ces points, vous rendrez à l'Église un croyant
intrépide, inébranlable, qui redira à ceux qui voudront l'en
tendre les vérités que vous lui aurez enseignées. En attendant
217

| vos lumières, Monseigneur, je m'instruirai dans ce livre su


blime, l'Evangile, où j'espère, malgré ce que vous en avez
dit, trouver la solution de ces importants problèmes.
Je suis, Monseigneur, etc.,
CoUTANT.
Paris, ce 28 septembre 1847.

OEUVRE DE FRATERNITÉ.

Lorsqu'on nous signale une infortune intéressante, quel


qu'en soit le genre, comme, par exemple, un honnête ou
vrier, père de famille, depuis longtemps sans ouvrage et se
laissant périr lui et les siens plutôt que de révéler sa misère,
nous allons le visiter nous-mêmes en qualité de camarades et
non d'inspecteurs ; puis nous mentionnons le fait sur un re
gistre en omettant le nom et l'adresse; et quand un riche a
le beau courage, en le venant consulter, de choisir une ou
plusieurs infortunes à soulager, alors, au moyen d'un carnet
à numéros correspondants , nous lui confions les noms et
adresses, afin qu'il puisse aller lui-même répandre ses bien
faits.

Nous remercions les personnes généreuses qui , depuis


notre dernier numéro, ont secouru de nos familles.

Par suite de la coopération des artistes et d'autres per


sonnes généreuses, on trouve au bureau de la Ruche des
tableaux et autres objets d'art et d'industrie destinés à être
cédés au profit des Familles que nous recommandons.
-> s>s-

R E P R O D U C T I O N.

L'Etoile du peuple (1) a reproduit l'article LA FAMILLE


(contre les crèches.)
(1) Moniteur hebdomadaire du presbytère, de la mairie et de l'école,
publié à Pont-Levoy, près Blois, sous le patronage de plusieurs évêques.
Pie IX le libérateur est abonné à ce journal.
218

LETTRES AUX FRANÇAIS.


IX.

Dieu protége la France pour en


faire l'instrument de la régénéra
tion et de la félicité du monde.

Avant tout, un mot sur l'action sociale des femmes.


Depuis l'instant fatal où les premiers humains, usant mal
de leur liberté, rejetèrent la loi divine pour se livrer à leur ins
tinct, l'homme a considéré la femme comme un instrument de
plaisir passager, et non plus comme l'aide de sa perfection et
de son bonheur; car dans une société où la violence et la force
brutale devaient dominer longtemps, l'esprit subtil de la femme
ne pouvant se développer ni être d'aucune utilité, elle avait,
comme nous l'avons déjà dit, perdu son mérite et son prix aux
yeux d'un maître dont l'orgueil, flatté de l'infériorité de son es
clave, s'élevait alors avec complaisance pour la considérer avec
pitié ou bien avec mépris ; aussi fallait-il toute la science ac
quise par des siècles d'études et de souffrancesjointe à l'influence
civilisatrice de celui qui a dit : Je suis venu pour les faibles,
pour que l'homme appréciât celle qui fut créée pour son bon
heur, et qu'il lui accordât la place honorable qu'elle doit occuper
à ses côtés.
La femme est, dans ce monde, la plus haute expression de
la faiblesse, du sentiment, et de l'esprit subtil; et tant que ces
trois qualités, qui distinguent la femme, ne sont pas appréciées
et protégées comme elles doivent l'être, la société ne peut se
perfectionner, parce que la femme représente les droits et l'ac
tion de tous ceux qui se trouvent dans la même catégorie, et
qu'elle devient la puissance intermédiaire qui leur permet de
produire leur effet ; car sans le respect des faibles et le dévelop
pement du sentiment et de l'esprit subtil, les mœurs ne peuvent
s'adoucir, ni les sciences se perfectionner ; c'est pourquoi du
sort des femmes dépend le sort des peuples ; et si les Français
se placent à la tête des autres nations, ils le doivent surtout aux
nobles et généreux sentiments, qui toujours leur ont fait parti
culièrement apprécier, protéger, et beaucoup aimer les femmes.
219
Aussi le Créateur s'est-il servi quelquefois de leurs faibles
mains pour faire de grandes choses dans ce beau pays de France ;
témoins Jeanne d'Arc et tant d'autres que je ne nommerai pas
ici; car il est juste que ce soit où les femmes sont le plus aimées
et considérées qu'elles donnent le plus de bonheur! En consé
quence, les Françaises, qui se distinguent déjà par tant de bril
lantes et gracieuses qualités, vont-elles bientôt joindre à leurs
charmes puissants un mérite plus solide ; car le moment est venu
où elles comprendront l'importance de la mission qu'elles ont
reçue du ciel ; elles sauront enfin que si l'heure de leur éman
cipation va sonner, c'est pour qu'elles puissent donner aux
hommes l'exemple des vertus qui doivent assurer le bien des
sociétés, afin de leur en inspirer l'amour.
La puissance civilisatrice des femmes est si grande, que dès
qu'elles voudront réellement se conformer à la loi divine, Dieu
leur donnera la gloire et le bonheur de réformer les mœurs, de
convertir les nations à la justice, enfin d'anéantir le despotisme,
car c'est par leur influence et leur concours que les peuples se
ront délivrés.
Mais l'empire des femmes est à cette condition : acquérir un
savoir réel, uni aux plus douces comme aux plus nobles et aux
plus aimables qualités ;leur influence, toute spirituelle et morale,
ne peut exister qu'autant que les hommes, heureux dans toutes
leurs relations avec elles, les jugeront dignes et les jugeront
femmes; car si les deux sexes ont des facultés communes, cepen
dant il existe de telles différences entre eux, qu'il est aussi ri
dicule à une femme de vouloir agir comme un homme, qu'il est
ridicule à un homme de vouloir agir comme une femme ; Dieu
a départi à chacun ses moyens de puissance et ses attributions ;
les confondre, c'est les détruire ; et comme il n'y a aucun mé
rite à posséder les dons du ciel, mais seulement à en faire un
bon usage, le mérite ne pouvant résulter que de l'action libre
de la volonté, il s'en suit que le plus grand des deux sexes,
aux yeux de la raison, est précisément celui qui remplit le mieux
les obligations que lui impose la justice de Dieu pour le bien de
la société et de l'humanité ; et quand les deux sexes feront cha
cun ce qu'ils doivent, alors le génie de la femme s'unira à celui
de l'homme, et ils formeront ensemble ce qn'on appelle l'esprit
220
humain, c'est-à-dire la somme de connaissances nécessaires à
la félicité sans fin de l'espèce entière.
Les femmes, soit comme individu, soit comme espèce, peuvent
et doivent donc lutter de mérite avec les hommes, et l'emporter
sur eux, s'il est possible. C'est une gloire légitime que Dieu leur
permet d'ambitionner et d'acquérir; car c'est en obligeant les
hommes à réfléchir sur leurs erreurs et sur leurs vices, par le
contraste du vrai savoir et de la véritable vertu, qu'elles par
viendront à les rendre meilleurs.
Mais dans cette lutte momentanée entre les deux sexes , il
faut s'attendre à ce que plus les femmes feront d'efforts pour
s'élever, plus les hommes, blessés dans leur orgueil, se dresse
ront d'abord avec fierté pour les abaisser; il faut donc aux femmes
du courage, de la persévérance, et tout ce savoir-faire féminin
qui doit charmer ceux qu'on veut dompter; mais le prix du
combat étant l'émancipation et le bonheur du monde, ce prix
vaut la peine d'être disputé; et si les hommes finissent par se
montrer supérieurs par l'intelligence, le talent et lavertu, quelle
est la femme qui ne sera heureuse et fière d'être surpassée, elle
dont la puissance sympathique l'identifie à tout ce qu'elle aime,
honore et respecte, et la fait jouir des triomphes de ceux qui
lui sont chers, plus que des siens propres ; elle dont le génie ne
peut s'élever à son plus haut degré qu'au moyen des affections
qui la font vivre dans les autres et pour les autres. Ah ! que les
hommes deviennent si grands par la science, le talent et la vertu,
que les femmes soient obligées de confesser leur infériorité, et
telle est l'admirable profondeur des combinaisons de l'Intelli
gence qui les a créés et mis en rapport, que les femmes seront
glorieuses d'être surpassées; car plus les hommes s'élèveront et
plus les femmes seront aimées et appréciées, et plus alors elles
auront d'empire et d'avantages de toutes natures, et plus elles
donneront de bonheur.
A vous entendre, va-t-on s'écrier, on dirait que les femmes
sont parfaites ! Telle n'est pas ma pensée; mais si vous leur
trouvez des imperfections, alors reprenez-les, éclairez leur es
prit en défaut , soutenez leur faiblesse, donnez-leur surtout
l'exemple du bien; c'est une obligation que la justice de Dieu
vous impose si formellement, que le Tout-Puissant vous a punis
221

dès le principe pour ne l'avoir pas accompl ieEh ! ne voyez


vous pas que c'est précisément l'influence intellectuelle et mo
rale d'un sexe sur l'autre qui doit les perfectionner tous deux,
et les rendre dignes enfin des biens que Dieu leur destine ?
Mais revenons à l'émancipation des femmes.
Je sais qu'à ce mot qui fait peur, parce qu'on y ajoute des
idées fausses, et parce qu'il renferme en lui l'idée vague, mais
pressentie, del'émancipation des peuples, c'est-à-dire des faibles;
les sots vont crier au scandale ! à l'anathême! à la révolution !
Eh bien ! oui, puisqu'il faut enfin le dire, l'émancipation des
femmes est le commencement d'une révolution plus radicale, plus
grande et plus complète que toutes celles qu'on a tentées jus
qu'ici; mais que faire à cela ?Puisque c'est Dieu qui le veut, il faut
bien lui obéir ; car enfin, cette grande, juste et légitime
révolution a été prédite et préparée par Dieu méme, au moment
où, s'adressant à l'esprit du mal victorieux, il lui a dit : « Je
« mettrai de l'inimitié entre toi et la femme; entre ta postérité
« et la postérité de la femme, et cette postérité t'écrasera la tête. »
Vouloir empêcher cette révolution, c'est donc vouloir s'op
poser à la justice de Dieu ; et voir cette révolution s'accomplir
après une prédiction qui date de quatre mille ans, est un fait
qui doit donner à penser à ceux qui croient et à ceux qui me
croient pas à l'action d'une justice supérieure.
Mais qu'on se tranquilise sur les dangers de cette révolution
radicale. L'émancipation des femmes, comme celle des peuples,
ne peut s'opérer qu'au moyen de la loi divine; et cette loi anéan
tit le mal en développant les intelligences, les bons sentiments
et les bonnes relations, et non pas en employant la violence ;
c'est par l'union du grand nombre dans la connaissance du vrai
et dans l'amour, la volonté et la pratique du bien, qu'elle établit
son empire. Pour elle, le fer, cet instrument d'oppression que
Dieu avait voulu briser d'avance entre les mains de tous les ty
rans, en disant : tu ne tueras point tes semblables, n'est plus
qu'une arme défensive dans le cas seulementd'une attaque de vive
force, et partout ailleurs un instrument de travail et de richesses.
Plus tard, nous traiterons de ce commandement de la justice
de Dieu : Homicide point ne sera, dont la violation fait, en
grande partie, la puissance de tous les despotismes.
Occupons-nous maintenant de l'émancipation des femmes,
222

puisqu'elle doit concourir à celle des peuples, et, puisqu'enfin


nous avons prononcé ce grand mot d'émancipation, expliquons
le clairement.
L'émancipation absolue serait l'action libre de la volonté,
n'étant soumise à aucune influence étrangère à sa propre force;
mais il n'est pas donné à l'être humain de jouir ici-bas d'un
aussi grand privilège ; il n'a qu'une très petite somme de liberté,
et son mérite consiste à la conquérir pour en faire un bon
usage.
Considéré comme individu isolé, l'être humain n'est libre que
parce que sa volonté peut agir contrairement à son instinct, et
par conséquent le combattre, le maîtriser, l'étouffer selon les
cas ; c'est par ce fait qu'il est modifiable et perfectible, et il n'est
émancipé qu'autant que sa puissance volontaire s'est rendue
maîtresse de sa puissance instinctive ; car tant qu'il est, comme
l'enfant, sous la dépendance de cette puissance instinctive, pre
mier mobile de ses actes, il est dominé et conduit par une force,
une impulsion étrangère à sa volonté propre. Mais comme l'ins
tinct humain a du bon et du mauvais, c'est donc en ce qu'il a
de mauvais seulement, que l'être humain doit le maîtriser; res
ter en ce cas sous sa dépendance , c'est être ce qu'on appelle
esclave des sens, esclave du péché; et comme l'instinct humain,
dans ses effets sur l'intelligence, a toujours, soit directement,
soit indirectement les jouissances, et par suite, les intérêts de
ce monde pour but, il en résulte que l'être humain ne fait sa
propre volonté qu'autant qu'il agit contrairement aux jouissances
et aux intérêts de ce monde , c'est pourquoi il ne s'élève que
par les sacrifices. Ceci est un fait important et grave sur lequel
sa pensée doit s'arrêter, parce que c'est sur ce fait positif, dont
nous avons déjà expliqué la cause dans une autre lettre, que se
fondent la loi divine, le devoir, le droit, le mérite, l'honneur
et la gloire. -

Il est donc un âge où pour devenir libre et avoir du mérite,


l'être humain doit commencer à combattre volontairement son
instinct en ce qu'il a de mauvais, et cet âge est celui où les pas
sions et la raison qui doit les régler se développent, de douze
à vingt-cinq ans. C'est alors qu'il doit s'appliquer à distinguer
le bien du mal, afin de pouvoir choisir entre eux ; et comme le
bien comprend tout ce qui est conforme à la volonté de Dieu,
223
tandis que le mal comprend tout ce qui est eontraire à cette vo
lonté, il s'ensuit que l'être humain ne doit s'émanciper qu'au
tant qu'il est nécessaire pour se conformer à la justice de Dieu ;
autrement il combattrait son instinct pour se placer dans la
classe des imbéciles ou des brigands, c'est-à-dire de ceux qui
n'ont pas l'intelligence de leurs actes, ou de ceux qui veulent
sciemment le mal et l'injustice. Mais comme la loi divine auto
rise l instinct en tout ce qu'il a de bon, elle exige donc bien
moins de sacrifices de l'être humain, que n'en exigerait une li
berté absolue si elle était possible, ou que n'en exigent toutes
les fausses vertus qu'il se crée par orgueil ou bien par sottise,
enfin que n'en exigent les vices auxquels il se livre et qui l'o-
bligent à combattre aussi ses bons et nobles instincts.
Maintenant, considéré comme vivant en société avec ses sem
blables, l'être humain se trouve souvent assujetti, par ignorance,
par ruse ou par force, au bon plaisir des autres. S'affranchir
de cette injuste dépendance par les moyens que la justice dé
termine, est un droit qu'elle lui accorde, et un devoir qu'elle
lui impose ; puisque cet assujétissement l'empêche de se confor
mer à ses règlements : opérer cet affranchissement d'une manière
générale chez une nation, chez plusieurs ou chez toutes, est ce
qu'on appelle l'émancipation sociale et politique préparée et
voulue par la loi divine.
L'émancipation légitime consiste donc pour chacun en par
ticulier et pour tous en général, à rejeter le bon plaisir en tout
et partout, par conséquent à détruire l'ordre social dont il est le
principe ainsi que tous les pouvoirs qui tiennent de lui leur
existence et leur puissance, afin d'y substituer l'ordre social et
les pouvoirs déterminés par la justice de Dieu.
Mais comme il importe, pour agir avec discernement, de bien
connaître d'avance le but qu'il faut atteindre et les moyens d'y
parvenir ; la première chose à faire, ainsi que l'a dit le Christ,
est donc de chercher et formuler la justice de Dieu.
· Mais on doit s'attendre, au moment où les esprits s'occupe
ront de cette recherche importante, qu'il apparaîtra une foule
de systèmes et de sectes, ce dont il ne faut nullement s'inquiéter,
car dès qu'il est défendu par la loi divine de se dire des injures
et de se battre, la diversité des opinions n'est plus qu'un moyen
d'éclairer les esprits par une discussion calme et sérieuse, afin
224
de les amener volontairement et plus vite à l'unité; car la vé
rité ne dépend ni de la volonté, ni du caprice, ni du dire des
hommes, mais de l'existence et de la nature des choses, que tous
les humains sont faits pour connaître, dès qu'ils s'appliquent à
les étudier ; aussi, quand ils cherchent de bonne foi la vérité et
le bien, ils ne peuvent s'égarer longtemps, surtout si ceux qui
connaissent et pratiquent déjà l'une et l'autre emploient les
moyens convenables pour éclairer les esprits; aussi le Christ qui
voyait déjà des sectes se former de son vivant, disait-il à ses
discipesquivoulaient s'y opposer : « Ne vous y opposez pas ;
« il n'y a personne qui fasse des miracles en mon nom, et qui
« puisse en même temps parler mal de moi, car tout ce qui n'est
« pas contre nous est pour nous. »
Quant à ceux qui veulent employerl'injure et la violence contre
les dissidents de leur croyance et de leurs opinions, comme ils
ne sont plus dans les voies de la justice de Dieu, leur doctrine
doit être rejetée sur-le-champ, jusqu'à ce qu'ils rentrent dans les
voies de cette justice.
Maintenant, mesdames, car c'est à vous que je m'adresse en
ce moment, si vous voulez vous émanciper, c'est-à-dire n'être
plus assujéties au bon-plaisir des hommes, il faut commencer
par chercher la justice de Dieu afin de vous y conformer volon
tairement; il faut combattre tous vos mauvais penchants; enfin
il faut vous aimer et vous unir, pour faire tout le bien qui est
de votre compétence. C'est alors, qu'appuyées sur Dieu même,
vous deviendrez fortes et finirez, chacune en particulier et toutes
ensemble, par prendre un tel ascendant sur les cœurs et les
esprits, soit dans vos familles, soit dans la société, qu'au lieu
d'être asservies, c'est vous qui aurez l'influence supérieure; car
on aime l'empire des femmes quand il est digne, parce que,
n'ayant en leur pouvoir aucun moyen de violence, les femmes ne
peuvent dominer que sur le cœur et l'esprit, et qu'en leur cé
dant, on ne cède alors qu'aux plus doux ou aux plus nobles
sentiments.
C'est ainsi, mesdames, que peu à peu, mais plus vite qu'on
ne pense, à force de mérite vous exercerez le pouvoir légitime
que Dieu vous destine, et que vous obtiendrez la réforme des
idées et des mœurs (principe essentiel et absolu de celle de
toutes les mauvaises institutions); et c'est ainsi que vous con
225

courrez puissamment et efficacement à l'émancipation et au bon


heur des nations.
Mais songez bien que sans la vérité et la justice, vous n'aurez
aucune influence sur la réforme sociale ; parce que les hommes,
blessés de vos aspirations à l'indépendance et à la supériorité,
se feront un malin plaisir de critiquer ce que vous direz et ferez,
afin de vous blâmer, vous abaisser et vous humilier ; c'est leur
droit, car c'est précisément cet examen sévère qui vous élèvera
à leurs yeux, si vous avez raison, et qui les forcera à rentrer
en eux-mêmes pour y chercher aussi la vérité et la justice. C'est
donc à force de savoir, de vertus et de grâces, que vous pren
drez de l'empire sur eux. Tout autre pouvoir n'est qu'un moyen
de démoralisation dont vous seriez toujours les premières vic
times; parce que la démoralisation conduit forcément à l'emploi
et à l'abus de la force, et que l'emploi et l'abus de la force
amènent nécessairement l'asservissement des faibles ; cherchez
donc la vérité et la justice qui sont les moyens de votre puis
sance. Dieu attend de vous ce grand travail de régénération,
qui sera le signal d'une impulsion générale vers le bien.
Mais prenez garde, en cherchant la justice, de confondre
celle de Dieu avec celle des hommes, car il serait dangereux de
s'y méprendre ; puisque les lois que les hommes ont faites, et
qu'ils qualifient aussi du beau nom de justice, sont toujours le
bon plaisir caché sous un titre respectable et vénéré pour le rendre
plus puissant. Mais il est un moyen facile de distinguer ces deux
justices ; celle du Tout-Puissant permet l'examen; parce que
ses motifs, son but et ses moyens étant toujours déterminés par
la nature des choses, elle s'adresse à la conscience et à la raison,
d'où vient que le Christ a dit : Tout ce qui vient de Dieu ne
craint pas la lumière. Tandis que la justice des hommes, n'ayant
jamais que l'erreur et le bon plaisir pour base, et le caprice ou
les intérêts particuliers pour règle et pour but, ne peut suppor
ter cet examen réfléchi ; aussi elle le defend toujours.
Examinez donc avec soin tout ce qu'on vous enseigne, et
quand on s'oppose à ce libre examen, dites alors hardiment que
c'est une science ou une doctrine erronée, vicieuse, fautive,
mauvaise, qui ne vient pas de Dieu, et qui doit être rejetée :
car il n'est de respectable, de saint et de sacré que la vérité et
la justice. Employez tour à tour la raison et la plaisanterie pour
226

réfuter l'erreur ; moquez-vous de tous ceux qui ne veulent on


n'osent pas examiner leurs doctrines; c'est ainsi que vous obli
gerez chacun à se rendre compte de la vérité, que vous chan
gerez la disposition des esprits, et par suite la face du monde.
A l'œuvre donc, mesdames, que les plus intelligentes et les
plus dignes se mettent à la tête de ce grand mouvement de ré
forme, les autres suivront.
Je ne vous demanderai pas de quelle religion vous êtes pour
travailler à cette œuvre de régénération ; car , d'un côté , les
femmes chrétiennes seules, sont capables d'y concourir, puisque
l'action sociale des femmes est neutralisée sous l'empire des
autres lois; et voyez déjà la différence qui existe entre la véri
table et les fausses religions ; quand aux femmes qui n'ont point
de religion, elles ne peuvent arriver qu'à la négation du bien,
et ne s'élèveront jamais assez pour avoir une grande influence.
Enfin, d'un autre côté, le Christ lui-méme a autorisé toutes les
sectes en leur commandant de chercher la vérité et la justice,
parce qu'il savait que l'Eglise ou société qui contiendrait l'une
et l'autre entièrement, finirait par absorber les autres au moyen
de ce travail d'esprit ; il suffit pour cela qu'elle fasse briller
ses lumières et ses bonnes œuvres aux yeux du monde. Or,
cette Église doit aussi produire les femmes les plus éclairées,
les plus capables et les plus dignes, afin de se servir de leur
influence intellectuelle et morale, pour purifier les mauvaises
mœurs, principe de tous les maux de la société ; c'est ainsi que
Cette Eglise , en attribuant à chacun les fonctions qui lui con

viennent, et en donnant à tous les biens et le bonheur que la


justice doit répandre, établira son empire universel sans vio
lence, et qu'elle assurera enfin la paix et la prospérité de l'hu
manité entière.
V° MIEsvILLE,
fleuriste.
|

SI J'ETAIS R0THSCHILD.
Oh ! si j'étais Rothschild ! si j'avais ces trésors
Qui croulent par monceaux dans de grands coffres forts,
227
Je voudrais que mon nom fût par la voix des sages,
Porté de siècle en siècle en traversant les âges ;
Que dessillant les yeux frappés de cécité,
Il fût en tous les temps avec bonheur cité,
Et que dans deux mille ans, époque où sur la terre
Auront mûri les fruits de l'arbre trinitaire,
Le poête conteur ainsi parlât de moi :
« Dans le temps où la France avait son dernier roi,
« Il existait un homme aux richesses immenses,
« Chez qui l'or se pesait dans de vastes balances,
« Tant chez lui ce métal allait multipliant !
« Crésus auprès de lui n'était qu'un mendiant.
« Il eût fait contenir le pactole en sa coupe,
« Pour parer un plafond que l'acanthe découpe ;
« Il eût pu mettre un lustre orné de diamants
« Qui jetât aux regards des éblouissements ;
« Pour éclipser le luxe empreint aux Tuileries,
« Il eût de lingots d'or pavé ses écuries !
« Pour se faire un collier de diamants royaux,
« Il eût des empereurs acheté les joyaux !
« S'il avait habité Bagdad ou bien Golconde,
« Il aurait pu payer les princesses du monde
« Pour s'en faire un harem ! Ce qui ne prouve pas
« Qu'il eût eu des beautés aux sémillants appas ;
« Pour porter ses trésors vers de lointaines terres,
« Il aurait pu charger dix mille dromadaires,
« Et d'un souffle envoyer jusqu'à Ptolémaïs
« Cent vaisseaux à trois ponts de ses trésors remplis ;
« Enfin il aurait pu, dans un élan sublime,
« Rebâtir pour les juifs la ville de Solyme
« Détruite par le fer des soldats de Titus,
« Et relevé de Dieu les temples abattus !....
« Sa richesse était donc immense, incalculable,
« Comme au bord de la mer les vagues et le sable.
« Or, cet homme, bien plus riche que Jacques-Cœur,
« Ce roi de la finance avait un noble cœur.
« Alors ce n'était pas comme au temps où nous sommes;
« L'égoïsme et l'orgueil divisaient tous les hommes ;
« L'échelle sociale avait tant d'échelons -
228

« Qu'elle aurait entouré ce globe de jalons !


« Et chaque homme voulait arriver jusqu'au faîte,
« Et posait sans pitié son pied sur une tête
« Chaque fois qu'il montait un échelon de plus ;
« Les hommes sans fortune étaient des corps perclus
« Servant de marche-pied aux Caïn de cet âge,
« Qui des biens d'ici-bas n'admettant nul partage
« Plantaient dans chaque part leurs ongles de lion ;
« Car l'honneur n'était rien sans un petit million !...
« Or, dans ce temps sans mœurs, égoïste et barbare,
« Un riche vertueux était chose si rare
« Que tel à son zénith le disque du soleil,
« Sur son siècle il brillait d'un éclat sans pareil.
« Ainsi brilla Rothschild dans ces temps de souffrance ;
« De tous les indigents il fut la providence ;
« A son humanité donnant un libre essor,
« Il faisait présager déjà notre âge d'or ;
« Il marchait radieux comme autrefois Moïse ;
« Son or était la clé de la terre promise
« Où tous les malheureux entraient à tout moment
« Pour cueillir le fruit mûr ou l'épi de froment,
« Et sans distinction de culte ou de bannière
« A tout homme il ouvrait la porte hospitalière.
« Un jour, jour que l'histoire a déjà tant cité,
« Le pain allait manquer dans la grande cité,
« Ce Paris, plein de bruit, comme une mer qui gronde,
« Dont le glaive jetait des éclairs sur le monde !
« Et voilà qu'aussitôt de grands chars attelés
« De chevaux vigoureux et de bœufs accouplés, .
« Entrent chargés de grains dans cette immense ville
« Où fumait le brandon de la guerre civile.
« A l'aspect de ces chars le grand trouble cessa ;
« Le peuple avait du pain, le peuple s'apaisa.
« Qui venait de calmer ce fleuve populaire
« Prêt à lancer au ciel sa houleuse colère ?...
« Rothschild ! qui fût nommé roi de la charité
« Par un peuple foulant aux pieds la royauté !
« Une nuit, nuit d'automne au voile taciturne,
« La Loire à flots pressés fit déborder son urne ;
229

« L'alcyon effrayé déserta les roseaux ;


« Les peupliers, fauchés par la fureur des eaux,
« Bondirent dans la Loire en longeant le rivage,
« Comme de grands boas dans un fleuve sauvage !
« L'aquillon furieux, qui va jetant l'effroi,
« Aux cloches des hameaux fit sonner le beffroi ;
« A ces soufles puissants les flots se soulevèrent,
« Et sous leur choc fougueux les digues se crevèrent ;
« Et voilà qu'en un val au côteau verdoyant
« Les vagues en courroux roulent en aboyant,
« Et se dressant alors comme de blancs fantômes,
« D'un humide linceul enveloppent les chaumes,
« Dégradent les parois, ébranlent les maisons
« D'un village endormi sur ses riches moissons ;
« Chaque habitant laissant sa demeure natale,
«S'enfuyait effaré devant l'onde fatalel
« Les uns sans vêtements, sans toits hospitaliers,
« Cachaient leur nudité dans l'ombre des halliers ;
« Et les enfants pieds nus grelotant sur la plage,
« Regardaient en pleurant le clocher du village :
« C'était affreux d'ouïr ces cris et ces sanglots
« Où se mêlait le bruit de l'orchestre des flots !
«Mais voilà que soudain les cris d'effroi s'apaisent ;
« Le pain ne manque plus et les douleurs se taisent ;
« Les maisons que le fleuve emportait en débris
« Relèvent sous le ciel leurs généreux abris ;
« Un soufle caressant éloigne les nuages
«Qui de pleurs inondaient tant de mornes visages ;
« La joie est revenue au sein de tout foyer ;
« Le malheur fuit, le peuple est près de l'oublier.
« Quelle angélique voix vint calmer ses alarmes ?
« Et quelle était la main qui sécha tant de larmes !
« Rothschild ! qui fut nommé roi de la charité
« Par un peuple foulant aux pieds la royauté !
« Or, ce roi des Crésus, Atlas de la finance,
« Qui dans ses débiteurs comptait des pairs de France,
« Des comtes, des marquis, des rois, des empereurs,
« Mettait toute sa joie à calmer des douleurs.
« Au lieu de dépenser follement ses richesses
230

« Enjoyaux qu'on suspend au cou de ses maîtresses,


« Il montait chaque jour dans de tristes greniers
« Où des pauvres, cachés comme des prisonniers
« Qu'en ces temps on jetait sur un grabat de paille,
« Se tenaient accroupis le dos à la muraille,
« Attendant que la mort, ce squelette sans yeux,
« Les jette sans linceul dans la fosse des gueux !
« On eût dit qu'il avait la baguette des fées ! |

« A son aspect les cris, les plaintes étouffées,


« Faisaient place à des chœurs de bénédiction,
« La douleur se changeait en exaltation,
« En délire joyeux, en concerts de louanges,
« Car il portait au front l'auréole des anges ;
« Partout où la misère en haillons s'asseyait,
« Il entrait !... la misère aussitôt s'enfuyait !...
« Ne prêchant pas le bien en pompeuses paroles,
« Comme on faisait alors ; il créait des écoles
« Pour l'éducation des jeunes plébéiens,
« Qui devenaient plus tard de dignes citoyens ;
« Créait des ateliers, où, lui rendant hommage,
« Les travailleurs étaient à l'abri du chômage ;
« Puis il encourageait les sciences, les arts.
« Dans l'ombre de l'oubli plongeant ses longs regards,
« Il guettait le génie encore chrysalide,
« Le réchauffait d'espoir dans sa prison humide,
« Jusqu'au jour où prenant son virginal essor, -

« Le papillon divin ouvrait ses ailes d'or.


« Aussi quand ce grand homme abandonna la vie,
« Il ne fut point hué par la haine et l'envie ;
« La foule se pressa vers son lit sans splendeur,
« Répandit sur ses pieds des larmes de douleur ;
« Philosophes, rêveurs, peintres et statuaire,
« Pleurèrent à genoux sur son lit mortuaire,
« Puis le firent revivre en statue, en tableau ;
« Le poète choisit le rôle le plus beau ;
« Doué du feu sacré qui donne le délire,
« Il réveilla son âme aux accents de sa lyre,
« La fit parler tout haut dans de divins accords,
« Pendant que le pinceau ressuscitait le corps :
231

« Tel fut ce noble cœur au nom trois fois sublime,


« Devant qui le néant a fermé son abîme ! »

Que ne suis-je Rothschild l que n'ai-je ses trésors


Qui débordent à flots de ses grands coffres forts !
Oh ! ma main sècherait bien des larmes amères !
Mon or réjouirait bien de ces pauvres mères
Qui pressent leurs enfants sur leurs seins amaigris,
Seins qui n'ont plus de lait pour apaiser leurs cris,
Dans bien des yeux en pleurs, où tout espoir se noie,
Mon or allumerait le foyer de la joie ;
Car, semer des bienfaits parmi la pauvreté,
C'est semer dans les champs de l'immortalité !..
Faire la charité ? Je ferais mieux encore !
Non l l'aumône dégrade et le travail honore !
Je voudrais réunir en cercle fraternel
Des gens de tous métiers sous mon œil paternel,
Où chaque travailleur, libre dans son ménage,
N'eût pas à redouter concurrence et chômage ;
Un cercle fraternel, dis-je encore, où chacun
Apportât son ouvrage en un centre commun ;
Où chaque plébéien, qu'au joug on veut soumettre,
Travaillât pour lui seul et non plus pour un maître ;
Où chaque objet sortant des mains du producteur,
Allât directement chez le consommateur.

L'Ouvrier voit toujours le tiers de son salaire


S'arrêter dans les mains d'un intermédiaire,
D'un vil spéculateur, sordide fainéant,
Harponnant les écus de ses doigts de Normand !
Pareil à la sangsue enflée, inassouvie,
Qui dans le sang humain vient pour pomper la vie !
De la sueur du peuple il s'abreuve toujours ;
Des jours qu'il lui retranche il allonge ses jours ..
J'écraserais du pied cet aquatique immonde
Qui serpente en zig-zag dans la source féconde,
Dans la source du Peuple où tant de paresseux
Viennent boire et ternir ce frais miroir des cieux !
232
Alors des travailleurs changeant la destin ée,
Mon cercle social grandirait chaque année !
La joie y brillerait comme au printemps les fleurs ;
Les sourires d'amour remplaceraient les pleurs ;
Et, comme le soleil parcourant sa carrière,
Ses rayons fraternels inonderaient la terre !....
BARRILLoT,
ouv. imp. lithographe.

-©8&G8g-—

Banquet typographique,
Chaque année, la typographie s'est réunie dans le mois
de septembre pour fêter l'accord qui existait entre les maîtres
et les ouvriers de cette profession dotée d'un tarif de prix
de main-d'œuvre discuté, voté et accepté par les deux par
ties.
Quatre banquets avaient eu lieu dans le plus grand ordre,
à la satisfaction de tout le monde ; les ouvriers y assistaient
en plus ou moins grand nombre chaque fois, selon que le tra
vail avait été rare ou abondant. On faisait des efforts pour se
trouver à cette réunion, où l'on espérait rencontrer d'anciens
amis, des camarades. Un jour par an consacré à la frater
nité, ce n'était pas trop, tel était notre avis, du moins. M. le
préfet de police en a décidé autrement : il a rayé ce jour.
Cette décision brutale, non motivée, nous a tous surpris,
étonnés, indignés. Quelle est la raison de ce refus? nous l'i-
gnorons ; mais il en est une, il doit en exister une. Il nous
convient de la rechercher.
Les deux premiers banquets se sont faits librement, sans
permission : pas de désordre, pas de cris.
Le troisième banquet se prépare dans les mêmes conditions.
Les ouvriers se dirigent au lieu du rendez-vous ; mais à la
porte du restaurateur sont placés des sergents de ville qui
en défendent l'entrée On se retire dans le plus grand ordre
avec la résolution de demander une autorisation, qui est ac
cordée quinze jours après, mais à la condition de soumettre
les tostes au préfet de police qui, après examen, permet de
233

ne prononcer que les titres. On se soumet. Ici encore pas


de désordre, pas de cris. -

L'année suivante, la permission est demandée, aussitôt


accordée. Le préfet de police ne veut même pas voir les
tostes ; cette fois, il s'en rapporte à nous entièrement. Cette
confiance est méritée. Pas de désordre, pas de cris.
Le cinquième banquet s'organise. Le préfet est toujours
favorable à notre demande ; il promet l'autorisation ; la seule
condition qu'il impose, c'est l'adhésion de trois maîtres à
notre banquet : on lui en apporte six. Alors un de ses agents,
à la grande surprise des commissaires ouvriers, refuse la per
mission. On demande à parler au préfet de police; on répond
que cela est impossible, que la défense est faite par mesure
d'ordre. Les commissaires ouvriers, sur la promesse itérati
vement faite, avaient en toute confiance préparé le banquet.
Il n'était plus possible de remettre à un autre jour. Il fut
décidé que le banquet aurait lieu chez un particulier qui, au
dernier moment et par crainte, retira sa parole. On dut cher
cher un autre endroit. M. Gerdès, maître-imprimeur, mit
à notre disposition un assez vaste enclos, où on éleva une
tente, on établit des tables. Pour avertir les invités de ce chan
gement, plusieurs de nos confrères se placèrent, à différentes
distance, à l'intérieur et à l'extérieur de la barrière. L'une
de ces sentinelles ouvrières fut fouillée par les agents de po
lice qui connurent, par ce moyen russe, le lieu de la réunion.
A peine les travaux étaient-ils terminés, que de l'enclos
nous entendons le bruit des armes ; puis, deux commissaires
de police accompagnés de gendarmes, de sergents de ville,
entrent dans la propriété de M. Gerdès, absent. On entoure
ces gens inattendus, qui sont conduits, entourés par tous
les ouvriers, jusqu'à l'extrémité de l'enclos. Ils commandent
la dispersion de toutes les personnes présentes. — De quel
droit? leur demande-t-on ; nous sommes dans une maison
privée, et non dans un endroit public; vous êtes en violation
de propriété. — Nous avons des ordres du préfet de police.—
Lisez ces ordres. Un des deux commissaires donne lecture
de cette pièce étrange, qui, dans sa première partie, n'est
valable que pour le Petit-Montrouge. Tout le monde ré
clame.-Attendez, disent les agents.— On continue la lec
234
ture. — Vous êtes accusés de vous réunir pour discuter vos
intérêts.-C'est faux, s'écrie-t-on de toute part; cela ne nous
concerne pas.-Attendez, redisent les agents. Et nous enten
dons ce curieux passage qui ne permettait plus de doute:
vous aurez à dissoudre les ouvriers imprimeurs partout où
ils se réuniront. Après la lecture de ce chef-d'œuvre d'arbi
traire les agents n'ont plus qu'un souci, celui de disparaître.
La foule les accompagne en protestant. Au moment où ils
allaient franchir la porte, des voix énergiques réclament le
procés-verbal de toutes ces vexations incompréhensibles.
Après avoir hésité quelque temps, les agents s'exécutent. En
approchant des tables, un commissaire de police s'écrie :
Entourez-nous gendarmes, qu'on ne nous étouffe pas. Tout
, le temps de la rédaction de ce procès-verbal, qu'on discute
mot à mot, on interpelle des agents, on leur oppose la loi ;
ils répondent sans cesse ces refrains : Ce sont nos ordres ;
nous ne sommes que des instruments. — J'ai assisté à vos
banquets, dit l'un des deux commissaires, je sais que la plus
grande tranquilité a toujours régné parmi vous; si cela dé
pendait de moi, je vous laisserais faire ; mais nos ordres sont
précis.
M. Gerdès arrive , demande des explications aux agents
qui relisent l'ordre de dissoudre les ouvriers imprimeurs.
M. Gerdès fait inscrire au procès-verbal sa déposition. Nous
sortons tous, par groupe, nous rendant, espérant être plus
heureux, dans l'ancienne maison Tonnelier, chaussée du
Maine ; on se place au premier, dans les chambres, dans le
jardin; la division s'opère par huit, dix ou douze, selon que
le comporte la longueur des tables. On espère ainsi pouvoir
déjeuner, lorsqu'apparaisent encore une fois les fâcheux com
missaires de police, accompagnés d'un détachement de sol
dats qui se sont multipliés chemin faisant. Nouvelle somma
tion en termes provocateurs. On ne se presse pas de sortir ;
on plaint les soldats , on leur offre du vin qu'ils acceptent
avec empressement. Enfin, après des allées et venues, on par
vient à se réunir près de trois cents dans une maison de la
barrière, et là se consomma le banquet. Voilà les faits.
Nous avons vu que chaque banquet s'était passé sans dé
sordre, sans cri, et que la confiance de M. le préfet de police
235

croissait toujours, au point qu'il avait renoncé à prendre


connaissance des tostes qui devaient être portés ; nous
avons vu encore qu'au cinquième banquet, il avait promis
l'autorisation à plusieurs reprises ; puis tout à coup, au mo
ment décisif, trop tard même, il refuse net.
M. le préfet craignait-il des discours séditieux, des dis
cussions d'intérêts, des appels à la révolte, des tostes à la
probité politique, à la moralité, des manisfestations éner
giques contre les concussionnaires, contre de grands cou
pables, des dissertations sur les moyens propres à obtenir
des privilèges de théâtre, des concessions de mines , des
ventes de projets de loi, etc., etc.? Si vous craigniez cela,
monsieur, que ne demandiez-vous à voir les tostes , comme
vous aviez fait il y a deux ans, on vous les eût soumis. On
a accepté une fois la censure préfectorale, souvenez-vous-en,
monsieur; pourquoi, puisque vous aviez des craintes, n'avez
vous pas demandé communication des discours ? ainsi garanti
des paroles anarchiques, vous n'auriez pas eu de mesure
d'ordre à prendre, la commune de Vaugirard n'aurait pas été
troublée, les soldats se seraient reposés de leur fatigue, les
commissaires auraient pu se livrer à leurs occupations habi
tuelles, et notre banquet se serait passé convenablement,
avec la certitude de recommencer l'an prochain.
Mais il reste ce point à éclaircir , il est très important,
peut-être nous mettra-t-il sur la voie : pourquoi avez-vous
changé d'avis subitement , M. le préfet ? Si nous ne nous
trompons, et cette opinion est partagée, vous avez cédé aux
inspirations étrangères, on cite même un nom ; vous avez
servi, sans vous en douter peut-être, les rancunes des maîtres,
rancunes qui sont nées à propos des prud'hommes, contre
lesquels les ouvriers ont écrit partout et protesté, et avec
raison. Ce rôle-là conviendrait il à un magistrat ? C'est à vous
à en juger, M. Delessert.
Qui comprendra le refus d'autoriser un banquet annuel
où l'on a donné constamment des preuves de sagesse, en pré
sence des banquets dont nous lisons chaque jour, dans les
journaux, les programmes, le lieu, l'heure et les discours
que l'on y prononce ? Cette différence n'existe pas dans la loi,
car il est de principe qu'elle est égale pour tous; mais cette
236

égalité ne concerne peut-être que ceux qui ne sont pas ou


viers? Ce serait une distinction à établir par un de ces bril
lants sophistes qui ne manquent jamais aux gouvernements
qui luttent contre les peuples. N'est-ce pas cette race qui a
fait condamner Socrate à mort ?
Maintenant, examinons la question de droit.
Les agents du pouvoir exécutif, en dissolvant la réunion
des ouvriers typographes, étaient-ils dans la légalité?
Les ouvriers avaient-ils enfreint la loi du 10 avril 1834 sur
les associations ?
Ces questions doivent être résolues, afin que les ouvriers
de toutes les professions sachent définitivement s'ils peuvent
ou ne peuvent pas se réunir sans la permission des autorités
qui prouvent de plus en plus leur malveillance à l'égard des
ouvriers.
Produisons la loi sur les associations, et discutons-en les
termes :

ART. 1" Les dispositions de l'article 291 du Code pénal, sont


applicables aux associations de plus de vingt personnes, alors
même que ces associations seraient partagées en sections d'un
nombre moindre, et qu'elle ne se réuniraient pas tous les jours
ou à des jours marqués. — L'autorisation donnée par le gou
vernement est toujours révocable.
ART. 291. Nulle association de plus de vingt personnes, dont
le but sera de se réunir tous les jours ou à certain jours mar
qués pour s'occuper d'objets religieux, littéraires, politiques ou
autres, ne pourra se former qu'avec l'agrément du gouverne
ment et sous les conditions qu'il plaira à l'autorité publique d'im
poser à la société.
ART. 292. Toute association de la nature ei-dessus impri
mée, etc., etc.
Tout cela est élastique ; cependant la limite est tracée
entre ce qui est défendu et ce qui ne l'est pas. Ces articles
ne posent pas en fait que toute réunion est interdite si elle
n'a pas l'agrément du gouvernement; l'article 291, qui est
complet, on vient de le lire, dit que nulle association de plus
de vingt personnes, dont le but sera de se réunir, etc. , ne
pourra se former sans l'agrément du gouvernement, Il y a
là évidemment deux choses distinctes, qu'on se plaît à con
fondre : la réunion et l'association. L'association a un carac
257

tère particulier; c'est une convention faite entre plusieurs


personnes ayant un but commun ; c'est la communauté d'idée
qui caractérise l'association, mais non une simple réunion ;
card hom m >s pe Iv ºnt être associés sans jamais se réunir,
de même ils peuvent se réunir sans être associés. Ces deux
cas ne sont pas rares. L'intention du législateur n'est pas
douteuse, puisqu'à chaque ligne il se sert du mot association,
autrement il aurait employé les deux termes afin de ne pas
établir de confusion dans la loi qui, du reste, est toute poli
tique.
L'article 3 démontre clairement la volonté du législateur :
« ART. 3. Seront considérés comme complices et punis comme
« tels, ceux qui auront prêté ou loué sciemment leur maison
« ou appartement pour une ou plusieurs réunions d'une Asso
« CIATIoN non autorisée. » Il est bien évident que ce n'est
pas une réunion qu'on défend ; mais on ne veut pas qu'une
association s'occupant d'objets religieux, politiques, etc. ,
puisse se réunir sans permission. Mais encore une fois, la
loi n'empêche pas des hommes, qui ne sont point associés,
de se réunir en un banquet.
Donc, avant de dissoudre la réunion des ouvriers typo
graphes , il aurait fallu les accuser de former association,
mais cette accusation ne pouvait être portée, car l'association
n'existait pas.

Ainsi, M. le préfet de police, pour avoir délivré son man


dat, les commissaires pour l'avoir exécuté, ont commis un
abus de pouvoir, une illégalité.
Ainsi, les ouvriers, en se réunissant dans une propriété
privée à l'effet pur et simple de déjeuner, étaient complète
ment dans leur droit, leur résistance eût été légitime.
Telle est notre conclusion ; nous la croyons conforme à
la loi dans son esprit et dans sa lettre : nous engageons donc
tous les ouvriers à se bien pénétrer de ce droit-là , et à en
UlS6I'.

Nous mentionnerons ici avec plaisir les journaux qui ont


défendu, à propos du banquet typographique, l'égalité de
tous les Français devant la loi, quels que soient d'ailleurs
leurs titres et leurs rangs :
238
La Réforme, le Constitutionnel, le National, le Commerce,
le Courrier Français, l'Union Monarchique, le Charivari,
le Corsa e, le Siècle, la Patrie.
CoUTANT,
compositeur.

« La France officielle est une caverne où l'air n'est plus


respirable. »
(M. TUJA, conservateur, conseiller de préfecture
de la Haute-Loire.—1847.)

Nous reproduisons la dernière chanson que M. Béranger


a livrée à la publicité; c'est un des beaux succès populaires,
comme, du reste, le poète national en a tant obtenus. Cette
chanson fera partie de la belle édition illustrée que publie en
ce moment M. Perrotin.

LE DÉLUGE.
Toujours prophète, en mon saint ministère,
Sur l'avenir j'ose interroger Dieu.
Pour châtier les princes de la terre,
Dans l'ancien monde un déluge aura lieu.
Déjà près d'eux, l'Océan sur ses grèves
Mugit, se gonfle; il vient, maîtres, voyez !
Voyez ? leur dis-je. Ils répondent : tu rêves.
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Que vous ont fait, mon Dieu, ces bons monarques ?
Il en est tant dont on bénit les lois.
De jougs trop lourds si nous portons les marques,
C'est qu'en oubli le peuple a mis ses droits.
Pourtant les flots précipitent leur marche
Contre ces chefs jadis si bien choyés.
Faute d'esprit pour se construire une arche,
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Qui parle aux flots ? Un despote d'Afrique,
Noir fils de Cham, qui règne les pieds nus.
Soumis, dit-il, à mon fétiche antique,
Flots qui grondez, doublez mes revenus.
239

Et ce bon roi, prélevant un gros lucre


Sur les forbans à la traite employés,
Vend ses sujets pour nous faire du sucre.
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Accourez tous ! crie un sultan d'Asie :
Femmes, visirs, ennuques, icoglans.
Je veux, des flots domptant la frénésie,
Faire une digue avec vos corps sanglants.
Dans son sérail tout parfumé de fête,
D'où vont s'enfuir ses gardes effrayés,
Il fume, il bâille, il fait voler des têtes.
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
Dans notre Europe, où naît ce grand déluge,
Unis envain pour se prêter secours,
Tous ont crié : Dieu, soyez notre juge !
Dieu leur répond : Nagez, nagez toujours.
Dans l'Océan ces augustes personnes
Vont s'engloutir : leurs trônes sont broyés.
On bat monnaie avec l'or des couronnes.
Ces pauvres rois \bis), ils seront tous noyés.
Cet Océan, quel est-il, ô prophète !
Peuples, c'est nous affranchis de la faim ;
Nous, plus instruits, consommant la défaite
De tant de rois inutiles enfin.
Dieu fit passer sur ces fils indociles
Nos flots mouvants si longtemps fourvoyés ;
Puis le ciel brille et les flots sont tranquilles.
Ces pauvres rois (bis), ils seront tous noyés.
BÉRANGER.

« Qui a des oreilles pour entendre, entende ! ! ! »


(EvANGILE.)
240
ERRATUM DU N° D'AoUT.
Deux vers ayant été omis à la page 191, nous rétablissons
ici le sens :
PIERRoT à PoLICHINELLE.

Qu'avez-vous fait pour moi ?


Quelle reconnaissance est-ce que je vous doi?
Quand avez-vous donné preuve de savoir faire,
Et sur quelle question ? Est-ce sur le salaire ?
Tout de ce côté-là, rappelez-vous le bien,
Se résume en un mot : ce mot fameux c'est RIEN !
(PoLiCHINELLE f it un geste de surprise ;
PIERRoT se retournant.)
« Ce que je vous dis-là, ce n'est point choses vaines,
« Car le peuple connaît sa misère et ses chaînes ;
L'avez-vous soulagé du lourd surcroît d'impôts
Qui grève son travail? Hélas! deux simples mots :
RIEN, vous ne faites RIEN ! La pauvreté hideuse
Ronge le travailleur; mais votre âme peureuse
Prétend le maintenir en le privant de tout...

ALVE OL E S.

Dernièrement, en passant rue de Bretagne, un ouvrier


entendit ce colloque entre deux marchandes à l'éventaire :
Bin ! sais-tu ça, toi, que l'homme de c'te pauv'Louise
l'a battue, mais.... battue.... presqu'à mort, quoi !
— Non, j'en savons rien ! pourquoi donc ?
— Ah ! pourquoi.... on dit d'une sorte, on dit d'une autre.
Pardié ou sait bin que l'mari n'est pas bon ; pourtant faut
dire aussi qu'il a beau faire, ine trouve pu d'ouvrage nulle
part, c't'homme.... Is font la mine, tu pense ; Louise est un
peu criarde, on s'fait des reproches, tout ça vous rend d'mau
vaise humeur. Et puis tu sais , qué misère qui a là d'dans !
qué désolation ! On n'a pas c'qui faut, pas vrai ; bin pour
lors on s'chicane pour rien, on arrive aux coups tout d'suite,
quoi !...
— Tiens vois-tu, Nanette, l'diable est à la porte des pauv'
ménages....
Le Gérant, F. DUQUENNE.

lmprimerie DoNDEY-Dur Ré, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


· TABL E.
Pag.
Reeommandation d'infortunes intéressantes.. ... ...................... 193
Lettre adressée au Comité de la Ruche............. - - - - - - - - - • • • • • • - -
193

Projet d'association entre les travailleurs, par M. Isidore GRIsIER, négociant. 194
Vieil état de société..................... .................. - - - - - -
207
MYSTÈREs DEs ATELIERs. – Lettre de M. J. Maflon. - Lettre de M. Lemaistre. 208
Vol Par misère. .. .. .. ... ....................................... 210

Correspondance. - A Monseigneur Denis-Auguste Affre, archevêque de Paris.


Coutant.. ... · · · · · · · · · · · .. ... .... ... .............. , .... • • • • • • 212

OEuvre de fraternité. .. .. ... .. .. .. .. ... ... , ... ... ... ... .......... 217
Remercîments aux bienfaiteurs.. ... .. .. ............................ 217

Tableaux et autres objets d'art et d'industrie pour les familles............ 217

Reproduction.. .. ... » . .. .. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • . .. - -
217
LETTREs AUx FRANÇAIs. IX. Madame V° Miesville. .. .. . - - - - - • - - - • • - - - - - - 218

Si j'étais Rothschild, poésie par Barrillot, ouv. lithographe. ......... > - - -


226

Banquet typographique (1847.) Coutant, ouv. typog...... ............. 226

La France officielle est une caverne. (M. Tuja, conseiller de préfecture)...


Le Déluge, chanson nouvelle par M. Béranger...... • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 238
ALVÉoLEs . .. ... . .. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 24()

-56G--

LA RUCHE PoPULAIRE, qui date de décembre 1839, forme tous


les ans un volume de 3 à 400 pages.

· PRIX DE L'ABONNEMENT.
A PARIs : 6 francs par an. — DÉPARTEMENTs : 7 fr.
HoRs FRANCE : 10 fr. par an.

· (Affranchir.)
O se s'a boss »a e à Pau • i s
Au Bureau de la Ruche, rue Vieille-du-Temple, 75, au Marais.
Chez M. BoRDIER , libraire, même rue, n. 75 (Dépôt du journal.)
AUBERT ET Ce, édit. d'estampes et du journal les MoDEs PAR'sIENNEs .
29, place de la Bourse.
ALLIANCE DEs ARTs (Agence spéciale pour expertise, collection et vente
de tableaux, etc. ), 178, rue Montmartre.
Au bureau du SIÈCLE, 16, rue du Croissant,
Au bureau de la RÉFoRME, rue J.-J.-Rousseau, 3.
Au journal l'UNIoN MoNARCHIQUE, 4, rue du Bouloy.
Au bureau de LA SEMAINE, 6, rue Saint-Marc-Feydeau.
Au bureau de la DÉMocRATIE PACIFIQUE, rue de Beaune, 2.
Au bureau de LA PATRIE (journal du soir), 6, rue Saint-Joseph.
A la REvUE BRITANNIQUE, 1, rue Grange-Batelière.
Au burcau du CHARIvARI , 16, rue du Croissant.
Au bureau du CoRsAIRE-SATAN, 26, passage Jouffroi.
TABLETTEs DE PARIs, rev. de la semaine (M. Niboyet), 34, gr. r. Verte.
Au MÉMoRIAL PoLoNAIs, quai Malaquais, 15. -

Au bureau de LA CoLoNNE, 148, rue Montmartre.


A la Société de la Morale chrétienne, 9, rue Saint-Guillaume.
Au Cercle catholique de la rive droite, rue Saint-Honoré, 350.
A LA LANTERNE IIU QUARTIER LATIN , rue Hautefeuille , 12.
MM.
LEGRos, salon littéraire de la Chambre des Députés, rue de Bourgogne.
PERRoTIN, libraire éditeur, place du Doyenné, 3.
H. SoUvERAIN, libraire, rue des Beaux-Arts, 5.—Et tous les autres lib.
On souscrit aussi
LYoN, à la Tribune lyonnaise, revue politique et sociale, 53, r. S. Jean.
Id. au bureau de l'Echo de la Fabrique, à la Croix-Rousse, gr. Place.
ARRAs, au bureau du Progrès-du-Pas-de-Calais, et chez Topineau, libr.
ANGoULÊME, au bureau de l'Indépendant, journal politique et littéraire.
BÉzIERs, au bureau du Journal de Béziers.
EvREUx, au bureau du Courrier.
VERsAILLEs, chez Mº° GUÉRIN, salon de lecture, 36, rue de la Pompe.
SAINT-OMER, au bureau de l'Eclaireur.
ORLÉANs, au Journal-du-Loiret.
RoUEN , à la Société libre d'Émulation.
SAINT-QUENTIN, au bureau du Guetteur.
MELUN, chez Mme DESPLANTEs, lib., rue de la Juiverie, 12.
RoANNE, au bureau du Progrès-de-la-Loire.
AVIGNoN, au bureau de l'Indicateur.
CALAIs, au bureau de l'Industriel Calaisien.
GRENOBLE, au bureau du Patriote des Alpes.
CHARLEVILLE, au bureau du Propagateur des Ardennes.
SAINT-MALo, au bureau de la Vigie de l'Ouest.
SAINT-MALO-SAINT-SERvAN, au bureau du Publicateur.
CAsTREs (Tarn), au journal de Castres, jour.-Alm. des v. et des camp.
BLois, à l'Etoile-du-Peuple, chez M. Dézairs-Blanchet, libr., gr.r., 67.
ToULoN, au bureau dela Sentinelle de la Marine et de l'Algérie.
VEvEY (Suisse), au bureau de la Patrie, gazette politique et sociale.
TURIN ( Savoie), au bureau de la Gazette de l'Association agricole.
MADRID ( Espagne), Libreria Europea, calle de la Montera , 12. (Bul
letin bibliographique espagnol et étranger.)
LoNDREs, au journal l'Europe.
LEYPsIG (Saxe ), chez M. MICHELM, lib.
SMYRNE (Turquie), à l'Impartial de Smyrne, j. politique, commercial
et I1tteraIre.
WASHINGTON (Amérique) , au National Inteltigencer, au The Daily
Union, et à la Société typographique colombienne.
On reçoit au bureau de la Ruche les abonnements à tous les journaux
ci-dessus mentionnés.
Imprimerie DoNDEY-DUPRE, rue Saint-Louis, 46, au Marais.
ib é).

RU0HE P0PULAIRE
Première Tribune et Revue Mensuelle

RÉDIGÉE ET PUBLIÉE

PAR DES OUVRIERS


, S0us lâ dirºtlion

DE FRANÇOIS DUQUENNE
Ouvrier imprimeur.

NEUVIÈME ANNÉE. — NOVEMBRE.

PARIS
AU BUREAU, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE, 75,
AU MARAIS,

1847
LP R O G R A M) INE[ fEe

--5-> --

Le but principal de la Ruche populaire est d'indiquer les misères


cachées aux riches bienfaisants. Elle ouvre en outre aux ouvriers une
tribune où chacun d'eux peut faire entendre ses justes réclamations,
exprimer ses vœux légitimes, ses espérances d'amélioration. Or
telles sont aujourd'hui la multiplicité et la divergence des doctrines
sur toutes choses, qu'on ne saurait s'attendre à trouver parmi les
écrivains de la Ruche l'unité d'opinions, qui n'existe nulle part. Le
but de notre recueil n'est donc, sous ce rapport, que de faciliter
l'intervention des Hommes de travail dans la discussion des moyens
propres à remédier à des maux universellement avoués. En leur
laissant une pleine liberté d'exprimer leurs idées, elle leur en laisse
aussi toute la responsabilité, se bornant à exiger d'eux, avec un
ton décent, le respect que l'on doit toujours à la morale publique.

A NOS FRÈRES.

Nous voulons dire au plus malheureux de nos frères gémissant


sur la voie publique, ou bien abandonné dans son grenier :
«Te voilà sans travail, et tu en demandes; tu es sans logement,
» sans vêtements, sans nourriture; incertain du lendemain, aucune
» main amie ne vient toucher la tienne, donc tu as à te plaindre.
» Eh bien, si ta plainte est digne, viens nous l'apporter; il ne t'en
» coûtera rien pour la publier; et tu parleras à la Société, n'étant
»justiciable en ceci que de la majorité de tes frères d'infortune. »
LA

RUCHE PoPULAIRE (# # #E$B Û $ $3)

« Secourir d'honorables infortunes qui se


« plaignent, c'est bien ; s'enquérir de ceux
« qui luttent avec honneur, avec énergie, et
« leur venir en aide, quelquefois à leur insu ;
« prévenir à temps la misère ou les tenta
« tions qui mènent au crime..., c'est mieux.»
(RoDoLPHE, dans les Mystères de Paris.)

Nous recommandons à l'Evangélique Fraternité ces infor


tunes intéressantes :
Une famille de quatre enfants dont le père, ouvrier chau
dronnier, est malade depuis plusieurs mois. Cette famille
est dans une misère absolue. Le travail de la mère est si
peu de chose qu'il ne suffirait pas à nourrir seulement une
personne.
Une autre famille dont le père, ouvrier maçon, est tombé
malade et obligé de rester à l'hospice d'Amiens. L'épouse,
obligée de revenir à Paris, à pied, avec ses jeunes enfants,
s'y trouve dans la détresse.
Suivent les autres infortunes inscrites sur notre registre.
—==>3G=-

TRAVAIL, PROPRIÉTÉ, ASSOCIATION.

Le bien d'autrui tu ne prendras


Ni retiendras à ton escient.
(DIEU).

La Société repose sur deux grands intérêts, le travail et la


propriété.
La propriété est sauvegardée par un corps de lois, où rien
n'est laissé à l'arbitraire. Grâce à cette prévoyance maternelle,
il n'est pas un pouce de terrain qui ne soit baptisé d'un nom,
et cela, à juste titre, s'appelle de l'ordre. Certain de n'être
jamais dépossédé, le propriétaire vit avec sécurité sous la tuté
IX° ANNÉE de cette 1re tribune des ouvriers.—Novembre 1847, 15
242

laire protection de la loi; son avenir est assuré, le problême de


savie matérielle résolu ; il jouit de tous les droits qui constituent
le vrai citoyen, et la considération publique vient s'ajouter en
core aux avantages dont est douée la propriété.
La propriété est donc organisée. Nous en sommes satisfaits
pour les 4,800,000 propriétaires sur qui s'étend avec amour
la sollicitude sociale.
Le travail qui, en † est un devoir pour tous; en fait,
une nécessité pour le grand nombre ; en résultats, la richesse
de la nation; —le travail, qui crée après Dieu, et féconde la
terre si prodigieusement, est privé de la moindre mesure légis
lative.
D'où vient que le travail est sans garantie lorsque la propriété
en est si abondamment pourvue ? Serait-ce que la propriété a
plus d'importance que le travail?Examinons.
Considérée en elle-même, dans sa valeur intrinsèque, la pro
priété est nulle; elle n'ajoute rien à la chose, elle est par
conséquent sans vertu aucune. Elle en est encore à créer un
grain de sable, à augmenter d'un épi le champ de blé.
On appelle travail, la peine que prend l'homme pour pro
duire tont ce qui est nécessaire à sa vie et à son bonheur : le
temps, le courage, le talent, sont les conditions qui constituent
le travail. Le travail est le seul agent de production, il n'en
existe aucun autre ; il ne fait qu'un avec la terre ; ce sont deux
termes inséparables, unis par la nature, se communiquant leur
puissance réciproquement, sans intervention étrangère.
Pourquoi cette différence entre ces deux intérêts : l'un pro
tégé par la loi, l'autre abandonné au hasard? Ah! c'est que le
fait primitif de la conquête pèse encore sur le monde, et conti
nuera de peser ainsi jusqu'à ce que le travail soit reconnu et
proclamé source de propriété.
Nous ne croyons pas inutile d'interroger le Code civil sur la
† peut-être y trouverons-nous ce que nous cherchons
sur la question principale des intérêts de l'homme :
De la propriété.
« ART. 544. La propriété est le droit de jouir et disposer des
« choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas
« un usage prohibé par la loi et les règlements.»
Cet article, loin d'éclairer, jette au contraire de l'obscurité
sur son titre; il n'est parlé ici que du droit du propriétaire,
mais la propriété n'est pas caractérisée. Le législateur aurait dû
dire : La propriété est la chose qui nous appartient en propre,
en ajoutant : le proprietaire a le droit de jouir et disposer des
choses, etc. Voilà qui eût été simple, clair et logique. On a
243

confondu, à dessein peut-être, la chose possédée, c'est-à-dire


la substance, avec l'usage de la propriété, c'est-à-dire le droit
de jouir.
De cette définition naturelle, que la propriété est la chose
qui nous appartient en propre, naît cette autre question : com
ment obtient-on la propriété?
Le Code civil nous le dira sans doute.

Manière d'acquérir la propriété.


« 711. La propriété des biens s'acquiert et se transmet par
« succession, par donations entre vifs ou testamentaires, et par
«l'effet des obligations.
« 712. La propriété s'acquiert aussi par accession ou incor
«poration et par prescription. »
Ces articles expliquent comment la propriété se transmet,
mais nulle part nous ne voyons comment elle s'acquiert, et c'est
cependant ce que le législateur nous promet par son titre. Nous
ne pouvons pas supposer que l'homme de génie n'a pas compris
sa proposition, il l'a parfaitement comprise et approfondie,
nous en sommes certains ; pourtant, c'est en vain que nous
cherchons à nous éclairer sur la manière dont on acquiert la
propriété, le Code napoléonien n'en dit rien.
Force nous est donc d'abandonner cet épais grimoire que
même les plus savants jurisconsultes interprètent diversement.
Voyons s'il ne nous est pas possible de trouver une solution
meilleure. Laissant de côté tout esprit de parti, de caste ou de
classe, qui a dominé le législateur, nous ne nous préoccuperons
que de la question de droit ou de justice, car une législation doit
être établie sur le droit et non sur les préjugés. -

La propriété est inviolable ; la constitution le dit, la cons


cience publique le proclame, la liberté l'exige. ,

Le principe propriétaire a constamment été respecté; l'his


toire ne nous enseigne pas qu'un peuple ait vécu en commu
nauté, et cela nous paraît impossible. Acceptons donc, comme
une des lois fondamentales d'une nation, le principe de la pro
priété. Mais s'il est vrai que le principe propriétaire a été ac
cepté par tous, il ne l'est pas moins que la propriété a été violée
en tout temps avec une audace inouie ; il nous sera facile de le
démontrer par le principe même de la propriété.
Comment s'acquiert la prop
propriété.

La propriété s'acquiert légitimement par le travail ; la pro


priété est le résultat d'un travail personnel.
Quiconque obtient la propriété par d'autres moyens que le
travail personnel est exploiteur ou usurier; il prend la part
d'autrui, et cette part ne lui est pas due. 15.
244

Ce principe nous paraît vrai de tout point, indestructible.


Oui, nous reconnaissons la propriété et la propriété absolue,
par conséquent l'héritage, car si on nie l'héritage, on nie un
des plus beaux attributs de la propriété; mais ce que nous com
battons, c'est l'usure, la plaie des travailleurs, l'ignoble usure,
sous quelque forme qu'elle se présente.
On ne peut pas croire que le législateur ait ignoré que la
source de la propriété, c'est le travail; seulement, dans des
vues particulières, il l'a méconnue ; il a trahi le droit au béné
fice d'un intérêt passager, et au lieu d'élever un monument
durable, éternel peut-être, où la justice eût présidé, il n'a fait
qu'une œuvre imparfaite, injuste même, que le peuple fera
crouler un jour par la seule puissance du droit.
L'auteur du Code n'a donc pas travaillé pour l'avenir, puisque
le mot que prononcent toutes les bouches, que tracent toutes
les plumes, l'organisation du travail, prouve l'insuffisance
de la législation napoléonienne. C'est pénible à avouer, mais
le grand génie des temps modernes n'a pas été aussi heureux
que Moïse, Numa, Solon, Lycurgue, Pythagore, etc. A peine
quarante années sont écoulées, que sa législation est désavouée,
condamnée par le Peuple !
L'organisation du travail appelle une législation nouvelle que
le peuple seul devra déterminer, parce que seul il représente
l'intérêt général , le droit est en lui, et pas ailleurs. Toute dé
cision législative qui n'a pas le peuple pour objet, est fausse,
injuste : la loi d'intérêt général est favorable à tous, la loi d'in
térêt particulier est nuisible à la masse. C'est de toute évidence.
Eh bien ! toute la législation a le cachet de l'intérêt particulier,
et le peuple en souffre; aussi réclame-t-il sans cesse contre
l'injustice, et il est seul à réclamer : on ne l'écoute pas
L'organisation du travail est tout simplement une question
de propriété, qui, bien entendue, fera cesser l'exploitation de
l'homme par l'homme, l'enrichissement de l'individu au détri
ment des courageux, des producteurs, des ouvriers, de la
IIlaSSG.

Nous sommes profondément convaincu d'avoir exprimé une


vérité irréfragable, en disant, et nous le répétons avec plaisir,
que la propriété n'est que le résultat d'un travail personnel.
Nous avons à parler maintenant du moyen qui nous conduira
à l'organisation † vrai principe de la propriété, c'est-à-dire à
la reconnaissance du droit économique et à sa réalisation com
plète ; tous les autres droits découleront de celui-ci comme le
fruit sort de l'arbre , tandis qu'au contraire la solution de la
question politique pure laisserait toujours subsister la question
sociale, qui est la plus importante, la plus nécessaire.A ceux
qui douteraient sur la prééminence à accorder à la question
245
sociale, on pourrait les prier de consulter un architecte sur sa
manière d'opérer, s'il commence par la base ou le couronnement
de l'édifice qu'il doit élever ; il répondra comme répondrait le
dernier venu des manœuvres, que l'on établit sa base d'abord. Eh
bien ! dans l'œuvre sociale, on n'opère pas autrement : le légis
lateur n'est que l'architecte des droits d'une nation; il trace son
plan général, et, pierre par pierre, élève son monument de bas
en haut, justement le contraire de ce qu'on a fait jusqu'à pré
sent. Aussi, qu'en est-il résulté? Les siècles l'ont écrit à chaque
page de l'histoire en lettres de sang : pour le Peuple, misère et
famine, famine et misère. Mais heureusement, grâce à l'impri
merie et aux révolutions, le peuple a acquis lumière et expé
rience ; et rejetant le despotisme, d'où qu'il vienne, il s'est mis
à examiner, à peser mot par mot, article par article, la cons
titution qui toujours lui a été imposée.
Ce qui résultera de cet examen, on ne peut en douter, ce sera
le droit; car en dehors du droit, le peuple a tout à perdre, les
fainéants tout à gagner.
Toute richesse émane du travail. En effet, que les hommes
du salaire suspendent leur action, la production s'arrête à l'ins
tant. Qui les remplacera dans le travail? qui tracera le sillon ?
qui transformera, façonnera la soie, la laine, le cuir et toutes
les choses utiles à l'existence de l'homme? Est-ce le capital, qui
n'a jamais su qu'aspirer les fruits du travail ? Où est, en dehors
des travailleurs, la puissance créatrice, rivale supérieure et vic
torieuse, qui laisse toujours le peuple sans lendemain, sans gîte
et sans pain ? Cette puissance-là n'est visible que pour l'esprit,
c'est l'usure. Moïse en condamnait jusqu'à l'ombre; Lycurgue,
pour rendre impossible l'accaparement des richesses par quel
ques familles, avait fait établir une monnaie en fer ; les pères
de l'église ne trouvaient pas de termes assez durs pour réprouver
l'usure. Il est vrai que prêtres et législateurs sont revenus sur
cette opinion, ils trouvent l'usure une excellente chose, et le gou
vernement prête jusqu'à 9 et 15 p. 0I0 (1) aux pauvres, quoique
ce taux soit illégal, et c'est par piété qu'il prête à ce taux extra
légal, car la loi a été prévoyante pour le capital ; mais si elle
a fixé le salaire de l'argent, elle s'est bien gardée de ſixer le sa
laire du travail. Tarifier le travail ! s'écrie-t-on d'un air terrifié,
(1).... Indépendamment des bonis périmés, la caisse des hospices reçoit
du Mont-de-piété, chaque année, une somme de 3 à 500,000 fr., et le Mont
de-Piété ne fonctionne qu'avec les eapitaux qu'il emprunte et dont il porte
l'intérêt en dépense ! Vraiment, notre raison se refuse à voir de la cha
rité bien entendue, ou même de la bienfaisance toute simple dans de telles
combinaisons. Les plus-value actuelles, capitalisées, ne tarderaient pas,
par la puissance de l'intérêt composé, à amoindrir les emprunts de l'éta
blissement, et le taux auquel il prête lui-même ; c'est de toute évidence.
Depuis 1805, le Mont-de-piété a versé plus de douze millions dans la caisse
des hôpitaux. Louis LECLÈRE —Instruction pour le Peuple.—CENTTRAITÉs.
246

mais c'est attaquer la propriété ! tandis que tarifier l'argent, ce


n'est pas attaquer le travail. Il est encore bien, selon certaines
gens, d'augmenter le nombre des employés de toutes les admi
nistrations indéfiniment et à tort à travers; d'élever les émolu
ments de ces employés, des gros surtout : c'est le Peuple qui
paie; mais lorsque les travailleurs, ne voulant et ne pouvant
pas subir de diminution de salaire, résistent aux provocations
des maîtres, voilà qui est mal, voilà qui est révolutionnaire,
prétentieux et digne de toute la sévérité de la loi. Ici comme
ailleurs, la besace est au pauvre, besace vide, que le travail
même ne parvient jamais à remplir.
Ainsi le travail crée tout, et les travailleurs sont de tout dé
possédés. Cette dépossession s'appelle, au tribunal de la cons
cience humaine, une iniquité.
Comment le droit, qui est laissé à la porte par la société
officielle, parviendra-t-il à s'introduire au milieu de cette so
ciété et malgré elle, car on ne doit pas espérer d'elle une abdi
cation de son système d'usure, ce serait sa mort, comme il est
arrivé aux représentants de la noblesse et du clergé, dans la
nuit du 4 août 1789, de sacrifier d'antiques priviléges; elle
n'arrivera jamais à ce degré d'enthousiasme : un coffre-fort
s'émeut-il !
Est-il sorti, des diverses assemblées bourgeoises, une parole
d'espérance pour le Peuple ? C'est en vain qu'on interroge les
conseils municipaux ou généraux, les prud'hommes, les minis
tres, les deux tribunes du palais de Médicis et du palais Bourbon.
Aux journaux mêmes il est interdit, sous peine de perdre leurs
abonnés, de traiter les questions sociales au point de vue du
droit, ils les repoussent; ou bien il leur faut biaiser, ménager,
mais les prendre de face, non, jamais.
Le peuple sait cela; et dédaignant des débats sans grandeur,
sans franchise, il prélude à un travail de régénération : il étudie,
parle et agit, tenant d'une main la pioche pour démolir, de l'autre
la truelle pour édifier. Le Peuple ne doit compter que sur lui
même pour substituer le droit à la conquête , et il y parviendra,
car tous les matériaux qui lui seront nécessaires, il les possède.
La question est très simple : A l'association des capitaux qui
ruinent les travailleurs, que les travailleurs opposent l'associa
tion de leurs bras. Voilà le principe ; reste à développer le
moyen.
Dans l'état de choses actuel où l'association, ce droit naturel
de l'homme, est un délit, il faut que les travailleurs consentent
à passer par la seule issue qui soit restée, la loi commerciale,
puisqu'il faut l'appeler par son nom.
· Elle se présente sous trois formes : Société anonyme, Société
en noms collectifs, Société en commandite.
2,7
La Société anonyme ne peut exister sans l'autorisation du
roi. Ecartons-la de suite ; les illusions en politique ne doivent
jamais entrer en ligne de compte. - -

La Société en noms collectifs nous paraît la meilleure; mais


nne de ses obligations, qui rend tous les associés solidaires,
effraiera, à tort, sans doute, un grand nombre d'ouvriers. Ces
scrupules sont naturels : les ouvriers ne peuvent engager l'ave
nir, puisqu'ils n'en sont pas maîtres; et dans l'état présent, sa
voir si on aura du travail demain, c'est un des grands mys
tèresque l'ouvrier cherche en vain à pénétrer. Les intrigants, les
fripons n'ont pas de cest aiblesses de conscience ; sans un sou,
ils marchent audacieusement à la fortune; s'ils ne réussissent
as, au moins ils ne perdent rien, et sortent toujours du nau
# avec plus qu'ils n'avaient au début.
La société en commandite satisfera à toutes les exigences. Les
sociétaires peuvent se diviser en associés solidaires respon
sables ou en simples bailleurs de fonds; ces derniers, dans tous les
cas, ne sont passibles des pertes que jusqu'à concurrence des
engagements qu'ils ont pris, effectués ou non effectués.
Sans doute, cette forme d'association n'est pas parfaite; elle ne
donne pas toute la liberté qui serait si nécessaire à l'œuvre que
nous voulons entreprendre ; mais en l'absence du mieux, il faut
se contenter de cet a b c de l'association. Et quand nous aurons
fait rendre à cette forme de société son dernier mot, un progrès
sera accompli, la voie tracée, une expérience faite; puis, forts
du passé, nous exigerons plus d'air, plus d'espace, et quoi qu'on
fasse, on sera forcé d'accorder davantage, sinon le peuple bri
serait le cercle trop étroit dans lequel on voudrait le tenir comme
nn enfant à la lisière.
La société en commandite, si prosaïques qu'en soient les ter
mes, doit nous servir de point de départ. Voilà un fait acquis.
Le second point, c'est la création d'un capital, mais d'un ca
pital généreux, qui se donne à la société comme le sang se donne
à l'homme, un capital non usuraire. -

Partout aillenrs que dans le peuple, le capital se prête chère


ment, et encore choisit-il ses victimes. Il n'est rien de plus aris
tocrate que ce métal rendu si précieux par ceux qui ne travail
lent pas. Les guerres, les pestes, les inquisitions n'ont pas fait
plus de victimes que ce fainéant.
Le capital ne doit être que la représentation d'un travail
accompli , mais jamais il ne tiendra lieu de travail, par cette
raison qu'il n'est doué d'aucune capacité. L'argent n'ajoute rien
aux choses, il est donc nul, complétement nul. Si on lui accorde
une part, elle est prise sur le travail : pourquoi cela ?
Nous n'avons aucune estime pour cette trinité qui circule
depuis nons ne savons quel temps : « capital, travail, talent. » Ces
248
trois mots 1eviennent invariablement sous la plume de quelques
hommes parlant d'organisation du travail. On dit qu'il faut as
socier ces trois choses, et faire la part à chacune. Quelle sera
cette part? qui sera juge de la valeur de chaque chose ? est-ce
une affaire d'opinion?pourquoi séparer le travail et le talent ?
a-t-il du travail sans talent ? A nos yeux, le travail et le ta
l§ sont connexes et comme les cinq doigts de la main. On nous
opposera que les travaux sont plus ou moins bien exécutés ;
mais ce n'est là qu'une question de degré et non un principe
social. Croit-on d'ailleurs qu'en démontrant à l'homme sérieu
sement un état, ces différences de talent, qu'on aperçoit chez les
travailleurs aujourd'hui, subsisteraient encore? mais mon, les
degrés seraient imperceptibles; et quand même, est-ce que le
talent s'appartient en propre ? est-ce qu'il n'est pas une consé
quence de travaux antérieurs, d'études, de découvertes, d'ex
ériences sociales, résultant du concours de tous ? La prétention
† talent n'est pas légitime, n'est même pas appréciable ; on
pourrait la réduire à une question d'orgueil.
• • - - - - - • • • - - • • • - - • - • - - . - - - -
- - - - - - - -

M'est-il tombé des miettes de fortune,


Tout bas je dis : ce pain ne m'est pas dû.
Quel artisan, pauvre, hélas ! quoi qu'il fasse,
N'a plus que moi droit à ce peu de bien ?
BÉRANGER.

Le prix d'un objet travaillé sera facile à établir, le temps


qu'on y aura passé, déduction faite de la part d'impôt qui est
consacré aux affaires générales, d'utilité publique et de pré
voyance.
Mais la part du capital, quelle sera-t-elle? sur quel service
la fonder ? enfin, que produit le capital? Quand l'ouvrier remet
au maître une paire de souliers à trois francs de façon, celui-ci
la fait payer six à ce même ouvrier. Est-ce que la façon, en
passant d'une main dans une autre, s'est perfectionnée ? vaut
elle plus que quandl'ouvrier la tenait ? Nullement. Alors pour
quoi l'ouvrier est-il condamné à acheter six francs ce qu'il a
donné pour trois ? On conçoit que la société fasse contribuer
chacun dans l'intérêt de tous ; que l'on doive concourir à l'ins
truction des enfants, donner aux viellards, aux mères veuves,
à tous ceux qui ne peuvent travailler les moyens de vivre et de
terminer honorablement leur existence, c'est là le devoir de la
fraternité auquel on ne peut manquer sans lâcheté ; mais enri
chir le maître aux dépens de l'ouvrier, lui donner la plus grande
part du travail, mettre dans la misère celui qui travaille, pour
enrichir celui qui ne fait rien..., cela n'est pas supportable : c'est
de l'usure, rien que de l'usure.
Le capital ne produit rien, il n'a droit à rien.
249

Cependant il nous faut un capital, puisque c'est l'arme des


temps. Nous ne désarmerons nos adversaires (ne pouvant espé
rer justice d'eux) qu'avec des armes semblables aux leurs.
Le gouvernement se fait chaque année une somme de 1 mil
lard 500 millions au moins en prélevant sur chacun de nous,
55 millions de Français, une légère somme. C'est un moyen très
simple de se créer un capital.
Si nous l'imitions ! Si, après le budget de l'Etat, nous for
mions le budget de l'organisation du travail, du salut des tra
vailleurs.
Il n'y a là rien d'impossible. Voyez plutôt.
Dans Paris, nous comptons environ 180 sociétés de secours
mutuels; 14,246 sociétaires en font partie; ces sociétés s'ali
mentent par des cotisations de 1 fr. ou 1 fr. 50 c. Eh bien !
ces sociétés possèdent en caisse la somme de 2,755,125 fr., à peu
près ce qu'a coûté cette longue borne quadrangulaire placée en
face de la chambre des députés, comme le symbole du simpi
ternel système des ministères de la révolution de Juillet. —Com
bien ces fonds multiplieraient, étant consacrés au travail, à la
réhabilitation de l'homme, en le dégageant de l'esclavage de la
misère !
Supposons dix mille travailleurs, à Paris seulement, la ville
de l'initiative, donnant 50 c. par mois. Voilà cinq mille francs
fournis sans grande peine. Créez une société en commandite,
aux actions de 25 fr., nous supposons; vous choisissez, parmi
les dix mille, deux cents personnes qui représentent les socié
taires ; vous commencez par telle profession, la plus certaine à
donner un succès; le fonds social s'augmente toujours par les
bénéfices et les cotisations mensuelles qui se renouvellent jusqu'à
ce que cette mise soit jugée inutile. On s'établit dans le quartier
le plus favorable, et au fur et à mesure du succès, on fonde
des établissements dans d'autres quartiers. Dans une association
de ce genre, les travaux sont mieux faits et à meilleur marché;
sous tous les rapports , le consommateur y sera mieux servi.
L'association continue ce système jusqu'à ce qu'elle soit maîtresse
du marché de la capitale. Qui pourrait lutter contre elle? Les
capitaux de l'usure auront beau s'assembler, si la venette ne
s'empare d'eux, le travail en association les défiera.A mesure
que diverses professions s'associent, leurs forces se centuplent,
en se créditant réciproquement; elles échangent marchandise
contre marchandise fraternellement, c'est-à-dire sans usure.
Un fait, qui n'est pas nouveau, puisqu'il remonte à l'origine
de l'Université, mérite de trouver place ici, car il déterminera,
en faveur de l'association des travailleurs, bien des esprits.
Qui n'a admiré l'institution des postes, son mécanisme si beau
et si simple, son utilité et la rapidité de son service ! Tous les
250

employés de cette administration ont une existence assurée ; ils


peuvent compter sur le lendemain ; et quand, à l âge déterminé,
ils prennent leur retraite, une pension leur est servie; ils peu
vent terminer leur vie au milieu de la famille, entourés de ceux
qu'ils aiment Ils ne sont pas réduits à réclamer comme un bien
fait l'isolement et la dispersion des membres de la famille dans des
hôpitaux d'invalides que des esprits infirmes ont conçus en fa
veur des ouvriers.
- Eh bien ! beaucoup de personnes ignorent sans doute comment
a pris naissance cette vaste organisation qui dessert jusqu'au.
plus petit hameau et correspond avec les nations étrangères.
Qui dirait, à la voir ainsi étendue à l'univers, pour ainsi dire,
qu'elle a commencé d'être un point imperceptible, une industrie
particulière, à l'usage des parens qui plaçaient leurs enfants
à l'Université de Paris.
L'institution des postes remonte bien haut, sans doute ; au
sixième siècle avant Jésus-Christ, elle existait en Perse, sous
Cyrus; mais en France, nous en devons la reconnaissance à
l'Université de Paris qui, étant la seule en France, recevait des
écoliers des provinces les plus éloignées et des nations voisines.
« L'Université établit en faveur des écoliers des messagers dont
« les fonctions étaient, non-seulement de porter hardes, or, ar
« gent, pierreries, sacs des procès, informations, enquêtes ; de
«faire la conduite de toutes personnes indifféremment, fournis
« sant chevaux et nourriture; mais encore de porter les lettres
« missives des particuliers et tous leurs paquets. .. C'est l'Uni
versité qui a fait tous les frais de cet établissement, dont les
ressources « l'ont délivrée de la triste et honteuse nécessité d'exi
« ger un salaire de ses travaux, qui déshonoraient (c'est Rollin
« qui parle) la dignité de cette profession, et paraissait contraire
« au noble désintéressement qui lui convient. » Grâce aux reve
nus des messageries, les professeurs purent donner gratuite
ment l'instruction, et l'Université ne fut interdite à personne,
aux pauvres moins qu'à tout autre, selon les termes d'un man
dement du recteur qui fut lu à Louis XV , en reconnaissance
d'un édit de ce jeune prince, en 1719.
Ainsi l'Université de Paris, seul et unique établissement qui
existât alors, s'est répandue dans toute la France; les postes qui .
étaient son moyen d'existence ont suivi la même progression,
et la France se félicite de posséder ces deux belles institutions.
L'Université a constamment obéi à son inspiration, elle a agi
seule. Si elle eût attendu le bon désir des rois pour établir les
postes, il est probable qu'elle aurait attendu longtemps encore,
et que l'Université aurait continué à végéter misérablement ;
mais elle s'est mise à l'œuvre avec courage, et la plus belle réus
site a été sa récompense. -
251

Que demandons-nous donc, nous autres travailleurs ? Nous


voulons appliquer au travail le principe des postes en nous ser
vant du moyen qui a réussi à l'Université (1).
Nous supposions plus haut dix mille ouvriers pour com
mencer l'œuvre, mais mille, bien déterminés, suffiront, en choi
sissant la profession la plus facile pour cette épreuve. Que nous
faut-il?Un succès, un succès qui donne la confiance et entraîne
tout le monde. Eh bien ! la profession des tailleurs, celle des
cordonniers surtout, nous paraissent le plus favorables. Que
cinq ouvriers de ces professions se proposent pour former le
cœur de l'association ; qu'à eux s'adjoignent mille sociétaires
pris dans tous les autres corps d'état, apportant chaque mois la
cotisation de un franc, l'année ne sera pas écoulée que toute la
cordonnerie parisienne sera au pouvoir des ouvriers ; car il ne
faut qu'un fait pour en produire une foule d'autres, un groupe
en faire naître plusieurs qui se donneront la main. Il y a cela
d'excellent dans le choix de ces états, que les sociétaires étant
consommateurs en même temps, une clientèle nombreuse est
assurée par le fait même de l'association. Une épreuve, une
épreuve donc, car le succès est infaillible et la nouvelle loi de
l'économie politique sera réalisée, c'est-à-dire que l'ouvrier pos
sèdera la propriété de son travail par la disparition du maître,
† aspirante des sueurs du peuple, vieille et dernière cause
e misère et de ruine des travailleurs.
Que cinq ouvriers se présentent, les mille autres se trouve
ront. Il faut absolument cette expérience pour ébranler le vieux
monde de l'usure, la grande iniquité des siècles passés et présents
que l'avenir, un avenir prochain, raiera de la société des hommes
où le travail sera le devoir, et la fraternité sera la religion.
Paris, tu donneras l'exemple; chaque capitale de départe
ment t'imitera, et le principe d'association se propagera de ville
en ville, de bourg en bourg, de village en village. Là, où toute
ressource manquera, les associations riches enverront les forces
(1) L'Université est encore une preuve que les particuliers doivent com
mencer les réformes ; puis les rois ou les gouvernements, forcés qu'ils sont,
s'emparent des tentatives, des essais, et leur donnent une organisation lé
gale; mais il est rare, et il n'y a peut-être pas d'exemple, que les réformes
viennent d'en-haut, elles partent toujours d'en-bas, des particuliers. Ainsi,
en France, les savants professaient à peu près librement en tous lieux,
publics ou non ; les écoliers n'étaient que des auditeurs tout à fait étrangers
les uns aux autres. et n'ayant point de relation avec ces maîtres ubiquistes.
Enfin ils fondèrent un collège sur la montagne Sainte - Geneviève, un
deuxième, un troisième, etc., et la réunion de ces collèges fondés par les
particuliers fut appelée Université, qui s'agrandit d'époque en époque et
s'agrandira encore, sans aucun doute, jusqu'à ce qu'elle ait remplacé toutes
ces pauvres écoles où le Peuple est relégué pendant son enfance sans rien
apprendre d'un maître qui, souvent, a plus d'élèves qu'il n'en peut comp
ter en un jour.
252

nécessaires pour vaincre. Mais ne suffit-il pas de la réussite


dans la capitale de la France seulement pour opérer la transfor
mation sociale ? Le Code de la Force pourra-t-il résister à un
état de choses fondé sur le droit ? Il est évident qu'une assemblée
constituante ressortira de ce changement, et qu'un Code où sera
inscrit le droit, généralisera le principe en lui imprimant l'uni
té, comme il a été fait pour les monnaies, les mesures, la jus
tice, le recrutement, l'impôt.
Nous ne demandons pas, nous ne souhaitons nullement que
le gouvernement s'empare du travail et l'organise à sa guise,
| comme on a fait de l'armée , nous croyons cela mauvais. Chaque
profession a son centre et sa circonférence, selon la loi de l'u-
nité ; mais elle doit être indépendante du pouvoir qui la ferait
à son image, lorsqu'au contraire c'est le pouvoir qui doit s'ins
pirer de la nation et lui obéir.
L'histoire du danseur qu'on met à la place du mathématicien
est de tous les temps, et il ne faut pas laisser pénétrer nulle part
le népotisme; l'association choisira ses chefs depuis le premier
jusqu'au dernier, et il est probable que ses choix seront bons,
car ils seront intelligents, faits en connaissance de cause. D'ail
leurs le principe de l'élection sans limites sera infailliblement
appliqué à tout, car il est reconnu le seul moyen propre à mettre
chacun à sa place, à moins que Dieu ne s'en mêle. Ce moyen a
cela de bon qu'il ne décourage personne et laisse à tous l'es
pérance.
Mais nous n'en sommes pas à formuler le Code d'une société
fondée sur le droit, ce trayail est au-dessus de nos forces. La
question n'est pas si avancée d'ailleurs ; avant tout, il faut pro
duire le fait qui nécessitera ce changement de lois. Là est vé
ritablement la question.
Nous l'avons déjà dit : les travailleurs ne doivent pas cher
cher au-dessus d'eux des encouragements, des espérances ; ils
ne compteront pas sur les hommes de parti qui répètent à sa
tiété : « le Peuple, le Peuple », car ce mot, qui se trouve souvent
sous leur plume ou sur leurs lèvres, n'est pas dans leur cœur;
l'expérience nous l'a fait connaître; inutile encore de s'adresser
aux législateurs, leurs actes passés ne nous autorisent pas à
croire en leur science ou en leur bonne volonté; ils ont rejeté
tout ce qui était inspiré par le Peuple, et aucune loi favorable
aux travailleurs n'est sortie d'eux ; ils représentent leurs élec
teurs, non la France. Le ministère est antipathique à toute ré
forme, à tout progrès. Deux faits le feront apprécier : il a or
donné l'exécution des trois Buzançais et proposé aux chambres
l'incroyable projet sur le livret. Les prêtres, dont la mission
consiste à défendre les opprimés, gardent le silence sur les graves
questions qui agitent le monde ; ils se sont alliés aux Césars et
253

à leurs adhérents, ils ont abandonné le Peuple que Jésus-Christ


est venu sauver. Il ne faut pas davantage s'adresser aux riches,
ils prendraient un tel appel pour de l'ironie.
Cependant, si nous recommandons d'agir sans le concours de
tout ce monde, et pour cause, il n'est pas dans notre intention
de le dégager de toute responsabilité, non ; nous la laissons pe
ser sur lui tout entière ; et lui ayant prouvé que sa position
n'est pas légitime, qu'elle est contraire à tout ce que la cons
cience humaine approuve, nous pouvons lui interdire de pro
noncer les mots droit, justice, morale, religion, honneur, pro
bité, car il existe par le mépris de toutes ces choses, il les viole
COnStamment.

Au Peuple donc à décider lui-même de ses affaires et à agir


avec cette patience qu'il a mise à souffrir jusqu'à ce jour. Son
action est légitime, car il ne veut et ne peut vouloir qu'assurer
en tout le droit qui appartient à tout citoyen ; et nul, sous quel
que motif ou quelque prétexte que ce soit, ne lui interdira le
moyen de son salut ; car alors il n'y aurait plus qu'à proclamer
le désespoir et à reprendre le drapeau des Lyonnais avec son
éloquente inscription : Vivre en travaillant ou mourir en com
battant.' CoUTANT,
compositeur.
Paris, ce 1°r novembre 1847.

--><>GE

A M. GUIZOT,
Président du conseil des ministres.

Vous avez dit à la tribune, monsieur Guizot, que « le


travail est un frein pour le Peuple.... » Alors, hâtez-vous
d'appliquer ce frein aux classes riches, aux bourgeois, aux
pairs de France, etc. ; ils en ont particulièrement besoin,
eux qui, d'après la statistique de votre nouveau ministre
de la justice, sont relativement plus corrompus et plus cri
minels qu'on ne l'est dans la classe du Peuple....
Faisant en sorte que tout le monde travaille, vous soula
gerez les Ouvriers d'une part considérable du fardeau qui
les écrase. Vous arriverez à ce résultat en permettant jus
tement aux uns et aux autres de s'associer à tel nombre qu'ils
voudront, d'échanger leurs produits en se créditant mu
tuellement, enfin de gouverner eux-mêmes leurs associations.
L'égalité civile existera dès lors en droit et en fait, devant
les hommes comme devant DIEU. De ce moment, et je vous
en réponds, prolétariat ou paupérisme seront extirpés radi
calement du corps social ; les Travailleurs, sauvés par l'Asso
ciation (principe d'accord et de vie morale), rendront de
suite, par le bonheur, toutes vos rigueurs inutiles. Il va sans
254
dire que vous renoncerez à votre politique de bascule, à vos
mesures liberticides ou de compression brutale. Puisque vous
êtes protestant, et que vous professez en religion la liberté
d'examen, vous serez impartial et protégerez tous les cultes.
Vous nous délivrerez surtout des lois de septembre, conçues
par M. Thiers (1) contre la pensée humaine et les libertés des
Français.Vous ferez raser les bastilles menaçant Paris, cette
capitale des arts et de l'intelligence. Enfin la régénération
sociale s'improvisera. Et voyez donc l voyez quelle immense
économie résultera de Votre courageuse initiative ! car vous
supprimerez nécessairement de nombreux millions aux bud
gets ténébreux de M. Duchâtel et de la police, les prisons,
les procureurs, les agents provocateurs et le bourreau; —
et vous ne présiderez plus à un ordre meurtrier, hélas !
monsieur Guizot ! E. LoMBARD.
–=98999

Au comité de la Ruche populaire.

· Messieurs,
Je fais appel à votre journal, pour donner de la publicité
aux réclamations que je poursuis, toujours en vain, depuis 1818.
Je suis seul possesseur d'une pièce authentique, qui constate
la prise par l'Etat, par voie de réquisition pour cause d'utilité
publique, de 50,000 chevaux tout harnachés, et 9,000 voi
tures roulières, pour exécuter les gros transports de l'armée
française en Espagne, depuis les 7 et 9 novembre 1808 jus
qu'au 28 août 1815.
Les 50,000 chevaux et les 9,000 voitures ont été mis entre
les mains d'une agence dirigeant tous ces transports là, sous la
direction du ministère de la guerre. Il y avait un crédit ouvert,
et les fonds nécessaires pour payer tout ce matériel, chevaux,
harnais, voitures, etc. Ce crédit ouvert, et les fonds, étaient
entre les mains de l'ordonnateur en chef de l'armée d'Espagne,
M. Mathieu Favié, qui représentait le ministre de la guerre en
rsonne et sur place. Ce crédit ouvert et ces fonds étaient éga
ment destinés à payer le loyer des chevaux, à 20 francs par
chevalet parjour, ainsi que les vivres et la solde des chartiers. Il y
avait un chartierpour 2 chevaux. Ce qui n'était point payé enna
ture, en fait de vivres pour les hommes et de fourage pour les che
vaux, était porté, par ce motif, en argent, sur les états que
l'agence établissait les premiers dix jours de chaque mois, selon
la mercuriale des prix des denrées dans chaque endroit.
saurait
On neaient
service
objecter que les fonds pour cette branche de
manqué une seule fois, attendu que ces fonds
(1) M. Thiers est un des héros de Juillet....
255 #

étaient faits au fur et mesure des besoins du service, et d'avance,


et que le surplus de ces mêmes fonds, surplus non employé
pendant leservice, a été reversé au Trésor par M. Mathieu Fa
vié ci-dessus relaté, après le licenciementgénéral, le 28 aoùt 1815.
Or, les rouliers mis ainsi en réquisition n'ayant pas été payés
ni par l'Agence, ni par aucune autre personne, pour leur ser
vice et leurs avances, je réclame ce qui m'est dû particulière
ment, c'est-à-dire la somme de 1,454,110 francs, qui ont été
touchés pour moi par l'Agence; c'est la solde de mon service et
de mon matériel composé de 56 chevaux attelés à six voitures,
et mon cheval de selle, et 12 conducteurs nourris et équipés à
mes frais. Les propriétaires du matériel, comme les garçons
nous étions placés sous la discipline militaire, et notre perspec"
tive, en cas † désobéissance, était le cachot, le conseil de guerre,
les galères. Il fallait donc marcher.
On ne peut raisonnablement me contredire, ou me contester
mon dû, sans produire les états, qui étaient établis tous les pre
miers dix jours de chaque mois, lesquels états constatent l'emploi
des fonds pour ce service.
Agréez, etc. François ToURNoIs,
ex-roulier de l'armée,
10, Grande rue Verte.
Paris, ce 14 septembre 1847.

Nous avons en notre possession de nombreux et importants


documents qui établissent la légitimité de cette réclamation.
Nous espérons que le roi Louis-Philippe y fera droit, et qu'il
réparera cette grande iniquité qu'ont laissé subsister les deux
gouvernements de Louis XVIII et de Charles X. — Les pa
piers existent au ministère de la guerre ; on n'a qu'à or
donner leur exhibition ; ils étaient compris dans la comp
tabilité de l'armée d'Espagne, abandonnée aux Anglais dans
l'affaire de Victoria, comptabilité dont ces derniers s'empa
rèrent; mais ayant reconnu le fourgon qui contenait la comp
tabilité de l'Ordonnateur en chef de l'armée française, ils le
renvoyèrent, scellé et sous bonne escorte, à Bayenne, pour
qu'il fût rendu à cet ordonnateur en chef, M. Mathieu Favié.
Ces papiers démontreront aussi qu'un grand nombre d'autres
rouliers de l'armée d'Espagne furent pareillement privés de
leur solde, chevaux, vivres, etc. Ils étaient au nombre de
717 ; plusieurs sont morts de chagrin, et leurs enfants gé
missent encore dans la misère. \

LE CoMITÉ.
256

R E P R O D U CTI O N.

Le Corsaire-Satan du 24 octobre a parlé du Projet d'as


sociation des travailleurs, par M. Isidore Grisier (1). Ce
journal reconnaît que « rien n'est plus facile à réaliser. Ce
« n'est pas, dit-il, seulement pour les ouvriers qu'une société
« de ce genre serait utile, mais pour tous les Français.—
« Les routiniers, ajoute-il, les routiniers criant à l'impossible,
« ont toujours peur qu'on ne renverse le monde. Les malheu
« reux ! Ils ne savent pas que ce serait un grand bienfait pour
« ce pauvre monde qui marche sur la tête et pense avec les
« pieds ! » — A. W.
Tous les ouvriers qui prennent connaissance de ce projet
important s'empressent de lui donner leur adhésion , se
promettant de se fournir aux établissements de la société,
aussitôt qu'il y en aura d'ouverts. Beaucoup observent qu'il
faudrait adjoindre aux établissements principaux de nom
breuses succursales, à portées des ménagères et enfin de
tout le monde. LE CoMITÉ.

OEUVRE DE FRATERNITÉ.

Lorsqu'on nous signale une infortune intéressante, quel


qu'en soit le genre, comme, par exemple, un honnête ou
vrier, père de famille, depuis longtemps sans ouvrage et se
laissant périr lui et les siens plutôt que de révéler sa misère,
nous allons le visiter nous-mêmes en qualité de camarades et
non d'inspecteurs ; puis nous mentionnons le fait sur un re
gistre en omettant le nom et l'adresse; et quand un riche a
le beau courage, en le venant consulter, de choisir une ou
plusieurs infortunes à soulager, alors, au moyen d'un carnet
à numéros correspondants, nous lui confions les noms et
adresses, afin qu'il puisse aller lui-même répandre ses bien
faits.

Par suite de la coopération des artistes et d'autres per


sonnes généreuses, on trouve au bureau de la Ruche des
tableaux et autres objets d'art et d'industrie que l'on peut
acquérir au profit des Familles que nous recommandons.
(1). voir le dernier n° de la Ruche, octobre 47.
257

UNE R EN C ONTLR E.

Bonjour, Édouard.... comment ça va, donc ?


— Pas mal, et vous, mon vieux Alexis ?
— Eh bien, les travaux vont-ils? Qu'est-ce que vous de
venez ?
—Mon cher, ça ne vas pas du tout; voilà quatre mois que
je compte les réverbères.
—Ah ! diable; vous n'avez rien fait du tout depuis que
nous nous sommes rencontrés ?
—Pas la moindre des choses, si ce n'est que j'ai tiré et
que je tire encore au mur (1) pour me désennuyer.
—Mais c'est terrible, ça, mon pauvre Edouard. Et votre
femme, et vos enfants?
—Ma femme travaille un peu, heureusement, et mes en
fants finissent leur apprentissage; sans cela je crois que j'au
rais été obligé de me livrer à la boisson.... de la Seine, ou
bien de m'accrocher à un arbre pour faire peur aux oiseaux.
Mais vous savez ce que c'est que le travail d'une femme pour
soutenir une famille....
—Toujours philosophe ! mon vieux.
—Oui, il le faut bien ! Quand je m'en pendrai, ça ne me
retirera pas de la coupe (2) dans laquelle je suis plongé. C'est
égal, tout de même, je commence un peu à m'ennuyer de
ballader ainsi tous les jours et de ne manger que la moitié
de mon saoul. Avec ça que ma femme est obligée de se priver
pour moi....
— Ainsi vous n'avez rien en vue..., pas moyen de quel
que chose ? -

— Non, rien du tout.


—Vos parents sont-ils un peu à leur aise? pourraient-ils
vous aider, au moins ?
— Ah bin oui ! mes parents; ils sont au moins aussi gueux
que moi ; car si je pouvais les aider, ils l'endureraient bien,
allez, dans la position où ils sont... J'ai même mon frère qui
est plus coupé que moi.
—Mon Dieu! mais..,.. c'est un désastre, en vérité! Pas
une ressource ?
(1) Tirer au mur, vivre de privations.
(2) Coupe, c'est-à-dire être coupé ou dépourvu de tout argent.
16
258
— Aucune. Cela ne va nulle part ; j'ai beau courir à droite,
à gauche, je ne trouve rien ; ça n'finit pas d'cesser, quoi !
on n'a jamais, jamais vu un temps comme ça. Et puis vous
savez, maintenant, quand on a passé la quarantaine on est
repoussé des ateliers.
— C'est encore heureux qu'on distribue des cartes pour ne
payer le pain que 80 centimes au lieu de 1 fr. 12 c., n'est-ce
pas ? -

— Oui, pour ceux qui demeurent dans Paris; mais comme


je demeure extrà-muros, il n'y en a pas pour moi, ou pour
mieux dire, on en donne si peu que ça ne vaut pas la peine
d'attendre toute une journée à la porte de la mairie.
— Comment! vous demeurez extrà-muros, et où donc ?
—A Montmartre. Et comme l'ouvrier qui demeure extrà
muros est considéré comme rentier, c'est ce qui fait que la
ville ne répand pas ses bienfaits jusque-là. C'est la commune
qui se charge de soulager les malheureux ; comme elle a plus
de charge qu'elle n'en peut soutenir, c'est pourquoi on n'ob
tient que trois cartes pour quatre personnes par quinzaine.
Ainsi, vous voyez que le soulagement n'est pas épais, et qu'a-
vec 96 centimes pour quatre, ce qui fait24 centimes par per
sonne, on peut très-bien mourir de faim au coin de la borne.
· — Et encore nous ne parlons pas de tout ce qui est indis
pensable à l'existence !
— Ah bin , s'il fallait compter tout cela, ce serait à s'en
casser la tête au long du mur. Car nous avons le blanchis
sage, le loyer. Ah ! le loyer, ça ne badine pas; il faut absolu
ment le payer, ou bien coucher à la belle étoile. Après çà,
le linge, les hardes, la chaussure, tout cela, mon cher, vous
force à abandonner la philosophie....
- En vérité ce n'est pas surprenant si, dans une situa
tion pareille, on voit tant de malheureux perdre la tête et
se suicider !...
-- Oh ! oui, allez ; si je n'avais pas devant les yeux le
tableau des productions du Créateur, je crois que je ne tien
drais pas longtemps à la vie. Mais quand je vois cette belle
nature si riche, j'oublie mes peines, pour quelques instants
du moins; car il me semble que Dieu a créé tout cela pour
tout le monde, et que le travailleur ne devra pas toujours
périr de misère. Cette espérance ranime mon courage.
André SICLoT,
Septembre 47. ouv. en jouets d'enfants.
259

M. de Lamartine et le Libre-Échange.
Lors de son séjour à Marseille, M. de Lamartine, député
de Mâcon, a fait, le mois dernier, un long discours en faveur
du libre-échange, à l'encontre des journaux indépendants,
et dont la grande majorité s'est prononcée contre, il y a quel
que temps. La raison principale et sur laquelle s'appuient ces
journaux (1), est que les divers Etats sont contiguës, mais
nullement associés, et que, dans cette situation, admettre le
libre-échange, serait aggraver la perturbation, en donnant au
fort la liberté d'écraser le faible, faisant ainsi, en définitive,
retomber sur l'Ouvrier les conséquences désastreuses de cette
imprudentemesure. En vain, dans le beau discours de M. de La
martine avons- nous cherché la mention de l'objection des
journaux opposés au libre-échange, objection si grave et si
fondée ; nous sommes encore à nous expliquer cette omission.
Nous regrettons que le célèbre orateur ait dépensé, en pure
erte, une si brillante improvisation. Si le poète s'était donné
a peine de réfléchir, il aurait probablement reconnu qu'en
un pareil sujet, la discussion est le moyen loyal, le seul
moyen d'aboutir à la vérité, et, par conséquent, à la justice,
car , qui n'entend qu'une cloche, n'entend qu'un son. Voici,
à propos du malencontreux discours, le conseil que le Cour
rier de la Côte-d'Or donne à M. de Lamartine :

« Que le célèbre écrivain, dégagé de l'influence d'un nombreux


auditoire qui électrise, veuille bien descendre parfois au niveau
de la réalité et promener un œil calme sur l'état des sociétés,
sur la situation vraie des travailleurs, sur l'infériorité forcée
de telle nation vis-à-vis de telle autre, sur les charges qui pèsent
ici sur une industrie, et qui là bas sont inconnues, sur les cir
constances qui permettent de produire à bas prix sur un point,
et sur un autre point s'y opposent ; sur les rapports de peuple
à peuple enfin, et il reconnaitra peut-être avec douleur qu'il a,
sans le vouloir, dépensé un beau talent au service d'une cause
qui n'est pas française et de quelques intérêts privés. »

« Monsieur Bigo, maire de Lille, doit, à la prochaine fournée,


être nommé pair de France; cette nouvelle n'a rien qui doive
étonner; M. Bigo n'est-il pas ce fonctionnaire municipal qui,
lors des premières émeutes (pour le pain), avait adressé aux
fabricants de Lille, une circulaire pour les engager à dénoncer
à la mairie tous les ouvriers absents de leurs ateliers ? Un
homme de cette trempe mérite certainement la pairie. »
(La SEMAINE.)
(1) Ruche pop., n. de mars 1847- 16,
260

LE REGNE DU CHRIST.

A PIE IX.

Vous n'êtes pas sur la Terre pour vous


perdre par les haines, mais pour vous
rendre heureux par un amour mutuel.
(EvANGILE.)
I.

La cité des Césars, cette orgueilleuse reine


Qui levait fièrement sa tête souveraine,
Comme un lion captif enchaînait l'univers ;
Et, quand cette géante endossait son armure,
Le lion gromelait ; mais bientôt le murmure
Mourait dans le bruit de ses fers.

Son bras fort subjuguait Sarmates et Bataves,


Attelait à son char de grands troupeaux d'esclaves
Qui fléchissaient au joug que forgeaient les Romains ;
Car elle avait alors, pour ébranler la Terre,
Des éclairs dans ses yeux ! dans sa voix un tonnerre,
Et le monde effrayé palpitait dans ses mains !
Quand ses aigles volaient, le seul vent de leurs ailes
Renversait, en passant, remparts et citadelles
Et plumait des Gaulois l'oiseau chante-réveil.
Rome dût conquérir et ravager les Gaules
Car, en ouvrant les bras, elle touchait les pôles ;
Sa couronne était le soleil !...

Elle avait trop de Dieux ; l'Olympe et le Parnasse


Pour les contenir tous déjà manquait de place ;
La discorde naquit de leur diversité.
L'empire était trop grand ; on partagea l'empire ;
Alors les deux Césars dans leurs bras de vempire
Etouffèrent la liberté.

Et depuis ce moment, dans Rome et dans Bysance,


L'anarchie amena ruine et décadence.
Pour brider l'univers César n'était plus seul ;
De tous les points partait une rumeur profonde,
Et, sur les § cités qui dominaient le monde,
Le temps allait jeter un immense linceul !
261

Mais voilà l'homme-Dieu, le plébéien subime,


Qui jette sa parole aux échos de Solyme,
Et chacun d'eux répond : Amour ! Fraternité !
Aussitôt un gibet lève son front sévère ;
Et Jésus tend ses bras au sommet du calvaire,
Pour racheter l'humanité.

Quatre fois dans le ciel retentit le tonnerre,


Et chacun de ses coups fait tressaillir la terre
Le pasteur se dévoue et meurt pour ses brebis.
Le vent souffle en tous lieux une brûlante haleine
Et, sur les longs cheveux épars de Madeleine,
Le sang du rédempteur tombe en flots de rubis.
Sang divin ! sang fécond dont la terre s'abreuve !
Chaque goutte qui tombe un jour deviendra fleuve,
Fleuves qui resteront deux mille ans sans tarir !...
O Christ! ô roi des rois ! ta couronne d'épines
Un jour détrônera les rois que tu domines,
Et sous leurs cercles d'or on les verra pâlir !
Jupiter Olympien, le Christ éteint ta foudre !
Ton aigle audacieux va tomber dans la poudre ;
Ta voix n'a plus d'échos sur le mont Pellion.
Hercule, laisse cheoir ta massue effroyable ;
Le Christ vient arracher à ton corps formidable
Le manteau que tu pris sanglant sur un lion.
Junon, Pallas, Vénus, sur vous l'oubli s'avance ;
Vous avez épuisé la source de Jouvence.
Neptune, vas briser ton trident sur l'écueil !
Tritons, ne soufflez plus l'onde par vos narines ;
Vous chancelez déjà sur vos conques marines,
Et l'Océan vous ouvre un immense cercueil !

Cyclopes et Vulcain, dans l'Etna qui s'allume,


Vos marteaux bondissants qui battaient sur l'enclume
Ne retentiront plus au fond de votre enfer ;
Laisse cheoir tes serpents, Furie au bras débile !
Caron, brise ta rame! écumante sybille
Descends de ton trépied de fer !
Sylvains aux pieds de bouc, désertez les vallées ;
Bacchantes aux seins nus, ivres, échevelées,
Fuyez ! n'effrayez plus de vos cris les oiseaux.
Naïades, laissez-là le miroir des collines ;
Et, pour ne plus troubler nos sources cristalines,
Couvrez-vous à jamais d'un linceul de roseaux.
º262

Allez donc! Dieux menteurs, d'adultère et de crimes !


Le Néant vous attend, rentrez dans ses abîmes !
Saturne cette fois va tous vous dévorer !
Votre troupe nombreuse était un noir problême.
Le signe rédempteur, c'est le niveau suprême !
Il suffit d'un seul Dieu pour nous régénérer !...
II.

Apôtres, montrez-vous grands sous vos auréoles !


La foi brille en vos yeux, éclate en vos paroles ;
Marchez sous l'œil du Christ, l'Évangile à la main ;
Le royaume céleste à vos yeux se révèle ;
Enfoncez le noyeau de votre foi nouvelle
Dans le cœur du peuple romain !
Pareil au gland qui tombe, au vent qui se déchaîne,
Qui roule et porte en lui les racines d'un chêne,
Votre foi germera sur le sol des faux dieux ;
Et cet arbre étendra sa racine profonde ;
Puis, un jour, ses rameaux abriteront le monde
Et son front colossal se perdra dans les cieux.
Apôtres, remuez la poussière des tombes,
Votre premier autel se dresse aux catacombes ;
Votre première torche éclaire un souterrain ;
Patience ! bientôt cette flamme agrandie
Allumera dans Rome un immense incendie
Par l'ordre de Néron, ce tigre souverain.
Bien, Néron, prends ta lyre aux cordes sybillines,
Et chante en embrâsant la ville aux sept collines !
Donne au peuple effaré ce bucher pour tombeau.
Tu peux persécuter les chrétiens dans ta rage,
Faire, de tes soldats, sur eux grcnder l'orage,
Tu n'éteindras pas leur flambeau !...
Martyrs, apprêtez-vous, car la lutte commence !
Rome, aujourd'hui c'est fête! ouvre ton cirque immense,
Déchaîne tes lions et tes lourds éléphants ;
Peuple, échelonne-toi sur les gradins de pierre :
Le tigre vient d'ouvrir sa sanglante paupière ;
Ses ongles vont entrer dans la chair des enfants !
Allons ! applaudissez, ô mes belles Romaines !
La panthère s'abreuve à des veines humaines !
Ce spectacle d'horreur plaît à votre fierté ;
Allons ! exterminez cette race infidèle,
Cette race chrétienne! Eh ! de quel droit vient-elle
Vous prêcher la fraternité?
263

Du droit que lui légua le Christ en ses paroles,


. Du droit qui, dès ce jour, fait crouler vos idoles !
O peuple sanguinaire ! ô peuple audacieux !
Regarde-les mourir, ces chrétiens au front calme ;
Chacun d'eux, en tombant, va cueillir une palme,
Une palme qui croît aux cieux.

III.

L'Évangile triomphe et règne sur la terre;


Mais voilà que l'on change en un profond mystère
Ce fanal symbolique aux peuples destiné ;
A son tour l'Ante-Christ, en ricanant, s'affnble
D'une robe de prêtre, endosse une chasuble
Et pose la tiare à son front de damné !
Et la Superstition, comme une autre Mégère
Saute sur un dragon aux têtes de Cerbère,
Dont les naseaux fumants éteignent ce fanal !
Satan parodiant la morale chrétienne,
Frappe sur un tam-tam en hurlant une antienne
Et d'un culte divin fait un culte infernal !
Puis l'Enfer envahit les villes, les campagnes;
L'auto-dafé s'allume en toutes les Espagnes ;
Et l'inquisition taille ses chevalets,
Forge ses grils de fer, savonne la poulie
Où la corde homicide en serpent se replie ;
L'église a des bourreaux et des rois pour valets (1) !
Ces prêtres plus cruels que ceux du paganisme,
Sous un masque imposteur font du prosélitisme, -
Enchaînent la pensée en son rapide essor,
S'emparent à leur tour de la chaise curule,
Et, sur la main des rois, donnent de la férule
Pour ramasser leur sceptre et leur couronne d'or.
Voilà que les vendeurs reviennent dans le Temple
En font un marché vil, un marché sans exemple
Où l'on vend la prière !... O spectacle affligeant !
Pauvre religion ! comme tu te délabres
En faisant parader entre six candelabres
L'image du sauveur sur une croix d'argent ! ,

(1) A un auto-dafé ,Philippe II, roi d'Espagne, assis sur un trône dressé
devant le bucher, impatient de voir que la flamme ne se développait pas
assez vîte, descendit, et, de sa royale bouche, excita le feu qui enveloppa
bientôt les victimes. -
264

Mais Jésus l'avait dit, Jésus le Dieu fait homme :


" L'Ante-Christ bien longtemps troublera mon rovaume ;
# Pour que mon règne arrive, il faudra deux mille § ,
Nous touchons à la fin de cette prophétie ;
Dans la nouvelle Rome apparaît un messie,
Et les vendeurs vont fuir devant ses fouets sanglants.
IV.

Rome. toujours debout ! Rome, ville éternelle,


Où le temps chaque jour vient déchirer son aile,
Tu reprends ta couronne aux yeux de l'Univers !
Lui qui te croyait morte à jamais dans les fers.
Ton peuple se souvient qu'il est de noble race,
Ses veines ont encor du sang du vieil Horace.
Il s'éveille à la voix du pontife chrétien
Dont la tiare cache un bonnet phrygien !
A la voix du pontife envoyé par Dieu même
Pour faire honte aux fronts cerclés d'un diadême ;
Pour apprendre, à ces chefs pomponnés de rubis,
Qu'ils ne sont que des loups, qu'ils mangent les brebis
Des troupeaux que le ciel n'a point mis à leur garde,
Qu'il est temps d'en finir, et que Dieu les regarde !...
ltalie ! Italie ! ô terre des beaux arts !
Ton chef est grand, plus grand que tous tes vieux Césars ;
Il comprend son époque et montre à l'Allemagne
L'épée à deux tranchants que portait Charlemagne,
Que cette épée, enfin, qu on redoutait jadis,
Peut se mettre à côté des clés du paradis !
C'est un de ces fronts hauts où tout n'est qu'harmonie,
Où s'appuya longtemps le pouce du génie.
Les disciples de Gall en palpant sa hauteur
Y sentiraient l'esprit du régénérateur,
D'UN CHRisT RÉINCARNÉ ! ... C'est une de ces têtes
Qui peuvent apporter le calme ou les tempêtes
Sur les flots irrités de l'océan humain ;
C'est un de ces soleils, sans borne en leur chemin,
Qui peuvent, poursuivant leur marche vagabonde,
Brûler, stériliser, ou féconder un monde !
Fronts géants, dont les yeux ont des feux éclatants,
Avant de vous mouler, Dieu médite cent ans !
Et quand il a pétri cette argile grossière,
Ce limon que les vents mêlaient à la poussière,
Il jette dans cette urne un éclair de ses yeux,
Puis ce front, dans ce monde, apparaît radieux ;
L'ignorance l'insulte et le savant l'admire,
Le parfume d'encens, d'aloës et de mirrhe ;
Car ce front, où de Dieu s'est imprimé le sceau,
265

Se nomme Christ, Colomb, Guttemberg ou Rousseau,


Bonaparte, empereur, ou bien Mastaï pape !
Et l'humanité marche alors à grand étape.
Elle avance, et faisant des obstacles un jeu,
Son pas accéléré la rapproche de Dieu !
Mastaï-Ferretti, ta mission est belle ;
Bien ! donne à l'Italie, une face nouvelle ;
Marche à pas de géant ! agrandis l'horizon !
N'as-tu pas le flambeau que donne la raison ?
Marche, mais sans jamais regarder en arrière,
Pour ne pas voir la boue et la profonde ornière
Où tous tes devanciers imprimèrent leurs pas.
Va toujours devant toi, l'avenir est là-bas !
Brille dans notre ciel, étoile populaire !
Des rois coalisés que te fait la colère ?
Nuages que les vents emportent dans leur cours,
Ils passeront; et toi, tu † toujours!...
Car ce n'est plus un roi qu'il nous faut, c'est un sage !
Si quelque nation te barre le passage,
Eh bien ! tire ton glaive ! et hardi chevalier,
Sous ton manteau papal montre ton bouclier.
Quand la société bâtit son édifice,
S'il faut, pour l'achever, un dernier sacrifice,
Dieu ne pèsera pas, sa balance à la main,
Quelques gouttes de sang avec le genre humain.
Marche, soldat pontife à la triple couronne !
Si le pouvoir français en tremblant t'abandonne,
Les enfants de la France ont tourné leur regard
Sur le dôme où l'on voit flotter ton étendard ..
Va l nous sommes les fils du grand Quatre-vingt-treize ;
Une voix dans nos cœurs chante la Marseillaise.
Chaque sol où l'on voit surgir la liberté
Doit par nous, s'il le faut, toujours être abrité ;
Nous lui devons le sang qui boui lonne en nos veines.
Mastaï ce ne sont pas des paroles vaines ;
Ecris sur ton drapeau : LA PATRIE EN DANGER !
Ta patrie est la nôtre et nous l'irons venger !
Nous nous enrôlerons ! Nous, fils de volontaires,
N'avons-nous pas l'amour des gloires militaires !
Nos pères ont passé le flot du Tanaïs,
Nous le repasserons, nous, qui sommes leurs fils !
Les échos du Thabor ont chanté leur victoire :
Les échos du Thabor chanteront notre gloire !
Les pas retentissants de leurs lourds escadrons
Ont ébranlé ce globe : Eh! nous l'ébranlerons !
En route, s'il le faut, pour notre tour du monde.
266
Puis, que notre flambeau de sa clarté l'inonde !
Et, phare éblouissant et civilisateur,
D'un autre Sinaï qu'il montre la lueur !
Nous ne marcherons point par l'esprit de conquête;
Ce n'est point Tamerlan qu'il faut à notre tête;
Ce n'est pas pour fouler, cruels et triomphants,
Aux pieds de nos chevaux, les femmes, les enfants,
Que nous entreprendrons cette guerre nouvelle ;
C'est pour tendre à tout peuple une main fraternelle ;
Pour † aux fils du Nord : Vous êtes à genoux !
Vous n'êtes pas des serfs, hommes, relevez-vous !!..
Vous êtes les enfants de la famille humaine ;
Nous sommes frères; Dieu nous donne pour domaine
Cette terre fertile où chacun a sa part,
Où les fleurs et les fruits naissent de toute part ;
Cette terre féconde aux puissantes mamelles,
D'où jaillissent toujours quelques sources nouvelles
Pour nourrir les enfants qu'elle doit allaiter ;
Faut-il avec vos mains toujours l'ensanglanter ?....
Frères, buvons en paix à la source propice,
Et ne déchirons plus le sein de la nourrice !
V.
O mes frères en Dieu, le Père Tout-Puissant,
Qui nous a tous créés, ne veut pas notre sang.
Ne nous querellons pas pour quelque arpent de terre ;
Il n'en faut pas autant pº cacher une bière.
Riches, soyez humains ! le Rédempteur l'a dit :
Abel a pardonné, Caïn n'est plus maudit !
Hommes, fraternisons, puisque nous sommes frères ;
Echangeons nos produits, échangeons nos lumières.
Cette terre est à nous ! frères, ne disons pas :
« L'égalité commence où règne le trépas;»
Non, mais chantons en chœur, sous la voûte infinie :
L'ÉGALITÉ coMMENCE oU coMMENCE LA vIE !
Le monde, encore enfant, touche à sa puberté ;
Qu'il arrache son lange et marche en liberté.
VI.
Poètes qui jetez, sur tout, un voile sombre,
Qui voyez l'avenir comme un gouffre béant,
Ne dites pas : le monde est un vaissseau qui sombre
Au gouffre du néant !
Ne dites pas : voyez ! le soleil dans la brume
Se baigne froid et morne ; il pâlit chaque jour !
Non! ce n'est qu'aujourd'hui que le soleil s'allume
Et brille avec amour !
267

L'Eden, que nous voyons dans le berceau du monde,


N'est plus de ce côté, voyez-le refleurir !...
Dans les flots du passé ne jetons plus la sonde :
Il est dans l'avenir !..
Peuples, unissons nous ! Étouffons la Misère !
A la face du ciel enlaçons-nous les mains ;
Et la Croix, pour fermer ce fraternel rosaire,
Tendra ses bras divins !...

MysTÈRE
divin !
En vain
la Terre
Voudrait s'envelopper d'une profonde nuit ;
O céleste fanal, dont le feu toujours luit,
Eclaire les mortels dans leur pénible route !
Le doute
s'enfuit;
son ombre
si sombre
décroît !
on croit

au signe
puissant
que signe
ton sang
O Rédempteur du monde !
Va, le serpent immonde
Qui vint enlacer les humains
Serompt par tronçons dans tes mains !
Peuples! accourez tous sous l'arbre trinitaire ;
C'est l'arbre du salut, ô peuples de la Terre !

BARRILLoT (de Lyon),


ouvrier lithographe.
268

CORRESPONDAN CE.

AU GÉRANT DE LA RUCHE POPULAIRE.

Paris, 27 août 1847.


Monsieur,
Comme je vous l'avais promis, j'ai lu avec soin les huit
Lettres aux Français. Voici ce que j'en pense et ce qu'en pen
seront certainement tous ceux qui les liront de même et avec
connaissance de cause :
Les principes, les raisonnements, les définitions et les cita
tions portent à faux; de plus, l'application à une réforme so
ciale qui en est le but, est nulle.
En d'autres termes : tout ce qu'on y dit de la condition de
l'homme avant et après la déchéance primitive, de la nature de
ses facultés , de la nature et des effets comme de l'histoire et
des circonstances du péché originel, enfin, de la nature et des
effets de la rédemption de Jésus-Christ, et du prétendu rôle de
la femme avant et après la déchéance, tout cela est respective
ment faux, ou très entaché d'énormes erreurs, philosophique
ment, historiquement, théologiquement politiquement. Ce qu'il
serait très facile de prouver en détail , mais en excédant de
beaucoup les limites d'une lettre ordinaire. Je suis prêt à donner
ces développements de vive voix, ou à les donner par écrit,
s'il y avait lieu, pour être imprimés. Mais je crois qu'il serait
plus convenable de s'en tenir au premier moyen, à cause des
égards dus à la qualité et aux bonnes intentions de l'auteur.
Agréez, monsieur, l'assurance des sentiments affectueux de
de votre très humble,
SALMoN,
missionnaire apostolique.

M. l'abbé Salmon peut, selon son désir et d'après les


termes de sa lettre, exprimer en toute liberté dans la Ruche,
ses sentiments sur les Lettres aux Français.
LE CoMITÉ.
269

TABLES DE MORTALITÉ EN ANGLETERRE.

« Il résulte des tables de mortalité en Angleterre une donnée


curieuse : savoir, que le soldat combattant sur la tranchée
d'une ville assiégée ou sur le champ de bataille en présence
du plus brave de ses ennemis, est exposé à moins de chances
de mort que l'habitant de certaines villes manufacturières
d'Angleterre, telles que Manchester, Liverpool, etc. La
chance de mort au siège d'Anvers était comme de 1 à 68 ;
au siège de Badojoz comme de 1 à 54; à la bataille de Water
loo, de 1 à 30.
Pour l'ouvrier de Liverpool, la chance de mort est comme
1 à 19; pour le tisserand de Manchester, comme 1 à 17; pour
le coutelier de Sheffield, comme 1 à 14. »
(LA PREssE.)

NOUVELLE.

Cent Bateaux-Pécheurs de Boulogne rançonnés, et leurs


pâtrons faits prisonniers par les Anglais.
« Les concessions faites aux Anglais par notre gouverne
ment, au sujet du droit de visite et dans les questions de
politique extérieure, ont été l'objet de vives et fréquentes ré
criminations, mais on n'a point suffisamment insisté sur la
gravité de celles que renferme le règlement concernant les pê
cheries, signé par les commissaires des deux nations, le
24 mai 1843, et sanctionné par une loi du 23 juin 1846, an
térieurement à la rupture de l'entente cordiale. Cependant,
ce règlement contient le germe de l'anéantissement de la
pêche française dans la Manche et dans la mer du Nord, et,
comme conséquence, celui de l'amoindrissement de notre ma
rine.
« Il est un fait constaté depuis longtemps et que certaine
ment le gouvernement français n'ignorait pas, c'est que le
poisson préfère le voisinage des côtes de l'Angleterre à celui
des côtes opposées du continent.
« Le hareng et le maquereau, qui fournissent les dix-neuf
270

trentième du produit total de la pêche boulonnaise, se tien


nent toujours, comme la plupart des autres espèces de pois
son, beaucoup plus près du littoral britannique que du nôtre;
néanmoins, le règlement précité défend aux Français d'ap
procher des côtes de l'Angleterre au-delà de la distance de
trois mille à compter de la laisse de la basse-mer, et non
compris l'intérieur des rades dont l'ouverture n'excède pas
dix milles.Voilà donc une bande dont la largeur est d'environ
six kilomètres, réservée aux Anglais !
| « Il est évident que cette fixation de limites équivaut à l'in
terdiction de la pêche du hareng et du maquereau ;, elle
explique pourquoi des marins, ne pouvant prendre du pois
son, en achètent aux Anglais et viennent le revendre dans
nos ports.
« Les marins qui ne pêchent pas sont comme les ouvriers
sans ouvrage, ils meurent de faim et leurs familles aussi.
Or, depuis huit jours, ceux de Boulogne ne prenaient rien ;
pressés par le besoin, ils se décidèrent à aller mouiller sur
un point peu éloigné de la rade de Dunes et à y jeter leurs
filets. Au lieu de les sommer de s'éloigner, les Anglais les
laissèrent s'installer, abattre leurs mâts et se mettre ainsi
hors d'état de fuir; puis, quatre bâtiments garde-côtes sor
tirent du port de Déal, fondirent sur eux et s'emparèrent
des patrons, qu'ils amenèrent prisonniers à Deal.
« Ce qui autorise à croire que le coup était préparé, c'est
qu'ordinairement il n'y a qu'un seul garde-côte à la station
de Deal. Quoi qu'il en soit, presque tous les bateaux de
pêche de Boulogne allèrent successivement tomber dans le,
piège. La corvette française la Surveillante, s'étant montrée
dans ces parages au moment du conflit, nos pêcheurs l'ap
pelèrent à leur secours ; le commandant, M. de Mourcroy,
se rendit à Deal et plaida énergiquement la cause de nos
compatriotes : mais ce fut en vain ; tous les équipages furent
condamnés à des amendes dont quelques-unes s'élevèrent .
jusqu'à 450 francs, et les patrons ne furent relâchés qu'a-
près paiement.
« Nous avons vu des reçus de sommés payés par nos ma
rins. Leur laconisme est frappant. Ils portent seulement :
« Reçu du n°.... 3 livres sterling » et sont signés par le
maire de Deal. Ainsi la cause du paiement n'y est pas indi
271

quée ; la quittance est informe et sur un chiffon de papier.


« Mais voici l'événement le plus grave :
«Vendredi dernier, au soir, le bateau n° 33, patron Gour
nay, se trouvait sous voiles en face de Douvres, à peu de
distance de la ligne de démarcation, soit en deçà, soit au
delà, lorsqu'un croiseur anglais qui ne lui avait fait aucun
signal, lui lâcha un coup d'une petite pièce de canon nommée
pierrier et lui lança un projectile qui cassa la carlingue et
troua la grande voile. Procès-verbal de ce fait a été dressé
à Boulogne par les fonctionnaires compétents, après la ren
trée du bâtiment. »
(Le Progrès-du-Pas-de-Calais. )

BIBLIOGRAPHIE.

LEs TABLETTEs DE PARIs, revue philosophique et littéraire


de la quinzaine, sous la direction de M. Paulin Niboyet. Certe
publication traite des plus hautes questions de philosophie avec
une supériorité qui fait reconnaître dans la rédaction l'influence
d'une femme qui se fit une place distinguée dans le monde so
cial par la publication et la rédaction du journal l'Avenir de
regrettable mémoire. La réputation de Madame Eugénie Niboyet
est un sûr garant que la partie littéraire des Tablettes de Paris
est traitée avec une grande supériorité.

Les Tablettes de Paris paraissent le 1" et le 15 de chaque


mois, par cahier grand in-4° de 2 feuilles satinées, avec une
couverture, et formant, au bout de l'année, un magnifique vo
lume contenant la matière de 8 volumes in-8° ordinairement.
Prix de l'abonnement pour l'année, 20 francs. — A Paris,
à l'imprimerie de Madame Lacombe, 12, rue d'Enghien ; au
bureau de la rédaction, grande rue verte, 54; au bureau de la
Ruche, et chez les principaux libraires.
272

VOEU DU COMITÉ.

Nous prions les personnes dont la sympathie est acquise à


notre œuvre de lui communiquer, autant que possible, ce
qu'elles croiraient devoir lui être utile, tels que renseigne
ments, livres, nouvelles intéressantes pour le Peuple, enfin
tout ce qui peut venir en aide aux travailleurs, comme de
mandes d'ouvriers ou de serviteurs, indications d'emplois
ou toutes ressources quelconques.

Les ouvriers composant le comité de la Ruche populaire se


sont proposé de répandre, de propager parmi les travailleurs,
sans les leur faire payer, les exemplaires du journal. Ils espèrent
atteindre ce but en réalisant un nombre suffisant d'abonnements
à 6 fr. (c'est à dire par des souscripteurs pris en dehors de la
classe ouvrière.)

| De plus, la Ruche étant dégagée de patronage, les personnes


qui désireraient concourir particulièrement à l'extension univer
selle de ce libre organe peuvent s'adresser à M. AUMoN-THIÉvILLE,
Notaire, boulevard Saint-Denis, 19, où elles trouveront un re
gistre ouvert à cet effet.

ALVEOLES.

COMMENT LES BOURGEOIS ENTENDENT LA SCIENCE SOCIALE.

«—Un maire d'une importante commune, voisine de Rennes,


nous a rapporté le fait suivant : « J'ai eu la patience de faire,
assisté d'un conseiller municipal, le recensement des chiens que
renferme la commune de B... Il s'en est trouvé 502. Or, la
commune a 165 pauvres, et nous avons calculé que la nourri
ture absorbée par les chiens suffirait à nourrir nos pauvres ! »
(LE SmÈCLE.)

Le Gérant, F. DUQUENNE.

lmprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


TABL E.
Pag.
Recommandation d'infortunes intéressantes.. .. , ...................... 241
Travail, propriété, association. (Coutant, compositeur).. ... . . .. .. ... ... 241
A M. Guizot, président du conseil des ministres, par E. Lombard......... 254
Lettre au Comité de la Ruche, par M. François Tournois, ex-roulier de l'armée
d'Espagne .. .. ... ... ......... . . .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. -- . .. : 254
Reproduction : Le Corsaire-Satan............................ 256 • • • • • • •

OEuvre de fraternité............................................ , 256

Tableaux et autres objets d'art et d'industrie pour les familles.. .. .. ..... 256
Une rencontre. (André Siclot, ouv. en jouets d'enfants.. .......... .. , .. 257
M. de Lamartine et le Libre-Echange. ................. • • • • • • • • • • • • • 259

Le règne du Christ, par Barrillot, ouv. litthographe.... ... ........... . 260


Correspondance.— Lettre de M. l'abbé Salmon, missionnaire apostoliqUe. .. 268
Table de mortalité en Angleterre........ , ... . , ............ . . • • • • • • • • 269
Nouvelle............. e • e • • • • • • • • • e • • • • • • • • • • • 3 • • • • • . .. ... ... .. . 269

Bibliographie. - Les Tablettes de Paris. .............. .. ... ........ . 271


ALVÉOLEs ... ... .. ... . º º - º - • e - • • • • • • • • • • - a - • • • • • • • • • • .. .. ... ... 272

-9G

LA RUCHE PoPULAIRE, qui date de décembre 1839, forme tous


les ans un volume de 3 à 400 pages.

PRIX DE L'ABONNEMENT.
A PARIs : 6 francs par an. — DÉPARTEMENTs : 7 fr.
HoRs FRANCE : 10 fr. par an.

(Affranchir.)
O sa s'a b o n m e à Pa r i s
Au Bureau de la Ruche, rue Vieille-du-Temple, 75, au Marais.
Chez M. BoRDIER, libraire, même rue, n. 75 (Dépôt du journal.)
AUBERT ET C°, édit. d'estampes et du journal les MoDES PAR'sIENNEs .
29, place de la Bourse.
ALLIANCE DEs ARTs (Agence spéciale pour expertise, collection et vente
de tableaux, etc. ), 178, rue Montmartre.
Au bureau du SIÈCLE, 16, rue du Croissant,
Au bureau de la RÉFoRME, rue J.-J.-Rousseau, 3.
Au journal l'UNIoN MoNARCHIQUE, 4, rue du Bouloy.
Au bureau de LA SEMAINE , 6, rue Saint-Marc-Feydeau,
Au bureau de la DÉMOCRATIE PACIFIQUE, rue de Beaune, 2.
Au bureau de LA PATRIE (journal du soir), 6, rue Saint-Joseph.
A la REvUE BRITANNIQUE, 1, rue Grange-Batelière.
Au burcau du CHARIVARI , 16, rue du Croissant.
Au bureau du CoRsAIRE-SATAN, 26, passage Jouffroi.
TABLETTEs DE PARIs, rev. de la semaine (M. Niboyet), 34, gr. r. Verte.
Au MÉMoRIAL PoLoNAIs, quai Malaquais, 15.
Au bureau de LA CoLoNNE, 148, rue Montmartre.
Au TRAVAIL INTELLECTUEL, (scient., litt. et artist.), rue S. Lazarre, 79.
A la Société de la Morale chrétienne, 9, rue Saint-Guillaume.
Au Cercle catholique de la rive droite, rue Saint-Honoré, 350.
A LA LANTERNE nU QUARTIER LATIN , rue Hautefeuille , 12.
MM. LEGRos, salon littéraire de la Chambre des Députés, rue de Bourgogne.
PERRoTIN, libraire éditeur, place du Doyenné, 3.
H. SoUvERAIN, libraire, rue des Beaux-Arts, 5.—Et tous l s autres lib.
On souscrit aussi
LYoN, à la Tribune lyonnaise, revue politique et sociale, 53, r. S. Jean.
Id. au bureau de l'Echo de la Fabrique, à la Croix-Rousse, gr. Place.
ARRAs, au bureau du Progrès-du-Pas-de-Calais, et chez Topineau, libr.
ANGoULÊME, au bureau de l'Indépendant, journal politique et littéraire.
BÉZIERs, au bureau du Journal de Béziers.
EvREUx, au bureau du Courrier.
VERSAILLEs, chez Mme GUÉRIN, salon de lecture, 36, rue de la l'ompe.
SAINT-OMER, au bureau de l'Eclaireur.
ORLÉANS, au Journal-du-Loiret.
RoUEN, à la Société libre d'Émulation.
SAINT-QUENTIN, au bureau du Guetteur.
MELUN, chez Mme DESPLANTEs, lib., rue de la Jt.iverie, 12.
RoANNE, au bureau du Progrès-de-la-Loire.
AviGNoN, au bureau de l'Indicateur.
CALAIs, au bureau de l'Industriel Calaisien.
GRENoBLE, au bureau du Patriote des Alpes.
CHARLEvILLE, au bureau du Propagateur des Ardennes.
BAR-LE-DUC. au journal de la Meuse, rue Rousssau, 18.
SAINT-MALo, au bureau de la Vigie de l'Ouest.
SAINT-SERvAN, au bureau du Publicateur de Saint-Malo-Saint-Servan.
CAsTREs (Tarn ), au journal de Castres, jour.-Alm. des v. et des camp.
BLoIs, à l'Etoile-du-Peuple, chez M. Dézairs Blanchet, libr , gr. r., 67.
ToULoN, au bureau dela Sentinelle de la Marine et de l'Algérie.
VEvEY (Suisse), au bureau de la Patrie, gazette politique et sociale.
TuRIN | Savoie), au bureau de la Gazette de l'Association agricole.
MADRID (Espagne), Libreria Europea, calle de la Montera , 12. (Bul
letin bibliographique espagnol et étranger.)
LoNDREs, au journal l'Europe.
LEYpsIG (Saxe ), chez M. MICHELM, lib. -

SwvRNE (Turquie), à l'Impartial de Smyrne, j. politique, commercial


ct IIttêralTe.
WAsHINGToN (Amérique), au National Intetttgencer, au l'he Daily
Union, et à la Société typographique colombienne.
on reçoit au bureau de la Ruche les abonnements a tous les journaux
ci-dessus mentionnés.

Imprimerie DoNDEv-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


|||0|||| P0PULAIRE
Première Tribune et Revue Mensuelle
| nºploº et runner

| PAR DEs oUvRIERs


| -

| .
DE FRANÇOIS DUQUENNE
Ouvrier imprimeur,

NEUVIÈME ANNÉE. - D ÉCEMBRE.

PAR1S
AU BUREAU, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE, 75,
AU MARAIS.
1847

•2 .
PROG | RAM IM [ Ee

Le but principal de la Ruche populaire est d'indiquer les misères


cachées aux riches bienfaisants. Elle ouvre en outre aux ouvriers une
tribune où chacun d'eux peut faire entendre ses justes réclamations,
exprimer ses vœux légitimes, ses espérances d'amélioration. Or
telles sont aujourd'hui la multiplicité et la divergence des doctrines
sur toutes choses, qu'on ne saurait s'attendre à trouver parmi les
écrivains de la Ruche l'unité d'opinions, qui n'existe nulle part. Le
but de notre recueil n'est donc, sous ce rapport, que de faciliter
l'intervention des Hommes de travail dans la discussion des moyens
propres à remédier à des maux universellement avoués. En leur
laissant une pleine liberté d'exprimer leurs idées, elle leur en laisse
aussi toute la responsabilité, se bornant à exiger d'eux, avec un
ton décent, le respect que l'on doit toujours à la morale publique.

A NOS FRÈRES.

Nous voulons dire au plus malheureux de nos frères gémissant


sur la voie publique, ou bien abandonné dans son grenier :
«Te voilà sans travail, et tu en demandes; tu es sans logement,
» sans vêtements, sans nourriture; incertain du lendemain, aucune
» main amie ne vient toucher la tienne, donc tu as à te plaindre.
» Eh bien, si ta plainte est digne, viens nous l'apporter; il ne t'en
» coûtera rien pour la publier; et tu parleras à la Société, n'étant
»justiciable en ceci que de la majorité de tes frères d'infortune. »
LA

RUCHE POPULAIRE
(# #& E B U $ $3)

« Secourir d'honorables infortunes qui se


« plaignent, c'est bien ; s'enquérir de ceux
« qui luttent avec honneur, avec énergie, et
« leur venir en aide, quelquefois à leur insu ;
« prévenir à temps la misère ou les tenta
« tions qui mènent au crime..., c'est mieux.»
(RoDoLPHE, dans les Mystères de Paris.)

Nous recommandons à l'Évangélique Fraternité ces infor


tunes intéressantes :

Un homme de peine, cherchant vainement du travail. Il


est père de six enfants, dont la mère est malade ; tout est au
Mont-de-Piété.

Une Mère de famille, veuve d'un ouvrier cloutier, restée,


avec trois enfants, dans une misère absolue.
Suivent les autres infortunes inscrites sur notre registre.
—==>3G=-

AVIS.

Etant à la fin de l'année, nous invitons nos abonnés de


Paris, des départements et de l'étranger, à renouveler leur
abonnement.

IX° ANNÉE de cette 1r° tribune des ouvriers.—Décembre 1847. 18


274

ÉTAT DU PEUPLE.
« Un pauvre écrivain public, que les gens de son voisi
nage s'accordaient à citer comme un modèle d'honnêteté,
d'exactitude laborieuse et de résignation dans sa condition
plus que précaire, vient de se donner la mort dans des cir
constances bien faites pour exciter les regards et la commi
sération. Dans les vêtements dont était recouvert son cadavre,
que des mariniers ont repêché près du pont de Saint-Cloud,
on a trouvé l'écrit suivant :

« La faim et le manque de logement me forcent au suicide.


« Je demeurais rue Guérin-Boisseau 52, depuis quatre ans et
« demi, avec ma femme et ma petite fille, qui a près de neuf
« ans. Me trouvant en retard de pouvoir payer mon garni, on
« m'a refusé ma clé. »
« Signé Philippe ToUssAINT. »

— Avant hier, 17 décembre 47, madame veuve Pellican,


ouvrière blanchisseuse, rue de Lesdiguières, 9, alla porter
du linge chez Madame C....... , qui voulut lui diminuer cinq
centimes sur un petit bonnet. « — Ah! ne me diminuez pas,
«allez, madame, répondit l'ouvrière, je suis assez malheu
«reuse ! on ne sait plus comment faire pour se nourrir ... »
Madame Pellican s'en rctourna, plus triste qu'à l'ordinaire.
Rentrée dans sa chambre, elle écrivit l'état de tout le linge
appartenant à ses pratiques ; puis elle fit boire du pavot à
ses deux enfants, l'un âgé de 9 ans, l'autre de 12 ans et demi,
et qui venait de faire sa première communion. Alors elle allu
ma cinq fourneaux de charbon. Quelque temps après, l'aîné
des enfants, se sentant mal à son aise, se leva pour ouvrir
la fenêtre; mais il tomba et mourut sur la place. Enfin plu
sieurs indices excitant des soupçons, les voisins et le portier
vinrent frapper à la porte : voyant qu'on ne répondait pas,
ils firent ouvrir par un serrurier, et l'on ne trouva plus que
des cadavres.....
275

BANQUETS REF0RMISTES.
Au banquet d'Annezin-les-Béthunes, M. Crémieux, député,
appartenant à l'opposition constitutionnelle, a prononcé le
discours suivant :

« On a parlé de distinction entre la Bourgeoisie et le Peuple ;


on a dit que le Peuple était sacrifié, exploité par cette bour
geoisie ; mais hier encore, que faisait-elle cette bourgeoisie,
qu'on sépare du Peuple? Mais cette dernière année de misère,
lorsque la patrie était si rudement éprouvée, ne s'élevait-elle
pas tout entière pour venir en aide à ses frères, et votait spon
tanément les plus grands sacrifices pour soulager sa misère ?
Vous parlez des travailleurs ; vous dites que les travailleurs ont
droit d'être mieux traités par la bourgeoisiel Mais ces travail
leurs, n'est-ce pas tout le monde ? Et quand je suis dans mon
cabinet dès cinq heures du matin, est-ce que je ne suis pas un
travailleur, un travailleur laborieux, tout autant que le labou
reur qui cultive sa terre? Ne faites donc pas de ces distinctions
mensongères, de ces divisions de notre nouvelle société en pré
tendues classes qui n'existent plus. Il n'y a parmi nous ni peuple
ni bourgeois. Il n'y a que des plus riches et il y a des pauvres;
mais cette inégalité, prétendez-vous jamais la détruire ? Non,
sans doute, elle est dans la nature même des choses, elle est
inhérente à toute organisation sociale, et quoi que vous fassiez,
vous ne parviendrez jamais à l'effacer. (Vive adhésion.) »
Si ce discours répond à un toste à l'amélioration du sort des
travailleurs, nous ne voudrions pas être l'auteur de ce toste,
que M. Crémieux a si vertement tancé et flétri en ces termes :
« Ne faites donc pas de ces distinctions mensongères. » Cela
vous apprendra, MM. les banquetistes, à ne plus parler en
faveur du peuple; c'est un de vos invités, un des vôtres, qui
s'est chargé de vous donner la leçon. Comprenez-la, et qu'il
soit dit, une bonne fois pour toutes, qu'il ne faut pas même
laisser l'espérance au peuple.
M. Crémieux ne veut pas qu'on établisse de ces distinctions ;
puis, interrogeant les convives, il dit : « Mais hier encore,
« que faisait-elle, cette bourgeoisie qu'on sépare du peuple ?»
Parbleu, monsieur l'orateur, hier, la bourgeoisie exploitait le
peuple; aujourd'hui, elle l'exploite; demain, elle l'exploitera;
c'est-à-dire qu'elle s'enrichit toujours par le travail du peuple.
Voilà ce qu'on aurait pu répondre. 18.
276

M. Crémieux continue son discours, il s'écrie : « Et quand


«je suis dans mon cabinet dès cinq heures du matin, est-ce
«que je ne suis pas un travailleur, un travailleur laborieux
« tout autant que le laboureur qui cultive sa terre ? » Mon
sieur Crémieux, vous voulez parler du bourgeois-laboureur
qui a maille à partir avec son voisin, et vous charge de plaider ;
mais l'ouvrier agricole, sur qui repose tout le travail et gagne
40 ou 50 centimes par jour, celui-là, monsieur Crémieux,
est-il votre égal ? est-il travailleur comme vous ? L'ouvrier
de la ville, qui, malgré ses travaux des sept jour de la se
maine, ne peut ni loger, ni nourrir, ni vêtir sa femme et ses
enfants, ce travailleur, qui fait œuvre, lui, non pas discours,
est-il aussi votre égal ? Mais songez donc, monsieur, que le
discours le moins payé vous rapporte plus qu'à nous une année
de travail !
Votre comparaison n'est pas sérieuse, et le but que vous
avez voulu atteindre, vous l'avez dépassé.
Puis, comme un homme qui veut absolument se perdre,
se faire déconsidérer, vous dites, toujours en vous adressant
à l'auteur inconnu du toste de l'amélioration, qui s'est re
trouvé dans tous les banquets : « Il n'y a ni peuple ni bour
«geois. Il n'y a plus que des riches et des pauvres ; mais
« cette inégalité, prétendez-vous jamais la détruire ! Non,
« sans doute, elle est dans la nature des choses, elle est in
«hérente à toute organisation sociale, et, quoique vous fas
« siez, vous ne parviendrez jamais à l'effacer. »
Quelles étranges paroles ! Pourquoi M. Crémieux les a-t-il
dites ? D'où lui vient cette inspiration ? Pourquoi, dans un
banquet réformiste, vient-il proclamer que, quoi qu'on fasse,
on ne détruira jamais la misère, qu'elle est inhérente à toute
organisation sociale ?... Il y a là un mystère. M. Crémieux a
dit à la Chambre des paroles qui valaient mieux , et nous
ne comprenons pas qu'en ce moment, où les hommes de son
parti font de la propagande, M. Crémieux veuille, par un dis
cours dont on ne comprend pas la nécessité, ruiner l'inten
tion, les efforts de M. Barrot et de ses amis.
Vous avez la mémoire bien courte, monsieur ; car nous
nous rappelons certain projet sorti de votre conception, par
lequel vous espériez améliorer le sort des travailleurs.Vous
nous avez appelés pour en juger; vous nous avez donné
277

vous-même lecture de ce projet. Vous deviez, avez-vous dit,


provoquer dans votre demeure (le peuple auquel vous vous
comparez n'en a pas de pareille), une réunion de riches
bourgeois de vos amis, afin de leur demander l'argent néces
saire à la réalisation de votre projet, en leur payant cinq
pour cent. C'était une bonne affaire, disiez vous.Depuis, nous
n'avons plus entendu parler de rien. Vous n'avez donc pas
trouvé de cœur chez vos riches amis? et alors vous avez dé
sespéré. Un homme politique, et convaincu comme vous
paraissiez l'être, ne doit pas se décourager si facilement et
jeter, comme on dit, le manche après la cognée. Ce n'est
là qu'une affaire d'argent manquée, et la question ne doit
pas être abandonnée pour cela. Vous avez trop cru à l'ar
gent, c'est ce qui fait votre faiblesse; nous autres, ouvriers,
nous croyons à la justice, c'est ce qui fait notre force.
En somme, monsieur Crémieux, vous avez prouvé, par
Votre discours sec, dur, égoïste et désespérant, qu'il y a bien
réellement une bourgeoisie, et que cette bourgeoisie ne fera
rien pour détruire la misère des travailleurs, parce qu'elle
ne croit pas cela possible, et que, d'ailleurs, c'est la misère
du Peuple qui fait la richesse de ceux qui ne sont pas du
Peuple.
Votre discours n'est pas Français. (LE CoMITÉ.)

OEUVRE DE FRATERNITÉ.

Lorsqu'on nous signale une infortune intéressante, quel


qu'en soit le genre, comme, par exemple, un honnête ou
vrier, père de famille, depuis longtemps sans ouvrage et se
laissant périr lui et les siens plutôt que de révéler sa misère,
nous allons le visiter nous-mêmes en qualité de camarades et
non d'inspecteurs ; puis nous mentionnons le fait sur un re
gistre en omettant le nom et l'adresse; et quand un riche a
le beau courage, en le venant consulter, de choisir une ou
plusieurs infortunes à soulager, alors, au moyen d'un carnet
à numéros correspondants , nous lui confions les noms et
adresses,afin qu'il puisse aller lui-même répandreses bienfaits.
•->

Par suite de la coopération des artistes et d'autres per


sonnes généreuses, on trouve au bureau de la Ruche des
tableaux et autres objets d'art et d'industrie que l'on peut
acquérir au profit des Familles que nous recommandons.
278

CORRESPONDANCE.

Paris, ce 16 décembre 1847.

Monsieur le gérant,
Le malheureux S....., ouvrier menuisier en fauteuil, est de
venu tout à fait aveugle il y a trois ans environ, et il en a 47.
Il ne reçoit de notre bureau de Bienfaisance que 5 fr. par
mois, et un pain bis de 4 livres ; en sorte qu'il ne peut guère
vivre que de ce que quelques bonnes âmes peuvent lui donner,
et vous sentez que parfois il manque, à la lettre, de pain.
Il a bien une demande pour être adrnis aux Quinze-Vingt,
mais il aura encore longtemps à attendre avant de l'obtenir.
Il en est même également d'une demande de secours au minis
tère de l'Intérieur; en sorte que dénué de tout aux approches
de la saison rigoureuse, sa détresse est vraiment cruelle.
S..... , toutefois , pourrait, chez un coutelier, chez un clou
tier, être employé à tourner une roue ou encore à tirer un
soufflet de forge.
Voyez donc de grâce, monsieur le gérant, si vous pouvez lui
trouver quelqu'ouvrage de ce genre, afin qu'il puisse au moins
gagner son pain, et je m'associerai de cœur, veuillez le croire,
à toute la gratitude qu'il vous en aura.
Agréez, etc.
Votre abonné, presque aussi aveugle que mon pauvre client,
- Le colonel LEGAY-DARCY.

LL* | H | LIVE #.
I.

L'hiver, voici l'hiver qui sombre et froid s'avance !


Riches, vous qui voyez au sein de l'opulence
La fortune accéder à vos moindres désirs,
C'est l'heureuse saison des bals et des plaisirs,
Des splendides festins, des fêtes élégantes,
Des concerts, des raoûts, des intrigues galantes,
Lorsque sur vos villas grondent les aquilons ;
Venez; bientôt le monde ouvrira ses salons,
279

Comme autant de palais brillants d'or et de soie


Où dans tous ces détails le luxe se déploie,
Où murmurent des sons mélodieux, divins,
Qu'on croirait échappés au luth des Séraphins.
Là tout est disposé pour qu'on puisse sans crainte
Se livrer au plaisir, sans entendre la plainte
Du faible, du souffrant, qui, vous tendant la main,
Iraient troubler la fête en vous disant : j'ai faim !
Venez ; ne craignez point ces brutales paroles ;
Tout va s'illuminer au feu des girandoles ;
Car au travers des murs tapissés de velours,
La voix du malheureux n'arrive pas toujours.
e • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • e

L'amertume est pour nous; que notre âme s'y noie !


Heureux du siècle, à vous le plaisir et la joie ;
A vous qui cependant, au monde êtes venus
Débiles comme nous, faibles, souffrants, froids, nus,
Mais qui fûtes lancés par la main infinie
Sur un large sentier, sur la route fleurie,
Lorsque nous trébuchons, victime du destin,
Nous déchirant le corps aux ronces du chemin !...
Ceignez vos fronts de fleurs ; nous portons le cilice;
Vous buvez dans la coupe et nous dans le calice ;
Mais la liqueur pour vous n'eut jamais rien d'amer.
Allons, préparez-vous; riches, voici l'hiver !
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

II.

Artistes, quittez l'Allemagne,


Sa brumeuse et pâle campagne,
Ses vieux châteaux-forts, ses remparts,
Ses tours, ses églises gothiques
Dont le temps sape les portiques
Et ronge les débris épars ;
Revenez, troupe vagabonde,
Qui partez explorer le monde
Quand le soleil est plus ardent,
Lorsque, fendant les airs de l'aile
On voit revenir l'hirondelle
Vers les pays de l'Occident,
Alors que l'aurore est vermeille,
Que la nature se réveille
280

Toute souriante d'espoir,


Et que sur sa tige élancée
La fleur est mollement bercée
Par les douces brises du soir.. ..

e • e e e • e e e e e e e e • • e • e • • • • • • •

La Terre a perdu sa parure,


Les étangs leur fraîche ceinture
De roseaux, d'herbes, de joncs verts ;
La vallée est déjà muette,
Et la vigilante alouette
N'y chantera plus ses concerts.
Au bruit des chevaux qui hennissent,
Des fanfares qui retentissent,
Les forêts n'ont plus tressalli ;
Les meutes aux voix aboyantes
Ne s'y jettent plus haletantes
Aux cris joyeux du hallali.
Tout se tait, se meurt, devient sombre ;
Revenez ; car pour vous, dans l'ombre
Apparaîtront des bords chéris ;
Laissez la nature chagrine !
Voici que pour vous s'illumine
La reine des cités, Paris !
III.

O vous pour qui la vie est belle tout entière,


Qui n'avez jamais vu le besoin, la misère
Approcher votre seuil,
N'eûtes-vous quelquefois de ces sombres pensées
Que l'hiver, apportant vos fêtes désirées,
Amène aussi le deuil ;
Tous ceux que la Fortune, en injuste marâtre,
Jette ici bas souffrants, sans pain, sans feu, sans âtre,
Sans foyer pour s'asseoir,
Sans quelque pauvre couche où leurs membres reposent,
Lorsqu'après des travaux que leurs sueurs arrosent,
Ils reviennent le soir ;
Vous ne comprenez pas, sur vos coussins de soie,
A combien de douleurs ils se trouvent en proie,
Quand grondent les autans ;
Car vous n'avez jamais souffert de ce qu'ils souffrent,
Lorsque sous leurs haillons les vents glacés s'engouffrent
En sourds gémissements !
281

L'hiver ! mais pour celui que le sort deshérite,


C'est la saison d'enfer, c'est la saison maudite,
C'est le froid, c'est la faim !
C'est l'heure où tout son sang à sa tête remonte,
Car, homme, il lui faudra refouler toute honte
Pour vous tendre la main !
Oh ! si vos sens éteints, si vos âmes blasées,
Mais de plaisirs nouveaux jamais rassasiées,
Hâtent dans un désir
Ces temps d'ivresse— alors que, rempli d'amertume,
Le pauvre, assis dans l'ombre et pleurant sous la brume,
Aura tant à souffrir....
Donnez alors, ô vous, les heureux de la Terre !
De sauver du malheur, de secourir un frère
Est un plaisir bien doux !
Puis quand viendra le jour du jugement suprême,
Si le bras juste et fort vous lançait anathème,
Tous ils prieront pour vous.
• e • • • • • • • • e • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Donnez, pour bien jouir au milieu de vos fêtes :


Car il est triste, hélas! quand fermentent les têtes
Au banquet énivrant,
Triste d'entendre, alors qu'une voix vous enchante,
Se glisser une note aigué et discordante,
Le râle d'un mourant ! ! !
Philippe MAUGEY,
scieur à la mécanique.
–•98869em

LETTRES AUX FRANÇAIS.


X.
Dieu protége la France pour en
faire l'instrument de la régénéra
tion et de la félicité du monde.

Les hommes ont compris, dès les temps les plus reculés, que
l'humanité, ayant rejeté la loi divine, avait ainsi rompu le lien
qui l'attachait à Dieu ; de là l'idée de faire des religions ; et le
bon plaisir s'est donné carrière ici comme ailleurs; mais personne
ne s'est avisé, et cela parce que chacun voulait toujours orga
niser et gouverner les sociétés à sa guise, de chercher la justice
qe Dieu, cette loi qui peut seule relier réellement les hommes
au Tout-Puissant ; car nul ne soutiendra sans doute que l'erreur
282

et l'injustice puissent conduire au même but que la vérité et la


justice.
La religion se compose de quatre parties : le dogme ou l'en
semble des principes; la morale ou la loi qui détermine et règle
les actes et les rapports de chacun et de tous ; le culte ou la
# règle des adorations et des hommages à rendre à la divinité;
enfin les cérémonies, qui sont une espèce de langage figuré,
symbolique, mystique et mimique d'une grande puissance sur
l'imagination ; aussi, lorsque les cérémonies religieuses sont mo
tivées par la raison et réglées par la justice, elles ne sauraient
avoir trop de noblesse, de splendeur et de majesté.
Maintenant, si nous considérons que la législation et la poli
tique ne sont, en résumé, qu'une loi bonne ou mauvaise qui dé
termine et règle les actes et les rapports de chacun et de tous,
nous verrons, malgré le dire de nos modernes législateurs qui
veulent absolument séparer la religion de la législation et de la
politique, que toute religion renferme implicitement ou expli
citement, dans sa partie morale, les principes de la législation
et de la politique des sociétés qui se conforment à sa loi. La
différence qui existe entre la véritable et les fausses religions,
c'est que l'une établit et consacre les bons et justes principes
de la conduite et des rapports de chacun et de tous, tandis que
les autres en établissent et veulent consacrer de mauvais et d'in
justes , de sorte que la première pent seule opérer le bien des
individus et des sociétés. tandis que les autres les maintiennent
dans le mal et dans le malheur.
Cependant, jusqu'ici, les hommes qui se disent chrétiens ont
trouvé bon de mettre de côté les points les plus essentiels de la
morale chrétienne, afin de conserver ou d'établir, dans les so
ciétés, une législation et une politique de bon plaisir presque
toujours opposées à la justice de Dieu, réduisant alors la reli
gion à n'être, le plus souvent, qu'une vaine pratique de céré
monies, sans influence sur la conduite, l'organisation et les
rapports des nations, et lui ôtant ainsi tout ce qu'il y a de puis
sant en elle pour produire le bien de l'humanité.
Mais, vont s'écrier les législateurs, comprenez-vous les con
séquences du principe que vous avancez ? savez-vous que rien
n'est plus dangereux que de mêler la religion à la politique, et
que nous avons fait des efforts inouïs pour les séparer ?
Nous savons, répondrons-nous, que les hommes ont confondu
jusqu'ici deux choses très distinctes aux yeux de Dieu et qui
doivent finir par l'être aussi aux leurs : la religion et l'église ;
l'une qui est la loi, l'autre une société d'hommes devant agir
conformément à cette loi, mais pouvant la transgresser, vu la
liberté qui est en eux comme en tous les humains; de manière
283

que cette société n'est sainte et respectable, soit en corps, soit


en chacun de ses membres, qu'autant qu'elle agit ou qu'ils agis
sent conformément à la loi même.
Or, l'église ayant voulu consacrer aussi le bon plaisir chez
elle, et les esprits n'ayant pas encore l'habitude de séparer la
loi de ceux qui doivent s'y conformer et qui n'ont de puissance
et d'autorité que relativement à cette loi, il en est résulté que
la religion, ainsi mêlée au bon plaisir, a fait peur, avec juste
raison, parce qu'on voit en elle l'arbitraire de l'homme, d'au
tant plus retoutable qu'il veut se sanctifier; et alors on a re
poussé l'influence de la religion sur la législation et la politique,
afin de repousser celle de l'église.
Mais lorsque la justice de Dieu, qui doit tout dominer, sera
définie et suivie, alors on verra qu'elle détermine et règlel'action et
les rapports des individus, des sociétés et de l'église, de manière
à les unir ou à les séparer selon les cas, afin de les faire égale
ment concourir au bonheur général ; si bien que les sociétés
peuvent agir et s'organiser conformément à la religion sans s'unir
à l'église, au cas où celle-ci ne voudrait pas ce que la justice
de Dieu exige.
C'est donc de la partie morale de la loi divine, relative à la
législation et à la politique, dont nous allons nous occuper main
tenant, sans nous inquiéter si nous attaquons l'Eglise, l'État,
les partis, les opinions, les institutions et les sociétés, en tout
et partout où le bon plaisir s'est mis ou veut se mettre à la place de
la justice de Dieu ; puisque l'œuvre de la femme et d'anéantir,par
la raison, la domination arbitraire des hommes, en tout ce qui est
contraire à la loi divine ; et nous le ferons avec calme et fran
chise, bien que nous sachions d'avance que cette juste attaque
fera crier bien des hommes, et que le blâme et les injures ne nous
seront pas épargnés.
En conséquence, nous posons en fait, en principe et en dogme
religieux et politique, que tous les humains sont tenus morale
ment devant Dieu de chercher et formuler sa justice, c'est-à-
dire la loi qu'il a déterminée lui-même pour assurer le bien des
individus et de la société, et dont le Christ a proclamé et sanc
tionné les principes essentiels , laissant à l'esprit de vérité le
soin d'en développer toutes les conséquences. Cette recherche,
ce travail d'esprit étant le seul moyen de faire comprendre et
pratiquer cette loi aux hommes et de les préparer à la recevoir
en tous ses développements selon le temps et les circonstances
favorables, enfin, qu'ils sont aussi tenus moralement devant
Dieu d'adopter cette loi sacrée et de s'y conformer aussitôt qu'ils
la reconnaissent en conscience, la vertu ne pouvant consister
à rester dans l'erreur et dans l'injustice, ni la honte à changer
284

d'opinion ou de religion en passant volontairement du mal au


bien; car c'est ainsi que les humains en viendront enfin à l'u-
nité en tout ce qui importe à leur bonheur présent et à venir ;
unité à laquelle ils doivent tous se convier et s'exciter en se
communiquant la vérité les uns aux autres; et la presse, cette
grande voix, cette grande puissance du progrès, cst le moyen
providentiel qui doit les conduire à ce but.
Ainsi tombe d'abord devant la justice de Dieu ce précepte
absurde si souvent répété, que chacun doit rester dans la re
ligion de ses pères, ce qui équivaut à dire qu'il n'y a ni bien
ni mal en fait de religions, et qu'elles sont toutes également
nulles; principe dont une des conséquences est de diviser à ja
mais l'humanité et de la maintenir dans les voies de sa perte.
Or, on doit chercher et vouloir la vérité et la justice en toutes
choses; on doit y étre, y rester ou s'y rendre, mais librement,
loyalement, consciencieusement, par raison, par sentiment ou
† science ; Dieu sachant bien que la diffusion des lumières, et
'obligation et le besoin de chercher la vérité et la justice, les fe
ront enfin triompher.
Voilà ce que n'admettent point ces hommes orgueilleux, qui
dans toutes les religions veulent imposer la loi par autorité et
par violence, ou leur bon plaisir sous le nom de la loi ; mais
que chacun s'applique à chercher la vérité et la justice dans sa
propre conscience, dans l'Évangile et dans la nature des choses,
qu'il se rende bien compte de « tout ce qu'il voudrait que les
« hommes fissent pour lui, en tous les cas possibles, et qu'il le
« fasse de même pour eux , car c'est là la loi et les prophètes. »
Ce qui veut dire, en d'autres termes, que la loi divine est la
protection mutuelle de tous les justes intéréts; que ceux qui
possèdent déjà la vérité et la justice les formulent et les mani
festent hautement par leurs paroles, leurs écrits et leurs actes,
afin d'éclairer les esprits et toucher les cœurs, et bientôt le grand
nombre, qui a besoin de la vérité, de la justice et de l'unité, s'y
rendra. Tel est encore un des principes de la justice de Dieu
qui attend cette unité si importante au bien de l'humanité, puis
qu'elle peut, seule, faire sa force et sa puissance de la diffusion
des lumières et des bons exemples donnés par ceux qui suivent
sa loi.
« Que votre lumière luise devant les hommes , afin qu'ils
« voient vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est
« dans les cieux. »
Effectivement, répandre les lumières et travailler constam
ment au bien de tous, sont les moyens d'amener les hommes à
la religion qui prescrit l'un et l'autre.
285

Et veut-on un exemple frappant de la justesse de ce pré


cepte ? qu'on jette les yeux sur le monde.
Certes, l'église devrait avoir une conduite toujours conforme
à la loi qu'elle professe; cependant, l'ignorance, les vices et les
crimes ont souvent dégradé l'église et jusqu'à ses chefs mêmes.
Alors on a vu un grand nombre d'hommes s'éloigner d'elle et
former des sectes ou d'autres religions, malgré les violences et
les atrocités employées pour empêcher cette désertion ; moyens
criminels qui, loin de ramener à l'église, éloignaient encore plus
d'elle, par les sentiments de réprobation qu'inspirait la con
duite de ceux qui, se disant chrétiens, agissaient contrairement
à la loi qu'ils professaient; aussi l'église perdait toute sympa
thie des hommes de cœur et de pensée ; les uns cherchant ail
leurs l'expression du sentiment religieux , les autres n'en vou
lant plus, tant ils étaient indignés et révoltés de l'abus qu'on en
avait fait ; et nous ne craignons pas de le dire, l'église aurait
fini par perdre toute influence sur les sociétés, si enfin, un
homme § haute intelligence n'était monté sur le trône ponti
fical.
Mais à peine ce vénérable chrétien annonce l'intention de la
justice et du progrès, que tous les regards se tournent vers lui,
que tous les cœurs généreux espèrent en lui, le saluent, le bénis
sent et l'encouragent au bien ; car on sait qu'il aura de vives
résistances à vaincre. A sa parole, l'Europe, qu'il étonne et
qu'il agite, est prête à se ranger sous sa bannière, et l'on sent
que lui seul, jusqu'à présent, peut reprendre un pouvoir uni
versel par l'amour et la confiance, s'il a la haute vertu de vou
loir enfin la justice pour tous, mais dans sa marche progres
sive, ce qui est conforme à la loi.
Mais il faut enfin le dire, jusqu'ici le tort de l'église, c'est
à-dire des hommes qui devaient succéder au Christ pour établir,
pratiquer, développer et répandre sa doctrine, est d'avoir cru,
en recevant le pouvoir de ses mains, qu'ils avaient reçu en méme
temps le droit d'en user comme bon leur semblerait ; c'est de
n'avoir pas compris, tant le bon plaisir aveugle les hommes,
que le divin maître, ayant émis publiquement une doctrine qui
a été consignée dans un livre, afin que l'expression en fût à ja
mais fixée aux yeux de l'humanité entière, ses successeurs
étaient tenus de se conformer scrupuleusement à cette doctrine
et seulement d'en chercher, déduire, développer et appli
quer les justes conséquences; c'est d'avoir cru que l'interpréta
tion pouvait être arbitraire; enfin, c'est d'avoir pensé que l'hu
manité, éclairée par l'Evangile, par l'histoire et par l'étude de
toutes choses, devait abdiquer sa raison pour se soumettre pas
sivement à leur autorité arbitraire et absolue, sans juger si leur
286

doctrine et leur actes étaient bien conformes aux principes de


la loi du Christ et bien en rapport avec la nature des choses ;
aussi, qu'est-il résulté de cette prétention orgueilleuse que Dieu
ne pouvait laisser impunie, prétention qui mettrait dans ce
monde l'ignorance et le bon plaisir de quelques hommes à la
place et au-dessus de l'éternelle vérité et de la jnstice de Dieu
même ? c'est que l'humanité, révoltée avec juste raison, a cher
ché la vérité et la justice en dehors de l'église et souvent malgré
elle : si bien qu'il faut aujourd'hui que l'église s'unisse à l'huma
nité progressive et qu'elle progresse avec elle, ou qu'elle soit
rejetée comme du sel sans saveur, jusqu'au moment où elle rede
viendra elle-même le stimulant de la vérité et de la justice ; car
il faut enfin, malgré tous les obstacles établis par le mauvais
vouloir de certains hommes, que l'humanité arrive au but que
Dieu lui assigne, qu'elle se délivre du mal.
Mais que l'église, c'est-à-dire les hommes qui la composent,
éclairés par la vérité et par les circonstances, reconnaissent et
réparent les torts de leurs prédécesseurs ; qu'ils se mettent fran
chement et loyalement à la tête de la régénération humanitaire et
de la réforme sociale pour en régulariser l'action et en accélérer la
marche, et non plus à la suite du despotisme pour s'opposer au
progrès, et bientôt l'église reprendra sa juste influence sur les
esprits et sur les cœurs. On lui tiendra compte des difficultés
de sa position passée, et sa puissance n'aura de bornes que les
limites du monde ; car les peuples voyant en elle le soutien de
leurs justes droits et la protectrice, en ce monde, de leur juste
prospérité, viendront se ranger sous son égide; et alors toutes
les sectes et toutes les fausses religions se dissiperont peu à peu
et sans violences, comme les ténèbres se dissipent devant la lu
mière. Mais plus de bon plaisir ! car il doit être anéanti en tout
et partout, et avec lui la puissance de ses partisans.
A présent, nous pensons que pour bien comprendre la loi di
vine dans sa partie législative et politique, il faut supposer que
la société, telle qu'elle est, n'existe pas, et remonter à son ori
gine même pour voir comment elle se serait organisée et déve
loppée si elle s'était conformée aux règles de la loi suprême ;
car c'est en suivant pas à pas la société primitive que nous pour
rons juger les fautes qu'elle a commises, et connaître les moyens
de les réparer.
La justice de Dieu considère avant tout l'individu et les in
dividus isolément, parce que c'est l'individu qui renferme en
lui l'âme immortelle, qui seule, par le développement de ses
vertus et de son intelligence, se rend apte à remplir les fonctions
et à jouir des biens que Dieu lui destine, soit en ce monde, soit
après; ensuite parce que c'est l'individu qui, étant libre, peut
287

faire le bien ou le mal à volonté, et mériter ainsi les récompenses


ou les punitions relatives à ses actes; enfin, parce que les rap
ports qui doivent exister entre les individus pour former les
sociétés particulières ou la société générale , ne sont que des
moyens de procurer à chacun et à tous la puissance d'atteindre
au but de leur existence. Aussi la loi sociale, selon la justice
de Dieu, n'est que la règle des actes et des rapports qui doivent
faire concourir tous les humains au bien les uns des autres, selon
leur position respective; c'est la juste mesure de ce que chacun
doit à Dieu, à lui même et à ses semblables ; d'où vient que l'es
pérance et la jouissance de tous les biens légitimes, présents et
à venir, que les humains peuvent désirer et posséder, sont le
but et le résultat positif de la loi divine.
« Cherchez premièrement la justice de Dieu, et tous les biens
« vous seront donnés par dessus, car Dieu sait que vous en avez
« besoin. »

Quant aux peines annoncées aux siens par le Christ, elles ne


sont relatives qu'à la lutte qu'ils doivent soutenir avec ceux qui
ne veulent pas la justice de Dieu ; et le Christ ne pouvait en
mesurer le terme; car, vu la liberté donnée aux humains, li
berté dont le but est, comme nous l'avons dit, le développement
infini de leur intelligence par l'action d'une volonté propre, les
méchants et les bons se trouvent pêle-mêle dans ce monde, et,
vu les effets du péché originel, les premiers se trouvent encore
en grand nombre. Or, ce à quoi il faut parvenir, c'est à réduire
ce nombre le plus possible par les moyens que la justice auto
rise ; enfin, ce à quoi il faut parvenir, c'est à unir et associer
ceux qui veulent le bien, afin de leur donner la puissance d'em
pêcher les autres de leur nuire, et celle de répandre sur le
monde entier les bienfaits dont le Créateur veut combler l'hu
manité; car tel est le but qu'il faut atteindre; tel est le pro
blême législatif qu'il faut résoudre, l'art de rendre la généra
lité des hommes meilleurs étant non seulement de les éclairer
et de leur donner de bons exemples, mais encore de les rendre
plus heureux ; c'est pourquoi la loi du Christ est une loi d'a-
mour général et de miséricorde, et non de rigueur ; c'est pour
quoi il veut qu'on s'applique à faire le bien et non à punir.
Il savait, ce grand législateur, que les mœurs ne peuvent s'a-
doucir et se purifier que par l'effet des lumières et des bonnes
relations entre les humains, et que l'ordre social ne peut se mo
difier que par le changement des idées, dessentiments, des mœurs
et des circonstances; et c'est encore pourquoi il s'est attaché à
les changer avant d'attaquer directement des institutions vi
cieuses qui sont toujours le résultat des idées, des sentiments,
288

dcs mœurs et des circonstances, et qui ne changent jamais qu'a-


vec elles.
Veut-on une preuve de ce fait qui mérite aussi d'être mé
dité ? la voici :
La noblesse héréditaire est une institution politique dans l'in
térêt du despotisme et tout à fait opposée aux principes, au but
et à l'esprit du christianisme. Cependant, toutes les nations de
l'Europe se disant chrétiennes et très chrétiennes, ont encore
un corps de noblesse héréditaire, des maitres, des seigneurs,
etc. Pourquoi cela? Parce que les idées et les sentiments instinc
tifs de vanité, d'orgueil et d'égoïsme qui sont au fond des
âmes, portent chacun à vouloir des titres, des honneurs, des bé
néfices, des places, du pouvoir et des richesses pour s'élever
au-dessus des autres et les maîtriser, afin d'en faire les instru
ments de ses passions et de ses intérêts particuliers; et le des
potisme met à profit cet instinct général pour se créer une puis
sance politique capable de soutenir, défendre et fortifier la
sienne, en partageant avec elle tous les avantages qu'il peut re
tirer de sa domination.
Cependant la France, entrée une des premières dans la voie
des réformes et du progrès, veut, mais malheureusement sans
principes religieux , faire une grande révolution législative et
morale dans l'intérêt de l'égalité et de la fraternité, ces deux
points capitaux du christianisme, et, sans pitié, elle détruit
sa noblesse par la violence ; et certes, on ne lui reprochera pas
d'avoir épargné le sang, ni de n'avoir pas fait assez de lois, de
décrets, de serments et de menaces pour établir et consolider ce
nouvel ordre de choses.
Que résulte-t-il de cette explosion de puissances sans lumières
suffisantes et sans justice ? Que, peu de temps après, un capi
taine de grands talents, mais d'un immense despotisme, s'em
pare du pouvoir et rétablit aussitôt la noblesse avec des majo
rats, c'est-à-dire avec son hérédité, se servant avec adresse,
comme le font tous les despotes, des sentiments instinctifs dont
nous avons parlé, pour se créer, lui aussi, l'instrument poli
tique dont il avait besoin, afin d'assurer et perpétuer sa domi
nation et sa dynastie.
Voilà donc la noblesse hérédilaire reconstituée en France,
comme si l'on n'avait jamais songé à la détruire, et reconstituée
par qui? par des roturiers montés au pouvoir ; par des roturiers
qui l'avaient blâmée et combattue ; par des roturiers aussi vains
de leurs titres que les premiers barons de France ; et si les pou
voirs politiques n'ont pas encore été donnés à cette noblesse
nouvelle, c'est qu'on a craint l'opposition d'une grande partie
de la nation qui a compris le danger de ce privilège pour la
- 289
liberté ; mais on a déjà tenté de le faire, et on le tentera de
nouveau; parce que c'est une nécessité du despotisme qu'on
voulait et qu'on voudra rétablir en France. Aussi en attendant
le moment favorable, on créera des nobles avec des vilains,
tant et si bien qu'il finiront par être assez nombreux pour for
mer une puissance dans l'État, et alors on leur rendra l'avan
tage qu'ils convoitent, l'hérédité des pouvoirs politiques ; à
moins que la nation, c'est-à-dire le peuple, le grand nombre,
ne veuille enfin établir la justice de Dieu.
Et nous disons le peuple, le grand nombre, parce qu'il est,
dans toutes les sociétés, une classe à part, désignée par le Christ
même, (« Plutôt passerait un chameau à travers le trou d'une
« aiguille que de voir un riche se sauver, » ) qui n'aime pas la
justice et qui ne fera rien pour l'établir, mais qui s'y soumettra
lorsqu'elle sera instituée par la majorité.
Ainsi donc, quand le peuple, le grand nombre, voudra enfin
la justice de Dieu, alors il saura qu'une société civilisée pâr
cette loi doit récompenser généreusement, selon les cas, par
des titres , des décorations , des honneurs, des grades , des
places et des pensions, les services qu'on lui a rendus, comme
aussi les talents qui l'honorent et l'élèvent ; ceci n'est plus de
la vanité puérile ou dangereuse, c'est un règlement de la loi di
vine utile au bien général. Mais que ces titres, ces decorations,
ces honneurs, ces grades, ces places, ces pensions ne doivent
jamais être héréditaires, parce que la justice ne peut concéder
les avantages qui font partie de la puissance sociale et qui sont
un des moyens de la perfection de tous, à qui ne les a pas encore
mérités.
Enfin le Peuple, le grand nombre, saura aussi que tout indi
vidu qui ose s'emparer, solliciter ou recevoir ces biens sociaux
contrairement aux règles spécifiées par la justice, est un homme
dangereux dont on a tout à craindre, un homme méprisable
qu'on doit repousser formellement de l'association politique des
justes.
C'est ainsi que les sentiments de vanité, d'orgueil et d'égoïsme
refoulés dans les âmes par la justice sociale et par l'effet plus
puissant encore d'une véritable piété, s'y modifieront; car ceux
qui se disent les disciples du Christ sauront aussi, dans ces temps
de lumières, qu'on n'est chrétien qu'à la condition expresse de
se conformer à la loi du Christ, et non pas en accomplissant
des formalités établies par les hommes; lesquelles formalités,
lorsqu'elles sont justes, ne peuvent avoir qu'un but, celui d'exci
ter, † et fortifier tous les bons sentiments commandés
par la loi du maître et réprimer ceux qu'elle défend, tels que
19
290

la vanité, l'orgueil, l'égoïsme, etc., sentiments tellement opposés


au bien social, qu'ils sont cause de la plus grande partie des maux
de l'humanité. Mais dès que chacun, pénétré d'un vraisentiment
religieux, songera sérieusement à réprimer en lui ces funestes pas
sions, comme aussi à les blâmer et réprimer chez les autres lors
qu'elles se manifestent aux préj udices d'autrui, alors la justice
triomphera, la société marchera vers le but qu'elle doit atteindre,
et la noblesse héréditaire, si dangereuse par ses conséquences
sociales, déjà sapée dans ses fondements par la grande et juste
loi du partage égal de l'héritage, tombera d'elle même sans efforts
et sans violences, comme un échaffaudage dont on a retiré l'ap
pui, comme une iustitution surannée relative à des temps d'igno
rance et de barbarie dont les lumières du christianisme n'avaient
point encore dissipé les ténèbres.
Concluons de tous ces faits, que la violence est incapable de
détruire les mauvaises institutions qui sont encore la conséquence
de l'ignorance et des vices de la société; la Révolution française
en est une preuve frappante; car tout ce qu'elle a voulu anéan
tir se rétablit peu à peu, et de toutes les améliorations qu'elle
a tentés, elle n'a conservé que celles qui étaient dans l'opinion
du grand nombre. De même la violence est impuissante pour
empêcher la vérité et la justice de se développer; le christia
nisme en est lui-même une autre preuve éclatante ; la violence
ne peut donc que faire des victimes et retarder le progrès du
temps laissé parla providence à la liberté humaine. C'est pourquoi
elle est positivement défendue par la loi divine, qui, pour chan
ger ce qui est mal dans les sociétés, n'autorise et ne commande
que quatre moyens : la vérité, la vertu, le travail et l'asso
ciation. Mais ces quatre moyens bien compris et bien employés,
dans leurs diverses applications, leurs développements et leurs
combinaisons, sont tellememt puissants, ainsi que nous allons
le démontrer, que le jour où le grand nombre voudra résolu
ment s'en servir, le pouvoir social sera dans ses mains, et jamais
alltreIment.
V° MIEsvILLE
fleuriste.

Correspondance extérieure.
Nos confrères d'Amérique, du district de Washington,
nous ayant communiqué les statuts organiques de leur Asso
ciation, nous nous faisons un plaisir de les publier. Les lec
teurs pourront remarquer la similitude des procédés des
maîtres, à l'égard des travailleurs dans les deux pays.
291

L'Association des imprimeurs, en Amérique, fonctionne


assez librement quand à ses détails intérieurs ; mais dès
qu'un conflit survient entre elle et la Bourgeoisie, comme, en
définitive, cette dernière est prépondérante, l'autorité, qui
en procède, le résout en faveur de sa classe. Un de ces con
flits s'est élevé l'année dernière. Un bourgeois ayant faitsu
bir de mauvais traitements à des apprentis faisant partie de
l'Association, cette dernière livra le maître coupable aux tri
bunaux. « Vous serez peut-être étonné d'apprendre, nous
«écrit à ce sujet M. Jefferson, président de la société, que
sur cette Terre de liberté aussi bien qu'en France la loi est
« contre nous autres ouvriers.... Dans ce district (Colombia),
« nous sommes encore sous le régime des lois Anglaises qui
« existaient avant notre Révolution. Ainsi cette loi des cons -
« pirations, quoiqu'elle ait été rappelée en Angleterre d'où elle
«venait, et qu'elle soit contraire à l'esprit de notre siècle, n'a
«cependant pas été rappelée ici.... »
Là aussi les ouvriers s'adressèrent, en cas de diffé
rend , au sentiment modéré des magistrats. Et qu'en ob
tinrent-ils ? Une décision équivoque, grâce à l'opinion pu
blique, laquelle, heureusement, se montra favorable aux
ouvriers. Ce juste-milieu entre les exploiteurs et les exploi
tés, permet au gouvernement de se prononcer plus tard entre
les intérêts opposés, selon les oscillations de l'opinion. En dé
finitive, dans la question qui nous occupe, M. Jefferson nous
dit que « le maître brutal renvoya ses apprentis, mais que
«l'Association eut à payer des avocats, des honoraires à des
« témoins, ainsi que différents frais de justice qn'entraîne
« un procès considérable tel que celui des charpentiers de
«Paris. Nos persécuteurs, dit encore notre correspondant,
« eurent l'astuce de mettre en cause tous les membres de la
« société, de sorte que ceux-ci ne pouvaient avoir aucun té
« moin de leur côté. »
Ainsi, la question cst restée sans solution.
L'alliance entre les prolétaires, entre les faibles, ceux qui
n'ont enfin d'autre capital que leurs bras, est donc tolérée en
Amérique, mais elle n'y est pas reconnue en principe. Ce
droit naturel des travailleurs n'est pas plus permis en ce
pays de liberté que dans les autres contrées. L'existence de
19.
292
l'ouvrier n'est assurée nulle part; en tout et partout elle dé
pend du caprice des maîtres ou des gouvernants.
Puisqu'il en est ainsi, nous engageons nos confrères d'outre
mer à se délivrer au moyen de l'Association industrielle
dont le plan a été conçu et décrit par un de nos camarades
sous le titre Travail, Propriété, Association (1). Réussissant
dans ce pays nouveau, l'échange gratuit ou fraternel des
marchandises entre les corps d'états organisés conformément,
réussira par contre-coup chez les autres nations. Car on peut
en être bien persuadé, de l'affranchissement du travail doit
essentiellement résulter celui des travailleurs. On enlèvera
ainsi aux usuriers la faculté de retenir, pour eux seuls, la
richesse et la liberté, et ils ne seront plus à leur gré les dis
pensateurs de la vie ou de la mort des hommes.... Dès lors,
émancipés réellement, devenus citoyens, les ouvriers pour
ront acclamer à ce précepte de La Fontaine :
« Travaillez, prenez de la peine ;
« C'est le fonds qui manque le moins. »
(LE CoMITÉ.)

CoNsTITUTIoN de la Société typographique colombienne, avec


les statuts et règlements, adoptée en janvier 1817, et amen
dée en février 1856
RÈGLEMENT.
1. Lorsque le président montera au fauteuil et appellera à l'ordre,
le secrétaire lira le procès verbal de la dernière assemblée.
2. Le secrétaire-greffier recueillera tous les mois les cotisations et
les amendes.
3. Les personnes proposées pour être sociétaires seront soumises au
ballotage ; et, dans le cas d'élection, seront admises et initiées.
4. De nouveaux membres seront proposés.
5. Rapport du secrétaire correspondant.
6. Les rapports des comités seront reçus.
7. Les vacations dans les comités et bureaux seront remplies.
8. Les résolutions seront soumises.
9.Affaires non terminées.

CONSTITUTION.

Considérant que l'expérience a prouvé que l'association d'in


dividus et la formation de société, dans un exprès dessein de bien
(1) Voir la Ruche pop., n° de nov. 1847.
293
veillance, a rarement, si ce n'est jamais, manqué de recueillir
l'approbation de Dieu et de l'homme ; c'est pourquoi, nous,
avec la fin en vue, et par cette incontestable vérité puissamment
empreinte, avec l'espérance aussi que nos efforts, de cette ma
nière (1), mériteront l'estime de tous les honnêtes gens, et atti
reront, sur nos entreprises, la bénigne influence de notre Créa
teur, nous nous unissons et formons comme un seul corps, pour
le mutuel bénéfice de chacun, nous liant l'un à l'autre, de la
manière et dans la forme suivante :
I.
La société sera appelée du nom de Société typographique Colom
bienne. -

II.
Tous les actes de la société seront au nom du président, sous la
raison Société typographique colombienne, seront signés par le prési
dent et attestés par le secrétaire-greffier alors en fonctions.
III. FoNCTIoNNAIREs.
Les fonctionnaires de cette société consisteront en un président, un
vice-président, un secrétaire-greffier, un secrétaire correspondant et
un trésorier, qui , chaque année, seront élus annuellement à la pre
mière assemblée régulière de la société.
IV. MoDE D'ÉLECTIoN.
Toutes les élections de fonctionnaires se feront au ballotage, et le
fonctionnaire présidant nommera les juges de l'élection dont le de
voir sera de recevoir les votes, et, lorsqu'ils seront comptés, de dé
clarer le résultat au président qui en donnera connaissance à la so
ciété; et le membre ayant une majorité du nombre entier des votes
donnés, sera proclamé dûment élu; mais, en cas où nul membre n'au
rait une telle majorité, une nouvelle élection sera faite d'après le
mode ci-dessus.
(V, VI et VII ne renferment que quelques détails d'étiquette.)
VIII. DEvoIRs DU sECRÉTAIRE-GREFFIER.
S1. Le secrétaire-greffier assistera régulièrement à toutes les assem
blées régulières et spéciales de la société ; il tiendra les minutes claires
et exactes de leurs travaux ; il recueillera de tous les membres les dûs,
amendes et confiscations ; il aura soin du sceau de la société et sera
responsable; il inscrira toutes les personnes élues comme fonction
naires, non présentes alors ; et, généralement, fera et expédiera toutes
les affaires que la société pourrait lui confier. Et, pour l'exécution
de ces devoirs, il sera exempt du paiement des cotisations mensuelles
et recevra un dollar par chaque assemblée régulière.
S 2. Tout argent recueilli par le secrétaire, en vertu de cet article,
sera immédiatement délivré au trésorier, en présence du fonctionnaire
présidant, et son reçu, pris en conséquence, sera enregistré dans un
livre tenu à ce dessein (2). En cas d'absence du secrétaire, le fonc
(1) In like manner.
(2) In a book tobe kept forthat purpose.
294
tionnaire président nommera un secrétaire temporaire, et tout argent
reçu par celui-ci sera disposé comme il est dit ci-devant. En cas d'ab
sence du trésorier, le secrétaire ou le secrétaire temporaire donnera
quittance pour les sommes reçues par lui, au fonctionnaire présidant.
IX. DEvoIRs DU sECRÉTAIRE-CoRREsPoNDANT.
Le secrétaire correspondant répondra à toutes les communications
qui pourraient être adressées à la société, demandant une réponse, et
continuera toute autre correspondance qui pourrait être jugée néces
saire aux intérêts de ladite société.Cette correspondance sera recueillie
dans un livre tenu à ce dessein, et sujet, en tout temps, à l'inspection
de la société.
(L'article X renferme les différents devoirs du trésorier.)
XI. SUPPLÉANCE AUx VACATIONS.

S 1. Sur l'information de la mort, démission ou changement d'em


loi du vice-président, du secrétaire-greffier, du secrétaire-correspon
ant ou du trésorier, le fonctionnaire présidant en donnera notification,
et une élection, pour remplir la vacation ou les vacations ainsi occa
sionnées, aura lieu immédiatement après qu'une telle notification
aura été donnée, et la personne ou les personnes ainsi élues tiendront
son emploi ou leurs emplois jusqu'à l'expiration du terme pour lequel
leur prédécesseur avait été élu.
S 2. Si l'emploi de vice-président devenait vacant au moment de la
mort, démission ou incapacité (1) du président, ou en cas de vacance
concuremment avec l'office du vice-président, pendant le temps où il
peut être chargé des devoirs de président, la société procédera au
choix d'un président, d'un vice-président pour le restant du terme an
nuel ; la notification requise par le premier paragraphe de cet article
étant préalablement donnée.
XII. DÉCLARATIoN DEs FoNcTIoNNAIREs.
Avant que les fonctionnaires prennent possession de leurs emplois,
ils acquiesceront, un à un, à la déclaration suivante :
« Vous, un tel, vous engagez votre honneur d'accomplir, du mieux
qu'il sera en votre pouvoir, les devoirs à vous échus en qualité de
.. ...... de la société.
XIII. QUALITÉ DEs MEMBREs.
Les qualités requises et indispensables à toutes personnes admises
désormais membres de la société, seront un moral et bon caractère et
une connaissance pratique de l'art et des mystères de l'imprimerie,
ayant acquis ceci par un apprentissage de cinq ans.
XIV. ADMIssIoN DEs MEMBREs.
S 1. Toute personne désireuse de devenir membre de cette société,
adressera une demande à un de ses membres, dont le devoir sera de
rendre compte d'une telle demande à la société, avec les prétentions
de l'aspirant au sociétariat (2); laquelle demande attendrajusqu'à la
prochaine assemblée régulière, où la société pourra procéder au bal
lotage du candidat, et, si deux tiers des votants présents agréent son
admission, il sera déclaré dûment élu.
(1) Disability.
(2) With the applicant's pretensions to membership.
295
S 2. Nulle proposition du sociétaire ne sera présentée de même de
vant la société jusqu'à ce que les prétentions de l'aspirant aient été
réglées par le membre le proposant (1).
S3. Toute personne élue sociétaire, qui ne se présentera pas dans
l'espace de deux mois (munie d'une notification à elle donnée), et n'ac
quiescera pas aux obligations de la constitution, sera considérée comme
ayant perdu son droit à l'admission, à moins qu'elle montre à la société,
d'une manière satisfaisante, la cause d'une telle négligence.
XV. DÉCLARATIoN DEs MEMBREs.
Chaque personne admise membre de cette société acquiescera, avant
de signer la présente constitution, à la déclaration suivante :
« Vous, un tel, engagez-vous solennellement votre parole que vous
avez fait un apprentissage d'au moins cinq ans; que vous vous con
formerez à la constitution, aux statuts et autres règles rendues par le
gouvernement de cette société; que, en tout temps, vous procurerez
de l'emploi à un membre de la société de préférence à toute autre per
sonne, et que vous ne divulguerez aucun des procédés destinés à être
gardés secrets. » (2)
- XVI. DUs, etc.
S 1. Chaque personne, sur l'assentiment de la précédente déclara
tion, et ayant signé la constitution, payera incontinent, dans les mains
du secrétaire, la somme d'un dollar (qui peut, désormais, en tous
temps, être portée à une somme qui n'excédera pas cinq dollars) et une
contribution mensuelle de vingt-cinq cents (3) sera cotisée et requise
de chaque membre de cette société jusqu'à ce qu'il ait été pendant
onze ans membre résidant ; à moins qu'il ne soit devenu incapable
dans l'opinion de la société (par maladie ou par quelque cause inévi
table), de payer cette somme, ou qu'il n'ait profité lui-même du pri
vilége contenu dans le troisième paragraphe de cet article ; et, si tout
membre, ayant omis de faire ses payements mensuels pour six mois
successifs, requis alors par le secrétaire, néglige ou refuse de payer
la somme, il ne sera en droit de voter sur aucune question ou au
cune élection, pour tenir aucun emploi dans la société ou en rece
voir aucun bénéfice , jusqu'à ce que de tels payements fussent faits ;
pourvu que la maladie ne soit pas la cause d'un tel délit.
S2. Si un membre est en arrière de douze mois pour les dûs men
suels, il sera du devoir du secrétaire de lui en faire notification, et,
s'il refuse ou néglige de payer la dette ci-dessus avant trois mois, il
manquera en cela (excepté dans les cas de maladie ou absence du dis
trict , aux droits et privilèges de la société, et n'aura pas droit, pen
dant la durée d'un tel délit, aux bénéfices du premier et du second
paragraphe de l'article XIX de cette constitution, jusque trois mois
après que ces arrérages auront été payés.
S 3. Tout membre peut être exempté du payement des dûs men
suels sur le payement de onze années de contribution.
XVII. ACCUSATIoN ET EXPULsIoN DEs MEMBREs.
S 1. Une majorité de la société délibérera sur les charges alléguées
contre tout membre lorsqu'elles seront connaissables par les statuts de
(1) Until the applicant's pretensions shall have been stated by the mem
ber proposinghim.
(2) Required to be kept secret.
(3) Le cent est la centième partie d'un dollar ;- le dollar vaut 5 fr. 45 c.
296
la société. Une telle accusation sera d'abord portée devant une assem
blée régulière de la société, et, si une majorité des membres présents
le désire, un comité sera nommé pour faire une enquête à ce sujet et
rendre compte de tous les faits qui peuvent venir à leur connaissance
à la prochaine assemblée.
S 2. Tout membre accusé comme ci-dessus, aura notification d'une
telle accusation, et un mois lui est donné pour préparer sa défense,
laquelle défense n'étant pas faite au jour requis par la société (les
causes inévitables exceptées), ou, étant faite, ne sera pas jugée satis
faisante, et ceci étant une preuve suffisante d'une conduite propre à
rendre cette personne incapable de tenir son siége dans la société (1),
tel membre sera, là-dessus, exclu à la majorité des votants présents
concurremment par un vote à ce dessein.
S 3. Toutes les motions pour l'expulsion seront décidées au bal
lotage.
XVIII. FoNDs, ETC.
S 1. Les fonds de la société ne seront, en aucune manière, dispo
nibles, excepté pour le soulagement des membres malades ou dans la
détresse, leurs veuves et leurs orphelins ; pour défrayer les funéraires
des membres décédés et pour défrayer toutes les dépenses nécessaires.
S 2. Les fonds de la société seront appropriés exclusivement aux
objets spécifiés dans le paragraphe précédent ; et une notification à
deux mois sera donnée de toute intention de soumettre une proposition
pour les partager eutre les membres; laquelle division ne sera jamais
faite si sept membres résidents s'y opposent.
XIX. PENsIoNs sUBsIDIAIREs (2).
S 1. La société accordera quatre dollars par semaine aux membres
nécessiteux ou malades, à leurs veuves ou à leurs enfants, sur la
propre recommandation de deux ou plusieurs membres, pourvu que
dans leur opinion, cela soit convenable et à propos.
S2. Une somme qui n'excédera pas trente dollars sera allouée, sur
les fonds de la société, pour défrayer des dépenses funèbres de chaque
membre résidant décédé, excepté dans le cas prévu dans le second
paragraphe de l'article XVI et de ceux des membres qui ont acquiescé
aux termes du troisième paragraphe de l'article XVI, qu'ils soient
absents ou résidents : à moins qu'il ne soit démontré sur convenable
examen (3) qu'aucune allocution soit nécessaire pour la résolution ci
dessus (4).
(L'article XX contient les comptes du secrétaire et du trésorier.)
(1) And there being sufficient prof of improper conduct to disqualify
such person from holding his seat in the society .....
(2) Alimony, « alimentaire. »
(3) Upon proper investigation.
(4) Peut-être n'est - il pas inutile de faire ici une observation : la
moyenne des cotisations dans les sociétés mutuelles de secours, à Paris,
est de 2 fr. par mois. Avec ce subside, elles parviennent difficilement à
donner 2 fr. par jour aux malades, soit 14 fr. par semaine. En Amérique,
au contraire, les membres ne donnent que 1 fr. 35 c. par mois pour toucher
21 fr. 60 c. par semaine, lorsqu'ils sont malades. Le nombre des sociétaires
ne peut-être une objection sérieuse, car, dans une liste placée à la fin de
la brochure américaine, on ne compte que 384 membres depuis la fonda
tion de la société en 1815.
297
XXI. NoMBRE sUFFIsANT.
Sept membres portés pour un vote, constitueront un nombre suf
fisant de la société ; mais on ne disposera d'aucune somme si ce n'est
sanctionné par cinq de ces sept membres. S'il y a huit membres pré
sents, il en faudra six de ces huit ; et, s'il y en a davantage, les deux
tiers seront nécessaires pour donner une approbation.
XXII. AssEMBLÉEs RÉGULIÈREs.
Une assemblée régulière de la société sera tenue le premier samedi
de chaque mois.
XXIII. STATUTs, ETC.
Outre cette constitution, la société établira tous statuts et règle
ments profitables, pourvu que rien du contenu n'y soit rédigé de ma
nière à affecter les provisions de cette constitution.
XXIV. CERTIFICATs.
. (Cet article contient les formules nécessaires pour délivrer aux so
ciétaires un certificat d'admission sur le modèle ci-dessous.)
Ceci est pour certifier que........ à l'assemblée de....... 18 ,
. ........, fut dûment élu membre de la Société typographique Colom
bienne, établie dans la ville de Washington, en l'an 1815.
Washington, 18....
Attesté : A. B., président.
C. D., secrétaire-greffier.
XXV. AMENDEMENTs.
, Nulle altération ou amendement ne sera fait à cette constitution,
à moins que les deux tiers des membres présents y concourussent :
non plus sans qu'une notification préalable d'un mois ait été donnée.
XXVI. ABsENCE DU DIsTRICT.
L'absence du district, pour toute période longue de trois mois, dé
chargera les sociétaires des cotisations mensuelles durant une telle ab
sence; mais, si notification n'est pas donnée au secrétaire, par écrit,
§ temps même, ce membre sera sujet aux cotisations pendant cette
aDS6DC6.

RÈGLEMENT CONCERNANT LES APPRENTIS.


1. Chaque apprenti servira jusqu'à l'âge de 21 ans, et, au temps
de son entrée comme apprenti, n'aura pas plus de 16 ans ; et tout
jeune homme pris comme apprenti, sera engagé, envers son maître,
en bonne forme de loi.
2. Aucun apprenti fugitif ne sera reçu dans aucune maison du dis
trict de Colombie, soit comme apprenti, soit comme ouvrier.
3. En cas de décès de son maître, ou si, pour toute cause, la maison
où un jeune homme était employé ait fermée, il pourrait être pris
dans une autre maison, et être régulièrement admis à y atteindre le
terme de son apprentissage.
4. Après le premier jour d'avril 1844, la société typographique co
lombienne ne prendra en considération aucune requête de sociétaire
non accompagnée de preuves suffisantes que le demandeur a servi
298
la période de cinq années comme apprenti régulièrement admis dans
l'imprimerie.
5.A partir du 1" avril 1839, la société typographique Colombienne
ne permettra pas aux membres de ladite société de travailler dans au
cune maison où des enfants seraient pris comme apprentis d'impri
merie pour une période moindre de cinq ans.
6. La société typographique ne reconnaîtra que deux classes d'im
primeurs : les maîtres et les ouvriers ; c'est pour les personnes qui con
duisent les affaires seulement comme entrepreneurs et celles qui tra
vaillent comme ouvriers, que sont faits les règlements et les prix
demandés par la société.
(Ici se trouvent quelques amendements peu importants relatifs à la
constitution. )
—= Q8G89

STATUTS.
1. Les heures des assemblées seront réglées ainsi qu'il suit : du
premier samedi d'avril au premier samedi d'octobre, inclusivement,
à huit heures du soir, et du premier samedi de novembre au premier
samedi de mars inclusivement à sept heures et demi du soir.
2. Les assemblées spéciales seront convoquées par le président, à la
requête de la majorité présente à toute assemblée régulière et spéciale ;
et dans l'intervale des réunions (recess), sur la requête écrite de cinq
membres ; le président convoquera une assemblée, et le secrétaire-gref
fier la notifiera conformément à tous les membres.
3. Aucune démission d'emploi ne sera acceptée sans qu'une noti
fication écrite ait été préalablement donnée; ni celle d'aucun sociétaire
jusqu'à ce que tous les dûs, amendes et confiscations soient payées, et
notification donnée comme il est dit ci-dessus.
4. Tout membre qui quittera le lieu de l'assemblée sans permission
du fonctionnaire présidant, ou qui, d'autre manière, blessera les règles
de la bienséance, durant la séance de la société, sera mis à l'amende,
à la discrétion de la majorité présente, d'une somme qui n'excédera
pas un dollar.
5. Toutes questions autorisant une appropriation d'argent sera dé
cidée par oui et non ; et il en sera de même de toute question toutes
les fois que ce sera demandé par trois membres.
6. Le président, ou, en son absence, le fonctionnaire présidant,
décidera de toutes les questions d'ordre , sujet, néanmoins, pour un
appel ( appeal) à la décision de la société.
7. Nul débat ne s'élèvera sur aucun sujet ou résolution qui ne sera
pas soumis par écrit ; et tout membre de la majorité peut proposer
une nouvelle délibération de toute question dans la même assemblée,
ou à la première assemblée régulière tenue après celle-ci. A

8. Lorsque deux ou plusieurs membres se lèvent pour parler à la


fois, le fonctionnaire présidant en désignera un pour parler le pre
mier, lequel montera forcément à la tribune, et aucun membre ne
sera admis à parler plus de deux fois sur le même sujet, à moins que
ce ne soit pour donner des explications, dans lequel cas il se tiendra
strictement dans ses explications. -

9. Lorsqu'une question, résolution ou motion est prise en considé


ration, aucune autre motion ne sera mise à l'ordre du jour, si ce n'est
pour différement (postponement), division, amendement, renvoi, ou
pour être déposé sur le bureau, ou pour ajournement; celle-ci sera
299
toujours à l'ordre et décidée sans débat. Une motion de différement
indéfini prendra toujours le pas sur une motion de différement simple.
10. Le président et le secrétaire-greffier ne pourront assister aux
comités ; et le président ne votera sur aucune question, à moins qu'il
n'y ait égalité de voix, dans lequel cas il aurait voix prépondérante.
11. Toutes les résolutions seront lues par le secrétaire-greffier ; les
questions y relatives seront proposées à la tribune ; et, si elles sont
agréées, elles seront lues de nouveau avant leur dernière admission ou
rejet.
12. Tout règlement ou statut peut être suspendu par le vote des
membres présents.
--

Liste des prix de la Société typographique colombienne,


adoptée et amendée en janvier 1858.
COMPOSITION.
1. Les compositeurs, entre les sessions du congrès, ne recevront
pas moins de 10 dollars par semaine (1). Dix heures constituent le
travail d'une journée.
2. Durant la session du congrès, dans les ateliers où se fait le tra
vail courant du congrès, et dans tous les ateliers employés à d'autres
travaux faits pour et par l'autorité de ce corps, ou dans les autres
ateliers, ils ne recevront pas moins de 11 dollars par semaine.
3. Dans tous les ateliers, et dans toutes les saisons, ils ne recevront
as moins de 2 dollars pour chaque dimanche (qui consistera en huit
eures), et pour les heures extraordinaires du dimanche 25 cents; et,
dans d'autres temps, 20 cents par heure.
TRAVAIL AUX PIÈCES.
1. Tous travaux faits en langue anglaise, sujet ordinaire, se paie
ront : du cicéro à la mignonne, 31 cents par 1,000 emms (m) (2) ;
mignonne et nonpareille, 37 cents ; agathe, 39 cents ; parisienne 41
cents, diamant , 50 cents. Seront comptées comme trois lignes la
ligne de tête, avec son blanc (titre courant ou folio) et la ligne de
pied, et cela dans tous les cas. Une enn (n), en longueur et en lar
geur, sera comptée comme une emm (m) ; s'il y a moins qu'un enn,
on ne comptera rien. Au dessus du cicero, on comptera comme cicero,
2. Journaux.—Petit-texte et au-delà, 33 1 l2 cents par 1,000 emms
(m) ; mignonne et nompareille, 37 cents; agathe, 39 cents; pari
sienne, 41 cents ; diamant, 50 cents.
3. Règle et figure d façon (3). — Toute règle ou figure à façon est
payée le prix, plus une moitié, conformément au type avec lequel on
compose; toute matière dans laquelle deux ou plusieurs règles sont
insérées sera un travail de règle, et deux ou plusieurs colonnes de
travail (sans règle) constitueront un travail à façon.
4. Règle et travail à façon. —Toute règle et travail à façon seront
payés double du prix de la matière commune. Une colonne à façon
et une règle, dans une page ou autre matière, constitueront règle et
travail à façon, pourvu, néanmoins, que les travaux dont les pages
sont uniformément faites de deux ou plusieurs colonnes ( comme les
(1) Soit 54 fr. 50 c.
(2) Soit environ 1 fr. 70 c. le mille d'emms (m).
(3) En français « opération » , c'est-à-dire lignes en-deça de la justifi
cation.
300
publications périodiques), ne comptent pas au-delà de ce que la ma
tière commune ou le calcul ferait pour la règle séparant la colonne.
5. Toutes lignes de tête ou de pied attachées à une règle ou à un
travail à façon, ou règle et figure à façon, seront reconnus de même
que le corps de la matière.
6. Pour toutes les langues étrangères, imprimées en caractères ro
mains, une surcharge de 6 cents par 1,000 emms (m).
7. Tous travaux en grec ou autres caractères étrangers, seront payés
à la taxe de 66 cents par 1,000 emms (m).
8. On payera, pour les travaux d'arithmétique, une surcharge de
6 cents par 1,000 emms (m) sur la matière commune.
9. Les travaux d'algèbre seront comptés double.
10. Pour les livres d'orthographe ou tout autre travail contenant
plus de deux colonnes dans une page, on donnera une surcharge en
sus du prix de la matière commune.
11. Musique, double prix.
12. Les additions ou notes marginales (side notes), seront comptées
comme pleines dans toute la longueur de la page, et payées confor
mément au type dans lequel elles sont composées.
13. Les notes intercalées seront comptées conformément au type
dans lequel elles sont composées, et augmentées de 10 cents de sur
charge par 1,000 ems (m), et la page entière comptera comme texte.
14. Toutes notes de bas de pages, sommaires, de chapitres, etc., en
caractères plus petits que le texte, seront payés conformément au
type dans lequel ils sont composés.
15. Toute lettre comptée sur un corps plus large que l'œil (the
face), telle que bourgeoise ou petit-romain, sera comptée conformé
ment à son œil ; et toute lettre comptée sur un plus petit corps que
son œil, telle que mignonne ou nonpareille, sera comptée conformé
ment au corps.
16. Tous travaux dont la mesure n'excédera pas quarante emms (m)
en largeur auront 3 cents de surcharge par 1,000 emms (m .
3 17. Pour la confection d'une garniture qui n'excédera pas 16 pages,
1 cents.
18. Corrections. Les compositeurs seront payés, pour correction de
la copie, au taux de 55 cents par heure.
TRAVAIL DE PRESSE.
1. Les imprimeurs, durant la prorogation du congrès, ne recevront
pas moins de 10 dollars par semaine ; 10 heures constitueront une
journée de travail.
2. Durant la session du Congrès, dans les ateliers occupés au tra
vail courant du congrès; et dans tous les ateliers occupés à un autre
travail fait pour et par l'autorité de ce corps, ou dans les ateliers
des journaux, ne recevront pas moins de 11 dollars par semaine.
3. Dans tous les ateliers et dans toutes les saisons, ils ne recevront
pas moins de deux dollars pour chaque dimanche ( qui consistera en
8 heures); et pour les heures extrà des dimanches, 25 cents, et, dans
tout autre temps, 20 cents par heure.
DEGRÉS RECoNNUs DU PAPIER.
Médium................. .. 18 sur 22 pouces.
Royal....... ............. 19 - 24 -
Super royal.. ....... , ...... 20 — 27 -
Médium et demi............ 22 — 27 -
Impérial. ................. 21 - 31 -
301

TRAVAIL AUX PIÈCES.

Avec rAnros] ºº ººº


GENRE DE TRAVAIL. Oll garçon rouleur (º)
roulean à main.| ºº maºhine
à rouleau.

Cents. Cents.
Médium ou au-dessous de médium , -

lorsque la forme consiste en petit


texte ou en lettre plus large.. ... .. 37 27
Au - dessus de petit-texte , mais non
moindre..... - • - - • • • • - - - • - - • • • • • 39 29
Royal sur pet.-texte ou plus large lettre. 41 31
Royal au-dessous de petit-texte....... 43 33
Super-royal sur pet.-texte ou plus large
lettre.. .. ... ... .. . • • • • • • • • • • • - • 45 35
Super royal au-dessous de petit-texte. 47 37
Médium et demi sur pet.-texte ou plus
fort............ .. · · · · · · · · · · · · . - 46 36
Médium et demi au-dessous de p.-texte. 48 38
Impérial, sur petit-texte ou plus fort 50 40
Impérial au-dessous de petit-texte.. .. 52 42
Journaux imprimés sur impérial..... 50 40
Journaux imprimés sur royal ou super
royal. . .. .. .. . - - • - • • • • - - - • - - • • • 41 31
Pour tout format au-dessus de l'impé
rial, le prix sera de.. .. ... ....... . 60 50

(") L'imprimeur paiera son garçon rouleur.


Echelle de variation pour la dimension des formes, d'après le nombre
d'ems (m) ciceros (1) contenus dans chacune d'elles.

DÉNoMINATIoN NUMÉRIQUE. Medium | Royal | †


royal.
Medium
et demi.
|
Deux. .. .. .. .. .. ... ... | 11,966| 13,780 19,672 toais zots
Quatre.. ... ... .. .. .. .. | 9,960| 11,468| 13,580 14,720 | 16,372
Six............... , ... | 9,306| 10,716| 12,690 13,960 15,298
Huit. ............. .... | 8,816| 10,152| 12,044 13,224 14,494
Douze. .. ... .. .. .. .. .. . | 8,712| 10,032| 11,880 13,068| 14,322
Seize ... .. . .. .. .. ... .. | 8,254| 9,504| 11,276 12,380| 13,524
Dix-huit..... .. .. ... ... | 8,206| 9,450| 11,190| 12,312 13,492
Vingt-quatre. ...... .. .. | 8,024| 9,240|10,942| 12 036 13,192
Trente-deux....... ... .. | 7,948| 9,152| 10,838| 11,922| 13,066

(1) Cette table est basée sur 6 emms (m) de cicero au pouce, réglé. Le Stan
dard anglais (voyez Penny Magazine, vol. Il, pag. 422) a 71 1l2 emms (m)
au pied. Mais la plupart des fontes, dans ce pays, sont un degré plus pe
tites.
302
Toute forme excédant l'un ou l'autre de ces nombres de 300 ems
(m), comptera comme format au-dessus.
4. Toute impression moindre de quatre marques sera payé deux
cents de surcharge par marque.
5. Petits-travaux (1), 39 cents par marque lorsqu'on travaille sur
médium ou papier au-dessous de médium ; lorsque c'est sur royal et
au-dessus, sur petit-texte ou plus fort, pas moins de 43 cents ; au
dessous de petit-texte, 45 cents; quand c'est sur impérial, 50 cents
par marque.
6. Le travail fait en couleur, double prix.
7. Cartes. Pour un paquet et n'excédant pas deux paquets, on sera
payé au tarif de 16 cents par paquet.
8. Les marges seront payées doubles, conformément au format du
pier. Pour constituer une marge, la matière s'étendra à travers la
euille, sans blanc. Le papier foolscape (2) et au-dessus sera consi
déré comme marge.
9. Tout travail sur parchemin, lorsqu'il ne sera pas fait aux pièces,
sera paye 2 dollars 20 cents par jour, et nul payement ne sera pas
moins d'une demi-journée ; lorsque le travail sera fait aux pièces, un
tirage, 7 cents ; deux tirages, 14 cents.
10. Toute matière qui est employée pour être travaillée et imposée
en page est considérée comme travail de librairie (book-work.)
11. Marques. Le travail de journaux qui ne dépassera pas 10 mains
ou 240 feuilles, et tout autre travail au-dessous de 250 feuilles ou
10 mains 1l2, constituera une marque.
12. Pour démonter ou monter une presse, 20 cents par heure.
13. Pour travailler sur une nouvelle presse Ramage, 6 dollars.
14. Pour enlever une forme avant qu'elle ne soit finie, 37 cents.
15. Pour couvrir un tympan et le barreau, un dollar10 cents chacun.
16. Lorsqu'un dégât est fait dans une forme, chaque imprimeur
payera au total de 18 cents pour le temps occupé, ou 25 cents par
heure, mais seulement un imprimeur avec son rouleur.
Aucun imprimeur n'apprendra à un apprenti le travail de la presse,
sans le bénéfice de son travail pour quinze semaines ou moitié de ses
gages pour six mois, ni il n'instruira un apprenti qui aurait plus de
18 ans et qui serait engagé pour moins de 5 ans.
Aucune altération ou amendement ne sera fait à la précédente liste
de prix sans que les deux tiers des membres présents y concourussent ;
non plus sans qu'une notification préalable ait été donnée un mois
aVant.
Suit la liste des Membres de l'Association.
(1) Jobs, « corvée, petite affaire. » En termes d'imprimerie, bilboquets.
(2) Foolscape est un mot intraduisible en français comme nom de papier.
Il signifie « fou échappé. » C'est un format qui répond à notre grand-aigle
ou à peu de chose près.
303

PROPOSITION.

POssIBILITÉ DE LA RELIGION
PAR LA CONNAISSANCE PHRÉNOLOGIQUE DE L'HOMME
ET DE LA VIE,
Ouvrage dont la rédaction est collective et gratuite.
C'est un Dictionnaire de mots ayant trait directement à l'essen
tielle existence de l'Humanité, et dont les définitions doivent conve
nir à toute personne qui le lira. Il contiendra donc un aspect de
l'Unité universelle par la triple division qu'elle comporte et projette,
en moral, en positif, en analogie ou emblématisme. Il démontrera
l'urgence d'aller à cette unité par la multiplicité même, par la
variété complétant toute unité divisionnaire. Il dira pourquoi l'on
doit se mettre en rapport avec la Création, et juger en tout point
par comparaison avec la nature des choses. Il démontrera la cause
du mal ;- l'opportunité du savoir et de la connaissance exacte, pour
aborder et saisir le prochain par l'ensemble distinctif du caractère.
Il dira l'avantage qui résulte, pour des interlocuteurs, à s'exprimer
complètement et librement tour à tour; — à proposer plutôt que
d'imposer ; — les dangers de l'enthousiasme irréfléchi ou déréglé,
comme l'importance du calme et de la modestie dans la discussion
ou recherche, dans l'échange ou l'association des idées, des efforts,
en vue d'un but unitaire. Il démontrera l'obligation de se mettre
momentanément en affinité avec l'homme inculte, pour en dégager
l'âme. Il dira comment, par son contact avec les facultés du prochain,
l'intelligence individuelle se développe et se complète ;— pourquoi
les extrêmes se touchent ; — pourquoi la rivalité est plus vive et
plus intense entre les termes contiguës qu'entre les termes opposés.
Il démontrera la vanité des doctrines partielles, et pourquoi, en so
ciété, le centre résulte entièrement de la circonférence. Il dira la
nécessité, pour chacun, de subir l'Humanité, afin d'en être un des
soutiens. Il exposera les dangers de l'absorption, et la réaction vio
lente, désordonnée, qu'elle provoque. Il démontrera le mobile des
actions, l'antagonisme et la guerre intestine, fruits de l'ignorance,
de l'inappréciation réciproque des facultés respectives. Il donnera la
raison du fractionnement, de l'inclination, de la conversion à des
croyances plus en rapport avec l'individualité des natures, etc. Il don
nera une explication synthétique du moi ou personnalité, et de l'ex
pension interne ou externe, religieuse ou irréligieuse ; la raison d'être
du panthéisme, de l'ascétisme , du prosaïsme, du poétisme, etc. II
démontrera le progrès intellectuel, provoqué par l'exercice alterné ou
croisement cérébral nouveau, et la préparation, par le repos et le
retentissement extérieur, à de nouvelles impressions ou pensées, et
formules de pensées. Il parlera de la succession des tons généraux,
et de l'accession, par les progrès législatifs, anx régions supérieures
de la vie. Il offrira une méthode de direction, parlera des cultes par
lesquels on se répand, et de celui par lequel on s'élève. Il décrira
les dons de la santé et ses harmonieux avantages. Il indiquera la
normalité de mouvement et d'ascension, et les soins qui suffisent à
la constitution d'une Humanité digne et belle. Il décrira la cause de
l'impressionnabilité et de l'inertie, du fanatisme et de l'indifférence, de
l'illogisme, de l'engouement subit et de la déception qui le suit ; de
304
l'optimisme et du pessimisme; de la conviction, de l'aspiration, de
l'attrait et de la répulsion plus ou moins invincibles. Il parlera du
point de vue particulier ou distance optique, et de son exactitude
relative ;- du degré de satisfaction qui produit équilibre; - de la
mesure à garder pour l'efficacité des bonnes relations. Il dira l'irré
sistible propagande résultant de la bonne direction de l'arôme indi
viduel, et aussi de l'ensemble combiné du fond et de la forme dans
les compositions artistiques et les discours. Il donnera la raison des
différents tempéraments, et des aptitudes, vocations, contrastes, extrê
mes, contradictions, inconséquences; la cause du jugement positif,
du brillant superficiel, de l'impuissance de définir ;— de la dissem
blance, de l'homogénéité de foi et de l'hérésie. ll formulera un pro
gramme acceptable et supérieur; déterminera le devoir contemporain
et le mérite. Ainsi, entre deux expressions naturellement légitimes
et manifestement opposées, soit, par exemple, les expressions clas
sique et romantique; soit entre les expressions primitives Indoue,
Egyptienne, Israélite et leurs nombreux dérivés; soit entre les trois
expressions chrétiennes de la Romagne, de la Grèce et de l'Allemagne,
et leurs nombreux dérivés ; soit entre les deux communions protes
tantes méthodiste et rationaliste, et leurs huit cents dérivés; soit
enfin entre les interprétations orientale et occidentale du culte envers
le Créateur, se placera, pour les accorder, les relier en DIEU et en
l'Humanité, l'argument conciliateur. Et pour vaincre les †
ments rebelles, mais non blessés à mort, l'argument sera fortifié de
cent belles gravures, tableaux saisissants des milieux divers où s'é-
panche la vie, et dont l'accent vrai sera conforme ou tendra au but
désiré, la RELIGIoN.
Les artistes, les penseurs de tout caractère, les causalitaires, les
savants de tout rang comme de tout pays ; tout ceux et celles à qui la
Nature a départi l'influence, et qui sont les forces motrices, les agents
providentiels de l'évolution humaine ; toutes les personnes qui ont de
l'honneur, de l'amour fraternel et de la ferveur, ou que la Providence
à douées de l'organisation supérieure ou bien encore de la faculté
magnétique, sont invitées, tout en restant fidèles à leurs travaux frag
mentaires et de prédilection, à vouloir bien coopérer à cette œuvre
de rénovation et d'utilité universelle.
Le secrétaire provisoire de l'Association.
II° App. — nov. 47. GABRIEL , journalier.

ALVEOLE S.

« Vous qui tenez les clefs de la science, pourquoi


n'ouvrez-vous pas ?... »
(Saint PAUL.)

Le Gérant, F. DUQUENNE.

lmprimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.


TABL E.
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Recommandation d'infortunes intéressantes. ... .. . e - e @ e - e • e • • • • • e e - • • e 273
Renouvellement des abonnements ........ , . © - º - º - - º - - º - - > - º - - © © © © © © 273
État ºu Pºvrºe.......................... ...................... 274

BANQUETs RÉFoRMIsTEs. (Réflexions sur M. Crémieux, député. (Le Comité.) 275

OEuvre de fraternité. .. .. ..... ... .. ... ... ... .. ... .. .. .. ....... .. . 277

Tableaux et autres objets d'art et d'industrie pour les familles............ 276 '

CoRRESPONDANCE. Lettre de M. le colonel Legay-Darcy. .. ........... ... . 278

L'hiver, poésie. (Phil. Maugey, scieur à la mécanique.................. 278

LETTREs AUx FRANçAIs. X°. (M"° V° Miesville.)............. . ... ....... 281

Association des ouvriers imprimeurs en Amérique .... .. .. .. .. ... ... ... 298

PRoPosITIoN. (Gabriel). .. .. .. .. ... .. ... .. ... ... .. ... .. .. • . ... .. .. 303


ALVÉoLEs . .. .. • • • • • • • • • • • • . .. .. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • , . 304

LA RUCHE PoPULAIRE, qui date de décembre 1839, forme tous


les ans un volume de 3 à 400 pages.

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A PARIs : 6 francs par an. — DÉPARTEMENTs : 7 fr.
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(Affranchir.)
@ sa s'au b o »e »e e à Pa r i s
Au Bureau de la Ruche, rue Vieille-du-Temple, 75, au Marais.
Chez M. BoRDIER , libraire, même rue, n. 75 (Dépôt du journal.)
AUBERT ET C°, édit. d'estampes et du journal les MoDEs PARIsIENNEs,
29, place de la Bourse. - -

ALLIANCE DEs ARTs (Agence spéciale pour expertise, collection et vente


, de tableaux, etc.),. 178, rue Montmartre. ,, ,,, " t , N. . -

Au bureau du SIÈCLE, 16, rue du Croissant, ,


'Au bureau 'de la RÉFoRME, rue J.-J.-Rousseau, 3. ! "
Au journal l'UNIoN MoNARCHIQUE, 4, rue du Bouloy. . - 1

Au bureau de LA SEMAINE, 6, rue Saint-Marc-Feydeau.


v, Au bureau de la DÉMoCRATIE PACIFIQUE, rue de Beaune, 2.
Au bureau de LA PATRIE (journal du soir), 6, rue Saint-Joseph.
A la REVUE BRITANNIQUE, 1, rue Grange-Batelière.
Au bureau du CHARIVARI , 16, rue du Croissant.
Au bureau du CoRsAIRE-SATAN, 26, passage Jouffroi.
TABLETTEs DE PARIs, rev. de la semaine (M. Niboyet), 34, gr. r. Verte.
Au. MÉMoRuAI, PoLoNAIs, quai Malaquais, 15. .. " . - - . "

Au bureau de LA CoLoNNE, 148, rue Montmartre.


A la Société de la Morale chrétienne, 9, rue Saint-Guillaume.
Au Cercle catholique de la rive droite, rue Saint-Honoré, 350.
A LA LANTERNE nU QUARTIER LATIN, rue Hautefeuille, 12.
MM. LEGRos, salon littéraire de la Chambre des Députés, rue de Bourgogne.
PERRoTIN, libraire éditeur, place du Doyenné, 3.
H. SoUvERAIN, libraire, rue des Beaux-Arts, 5.–Et tous l.s autres lib.
On souscrit aussi
LYoN, à la Tribune lyonnaise, revue politique et sociale, 53, r. S. Jean.
Id. au bureau de l'Echo de la Fabrique, à la Croix-Rousse, gr. Place.
ARRAs, au bureau du Progrès-du-Pas-de-Calais, et chez Topineau, libr.
ANGoULÊME, au bureau de l'Indépendant, journal politique et littéraire.
BÉzIERs, au bureau du Journal de Béziers.
EvREUx, au bureau du Courrier. ·
VERsAILLEs, chez Mme GUÉRIN,
SAINT-OMER, au bureau de
† de lecture, 36, rue de la Pompe.
# eut. .. | | ' | | |
ORLÉANs, au Journal-du-Loiret. ,

RoUEN, à la Société libre d'Émulation.


SAINT-QUENTIN, au bureau du Courrier.
MELUN, chez Mºº DESPLANTEs, lib., rue de la Juiverie, 12.
RoANNE, au bureau du Progrès-de-la-Loire.
AviGNoN, au bureau de l'Indicateur.
CALAIs, au bureau de l'Industriel Calaisien.
GRENoBLE, au bureau du Patriote des Alpes.
CHARLEVILLE, au bureau du Propagateur des Ardennes.
BAR-LE-DUC. au journal de la Meuse, rue Rousssau, 18.

à -
SAINT-MALo,
# Id.
au bureau de la Vigie de l'Ouest.
au bureau du Publicateur de Saint-Malo-Saint-Servan.
CAsTREs (Tarn), au journal de Castres, jour.-Alm. des v. et des camp.
' BLois, à l'Etoile-du-Peuple, chez M. Dézairs-Blanchet, libr., gr. r., 67.
MoULINs, au b. de l'Indépendant, (polit. etc.), rue des grenouilles, 9"
ToULoN, au bureau dela Sentinelle de la Marine et de l'Algérie.
VEVEY (Suisse), au bureau de la Patrie, gazette politique et sociale.
TURIN ( Savoie), au bureau de la Gazette de l'Association agricole.
MADRID (Espagne), Libreria Europea, calle de la Montera, 12. (Bul
letin bibliographique espagnol et étranger.)
LoNDREs, au journal l'Europe. -

LEYPsIG (Saxe), chez M. MICHELM, lib.


SMYRNE (Turquie), à l'Impartial de Smyrne, j. politique, commercial
et IitteraIre. . | -- •
WAsHINGToN (Amérique), au National Intettigencer, au The Daily
Union, et à la Société typographique colombienne.
On reçoit au bureau de la Ruche les abonnements à tous les journaux
ci-dessus mentionnés.

rimerie DoNDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais.

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