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Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

INTRODUCTION

Le droit de l’urbanisme a pour objet «d’encadrer l’évolution harmonieuse


des agglomérations urbaines et s’intéresse donc à toutes les actions relatives à
cet accroissement urbain, en définissant et encadrant les différentes utilisations
du sol»1. Il est défini comme «l’ensemble des règles et institutions relatives à
l’aménagement et au développement urbain. Il a vocation à encadrer l’évolution
physique de l’urbanisation»2. Le droit de l’urbanisme n’a fait l’objet, en France,
d’une législation spécifique qu’avec la loi du 14 mars 1919 relative à l’urbanisme
qui prescrit les plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension des villes 3.
Le droit de l’urbanisme est ainsi, une branche du droit relativement récente 4. Si
cette branche est récente en France, elle l’est aussi en Tunisie5. C’est en 1929 que
l’histoire du droit de l’urbanisme tunisien commence à prendre place. En effet,
c’est avec le décret beylical du 25 janvier 1929 relatif à l’aménagement, le
redressement et l’extension des agglomérations urbaines6 que, pour la première
fois, l’extension des villes fait l’objet de plan d’aménagement.

1
AOUIJ-MRAD (Amel), Précis de droit de l’urbanisme, I.O.R.T, Tunis, 2002, p. 20.
2
JACQUOT (Henri) et PRIET (François), Droit de l’urbanisme, 5ème édition, Dalloz, Paris,
2004, p. 8.
3
La loi du 14 mars 1919 avait été modifiée et complétée, en matière de lotissement notamment,
par la loi du 19 juillet 1924.
4
JACQUOT (Henri) et PRIET (François), Droit de l’urbanisme, 3ème édition, Dalloz, Paris,
1998, p. 1.
5
AOUIJ-MRAD (Amel), Précis de droit de l’urbanisme, I.O.R.T, Tunis, 2002, p. 1.
6
J.O.T. du 2 février 1929, p.179. Ce décret avait été complété, à un niveau inférieur d’actions
et seulement pour la ville de Tunis, par le décret du 9 mai 1931 approuvant le règlement
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Le mouvement s’intensifie ultérieurement. Deux autres textes, englobant


tous les aspects du droit de l’urbanisme, ont été promulgués. Le premier est le
décret beylical du 22 juillet 1943 relatif aux autorisations de construire qui soumet
toute construction à une autorisation préalable7. Une partie de ce décret a été
reprise par la suite dans un autre texte, dont l’objet est plus général à savoir, le
décret beylical du 10 septembre 1943 relatif à l’architecture et à l’urbanisme 8. Ce
décret a accordé à l’administration de larges pouvoirs de contrôle et d’intervention
en vue d’une plus grande maîtrise du phénomène urbain. Le second est le décret
beylical du 11 janvier 1945 relatif à l’aménagement rural qui prévoit un plan
d’aménagement pour les communes rurales9. Ce décret vient compléter l’édifice
juridique et étendre la planification aux zones rurales.
Cette réglementation coloniale, quoique rapidement dépassée par les
nouvelles réalités de la Tunisie indépendante, demeurera pour un temps en
vigueur. En effet, après 1956, le législateur tunisien, et pour une longue période10
n’a adopté aucun texte touchant la matière. Ce n’est qu’en 1969, qu’un document
administratif interne, sans valeur juridique et dénué de tout caractère exécutoire,
fut adopté. C’est le «Règlement national de la construction et de l’urbanisme» 11
connu sous le nom de son élaborateur «le règlement Znaїdi». Malgré son caractère
interne, ce règlement constitua la source de toute régulation urbaine en Tunisie.
Il posa au juge un dilemme dans la mesure où étant un document interne, le juge
ne pouvait légalement s’y référer. Devant cette imperfection juridique, le juge

sanitaire de la ville de Tunis et qui pose des prescriptions sanitaires en matière de constructions.
7
J.O.T. du 24 juillet 1943, p. 449.
8
J.O.T. du 11 septembre 1943, p. 594.
9
TEKARI (Béchir), Le cadre juridique de l’aménagement urbain en Tunisie: essai sur le rôle
du droit en matière d’urbanisme, Thèse pour le Doctorat d’Etat en droit, Faculté de Droit et des
Sciences Economiques et Politiques de Tunis, 1983, p. 13.
10
De 1956 jusqu'à 1976, date de l’adoption de la loi relative aux autorisations de construire.
11
Le code de l’urbanisme de 1979 a prévu dans son article 16, un «Règlement général de la
construction », mais il ne sera pas appliquer, car trop restrictif, et l’on continuera d’appliquer
le règlement de 1969 jusqu’en 1994.
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continua d’appliquer la réglementation coloniale, notamment les décrets de 1943


comme en attestent certaines affaires jugées par la juridiction administrative en
1977 et 1979 (T.A., 208, 30 décembre 1977; T.A., 114, 29 juin 1979))12.

Cette situation a été légèrement modifiée avec l’adoption en 1976 de la loi


n° 76-34 du 4 février 1976 relative aux autorisations de construire13 qui devait
faire face au boum urbain de l’époque. En réalité, le vrai tournant est amorcé en
1979 avec l’adoption du Code de l’Urbanisme par la loi n° 79-43 du 15 août
197914. Ce code peut être considéré comme un guide de conduite pour les
collectivités publiques locales et les agences foncières. En effet, il devait répondre
à l’impératif de l’équipement du pays en infrastructures et à celui de
l’aménagement des zones d’habitat, de tourisme et d’industrie15 en leur insufflant
une plus grande cohérence. Mais ce code marqua ses limites. Il souffrait, comme
le confirme un auteur, d’un «manque d’harmonisation entre les différents
documents de planification et d’urbanisme qu’il met en place (...): [des documents
de planification et d’urbanisme] peu coordonnés et qui, non hiérarchisés, se
substitueront les uns par rapport aux autres; cet état de fait sera aggravé par
l’absence de valeur juridique (…) des documents d’urbanismes et par
l’insuffisante coordination entre les différents documents planificateurs»16.

12
T.A., 208, 30 décembre 1977, Héritier Monji BACOUCHE C/ Président de la municipalité
de Carthage, recueil des arrêts du Tribunal administratif pour les années 1975, 1976 et 1977,
pp. 201-202; T.A., 114, 29 juin 1979, Mohamed Boubakar MISSAOUI C/ Commune de Gabes,
recueil des arrêts du Tribunal administratif 1979, pp. 198-201,
13
Loi n° 76-34 du 4 février 1976 relative aux autorisations de construire, J.O.R.T, n° 9 du 6
février 1976, p. 327. Cette loi a été modifiée par la loi n° 90-18 du 26 février 1990, J.O.R.T. n°
17 du 6 mars 199, p. 321.
14
J.O.R.T, n° 48 des 14 et 17 août 1979, p. 2184.
15
Loi n° 73-21 du 14 avril 1973, relative à l’aménagement des Zones Touristiques, Industrielles
et d’Habitation, J.O.R.T. n° 15 du 17-20 avril 1973, p. 633.
16
AOUIJ-MRAD (Amel), Précis de droit de l’urbanisme, I.O.R.T, Tunis, 2002, p. 18.
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En effet, tout l’aménagement de l’espace et de la planification était réduit à


celui de l’urbanisation17. Faire de ce code un simple droit de la ville n’est qu’une
conception micro-spatiale «négligeant ainsi toute une partie du territoire d’une
dimension considérable, particulièrement les zones rurales et tout
l’environnement naturel»18. Mais cette conception a heureusement été dépassée
pour englober d’autres portions du territoire et introduire une conception plus
large, intégrative de l’aménagement du territoire national. Cette évolution est le
fruit de deux facteurs : le premier est la conscience du législateur des
imperfections du Code de l’Urbanisme et l’obligation de mettre un terme à ses
maladresses. Le second est le développement socio-économique qu’a connu le
pays19 et que la nouvelle législation doit prendre en considération. Cette nouvelle
conception s’est concrétisée par la promulgation du Code de l’aménagement du
territoire et de l’urbanisme (C.A.T.U.) par la loi n° 94-122 du 28 novembre
199420. Le mouvement s’intensifie aussi après la promulgation de la nouvelle
constitution tunisienne du 27 janvier 2014 qui a créée « le pouvoir local ». En
application de ce texte fut adopté le code des collectivités locales en 2018. Ces
collectivités représentent un acteur principal en la matière.
Vu la spécificité de la matière un plan bipartie va être adopté touchant en
premier lieu les documents d’urbanisme et de planification (première partie) et en
second lieu l’occupation des sols par les particuliers (deuxième partie).

17
MOUSSA (Mohamed Laarbi Fadhel), «Aménagement du territoire et urbanisme:
commentaire de la loi n° 94-122 du 28 novembre 1994», R.T.D., 1997, pp. 151-164.
18
Ibidem.
19
Travaux préparatoires de la chambre des députés, n° 6 du 22 novembre 1994, p. 109.
20
J.O.R.T, n° 96 du 6 décembre 1994, p. 1930. Le C.A.T.U. a été modifié à deux reprises. En
2003 par la loi n° 2003-78 du 29 décembre 2003, J.O.R.T. n° 104 du 30 décembre 2003, p.
3711. En 2005 par la loi n° 2005-71 du 4 août 2005, J.O.R.T. n° 61 du 5 août 2005, p. 1974.
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DEUXIEME PARTIE :

L’OCCUPATION DU SOL PAR LES

PARTICULIERS :

UNE JURISPRUDENCE ABONDANTE

L’occupation du sol par les particuliers répond aux besoins


d’établissements humains et aux fonctions d’habitat, de commerce, d’échanges
culturels, de services, et autres que tout regroupement humain exige. Pour les
besoins de la vie commune les citoyens sont tenus au respect d’un minimum
commun de règles relatives à l’affectation et à l’occupation du sol. Le lien est
important entre les divers documents d’urbanisme et les occupations du sol. Ces
occupations ne peuvent se réaliser qu’en respectant les prescriptions des
documents d’urbanisme sur les usages du sol, son affectation à différentes
vocations urbaines (habitat, commerce, espace vert, voie de circulation), la

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définition de la nature et de l’architecture des immeubles : hauteur, accès,


ouverture, places de parking, etc.

Les occupations du sol par les particuliers sont placées, en raison de leur lien avec
l’intérêt général d’une collectivité donnée, sous la vigilance de l’administration.
Entre les prétentions des particuliers et l’action de contrôle de l’administration,
le juge aura à décider.
La jurisprudence du Tribunal administratif témoigne au sujet de cette
occupation d'un apport certain. Le juge apportera des éclaircissements et des
interprétations décisives aux dispositions du Code de l’aménagement du territoire
et de l’urbanisme sur la question.

Il s'agit en effet de deux modalités principales : la première est le lotissement21,


acte qui permet de «viabiliser» le terrain et de le préparer au plan foncier et des
équipements à accueillir toute édification future (chapitre 1). La seconde, est
l'opération de construction qui, selon le professeur AOUIJ, «constitue l’échelon
le plus bas et le plus isolé d’occupation et d’utilisation du sol»22 (chapitre 2).

21
Le C.A.T.U. réserve tout un chapitre traitant des lotissements à travers les articles de 58 à 67
(dix articles). Comme il réserve aussi un autre chapitre relatif aux sanctions pour infraction aux
dispositions relatives aux lotissements à travers les articles de 76 à 79 (quatre articles). En tout
le C.A.T.U. réserve quatorze articles aux lotissements, c'est-à-dire un taux de 6.34 % des
dispositions de ce code puisqu'il contient quatre vingt neuf articles.
22
AOUIJ-MRAD (Amel), Précis de droit de l’urbanisme, I.O.R.T, Tunis, 2002, p. 93.
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CHAPITRE 1: L'OPERATION DE LOTISSEMENT:


LA DIVISION DU SOL

Le lotissement est défini comme «l’opération qui consiste à diviser une propriété
foncière en plusieurs lots destinés à recevoir des constructions»23. A son origine,
cette opération était purement privée. Le propriétaire pouvait y procéder en toute
liberté. Mais des considérations d’hygiène et de salubrité publique ont conduit à
une intervention publique24 qui s’est traduite par la promulgation de la loi du 14
mars 1919 en France (dite loi Cornudet ) et par le décret beylical du 25 janvier
1929 en Tunisie25.

Le droit de l’urbanisme traite le lotissement comme une véritable opération


d’intérêt général. Il ne faut pas s’en étonner. Car l’opération de lotissement a
d’abord un impact sur la configuration générale du sol, son habitabilité, sa densité,
ainsi qu’une incidence sur la nature publique ou privée des espaces, en particulier
sur les voies de circulation et les réseaux divers26.

Le Tribunal administratif s’y est référé à diverses dispositions. C’est en ce sens


que le juge a clarifié davantage la définition de l’article 58 du C.A.T.U. Il a ainsi
jugé «qu’est lotissement, toute opération de division d’une parcelle de terrain en
un nombre de lots supérieur ou égal à trois, destinés, après aménagement à la
construction de locaux à usage d’habitation, à usage professionnel, industriel,

23
JACQUOT (Henri) et PRIET (François), Droit de l’urbanisme, 5ème édition, Dalloz, Paris,
2004, p. 523.
24
DROBENKO (Bernard), Droit de l'urbanisme, 3ème édition, Gualino éditeur, Paris, 2006, p.
163.
25
Le décret du 25 janvier 1929 relatif à l’aménagement, le redressement et l’extension des
agglomérations urbaines, J.O.T. du 2 février 1929, p. 179.
26
AUBY (Jean-Bernard) et PERINET-MARQUET (Hugues), Droit de l’urbanisme et de la
construction ,5ème édition, Montchrestien, Paris, 1998, p. 365; Toutefois, le lotissement peut
être conçu et réalisé par une personne publique.
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touristique ou à recevoir des équipements collectifs sociaux et culturels» (T.A.,


27
16238, 3ème, 28 avril 2000, T.A., 23077, 2ème, 14 juillet 2004) . Dans cette affaire le
recours est intenté par un voisin tendant à l’annulation de l’autorisation accordée
au lotissement réalisée par l’Agence Foncière d’Habitation au prétexte qu’il y a
eu modification de l’ouverture initialement prévue et son déplacement sur une
autre voie d’accès. Selon le juge cette modification n’a aucune conséquence sur
la nature du lotissement. Celui-ci est un acte de division du sol. Les ouvertures,
leur nombre et leur direction sont sans effet sur l’opération elle-même. Aussi dans
cette affaire rejette-t-il le moyen invoqué. Selon le juge, il n’y a pas lieu à apporter
des conditions autres que celles prévues par le code28.

En plus de ces éléments relatifs à la division du sol en plusieurs lots, le C.A.T.U.


apporte d’autres éléments de définition au lotissement. Il considère dans l’alinéa
5 du même article 58 qu’est lotissement «la vente d’une ou de plusieurs parts
indivises d’un immeuble destiné à la construction». Il assimile en outre certaines
opérations à un lotissement. Il considère ainsi lotissement, «tout acte de location
ou de vente qui tend à répéter la division d’une parcelle en deux parts moins de
dix ans après une première division, si celle-ci n’a pas été déjà un lotissement»
(Article 58 alinéa 4 du C.A.T.U.). Il s’ensuit qu’il existe deux types de lotissements,
des lotissements au sens strict du terme et en quelque sorte « par nature » et
d’autres par assimilation29.

27
T.A., 16238, 3ème, 28 avril 2000, Mohamed Bechir LASSOUAD et consorts C/ Président de
la municipalité de Tunis, inédit ; T.A., 23077, 2ème, 14 juillet 2004, Commune de Sfax C/ Maki
TRUGUI.
28
T.A., 16238, 3ème, 28 avril 2000, Mohamed Bechir LASSOUAD et consorts C/ Président de
la municipalité de Tunis.
29
Le droit français a subi une évolution au niveau de l’opération de lotissement et de sa
définition: BERGEL (Jean Louis), «La réforme des lotissements», Droit et ville n° 54/2002, pp.
21-33; PERIGNON (Sylvain), «Que devient le lotissement?», Droit et ville n° 64/2007, pp. 27-
38; MAS (Jean-Paul), «Regard critique sur la nouvelle définition du lotissement», Droit et ville
n° 64/2007, pp. 39-47.
8
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A travers la jurisprudence du T.A. relative aux lotissements, le juge a


clarifié les dispositions du C.A.T.U. traitant de l’approbation du lotissement, avec
la possibilité de sa modification (section1), et des effets juridiques qui découlent
de cette approbation (section 2).

SECTION 1: L'APPROBATION DES LOTISSEMENTS


ET LA POSSIBILITE DE LEUR MODIFICATION

Afin d’exécuter une opération de lotissement sur le sol, un dossier dûment


constitué doit être déposé devant l'administration. Un arrêté du ministre de
l'Equipement et de l'Habitat datant du 19 octobre 1995 a fixé les pièces
constitutives du dossier de lotissement y compris le cahier des charges ainsi que
les formes et modalités de son approbation.

Le législateur tunisien a consacré toute une section du C.A.T.U., à


l'approbation des lotissements30. Conscient des situations précaires, de l'évolution
et des changements qui peuvent avoir lieu, le législateur a opté pour une
possibilité de modifier les lotissements déjà approuvés.

La jurisprudence du Tribunal administratif, révèle une grande rigueur


exercée par le juge administratif en application des règles juridiques y afférentes.
Cette rigueur est vérifiable non seulement au niveau de l'approbation des

30
Les articles qui traitent l'approbation des lotissements sont les articles 59, 60, 61 et 62 du
C.A.T.U.
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lotissements (paragraphe 1), mais aussi, au niveau de la phase qui tend à les
modifier (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : L'APPROBATION DES LOTISSEMENTS :


UNE JURISPRUDENCE RIGOUREUSE

Le Code de l'Urbanisme de 1979 n'autorisait le président de la commune ou


le président du conseil du gouvernorat à accorder l'autorisation de lotir, qu'après
avis du ministre chargé de l'Urbanisme. Ce dernier, en cas de non conformité avec
le plan d'aménagement ou avec le plan d'aménagement de détail s'il existe, peut
opposer son veto (Article 38). Cet avis, a été supprimé depuis et remplacé par
l'avis d'une commission technique (Article 59 du CATU).

Désormais, la procédure d'approbation est une procédure territorialisée : la


compétence d'approbation revenant selon le cas, au président de la municipalité
ou au gouverneur 31 . Toutefois, afin de concilier les intérêts du lotisseur et la
mission de l'administration responsable de l'urbanisme 32, le législateur a accordé
à l'administration, sous le contrôle du juge administratif, des pouvoirs (A), et lui
a imposé des obligations relatives à l'acte d'approbation (B).

A : Les pouvoirs d’approbation accordés à l'administration : des pouvoirs


sous contrôle

Ces pouvoirs sont de deux sortes. Les uns concernent la modification du


lotissement (1), les autres concernent la normalisation du lotissement (2).

31
DUCOURAU (Rebecca), «Le lotissement soumis à déclaration préalable», B.J.D.U. n°
2/2007, pp. 87-94.
32
JACQUOT (Henri) et PRIET (François), Droit de l’urbanisme, 5ème édition, Dalloz, Paris,
2004, p. 537.
10
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1) Les pouvoirs de modification : une modification préalable à l’approbation

Avant d'approuver l'opération de lotissement, l'administration détient des


pouvoirs d’intervention sur la configuration générale du lotissement. Le
législateur a accordé au profit du gouverneur ou au président de la municipalité,
selon le cas, ou au ministre chargé de l'Urbanisme, dans tous les cas, le pouvoir
d'apporter toutes les modifications utiles et d'exiger la réservation des espaces
verts, des places publiques et des emplacements destinés aux équipements
collectifs selon les règlements et les règles d'urbanisme en vigueur.
Le juge administratif a eu l’occasion d’apprécier l’étendue de ce pouvoir et a
précisé le cadre de son exercice. Le Tribunal administratif n'admet l'exercice de
ce pouvoir de modification qu'avant l'approbation du lotissement. Toute
modification au sens de l’article 60 du code doit être préalable à l’approbation du
lotissement. Une fois approuvés, ni le plan de lotissement, ni son cahier des
charges ne peuvent être modifiés par ordre de l'administration. C'est seulement
suite à la demande du propriétaire du lotissement qu'une éventuelle modification
peut être introduite (T.A., 17989, 3ème, 28 avril 2000)33. Le juge insiste donc sur le
moment durant lequel l’autorité administrative peut avoir le droit d'exiger des
modifications.

2) La normalisation du lotissement : des conditions rigoureuses


d’approbation
Le législateur confère également à l'administration le pouvoir d'imposer au
lotisseur la normalisation des limites de son lotissement. Cette prérogative est

33
T.A., 17989, 3ème, 28 avril 2000, Mohamed CHARKI C/ Président de la municipalité de
Bardo.
‫ت لرئيس البلدية أن يدخل كل التعديالت المفيدة وان يرفض استبقاء‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ م‬60 ‫"وحيث خولت أحكام الفقرة الثالثة من الفصل‬
‫المساحات الخضراء والمساحات العمومية والمواقع المخصصة للتجهيزات الجماعية حسب التراتيب والقواعد العمرانية‬
‫أما بعدها فان أحكام المجلة المذكورة لم تسمح لرئيس البلدية في أي صورة‬،‫الجاري بها العمل وذلك قبل المصادقة على التقسيم‬
‫من الصور إدخال تعديالت على المثال وكراس الشروط الخاصين بالتقسيم إال ألصحاب المقاسم أنفسهم طبق شروط وصيغ‬
."‫قانونية محددة وذلك من خالل المصادقة على التنقيح المطلوب‬
11
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accordée aux mêmes autorités administratives, soit au gouverneur, ou au président


de la municipalité ou le ministre chargé de l’Urbanisme. La loi leur impose
toutefois en cas d’opposition des propriétaires riverains à cette normalisation (…)
de recourir à l’expropriation des parcelles nécessaires à cet effet. Ceci est de
nature à conférer à l’administration des prérogatives de puissance publique tout
en les conditionnant de façon à ne pas entrainer une perturbation injustifiée des
droits des propriétaires riverains.

Le juge administratif a pris le soin de confirmer ce pouvoir de normalisation


laissée à l’administration et de préciser les obligations auxquelles elle est tenue.
La normalisation peut s'effectuer de deux façons totalement différentes. Pour ce
qui est de la première, la normalisation des limites du lotissement s'effectue à
l'amiable entre le lotisseur et ses voisins. Le Tribunal administratif a eu l’occasion
de souligner le caractère primordial de cette opération. Il considère que
l’administration a commis une erreur lorsqu’elle a approuvé le projet de
lotissement des voisins sans préalablement faire diligence et les obliger à procéder
à l’amiable à la normalisation des limites du lotissement ( T.A., 17373, 3ème, 12
novembre 2004)34.

Pour ce qui est de la seconde modalité, elle a lieu en cas d'opposition des
propriétaires riverains. Dans ce cas, l'autorité administrative compétente doit
impérativement recourir à l'expropriation des parcelles nécessaires à cet effet, à
savoir la normalisation des limites du lotissement. Cette expropriation qu’exige

34
L'incorporation des parcelles se fait sur la base de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant
refonte de la législation relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique. Cette loi prévoit
une indemnité en contre partie de l'opération d'expropriation; T.A., 17373, 3ème, 12 novembre
2004, Société civil immobilière «Sanda» C/ Président de la municipalité de Monastir.
‫ أن تتوخى‬،‫" و حيث أنه إزاء هذه الوضعية كان على البلدية قبل المصادقة على التقسيم المنتقد وإسناد رخصة بناء على ضوئه‬
‫ المذكور والقانون المتعلق باالنتزاع من أجل المصلحة العمومية قصد‬60 ‫اإلجراءات القانونية المنصوص عليها بالفصل‬
." ‫إدماج المساحة المخصصة للطريق ضمن الملك العمومي مقابل منح تعويض للمالك‬
12
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l’intérêt public, est conduite selon la législation en vigueur moyennant


indemnisation.

A l'occasion d’une affaire (rendue en première instance T.A., 17373, 3ème, 12


novembre 2004) 35, le juge a rappelé à l’administration ses obligations d’intégrer,

préalablement à l’approbation du lotissement, les parcelles tombant dans le


domaine public routier et ce, en procédant au besoin à leur expropriation. Or, il
constate que, jusqu’au délibéré de l’affaire par le juge, l’administration n’a pas
apporté la preuve d’un commencement d’exécution de l’expropriation. Cette
preuve devait être concrétisée par la publication du décret d’expropriation au
Journal Officiel de la République Tunisienne. Donc, selon le juge, l’acte
d’approbation du lotissement est un acte illégal, dans la mesure où il n’a pas été
procédé à l’expropriation de la parcelle en temps voulu mais aussi parce que le
tracé des voies a été projeté sur la propriété d’autrui, violant ainsi un droit
légalement protégé.

Cette position jurisprudentielle semble juste et ferme. L'administration ne peut


approuver le lotissement sans l'achèvement des procédures légalement exigées
relativement à sa normalisation. Elle ne peut, sur sa base, accorder d’autorisation
de bâtir. Le juge rappelle que le délai accordé pour l’approbation ordinaire du
lotissement est de quatre mois conformément à l’article 61 alinéa 1 er du C.A.T.U.
qui dispose : «toute décision administrative relative à la demande d'approbation
du lotissement, doit être prise dans un délai de quatre mois à compter de la date
du dépôt auprès de l'autorité administrative concernée d'un dossier dûment
constitué».

35
T.A., 17989, 3ème, 28 avril 2000, Mohamed CHARKI C/ Président de la municipalité de
Bardo.
‫) لرئيس‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ م‬60 ‫"وحيث أجازت أيضا أحكام الفقرتين الثالثة والرابعة من ذات الفصل المشار إليه أعاله (الفصل‬
‫البلدية أن يفرض على صاحب مشروع التقسيم تسوية حدود تقسيمه إما رضائيا أو بواسطة اللجوء إلى االنتزاع من اجل‬
."‫المصلحة العامة من طرف البلدية المعنية‬
13
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B: La forme de l'acte d'approbation

L'approbation du lotissement ne peut être prononcée que par le Président


de la municipalité ou par le Gouverneur. L’article 59 alinéa 1 er du C.A.T.U.
dispose en effet: «tout projet de lotissement est soumis à l'approbation préalable
du président de la municipalité ou du gouverneur compétent». Cette décision
d'approbation ou de refus d'approbation de la demande de lotissement doit
intervenir dans un délai de quatre mois à compter de la date de dépôt. L’acte
d’approbation doit être explicite (1) et respectant la procédure de sa notification
(2).

1) Un acte d’approbation explicite

Dans son second paragraphe, l’article 59 du C.A.T.U. exige qu’«un arrêté


du Ministre chargé de l’Urbanisme fixera les formes et les modalités de
l’approbation ainsi que les pièces constitutives du dossier de lotissement y
compris le cahier des charges». Ainsi, fut adopter un arrêté du ministre de
l'Equipement et de l'Habitat le 19 octobre 1995, fixant les pièces constitutives du
dossier de lotissements y compris le cahier des charges ainsi que les formes et
modalités de son approbation. Ce texte a prévu que la demande de lotissement est
approuvée ou rejetée par arrêté. Ce dernier fixe obligatoirement les délais
d'exécution des travaux en cas d'approbation, et il doit motiver le refus dans le cas
contraire36.

36
Article 4 du chapitre II, relatif aux formes et modalités d'approbation du dossier de
lotissement, de l'arrêté du ministre de l'Equipement et de l'Habitat du 19 octobre 1995, fixant
les pièces constitutives du dossier de lotissements y compris le cahier des charges ainsi que les
formes et modalités de son approbation.
14
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

L'approbation doit alors être prise sous la forme d'un arrêté. Autrement dit,
l'acte d'approbation doit être un acte explicite. Ceci s'explique par le fait qu’en
raison de la gravité du lotissement sur la situation des propriétaires, les décisions
doivent être explicites et apporter les motifs de refus. En effet les actes
administratifs peuvent être des actes implicites 37. Or, la normalité administrative
et la transparence de son action exige le caractère explicite comme une condition
de bonne administration.

Lors d'une affaire rendue en appel, le Tribunal administratif a pris le soin


d'insister sur le caractère explicite de l'acte d'approbation. Il a décidé que
l'approbation d'un lotissement ne peut guère être sous forme implicite, mais, elle
doit toujours être explicite (T.A., 23506, 25 décembre 2003)38.

La forme explicite est requise dans le cas d'approbation et même de refus.


Le législateur cherche donc à éviter toute possibilité de mauvais fonctionnement
administratif et à protéger les droits des administrés. A ceci s'ajoute l'obligation
de motiver l'arrêté de rejet. L'auteur est tenu d'exposer de façon complète et
précise les raisons de fait et de droit pour lesquelles elle a été prise 39. Ce refus doit
être motivé de sorte que son destinataire puisse le comprendre «à la seule lecture
de la décision»40.

1) La notification de la décision

37
GAUDMET (Yves), Traité de droit administratif, Tome 1, 16ème édition, L.G.D.J., Paris,
2001, p. 615.
38
T.A., 23506, 25 décembre 2003, Commune de Bardo C/ Ali BEN YAROU.
‫ اإلجراءات الواجب إتباعها قصد الحصول‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ و ما بعده من م‬58 ‫"و حيث فضال عن أن المشرع حدد صلب الفصل‬
."‫على ترخيص لتجزئة المقسمات و هو ما يستنتج منه عدم جواز الموافقة بصفة ضمنية على التجزئة‬
39
CHAPUS (René), Droit administratif général, Tome 1, 14ème édition, Montchrestien, Paris,
2000, p. 1107.
40
C.E., 17 novembre 1982, Kairenga, cité par CHAPUS (René), Droit administratif général,
Tome 1, 14ème édition, Montchrestien, Paris, 2000, p. 1107.
15
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

La décision d'approbation ou de refus, doit être notifiée au pétitionnaire


dans un délai d'un mois à compter de la date à laquelle elle a été prise 41. Mais,
dans l'hypothèse où le lotissement se situe dans une zone dont le plan
d'aménagement urbain est en cours d'élaboration ou de révision, l'administration
peut surseoir à statuer sur la demande d'approbation et ce conformément à l'article
15 du C.A.T.U. La réponse peut être différée pour une période maximale de deux
ans.

Dans le but d'informer les tiers, les documents constitutifs du dossier de


lotissement approuvé, sont déposés au siège de la municipalité ou du gouvernorat
compétent et mis à la disposition du public. L'approbation de l'autorisation de lotir
n'est effectuée que par voie de dépôt. En droit français, cette autorisation est
publiée à la mairie et sur le terrain dans les mêmes conditions que le permis de
construire 42 . Elle est aussi, publiée au fichier immobilier par les soins du
lotisseur43.
Cette publicité limitée en cas d’approbation du lotissement est plus intense
en cas de modification du lotissement.

PARAGRAPHE 2 : LA MODIFICATION DES LOTISSEMENTS :


UNE JURISPRUDENCE «TATILLONNE»

Les règlements régissant un lotissement déjà approuvé ne s'appliquent plus


après dix ans de la date d'approbation, sauf si les deux tiers du nombre des

41
Article 61 alinéa 2 du C.A.T.U. dispose: «La décision est notifiée au demandeur du
lotissement dans un délai d'un mois à compter de la date à laquelle celle-ci est prise. Elle doit
être motiver en cas de refus».
42
Article R. 315-42 du code de l'urbanisme français.
43
JACQUOT (Henri) et PRIET (François), Droit de l’urbanisme, 5ème édition, Dalloz, Paris,
2004, p. 541.
16
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

propriétaires qui détiennent les trois quarts du lotissement s'y opposent 44. Cette
opposition doit intervenir avant trois mois de l'expiration du délai. Mais, en tout
état de cause, une éventuelle demande de modification du lotissement approuvé,
reste possible45.

La divergence des intérêts de l'administration, des lotisseurs et des


acquéreurs de lots, explique l'intervention du législateur pour réglementer la
question de modification des lotissements.

Contrairement à son homologue Français qui prévoit une possibilité de


modification des règles du lotissement conduite à l'initiative de l'administration 46,
le droit Tunisien fait bénéficier seulement une catégorie de citoyens du droit de
demander la modification des lotissements (A), tout en respectant, bien
évidemment, certaines conditions (B).

A: La demande de modification

La demande de modification de lotissement déjà approuvée pose au moins


deux problèmes juridiques. Le premier est relatif aux personnes habilitées à
présenter à l'administration une telle demande (1). Le second est relatif à l'objet
de cette modification (2).

1) Les personnes autorisées à demander la modification

44
Pour plus de précision en droit français: BESSON-GUILLAUMOT (M.), «Règlement, cahier
des charges, association syndicale du lotissement», Droit et ville n° 6/1978, pp. 53-74.
45
Article 66 du C.A.T.U.
46
Article L. 315-4 du code l'urbanisme français; POUJADE (Bernard) et BONICHOT (Jean-
Claude), Droit de l’urbanisme, Montchrestien, Paris, 2006, p. 95; MORAND-DEVILLER
(Jacqueline), Droit de l'urbanisme, 6ème édition, Dalloz, Paris, 2003, p. 95.
17
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

Il existe deux catégories de personnes autorisées à demander la modification du


lotissement. Tout d'abord, le lotisseur d'un lotissement approuvé peut être autorisé
à le modifier. Cette demande doit être présentée avant la vente ou la location des
lots issus du lotissement initial47. Ensuite, un ou plusieurs propriétaires de lots
issus d'un lotissement approuvé peuvent également demander la modification 48.
D'ailleurs, le juge administratif a eu l'occasion de se prononcer dans ce sens et de
confirmer cette possibilité en déclarant «qu’il est admis d’approuver une demande
de modification (révision) présentée par un ou plusieurs propriétaires de lots issus
d’un lotissement déjà approuvé» (T.A., 19100, 5ème, 23 octobre 2004) 49.

Concernant l'objet de la modification, cette dernière peut cibler une partie ou la


totalité du lotissement approuvé. Les règles régissant le lotissement peuvent donc
être modifiées.

2) Le cahier des charges du lotissement peut être modifié : il n’est pas un


droit acquis

Par ailleurs, le juge a déclaré que, qu'il soit sous le règne de l'ancien Code de
l'Urbanisme (celui de 1979), ou qu'il soit sous le règne du Code de l'aménagement
du territoire et de l'urbanisme, il est toujours possible de modifier le cahier des
charges des lotissements (T.A., 1/10500, 5ème, 20 décembre 2003) 50. Il a aussi ajouté
que l'acquéreur du lotissement ne peut se prévaloir de ce qu’il a acheté le lot sur
la base d’un premier cahier des charges pour s’opposer efficacement au nom de

47
Article 65 alinéa 1er du C.A.T.U.
48
Article 65 alinéa 2 du C.A.T.U.
49
T.A., 19100, 5ème, 23 octobre 2004, Hssin TRABELSI C/ Président de la municipalité de
Sfax.
‫ت من فقرته الثانية أنه يجوز المصادقة على مطالب التعديل الصادرة عن مالك أو أكثر‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ م‬65 ‫"وحيث يقتضي الفصل‬
."‫لمقاسم مستخرجة من تقسيم مصادق عليه‬
50
T.A., 1/10500, 5ème, 20 décembre 2003, Lazhar CHEBI et consorts C/ Président de la
municipalité de Tunis et Habib ELAAREM.
18
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

droits acquis à sa modification51. Au contraire, le juge a confirmé qu'il n’y a pas


lieu dans ce cas de parler d'un droit acquis. Il a même pris le temps d'argumenter
sa position en déclarant que l’acheteur sait d’avance en achetant son lot qu’un
lotissement peut légalement faire l’objet d’une modification, opération prévue
tant par le Code de l’Urbanisme que par le C.A.T.U. Il ajoute que les cahiers des
charges des lotissements étant de nature réglementaire (générales et
impersonnelles), ils peuvent être révisés et modifiés et ne peuvent pas donner lieu
à un droit acquis. Enfin, il termine par déclarer que l’invocation des droits acquis
est contraire à la vocation même d’un lotissement. Admettre le contraire peut
entraîner le gel de tout lotissement et l’impossibilité d’introduire toute
modification nécessaire portant sur l’évolution urbaine, aux transformations du
bâti tant en ce qui concerne les densités et les hauteurs. Ce qui est contraire à
l'esprit des lois, le C.A.T.U. ainsi que le Code de l’Urbanisme

Toutefois, les projets de modification ne peuvent être approuvés que


lorsque la demande a reçu l'accord des deux tiers des propriétaires qui détiennent
les trois quarts de la superficie du lotissement, sans tenir compte des superficies
incorporées dans le domaine public ou privé de l'Etat ou de la collectivité locale
(Article 65 in fine du C.A.T.U. ) Une majorité qualifiée de propriétaires est donc
exigée. Une exigence équivalente est retenue en droit français. En effet, l'article
L. 315-3 du code de l'urbanisme français, exige que la modification des
documents du lotissement ne peut intervenir qu'avec l'acceptation ou la demande

51
Parmi les pièces constitutives du dossier de lotissement figure le cahier des charges du
lotissement. Selon l'article premier de l'arrêté du Ministre de l'Equipement et de l'Habitat du 19
octobre 1995, fixant les pièces constitutives du dossier de lotissements y compris le cahier des
charges ainsi que les formes et modalités de son approbation, le cahier des charges fixe «les
droits et obligations du lotisseur, des acquéreurs ou locataires des lots ainsi que le programme
d'aménagement et d'assainissement. Le cahier des charges comporte également un règlement
d'urbanisme opposable au tiers, ayant pour objet de fixer les règles et servitudes d'intérêt général
imposées aux constructions selon leur nature et leurs caractéristiques, ainsi que celles imposées
aux installations d'intérêt collectif et aux espaces libres ou verts. Ce cahier doit prévoir
en outre l'éventualité de cesser d'appliquer le règlement régissant le lotissement et doit être
conforme au cahier des charges type annexé au présent arrêté».
19
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

des deux tiers des propriétaires détenant ensemble les trois quarts au moins de
superficie d'un lotissement, ou les trois quarts des propriétaires détenant au moins
les deux tiers de ladite superficie.

B : Les conditions d'approbation de la modification


La modification partielle ou totale d'un lotissement approuvé nécessite deux
sortes de conditions : des conditions qui varient selon la qualité du demandeur (1)
et des conditions communes nécessaires à toute approbation (2).
1) Des conditions variables en fonction de la qualité du demandeur
Deux cas sont à distinguer. Pour le premier, si le demandeur de
modification est un ou plusieurs propriétaires de lots issus d'un lotissement
approuvé, le projet de modification ne peut être approuvé qu'à condition que ces
lots soient compatibles avec les règlements d'urbanisme applicables à la zone où
se situe ce lotissement et qu'ils ne portent pas atteinte aux intérêts directs des
autres propriétaires. A défaut de respect de cette condition, l'administration refuse
l'approbation de la modification.

Pour le second cas, si la demande de modification est présentée par le


lotisseur avant la vente ou la location des lots issus du lotissement approuvé, le
projet de modification doit être compatible avec le plan d'aménagement urbain et
ne pas contredire les règles sanitaires générales.
Le juge administratif a confirmé ces conditions. Il a ainsi jugé, lors d'une
affaire (T.A., 19100, 5ème, 23 octobre 2004) 52, que face à une demande de modification
incompatible avec le plan d'aménagement urbain ou contraire aux règles sanitaires
générales, l'administration est dans l’obligation de refuser l’autorisation de cette
modification. Le Tribunal administratif précise, donc, que dans ce cas le président

52
T.A., 19100, 5ème, 23 octobre 2004, Hssin TRABELSI C/ Président de la municipalité de
Sfax.
‫ تكون سلطة البلدية في الحالة الراهنة مقيدة برفض المصادقة على التنقيح طالما كان مثال مشروع‬،‫"وحيث بناء على ذلك‬
."‫التقسيم المقترح والمصاحب لمطالب التعديل مخالفا لمثال التهيئة العمرانية‬
20
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

de la municipalité ou le gouverneur, selon le cas, ne bénéficient pas d'une


compétence discrétionnaire, mais d'une compétence liée53.

Cette position semble correcte et juste. Elle ne fait que mettre en œuvre
d'une façon stricte les dispositions législatives. Dans une autre affaire, le Tribunal
administratif a insisté sur le lien entre le lotissement, le plan d’aménagement
urbain et la compétence liée de l’administration. Il justifie ces rapports de
compatibilité et cette compétence liée par l’incidence pratiques des opérations
d’urbanisme sur les situations foncières ; incidences qu’il est difficile de rattraper
juridiquement et qui de surcroît touchent le droit de propriété du lotisseur et de
ses riverains (T.A., 18478, 22 novembre 2003)54.

2) Les conditions permanentes : les formalités substantielles de


l’approbation

Ces conditions sont généralement relatives à la publicité du projet de


modification. Avant d'approuver, la collectivité locale concernée doit publier un
avis d'enquête par voie d'affichage et par la voie de la presse auditive et écrite.
L'administration doit aussi informer les propriétaires concernés par lettres
recommandées avec accusé de réception 55 . L'administration est tenue aussi
d'afficher le projet du plan au siège du gouvernorat ou de la municipalité, selon le
cas.

Comme pour les premières, ces conditions permanentes et communes sont


aussi substantielles. Leur irrespect ouvre la possibilité d'annuler l'acte par la voie

53
KORNPROBST (Bruno), «La compétence liée», R.D.P., 1961, pp. 935-958.
54
T.A., 18478, 22 novembre 2003, Mtir GUEBSSI C/ Président de la municipalité de
Hammamet.
55
Dans ce cas le demandeur de la modification supporte les frais de la notification
conformément à l'article 65 alinéa 3 du C.A.T.U.
21
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

du recours pour excès de pouvoir56. C'est ce qu'a confirmé le juge administratif


(T.A., 15437, 9 juin 1999)57. Il a ainsi précisé que l'irrespect de l’obligation de publier
l'avis d'enquête entache l'acte final d'approbation du lotissement d'illégalité. Ce
qui a entraîné son annulation pour illégalité.

Le Tribunal administratif attribue le caractère substantiel aux conditions


exigées afin de déclarer légale la modification du lotissement. A ce niveau, une
remarque s'impose: les procédures de publicité de la modification sont beaucoup
plus nombreuses que celles prévues pour l'approbation du lotissement initial. Cet
avantage est de nature à permettre l'augmentation des chances des tiers à
l'information. Les procédures de publicité de la modification garantissent, donc
davantage les droits des tiers.

En outre, une autre condition commune de publicité de la modification est


prévue. «Au cours du mois suivant la publication de l'avis d'enquête, toute
personne intéressée peut consigner son accord sur le registre d'enquête ouvert à
cet effet au siège du gouvernorat ou de la municipalité concernée» (Article 65 alinéa
3 du C.A.T.U.). Il s'agit là encore, d'une condition substantielle.

Le juge administratif a eu à confirmer ce caractère (T.A., 17286, 15 avril 2003)58.Il a


décidé que l'approbation de la modification doit respecter la procédure d’enquête
nécessaire à la modification. Il a aussi précisé dans le même sens, que dépassant
un mois de la publication de l'avis d'enquête, il y a forclusion du droit d'opposition
pour tout intéressé59. Mais, l'objet de l'enquête dépasse l'information du public,

56
L'article 7 de la loi de 1972 relative au T.A. prévoit parmi les cas d'ouverture du recours pour
excès de pouvoir; la violation des formes substantielles (s'ajoute aussi le cas: d'incompétence,
de la violation de la règle de droit et le détournement de pouvoir ou de procédure).
57
T.A., 15437, 9 juin 1999, Abd Karim YOUSSFI et consorts C/ Commune de Tunis et Société
immobilière tunisienne.
58
T.A., 17286, 15 avril 2003, Société "Mouna" pour la promotion immobilière C/ Président de
la municipalité de Sfax, inédit
59
Ibidem.
22
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

elle est censée recueillir ses appréciations, suggestions et contre-propositions, et


non chercher un public qui confirme son accord 60. Si le terme «accord» est à
interpréter dans son sens strict, il ne sera pas possible de présenter des suggestions
mais seulement un accord, ceci va mettre en question l'importance de cette
enquête. Les procédures d'information seront aussi, mises en cause.

Lors des travaux préparatoires de la chambre des députés, à l'occasion de la


modification du C.A.T.U. en 200361, l'expression «accord» est passée inaperçue.
Elle n’a fait l’objet d’aucun commentaire 62 . Ceci laisse la possibilité large à
l'interprétation de cette disposition par le juge administratif.
Il s'ensuit qu'une rigueur et une bonne application de la règle juridique
entoure la jurisprudence en cette matière. Pour prouver encore cette rigueur, le
T.A. a rappelé que l'approbation de la modification du lotissement ne peut être
légale, que si la demande a déjà été soumise à l'avis obligatoire de la commission
technique des lotissements63.

SECTION 2 : LES EFFETS JURIDIQUES


DE L'APPROBATION DES LOTISSEMENTS :
UNE JURISPRUDENCE REMARQUABLE

Par son approbation, le dossier de lotissement acquiert un aspect


contraignant qui détermine sa mise en œuvre. Cette mise en œuvre est
subordonnée au respect des prérogatives de la puissance publique que

60
HADDAD (Imen), L’enquête publique en matière d’aménagement du territoire et de
l’urbanisme, Mémoire en vue de l'obtention du Mastère en Droit de l’environnement et de
l’aménagement des espaces, F.S.J.P.S.T., 2006-2007.
61
L'alinéa 3 de l'article 65 du C.A.T.U., a été introduit par la loi n° 2003-78 du 29 décembre
2003.
62
Travaux préparatoires de la chambre des députés n° 15 du 22 décembre 2003.
63
Ibidem; l'arrêté du ministre de l'Equipement et de l'Habitat du 10 août 1995, fixe la
composition et les modalités de fonctionnement des commissions techniques des lotissements.
23
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

l’administration exerce à l’encontre des lotisseurs. Cette intervention publique


reflète, d’une manière concrète, les effets juridiques de l’approbation des
lotissements. Le juge administratif a développé une jurisprudence remarquable
sur la question.

Il s’agit, en effet, de deux répercussions principales. D’une part, par


l’approbation, s’impose à la charge du lotisseur des obligations qu’il doit respecter
(paragraphe 1). D’autre part, et par la même approbation, des surfaces seront
incorporées d’office au domaine public ou au domaine privé de l’Etat ou de la
collectivité publique locale (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1: DES PRESCRIPTIONS IMPOSEES AUX


LOTISSEURS

Chaque lotisseur est «désireux de faire un usage lucratif de sa parcelle de


terrain»64. Mais, cette finalité ne doit pas aboutir à l’approvisionnement du marché
foncier par des lotissements défectueux. C’est pourquoi le législateur impose au
lotisseur l’obligation de réaliser des travaux d’aménagement du lotissement. Le
juge administratif a pris le soin, en premier lieu d’élucider et d’insister sur ce
devoir qui incombe au lotisseur (A) et de se prononcer, en second lieu, sur
l’hypothèse de non respect de cette obligation (B).

A: La réalisation des travaux d'aménagement

De prime abord, il faut préciser que le C.A.T.U. prohibe toute publicité en


vue de la vente ou de la location des terrains ou des constructions comprises dans
un lotissement non encore approuvé65. Par cette règle, qui ne souffre d'aucune

64
AOUIJ-MRAD (Amel), Précis de droit de l’urbanisme, I.O.R.T, Tunis, 2002, p. 108.
65
Article 63 alinéa 1er du C.A.T.U.
24
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

exception, le législateur cherche à parvenir «à une certaine sécurité et loyauté des


transactions en évitant que des lotisseurs peu scrupuleux se mettent à vendre (ou
à établir des promesses de vente et percevoir des avances) des lots de terrains
dont le lotissement ne sera jamais approuvé» 66 . C'est pourquoi des sanctions
drastiques sont prévues en cas d'irrespect de ladite règle.
Ainsi, tout propriétaire ou promoteur immobilier qui procède à une opération de
lotissement non approuvé ou qui vend des lots issus de ce lotissement, est passible
d'une peine d'emprisonnement de seize jours à trois mois et d'une amende de cinq
cent dinars à vingt mille dinars ou de l'une de ces deux peines seulement. Mais,
en cas de récidive, la peine d'emprisonnement est prononcée d'office (Article 76
du C.A.T.U). Tout lotisseur doit en principe, réaliser les travaux préalablement à
la vente (1). Toutefois, ce principe connaît des exceptions (2).

1) L’obligation de réaliser les travaux préalablement à la vente

Cherchant à limiter les conséquences de la défaillance des lotisseurs, le législateur


leur impose le devoir d'exécuter les travaux d'aménagement. Le lotisseur ne peut
effectuer de vente ou de location ou aucune édification des constructions,
«qu'après réalisation des travaux d'aménagement prévus au cahier des charges
du lotissement et paiement des dettes dues par le lotisseur au titre de frais
d'immatriculation»67.

Le juge administratif a confirmé cette obligation. Il a jugé que l'accomplissement


des travaux de viabilisation et d’équipement en infrastructures de base prévus au
cahier des charges est une condition obligatoire préalable à toute vente ou

66
AOUIJ-MRAD (Amel), Précis de droit de l’urbanisme, I.O.R.T, Tunis, 2002, p. 113.
67
Article 63 alinéa 2 du C.A.T.U.; Les frais d'immatriculation sont ceux prévus par l'article 24
du C.A.T.U.
25
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

édification (T.A., 1/12987, 4ème, 12 mai 2005)68. Saisi par les acquéreurs pour annuler
le refus de l’administration d’intervenir en vue d’obliger le lotisseur à procéder
aux travaux requis, le juge retourne l’argument contre les acquéreurs. Ces derniers
auraient dû s’assurer que le lotisseur a bien rempli son «obligation de résultat»
(les travaux d’aménagement) avant même de lui acheter des lots. Il ajoute que «la
mise à la vente des lots sans avoir procédé aux travaux est contraire à l’article 63
du C.A.T.U. et que l’administration ne peut être tenue pour responsable»69.

Le principe de l'exécution préalable des travaux 70protège non seulement les buts
urbanistiques mais aussi, les acquéreurs des lots. Ce principe, contribue à ne
mettre sur le marché foncier que des lots viabilisés.

Tout lotisseur est tenu d'exécuter les travaux nécessaires à la viabilité et à


l'équipement du lotissement. Ces travaux sont notamment, la voirie, l'alimentation
en eau potable, l'électricité et le gaz, les télécommunications, l'évacuation des
eaux usées et pluviales, l'éclairage public, les aires de stationnement, les espaces
collectifs, les aires de jeux et les espaces plantés71.

68
T.A., 1/12987, 4ème, 12 mai 2005, Salah MAJDOUB et consorts C/ Président de la
municipalité de Bizerte.
‫"وحيث يتضح من هذا الفصل أن إنجاز أشغال التهيئة المنصوص عليها بكراس شروط التقسيم شرط وجوبي يسبق عملية بيع‬
."‫األراضي أو تشييد المباني فوقه‬
69
T.A., 1/12987, 4ème, 12 mai 2005, Salah MAJDOUB et consorts C/ Président de la
municipalité de Bizerte.
‫ وإن االلتزام بإنجاز أشغال التهيئة يبقى‬،‫ت‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ م‬63 ‫"وحيث أن قيام صاحبة التقسيم ببيع مقاسم غير مهيأة يخالف أحكام الفصل‬
.‫محموال على خلفها من بعدها‬
‫وحيث أن البلدية ال تحمل في المقابل أي التزام بإنجاز أو بالتدخل إلنجاز تلك األشغال مما يغدو قرارها المنتقد سليما من الناحية‬
."‫القانونية‬
70
MESNARD (André-Hubert), Droit de l'urbanisme, Editions Juris-Service, Lyon, 1993, p.
246.
71
Article 1er de l'arrêté du ministre de l'Equipement et de l'Habitat du 19 octobre 1995,
déterminant la nature des travaux d'aménagement préliminaires et des travaux définitifs du
lotissement et le mode de leur réception.
26
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

3) Les exceptions au principe

Mariem consutation
Les prescriptions qui incombent au lotisseur sont assorties, en droit
tunisien, comme en droit français 72 , de quelques exceptions. L’article 64 du
C.A.T.U., prévoit la possibilité de la vente de terrains issus d'un lotissement dont
les travaux ne sont pas totalement achevés. Il s'agit donc d'une exception au
principe de l'exécution préalable des travaux. Il est question d'une double
exception.
La première exception concerne la division des travaux de lotissement en
travaux préliminaires et en travaux définitifs. Le lotisseur qui réalise les travaux
primaires d'aménagement peut demander l'autorisation de différer la réalisation
des travaux définitifs73. Selon le droit français, c'est le différé d'achèvement des
travaux74. Cette modalité constitue un des apports du C.A.T.U. Elle a pour objectif
«d'éviter la détérioration des voies et de leurs accotements au cours de

72
POUJADE (Bernard) et BONICHOT (Jean-Claude), Droit de l’urbanisme, Montchrestien,
Paris, 2006, p. 94; AUBY (Jean-Bernard) et PERINET-MARQUET (Hugues), Droit de
l’urbanisme et de la construction, 5ème édition, Montchrestien, Paris, 1998, pp. 374-375.
73
L'arrêté du ministre de l'Equipement et de l'Habitat, déterminant la nature des travaux
d'aménagement préliminaires et des travaux définitifs du lotissement et le mode de leur
réception, défini respectivement dans ses articles 3 et 4 les travaux d'aménagement
préliminaires et ceux définitifs. Les travaux d'aménagement préliminaires sont des travaux qui
permettent l'exploitation du lotissement tels que: la démolition des bâtiments et ouvrages
existants, l'ouverture des plates-formes des voies, la réalisation des fondations des chaussées et
trottoirs, l'exécution des réseaux et raccordement aux réseaux généraux correspondants. Les
travaux d'aménagement définitifs qui viennent parachever les travaux préliminaires. Ils
concernent notamment la remise en état des fondations et des réseaux, la finition des trottoirs,
l'exécution de la surface de roulement des chaussées, l'achèvement des plantations,
l'aménagement des aires de jeux.
74
Article R. 315-33 (a) du code de l'urbanisme français dispose que le lotisseur peut être
autorisé à différer «la réalisation du revêtement définitif (des) voies, l'aménagement des
trottoirs, la pose de leurs bordures, la mise en place des équipements dépendant de ces trottoirs,
ainsi que les plantations prescrite».
27
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

l'édification des constructions»75. Elle permet ainsi au lotisseur de se procurer des


capitaux des acquéreurs, pour pouvoir achever les travaux requis 76.

Cette modalité est subordonnée à l'engagement du demandeur de terminer les


travaux dans les délais fixés par l'arrêté de lotissement et d'apporter une garantie
à cela. Cette garantie peut être soit une caution bancaire 77, soit une hypothèque
sur certains lots au profit de la collectivité publique locale concernée78.

La seconde exception concerne les lotissements réalisés par l'Etat, les agences
foncières, les collectivités publiques locales et les opérateurs immobiliers opérant
dans le cadre de la loi n° 90-17 du 26 février 1990 relative à la promotion
immobilière 79 . Ces personnes, limitativement énumérées par la loi 80 , peuvent
vendre leurs lotissements avant même la réalisation de tous travaux
d'aménagement. Cette exception s'explique par le fait qu'il s'agit d'une part, soit
de personnes publiques, c'est-à-dire de personnes qui ne poursuivent pas de but
spéculatif premier, soit d'autre part, de lotisseurs professionnels, c'est-à-dire de
personnes exerçant habituellement, maîtrisant réellement les règles.

Force est de constater que, devant toutes ces exigences légales et surtout devant
l'obligation d'exécution des travaux confirmée par le juge administratif, une
éventuelle possibilité de défaillance des lotisseurs reste possible.

75
Article 64 alinéa 2 du C.A.T.U.
76
MEDIOUNI (Imed), Le lotissement en droit tunisien, Mémoire en vue de l'obtention du
diplôme de Master en Droit de l'environnement et de l'aménagement des espaces, F.S.J.P.S.T.,
2003-2004, pp. 87-88.
77
Par cette caution, l'établissement garant s'engage à payer les sommes nécessaires pour
l'achèvement des travaux avec majoration des sommes dues au titre de frais d'immatriculation
des terrains.
78
La valeur de ces lots équivaudra aux sommes nécessaires à l'achèvement des travaux.
79
J.O.R.T. n° 17 du 6 mars 1990.
80
Article 64 alinéa 1er du C.A.T.U.
28
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

B: Le cas de défaillance du lotisseur: une jurisprudence audacieuse

Le législateur tunisien n'a pas omis l’hypothèse d’une éventuelle


défaillance du lotisseur à ses obligations. Tout un chapitre est réservé, au sein du
C.A.T.U., aux sanctions pour infractions aux dispositions relatives aux
lotissements 81 . Le juge a rappelé le principe de la légalité des peines et des
sanctions (1), comme il a précisé qu’en cas de décès du lotisseur, c’est au
successeur qu’incombe la charge de réaliser les travaux (2). Le T.A. a également
rappelé les conditions d’intervention de l’administration en cas de défaillance (3).

1) sanction de la défaillance des lotisseurs : le rappel du principe de la


légalité des peines et des sanctions

Dans une affaire rendue en appel, le T.A. a eu à se prononcer à propos de


ces défaillances et infractions (T.A., 24410, 1ère, 3 mai 2005)82. En l'espèce le lotisseur
après avoir été autorisé à procéder au lotissement, n'a pas réalisé les travaux de
viabilisation auxquels il est tenu. La municipalité de Monastir, pour le
sanctionner, refuse de lui indemniser la superficie de terrain incorporée dans son
domaine et excédant le quart du lotissement. Le juge judiciaire saisi en première
instance, donna droit à la demande d’indemnisation du lotisseur. La municipalité
se pourvoit alors devant le juge administratif en appel.

Le T.A. après avoir résolu la question de la compétence invoquée par le


requérant, rappelle formellement que la sanction aux manquements par le
lotisseur à ses obligations trouve sa source dans l'article 77 du C.A.T.U83. Cet
article prévoit qu’il «est passible d’une amende de 500 dinars à 50.000 dinars, tout

81
Les articles de 76 à 79 du C.A.T.U.
82
T.A., 24410, 1ère, 3 mai 2005, Commune de Monastir C/ Mohamed BEN AMMAR.
83
Ibidem;
.« "..." ‫ الذي اقتضى‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ م‬77 ‫»وحيث أن عدم وفاء صاحب التقسيم بالتزاماته يجد جزاءه صلب الفصل‬
29
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

propriétaire ou promoteur immobilier qui ne réalise pas en partie ou en totalité les


travaux d’aménagement conformément aux présomptions techniques approuvées
par l'autorité compétente et figurant au cahier des charges» 84. Le juge rappelle
donc que la défaillance du lotisseur est sanctionnée selon des règles prévues par
le C.A.T.U.

Toutefois, l'administration peut, le cas échéant, et après mise en demeure


adressée à l'intéressé par lettre recommandée, procéder ou faire procéder dans un
délai de trois mois, aux travaux nécessaires en vue de rendre le lotissement
conforme au cahier des charges approuvé, aux frais du propriétaire.
L'administration peut aussi procéder au besoin à l'expropriation de ce lotissement
en vue de l'aménager et à sa revente85.

Par la suite le T.A. a fait preuve d’une attitude ferme et tranchante.


Relativement à l’agissement de l’administration il a considéré que même en cas
de défaillance du lotisseur, l'administration ne peut pas refuser d'indemniser la
superficie qui excède le quart du lotissement incorporé au domaine public
routier86.

Le juge administratif a réussi à empêcher ce détournement de pouvoir


exercé par l'administration à l'encontre du lotisseur. L'autorité administrative ne
peut guère infliger une sanction autre que celle prévue par la loi, et cela au regard
du principe de la légalité des peines et des sanctions 87. Ceci montre que le juge

84
L'article 77 du C.A.T.U.
85
Article 78 alinéa 2 du C.A.T.U.
86
T.A., 24410, 1ère, 3 mai 2005, Commune de Monastir C/ Mohamed BEN AMMAR.
‫"وحيث طالما رتب المشرع جزاء لعدم وفاء صاحب التقسيم بالتزاماته فإنه ال وجه لعقابه من طرف البلدية بعدم تعويضه عن‬
."‫المساحة التي خول القانون التعويض عنها إذا ألحقت بالملك العمومي للطرقات‬
87
Article premier du code pénal dispose: «Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une disposition
d’une loi antérieure». Donc, il n’y a pas d’infraction, ni de peine sans qu’elles ne soient prévues
par la loi ; BORRICAND (Jacques) et SIMON (Anne-Marie), Droit pénal Procédure pénale,
3ème édition, Dalloz, Paris, 2002, p. 32; SOYER (Jean-Claude), Droit pénal et procédure pénale,
30
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

cherche à appliquer correctement les règles du code et à donner un sens précis à


la position législative. L’administration ne peut se faire justice en dehors de ce
que prévoit la loi.

2) L’obligation des travaux à la charge des successeurs en cas de décès du


lotisseur

La position jurisprudentielle s'est encore confirmée lors d'une autre affaire ( T.A.,
1/12987, 4ème, 12 mai 2005)88. Il s'agissait en l'espèce d'une action intentée par des

acquéreurs d'un lotissement dans le but d'annuler une décision implicite de refus
du président de la municipalité d'obliger les héritiers du lotisseur à réaliser à sa
place les travaux d'aménagement du lotissement et ce, afin qu’ils bénéficient
d'une autorisation de bâtir.

Le juge a commencé par rappeler que la réalisation des travaux


d'aménagement prévus au cahier des charges est une condition obligatoire qui doit
être effectuée avant la vente des terrains ou l'édification des constructions 89. Dans
une deuxième phase, il a précisé que les demandeurs auraient dus, avant l'achat
des lots, demander au lotisseur de réaliser les aménagements conformément au
cahier des charges. En d'autres termes, le tribunal insinue que les demandeurs ont
commis une faute en achetant des lots avant tout aménagement. Dans une
troisième phase, le juge a confirmé que la vente de lots non aménagés est une

17ème édition, L.G.D.J., Paris, 2003, p. 54; SORDINO (Marie-Christine), Droit pénal général,
2ème édition, Ellipses, Paris, 2005, p. 29.
88
T.A., 1/12987, 4ème, 12 mai 2005, Salah MAJDOUB et consorts C/ Président de la
municipalité de Bizerte.
89
Article 63 du C.A.T.U.
31
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

violation de la loi. Selon ses termes « la réalisation des travaux d'aménagement


après la vente incombe aux successeurs du lotisseur, c'est-à-dire ses héritiers »90.

Par cette affirmation, le T.A. apporte une précision supplémentaire et


établit, une jurisprudence. Le code de 1994 ne comporte pas de mention spéciale
relativement à la responsabilité des travaux en cas de décès. Le juge sur la base
des principes généraux du droit relatifs à la succession a eu le mérite d'avancer
une solution jouant ainsi un rôle déterminant dans la sauvegarde et
l'accomplissement de l'ordonnancement juridique91.

4) Les conditions d’intervention de l’administration publique en cas


de défaillance

Vis-à-vis des acquéreurs ou des locataires lésés, le président de la


municipalité ou le gouverneur, selon le cas, et le Ministre chargé de l'Urbanisme
dans tous les cas, peuvent requérir la nullité des contrats de vente ou de location
et ce pour non observation des dispositions relatives au lotissement ou au cahier
des charges. Cette annulation est réalisée aux frais du vendeur ou du bailleur,
indépendamment des réparations civiles (Article 78 alinéa 1 er du C.A.T.U.).

Dans une décision rendue en 2005, le juge administratif a précisé que la commune
n'est tenue ni de réaliser les travaux par elle-même, ni d'intervenir pour leur

90
T.A., 1/12987, 4ème, 12 mai 2005, Salah MAJDOUB et consorts C/ Président de la
municipalité de Bizerte.
‫ وإن االلتزام بإنجاز أشغال التهيئة‬،‫ت‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ م‬63 ‫"وحيث أن قيام صاحبة التقسيم ببيع مقاسم غير مهيأة يخالف أحكام الفصل‬
."‫يبقى محموال على خلفها من بعدها‬
91
BELAID (Sadok), Essai sur le pouvoir créateur et normatif du juge, Thèse pour le Doctorat
de droit, Faculté de droit et des sciences économiques de Paris, 1970, p. 332 et p. 346.
32
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

réalisation92. Le tribunal a refusé d'annuler la décision implicite du président de la


municipalité d’intervenir (T.A., 1/12987, 4ème, 12 mai 2005).

En droit français, les travaux d'équipement du lotissement doivent être


commencés dans les dix-huit mois qui suivent la notification au lotisseur de
l'arrêté d'autorisation ou de la date à laquelle celle-ci est réputée tacitement
accordée. Passé ce délai, l'autorisation est réputée caduque. Il en est de même si
les travaux ne sont pas achevés dans le délai fixé par l'arrêté, lequel ne peut
dépasser trois ans à compter de la délivrance de l'autorisation 93. Au cas où les
travaux exécutés ne sont pas conformes aux prescriptions de l'arrêté
d'autorisation, le tribunal pourra impartir un délai au lotisseur pour les mettre en
conformité, sous peine d'une astreinte de 7,5 à 75 Euros par jour de retard. Si à
l'expiration du délai fixé par le jugement, les travaux n'ont toujours pas été mis en
conformité, l'autorité compétente pour autoriser le lotissement peut les faire
effectuer aux frais et risques du lotisseur94.

La législation française essaye donc, d'éviter les cas de défaillance du


lotisseur. Elle instaure également, un régime rigoureux inspiré par le souci
d'assurer une protection efficace des acquéreurs de lots. Avant l'obtention de
l'arrêté d'autorisation de lotir, les ventes et les locations sont interdites 95 . Les
promesses de vente ou de la location sont également interdites 96 . Il en est de
même, en cas de vente conclue sous la condition suspensive de l'octroi de
l'autorisation. Après la délivrance de l'autorisation, demeurent interdites jusqu'à

92
T.A., 1/12987, 4ème, 12 mai 2005, Salah MAJDOUB et consorts C/ Président de la
municipalité de Bizerte.
‫"وحيث أن البلدية ال تحمل في المقابل أي التزام بإنجاز أو بالتدخل إلنجاز تلك األشغال مما يغدو قرارها المنتقد سليما من‬
."‫الناحية القانونية‬
93
Article R. 315-30 du code de l'urbanisme français.
94
Article L. 316-4 du code de l'urbanisme français.
95
Article L. 316-2 du code de l'urbanisme français.
96
Article L. 316-3, alinéa 1er du code de l'urbanisme français.
33
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

attestation de l'achèvement des travaux ou d’autorisation de vente anticipée, les


ventes, même assorties de conditions suspensives ou résolutoires ainsi que les
promesses d'achat97.

PARAGRAPHE 2: L’INCORPORATION D’ESPACES AU DOMAINE


DE LA PERSONNE PUBLIQUE

L’approbation, du lotissement entraîne, ipso facto, l’incorporation au


domaine public ou au domaine privé de l’Etat ou de la collectivité publique locale,
de certains espaces. La jurisprudence du Tribunal administratif a eu l'occasion de
se prononcer à propos de ces surfaces (A), qui posent, également, la question de
leur indemnisation (B).

A : Les surfaces incorporées: l’incorporation automatique

Selon les termes de l'article 67 du C.A.T.U. «les routes, les espaces verts,
les places publiques et les espaces affectés aux équipements collectifs, sont
incorporés, dès l'approbation du lotissement, au domaine public ou privé de l'Etat
ou de la collectivité publique locale». Il s'agit donc de quatre types d'espaces que
le juge ne cesse de rappeler et d’en confirmer l’incorporation aux domaines
susmentionnés (T.A., 1/10182, 3ème, 2 juillet 2004)98.

Ces domaines témoignent d'une évolution du code de 1994 par rapport à


celui de 1979. Dans son article 67, le C.A.T.U. a introduit des domaines et des
précisions qui n'existaient pas auparavant dans l'article 39 du Code de

97
Article R. 315-32 du code de l'urbanisme français.
98
T.A., 1/10182, 3ème, 2 juillet 2004, Nejia BEN AABA et consorts C/ Commune de la Marsa,
inédit; T.A., 19107, 5ème, 23 octobre 2004, Kamar LOUZIR et Mohamed SADOK CHERIF C/
Commune de la Marsa, inédit; T.A., 1/10000, 2ème, 29 juin 2005, Hichem et FAIEZA BEN
SAID C/ Commune de Bizerte.
34
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

l'Urbanisme: le domaine privé, et les domaines de l’Etat ou des collectivités


publiques locales

Ainsi, les routes, les espaces verts, les places publiques et les espaces affectés aux
équipements collectifs, sont incorporés, selon le cas, non seulement au domaine
public de la collectivité publique locale, mais aussi dans son domaine privé, sans
pour autant oublier la possibilité de leur intégration au domaine public ou privé
de l'Etat.

Néanmoins, cette incorporation ne peut se réaliser que sur la base d’un plan
de lotissement approuvé. C’est ce qu'exige la loi (Article 67 du C.A.T.U.) et
confirme le Tribunal administratif (T.A., 1/10000, 2ème, 29 juin 2005)99. A ce niveau,
il serait inéluctable de préciser que l'incorporation desdits espaces dans l'un de ces
domaines, s'effectue d'office dès l'approbation du lotissement.

S'agissant des équipements communs - voirie, réseaux- la législation


française ouvre la faculté de transférer tout ou partie de ces équipements dans le
domaine d'une personne morale de droit public, soit de manière amiable, soit
d'office s'agissant des voies privées.
Pour ce qui est du transfert amiable, le lotisseur conclut, une fois les travaux
achevés, une convention prévoyant le transfert dans le domaine de la personne
publique100 de la totalité des équipements communs101. L'incorporation dans le

99
T.A., 1/10000, 2ème, 29 juin 2005, Hichem et FAIEZA BEN SAID C/ Commune de Bizerte.
‫ أن إحداث طريق عمومية يتم بمقتضى مثال التهيئة العمرانية‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ م‬67‫ و‬12 ‫"وحيث يتبين من استقراء أحكام الفصلين‬
‫المصادق عليه من قبل الهيئات المختصة للطريق المزمع إحداثها بالملك العمومي البلدي إال بمقتضى مثال تقسيمي مصادق‬
."‫عليه‬
100
Selon JACQUOT (Henri) et PRIET (François), Droit de l’urbanisme, 5ème édition, Dalloz,
Paris, 2004, p. 550, en pratique, il s'agira de la commune.
101
Dans ce cas et selon l'article R. 315-7, alinéa 20 du code de l'urbanisme français, il n'y aura
pas lieu à la constitution d'une association syndicale. Cette dernière existe en droit tunisien
depuis 1943 et elle a été organisée par le C.A.T.U. dans tout un chapitre intitulé «des
associations syndicales de propriétaires», à travers les articles de 45 à 57. Les associations
35
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

domaine d'une commune ne peut résulter que d'une délibération expresse du


conseil municipal102. Mais rien n'empêche que le transfert soit partiel. Seulement,
dans ce cas, les équipements non transférés doivent être dévolus à une association
syndicale 103 . Il reste à signaler que l'hypothèse la plus fréquente est que la
propriété des équipements soit attribuée à une association syndicale, laquelle peut
les transférer postérieurement à la commune104.

Pour ce qui est du transfert d'office des voies privées, il n'est possible
qu'après ouverture d'enquête publique. Suite à cette procédure la propriété des
voies privées ouvertes à la circulation publique dans des ensembles d'habitation
peut être transférée sans indemnité105 dans le domaine public de la commune sur
le territoire de laquelle ces voies sont situées 106.

Il s'ensuit que la règlementation française traite la question de transfert


selon des procédures qui peuvent être qualifiées de «longue et complexe». Face à
ce régime juridique le législateur tunisien a opté pour un autre qui peut être
désigné de «sommaire»

Force est de constater que devant les dispositions de l'article 67 du


C.A.T.U., le T.A. ne peut que s’y tenir. Il a en effet considéré que l’incorporation

syndicales sont aussi organisées par le décret n° 97-542 du 22 mars 1997 approuvant leur
statuts-type, J.O.R.T. n° 26 du 1er avril 1997, p. 534.
102
Dans ce cas la commune doit fonder sa décision sur l'intérêt public que peut présenter
l'incorporation des voies et réseaux dans le domaine public.
103
En principe, il s'agit d'une association syndicale de propriété libre. Les acquéreurs de lots y
adhèrent automatiquement en signant le contrat de vente ou de location. L'engagement est pris
non seulement pour eux mais aussi pour le compte des futurs propriétaires ou locataires de lots;
pour plus de précision, BESSON-GUILLAUMOT (M.), «Règlement, cahier des charges,
association syndicale du lotissement», Droit et ville n° 6/1978, pp. 53-74.
104
JACQUOT (Henri) et PRIET (François), Droit de l’urbanisme, 5ème édition, Dalloz, Paris,
2004, p. 550.
105
Cassation, 3ème civil, 9 décembre 1987, Commune de Galfingue et M. BINDLER C/ M.
BISCHOFF et autres, A.J.D.A. n° 6 du 20juin 1988, p. 424.
106
Article L. 318-3 du code de l'urbanisme français.
36
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

des voies au domaine public est automatique dès l'approbation du plan de


lotissement (T.A., 16352, 7 juillet 2000) 107 . C’est dire, l’omission du législateur
relativement à certaines formalités substantielles.

Toutefois, les espaces qui ont pu être incorporés dans l'un des domaines
susmentionnés, suite à l'approbation du plan de lotissement, pose indéniablement
la question de savoir s'il est possible au lotisseur d'avoir une indemnisation.

B: L’indemnisation des surfaces incorporées

De prime abord, il faut souligner que l’incorporation au domaine de l’Etat


ou de la collectivité publique locale des routes, des espaces verts, des places
publiques et des espaces affectés aux équipements collectifs ne donne lieu à
aucune contrepartie ou indemnisation. Cette incorporation se fait donc et en
principe sans indemnisation 108 (1) sauf exception et ce, à partir d’un élément
déclencheur (2) devant l’ordre juridictionnel compétent (3).

1) Le principe de non indemnisation et ses allègements

La non-indemnisation du quart incorporé au domaine public peut justifier les


critiques et expliquer la pratique des lotissements clandestins. En effet, il n’est pas
rare de voir les lotisseurs s’indigner d’être dépossédés de leurs biens sans même
avoir droit au minimum prévu en cas d’expropriation pour cause d’utilité

107
T.A., 16352, 7 juillet 2000, Nadhir MAZLOUT C/ Président de la municipalité de Nabeul,
inédit; T.A., 17005, 3ème, 27 octobre 2000, Mohamed Salah AYARI C/ Président de la
municipalité de Mateur.
‫ بمجرد المصادقة‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ م‬67 ‫"وحيث أن المساحات المخصصة للطرقات تدمج آليا بالملك العام طبقا لمقتضيات الفصل‬
."‫على مثال التقسيم‬
108
HONORAT (Edmond) et BAPTISTE (Eric), «Urbanisme – Responsabilité - Principe de
non-indemnisation», A.J.D.A., n° 2, 1990, p. 97 et s.
37
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

publique. Pour eux l’utilité publique n’exonère pas les personnes publiques d’une
indemnité préalable et compensatrice.

En réalité, ce principe n’est pas absolu. Le législateur a opté pour une


indemnisation conditionnée. Une indemnité peut être versée au lotisseur
seulement pour la portion incorporée qui excède le quart de la superficie totale.
L’incorporation se fait ainsi, sans contrepartie pour une superficie inférieure ou
égale au quart de celle du lotissement.

Par ailleurs, le juge administratif a élucidé cette règle. Il a considéré que


l’incorporation au domaine public communal d’une portion du lotissement
excédant le quart de sa superficie totale ne constituait pas une emprise irrégulière,
mais devait donner lieu à indemnisation calculée, comme le confirme l’article 67
du C.A.T.U., selon la moyenne des prix des terrains incorporés (T.A., 17128, 3ème,
18 mai 2001)109. C’est pourquoi certains auteurs n’ont pas hésité à qualifier cette

intégration automatique110 de «véritable expropriation»111.

Néanmoins, ce transfert automatique semble représenter une tâche lourde à


la charge des lotisseurs. Il est en premier lieu contraire au principe posé dans le
code des droits réels selon lequel «nul n’est obligé de céder sa propriété sauf dans
les cas prévus par la loi et avec une indemnité juste»112. En d’autres termes, selon
ce principe, même le quart de la superficie totale doit être transférée moyennant
indemnité. En deuxième lieu, le taux du quart semble être excessif si on le

109
T.A., 17128, 3ème, 18 mai 2001, Radhia GRIRA et consorts C/ Commune de Zaouiet Sousse.
‫"و حيث انه وعلى خالف ما تمسك به نائب المدعين فان عملية إدماج ملك منوبيه بالملك البلدي ال تشكل استيالء و إنما عملية‬
‫اإلدماج هذه تقع بحكم القانون وال يترتب عن ذلك مقابل أو غرامة إال بالنسبة للمساحة التي تزيد عن ربع مساحة التقسيم وعلى‬
." ‫أساس معدل أثمان األراضي المدمجة‬
110
AOUIJ-MRAD (Amel), Précis de droit de l’urbanisme, I.O.R.T, Tunis, 2002, p. 109.
111
TEKARI (Béchir), Le cadre juridique de l’aménagement urbain en Tunisie : essai sur le rôle
du droit en matière d’urbanisme, Thèse pour le Doctorat d’Etat en droit, Faculté de Droit et des
Sciences Economiques et Politiques de Tunis, 1983, p. 42.
112
Article 20 du code des droits réels.
38
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

compare avec celui prévu en droit français. La législation française n’admet le


transfert d’office et sans indemnité que pour les voies ouvertes à la circulation
publique et à une portion limitée à 10% de la surface du lotissement 113 . En
troisième lieu, il s'agit là d'un cas de rupture de l'égalité devant les charges
publiques.

2) L’élément déclencheur de l’indemnisation

Dans l’hypothèse où le lotisseur a droit à indemnité, une interrogation se pose


quant à la date à partir de laquelle il acquiert ce droit. Dans ce sens, le Tribunal
administratif a précisé que le droit à l’indemnisation, pour la superficie excédant
le quart du lotissement, est du dès la date d’approbation du lotissement (T.A.,
23809, 3ème, 30 mars 2005) 114
. Le montant de l’indemnité se calcule dès
l’incorporation de la superficie dans le domaine privé ou public de l’Etat ou celui
de la collectivité publique locale, c’est-à-dire dès l’approbation du lotissement
(T.A., 17128, 3ème, 18 mai 2001)115.

Il s’ensuit que l’acte d’approbation du lotissement est un élément


déclencheur qui ouvre droit à indemnisation. Par cette position jurisprudentielle,
le juge met un terme à toute interprétation administrative qui estime que
l’indemnisation n’est due qu’après exécution des travaux de lotissement.

113
Article R. 332-15 du code de l’urbanisme français.
114
T.A., 23809, 3ème, 30 mars 2005, Commune de Zaouiet Sousse C/ Radhia GRIRA et
consorts.
‫ جاءت صريحة وواضحة في اإلقرار بأن إدماج‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ت‬.‫ م‬67 ‫"وحيث خالفا لما استندت عليه المستأنفة فإن عبارات الفصل‬
‫الطرقات والمساحات الخضراء والمساحات المخصصة للتجهيزات الجماعية في الملك العمومي أو في الملك الخاص التابع‬
‫للدولة أو الجامعات العمومية المحلية يتم بمجرد المصادقة على التقسيم وأن الحق في التعويض عما زاد عن ربع مساحة‬
."‫التقسيم ينشأ من تاريخ تلك المصادقة‬
115 ème
T.A., 17128, 3 , 18 mai 2001, Radhia GRIRA et consorts C/ Commune de Zaouiet Sousse.
‫"و حيث أن مقدار التعويض يقع احتسابه من تاريخ إدماج المساحة المذكورة بالملك البلدي للطرقات أي من تاريخ المصادقة‬
."‫على التقسيم‬
39
Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

Le juge a précisé deux idées. Il a en premier lieu considéré que le non


respect du cahier des charges par le lotisseur ne peut guère entraîner la perte du
droit à indemnisation 116 . En second lieu, il a souligné que l’allégation de
l’administration a attribué le droit d’indemnisation à l’exécution des travaux de
lotissement, est une allégation infondée (T.A., 23809, 3ème, 30 mars 2005)117. Donc, la
date à partir de laquelle est due l’indemnisation ne s’influence pas par les travaux,
mais seulement par l’acte d’approbation du lotissement. Ainsi, il apparaît bien que
le juge administratif exerce une fonction protectrice fondée sur l’interprétation de
l’article 67 du C.A.T.U.118.

Cependant, il serait primordial de connaître la manière de bénéficier de


cette indemnisation. Selon le C.A.T.U. le montant de l’indemnisation est estimé
à l’amiable entre le lotisseur et l’administration. A défaut d’accord, il est estimée
par les tribunaux compétents conformément à la législation en vigueur en matière
d’expropriation pour cause d’utilité publique119. A ce niveau, la question serait de
préciser l’ordre juridictionnel auquel le lotisseur doit faire recours afin d’être
indemnisé.

3) L’ordre juridictionnel compétent

Suite au dépouillement des décisions du T.A., dix affaires ont pu être recensées
dont l’objet est la demande de l’indemnisation prévue par l’article 67 du C.A.T.U.

116
T.A., 17128, 3ème, 18 mai 2001, Radhia GRIRA et consorts C/ Commune de Zaouiet Sousse.
‫ لم يترتب إسقاط حق التعويض في صورة عدم احترام‬67 ‫"وحيث انه وعلى خالف ما تمسك به نائب البلدية فان الفصل‬
."‫مقتضيات كراس الشروط‬
117 ème
T.A., 23809, 3 , 30 mars 2005, Commune de Zaouiet Sousse C/ Radhia GRIRA et
consorts.
‫"وحيث… أن الحق في التعويض عما زاد عن ربع مساحة التقسيم ينشأ من تاريخ تلك المصادقة وليس بعد تنفيذ التقسيم مثلما‬
."‫تدعيه المستأنفة‬
118
BELAID (Sadok), Essai sur le pouvoir créateur et normatif du juge, Thèse pour le Doctorat
de droit, Faculté de droit et des sciences économiques de Paris, 1970, p. 300.
119
Article 67 alinéa 2 du C.A.T.U.
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Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

Dans une première décision redue en la matière, en 2001, le T.A. a retenu


sa compétence bien qu’il statue en première instance. Il a même indemnisé le
lotisseur pour la superficie qui excède le quart (T.A., 17128, 3ème, 18 mai 2001)120.
Cette décision est très critiquable pour au moins deux raisons.

Pour ce qui est de la première raison, la loi de 1976 relative à l’expropriation pour
cause d’utilité publique, à laquelle l’article 67 du C.A.T.U. renvoie, n’a pas
attribué au T.A. la compétence de statuer en premier degré 121. Le litige relève en
premier ressort de la compétence du Tribunal de Première Instance de la situation
du lotissement (l’ordre judiciaire). Selon la loi de 1976, le T.A. est habilité à
statuer en appel et en cassation. Toutefois, cette loi a subi une modification en
2003122 réalisant un transfert de compétence aux juridictions de l’ordre judiciaire
avec ses différents degrés en la matière123. Le T.A. est ainsi totalement dessaisi.

Pour ce qui est de la seconde raison, même si les parties n’ont pas invoqué la
question de la compétence, le tribunal est tenu de l’invoquer. Il s’agit d’une
«question d’ordre public qui doit être soulevée d’office par le juge»124.

Il en résulte, qu’il s’agit d’une décision pour le moins juridiquement inconsistante.


Cette dernière a fait l’objet d’un recours en appel devant le T.A. Ce tribunal

120
T.A., 17128, 3ème, 18 mai 2001, Radhia GRIRA et consorts C/ Commune de Zaouiet Sousse.
‫ اإلقرار بثبوت استحقاقهم للتعويض عن المساحة الزائدة عن ربع مساحة عقارهم‬67 ‫ يتجه عمال بمقتضيات الفصل‬...‫"و حيث‬
.‫الواقع ادمجها بالملك البلدي للطرقات‬
."‫ د‬15.155.000 ‫و حيث يتجه الحكم بإلزام المدعي عليها بأن تؤدي للمدعين غرامة قدرها‬
121
Article 30 de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte de la législation relative à
l’expropriation pour cause d’utilité publique, J.O.R.T. n° 51, 1976, p.1931.
122
La loi n° 2003-26 du 14 avril 2003, modifiant et complétant la loi n° 76-85 du 11 août 1976
portant refonte de la législation relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique J.O.R.T.
n° 31 du 18 avril 2003.
123
Article 30 de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte de la législation relative à
l’expropriation pour cause d’utilité publique, après sa modification de 2003.
124
BEN ACHOUR (Yadh), Droit administratif, Tunis, C.P.U., 2000, p. 410.
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Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

d’appel a confirmé le premier jugement, laissant, ainsi, passer l’occasion de


rejeter la décision de première instance pour incompétence (T.A., 23809, 3ème, 30
mars 2005)125. Il semble entourer de cette façon la décision des premiers juges

d’une sorte de légitimité et de validation. Par cette démarche, le tribunal s'est


trompé, puisque lui incombe l’obligation de soulever d’office la question de la
compétence, et ce, à l’occasion de toute action contentieuse et à tout moment de
la procédure126.

En réalité cette affaire ne peut être considérée que comme une affaire isolée. Elle
est loin de refléter la position constante de la jurisprudence administrative en la
matière que les huit autres décisions déterminent. 127. Elles s’accordent toutes à
attribuer la compétence de statuer en matière indemnitaire aux juridictions de
l’ordre judiciaire avec ses différents degrés et ce suite à la modification de la loi
relative à l’expropriation en 2003.

En outre, le juge administratif argumente sa position pour se déclarer incompétent


en la matière, non seulement par sa propre lecture du renvoi effectuer par l’article
67 du C.A.T.U. et son interprétation de la législation relative à l’expropriation
pour cause d’utilité publique, mais aussi par référence à la décision n° 79 du

125
T.A., 23809, 3ème, 30 mars 2005, Commune de Zaouiet Sousse C/ Radhia GRIRA et
consorts.
."‫ مما يجعل الحكم المستأنف في طريقه و يستوجب رفض هذا االستئناف‬...‫"و حيث‬
126
CHAPUS (René), Le droit du contentieux administratif, 12ème édition, Montchrestien, Paris,
2006, p. 257; RIVERO (Jean), WALINE (Jean), Droit administratif, 17ème édition, Dalloz,
Paris, 1998, p.242.
127
T.A., 1 /10686, 5ème, 20 décembre 2003, Mohamed CHRADA et consort C/ Commune de
Dar Chaabane Fehri, inédit ; T.A., 1/11183, 3ème, 26 mars 2004, Mohamed TIZAOUI C/
Commune de Sousse, inédit ; T.A., 17621, 1ère, 30 mars 2004, Mohamed Hedi HICHRI et
Mohamed Nasser HICHRI C/ Commune de la Marsa, inédit ; T.A., 1/12414, 5ème, 22 mai 2004,
Omar IDRISS et consorts C/ Commune de Ras Jbal, inédit ; T.A., 1/10048, 2ème, 14 juillet 2004,
Izdinne RHAYMIYA C/ Président de la municipalité de Megurine, inédit ; T.A., 19107, 5ème,
23 octobre 2004, Kamar LOUZIR et Mohamed Sadok CHERIF C/ Commune de la Marsa,
inédit ; T.A., 1/10356, 4ème, 17 mars 2005, Ahmed GAZELLE C/ Président de la municipalité
de Mssaken, inédit ; T.A., 1/12425, 4ème, 24 novembre 2005, Maaoui SOUSSI C/ Commune de
Kssar Hlele.
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Émir ELGHOUL Planification urbaine et Aménagement du Territoire

Conseil des Conflits de Compétence, décision qui oblige impérativement les deux
ordres de juridiction128.

Par cette décision le Conseil des Conflits de Compétence, en interprétant l’article


67 du C.A.T.U. a attribué la compétence de statuer en matière indemnitaire
découlant de cet article aux juridictions de l’ordre judiciaires dans ses différents
degrés. Le juge administratif a rappelé, par application de l’article 12 de la loi n°
96-38 du 3 juin 1996, que: «ce que décide le Conseil, en matière de compétence
et concernant l’affaire qui lui a été déférée, bénéficie de l’autorité absolue de la
chose jugée. Les arrêts du Conseil doivent ainsi être suivis par toutes les
juridictions» 129 . Il s’ensuit une bonne interprétation du juge administratif des
dispositions de l’article 67 du C.A.T.U.

128
Cons.C.C., n° 79 du 3 juin 2003, Héritier Sassi CHAOUCH C/ Commune de Moknine.
129
Alinéa 1er de l’article 12 de la loi n° 96-38 du 3 juin 1996 relative à la répartition des
compétences entre les tribunaux judiciaires et le Tribunal administratif et à la création d’un
Conseil des Conflits de Compétence.
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