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Bac français 2018,

série L – Corrigé du
commentaire
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Bac français 2018

Corrigé du
commentaire (série L)
Lire le sujet

Madame de Staël

(1766-1817),
Delphine,
quatrième partie
(1802)

Lettre XXXV
Delphine à Matilde.
Paris, ce 4 décembre.

Dans la nuit de
demain, Matilde, je
quitterai Paris, et
peu de jours après,
la France. Léonce
ne saura point dans
quel lieu je me retirerai ; il ignorera
de même, quoi qu’il arrive, que
c’est pour votre bonheur que je
sacrifie le mien. J’ose vous le dire,
Matilde, votre religion n’a point
exigé de sacrifice qui puisse
surpasser celui que je fais pour
vous ; et Dieu qui lit dans les
cœurs, Dieu qui sait la douleur que
j’éprouve, estime dans sa bonté
cet effort ce qu’il vaut1. Oui, j’ose
vous le répéter, quand j’aime mieux
mourir qu’avoir à me reprocher vos
douleurs, j’ai plus qu’expié2 mes
fautes, je me crois supérieure à
celles qui n’auraient point les
sentiments dont je triomphe.

Vous êtes la femme de Léonce,


vous avez sur son cœur des droits
que j’ai dû respecter ; mais je
l’aimais, mais vous n’avez pas su
peut-être qu’avant de vous
épouser… Laissons les morts en
paix. Vous m’avez adjurée3 de
partir, au nom de la morale, au
nom de la pitié même, pouvais-je
résister quand il devrait m’en
coûter la vie ! Matilde, vous allez
être mère, de nouveaux liens vont
vous attacher à Léonce, femme
bénie du ciel, écoutez-moi : si celui
dont je me sépare me regrette, ne
blessez point son cœur par des
reproches ; vous croyez qu’il suffit
du devoir pour commander les
affections du cœur, vous êtes faite
ainsi ; mais il existe des âmes
passionnées, capables de
générosité, de douceur, de
dévouement, de bonté, vertueuses
en tout, si le sort ne leur avait pas
fait un crime de l’amour ! Plaignez
ces destinées malheureuses,
ménagez les caractères
profondément sensibles ; ils ne
ressemblent point au vôtre, mais
ils sont peut-être un objet de
bienveillance pour l’Être suprême,
pour la source éternelle de toutes
les affections du cœur.

Matilde, soignez avec délicatesse


le bonheur de Léonce ; vous avez
éloigné de lui sa fidèle amie,
chargez-vous de lui rendre tout
l’amour dont vous le privez. Ne
cherchez point à détruire l’estime
et l’intérêt qu’il conservera pour
moi, vous m’offenseriez
cruellement ; il faut déjà me
compter parmi ceux qui ne sont
plus, et le dernier acte de ma vie
ne mérite-t-il pas vos égards pour
ma mémoire !

Adieu, Matilde, vous n’entendrez


plus parler de moi ; la compagne
de votre enfance, l’amie de votre
mère, celle qui vous a mariée, celle
enfin qui n’a pu supporter votre
peine, n’existe plus pour vous ni
pour personne. Priez pour elle, non
comme si elle était coupable,
jamais elle ne le fut moins, jamais
surtout il ne vous a été plus
ordonné de ne pas être sévère
envers elle ! mais priez pour une
femme malheureuse, la plus
malheureuse de toutes, celle qui
consent à se déchirer le cœur, afin
de vous épargner une faible partie
de ce qu’elle se résigne à souffrir.

Notes
1 Dieu […] estime […] cet effort ce
qu’il vaut : Dieu apprécie cet effort
à sa juste valeur.
2 Expié : réparé.
3 Adjurée : suppliée.

Proposition de corrigé
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Il s’agit d’un canevas volontairement non
rédigé pour mettre en valeur les principaux
éléments issus de l’analyse selon la
méthode recommandée par le site.

Introduction :
Situer le texte à commenter : Le texte
proposé à l’analyse provient de la quatrième
partie de Delphine, roman écrit par Madame
de Staël en 1802. L’héroïne éponyme aimait
Léonce d’un amour partagé ; mais blessé par
une fausse rumeur la concernant, le jeune
homme a, par dépit, épousé Matilde.
Lorsqu’il apprend la vérité, il propose à
Delphine de quitter sa femme ; cependant
Matilde, enceinte, a supplié Delphine de
renoncer à Léonce. L’extrait à étudier est la
réponse de Delphine à Matilde.

Quel est le thème du texte ? La douloureuse


renonciation à un amour passionné.

Quel est son genre littéraire ? Le récit


romanesque, variante épistolaire.

Quel est son type ? Narratif et argumentatif.

Quelle est sa tonalité ou registre littéraire ?


Lyrique, pathétique et tragique.

Ses caractères remarquables, thématiques


et/ou formels, c’est-à-dire ce qui fonde
l’intérêt de l’étude, et ce qui oriente le
parcours de lecture ? Nous avons affaire à la
lettre émouvante d’une héroïne romantique
qui, par respect pour sa passion, doit y
renoncer. Elle est caractéristique de ce
début du XIXe siècle qui a voulu valoriser la
force des sentiments. Delphine nous
introduit ici dans la catégorie du sublime
chère à la tragédie classique.

Annonce du plan : Nous examinerons


d’abord les marques d’une lettre dans ce
texte, puis les caractéristiques d’un scripteur
romantique, pour finir par celles d’un
caractère orgueilleux.

1re partie : Une lettre


Des caractéristiques scripturales

minimales : Un émetteur :

« Delphine », un destinataire : « à

Matilde ». Un lieu : Paris, une date :

« ce 4 décembre. »

Une focalisation interne : un « je » qui

révèle ses états d’âme. Cette forme

permet des confidences impossibles

autrement. « J’ose vous le dire […] Oui,

j’ose vous le répéter ». La lettre est

bien « la conversation des absents »

comme l’affirmait Cicéron.

Un échange avec un « vous ». Il

convient d’examiner la valeur de ce

pronom. En effet Delphine se définit par

rapport à Matilde comme « la

compagne de [son] enfance, l’amie de

[sa] mère, celle qui [l’] a mariée ».

Quels indices en tirer ? Delphine est

bien plus âgée que Matilde et Léonce

qui pourraient être ses enfants.

Delphine s’est éprise d’un homme bien

plus jeune qu’elle, que de plus nous

pouvons considérer comme un filleul

qu’elle aurait parrainé. De ce fait,

Delphine s’est mise au ban de son

milieu social bien-pensant. Le « vous »

a ici une valeur de distinction

aristocratique, il est celui d’usage entre

une mère et une fille dans la noblesse.

Delphine, en effet, se comporte en

donneuse de leçons et de directives

selon le privilège de son âge.

2e partie : écrite par


une héroïne
romantique
Cette lettre révèle une âme romantique.

Importance du champ lexical des

sentiments : « bonheur » (2

occurrences), « cœurs » (6

occurrences), « bonté » (2

occurrences), « sentiments », « je

l’aimais », « pitié », « affections » (2

occurrences), « passionnées »,

« générosité, de douceur, de

dévouement », « amour » (2

occurrences), « sensibles »,

« bienveillance »

Importance du champ lexical de la

souffrance : « sacrifie », « sacrifice »,

« douleur » (2 occurrences), « effort »,

« coûter », « sépare », « regrette »,

« blessez », « supporter », « peine »,

« malheureuse » (2 occurrences),

« déchirer », « résigne », « souffrir »

(le mot final).

Delphine a clairement conscience que

sa sensibilité et son destin font d’elle

un être à part : « Plaignez ces

destinées malheureuses, ménagez les

caractères profondément sensibles »

au rang desquelles elle se compte. Ces

caractéristiques distinguent le héros

romantique du début du XIXe siècle.

Par voie de conséquence Delphine est

une solitaire, un être d’exception non

reconnu par son entourage. « Les

affections du cœur » (deux

occurrences), ces passions idéalisées,

sont élevées au rang de valeur

religieuse en étant rattachées

directement à l’amour divin. C’est

pourquoi les femmes comme Delphine

« sont peut-être un objet de

bienveillance pour l’Être suprême ».

L’atténuation du propos vise sans doute

à ébranler les certitudes de Matilde,

tenante « des droits », de la « morale »

et du « devoir » qui se montre

« sévère » à l’encontre de la

pécheresse, celle qui a commis le

« crime de l’amour ». Delphine exprime

sa rupture à l’égard de la censure

chrétienne de son milieu, elle ne

reconnaît plus la « religion » de Matilde

et de ses semblables. En fille des

Lumières, elle a choisi le déisme, où

Dieu est devenu une entité rationnelle,

« l’Être suprême ». Elle exprime ainsi sa

révolte contre un ordre injuste qui

brime la liberté féminine, qui ne

reconnaît pas les droits du cœur, qui

méprise la valeur de la souffrance. Là

encore, elle se comporte comme une

héroïne romantique.

3e partie : et par une


femme fière
Cette héroïne romantique est aussi une
femme fière.

Sa lettre commence par une décision

irrévocable : un départ rapide et un

effacement total. Delphine utilise une

suite de futurs qui indiquent sa

détermination.

Elle a conscience de ce qu’elle doit à

son idéal de vie. Pour elle aimer, ce

n’est pas posséder, chercher sa propre

satisfaction, mais vouloir le bonheur de

celui qu’on aime. C’est la conception de

l’agapé chrétien. D’ailleurs c’est au nom

de cet amour désintéressé qu’elle

consent au « sacrifice ». Mais cet

effacement est aussi l’occasion de

rabaisser sa rivale : « Matilde, votre

religion n’a point exigé de sacrifice qui

puisse surpasser celui que je fais pour

vous ». De même Delphine confirme

son éloignement des vertus chrétiennes

en s’attribuant la gloire et les mérites de

sa décision : « je me crois supérieure à

celles qui n’auraient point les

sentiments dont je triomphe. » Enfin

elle sait qu’en s’immolant, elle rejoint le

petit nombre « des âmes passionnées,

capables de générosité, de douceur, de

dévouement, de bonté, vertueuses en

tout ». Dans ce rythme accumulatif

transparaît l’orgueil d’appartenir à une

élite admirable.

Ce dolorisme est ainsi une forme de

revanche qui permet à Delphine

d’exiger en quelque sorte des

compensations auprès de Matilde. Sur

le fond Delphine demande, voire exige

(au moyen de nombreux impératifs) la

conversion de sa rivale. Contre sa

disparition, la « coupable » impose à

Matilde des obligations morales dont le

« respect » pour celle qui s’éloigne.

Surtout elle lui lance un double défi :

« Ne cherchez point à détruire l’estime

et l’intérêt qu’il conservera pour moi,

vous m’offenseriez cruellement », c’est

ici le défi de la générosité ; « chargez-

vous de rendre [à Léonce] tout l’amour

dont vous le privez », et là, le défi de

l’amour.

Elle clôt sa lettre par une formule

solennelle qui constitue un testament

où figurent ses dernières volontés :

« Adieu, Matilde, vous n’entendrez plus

parler de moi ». La suite est constituée

de deux impératifs que l’on pourrait

rencontrer dans une cérémonie

mortuaire : « Priez » employé deux fois.

Nous avons l’impression de baigner

dans un climat religieux. Matilde

impose une perspective vers l’au-delà,

son adieu prend le sens étymologique

de « à Dieu », c’est un regard sur les

fins dernières qui espère le pardon et la

réconciliation entre les deux rivales. Elle

scelle ainsi sa supériorité et lie Matilde

par les promesses dues à une

mourante : « jamais surtout il ne vous a

été plus ordonné de ne pas être sévère

envers elle » au moyen d’une formule

qui multiplie les mises en évidence

(jamais, surtout, ne plus) et ajoute une

forme impersonnelle passive propre au

style administratif ou juridique.

Conclusion :
Synthèse du parcours de lecture :

Cette lettre d’adieu est remarquable à plus

d’un titre. Elle est l’œuvre d’une héroïne

romantique. Chez Delphine, la passion est

valorisée parce qu’elle la fait appartenir aux

âmes d’élite. Cette même passion transfigure

sa vie et se sublime dans la souffrance du

renoncement. Pourtant le personnage est

plus complexe qu’il y paraît. Derrière la

noblesse du retrait perce la fierté d’une

femme qui veut transformer sa défaite en

victoire de la générosité. Sa revanche sera de

rester gravée dans la mémoire de sa seule

rivale, dépositaire et exécutrice de ses

dernières volontés.

Ouverture :

Avec Delphine se manifestent des

revendications féministes nées du Siècle des

Lumières. Cette émancipation et ce désir de

liberté vont s’amplifier au cours des XIXe et

XXe siècles tout en se transformant. Le texte

de Colette permet de voir combien la

moderne préservation du bonheur dans la

libre disposition des cœurs et des corps a

succédé aux généreux mais suicidaires élans

romantiques.

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