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Le réel

Le réel selon Lacan

Marguerite Angrand
Philopsis : Revue numérique
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INTRODUCTION

La clef de voûte de la pensée et de l’œuvre lacaniennes, c'est la thèse


des trois registres : Symbolique – Imaginaire – Réel
On en trouve l'amorce dès le Séminaire I, Les écrits techniques de
Freud (1953-54) : « Catégories élémentaires sans lesquelles nous ne
pouvons rien distinguer dans notre expérience » (p. 297).
Ceci sera précisé dans des textes ultérieurs, ainsi dans le « Bulletin de
l'Association freudienne » (nov. 1982) : « registres qui sont bien les registres
essentiels de la réalité humaine, registres très distincts et qui s'appellent le
symbolique, l'imaginaire et le réel ».
Dans ses premières œuvres (période de « retour à Freud »), Lacan
énonce la primauté du symbolique. C'est l'époque où il s’intéresse de très
près à la linguistique structuraliste en raison dit-il, de sa « rigueur
scientifique ». Il écrit : SIR.
Par la suite, Lacan mettra très nettement l'accent sur le réel. Il écrira
RSI (cf. l’intervention au Congrès de Rome de nov. 1974 et le Séminaire RSI
(1974-75)
Toutefois, il affirmera toujours que ces trois registres s'interpénètrent
et ne peuvent fonctionner séparément mais qu'il n'y a pas entre eux de
hiérarchie. Il parle de « lien » ou encore de « nouage ».
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Ce qu'il représentera topologiquement en 1972 par le nœud


borroméen.
Ce nœud, c'est trois ronds de ficelle indépendants les uns des autres
qui se coincent entre eux, ce qui signifie que si l'on coupe indifféremment
l'un des cercles, les 2 autres se détachent (cf. Séminaire XX Encore, Seuil,
1975, chap. 10).

RÉEL ET RÉALITÉ

On lit dans le Séminaire du 28 nov. 19561 : « Nous nous apercevons


que le réel a plus d'un sens […]. Quand on parle du réel, on peut viser
plusieurs choses. Il s’agit d'abord de l'ensemble de ce qui se passe
effectivement. C'est la notion qui est impliquée dans le terme allemand de
Wirklichkeit, qui a l'avantage de discerner dans la réalité une fonction que la
langue française permet mal d’isoler. C'est ce qui implique en soi toute
possibilité d’effet, de Wirkung. C’est l’ensemble du mécanisme »
Cette première notion, c'est ce qu'il appelle : le réel.

I. La réalité

Ce que nous appelons communément « réalité », c'est le monde où


nous vivons, peuplé d'objets que nous percevons, observons, étudions,
manipulons, convoitons, refusons... Spontanément, nous pensons que ces
objets constituent un donné extérieur à nous sujets.
Lacan répond que c'est une illusion. En fait, ces réalités sont un
« effet » du symbolique et de son auxiliaire l'imaginaire. Ils ne sont pas
donnés mais constitués au même titre d'ailleurs que nous sujets.

1/ Le symbolique, c'est l'ordre du signifiant, élément du (ou des)


langage(s), comme le dit le Séminaire III : « La masse sentimentale du
courant du discours, masse confuse où des unités apparaissent, des îlots, une
image, un objet, un sentiment, un cri, un appel...C'est un continu tandis
qu'en-dessous, le signifiant est là comme pure chaîne du discours, succession
de mots où rien n'est isolable »2.
Notons que les signifiants dont parle Lacan ne sont pas exclusivement
linguistiques. Tout ce qui est susceptible d'entrer dans un système organisé
de relations peut devenir signifiant (ex : objet, relation, acte symptomatique,
etc.). Nous le verrons plus loin à propos de l'Inconscient.
Toutefois, Lacan s'est fondamentalement intéressé au langage oral et
écrit dont les signifiants (sons, traces) étaient scientifiquement étudiés par les
linguistes structuralistes, tout particulièrement par F. de Saussure (Cours de
linguistique générale) dont Lacan dit qu'il fut fondateur de la linguistique
moderne ».

1
Le Séminaire, livre IV. La relation d’objet, Seuil, 1994, p. 31.
2
Le Séminaire, livre III. Les psychoses, Seuil, 1981, p. 296

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Tout langage est un réseau structuré de signifiants.


- Chacun est distinct des autres : c'est un différentiel. Il y a
« coupure » entre eux.
- Chacun n'existe comme signifiant que par opposition aux autres dans
un système organisé. « Tout signifiant est, comme tel, un signifiant qui ne
signifie rien »3.
L'articulation des signifiants entre eux forme une « chaîne
signifiante ». Elle tourne sur elle-même mais reste ouverte à la jonction de
nouveaux éléments. D'où la fécondité du langage.
Le symbolique est « constitutif ».
Lacan dit que le mot « tue la chose » (fin de l'illusion de
transcendance) mais aussi bien il la « crée » en la rendant présente par la
seule énonciation (cf. Ecrits, p. 276).
Ce que nous appelons nos objets (la réalité) n’est pas extérieur aux
mots qui viendraient seulement les désigner ; les objets sont produits par les
sons/mots qui les font exister en les identifiant du fait qu'ils les distinguent
d'autres objets par la place qui leur est assignée dans telle ou telle chaîne
signifiante.
Pour illustrer cela, nous pouvons rappeler l'exemple donné par F. de
Saussure : l'exemple des règles du jeu d'échecs (Cours de linguistique
générale, p. 125-126).
Du point de vue symbolique, purement formel, telle pièce est
uniquement définie et identifiée par les déplacements qui lui sont permis
dans la chaîne des autres signifiants où elle a sa place différentielle.
Tout langage est du point de vue symbolique une nomenclature et une
combinatoire.

b) C’est l'imaginaire qui, pour une grande part, produit le signifié en


constituant un tissu de représentations, interprétations, images par lesquelles
nous nous figurons la réalité.
Reprenons l'exemple saussurien du jeu d'échecs : Nous dessinons et
caractérisons les signifiants du réseau symbolique formel en parlant de roi,
reine, cavalier. Mais nous pourrions aussi bien imaginer un autre jeu régi par
les mêmes règles formelles mais où les différentes pièces seraient figurées
autrement.
Le signifié a donc un caractère glissant, précaire (Séminaire III, p.
297).
Lacan dit que le signifié n'a aucune autonomie par rapport au
signifiant. « Le signifiant entre dans le signifié pour produire le sens »
(Séminaire XX, p. 45). Il est un « effet » de la structure des signifiants ; la
signification, imaginaire, est le produit et le jouet de l'engrenage symbolique.
L'imaginaire est un « en-deçà » du symbolique, il s'arc-boute sur lui.
C'en est « l'inversion spéculaire » souvent fallacieuse.
En effet, c'est par l'imaginaire que nous nous figurons que le
symbolique nous parle du réel. C'est lui dont la force persuasive et la
séduction nous fait prendre pour le réel les réalités dont nous parlons ; ses

3
Le Séminaire, livre III, p. 210

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représentations fictives nous empêchent de percevoir le caractère constitutif


du langage : elles génèrent l'illusion de Transcendance.
Il n'y a pas de réalités qui seraient atteintes sans les signifiants et qui,
comme un donné préalable, pré-existeraient au réseau symbolique.
Mais nous ne le savons pas. Nous verrons plus loin comment Lacan
analyse cette « distorsion de l'inconscient ».
Le symbolique est fondateur. C'est lui qui « fait les choses » et c'est
l'imaginaire qui les représente (voir le Séminaire II, Le moi dans la théorie
de Freud…, p. 43).

II. Le réel

Si le réel n'est pas la réalité, qu'est-il ?


Dans le séminaire du 28 nov. 1956, Lacan invoque « ce fameux réel
qui était jusqu'à présent resté dans l'ombre »4 et dans Télévision (1974), il le
définira comme « l'envers du symbolique ».
Il dit encore que la réalité n'est que « la grimace du réel » (Télévision,
p. 17) ou encore que la réalité est « l'ombre projetée du symbolique » sur le
réel.
Le réel est donc hors du réseau symbolique où se constituent les
réalités.
Ce n'est pas un signifiant (dont le propre est d'être un différentiel) ; il
est « le même », le « permanent », « ce qui ne bouge pas », « ce qui revient
toujours à la même place » (Séminaire II, p 122 et 342 ; Ecrits, p. 25).
Il ne peut donc s'inscrire dans aucune chaîne signifiante ; aucun
symbole ne peut s'ajuster à lui, par conséquent non plus aucune
représentation imaginaire. Il est l'indicible, l'inimaginable.
Lacan dit : il est la « limite de notre savoir » : « nous n'avons pas à
nous étonner que le réel soit quelque chose qui soit à la limite de notre
expérience »5.
Dès qu'on parle, on introduit en lui la « coupure originelle » qui crée
ce que nous appelons la réalité des choses. Donc, dès qu'on parle, il nous
échappe (voir Ecrits, p. 276).
C'est pourtant le signifiant qui donne accès au réel. C'est à partir du
symbolique qu'il est possible non pas de le connaître, mais de le « cerner »,
le « déduire », de le « supposer » comme une présence dans l’absence
signifiante, comme « un je ne sais quoi », « quelque chose d'insondable » qui
surgit dans les failles, les distorsions, les ruptures qui se produisent dans le
réseau symbolique, « bruit où l'on peut tout entendre » (Ecrits, p. 388), face
sombre du symbolique.
Le symbolique crée dans le réel un « trou », un « vide », un
« manque », une « absence » et c'est là que le réel s'indique dans les
« failles » du savoir et de la pensée. Du réel comme faille, trou engendré par
le symbolique, Lacan a donné une représentation imaginaire : la lamelle.
Ce n'est qu'image mais les caractéristiques de la lamelle sont telles
qu'elles peuvent nous suggérer cet inimaginable qu'est le réel : « la lamelle
c'est quelque chose d'extra plat qui se déplace comme l'amibe. Mais ça passe
4
Le Séminaire livre IV, p. 31
5
Ibidem

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partout. C'est, comme est l’amibe, [...] immortel. Puisque ça survit à toute
division, puisque ça subsiste à toute intervention scissipare. Et ça court. Eh
bien ! Ça n'est pas rassurant. Supposez seulement que ça vienne vous
envelopper le visage pendant que vous dormez tranquillement »6.
La lamelle est indivisible, indestructible et immortelle (au sens de :
non morte) : elle n'existe pas, elle « insiste » ; irréelle, elle revêt de multiples
apparences qui enveloppent un vide central.
La lamelle, c'est bien sûr une image mais à la limite du représentable.
Elle figure le réel sous un aspect effrayant : « abîme primordial » dit Lacan,
qui avale tout et dissout toutes les identités. Il dit aussi « chose
terrifiante informe », et encore « le leurre ultime »7.
Nous allons voir maintenant comment cet étrange concept de réel
comme l'ultime terrifiant a été pour Lacan psychanalyste, d'une extrême
fécondité dans son exploration du psychisme humain et de ses troubles
(psychoses, névroses).
Nous comprendrons alors pourquoi il l'a figuré sous l'aspect d'un
monstre effrayant.

SUR LES TRACES DU SUJET RÉEL

I. Position du sujet

Dans Encore8, chap. 2, Lacan écrit qu'il a fait de la « linguisterie ».


C'est sa façon de marquer sa différence fondamentale d'avec le
structuralisme et en particulier d'avec l’Anthropologie structurale de Lévi-
Strauss.
Pour celle-ci en effet, il y a bien des « effets de subjectivation », mais
ils sont déterminés par une logique des places. Les sujets sont dits
déterminés par un ordre symbolique dont ils sont inconscients. Quant à
l'inconscient, il est défini comme simple réseau symbolique : réduit à
l'inconscience des déterminismes, il est le pur effet du symbolique et le sujet
n'est plus qu'une simple fonction symbolique de l’inconscient. (voir l'analyse
des mythes chez Lévi-Strauss).
Dans les Écrits, Lacan analyse une nouvelle d'Edgar Poe, « La lettre
volée ». Il démontre que si la structure ordonne une certaine combinatoire,
celle-ci ne produit ses effets que selon la place qu'on y occupe ; or la lettre
induit des places multiples, c’est-à-dire des modalités différentes d'entrée
possible dans le langage.
Dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, il
démontre qu'il y a un nombre fini de modalités selon lesquelles un sujet peut
être pris dans une structure. Donc, on peut repérer la structure mais il reste à
préciser la manière dont le sujet y entre à tel moment.

6
Le Séminaire livre XI. Les quatre concepts fondamentaux de la
psychanalyse, Seuil, 1973, p. 221. Voir aussi Ecrits, « Position de l’inconscient », pp
829-850
7
Idem
8
Le Séminaire livre XX. Encore, Seuil, 1975, p. 25

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Héritier de Freud, Lacan se démarque donc de l'idéologie structuraliste


en mettant le sujet au centre de sa réflexion et de sa démarche analytique.
Dans « Radiophonie » (1970)9, il écrit : « l’inconscient est la condition
de la linguistique ». Il exprime ainsi l'incapacité de la linguistique à rendre
compte de la prise du sujet dans la langue et son propre renversement de
perspective ».
Dans le Séminaire L'identification (1961-1962), il écrit : « le
signifiant, à l'envers du signe, n'est pas ce qui représente quelque chose pour
quelqu'un, c'est ce qui représente précisément un sujet pour un autre
signifiant »10.
Ce qui veut dire que le signe nous représente un objet, une réalité,
tandis que le signifiant représente le sujet. Celui-ci n'est pas évoqué pour lui-
même mais pour d'autres signifiants.
Nous allons suivre Lacan dans sa quête du sujet réel, ce qui va nous
amener à explorer une fois de plus l'articulation des trois registres :
symbolique, imaginaire, réel.
Au terme de cette étude, nous aurons constaté combien la conception
lacanienne du sujet s'éloigne de la conception philosophique traditionnelle.
Celle-ci postulait en effet l'antériorité du sujet sur ses actes, paroles...etc.
Fort de son expérience d'analyste, Lacan pose que le sujet ne se découvre
qu'après coup dans ce qui le manifeste, et qu'il n'est pas vraiment là où il se
dit sujet.

II. Celui qui dit « je » : le sujet symbolique

Lacan nous définit comme des « parlêtres », des sujets parlants.


Comme tels, nous sommes assujettis à la logique des signifiants.
Contrairement à ce que nous croyons, le langage n'est pas un
instrument extérieur à nous et que nous utiliserions à notre guise. Selon
Lacan, le sujet qui parle est « un effet de signification » ce qui veut dire qu'il
a une place dans telle ou telle chaîne de signifiants qui le détermine comme
sujet (voir Ecrits, p. 279).
En fait, comme dit Lacan, nous sommes « des habitants du langage » ;
dès avant notre naissance et tout au long de notre vie, nous sommes
déterminés à penser, parler agir, en fonction de multiples codes (règles de
grammaire, de parenté, de droit, etc) que Lacan appelle « grand corps
subtil » ou encore « le grand Autre ».
C'est lui qui tire les ficelles. Le sujet « est parlé » par la structure
symbolique.
Ce « grand Autre » permet les échanges, la communication et la
compréhension entre tous ceux qui participent des mêmes réseaux
symboliques.
Quand je dis « je », je me pose en sujet de mes assertions, j'imagine
que je suis un petit Autre s'adressant librement à un autre petit Autre. En fait,
pour que nous puissions nous comprendre, il faut que le « grand Autre » soit
là comme le terrain virtuel de nos discours. Il est la substance des sujets
parlants. C'est lui qui « parle en nous », mais à notre insu.
9
in Autres écrits, Seuil, 2001, p. 406
10
Séminaire sur L’identification, non publié.

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III. Celui qui dit « moi » : le sujet imaginaire

Selon Lacan, le Moi est une construction imaginaire.


Il dit dans le Séminaire II (p. 284) : « il n'y a pas moyen de saisir quoi
que ce soit de la dialectique analytique si nous ne posons pas que le Moi est
une construction imaginaire ».
C'est une construction par laquelle le sujet Je qui parle s'objective pour
lui-même. Nous avons vu qu'il se croit maître de sa parole alors qu'en fait
« il est parlé ». Mais sa véritable position lui est totalement méconnue. Dès
lors il est prêt à condenser toutes ses « représentations » de lui-même en une
représentation imaginaire globalisante : le Moi.
Le Moi n'est donc que « l'image projetée » du sujet à travers ses
multiples représentants.
Le Moi se constitue à partir du stade du miroir.
L'enfant conquiert son identité originaire (comme image propre de soi
globale) dans le miroir et il accède au symbolique par la configuration de son
image spéculaire apportée par l'Autre (la mère). « Le Moi dont nous parlons
est absolument impossible à distinguer des captations imaginaires qui le
constituent de pied en cap, dans sa genèse comme dans son actualité par un
autre et pour un autre »11.
Conséquence : l'autre est aussi perçu comme Moi spéculaire donc son
semblable.
Résultat : la communication est toujours faussée par la médiation de
l'axe imaginaire. C'est toujours un Moi qui communique avec un autre Moi
semblable à lui, jamais un sujet véritable avec un autre sujet véritable :
« quand le sujet parle avec ses semblables, il parle dans le langage commun
qui tient les Moi imaginaires pour des choses non pas simplement “ex-
sistantes” mais réelles. Ne pouvant savoir ce qui est dans le champ où le
dialogue concret se tient, il a affaire à un certain nombre de personnages aa'.
Pour autant que le sujet les met en relation avec sa propre image, ceux
auxquels il parle sont aussi ceux auxquels il s'identifie » (voir Séminaire II,
p. 285 et sv.).

IV. Le sujet aliéné

Lorsque le sujet qui parle dit « je » ou « moi » en parlant de lui, il n'est


présent dans son discours que « représenté » par ces signifiants Je, Moi.
C'est pourquoi Lacan parle :
- d'aliénation du sujet (Cf Les quatre concepts…)
- de refente du sujet
- d'aphanisis (= disparition ; cf Les quatre concepts…)
Dans son rapport à l'ordre symbolique ou imaginaire, le parlêtre fait
l'épreuve de son caractère inessentiel : il est inauthentique, il n'est pas le vrai
sujet, le sujet réel. Il n'en est qu'un « tenant lieu ».
C’est ce qui est montré dans le Séminaire sur L'identification : « un
signifiant représente un sujet pour un autre signifiant ».

11
Ecrits, p. 374 ; voir aussi p. 832.

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Cette formule signifie que dans le discours, le sujet n'est présent que
comme un signifiant « Je » ou « Moi » dans une chaîne parlée. Ces
signifiants le représentent mais ne le présentent pas.
Dans ce même séminaire, nous lisons la formule suivante : « un signe
est ce qui représente quelque chose pour quelqu'un ».
Expliquons : le signe est construit par l'association signifiant-signifié.
Le sens d'un signe dépend de l'ensemble des autres signes de la chaîne. Celui
qui écoute se représente cette construction comme due à l'intervention d'un
sujet. Pour l'autre, le Je qui parle est représenté comme le sujet énonciateur
mais non présenté.
Le sujet réel véritable est ainsi exclu du symbolique.
Lacan a dit que le sujet (réel) est dans l'Autre « en exclusion
interne ».
Ou encore : « le drame du sujet dans le verbe, c'est qu'il y fait
l'épreuve de son manque à être » (Ecrits, p. 655).
Le sujet installé dans l'ordre symbolique est « barré » à lui-même par
« le mur du langage » comme le sont ceux auxquels il s'adresse.
Aussi la communication est-elle toujours ratée quand elle s'opère entre
deux parlêtres.
Lacan dit dans le Séminaire II (p. 285) : « Nous nous adressons de fait
à des A1A2 qui sont ce que nous ne connaissons pas, de véritables Autres,
de vrais sujets, ils sont de l'autre côté du mur du langage, là où en principe,
je ne les atteins jamais. Fondamentalement ce sont eux que je vise chaque
fois que je prononce une vraie parole mais j'atteins toujours a, a' par
réflexion. Je vise toujours les vrais sujets et il me faut me contenter des
ombres. Le sujet est séparé des Autres, les vrais, par le mur du langage ».

L’idée est reprise dans le Séminaire III sur Les psychoses : quand nous
parlons à un autre, c'est que nous le reconnaissons comme un sujet véritable,
comme un Autre, implicitement ; nous en posons l'existence comme
fondement au-delà de sa parole.
Mais reconnaître, ce n'est pas connaître.
D'où l’étrange sujet réel qui est bien présent dans le dire (l'acte
d'énonciation) mais masqué, seulement représenté dans le dit (sur ce thème,
voir « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse »,
Ecrits, p. 293)
L'ordre du signifiant a instauré la division du sujet : le sujet est
« coupure » : sujet du dire et sujet qui dit.
La « forclusion » du véritable sujet réel au bénéfice du sujet des
énoncés est particulièrement frappante dans le discours scientifique.
Le sujet connaissant ou sujet de la connaissance n'est qu'un « sujet
supposé savoir ». C'est un tenant lieu du sujet réel mais privilégié parce
qu'on le considère comme la manifestation du sujet Transcendantal.
Lacan rappelle le cogito cartésien (dans les Méditations
métaphysiques) : le je qui pense (l'ego) se saisit dans l'acte de penser comme
res cogitans (substance pensante). Il est alors habilité à énoncer le vrai et à
légiférer sur lui-même et sur toutes choses.

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Lacan critique le cogito cartésien dans divers textes : le Séminaire XI,


Les quatre concepts…, le Séminaire XX, Encore (par exemple p. 31) et
surtout le Séminaire sur L'identification.
Il dénonce la confusion cartésienne entre deux registres différents : le
sujet croit pouvoir se saisir lui-même dans son énoncé (je pense) en tant que
sujet fondateur (je suis) alors que celui-ci est extérieur à l'énoncé (je pense)
absent de l'énoncé, seulement représenté.
C'est ainsi que Lacan écrit : « je pense où je ne suis pas donc je suis où
je ne pense pas », « je ne suis pas là où je suis le jouet de ma pensée, je
pense à ce que je suis là où je ne pense pas penser » (voir le Séminaire inédit
L’identification, séance du 10/01/1962, et La logique du fantasme (inédit),
janvier et février 1967)
D'une façon générale, le sujet connaissant ne déploie son discours
rationnel qu'en neutralisant le sujet réel.
Son lieu, c'est le Je et le Moi ; de son discours sont exclus aussi bien le
réel du monde que le réel du sujet, lesquels se dérobent à tout discours.
L'ego qui se croit constitutif n'est que le produit d'illusions. C'est un
fantasme unifiant utile pour se défendre de l'incohérence mais ce n'est qu'un
fantasme.
Au-delà de sa critique du cogito, Lacan s'interroge sur la profonde et
réelle signification de la démarche cartésienne. Il y voit « une expérience
philosophique de la recherche du sujet », une interrogation radicale sur
« l'essence subjectale », c'est-à-dire sur ce qu'il en est du sujet avant même
qu'on en vienne à nommer son essence comme res cogitans. Selon Lacan, le
doute hyperbolique porte sur ce que nous recherchons comme étant le sujet
avant qu'il utilise un signifiant pour le représenter. (Séminaire sur
L'identification).
Poursuivons la réflexion de Lacan sur le sujet réel.

V. Le sujet de l'inconscient

Nous venons de voir que selon Lacan, le sujet réel, ce n'est pas le sujet
qui dit Je ou Moi dans l'énoncé, c'est le sujet de l'énonciation.
Il dit que le sujet de l'énonciation, c'est aussi le sujet de l'inconscient :
« la présence de l'inconscient pour se situer au lieu de l'Autre est à chercher
en tout discours dans son énonciation » (Ecrits p. 16 sqq).
Qu'est-ce donc que l'inconscient ?
Lacan répond : ce n'est pas une réalité qui existerait cachée dans le
moi profond (comme le pensait Freud), il n'est pas dans le sujet comme un
réservoir de pulsions. Il est le dire du sujet véritable et c'est par lui que ce
sujet réel est dit.
Cf Ecrits : « le sujet donc, on ne lui parle pas, ça parle de lui et c'est là
qu'il s'appréhende » (p. 835).
Quant aux pulsions, elles ne sont autres que « l'écho dans le corps du
fait qu'il y a un dire », (Cf « Le sinthome », in Ornicar, n° 8).
Voyons de plus près la relation entre inconscient et sujet de
l'inconscient.
Lacan dit dans les Écrits (p. 830) : « l'inconscient est un concept forgé
sur la trace de ce qui opère pour constituer le sujet ».

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Ce qui signifie : le sujet réel nous ne l'appréhendons que sous la forme


d'une trace dans ce que nous appelons l'inconscient. Celui-ci est un langage
structuré. A l'origine de ce langage inconscient, il y a le dire du sujet réel
mais dans le dit de l'inconscient, ce véritable sujet n'est présent que comme
une trace.
Nous constatons combien Lacan se démarque du structuralisme pour
qui l'inconscient n'est que l'inconscience des déterminations dont pâtit le
sujet. Pour Lacan, l'inconscient est toujours lié à l'acte du sujet : il n'y a
d'inconscient que du sujet ; pas de refoulement en effet qui ne présuppose un
sujet qui refuse.
L'inconscient est donc bien un savoir : le savoir du sujet mais un
savoir non su, à notre insu ; ce qui n'est paradoxal que si nous identifions
savoir et connaissance.
Lacan rapporte la naissance du sujet de l'inconscient à ce qu'il appelle
« l'identification symbolique à un signifiant » (Séminaire non publié sur
L’identification, séance du 20 décembre 1961).
Expliquons : Lacan s'intéresse, comme Freud avant lui, à
l'automatisme de répétition, mais alors que Freud cherche le moi dans ce qui
se répète, Lacan isole le trait commun, le signe distinctif qui se répétant,
permet d'établir une correspondance entre des événements pourtant
différents. C'est ce qu'il appelle le « trait unaire ».
C'est lui qui unifie l'ensemble de ces événements mais lui-même est
détaché de et extérieur à l'ensemble.
C'est le sujet de l'inconscient qui constitue le trait unaire : il est, ce
faisant, le « dire » de la personne dans sa singularité et sa vérité intime dans
son être propre.
Parler de « trait unaire », c'est nommer la fonction du sujet de
l'inconscient mais ce n'est pas dire ce qu'il est dans sa réalité. Le sujet de
l'inconscient ne sera jamais qu'une trace, une marque qui ne se présente pas
dans le discours de l'inconscient bien qu'il y soit à l’œuvre. Lacan dit : c'est
un « soi-même oublié », « un sujet en moins » dans notre vie. Il l'appelle
encore « l'Un en moins » car dans notre vie nous en sommes privés (Idem).
Nous voyons confirmée une fois de plus la thèse lacanienne de la
division psychique (Spaltung), la structure de division est nécessairement
celle du sujet.
En effet, l'être humain ne devient un sujet que lorsque son rapport au
réel et à lui-même est médiatisé par l'ordre du langage.
Or l'effet de cette médiatisation, c'est de créer une séparation et une
division :
- entre le parlêtre et le réel en lui-même et dans le monde
- entre le parlêtre et son inconscient
Si l'inconscient advient, c'est parce que le langage nous sépare de ce
dont il parle sans pourtant que nous le sachions. Quand on parle, « on dit tout
autre chose que ce que l'on croit dire dans ce que l'on dit » (Ecrits, « Position
de l’inconscient », p. 835).
Ce « tout autre chose », c'est ce qui échappe au parlêtre conscient.
C'est ce dont il est constitutivement séparé par l'ordre du symbolique. C'est
l'inconscient.
C'est l'ordre signifiant qui divise le sujet en faisant advenir
l'inconscient. L'inconscient est l'implication logique du langage.

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Mais il est lui-même un langage (« structuré comme un langage »12)


où le sujet réel parle mais masqué.

VI. Le sujet du désir

Lacan dit à diverses reprises que le sujet de l'énonciation, c'est aussi


bien le sujet de l'inconscient et que celui-ci est aussi bien le sujet du désir.
C'est ce dernier point que nous allons analyser.
Considérons le point de vue génétique : la genèse de l'inconscient
s'opère au cours du processus œdipien au centre duquel est la question du
phallus (« Les formations de l’inconscient », Bulletin de psychologie, 1958,
p. 252-256 et Ecrits, p. 690).
Le phallus, c'est l'étalon symbolique de toutes les pertes donc de tous
les désirs. « Le phallus est le signifiant du désir », cela signifie que chez
l'être humain :
1) tout désir est libidinal en ce sens qu'il tend vers sa satisfaction totale
(la Jouissance Absolue) dont la relation incestueuse avec la mère est la
représentation mythique (fusion totale) ;
2) tout désir est toujours insatisfait car toujours marqué par
l'expérience cruciale d'avoir dû renoncer à la jouissance de la mère.
Le signifiant phallus symbolise donc la limite qui sépare le monde de
la jouissance humaine toujours insatisfaite, de la jouissance supposée
absolue.
« Le phallus est le signifiant de la loi » à laquelle obéit tout désir
humain (voir Ecrits, p. 278).
Cette loi, c'est :
- d'être mû par l'illusion d'une totale satisfaction
- d'en être irrémédiablement séparé (par la castration)
Cette loi du désir ne fait que reproduire la loi énoncée par le Père
Symbolique dans sa fonction signifiante que Lacan appelle « Le Nom du
Père », loi qui instaure la séparation symbolique au sein du fantasme
« incestueux » et marque l'avènement de la relation triadique.
La loi du Père, en nous castrant, nous fait advenir comme sujets et
nous assujettit à la logique du signifiant.
Cette loi engendre le refoulement originaire qui porte sur les
« signifiants primordiaux » (désir de la mère) lesquels refoulés, vont
constituer l'inconscient originaire (voir par exemple Séminaire III, p. 21).
Mais ce qui est refoulé reste « une présence fermée » toujours désiré,
toujours persistant mais à l'insu du sujet.
La fin de l’Œdipe, c'est métaphoriquement la soumission du sujet
constitué à la loi castratrice de son désir originaire de jouissance absolue.
D'où la possibilité pour le désir de s'engager vers des objets
substitutifs à l'objet perdu. Mais la satisfaction qu'on en retire est toujours
partielle car ces objets désirés sont toujours inadéquats à ce qui est
réellement visé : la satisfaction totale.
C'est ainsi que, selon Lacan, tout objet désiré est illusoire. Le sujet qui
désire croit désirer ceci ou cela mais en réalité, à travers ces objets, il tend

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Voir Séminaire III, p. 167, Séminaire XI, p. 28, Ecrits, p. 829.

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vers ce que Lacan appelle « la Chose » et qu'il appellera « la Jouissance


Absolue » dont il dit (dans le Séminaire Encore ) qu'on ne sait rien.
Dans tout objet désiré, il y a, au-delà des représentations que nous en
avons, une part obscure, irréductible, inconnaissable, une part perdue
(Chose, Jouissance Absolue, Souverain Bien) dont nous ne savons pas ce
que c'est, mais qui nous aimante.
L'objet désiré n'est qu'un « objet partiel », mais nous ne le savons pas
et c'est pourquoi nous croyons illusoirement qu'il nous comblera.
Cet écart entre l'objet partiel et l'objet total inconsciemment convoité,
Lacan l'appelle « l'objet a » (l'objet petit a). C'est lui, le véritable moteur de
nos désirs. Il est ce qui dans l'objet que nous désirons fait que nous le
désirions. Il est « un je ne sais quoi », le manque au « creux » de l'objet, le
« rien », le « vide » qui nous pousse en avant vers la « Chose » (la
« Jouissance »).
Dans le Séminaire VII où la « Chose » occupe deux chapitres, Lacan
l'identifie à « l'objet perdu » à savoir l'inceste avec la mère interdit par le
Nom du Père (Séminaire VII, p. 83-84 et p. 218). C'est pourquoi dans Écrits
(p. 787), Lacan dit que ce qui nous porte vers la Chose, c'est « l'envers de la
loi ».
Dans sa quête incessante, le sujet désirant tente de dépasser les limites
fixées par le principe de plaisir qui règle la distance du sujet à la Chose
(séminaire VII, p. 17-18) ; autrement dit ce principe est le régulateur du
plaisir.
Dépasser les limites fixées par le principe de plaisir, c'est en attendre
un « plus de jouir ». Mais en réalité, c'est, selon Lacan, « le chemin vers la
mort », c'est l'expression d'une pulsion de mort.
En effet, le sujet désirant qui inconsciemment vise la Jouissance
Absolue, vise en fait son propre anéantissement, sa perdition en tant que
sujet puisque être un sujet, c'est nécessairement désirer, du fait de la
castration originelle.
Nous arrivons à cette constatation : le réel sujet du désir, c'est cette
part obscure qu'il nous arrive de soupçonner quand nous éprouvons
l'impuissance de nos désirs à nous satisfaire une bonne fois pour toutes ; part
obscure dont nous n'avons aucune représentation possible, dont nous ne
pouvons rien dire.
Concluons sur le sujet réel.
Nous avons suivi le sujet réel à la trace : nous l'avons rencontré
comme sujet de l'énonciation, sujet de l'inconscient, sujet du désir. C'est
toujours le même sujet.
Lacan nous dit qu'il est une « supposition » : ce qui se place en-
dessous, dans l'intervalle entre deux signifiants, un « rien » au cœur de la
parole. C'est la part obscure de nous mêmes, la part toujours manquante et
cependant toujours présente dans ce que nous disons. C'est ce que nous
déduisons de la « misère d'être » propre au parlêtre.

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Conclusion

Pris dans la logique des signifiants, nous sommes à jamais séparés du


réel : il n'y a pas de signifiants pour dire le réel du monde et de nous mêmes,
ils « butent » toujours sur cela qu'ils ne peuvent ni exprimer ni représenter.
Et c’est pourquoi Lacan peut dire : « le réel, c'est l'impossible » (voir
« Le sinthomme », in Ornicar).
De cet impossible, nous pouvons nous approcher dans l'émotion
artistique (ou religieuse), produit de la sublimation.
On lit dans le Séminaire VII, L'éthique de la psychanalyse (p. 133) :
« la sublimation élève un objet narcissique et imaginaire à la dignité de la
Chose ». Et aussi : « entre l'objet tel qu'il est structuré par la relation
narcissique et das Ding (la Chose), il y a une différence et c'est justement
dans la pente de cette différence que se situe pour nous le problème de la
sublimation. »
L'émotion intense et puissante que l’œuvre d'art suscite chez le
spectateur est proche d'un vide infini, d'une jouissance sans limites car
l’œuvre a ouvert chez lui un désir suspendu sans objet assigné. Lacan dit
« dimension intolérable » (Séminaire VII, p. 117).
« Cette Chose dont toutes les formes crées par l'homme sont du
registre de la sublimation sera toujours représentée par un vide, précisément
parce qu'elle ne peut pas être représentée par autre chose, ou plus exactement
qu'elle ne peut qu'être représentée par autre chose. Mais dans toute forme de
sublimation, le vide sera déterminant ».
Cet impossible, nous pouvons l'occulter.
C'est à cela que servent nos fantasmes : ils font écran à toute
perception du réel lui-même, leur fonction (inconsciente) est de barrer l'accès
à une jouissance absolue. Ils sont donc une protection du moi contre la
crainte de l'anéantissement que serait la décharge totale des pulsions.
Le fantasme résulte d'une identification fantasmatique du sujet à
l'objet.
Mais il arrive aussi que nous nous heurtions à cet impossible. C'est ce
que Lacan appelle des « points de butée », des failles, des ratés dans nos
paroles, nos actes, nos représentations (lapsus, quiproquos, actes manqués,
rêves, symptômes).
Lacan dit encore : « des trous psychiques », lorsque nous disons : « ce
n'est pas ça », « ça ne va pas ».
Nous nous situons dans un lieu où le symbolique se noue avec le réel :
ces « ratés » sont des signifiants du réel, ils y font implicitement référence,
ils en sont les « messagers codés », opaques, « les messages que nous dirons
énigmatiques ce qui veut dire des messages où le sujet ne reconnaît pas le
sien propre » (Séminaire VIII, Le transfert, p. 149)

On pensera tout particulièrement à l'analyse lacanienne des


symptômes. Ils ne sont pas des déroutes de l'esprit mais « des points de
création » du sujet autour du réel. Voir Séminaire V, Les formations de
l’inconscient, p. 320 et p. 473 et sv. et Séminaire VIII : le symptôme est
« une stratégie de la jouissance », « une satisfaction à l'envers ».

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C'est le symbolique qui a « troué », « évidé » le réel. Assujettis


comme nous le sommes à la logique des signifiants, nous ne pouvons rien
dire, rien savoir de ce trou (« Le sinthomme », in Ornicar, p. 21).
Nous pouvons seulement le cerner lors de nos « trous psychiques »,
pourtant nous le cherchons et le désirons inlassablement. Tel est le paradoxe
du sujet parlant. Il voudrait que le réel lui soit donné mais s'il l'était, ce serait
sa fin en tant que sujet, sa mort.
Un tel statut est effrayant.
Lacan parle de « détresse abyssale » quand nous prenons conscience
- que notre rapport à nous mêmes, c'est notre propre mort
- qu'il n'y a pas pour nous d'Autre de l'Autre : son être réel nous est
inaccessible.
De ce désarroi absolu, l'angoisse n'est que l'expression, un signifié
imaginaire.
Dans le Séminaire VII, L'éthique de la psychanalyse, Lacan parle
d’une : « expérience du désarroi absolu au niveau duquel l'angoisse est déjà
une protection, non pas Abwarten, mais Erwartung… », non pas attendue
sans rien faire mais prévue, pleinement attendue : « … L'angoisse déjà se
déploie en laissant se profiler un danger alors qu'il n'y a pas de danger au
niveau de l'expérience dernière de l’Hilflosigkeit » (p. 351).
Alors que la détresse abyssale est solitude absolue, l'angoisse est
demande d'aide : elle est signal d'alarme en direction de l'Autre, juste avant
notre bascule dans le désarroi.
On lit ainsi dans le Séminaire sur L’angoisse : « … savoir si entre le
sujet et l'Autre, l'angoisse ne serait pas le mode de communication si absolu
qu'à vrai dire, on peut se demander si l'angoisse n'est pas au sujet et à l'Autre
ce qui est à proprement parler, commun ».
Cette aide, c'est la cure analytique qui peut nous l'apporter.
Lacan se démarque tout à fait de la conception traditionnelle de la
psychanalyse. En effet, le but de beaucoup de pratiques analytiques, c'est de
nous « adapter ». Et pour cela, traiter nos troubles psychiques, nous guérir de
nos névroses, psychoses ou obsessions de façon à restaurer notre bien-être
intérieur et permettre notre insertion dans le monde.
Pour Lacan, le but de la psychanalyse est tout autre : c'est de nous
aider à « advenir ». Ce qui veut dire : nous amener à nous confronter avec la
dimension la plus radicale de l'existence humaine et nous apprendre à vivre
avec.
Nous avons le devoir « éthique » de faire face à cette vérité
traumatique insupportable, à savoir que nous sommes radicalement exilés du
réel hors de nous et en nous et que ce qui nous définit dans notre être
véritable, c'est le « desêtre ».
Pour accéder à cette vérité de la condition humaine, il faut opérer « la
traversée du fantasme » et laisser l'inconscient parler librement, écouter ce
qu'il dit et ne dit pas.
On lit ainsi dans « Les moments de conclure » (leçon du 1e janv
1978) : « il suffit qu'on voie ce dont on est captif et l'inconscient c'est ça,
c'est la face du réel....c'est la face de ce réel dont on est empêtré. L'analyse ne
consiste pas à ce qu'on soit libéré de ses sinthomes, l'analyse consiste à ce
qu'on sache pourquoi on en est empêtré ».

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Le réel, c'est donc bien pour nous « l'impossible » (Le sinthomme,


1975-1976). La loi structurelle du symbolique nous en sépare. Ne faire qu'un
avec le réel supposerait qu'on échappe à l'interdit que symbolise le Nom du
Père et qu'on se perde comme sujet. C'est bien ce que inconsciemment nous
désirons mais aussi ce qui nous terrifie.

BIBLIOGRAPHIE

Écrits
Séminaires VII, L'éthique de la psychanalyse, VIII, Le transfert, XI
Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, XX Encore.

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