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Sorj CHALANDON

Enfant de salaud

Éditions Grasset, 2021 (336 pages)

"Hymne à l'enfance"

Pour chaque enfant, le père a un statut sacré. Il est le symbole de la pureté, de l'abnégation et
de la gentillesse. Il peut être un père chaleureux comme le Père Noël ou le symbole du
courage comme Jean Valjean ou peut-être même qu'il fera tout pour rendre ses enfants
heureux… comme le Père Goriot ! Mais que peut faire un enfant quand son père est un
caméléon ? Existe-t-il un conte au monde sur un papa qui improvise et gâche la vérité afin de
cacher son vrai visage sous plusieurs masques qui seront démasqués ? Existe-t-il une histoire
au monde sur un adulte qui a perdu ses années d’enfance parmi les infinis mensonges de son
père ?

Que peut-on ressentir lorsqu'un enfant se voit appeler « enfant de salaud » par quelqu'un qui
lui est si cher? Combien de temps le chagrin durera-t-il lorsque cette personne se trouve être
son propre grand-père ?  Comment ce cœur brisé pourra-t-il continuer à battre dans ce corps
déchiré ?

Enfant de salaud, écrit par Sorj Chalandon, est un roman sur l'histoire et la mémoire. Au
milieu des lignes, derrière les mots et dans la blancheur des pages, les blessés portent les
blessures des guerres mentales et physiques. Il y a des douleurs causées par ceux qu'on
appelle les proches et l’on est alors dans ces moments où il n'y a plus personne sur qui l’on
peut compter.

Nous sommes en 1987. Le narrateur a 35 ans ; il a pris sa décision : il veut savoir ce que son
père a fait pendant la guerre et l’Occupation. C’est un chroniqueur judiciaire qui se trouve à
Lyon pour couvrir le procès de Klaus Barbie. Nous l'accompagnons dans cette recherche pour
découvrir la vérité sans ornement ni masque.

 
   Mina Sharifi 
Département de Langue et Littérature
française

   Université de Téhéran, Iran


Sorj CHALANDON

Enfant de Salaud

Éditions Grasset, 2021 (336 pages)

Le premier traître

            « Ton père pendant la guerre, il était du mauvais côté ». Cette réalité fut révélée à
l’auteur par son grand-père lorsqu’il n’avait que dix ans. Depuis, ce fardeau le poursuivra tout
au long de sa vie.

            Durant son enfance, Sorj Chalandon écoutait son père raconter ses supposées épopées
au sein de la Résistance. Des années après, il lui rapporte cet aveu terrible du grand-père,
mais se heurte à son déni. Adulte, il reçoit un message de sa part. Ayant passé quelques jours
à l’hôpital, il commence à parler alors de manière tragique, tel un mourant, évoquant ses
copains morts en Ukraine ou en Russie. Depuis, le narrateur assiste amèrement aux récits que
son père lui conte de ses années aux côtés des Allemands. Seulement voilà : cela non plus
n’était pas complètement vrai. Bien plus tard, il parvient à récupérer le casier judiciaire –
dont il avait longtemps ignoré l’existence – de son géniteur qui aurait été condamné à un an
de prison et cinq ans de dégradation nationale durant l’épuration. Ainsi commence le procès
du père, juxtaposé au procès de Klaus Barbie auquel l’auteur a assisté en 1987. D’une part,
nous découvrons petit à petit ce casier avec le narrateur et le suivons dans sa quête de la
vérité, d’autre part nous assistons aux témoignages des victimes de Barbie.

Sorj Chalandon découvre en fait le casier en 2020. Il fait cependant le choix de


déplacer le temps de cette découverte en 1987, au moment du procès du criminel nazi : la
petite histoire entre ainsi en collision avec la grande Histoire.

Ce n’est pas la première fois que Sorj Salandon choisit de traiter de la mythomanie de son
père dans un de ses livres. Dans ce roman, c’est avec une sincérité crue que l’auteur nous
dévoile toute la vérité. Faisant face à cette réalité violente, à cette profonde trahison, il ne
demande rien d’autre qu’un simple aveu, une confidence qui ne sente pas le mensonge,
cherchant à regagner sa confiance en ce père si insaisissable. Même s’il connaissait la vérité,
et savait que son père, pendant la guerre, a été partout et nulle part, errant de camp en camp,
il voulait l’entendre de lui. Le lecteur ressent ce besoin désespéré du narrateur, qui tente à
plusieurs reprises de se confronter ce père (qui semble presque croire au passé qu’il s’est
inventé), afin d’obtenir une simple confession de sa part. Et alors, dit le narrateur, « je ne
serais plus enfant de salaud. »

En parallèle, tout en restant fidèle aux faits, il retrace les scènes judiciaires du procès et
fait revivre de façon très touchante les victimes du Boucher de Lyon, leur redonnant la
parole, ravivant leur mémoire. Leurs témoignages, notamment celui de la rafle des quarante-
quatre enfants de la Maison d’Izieu, sont d’une puissance et d’une sensibilité qui ne nous
laissent pas indifférents.

            Avec un style bouleversant et très touchant, Sorj Chalandon mélange l’intime à


travers sa relation avec son père qu’il considère comme son « premier traitre », et l’universel
par le biais du procès de Klaus Barbie qui fait appel à l’humanité de chacun, en entraînant le
lecteur dans une tornade d’émotions inoubliables.

Nisrine Chaaban,

Université Saint-Joseph, Beyrouth

Sorj CHALANDON

Enfant de Salaud

Éditions Grasset, 2021 (336 pages)

 
Le traître à mille vies

« J’ai été désolé pour lui et triste pour nous. Je n’étais plus en colère. Fabriquer tellement
d’autres vies pour illuminer la sienne. Mentir sur son enfance, sa jeunesse, sa guerre, ses jours et
ses nuits, s’inventer des amis prestigieux, des ennemis imaginaires, des métiers de cinéma, une
bravoure de héros ».

Depuis sa toute petite enfance, l'auteur a toujours une question qui se bousculait dans sa tête :
qu'a été son père à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale sous l'occupation allemande ?
Une question à laquelle, si j'ose dire, il regrette d'avoir trouvé la vraie réponse, celle qui fut
très tôt révélée par le grand-père du scripteur : « … ton père était de mauvais côté. Tu es un
enfant de salaud », une révélation bien morose. Je me contenterai de ces phrases qui peuvent
paraître plus ou moins vagues, ce que j’ai sciemment voulu, car faute de quoi, ce serait un
atroce divulgâchage.

Ce livre est un fabuleux mélange de deux affaires qui se chevauchent, desquelles l’une, celle du
père de l’écrivain est très intime et personnelle, tandis que l’autre, celle du procès de Klaus
Barbie, est clairement historique et nationale. Deux affaires entre lesquelles le seul élément
partagé est, d’après moi, la culpabilité intolérable.

Il me parait donc assez clair que l’écrivain essaie de nous pousser à faire la comparaison entre son
père et Barbie, et par conséquent, à décider qui entre les deux, est le plus cruel ? Et la réponse se
révèle bien incontestable : ce que le père de l’écrivain a fait en trahissant son pays, son propre fils
et finalement soi-même par la fabrication de mensonges et de fourberies sur sa propre vie - qu’il
finit par y croire lui-même, pourrait être, voire, devrait être nommé une trahison complète.

J'aimerais bien féliciter la formidable plume 'Sorj Chalandon' pour avoir, à un moment de
gracieuse inspiration, décidé de partager avec le public des lecteurs les moments, les instincts
et les tares les plus intimes de sa vie sous une forme dont le moins que l'on puisse dire, est
qu’elle est fabuleuse.

À vrai dire, après avoir lu et relu cette histoire hors pair, j'en ai retenu, entre autres, une clé
assez essentielle pour mener une vie sereine : il est parfois tellement mieux de ne pas tenter
de tout révéler, car cela pourrait très bien entraver l'écoulement d'une vie entière et l'on en
passerait le reste dans le chagrin.
 

Voilà un livre qui a su susciter en moi une infinie auréole de vives émotions, auxquelles il me
faudrait peut-être éternité pour répondre, un livre que l'on lit et dont on souhaite qu'il n'ait pas
de fin… mais on y parvient bon gré mal gré.

À lire absolument.
Mohammed
ALWALEED
Département de français,
Faculté des Lettres

Université de Khartoum
Sorj CHALANDON

Enfant de Salaud

Éditions Grasset, 2021 (336 pages)

Une quête identitaire : entre réalité et fiction

Écrivain et journaliste français, Sorj Chalandon est connu pour ses travaux de journaliste-
reporter du quotidien français Libération. En 1988, il remporte le prix Albert-Londres pour
ses reportages valorisés sur l’Irlande du Nord et le procès de Klaus Barbie. En 2005, il signe
son premier roman Petit Bonzi qui a reçu maints prix et depuis, ses romans bénéficient d’une
belle réception par les lecteurs francophones car ils reflètent le goût de l’auteur pour
l’écriture. Dans Enfant de salaud comme dans Le Quatrième mur publié en 2013, cet
écrivain-journaliste continue à transmuer son talent de journaliste en un art universel, il joue
entre réalité et fiction pour exprimer ses réflexions romanesques à ses lecteurs.

Après avoir dévoilé dans Profession du père, publié en 2015, les douleurs vécues durant son
enfance, Sorj Chalandon part à la recherche de la vérité dans son nouveau roman Enfant de
salaud. Cette expression est adressée à Chalandon par son grand-père à l’âge de 10 ans. C’est
à ce moment-là qu’il décide de chercher toute la vérité ! Laquelle ? Celle du parcours de son
père lors de la Seconde Guerre Mondiale. L’écrivain s’engage alors à divulguer ce que son
père lui a dissimulé, à dire l’indicible ! 

L’auteur met en scène deux procès réels : celui de Klaus Barbie en 1982 et celui de son père
en 1945. Effectivement, la structure du roman explique la volonté de l’auteur de mettre en
parallèle les deux procès : celui du chef de la Gestapo, le premier homme jugé pour avoir
commis des crimes contre l’Humanité et celui de son père qui « avait été condamné par la
Cour de justice de Lille à un an de prison et cinq ans de dégradation nationale pour des "actes
nuisibles à la défense nationale", commis en 1942. » (p. 77). Malgré l’écart temporel qui
s’instaure entre les deux procès, Chalandon mêle la fiction à la réalité en choisissant de
fondre les deux cadres temporels en un seul. C’est alors par la fiction qu’il nous transmet la
réalité des évènements. Après la découverte des documents juridiques du procès et du
parcours tortueux de son père entre 1940 et 1946, Chalandon stimule notre attente de la
découverte de la vérité contenue dans ces documents.

La structure du roman explique la volonté de l’auteur de braquer la lumière sur les deux
procès à la fois. D’emblée, la disposition des chapitres et leurs titres mettent en lumière le
rôle primordial de la temporalité dans le roman de Chalandon. Cette mise en abîme devient
donc pour l’auteur une forme de révolte vis-à-vis des crimes contre l’humanité, d’où la
récurrence des thèmes de la trahison, de l’injustice et de la soumission. Ces thèmes se
développent d’ailleurs à travers les relations entre les protagonistes. De fait, il nous semble
que le thème de la justice est le macro-thème du roman duquel découlent les autres thèmes,
étant donné que le procès de Barbie occupe une part importante dans l’intrigue. Chalandon
raconte méticuleusement les péripéties de ce procès et rapporte avec émotion les paroles des
témoins victimes des tortures exercées par Klaus Barbie.

En réalité, Chalandon n’a pu ouvrir le dossier juridique de son père que le 18 mai 2020, ce
père qui est mort en 2014 à l’âge de 92 ans à l’hôpital psychiatrique du Vinatier.  Dès lors, il
est évident que l’écrivain joue sur la fiction du roman dans le but d’exprimer sa fureur à
l’égard des deux accusés. Ces deux procès ont tellement marqué sa mémoire qu’il choisit de
les incarner sous une même temporalité. Il veut mettre l’accent sur le double verdict de son
père et de Klaus Barbie, l’« idole » de celui-ci.

 « Pour moi, vos sorts étaient liés. », écrit-il, p. 209.

En outre, le contenu du roman s’esquisse à travers sa forme même. Les scènes d’affrontement
et de disputes entre le fils et le père sont des scènes de fiction. Chalandon n’a jamais eu
l’occasion de se confronter à son père. C’est la raison pour laquelle la narration des
évènements réels est souvent interrompue par des logorrhées de paroles dans de longs
monologues où le narrateur verbalise ses sentiments et réflexions avec une subjectivité claire.
D’ailleurs, comme dans la plupart de ses romans, Chalandon endosse le rôle d’un narrateur
excentrique et particulier. Celui-ci détient une forte charge énonciative. Les scènes
intercalées sont jalonnées de glissements énonciatifs brusques, d’impropriétés langagières et
sont articulées avec une syntaxe disloquée. Son style acéré et haché coupe la réalité par
l’imagination et rehausse l’éclat de sa fureur, amplifiant l’expression de sa perturbation et son
bouleversement face aux paroles et aux détours insolites empruntés par son père durant la
guerre.

En vrai, l’originalité de ce roman réside dans son contenu et sa forme, qui révèlent les visées
de l’écrivain. Ce dernier mêle la réalité à la fiction afin de construire un roman à triple enjeu :
dénoncer les supercheries et les mensonges de son père face à la justice, rendre hommage aux
victimes de la Seconde Guerre Mondiale incarcérées par les Allemands et nous amener à
nous remémorer les crimes de Klaus Barbie.

Pour Chalandon, savoir la vérité c’est découvrir son identité voire comprendre son statut
d’« enfant de salaud ». Ce titre est bouleversant et provocateur. L’auteur partage avec nous le
parcours psychologique lié à la quête de sa propre identité. « Le salaud, c’est l’homme qui a
jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans traces, sans repères, sans lumière, sans la
moindre vérité. […] Le salaud, c’est le père qui m’a trahi. », s’exclame-t-il., p. 260.
Cependant, serait-il possible qu’un fils puisse mettre à égalité son père avec le premier
homme accusé de crimes contre l’Humanité ? On a l’impression qu’on assiste à un procès où
le narrateur-fils est lui-même le juge de son père qui l’accuse de trahison. Avons-nous le droit
de blâmer nos parents ? nos similaires ? Peut-être que oui, peut-être que non. Mais au moins,
connaître l’histoire de nos parents est un droit qui peut nous permettre de mieux vivre pour
pouvoir s’aimer et se construire.

Finalement, dans ce roman, Sorj Chalandon nous laisse découvrir que seule l’écriture semble
être un refuge, une thérapie qui pourrait nous guérir du mal intérieur.

                                                                Diana Skayem

Université Libanaise
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines - Section II

Département de Lettres et de Littérature Française

Sorj CHALANDON

Enfant de Salaud

Éditions Grasset, 2021 (336 pages)

Un père manqué

 
«J’ai besoin de savoir […] Qu’as-tu fait sous l’occupation ? Pourquoi es-tu devenu un traître,
Papa ? ».

Voilà les questions qui, dès le début et jusqu’à la fin, torturent le narrateur de ce roman qui
parle d'un homme nommé Jean, vivant avec son fils. Cet homme a trahi son pays et n’a cessé
de mentir à son fils à propos de sa vie personnelle et professionnelle. Père menteur, c’est
aussi un traître et un excentrique violent qui n’a pas su comment aimer son propre fils.

« Tu es un enfant illégitime », « je l'ai vu habillé en allemand, ton père », ces phrases


prononcées par le grand-père vont obséder l’esprit de l’enfant de 15 ans. Devenu journaliste,
ce fils « aliéné et trahi » part à la recherche de la vérité de son père. Suite au procès d'un
criminel nazi allemand nommé Klaus Barbie – qui était responsable du meurtre et de la
torture de nombreux Juifs – le narrateur a été choisi pour poursuivre l'affaire. Ainsi, il a pu
découvrir que son père avait porté cinq uniformes en quatre ans. De surcroît, ce père fut
quatre fois déserteur de quatre armées différentes : « Traître un jour, portant le brassard à
croix gammée, puis patriote le lendemain, arborant fièrement la croix de Lorraine ». Le fils
découvre également le casier judiciaire de son père, emprisonné en 1944 pour atteinte à la
sécurité nationale ce qui a profondément choqué le fils. L’officier en charge du cas du père a
déclaré qu'il n'y avait aucune preuve qu'il était un agent des Allemands, mais qu'il était très
dangereux pour la France.

En 1987, le fils décide, après des années de silence, de se confronter à son père. Il lui jette
tous les papiers officiels à la figure. Devenu presque fou, le père reste sans paroles ni défense
et chasse son fils de la maison.

Composé comme un journal, ce texte de Chalandon combine deux voies, voire, deux voix :
Une histoire personnelle et un événement historique qui est le procès de Klaus Barbie, en
1987. Entre autobiographie et mémoire collective, le fils égaré qui rêvait d'uniformes de
carnaval et de fusils trop lourds se déchire dans une tragédie qui ne s’achève pas, voire qui ne
se terminera jamais : « Tu m'aurais avoué tout ça, le soir, en confident secret. Peut-être
n'aurais-je pas compris, mais tu m'aurais parlé, enfin. Enfin tu te serais débarrassé de ces
oripeaux militaires et tu aurais endossé un bel habit d'homme. Un costume de père ».

Ce roman qui nous apprend beaucoup sur un père « manqué », un père « salaud » qui n’a pas
su comment aimer son fils – « c'est pas moi enfant de salaud, le salaud qui m'a trahi » – m’a
beaucoup touché et bouleversé. La figure du père habite le narrateur. Certes, ce dernier essaie
de se libérer de ses blessures et de surmonter la tromperie. Il tente libérer son père aussi de
l’emprise du mensonge avec une langue ne cherchant toujours que la vérité et rien d’autre
que la vérité : « Non. Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils comme dans la boue. Sans
traces, sans repères, sans lumière, sans la moindre vérité […] Le salaud, c’est le père qui m’a
trahi ».

                                                                        Haneen Diab

Faculté de langues étrangères, Département de


Français,

Université de Jordanie

Sorj CHALANDON

Enfant de Salaud

Editions Grasset, 2021 (336 pages)

Des vies en lambeaux

« Ton père pendant la guerre, il était du mauvais côté », une phrase qui ne cessera de
hanter le narrateur tout au long de son récit poignant. Dans son roman
autobiographique Enfant de salaud, Sorj Chalandon se livre à cœur ouvert et sans retenue,
exposant crûment une réalité durement vécue. A travers un parallélisme qui se prolonge
jusqu’à la fin du roman entre un père absent et trop présent à la fois, accusé de collaboration
et le criminel de guerre nazi, Klaus Barbie, nous assistons à une double condamnation : le
premier est condamné par son propre fils, le second, par la justice mais aussi par les voix
affaiblies et tremblantes des rescapés venus témoigner, qui malgré tout résonnent fort dans les
consciences.

« C’est là », nous entrons de plain-pied avec l’auteur dans un lieu-clef de l’histoire : la


Maison d’Izieu où de jeunes juifs ont trouvé refuge. Cette maison est la représentation ultime
de la cruauté et des atrocités commises par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. La
rafle d’Izieu laisse dans l’esprit et le cœur du journaliste (l’auteur) des marques profondes.
Un lieu qu’il aurait aimé que son père voie dans l’espoir de faire surgir en lui quelque
émotion ou quelque humanité qu’il voudrait croire enfouie en lui.
Le père, qui est en effet, un mythomane colérique doublé d’un mégalomane délirant,
fera de sa guerre un récit héroïque et patriotique… Mais qu’avait réellement été sa guerre ?
Sorj Chalandon devra faire ses propres recherches afin de découvrir le personnage complexe
qu’est son père. Un résistant ? Un collaborateur ? Un communiste ? Un déserteur ?  Un peu
tout à la fois ? Il retire couche après couche les mensonges accumulés durant des années.
Chaque couche étant un coup asséné, une gifle reçue rouvrant les plaies d’une enfance
ponctuée de violences. « Bonhomme ! » c’est comme cela que son père le surnommait enfant
lorsqu’il lui racontait ses « prouesses » de guerre. « Bonhomme ! » c’est comme cela qu’il
continuera de l’appeler adulte. Mais l’auteur n’est plus dupe ! Ce mot deviendra pour lui le
symbole d’une enfance entachée des fantasmes et des illusions d’un géniteur refusant
d’accepter sa défaite. 

Klaus Barbie : un individu déroutant. Bien qu’il soit un personnage principal autour
duquel s’articule l’œuvre, on ne peut que remarquer le rôle auxiliaire qu’il s’attribue à lui-
même. Il sera en effet un personnage secondaire dans son propre procès. Les rares fois où il
acceptera de comparaitre, le narrateur ne pourra que noter son rictus provocateur et son
regard hautain qui se perd dans une salle qu’il ne voit pas. Aucun signe de gêne, de remords
ou de culpabilité. Le criminel nazi demeure indifférent, voire moqueur devant la souffrance
des victimes. 

A travers le procès que l’auteur couvrira en tant que journaliste politique, son rôle ne
se limitera pas seulement à rapporter les faits mais à les faire revivre dans un style voulu
simple qui vise à mettre en valeur l’importance des témoignages recueillis afin de mieux
rendre hommage aux victimes. Ce roman met donc l’accent sur l’histoire personnelle (avec
un petit h !) et tumultueuse d’un fils désireux de confronter un père dans le déni de toutes ses
actions mais aussi, sur l’Histoire (avec un grand H) d’un pays meurtri par l’Occupation. Un
devoir de mémoire implicite que l’auteur nous invite à partager dans sa globalité par le biais
du double procès.

 
Lily Naim
Faculté des Lettres et des Sciences humaines,
Université Saint-Joseph, Beyrouth

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