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Léonard de Vinci & La Science

Problématique

Les travaux de Léonard de Vinci ont-ils un fondement scientifique ?

Sont-ils sous-tendus par des théories ?

Ont-ils fait progresser la Science ?

Plan

1. Biographie de Léonard de Vinci


2. Les da Vinci Codex
3. Panorama de la Science au XVème siècle
4. Léonard de Vinci : savant ou ingénieur ?
5. Conclusion

A. Biographie de Léonard de Vinci

Léonard de Vinci naquit en Toscane en 1452, dans le petit bourg dont


il porte le nom, non loin de Florence. Il était le fils illégitime d'un
notaire Ser Piero da Vinci, et d'une paysanne, Caterina. Léonard reçu
une éducation soignée, notamment en grammaire et calcul, avant
d'aller en 1467 à Florence dans l'atelier de Verrochio, où il acquit une
formation pluridisciplinaire (peinture, sculpture, travaux de
décoration). C'est de cette époque que datent ses premières toiles,
comme par exemple « l'Adoration des Mages ».A la fin de 1481,
Léonard quitta Florence pour Milan, où il était attiré par le projet de
participer à un monument équestre géant du duc Sforza, dit « Il
Cavallo ». Il resta à Milan jusqu'en 1499 ; il y régnait un climat
favorable où tous ses dons pouvaient s'épanouir. C'est de cette époque
que date la célèbre « Vierge aux rochers », conservée au musée du

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Louvre, qui était une commande de la confrérie de l'Immaculée
Conception à San Francesco Grande. Il se consacra, de manière
parallèle, à une somme impressionnante d'activités diverses : divers
projets architecturaux pour la cathédrale de Milan et celle de Pavie,
décors de théâtre à scène tournante, conception de costumes pour des
fêtes et des tournois, études d'urbanisme, d'hydraulique pour les
canaux de Milan, observations géologiques... Il assistait de manière
régulière à des réunions de mathématiciens, et, dans le même temps,
mettait en place les prémices d'un « Traité de la peinture ».

Léonard devint peu à peu célèbre dans tout l'occident, et, en 1500, il se
rendit à Mantoue à la demande d'Isabelle d'Este pour lui faire son
portrait. Elle tenta en vain d'obtenir de lui d'autres oeuvres. A partir de
1506, il partagea son temps entre Milan où il fut au service des
Français (plus spécialement de Charles d'Amboise), et Florence. C'est
à Florence qu'il peignit « Mona Lisa » et la grande composition de
« La Bataille d'Anghiari », jamais achevée. Léonard quitta
définitivement Milan en 1513 lorsque la cité fut reprise par la
coalition antifrançaise. Il fit ensuite un bref séjour à Rome au service
de Giuliano de Medicis, frère de Léon X, mais il y supporta mal la
concurrence de Raphaël et Michel-Ange, et accepta en 1516
l'invitation de François 1er, vainqueur à Marignan et arbitre de l'Italie.
Il résida ensuite définitivement en France, à Amboise (au Clos Lucé
précisément), où il fut nommé « premier peintre, ingénieur et
architecte du roi ». A sa mort, en 1519, il légua l'ensemble de ses
notes techniques à Francesco Melzi, son élève et compagnon fidèle,
afin qu'elles fussent publiées et rendues utiles au plus grand nombre.
Hélas, ceci ne fut réalisé que quatre siècles plus tard, et l'héritage
intellectuel de Léonard est ainsi resté dans l'ombre pendant longtemps.

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B. Les da Vinci codex

Ces douze carnets ou codex datent de 1487 a 1508 environ. Au format


et au contenu variés, ils sont plus scientifiques et techniques
qu'artistiques. Certains ont un très petit format et pouvaient tenir dans
la poche de l'artiste. Ils contiennent des notes, des croquis et des
ébauches de traités sur des sujets divers qui n'ont pas encore tous
perdu leur mystère.

Léonard donna par testament ses manuscrits et dessins à son ami


Francesco Melzi qui les rapporta à Milan et les conserva jusqu'à sa
mort en 1570. Ils furent ensuite vendus par le fils de Melzi,
réorganisés, dispersés, parfois perdus.

Le comte Galeazzo Arconati les acheta aux héritiers de


Pompeo Leoni, puis les donna en 1637 à la Biblioteca Ambrosiana de
Milan. Le manuscrit C était entré dès 1609 à l'Ambrosiana, après être
passé entre diverses mains privées, et le manuscrit K fut donné à cette
même bibliothèque en 1674 par le comte Orazio Archinti.

Lorsque Bonaparte entra à Milan en vainqueur, en 1796, à la tête de


l'armée de la jeune République française, il imposa à la Lombardie un
tribut de guerre et la confiscation d'œuvres scientifiques et artistiques
majeures. Ses délégués, et notamment le mathématicien
Gaspard Monge, choisirent à la Biblioteca Ambrosiana plusieurs
caisses de biens qui prirent le chemin de la France et plus
particulièrement de la Bibliothèque Nationale à Paris. Seuls les douze
carnets furent remis à l'Institut National, car là les attendaient des
savants capables de les étudier, ce qui fut fait dans les années
suivantes.

En 1815, lors de l'occupation de Paris par les alliés à leur tour


vainqueurs de Napoléon, la restitution des biens artistiques fut
décidée, mais l'on pensa surtout à visiter les grands dépôts. Les petits
manuscrits de l'Institut, ni repérés ni réclamés, furent tout simplement
oubliés. C’est toujours là qu’ils se trouvent aujourd’hui enfin presque
tous…

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Codex Atlanticus :

Pompeo Leoni d'Arezzo sculpteur du roi de Sardaigne compila de


nombreuses pages et les rassembla par thèmes dans deux gros
volumes dans un format atlantique (comme pour les atlas, d'où le nom
de codex atlanticus). Il sépara les dessins scientifiques et techniques
des dessins de botanique et d'anatomie. Le premier devient le codex
atlanticus que l'on trouve à la bibliothèque Ambroisienne de Milan.
Les planches du second furent séparées. On les trouve aujourd'hui à
Windsor. Les experts les datent de la période 1478-1518.

Codex Arundel :

Thomas Howard comte d'Arundel (1586-1646) fut un grand


collectionneur des feuilles de Vinci. Son descendant les confia au
British Museum en 1831. Le codex comprend principalement des
études de physique et mécanique, des études d'optique et de
géométrie, des études de poids et des études d'architecture, notamment
pour la résidence royale de François Ier à Romorantin

Codex Trivulcien :
Ces feuilles datant de la période 1487-1490 sont conservées à la
bibliothèque Trivulzienne du chateau Sforza à Milan.
Le codex trivulcien comprend des études d'architecture et des listes de
mots savants que Léonard désire apprendre. Léonard se dit "homme
sans lettres" et fournit de grands efforts pour apprendre. Il entreprit par
exemple à 40 ans l'apprentissage du latin.

Codex Leiceister :

La fondation Armand Hammer avait acquis en 1980 pour 24 millions


de francs ce carnet dans une vente chez Christie's à Londres. C'est le
carnet le plus important dans une collection privée. Il appartient
désormais à Bill Gates le patron de Microsoft. Même s'il l'a payé très
cher, ça ressemble quand même à du vol.

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Codex Ashburnham :

Napoléon pendant la campagne d'Italie avait emmené à Paris tous les


écrits de Léonard de Vinci se trouvant à la bibliothèque Ambrosienne.
Le codex Atlanticus fut restitué en 1815, mais les autres carnets
restèrent à l'Institut de France.
Douze manuscrits, numérotés de A à M et de la période 1492 et 1516,
traitent d'art militaire, d'optique, de géométrie, du vol des oiseaux et
d'hydraulique. Le codex Ashburnham, issu des manuscrits A et B
contient des études réalisées pendant la période de 1489 à 1492.

Codex Madrid :
Le codex Madrid I et II fut redécouvert dans les rayons de la
bibliothèque nationale de Madrid en 1965.
Madrid I (1490 et 1496) comprend principalement des études de
mécanique.
Madrid II (1503 et 1505) est consacré aux études de géométrie.
Plusieurs planches illustrent les travaux préparatoires à la construction
et au moulage du cavalier Sforza

Codex urbinas latinus :

C'est le premier écrit publié de Léonard.


"La peinture est une poésie muette"
Léonard ne s'en tient pas à des considérations sur la technique et la
théorie de la peinture. Il poursuit sur sa vision de la vie

Codex vol des oiseaux :

Le codex du vol des oiseaux est à la bibliothèque (ex-royale) de Turin.


Une étude mécanique du vol, du fonctionnement de l'aile et des vents
(vers 1505)

Codex Windsor :

Les feuilles sur l'anatomie rassemblées par Pompeo Leoni se trouvent


au Château de Windsor. Léonard y traite également de géographie
avec des cartes et des dessins de chevaux. L'ensemble date de 1478 à
1518

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Codex Forster :

une partie des carnets achetés par lord Arundel passèrent par Vienne et
furent finalement achetés par John Forster qui les offrit au Victoria
and Albert Museum.
Ils sont divisés en trois carnets Forster I, II et III.
Correspondant à la période 1493-1505, ils sont constitués d'études
géométriques, ainsi que de dessins de poids et machines hydrauliques

Léonard de Vinci et sa mystérieuse écriture

Ses carnets sont des condensés de notes éparses universelles et


courtes, concrètes, écrites à la plume noire, d'une écriture tracée de
droite à gauche en caractères inversés "alla mancina" indéchiffrables
pour le néophyte sinon à l'aide d'un miroir. Ceci est plus le fait d'un
gaucher, qui inverse facilement son écriture, phénomène connu de nos
pédagogues, cette technique est appelée l’écriture spéculaire, que d'un
souci de mystère ou de secret ésotérique. Il utilise un papier rarement
blanc, le plus souvent bleu-vert ou bistre, plus ou moins rugueux et de
mauvaise qualité. Les dessins y sont tracés soit à la pointe d'argent,
soit à la craie noire ou rouge, soit à la plume. Ce sont ces différents
types de papiers et de graphismes qui ont permis à Clarck, de proposer
une datation approximative de chaque dessin Mais ceci est rendu
difficile par le fait que, sans arrêt, jusqu'à la fin de sa vie, Léonard y a
corrigé des erreurs.

En tant qu'autodidacte, car c'est un "uomo senza lettre" il possède mal


le latin et le grec littéraire et il est le premier à le déplorer. Cela lui
sera très souvent reproché par les intellectuels et les autres artistes.

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C. Panorama de la Science au XVème siècle

Il n'y a probablement aucun secteur de l'étude historique qui a subi un


changement et un développement aussi rapide, en si peu d'années, que
celui de l'histoire de la science médiévale et de la naissance de la
Science Moderne. Cela étant, jusqu'aux études de Pierre Duhem qui
mirent en évidence, ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de
Mécanique de l’impétus des scholastiques du quatorzième siècle, il
n’y avait rien que l’on puisse qualifier de Mécanique en tant que
Science durant les siècles précédant Galilée. Et c’est seulement depuis
quelques années que l'étude détaillée des sources existantes sous
forme de manuscrits ou d’éditions imprimées que l’on a pu établir un
jugement sur l'importance scientifique, et sur le développement
historique de la Mécanique pré Galiléenne.

Le facteur le plus important de la redécouverte de la Mécanique


médiévale a été la publication, entre 1881 et 1891, des Codex de
Léonard de Vinci, par Ravaisson-Mollien. Bien que Venturi ait
examiné les manuscrits de Leonardo en 1797, et en ait examiné une
partie de leur contenu, ce ne fut qu’à partir de l'édition de Ravaisson-
Mollien que furent rendu possible une étude détaillée des notes de
Léonardo sur des problèmes mécaniques et que l'étude de la
mécanique pré-Galiléenne pu démarré. Puisque rien n'était connu à ce
moment-là de la tradition de la Mécanique qui avait été établie au
quatorzième siècle à Paris et à Oxford, et s'était propagée aux écoles
de l'Italie du nord au quinzième siècle, les discussions des problèmes
mécaniques trouvés dans des cahiers de Léonardo ont été frappées
d'anticipations extraordinairement originales des idées de Galilée et de
la mécanique classique moderne. C’est seulement après que les études
supplémentaires de Duhem, et d'autres disciples aient mis en lumière
les fondements des idées scientifiques de Léonardo, qu’il devint
évident que Léonardo, cependant si fertile dans les applications de
conception des idées scientifiques de son temps, n'avait pas été à
l’origine de théories mécaniques qui sont reflétées dans ses notes.

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C’est seulement après que les chercheurs en histoire des sciences aient
eu connaissance des études de Léonardo concernant les problèmes de
Mécanique que la polémique fut lancée. La meilleure connaissance
que nous avons aujourd’hui du savoir médiéval permet d’examiner
sous un autre angle les sources des idées de Leonardo en Mécanique,
Les interprétations des notes de Leonardo selon des principes
dynamiques et statiques, et également les évaluations de la modernité
ou de l'originalité des idées qu’elles contiennent, sont
considérablement modifiées à la lumière de la connaissance actuelle
des écrits du quatorzième et du quinzième siècle sur ces sujets. D’où
la nécessité d’avoir à l’esprit les concepts de la Mécanique médiévale
et de leur influence incontestable sur la pensée de Léonard de Vinci.

Il est par conséquent très important de tenir compte du décalage entre


notre connaissance de la science médiévale et notre vision de l’œuvre
scientifique de Leonardo sans pour autant se disposer à admettre que
les idées de Leonardo manquaient d'originalité, ou qu'elles n'étaient
pas tant en avance sur son temps.

Il semble néanmoins en première approche raisonnable de dire que


l’étude des notes de Leonardo, à la lumière de la physique médiévale,
laisse la conviction forte que la tentative d'interpréter ses rapports
comme anticipations de la dynamique galiléenne et newtonienne fait
une injustice à Leonardo, en rendant ses discussions plus incohérentes
et moins intelligentes qu'elles ne le sont réellement.

Le mot italien forza, pour prendre un exemple, est employé par


Leonardo mais pas avec la signification actuelle liée au mot français
« force » mais à la signification latine virtus impressa expression, qui
était utilisé généralement comme équivalent de l'impétus.

La définition que Leonardo donne du forza est complètement


semblable aux définitions de la virtus impressa données par
Franciscus de Marchia en 1320 et par la scolastique du quatorzième et
quinzième siècle en France, en Allemagne, et en Italie.

Le terme désigne la cause responsable du mouvement à vitesse


constante d’un corps, qui s’épuise au fur et à mesure que la résistance
du milieu la dépasse ou au contraire la tendance « naturelle » des

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corps lourds à descendre vers le centre de la Terre. Elle correspond
ainsi grossièrement au concept moderne de moment, i.e., au produit de
la masse d’un corps par sa vitesse mv.

Ainsi compris, les écrits de Leonardo deviennent raisonnablement


logiques, et corrects dans beaucoup de cas. Mais si le mot forza est
traduit en tant que « force » dans le sens moderne et dont l'action est
mesurée par l'accélération d'une masse, les études de Leonardo
deviennent non seulement incorrectes mais incohérentes et
inintelligibles.

Il semble correct de dire que les discussions de Leonardo des


principes théoriques de la dynamique et de la statique sont assez
comparables à celles trouvées dans les auteurs italiens qui ont traité
ces sujets au quinzième siècle. Il est également vrai que ces
traitements du quinzième siècle, y compris ceux de Leonardo, aient
été pour la plupart subordonné d'un point de vue scientifique aux
meilleurs traitements trouvés dans les écritures d’auteurs scolastiques
du quatorzième siècle comme Buridan, Hentisberus, ou Oresme. Le
traitement de Leonardo des problèmes de statique, évidemment
influencé par le travail de Jordanus de Nemore, a porté préjudice à la
qualité des propres traitements de Jordanus sur des points importants.
Là où Leonardo est arrivé à une solution incorrecte du problème du
plan incliné, Jordanus avait réalisé la solution correcte avec une
preuve élégante et valide. Et bien que Leonardo ait donné la réponse
correcte au problème du levier, la solution à ce problème avait été
réalisée, avec une preuve valide, presque trois cents ans plus tôt dans
les De ratione de ponderis de Jordanus de Nemore. En dynamique, les
notes de Leonardo montrent l'influence d'Albert de Saxe, dont les
raisonnements incorrects sont reproduits avec ses meilleures idées ;
mais concernant la question des distances traversées par un corps dont
la vitesse augmente uniformément avec le temps, Leonardo a tiré la
conclusion incorrecte que la distance augmente de façon directement
proportionnelle à la vitesse et au temps.

Pourtant William Hentisberus, dont le traité De motu locali était bien


connu des contemporains de Leonardo, avait clairement montré que la
distance augmente comme le carré du temps.

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Bernardo Torni de Florence, un citoyen et camarade de Leonardo qui
avait écrit un commentaire sur le traité de Hentisberus, imprimé avec
le travail original et de nombreux d'autres commentaires en 1494 à
Venise, aurait pu signaler l'erreur élémentaire du raisonnement
commise par Leonardo dans sa discussion de la question.

Face à ces faits, il semblerait que si Leonardo était un homme dont les
idées scientifiques étaient en avance sur son temps, ses idées
scientifiques n'étaient pas celles qui constituent les principes
théoriques, ou les démonstrations mathématiques, de la science de la
Mécanique.

Il apparaît dans un sens différent, mais peut-être plus important, que


Leonardo était en avance sur sa période : un précurseur de Galilée, de
Simon Stevin, et des scientifiques de l'âge de moderne. Aussi
imparfaite qu’ait pu être sa connaissance des bases théoriques de la
mécanique, aussi déficientes qu’aient pu être ses tentatives d'analyse
et de démonstrations mathématiques, son attitude vers l'entreprise
scientifique, ses intérêts, et ses objectifs étaient bien plus modernes
que médiévaux. Il s'est intéressé à la connaissance des phénomènes
naturels et n'a eu aucun pas chercher à soutenir ou à défendre un
système ou une école établi. Il a considéré que cet arrangement des
processus de la nature devait être étudié par des méthodes
mathématiques et expérimentales. Leonardo, à la différence de ses
prédécesseurs scolastiques, n'a pas étudié des problèmes physiques
simplement pour montrer la technique logique ou mathématique ; il a
cherché l'aide des mathématiques parce qu'il a voulu comprendre la
structure des processus naturels et découvrir la vérité des choses. La
théorie a été validée car elle pouvait concerner la pratique, et c'était
dans la direction des applications pratiques des principes mécaniques
que le génie de Leonardo a trouvé sa manifestation la plus
caractéristique. En conclusion, il a fait preuve d’un détachement
objectif et d’un intérêt désintéressé pour la vérité ce qui mérite le nom
« d'esprit scientifique. »

Son honnêteté intellectuelle, son absence de préjugés, et sa capacité à


abandonner des notions préconçues quand une meilleure méthode ou
théorie s'offre à lui le classe à part indépendamment de la plupart de

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ses prédécesseurs et contemporains. Il faut peut-être davantage
considérer Leonardo da Vinci comme un homme ayant une vision de
quelle science atteindre, et pouvant mettre tout son amour de la
connaissance en avant du dogmatisme personnel de gloire. Cette
image restitue plus que n'importe quelle tentative de lire dans ses
notes des concepts mécaniste qui n'apparaîtront qu'au dix-septième
siècle une idée du personnage.

Ses idées scientifiques étaient celles de son âge, mais son idée de la
science était celle de l'âge à venir.

Une influence telle que celle que Leonardo a pu avoir sur le chemin
que la science était en train de se tracer n’a pu se transmettre qu’à
travers ses contacts personnels avec des amis et des connaissances.
Ses cahiers sont restés non lus pendant des siècles, et les idées qu’ils
contiennent, que l’on retrouvent dans les oeuvres de Cardan et
Tartaglia, ont été inspirées de livres qui ont été lus par ces hommes
aussi bien que par Leonardo. C'était par son art que Leonardo a
influencé le monde, et grâce à lui qu’il a atteint la postérité.

Dans ce domaine Leonardo a influencé Vesalius, dont les schémas


anatomiques étaient du même type que ceux que l’on redécouvrira
dans le travail de Leonardo. Au delà de cela, ce qu'il a légué au monde
est la mémoire et l'impression d'une grande et fascinante personnalité,
un esprit qui a rêvé de grands rêves, guidant une main qui a esquissé
avec un art accompli les découpes et les mouvements discernant
l’anatomie du monde naturel. Mais, les secrets mathématiques de cette
anatomie, connue de Leonardo seulement sous les formes imparfaites
et inachevées qu'il pouvait glaner des écritures des auteurs antiques et
médiévaux, ne devaient pas être découverts avant un autre siècle.

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Un des objectifs est de discuter l’aspect aéronautique des études de
Leonardo da Vinci. Plus particulièrement, de traiter ses notes Sur le
vol des oiseaux, et de discuter certaines de ses propositions permettant
de réaliser le vol artificiel par les êtres humains sur le modèle
d’ornithoptère. Mais les mouvements, les manoeuvres des oiseaux et
des machines volantes sont sujets aux lois du mouvement comme de
bien entendu, et surgit alors la question de savoir quelles étaient les
conceptions de la force et du mouvement qui étaient en vogue à
l’époque de Leonardo, et dans quelle mesure Leonardo en eut-il
connaissance ? y souscrit-il ? Ou les modifia-t-elles ?

Le professeur Denys Hay de l'université d'Edimbourg, a argué du fait


que la Renaissance, loin d'être un incident statique et isolé, à grande
échelle, dans l'histoire de la civilisation, était un développement
inévitable des attitudes et des idées dans l'arrangement d'une évolution
politique et culturelle en Europe dans son ensemble mais en Italie en
particulier. Hay plaide pour l'existence d'un haut et bas Moyen âge,
entre lesquels le contraste est très marqué, mais lequel, à son tour, a
conduit à « l'ère moderne. »

Culturellement, la différence entre les deux périodes pourrait


largement être exprimée en termes de décalage de l'équilibre de
l’érudition de l'Eglise aux Laïcs. « Les laïques qui imposaient le pas
dans la religion l’imposaient également dans l’érudition. » Comme
conséquence on peut considérer que des études actives et utiles se
situent plutôt en dehors du cadre des universités de cette époque.

La Science, sous la désignation de la philosophie naturelle, était


pendant cette période, le quatorzième, quinzième, et le début du
seizième siècle réservée à quelques rares privilégiés.

C'est cette spécificité de la science et plus particulièrement de la


Mécanique qui doit être pris en compte ici.
Quand on examine la tendance de la pensée et des discussions dans le
domaine de la mécanique médiévale on doit conserver à l’esprit la
philosophie médiévale, et donc, principalement, la théologie
médiévale, de laquelle ces discussions découlent.

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Le corpus principal d’étude dans plusieurs disciplines fondamentales
de la mécanique médiévale comportait des termes telles que le poids,
le mouvement, la pesanteur, et l’inertie dont la signification et
l'implication émanaient directement de la Scolastique.

« Une Renaissance mineure » s'était développée pendant les


douzièmes et treizième siècles, les influences de domination étant (1)
la redécouverte de plusieurs des travaux d'Aristote,

(2) l'acquisition en Europe de l'ouest des aspects principaux de la


connaissance arabe,

(3) la consolidation de la fonction principale des universités comme


centre d’éducation, et

(4) la contribution particulière à cette éducation des ordres


dominicains et franciscains. Mais, à côté de ces facteurs est venu
s’associer une tendance, de certaines des universités plus importantes,
à une spécialisation d'activité culturelle. Ainsi Oxford a produit une
école de la science et des mathématiques qui a persisté dans le
quatorzième siècle, alors qu’à Paris la disponibilité croissante des
livres d'Aristote commençait à dominer les cours d'arts.

En ce qui concerne l'influence des ordres dominicains et franciscains,


on peut dire que des perspectives aristotéliciennes ont été associées à
la première, et une attitude augustinienne à la dernière. Cette tendance
a trouvé son expression dans l'accent relatif mis sur l'instruction dans
les sept arts libéraux. Tandis qu'à Paris, sous l'influence de William
d'Auvergne, l'effort était sur le trivium, se développait à Oxford, sous
la conduite de Robert Grossteste, une concentration sur le quadrivium
à travers l'étude du système optique, des mathématiques, et de la
mécanique.
Grossteste, qui avait l'avantage de connaître le Grec, était un critique
vif d'Aristote. Dans son De luce il développa une nouvelle conception
de la « métaphysique de la lumière » qui consistait à considérer la
lumière comme la substance de l'univers, qui, une fois associée à la

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matière, donne à naissance à un corps ; et le véhicule essentiel pour le
développement approprié de cette thèse était les mathématiques.

« Toutes les causes des effets naturels devraient être représentées par
des lignes, des angles et des figures. » Mais la figure scientifique
dominante du treizième siècle était Roger Bacon, l'élève de
Grossteste, qui souligna l'importance des mathématiques :

« Dans les mathématiques nous pouvons venir à la pleine vérité sans


erreur et à la certitude de disposer de toute chose sans doute. »

La valeur de cette emphase mathématique vers les problèmes de la


mécanique et de la physique pendant les treizième et quatorzième
siècles ne peut pas être exagérée. Elle a rendu possible l'étude sérieuse
de la cinématique, principalement en termes de rapports fonctionnels.
Mathématiquement, ceux-ci pourraient être considérés comme des
problèmes abstraits, mais en les appliquant à l'étude de la cinématique,
les mesures réelles des facteurs à relier sont devenues essentielles ; et
c’est très probablement parce que n'avait pas été correctement
développé des procédures pour ces mesures que les progrès furent
lents jusqu'au dix-septième siècle. Une exception possible fut
l’astronomie, naturellement, où il y avait eu une longue tradition dans
le développement des appareils d'observation et de mesure. Il est
compréhensible, donc, que les discussions des principes mécaniques
concernant l'application des rapports fonctionnels, dans l'ensemble,
aient été développées par un biais plus théorique.

Une grande partie de l'activité dans cette direction a émané d'Oxford.


Ainsi, Thomas Bradwardine (c. 1295—1349) fut le premier à utiliser
la représentation algébrique des lettres et des symboles et fut ensuite
suivi de William de Heytesbury (c. 1313 —1373), de Richard
Swineshead, et de John de Dumbleton.

C'était une étape normale depuis cette notation à la représentation des


rapports fonctionnels par l'utilisation des graphiques. On l'a à tort
inexactement attribué à Léonardo da Vinci. En effet, ses
représentations grossières de la chute d'un corps en fonction du temps

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paraissaient être le premier exemple de la représentation graphique
entre deux quantités reliées. Cependant, des graphiques avaient été en
employés par Albert de Saxe et par Marsilius d'Inghen à Paris, mais
avec un effet plus particulier encore par Oresme.

Mais c’est alors qu’une autre grande tendance commença à émerger.


Les disciplines de la science envisagées en termes d'expérimentation
donnèrent lieu à une autre approche. Chaque phénomène avait une
cause, ainsi l’étude d’un phénomène impliquait l’étude de la cause, et
toutes les deux pouvaient être corrélés en termes mathématiques. Mais
beaucoup de problèmes surgirent pour lesquels l'arsenal des
mathématiques ne pouvait trouver d'applications faciles. Ainsi les
méthodes les moins expérimentales d'argumentation par induction
commencèrent à trouver une faveur croissante pendant le quatorzième
siècle et cette tendance persista jusqu’au dix-septième siècle, creusant
ainsi un fossé entre les théories et les procédures expérimentales. Le
point culminant étant la période durant laquelle vécu Leonardo. Dans
ce sens également il représente une exception notable.

Ces méthodes d'induction constituaient, en effet, un retour à Aristote,


et étaient en particulier en pratique dans les écoles médicales. Galien
lui-même avait développé une approche pour chercher par induction
les causes des symptômes, et cette méthode fut reprise et développée
par Avicenne et Averroës. En Italie cet élan est devenu dominant du
début du quatorzième siècle, et dans l'école médicale de Padoue il a
persisté jusqu’au début du seizième siècle. Ainsi, aux simples
procédures scolastiques aristotéliciennes qui consistaient à vérifier des
théories scientifiques par simples observations des occurrences
journalières, on a substitué une méthode par laquelle une observation
ait été résolue en ses éléments. De ces derniers pourrait émerger une
hypothèse ou une théorie qui pourraient mener à quelques suggestions
pour la vérification expérimentale. C'était un procédé logique et
évidemment il pourrait y avoir un certain mérite.

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Galilée pourrait l'employer à un certain avantage, mais un
contemporain de Leonardo da Vinci, Agostino Nifo, la reformula en
1506 sous une forme extrême en disant que dans la mesure où toutes
les hypothèses de la science naturelle ont été basées sur les faits
qu'elles ont été formulées pour expliquer, il doit suivre que toute la
science naturelle est fondamentalement conjecturale ou hypothétique.
Plus tard, la doctrine entière de cette méthode scientifique de Padoue
de résolution et de composition — un procédé désigné sous le nom du
de regressus — fut résumée par Jacopo Zabarelia (1533—1589) dans
un ouvrage intitulé De regressi.

II

On voit alors que pendant les treizième et quatorzième siècles


l'attitude entière de la physique classique avait relevé du feu. Il y avait
eu de larges conceptions de l'espace et des dimensions à l’époque des
grecs. D'une part il y avait les atomistes, avec qui les vues de Platon
s’accordaient. Dans le Timée il écrit l'espace comme réel — comme
réceptacle dans lequel les corps pourraient exister et se déplacer.
L'espace occupé par un corps était le « lieu » du corps et le reste était
vide. Aristote, d'autre part, insista sur le fait que la dimension
appartient au corps et pas à l'espace. Le mouvement des corps était
pour lui une conception de leur changement de « lieu » ; et le « lieu »
représentait « la frontière la plus intime » qui contient le corps.
D'ailleurs, il y avait conçu, pour chaque corps un « lieu » particulier
préférentiel dans le plenum que compose l’ensemble, et ce qu'il avait
appelé le mouvement « naturel » d'un corps était son mouvement pour
retourner vers ce « lieu naturel. » Géométriquement, ce « lieu » était
lui-même immobile, c'est-à-dire, que sa position était absolue, et ainsi
on trouve dans De caelo son image d'un univers fixe avec la terre à
son centre ; et en conséquence une conception de la direction du
« haut » et du « bas ».

Ainsi une guerre médiévale débuta entre les atomistes et les


Aristotéliciens, avec ici et là les compromissions inévitables qui
voyaient le meilleur des deux « mondes. » Beaucoup de philosophes
des treizième et quatorzième siècles ont été différemment attirés ou
repoussés par différents aspects et conséquences de la théorie : les

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spéculations historiques quant à la continuité et à la discontinuité, la
conception du vide, les implications mathématiques et physiques de
l'infini par rapport à la taille de l'univers, et ainsi de suite. Un aspect
d'importance spéciale était le problème de l'attraction universelle.
Aristote l'avait discuté en termes de mouvements spontanés et naturels
de la pesanteur ou de la légèreté d'un corps vers son lieu « naturel »,
et cette vue était généralement admise pendant le treizième siècle.
Mais, graduellement un sentiment s'est développé que quelque chose
de plus que cette formule simple était nécessaire pour expliquer les
faits. Une force externe supplémentaire fut recherchée. Ainsi, Richard
de Middleton proposa que puisque une force d’attraction déplace un
corps vers son lieu « naturel », une force de répulsion tend à le
déplacer vers un endroit « non-naturel » ; et Roger Bacon développa
une théorie intéressante, qui envisageait la pesanteur et de la
légèreté, i.e., gravitation et lévitation comme des forces immatérielles
répandues dans tout l'espace avec des intensités variables dans divers
lieux « naturels ». Au quatorzième siècle une conception « des forces
externes » fut développée par Buridan, Albert de Saxe, et d'autres.

Le quinzième siècle apporta avec lui un retour à une vision


platonicienne d'une pluralité de mondes, de sorte qu’il y avait, d'une
part, le mouvement naturel d'un corps pour rejoindre le « lieu » où il
doit se trouver, et d’autre part, le mouvement violent ayant un effet
opposé. Ainsi la pesanteur devient la tendance pour des corps
semblables à être ensemble : la matière se déplace simplement vers le
monde le plus près d’elle. Oresme, a soutenu cette vue, de même que
le philosophe du quinzième siècle Nicholas de Cusa. Cusa a non
seulement tenu cette vue mais a discuté plus avant la distinction entre
la matière céleste et terrestre. Pour lui, l'univers, bien que fini, n'avait
eu aucune frontière et n'avait donc aucun centre,

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III

Les discussions durant les treizième et quatorzième siècles furent


développées à partir de la Mécanique d'Aristote et concernaient d’une
part la division entre le mouvement naturel et non naturel. Le dernier
imposant au corps un mouvement de son lieu « naturel » et d’autre
part son traitement de la relation entre la vitesse et l'application de la
puissance motrice contre la résistance du milieu. Une de ses
défaillances principales était avec les problèmes d'accélération ; une
autre était son incapacité de fournir n'importe quelle explication
adéquate du mouvement continu des projectiles. Un premier et
efficace critique était Jean Philopon d'Alexandrie (a.c. sixième), qui
soutenait que dans le « vide » un corps devrait tomber avec une
vitesse finie alors que dans un milieu tel que l'air celui-ci subirait une
diminution proportionnelle à la force de résistance du milieu.
Philopon est passé probablement très près à la conception moderne
de l'inertie et à quelques égards était un précurseur des discussions du
quatorzième siècle sur l’« impétus. » Ceci fut développé à partir de sa
vision du mouvement « non-naturel » qui pourrait être maintenu par
une puissance motrice donnée au corps concerné. La formule
d'Aristote reliant la vitesse avec la puissance et la résistance dû
clairement être remise en cause. C'était un mélange étrange de la
cinématique et de la dynamique et tôt ou tard celles-ci devaient être
séparées. Jordanus Nemorarius et Gerard de Bruxelles tentèrent une
approche cinématique au treizième siècle, et Bradwardine a poursuivi
au quatorzième siècle en termes de rapport de vitesse à la puissance
et à la résistance ( v ≈ p / r) selon l’hypothèse que p doit être plus
grand que r, i.e., p / r > 1. De ceci, en utilisant le rapport développé
en 1254 par Jean Campanus de Novara dans un commentaire
d’Euclide,

si a / b = b / c, alors a / c = b2 / c2, Bradwardine déduisit que


puisque la formule d'Aristote a donné une vitesse v en termes de
rapport p / r, pour obtenir le double de cette vitesse (2v) on n'aurait
pas besoin de 2p / r, mais p2/r2 et pareillement le rapport qui
donneraient la moitié la vitesse (v / 2) serait √p/r. On reconnaîtra que
ceci est satisfait dans des mathématiques d'aujourd'hui par la relation

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v = log (p/r), et au moins ceci démontre combien Bradwardine était
plus concerné dans son approche mathématique par le comment un
rapport a été établi que par l'aspect philosophique du pourquoi.

Deux études d'une importance fondamentale furent développées ou


développées à nouveau dans l'ignorance des premiers travaux, par
des philosophes des treizième et quatorzième siècles. Il s’agissait du
problème de la chute libre des corps, et ce qui était devenue la
Mécanique de l’« impétus ». Un des auteurs était Jordanus
Nemorarius, lequel à l'influence incontestable Léonardo da Vinci. Un
autre était Roger Bacon, qui expliqua la chute d'un corps lourd en
termes de sa structure comme agrégation de particules, ayant une
tendance individuelle à tomber verticalement vers le centre de la terre
en interférant sur l’influence latérale des particules voisines. Ces
interférences mutuelles ayant établi une résistance interne, elles
empêchent le corps de tomber instantanément, même dans le vide —
un argument contraire à celui enseigné par Aristote.
Les discussions durant le quatorzième siècle se sont étendues autour
de la puissance motrice que l’on a supposé inhérente à un corps dans
un état de mouvement. Il y avait des points de vues différents au sujet
de cette question. Duns Scott, Buridan, et Albert de Saxe soutenaient
que le mouvement était forma fluens, i.e., un écoulement incessant et
indivisible d'une « forme » supposée distincte du corps lui-même.
William d'Ockham mena une école différente de pensée.

Il a nié que le mouvement local est une entité distincte du corps en


mouvement et du milieu physique à travers lequel le corps se déplace ;
le mouvement local n'est pas, pour Ockham, forma fluens ou res
successiva acquis par et dans le corps déplacé, mais c'est simplement
le fait que le corps est sans interruption en contact avec différentes
parties de l'environnement physique. En bref, le mouvement local est
envisagé par Ockham comme rien d’autre que le changement de
position d'un corps relativement à d'autres corps. En discutant le
mouvement des projectiles, Ockham nie qu’aucune cause permettant
la poursuite du mouvement du projectile ne soit nécessaire, après
qu’il ait quitté la main du lanceur.
— ceci fut considéré par Pierre Duhem comme une anticipation du

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principe de l’inertie de la mécanique newtonienne. Nicole Oresme
dans ses spéculations au quatorzième siècle, par exemple, employa ce
qui plus tard devait être considéré comme l'idée newtonienne d'un
mouvement absolu dans un espace qui était fixé et infini.

On en vient à Jean Buridan. Il était recteur à l'université de Paris


entre 1328 et 1340 et appartenait ainsi à la première moitié du
quatorzième siècle (d. 1358). Buridan s’intéressa à la puissance
motrice qui est communiquée par le « moteur » au corps en terme
d’impétus, sous l'influence de laquelle le corps continue son
mouvement jusqu'à ce qu'il soit interféré par l'action des forces
indépendantes. Ainsi, pour des projectiles, les forces d’interférences
sont l'air et la pesanteur naturelle ; tandis que pour la chute libre des
corps, l'influence de la pesanteur naturelle vient s'ajouter aux
incréments successifs d'impétus ou « de pesanteur accidentelle » à sa
valeur originale. Buridan a exprimé ceci quantitativement en
mesurant l'impétus comme produit de la quantité de matière du corps
et de sa vitesse ; par conséquent inévitablement nous décrivons son
impétus comme équivalent du quatorzième siècle à l'impulsion de
Newton. Cela faisait partie de son argument que l'impétus était une
puissance motrice durable (res permanens) et était quelque chose de
distinct du corps mobile lui-même.

Pour une projectile, par exemple, c’était un agent violent et artificiel


opposé à la pesanteur naturelle du corps. Il a également argué du fait
que dans les corps célestes, où il n'y avait aucune autre force,
l'impétus persisterait dans le mouvement circulaire des corps,
exactement comme elle persisterait dans le mouvement en ligne droite
dans les corps terrestres. Il en outre a discuté la chute des corps :
pendant qu'elle tombe ils acquièrent l'impétus et l'accélération
résultante est composé de la pesanteur naturelle et de l'impétus
acquis.

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Bien que l’on puisse rechercher des anticipations de la dynamique du
dix-septième siècle, il persiste les faits que la conception de l'impétus
comme puissance motrice a imposé pour la poursuite du mouvement
une vitesse constante, cependant Buridan n'est pas arrivé au principe
de l'inertie. La suggestion est forte, à tel point, qu'elle a influencé
Galilée dans la dernière conception de l'impétus ou du moment dans
ses Deux nouvelles sciences publiées en 1638. Certainement, sa
théorie de l’impétus était, dans une forme ou une autre, généralement
admise au quatorzième siècle de Buridan et aux quinzième et seizième
siècles suivants. En particulier, Albert de Saxe appliqua la théorie à
une discussion détaillée de ce qu'il conçu pour être les trois étapes
successives dans le mouvement d'une projectile éjecté
horizontalement. Dans la première étape la direction originale du
mouvement violent est soutenue tandis que l'impétus détruit la
pesanteur naturelle ; il y a alors une période de transition quand le
mouvement est composé de l'impétus et de la pesanteur naturelle,
courbant le chemin vers le bas ; et finalement la troisième étape « de
la chute libre » quand l'impétus a été dépassée par la résistance
naturelle de pesanteur et d'air. Puisque l’on admet que Léonard da
Vinci fut particulièrement influencé par Albert de Saxe, on peut
considérer que cette influence se soit indirectement prolongée à
Buridan.

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Ceci nous amène à Nicole Oresme (d. 1382), évêque de Lisieux, dont
les écrits sur la dynamique au quatorzième siècle étaient importants et
influents. Il a écrit son Livre du ciel et du monde en 1377 en Français.
On l'a considéré comme une étude et un commentaire du De caelo
d'Aristote et il contenait sa propre version de la théorie de « impétus ».
Ses arguments contre le cosmos aristotélicien d'une terre fixe autour
de laquelle les autres éléments de l'univers tournent étaient des plus
intéressante. L'univers d'Aristote était absolu ; celui d’Oresme était
relatif. « Haut et bas » pouvaient être « absolu » seulement par rapport
à la terre ; il en allait de même des concepts tels que l'espace, le
mouvement, l'attraction universelle, et la lévitation étaient considérés
comme relatifs pour autant qu'ils étaient observables. Ainsi il affirmait
qu'il n'y avait aucun centre fixe particulier de l'univers et aucune
direction absolue de pesanteur pour l'espace dans son ensemble. Par
conséquent, la pesanteur devenait une tendance des corps plus lourds à
se déplacer vers le centre de n'importe quelle masse sphérique donnée
de matière à laquelle, en particulier, il n'y avait plus aucun besoin de
supposer que les cieux tournaient et que la terre était elle-même leur
centre.

Oresme suggère ensuite que c'est la terre qui a un mouvement


quotidien, et pas les cieux. Il discute et traite les arguments classique
« d'expérience » pour une terre fixe. L'observation simple des
mouvements quotidiens des étoiles est relative, ainsi si la terre tourne
et les cieux sont immobiles, les observations doivent montrer fixité
relative de la terre et un univers en mouvement. Il s’intéresse ensuite
au fait qu'une rotation journalière de la terre établirait les vents
contraires. Il répond à ceci que l'air, également avec les autres
éléments, doivent également être en rotation et tournent avec elle, de
ce fait produisant un calme relatif ; et troisièmement, à l'argument qui
si la terre tourne, une flèche projetée verticalement vers le haut
« tomberait en arrière », i.e., à l'ouest du point d'éjection, sa réponse
est très semblable en effet à la précédente. Mais dans ce dernier point
il y a un élément important de théorie de base dans la réponse
d'Oresme. Il a analysé le problème en termes de composition de deux
mouvements de la flèche pour produire (1) un mouvement circulaire
résultant de la rotation de la terre d'ouest en est, et (2) un mouvement

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vertical vers le haut. « Je dis que… le mouvement d'a est partiellement
rectiligne et partiellement circulaire. » C'était, en effet, le principe de
composition de deux mouvements agissant simultanément sur un
corps, et c'est un aspect du principe moderne des vecteurs.

Leonardo da Vinci a employé cette composition de deux mouvements


agissant simultanément sur un corps, et l’a appliqué au phénomène
d'un corps tombant vers une terre en rotation. Plus tard, naturellement,
cela deviendra un outil dans l’arsenal mathématique de Galilée et de
ses successeurs comme principe standard de la mécanique.

IV

Ainsi, nous avons examiné, légèrement superficiellement, la tendance


générale du développement en mécanique pendant les treizième et
quatorzième siècles. Voyons maintenant si cette tendance s’est
maintenue pendant les quinzième et seizième siècles, considérant que
la partie postérieure de cette période était contemporaine à la vie
active de Leonardo da Vinci. D’une certaine manière on peut
considérer que Leonardo ait été, avec d'autres, l'héritier de la tradition
de ce qui avait été accomplie durant les deux siècles précédents, et
devait avoir été influencé par ces études, on a donc l’impression d'un
génie dont les notes sur la mécanique étaient complètement originales
(indépendamment de ce qu'il a dû à la tradition grecque dans ce
domaine) ; considérant qu'il ne devrait avoir représenté ni plus ni
moins qu'un simple interprète des idées de son époque.

Il est important de rappeler en particulier les activités bouillonnantes


des auteurs du quatorzième siècle concernant la cinématique et la
dynamique à Oxford et à Paris. Bien que les idées de ces hommes se
soient inversées dans les siècles suivants, il est curieux qu'à un
moment où la littérature et les arts connaissaient un développement
considérable la science mécanique n’ait pas connue un essor
comparable.

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Il y avait, peut-être, deux facteurs principaux d'importance contraire
impliqués dans cela. D'une part le quinzième siècle a contenu
relativement peu de noms célèbres dans le domaine scientifique ; mais
d'autre part il y eut l'influence grandissante de l’imprimerie,
commençant au milieu du siècle, a rendu disponible à tous ceux qui
étaient intéressés les nombreux travaux importants de la science qui
autrement auraient été peu connus.
C'était, comme Burckhardt l’a énoncé, une période « d’hommes de
second plan » peu d’entre eux ont atteint la stature même de Leon
Battista Alberti, et aucun celle de Léonard da Vinci. Certains de ces
hommes avaient assurément perpétué la tradition mathématique créée
à Oxford, et étaient particulièrement à Florence. Ici il n'y avait aucune
université, mais l'académie florentine eu beaucoup de partisans. Ici
Toscanelli et Pacioli, par exemple, furent tous deux en contact actif
avec Leonardo da Vinci. Ici en effet l'art et la technologie ont trouvé
une terre d’accueil. Alberti, Michel Angelo, et d'autres ont employé
les concepts des mathématiques comme contribution à leur art.
Pourtant Leonardo, malgré son amitié intime avec Fra Luca Pacioli, et
malgré son exaltation répétée concernant le rôle des mathématiques en
mécanique, n'était pas vraiment un mathématicien lui-même.
Il y a quelque chose d’un peu extraordinaire dans ce manque de
pensée originale dans le domaine de la mécanique juste après la
vigueur et la productivité relative du quatorzième siècle.

C'était un manque général dans toute l’Europe. Clagett, après avoir


rappelé les contributions de l'école d'Oxford de Bradwardine, de
Heytesbury, de Swineshead, et de Dumbleton aux environs de 1350,
parle de quelques « continuateurs » (par exemple, Richard
Feribrigge, John Chilmark, et John Wycliff) dans la seconde moitié du
siècle, mais aucun significatif nom à noter au quinzième siècle.
L'histoire en France est à peine meilleure. Ici les quelques successeurs
d'Albert de Saxe, de Nicole Oresme, de Marsilius d'Inghen, et d'Henry
de Hesse existent au moins dans les noms, les plus connus étant peut-
être Thomas Bricot et Peter Tartaret, ni l'un ni l'autre n’étaient en
rien comparable à leurs prédécesseurs de Paris. En Allemagne
l'image était quelque peu semblable, excepté naturellement pour

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Nicholas de Cusa (1401—1464), l'une des figures les plus importantes
et les plus influentes de la première moitié du quinzième siècle.

Comme tant d'autres disciples de la période, Nicholas de Cusa était


un ecclésiastique. Il a reçu un diplôme de loi canon à Padoue en 1425,
et puis étudia à Cologne. Ses discussions sur le mouvement des corps
ont été contenues dans un certain nombre de travaux, y compris De
docta ignorantia, De staticis experimentis, et le De ludo globi. Comme
d'habitude, ceux-ci ont été attachés à un argument philosophique :
Toute la connaissance humaine est conjecture, et la sagesse de
l'homme est dans l'identification de son ignorance ; le mouvement est
un attribut fondamental d'existence et de matière, et le mouvement est
incessant. « J'ai longtemps considéré que la terre ne peut pas être
fixe, mais se déplace de même que les autres étoiles. » Cusa a
certainement accepté la théorie de « impétus » suivant le modèle de
Buridan comme élément au cours de ses discussions sur le mouvement
des sphères.

Quant à l'Italie elle-même de nouveau on rencontre un manque de


distinction dans le domaine de la science mécanique au quinzième
siècle. Les tenants du savoir étaient fréquemment des hommes
puissants comme les Medicis, les d'Este, les Sforzas, et Nicholas V, et
dirigeants de républiques telles que Francis Barbaro de Venise, et
Alphonso, le conquérant du royaume de Naples. Les cours de ces
dirigeants étaient remplies de disciples, mais la tendance principale
de l’éducation était les lettres, et bien que la carrière de Leonardo
l'ait naturellement conduit tout droit dans leur milieu, il a manqué de
culture classique et de cette tendance à partager cette marque de vie
intellectuelle. Tendance d'ailleurs, prolongé dans les universités et au
lycée. Florence était certainement un centre de l'étude du grec et de la
littérature latine, s'élevant presque au culte —tandis que d'autres
centres tels que Pise, Arezzo, et Sienne chacun a développé une école
légale très forte.

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Il est opportun à ce stade de présenter des observations sur le second
des deux facteurs d'importance auxquels nous nous sommes référés
concernant l'histoire culturelle du quinzième siècle— notamment,
l'avènement de l’imprimerie. En Italie la première presse date de 1465,
et avec elle les jours des moines copistes étaient comptés. Les
premiers livres imprimés furent consécutivement la bible, les livres de
théologie, les traités médiévaux sur la loi ecclésiastique et civile, les
textes médicaux, les travaux littéraires de l'antiquité classique, et pour
finir les écritures scientifiques de l'antiquité ; et puisque que la
connaissance du Grec était peu répandue, ces travaux scientifiques
furent principalement imprimés en latin, bien que les livres paraissent
de temps en temps en langue vernaculaire. Mais les auteurs
contemporains dans l'ensemble ont dû attendre leur tour avec les
imprimeurs.
Une remarque importante : les écrits importants des treizième et de
quatorzième siècle sur la mécanique par ceux qui ont été
précédemment discutés—Albert de la Saxe, Grossteste, Albertus
Magnus, Aquinas, Duns Scotus, Ockham, Jordanus Nemorarius,
Roger Bacon, Bradwardine, Swineshead, Heytesbury, Buridan, et
Marliani—étaient tous disponible au seizième siècle. D'une part, bien
que les écrits mathématiques d'Oresme aient été publiées, ses travaux
sur la mécanique (Livre du ciel y compris) ne l’étaient pas.

Ce qui émerge alors est que ceux qui dans Italie des quinzième et
seizième siècles s’étaient intéressés aux problèmes de statique, de
cinématique, et de dynamique avaient été directement ou
indirectement influencés par les traditions de la pensée établies par les
auteurs des treizième et quatorzième siècles, mélangés naturellement,
avec l'influence des écoles aristotéliciennes et d'Averroës.

Mais qui étaient en fait ces personnes intéressées en Italie ?

Dans le domaine mathématique il y avait de Pacioli, mais il était dans


l'ensemble plus concerné par des mathématiques pur qu'avec des
mathématiques appliquées. Nicholas de Cusa a été mentionné, mais il
est mort en 1564, une année avant l’avènement de l'imprimerie en
Italie. Au début du siècle on lisait Jacopo da Forli (d. 1413), un
physicien et un philosophe de Padoue, dont le travail principal

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consistait en effet à relier ces deux activités intellectuelles à la
« nouvelle physique. »
Il y a vraiment très peu de noms éminents dans le domaine de la
science mécanique au quinzième siècle en Italie, malgré la tradition
d'étude à Pavie et à Padoue. Contemporain de Leonardo da Vinci
mais en dehors du champ formel des universités, il y eut Giovanni
Battista Capuano (fi. c. 1475), Allesandro Achillini de Bologna
(1465—1512), Hieronymus Picus, et Agustino Nifo (1473—1538) ; et
à ces derniers nous devrions ajouter l'encyclopédiste du quinzième
siècle Raphael Maffei de Volterra. Pourtant bien que cette liste soit
impressionnante, on peut trouver dans une forme ou une autre la
doctrine de l'impétus en filigrane dans les écritures. Et ainsi, en effet,
c’est le cas avec les propres notes de Leonardo : « … le poids, la
force, un coup et l'impétus sont les enfants du mouvement parce qu'ils
sont nés de lui. Le poids et la force désirent toujours leur mort, et
chacun est maintenu par violence. L'impétus est fréquemment la cause
quand le mouvement prolonge le désir de la chose déplacée. »

Et, autre : « Parlez d'abord du mouvement puis du poids, parce qu'il


est produit par le mouvement, puis de la force qui procède à partir du
poids et du mouvement, puis de la percussion qui jaillit du poids, le
mouvement, et souvent de la force. »

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V

Dans quelle mesure et jusqu’à quel point peut on considérer que


Léonard da Vinci de Leonardo ait été directement influencé par les
écritures du treizième et du quatorzième siècle en mécanique ?

Il est admis par Clagett que « nous savons très peu au sujet des livres
qu'il a lus et les personnes qui ont lus ses écrits. » Cependant, les
références de Leonardo « sont souvent abrégé comme pour cacher
leur signification. » Néanmoins, il est communément admis que la
mécanique de Leonardo a été basée sur la doctrine de « impétus »
dans l’une ou l’autre de ses formes diverses.
Ainsi, l'influence est certainement là, mais elle était en grande partie
indirecte. Tout à fait clairement le quinzième siècle avait hérité et
acquis la conception générale d'une doctrine de l’impétus plus ou
moins de la même façon, par exemple, comme il y eut plus tard une
adhésion tacite au concept du calorique par rapport à la chaleur.

Ceci n’a nullement empêché les penseurs de cette époque de


développer des idées et des théories différentes, comme par exemple,
dans le cas du traitement des problèmes de la chaleur latente par
Joseph Black, et des lois de la thermodynamique par Sadi Carnot. Ces
deux distingués savants ont pris hypothèse départ le concept du
calorique. De même Leonardo da Vinci peut jaillir ont poursuivi ses
propres investigations et a compilé ses notes sur la mécanique avec en
toile de fond l'héritage scientifique des siècles précédents.

Une longue connaissance de la tendance générale des idiosyncrasies


et des habitudes de prise de note de Leonardo aide à développer dans
l'esprit une image fidèle du cadre mental de l'auteur lui-même.

Il est important de formuler une évaluation de la valeur intrinsèque


des notes et des influences des différentes sources qui ont conduit à
leur élaboration. Une caractéristique immédiate de ces notes tient
dans l’incontestable intégrité de Leonardo. Il était tout à fait en
dehors de sa nature d’usurper des idées qui ont appartenu à d'autres.

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« Et doivent être jugés, et non autrement estimés les inventeurs et
interprètes entre la nature et les hommes, par rapport aux récitateurs
et trompéteurs des oeuvres d'autrui, » il écrit, « doivent être
considérés simplement comme objet devant un miroir en comparaison
de son image une fois vu dans le miroir, l’un étant quelque, l'autre
rien. »

Là où ses écrits suggèrent un tel endettement de sa connaissance


réelle, il peut être accepter que Leonardo pourrait avoir été
l'interprète d'une doctrine ou d'une théorie, qu'il a employée ou a
citée, mais qui a occupée probablement une place mineure dans son
argument général. Ainsi, par exemple, nous rencontrons les
références à la vision classique de la « terre, de l'air, du feu et de
l'eau », de la structure de l’univers et d'une image du cosmos, qui sont
tacitement admises durant cette période, mais qui dans leur contexte
représente là encore une importance mineure par rapport à
l'argument principal. Cependant, de temps en temps on rencontre une
référence qui suggère particulièrement une source ou une influence
précise.

Une vision a posteriori permet d’accepter raisonnablement que bien


que la tradition de la mécanique venue des écoles d'Oxford et de Paris
ait produit un effet sur Léonardo da Vinci, il n'y a aucune certitude
absolue que Leonardo ait eu connaissance, encore moins lu, les
travaux émanant de ces écoles, excepté ses citations explicites de De
caelo et mundo par Albert de Saxe, et du De calculatione
proportionum velocitatum in mobius traités d'Albert de Saxe et de
Giovanni Marliani.

Il est curieux que l’on sache tellement peu de choses sur les contacts
quotidiens de Leonardo d’autant plus que l’on sait qu'il lisait le latin
avec des difficultés considérables. Or précisément, le latin était le
langage universel des ouvrages imprimés à cette époque ; et c’est
pourquoi les contacts personnels de Leonardo ont du prendre une
importance considérable pour lui en tant que transmission orale du
savoir et de la connaissance.

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On voit Leonardo comme un jeune homme qui a été — un
« extraordinaire synthétiseur » de la science de son temps, un
amoureux de la musique, un génie se développant rapidement dans
l'art, un auditeur avide de nombreux visiteurs intellectuels et qui
développa un intérêt rapidement croissant pour les problèmes
fondamentaux de la nature et du monde autour de lui.

Mais quand il a mûri à l’aube de ses trente ans, un changement évident


s’est opéré dans son attitude vis-à-vis de la culture et des activités
intellectuelles croissantes de Florence. Pour lui c'était devenu une ville
d'anéantissement intellectuel. L'influence culturelle dominante centrée
sur l'académie platonicienne de Lorenzo, et dont le seul titre était
d'être un « académicien. » De cela Leonardo est resté à l’écart :

« Je sais bien que parce que je n'ai pas eu une éducation littéraire il y
en a qui penseront avec arrogance qu'ils sont autorisés à me considérer
comme inculte— les imbéciles. »

Il est naturellement inconcevable que Leonardo ait passé le restant de


sa vie, i.e., les trente années à venir sans une part de visite quotidienne
d'amis, de connaissances, et de visiteurs. On sait qu'il y a eu des
rencontres qui l'ont conduit à participer à des fonctions à la cour mais
qui présentaient pour lui un très faible intérêt. Ses services étaient
dans une demande assez générale en tant que conseiller dans la
technologie civile et militaire, et il avait établi la réputation d’un
homme de science connu pour « expérimenter » dans son laboratoire
et son atelier
— bien que ceci demeure quelque peu obscur et mystérieux
naturellement, tout à fait indépendamment de son énorme réputation
de grand artiste.

Maintenant c'est sûrement une question d’une grande importance


qu’on n’ait trouvé dans ses notes aucune trace d'une réunion ou
discussion avec les hommes de science de son époque, ni même de
toute notes ou de lettres rendant compte de tels contacts par des
hommes de science avec lui. Pourtant, on trouve des comptes rendus

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de réunions avec lui concernant son art dans bon nombre de sources.
Il s'avère que Leonardo était, du point de vue scientifique, un homme
seul et réservé. Alors une question de bon sens se pose naturellement,
ses contacts connus avec l'université de Pavie doivent avoir inclus les
hommes de science (et donc des disciples de la mécanique), mais il
semble que le but principal de ses visites ait été d'effectuer des
dissections biologiques. Néanmoins il est difficile d'accepter que ces
contacts aient comporté seulement des échanges d'opinions sur la
mécanique de l'impétus (sous ses formes diverses) ou sur les écritures
plus classiques d'Aristote, d'Archimède, de Pappus, et de d'autres, et
leurs premiers commentateurs médiévaux. Pourtant de telles
discussions ont probablement été plus qu'occasionnelles, dans leur
effet cumulatif elles doivent avoir laissé des traces ; et ainsi on est
obligé d’admettre que l'influence de la mécanique du quatorzième
siècle a inévitablement infiltré dans ses perspectives générales les
idées et les croyances déjà établies à cette époque. Cependant, l’idée
selon laquelle Léonardo da Vinci était tout bien pesé peu plus qu'un
simple interprète de la pensée scientifique dérivée de Merton et des
écoles de Paris du quatorzième siècle ne lui rend pas justice. Toutefois
beaucoup les données de ses discussions et spéculations semblaient
dériver de ceux-ci et des sources antérieures grecques, Arabe et
néoplatoniciennes. D'ailleurs, à un égard important elles ont conféré à
ses travaux une qualité d'objectivité en grande partie niée par ses
prédécesseurs depuis le début de l'ère chrétienne. Puisqu'il n'était pas
un philosophe il pouvait être plus ou moins en mesure de conserver
une vision scientifique ; et parce qu'il n'était ni un ecclésiastique ni un
élève de la théologie il a été nullement poussé à n'importe quelle
forme de réconciliation entre les tendances objectives de la pensée et
les disciplines conscientes ou inconscientes des dogmes de l'église.

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VI

Les longues recherches d'Anneliese Maier, d’Alexandre Koyré, d’E.J.


Dijksterhuis, de Marshall Clagett, et d’Ernest A. Moody ont permis
une nouvelle appréciation de la Mécanique de Leonardo. Les
spéculations de Leonardo incluent fréquemment une pensée
rudimentaire en plus d'une expression rudimentaire. Son traitement du
mouvement accéléré, dans le problème du plan incliné, du bras de
levier (dont il n'a fourni aucune preuve formelle), de l'accélération de
la chute des corps, et sa confusion au sujet de la masse (avec sa
conception de l'inertie) et du poids sont quelques uns des exemples de
ce manque de rigueur scientifique. Évidemment, à la lumière de toutes
les recherches actuelles à propos de la mécanique au Moyen âge, la
vision selon laquelle les idées de Leonardo en mécanique ont été des
anticipations de la mécanique des seizième et dix-septièmes siècles
réclame de sérieuses modifications sur la base qu'en fait elles
sembleraient être davantage liées aux concepts de la mécanique des
siècles qui ont immédiatement précédé le sien.

La tendance actuelle de pensée consiste à envisager la place de


Leonardo dans l'histoire des idées en mécanique parallèlement aux
écoles de Merton et de Paris, et de le considérer ainsi en tant
qu'intermédiaire entre la mécanique classique d'Aristote et ses
commentateurs d'une part, et la mécanique de Galilée et de Newton de
l'autre. Si on accepte ce point de vue, comme le suggère Moody par
exemple, il n’est plus nécessaire de « lire entre les lignes, » puisque
les notes de Leonardo sont alors plus ou moins en accord avec cette
hypothèse ; et il devient alors un simple interprète de la mécanique de
son époque.

On ne doit pas, cependant, accepter cette évaluation révisée de sa


place dans l'histoire de la mécanique de façon définitive. On peut
remarquer que bien que plusieurs de ses notes montrent des
dérivations avec les mathématiques et la mécanique de « impétus »
des écoles de Merton et de Paris, celles-ci n'étaient pas intentionnelles
et délibérées.

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Par exemple, régulièrement Leonardo modifie ses fondements
scientifiques. Ce qu'il dit dans une note il le contredit fréquemment
dans d’autres. Son traitement du sujet de la chute des corps en est un
exemple. Ceci a été mis en évidence superficiellement dans de
nombreux travaux, mais a été depuis plus habilement discuté par
Clagett dans la sa Science de la mécanique au moyen âge.

Dans le manuscrit M. (fol. 44 r.) il y a une note alliée à un diagramme


pyramidal qui suggère la discussion de la descente des corps lourds
sur le modèle graphique d'Oresme :
« La preuve de la proportion entre le temps et le mouvement avec la
vitesse de descente des corps lourds [est trouvée] dans la figure
pyramidale, parce que les puissances susmentionnées sont toutes
pyramidales puisqu'elles débutent dans rien [c.-à-d., à l'apex de la
pyramide] et augmentent dans des degrés de proportions
arithmétiques. » Plus tard dans le même manuscrit (fol. 44 v.) on a la
discussion comportant la représentation graphique du corps en chute
suivante voir la page 85.
De plus, Clagett rapporte la citation suivante (MS. M., fol. 48 r.) :
« Si deux corps de même poids et de même forme chutent l’un après
l'autre de la même hauteur, en chaque degré de temps l’un sera un
degré de plus éloigné que l'autre … (MS. M., fol. 49 r.) :

« La chose lourde descendant librement gagne un degré de vitesse


avec chaque degré de mouvement. Et la partie du mouvement qui est
effectuée en chaque degré de temps est toujours plus longue
successivement, que le suivant qui l'a précédé. Il peut être clairement
démontré que c'est vrai, pendant le même temps que le poids a
descend en c, b qui se trouve quinze fois plus rapide que a, a couvert
quinze fois d'espace dans sa descente. »

Un grand point d'intérêt concerne la première de ces notes (MS. M.,


fol. 44 r.) est que les écrits d'Oresme n'ont pas été imprimées à
l’époque de Leonardo. Par conséquent, si la source initiale
d'inspiration de Leonardo était Oresme, l'influence doit avoir été
indirecte. Mais il est intéressant également de remarque que Galilée en
1638, dans ses Deux nouvelles sciences, a employé dans sa discussion

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une illustration graphique semblable sur l'accélération uniforme d'un
corps en chute libre.

Le commentaire général de Clagett sur les discussions de Leonardo


avait pour but d’attirer l'attention sur la disparité entre la vue correcte
que la vitesse dans l'automne libre augmente dans la proportion avec
du temps, et l'erreur que la vitesse augmente pareillement directement
avec la distance de la chute. Il propose que Leonardo « ait eu de la
connaissance de la mécanique d'impulsion » (peut-être par Albert de
Saxe), mais que « ceci ne l'empêche pas d'assigner dans quelques
endroits un rôle important à l'air, en continuant le mouvement d'une
projectile et en accélérant l'échouer des corps. »

Il y a de nombreuses références au concept de l'impétus, et au rôle


d'air comme facteur de l'impétus, pour être plus précis ceci constitue
un élément important dans les idées de Leonardo sur la force et le
mouvement. Pourtant il y a toujours la suggestion dans son esprit du
rapport de base entre la force et la poursuite du mouvement.
Duhem avait émis l'avis que la mécanique médiévale qui avait
influencé Leonardo était essentiellement composée des mécaniques du
dix-septième — et ce n'était absolument pas le cas. La mécanique de l’
impulétus en question était quelque chose de particulier et différent,
de la mécanique grecque d'Aristote et de ses successeurs, et de la
mécanique classique qui peut être considérée comme ayant culminé
avec Newton. Néanmoins, ce n’est pas rendre justice à Leonardo de le
considérer simplement comme une homme « à mi-chemin » entre les
jours de la science grecque et ceux de l'époque de Galilée-Newton,
réfléchissant et peut-être interprétant avec sa vitalité et son intérêt les
grandes avances des sciences mécaniques du siècle précédant le sien.

Dans le cadre de cette formule générale, il reste vrai que les notes de
Leonardo montrent des évidences continuelles d'un penseur cherchant
à tâtons avec les idées et les conceptions qui étaient en effet en avance
sur son époque, mais qu’il pourrait néanmoins seulement exprimer à
l’encontre des idées de ses prédécesseurs immédiats. Tels, par
exemple, étaient ses commentaires sur la force et sur l'inertie. Il y a
sûrement quelque chose de plus que les simples remarques d'un

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interprète de la mécanique du quatorzième siècle dans les citations
suivantes : « Aucune chose ne qui peut être mise en mouvement par
elle-même, mais son mouvement n'est effectué par une autre chose.
Cette autre chose est la force », « sans elle [c.-à-d., la force] rien ne se
déplace », « aucun objet inanimé ne se déplacera de son propre chef ;
par conséquent quand dans son mouvement il sera déplacé par une
puissance inégale, inégale en temps et en vitesse, ou inégale en poids,
et quand l'impulsion de la première puissance motrice cesse, la
seconde cessera brusquement », « et parce que tout le mouvement tend
à l'entretien, ou plutôt tous les corps déplacés continuent à se déplacer
tant que l'impression de la force de leurs moteurs demeurent en eux. »
La troisième de ces citations amène à la fois le doute au sujet de sa
compréhension et sur l'influence de la mécanique de l'impétus à son
époque. Mais dans tous il y a une suggestion des idées qui devaient en
fait être clarifiée et développée à la lumière de la science du dix-
septième siècle.

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D. Léonard da Vinci : Savant ou ingénieur ?

1. Le vol des oiseaux et l’ornithoptère

Il reste maintenant à faire quelques remarques à faire concernant les


études de Leonardo sur le vol des oiseaux et ses tentatives pour
concevoir une machine capable du vol mécanique. Ceci constitue un
lien avec les études théoriques qui ont été discutées précédemment,
cependant, on doit considérer la nature générale de son travail
davantage dans les domaines de la mécanique appliquée et de
l’ingénierie comme reflété dans ses notes. On a considéré Leonardo à
travers ses spéculations sur ce qui est fondamental dans les problèmes
de la science mécanique, comme un « chercheur à tâtons. » Mais la
lorsqu’on feuillette simplement page après page ses Codex il vient
immédiatement l’impression d'une personne ayant des préoccupations
de mécanicien avec une propension à esquisser une multitude d'idées
de mécanismes pour différentes utilités. L'homme connu du monde
entier en tant que grand artiste et considéré comme « homme de
science » étaient davantage un maître du « gadget », un technicien
extra-ordinaire.
C'est un fait que bien qu'il ait eu « plus d'une corde à son arc, » il était
en premier lieu un artiste professionnel. Presque certainement son art
était une véritable passion et représentait toute sa vie. Cependant, avec
la même certitude, on peut affirmé qu’il a passé bien plus de ses
heures et jours à diverses fonctions de conseiller dans la technologie
civile et militaire, et dans l'étude des nombreux principes théoriques et
problèmes pratiques concernant ces fonctions, qu'il en a consacré à sa
peinture. D'ailleurs, il n'a reçu aucune formation spéciale dans ces
fonctions. Il les a juste assumées, au début en raison du besoin de
précision dans l'observation que son art demandait— pour l'anatomie
de l'homme et de la bête, pour le mouvement et le changement des
environnements animés et inanimés, et ainsi de suite, jusqu'à ce que
les problèmes de la science mécanique deviennent dominants à ses
yeux et présentent leur propre intérêt et ce indépendamment de son
art. Le quinzième siècle avait déjà hérité d'une technologie mécanique
considérable des auteurs tels que Konrad Kyeser von Eichstadt,
Johannes Fontana, Jacopo Mariano, Hans Hartlieb, Francesco di
Giorgio Martini, et Roberto Valturio. Le De re militari de Valturio

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était bien connu à Leonardo. Il a été non seulement publié dans le latin
à Vérone en 1472, mais également en langue vernaculaire en 1483. Le
De Machine, Libri X de Mariano était également largement connu. En
conséquence, il est assez certain que plusieurs des croquis et des
conceptions de Leonardo aient reflété non pas ses propres inventions,
mais plutôt ses idées de développements et d'améliorations sur des
conceptions déjà existantes à son époque. Cependant, il y eut d'autres
croquis qui reflétèrent exclusivement ses propres créations. Certaines
se sont avérées plus tard utiles ; mais d'autres, bien que peut-être
théoriquement correctes, étaient au delà des capacités de la
construction à son époque ; enfin d'autres étaient tout simplement des
« intuitions ingénieuses mais complètement inutilisable. » Nul n’est
besoin d’insister sur le fait que malgré ses études précises du vol
montant des oiseaux, quand il en est venu aux conceptions pour la
réalisation du vol artificiel Leonardo ignorait tout du dispositif plan
fixe et concentra toute son attention sur les battements d’ailes. Ce
faisant il allait au devant de la défaillance inévitable. On doit
considérer, cependant, que les la plupart de ses dessins, dont environ
quatorze sont connus, ont été conçues durant ses jeunes années, tandis
que ses études des vols d’oiseaux glissant et montant sont venues
beaucoup plus tard.

Mais il y a un croquis peu connu du manuscrit G. qui nous fait nous


interroger sur ce que Leonardo a manqué en ne poursuivant pas l'idée
plus loin. Replié dans un coin d'une collection de notes on trouve cinq
vues successives d'une feuille en flottement tombant en zigzag, et au-
dessous quatre postures d'un homme suspendu à une surface plane,
i.e., dans la situation du vol en « planeur ». La feuille de notes en
question est très usée, ce qui permet probablement de comprendre
pourquoi ce croquis n'a pas suscité de commentaire jusqu'ici.

Ce croquis (du MS. G., fol. 74 r.) est probablement la première


conception du vol avec glissement.

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Pourtant il s’agit bien des croquis miniatures qui présagent, pour la
première fois dans l'histoire, de l'avion et du planeur. Il est en effet
malheureux que Leonardo n'ait pas poursuivi l'idée plus loin
De plus, on voit un lien ici avec son invention du parachute. Le lien
pourrait très probablement être étroit, bien que le parachute soit
principalement considéré comme un dispositif de sécurité dans
l'aviation, il semble clair que ce n'était pas en tant que tel que
Leonardo l'a conçu.
En effet son développement de l'idée était indépendant de n'importe
quelle ligne de pensée liée aux machines volantes. C'était un
simplement autre dispositif aéroporté utilisant une surface plane.

VIII

On peut maintenant se tourner vers quelques remarques et


commentaires concernant les diverses conceptions de Leonardo pour
ses machines volantes. En fait, les codex de Leonardo comportent
environ quatorze croquis différents, une étude qui indique des
améliorations graduelles du dispositif. Ceci n’est pas très surprenant,
puisqu'ils couvrent une période d'environ seize années de 1483 à 1499.
Ces papiers constituent davantage une curiosités plutôt que des
dessins de conceptions scientifiques. Pourtant bien qu'ils illustrent un
génie mécanique allié aux rêves d'une vie, ils contiennent des
dispositifs étonnamment modernes et réalistes, qui à la lumière des
développements suivants, apparemment réalisables.
Les premières conceptions sont du type « couché », mais plus tard il
plaça le « pilote » en position verticale. Dans tous, cependant,
Leonardo a envisagé un mécanisme pour les ailes fonctionnant grâce à
la puissance musculaire de l’homme, i.e., à l'aide des muscles des
bras, jambes, et même de la nuque afin de manoeuvrer les ailes
artificielles dans une sorte d'action similaire à celle des avirons d’une
barque. Les nouveaux dessins incluent de tels dispositifs comme une
queue ou des sections de gouvernail de direction manoeuvrées grâce
aux muscles de la tête et de la nuque ; et dans le même dessin il place,
pour lui facilité le travail, son pilote allongé à côtés de deux
manivelles auxquelles le mécanisme des ailes est relié ; un mécanisme

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de tringles actionnant deux ensembles d'ailes avec les mains et les
pieds (avec le pilote dans une position semi-inclinée suggérant une
plus grande facilité et une diminution de la contrainte physique) ; et
après une transition complète de la position « allongée » à la position
verticale. « Je conclus, » écrit Leonardo, « que la position verticale est
plus utile que la position couchée parce que l'instrument [c.-à-d., la
machine] ne peut pas se retourner, et d'autre part l'habitude exige
ceci. »

Dans ce dessin Leonardo exhibe beaucoup de dispositifs


« modernes ». Il confine son pilote dans un fuselage en forme de
cuvette, et la machine est tenue au-dessus de la terre par un dispositif
de train d'atterrissage qui vient deux échelles. Pour entrer, le pilote
monte une échelle, soulève une écoutille, et après « décollage » (si
toujours il y a ou était une telle occurrence !) le train d'atterrissage est
rétracté en manoeuvrant une corde ou un fil contrôlé d'un mécanisme
à manivelle au-dessus de la planche de bord. Ceci permet aux échelles
d'être maintenues dans une position horizontale à la base du fuselage.
Par ailleurs, les bases des échelles sont équipées d’amortisseurs de
chocs pour l'atterrissage ou le décollage.
On peut se référé à certaines de ces idées comme apparemment
faisables. En fait, cependant, plus Leonardo incorpore de choses, qui à
la lumière de la pratique moderne nous paraîtraient comme les bases
évidentes, plus la conception globale devient inutilisable.

Gibbs-Smith, quant à lui se réfère à « chimérique soucoupe volante …


tellement lourde qu’elle ne pourrait que seulement vibrer. »

Deux autres idées de Leonardo nécessitent un commentaire. Dans le


codex Atlanticus on trouve une conception qui incorpore incidemment
un plan (le premier dans l'histoire) pour transmettre l’énergie
mécanique à l'aide de deux ressorts (reliés par des poulies) comprimés
et « prêts à l'action. » Dans l’esprit de la conservation d’une vie
humaine, cela réconforte de penser que c'était « juste d’une idée. »
Mais après tout, on peut rappeler que pendant des années maintenant
les espaces verts ou la campagne ont été employés pour le lancement
d’innombrables modèles réduits d'avions actionnés par des ressort ou
des bandes élastiques. Il y avait du sens de la vision et les idées de

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Leonardo. Ainsi l'idée a été également prolongée au principe de
l'hélicoptère. Sur ce point, cependant, quelques commentaires
importants sont nécessaires.
La conception finale à laquelle on doit se référer est vue dans un
croquis dans le codex Atlanticus. Son intérêt primordial est que pour la
seule et unique fois Leonardo incorpore un élément à ailes fixes dans
sa conception. Le croquis montre une section de centre rigide ayant un
secteur d'aile (fixe) de chaque côté du pilote, mais articulée à chaque
extrémité. Il est difficile de savoir tout à fait ce qui était dans l'esprit
de Leonardo en établissant cette conception. Quatre cents ans après de
Lilienthal employa la même idée d'une conception de demi aile fixe de
type semi-ornithopter —, mais il semble cependant que les schémas
de Leonardo demeurent une curiosité. On peux seulement résumer ici,
comme on l’a fait ailleurs : « Ainsi les machines volante de Léonardo
da Vinci doivent rester un rêve, le prix toute une vie de recherches. »

On a finalement a passer en revue le point jusqu'ici généralement


admis que Leonardo da Vinci était l'inventeur du principe
d'hélicoptère. Bien qu'il ait été certainement à l’origine du premier
dessin connu d’hélicoptère, il y a aujourd’hui une idée émergente que
le principe de l’hélicoptère devait été connu en Europe avant son
intérêt pour la question, et que ceci a probablement dérivé de la Chine.
Dans le musée du Mans il y a une image médiévale sur panneau peint
un artiste local inconnu environ de 1460 c'est-à-dire, à un moment où
Leonardo était âgé huit ans, montrant une Madone avec l'enfant Jésus
se tenant sur ses genoux. Il y a dans la main gauche de l'enfant un
jouet représenté avec une grande précision. Il s’agit d’un récipient
sphérique dans lequel est placé une tige ou un axe avec au-dessus une
hélice à quatre pales du type de celle moulin à vent du quinzième
siècle. L'enfant tire une corde hors d'un trou perpendiculairement au
côté du récipient.
Il a été suggéré que ce jouet est un véritable hélicoptère, pour lequel
une traction forte sur la corde fait tourner les lames du rotor et
propulse le rotor loin de l'axe vers le haut dans les airs (comme avec le
dernier jouet Chinois fait par Cayley en 1853, et plus tard par
beaucoup d'autres). Mais les travaux de Miss A. Scott Elliott,
conservatrice des écrits et dessins à la bibliothèque Royale du chateau

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de Windsor conduisent à une vision alternative que l'enfant Jésus tient
un jouet simple de tourbillonnant d'un type connu pour être populaire
avec plus ou moins d’interruption du moyen âge aux temps modernes.
Dans ce jouet, la corde est fixée de manière permanente à l'axe, après
une forte traction, l’axe tourne rapidement et rembobine la corde pour
la prochaine traction.

Le « Whirligigs » doit, naturellement, fournir à l’enfant le plaisir d'un


objet en rotation rapide. Celui-ci peut prendre la forme d'un
kaléidoscope ou, d'une manière plus amusante, d'une petite figure avec
les membres lâches qui volent dehors par centrifugation pendant que
le whirligig tourne. Gibbs-Smith considère cependant que dans
l'image du Mans le jouet montré dans la main de l’enfant Jésus
emploie en fait le principe d'hélicoptère.

De son point de vue, le léger effet de « gauchissement », i.e.,


d’inclinaison des lames sur le modèle à pales d’un type similaire aux
ailes d’un moulin à vent de cette époque aurait fourni un jouet
beaucoup plus passionnant que celui-ci si simple qui tourbillonnerait
autour ; et ceci déterminerait donc la base de la construction du jouet.
Ceci est naturellement vrai. Mais il y a néanmoins de la pertinence
dans ce point de vue, puisque l'image du Mans montre dans ce jouet
une similitude étroite avec et le type important de moulin à vent, le
fabricant de jouet aurait tout aussi bien pu donner un certain « angle »
aux lames afin de produire l'effet de rotor. Ainsi, quand l'enfant a tiré
la corde, le petits rotor s’élève vers le hait à la manière d’un
« hélicoptère » sur une distance courte, s'abaissant alors pendant que
la corde est rembobinée, de sorte que la traction de la corde active le
mouvement d'hélicoptère à nouveau. Ceci a pu se faire sans
nécessairement avoir connaissance du principe de l’hélicoptère, mais
plutôt d'un effet empiriquement dérivé de l’hélicoptère. Néanmoins
d'après la sophistication avec laquelle ce jouet avait été développé, il
n'est pas impossible que le principe ait pu avoir émergé au moins au
quatorzième siècle.

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Il y a une autre image intéressante de l'enfant Jésus avec un jouet
« whirligig », actionnée par une corde, sur un vitrail (à l'origine dans
l'église de Stoke Poges à Buckinghamshire). Une photographie de la
moitié supérieure du vitrail prouve que le jouet est équipé d’une sorte
de sécurité vraisemblablement pour l’empêcher de s’envoler lorsqu’il
est prêt à l’action. Un autre exemple se trouve dans le livre de Gibbs-
Smith : une image par Jérôme Bosch à Vienne (c. 1485) montre
l'enfant du Jésus tenant une hélice à deux lames, encore clairement
dérivée du moulin à vent.
Mais aujourd’hui une nouvelle preuve a émergé par la découverte par
M. John Lowe (qui faisait autorité en matière de vitraux au Victoria et
Albert Museum de Londres) d'un vitrail français de Normandie (c.
1525), qui fut exposé après de nombreuses années passées en
restauration. Celui-ci montre aussi un l’enfant Jésus avec un de ces
jouets (voir la plaque VII). Mais il y a une différence essentielle, qui a
immédiatement prouvé que tous ces jouets étaient les modèles presque
certainement véritables d'hélicoptère avec leurs rotors se levant vers le
haut en le vol libre, et pas les whirligigs « captifs » comme cela a été
supposé la première fois.

Bien que la différence semble petite au début, elle est décisive. Dans
la main levée du garçon il n’y pas là simplement un bouton ou un
noeud, mais une grande poignée, quelque peu semblable à la poignée
d'un fusil sous-marin. Ceci n’a pu seulement être fait que dans le but
de donner à l'enfant une bonne poignée pour produire une traction
forte sur la corde, et pour fournir ainsi au rotor une rotation initiale
rapide pour l'envoyer tournoyer vers le haut.
L'évidence cumulative de tous ces faits ceci suggère que le jouet
Chinois a du faire son chemin à travers le milieu - itinéraires orientaux
du commerce beaucoup d'années avant, tout comme les machines
d’imprimerie, la poudre, la fusée, et autres dispositifs ; et cela elle
avait été adaptée pour l'usage comme jouet européen.
Clairement, donc, ce serait une exagération d’attribuer à Leonardo la
découverte du principe de l'hélicoptère. Mais également clairement le
but de produire un instrument qui se lèverait verticalement à une
hauteur appréciable appartient exclusivement au génie de Léonardo da
Vinci.

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2. Les machines de guerre

Depuis l’antiquité, une noble tradition guerrière nous a été transmise


par les traités et l’expérience d’hommes d’armes ; au Xème siècle, par
exemple, on connaissait l’oeuvre militaire grecque grâce à Héron
d’Alexandrie. Comme en témoigne le traité de Guido da Vigevano sur
les machines de guerre, daté de la première moitié du Quatorzième
siècle, le Moyen-Age avait adapté les techniques des romains aux
besoins des chevaliers et des croisés.
Même si le reste de l’Europe est riche d’exemples, nous nous
limiterons à la tradition de l’Italie de la Renaissance qui fut le
carrefour d’un très riche passé et d’un présent en gestation, grâce à
cette génération d’ingénieurs, antérieure à Léonard tels que Taccola,
Valturius et Francesco di Giorgio Martini, inventeurs et constructeurs
de machines de guerre. Progressivement, la situation politique de
l’Italie étant toujours plus confiée aux puissances militaires, les
seigneurs se disputèrent l’aide de ces spécialistes de la guerre aussi
bien dans un but défensif qu’offensif; ainsi, les traités militaires
jouirent d’un grand succès.
Même Léonard, pour être accepté à la cour de Ludovic le More, dût
énumérer ses capacités d’ingénieur militaire. Il le fit dans une fameuse
lettre qui explique ses machines de guerre:

Cette lettre écrite à Florence, à l’âge de trente ans, révèle l’intérêt


assidu de Léonard pour les armes et les techniques de guerre inspirées
de l’antiquité ou des traités de l’époque. Mais, en raison de l’ampleur
et de la variété de ses intérêts, ses vingt années passées à Milan ne
contribueront finalement qu’à une seule grande innovation, celle du
perfectionnement des armes à feu dont l’apparition devait
révolutionner les techniques d’assaut et de fortifications. Ainsi,
Léonard élabora un moyen d’augmenter l’efficacité des canons et des
bombardes qui en étaient encore à un stade rudimentaire, Il en étudia
la fonte, le chargement, l’allumage et le refroidissement; en augmenta
la précision du tir, il s’intéressa aussi à la forme et à la trajectoire des
projectiles. Par l’expérience des jets d’eau, il définit une parabole qui
anticipe intuitivement les recherches sur le principe d’inertie de
Galilée et de Newton.

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La renommée de Léonard devait être si grande après ses années
d’activité auprès de Ludovic le More, que César Borgia le choisit pour
architecte et ingénieur militaire en 1502.

La catapulte

La catapulte est certainement une des plus anciennes armes


traditionnelles. Léonard semble être, en maintes occasions, très attiré
par ces machines de guerre désormais dépassées et qui remplissent
d’innombrables feuillets du Codex Atlanticus. Le feuillet reproduit à
droite, est d’une variété et d’une beauté extraordinaires. L’invention
est illustrée par un dessin d’une très grande pureté ainsi que par une
splendide mise en page. Léonard nous paraît davantage fasciné par
l’élasticité des formes que par les effectives possibilités d’utilisation
de ces machines; mais il arrive que ses habiles retouches en fassent
des instruments bien plus dangereux que les armes à feu encore
rudimentaires. L’intérêt certain de l’exemple de la catapulte réside
dans le bras flexible, tiré vers l’arrière par un homme manoeuvrant un
treuil, tandis que l’arme a déjà été chargée de son projectile grâce à
l’échelle. Le treuil peut être bloqué par des coins qui, une fois enlevés,
provoquent le redressement du bras et en dernier lieu le lancement de
la pierre. Un grand nombre de ces catapultes, actionnées
simultanément, aurait pu constituer une défense parfaite contre
l’avance de troupes ennemies. Nous avons aussi l’invention
ingénieuse de la fronde multiple qui exploite la force centrifuge, créée
par la subite libération d’énergie accumulée dans les arbalètes au
moyen de petits treuils placés sur l’arbre à vis. Les bras armés de la
fronde, mûs par une rapide rotation, passent ainsi de la position
verticale à la position horizontale et procèdent au lancement des
projectiles.

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Chars à faux et chars d’assaut

L’idée d’un char couvert qui puisse, suivi par des soldats, pénétrer
dans les lignes ennemies, était déjà répandue au Moyen-Age et fut
souvent reprise au Quinzième siècle. Léonard conçoit un char très
lourd, ayant une forme de “tortue”, armé de canons sur toute sa
circonférence et probablement renforcé par des plaques métalliques.
Pour le déplacement du char, Léonard remplace le système à voile,
déjà imaginé par d’autres, par un système d’engrenages, relié aux
roues et actionné, à l’aide de manivelles, par “8 hommes” placés à
l’intérieur. Il pensa également remplacer les hommes par des chevaux
mais la forte probabilité que ceux-ci, enfermés dans un espace aussi
étroit et bruyant, s’emballent, l’en dissuada.
Un autre char, armé de faux cette fois, était déjà utilisé au temps des
romains. Léonard écrit à ce sujet: “Ces chars étaient conçus de di
verses façons et étaient souvent aussi nuisibles pour les amis que pour
les ennemis... contre de tels chars, il faut employer des archers, des
frondeurs, des lanceurs et des tireurs ainsi que toutes sortes de flèches,
lances, pierres, feux, bruits de tambour, cris... de façon à effrayer les
chevaux qui, devenus fous et incontrôlables, feront demi- tour,..”. Le
dessin de Léonard nous montre un char tiré par des chevaux dont les
faux tournent grâce à un ingénieux mécanisme et qui, par un arbre de
transmission, communique avec un système de rouages directement
relié au mouvement des roues du char.

Mitrailleuses

Un des problèmes que Léonard se pose est d’augmenter l’intensité du


feu et la rapidité du tir. Il le résout en multipliant le nombre des tubes
qu’il dispose en éventail, comme l’explique le dessin au centre de la
figure ; ou encore en créant ce qu’il appelle l”épingare à forme
d’orgue”, char sur lequel sont montés trois râteliers tournants, chacun
comprenant Il tubes, qui devient ainsi arme à “33 coups”. Pendant
qu’une bouche à feu tire, la suivante est rechargée tandis que la
troisième se refroidit, ceci permettant d’augmenter la décharge et
d’assurer un tir continu. Les armes sont munies d’un système à vis qui
en règle l’affût. L’élégant dessin de la figure suivante nous montre un

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autre exemple de mitrailleuse à plusieurs râteliers, posée elle-aussi sur
un affût.

Les études de balistique sont d’une grande importance pour la


précision du tir et grâce à celles-ci et à son expérience des jets d’eau,
Léonard a l’intuition d’une possible influence de l’air sur la trajectoire
des boulets de canon. Il résoud le problème en dessinant des
projectiles en ogive (d’un incroyable modernisme), exploitant la
forme aérodynamique et les munissant d’ailettes de direction.

2. Les machines hydrauliques

Léonard s’appliqua avec continuité et originalité à l’étude des cours


d’eau. On trouve de nombreux dessins et observations sur ce thème,
dispersés dans ses divers manuscrits. Léonard eut â maintes reprises
l’intention de donner, sous forme de traité, un ordre systématique à
cette longue expérience, mais il semble que ce projet fut abandonné à
peine ébauché. Il est probable que dès sa jeunesse Léonard ait ressenti
la fascination de l’eau, et que déjà à Florence, dans l’atelier de
Verrocchio, il eût à s’occuper de fontaines. Mais il est de même
certain que son séjour en Lombardie lui offrit la possibilité
d’appliquer des techniques encore inconnues en Toscane.
L’hydrographie de la Lombardie avait stimulé depuis l’antiquité une
pratique avancée de canalisation des eaux et Léonard, en tant
qu’ingénieur ducal, dût étudier ce problème fondamental qui touchait
non seulement l’agriculture mais encore l’actionnement de machines
et de moulins. Dans ce domaine, exception faite d’Archimède, très
admiré et étudié par Léonard, la tradition antique ne pouvait lui être
d’un grand secours car elle avait eu de grandes difficultés à se mesurer
rationnellement avec la mutabilité et l’instabilité des eaux, même si la
réalisation d’aqueducs, de canalisations et d’autres techniques
hydrauliques étaient à l’ordre du jour. Léonard devait donc recourir à
la seule expérience, il passait de nombreuses journées à observer le
cours des fleuves, à méditer sur l’incessante apparition et disparition
de formes créées par l’eau qui l’inscitaient â de fascinantes analogies
avec l’univers et à des pensées d’ordre temporel, spatial et existentiel
qu’il sut capter dans les images d’une rare qualité poétique qui
commentent ses dessins et ses notes. De cette observation attentive, il

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déduit de nombreuses considérations sur le mouvement, l’érosion,
l’écoulement en profondeur ou en surface, s’aidant très souvent par de
petites maquettes, en bois ou en verre, dans lesquelles il versait une
eau teintée ou mouchetée de petits flotteurs pour mieux suivre le cours
de cet élément si instable. Les résultats de ces expériences étaient
ensuite appliqués aux problèmes pratiques de la canalisation, et les
manuscrits témoignent d’un grand nombre de dessins de portes,
vannes, écluses à portes mobiles.

Moyens de marcher sur l’eau, moyens de respirer sous l’eau

On ne peut certes pas considérer comme une nouveauté la bouée de


sauvetage, les gants palmés, ou encore la manière de marcher sur l’eau
au moyen de chaussures ou de raquettes flottantes. Ce sont des idées
qui se perdent dans la nuit des temps, et si l’on tient vraiment à
chercher des exemples antérieurs, il suffit de parcourir les manuscrits
médiévaux qui eux-mêmes nous renvoient à Archimède et aux sources
antiques. Les dessins de Léonard sont de toute façon des dessins
curieux, rapides, extrêmement plaisants, et derrière lesquels on a
l’impression de percevoir la délectation de l’homme qui domine les
éléments. Léonard n’est certes pas le premier à s’intéresser à
l’immersion de l’homme et à sa survie sous l’eau. Encore une fois, les
manuscrits médiévaux illustrent abondamment ce sujet et on retrouve
ces expériences auprès de contemporains tels que Léon Battista
Alberti qui avait étudié ce problème dans l’intention de récupérer des
embarcations romaine échouées au fond du lac de Némi.
Mais comme c’est souvent le cas, Léonard était tellement habile en
dessin et dans la précision des détails, qu’il préfigurait les
solutions modernes. Par exemple, son scaphandre devait être fait de
cuir parfaitement étanche avec une poche pectorale gonflable, pour en
augmenter le volume et faciliter la remontée. Le scaphandrier de
Léonard est en outre muni d’un appareil permettant de respirer. Celui-
ci relie le casque à la surface par des tubes flexibles (de préférence en
roseau ou en cuir) fixés à une coupole protectrice flottante. En plus de
“ la description complète de l’appareil, Léonard dessine les détails des
valves permettant l’entrée et la sortie de l’air.

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Embarcation à double coque et sous-marins

Parmi les idées attribuées à Léonard, celle du sous-marin exerce une


fascination toute spéciale du fait qu’elle est projetée dans un futur
assez lointain. La possibilité que Léonard ait effectivement pensé à un
bâtiment capable de descendre sous l’eau et de remonter à la surface,
se base essentiellement sur l’interprétation de certains de ses propos et
sur l’esquisse à gauche du feuillet reproduit sur la figure. Par exemple,
Léonard, dans les feuillets où sont étudiées les coques et les
embarcations, s’exprime ainsi: “Quand tu veux remonter à la surface,
gonfle une outre, enlève le poids placé en bas et marche”; le
commentaire du dessin reproduit ici, recommande au marin: avant que
“tu n’y entres et serres, place à l’extérieur la ‘1 t’ et tu fais entrer l’air
à la place du vide”. On ne peut nier que Léonard ne possédait les
connaissances nécessaires d’hydrostatique, il pouvait d’ailleurs
s’inspirer du “sous-marin” que Cesariano avait réalisé et expérimenté
dans le fossé du Château de Milan. Le sous- marin de Léonard devait
probablement s’immerger au moyen d’un système de poids et de lest,
et remonter à la surface par l’introduction d’air dans des espaces
prévus dans la carène. La propulsion en surface devait être à voile,
tandis que sous l’eau, elle devait être à rames ou à palmes.

3. La Mécanique de Léonard de Vinci

Le dictionnaire de l”Accademia della Crusca” définit la mécanique de


la façon suivante:

“science qui s’occupe de l’équilibre et du mouvement des corps


solides ou liquides; et, en outre, Art, qui enseigne la construction de
machines, d’instruments, de dispositifs de tout genre”.

Léonard se consacra à cet “Art” avec une telle assiduité que la


majorité des manuscrits qui nous sont parvenus concernent ses études
et ses inventions en ce domaine. Il est probable qu’il ait eu l’intention
de les regrouper en un vaste traité bien que ses notes nous parlent
seulement de quatre chapitres se rapportant aux “éléments
mécaniques”.

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La découverte des Manuscrits de Madrid nous a permis d’approfondir
de façon considérable notre connaissance de la pensée de Léonard en
la matière, à tel point qu’il a même été jugé possible que le Madrid I
puisse faire partie d’un des quatre chapitres cités par Léonard, et
considérés aujourd’hui comme perdus.
La contribution de Léonard à la théorie de la mécanique est
indéniable. Ses études répondent à la fois à une exigence de clarté et à
la déduction logique; elles sont le fruit de la pratique de la mécanique
qu’il analyse en détail dans ses projets de dispositifs et de systèmes de
transmission du mouvement.
Les machines simples, connues depuis l’antiquité, sont au nombre de
cinq: le treuil, le levier, la poulie, le coin et la vis. Léonard, non
seulement les connaissait, mais en avait approfondi la fonction
spécifique afin de pouvoir les utiliser dans des mécanismes complexes
qui rendaient automatique une succession d’opérations, grâce à divers
systèmes de transmission. Les machines simples se trouvent
explicitement ou implicitement dans toutes les inventions de Léonard.
Il est intéressant de relever son attention particulière pour la “vis” qui,
associée à d’autres éléments, peut avoir diverses fonctions et est
utilisée dans de nombreuses machines.
Dans un feuillet du Codex de Madrid, Léonard s’étend sur “la nature
de la vis et de sa force de levier, plus apte à tirer qu’à pousser; plus
forte simple que double, fine que grosse... Des différentes variétés de
vis sans fin... De quelle façon la vis sans fin s’associe aux roues
dentées...” Ce feuillet nous propose une liste complète des possibilités
des diverses vis que Léonard interprète symboliquement comme une
grande puissance de la nature.
“La roue dentée” est le générateur de mouvement le plus fréquent dans
les machines de Léonard. Il en fait d’amples études graphiques jusque
dans le détail des divers profils des dents. L’association “roue dentée
et pignon à cage” est fréquemment utilisée pour transmettre le
mouvement. Dans le cas d’axes obliques ou pour l’élévation de poids
importants, elle est substituée par la “roue dentée et la vis sans fin” qui
garantissent un mouvement irréversible et offrent l’avantage d’une
bonne résistance et d’une grande puissance.
Pour obtenir de fortes variations de vitesse, Léonard utilise les
“engrenages de réduction” au lieu d’un système de poulies à
courroies. Alors qu’il dessine en détail les chaînes “articulées”, et

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qu’il les emploie pour la transmission du mouvement alternatif (par
exemple pour les mécanismes d’horlogerie et pour la transmission de
l’énergie d’un ressort comme dans le cas de l’allumage automatique),
il est surprenant qu’il n’ait pas pensé à les utiliser pour la transmission
du mouvement continu.
L’étude de la transmission du mouvement pose le problème du
frottement que Léonard résout par le système du roulement à billes,
encore valable aujourd’hui.
Le moulage des pièces, tenté par Léonard pour réduire le frottement,
et leur lubrification, ne suffisaient pas à en éviter l’usure. En un
premier temps, pour résoudre ce problème, Léonard conçoit un
système à coussinets antifriction fait en un alliage de cuivre et d’étain,
puis différents roulements à billes qui préfigurent les systèmes
modernes.
Les machines de Léonard n’exploitent pas seulement la transmission
mais aussi la “transformation du mouvement” permettant le passage
d’un mouvement continu à un mouvement alternatif ou vice versa,
comme nous pouvons le voir dans le cas de la machine à polir les
lentilles de verre. Cette transformation se fait par le mécanisme de la
bielle-manivelle dont la puissance pouvait parfois être augmentée par
un volant.
Il est bien de préciser que pour actionner ses machines, Léonard a à sa
disposition les sources d’énergie traditionnelles, c’est-à-dire la force
musculaire de l’homme et de l’animal, le vent, l’eau et plus rarement
la vapeur, les systèmes d’arbalètes et de ressorts, les poids et les
contrepoids. D’autre part, il faut aussi souligner que les matériaux, les
techniques et les mécanismes de l’époque avaient certaines difficultés
à suivre la grande faculté inventive de Léonard.

Roulement à billes

Léonard conçut divers systèmes afin de résoudre le problème du


frottement, conséquence directe de la transmission du mouvement.
Pour résister à la pression de l’axe vertical, il utilise, par exemple, un
roulement à billes ou à rouleaux. Le dessin de la figure est encore plus
extraordinaire pour son invention de l’anneau de glissement qui
permet aux billes de se mouvoir librement sans qu’elles se touchent.
Bien que le roulement à billes de Léonard soit incroyablement

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moderne et anticipe certaines solutions actuelles, il ne faut pas oublier
que les rouleaux et les sphères étaient déjà utilisés dans l’antiquité.

L’énigme du véhicule automobile

Mi-horloge, mi-voiture, la première automobile de l'histoire, le "char


automoteur" conçu il y a plus de 500 ans
par Léonard de Vinci, a enfin livré son secret et dévoile tous ses
ressorts dans une exposition itinérante du Musée d'histoire de la
science de Florence. Considéré comme l'ancêtre de nos voitures, le
véhicule en bois et en métal dessiné de 1478 est présenté pour la
première fois dans la version imaginée par le célèbre artiste-ingénieur
de la Renaissance, qui avait 26 ans lorsqu'il l'a conçu.
L'engin, doté d'une autonomie de quelques mètres mais pouvant
effectuer un virage, avait été créé pour servir de divertissement dans
quelque fêtes galantes données dans le Grand-Duché de Toscane à une
époque où le peintre de la Joconde était considéré autant comme un
magicien qu'un scientifique.
"Il y avait une demande pour ce type d'effets spéciaux destinés à
surprendre les invités", explique l'historien Paolo Galuzzi, directeur du
musée florentin. Le cadre en bois, monté sur trois roues, disposées en
tricycle, était probablement complété par un décor de papier.
Simple joujou primitif en apparence, avec son frein que le maître de
jeu pouvait actionner à distance à l'aide d'une corde, le char de
Leonard de Vinci est en fait longtemps resté une énigme.

Des générations d'historiens et d'ingénieurs se sont cassé les dents sur


la trentaine de planches non légendées laissées à la postérité par le
maître et en particulier le feuillet 812 du Code Atlantique (le recueil
de machines, études de géométrie et calculs de Vinci) reproduisant la
voiture et son mécanisme en plans de coupe, vu de côté et vu du
dessus.

"Les documents sont totalement muets, il n'y a pas le moindre mot",


souligne M. Galluzzi.

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A plusieurs reprises, le "carro semovente" a ainsi été refabriqué,
comme en 1939 sous le facisme pour exalter l'esprit d'invention de la
nation italienne incarnée par la "Fiat de Leonardo", puis en 1953 pour
les besoins du musée. Mais jamais les scientifiques n'avaient percé le
secret du moteur : comment diable les deux arbalètes ou ressorts à
lame métalliques tendues sur la partie supérieure du véhicule
pouvaient-elles transmettre leur énergie aux roues ?
Et de fait, ils se sentaient obligés d'inventer des pièces
supplémentaires, absentes du dessins de De Vinci pour produire un
engin roulant. Il aura finalement fallu comprendre l'erreur et deviner
que la propulsion provenait, non pas des arbalètes, mais en fait de
deux autres ressorts à lame, à peine suggérés sur le graphique.
"C'est une technologie directement inspirée de l'horlogerie", a
souligné lors de l'inauguration, vendredi, l'historien de l'art, Carlo
Pedretti, auteur de la géniale intuition et passionné au point d'avoir
sacrifié des jours et des jours à recopier des manuels d'horlogerie
vénitienne à l'époque où la photocopieuse ne rendait pas encore ce
service (les années 50). Son amitié avec l'expert américain en
robotique Mark Rosheim et l'informatique moderne ont fait le reste.
La modélisation par ordinateur a permis de comprendre le rôle de
chaque pièce et de reconstituer un modèle virtuel en trois dimensions,
là où l'artiste de la Renaissance, lui, avait travaillé en deux
dimensions. Propulsé par l'énergie des deux ressorts à lame, enroulés
dans des tambours en bois, le char de Léonard se remonte
mécaniquement à la main, comme une montre et les arbalètes ne
servent qu'à stabiliser sa course.

L’énigme de la bicyclette

Dans l'atelier de Léonard de Vinci, croquis, dessins et notes exécutés


sur des supports de toutes tailles, de toutes qualités s'accumulaient un
peu partout. A l'époque ces documents avaient peu d'importance. Au
XVIe siècle un conservateur du nom de Pompeo Leoni a l'idée de les
rassembler. Il est contraint de les retailler, de les coller entre eux, dos
à dos, pour que le tout forme un ensemble. Ce sont les Codex qui vont
être dispersés dans différentes bibliothèques et collections. Entre 1966
et 1969, constatant que certains de ces documents précieux

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commencent à se détériorer, des moines décident de les restaurer. Le
Codex Atlanticus va révéler un secret tout à fait inattendu : c'est en
séparant deux feuillets de ce codex que Leoni avait collés que les
moines découvrent le croquis d'une bicyclette entouré de dessins un
peu obscènes et naïfs (en haut à gauche : feuillets 132 verso et 133
verso, du Codex Atlanticus). Le dessin n'est assurément pas de la main
de Léonard lui-même mais on sait que les élèves avaient coutume de
faire des rajouts aux croquis du maître puisque ces documents
n'avaient aucune valeur. On suppose que ce dessin de bicyclette est
une mauvaise reproduction d'un croquis de Léonard lui-même, perdu
depuis.

On a d'ailleurs conservé des croquis de machines de guerre,


d'hélicoptères ou autres réellement dessinés par Vinci. Les dessins de
la main de Léonard de Vinci qui figurent au recto de ce document sont
datés de 1493. La bicyclette (celle qui ressemble à celle-ci) ne sera
inventée qu'en 1860. Donc, près de 400 ans plus tard. Il s'agit peut-être
d'un faux.

Mais, coïncidence troublante, il existe une planche de la main de


Léonard dans le Codex de Madrid qui décrit dans le détail l'invention
de la chaîne à dents cubiques (reproduction en bas, à gauche). Les
mêmes dents cubiques sont repérables sur le croquis de la bicyclette.
Ces feuillets du Codex de Madrid sont également datés de 1493.

Cette découverte, si elle est authentifiée, s'avère sensationnelle.

S'agit-il d'un faux ?

Et bien, le mystère demeure...On a de fortes présomptions : les moines


eux-mêmes pourraient être les auteurs de cette falsification. La
polémique a fait rage. Longtemps.

Daniel Arasse, dans son important ouvrage Leonard de Vinci, note :"
Une fois au moins, ce désordre de l'atelier et ces interventions des
élèves ont sauvé de l'oubli une "invention" géniale du maître. En
faisant réapparaître le verso du folio 133, plié lors de la constitution
du volume par Pompeo Leoni, la restauration du Codex Atlanticus
dans les années 1960 a permis une découverte sensationnelle. Outre

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une satire dessinée de l'homosexualité de Salai, un des assistants de
Léonard, la page comporte en effet le schéma grossier de ce qui est
incontestablement une bicyclette, conçue sous la forme qu'elle ne
trouvera que vers 1900, c'est-à-dire avec les deux roues de même
hauteur et, surtout, le pédalier et sa chaîne de transmission rendant la
roue arrière motrice. Cette copie maladroite témoigne d'une idée qui
intéresse assez Léonard pour que le folio 10r de Madrid présente un
schéma détaillé d'une chaîne de transmission équivalente". Éditions
Hazan,1997 , p55.

Lui-même ne semble pas contester l'hypothèse.

Certains musées ont reconstitué cette fameuse "bicyclette de Leonard


de Vinci". On peut voir, à droite, le système de chaîne à dents
cubiques qui rend la roue arrière, motrice.

Démonstration de l’impossibilité du mouvement perpétuel

Léonard démontre par ses dessins et ses explications, l’impossibilité


du mouvement perpétuel, objet de grandes discussions à l’époque.
L’instrument de la figure est formé de baguettes à l’extrémité
desquelles sont rattachés des poids. Léonard, en faisant l’expérience,
constate que: “quel que soit le poids rattaché à la roue, ce poids étant
la cause du mouvement de la roue, le centre de ce poids

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s‘immobilisera indiscutablement sous le centre de son pôle. Et aucun
instrument créé par l’esprit humain ne pourra éviter un tel effet.

A cela suit la polémique :

“ô spéculateurs du mouvement perpétuel, combien de mécanismes


compliqués avez- vous créés pour cette recherche !

Associez- vous donc aux chercheurs d’or (les mages- alchimistes)”.

E. Conclusion

Léonard ingénieur

« L'expérience ne trompe jamais, ce sont nos jugements seuls qui nous


trompent. »

Si Léonard de Vinci s'intéresse aux sciences et aux techniques, c'est


d'abord pour approfondir ses connaissances dans l'art du dessin et de
la peinture. Il n'a pas l'esprit d'un scientifique, il n'a pas non plus de
formation scientifique. Pourtant, lorsqu'un sujet retient son attention
(mathématiques, anatomie, optique, ... ou peinture !), il y applique la
logique et la rigueur qui convient à la science. Son goût pour les
sciences vient probablement de son goût pour l'observation. Dès son
plus jeune âge, il prend le temps de regarder la nature et de réfléchir
au lien que celle-ci peut avoir avec les techniques humaines. Par
ailleurs, il a amélioré de nombreuses techniques mécaniques en les
dessinant, en détaillant chaque pièce, puis en mettant au point des
systèmes supérieurs en efficacité.

Mathématiques

Léonard de Vinci ne fut pas un véritable mathématicien, même s’il


était convaincu de l’importance des mathématiques, puisqu’il disait :

« Aucune certitude n’est possible si l’on ne peut y appliquer une des


sciences mathématiques ou qui ne soit unie aux mathématiques ».

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En 1496, Léonard rencontre à Milan Luca Pacioli, un moine
franciscain spécialiste des mathématiques. Les deux hommes se lient
d'amitié et entreprennent la rédaction de « De Divina Proportione » («
La Divine Proportion »), un livre sur le Nombre d’Or écrit par Pacioli
et illustré par Léonard. L'ouvrage sera publié à Venise en 1509.

Il n’a pas atteint dans ce domaine cette perfection rencontrée dans


d’autres disciplines. Influencé par Luca Pacioli, il s’est surtout
intéressé à la géométrie où il ne dépasse pas les notions euclidiennes
de son époque. Il ne s’est guère occupé des autres parties des
mathématiques.

Il considérait la géométrie comme un instrument dans la création


artistique ou scientifique. C’est ainsi qu’il s’est surtout préoccupé de
problèmes qui se posaient aux peintres de son époque, comme la
contraction de polygones réguliers inscrits ou le partage d’un cercle ou
d’un segment en parties égales. Il a aussi étudié les transformations de
solides sans variation de matière. Certaines recherches, comme celle
sur le centre de gravité des solides, étaient destinées à la résolution de
problèmes mécaniques. La partie la plus importante de son oeuvre
géométrique concerne l’étude des lunules (une lunule est la section de
deux disques), où son tempérament artistique a pu s’exprimer.

Il a aussi inventé certains instruments géométriques : compas


parabolique, compas elliptique, compas proportionnel.

Les activités mathématiques de Léonard de Vinci n’ajoutent rien à la


splendeur du personnage, mais il y a cependant manifesté son génie
créateur.

Anatomie

L'intérêt de Léonard pour l'anatomie ne vient pas d'une curiosité


scientifique, mais artistique ; la Renaissance est une époque où on
redécouvre le nu antique et les artistes étudient alors le corps humain.
C'est donc pour mieux dessiner que Léonard dissèque des cadavres
dans les hôpitaux de Florence et de Rome. Il fait des croquis très
précis des muscles humains et de la façon dont ils sont liés les uns aux
autres. Mais sa curiosité ne s'arrête pas là ; il pourrait se contenter,

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ayant compris comment est constitué le corps humain, de revenir à la
peinture et composer des tableaux où les personnages sont représentés
à la perfection. Or, il va plus loin et cherche à comprendre à quoi
servent les organes. Il écrit par exemple : « Détermine si le sang qui
quitte le coeur par l'artère pulmonaire revient de nouveau au coeur »,
ayant ainsi l'intuition de la circulation sanguine qui ne sera pourtant
découverte qu'en 1628.

Optique

Dès son plus jeune âge, Léonard a observé la nature et son goût pour
interpréter ce qu'il voit l'a amené à réfléchir aux ondulations de l'eau
provoqués par la chute d'une pierre dans un étang. En partant de cette
simple observation, il pense que la lumière est elle aussi une onde, ce
qui sera vérifié... trois siècles plus tard. Léonard n'a aucun savoir
scientifique, ni le vocabulaire pour décrire ses expériences. Il le fait
donc avec des mots simples.

« Si tu places un verre rempli d'eau sur le rebord de la fenêtre de


manière que les rayons solaires le frappent du côté opposé, écrit-il, tu
vois les couleurs dont j'ai parlé se former dans l'impression faite par
les rayons solaires qui ont pénétré dans le verre, rayons qui s'éteignent
et se ternissent sur le sol dans un endroit sombre, au pied d'une
fenêtre, parce que l'oeil ne sert à rien, ce pourquoi nous pouvons dire
avec certitude que manifestement ces couleurs n'ont rien à voir avec
l'oeil. »

On parlerait aujourd'hui de réfraction à travers un prisme ou de


décomposition de la lumière en couleurs fondamentales.

Géologie

Il explore les Alpes et observe les plissements, les drapées des


montagnes. Il voit le mouvement des roches et la formidable
puissance qui a façonné ce paysage, comme une main chiffonne un
linge. Selon ses observations, il est difficile de penser que le monde
actuel soit inchangé depuis sa création par Dieu. Ce monde serait
plutôt l'oeuvre des caprices de la nature, cette nature qu'il détaille
depuis tant d'années. Pour appuyer ses idées, il parle des fossiles qui

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pullulent dans la roche et en déduit que « ce qui était jadis le fond de
la mer est devenu le sommet des montagnes » ou que « sur les plaines
d'Italie au dessus desquelles volent aujourd'hui des oiseaux, de larges
bancs de poissons se sont un jour déplacés ».

Hydraulique

L'eau sous toutes ses formes est une des passions de Léonard. Il étudie
des systèmes de canaux, de navigation, d'écluses, de machines à roue,
de jeux d’eau, mais il travaille également aux remous, aux vagues, au
phénomène de la marée, ou encore au pouvoir de l’humidité en
suspension dans l’atmosphère, aux vapeurs, nuées, et finalement aux
cataclysmes du déluge.

Astronomie

Chaque nuit où la Lune est en croissant au-dessus de l’horizon, au


coucher du soleil, on peut observer la lumière cendrée. Entre les
pointes du croissant, on devine comme une image fantomatique de la
Lune. Ce phénomène est observé depuis des milliers d'années sans
qu'on n'en comprenne la cause, et c'est Léonard qui va percer ce
mystère : quand le Soleil se couche sur la Lune, il se produit
exactement la même chose que sur Terre : c’est la nuit. Mais pas une
nuit noire… Même quand le Soleil est couché, il y a encore une source
de lumière dans la nuit lunaire : la Terre bien sûr ! La lumière solaire
renvoyée par notre planète éclaire la nuit lunaire 50 fois plus
intensément que ne le fait la pleine Lune dans notre propre ciel
nocturne. C’est le reflet de cette lumière sur le sol lunaire plongé dans
la nuit qui produit la lumière cendrée.

Techniques

Léonard est passionné de technique. Tous les domaines de l'industrie


ont profité du génie de Léonard : textile, transports, engins de levage,
machines à vis, à poulie, à crans, moulins, pompes, scies, marteaux
mécaniques, appareils de transmission, horloges, crics, palans,
appareils à déplacer ou à soulever les fardeaux, machines à raboter, à
scier le bois, la pierre, le marbre, à bisser, à filer, bateau dragueur,
système de barrage avec écluses, bombes explosibles, canons se

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chargeant par la culasse ... Il commence toujours par dessiner avec le
plus de précision possible les machines existantes, puis il réfléchit au
moyen de les améliorer, lorsqu'il n'en invente pas de nouvelles. Les
ingénieurs qui s'intéressent aujourd'hui à Léonard fabriquent des
maquettes capables de fonctionner à partir de ses schémas ; un certain
nombre de projets ont pu être réalisés du vivant de Léonard, surtout
s’ils touchaient aux deux formes d’activité où la demande était forte,
les fêtes et la guerre. Beaucoup d'autres sont restés des croquis, dans
des domaines où l'innovation est plus lente. Considérant la technologie
comme un accomplissement majeur de l’homme, il est en cela la
parfaite représentation d'une époque où les grandes réalisations du
savoir sont exaltées comme la preuve de la dignité singulière de
l’homme.

Le halo de mystère qui entoure Léonard, et la première impression de


chacun face à ses dessins technologiques et à ses maquettes, font de
lui un être mythique, précurseur de toutes les découvertes et
inventions de notre siècle. Cette conception fut particulièrement
développée par la propagande faite autour du “génie italique” qui
remonte à l’exposition de Léonard de Vinci à Milan, en 1939, et par la
création, plus récente, d’une image commerciale de l’artiste qui eut un
succès indiscutable auprès du grand public.
Il est cependant erroné de considérer les machines et les “inventions”
de Léonard comme étant le produit exclusif de son génie, tout original
qu’il soit. Pour s’en convaincre, il suffira de lire les propos que Roger
Bacon écrivit de sa lointaine Angleterre du XIII siècle: “...il est
possible de créer des moyens de navigation exempts de rameurs qui
permettraient d’avoir des bateaux à usages fluviaux et maritimes,
capables d’une vitesse supérieure car ils seraient conduits par un seul
homme sans devoir porter la charge du reste de l’équipage. On peut
aussi concevoir des chars mûs par une force admirable et non par des
chevaux. Je pense que ce type de chars était utilisé dans les combats
de l’antiquité. Il est possible aussi de construire des machines
volantes, conçues de façon à ce que l’homme, placé en leur centre,
puisse manipuler des instruments qui en fassent battre les ailes, selon
le principe du vol des oiseaux. On peut aussi construire un treuil de
petite dimension, apte à soulever et abaisser des charges presque
illimitées.., il est possible aussi de construire des mécanismes

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permettant de marcher sur les mers et les louves et d’en toucher le
fond, sans courir de risque. A en croire l’astronome Eticus, Alexandre
le Grand utilisa de telles machines pour explorer le fond marin. Il est
d’ailleurs certain que de semblables engins furent construits dans
l’antiquité et sont encore construits aujourd’hui même, exception faite
de la machine volante qu’aucun de nous n’a eu l’occasion de voir. Je
connais pourtant un savant qui en a tenté la fabrication. Nous pouvons
construire un nombre incalculable de ces mécanismes, par exemple,
des ponts, édifiés au-dessus de fleuves sans avoir recours à des piliers
ou à de quelconques moyens de soutien, des machines et inventions
jusqu’ici inconnues”.
Nous avons, ici, une description précise de toutes les machines et
“inventions” attribuées au génie de Léonard alors que le texte nous les
décrits comme faisant partie d’une tradition séculaire. Suivant
l’exemple de Brunelleschi, cette tradition fut, sans aucun doute,
toujours présente et active pendant la seconde moitié du Quinzième
siècle auprès d’ingénieurs tels que Taccola, Buonaccorso Ghiherti et
Francesco di Giorgio Martini. Leurs traités militaires, leurs manuscrits
de technologie et de mécanique étaient accompagnés d’illustrations,
souvent maladroites mais explicites. Ils jouissaient, à l’époque, d’un
grand succès vu leur nombre, certainement bien supérieur à celui qui
nous est resté. Les notes de Léonard nous montrent que lui-même
s’était appliqué à les recopier et à les étudier.
Nous devons réaliser, une fois pour toutes, que les dessins
technologiques de Léonard sont, en grande partie, le fruit d’une
lecture d’oeuvres préexistantes, de visites d’ateliers et d’échange
d’idées entre chercheurs et techniciens. En conclusion, sans vouloir
remettre en question le caractère souvent innovateur de ses recherches
qui sont, d’ailleurs, uniques par leur ampleur et leur empirisme, il n’en
est pas moins vrai que celles-ci ne sont pas comme on voudrait le faire
paraître, un fruit isolé qui aurait mûri dans le désert.

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Il fut enterré dans la chapelle du château de Cloux, qui fut détruite
ainsi que son tombeau pendant la Révolution Française .

Le sort s'est donc acharné sur cet homme solitaire, mal à l'aise partout,
protégé par les uns, méprisé par les autres jusque dans sa dernière
demeure . Rejeté par les siens, même la France, qui lui donna
cependant une fin de vie honorable, ne put protéger sa sépulture .

Cruelle destinée pour cet homme qui s'interessa à tout, étudia tout, que
de laisser derrière lui une oeuvre scientifique et artistique inachevée .
A la fin de sa vie, se sentant coupable de n'avoir rien vraiment achevé
Léonard écrira

" ... je n'ai été empêché ni par l'avarice ni par la négligence mais
seulement par le temps. Adieu"

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