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Abstract
Thierry Deffarges — On the nature and causes of terrorism : A review of the economic literature
This article proposes a critical appraisal of the economic literature devoted to terrorism. On the one hand, contributions, based
on standard economic methods and new micro-economy methods, attempt to determine the rationality of a violence whose
objectives are political, on the other hand, they seek to determine the economic causes. The author hereby attempts to show
that the formal methods of economics can but only be partially useful in addressing the issue of terrorism, especially as regards
the meaning attached thereto.
Deffarges Thierry. Sur la nature et les causes du terrorisme. Une revue de la littérature économique. In: Tiers-Monde, tome 44,
n°174, 2003. Entendre les violences. pp. 369-392;
doi : https://doi.org/10.3406/tiers.2003.5390
https://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_2003_num_44_174_5390
Jules-*Verne)
Économiste,
et du greitd.
maître de conférences à l'iUT de l'Oise, membre du CRIISEA (Université de Picardie
1. B. Hoffman et D. K. Hoffman (1996) parlent de fad word (marotte).
Revue Tiers Monde, t. XLIV, n° 174, avril-juin 2003
370 Thierry Deffarges
2001). Ce qui est qualifié de terroriste par les uns peut être qualifié de
résistance par les autres1. Selon D. Bigo (2001), l'usage du terme
procède d'une stratégie visant à rallier les indifférents en délégitimant
l'adversaire et « (que le terme) sert plus qu'à qualifier, à disqualifier la
violence de l'autre. (...) La violence terroriste (...) c'est celle de
l'autre (...). A contrario, sa propre violence n'est qu'une réponse
légitime à une telle agression. (...) Le mécanisme accusatoire, lorsqu'il
fonctionne bien, non seulement délégitime l'usage de la violence de
l'adversaire, mais purifie, sanctifie la "réponse" ». Le jugement de
valeur dépend donc de la légitimité que l'on accorde aux différents
acteurs. De ce point de vue, le « terroriste » est celui qui, dans la
relation terroriste, ne dispose pas d'une légitimité suffisante (D. Bigo et
D. Hermant, 1984). Ainsi, c'est moins tel ou tel acteur que la relation
d'acteurs qui peut être qualifiée de terroriste.
Les définitions du terrorisme sortent généralement de ces
difficultés en considérant que les différentes formes de violences terroristes
sont traversées par des similitudes où se croisent la nature des actes
et la fonction-objectif de la violence. Le Département d'État des
États-Unis utilise la définition suivante : « le terme "terrorisme"
désigne une violence préméditée, motivée politiquement, perpétrée
contre des cibles de non-combattants, par des groupes sub-nationaux
ou des agents clandestins, afin d'influencer un public » (us
Department of State, 2002). Dans la Rand-St Andrews Chronology of
International Terrorism, le critère retenu est celui de la nature de l'acte et
non la nature de l'auteur ou de la cause. Le terrorisme est défini
comme « une violence, ou la menace d'une violence, calculée pour
créer une atmosphère de peur et d'inquiétude » (B. Hoffman et D. K.
Hoffman, 1996)2. La définition qu'en donnent les économistes
T. Sandier et W. Enders (2002) est très proche : le terrorisme est
« l'usage prémédité, ou la menace d'usage, d'une violence
extranormale pour atteindre un objectif politique, à travers l'intimidation
ou la peur d'un large public ». Les auteurs précisent qu'un acte sans
motif politique spécifique doit être considéré comme un acte criminel
plutôt que terroriste. Ils considèrent également que la violence est
dirigée vers des populations cibles vulnérables non directement impli-
1. Il suffit de se rappeler que pendant la Seconde Guerre mondiale les résistants français étaient
qualifiés de terroristes par les Allemands. Plus récemment un sondage d'opinions dans les territoires
palestiniens révèle que, dans sa grande majorité, la population estime que les attentats suicides contre Israël ne
sont pas des actes terroristes alors qu'ils sont qualifiés comme tels par Israël (cf. A. B. Krueger et
J. Maleckova, op. cit.).
2. En outre, il est précisé que les actes sont pratiqués pour contraindre l'action de ceux qui sont
visés, qu'ils sont des crimes motivés politiquement, et que les auteurs appartiennent à des groupes
organisés (ibid.).
Sur la nature et les causes du terrorisme 371
1. Selon G. Becker (1968), le choix pour la criminalité est fonction des bénéfices comparés entre une
activité légale et une activité illégale et du risque d'être pris et puni (possibilité d'être arrêté et condamné,
et sévérité de la peine). Pour un degré donné d'aversion au risque, une politique de dissuasion augmente le
prix relatif de l'activité criminelle, ce qui doit en limiter l'étendue.
372 Thierry Deffarges
1. Voir en particulier T. Sandier et al, 1983 ; W. Enders et T. Sandier, 1993 et 2003 ; T. Sandier et
W. Enders, 2002.
Sur la nature et les causes du terrorisme 373
titution vers les modes les moins coûteux relativement1. Selon les
auteurs, les effets de substitution justifient des politiques antiterroristes
globales, c'est-à-dire qui augmentent le coût marginal de tous les
modes opératoires. En particulier, il s'agit de contrôler les ressources,
privant ainsi les groupes terroristes de la capacité de mettre en œuvre
leurs actions violentes.
Quel est le sens donné au terrorisme dans une approche utilitariste,
dérivée du modèle beckérien ou de la théorie néo-classique du
producteur? On peut d'abord s'interroger sur la logique de l'analyse. Il est
dit que les terroristes potentiels peuvent tirer du terrorisme un bénéfice
supérieur à une action politique légale parce que le terrorisme terrorise.
Cela signifie que, toute choses égales par ailleurs, la violence est
privilégiée en raison de son pouvoir d'influence. Mais la
dis uasion/répres ion permettrait de transformer des acteurs - terroristes illégitimes en
acteurs politiques légitimes. On pourrait donc dire que c'est l'absence
de politiques antiterroristes qui motive l'action violente plutôt que les
motivations des terroristes, sauf à supposer que la seule motivation est
l'exercice de la violence. Dans ce cas, l'objectif politique, pourtant mis
en avant par ce type d'approche, se dissipe par rapport à la dimension
criminelle du terrorisme. De fait, les terroristes potentiels ne peuvent
plus se présenter comme des acteurs politiques potentiels.
On peut émettre des doutes sur la pertinence théorique de ce type
d'approche. 1 / Les effets de substitution montrent une facette de
l'asymétrie de la relation terroriste où les organisations terroristes
tirent une partie de leur force de leur capacité d'ajustement. On doit
cependant être réservé sur leur caractère absolu. Tout d'abord,
B. Hoffman (1999) montre que les ajustements se font le long de
spectres technologiques. Pour un même mode opératoire, les terroristes ont
une capacité d'innovation. Intuitivement, il apparaît qu'un mode
opératoire peut représenter un message identitaire. C'est là un des défauts
de l'utilisation d'une fonction de production qui fait de l'action
terroriste un problème purement technique2. Par ailleurs, il semble plus
judicieux de considérer que si une même organisation terroriste a
recours à plusieurs types d'action, chacun a une fonction particulière,
1. Selon W. Enders et T. Sandier (op. cit.) les substitutions s'opèrent également dans l'espace et
dans le temps. Lorsqu'un pays se protège relativement mieux que les autres, l'action y devient plus
coûteuse et les terroristes se réorienteront vers des pays plus « accessibles ». Un choc peut accroître la
préférence pour le présent dès lors qu'est anticipée une baisse de rendement des actions prévues dans le futur.
Il y a substitution intertemporelle des ressources et une augmentation dans le présent du nombre
d'actions.
2. L'autre défaut vient du fait que le groupe terroriste est vu comme une entreprise assimilée à son
leader (le producteur). Cela revient à mer le groupe comme organisation et à le considérer
indépendamment de son environnement. Or, on imagine facilement que la structure de l'organisation et la forme du
terrorisme sont liées et que la structure évoluera en fonction de l'évolution de l'environnement.
374 Thierry Deffarges
1. Changer la nature des variables ne suffit pas pour qu'un modèle économique, quelle que soit sa
pertinence pour expliquer des phénomènes économiques, puisse expliquer des phénomènes non
économiques.
2. C'est ce qui se passe avec le modèle beckérien. Affirmer que la richesse nette des terroristes
dépend en partie du bénéfice de la réussite de l'action terroriste, c'est admettre que le gain politique
s'apparente à un gain économique. Dès lors, le terrorisme devient un phénomène infrapolitique où le
politique est dominé par l'économique. On glisse vers l'idée que l'objectif politique est un argument factice
avancé par les terroristes pour justifier des actions violentes qui ne seraient finalement guidées que par des
objectifs économiques. Si on observe ici ou là des dérives de ce type (les actions des guérillas
colombiennes par exemple), on peut tout au plus considérer que l'acte prend la forme du terrorisme. De même, si
certains actes peuvent parfois avoir des finalités financières (le kidnapping ou la prise d'otage, par
exemple), cela signifie simplement que le terrorisme a besoin de ressources financières et non que cet
aspect économique domine les motivations politiques ou idéologiques.
3. Sur ce point, voir A. Varshney (1999).
4. Voir en particulier B. Hoffman (1999), W. Ender et T. Sandier (2000) et M. Wieviorka (2002).
Sur la nature et les causes du terrorisme 375
Années
Événements ..... Victimes par événements
Tendances (événements) — —— Tendances (victimes par événements)
Graphique 1. — Événements terroristes internationaux
et nombre de victimes par événement (1970-2001)
Sources : D'après US Department of State (2002).
1. La Rand-St Andrew Chronology of International Terrorist Incidents indique ainsi que le nombre
d'événements internationaux est passé progressivement de 484 en 1991 à 250 en 1996 et que dans le même
temps le pourcentage d'incidents meurtriers est passé de 14 % à plus de 25 % entre 1993 et 1996 (B.
Hoffman, 1999). Les mêmes tendances sont observables avec la base de données International Terrorism :
Attributes of Terrorists Events (voir W. Enders et T. Sandier, 1999, 2000 ; T. Sandier et W. Enders, 2002).
2. Il estime ainsi que le terrorisme religieux est un « terrorisme sacré » où « la violence est un droit
divin, exécutée en réponse aux demandes théologiques ou d'impératifs justifiés par les écrits ».
376 Thierry Deffarges
1. Dans le même ordre d'idées, A. Rathbone et С. К. Rowley (2002) estiment que le problème du
« passager clandestin » ne peut pas être entièrement résolu par la privatisation des intérêts collectifs. Selon
eux, il est nécessaire d'appliquer des mécanismes coercitifs. L'action collective terroriste est ainsi soumise
à un système de sanctions fondé sur la menace et la récompense. Ces conceptions s'inspirent de la théorie
économique de la religion de L. R. iannaccone (1991). Le sacrifice est un mécanisme de régulation des
membres d'une secte religieuse permettant de résoudre les problèmes de l'action collective mis en évidence
par M. Oison (1978). Ce dernier applique le raisonnement utilitariste des biens publics à l'action politique.
Il estime que les actions collectives deviennent improbables dès lors que les individus agissent
rationnellement, c'est-à-dire s'ils poursuivent leur intérêt personnel. L'individu devient « passager clandestin ». En ne
s'engageant pas dans l'action, il en tirera les avantages en cas de succès tout en évitant la répression en cas
d'échec. Selon L. R. Iannaccone (op. cit.), pour éviter ce problème, le leader peut pénaliser des actes
contraires aux règles du groupe, instaurer des normes déviantes et « étiqueter » les membres. Ces stratégies
modifient les prix relatifs entre les actes internes et externes au groupe. Le choix est alors : participer
pleinement ou ne pas participer du tout.
Sur la nature et les causes du terrorisme 377
1. Si le niveau optimal d'observance est inférieur (supérieur) à son niveau minimal, l'observance sera
fixée à son niveau minimal (niveau optimal).
2. C'est ainsi que M. Ferrero (op. cit.) voit dans les attentats du 11 septembre 2001 un acte
révolutionnaire non pas contre les États-Unis mais dans le but d'affirmer un leadership au sein des
organisations islamiques L'approche utilitariste favorise ce type d'interprétation. En effet, le « paradoxe d'Oison »
nous dit que les individus rationnels ne sont pas incités à agir alors que le succès de l'action collective
dépend du nombre d'individus engagés dans l'action. Plus le risque est élevé et plus les individus
recherchent la « protestation citoyenne » plutôt que la rébellion. Ceux qui s'engagent espèrent en retirer un
bénéfice personnel. Ce faisant, l'action violente ne serait pas motivée par des doléances (grievance) mais
par l'avidité (greed). C'est également sur cette distinction entre doléances et avidité que P. Collier fonde
sa théorie économique des guerres civiles (voir P. Collier et A. Hoeffer, 1998, 2000).
378 Thierry Deffarges
1. Le terme de Jihad est sujet à diverses interprétations. Selon G. Kepel (op. cit.), le Jihad défensif
se définit comme « une mobilisation générale pour la patrie en danger lorsque le territoire de l'Islam est
attaqué par les infidèles ».
2. Faute de place, nous ne traiterons pas de la question importante de la coalition des
gouvernements contre le terrorisme, voir D. R. Lee (1988) et T. Sandier et W. Enders (2002).
Sur la nature et les causes du terrorisme 379
ce qui1. renforce
L'argument
le sentiment
conventionnel
que lesestactions
que lesviolentes
concessions
sont sont
un moyen
un signal
efficace.
de la faiblesse
Ce faisant,
du les
gouvernement,
concessions
doivent s'accompagner d'un renforcement du terrorisme. Voir par exemple us Department of State (2002).
2. Un niveau supérieur d'incertitude peut être introduit. H. E. Lapan et T. Sandier (1993) supposent
que les terroristes sont pleinement informés alors que le gouvernement ne connaît pas les capacités
d'action des terroristes. Dans un jeu sur deux périodes, le gouvernement sera éventuellement conduit à
modifier sa position après avoir constaté le niveau de ressources engagées par les terroristes en première
380 Thierry Defforges
période. Les auteurs montrent que l'équilibre est soumis à des interférences. Le gouvernement peut en
effet avoir des regrets car il peut capituler alors que les terroristes ne possèdent pas de ressources
suf isantes ou ne pas capituler alors que les terroristes disposent de ressources suffisantes.
1. Et ce d'autant plus que si les négociations ponctuelles peuvent viser à atteindre des objectifs
politiques, elles peuvent être aussi purement crapuleuses.
Sur la nature et les causes du terrorisme 381
Dans cette partie, nous nous intéressons aux travaux qui analysent
le terrorisme sous l'angle de ses causes économiques. Le traitement est
1. M. Bueno de Mesquita (op. cit.) précise que tout dépend de l'origine des ressources. Si l'origine
est criminelle, la cellule A peut certainement capter la totalité des ressources. Mais si le financement
provient d'États sponsors, ceux-ci ne souhaitent pas nécessairement plus de violence. La cellule A dispose de
moins de ressources et le niveau de violence peut alors baisser.
2. On retrouve ici, sous un angle différent, les trajectoires de radicalisation conduisant au terrorisme
islamique envisagées précédemment.
382 Thierry Deffarges
Les analyses de type beckérien que nous avons vues admettent que,
pour un niveau de sanction et d'aversion au risque, le choix entre une
activité légale et une activité terroriste dépend de leur rendement
relatif. Dès lors, si l'activité terroriste peut fournir des revenus (extorsion,
kidnapping, sponsors, primes versées au terroriste ou à sa famille...)
supérieurs à ceux qu'un individu obtient ou pourrait obtenir dans la
sphère économique légale, la probabilité qu'il rejoigne une
organisation terroriste est forte. Ainsi, pauvreté et bas niveau d'éducation
favoriseraient le terrorisme. Ce type de raisonnement est
particulièrement contestable car, comme nous l'avons vu, le terrorisme n'est vu
que dans sa dimension criminelle et son objectif politique est
transformé en un objectif purement économique1.
Cela ne signifie pas que le terrorisme n'a pas de causes économiques.
R. Wintrobe (op. cit.), indique que la perte de capital social induite par
la pauvreté peut inciter un individu à rechercher une plus grande
solidarité au sein d'organisations violentes. De leur côté, G. S. Epstein et
N. Gang (op. cit.) estiment qu'un leader extrémiste pourra d'autant
plus facilement accroître le niveau d'observance jusqu'au terrorisme que
la pauvreté intellectuelle et pécuniaire des individus favorise leur ins-
trumentalisation et ce d'autant plus qu'au dehors ils souffrent
d'humiliations. Quel que soit l'argument, on pourrait en déduire qu'une
réduction de la pauvreté et un niveau supérieur d'éducation doivent
permettre de réduire la violence terroriste. K. Cragin et P. Chalk (2002),
s'appuyant sur les expériences d'Israël, du Royaume-Uni et des
Philippines, considèrent qu'un programme de développement économique et
social (pdes) est un instrument efficace en agissant à la fois sur la
demande et l'offre de terrorisme. Parmi les effets attendus, ils estiment
qu'un pdes permet d'élever le niveau de revenu et l'expansion des classes
moyennes, ce qui réduit l'espace de soutien aux groupes terroristes. Par
ailleurs, un pdes, en élevant le niveau d'éducation et en diminuant la
pauvreté, permet de réduire les doléances perçues, affaiblissant ainsi la
capacité de recrutement des organisations terroristes.
1. Par ailleurs, rien n'indique que le modèle beckérien soit pertinent pour expliquer la criminalité
par l'économique. Sur ce point, voir P. Salama et M. Camara dans ce numéro.
Sur la nature et les causes du terrorisme 383
1. Il s'agit de la tranche d'âge des membres du Hezbollah estimée d'après les biographies des
129 membres morts au cours de missions terroristes sur la période 1982-1994.
384 Thierry Deffarges
les moins éduqués). С. Paxson (op. cit.) considère que les opinions
sont très certainement sensibles au fait que ces populations vivent la
violence depuis plusieurs années. Les plus modérés initialement
peuvent se radicaliser indépendamment de leur niveau de revenu et de leur
niveau d'éducation. Pour contourner ce biais, l'auteur utilise un
sondage d'opinions effectué en Ulster en 1 968 avant le déchaînement de la
violence. La question porte, pour les protestants, sur la nécessité de
prendre des mesures pour une Irlande du Nord protestante et, pour les
catholiques, réintégrer l'Ulster dans la République. Les résultats sont
les suivants : 1 / Les catholiques sont à 80 % contre alors que les
protestants sont majoritairement pour (à 65 % pour les plus croyants
d'entre eux) ; 2 / Selon le niveau d'éducation, mesuré par l'âge de fin
d'études, les catholiques sont majoritairement contre et le sont
d'autant plus que leur niveau d'éducation est élevé. Les protestants
sont majoritairement pour mais ceux ayant un niveau élevé
d'éducation sont moins favorables ; 3/15% des catholiques et 56%
des protestants touchant 10 £ ou moins par semaine sont pour, 13 %
des catholiques et 42 % des protestants touchant 26 £ ou plus sont
contre ; 4 / Les régressions sur la probabilité d'être pour selon
l'évolution de l'éducation, du revenu et la « religiosité », montrent que
les opinions moins radicales sont fonction croissante du nombre
d'années d'études (une année supplémentaire d'école est associée à une
réduction de la probabilité d'être pour de 3,2 % pour les catholiques et
de 3,3 % pour les protestants), que la sensibilité par rapport à
l'évolution du revenu est non significative pour les catholiques mais
significative pour les protestants (une augmentation de 10 £ par
semaine est associée à une baisse de la probabilité d'être pour de 5 %)
et que la plus ou moins grande « religiosité » est significative pour les
protestants mais pas pour les catholiques. Au bilan, il apparaît que les
opinions sont plus modérées lorsque les niveaux d'éducation et de
revenu sont élevés. Néanmoins, C. Paxson (op. cit.) admet que le
déroulement de la violence peut renverser les opinions, y compris
celles des plus modérées initialement.
Si le lien direct entre pauvreté et terrorisme est difficile à établir, il
ne faut pas perdre de vue que le terrorisme tire sa substance politique
de demandes sociales (et culturelles), effectives ou supposées latentes,
qu'il tente de prolonger. Le lien peut s'établir dès lors que, comme le
suggère M. Wievorka (2002), les populations de laissés-pour-compte et
de déshérités, ne pouvant pas conflictualiser leurs revendications dans
le champ du politique, acceptent qu'elles soient prises en compte par
des organisations terroristes. Il faut alors se placer au niveau de la
déformation ou des ruptures, à un moment donné du temps, des struc-
Sur la nature et les causes du terrorisme 385
1. Même si les cas de violence en Irlande du Nord et le conflit palestino-israëlien ont des
perspectives historiques et culturelles différentes, il est frappant de voir que le déchaînement de la violence est
dans les deux cas associé à des ruptures de l'équilibre à la fois social et identitaire induites par
l'introduction de programmes de modernisation économique pervers ou ressentis comme tels par une
partie de la population. Voir en particulier S. Labat (2002) et K. Kenon (2002).
2. Par exemple, dans les territoires palestiniens on observe un accroissement profond de la pauvreté.
La part de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté est passée de 20,1 % en 1999 à 60,0%
en 2002 (Banque mondiale, 2003). L'appauvrissement de la population est à relié à la crise économique
dans un contexte de la deuxième Intifada. Mais les phénomènes de martyrisme sont, nous l'avons déjà
noté, des manifestations de désespoir qui peuvent s'alimenter de la dégradation de la situation
économique dans un contexte politique figé par les accords d'Oslo alors que les (ré)pressions d'Israël sont jugées
inacceptables et que le Hamas cherche à s'affirmer comme acteur politique en renonçant à la lutte armée
sans que la question du contrôle des territoires ne soit résolue.
3. Voir les revues critiques de M. Humphreys (2003) et de N. Sambanis (2001).
4. L'argument est critiquable et critiqué. Tout d'abord, les proxies des doléances et de l'avidité
utilisées brouillent la distinction plutôt qu'ils ne la clarifient. Ensuite, l'argument de l'avidité introduit un
jugement de valeur, suggérant que la quête des rebelles est illégitime. Enfin, de nombreux arguments
militent en faveur d'une corrélation entre ressources naturelles et conflits sans pour autant qu'un lien de
causalité des premières vers les seconds soit clairement établit (sur ces points, voir M. Humphreys, op. cit. ;
R. Marchai et C. Messiant, 2001).
386 Thierry Deffarges
1. Le terrorisme est ainsi plus fréquent aux États-Unis et en Amérique latine (notamment en
Argentine, en Colombie et au Pérou) et en Europe occidentale (France, Royaume-Uni, Italie, Espagne, ex-RFA),
qu'en Afrique et en Europe de l'Est.
2. Ce résultat est à comparer avec les travaux sur les liens entre les régimes politiques et la forme des
conflits. Par exemple, P. Collier et A. Hoeffer (2000) ne trouvent pas de lien significatif entre les «
doléances politiques » (proxy du manque de démocratie) et l'occurrence ou la probabilité de guerres civiles.
D'autres travaux recensés par N. Sambanis (2001) montrent que dans les démocraties les groupes ethno-
politiques sont plus enclins à protester qu'à se rebeller et que l'inverse prévaut dans les sociétés non
démocratiques. Cela ne contredit pas les conclusions de S. B. Blomberg et al. (op. cit.) dans le sens où la
protestation peut se convertir en terrorisme lorsque les conditions économiques se dégradent. Mais le
processus par lequel cette conversion se produit reste à définir, et rien ne permet d'affirmer que cette
conversion soit directement le produit des conditions économiques.
3. De son côté, E. Bueno de Mesquita (op. cit.) estime que le terrorisme est plus fréquent dans les
démocraties parce que les gouvernements y sont plus enclins à accorder des concessions. Cela vient du fait
388 Thierry Deffarges
Nous avons déjà noté les limites d'une approche utilitariste tant
elle néglige les fondements idéologiques du terrorisme. Nous n'y
reviendrons pas ici. Remarquons qu'il est difficile de voir dans le
terrorisme un second best qui ne tirerait son sens que des contraintes
institutionnelles empêchant d'autres formes de manifestations violentes.
Rébellion et terrorisme ne sont pas nécessairement exclusifs. Les cas
de violence palestino-israélien et en Irlande du Nord, où se mêlent
guérillas urbaines ou révolte populaire (Intifada) et actes de
terrorisme, sont là pour nous le rappeler. De la même manière, il est
difficile d'établir un lien systématique entre terrorisme et régime
démocratique. L'émergence de I'eta comme réponse au régime de Franco en
Espagne en est un contre-exemple. L'argument perd de sa valeur dès
lors que, comme ce fut le cas dans les pays du bloc de l'Est, les
régimes autoritaires proscrivent le terme de terrorisme et que, de fait, de
tels incidents ne peuvent apparaître dans les statistiques officielles.
CONCLUSION
que le terrorisme touche directement les populations. Son coût socio-économique se répercute dans la
sphère politique via les pressions électorales. L'analyse coûts/bénéfices glisse ici vers les thèses du Public
Choice. Pour une analyse du terrorisme fondée sur la théorie du Public Choice, voir A. Rathbone et
С. К. Rowley (2002).
Sur la nature et les causes du terrorisme 389
BIBLIOGRAPHIE