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du langage »
n’est censé ignorer la loi… » qu’il applique au langage a interpellé le juriste que
nous sommes nous conduisant à mener une étude de cette Loi primordiale du
langage de laquelle découlent toutes les autres. Structuraliste, Lacan dans ses
écrits de 1953 appuie ses démonstrations sur les travaux de Claude Lévy Strauss
tenterons de nous inscrire dans une semblable démarche pour présenter tout
d’elles.
Lorsque Lacan parle de l’humour contenu dans l’adage, «Nul n’est censé
ignorer la Loi… » qui n’est du reste codifié nulle part, et ne se transmet donc que
par la parole, c’est l’étendue de cette Loi, et donc, du champ du langage, qu’il met
1 « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » première version parue dans La psychanalyse, n° 1,
1956, Sur la parole et le langage, pages 81-166. puis dans Les écrits
2 Claude Lévy Strauss – l’efficacité symbolique – in l’Anthropologie Structurale – Paris – Plon , 1958, 1974
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« la Loi » en tant que loi primale, celle du langage, nul ne peut se prévaloir de
connaître toutes les autres qui en découlent. Si la Loi du langage est fédératrice,
sa lettre, qu’est la parole, en tant que porteuse d’un contenu, signe la singularité
de chacun des sujets lorsqu’il en fait usage. C’est l’une des raisons pour lesquelles
de lex ou « ligare » au sens de ce qui forme lien tandis que, pour d’autres,
l’origine serait à rechercher dans le mot « legere » dont le sens issu de « leg »
renvoie à une chose énoncée à voix haute et aussi à recueillir, collecter tel le
transmission à travers le temps. Ces règles expliquent aussi le lien social entre les
êtres soumis aux règles de la filiation. Pourtant ces sources semblent hétérogènes
et en tout cas insuffisantes pour rendre compte du lien entre la Loi et le langage.
Le lien étroit entre cette Loi que nul être pensant n’est censé n’ignorer et le
langage auquel elle fait référence est probablement à rechercher chez Heidegger.
Non pas dans le latin mais bien dans le grec et tout particulièrement dans le
vocable « legeïn » dont Heidegger fait état dans l’article dont le titre éponyme
« logos » 4 révèle à lui seul la relation entre Loi et langage. Legeïn signifie tout à la
3 Gérard WACJMAN - Les experts : la police des morts - Puf – paris – 2012
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fois parler, dire, discourir mais aussi recueillir, léguer, récolter. Il ne s’agit plus ici
seulement d’un mode d’expression – parler à voix haute – comme pour « legem »
mais bien du langage comme support d’un « discours » et par conséquent d’un
contenu singulier. Legeïn ne définit pas la parole uniquement comme une fonction,
révélateur d’un sens. D’ailleurs le fait que dans la troisième partie de « Fonction et
du mot Loi. Lacan nous met en effet en garde contre la perte de sens du sujet
du désir.
langage, à la parole véhicule du symptôme tout d’abord puis du désir du sujet par
les effets des résonances et les évocations contenues dans les interprétations de
l’analyste. Le rapport entre ces composantes rend compte du choix du titre donné
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ses composantes, nous en proposons une représentation concentrique pour
analytique lui même. En effet le langage est constitutif du sujet, lequel, doté de la
parole exprime tout d’abord son symptôme puis accède à la vérité et à son désir
par les interactions qui s’expriment dans les différents temps de la cure.
Analysant
Analyste
Le langage nous est donné par la loi primordiale dont le père est le
dans la culture et la civilisation. Le premier lien social est fondé sur un crime, sur
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un acte définitivement prohibé, écrit sur les tables de la loi révélées au Sinaï : « Tu
scène du sacrifice comme dans le repas totémique le père est présent par deux
fois : comme dieu tout d’abord puis comme animal totémique sacrificiel, autant dire
loi est une protection contre cette jouissance. Normalement c’est le père réel, qui
est écarté au profit de l’instauration de la fonction symbolique avec laquelle les fils
vecteur qui est celui du père qui introduit la signification phallique entre les
signifiants. C’est ce que fait valoir Lacan quand il précise que « le père est le
vecteur de l’incarnation de la loi dans le désir »7. Nous pourrions tout autant dire
qu’a la loi répond la jouissance, car la loi, par la castration qu’elle induit, renvoie
souffrance que le sujet prendra la mesure de l’univers de liberté dont il dispose par
survie d’une société humaine que si chacun des membres a introjecté l’équivalent
d’un paradis perdu. Cela s’opère le plus souvent sous la forme d’un mythe, tel la
structure d’un langage règlera alors les échanges à tous les niveaux de la société
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Réalisons ici un premier éclairage à l’aide de Claude Lévy Strauss.
lorsque Lacan y évoque la cure chamanique. Dans son article intitulé « l’efficacité
l’apport de la cure analytique telle que la définit Lacan, c’est le langage en tant que
et l’analysant qui crée un lien propre à rendre compte d’un partage d’expérience.
Lacan fait référence ne traite pas de la réalité que Lacan nomme le réel en 1953,
car « le réel est, il faut bien le dire, sans loi. Le vrai réel implique l’absence de loi.
Le réel n’a pas d’ordre»8. Lacan pense la catégorie du réel avec celle de
l’impossible car pour lui le réel vise une possibilité qui se répète mais qui ne se
produit jamais, qui donc ne s’écrit pas. La psychanalyse ne traite pas du réel qui
qu’elle aussi est soumise à la Loi qui régit le rapport des êtres humains au travers
Pour conclure sur cette première partie relative à la Loi du langage, et juste
avec «l’autre monde» que le chaman est porteur de cette connaissance selon
8 Jacques LACAN – Le séminaire livre XXIII – Le sinthome – Paris , Seuil 2005 p 137 – 138
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laquelle ce sont les esprits de l’autre monde qui interfèrent sur les humains et en
perturbent les règles. Dans les rituels qu’ils réalisent et dans la structure même de
transgression à l’ordre naturel des choses. C’est avec cette même figuration du
parturiente ou du patient qui souffre, c’est bien à l’aide d’une structure langagière
mise en œuvre tant par le chamane avec sa parole que par le psychanalyste avec
élaborer et structurer les causes de leur souffrance afin de pouvoir, dans l’après
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sujet. Il n’est pas tout à fait exact que l’Autre soit absent dans la parole vide et
présent dans la parole pleine. Pour notre part nous avançons que l’Autre comme
humain est présent dans les deux paroles mais y bénéficie d’un statut différent.
Lorsque le sujet énonce une parole vide ou pleine d’ailleurs, il use de la Loi du
langage et en ce sens admet l’altérité, mais dans le cas de la parole vide, il
conteste que les termes de cette Loi lui soient applicables. Le sujet admet le
concept de castration consubstantiel de la Loi du langage au sens du Séminaire V
mais ne s’y soumet pas entièrement tout au moins, et garde à minima un contenu
de jouissance. C’est cette jouissance qui s’exprime dans cette parole vide car elle
est réflexive, et revient en écho au sujet. On pourrait alors dire que le sujet
reconnaît la Loi mais en réduit la portée. Or cette Loi édicte des limites qui ne
sauraient être franchies. Dans la parole vide, le sujet est toujours hors des limites
de la Loi de la castration. Dans la parole pleine, au contraire, l’Autre bénéficie
d’une reconnaissance à double détente. Structurellement d’abord, l’Autre est
reconnu comme grand Autre, énonciateur d’une Loi à laquelle le sujet se soumet.
Ensuite parce que la soumission à cette Loi induit une reconnaissance totale de la
castration. Le dépassement de l’expérience du manque permet au sujet de
s’adresser pleinement à l’Autre en tant que destinataire de l’expression de son
besoin. Ainsi, en ce cas le désir sera bien le désir de l’Autre. La parole pleine se
situe toujours dans les limites de la Loi définies par la castration. La parole vide est
au service du couple pulsion/jouissance tandis que la parole pleine soutient le
couple désir/vérité.
rendre compte du fait que par sa seule parole le chaman parvient, non pas à
résoudre la problématique de la parturiente, mais à lui offrir les clefs pour qu’elle y
modèle immuable et universel qui comporte par la seule narration une puissance
résolutoire. La visée de cette cure est que le sujet fasse sienne la résolution
fondatrice, et à un savoir jusqu’à alors hétérogène et dispose alors d’une prise sur
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sa propre souffrance. Plus exactement Lévy Strauss parle non pas de mythe mais
reliée à la culture de son groupe, elle donne ainsi un sens à son parcours qui
relève d’un « temps pour comprendre » 11. Résolutoire car elle sait désormais sa
douleur reconnue, nommée et a donc prise sur elle pour l’ordonner, la contrôler, la
gérer et finalement l’abolir dans le « temps pour conclure »12 . La cure chamanique
structure ainsi que nous l’avons relevé dans la première partie et reflète la
le patient donne un sens singulier selon son histoire. Si la Loi du langage est
porteuse de règles partagées, la parole et le discours qui lui font cortège offrent les
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Nous avons été happés par notre recherche sur la Loi du langage et la
parole. Lacan, sans jamais sacrifier à la structure de sa démarche, colorait souvent
son enseignement de rapprochements surprenant car en apparence éloignés du
thème étudié. Pourtant, dans l’après coup, tel le point de capiton, ces digressions
renforçaient le sens de ses démonstrations. Nous inspirant de sa démarche, et
puisque dans son texte Lacan convoque le chamanisme pour rendre compte de
l’efficacité symbolique, et de l’importance de la Loi, nous nous proposons, à sa
suite, de rechercher comment le chamanisme peut rendre compte de la jouissance
comme infraction à la Loi dans le cadre de la cure, et comment le statut du
psychanalyste est lui aussi en lien étroits avec le langage et parole.
être mis en parallèle avec le principe même de la cure analytique dont la visée est
réitérée, non contrôlée, véhiculée par la parole vide. De ce travail peut alors naitre
Claude Lévy Strauss 14 rapporte que, selon le mythe ojibwas15, les tribus
sur terre pour se mêler aux hommes. L’un d’eux est arrivé les yeux bandés car,
bien qu’animé des meilleurs dispositions à l’égard des Indiens, il ne peut pas se
contrôler. En raison du danger lié à son incoercibilité les cinq autres le renvoyèrent
13 Bertrand Hell – Possession et chamanisme. Les maîtres du désordre – Paris , Flammarion, 1999
15 Les Ojibwés, représentent la troisième nation amérindienne en nombre, d’Amérique du Nord , et du Canada.
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Que notre lecteur nous permette de relever la métaphore de cet être
ses semblables et non de l’extérieur. Ainsi en va-t-il des pulsions comme des
surhommes, c’est de l’intérieur du sujet, grâce à la cure, que la jouissance doit être
noyau historique d’un mythe, concerne toujours une défaite de la vie pulsionnelle.
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l’exercice de son ministère pour guérir les humains. Bell, dit à propos du chamane
« qu’il représente le vecteur de choix en tant qu’il est à la croisée de deux mondes
et construit un monde signifiant qu’il offre à son consultant pour lui permettre de
verbe ». C’est bien par l’unique parole que la jouissance pourra disparaître et
qu’elle s’exprimera dans le cadre de la cure, avec l’analyste, lui aussi vecteur de
grâce aux interprétations. C’est grâce à cette connaissance que le chamane fait
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tandis que le chamane conservera la part de magie qui s’attache à sa fonction par
rituel complexe, surprenant pour les observateurs. Rituel dans lequel le patient est
immédiatement inclus, rituel qui l’enveloppe. Ce rituel existe aussi dans l’analyse
qu’elles induisent. L’auteur de ces lignes, lors de sa propre cure, fit un jour
remarquer à son analyste que celui-ci avait déplacé l’un des tableaux fixé au mur
«Vous dites ça comme si ce cadre ne vous regardait pas ! ». Quelle plus belle
inconscient que l’analysant s’est donné à lui-même de découvrir que ce n’est pas
l’Autre qui l’aliénait mais sa propre volonté de voir qu’il abolissait. L’auteur de ces
lignes, à l’époque, voyait quelque chose sans savoir quoi et sa parole était alors
porteuse de cet objet perdu qu’était son regard et qui rendait compte d’un
l’écriture de ces pages, soit près de dix années après que cet échange ait eu lieu
démontrant que la parole est liée au temps pour le sujet et que pourtant
conclusion et pour mettre en évidence les qualités de visionnaire dont Lacan a fait
preuve tout au long de son enseignement, réservons nous encore une similitude
Nous avons mis en évidence plus haut que l’un des traits du chaman réside
dans la magie dont son art est empreint préservant ainsi le statut de « sujet
supposé savoir » que lui accordent ses contemporains, or lorsque la
psychanalyse, fait l’objet d’un haro à propos du traitement de l’autisme, nous
voyons là l’illustration d’une dimension magique que les détracteurs de la
psychanalyse voudraient voir advenir dans le traitement des troubles de l’autisme.
L’autisme est singulier, les sujets qui en sont atteints nécessitent que du temps
leur soit consacré et les traitements ne sauraient être de l’ordre de la
prestidigitation accomplie dans un temps record. Ces courants qui mettent ainsi la
psychanalyse au ban de la société considèrent de fait que le traitement n’intéresse
plus seulement le sujet autiste mais la société toute entière. Il faudrait selon eux,
traiter les sujets souffrants avec une urgence incompatible avec leur singularité.
Ces détracteurs voient l’autisme moins comme une souffrance du sujet que
comme une symptomatologie sociétale à laquelle il faudrait en urgence remédier
quelque en soient les conséquences pour celui qui en est atteint. Les thérapies
viseraient donc à apaiser la souffrance de la foule, tribu élargie, prise comme
«sujet» dont les autistes seraient le symptôme de la fissuration ou de l’éclatement,
en un mot de son écart au regard d’une Loi unitaire. C’est d’ailleurs le sens des
thérapies cognitivo-comportementales qui appliquent à tous des traitements
analogues, le symptôme étant perçu comme une déviance au regard de la norme.
Norme dans laquelle il faut s’empresser de remettre le sujet pour rétablir l’écologie
sociétale prise comme une unité dans laquelle les singularités sont gommées. La
loi est bien encore présente ici mais dans sa dimension normative davantage que
structurante de l’être humain. Les promoteurs des techniques comportementales
renversent la logique d’ordonnancement et en comparaison de la représentation
concentrique que nous avons proposée plus haut nous pouvons dire que les
17 Bertrand Bell – opp cit p 241 : celui-ci périt plus souvent sous les coups de ses voisins que sous les flèches décochées
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comportementalistes partent du symptôme et lui appliquent une technique pour
engendrer une parole et prétendre ainsi à la reconnaissance de la Loi par le sujet,
preuve de son intégration dans un ordre social alors homéostasique.
social y est l’objectif à atteindre. La fonction de la parole n’est alors plus d’être le
sont ici forclos puisque c’est uniquement la parole en tant que fonction, fut elle
rétablissement d’un ordre social. Le droit est bien toujours présent mais il s’agit du
droit de la preuve masqué sous les oripeaux d’une pseudoscience et non du droit
mériterait qu’une étude lui soit consacrée sous l’angle de la fonction et du champ
de la parole et du langage dans le scientisme, mais limitons nous ici à indiquer que
décréter que la psychanalyse n’a plus droit de cité dans le traitement des troubles
mon discours est encore incompris, c’est parce que, disons, pendant longtemps, il
a été interdit dans toute une zone, non pas de l’entendre, ce qui aurait été à la
l’entendre (…) Il y avait de l’interdit ? Et ma foi que cet interdit soit provenu d’une
d’eux…toujours ça parle.
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